Le francais dans le monde 404

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le français dans le monde

REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

// ÉPOQUE // N°404 mars-avril 2016

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Val d’aoste, l’ Italie à la française Frédéric Chau, un acteur entre France et Asie

// MÉTIER //

Dienke, une vie de prof aux Pays-Bas r iv-fcomte.f

L’approche par compétence pour les temps verbaux en Algérie

mars-avril 2016 LES NOUVEAUX ENJEUX DU TOURISME LINGUISTIQUE

LES NOUVEAUX ENJEUX DU TOURISME LINGUISTIQUE // MÉMO //

FIPF

9 782090 370973

// DOSSIER //

N°404

ISSN 0015-9395 9782090370973

-

UNIVERSITE D’ETE 2016 | BESANCON

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Enseigner le français autrement

Photos © L. Godard - UFC et © E. EME – Grand Besançon

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Ryoko Sekiguchi, pont littéraire entre la France et le Japon

L’ Afrique du film d’animation Adama



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numéro 404

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tions complémentaires aux articles parus dans la revue, des prolongements pédagogiques au dossier… Téléchargez le PDF complet des derniers numéros de la revue. Fiches pédagogiques ■ Les fiches pédagogiques en téléchargement : des démarches d’exploitation d’articles parus dans Le français dans le monde et produits en partenariat avec l’Alliance française de Paris - Île-de-France. Dans les pages de la revue, le pictogramme « Fiche pédagogique à télécharger » permet de repérer les articles exploités dans une fiche.

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TOURISME

VALLÉE D’AOSTE : L’ITALIE EN FRANÇAIS ÉPOQUE

08. Portrait

One man Chau

10. Tourisme

Vallée de l’Aoste : l’Italie en français

12. Tendance

Comme sur des roulettes

13. Sport

Les bienfaits du star-système

14. Idées

« La réception d’un film est toujours une interprétation »

16. Témoignage

Abonné(e) à la version numérique Tous les suppléments pédagogiques sont directement accessibles à partir de votre édition numérique de la revue : n

liquez sur le picto « fiche péC dagogique » sur les pages lors de la lecture pour télécharger la fiche d’exploitation de l’article en question.

n Rendez-vous directement sur les

pages « À écouter » et « À voir » : cliquez sur le nom des artistes ou des œuvres pour visionner les vidéos ou les bandes annonces des films.

n Cliquez sur les

liens ci-dessous pour télécharger les reportages audio et leur transcription.

Pierre Boulez, la musique en partage

17. Médias

Humoristes (en ligne) : chacun cherche son studio

18. Langue

« L’Abilang, un mécanisme mental irrésistible »

20. Métiers des langues Guide-conférencier

21. Mot à mot

Dites-moi Professeur

MÉTIER

24. Réseaux

DANS VOTRE ESPACE ABONNÉ SUR FDLM.ORG LES REPORTAGES AUDIO - Environnement : l’accord mondial de la COP21 pour sauver la planète - Micro-trottoir : « rencontrer » - Santé : la e-santé en pleine expansion - Patrimoine : pourquoi les pays sont-ils représentés par des drapeaux ?

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26. Vie de prof

« Les ados ne sont pas toujours faciles » DES FICHES PÉDAGOGIQUES POUR EXPLOITER LES ARTICLES - Portrait : One man Chau - Poésie : Le chant des villes - BD : Si on causait ? -M anières de classe : Mots et images d’une ville - Mnémo : L’incroyable histoire de la cédille

28. FLE en France

Nouvelles perspectives pour une intégration réussie

30. Expérience

La culture dans les manuels de FLE

32. Manières de classe

Mots et images d’une ville : lire et dire Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016


Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

Approche par compétences et apprentissage des temps verbaux

36. Évaluation

Ev@lang, le nouveau test de langue du CIEP

38. Que dire, que faire ?

Comment enseigner les temps du passé ?

40. Zoom

Les langues parlent d’une même voix : l’apport du CECR

42. Innovation

RFI Savoirs : comprendre, enseigner et participer

44. Ressources

MÉMO

60. À écouter 62. À lire 66. À voir

édito

INTERLUDES 06. Graphe Rencontrer

22. Poésie

Andrée Chedid : « Le Chant des villes »

46. En scène !

Pourquoi ci, pourquoi ça ?

58. BD

Les Noeils : Si on causait ?

48 DOSSIER

LES NOUVEAUX ENJEUX DU TOURISME LINGUISTIQUE « Le français devient un produit touristique »..................................................... 50 Bordeaux : le vin sur le bout de la langue............................................................ 52 Usages linguistiques et savoirs culturels............................................................. 54 « Amener les étudiants à construire par eux-mêmes un projet » ......................... 56

OUTILS 68. Jeux

Boggle & mots cachés

69. Mnémo

L’incroyable histoire de la cédille

70. Quiz

« Habitants » de la langue française

71. Test

Questions interrogations

73. Fiche pédagogique L’art de la table français, patrimoine de l’Unesco

75. Fiche pédagogique

Un séjour linguistique en France ? Bonne idée !

78. Fiche pédagogique

« Je me souviens », de Lara Fabian

Si complexe circonflexe

E

n cette fin d’hiver, un grand hebdomadaire français posait la question en couverture : « Pourquoi l’orthographe nous rend fous ». L’affaire revient en effet sur le tapis en France alors qu’une modeste réforme vieille d’un quart de siècle vient modifier à la marge, et en option, la graphie d’une poignée de mots, une réforme des accents circonflexes et des traits d’union. Haut-lecœur et cris d’effroi dans l’Hexagone : « C’est le français qu’on assassine ! » Au nom d’une certaine poésie et d’un glorieux passé, il faudrait pour beaucoup conserver notre langue comme dans un musée et ne surtout pas y toucher. Les Français entretiennent un rapport à la norme épidermique, en particulier concernant « leur » langue. Pourtant, une vaste et ambitieuse réforme de l’orthographe, comme il y en a eu de nombreuses dans l’histoire du français, viendrait utilement désacraliser cette langue écrite que tout un chacun a bien du mal à appréhender, malgré les milliers d’heures passées sur les bancs de l’école pour la maîtriser. Plus simple à apprendre, la langue française n’en deviendrait que plus agréable à enseigner. n Sébastien Langevin

© Stéphane Beaujean

34. Savoir-faire

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel–Hovelacque – 75013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 / Fax : 33 (0) 1 45 87 43 18 • Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 / Fax : 33 (0) 1 40 94 22 32 • Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin • Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur • Secrétaire de rédaction Clément Balta • Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com • Commission paritaire : 0417T81661. 55e année. Imprimé par Imprimeries de Champagne (52000) • Comité de rédaction Michel Boiron, Christophe Chaillot, Franck Desroches, Manuela Ferreira Pinto, Isabelle Gruca, Chantal Parpette, Gérard Ribot, Pascale de Schuyter Hualpa • Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de Mme Michaëlle Jean, Secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie : Laurent Galissot (MAE), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Franck Desroches (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Évelyne Pâquier (TV5MONDE), Loïc Depecker (DGLFLF), Imma Tor (OIF), Nadine Prost (MEN), Fabienne Lallement (FIPF), Lidwien Van Dixhoorn (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

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GRAPHE

© Fotoschlick – Fotolia.com

INTERLUDE |

« Celui qui se donne la mort est une victime qui rencontre son bourreau et le tue. » Alexandre Dumas fils

Rencontrer « J’ai rencontré la poésie, elle avait un air bien prétentieux / Elle prétendait qu’avec les mots on pouvait traverser les cieux » Grand Corps Malade, « Rencontres »

Le plus audio sur WWW.FDLM.ORG espace abonnés

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« On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu’on prend pour l’éviter. » Jean de La Fontaine, « L’Horoscope »

« Rien de plus agréable à rencontrer que plus faible que soi. » Alice Parizeau, Survivre Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016


« J’ai eu la chance de rencontrer l’art parce que j’avais, sur un plan psychique, tout ce qu’il fallait pour devenir une terroriste. » Niki de Saint Phalle

« Dans la lecture solitaire, l’homme qui se cherche lui-même a quelque chance de se rencontrer. » Georges Duhamel, Défense des lettres

« J’ai beau chercher la vérité dans les masses, je ne la rencontre que dans les individus. » Eugène Delacroix, Journal

« Il ne nous est pas donné de nous substituer à autrui. De le rencontrer parfois, seulement, à la faveur d’une coïncidence fragile... » Martine Le Coz, Céleste Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

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© Sarah Nuyten

ÉPOQUE | portrait C’est un acteur dont la carrière et l’identité ont mis du temps à se construire. Fils d’immigrés chinois, Frédéric Chau a connu les discriminations et les moqueries. Et c’est paradoxalement son rôle dans Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, une comédie à succès jouant sur les préjugés raciaux, qui l’a révélé au grand public. Rencontre. PAR SARAH NUYTEN

ONE MAN CHAU

FICHE PÉDAGOGIQUE téléchargeable sur WWW.FDLM.ORG

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Quand j’étais gamin, mon père m’a offert un dictionnaire en me disant : “Ce n’est pas parce qu’on ne parle pas bien français que cela doit t’empêcher de t’améliorer”. Ce dico est devenu mon meilleur ami. Dès que je ne comprenais pas un mot, je l’ouvrais. Le problème, c’est que dans la définition il y avait souvent d’autres mots que je ne connaissais pas. C’était sans fin. » C’est avec un mélange d’humour et de tendresse que Frédéric Chau raconte ce souvenir. Certaines choses n’ont pas changé : à 38 ans, le comédien, « venu très tard à la culture », ne supporte toujours pas de ne pas savoir. Un complexe d’infériorité intimement lié à son histoire personnelle. Frédéric Chau est français, né au Viêtnam de parents chinois, euxmêmes originaires du Cambodge. Il a six mois lorsque sa famille arrive à Paris, avant de s’installer en ban-

lieue. Changement de vie radical et déclassement social douloureux pour cette famille issue de la grande bourgeoisie chinoise. Avant d’être chassés de Phnom Penh par les Khmers rouges, fuyant ainsi l’un des plus grands massacres du xxe siècle, le père de Frédéric travaillait dans l’import-export. « Il parle cinq langues asiatiques, ma mère quatre, mais pour subvenir à nos besoins en France, ils n’ont pas eu d’autres choix que d’avoir des boulots de merde », lâche l’acteur.

« Mes parents, ne parlant pas le français, exhortent leurs enfants à s’intégrer – mission pas si facile pour moi qui enrage d’être traité de “Chinetoque” dans la cour de l’école »

Se fondre dans la masse

« Eux, qui ne parlent pas le français, exhortent leurs enfants à s’intégrer – mission pas si facile pour moi qui enrage d’être traité de “Chinetoque” dans la cour de l’école », écrit Frédéric Chau dans son livre Je viens de si loin, paru en septembre 2015. « Alors, une fois passée la porte de notre appartement, je fais tout pour me fondre dans la masse. Je deviens le Chinois qui joue bien au basket, sait manier la tchatche et fredonne du hip-hop. » Ado, son moteur est la rage. Et sa façon d’exister « au-delà de (son) physique d’Asiatique », le mimétisme : « Je m’accaparais les identités, confie-t-il, citant le film Le Talentueux Mr. Ripley. Ce n’est pas anodin si je fais ce métier là aujourd’hui. » Pendant longtemps, Frédéric Chau a rejeté ses racines, avec une idée en tête : quitter la banlieue et, surtout, ne pas avoir la même vie que ses parents. Aîné

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016


Extrait du film Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, avec Ary Abittan et Medi Sadoun (de gauche à droite).

de trois enfants, il a reçu une éducation stricte : ses parents le rêvent ingénieur. Lui choisit de parcourir le monde. Engagé comme steward chez Air France, il s’ouvre au voyage. Un amour qui ne le quittera plus. À 26 ans, Frédéric découvre un pan fondamental de son histoire familiale : ses parents sont rescapés du génocide cambodgien. Un choc. « J’ai eu soif de connaître cette histoire, mon histoire. De ressentir mes

terres, mes origines : je suis parti au Cambodge. » Ses parents, eux, ne veulent plus jamais y remettre les pieds. Aujourd’hui, il continue à assouvir sa soif d’ailleurs en s’envolant aux quatre coins du monde au moins une fois par an. Lors de notre rencontre, sa peau est brunie par le soleil : il revient de Thaïlande. L’été dernier, il est parti en Birmanie en sac à dos, loin de tout.

Le poids des mots

Frédéric Chau le sait, les paroles frappent aussi forts que les poings. « Ne pas pouvoir s’exprimer, c’est comme être enfermé », juge-t-il, en référence à son père et aux insultes racistes que ce dernier a dû encaisser sans pouvoir y répondre, faute de mots. Ces mots avec lesquels Frédéric joue depuis ses débuts sur scène, dans les cafés théâtres parisiens, puis au sein du Jamel Comedy Club, l’émission de l’humoriste Jamel Debbouze qui a révélé plusieurs jeunes talents. En 2014, il incarne Chao, le gendre asiatique de Christian Clavier, dans la comédie à succès Qu’est ce qu’on a fait au Bon Dieu ? et se fait connaître auprès du grand public. Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

Entretemps, le jeune garçon en colère a mûri. Peut-être parce qu’il a trouvé les mots. Frédéric parle français, chinois, anglais. « Et espagnol, mais uniquement sous la torture », s’amuse-t-il. Le français reste sa petite favorite : « Je trouve cette langue très belle. Elle est aussi très complexe, mais cela fait partie de son charme. Quand je suis à l’étranger et que je dis que je suis français, les gens sont d’abord étonnés, vu ma

Paradoxalement, poser des mots sur l’histoire familiale a pourtant resserré les liens entre ses membres, « comme si les choses étaient enfin dites » tête, mais ils sont surtout très curieux : où qu’on aille dans le monde, la France a une aura très forte. » Frédéric Chau est aujourd’hui un homme apaisé, qui a compris que ses origines étaient une richesse plutôt qu’un fardeau. « Je suis avant tout français, explique-t-il posément.

