L'activité physique en milieu urbain

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L’ACTIVITÉ PHYSIQUE EN MILIEU URBAIN



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L’ACTIVITÉ PHYSIQUE EN MILIEU URBAIN

Ève Wolfs Design industriel la Cambre 2014-2015


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TABLE DES MATIÈRES

ABSTRAIT

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INTRODUCTION

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MISE EN CONTEXTE

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Massification sportive et culte de la performance Urbanisation, sédentarité, tiertarisation Les enjeux économiques du sport

Rencontre 1 : kinésithérapeute

L’ACTIVITÉ PHYSIQUE

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Définition, limites et différences

L’inactivité physique et le repos L’activité physique L’entretien physique et la prévention Du sport à la performance

Lieux de pratiques En extérieur Les parcours vita

Les évolutions urbaines du parcours santé Les interventions graphiques

Les phénomènes de « streetsports » : Yamakasi et street yoga

En intérieur Salle de sport et sport de salon En vidéos En jeux vidéos

Rencontre 2 : professeure de sport

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Sélection de quelques activités physiques

La proprioception

Rencontre 3 : kinésithérapeute

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La souplesse La danse contemporaine

Définition Boris Charmatz Myriam Gourfink Cie Adrien M./Claire B

Ann Theresa De Keersmaeker

Rencontre 4, 5, 6 : danseuses

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LA REPRÉSENTATION DU CORPS ET DU MOUVEMENT

Les premières représentations du mouvement

Rencontre 7 : graphiste

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Le corps en mouvement sur papier Le corps en lui-même: stick-body ? Le corps en animation

Rencontre 8 : designer d’animation

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OBJETS CONNECTÉS

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L’ère du quantified self

Sport connecté : Mesure de la performance

Applications, coach, challenge et vie sociale

Santé connectée : Du banal à l’hospitalisation connectée, faut-il s’en inquiéter ?

Un outil d’assurance ?

La ludification : de l’amusement au contrôle virtuel Jeux et pervertion

Jeux et civilité Jeux et culture

LA VILLE 104

Les icônes urbaines : détourner les codes La frontière entre le privé et le public

Rencontre 9 : Architecte urbaniste

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Rencontre 10 : La voirie de Schaerbeek

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Intégrer un objet dans la ville : ménager ou aménager ? L’éclairage des villes Du fonctionalisme routier au commerce et au tourisme évenementiel

Vers un éclairage piéton

Rencontre 11 : Ingénieur lumière

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CONCLUSION

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RÉFÉRENCES

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REMERCIEMENTS

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ABSTRAIT

Chères lectrices, chers lecteurs, Cette année, j’ai choisi de travailler sur la thématique de l’activité physique en milieu urbain. L’année dernière, dans le cadre d’un échange scolaire, j’ai vécu un an à Hong Kong et j’ai beaucoup voyagé en Asie. Que ce soit en Thaïlande, au Vietnam, ou en Chine. Parmi les choses qui ont attiré mon regard, il y a eu le grand nombre d’appareils de fitness présent dans l’espace public, et surtout leur utilisation par des gens de tous âges. J’aimais aussi beaucoup regarder les chinois danser sur les places publiques, sans aucune gêne, ils avaient toujours l’air de beaucoup s’amuser. Je suis revenue avec ce constat et quelques questions en tête : « Pourquoi n’a-t-on pas ou peu ce genre de mobiliers urbains et d’habitudes en Europe ? », « Comment insérer ce genre d’objets ou pratiques dans notre quotidien, dans notre espace public ? », « Que peut-on faire à part aller à la salle de sport ? », « Que pourrait-on offrir à une société de plus en plus sédentaire pour son entretien physique ? » ... C’est le fruit de cette réflexion que je vous laisse découvrir. En espérant que vous y prendrez autant d’intérêt et de plaisir que moi.

1. Yueyang (Hunan, Chine), août 2014 2. Parc de Hangzhou (Zhejiang, Chine), juin 2014


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INTRODUCTION

Cette année, je me suis pas mal posé de questions. Et j’ai aussi beaucoup remis de choses en question... Constatant l’évolution frénétique de la société ces dernières décennies et ses conséquences décrétées de plus en plus nocives sur le bien-être physique, je me suis demandée de quoi le corps des citadins avait réellement besoin et envie actuellement. Et tout d’abord, y-a-t-il une réelle nécessité à s’entretenir physiquement ? Devrait-on suivre l’idéologie qui nous veut efficace et performant en permanence ou la remettre en question ? Devraiton inciter et convaincre la population urbaine à penser plus à son corps ou, au contraire, laisser les adultes responsables vivre une vie sédentaire ou hyperactive selon leur choix ? Que devrait-on offrir aux gens qui désirent prêter une plus grande attention à l’entretien de leur santé physique ? Comment être bienveillant sans être intrusif et moraliste ? Je me suis évidemment demandée ce qu’est une « bonne activité physique » et comment la pratiquer. Où commence la performance et, a contrario, l’inactivité physique ? Pourquoi les gens ne font-ils pas de sport ou pourquoi en font-ils ; où, comment, avec qui le pratiquent-ils et pourquoi ? J’ai observé les pratiques d’activité physique intérieures et leurs avantages : la salle de sport, les cours vidéos... J’ai analysé les pratiques extérieures. D’abord les « parcours santé » et leurs évolutions urbaines dont j’ai cherché les qualités, les failles, les raisons de leur perte de popularité en Occident et, au contraire, de leur succès en Orient. Je me suis ensuite penchée sur les nouveaux sports urbains, les raisons de leur succès et leurs différences par rapport au sport d’intérieur. Dans ma recherche de différents types d’activité physique, mon intérêt s’est porté sur des pratiques moins habituelles. J’ai découvert de plus près les bienfaits des étirements, de la proprioception et de la danse contemporaine pour en dégager les « bons » mouvements. Mais comment intégrer et induire ces pratiques dans le quotidien des gens et dans notre espace public ? Le support matériel est-il vraiment le plus adéquat ?


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Chaque analyse d’objet suscitait en moi la même (remise en) question : a-t-on vraiment besoin d’un objet pour rester en forme ? Est-ce vraiment les objets que les gens recherchent dans les pratiques de sport encadrées ? Et si je ne crée pas d’objet, quel serait le meilleur support pour suggérer un geste ? Je me suis alors attardée sur la représentation du mouvement et plus précisément les croquis de chorégraphes. Dans ma longue étude de marché de tous les objets relatifs à l’activité physique, j’ai été attirée mais aussi choquée par l’apparition des traqueurs de performances et autres objets connectés lié au quantified self. Quelles sont les raisons de leur popularité grandissante ? Sont-ils vraiment nécessaires ? Peut-on envisager le futur avec ou sans eux ? Notre univers semble se virtualiser de jour en jour: est-ce dangereux, avantageux ? Peuton, doit-on l’éviter ? Dans cette galaxie de phénomènes et d’objets contradictoires, j’ai choisi de développer un projet lié à l’activité physique en extérieur, plus précisément en milieu urbain, sans avoir à créer un nouveau type de mobilier ou de recycler, à nouveau frais, l’idée d’un parcours-santé. C’est donc avant tout sur cette double interrogation que mon projet tente de répondre: comment solliciter le corps en dehors du cadre stricte du sport et de la performance au profit de la prévention et du bien-être, et interaction de ce corps à l’effort dans le contexte non plus privé du chez soi ou de la salle de sport, mais dans celui plus large de la ville… Cette recherche n’aurait pu être possible sans l’aide précieuse de kinésithérapeutes, éducateurs physiques, urbanistes, danseurs, graphistes ou encore vidéaste. Je les remercie chaleureusement pour la qualité de leur écoute et la richesse de leurs suggestions.



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MISE EN CONTEXTE

Ces 50 dernières années ont connu des bouleversements sociologiques fondamentaux. La pratique du sport, en tant qu’activité sociale, témoigne très bien de cette évolution. Son importance grandissante dans notre vie quotidienne est le reflet d’une société célébrant tout à la fois la compétition et la performance, et l’image d’un corps parfait témoignant de la réussite, de la maîtrise de soi et surtout, de la préoccupation accordée à sa santé.


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MASSIFICATION SPORTIVE ET CULTE DE LA PERFORMANCE : un reflet de notre société compétitive

Les héros du siècle dernier ont subi un lifting complet. Le Batman des années 60 s’est inscrit à la salle de sport et est désormais pourvu de pectoraux sur-dimensionnés. De la même façon, les champions olympiques ont désormais acquis des morphologies douteusement sur-développées. Les entreprises se sont mises aux sports d’équipes et d’aventure, histoire de peaufiner une image dynamique et solidaire. Même les hommes politiques ont rentrés leur ventre et sont sortis de leur bibliothèque d’intellectuels en velours rouge pour afficher une image plus sportive et svelte (Bart de Wever, François Hollande et leur régime, Sarkozy et son footing). La place du sport dans la vie quotidienne a elle aussi évolué. En 1967, seulement 12,9 % des français de 15-75 ans estimaient avoir une activité physique régulière, pour 83 % en 2012. (1) et (2) Même si ces chiffres sont peu précis quant à la définition et au rythme de cette «activité», ils témoignent clairement de la popularisation du sport au cours du dernier 1/2 siècle. En témoignent aussi le culte voué aux grands champions de toutes disciplines sportives et la commercialisation à outrance des rencontres sportives-spectacles. Progressivement, ces champions sportifs sont sortis de leur connotation d’arriération sociale, de corps sans cervelle, pour devenir des symboles d’excellence sociale. Le sport a changé son jogging ringard en chic. « Aujourd’hui il symbolise l’image de l’individu autonome, soucieux de sa forme physique comme de son équilibre psychologique, qui gère son apparence physique, sa vie professionnelle ou son stress comme l’entrepreneur de sa propre vie.(3) Faire du sport (...) est devenu un état d’esprit, un mode de formation du lien social, du rapport à soi et à autrui pour l’homme compétitif que nous devrions être au sein d’une société de compétition et de comparaison généralisée.(4) Bref, le culte de la performance...

3. Détenteur du record du 100 m en 1912 4. Détenteur du record du 100 m en 2008 et 2012 5. Président français en 1913 6. Président français en 2007 7. Batman en 1966 8. Batman en 2012



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URBANISATION, SÉDENTARITÉ, TIERTARISATION... le corps en danger, le sport comme réponse Ce n’est pas un hasard si ce phénomène de massification sportive se produit dans une société qui s’est aussi fortement tiertarisée au niveau de l’emploi et urbanisée dans ses modes de vie. En 1850, 30 % de l’énergie utilisée pour le travail (travail en usine, travail à la ferme, longs déplacements à pied, ...) était d’origine humaine. En 1990, seulement 1 % (automatisation, mécanisation des déplacements ...).(5) Pendant plus d’un siècle, l’ouvrier (agricole ou/et industriel) aura été un acteur dominant de notre société. En 1962, en France, 39 % de la population en emploi travaillait encore dans le secteur primaire.(6) Cependant, depuis 1960, les professions salariées non ouvrières n’ont fait qu’augmenter. Actuellement, avec le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, la prédominance du tertiaire est nette: en France, il regroupe plus des trois quarts des emplois, l’industrie avec le bâtiment moins de 22 % et l’agriculture 3 %.(6) L’urbanisation quant à elle a aussi fait de la route. Dans les années 50, 30 % des terriens habitaient en ville. Aujourd’hui, plus de la moitié de la planète est citadine. Et les statistiques prévoient que ce chiffre passera à 65% (voire 80% dans de nombreux pays) en 2025.(7) Ces modifications sociétales ont engendré, d’une manière générale, des modes de vies plus confortables et moins de dépense physique. La démocratisation des transports motorisés, la prolifération des les ascenseurs et autres escalators, les plus petites distances à parcourir, sont liées au développement urbain. Parallèlement à cela , le développement des loisirs numériques (télévision, jeux vidéos, ordinateurs) a progressivement pris une importance considérable dans les modes de vie quotidiens, ainsi que tous les services du même support (l’e-commerce, les vidéos conférences, les mails...). Contribuant ainsi à réduire encore les activités permettant la dépense physique. En d’autres mots, les modes de vies urbains sont devenues plus sédentaires. La sédentarité c’est « l’état dans lequel les mouvements sont réduits au minimum et la dépense énergétique est proche de celle de repos »(8). La sédentarité est donc à l’opposé de l’activité physique, mais pas spécialement de l’activité.

10. En 1972 l’entreprise Atari développe Le jeu Pong, le jeu qui a enfin permis de jouer au ping pong assis et sans efforts : une révolution. Ce jeu où deux joueurs s’affrontent en renvoyant une balle, est le premier succès commercial de l’histoire des jeux vidéo, plus de 19 000 machines seront vendues. (16)


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Le dernier Eurobaromètre* sur le sport et l’activité physique reflète bien cette tendance à la sédentarité. Selon le sondage, 59 % des citoyens de l’Union européenne pratiquent rarement une activité physique ou sportive, voire jamais (42 %). Ces chiffres augmentent d’années en années. A noter que les strates de la population les plus touchées sont les personnes vivant dans un contexte socio-économique défavorable, les femmes et les personnes âgées. Les raisons pour lesquelles les européens ne pratiquent pas d’activité sont le manque de temps (42 %), le manque de motivation ou d’intérêt (20 %) et le prix (10 %). Et pourtant une rapide analyse de la conception du corps humain nous le prouve: le corps est fait pour bouger. L’activité physique est une activité naturelle. Or, la sédentarité est aujourd’hui, selon l’OMS, le quatrième facteur de risque de mortalité dans le monde. Mais aussi, la 1ère cause de mortalité évitable. Le manque d’activité physique cause en effet différents problèmes médicaux. Les pathologies chroniques les plus souvent citées étant surtout le surpoids et l’obésité. On estime que le nombre de personnes obèses en Europe a été multiplié par trois depuis les années 1980(10) et que d’ici 2030, le nombre de personnes en surpoids dans le monde devrait atteindre 3,3 milliards. Ceci est en partie dû au vieillissement de la population (pour le dire vite, vieillir fait prendre du poids). Cependant, le rapport entre la sédentarisation et l’obésité a de nombreuses fois été observé. Certaines études ont montré par exemple que le temps passé à regarder la télévision durant l’enfance peut être considéré comme prédictif d’une obésité à l’adolescence. L’obésité est la troisième cause de mortalité dans les pays riches.(9) Or, l’activité physique régulière en opposition à la sédentarité provoquerait une diminution du risque de gain de poids et d’obésité, mais pas toujours une perte de poids.(8) Souvent évoquées aussi : les maladies cardiovasculaires. Elles sont la 1ère cause de mortalité en Europe et plus d’un terrien sur trois souffre d’hypertension artérielle (principale facteur de risque des MVC).(10) Ces maladies peuvent également être liées au manque d’activité physique: les populations inactives auraient environ deux fois plus de risques de développer ce type de maladie que les populations actives. Et apparemment, plus on est actif, moins on a de chance d’être touché par une MVC. Le fait de courir 5 minutes tous les jours même à une vitesse lente peut déjà réduire le risque de mourir d’une maladie cardiovasculaire comparé à quelqu’un qui ne court pas.(11) Citons aussi le diabète de type 2, le cancer du colon (le risque d’en développer peut être réduit de 60 % grâce à une pratique régulière d’AP) et l’ostéoporose (étant donné que l’activité physique est indispensable au développement et au maintien de l’intégrité du squelette ainsi qu’à l’augmentation de la densité minérale osseuse).(12)

*Cette enquête Eurobaromètre a été réalisée pour la Commission européenne par TNS Opinion & Social network dans les 28 États membres entre le 23 novembre et le 2 décembre 2013. Près de 28 000 personnes issues de différents groupes de la société et de la population ont participé au sondage.


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11. Eurobaromètre 2013 12. Taux d'obésité et de surpoids mondial.


