PANAMA PAPERS : 2 ANS APRÈS Progrès et blocages au niveau européen Le 3 avril 2016, l’un des plus grands scandales fiscaux éclatait grâce aux révélations contenues dans les « Panama Papers » : 11,5 millions de documents, plus de 210 000 entreprises off-shore, 21 paradis fiscaux en cause, 140 hommes et femmes politiques concernés dans plus de 50 pays... Deux ans après, le groupe Verts/ALE au Parlement européen propose de faire le point sur les avancées obtenues depuis, ainsi que sur les blocages qui persistent. Ce bilan montre que des progrès ont été réalisés : plusieurs propositions législatives importantes ont été mises sur la table par la Commission européenne et beaucoup ont été traitées en priorité. Malheureusement, plusieurs de ces propositions sont encore bloquées au Conseil, qui doit faire preuve de davantage de volonté politique afin de faire progresser la justice fiscale.
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EVA JOLY
Vice-Présidente de la Commission d’enquête du Parlement européen sur les Panama Papers
PASCAL DURAND
Porte-parole du Groupe Verts-ALE sur les questions de transparence et de démocratie 1
DOMAINE 1. PROTECTION DES LANCEURS D’ALERTE
PROGRÈS Plusieurs rapports votés par le Parlement européen reprennent l’idée défendue depuis longtemps par les Verts/ALE en faveur d’une protection horizontale des lanceurs d’alerte au niveau de l’UE. C’est le cas en particulier dans les recommandations finales de la commission d’enquête sur les Panama Papers, adoptées en décembre 2017. La Commission européenne devrait enfin faire une proposition législative en ce sens en avril 2018.
2. TRANSPARENCE DES ENTREPRISES / PUBLICATION D’INFORMATIONS PAYS PAR PAYS
En juillet 2017, le Parlement européen a adopté sa position sur le reporting public pays par pays (CBCR) des groupes dont le chiffre d’affaires dépasse les 750 millions d’euros, proposé par la Commission européenne en avril 2016. La publication des données fournies aux autorités fiscales concernant les impôts payés, le nombre d’employés, le chiffre d’affaires et les bénéfices dans les pays où ces entreprises opèrent figurent parmi les instruments incontournables de la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales. Malheureusement, les groupes politiques conservateurs ont introduit quelques failles, en particulier un régime d’exception permettant aux entreprises de demander des dérogations afin de ne pas publier des informations qu’elles jugeraient «commercialement sensibles».
3. LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT D’ARGENT ET LA CRIMINALITÉ FINANCIÈRE
Le Parlement européen et le Conseil ont récemment trouvé un accord politique sur la proposition de révision de la directive antiblanchiment (5ème directive). Cette révision proposée en juillet 2016 comble un certain nombre de failles constatées suite aux Panama Papers. L’accord final a notamment entériné la création d’un registre des bénéficiaires finaux pour les entreprises (registre public) et pour les trusts (registre malheureusement seulement accessible à ceux qui ont un « intérêt légitime » à connaître l’information). Cela constitue un progrès majeur pour mettre fin à l’opacité financière et lutter contre le blanchiment et l’évasion fiscale.
BLOCAGES La proposition européenne à venir pour une protection des lanceurs d’alerte se doit d’être suffisamment large et solide juridiquement. Les Verts/ALE veilleront à ce que certains principes essentiels soient pris en compte (par ex. la possibilité de communiquer l’information en interne ou directement à l’extérieur, aux média ; un renversement de la charge de la preuve afin que ce ne soit pas aux lanceurs d’alerte de prouver qu’ils ont agi de bonne foi, etc.). Les États membres n’ont fait aucun progrès sur cette proposition de directive. Le dossier est bloqué depuis deux ans, en raison notamment de la contestation par plusieurs pays (Suède, Allemagne, Luxembourg, Irlande, Hongrie, Chypre...) de la base légale de la proposition. Ces pays préférant que le Parlement européen n’ait pas son mot à dire. Nous appelons le Conseil à adopter au plus vite sa position sur ce texte.
La mise en œuvre des règles anti-blanchiment dans les États membres est parfois préoccupante. La mission de la Commission d’enquête sur les Panama Papers à Malte a par exemple mis ce problème en avant. Nous appelons les États membres à entreprendre les efforts nécessaires afin de se mettre en conformité au plus vite avec la directive européenne actuellement en application et d’anticiper l’entrée en vigueur de la 5ème directive.
L’accord politique devrait être validé par le Parlement européen mi-avril et ensuite par le Conseil. Il entrera en vigueur en 2020.
4. ASSIETTE COMMUNE CONSOLIDÉE POUR L’IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS
Après une première proposition en ce sens en 2011, la Commission européenne a refait une nouvelle proposition en octobre 2016. L’objectif est de passer à une taxation unitaire des multinationales au niveau européen, afin de redistribuer les produits fiscaux en fonction de là où a réellement lieu l’activité des entreprises. Le Parlement européen a adopté sa position en mars 2018, avec des mesures anti-évasion fiscale renforcées et une prise en compte de l’économie digitale grâce à la définition d’un établissement stable « numérique ».
Le Conseil n’a réalisé aucun progrès sur cette proposition de directive, qui doit recueillir l’unanimité des États membres. L’Irlande et le Luxembourg, en particulier, sont vent debout contre cette proposition de réforme. Alors que certains plaident pour le passage à une coopération renforcée, nous demandons à la Commission européenne d’utiliser l’article 116 du Traité (TFUE) afin de passer à la codécision avec le Parlement européen et à la majorité qualifiée au sein du Conseil (plutôt qu’à l’unanimité).