Mais une énorme partie de ma culture asiatique est également ancrée en moi. Je l’ai longtemps rejetée, mais elle a rejailli. Désormais, j’ai conscience que tout ce qui m’est arrivé de bien est lié à mes racines. » C’est le long cheminement vers l’acceptation de cette identité plurielle qu’il a voulu raconter dans son autobiographie. L’écriture a eu sur lui le même effet qu’une thérapie. Bien que ses parents ne parlent toujours pas bien français, ils sont fiers de ce livre. « Mon père ne l’a pas lu, mais il a eu beaucoup d’échos. Ma mère est encore en train d’essayer de le lire, avec son petit dictionnaire français-chinois. Dans ma culture, le seul moyen de communication est la non-communication. On ne se dit pas les choses, même en cas de problème, on ne se dit pas “je t’aime”, on n’est pas tactiles. » Paradoxalement, poser des mots sur l’histoire familiale a pourtant resserré les liens entre ses membres, « comme si les choses étaient enfin dites ». Ses prochains projets : un film, Made in China, une comédie sociale sur les Chinois de Paris, dont il a écrit le scénario. Et, peut-être, l’adaptation de son livre en film. Frédéric Chau y interpréterait le rôle de son père, son « héros ».n

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ÉPOQUE | TOURISME Le mont Cervin.

L’ITALIE EN FRANÇAIS

La Vallée d’Aoste, ou Val d’Aoste, située au nord-ouest de l’Italie, est une région alpine autonome qui partage des frontières avec la France et la Suisse. Nichée au cœur des Alpes, c’est le territoire le moins peuplé de la Botte, avec environ 130 000 habitants, dont un tiers à Aoste et dans ses environs. Située à l’intersection des axes militaires et commerciaux stratégiques entre la France, la Suisse et l’Italie, cette ancienne colonie romaine a fait partie du royaume des Francs, de l’empire carolingien et du royaume de Bourgogne, puis des États de Savoie avant son intégration à l’Italie en 1860. Son affinité linguistique avec la France et la Suisse romande perdure : l’Italie reconnaît aujourd’hui encore le statut de langue officielle au français aux côtés de l’italien. Zoom sur une région profondément montagnarde à l’identité marquée. PAR SARAH NUYTEN

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ÉCONOMIE

« LA MONTAGNE FAÇONNE NOTRE IDENTITÉ » Angelo Missana, Le mont Cervin guide de haute montagne.

DR

© Enrico Romanzi

VALLÉE DE L’AOSTE :

Ski alpin, snowboard, hors-piste, ski de fond, raquettes ou patinage : la Vallée d’Aoste est le paradis des amoureux de la montagne. La région dénombre 23 stations de ski, 800 kilomètres de pistes et des sommets parmi les plus célèbres : le mont Blanc (4 810 m), le mont Rose (4 634 m), le Cervin (4 478 m) et le Grand Paradis (4 061 m), le seul à être entièrement en Italie. Angelo Missana connaît ces cimes par cœur. Il avait 16 ans lorsqu’il a gravi le sommet du mont Blanc pour la première fois, avec son père, alors instructeur

d’alpinisme dans l’armée. La neige et les ascensions ont toujours fait partie de la vie de ce Valdôtain : devenir guide de haute montagne était pour lui une évidence. « L’économie du Val d’Aoste repose principalement sur le tourisme et s’il y a des touristes, c’est parce qu’il y a les montagnes, explique-t-il. La montagne est l’atout de notre région, mais façonne aussi notre identité : nos traditions, la forme de nos routes, nos loisirs, jusqu’au caractère des gens. » Chaque année, Angelo guide des dizaines de particuliers amateurs de hors-piste, des habitués en quête de renouveau, mais aussi des écrivains ou des photographes qui souhaitent s’aventurer sur les cimes, en mal d’inspiration. Parmi ces massifs, le guide reconnaît au Cervin une place toute particulière. « C’est la montagne que les enfants dessinent d’un train de crayon, résume-t-il. Une pyramide presque parfaite. C’est aussi un sommet chargé d’histoire : chaque endroit a un nom qui évoque les étapes de sa conquête par les alpinistes. Son ascension est toujours un défi, qui demande beaucoup de temps et d’énergie. » n

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LANGUE Le fort de Bard, construit au début du xixe siècle.

UN BILINGUISME FLOTTANT

© Enrico Romanzi

La Vallée d’Aoste est la première administration du monde à avoir employé le français comme langue officielle : c’était en 1536, trois ans avant la France. Au départ, cette langue est surtout employée au sein de la noblesse. « L’action de l’Église a été déterminante pour l’implantation de la langue française au sein de la population, explique Omar Borettaz, guide touristique et historien. À partir du xvii e siècle, le français devient la langue des écoles et se diffuse. » Jusqu’au xxe siècle, c’est la seule langue des Valdôtains, aux côtés du patois franco-provençal pour la communication orale. L’avènement du fascisme italien change la donne : « Le fascisme a voulu effacer toute trace de francophonie dans la région, des actes publics aux panneaux routiers en passant par l’école », poursuit l’historien. La fin de la guerre signe celle de l’italianisation systématique. L’État octroie à la Vallée d’Aoste l’autonomie administrative et instaure le bilinguisme. Les institutions locales

tentent de réintroduire le français auprès de la population, le patois franco-provençal n’ayant jamais disparu des communautés rurales. Un semi-échec. Si la majorité des Valdôtains sont aujourd’hui à même de comprendre leur langue historique et, pour certains, de s’exprimer en français, dans la pratique l’italien est la langue la plus commune. « De nos jours, le français est la langue maternelle d’une petite minorité de la population valdôtaine, explique Saverio Favre, du Bureau régional pour l’ethnologie et la linguistique de la Vallée d’Aoste. Si la région reste officiellement bilingue, il s’agit plus d’une affirmation identitaire que d’une réalité. L’usage du français est limité au niveau institutionnel. La signalisation routière demeure bilingue, mais les émissions francophones par exemple sont rares, que ce soit à la télévision ou à la radio. Désormais, les milieux francophones de la Vallée d’Aoste sont ceux qui traitent d’histoire et de traditions. » n

TRADITION Découpe du jambon de Bosses.

C’est un petit village aux bâtisses traditionnelles, niché dans une cuvette, à 1 600 mètres d’altitude. Saint-Rhémy-en-Bosses, hameau alpin de la haute vallée du GrandSaint-Bernard, 380 habitants à peine et une vedette : le jambon de Bosses. C’est ici que, depuis 1397, on affine un jambon d’exception selon un procédé séculaire, perpétuant une tradition édifiée par une communauté de chanoines… « Nous tenons à ce que les méthodes de production restent artisanales, afin de conserver l’esprit et la qualité de notre jambon », explique Alessandro Tibaldi, cofondateur de la société De Bosses, la seule à pro-

© Enrico Romanzi

LE VÉRITABLE JAMBON D’AOSTE

duire cette charcuterie de renom. « Le jambon est préparé avec des cuisses de porcs nés, élevés et abattus dans les régions de la Vallée d’Aoste, du Piémont, de la Lombardie, de la

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Vénétie ou de l’Émilie-Romagne, et répondant à un cahier des charges très strict », poursuit-il. La viande est salée à sec, avec un mélange de sel marin, d’ail haché, de sauge, de ro-

marin, de poivre et de diverses baies locales. La période d’affinage dure ensuite au moins un an, « sur un lit de foin qui donne au jambon une saveur incomparable », précise Alessandro. Le climat sec de Saint-Rhémy-en-Bosses, son exposition particulière et le croisement des flux d’air qui descendent des cols alentours créent un environnement idéal pour la maturation de la viande. En juillet 1996, le « Vallée d’Aoste Jambon de Bosses » a obtenu l’Appellation d’origine protégée (AOP), qui le distingue notamment de ses plagiaires industriels. L’année dernière, 5 000 jambons ont été produits par la petite entreprise d’Alessandro Tibaldi, qui a fait le choix de la qualité plutôt que de la quantité. n

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COMME SUR DES ROULETTES « Volez, voguez, voyagez ». Louis Vuitton, le malletier le plus célèbre du monde, reconnaîtrait-il sa création dans ces valises devenues aussi diversifiées que connectées ? Enquête. PAR JEAN-JACQUES PAUBEL

V

oyages d’affaires de plus en plus courts, vols low cost, prolifération de seniors argentés et préposés au temps libre ont fait du globetrotteur un voyageur à géométrie variable 365 jours sur 365. Et donc de sa valise, un compagnon de voyage assidu. D’où l’attention toute particulière qu’on lui prête et que lui portent les marques pour la rendre toujours plus désirable et toujours plus fréquentable.

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Côté voyageur ou passager, quand ils parlent d’elle, les mots qui reviennent le plus souvent sont « solide, robuste, colorée, différenciée, pratique ». Côté marques, on prome(u)t « diversité, souplesse, légèreté et praticité ». Quant aux compagnies d’aviation, elles insistent sur la taille et le poids sans pour autant avoir les mêmes références et les mêmes exigences. Ici, c’est « deux poids, deux mesures », si l’on peut dire. Avec 1,13 milliard de touristes qui se servent d’au moins un bagage pour partir en voyage, l’expression paraît qui plus est bien dérisoire… Si, comme en convient le directeur France de Samsonite, « la valise reste un objet fonctionnel », il s’empresse néanmoins d’ajouter qu’ici

« Si la valise reste un objet fonctionnel, elle s’est aussi chargée d’éléments émotionnels »

« elle s’est chargée d’éléments émotionnels ». Ainsi, chacun a la sienne ou les siennes, celle qu’il met en soute et celle qu’il garde avec soi en cabine ; plus encore, d’objet masculin (lié aux obligations civiles, professionnelles et militaires), elle est devenue un objet féminin. Ce qui change tout : avec les femmes, la valise « appartient désormais au secteur de la mode », devient « une affaire de style et de modèle ».

Le dernier portable à la mode

Impératif pour les marques : la valise doit être séduisante. D’où l’attention portée aux couleurs (vives de préférence), à la matière (l’utilisation du vinyle, l’aluminium rainuré), au poids (le poids moyen des valises a baissé de 50 % en à peine dix ans), à la maniabilité (quatre roues sinon rien !). Mais certaines marques vont encore plus loin dans la personnalisation : ainsi Calibag vous propose sur son site de « créer votre valise vous-même en trois temps : un, je choisis la taille ; deux,

je choisis la couleur ; trois, je choisis le visuel qui habillera ma valise ». Quant à Emmanuelle Coppinger (Dandy Nomad), avec Bag on Bag elle a inventé, à l’instar des coques qui habillent les portables, « une seconde peau qui, au fil des saisons et au gré de la mode, vous donne du style, offre un nouveau look casual chic », entendez emmailloter votre valise avec une housse adaptable qui la personnalise. Avec 2 millions de valises vendues chaque année, faire la différence s’impose. Objet désormais à l’image de son propriétaire, la valise contient aussi, toutes proportions gardées, sa vie en miniature. D’où l’angoisse de la perdre et son entrée naturelle dans l’univers des objets connectés. La marque Delsey a ainsi demandé à ses clients de classer sur Internet les applications qui leur paraîtraient les plus pertinentes. Résultat du vote des sept mille internautes : le pèse-bagage, l’empreinte digitale et la puce de géolocalisation. Au fait, c’est quoi un portable : un téléphone ou une valise ? n

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

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ÉPOQUE | TENDANCE


ÉPOQUE |SPORT

nard.

Le nageur Alain Ber

La basketteuse Emmel

ine Ndongue et Marie-J

LES BIENFAITS DU STAR-SYSTÈME

Q

PAR CLÉMENT BALTA

uel événement – hormis les jeux Olympiques – peut se targuer de réunir des champions comme Marie-José Pérec, Alain Bernard ou Jason Lamy-Chappuis ? C’est pourtant ce petit miracle qu’accomplissent depuis 2002 les Étoiles du sport. Durant une semaine, en décembre, une vingtaine d’athlètes patentés se rendent dans la station de ski française La Plagne avec un seul un mot d’ordre : la transmission. Comment cela ? En s’associant à de jeunes espoirs de leurs disciplines respectives. Chaque tandem s’affronte ensuite dans les différents sports représentés lors d’épreuves physiques et ludiques. Puis un jury élit « l’étoile », celle des premières neiges mais surtout de demain. Nombre d’entre elles ne furent d’ailleurs pas filantes, puisque le biath-

lète Martin Fourcade, le footballeur Mathieu Debuchy, ou encore le navigateur Armel le Cléac’h furent eux aussi de jeunes « filleuls ». Quel est donc l’objectif de cette singulière entreprise de parrainage sportif ? Pour les deux fondateurs Sébastien Foucras, vice-champion olympique de ski acrobatique en 1998, et son ancien entraîneur Benoît Eycken, il s’est d’abord agi de trouver « un moyen d’encourager les rencontres, le partage d’expériences intergénérationnelles et interdisciplinaires ». Une idée qui a mis du temps à s’imposer, mais la greffe des premiers parrains renommés – le footballeur Youri Djorkaeff ou le rugbyman Fabien Galthié – a lentement impulsé le mouvement : l’événement est désormais une date importante du calendrier, instances dirigeantes du sport français comprises.

Réunion au sommet, à La Plagne.

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La lauréate 2015, Mathilde Doudoux (BMX).

En attendant l’université

Financées en totalité par le privé, les Étoiles du sport ont toutefois besoin d’évoluer : « pour continuer d’exister, on est condamné à bouger et innover » assure Benoît Eycken. D’où la nécessité d’ouvrir à d’autres horizons : cette année l’handisport avec le basket en fauteuil ou l’art avec des graffeurs invités. Et de multiplier les initiatives. Car si l’essentiel reste la communion et le partage entre parrains et filleuls, l’aventure humaine ne s’arrête pas qu’au symbole : il faut aussi guider au mieux les jeunes pousses dans un univers sportif ultraconcurrentiel. Comment lire un contrat, négocier une interview, prendre un agent, gérer sa communication… Une préparation au métier de sportif qui trouve son prolongement dans les Universités des Étoiles du sport. À la mi-juin, les Espoirs se préparent

Toutes les photos © Etoiles du sport

La formule existe depuis près de quinze ans et se résume en une phrase : « Les champions d’aujourd’hui parrainent les champions de demain ». Exploration de cette galaxie sportive, de partage et de solidarité nommée les Étoiles du sport.

osé Pérec.