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Suite à ces problèmes de santé individuelle et collective, nous voyons depuis une quinzaine d’années éclore des campagnes gouvernementales afin d’encourager les gens à « manger mieux et bouger plus » La tendance est mondiale. Une campagne nommée « Designed to move » fut lancée en 2010 sur plusieurs continents (États-Unis, Brésil, Chine) et au Royaume-Uni. Selon le rapport des 70 organismes impliqués dans la campagne, « Si les niveaux d’inactivité physique continuent, pour la première fois dans l’histoire, la prochaine génération d’enfants aura une espérance de vie de 5 ans inférieure à celle de leurs parents. »(13) Ces organismes ne sont pas les seuls à tirer la sonnette d’alarme. Autre exemple, la commission européenne qui s’est aussi mêlée au combat: « La crise de l’inactivité physique en Europe n’est pas suffisamment prise en compte par les politiques nationales et européennes (...) Les politiques de promotion de l’activité physique sont inefficaces, non-coordonnées et bénéficient de peu de suivi (...) le manque d’activité physique menace le bien-être des Européens, qui sont 1100 à franchir le seuil de l’obésité chaque jour. (...) L’Europe peut sérieusement s’inquiéter pour l’avenir de ses enfants, ces derniers pratiquent de moins en moins d’activités physique (...) ».(14) De nombreuses autres démarches ont été effectuées par la CE, outre les lois, articles et conseils organisés, un nouveau programme Erasmus+ pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport a été créé. Le CE compte aussi lancer une semaine européenne du sport à partir de septembre 2015. A côté de cela, on remarque que de plus en plus de médecins encouragent à l’activité physique plutôt qu’aux soins médicaux. Non seulement à but préventif mais aussi curatif. En 2012 par exemple, la ville de Strasbourg a mis en place un dispositif appelé « Sport sur ordonnance ». Cette procédure prescrite par plus de 120 médecins aux personnes obèses, diabétique ou traitées pour un cancer du sein ou du colon permet aux patients de pratiquer gratuitement une activité sportive tout en étant encadrés par un éducateur sportif. Parmi les 300 premiers participants, 70% des patients ne savaient ni nager, ni faire de vélo et 50% étaient issus de quartiers défavorisés.(15)

13. et 14. Campagne «Designed to move»


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LES ENJEUX ÉCONOMIQUES DU SPORT... Jamais très loin Cette attention portée à tous les niveaux aux dangers de la sédentarité pour la santé n’est pas exempte de considérations purement économiques. Les bénéfices que la société européenne peut retirer de la pratique d’activités physiques et sportives sont, bien sûr, une amélioration de la santé et de la condition physique des citoyens mais aussi surtout le maintien « des travailleurs en bonne santé et plus productifs» ainsi qu’« une amélioration des compétences et une plus grande intégration des sociétés. ».(17) On ne paye pas des campagnes « Bougez plus » pour rien... D’autre part, l’augmentation des frais de santé ou, par exemple, l’allongement des congés de maladie contribuent à alimenter le déficit des systèmes de sécurité sociale, qui sont devenus, ces dernières années, une véritable hantise pour les gouvernements soucieux d’équilibre budgétaires. En Belgique, la revue économique « Les finances de la sécurité sociale » estimait, en 2005, qu’ « avec une moyenne annuelle de croissance de 4,4%, la croissance moyenne des soins de santé est la plus marquée des catégories de dépenses. Sa part dans le total des prestations sociales est passée d’un quart en 1990 à un tiers en 2004. Pour la première fois, leur importance était ainsi supérieure à celle des pensions. »(18) Le Comité d’étude sur le vieillissement avait, quant à lui, retenu comme hypothèse que la croissance des dépenses en soins de santé atteindrait en moyenne 3 p.c. par an entre 2004 et 2030 en termes réels.(18) Dans ce contexte, la mise en place de politiques de prévention des maladies attribuées à la sédentarité prend tout son sens, en termes de politique de santé publique bien sûr, mais aussi en terme d’équilibre budgétaire ! Ainsi, L’Etat français pense pouvoir économiser 500 millions d’euros par an, dans le cas où seul 5 % des personnes « sédentaires » se mettraient à une pratique sportive hebdomadaire.(9) Il est à noter également que, sur cette problématique du sport, l’intérêt public rencontre bien souvent l’intérêt privé. Il faut savoir que le secteur du sport s’est avéré économiquement très stable pendant la crise. Son poids en Europe équivaut à 174 milliards € par an (1,8 % de la valeur ajoutée brute totale de l’UE)(17). L’activité physique est donc un bon investissement. La preuve en est que l’initiative de la campagne « Designed to move» déjà citée, regroupant un grand nombre d’organismes publics, a été prise par... la marque NIKE !

15. Dépense de protection sociale de l’ensemble des administrations publiques. 16. Posters réalisés par les Costacos Brothers au début des années 1980.


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En conclusion, il est important et sain de se maintenir en bonne condition physique. Mais les fins libérales, économiques, de performance, de rendement, de productivité qu’on y associe me dérangent un peu. L’idée d’intégrer l’activité physique dans un espace public me plaisait et me déplaisait à la fois. L’espace public est à tous, on le partage, on y a tous accès. Quelle « belle intention » de vouloir offrir « gratuitement » une manière de s’entretenir physiquement . Quelle « belle intention » de préconiser la prévention plutôt que la guérison. Mais comment concevoir un objet qui ne soit pas invasif et moralisateur ? Qui laisse la liberté à ceux qui n’ont pas envie de participer à ce mode de vie de passer leur chemin? Après tout les gens font ce qu’ils veulent, doit-on vraiment essayer de les convaincre qu’ils devraient être plus actifs physiquement ? Surtout qu’il semble y avoir assez de campagnes qui tentent de le faire. J’ai donc préféré concevoir un projet d’abord pour ceux qui le voulaient, sans essayer de convaincre les autres, mais en dessinant tout de même quelque chose qui pouvait convenir aux inactifs. Et tout au long du développement, j’ai essayé de ne pas oublier mon opinion de départ et donc d’élaborer un projet qui, certes, suggère de bouger dans l’espace public mais d’une autre manière et en ne s’imposant pas de manière trop agressive.


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17. « 1984 » de Georges Orwell. Extrait de la scène des exercices matinaux obligatoires. Dans un appartement, l’œil de Big Brother vérifie le bon accomplissement de la tâche par l'occupant des lieux, pendant qu'une instructrice apparue à l'écran ordonne de réaliser les mêmes mouvements qu'elle, et dit: « Une personne agée de moins de 45 ans doit être parfaitement capable de toucher ses orteils. Nous n'avons pas tous le privilège de nous battre sur le front, mais au moins nous pouvons tous garder la forme(...) » Adaptation cinématographique par M. Radford 18. Tabouret pèse-personne « Weight an See » d’Ivan Duval. Un objet humoristique visant à exagérer une obsession contemporaine du corps parfait et maîtrisé à chaque instant.


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Rencontre 1 : Christophe Antheunissens KinĂŠsithĂŠrapeute Octobre 2014


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Monsieur Antheunissens est le premier kiné que j’ai rencontré. Je lui ai donc posé toutes mes questions naïves, telles que « A quelle fréquence doit-on pratiquer une activité physique ? » ; « Quels sont les problèmes que vous rencontrez le plus fréquemment dans votre cabinet ? » Et « qu’est-ce qu’il faut faire ? ». Evidemment, j’aurais aimé ressortir avec une petite liste de « bons mouvements » à faire tous les jours pour rester en bonne santé. Il m’avait alors répondu : « Je n’en ai pas, et même si j’en avais, ce n’est pas une solution. Le problème, c’est que les gens le feront 3 fois et finiront par le prendre comme une punition, une répétition lassante, et finalement ne le feront plus ». Ce kinésithérapeute appelait simplement ses patients à bouger plus, à prendre leur vélo ou à utiliser leurs pieds. Beaucoup de ses patients arrivaient chez lui « bloqués » parce qu’ils avaient fait des mouvements qu’ils n’avaient plus opérés depuis trop longtemps. Selon lui, il est donc important d’explorer régulièrement ses amplitudes articulaires. Mais surtout de réactiver sa mobilité d’une manière régulière et insérée dans le quotidien.



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L’ACTIVITÉ PHYSIQUE

Du « nettoyage de vitres » au sprint olympique, de la salle de sport à la Wii, il existe un grand nombre de possibilités quant à la nature, l’intensité et les lieux de cette fameuse pratique d’activité physique. Ce chapitre est long, mais court par rapport à tout ce qu’on pourrait dire à ce sujet.


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DÉFINITION, LIMITES ET DIFFÉRENCES Venons-en au fait, qu’est-ce que l’activité physique précisément ? Pour mieux comprendre, il me semblait nécessaire d’en dessiner et définir les limites. Tout commence donc avec :

L’INACTIVITÉ PHYSIQUE ET LE REPOS L’inactivité physique désigne une absence ou un défaut de mouvement. Le repos est le fait de cesser une activité fatigante (travail, exercice physique, occupation) en adoptant une position permettant la détente musculaire, avec une activité réduite propre au délassement. La position de repos n’est pas universelle, elle varie selon les cultures. Dans notre civilisation, cette posture peut être couchée, assise ou entre les deux.

L’ACTIVITÉ PHYSIQUE On entend par là « tout mouvement produit par les muscles squelettiques, responsable d’une augmentation de la dépense énergétique par rapport à la dépense de repos ».(8) La dépense d’énergie la plus variable est celle liée à l’activité physique. Un individu très sédentaire peut atteindre une dépense de 15 %, tandis qu’un sujet ayant une activité physique d’intensité élevée (comme le sport) atteindra les 50 %. Mais tout ceci varie selon l’intensité, la fréquence et la durée de l’activité ainsi que de la personne qui l’accomplit (dimension corporelles, niveau d’entraînement...)


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19. Afin de pratiquer une inactivité physique idéale en Occident, il est recommandé de s’affaler, se vautrer ou s’endormir dans son canapé. Veillez à ne surtout pas contracter vos muscles. Occupé 24/24h, cet objet vous garantira une sédentarité optimale. 20. Tableau d’activités physiques jugé en fonction de leur intensité.

INTENSITÉ

Très faible

Faible

Modérée

Elevée

ACTIVITÉ Augmentation du temps passé debout Cuisine, repassage Jouer d’un instrument de musique

Marche lente (4 km/h) Petits travaux de ménage, entretien mécanique Pétanque, voile, golf, tennis de table (en dehors de la compétition)

Marche rapide (6 km/h) Jardinage léger, port de charges de quelques kg Danse de salon Vélo, natation « plaisir »

Marche en côte Bêcher, déménager Jogging (10 km/h), saut à la corde, football, basket-ball, sports de combat


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Une telle activité ne nécessite donc pas d’accomplir un exploit sportif : marcher plus de 30 minutes par jour est considéré comme avoir une activité physique réelle et régulière qui aura des bienfaits sur sa santé. Inutile également que cette activité soit intense ou structurée, pour avoir un effet bénéfique en termes de santé. Les bénéfices sont proportionnels à la quantité d’activité plus qu’à son intensité. Donc, prendre les escaliers le matin : 7 minutes ; aller chercher le pain à vélo le midi : 13 minutes ; descendre 1 arrêt de métro plus tôt le soir : 10 minutes, c’est avoir eu 30 minutes d’activité physique par jour ! C’est le strict minimum. Cet état « d’activité physique » recouvre, comme vous pouvez le constater, un panel d’attitudes très vaste. Il comprend autant l’exercice physique de la vie quotidienne, l’activité physique de loisirs, et la pratique sportive. Je ne vais pas développer chaque volet de la même manière car mon projet se situe plus dans le registre de l’entretien physique, du soin, de la prévention et de l’activité physique que dans celui du sport et de la performance. Définissons donc brièvement la différence entre ces deux domaines.

L’ENTRETIEN PHYSIQUE L’entretien physique, c’est le maintien, la conservation dans un état constant de sa condition physique. Le soin c’est le souci, la préoccupation l’attachement de l’esprit pour quelque chose. La prévention dans le monde médical est l’attitude ou l’ensemble des mesures à prendre pour éviter que l’état de bien-être physique ne se dégrade, ou qu’une maladie ne survienne. Avoir une bonne condition physique, c’est avoir un corps capable de réagir efficacement aux sollicitations d’un environnement et d’exécuter efficacement un travail dans des conditions qui ne mettent pas en danger la santé, qui ne créent pas une fatigue importante même face à des efforts violents et imprévus (courir après son bus, porter une valise lourde...). Cette condition régresse en cas d’inactivité continuelle. Cette condition dépend de cinq facteurs : - l’aptitude à l’effort cardiaque et musculaire prolongé (que l’on appelle aussi endurance) - la force musculaire des jambes, du tronc et des bras - la masse du corps - la souplesse des muscles et l’amplitude des articulations - la capacité de se décontracter, de se relâcher (relaxer)


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DU SPORT À LA PERFORMANCE SPORTIVE Le sport est une forme d’activité physique. Il met en œuvre une ou plusieurs qualités physiques tel l’endurance, la résistance, la force, la coordination, l’adresse, la souplesse. Ce qui le différencie du reste des activités physiques est qu’il s’agit d’une activité institutionnalisée, autonome, ayant sa propre organisation, ses codes, ses valeurs et ses règles. Les règles déterminées sont généralement identiques pour toute la planète. Contrairement à l’entretien physique, le sport est une activité fédérée. Il peut donner lieu à des compétitions, à la recherche d’un résultat, d’un objectif à atteindre voire d’une performance. Cependant, malgré cette prédominance de compétition, il existe d’autres formes sportives plus ludiques, visant à prendre du plaisir. D’ailleurs en vieux français le mot « desport » signifie « divertissement, plaisir physique ou de l’esprit ». Je ne m’attarderai pas sur l’historique de cette activité humaine, mais sachez que deux visions s’opposent quant à son origine. De l’Amérique précolombienne, à la Grèce et Rome antique, en passant par le Moyenâge, le phénomène est quasi universel et intemporel. Ce serait donc un invariant culturel, pour certains. Mais pour d’autres, le sport comme nous le connaissons serait né en Angleterre industrielle au XIXe siècle. Selon les partisans de cette thèse, il y aurait une coupure nette entre le sport moderne et le sport antique : la notion de record. Le record et la performance exprimerait une vision du monde qui serait profondément différente de celle des Grecs de l’Antiquité. Selon les dires de Philippe Liotard en 2000 : « La culture du corps est différente. Pour les Grecs, cette culture est rituelle, culturelle, d’inspiration religieuse, pour les modernes, le corps est une machine de rendement »(20)

21. Selon l'encyclopédie mondiale du sport, il existe plus ou moins 8000 sports différents. Je vous épargne la liste et la catastrophe écologique que représenterait son impression. Athlétisme, sports collectifs, gymnastique, épreuves combinées, sports mécaniques, sport de raquette, sport avec animaux, sports anciens, cyclisme, arts martiaux, sports de combats, sport de glace, sports de cible, sport de glisse, sport hybrides, sports nautiques, sports aériens...etc. Et j'oubliais : la sarbacane est aussi un sport reconnu !


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Et telle est la performance sportive. Elle est le résultat d’un entraînement complexe. Tous les facteurs déterminants de la performance doivent être connus et intégrés dans le processus d’entraînement pour que la performance soit maximale... On peut regrouper les facteurs qui influencent la performance en plusieurs catégories. Outre les capacités psychiques, sociales et techniques il y a les facteurs relatifs à la condition physique comme la force, l’explosivité, l’endurance et la souplesse. Le sportif de haut niveau d’aujourd’hui, pour espérer remporter les plus hauts honneurs, doit avoir le soutien d’une véritable équipe médico-scientifico-technique. Son cercle immédiat se compose de médecin sportif, physiologiste, psychologue, nutritionniste, pharmacologue, physiatre, kinésiologue, spécialiste du mouvement,..., liste non exhaustive. Et dans un cercle un peu plus distant, des chimistes, biochimistes, ingénieurs (conception d’équipements, de tenues, de matériel d’entraînement), ingénieurs biomédicaux. Sans parler des entraîneurs, du personnel soignant (masseurs, etc.), des administrateurs, conseillers juridiques, agents, etc. Dernier élément : on peut souvent exprimer la performance sous forme de chiffres : classement, distance, temps, résultat. Les machines de rendement relèvent de calculs scientifiques précis. Bref, ce qui différencie l’entretien physique de la performance c’est que cette dernière vise l’exploit, l’amélioration exceptionnelle voire excessive de la condition physique et non le maintien.