PANAMA PAPERS : 2 ANS APRÈS Progrès et blocages au niveau européen • GROUPE VERTS/ALE AU PARLEMENT EUROPÉEN- EUROPE ÉCOLOGIE
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5. D IRECTIVE SUR LA LUTTE CONTRE L’ÉVASION FISCALE (ATAD)
PROGRÈS Les États membres ont trouvé un accord en juillet 2016 pour réviser les règles de la directive antiévitement fiscal, suite à une proposition de la Commission faite en janvier 2016.
BLOCAGES L’ambition de la proposition initiale de la Commission européenne a été largement revue à la baisse par les États membres qui ont introduit plusieurs exceptions et une plus grande flexibilité sur certains aspects. Le Conseil, sous l’impulsion du RoyaumeUni, a par exemple abandonné la solution qui visait à garantir que les fonds entrant dans l’UE depuis des paradis fiscaux soient proprement taxés avant de pouvoir circuler au sein du marché intérieur.
6. LISTE NOIRE EUROPÉENNE DES PARADIS FISCAUX
Bien que le projet ait commencé dès janvier 2016, c’est en décembre 2017 que le Conseil a finalement adopté sa liste européenne de juridictions non-coopératives en matière fiscale, avec initialement 17 pays sur liste noire (réduite à 9 pays seulement en mars 2018) et 47 sur liste «grise».
Le processus d’évaluation des pays est malheureusement trop opaque. Nous appelons à davantage de transparence sur les critères utilisés et sur les engagements pris par les pays sur liste « grise ». Le groupe des Verts/ALE a envoyé plusieurs demandes d’accès aux documents en ce sens. Bien que le Conseil ait fini par publier certains de ces documents, les soupçons de petits arrangements politiques et diplomatiques ne pourront être écartés tant qu’il n’y aura pas de transparence totale sur ce processus de liste noire. Depuis le départ, nous critiquons également l’exclusion d’emblée des États membres de l’Union de cette liste, alors que plusieurs d’entre eux semblent remplir les critères d’un paradis fiscal. Enfin, une liste sans sanction commune et dissuasive n’a qu’une valeur ajoutée limitée dans la lutte contre l’évasion fiscale.
7. ENQUÊTES POUR AIDES D’ÉTAT ILLÉGALES
Les récentes enquêtes pour aides d’État illégales lancées par la Commission européenne ont permis de sanctionner des pratiques fiscales dommageables. En août 2016, Apple a par exemple été notifié d’une amende de 13 milliards d’euros pour des impôts impayés pendant 10 ans en Irlande. Les pratiques fiscales d’autres entreprises ont été sanctionnées (Fiat, Starbucks, Amazon, etc.). Alors qu’un rapport des Verts/ALE publié en 2016 dénonçait les schémas fiscaux d’IKEA, nous nous réjouissons que la Commission européenne ait décidé en décembre 2017 de lancer une enquête formelle sur les pratiques fiscales de cette entreprise.
8. R ÉGULATION DES INTERMÉDIAIRES (BANQUES, AVOCATS, CONSULTANTS, ETC.)
Les intermédiaires (banques, consultants, cabinets Il est regrettable que les États membres d’avocats, etc.) jouent un rôle-clé dans la facilitation aient décidé de repousser la date de l’évasion fiscale. d’entrée en vigueur de cette nouvelle obligation (à mi-2020) ainsi que la date Suite à une proposition de la Commission de révision de cette directive. européenne en juin 2017, le Conseil a trouvé un accord en mars 2018. Cette proposition crée une nouvelle obligation pour les intermédiaires, qui devront communiquer aux autorités fiscales nationales les schémas fiscaux qu’ils créent pour le compte de leurs clients, dès lors qu’ils concernent plusieurs pays. C’est une avancée considérable pour la transparence en matière d’arrangements fiscaux.
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NOUS APPELONS LA COMMISSION EUROPÉENNE À 1. Présenter au plus vite une directive en faveur d’une protection européenne et horizontale des lanceurs d’alerte. 2. A nalyser les règles européennes de lutte contre l’évasion fiscale à l’aune des derniers scandales, notamment des Paradise Papers, afin de proposer d’éventuelles améliorations de la législation. 3. E nquêter sur un maximum de cas d’aides d’État et de faire en sorte que les montants recouverts soient alloués au budget européen. 4. H onorer la promesse du Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en faveur d’une proposition législative en matière fiscale sur la base de l’article 116 du Traité, permettant de passer outre le verrou de l’unanimité (nécessaire au sein du Conseil de l’UE dans ce domaine).
NOUS APPELONS LES ÉTATS MEMBRES À 1. Débloquer immédiatement la proposition de directive pour un reporting public pays par pays. 2. A vancer sur la proposition en faveur d’une assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, avec une prise en compte des entreprises du numérique comme l’a fait le Parlement européen. 3. M ettre en œuvre au plus vite les dispositions des directives européennes anti-blanchiment, anti-évitement fiscal, et sur la régulation des intermédiaires. 4. R endre plus transparent le processus de liste noire des paradis fiscaux et réformer le Groupe « Code de Conduite sur la taxation des entreprises » qui réunit les représentants des États membres pour toutes les réformes liées à la taxation.
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