à leur carrière autour d’ateliers pratiques et de témoignages d’expériences, des champions mais aussi de journalistes, avocats, industriels , voire de comédiens, comme ce fut le cas en 2015 avec Jacques Gamblin. Une solidarité qui s’organisent aussi autour d’événements récents, comme la Run & Bike et le Village des Étoiles du sport. La première est une course en binôme (l’un à pied, l’autre en vélo) qui se déroule en septembre au Bois de Boulogne. Le second s’est déroulé cet été dans le Cantal et réunissait 150 jeunes lors de challenges sportifs impliquant plusieurs athlètes. Les deux ont récolté près de 18 000 euros pour le Secours populaire français. Une bonne façon de continuer à faire briller les Étoiles du sport. n

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ÉPOQUE | IDÉES Que fait le spectateur quand il regarde un film ? Consciemment ou inconsciemment, il ne cesse de chercher des indices sur les intentions du réalisateur. L’esprit humain, étudié par les sciences cognitives, serait ainsi fait.

« LA RÉCEPTION D’UN FILM EST TOUJOURS UNE INTER

DR

PROPOS RECUEILLIS PAR ALICE TILLIER

Alessandro Pignocchi est chercheur en sciences cognitives et en philosophie de l’art, et également auteur de bande dessinée (Anent. Nouvelles des indiens Jivaros, Steinkis, 2016). Son blog : http:// puntish.blogspot.fr

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Votre livre part du constat que les films provoquent souvent des jugements opposés, qui semblent irréconciliables. Comment est-ce possible ? Alessandro Pignocchi : C’est le constat que tout spectateur a pu faire : il sort d’une salle de cinéma où il a vu un film avec son meilleur ami, avec qui il partage des goûts, une sensibilité, souvent une même origine sociale. Et pourtant, il y a un gouffre entre les perceptions des deux : l’un aura été ému par une scène que l’autre aura trouvée absurde, l’un aura jugé tel élément sincère, l’autre ridicule. Or ce constat est souvent évacué d’un revers de la main par les théoriciens du cinéma : il n’y aurait qu’une bonne façon de recevoir un film, ceux qui n’ont pas compris sont des spectateurs distraits, etc.

Ou sinon, on en revient à la formule : « à chacun ses goûts ». Comment la dépasser ? C’est justement l’objet du livre, qui fait appel aux sciences cognitives. Celles-ci ont montré – c’est là une avancée majeure des vingt dernières années – que nous passons notre temps à lire l’esprit d’autrui. Bien audelà de ce dont nous pouvons avoir conscience. La communication humaine n’est pas faite seulement d’encodage et de décodage, comme c’est le cas dans la communication animale. Elle met en jeu une part très importante d’inférence. La phrase d’un interlocuteur est un indice qui

« Le spectateur ne cesse de prêter des intentions au réalisateur »

permet de reconstruire ce qu’il a voulu dire grâce au contexte et aux connaissances dont on dispose sur lui. La communication est un processus d’attribution d’intentions. Et c’est donc ce processus qui est à l’œuvre quand on regarde un film ? L’écran de cinéma n’est pas une simple fenêtre ouverte sur le monde. La caméra, le cadrage sont une façon pour le cinéaste de pointer une scène. Et le spectateur ne cesse de prêter des intentions au réalisateur : qu’a-t-il voulu me montrer ici ? qu’est-ce qui est pertinent pour moi dans cette scène ? La réception d’un film est toujours une interprétation des intentions. Et cette interprétation diffère en fonction des connaissances du spectateur, mais aussi de son état d’esprit, de son engagement, de ses attentes,

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EXTRAIT

LE FILM JEU DE PISTE « L’expérience d’un film s’apparente à un jeu de piste durant lequel nous parcourons les images et les sons à la recherche d’indices laissés par la démarche du réalisateur. Certains indices ont été ouvertement mis là pour nous faire comprendre quelque chose, d’autres nous concernent moins directement, d’autres encore ont été laissés involontairement, certains ayant même échappé à une tentative de dissimulation. Selon le spectateur, certains de ces indices sont notés de façon plus ou moins automatique et inconsciente, tandis que d’autres activent des ébauches plus ou moins précises de réflexion explicite. Qu’il soit joué inconsciemment ou qu’il fasse l’objet d’un long travail d’analyse, ce jeu de piste soustend l’expérience de tous les spectateurs. Notre système cognitif est ainsi fait que l’attitude adoptée face à un film est toujours celle d’une recherche d’indices permettant de remonter à l’esprit du réalisateur. » n

Le Voleur de bicyclette et The Tree of life, deux films qui ne prendraient « leur sens que si l’on a fait soimême l’expérience de la paternité ».

COMPTE RENDU

Alessandro Pignocchi, Pourquoi aime-t-on un film ? Quand les sciences cognitives discutent des goûts et des couleurs, Éditions Odile Jacob, 2015, p. 100.

PRÉTATION » de l’effort qu’il est prêt à fournir pour chercher du sens. D’autant que le phénomène s’autoalimente : si le spectateur commence à trouver que certains plans sont gratuits, relève de l’esbroufe, ses attentes seront de plus en plus basses et il fera de moins en moins d’efforts pour reconstruire des états mentaux intéressants. S’il pense au contraire que le réalisateur est un génie, il fournira un effort beaucoup plus grand. Les films sont donc constitués d’actes de communication. Pourtant certains films restent incompris, ou en tout cas incompris de beaucoup, à l’exception de quelques critiques… C’est une erreur conceptuelle courante que de croire qu’il faut qu’un film parle à tout le monde ! L’histoire de l’art est remplie d’œuvres

qui ont suscité une incompréhension totale, comme celles des impressionnistes, considérés au début comme des faiseurs de taches. Oui, certains films nécessitent un fonds de connaissances d’arrière-plan, qui sont parfois très largement partagées, parfois beaucoup plus pointues. On dit que Le Voleur de bicyclette [de Vittorio de Sica] ou The Tree of life [de Terrence Malick] ne prennent tout leur sens que si l’on a fait soi-même l’expérience de la paternité. Je dirais que, plus

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que des films dans leur ensemble, ce sont souvent des scènes, des éléments en particulier qui ne s’adressent qu’à certains. D’autant que le cinéma relève souvent de la « communication floue », en cherchant avant tout une évocation – difficilement paraphrasable ou verbalisable –, ce qui exacerbe les divergences de points de vue. Cette extériorisation d’états mentaux flous est bien ce qui est au cœur de la création artistique, au cinéma comme dans les autres arts. n

REVOIR POUR MIEUX VOIR Pour analyser les rouages psychologiques de la réception d’un film, Alessandro Pignocchi convoque les sciences cognitives. En s’appuyant sur une analyse détaillée de nombreuses scènes tirées de classiques du cinéma mondial ou de films plus récents, l’auteur montre la variété des pistes interprétatives que peut susciter un même plan selon les attentes du spectateur et ses connaissances. Le cinéma s’apparente, tout en ayant ses spécificités, à une conversation ordinaire, où une phrase peut être comprise de façon différente selon le contexte, le locuteur et son interlocuteur. L’ouvrage revient sur le rôle essentiel que la critique cinématographique a à jouer : en évitant d’être trop abstraite ou de tomber dans la surinterprétation, elle peut, en donnant des clés de compréhension, enrichir et prolonger l’expérience du spectateur et permettre un changement d’appréciation. Le livre est une invitation à voir, ou revoir avec un autre œil, tous les films analysés – de M le Maudit de Fritz Lang à Psychose d’Alfred Hitchcock, Un amour de jeunesse de Mia Hansen-Love ou encore The Tree of Life de Terrence Malick. n

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ÉPOQUE | TÉMOIGNAGE

PIERRE BOULEZ

LA MUSIQUE EN PARTAGE Compositeur, chef d’orchestre, polémiste et écrivain, pédagogue, créateur d’institutions, Pierre Boulez nous a quittés en début d’année. Il aura été l’une des figures majeures de la vie musicale de la seconde moitié du xxe siècle.

ticipants des rencontres de jeunes, ses choix en matière de direction, sa conception d’un Ring « qui avance », la mise en cohérence de ce que l’on voit et de ce que l’on entend au service de la plus titanesque des entreprises d’opéra. Expliquer, expliquer toujours : avant-concert, rencontres, entretiens, articles, livres, conférences, leçons de mu-

chefs dont la musique sort véritablement des doigts ou de la baguette. Regarder Boulez diriger (à mains nues), c’est entendre la musique telle qu’elle sortira de l’orchestre. Grâce à lui, la musique devient évidence : à New York, Londres, Lucerne, Amsterdam, Zurich, Aix, Paris, nous en avons tant et tant de fois fait l’expérience. Et il faut avoir

PAR JACQUES PÉCHEUR

C

ité de la Musique, août 1997, retransmission sur les écrans de la plazza du concert de l’Orchestre des jeunes Gustav Mahler. Entre Ravel, Bartók et Stravinsky, il faut avoir vu un Pierre Boulez ravi, sortir de la Cité à la rencontre du public, plus nombreux qu’à l’intérieur, rassemblé devant les écrans pour suivre le concert qu’il dirigeait… Car c’est cela qui lui importait : faire partager. Lui qui avait rêvé de Proms à la manière londonienne pouvait une fois de plus, ce soir-là, vérifier la diversité des modalités de réception de la musique. Des lunch concerts de New York à la création d’une seconde salle transformable à l’Opéra Bastille, du programme architectural de la Cité de la Musique à celui de l’Ircam et de la Philharmonie de Paris, c’est toujours cette même préoccupation qui habitait Pierre Boulez. Il faut aussi avoir entendu Pierre Boulez, en pleine polémique du Ring (Bayreuth 1977), expliquer longuement et en allemand aux par-

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de Lucerne (2004) de l’exécution par les Wiener Philharmoniker des Sechs Stücke für orchester de Webern : c’était alors comme si Boulez rendait l’orchestre définitivement dépositaire de cette musique.

Sa mission : la transmission

Il faut encore avoir eu la chance d’assister aux répétitions de l’une de ses œuvres majeures et les plus significatives de notre temps, Pli selon pli (1957-1989), pour comprendre la manière dont s’élabore la fameuse interprétation boulézienne soucieuse de précision, de clarté et de rythme, pour voir comment Pierre Boulez résolvait presque individuellement les problèmes avec les musiciens en difficulté : c’était à Zurich en 2003 dans le cadre des Tage für Neue Musik, réunissant pour l’occasion les trois orchestres

Regarder Boulez diriger (à mains nues), c’est entendre la musique telle qu’elle sortira de l’orchestre

sique à la télévision, Pierre Boulez a convoqué tous les moyens pour faire comprendre et partager. Il faut aussi avoir fait l’expérience de Boulez dirigeant. Il fait partie avec Ozawa, Muti, Bernstein, plus près de nous Mariss Jansons, de ces

suivi, le temps d’une représentation, Boulez dirigeant Lulu à l’Opéra de Paris en 1979, pour éprouver avec fascination la réponse si précise de la masse orchestrale aux intentions et à la volonté du chef. Sans oublier ce moment si intense au Festival

de musique contemporaine suisses : l’Ensemble Contrechamps, le Collegium Novum Zürich et l’Ensemble Phœnix Basel. Nous restent aujourd’hui CD, DVD, livres, programmes… Témoignages d’une œuvre toujours en mouvement habitée de cet impératif : transmettre. On pense aux vers de René Char cités lors de la cérémonie du souvenir du 14 janvier dernier : « Hâte toi de transmettre / ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance ». n

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ÉPOQUE | MÉDIAS

HUMORISTES (EN LIGNE) :

GOODLOOSE Pour ce collectif âgé de 6 mois, le déclic est venu après avoir constaté l’explosion des chaînes d’humour sur YouTube (poids lourd du secteur depuis son rachat par Google en 2010).

VINCENT, AUTEUR ET RÉALISATEUR

Comment tout a démarré ?

À l’origine, nous étions deux, Charlie (auteur et acteur) et moi. Nous sommes désormais huit membres. Nous faisons tous des vidéos depuis un certain temps, moi depuis dix ans. L’écriture de chaque épisode s’étale sur environ deux semaines, le tournage dure une journée et le montage un mois en général.

Quelles sont vos inspirations ?

Ce sont surtout des détournements de films, de pubs ou de séries. Par exemple, Le Tabouret de Fer, une version normande de Game of Thrones ! En 2016, par contre, nous nous concentrons sur des textes et sketchs originaux. Plus largement, nous aimons autant les Monty Python que les Inconnus, en passant par les récents sketchs absurdes d’« Inernet » (feat. Seb la Frite & Vincent Tirel).

PAR CHRISTOPHE RIEDEL

MODASSES

NABIHA AKKARI, SCÉNARISTE ET COMÉDIENNE

Comment avez-vous été hébergé par Dailymotion ?

Nahbiha entourée de l’équipe de Modasses, en robe rose.

J’ai toujours eu un intérêt pour la mode et j’ai travaillé dans ce milieu avant d’être comédienne. Lorsque j’écris j’aime bien partir de quelque chose que je connais et de mon expérience, c’est là que j’y trouve le plus de sincérité et d’inspiration. Comment avez-vous commencé ? Avec Denis, le réalisateur, on a décidé de monter un pilote que j’avais écrit pour se marrer entre copains. Puis on a voulu créer une saison 1 en entier et, là, Dailymotion est intervenu avec un soutien financier et le prêt de leur locaux.

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Qu’est ce qui vous inspire ?