22, 23, 24 et 25. Cellules photoélectriques, starting blocks, chronographe, pistolet starter, signaux lumineux et bien d’autres objets sont nécessaires pour le chronométrage sportif moderne. Les starting blocks en athlétisme sont apparus aux JO de Londres en 1948. Lors des éditions précédentes, les sprinters devaient creuser eux-mêmes les trous pour caler leurs pieds ! Grâce aux starting blocks, tous les athlètes bénéficient de conditions de départ strictement identiques. Lors des JO 2012, Omega présente un nouveau prototype. Les temps de réaction des athlètes sont déterminés uniquement par la mesure de la force exercée contre le patin et non par le mouvement. Les nouveaux modèles peuvent détecter les temps de réaction de chaque coureur, qu’il s’agisse d’un enfant ou d’un champion du monde, sans nécessiter le moindre changement de paramétrage. Depuis le chronographe Oméga de 1932, la marque n’a fait qu’optimiser cet objet. Aujourd’hui le Quantum Timer, fort d’une résolution optimisée à 1 µs (un millionième de seconde) est doté d’une résolution 100 fois supérieure à celles des anciens appareils. Le Quantum Timer délivre également une précision de 0,1 part par million (ppm). Cela signifie que l’on observe une variation maximale de seulement une seconde toutes les dix millions de secondes, soit un centième de seconde toutes les mille secondes.


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LIEUX DE PRATIQUES DE L’ACTIVITÉ PHYSIQUE Selon l’Eurobaromètre 2013(17), Près des trois quarts des citoyens de l’UE (74 %) déclarent ne pas être membres d’un club. La plupart de leurs activités physiques et sportives se déroulent en de nombreux endroits, mais le plus souvent dans des parcs et en plein air (40 %), à la maison (36 %) ou sur le trajet entre le domicile et l’école, le travail ou les magasins (25 %).

EN EXTERIEUR PARCOURS VITA Le parcours Vita a été inventé en 1968 par un architecte suisse du nom de Erwin Weckemann. Le projet s’est développé avec le soutien de la firme Vita, une compagnie d’assurance vie. Le premier exemplaire fût installé à Zurich et il en existe aujourd’hui 498 en Suisse. Nommé par extension « parcours de santé » ou « parcours sportif », ces dispositifs sont comme des promenades sportives rythmées par un ensemble d’obstacles et d’activités, généralement dans un cadre naturel ou un parc urbain. Les exercices se composent généralement de courses de haies, barres de tractions, barres parallèles, courses en zig zag, courses à pied, étirements, abdominaux. Les parcours Vita les plus iconiques sont généralement en rondins de pin autoclave. Ces dispositifs ont pour qualité leur prix ainsi que leur parfaite intégration aux contextes verts. Ils ont par contre une durée de vie limitée, généralement 10/15 ans ( garantis 10 ans) et rencontre des problèmes d’entretien. Je confirme cette information personnellement : de tous les parcours visités, il est rare que je n’ai pas croisé au moins un panneau endommagé, salis, déterré et donc parfois illisible. Au fil des années, les parcours santé ainsi que leurs panneaux explicatifs se sont modernisés et adaptés. Les usages intensifs, le manque d’entretien régulier, la végétation envahissante et les signalétiques défaillantes ou couvertes de tags sont généralement les motifs de remplacement. Les dernières générations ont ainsi tendance à favoriser le métal ou le plastique recyclés. Inscrit au plan de l’Agenda 21, les objets en plastiques recyclés sont garantis 30 ans, sont faciles d’entretien, anti-graffitis, sans échardes, imputrescible, traités anti-UV... Le soucis d’inclure des dispositifs pensés pour les personnes à mobilité réduite et les séniors sont aussi désormais à l’ordre du jour.


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26. Parcours Vita 27 et 29. Parcours Vita au parc Josaphat, Bruxelles. 28. Parcours Vita Ă Vervier


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LES ÉVOLUTIONS URBAINES DU PARCOURS SANTÉ Ces dernières années ont aussi vu apparaître des objets plus urbains qu’on dénomme « appareils de fitness publics ». généralement en métal galvanisé tubulaire, de couleurs attrayantes, et posés sur des sols amortissants. Il y a de nombreuses variantes autant que d’entreprises vendant ce type d’objets. Certains sont plus orientés vers la flexibilité, l’équilibre, voire les massages. D’autres sont de simples adaptations des équipements de fitness et musculation en intérieur. Ces derniers étant adaptés au contexte, c’est-à-dire à l’extérieur (humidité, saleté, usure) et à « tout type de condition physique ». Impossible donc de ressembler à Schwarzenegger suite à leur utilisation, mis à-part peut-être les barres de traction. L’avantage de ces nouveaux objets, outre leur durabilité, est qu’ils induisent un mouvement qu’il serait difficile de mal accomplir. Le problème de cet avantage est que la variété des gestes est très limitée. 10 objets, 10 gestes et c’est parti pour 30 ans, quel ennui !

30. Duo Tai chi (marque française) 31. Objets d’entretien physique à Madrid, Espagne. 32. Appareils de fitness publics Bole (marque chinoise) 33. Le projet « mens sana in corpore sano » a été développé par Florian Brillet, Nicolas Lelievre et JC Decaux. Goal de football, terrain de golf, panier de basket, punshing ball sont fixés ou apposés au mobilier urbain existant et transforment les trajets quotidiens en parcours de santé.


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Les premières raisons du succès des appareils de fitness publics en Chine sont probablement la pauvreté et le manque d’espace de la population. Utilisés comme campagne nationale de priorité au maintien de la forme, le gouvernement a rempli plus de 20,000,000 de mètres carré de ces agrès. Un tiers du budget consacré au sport est actuellement investit dans cette initiative. Depuis que ce concept a été mis en place, le niveau de pratique d’AP n’a fait qu’augmenter. Même si cette campagne spécifique s’est mise en place après les Jeux Olympiques de 2008, cette politique, plutôt basée sur la prévention que sur le soin, n’est pas nouvelle. La sécurité sociale là-bas est loin d’être aussi garantie que chez nous et son message semble plutôt dire : « Entretenezvous vous-même car nous ne rembourseront pas vos soins de santé ! ». De plus, la médecine traditionnelle chinoise est beaucoup plus orientée sur la prévention et le long terme. Contrairement à notre vision curative, immédiate et ultra efficace, les chinois auront tendance à préférer, par exemple, masser un genou 60 fois par an plutôt que de le charcuter chirurgicalement pendant une heure. Les infusions herbacées journalières sont favorisées au détriment de la prescription de médicaments chimiques agissant en 15 minutes top chrono, etc. Les notions de privé et public ainsi que la notion de pudeur sont également différentes des nôtres. Les pratiques d’AP extérieures (Tai chi, danse...) s’exercent sans gêne. Les Chinois ont l’habitude de vivre collés les uns aux autres et sont tellement nombreux qu’ils font moins attention aux autres. Exemple vécu personnellement : il y avait tellement de gens dans mon quartier à Hong Kong que je n’ai pas croisé une seule fois en un an les amis qui habitaient la rue derrière chez moi. Ce constat n’est pas qu’individuel, c’est un sujet de plaisanterie commune. De plus, la Chine est communiste, son rapport à l’individualité est différent du nôtre. Mais je ne vais pas rentrer dans les détails, c’est une longue histoire.


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INTERVENTIONS GRAPHIQUES Cette sélection de peintures urbaines m’a fortement influencée. Elles induisent un mouvement et usent d’une économie d’espace impressionnante. Elles reprennent des codes connus de tous et sont donc très intuitives. Certaines de ces interventions discrètes sont réellement pensées par rapport au mobilier et au paysage environnant, ce qui est une belle qualité. Mais encore une fois, que se passe-t-il une fois qu’on est lassé de courir dans les 3 cases bleues présentes depuis 5 ans ?


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37. Giuditta Vendrame and Paolo Patelli. Friction Atlas, un débat chorégraphié à propos de l’espace public, la loi et la légalité. Ce projet représente certaines règles et contraintes qui régulent la circulation des citoyens dans l’espace urbain. Par exemple, un rassemblement pique-nique de plus de 20 personnes à New York nécessite un permis. En Suède, une autorisation doit être demandée pour danser dans l’espace public. Au Caire, il est permis de discuter de sujets publics seulement si le groupe ne dépasse pas 10 personnes. Ces lois sont illustrées à echelle 1:1. Lors de l’exposition, le public fut invité à accomplir ces chorégraphies et à discuter de ces lois et de ces règles.


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41. KWIEK est un parcours santé « carrelage » qui incite à utiliser le mobilier urbain différemment à des fins d'entretien physique. Ce projet a été développé par le studio de design Denovo avec l'aide d'une physiotherapiste et fût pensé essentiellement pour les personnes agées.


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LE PHÉNOMÈNE DE STREET SPORT Si les parcours santé sont de moins en moins populaires, les phénomènes de street sport quant à eux le sont de plus en plus. Finalement, on peut s’amuser avec un banc, un pavé ou un poteau, pas besoin de plus. Les choses les plus simples sont les meilleures, non !? Les motivations de ces activités sportives sont liées d’abord aux surprises que peut offrir le tissu urbain, ensuite à la gratuité et à la liberté de pouvoir les pratiquer quand on le désire.

PARKOUR ET FREE RUNNING Le parkour (abrégé PK) ou art du déplacement vise un déplacement libre et efficace dans tous types d’environnement, en particulier hors des voies de passage préétablies. Ainsi les éléments du milieu urbain ou rural (toits, murs, bancs, barrières...) se transforment en obstacles franchis grâce à la course, au saut, à l’escalade, au déplacement en équilibre, à la quadrupédie, etc. Les traceurs qui ont le « flow » (pratiquants experts de PK) considèrent leur pratique comme un art, l’art du déplacement. L’environnement est un moyen d’expression. La créativité et l’adaptation de déplacement constante par rapport à la diversité foisonnante des obstacles sont requises. Cette pratique, née dans les années 1990, s’est faite connaître au grand public grâce aux Yamakasi et au film de Luc Besson en 2001. Grâce à son fort impact visuel, le Parkour devient vite un phénomène Internet mondial. Clubs et associations voient alors le jour. Mais cette activité reste néanmoins en grande partie underground et exercée hors club de manière peu codifiée. Dans cette popularisation du PK, apparaît une variante : le free-running. Avec la maturation de la pratique du PK, certains pratiquants s’orientent plus vers l’aspect spectaculaire et sensationnel de la discipline que vers l’aspect utilitaire et efficace. Le free running est plutôt fondé sur des techniques de gymnastique (comme différents types de salto), alors que le PK se fonde sur des gestes techniques utiles en toutes circonstances (comme la roulade, la réception, les bases de l’escalade, marcher sur une barrière...). Les traceurs aiment rarement l’image de sport extrême que les médias ont donné à cette discipline. Leur devise : « être et durer »(21). Ils ne chercheraient pas la performance et prôneraient la nécessité d’une progression relativement lente et réfléchie, au rythme de chacun. Ces mouvements techniques permettent un déplacement efficace en cas de poursuite, de fuite, de sauvetage ou en cas de chute. « Être fort pour être utile »(21), telle est une autre de leurs devises. C’est la raison pour laquelle les pompiers de Paris emploient les techniques du Parkour.

43. Lieu d’entraînement de Parkour


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LE STREET WORKOUT Le street workout, ou ghetto workout : « c’est cette discipline sportive indéfinissable à mi-chemin entre la musculation et l’acrobatie aérienne qui se pratique en plein air et ne nécessite aucun matériel »(22) si ce n’est la ville et son mobilier. Que ce soit les trottoirs, les quais de métro, les poteaux, les plots ou les bancs, les adeptes usent avec créativité du mobiliers et des paysages urbains pour inventer et pratiquer leur activité. Bien que la musculation de rue existe depuis des lustres, le concept, la pratique et le nom de street workout n’est apparu que très récemment (aux alentours de années 2000). Le Parkour et cette discipline peuvent être mêlés et créer confusion quant à la définition du street workout mais la différence fondamentale est que le ghetto workout vise plus au développement musculaire. Mélangeant figures de force, de souplesse et d’équilibre, cette activité physique tire aussi son inspiration de la gymnastique suédoise. Comme pour le PK ou le free running, le street workout se pratique souvent en « team ». Ces « teams » postent et comparent leurs exploits sur la toile.

45. Mis à part l’utilisation du mobilier urbain, il existe aussi des squares équipés de mobiliers de street workout. Ces stations se composent principalement de barres de tractions de différentes hauteurs et de bancs abdominaux. 48. Hannibal for king en plein street workout. Cet homme au surnom plein d’humilité a déjà été visionné plus de 8 millions de fois sur Youtube, Ce sont ses vidéos qui ont donné envie à la plupart des jeunes de s’y mettre.


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LE STREET GOLF Le street golf existerait depuis 1741 mais a bénéficié d’un grand regain de popularité ces dernières années. Si bien qu’en 2013, est né le premier tournoi international de street golf. La grande différence entre le golf urbain et le golf traditionnel concerne évidemment l’absence d’espace vert. Comme au golf classique, beaucoup de trous incluent des obstacles naturels qui appartiennent à l’environnement urbain. Mais dans ce contexte les obstacles peuvent être un peu plus inattendus que les pelouses vallonnées, par exemple une absence de dallage, des sculptures, des escaliers ou l’apparition d’un chien en liberté qui désire aussi jouer « à la balle ».

LE STREET YOGA Mis à part le fait qu’il se pratique en extérieur, le street Yoga n’a à priori aucune différence avec le Yoga traditionnel. Ce genre d’événement semble seulement se produire aux Etats-Unis et peut rassembler jusque 500 personnes.


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EN INTÉRIEUR SALLE DE SPORT ET SPORT DE SALON Aujourd’hui, les centres de remise en forme désignent au sens large les salles de sport qui proposent l’usage d’appareils de musculation, d’appareils d’entraînement cardiovasculaire, d’équipements de gymnastique légers. Des cours collectifs conduits par un instructeur employé par le centre sont aussi souvent organisés. Certains centres proposent en plus l’accès à une piscine, à des cours de squash, des terrains de boxe. Une partie du centre est parfois dédiée aux soins du corps (sauna, massages, coiffeur...) et propose un service garderie... Il est difficile de dater l’apparition des salles de gym dans notre modernité. Un « gymnasium » se serait ouvert au public à Paris en 1847. Eugène Sandow (1867-1925), le père du culturisme créa un Institut de la culture physique en 1897 à Londres. Le premier centre de remise en forme des Etats-Unis s’est ouvert en 1947 à Santa Monica en Californie. Ce qui est sûr, c’est qu’ils n’ont fait que se développer. Les années 60 et les golden sixties ont accueilli les vélos d’appartement. Et certains éléments de la mode des années 80 montre bien l’engouement pour un nouveau style décontracté emprunté à la tenue sportive. Par exemple, les Reebok Freestyle étaient très populaires et initialement conçues pour l’aérobic de salle de gym. Dans les années 2000, on remarque une croissance considérable des centres de fitness. Multiplication et diversification, les centres ont fait preuve de flexibilité pour s’adapter au mode de vie de chacun. Les horaires, les tarifs et les types d’activités et services sont devenus de plus en plus larges. Si un bon nombre de structures indépendantes ont fait faillite, c’est surtout en raison de l’arrivée de grandes enseignes et de franchises. Basic Fit à Bruxelles reflète bien ces propos. Cette grande chaîne propose des tarifs extrêmement attrayants, un grand nombre de salles et même des centres ouvert 24/24h. Les cours collectifs sont en vidéo, ce qui permet des prix cassés et une plus grande offre d’horaires.


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L’activité physique d’intérieur peut prendre la forme d’une multitude d’objets. Appareils de musculation : haltères, kettels, barres à disques et différentes tables et bancs permettant de se muscler même le gros orteil. Il suffit de regarder l’évolution de l’haltère pour se rendre compte de la démocratisation et la popularisation de la musculation. Des haltères iconiques, viriles et austères de Eugène Sandow (50 kg) aux douces haltères roses (1kg) pour un public diversifié et féminisé. L’usage est entré dans l’espace domestique et a adapté son format : on peut avoir 10 haltères en une (image 63) Les machines de cardio imitent généralement des activité extérieures : rameur, tapis de course, vélo et même escalier roulant.


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L’ACTIVITÉ PHYSIQUE EN VIDÉO Depuis le Work Out de Jane Fonda et Gym Tonic de Véronique et Davina dans les années 1980, la quantité de cours d’activité physique en vidéo n’a fait qu’augmenter. Internet et Youtube nous offrent aujourd’hui la possibilité d’être sportif en gardant nos pantouffles. Des « healthy » américaines qui se musclent en gardant le sourire sur un plancher en bois brillant, cours en bikini sur une plage californienne, à Adriene qui fait du yoga dans son salon cosy à côté de sa tasse de thé « fair trade », on ne peut « que » trouver son bonheur. Ces cours Youtube se passent comme des cours réels, la correction des faux mouvements en moins. Le public visé dans ces vidéos est généralement assez jeune et plutôt féminin. Il existe cependant un bon nombre de bodybuildeurs expliquant leurs trucs et astuces pour un corps sculpté au millimètre ainsi que des cours pour les ménagères de moins de 50 ans qui tentent de garder la forme malgré leur vie très active. Même si tout le monde peut créer sa chaîne et aider les autres à vivre sainement, les chaînes ayant le plus de succès semblent avoir élaboré un bon plan marketing. Le choix du coach est capital. Il/elle est avant tout le/ la bon(ne) copain/copine. L’empathie et les encouragements sont souvent de rigueur, tout en étant sérieux : les gens attendent une efficacité et des effets réels sur leur forme. Une fidélisation doit être mise en place. Des programmes proposant des challenges de 5/14/30 jours permettent notamment cet attachement. Les arguments d’une telle pratique vidéo sont mis en avant pour les gens dans la vie active puisque ces cours ont l’avantage de pouvoir être fait « quand on le désire », à domicile, pendant sa pause de midi, ou en soirée. La gratuité de tous ces conseils est évidemment une des causes du succès, même si certaines chaînes sont payantes.


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L’ACTIVITÉ PHYSIQUE EN JEUX VIDÉO Depuis les années 1980 et la console Intellivision ou Atari 2600, le jeu vidéo de sport a fait de sacrés progrès. La plupart ne font que simuler l’activité physique. Ces simulations sont de plus en plus réalistes quant à l’image et au fonctionnement. Le meilleur exemple étant les jeux de courses automobiles qui simulent au plus près l’interaction du joueur et du comportement de la voiture. Mais les jeux ne se contentent plus seulement de simuler visuellement. Certaines initiatives questionnent fortement l’investissement physique de l’utilisateur. Il y a d’abord eu « Dance Dance Revolution » en 1998, un jeu d’arcade, ou l’on « danse » réellement en appuyant sur les boutons avec ses pieds. Et plus récemment, l’apparition de la Nintendo Wii Sports en 2006 a ouvert à une pratique d’activité physique assez inattendue. La stratégie commerciale de cet objet le présente comme étant une manière efficace de pratiquer une activité physique. «Wii Sports dispose d’un test de condition physique qui calcule l’« âge physique » du joueur (...), où le meilleur âge est 20 ans. (...) Les conditions physiques du joueur sont notées sur son équilibre, sa vitesse et son endurance. (...) Les résultats du test sont représentés dans un graphique sur un, deux ou trois mois. » (23) Le jeu serait reconnu comme un moyen de faire de l’exercice et de perdre du poids en jouant régulièrement (24). Selon cette étude réalisée sur des adolescents de 13 à 15 ans par l’Université John Moore (Liverpool), les joueurs consomment 2 % plus d’énergie qu’en jouant sur d’autres consoles. L’auteur de l’étude précise bien que « le jeu ne peut remplacer un sport réel, mais qu’il peut contribuer à la gestion de son poids » (25). Plus sérieusement, la Wii Sports a même été utilisée pour aider dans la physiothérapie d’un boxeur à l’hôpital de réadaptation Glenrose à Edmonton, et aussi pour des victimes d’accident et de soldats blessés.(23) En 2008, Microsoft a aussi sorti la Kinect, une console de jeu détectant les mouvements de l’utilisateur et ne nécessitant donc aucune manette ni périphérique autre que son propre corps.

70. Intellevision soccer game (1980) 71. Pro evolution soccer (2014) 72. Wii Sports 73. Kinect Sport 8 74. Dance dance revolution arcade 75. Accessoire pour jeu automobile


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Rencontre 2 : Vasiliki Mela Professeure de sport Janvier 2015


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Vassiliki est super sympathique et dynamique. Cette rencontre m’a permis de réaliser plusieures choses. A cette époque, j’avais beaucoup d’idées irréalistes sur le sport destiné aux personnes âgées et Vassiliki m’a rendue plus réaliste en ce qui concerne leurs capacités. Elle m’a aussi présenté des parcours santé qu’elle aimait bien et ceux vis-à-vis des quels elle était plus critique. En prévision de l’entretien, elle m’avait préparé une liste manuscrite de ce « à quoi il fallait penser dans la conception de l’objet »: anti-dérapant, pas d’arrêtes vives, différentes hauteurs pour différentes morphologies et capacités et j’en passe... J’ai donc pu économiser du temps grâce à son expérience puisque cela fait tout de même 15 ans qu’elle utilise ce type de matériel tous les jours. Vassiliki m’a aussi montré quelques enchaînements simples et efficaces en concluant « Enfin, tu vois c’est pas compliqué, il suffit d’être un peu créatif, c’est ton métier non? » Après cette rencontre, je me suis vraiment rendue compte que je préférais partir sur des pratiques plus douces. En ayant vu cette salle de sport, ses objets et les gestes des participants, je n’avais définitivement pas envie de faire faire des pompes, « squats », « high knees », « come on right then left, keep it going » et des abdos aux gens dans la rue. Un peu trop utopique vu que je voulais concevoir mon projet au cœur de la ville et le sport performance ne s’y prêtait vraiment pas...


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SÉLECTION DE QUELQUES ACTIVITÉS PHYSIQUES Mon intérêt s’est dès lors porté sur des pratiques un peu moins associées à l’activité physique classique telle qu’on la conçoit, c’est-à-dire la danse, la proprioception et la souplesse.

LA PROPRIOCEPTION Derrière ce nom barbaro-médical, se cachent des bienfaits trop méconnus. Explications. Nous avons partout dans notre corps des espèces de petits récepteurs qui nous permettent d’avoir conscience de celui-ci dans l’espace et de garder une position stable. Ces récepteurs proprioceptifs captent des excitations en provenance de l’intérieur, de l’organe lui-même (contrairement aux 5 sens qui réagissent par rapport à l’extérieur). Les informations réceptionnées nous permettent de nous rééquilibrer en coordonnant nos mouvements automatiques et en régulant nos contractions musculaires. Ces régulations motrices automatiques ne sont pas vraiment inconscientes, mais plutôt de l’ordre du réflexe, tous les automatismes n’échappent pas à la conscience. Nous pouvons en effet sentir les variations des contractions. La proprioception est donc réflexe et consciente, mais tout le monde n’en a pas conscience, sauf quand on perd ce sens ! Cette sensibilité profonde et ces micro-réajustements rapides du corps peuvent être améliorés et ont de bonnes raisons de l’être. Les sportifs intègrent la proprioception dans leurs entraînements pour améliorer leurs performances car elle leur permet notamment de développer leur résistance musculaire et leur vitesse de réaction de contraction et de coordination. Exercer son sens proprioceptif offre par exemple une facilité de marche sur des sols irréguliers (transition, mou, instable, graveleux, bosselé...). Ce genre de contexte oblige nos pieds à se réadapter en permanence. Avoir de bons réflexes proprioceptifs permet donc que lorsque l’on trébuche on puisse se rattraper au lieu de tomber. C’est pourquoi il est utile pour les coureurs, marcheurs, footballeurs et bien d’autres d’aiguiser cette sensibilité. Les sportifs de la glisse et les équilibristes dans les arts du spectacle n’ont quant à eux pas d’autres possibilités que de s’améliorer : cela fait partie intégrante de leur pratique.


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Cependant, les avantages de la proprioception peuvent servir à tout le monde. La vue, les réflexes et la capacité à se rétablir baissant avec l’âge, les exercices de proprioception s’avèrent assez nécessaires aux personnes âgées. En s’exerçant à devenir inconsciemment plus alerte, on évite non seulement de tomber mais on réduit aussi les risques de se blesser au niveau des membres inférieurs (par une entorse par exemple). Ce 6ème sens peut ainsi mieux protéger nos articulations et aussi réduire les récidives de ce genre de blessure. Enfin, il permet surtout de se rétablir et de se rééduquer plus rapidement. C’est pourquoi la proprioception est aussi utilisée par les kinésithérapeutes. Mais malgré tous ses avantages, la proprioception, reste encore peu connue et pratiquée. Alors que plus l’entraînement est régulier et répétitif, plus il sera efficace. Essayer d’écrire son nom avec son pieds ou fermer les yeux en levant un pied est un exercice de proprioception.

77, 78, 79, 80. Objets pour exercer son sens proprioceptif 81. Fonctionnement de la proprioception


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Rencontre 3 : Ann-Catherine Waeterloos KinĂŠsithĂŠrapeute Janvier-mai 2015


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Ann-Catherine a réagi tout de suite positivement à mon projet. J’avais à peine terminé ma présentation qu’elle avait déjà bondi de sa chaise pour me montrer tous ses objets et me lancer dix idées de ce qu’on pourrait mettre dans la rue et même dans les piscines. Il y a des gens qui sont designers dans l’âme. Cette kinésithérapeute aura été celle qui m’a le plus influencée. C’est elle qui m’a fait découvrir la proprioception. Elle m’a aussi invité à son cours d’étirements et de respiration, auquel je me suis inscrite à la fin de la première séance. J’ai donc suivi des cours de flexibilité et d’étirements pendant 5 mois. J’ai consciencieusement pris des notes, ce qui m’évitait parfois de faire les exercices, mais Ann-Catherine a très vite remarqué ma combine et m’a donc parfois interdit de prendre notes « il n’y a qu’en le faisant que tu pourras comprendre »... « Eve pose ton carnet, les gens ne se mettrons pas à 4 pattes dans la rue, ça sert à rien de noter », « il faut que tu le sentes, que tu souffres d’abord avant d’infliger ça aux autres ». Et j’ai suivi ses conseils, j’ai noté avec mon corps. Et aucun dessins ou objet ne fera jamais le poids par rapport à cette transmission et cet apprentissage gestuel. C’est aussi elle qui, en fin de projet, a vérifié tous les exercices que j’avais concoctés pour les citoyens. Grâce à cette rencontre avec une personne bienveillante et créative, mon projet s’est vraiment précisé.


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LA SOUPLESSE La souplesse désigne la qualité physique permettant d’accomplir des mouvements corporels avec les plus grandes amplitudes (articulaire et musculaire) et aisances possibles, que ce soit d’une manière active (par nous-même) ou passive (par une force extérieure). L’âge, la température ambiante, le relâchement psychologique et les conditions articulaires et musculaires sont les facteurs qui interviennent dans l’établissement de cette qualité. Il y a de nombreuses manières pour exercer sa souplesse. Le point de départ de mon intérêt pour cette activité me vient de mon année vécue à Hong Kong. Rencontrer des gens concentrés qui pratiquaient des gymnastiques lentes et douces comme le tai chi chuan, dans un tissu urbain qui grouille de partout, me paraissaient toujours un peu surréaliste. En Europe, ces pratiques nous semblent singulières tant elles diffèrent de nos modes de pensées et de mouvement même si certains milieux bobos commencent à les adopter... en salle. En effet, nous avons peu ou pas de philosophie liant le corps et l’esprit, à part les marches dans la forêt de Nietzsche. Pour nous et pour le dire rapidement: (se) penser, c’est rester assis... Il est vrai que, dans notre culture, on s’étire avant ou après le sport, 1 minute au réveil, 1 minute en se levant de sa chaise de bureau, mais rarement autrement... et c’est en cela que les gymnastiques asiatiques douces m’ont influencées. Le contexte dans lequel elles sont pratiquées aussi: à même le tissu urbain : « Tiens ? Ca se fait ! Pourquoi on ne le ferait pas non plus ?! » Mais je ne voulais pas en extraire autre chose pour l’influence gestuelle du projet. De retour à Bruxelles, j’ai préféré m’intéresser à notre vision de l’étirement plutôt que me calquer sur une philosophie que j’allais sûrement galvauder et appauvrir. Je ne suis pas une baroudeuse de 1970 qui revient « métamorphosée et éclairée » de Chine ou d’Inde. Le yoga, par exemple, a déjà été récupéré en Occident, c’est une activité assez populaire. On la considère ici souvent comme une pratique d’exercices purement physiques, ce qui la détache de son but originel de libération spirituelle. Du power yoga made in USA mêlant aérobic et yoga aux autres démarches plus méditatives et spiritualisantes, cette pratique a déjà un peu été reprise à toutes les sauces. J’ai donc préféré, dans ce flou exotique marchandisé, ne pas me mêler au jeu.


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82. Un signe chinois m’a aussi influencé. Ce signe signifiant « riz »(!) est conseillé par les médecins traditionnels lorsqu’on a mal au dos. Il Suffit de le dessiner « dans l’air » de la manière la plus large possible. 83. Chinois pratiquant le Tai chi


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Je me suis alors penchée sur nos manières occidentales de nous assouplir. Et comme d’habitude en Occident, elles s’appuient sur un background plus rationnel et scientifique. En bon français, beaucoup de gens appellent ca le stretching ! L’étirement des muscles quoi... Le stretching, tel que nous le connaissons en Occident, a été importé en Europe par Bob Anderson. Comme je l’ai dit, nous avons plus l’habitude d’accomplir ces gestes pour préparer le corps à un exercice de forte intensité et l’aider à récupérer. Pourtant les étirements pratiqués d’une manière isolée ont aussi des avantages. Au niveau musculo-squelettique, cette pratique augmente la souplesse et l’élasticité des muscles et des tendons, et améliore la capacité du mouvement. Cela permet aussi de diminuer la sensation de fatigue et peut aider à prévenir des traumatismes musculaires et articulaires. Au niveau articulaire, les étirements permettent d’améliorer l’élasticité des muscles et de stimuler la « lubrification » articulaire, contribuant ainsi à l’atténuation des maladies dégénératives telles que l’arthrose. De fait, il préserve du vieillissement des articulations en ralentissant la calcification du tissu conjonctif. S’étirer aide également à diminuer la tension artérielle en favorisant la circulation, cela aide à se détendre en réduisant le stress physique et améliore la coordination des mouvements. L’étirement musculaire peut aussi générer une détente psychique. Selon la méthode Jacobson, le relâchement musculaire aboutit à la détente mentale. En 1928, ce médecin constate que les émotions, mais aussi les activités mentales les plus neutres, s’accompagnent d’impulsion électrique vers les muscles. Il remarque que, au contraire, le profond relâchement musculaire est incompatible avec l’activation émotionnelle. Si bien que l’apprentissage de la relaxation musculaire peut être utilisé pour réduire ou prévenir l’activation émotionnelle. La décontraction musculaire qui est par exemple accrue lorsqu’on vient de s’étirer procure donc une détente mentale. Il y a plusieurs règles importantes pour accomplir un bon étirement. Tout d’abord cela ne doit pas faire mal. Ensuite tous les corps sont différents, la longueur des muscles et la disposition des fibres varient en fonction de chaque individu. Ce qui signifie qu’il n’y a pas vraiment de position universelle et qu’il ne faut pas se calquer complètement sur les autres, il faut trouver sa position. il est donc important d’identifier le groupe musculaire à étirer et de chercher la position efficace. Cette position devrait être maintenue entre 15 et 30 secondes. Néanmoins, maintenir la position ne veut pas dire être statique, le reste du corps est fixe mais le muscle étiré doit toujours « aller chercher plus loin ».


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90. Quelques étirements. 84, 85, 86, 87, 88, 89. Le Yoga ne nécessite, à la base, aucun objet pour être pratiqué, Pourtant, on a vu apparaître une multitudes d’objets permettant cette discipline.


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LA DANSE CONTEMPORAINE Dans son acception la plus générale, la danse est l’art de mouvoir le corps humain constitué d’une suite de mouvements ordonnés, souvent rythmés par de la musique. La nature et la signification (ou non) de ces mouvements est infiniment large. Selon les peuples et les époques où elles sont ou ont été exécutées, les danses ont des motifs distincts et des façons différentes de se pratiquer, très révélatrices du mode de vie et de la société. Mon attention s’est portée sur la danse contemporaine et plus particulièrement la non-danse. Ces danses étaient justement « très révélatrices de notre société ». « La danse contemporaine n’a pas de limites temporelles précises et ne se reconnaît comme telle qu’à travers les créateurs qui s’en revendiquent : elle est avant tout affaire de génération et ouvre sur une volonté de se nommer, de se reconnaître entre pairs. Elle n’a, a priori, que faire des courants esthétiques et se désigne elle-même tantôt selon les filiations, tantôt selon les ruptures, toujours ou presque en fonction d’une attitude commune devant l’histoire : emprunter les techniques aux courants modernes ou classiques, les actualiser ou les détourner, les métisser avec d’autres disciplines artistiques. ²» (26) Les chorégraphes qui ont développé la non-danse dans le milieu des années 1990 sont souvent issus du mouvement de la nouvelle danse française auxquels ils ont participé en tant qu’interprètes dans les années 1980. Alain Buffard en faisait partie et s’exprimait ainsi sur son début de

91, 92. Flip book (2009) de Boris Charmatz Selon B.C, le patrimoine est avant tout un matériau vivant, propice aux détournements et aux réappropriations sauvages. C’est à la manière d’une chorégraphie ready-made qu’il s’est emparé des photographies d’un livre de Merce Cunningham (considéré comme le chorégraphe qui a réalisé la transition conceptuelle entre danse moderne et danse contemporaine) et les agençé à la manière d’un flip-book géant, qui interroge les mécanismes de reproduction du geste.