Quelles sont vos influences ? Will Ferell et Ricky Gervais m’inspirent. Kevin Razy, que j’adore – je le trouve intelligent, engagé et drôle – est venu sur un de nos épisodes. J’aime surtout le pouvoir de la comédie qui nous fait nous questionner sur la société et nos mœurs, le fait qu’on marche sur la tête... La Saison 2 sera très différente. Surprise ! n www.dailymotion.com/modasses

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Nous avons rencontré le responsable des contenus humour après avoir rempli une demande pour tourner gratuitement dans leurs studios parisiens. N’ayant pas de production, nous y bénéficions de conditions techniques idéales. Après, il n’y a pas de barrière particulière : tout le monde peut créer sa chaîne ! J’espère que la qualité de nos créations grandira pour nous faire produire par des structures plus importantes, comme Studio Bagel ou Golden Moustache. Pour cela, une seule solution, le travail, n’est-ce pas ?! n www.dailymotion.com/goodloose

POUR EN SAVOIR PLUS e-visite du studio parisien Dailymotion : www.dailymotion.com/sas/studio/home.html

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À leurs débuts, de grands noms comme Cyprien, Norman ou Rémi Gaillard on tous été hébergés par Dailymotion, plate-forme française créée en 2005. Aujourd’hui encore, la création bat son plein, notamment grâce à sa « différence », comme le clame Holden Raynaud, responsable des contenus humour du site : « Nos équipes suivent de près les créateurs : mise à disposition du Studio Dailymotion – 600 m2 équipés pour la production professionnelle –, financement via notre programme participatif sur Ulule, diffusion des contenus sur notre plate-forme de 300 millions d’utilisateurs. » La preuve avec deux collectifs pétillants hébergés : Modasses, « la série qui taille la mode » et GoodLoose, qui titille le reste !

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CHACUN CHERCHE SON STUDIO


ÉPOQUE | langue

« L’ABILANG, UN MÉCANISME MENTAL IRRÉSISTIBLE » Il a marqué la dernière rentrée littéraire de son empreinte. Le dernier roman de Boualem Sansal, 2084. La fin du monde, décrit un univers post-apocalyptique occupé par un seul pays, l’Abistan, possèdant une seule langue, l’abilang, et une seule croyance dictée par le Gkabul, son livre sacré. Nous avons rencontré l’écrivain algérien alors qu’il était l’invité exceptionnel de l’Alliance française de Paris, le 12 janvier dernier. PROPOS RECUEILLIS PAR CLÉMENT BALTA

Boualem Sansal est un écrivain algérien de langue française. Ingénieur de formation, il se consacre pleinement à la littérature après avoir été démis, en 2003, de son poste de haut fonctionnaire au ministère de l’industrie suite à la publication de Dis-moi le paradis, charge contre le pouvoir algérien. 2084 est son 7e roman.

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Par son titre même, votre roman revendique sa filiation avec le 1984 de George Orwell. Comment poursuivez-vous la réflexion sur la langue développée par celui-ci avec l’invention de la novlangue ? Boualem Sansal : Entre l’univers orwellien et celui de l’Abistan, il y a une différence fondamentale. Le premier est un ordre humain, inspiré par un dictateur, Big Brother, qui pour mystérieux qu’il soit reste un homme. La novlangue n’est rien d’autre que la fameuse langue de bois des dictatures populaires socialistes perfectionnée à l’extrême pour maintenir les gens dans un état perpétuel de soumission et d’exaltation (ou d’apathie). Pris dans cet univers, l’homme intègre pleinement l’idée qu’il est heureux (et le sera davantage demain) et que son bonheur résulte directement de sa soumission absolue à Big Brother. C’est un conditionnement pavlovien, où il n’a plus besoin de savoir qui est Big Brother ni quels buts il poursuit. La novlangue détruit les mots et leur sens et ainsi le citoyen se trouve chargé d’une langue décharnée qui l’empêche de réfléchir et peu à peu le transforme en robot, il est l’équivalent du logiciel informatique qui actionne une machine sans pour autant lui donner le pouvoir de réfléchir et d’agir par elle-même. Alors que l’Abistan, lui, est d’ordre divin… Oui. Au sommet est le dieu Yölah, secondé par Abi, un mythe vivant et éternel. La Vérité qui dit que tout procède de Yölah et se résout en lui est consignée dans un livre

sacré, le Gkabul, écrit dans une langue sacrée, l’abilang, que les gens apprennent par cœur et récitent à l’infini. L’abilang n’est pas une langue de bois perfectionnée, elle est un mécanisme mental irrésistible qui transforme l’homme en robot, un robot qui ne réfléchit pas, mieux : qui croit. Il est un élément vivant de la Vérité, dont au demeurant il ne sait rien. On est dans un ordre transcendant. On mesure ce que peut un tel système en voyant ce que deviennent les jeunes islamistes touchés par la grâce de la radicalisation. Ils sont soumis comme des robots, mais des robots qui accèdent à la conscience du fidèle qui se sent pleinement engagé dans la concrétisation du Gkabul. Ce robot est déjà un cyborg : une fois chargé du logiciel du croyant il peut agir par lui-même, et former autour de lui d’autres apprentis cyborgs. Quelles sont les implications des liens entre langue et politique d’une part, entre langue et religion d’autre part, que vous avez vous-même observées en Algérie ? À l’indépendance (en 1962), le premier gouvernement algérien a pris la décision sage et intelligente de reconduire l’ordre français installé en Algérie (lois, langue d’enseignement et de communication officielle, structures administratives, etc.). Il se disait que cette mesure permettrait à l’Algérie indépendante de démarrer sur de bonnes bases et d’évoluer rapidement vers le progrès social et économique. Avec l’infrastructure existante (l’une des plus développées du bassin mé-

« Un peuple méditerranéen disparaissait et un autre prenait sa place, par le seul effet de cette arabisation musclée chargée de nationalisme et de religiosité » diterranéen), le succès était quasi assuré. On pouvait à juste titre parler de lendemains chantants, ce dont les dirigeants bien-aimés ne se privaient pas. Mais rapidement, pressée par les pays frères arabes et musulmans, l’Algérie a mis en œuvre un programme d’arabisation, conçu et conduit tambour battant par les ultranationalistes et les religieux, qui en peu de temps a profondément transformé le pays. Un peuple méditerranéen disparaissait et un autre,

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© Isabelle Noérie – Fondation Alliance française

Boualem Sansal, lors de la rencontre littéraire à l’Alliance française de Paris Île-de-France, le 12 décembre 2015.

abistanais avant l’heure, prenait sa place et cela par le seul effet de cette arabisation musclée chargée de nationalisme criard et de religiosité à fleur de peau, se voulant avant tout purificatrice et glorificatrice. Quelles conséquences de cette arabisation à tous crins ? La transformation, réalisée en à peine une dizaine d’années, est effrayante, la nouvelle langue née de cette alchimie maléfique a eu un pouvoir phénoménal, elle a modifié la morale humaine et jusqu’à la biologie intime de l’être humain. La violence entêtée est son seul mode d’expression. La transformation encore plus rapide qui s’opère sur le sol européen dans la communauté musulmane me terrifie davantage, elle montre qu’il n’y a aucune force capable de l’endiguer : ni la dictature comme dans les pays arabes, ni la démocratie et la laïcité comme en Europe. Elle montre que la connaissance de l’islam et de la langue arabe n’est pas nécessaire, ce qui libère l’évolution de toute contrainte, la simple scansion de la formule rituelle « Allah akbar » suffit

pour subjuguer, transformer et radicaliser tout jeune qui passe à portée d’une mosquée ou d’un site Internet dédié au prêche islamique. Vous avez déclaré lors de votre intervention à l’Alliance française que pour vous un roman était comme un tract politique. Quelle réalité, quelle actualité a inspiré votre fiction ? À problème nouveau, solution nouvelle. Nous ne savons pas encore vraiment à quoi nous faisons face. Une islamisation du monde ? Une guerre interne à l’islam ? Une guerre de civilisations ? Une guerre NordSud, des pauvres contre les riches ? Une guerre raciale ? Une guerre mondiale ? Très tôt, en Algérie, la littérature s’est emparée de la question. À la parution en 1999 de mon premier roman, Le Serment des barbares, on a parlé de « littérature de l’urgence ». Le terrorisme frappait cruellement le pays, on lui cherchait des explications immédiates et des solutions rapidement opérationnelles. On parlait de guerre civile, de crise du pouvoir, de manipulation des ser-

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vices secrets. J’avais de mon côté cherché des racines plus lointaines, dans la culture, l’histoire. Très vite, il est apparu que le terrorisme n’était pas le cœur du problème. C’est un épiphénomène, voire une diversion. On a ensuite parlé de l’islamisme, et vu en lui la source idéologique du terrorisme et des guerres civiles qui depuis les printemps arabes ravagent les pays arabes. Aujourd’hui, on veut interroger l’islam lui-même et la culture arabe dans leurs contenus propres et dans leurs relations avec le monde. Comme on a pensé que le nazisme était consubstantiel au peuple allemand et sa culture, on voit une sorte de lien ontologique entre l’islam et ce qu’on appelle l’islamo-fascisme, propre aux peuples arabes. Ces problématiques très actuelles expliquent-elles votre succès, en tant qu’écrivain algérien, en Europe et avant tout en France et en Allemagne ? La difficulté sinon l’impossibilité quasi légale pour les auteurs européens d’interroger publiquement

ces thèmes, sans se voir accusés de racisme et d’islamophobie, a naturellement porté l’opinion européenne à regarder ce qu’en disent les auteurs arabes musulmans euxmêmes. D’abord parce qu’elle considère que ces auteurs sont bien placés pour en parler, s’agissant de leur religion et de leur identité, et parce que, publiant à l’étranger, en dehors de leurs pays où les risques d’être arrêtés ou assassinés sont grands, ils sont plus libres pour en parler. Ceci explique en partie l’engouement pour leurs écrits en Europe. Vous avez ce dernier mois sillonné la France à la rencontre de vos lecteurs. Quelles impressions en résulte-t-il ? Les innombrables rencontres que j’ai faites avec le public français depuis Le Serment des barbares, dans lequel j’amorçais ma réflexion sur la violence au sein du monde arabe et musulman, m’ont permis d’avoir une assez bonne connaissance des préoccupations des Français sur ces questions. Ces dernières années cependant, peut-être depuis Mohamed Merah, ils sont de moins en moins demandeurs d’explications. Chercher même à comprendre devient suspect, ils y voient une sorte de compromission. Ils veulent des solutions et de plus en plus, depuis les attentats de 2015, des solutions radicales. L’attitude hésitante du gouvernement et d’une certaine gauche les conforte dans l’idée qu’il n’y a plus place aujourd’hui qu’aux discussions, au débat, à la compréhension. Ce qu’ils cherchent au contraire, c’est un gouvernement capable de décider et d’agir. Ils ne sombrent pas pour autant dans le radicalisme, ils restent très ancrés dans le respect des lois et des traditions françaises. Pour combien de temps ? Il y a risque que la phase à venir verra beaucoup d’entre eux verser dans les solutions expéditives. Ce que les tenants de l’islamo-fascisme recherchent ardemment. n

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Arkady Mazor / Shutterstock.com

ÉPOQUE | MÉTIERS DES LANGUES

GUIDE-CONFÉRENCIER

RÉVÉLATEUR DE PATRIMOINE PAR CÉCILE JOSSELIN

« Guide-conférencier » en France, « guide touristique » au Canada et en Suisse… ce métier à la frontière entre le tourisme et la culture recouvre des réalités très variées. De la présentation érudite des musées nationaux à la visite guidée décalée d’un site historique ou d’un quartier, l’étendue des prestations proposée est quasi infinie. Salariés par une ou plusieurs agences ou à leur compte, ceux qui travaillent avec un public étranger (et qu’on appelait hier guide-interprète) ont aussi la délicate mission de traduire et d’adapter l’information aux pays d’origine de leurs clients. Au fait de tous les aspects des lieux qu’ils mettent en lumière, ils doivent être prêts à répondre à toutes les questions ! 20

3 QUESTIONS À KAZUHIRO YOSHII, GUIDE-CONFÉRENCIER JAPONAIS À PARIS

Quels sont vos clients ? Je travaille pour une agence de guides-conférenciers en lien avec différents tour-opérateurs japonais. Pour eux, je guide des groupes au Louvre, au château de Versailles, à Notre-Dame, à Montmartre et au Mont-Saint-Michel… Les Japonais ayant peu de vacances, les visites sont souvent courtes. Celle du Louvre dure en moyenne 1 h 20. C’est très peu ! Alors, il faut aller à l’essentiel, en s’adaptant aux attentes du groupe, à son niveau de connaissance, en alternant harmonieusement informations culturelles, anecdotes et éléments de comparaison entre les deux cultures. En quoi la réglementation de votre profession a-t-elle changé ces dernières années ? Jusqu’à 2011, il existait cinq professions. Chaque statut

avait des conditions d’exercices et de diplômes différents. Aujourd’hui, nous sommes tous « guides-conférenciers ». Avec la loi Macron, il est même aujourd’hui possible d’obtenir la carte professionnelle en France avec n’importe quel bac +5 qui intègre une unité d’enseignement en « compétences des guides-conférenciers », en « mise en situation et pratique professionnelle » et en « langue vivante étrangère ». Quelles sont vos conditions de travail ? J’ai un contrat pour chaque visite. Mon agence me propose des missions en fonction de la demande, en général une à deux semaines à l’avance, sauf pour les visites plus spécialisées qui me sont communiquées plus en amont. Je songe actuellement à prendre le statut d’autoentrepreneur afin de diversifier ma clientèle, car les TO nous commandent souvent un peu les mêmes visites. J’ai envie de proposer des lieux plus insolites, comme ceux que je présente sur ma page YouTube, « Kazu Paris ». n

FORMATION

En France, outre l’École du Louvre, 13 licences pro forment à ce métier (CNAM Paris, CNAM Lorraine, Greta Top formation à Paris, et les universités d’Arras, Perpignan, Toulouse, Lyon 2, Angers, Clermont-Ferrand, ParisEst, Paris 10, Corse, Nice, Littoral Côte d’Opale et Strasbourg). Des masters sont également proposés notamment à Quimper, Grenoble, Le Mans, Mulhouse, Rennes 2, Paris 13… Au Canada, l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec était jusqu’à il y a peu la seule institution de Montréal reconnue. En Belgique, l’École de promotion sociale d’Uccle (avec le CERIA), l’Institut Roger-Lambion à Louvain coexistent avec les centres IFAPME de Charleroi, Liège et Perwez ou Dinant. En Suisse, l’université de Genève devrait prochainement proposer la formation de référence pour les guides touristiques francophones. Elle offre déjà un cursus en formation continue. Au Maroc, c’est l’Institut supérieur international du tourisme de Tanger. n

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ÉPOQUE | MOT À MOT

Bernard Cerquiglini, éminent linguiste et spécialiste reconnu de la langue française, révèle et explique chaque jour sur TV5Monde une curiosité verbale : origine des mots et expressions, accords pièges et orthographes étranges… Il a aussi accepté de régaler de ses explications gourmandes la curiosité des lecteurs du Français dans le monde.