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carrière : « ... le corps glorieux, performant, que l’on inculque encore en danse. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté de danser. J’en avais marre de sauter comme un cabri ».(27) Pour les concepteurs de la nondanse, le corps n’est plus un outil à maîtriser. La non danse reviendrait aux fondamentaux d’un corps, entrant en résistance devant les phénomènes d’accélération. Dans bon nombre de spectacles proposés, on assiste a une perte, un ralentissement, une raréfaction ou un refus du mouvement et de la dépense dynamique des corps. On peut reconnaître dans cette attitude radicale un minimalisme déjà observé dans d’autres domaines artistiques. La critique Isabelle Ginot en élargit la perception au-delà du strict champ esthétique, en suggérant une mise en perspective politique de ces gestes de ralentissement ou ces « actes immobiles », seraient de possibles réponses « à un “ mouvement des choses ” que l’ordre dominant voudrait hégémoniquement “ libre ” : libre échange, gestion des flux, mondialisation, etc., ne cessent d’activer le fantasme de flux sans entraves (sans résistances), rapides, sans tension, etc. » (28) Ce renouvellement de l’approche de la danse a ouvert sur une telle variété de formes et pratiques qu’il serait vain d’essayer de les regrouper sous un intitulé fédérateur, d’où la polémique autours du terme « non-danse ». Dans ce vaste domaine artistique, j’ai porté mon attention sur quatre chorégraphes. Même si je n’adhère pas à 100% à leur démarche, ils m’ont d’une manière proche ou lointaine tous influencée.


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MYRIAM GOURFINK Myriam Gourfink (1968) a déjà plus de 14 chorégraphies à son actif. J’ai été attirée par ses croquis et son travail informatique mais surtout par la gestuelle de ses chorégraphies. Les danses de cette chorégraphe donnent à voir des mouvements ralentis à l’extrême. Une lenteur quasi hypnotique qui se compose de postures retenues dans l’immobilité et des micro-mouvements opérés macro-subtilement. « L’étirement du temps et l’exploration millimètre après millimètre de l’espace sont les éléments immédiatement visibles de mon travail » écrit-elle (29) Mais sa démarche chorégraphique se fonde avant tout sur les techniques respiratoires des arts du corps orientaux. « Il n’y a plus qu’à se laisser guider par le souffle, qui vient – avec l’adjonction des techniques de yoga telles que la contraction (...) ou la concentration sur des centres énergétiques spécifiques –, (...) » (29) L’idée est de rechercher la force intérieure qui mène au mouvement. Inspiré à la base de la Labanotation (voir dans le chapitre « représentation du mouvement »), Myriam Gourfink a créé d’une manière assez singulière, un système d’écriture pour formaliser son propre langage de composition. Cette écriture symbolique géométrique active la participation du danseur et l’invite à interpréter les notations, à faire face à l’inattendu de l’écriture. Ses processus chorégraphiques sont aussi largement influencés par sa découverte de l’informatique. Dans certains projets, des dispositifs (informatisés) de perturbation et régénération de la composition pré-écrite fonctionnent en temps réel : le programme gère l’ensemble de la partition et génère des millions de possibilités de déroulements. Le but étant toujours d’inviter l’interprète à co-créer une partition ouverte. Pour le spectacle bestiole par exemple, Myriam Gourfink était installée sur le plateau afin d’écrire et envoyer en temps réel des partitions chorégraphiques sur des écrans suspendus. Ayant des ensembles de « sous-actions » pré-déterminées (éléments stimulant le travail articulaire pour donner aux danseuses volume, fluidité et force d’expression) ; et d’autre part des ensembles d’actions qui viennent construire une architecture en mouvement. En temps réel, elle puisait un certains nombres d’éléments dans ces ensembles pour composer la danse en fonction de ses observations et de son ressenti. Pour la citer, « J’espère ainsi amener les interprètes dans des univers étranges aux bords des mondes humain, animal, végétal, ou minéral. L’architecture globale procède de l’écosystème. Le public est invité dans un rapport de proximité à ressentir l’évolution des créatures. » (30)

92. Partition gestuelle issue du spectacle « Contraindre » 93. « Almasty » de Myriam Gourfink


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BORIS CHARMATZ Boris Charmatz m’a ouverte à une autre manière de percevoir la danse. Ce chorégraphe est considéré comme l’un des « chefs de file de la nouvelle vague française » et du mouvement de la non-danse. Pour lui, danser n’est pas exposer une maîtrise, mais s’engager dans une recherche transgressive, questionner les limites de sa discipline et défendre une conception élargie de la danse. Un texte nommé « la fonte de l’individu » m’a fortement marquée et exprime bien le type de gestuelle immobile entre danse et non-danse. « Testons une proposition d’apparence simpliste. Il s’agit d’une fonte à partir de la posture verticale jusqu’à l’étalement le plus lourd. Du debout au couché, comme d’habitude, mais cette fois sans habitus, et dans une durée exceptionnellement longue. L’idée est de se laisser fondre petit à petit en laissant venir des circulations imprévues, en insistant sur les passages les plus délicats : il ne faut pas nier les déséquilibres potentiels, les difficultés, la fragilité de celui qui, les yeux fermés, ne sait plus quand son genou va toucher le sol. La descente n’est pas nécessairement régulière, on se heurte vite à des tensions successives qu’il faut approfondir pour sentir ce qui ensuite va ou doit lâcher, se distendre. Occasion de penser le corps en termes de masse. Cherchons cette « déglaciation » dans des zones parfois reculées, dans les organes aussi bien que dans les articulations, dans une attention aux glandes ou au poids du cerveau. On éviterait (pourrait éviter) tout conformisme, symétrie, étapes trop claires des appuis, chemins trop arpentés. Le temps de l’action est donné par une diffusion sonore ou musicale d’environ dix minutes.(...) et si vous arrivez au sol avant l’heure du gong (fin de la diffusion musicale), continuez à vous enterrer mentalement, à faire peser plus encore ventre, sexe, bras... La sensation de plongée permettrait un oubli de la maîtrise qu’apporte le regard sur soi ou sur les autres (une maîtrise implicite de ce que serait sa propre image). (...) A chacun de vivre concrètement un moment de danse par le bas où se déjoue la construction d’une verticale pour mieux assumer ou prendre conscience de nos tensions paradoxales. Jean-François Pirson écrit à propos de la pédagogie : « Dans la seconde moitié du XIXè siècle, l’architecture du banc et les injonctions du maître constituaient un ordre préalable à tout enseignement de matière. » A l’opposé de cette pédagogie du redressement, on pourrait trouver dans cet affaissement assumé une réelle ouverture aux mouvements anarchiques de la vie... » (31)


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94. Dans levée des conflits (2010), « un hologramme perceptif pour 24 danseurs et 25 mouvements. Levée – comme une levée du temps, de la tension du sens, des règles organisant la perception » il questionne encore les modes d’incarnation, de présence. « L’important n’est pas la perception, mais comment sont menées les présences »(32). On assiste à un agencement d’actions simultanées qui glissent, « se composent, se dénouent, se renouent, se condensent, s’accumulent, forment des noyaux, des lignes, des plis. (...) donnant l’impression d’un fondu enchaîné permanent. (...) Chaque danseur est « mobile dans l’élément mobile ».(...) »(33)


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CIE ADRIEN M / CLAIRE B Ce duo s’est créée en 2011 et se compose d’Adrien Mondot (1979) qui est informaticien de formation, jongleur et danseur et Claire Bardainne (1978) qui est artiste plasticienne, graphiste et scénographe. Je retiens de leur travail cette oscillation permanente entre mouvements réels et virtuels. Le digital, comme une extension du réel, vient interagir avec le corps et les gestes des danseurs. A propos de son travail, Adrien Mondot dit : « Je pars de l’axiome que le mouvement est un vecteur d’émotion. Pour un informaticien, considérer cet axiome implique de fournir des outils de création suffisamment précis et expressifs (...) si l’on considère que les mathématiques, la physique et l’ensemble des sciences sont des outils/langages développés à l’origine pour décrire notre monde, il est séduisant de se dire que l’on peut s’en servir, (…) pour décrire d’autres mondes, des mondes artistiques.... »(34)

95. Hakanaï (2013) est une performance chorégraphique, une danseuse dans un cube qui dialogue avec des images mouvantes projetées en direct par un performeur digital et au rythme d’une création sonore également interprétée en direct. Ces projections composées de simples formes abstraites en noir et blanc sont créées selon des modèles physiques et mathématiques d’observations de la nature et du mouvement. A l’issue du temps de performance, l’installation numérique est ouverte aux spectateurs. « En japonais, Hakanaï définit ce qui est impermanent, fragile, évanescent, transitoire, entre le rêve et la réalité. Mot très ancien, il évoque une matière insaisissable associée à la condition humaine et à sa précarité, mais associée aussi à la nature. Il s’écrit en conjuguant deux éléments, celui qui désigne l’homme et celui qui désigne le songe. Ce collage symbolique est le point de départ de cette partition pour une danseuse rencontrant des images, faisant naître un espace situé à la frange de l’imaginaire et du réel. »(35)


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ANNE TERESA DE KEERSMAEKER Anne Teresa De Keersmaeker (1960) est une figure majeure de la danse contemporaine belge et mondiale. Son travail est intimement lié à la musique, elle l’aborde comme le fondement de sa grammaire chorégraphique. Mais ce n’est pas ce qui m’a le plus intéressée dans ses chorégraphies. Je l’ai découverte avec « Fase, four movements to the music of Steve Reich » (1982). On y voit une danseuses tracer un motif de rosace dans du sable. Cela m’a inspiré car, à l’époque, je m’interrogeais beaucoup sur la question suivante : « comment indiquer un mouvement dans une image/ objet fixe ?». Que ce soit dans Violin Fase ou dans le reste de son travail, la danse d’Anne Teresa De Keersmaeker se développe essentiellement sur des bases de géométries scéniques strictes (cercles, courtes spirales, diagonales...). Qu’elles soient visibles ou non, ces traces géométriques s’avèrent être des motifs typiques, presque des signatures. L’universitaire Philippe Guisgand qualifie son utilisation de la spirale comme une « obsession spatiale majeure de De Keersmaeker » . Elle-même considère cette forme comme le « mouvement absolu »(36). D’ailleurs, sa dernière œuvre « Work/Travail/Arbeid » au Wiels comportait à nouveau des rosaces tracées à la craie sur le sol.


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98. Fase 99. Dessin de Drumming 100. Sol de Rain 101. Anne Teresa de Keersmaeker en pleine dĂŠmonstration


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Rencontre 4, 5, 6 : Sybille, Mercedes et Valentine Danseuses Janvier-Mai 2015


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J’ai d’abord rencontré Sybille qui est en dernière année d’ostéopathie et danseuse amateure depuis 10 ans. Nous avions commencé à élaborer des danses proprioceptives mais malheureusement nous avons manqué l’une et l’autre de temps pour dépasser ce stade. Quoiqu’il en soit, d’une manière ou d’une autre ce double prisme m’a influencée. J’ai donc contacté Mercedes qui est danseuse professionnelle et qui a beaucoup aimé le projet. Nous avons commencé à réfléchir à des minichorégraphies d’enchaînements, d’étirements et de proprioception. Mercédès devant partir en tournée, elle m’a alors orientée vers Valentine, dont l’expérience lui semblait la plus adaptée à mon projet qu’elle lui avait longuement expliqué. Je dois avouer que ce monde de la danse était vraiment très nouveau à mes yeux. Ces collaborations m’ont permis de me rendre compte qu’on ne crée pas une chorégraphie en 10 heures. Naïvement, je m’étais dit que je pourrais donner les exercices de proprioception et d’étirement à la danseuse et qu’elle pourrait me les lier facilement ensemble par des gestes moins efficaces et plus inspirés de la danse contemporaine. Le problème c’est que j’avais du mal à m’exprimer. Armée de mon texte de Charmatz et mon admiration pour Anne Theresa de Keersmaker, je ne parvenais pas vraiment à expliciter ce qui me plaisait précisément dans leurs travaux. Impossible donc de me les approprier et de les intégrer au projet. C’est ce que j’attendais des danseuses, qu’elles s’emparent du tout et qu’elles me créent une chorégraphie qui me donne autant d’émotions qu’un spectacle de mes danseurs favoris. Mais mon manque de culture dans ce domaine, mon cahier des charges parfois trop flou ou trop contraignant ainsi que le manque de temps des uns et des autres ont fait que le résultat n’est pas aussi abouti que je l’espérais. Mais ces rencontres m’ont beaucoup appris et m’ont procuré du plaisir. Je n’ai aucun regret et je remercie mille fois ces danseuses. Je retire de ces collaborations une réflexion fructueuse par rapport aux questions de communication : « Comment permettre à une personne de s’approprier un projet tout en ne s’en éloignant pas trop ? » ; « Comment exprimer clairement mes intentions et mon projet ? » ; «Comment faire comprendre à la personne ce que j’attends d’elle et ce qu’elle peut apporter au projet ? », et bien d’autres questions...


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LA REPRÉSENTATION DU CORPS ET DU MOUVEMENT Tout en dessinant des objets, j’ai commencé à m’intéresser à la notation du mouvement. Même si, dans un premier temps, j’espérais ne pas devoir recourir à un mode d’emploi pour les objets créés, je me suis rendue à l’évidence : même la plus simple des machines nécessite une explication, surtout si on veut que tous les publics puissent l’utiliser. Et comme une image vaut mieux qu’un long discours, j’ai commencé à m’intéresser à la représentation du mouvement. On peut créer un objet permettant d’exécuter beaucoup de différents mouvements, mais sans image qui l’explique, il est quasi impossible à l’utilisateur de les deviner tous. Grâce à mon étude de marché matérielle, j’ai été de plus en plus convaincue que la simple suggestion gestuelle graphique pouvait tout aussi bien remplacer un objet car celui-ci crée souvent des mouvements arrêtés, lassants, mimant une activité extérieure. De plus, il se délabre, il prend de la place etc. Et finalement, si un « mode d’emploi » pour un objet qui induise un mouvement est toujours nécessaire, pourquoi ne pas simplement créer un mode d’emploi pour suggérer ce même mouvement ? C’est un peu le principe des cours en vidéo, n’est-ce pas ?


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LES PREMIERES REPRESENTATIONS DU MOUVEMENT : peintures rupestres et chronophotographie Pour la création de ce « mode d’emploi », je suis d’abord revenue à l’origine de la représentation du mouvement, sur les peintures rupestres d’une part, puis la chronophotographie, d’autre part. La chronophotographie m’a fait comprendre que la superposition de moments photographiques était souvent illisible. Les peintures rupestres m’ont émue dans leurs représentations non formatées du corps, un corps qui ressemble à tout sauf une machine de rendement.

102. Peintures rupestres 103. Fresque de la grotte de Chauvet. Réalisée il y a plus de 25 000 ans, cette superposition d’images similaires serait l’une des premières tentatives connues pour générer l’illusion d’un mouvement. 104, 106 et 107 Chronophotographie


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Rencontre 7 : Maxim Goossens Graphiste FĂŠvrier-mai 2015


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J’ai contacté Maxim quand je me suis rendue compte que je n’étais pas satisfaite par mes performances graphiques, c’est-à-dire assez rapidement. J’ai choisi Maxim car nous avions la même philosophie « Au plus simple, au mieux ». Maxim a un certain franc-parler : « Non mais Eve c’est vraiment ennuyeux ce que t’as fait, on se revoit dans 3 semaines », « Et puis le nom de ton projet ca me fait penser à une chanson de Ricky Martin » ,... Je ne voulais/pouvais pas entièrement déléguer le graphisme du projet pour plusieurs raisons. Tout d’abord, bien que je n’ai aucun feeling avec le graphisme, j’ai appris à utiliser la suite Adobe, je pouvais donc réaliser une partie du travail moimême. Ensuite, à l’époque ou j’ai contacté Maxim, le projet n’était encore pas du tout clair. Je faisais des objets mais aussi une app et puis, « d’autres trucs mais c’est pas sûr ». Je n’aurais donc pas pu lui dire précisément ce que je voulais. Le projet changeait tout le temps et tout s’est construit d’un bloc, je n’ai pas conçu un objet, puis un graphisme, les deux choses se répondaient. Il était donc utile que je mette la main à l’ouvrage, je ne pouvais malheureusement pas me permettre d’engager un graphiste 24/24h. De plus, il faut savoir dissocier « service d’ami » et exploitation. J’étais ainsi la seule qui travaillait 24/24h sur le projet, qui savait réellement où ce dernier allait, et qui avait effectué les recherches ainsi que rencontré les spécialistes. J’arrivais donc avec mes propositions d’amateur et il m’apportait son avis et son expérience de graphiste, « tu vois ? C’est déjà moins terrible que ton truc là ». Au final, je ne suis pas devenue graphiste et ce n’étais/n’est pas mon ambition mais, grâce à l’oeil 2D de Maxim, à nos longs entretiens et échanges de mails, j’ai pu mieux comprendre les codes de ce secteur et réaliser un graphisme qui ne dessert pas trop le projet.


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LE CORPS EN MOUVEMENT SUR PAPIER Comme évoqué précédemment, je me suis aussi intéressée aux croquis des chorégraphes. « Les notations en danse n’ont aucun statut culturel précis, elles n’occupent aucun lieu d’autorité ou de préférence symboliquement investi. Le scribe de la danse est un tout petit scribe bien modeste, provisoire, sans postérité.(37) » Et cela m’a plu. Outre les croquis des chorégraphes dont j’ai déjà parlé, certaines démarches graphiques m’ont aussi aidé dans mon cheminement. Le système Feuillet, par exemple, représente toujours la salle où l’on danse vue d’en haut. Un « chemin » représente le trajet parcouru par chacun des danseurs. De part et d’autre du chemin, des « figures » de pas et de position désignent les actions du danseur ; sur ces figures sont greffé de petits « signes » représentant des actions de base, telles que plier, glisser, tomber, élever, sauter, cabrioler, tourner, pied en l’air, pied pointé. Pour un néophyte, ce système reste incompréhensible mais il m’a toutefois inspiré l’idée d’en utiliser la ligne permettant de se représenter le chemin à parcourir.

107. Système Feuillet 108, 109, 110 et 111 Notation Laban.


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Le système de notation le plus connu et repris est celui de Rudolf Laban. Dans son système, un même signe peut donner une indication de temps, de direction du mouvement, de hauteur et de partie du corps concernée. Ce qui est intéressant dans le système Laban est son travail autour du transfert de poids de part et d’autre d’un axe central. « Le système ne cherche pas à recréer des figures pour montrer comment ça se passe, mais il cherche à trouver un centre du mouvement à quoi elles vont faire faire figure. »(38) Mais là encore, le problème était la lisibilité : la notation Laban nécessite bien plus d’un après- midi pour être apprise.


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Tous ces dessins m’ont inspirée mais je me trouvais face au même constat que tous ces chorégraphes : « Un calcul simple montre que l’ensemble des positions du corps humain, les positions spatiales du corps humain, c’est un espace de dimension de 2000 environ : 200 paramètres, si vous comptez toutes les articulations… Il est évident que parmi ces paramètres, il y en a qui sont importants et d’autres beaucoup moins mais cependant, une étude systématique de l’espace des positions possibles du corps humain exigerait la considération d’un espace à 200 dimensions c’est beaucoup trop pour une notation simple et utilisable ».(39) Le corps et le mouvement sont complexes à représenter sur papier. Il n’existe pas de système précis et compréhensible ne nécessitant pas une étude préalable. Même les systèmes plus récents comme celui de Noa Eshkol et Abraham Wachman ou comme la notation Danse R. restent compliqués. Le mouvement comporte un aspect tridimensionnel particulièrement difficile à rendre en deux dimensions. La hauteur, la force, la durée, la fluidité, la dynamique, les subtilités du style sont des facteurs quasi impossible à transcrire d’une manière précise, objective et réaliste.

1.Les Bases Tête et dos

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112, 113 et 115. Noa Eshkol et Abraham Wachman, Movement Notation 114. Danse.R de R. Bach 116. Croquis de Merce Cunningham 117 «Computer Generated Ballet» de E. Noll 118. Detecteur de la Kinect


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LE CORPS EN LUI-MÊME : stick-body ? Le choix d’une silhouette humaine s’imposait. J’avais dans un premier temps tenté de l’éviter mais, il n’y a rien de plus intuitif. Une des silhouettes qui revient le plus dans la représentation du corps est le « stick-bodies ». Comme le montre le capteur de la Kinect, ces barres sont notre dénominateur commun. J’ai donc longtemps hésité à représenter le corps en mouvement grâce à cette typologie « squelettique » mais, encore une fois, la lisibilité n’y était pas. Une fois ce bonhomme-bâton animé, il est assez compliqué de capter la tridimensionnalité du mouvement. Je me suis donc orientée vers des représentations plus réalistes du corps humain.


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LE CORPS EN ANIMATION Par souci de proposer un objet intuitif et compréhensible, je me suis donc penchée sur l’animation, comme certains chorégraphes l’ont fait d’ailleurs. Les logiciels divers pour créer une chorégraphie m’ont aidé dans la représentation de la silhouette de mon projet. C’est assez réaliste mais au moins c’est rapidement identifiable. Merce Cunningham composa la chorégraphie de « trackers » avec un logiciel, sans même recourir à la participation de danseurs pour l’élaboration. Ce logiciel procède à partir d’une silhouette entre hommes-anneaux et bonhomme bâton (stick bodies). A l’époque (1990), malgré son archaïsme comparé aux nouvelles technologies, les possibilités offerte par ce logiciel était apparemment « déjà illimitées ». (40) Il existe aujourd’hui plusieurs logiciels pour créer des chorégraphies. L’un des plus connus est DanceForms. La conclusion de toutes ces recherches est qu’à l’heure actuelle, la manière la plus efficace pour représenter un corps en mouvement est l’animation et l’aspect réaliste de la silhouette. Cependant, même le mouvement et le corps les plus réalistes ne permettent pas spécialement de comprendre réellement ce mouvement. On peut voir quelqu’un s’étirer le dos, mimer sa position mais ne pas spécialement s’étirer la même partie. La perception du mouvement et sa compréhension universelle sont quasi impossibles sans explications et correction physique. Une vidéo de sport ne vaut pas un prof de sport. L’évolution des capteurs le permettra peut-être un jour, mais cette technologie n’est pas encore assez accessible et je ne voulais pas l’utiliser car elle évoquait trop le contrôle à mes yeux. J’ai donc accepté la perte inévitable de la représentation du mouvement et l’ai prise comme une qualité dont on peut jouer pour que l’utilisateur s’approprie les exercices. Quant au corps en lui-même, je ne voulais pas créer un robot « Ironman ». Je me suis plutôt inspirée des silhouettes de Mac Laren, assez lisibles, détaillées donc compréhensibles, sans tomber dans l’hyper-réalisme kitsch ou la vidéo de gym Youtube. Quelque chose de discret et pas trop envahissant visuellement pour un contexte urbain.

119 DanceForms 120. Iron Man 121. Film d’animation de N. Mac Laren 122. Chorégraphie «Tracks» de Merce Cunningham


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Rencontre 8 : Fabien Delattre Designer d’animation Avril-mai 2015


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J’ai décidé de contacter Fabien lorsqu’un beau jour d’avril, j’ai fermé avec frustration et énervement mon logiciel d’animation Adobe Flash (ce n’était pas la première fois d’ailleurs). J’avais exploité au mieux les 4 mois de cours d’animation à la Cambre. Cela m’avait permis de commencer le projet seule et de formuler mon concept, c’est en essayant que les idées se sont précisées. Mais cela n’était pas suffisant, j’avais besoin de rencontrer quelqu’un dont c’était le métier. C’est donc avec Fabien que j’ai collaboré. Je ne voulais pas qu’il doive travailler pendant des nuits sur ce projet. Ma philosophie d’économie de moyen en design de produit devait s’appliquer partout. Je lui ai donc posé 10000 questions sur 3DSmax et nous sommes arrivés à un « mode de production » facilement réalisable, tout en tenant compte de mes envies de base. Cette collaboration m’a permis de réaliser à quel point il était important de savoir ce qu’on veut, et d’arriver à le dire clairement. Exercice plutôt difficile quand un projet est en construction et qu’on doit expliquer des formes mouvantes sur un logiciel qu’on ne connaît pas (le nombre de secondes, la manière dont les choses se déforment, apparaissent, disparaissent...). Je devais soit lui envoyer des pages de textes, d’images et vidéos, soit simplement aller m’asseoir à côté de son ordi, regarder et parler (clairement) !



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OBJETS CONNECTÉS

J’ai voulu travailler sur les objets connectés pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’ils font maintenant partie de notre vie quotidienne et que tout le monde les a adoptés. Pourtant, aucun appareil ou parcours public de santé ne les prennent en compte. Peut-on vraiment envisager le futur sans ces technologies ? Ayant constaté que les panneaux étaient toujours les premières choses endommagées dans les parcours Vita, l’usage d’une technologie virtuelle semblait être une bonne alternative tant d’un point de vue économique que pratique et en termes d’encombrement. L’aspect « connecté » a pris de plus en plus de place dans mon projet, suscitant de nombreux questionnements quant l’importance qu’il devait avoir. Je vous livre donc mon analyse de ces nouvelles tendances, ce qu’elles proposent et quels en sont les avantages, raisons du succès, et dérives possibles.


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L’ÈRE DU QUANTIFIED SELF Apparu en 2007, le Quantified Self désigne une pratique de la « mesure de soi » et consiste à recueillir un maximum de données sur sa santé et son activité physique ce qui permet ensuite d’analyser et d’améliorer son mode de vie et ses performances, ainsi que de partager et comparer ces données avec d’autres personnes. Les outils du quantified self peuvent être des objets connectés et des applications mobiles ou Web. Les domaines d’application s’étendent progressivement et génèrent de plus en plus de débats.

SPORT CONNECTÉ: TRAQUEURS D’ACITIVITÉ ET MESURE DE LA PERFORMANCE Trois quarts des internautes français ont déjà entendu parler des objets connectés(41), néanmoins seuls 2,7 millions de bracelets et montres connectés ont été écoulés(42) dans le monde entre janvier et mars 2014. Mais le chiffre d’affaires des « wearables technologies » devrait valoir 30 milliards de dollars à l’horizon 2018. On comprend donc l’intérêt que les marques high tech portent à ce domaine. Depuis l’arrivée du Nike Fuel Band en 2013, les modèles de bracelets connectés se sont multipliés. Fitbit, Jawbone, Misfit, Garmin, Iwatch et autres fournissent une grande quantité d’informations intimes sur les habitudes quotidiennes de leurs utilisateurs. Si quelqu’un vous avait dit il y a 5 ans « A chaque fois que je marche, je compte mes pas » ne l’auriez-vous pas pris pour quelqu’un ayant des troubles obsessionnels compulsifs ? Et pourtant, c’est la mesure de base de tous ces équipements. En plus de compter les pas, ces bracelets mesurent les distances parcourues et les calories brûlées. Certains mesurent aussi la fréquence cardiaque, la qualité du sommeil, l’altitude et même le niveau d’oxygène dans le sang. Ils peuvent aussi afficher nos mails et sms. Les bracelets relatifs au « quantified self » sont très révélateurs de la société d’aujourd’hui, individualiste et obsédée par le contrôle de soi.

123. Garmin Vivofit 124. Misfit Shine 125. Apple Watch 126. Fitbit 127. Upmove family


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Ces données censées nous rassurer parce qu’elles sont « scientifiques » sont-elles fiables ? « Si l’on en croit Laure Jouteau directrice marketing et communication de Cityzen Sciences (une société spécialisée dans l’intégration de capteurs dans des textiles à destination des sportifs), le calcul des calories effectué uniquement à partir du nombre de pas donné par l’accéléromètre donne un taux d’erreur de 30%. »(43) Tous les métabolismes ne sont pas pareils. Les calculs, basés sur des moyennes et les données encodées par l’utilisateur (taille, âge, poids...) sont donc plutôt des estimations. Les capteurs de mouvements et leur interprétation sont à leurs prémisses et nécessitent encore de développer leur fiabilité. Sur une même distance, le capteur du Fitbit Charge HR peut enregistrer une fois 1,07 km et l’autre fois 900 m (le deuxième trajet ayant été effectué le téléphone à la main)(43). Les interprétations de ces mouvements par exemple pour le « suivi du sommeil » sont peu scientifiques : il est très approximatif de se baser sur nos « gigotements nocturnes » pour définir les sommeils légers et profonds.(43)


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L’activité physique connectée ne s’arrête pas au bracelet. Les vêtements, lunettes, ceintures, chaussures, ballon de foot, accessoires pouvant être apposés au vélo, raquette de tennis, cordes à sauter etc. se développent à vue d’œil. Prêts à porter, lavables en machine, invisibles et tendant à être plus performants, les vêtements intelligents suivront certainement l’évolution des bracelets connectés ou autre moniteur de fréquence cardiaque. La société française Cityzen Sciences intègre au sein de tissus, des capteurs pour mesurer l’activité, le rythme cardiaque, la fréquence respiratoire, la posture… Les possibilités de mesures semblent infinies. Cityzen Sciences, par exemple, travaille sur l’évaluation de la température du muscle au 100e de degré près pour obtenir ainsi une meilleure estimation de l’activité musculaire. L’évaluation de la déshydratation est, elle aussi, à l’étude dans les labos en utilisant l’impédance comme le font déjà certaines balances connectées. La technologie « Smart Sensing » compte s’intégrer tant dans le domaine sportif et médical que dans des secteurs moins attendus : les équipes de Cityzen Sciences travaillent même à l’intégration de leur textile connecté dans les sièges de pilote d’avion pour suivre leurs fonctions vitales en plein vol.

128. Le D-Shirt fonctionne actuellement avec un petit boîtier amovible rechargeable qui collecte et transfert les données sans fil au smartphone de l’utilisateur. L’autonomie laisse encore à désirer. La recherche pour la conception de capteurs autonomes capable de convertir les mouvements et la chaleur du corps en énergie est en route.


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129. La chaussure de foot intelligente synchronisée avec l’application miCoach Elite Team System, l’AdiZero F50 99g est équipée d’une semelle anatomique amovible contenant notamment une Speed-Cell : un trackeur électronique couplé à un accéléromètre, capable d’enregistrer les données relatives à la vitesse, aux accélérations et aux distances parcourues par le joueur sur le terrain. Par rapport à sa grande soeur la F50 Messi (2013), elle est 66 g plus légère, et surtout elle est connectée au Smart Ball, un ballon connecté de 630 grammes qui reconnaît le profil du joueur et qui enregistre tous les paramètres de performance lors de son utilisation : conduite de balle, trajectoire, puissance de frappe...

130. Les lunettes Recon Jet, développée par Recon Instrument sont adaptées aux pratiques extérieures de Running et de cyclisme. Le dispositif d’affichage est intégré en bas à droite du champ de vision, prenant la forme d’un « tableau de bord virtuel ». Les lunettes intègrent un gyroscope, un accéléromètre, un magnétomètre, un altimètre, un thermomètre et un GPS et sont aussi capable de capter des images pour partager ses photos et vidéos sur les réseaux sociaux. Ce projet sera bientôt disponible pour la modique somme de 749€


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APPLICATION De janvier à mars 2014, 280 millions de smartphones se sont vendus. Que ce soit connecté à un objet ou non, le nombre d’applications pour smartphones qui permettent d’enregistrer des informations de mesure du soi serait passé de 17.000 en 2010 à 97.000 en 2012. Les applications qui accompagnent les bracelets permettent de comparer les données accumulées au fil des jours sous forme de barres, de camemberts et d’histogrammes en tout genre. Une multitude de chiffres et de graphiques d’apparence pseudo scientifique nous informe de notre performance accomplie, même quand il s’agit simplement d’aller chercher 3 œufs au coin de la rue. L’aspect social a un rôle important dans ces applications. Toutes ou presque proposent de partager les performances sur les réseaux sociaux, de se comparer, de lancer des défis à des amis, de mettre en ligne son parcours à même l’application afin que les autres, à court de créativité, puissent en profiter. Certaines applications permettent aussi de se faire de nouveaux amis de sport comme « Good people run » qui détecte les coureurs seuls cherchant un compagnon de course à proximité. Les applications font preuves de créativité en termes de compétitions lancées entre utilisateurs. Du 5 days challenge de Nike aux compétitions plus artistiques de Mapmyfitness ayant pour consigne de « courir en réalisant le plus beau dessin en vue aérienne », il y a de nombreuses variantes. Les défis peuvent même rapporter des récompenses matérielles, les Nike Fuels sont l’exemple phare. Ces Fuels récoltés en courant avec l’application permettent parfois de gagner des cadeaux. Par exemple, il y a encore moins d’un an, Nike a placé en toute discrétion un distributeur de leurs produits en plein New York. Seule liquidité acceptée : les NikeFuels.