EXPRESSION

Ménage en famille

DITES-MOI

PROFESSEUR LEXIQUE

Etc. et les points de suspension Quand j’étais lycéen, notre professeur de lettres dut punir un de mes camarades pour le guérir d’une fâcheuse manie : il faisait suivre etc. de points de suspension. Heureuse époque ! Etc. abrège la locution latine et cetera (ou cætera) qui signifiait : « et toutes les autres choses » ; on peut la traduire par « et le reste » ou par « ainsi de suite ». Or les points de suspension ont précisément cette fonction : ils servent à compléter une énuméra-

tion qu’on ne désire pas allonger. Employer des points de suspension après etc. est donc redondant. Pour bien utiliser cette expression, on la fera suivre d’un seul point et on la fera précéder d’une virgule. Si la phrase se poursuit, une majuscule n’est pas nécessaire. Si la phrase se termine après etc., un second point n’est pas requis. Telle est la norme. On sent parfois une pointe de désinvolture dans ce etc., abréviation

qui termine un énoncé que l’on n’entend pas poursuivre : « Veuillez agréer, Monsieur, etc., etc. » On se souvient de la chanson un peu provocatrice de Serge Gainsbourg, « Aux armes, etc. » : la locution etc. dans le refrain remplaçait La Marseillaise tout entière : on comprend que cela ait pu choquer. Résumons-nous. Pour abréger son discours, on écrira etc., ou bien l’on emploiera des points de suspension. C’est l’un, ou c’est l’autre ! n

Le ménage, au Moyen Âge, déverbal de manoir, « demeurer », désignait la demeure. Par dérivation, il signifiait également « famille ». D’où le sens de « couple » : se mettre en ménage, c’est s’installer avec quelqu’un, en évitant si possible les scènes de ménage. Le mot a pris ensuite le sens d’« administration des biens », de « bonne gestion ». Dans cet emploi, il a de nombreux dérivés : ainsi aménager, qui a signifié « approvisionner » puis « organiser » : pensons à l’aménagement du territoire. Le sens moderne est très général : « ensemble des tâches domestiques se rapportant à l’entretien d’une famille » : on fait le ménage, on partage les frais du ménage. Le verbe ménager a suivi un parcours semblable. Il a d’abord signifié « habiter », puis « vaquer aux soins du ménage ». Il a pris ensuite le sens d’« employer avec mesure », dans un souci d’économie ou de conservation. On peut ménager ses efforts, sa peine : « Qui veut voyager loin, ménage sa monture », dit le proverbe. Ménager et se ménager signifient donc se soucier du ménage, de la bonne marche du foyer. Ce qui relie les deux mots, c’est leur racine étymologique : la demeure. Une bonne ménagère tient convenablement sa maison, s’occupe bien du ménage : pas seulement des tâches ménagères, mais plus largement de l’économie domestique ; elle ne se ménage pas ! n

RETROUVEZ LE PROFESSEUR et toutes ses émissions sur le site de notre partenaire WWW.TV5MONDEPLUS.COM

SÉMANTIQUE

Mettre à jour et mettre au jour Ne craignons pas d’être un peu puriste, à bon escient du moins. Il importe de ne pas confondre mettre à jour et mettre au jour. Mettre à jour, c’est actualiser : établir quelque chose à la date du jour. Ce mot s’entend ici au sens temporel, celui de

l’actualité la plus récente. On dira : « Je me suis mis à jour dans mon travail » : je n’ai plus de retard. On parle ainsi d’une mise à jour en informatique : l’actualisation des systèmes ou des logiciels fait bénéficier de la dernière version. Mettre au jour, d’un autre côté, c’est faire

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accéder à la lumière, c’est-à-dire à la connaissance. Le mot jour s’entend ici au sens de clarté (pensons à en plein jour, la tombée du jour, etc.), laquelle par métaphore désigne le savoir (le siècle des Lumières). Quand on met au jour, on place soudain en lumière, on porte à la connais-

sance un fait ignoré : ce journaliste a mis au jour une sordide affaire de corruption. Si le mot jour est présent dans les deux expressions, on ne saurait donc confondre à jour (qui désigne l’actualité) et au jour (qui signifie une divulgation). C’est tout simple ! n

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POÉSIE

© Mikael Damkier / Shutterstock

INTERLUDE |

ANDRÉE CHEDID (1920-2011) Femme de lettres d’origine libanaise née au Caire, Andrée Chedid a été bercée par trois langues – l’arabe, l’anglais et le français – avant de choisir cette dernière pour écrire son œuvre qu’elle commence à publier peu après son installation à Paris, en 1946. Écrivain prolifique, elle a publié un grand nombre de recueils de poésie et de romans, des pièces de théâtre et des essais, questionnant sans relâche la condition humaine. Son écriture, empreinte d’une certaine ferveur mystique mais aussi d’une sensualité tout orientale, se veut optimiste et lucide, afin de garder « les yeux ouverts sur les souffrances, le malheur, la cruauté du monde, mais aussi sur la lumière, sur la beauté, sur tout ce qui nous aide à nous dépasser, à mieux vivre, à parier sur l’avenir ». Elle est la mère de Louis Chedid et la grand-mère de Matthieu Chedid, alias M, tous deux chanteurs. n

FICHE PÉDAGOGIQUE téléchargeable sur WWW.FDLM.ORG

A2

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t n a h c e L s e l l i des v

Je m’attache aux pulsations des villes A leur existence mouvementée Je respire dans leurs espaces verts Je me glisse dans leurs ruelles J’écoute leurs peuples de partout J’ai aimé les cités Le Caire ou bien Paris Elles retentissent dans mes veines Me collent à la peau Je ne pourrai me passer D’être foncièrement : Urbaine. Andrée Chedid, « Le Chant des villes », poème original pour l’édition 2006 du Printemps des poètes.

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MÉTIER | RÉSEAUX 3 QUESTIONS À…

Ulrike C. Lange est professeure de français et formatrice des professeurs-stagiaires en Allemagne, présidente sortante de la Fédération allemande des professeurs de français (FAPF-VdF), éditrice et rédactrice en chef du magazine Französisch heute.

STATISTIQUES

LES LANGUES ÉTRANGÈRES AU SECONDAIRE EN EUROPE L’apprentissage d’une langue étrangère à l’école est très répandu dans l’Union européenne, puisque 18 millions d’élèves du premier cycle de l’enseignement secondaire (soit 98,6 % de tous les élèves à ce niveau) étudiaient au moins une langue étrangère en 2014. Parmi eux, environ 11 millions (59,9 %) apprenaient deux langues étrangères ou plus. Étudié par plus de 17 millions d’élèves (97,3 %), l’anglais est la langue étrangère la plus apprise. Le français (5 millions d’élèves, soit 33,7 %) arrive en deuxième position, suivi de l’allemand (3 millions, soit

23,1 %) et de l’espagnol (2 millions, soit 13,1 %). Le français est l’une des deux principales langues étrangères étudiées au Luxembourg et est également la première langue étrangère étudiée en Irlande (par 60 % des élèves) et en Belgique (51,9 %). En outre, le français est la deuxième langue étrangère la plus étudiée dans sept États membres, les proportions les plus élevées d’apprenants étant enregistrées à Chypre (88,31 %), en Roumanie (84,6 %), en Italie (67,7 %) et au Portugal (64,7 %). (Source : Eurostat) n

ACTES

UNE LOI, POUR QUOI FAIRE ?

Le vingtième angation de la Loi niversaire de la loi Toubon restituent Rencontres Toubon a été l’occette rencontre qui 13.10.14 casion pour la Déa permis de reslégation générale à tituer le contexte la langue française dans lequel la loi et aux langues de a été adoptée, de France et le Comité mesurer sa récepLangue française d’histoire du ministion par les médias tère de la Culture et l’écho qu’elle a Une loi, pour quoi faire ? et de la Commurencontré chez nos nication d’organipartenaires francoser au Sénat, le 13 phones. Des bilans octobre 2014, une de son application Journée d’étude dans différents qui a réuni de nomdomaines de la vie Comité d'histoire du ministère de la Culture et de la Communication breux responsables économique et soimpliqués dans ciale ont également l’élaboration ou la mise en œuvre été présentés. Une manière de soude ce texte. Les Actes du colloque ligner aujourd’hui la pertinence de du 20e anniversaire de la promul- ce texte. n J. P. Délégation générale à la langue française et aux langues de France

À l’occasion de la journée d’étude du 13 octobre 2014 Palais du Luxembourg, Paris

Langue française : Une loi, pour quoi faire ? Délégation générale à la langue française et aux langues de France. Comité d’histoire du ministère de la Culture et de la Communication.

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« Pour un échange franco-allemand vivant » PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN LANGEVIN

Quelles sont les principales actions de la Fédération allemande des professeurs de français pour 2016 ? Nos efforts reposent sur trois piliers. Tout d’abord, soutenir les professeurs de français par des congrès régionaux, en préparant notre prochain congrès fédéral prévu pour 2017 et en proposant quatre fois par ans le magazine Französisch heute autour de thèmes didactiques et culturels et politiques. Nous décernons également le Prix jeunes profs pour les cours de FLE innovants. Ensuite, valoriser l’effort des élèves : en partenariat avec l’Institut français, nous organisons des concours comme le Prix des lycéens allemands et le Concours Internet de la journée franco-allemande. Enfin, conseiller les gouvernements des Länder concernant les programmes et défendre la situation du français en Allemagne. Notre expertise est largement reconnue dans ce domaine. Quelle est la situation de l’enseignement du français en Allemagne actuellement ?

Comme la structure politique et administrative de l’Allemagne est fédérale et regroupe 16 « Länder », la situation de l’enseignement varie beaucoup : dans quelques Länder frontaliers, le français est enseigné en première langue en primaire ou dans les filières bilingues menant au AbiBac, sinon, pour la grande majorité, à partir de la 6e ou 7e classe comme deuxième langue. Le français est proposé aussi en 8e ou 9e classe comme troisième langue. Les élèves au bac atteignent le niveau B2 du CECR. En somme, environ 40 % des élèves apprennent le français au secondaire I (11-15 ans), 20 % au secondaire II (1518 ans). Le Traité de l’Elysée entre l’Allemagne et la France de 1963 confirme que les ennemis d’antan entretiennent depuis des rapports privilégiés de partenaires et oblige les gouvernements allemand et français à promouvoir l’apprentissage de la langue du partenaire. Même si le taux d’élèves qui choisissent l’espagnol augmente, le français reste de loin la deuxième langue étrangère apprise dans l’enseignement général après l’an-

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BILLET DU PRÉSIDENT

PRÉPARER L’AVENIR

« Nous sommes solidaires avec nos collègues français dans la lutte contre la réforme du collège » glais. Au travail, le français est utilisé par 15 % des professionnels ayant recours à une langue étrangère autre que l’anglais. Comment ont été ressenties en Allemagne les menaces qui pèsent sur les sections bilangues dans l’enseignement secondaire en France ? Nous sommes solidaires avec nos collègues français dans la lutte contre la réforme du collège tant elle semble menacer le maintien des classes bilangues et des sections européennes ainsi qu’un échange franco-allemand vivant. Pour cette raison, nous avons organisé une manifestation contre la réforme dans les rues de Berlin et nous avons adressé de nombreuses lettres aux représentants politiques en Allemagne, dont le Secrétaire général pour la coopération franco-allemande, Michael Roth, qui nous a reçus pour nous assurer de son soutien afin de maintenir un échange vivant. n

Jamais peut-être l’assemblée générale qui se tiendra à l’occasion du congrès de Liège en juillet 2016, n’aura eu autant d’importance. Outre l’élection du nouveau bureau, il lui appartiendra en effet de tracer les grandes lignes de l’avenir de la Fédération après quelques années qui l’auront vu affronter des difficultés de tous ordres. Heureusement, le creux de la vague semble être derrière nous et, grâce au soutien actif de l’OIF, les principaux partenaires de la FIPF lui ont renouvelé leur confiance pour les années qui viennent. C’est donc sur un ensemble de partenariats stables que pourra compter la nouvelle équipe. Mais elle devra surtout compter sur la force que représentent les associations lorsqu’elles savent se mobiliser. Et pour cela, il leur faudra, dans tous les domaines, encore et encore, attirer à elles de nouveaux collègues, se renouveler, être inventives… Or la force des associations réside bien entendu en premier lieu dans l’engagement des professeurs qui y adhèrent. C’est pourquoi leur a été consacrée une partie importante du questionnaire d’enquête du Livre blanc dont j’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de vous parler dans ce billet, et qui sera publié comme prévu

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à l’occasion du congrès. Sans entrer dans les détails, que nous dit cette enquête, ou plutôt que disent d’euxmêmes les professeurs de français ? Partout on les voit lucides sur l’état présent et sur l’avenir prévisible de l’enseignement du français. Ils sont attentifs aux politiques linguistiques de leurs pays, des pays environnants, et surtout à celle des pays francophones (la France, la Belgique et le Québec en premier lieu) dont ils défendent et promeuvent la langue et les cultures avec une ardeur qu’ils souhaiteraient parfois leur voir manifester davantage. Ils ont une conscience aiguë de l’état de grande concurrence dans lequel évolue le français à laquelle il faut selon eux répondre par une politique qui ne se focalise pas sur la prééminence de l’anglais mais qui analyse l’état réel de l’offre linguistique au niveau régional et les enjeux économiques et culturels. Conscients de ces évolutions, ils refusent pour autant que l’offre d’enseignement du français soit seulement asservie aux lois du marché, car à leurs yeux sa valeur dépasse largement les aspects mercantiles. Au-delà des diversités culturelles, des disparités sociales, des salaires trop souvent insuffisants qui poussent un grand nombre d’entre