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131. Distributeur Nike 132. Runtastic, exemple de graphique 133. Compétition « Mapmyfitness » 134. « 5 days Challenge » de Nike 135. Fitstar et Tony Gonzales


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Mais la principale cause du succès de ces applications tient probablement dans le fait qu’elles donnent l’impression d’accompagner moralement la personne et de la soutenir dans ses efforts. Le coaching, le suivi et les encouragements fidélise et réconforte l’utilisateur. Distribution des badges « Journée géniale », « Nouveau record », bruits d’applaudissements. Le Jawbone va même jusqu’à vibrer au poignet s’il estime qu’il est temps d’aller faire de l’exercice. Sur les applications de footing, en plus de l’option vocale qui permet d’entendre les kilomètres accomplis, les calories brûlées et autres données « de base », une voie de soutien psychologique et de conseils sportifs est souvent disponible. La tentative de « familiarisation avec une personne » va parfois très loin. Le coach peut même avoir un nom... Et une image. L’application payante Fit star (à domicile cette fois) propose carrément un « vrai » coach, Tony Gonzalez, un mec musclé et sympa qui nous explique tout, nous motive et nous dit « Fais ces exercices quand tu as le temps, tu peux revenir quand tu veux, je reste là ! » Le suivi peut aussi être nutritionnel. La plupart propose au moins de saisir le poids de l’utilisateur manuellement afin de fixer des objectifs (en général perdre quelques kilos). Certaines applications incluent également la possibilité d’encoder et surveiller ses « données alimentaires ». L’application de running Runtastic a même sorti une balance.


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E-SANTÉ : BANAL QUANTIFIÉ ET HOSPITALISATION À DOMICILE, faut-il s’en inquiéter ? Les objets de santé connectés se sont multipliés ces dernières années ; ils constitueraient 60% du marché des objets connectés portables en 2013.(44) 13% des Français sont déjà équipés d’un objet connecté, selon un sondage Ifop réalisé en novembre 2015.(45) Tous les actes de notre vie quotidienne, des plus fondamentaux aux plus anodins en apparence peuvent être analysés, disséqués dans le but de nous indiquer si nous rentrons bien dans les normes « de bonne santé » édictées par la science. Il existe maintenant des brosses à dents connectées qui nous expliquent « ce qui n’a pas été lors du brossage du 24 mars 2015 » et comment devenir un pro de cet acte précédemment considéré comme banal. Depuis, des scientifiques se sont sérieusement penchés sur ces questions dentaires, et en 2015, savoir se brosser les dents s’apprend et se réapprend au jour le jour. Au rayon « vaisselle », on peut trouver des assiettes et des bouteilles connectées qui surveillent notre alimentation et notre hydratation. Et si l’on n’est pas encore assez rassuré on peut aussi porter un collier de surveillance alimentaire « wearsens » et boire dans un verre « vessyl », manger avec la fourchette HAPIfork et peser ses aliments avec la Smart Food scale. Que l’on s’en amuse ou que l’on s’en inquiète, l’usage des objets connectés envahit de plus en plus notre vie quotidienne. Certains d’entre eux dépassent le stade du simple gadget et nous proposent, plus sérieusement, de contrôler notre santé avec ou sans l’appui compétent du médecin.


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L’HOSPITALISATION À DOMICILE Certains objets opèrent une stratégie de prise en charge globale du patient (bien prendre son traitement, contrôler sa tension, sa fréquence cardiaque, mesurer sa glycémie...). La frontière avec des applications relevant du monde médical peut s’avérer particulièrement ténue. Offrant, entre autres, la possibilité d’un diagnostic précoce et d’outils de prévention santé, l’émergence de l’e-santé risque fort de concurrencer les acteurs traditionnels de la médecine en les forçant à faire évoluer, voire à bouleverser, leur pratique. De nombreux outils sont en développement pour suivre les patients à distance au moyen de capteurs (entre autres) transférant les données de santé du patient en temps réel aux médecins. Les prémisses de cette hospitalisation connectée se dessinent déjà. Parmi les objets courants, la balance intelligente est le plus plébiscité. Grâce à elle, l’utilisateur peut suivre sa courbe de poids, se fixer des objectifs à atteindre compte-tenu de son « poids idéal » et mesurer les progrès accomplis. Certaines marques proposent en plus un coaching en ligne ou sont connectées directement aux applications d’activités physiques. Dans le registre de la prévention, il existe aussi, pour les adeptes du bronzage, des bracelets mesurant le niveau d’exposition au soleil. Plus sérieux, les tensiomètres, pulsomètres, cardiofréquencemètres permettent un dépistage et alertent immédiatement lorsque les données sont dans le rouge. Les données connectées peuvent être communiquées au médecin afin de lui donner une idée plus précise de l’état du patient. Les capteurs de sommeil ont aussi fait leur apparition. Ils nous donnent des consignes pour améliorer le sommeil, se glissent sous le matelas et enregistrent une foule de choses : mouvements, habitudes, cycles de sommeil, rythme cardiaque, etc. Certains sont spécialement conçus pour les nouveaux-nés...

136. Tensiomètre connecté 137. Capteur de sommeil 138, Balance connectée


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L’E-SANTÉ, UNE AFFAIRE JUTEUSE QUI SUSCITE DES QUESTIONS De nombreuses compagnies se penchent sur l’avenir de la M-santé. Google compte lancer des lentilles de contact pour diabétiques, Apple spécialise son Iwatch dans le secteur médical (dans quelques mises à jour système, l’objet pourra détecter les infarctus) et bien d’autres sociétés tentent de surfer sur cette vague qui se promet lucrative. Toutefois, cette prolifération d’objets de sport et santé connectés commence à susciter le débat. La santé connectée va devoir encore surmonter quelques freins : le doute sur la fiabilité des mesures (50% des personnes réfractaires interrogées), l’impression d’une l’intrusion dans le quotidien (29%), la peur de ne pas savoir se servir de l’objet (22%), la peur d’une dépendance, comme celle concernant les smartphones (10%), toute une série d’arguments joue en sa défaveur. (44) La méfiance quant à l’utilisation des données (24%) a déjà fait couler l’encre de la presse. Les tentatives de cession commerciale pourrait en intéresser plus d’un : des organismes privés pour développer de nouveaux produits en parfaite adéquation avec leurs utilisateurs, aux employeurs qui voudraient engager quelqu’un de performant et « sain ». « Que va-t-on faire de toutes ces « empreintes » laissées par le corps des utilisateurs et dont la frontière est floue entre bien-être et santé ? » « Que se passera-t-il quand un assureur disposera de ces informations pour adapter ses contrats en fonction de la vie de ses clients ? Même question avec un banquier curieux qui veut en savoir plus avant d’accorder un prêt ? » (46) Pour l’instant, la collecte et l’usage de données de santé par les professionnels (médecins, laboratoires, sécu, hébergeurs de données) sont soumis à un cadre strict prévu par la loi. Seulement, celui-ci ne s’applique pas à celles relevant du « moi quantifié ». Certaines solutions pour éviter ces dérives ont déjà été formulées. Mais, selon Sophie Vulliet-Tavernier, la représentante de la Cnil, « il n’est pas encore temps de réguler et d’encadrer, le marché est trop jeune (...) Jusqu’à présent, il n’y a eu aucun cas de cessions de données qui permettent d’identifier l’utilisateurs (...) » (46) Cela ne saurait tarder ?


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LA LUDIFICATION : du plaisir à la manipulation La ludification m’a dans un premier temps attirée. Pourquoi ne pas tourner une routine ennuyeuse de gymnastique en un réel jeu ? Ce serait tellement plus drôle mais peut-on vraiment tout tourner en jeu ? La ludification est le fait de transférer des mécanismes de jeu dans d’autres domaines comme celui du travail, des méthodes d’apprentissage, de la publicité, etc... Ces mécanismes relèvent principalement de la gratification matérielle (argent, objets) ou symbolique (gain et collecte de points, de médailles), de la compétition et des encouragements. L’omniprésence du numérique, l’usage massif des jeux vidéos, la prolifération des écrans individuels, l’apparition des objets connectés et les réalités augmentées ont fortement contribué au phénomène de ludification. Notre vie se transforme en Candy Crush et ce n’est pas complètement amusant.

JEU ET PERVERTION Mis à part le monde du sport, la sphère professionnelle utilise aussi de plus en plus ces principes tant pour recruter ou former les salariés que pour accroître leur productivité et leur motivation. Mais cette manière de transformer des tâches répétitives ou fastidieuses en jeu, de remplacer la contrainte par un défi, soulève tout de même quelques questions éthiques. Selon Ian Bogost, il s’agirait de « jeux pervertis » s’apparentant à des « logiciels d’exploitation » (47). Le pire des exemples est le Target Checkout Game. Un jeu initié par un chaîne de magasins pour ses caissiers. Lorsqu’ils scannent les produits assez vite, une lumière verte s’allume, et s’ils sont trop lents, elle devient rouge. Celui qui franchit la barre des 82% de lumière verte gagne les félicitations du patron, au cas contraire, une rétrogradation de poste voire un licenciement peut s’envisager. Au lieu de rendre le travail intrinsèquement désirable, les entreprises inventent des stimuli extrinsèques pour investir l’employé. Ils utilisent des composantes secondaires du jeu (les points, les niveaux, les classements, les médailles) pour les ériger en élément principal, mais au final, le jeu en lui même n’a aucun intérêt.


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JEU ET CIVILITÉ La ludification permet également de faire adopter aux gens le bon comportement. Par exemple, le concours Big pipi à Amsterdam, qui propose de gagner des points en urinant dans des urinoirs connectés au lieu d’arroser le mobilier urbain et de générer une gêne olfactive. Ou la marque Nissan qui, dans sa dernière voiture électrique, propose au conducteur de gagner des points en évitant d’appuyer inutilement sur l’accélérateur. Le score affiché sur le tableau de bord peut être comparé avec d’autres automobilistes de la région ! (48) Toutefois, ces initiatives agissent sur les effets et non les causes. Elles encouragent plus à l’acquisition d’un réflexe qu’à la compréhension profonde des raisons pour lesquelles il importe de le faire. Que se passerait-il si le jeu disparaissait ? Les gens continueraient-ils à agir de la même manière ?

JEU ET CULTURE La ludification aide aussi à l’apprentissage culturel. On connaît l’adage : « mieux vaut apprendre en s’amusant ». Que ce soit dans les musées, les parcs d’attractions et dans les écoles, cette technique semble efficace. Des réalités augmentées relatives à l’apprentissage de la science, de l’histoire et d’autres domaines se sont aussi développées. Par exemple, le projet Imayana à Bordeaux, un parcours pédestre avec une tablette qui, d’une manière ludique, fait réapparaître la ville au 18eme siècle, anime les statues et les fait parler...

139. Tablette Imanaya à Bordeaux 140. Concours Big Pipi « Potje pissen » à Amsterdam


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D’une manière générale, les objets connectés remettent en question certaines dimensions morales. Tout le monde aime être encouragé et supporté, c’est ce que nous propose le coach ou le bracelet qui nous soutient et nous parle de nous. Prévenir des maladies et éviter certaines complications est bien sûr louable et utile. Mais ne risque-t-on pas de tomber dans une surveillance excessive, inutile et détournée de son but initial ou dans une obsession ego centrée, un nombrilisme mal placé (a-t-on vraiment besoin de connaître autant d’informations sur notre petit moi ?) ? La compétition, la performance, la comparaison permises par ces données chiffrées ou interprétées en termes d’émotions subjectives (humeur, bon sommeil, bonne forme...) sont-elles vraiment nécessaires ? La perte de nos instruments de mesure naturels ne va-t-elle pas jouer en notre défaveur ? Quelles seraient les conséquences de cette dépendance ? Ces questions ne m’ont pas quittées tout au long de l’élaboration de mon projet. Selon moi, tourner le dos en bloc au futur éviter ces dérives et concevoir un objet non connecté n’était pas la solution. J’ai donc décidé de réaliser un projet qui, tout en englobant ces nouvelles technologies, les réfutaient en partie. J’ai décidé d’éviter le chiffre, le record et la comparaison, ainsi que les encouragements moralistes. Quant à la ludification, tant qu’elle n’assimile pas l’humain à une machine de rendement, qu’elle ne le contrôle pas d’une manière infantilisante ou manipulatrice, tant qu’il n’y a pas de compétition et de points, pourquoi ne pas en utiliser les principes ? L’apprentissage par le jeu peut être une solution, les gens semblent y trouver du plaisir et si l’intérêt du jeu participe au bien être de la personne en toute conscience, pourquoi ne pas essayer ? De plus, dans le cadre de mon projet, le virtuel permettrait l’adaptabilité à l’utilisateur, le changements et la surprise (contrairement aux 10 rondins de bois toujours les mêmes).


LA VILLE

Comment intégrer un objet dans une ville ? Où s’arrête cette dernière et de quoi est-elle constituée ? Voici les questions que je me suis posées dans ce chapitre.


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LES ICÔNES DE LA VILLE : détourner les codes J’ai commencé ma recherche sur la ville par une question simple : qui a-t-il dans une ville ? Une ville, c’est tout d’abord des rues, c’est-à-dire des voies qui permettent la circulation piétonne et automobile. Il y a donc des routes et des trottoirs. « La fin du trottoir indique la fin de la ville, l’entrée dans les faubourgs, la banlieue... »(49) Ces rues sont bordées par les murs des constructions immobilières privées ou publiques ayant des activités diverses. Ces rues se croisent, s’élargissent, se rétrécissent, et créent des rondspoints, des places... Ces rues rencontrent des différences d’altitudes naturelles ou non et se muent en escaliers, en ponts, en tunnels... Donc, dans toutes les villes il y a des rues, des trottoirs, des murs, des places, des ponts et des escaliers. J’ai donc passé mon année à penser à ces éléments. Ces rues accueillent du mobilier urbain : des dispositifs privés ou publics offerts par la collectivité et ayant diverses fonctions pratiques(50). Il y a le mobilier de repos, de loisirs, de propreté de la ville, des supports de communication et d’information. Des objets relatifs à la circulation routière, aux transports en commun, à la végétation... Et des éclairages publics. Étant donné que je ne voulais pas dénaturer l’espace public, ni être intrusive, je cherchais une intervention simple, qui s’intègre le plus possible à son contexte. Une intervention qui le modifie subrepticement. Après m’être intéressée aux trottoirs et autres dallages pendant un temps, mon intérêt s’est finalement porté sur les lumières urbaines. On ne peut pas être plus immatériel que la lumière n’est-ce pas ? Mais avant de développer mon analyse des éclairages publics, il me semble important de définir ce qu’est l’espace public et quelles en sont les limites.