Jean-Pierre Cuq, président de la FIPF

eux non seulement à enseigner une autre langue ou une autre discipline, mais même à devoir exercer un autre métier pour nourrir convenablement leur famille, l’enquête du livre blanc dresse le portrait d’un enseignant moderne et combattif, qui exprime partout sa préoccupation constante pour la qualité de son travail, son intérêt pour l’innovation, son ouverture vers l’autre, en termes d’expérience pédagogique ou de relations interculturelles et sa constante disponibilité à s’investir professionnellement. Pour cela, l’association, vécue comme lieu de solidarité, où on se comprend, où on reprend courage collectivement quand les temps sont difficiles, demeure irremplaçable. En venant nombreux à Liège, c’est cette foi en l’avenir du français et leur désir de participer activement à sa préparation qu’ils manifesteront avec force. n

NOMINATION

DISPARITION

Bruno Foucher a été nommé président du conseil d’administration de l’Institut français. Il a succédé le 1er février à Denis Pietton, décédé le 7 décembre dernier. Bruno Foucher a occupé de nombreuses fonctions au service de la diplomatie française. Notamment ambassadeur au Tchad, à N’Djamena, à partir de 2006, Bruno Foucher était, avant sa nomination en tant que président de l’Institut français, ambassadeur en Iran depuis mai 2011. n

Premier Secrétaire général de la Francophonie de 1997 à 2002, le diplomate égyptien Boutros Boutros-Ghali est décédé le 16 février au Caire. Avant de devenir la voix de la Francophonie, Boutros Boutros-Ghali avait été le premier Secrétaire général des Nations unies d’origine africaine, de 1992 à 1996. n

BRUNO FOUCHER PRÉSIDENT DE L’INSTITUT FRANÇAIS

DÉCÈS DE BOUTROS BOUTROS-GHALI

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MÉTIER | VIE DE PROF « Avec mon vélo électrique, pour me rendre au collège qui est à 20 km de chez moi. »

« Avec mes collégiens, à Deventer. »

« LES ADOS NE SONT PAS TOUJOURS FACILES » Après une petite heure de trajet à vélo à travers la Flandre, Dienke rejoint son collège de Deventer, à l’est des Pays-Bas, où elle enseigne le français dont elle est « tombée amoureuse à seize ans ». Récit. PAR DIENKE DE GRUYTER

Dienke de Gruyter est professeure de français au collège De Boerhaave à Deventer, aux Pays-Bas.

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Les Français sont méchants », voilà ce que disent certains de mes élèves lorsqu’ils reviennent de leur premier séjour en France… Il faut dire qu’après trois ou même six ans de cours de français et malgré beaucoup d’efforts, les apprenants ont parfois du mal quand ils viennent en voyage à Paris. Ils n’osent pas parler et les Parisiens ne sont pas toujours très accueillants… Des élèves comme ceux-là, j’en forme depuis huit ans, au collège de Deventer, une ville de 100 000 habitants à l’est des Pays-Bas. Avant d’être professeure de français, j’ai eu une autre vie… Le français, j’en suis tombée amoureuse à seize ans, lorsque j’étais jeune fille au pair à Bruxelles. Après des études de fran-

çais et d’espagnol, je voulais absolument travailler dans un secteur en lien avec la langue française, mais le métier de professeur me semblait horrible à l’époque ! J’ai ensuite fait des études pour me spécialiser dans la traduction, mais j’avais besoin de contacts humains, la solitude me pesait. J’ai alors été secrétaire, chargée du planning dans une entreprise de traduction. Puis je suis devenue institutrice. Mais j’ai dû déménager dans un endroit où il n’y avait aucun poste d’institutrice disponible. En revanche, un collège avait besoin d’un enseignant de français et j’ai répondu favorablement à cette attente. Et finalement, j’aime vraiment beaucoup ce métier, même si parfois faire cours est loin d’être simple : les ados ne sont pas toujours faciles…

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« Pendant mon jour de repos hebdomadaire, en train de préparer mes cours. »

Une langue belle mais compliquée

Aux Pays-Bas, l’allemand et le français sont obligatoires les trois premières années de collège, à raison de deux ou trois heures par semaine. Ensuite, les élèves doivent choisir de poursuivre l’une des deux langues. Beaucoup ont peur du français, ils trouvent ça difficile… Souvent, à l’oral, ils commencent à parler allemand. Et à l’écrit, beaucoup de mots anglais ou allemand se glissent dans leurs devoirs. Même certains parents disent : « C’est une belle langue, mais c’est trop compliqué… » Au collège, les élèves ont entre onze et seize ans. Les fins de journée sont souvent complexes à gérer, en particulier pour les plus jeunes : ils sont fatigués, ils ont beaucoup à faire et ressentent un grand besoin de bouger. Surtout pour les garçons, l’école ressemble parfois à une prison… En plus de mon activité de prof de français, j’aime beaucoup être professeure principale d’une classe. C’est une vraie opportunité de mieux connaître les élèves et leurs parents, de partager d’autres choses avec eux, comme l’orientation ou leur quotidien. Je donne

vingt heures de cours par semaine, répartis sur quatre jours. C’est mon choix de ne travailler qu’aux quatre cinquièmes. Au départ, c’était pour m’occuper de mes enfants, mais maintenant qu’ils sont grands, j’apprécie cette journée plus libre. J’ai besoin de temps pour moi, pour lire ou pour faire du sport par exemple. Et très fréquemment je travaille aussi ce jour-là : je prépare mes cours, j’échange des courriels avec des collègues… Le collège étant à une vingtaine de kilomètres de ma maison, j’aime aller travailler à vélo électrique. Je mets environ 50 minutes, le trajet est très agréable, les paysages sont magnifiques. J’aime cette petite séance de sport : le matin, ça me réveille et le soir, ça me détend !

Entre vacances et formation

Chaque été depuis cinq ans, je viens passer une ou deux semaines au Centre de langues de Vichy, le Cavilam, pour une session de formation continue. Chaque fois, je pense à aller ailleurs, mais je retourne tout de même là-bas, l’endroit me plaît beaucoup : les profs sont bons, les collègues sympas, la ville est très

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« Je mets 50 minutes pour me rendre à mon travail à vélo : le trajet est très agréable et les paysages sont magnifiques. »

agréable. À Paris, il y aurait trop de choses à faire autres que travailler ! Alors que dès que l’on se balade dans les rues de Vichy au mois de juillet, on croise des gens du Cavilam : le fait d’être dans une petite ville donne un côté familial à ces stages, surtout quand l’on y revient autant de fois que moi : j’ai l’impression de connaître tout le monde dans la ville, ou presque ! D’un point de vue financier, je bénéficie souvent de financements européens, comme les bourses Erasmus, pour payer ces stages de formation continue en France. Pour moi, ces séjours sont un mélange de formation et de vacances. J’y apprécie en particulier les échanges avec les collègues d’autres pays. Pour poursuivre cette expérience, j’aimerais nouer des liens afin de faire des échanges virtuels avec des classes dans des écoles italienne, allemande ou autres. Aussi, grâce aux collègues rencontrés à Vichy, je me rends compte que nous avons beaucoup de chance aux Pays-Bas car nous pouvons mener les cours comme nous l’entendons. Ce n’est pas le cas dans tous les pays… Récemment, j’ai fait une formation de trois jours à l’Institut français

d’Amsterdam afin d’obtenir l’habilitation pour évaluer et corriger les examens du DELF. J’ai voulu faire cette formation car nous envisageons d’introduire le DELF dans notre collège : ce sera une nouvelle corde à mon arc de professeur de français ! J’aime beaucoup suivre des formations, et pas seulement dans le domaine de l’enseignement de la langue française. Ces dernières années, j’ai en particulier fait des formations dans le domaine de la dynamique de groupe. Avec une collègue, nous travaillions avec des groupes « difficiles ». À l’aide d’observations pendant les cours de sport, nous proposons ainsi des interventions pour améliorer le climat dans la classe. J’apprécie aussi le fait d’avoir des stagiaires. C’est bien de collaborer avec les jeunes : ils apportent plein de nouvelles idées didactiques ! n

Si comme Dienke vous souhaitez témoigner de votre « vie de prof » de français, envoyez-nous un courriel à : contribution@fdlm.org

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MÉTIER | FLE EN FRANCE Table ronde lors de la journée d’étude « Migrer d’une langue à l’autre » du 18 novembre dernier.

La langue maternelle des nouveaux arrivants est « un véritable point

aveugle du système scolaire français »,

selon Jean-Luc Vialenc, du Casnav. Une question sur laquelle les pédagogues et didacticiens se penchent néanmoins activement. TEXTE ET PHOTOS PAR MARIANNE MÉNIVAL

NOUVELLES PERSPECTIVES

POUR UNE INTÉGRATION RÉUSSIE

Q

uelles langues parlentils, ces nouveaux élèves qui franchissent le seuil de la classe d’accueil, en région parisienne et ailleurs ? C’est en effet la première question que posent les élèves à l’annonce d’un nouvel arrivant, mi-réjouis à l’idée de rencontrer un camarade parlant la même langue, mi-curieux de comprendre comment fonctionne sa langue, à lui. Le professeur peut se sentir un peu démuni face aux pluies de questions quand les langues sont lointaines, quelque peu exotiques ou rares. Le projet « Langues et grammaires en Île de France » (LGIDF), dirigé par le laboratoire « Structures formelles du langage » du CNRS, en partenariat avec Paris 8, répond à ces demandes nombreuses. Le mercredi 18 novembre 2015, lors de la journée d’étude « Migrer d’une langue à l’autre », organisée par la

Marianne Ménival enseigne le français au collège Louis-Paulhan de Sartrouville (France).

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DGLFLF (Délégation générale à la langue française et aux langues de France) au Musée national de l’histoire de l’immigration, Anne Hertz et Dominique Levet ont en effet annoncé que sur le site lgidf.cnrs.fr seront désormais publiées de riches informations relatives aux langues parlées en Île de France. Trentedeux langues sont répertoriées. Les intéressés pourront s’instruire au sujet de chacune, du point de vue de sa grammaire, de sa phonologie et auront accès à une fiche didactique résumant ses caractéristiques majeures. On peut aussi consulter un lexique de base, des textes lus avec la bonne phonologie, des jeux… L’intérêt est de taille. Enfin une démarche ambitieuse et scientifique permettant de mieux appréhender la langue de l’autre !

d’ailleurs été proposé aux enseignants et chercheurs présents lors de la journée d’étude. Lors d’un atelier proposé par Maryse Adam-Maillet et de Mickaël Rigolot (Casnav de Besançon), le public a pu se mettre dans la peau d’un nouvel arrivant découvrant – entre autres – un exercice de géométrie en russe. Ce genre de pratique permet aux

professeurs de prendre conscience du niveau de difficulté auquel sont confrontés les nouveaux arrivants. Exercice qu’il serait bon de faire pratiquer à l’ensemble des équipes pédagogiques d’un établissement disposant d’une section d’accueil, et consultable sur la plateforme M@gistère de l’Éducation nationale, qui propose un parcours de

Avantages du plurilinguisme

L’initiative n’a pas qu’une valeur informative, elle permet aussi de se mettre dans la peau de l’apprenant allophone, en étudiant sa propre langue. Un exercice de ce type a

Road to exile, de Barthélémy Toguo, œuvre des collections du Musée de l’histoire de l’immigration. Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016


formation en ligne spécifiquement dédié aux professeurs d’UPE2A (Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants). C’était en effet la ligne directrice de cette journée sur le thème de la migration d’une première ou de premières langues à la langue française : lutter contre la stigmatisation des langues d’origine et trouver des outils pour aider le nouvel arrivant à prendre conscience de ses atouts. Florence Giraud, professeur des écoles, a exposé en ce sens les travaux effectués avec ses élèves, à Sète, dans la section UPE2A. Le Palais de la Porte Dorée, construit lors de l’Exposition coloniale de 1931, abrite aujourd’hui le Musée national de l’histoire de l’immigration.

Zones d’écarts entre les langues

Gérard Vigner ne dit pas autre chose, lorsqu’il analyse, au cours de la conférence donnée le mercredi 13 janvier 2016 à l’Alliance française de Paris Île-de-France, intitulée « Formes et usages dans l’enseignement du français auprès des élèves allophones ». Après avoir décrit les différents enjeux et exigences de l’apprentissage de la grammaire dédiée aux élèves allophones, il propose une analyse minutieuse de différentes typologies d’exercices, pour en arriver à cette conclusion : « pas d’exercice sans référence à une description linguistique ». Or, il est autant de descriptions linguistiques que de théories grammaticales et, en dernière ana-

COMPRENDRE L’INCLUSION SCOLAIRE Quel sens donner à l’inclusion scolaire ? L’expression n’est pas si familière, même pour les enseignants. Pourtant, la majorité d’entre eux accueillent des élèves en situation de handicap dans leur classe, reçoivent en cours d’année des enfants arrivant de l’étranger ou issus de familles de voyageurs, se débattent avec les difficultés scolaires d’enfants diagnostiqués comme « dys », intellectuellement précoces ou autres. Mentionnée dans de nombreux textes

officiels, « l’inclusion » nécessite une compréhension, une appropriation et une mise en œuvre réfléchie. Si le terme existe depuis de nombreuses années, il est aujourd’hui réactivé dans un contexte à la fois scolaire et social. Quelles sont les origines de cette notion ? Quels sont les objectifs fixés ? Comment est-on passé d’une vision intégrative de l’école à une vision inclusive ? Quels élèves sont concernés ? Quels sont les dispositifs existants ? À quelles pratiques pédagogiques cor-

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

lyse, on se rend compte en parcourant les méthodes de FLS que le renouvellement des pratiques, depuis les années 1960, est faible, et en lien étroit avec les descriptions grammaticales françaises traditionnelles. Il est pourtant évident que le français, langue analytique, à syntaxe positionnelle, diffère dans son système des langues variées représentées dans nos classes de français comme langue seconde. Il s’agirait, dans la pratique quotidienne de l’enQ U E L

S E N S

L A I R E

COMPRENDRE L’INCLUSION SCOLAIRE

Éric Leclerc, géographe de l’université de Lille I, est également venu parler de l’innovation dont il est le spécialiste : les e-diasporas atlas, qui permettent de suivre les flux de migration grâce à Internet, c’est-àdire à travers l’étude des réseaux sociaux. Elles gardent une trace de ce qui est voué à l’effacement : à nouvelles technologies, nouveaux champs de recherches ! Pour ce qui est des politiques culturelles en région parisienne, les bibliothèques départementales proposent des ouvrages bilingues ou des ouvrages en langues variées dans leur intégralité, afin de valoriser, de laisser vivre et mûrir le patrimoine linguistique de nos nouveaux arrivants. Dans cette perspective et à tous les niveaux de la ville ou du département d’accueil, les idées et initiatives inspirées ne manquent pas.

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seignant, de s’enquérir des zones d’écart entre les langues, et ainsi de prévoir les exercices appropriés, en fonction de la langue d’origine. Les exercices proposés à des élèves ayants des biographies linguistiques variées devraient être donnés par groupe, et formulés différemment selon les structures langagières. Ainsi, prendre toujours davantage en compte la langue maternelle et la culture d’origine de l’autre, et cela dans les moindres détails, pourrait bien être le secret d’une intégration réussie et de la réussite future de nos nouveaux arrivants. n

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respond la logique inclusive ? Autant de questionnements que cet ouvrage tente d’explorer. n Annick Ventoso-Y-Font et julien Fumey, Comprendre l’inclusion scolaire, Canopé éditions

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BIBLIOGRAPHIE • http://lgidf.cnrs.fr • Gérard Vigner, Systématisation et maîtrise de la langue : l’exercice en FLE, Hachette (à paraître). • Gérard Vigner, L’Exercice en classe de français, Hachette, 1984 • http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/ EducInter_FR.asp

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MÉTIER | expérience

1,5%

MUSIQUE

LITTÉRATURE

des entrées culturelles en littérature est consacré à la BD dans les manuels de FLE en Flandre.

10%

des entrées culturelles sont consacrées à la musique dans les manuels de FLE en Flandre.

L’enseignement de la culture a pour but de fournir des compétences aux élèves qui leur permettent de mieux situer ou comprendre la culture cible et, par extension, leur propre culture. Le but est d’une part de transmettre aux élèves la capacité, l’aptitude et l’attitude leur permettant d’appréhender l’Autre et d’autre part d’accroître la conscience (inter) culturelle en leur offrant une connaissance plus approfondie des deux cultures. PAR MATHEA SIMONS ET EVA DE VOLDER

Mathea Simons et Eva De Volderg sont professeures à l’Université d’Anvers (Belgique), Instituut voor Onderwijs - en Informatiewetenschappen.

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LA CULTURE DANS Des manuels de FLE très «Culturels»

Le mot culture en soi étant très flou, les objectifs à atteindre n’étant pas encore concrétisés, il nous a semblé intéressant de savoir ce que les manuels de FLE proposent comme contenus culturels. Selon l’aspect ou la catégorie d’objectifs, on peut étudier l’enseignement de la culture de plusieurs façons. On peut adopter une approche culturelle, intraculturelle ou interculturelle (Puren et alii, 2001). L’approche culturelle analyse les éléments factuels appris par les élèves. L’approche intraculturelle donne une idée de la façon dont l’enseignement de la culture présente le vécu (subjectif) des membres de la culture cible. L’approche interculturelle décrit comment l’enseignement de la culture contribue aux représentations que les apprenants possèdent et se construisent sur elle. Le corpus de notre étude se compose des manuels de FLE les plus utilisés dans l’enseignement secondaire et l’enseignement pour adultes en

Flandre (partie néerlandophone de la Belgique). Au total, il s’agit de dix méthodes de langue (80 manuels au total : livres de l’élève, cahiers d’exercices et guides du professeur). Nous avons parcouru l’ensemble du matériel disponible et avons pu inventorier une totalité de 1 647 éléments culturels. Ensuite, chaque élément a été classé dans un des douze domaines préétablis : architecture, arts (peinture, sculpture, mode), BD, cinéma, gastronomie, géographie, histoire, littérature et langue, musique, sciences, société, sport. Classés par domaine, nous sommes arrivés à la répartition suivante : • Le domaine Littérature domine tous les autres domaines. Sur ces

Une expérience guidée qui mène les élèves pas à pas, et souvent inconsciemment, de l’ethnocentrisme vers l’interculturalité

1 647 entrées, 737 (44,7 %) sont consacrées aux auteurs francophones, à leurs œuvres, aux prix littéraires et aux courants littéraires. Les entrées concernant les BD ont été prises à part : 1,5 % y est consacré. Nous avons noté que c’est avant tout dans les manuels des premières années qu’on parle des BD. Les personnages des albums d’Astérix et Obélix, de Tintin et de Gaston Lagaffe sont les mieux représentés. Mais on parle aussi de personnages moins connus en Belgique, tels qu’Alix, Bécassine ou Yoko Tsuno. Dans les manuels des années supérieures, on n’en parle presque plus. • Le deuxième domaine le plus important est l’Histoire. Nous avons relevé 268 éléments, soit 15,8 % des entrées. Ce domaine concerne les dates historiques, les personnages clés, les grandes périodes. Dans les manuels des premières années, on parle surtout des grands noms de l’histoire : de Louis XIV, de Napoléon, de Jacques Cartier. Dans les manuels des dernières années, l’approche devient plus approfondie et

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© BrunoH – Fotolia.com

HISTOIRE

15,8%

des entrées culturelles sont consacrées à l’Histoire dans les manuels de FLE en Flandre.

LES MANUELS DE FLE complexe. Au sujet de la Seconde Guerre mondiale par exemple, on ne parle pas seulement de Charles de Gaulle et du Maréchal Pétain, comme dans les premières années, mais aussi de Jean Moulin, de la rafle du Vel’ d’Hiv, des mesures antijuives prises par le gouvernement de Vichy. Si dans les manuels des premières années on parle des grandes conquêtes coloniales de la France, dans les dernières années on s’attarde sur la grande problématique de la décolonisation, des guerres d’indépendance et des Pieds-Noirs. • Le troisième domaine est la Musique. Si l’on additionne les entrées concernant la musique classique, la chanson et le rap, on arrive à un total de 109 entrées, ce qui revient à 10 % du total. Que ce soit Édith Piaf, Claude François ou Patrick Bruel pour la chanson, Debussy, Fauré ou Berlioz pour la musique classique ou MC Solaar, Amel Bent ou Lââm pour le rap, tous les domaines sont bien représentés. Si l’on prend en considération les trois domaines mentionnés (la Lit-

térature, l’Histoire et la Musique) on arrive à un total de 71,1 % des éléments enregistrés. Les 28,9 % restants sont répartis sur l’architecture, les arts, le cinéma, la société, la gastronomie, la géographie, la BD, les sciences et le sport.

Priorité aux savoirs

Les contenus culturels sur lesquels porte l’étude décrite ne sont en réalité que des Savoirs, des contenus, des éléments factuels, ressortissant du domaine de la Culture avec C majuscule. Or, quelle que soit leur importance historique, les connaissances factuelles n’aident pas les étudiants à se débrouiller dans une situation communicative, authentique. Et pourtant, comme le soulignent Byram et Zarate (1994), ces connaissances quelque peu encyclopédiques, ces Savoirs, forment le premier pas vers cette interculturalité. L’inventaire de contenus culturels fait par le Conseil de la coopération culturelle (1996) prévoit une marge considérable qui laisse la liberté aux enseignants de langues

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étrangères d’incorporer des éléments (inter)culturels dans le curriculum. Cet inventaire va au-delà des connaissances factuelles mais suggère qu’il faut intégrer du matériel qui illustre les valeurs, les comportements, les conventions, les rituels, etc. (par ex. : vie quotidienne, conditions de vie, relations interpersonnelles, valeurs dominantes, croyances et attitudes ; rapport au corps ; cf. CCCEC, p. 40-41). Dans quelle mesure l’enseignant de français connaît-il (et comprend-il) l’univers francophone ? Cet élément dépend de ses intérêts individuels, de ses expériences avec la culture

cible et de sa propre formation. L’enseignant peut être considéré comme « médiateur interculturel », ce qui implique des compétences et des aptitudes spécifiques ainsi qu’une formation adéquate. L’attitude de l’enseignant envers la culture cible est un facteur vital pour l’enseignement de la culture. Tant l’extrême de l’indifférence et de l’incapacité que l’enthousiasme excessif sont néfastes pour la motivation de l’apprenant. L’enseignement de la culture est une expérience guidée qui mène les élèves pas à pas, et souvent inconsciemment, de l’ethnocentrisme vers l’interculturalité. n

BIBLIOGRAPHIE • Byram M. et Zarate G. (1994). Definitions, objectives, and evaluation of cultural competence. Strasbourg, Council of Europe. • Council of Cultural Cooperation Education Committee (1996). Modern Languages : Learning, teaching assessment. A common European Framework of reference. Strasbourg, Education Committee. • Kwakernaak E. (2009). Didactiek van het vreemdetalenonderwijs. Bussum, Coutinho. • Puren C., Bertocchini P. et Costanzo E. (2001). Se former en didactique des langues. Paris, Ellipses. n

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MÉTIER | MANIÈRES DE CLASSE

« MANIÈRES DE CLASSE », une rubrique qui inaugure un voyage dans le monde de la formation des enseignants. Dans chaque livraison du Français dans le monde, elle présente une situation d’enseignement sur laquelle réfléchir et qui se présente comme suit : 1. La tâche : on définit une tâche complexe, qui est décomposée en sous-tâches, en fonction des compétences à acquérir. 2. Les objectifs : on part d’un objectif actionnel, en fonction de la tâche prévue, pour donner ensuite des exemples d’objectifs d’apprentissage liés aux soustâches établies dans la démarche méthodologique envisagée. 3. Les obstacles : on essaie d’identifier les difficultés d’ordre général qui peuvent surgir dans les différentes étapes conçues pour parvenir à la réalisation de la tâche. 4. Les conditions de réussite : on prend en considération ce qui est indispensable, utile ou souhaitable pour définir les conditions de réussite minimales de la tâche envisagée. 5. L’évaluation de la mise en place : on explique quelle est la démarche prévue et on indique les instruments d’évaluation/ autoévaluation possibles dont des exemples concrets sont fournis sur la Fiche « activités » en ligne. Sur Internet, une fiche « Activités » réunit les activités que l’enseignant peut proposer à la classe pour mettre en place le projet, sans négliger des activités d’autoformation à l’usage de l’enseignant même.

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MOTS ET IMAGES D’UNE VILLE :

LIRE ET DIRE

1. La tâche

Construire un produit multimédia à but informatif sur un lieu. Contextualisation : Dans une classe de lycée (option tourisme), les élèves commencent un échange scolaire avec un lycée français. Leur première tâche sera donc celle de présenter la ville où leur lycée est situé. L’enseignant propose de réaliser un produit multimédia qui comprendra des images, des vidéos et des textes. En fonction de la tâche finale, des sous-tâches seront nécessaires pour que les élèves s’approprient les éléments linguistiques et culturels indispensables à la réalisation finale. On peut retenir, entre autres : - Analyser des images fixes ou en mouvement ; - Analyser les écrits de la ville (affiches publicitaires, cartes de restaurant…) ; - Produire des images et des écrits pour présenter sa propre ville.

2. Les objectifs

On les identifie en fonction des compétences à acquérir à un niveau A2. On aura donc, en réception : - savoir décoder et interpréter les marques culturelles d’une image ; - savoir lire et comprendre les écrits de la ville au niveau linguistique et culturel ;

Et en production : - savoir choisir des images culturellement pertinentes pour présenter sa ville ; - savoir écrire de petits textes descriptifs, narratifs, explicatifs…

3. Les obstacles

À un niveau A2, il n’est pas évident que les apprenants puissent identifier et interpréter facilement les indices culturels d’un document visuel, scriptovisuel ou écrit. La tâche de l’enseignant sera en ce cas, essentiellement, celle de faciliter le travail de décodage de ces indices en tenant compte du fait que, lorsqu’on « lit » n’importe quel document appartenant à une autre culture, il est à priori impossible de le faire sans subir le conditionnement de ses propres habitudes culturelles. C’est le problème des représentations mentales auxquelles chaque individu a recours cognitivement devant toute nouveauté, y compris, dans notre cas, celles d’ordre linguistique et culturel, et qui partent très souvent de connaissances stéréotypées, dans le bon ou dans le mauvais sens. Cela met l’apprenant en situation d’interlangue, mais aussi en situation « interculturelle », avec des

marges de compréhension plus ou moins larges entre « le monde d’où l’on vient » et « le monde de la communauté cible » (CECR, 2001 : 82-84) selon les différences existant entre les deux réalités ou à l’intérieur de la même réalité, car « il faut souligner que la prise de conscience intercultu-

Fonctionner, linguistiquement parlant, dans la langue cible, et activer une prise de conscience culturelle et un savoir-comprendre les autres cultures » relle inclut la conscience de la diversité régionale et sociale des deux mondes » (idem), l’interculturel étant constitutif aussi des « cultures nationales », bouillons de cultures locales parfois contradictoires.

4. Les conditions de réussite

Parmi les conditions de réussite, l’organisation adéquate de la démarche interculturelle. Un premier pas incontournable sera l’élicitation des représentations que les apprenants ont d’une ville étrangère, française en ce cas, sans quoi le travail d’acquisition d’une compétence interculturelle mini-

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PAR PAOLA BERTOCCHINI ET EDVIGE COSTANZO

Deux exemples de la campagne récente d’affichage de la ville de Reims à destination des Parisiens.