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LA FRONTIÈRE ENTRE L’ESPACE PRIVÉ ET L’ESPACE PUBLIC Dans « L’espace public », Thierry Paquot, un philosophe de l’urbain développe la nuance entre le singulier et le pluriel de l’espace public. Ce sont deux termes à la fois indissociables et inassimilables l’un et l’autre. L’espace public n’est pas géographique ou territorial, il évoque l’espace de communication. La communication sous-entendant « un échange quelconque de signes »(51), cet espace est donc le lieu d’expression, de confrontation, de circulation de divers points de vue privés, politiques, commerciaux... Les espaces publics sont quant à eux dans leur grande majorité délimités physiquement, localisés. Ce sont des espaces de circulation, des endroits accessibles au(x) public(s) comme les rues, les places, les parcs,...» bref, le réseau viaire et ses à-côtés qui permettent le libre mouvement de chacun, dans le double respect de l’accessibilité et de la gratuité. »(52) Mais où s’arrête cet espace public ? En réalité, la limite entre l’aspect privé et public peut être parfois très visible et parfois indiscernable. Ce n’est pas fixe et cela varie selon les langues, les cultures, les époques, les sexes et les âges. Depuis le développement de la modernité et de l’urbanisation, depuis « mai 68 », la libéralisation et par extension l’individualisation, la limite entre le privé et public s’est accentuée. Chacun reste chez soi et le temps est fini où l’on saluait son voisin assis sur une chaise sur le pas de sa porte. Les villes s’agrandissent, se rationalisent et deviennent plus fonctionnelles. Aujourd’hui, en Occident, depuis l’apparition du virtuel, l’opposition physique et géographique entre le privé et le public a disparu. Tout en restant dans sa sphère physique privée, bien délimitée, les téléphones portables et Internet permettent d’étaler son intimité en permanence au public. On peut traverser les espaces publics en tout anonymat, dans notre bulle privatisée et distanciée. La civilité selon Senett serait devenue « la valeur sociétale principale pour chaque individu plongé dans la civilisation urbaine ».(53) Toujours selon lui, « La civilité préserve l’autre du poids du moi ». J’imagine que Senett ne mentionne que les espaces publics, ou alors qu’il n’a pas Facebook. Il est donc difficile de définir la frontière entre public et privé, mais selon Thierry Paquot, « Plus l’individualité d’un sujet s’affirme, plus la distinction entre « privé » et « public » lui paraît essentielle. C’est à l’individu que revient en dernier lieu l’initiative de tracer la frontière entre ce qui lui paraît – selon sa propre échelle des valeurs - « privé » ou « public ». Cette frontière (…) fluctue au gré des intentions de l’individu (...) »(54) En conclusion, notre société prônant l’individu tient fortement à sa sphère privée physique. L’espace public virtuel s’est fortement inséré dans notre vie privée. Il semble que nous ayons désinvesti nos lieux communs. Mon projet tentera donc de bousculer ces codes. C’est-à-dire que l’espace public soit le moins envahissant possible dans le privé et que notre dimension physique investisse plus les espaces publics.


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Rencontre 9 : Clément Marchal Architecte urbaniste pour le contrat de quartier Reine-Progrès à Schaerbeek Novembre 2015


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Mon projet était peu précis à l’époque où j’ai rencontré Clément. Et je m’y connaissais si peu en matière de mobilier urbain et de règlements urbanistiques que mes questions étaient vraiment trop vastes et naïves : « qu’est-ce qu’on ne peut pas mettre en ville ? », « c’est quoi les normes les plus importantes ? »,... J’ai vite arrêté de le questionner par rapport à mon projet et je lui ai plutôt posé des questions sur le sien. Il m’a expliqué l’histoire du quartier Reine-Progrès, m’a montré des plans et des photos. Il m’a expliqué la philosophie du contrat de quartier, la manière dont ils y intervenaient, ce qu’ils mettaient et comptaient mettre en place pour revitaliser la zone un peu triste et délaissée tout en ne dénaturant pas le quartier non plus. Il m’a aussi signalé que plusieurs jeunes du quartier avaient demandé l’installation d’appareils d’entretien physique.


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Rencontre 10 : Maxence Pouillard Urbaniste Ă la voirie de Schaerbeek Mars 2015


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En cours d’année, beaucoup d’interrogations par rapport aux normes me tracassaient. Je voulais mon projet au cœur de la ville, mais était-ce possible ? Maxence Pouillard a pu répondre à mes questions. Il m’a aussi gentiment offert quelques bibles de normes, format pdf sur clé usb,... une lecture palpitante. En réalité à l’époque, j’avais 2 projets auxquels je croyais et que j’essayais tant bien que mal de lier ensemble. Une piste lumineuse et une piste caoutchouteuse. Monsieur Pouillard m’a indiqué les risques que comportait la deuxième et les éléments que j’allais devoir rajouter pour qu’elle réponde aux normes urbaines. La piste caoutchouteuse était donc plus dangereuse et encombrante, je n’allais pas pouvoir la mettre partout et je devrais en plus y rajouter des éléments encore plus encombrants à cause des normes. Le projet s’éloignait donc du contexte visé pour retourner vers les endroits habituels des parcours Vita. J’ai hésité, hésité et me suis lancée sur la piste lumineuse.


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INTÉGRER UN OBJET DANS LA VILLE: ménager ou aménager l'espace public ? Encore une fois, j’ai été influencée par le discours de Thierry Paquot sur la gestion des espaces publics. « L’urbanisme, ce moment occidental de concevoir et d’organiser la ville productiviste, ne répond plus à la situation actuelle. Il faut inventer un ménagement (…) des gens, des lieux et des choses, on en est loin ! »(55) Ménager veut dire « prendre soin ». Thierry Paquot invite à ménager l’espace public plutôt qu’à l’aménager. (56) « Humaniser les nationales sans trottoirs qui balafrent les banlieues, les rocades autoroutières qui paraissent infranchissables, les à-côtés des infrastructures routières et ferroviaires interdites aux passants, qu’il est possible d’intégrer à un plan d’ensemble des circulations. Plus généralement, ce sont les parvis et les abords des gares, des établissements scolaires et autres bâtiments publics (...) qui doivent être soignés, car ils témoignent auprès de chaque citadin de l’élémentaire décence que la république (res publica, la « chose public ») leur garantit. »(57) Mais qu’est-ce qu’humaniser une ville. La rendre plus humaine et donc pensée pour les humains ? C’est en tout cas ce que j’ai tenté de faire.

147. Les installations lumineuses d’aujourd’hui permettent encore de repérer les quartiers riches et pauvres, comme le montre la vue satellite du monde de nuit.


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L’ÉCLAIRAGE DES VILLES L’histoire de l’éclairage publique est vaste. Au-delà des techniques des sources et des luminaires, elle peut être résumée à une augmentation continue du nombre de points lumineux.* Déjà au Moyen Age, les villes étaient définies et qualifiées par leur nombre de « feux ».

*Il existe peu de données historiques sur l’évolution depuis le Moyen Age du nombre de points lumineux par habitant en ville comme sur l’accroissement du nombre total de point lumineux urbains sur la planète. A Paris, un peu avant 1789, on comptait un point lumineux pour 175 habitants (soit 3500 réverbères pour 613 000 habitants). Aujourd’hui on en compte un pour 12 habitants (soit 185 000 points lumineux pour 2 233 000 habitants) (51)


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DU FONCTIONNALISME ROUTIER AU COMMERCE ET AU TOURISME ÉVÉNEMENTIEL La sécurité nocturne des déplacements pédestres, la protection des biens et des personnes ont été à l’origine du développement des éclairages publics. Mais c’est l’utilisation de plus en plus intensive de la voiture, à partir des années 50 qui influence fortement l’évolution de l’éclairage public. Ce souci de sécurité routière engendre une vision très fonctionnaliste qui est encore visible à ce jour : développement des normes photométriques, des systèmes d’éclairage hiérarchisés, des sources à décharge au sodium de plus en plus efficaces et puissantes. Cet accroissement lumineux en ville s’est fortement accéléré depuis quelques décennies et n’a pas encore été ralenti (ou peu) malgré les évolutions technologiques qui pourraient notamment régler des problèmes écologiques. Des villes ont néanmoins commencé à mettre en place une reconstruction de leurs éclairages et des plans-climat réduisant les consommations énergétiques et autres. Mais à côté de cela, les villes, se sont aussi mises à la recherche d’originalité afin d’être médiatisées et d’attirer les visiteurs et les investisseurs économiques. Les illuminations événementielles sont apparues, en particulier sous l’impulsion du Plan lumière de la Ville de Lyon (initié en 1989). On assiste de plus en plus à un mouvement de théâtralisation de la ville qui, progressivement, est embellie, enluminée et dont les monuments et façades sont maquillés, ainsi même que les arbres, ce qui pour certaines espèces les empêcherait de se développer et les fragiliserait. Révéler les particularités de l’identité diurne d’une ville permet ainsi les visites nocturnes. Et donc de garder les touristes plus longtemps. Un autre type d’éclairage est aussi fortement présent : l’éclairage publicitaire. Les magasins affichent des enseignes lumineuses qui restent souvent éclairées même lors de leur fermeture. Plus récemment, les grandes tours privées et commerciales ont aussi revêtu des robes lumineuses séductrices, histoire qu’on en rêve même la nuit.

150. Fête de lumières à Lyon 151. Kownloon, Hong Kong


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VERS UN ÉCLAIRAGE QUOTIDIEN ET PÉDESTRE ? A ce stade de ma réflexion, alors que je songeais de plus en plus à concevoir une piste d’activité physique lumineuse, je me demandais si, au lieu d’utiliser l’éclairage public pour nous guider d’une manière fonctionnelle et rectiligne vers notre destination, on ne pourrait aussi installer des luminaires qui nous dévieraient de notre route et nos habitudes. Un éclairage qui nous ferait arpenter les paysages urbains autrement. Un éclairage tellement pensé pour les piétons, qu’ils pourraient l’allumer à leur guise, s’ils le désirent. Voilà quelle était l’ambition de mon projet. Mais cette manière de voir n’a pas encore fait son chemin. A part pour les événements occasionnels et touristiques, l’éclairage public est encore considéré par les élus comme une contrainte à mettre en œuvre dans une optique gestionnaire et sécuritaire. On se préoccupe peu des piétons circulant et habitant dans ces villes toute l’année. Le design des luminaires publics a été peu remis en question depuis leur apparition. Il évolue très lentement, se renouvelant généralement tous les 30 ou 50 ans voire plus. L’omniprésence de la voiture et les besoins qu’engendre sa circulation uniformise les images nocturnes des réseaux viaires. La couleur de la lumière de l’éclairage public, dépendante des complexités technologiques des lampes, a toujours été imposée par les fabricants et laisse donc peu de choix. Roger Narboni, concepteur lumière et auteur de « Les éclairages de villes. Vers un urbanisme nocturne » y écrit : « L’absence d’études sur l’éclairage urbain dans ces réflexions en cours sur la géographie de la nuit est par contraste significative de la déficience de la pensée actuelle sur l’urbanisme nocturne. C’est comme si tout se qui ce passe aujourd’hui la nuit dans les villes et notamment l’augmentation des désordres et des conflits constatés, était indépendant du décor lumineux alors que l’occupation nocturne de l’espace public, les usages qui s’y développent dépendent aussi de l’éclairage public, de sa présence, de sa répartition dans l’espace, de son niveau d’intensité, des effets lumineux produits et de ses qualités ».(58) L’auteur encourage à des mises en lumière des équipements de proximité (crèche, école, bibliothèque,...) moins coûteuses et plus proches des préoccupations quotidiennes des citadins(59). Selon lui, l’éclairage dans l’espace public pourrait participer à améliorer la vie nocturne et l’appropriation de l’espace public par les citadins et « autoriser des rythmes différents en ville. »

152. Lampadaires connectés dans la ville de Lemgo, Allemagne


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Des thèmes nouveaux commencent tout de même à apparaître. La sécurité des cyclistes, les éclairages indirects ou à deux nappes de hauteur pour les piétons se développent. Les objets connectés, je l’ai déjà signalé, sont partout ! Il existe donc tout naturellement des lumières connectées. La ville d’Oslo a mis en place une technologie interactive de détection des véhicules, éclairant la rue selon, l’affluence, la luminosité ou d’autres paramètres définis par la ville. En 2 à 3 ans, ce système contribuerait à une réduction de la consommation électrique de près de 70 %. En Allemagne, la ville de Lemgo (43 000 habitants) permet à ses habitants de déclencher l’éclairage public à l’aide de leur téléphone fixe ou mobile. L’éclairage de la rue reste allumé de 10 à 15 minutes et s’arrête quand personne n’en a l’usage.


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Rencontre 11 : Vincent Van Melderen IngÊnieur lumière Avril 2015


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J’ai rencontré Vincent à une étape un peu stressante du projet. En effet, j’avais énormément de doutes sur la faisabilité diurne de celui-ci, et j’avais enfin décidé d’être « éclairée » par un spécialiste. Je lui ai posé toutes mes questions, photos à l’appui : « et ça c’est quel type de lumière ? Et ça(...) ». Je lui ai présenté le projet et nous avons étayé toutes les possibilités techniques réalisables, comparé les prix, les dimensions, la qualité, le type de lumière idéal et adéquat. Après une heure et demi de discussion je suis ressortie avec 12 ou 13 kilos de tracas en moins dans mon cerveau.


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CONCLUSION

Alors que nous vivons dans une société de plus en plus urbaine, tertiaire, sédentaire, mais tout à la fois hyperactive, virtuelle, s’entretenir physiquement est devenu une nécessité, une recommandation médicale, pour certains un credo, une loi, souvent un business... Or cet entretien physique est aujourd’hui principalement axé autour du sport et de la performance physique. Les bienfaits de la proprioception, des étirements et l’exploration de l’amplitude articulaire sont peu connus et peu pratiqués en dehors des cabinets de kinésithérapeutes. Comment leur donner une nouvelle visibilité ? Comment leur créer de nouveaux cadres ? Ma réponse a été de tenter de profiter de notre mobilité pédestre quotidienne et urbaine pour réactiver autrement ces pratiques méconnues. S’agissait-il dès lors de créer un nouvel objet ? La ville en soi n’est-elle pas suffisante - et plus intéressante - pour s’exercer ? C’est ce dont témoigne notamment le succès grandissant des streetsports (street golf, Parkour, street workout...). D’autre part, un objet figé crée un ou plusieurs gestes arrêtés... Or le développement des applications virtuelles nous permettent aujourd’hui de décupler les possibilités d’exercices... Mieux, elles permettent aussi une plus grande déclinaison des cibles : exercices ajustés aux différents types d’utilisateurs, leurs besoins, leurs envies, sans jamais avoir à modifier l’objet... Leur présence dans le projet et les opportunités était incontournables. Cependant, l’exigence de promouvoir l’activité physique en dehors du strict cadre sportif m’a amené à appréhender la connectivité en évitant la dimension statistique, le monitoring extrême - qui confine souvent à la surveillance - ou encore à l’enregistrement systématique des mouvements accomplis. J’ai veillé à ce que le projet n’intègre pas la comparaison, la compétition, les chiffres et les records. C’est un parti pris. Enfin, jusqu’où rendre l’intégration urbaine de cet objet la plus discrète, la moins invasive ? Si tous les exercices physiques développés ici sont pensés comme une extension de la marche quotidienne - on dévie du sens de la marche pour « délier » le corps momentanément - l’objet ou les objets devaient à mon sens avoir cette même force de reconversion au quotidien. C’est pourquoi j’ai décidé de travailler sur l’interaction du corps avec la lumière, plus précisément les lumières de la ville. Quelle est la nature de ces lumières ? Comment rythment-elles le quotidien ? Plutôt que d’utiliser l’éclairage public pour permettre aux gens de rentrer chez eux de manière rectiligne, l’intention de mon projet aura été d’utiliser cette même lumière pour offrir la possibilité aux piétons de dévier de leur route et donc de leur routine physique habituelle. A condition bien sûr qu’ils décident de rentrer en contact avec elle, de jouer avec elle, bref de l’allumer. Ce sont les détails de cette interaction que je propose de développer lors de mon jury.


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REMERCIEMENTS

Je remercie et re-remercie: -Pour leurs conseils et/ou réalisations d’experts, leur investissement, leur grande gentillesse (...) : Alex Cullen, vidéaste Ann-Catherine Waeterloos, kinésithérapeute Camila Guzman, graphiste Clément Marchal, architecte et urbaniste Colette Huberty, historienne Christophe Antheunissens, Kinésitherapeute Fabien Delattre, designer d’animation Giampiero Pitisci, professeur à la Cambre Jack Vincent, ingénieur lumière Jean Paternotte, professeur à la Cambre Marion Beernaerts, professeure à la Cambre Maxence Pouillard, urbaniste Maxim Goossens, graphiste Mercedes Dassy, danseuse Olivier Mathieu, ingénieur éléctro-mécanique Vassiliki Méla, professeure d’éducation physique Valentine Yannopoulos, danseuse Vincent Van Melderen, ingénieur lumière -Pour leurs encouragements, inspirations et conseils, affection, prêt de voiture, repas délicieux et doggy bag, (...): Andrée Vanderoost Colette Huberty François et Anne Guillaume Mauricette et Marcella Fievez Nicole Godfrin Thomas Vancrayenest


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