BIBLIOGRAPHIE • Beacco J.-Cl., Byram M., 2007, Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe : de la diversité linguistique à l’éducation plurilingue, Strasbourg, Conseil de l’Europe. • Byram M., Gribkova B., Starkey H., 2002, Développer la dimension interculturelle dans l’enseignement des langues – Une introduction pratique à l’usage des enseignants, Conseil de l’Europe, Strasbourg • Damon J., Paquot T., 2014, Les 100 mots de la ville, PUF, coll. « Que sais-je? ». Gamba F., 2011, « Lire la ville quotidienne entre technique et poétique », Sociétés, n° 114, 2011/4, De Boeck Supérieur, p. 119-197. • Lazar I., Huber-Kriegler M., Lussier D., Matei G. S., Peck C. (dir.), 2007, Développer et évaluer la compétence en communication interculturelle, CELV – Conseil de l’Europe. n Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

male risque de ne pas aboutir. Remue-méninges, Q-sort et activités ludiques constituent toujours une ressource méthodologique importante dans cette phase. Un deuxième aspect à ne pas négliger sera celui de la prise de conscience des stéréotypes culturels internes et externes à toute culture que l’enseignant est appelé à faire ressortir à travers la mise en place d’activités pertinentes. Un troisième volet de la démarche pédagogique à structurer ne saurait négliger le choix des matériaux de travail (images, écrits…) qui sera fait de préférence en fonction des critères suivants : • l’organisation sérielle des documents pour faciliter le travail de repérages des indices culturels ; • l’évocation ou la référence claire que les documents français ou francophones peuvent présenter sur la culture d’origine des apprenants et vice versa pour mieux pratiquer le jeu de regards croisés qui, donnant lieu aux comparaisons inévitables, favorise la prise de conscience et l’analyse de la connaissance stéréotypée. Et pour la production, l’enseignant veillera à proposer des tâches d’apprentissage qui favorisent l’acquisition d’une compétence discursive de base. Pour ce faire, l’analyse de documents en réception permettra de dégager les matrices à proposer pour le passage à l’écrit en facilitant la tâche à des apprenants dont le niveau nécessite de modèles discursifs à s’approprier pour passer à une production autonome.

5. L’évaluation du dispositif

S’il est nécessaire que l’évaluation du dispositif comporte toujours, pour l’enseignant, la mise en place d’instruments d’auto-analyse visant à favoriser la réflexion sur l’efficacité de la démarche proposée, il est d’autant plus nécessaire d’envisager, pour les apprenants, des instruments d’évaluation et/ou auto-

évaluation qui tiennent compte de ce qu’il est désormais courant d’appeler compétence communicative interculturelle (CCI). Mais si, pour les sous-tâches envisagées en réception, il est facile de prévoir des instruments d’évaluation indirecte (Q. C. M., questionnaires ouverts, associations…) pour l’aspect linguistique mais aussi pour celui qui concerne l’appropriation des savoirs culturels où il est demandé aux apprenants d’associer, regrouper, catégoriser des éléments culturels appris, il n’en est pas de même pour les savoir-faire et les savoir-être qui caractérisent à ce niveau la CCI. Si, pour les premiers, à ce niveau de compétence il est prévu, tout simplement, que l’on sache « fonctionner, linguistiquement parlant, dans la langue cible » (Lazar et alii) et, pour les deuxièmes, que l’on puisse activer « une prise de conscience culturelle et un savoir-comprendre les autres cultures » (idem), il ne reste à l’enseignant que veiller à ce que, en production, la compétence langagière activée intègre en connaissance de cause les éléments culturels acquis. Par quels instruments ? Des échelles d’évaluation, par exemple, à construire collectivement, pour évaluer le produit final en fonction des caractéristiques négociées (simple brochure contenant de l’écrit et des images fixes ou, plus complexe, une présentation incluant aussi de petites vidéos…), qui pourront être utilisées pour le portfolio des apprenants et représenter une première étape vers le passage de la CCI à la compétence critique qui demande « l’appropriation de sa propre identité et de savoir accepter et interpréter les autres cultures » ainsi que l’adaptation à différents contextes « en intégrant de nouvelles expériences et en utilisant efficacement sa compétence langagière » (idem). n

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MÉTIER | SAVOIR-FAIRE

APPROCHE PAR COMPÉTENCES

ET APPRENTISSAGE DES TEMPS VERBAUX L’approche par compétences est la base pédagogique de toutes les actions d’enseignement de la réforme éducative impulsée en Algérie depuis une dizaine d’années. Elle vise à doter les apprenants algériens d’outils langagiers, de stratégies et d’atouts pour leur permettre de faire face aux exigences de la vie. PAR ABDERREZAK AMARA

Abderrezak Amara est maître de conférence à l’Université de Mostaganem (Algérie).

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O

n peut définir l’approche par compétences comme étant une façon moderne d’enseigner. Pour apprendre, l’élève doit agir en fonction de situations qui sont déterminées par l’enseignant et qui contiennent les connaissances que l’élève doit acquérir.

De la théorie…

Selon Alain Rieunier, la compétence est « la capacité à articuler un ensemble de ressources – savoirs, savoir-faire, savoir-être, savoir communiquer, savoir inventer – mobilisées par un individu ou par une équipe pour résoudre une situation complexe, originale ou routinière, de manière autonome ». Bien plus, la compétence est considérée comme un « savoir-agir » qui met en branle un ensemble de connaissances, de capacités et d’habiletés requises pour être utilisées de façon efficace dans des situations-problèmes auxquelles peut faire face l’élève (en situation scolaire ou extrascolaire) et qui, selon Farouk Bouhadiba, « peuvent n’avoir jamais fait partie de son expérience antérieure ». Cette approche par compétences va permettre à l’enseignant de consolider la durabilité des apprentissages chez ses apprenants. Une fois que l’élève saisit ce qui est enseigné, l’enseignant le place dans des situations similaires afin de faciliter l’utilisation de ses connaissances dans divers contextes et lui permettre de mieux les assimiler. Par

exemple, pour aider à l’intégration des connaissances en conjugaison, l’enseignant propose des situations où l’élève doit utiliser la conjugaison pour corriger les textes de ses camarades, vérifier sa propre rédaction, expliquer la conjugaison des verbes employés aux élèves qui n’ont pas tout saisi. Le développement d’une compétence comme savoir raconter, repose sur la qualité de la compréhension des apprentissages (temps verbaux, cohérence, anaphores, etc.) et sur l’utilisation fréquente et variée de cette compréhension dans un contexte donné et des contextes similaires. L’élève deviendra compétent, selon Richard et Bissonnette, « lorsqu’il saura agir avec brio dans des contextes particuliers et semblables. Il le saura parce qu’il aura compris ce qu’il doit faire, et qu’il se rappellera comment et dans quelles conditions le faire efficacement, puisqu’il se sera exercé régulièrement » en classe. Dans l’approche par compétences, l’élève fait part de sa compréhension et montre son savoir-faire en désignant et en développant les choses avec ses propres mots. « Il possède alors des connaissances dites déclaratives », affirment ces auteurs. Le pas-

L’approche par compétences dans le système éducatif algérien est un atout pour donner du sens au travail scolaire

sage du stade de l’habileté vers celui de la capacité s’accomplit selon eux quand « l’élève est en mesure de passer à l’action et d’utiliser ce qu’il a compris dans le contexte d’une situation problème dont le niveau de complexité est plus élevé. Alors qu’au niveau de l’habileté l’élève a compris quoi faire, au stade de la capacité il lui faut maîtriser les conditions nécessaires pour utiliser ce qu’il a compris, soit les pourquoi, comment, quand et où le faire, c’est-àdire les connaissances procédurales et conditionnelles. » Finalement, le passage de la capacité vers la compétence se matérialise lorsque l’emploi de ce que l’élève a compris se montre réfléchi au point que le succès obtenu l’incite à en refaire l’expérience.

… à la pratique

Voyons maintenant de près le contexte algérien : l’approche par compétence peut-elle régler les problèmes que rencontrent les apprenants algériens dans l’expression des temps verbaux du français ? En principe, le parcours que devra suivre l’apprenant algérien pour développer, par exemple, l’habileté à employer les temps verbaux du récit, qui concourt au développement de la compétence savoir raconter, se fait de la manière suivante : tout d’abord, au niveau de l’habileté, l’élève devra apprendre la règle qui régit l’emploi de chacun des temps, à savoir : le passé composé, le passé simple et l’imparfait. Une fois la règle apprise et comprise, l’élève va l’appliquer dans un exercice proposé à cet effet. Il s’agira

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pour lui, par exemple, de mettre le temps qui convient. S’il arrive à maîtriser puis à appliquer cette règle dans un contexte, on peut dire qu’il a atteint l’habileté. Mais le passage de l’habileté vers la capacité n’est pas aussi simple qu’on le pense. Les exercices répétés qui montrent la compréhension de l’élève ne suffisent pas. Il doit être capable de se servir de ses acquisitions pour régler une situation-problème, comme « produire un texte cohérent », dans lequel il intégrera de manière intelligente les temps verbaux qui conviennent.

Il faut projeter les apprenants dans de vraies situations, des démarches de projet, des problèmes ouverts Mais cette opération ne peut s’effectuer sans le concours de l’enseignant qui joue un rôle important pour amener l’élève vers la maîtrise de la capacité. Il lui montrera progressivement comment appliquer la règle d’emploi des temps verbaux du passé dans le contexte d’une production écrite, et lui demandera de rédiger trois ou quatre phrases dans lesquelles il devra les insérer. Il pourra ensuite l’inviter à écrire des phrases où le passé composé est employé, et enfin d’autres phrases dans laquelle on retrouvera le passé composé, le passé simple et l’imparfait, ensemble. Il va ainsi intérioriser la règle d’emploi des temps verbaux du passé dans différents contextes.

Grâce à l’aide de l’enseignant, cette capacité sera ensuite mobilisée à l’intérieur de la compétence savoir rédiger, en faisant écrire régulièrement à l’élève des textes où il pourra automatiser l’emploi de chacun des temps verbaux du passé.

Une complexe implantation

L’approche par compétences dans le système éducatif algérien nous semble un atout pour donner du sens au travail scolaire, mais les réactions des enseignants du primaire et du collège nous laissent penser que cette méthode se confronte à des difficultés supplémentaires dans la conception et l’analyse des tâches proposées aux élèves. Il ne suffit plus de proposer des exercices intéressants et bien conçus, il faut projeter les apprenants dans de vraies situations, des démarches de projet, des problèmes ouverts : plus une situation a du sens, plus elle mobilise et implique un plus grand nombre d’apprenant. Farouk Bouhadiba a souligné que l’approche par compétences, « si elle est bien implantée dans notre pays, apportera certains éléments de réponse aux questionnements et aux lacunes constatées ». Toutefois l’enseignant ne doit-il pas se contenter de centrer son apprentissage sur les compétences à faire acquérir mais se donner les moyens d’assurer le suivi de la progression de chaque élève. C’est pourquoi cette approche nécessite, en Algérie, d’être jugée sur la durée malgré le temps déjà écoulé depuis la mise en place de la réforme de l’éducation et l’innovation pédagogique impulsée. n

BIBLIOGRAPHIE • Bouhadiba F., 2004. Cahiers de langue et de littérature, numéro spécial, Université de Mostaganem. • Rieunier A., 2004. « Psychologie et pédagogie. À la recherche des fils de la trame », Actualité de la formation permanente, n° 191, Paris. Disponible sur : http://www.meirieu.com/ECHANGES/rieunierpsyetped.pdf • Richard M. et Bissonnette S., 2001. Comment construire des compétences en classe. Des outils pour la réforme (texte condensé du livre), Montréal, Chenelière/ McGraw-Hill. Disponible sur : www.umanitoba.ca/unevoc/conference/papers/richard.pdf

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MÉTIER | ÉVALUATION

LE NOUVEAU TEST DE LANGUE DU CIEP Entre dix et vingt fois moins cher que la concurrence, 100 % en ligne, modulable et adaptatif, Ev@lang modernise le test de langue grâce au Centre international d’études pédagogiques, qui le décline en français, en anglais et en arabe. PAR CÉCILE JOSSELIN

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vec Ev@lang, le CIEP s’engage sur un tout nouveau marché, celui des tests dans d’autres langues que le français. « C’est une mini-révolution pour nous, annonce avec fierté Sébastien Portelli, responsable du bureau des tests du CIEP. C’est un marché ultra-concurrentiel sur lequel les organismes étrangers (le TELC, Cambridge English avec le Bulats, ETS Global avec le TFI, etc.) proposent déjà depuis plusieurs années des tests en français. Il était donc temps pour nous d’en faire autant ! Avec Ev@ lang, nous entrons dans une offre multilingue qui devrait aussi intéresser le monde de l’entreprise que nous ne touchions pas jusque-là. » À la différence du TCF qui est un test de certification permettant de prétendre à une inscription dans une université, à la naturalisation française ou à l’émigration au Québec, ce nouveau test servira juste à faire du pronostic. « Il est de ce fait plus rapide – 7 à 35 minutes contre 1 h 30 pour le TCF –, plus souple et bien moins cher », précise avec enthousiasme

Sébastien Portelli. Comme, de plus, il est 100 % en ligne, il n’y a pas besoin d’attendre une session et ne nécessite pas toute la logistique d’un test certifiant (respect de normes contraignantes, organisation de sessions d’examen, frais d’impression et d’envoi des épreuves papiers…). « Nous pouvons ainsi le proposer à un prix très modique. » C’est d’ailleurs le premier atout d’Ev@lang, qui devrait être vendu en France aux candidats entre 5 et 10 euros (pour les trois premiers modules), contre 90 à 100 euros pour le TCF ou d’autres tests concurrents.

Bientôt en espagnol, russe et chinois

Les écoles de langue pourront ainsi utiliser ce nouveau test pour constituer les groupes de niveaux de leurs cours ou pour orienter les candidats vers les diplômes de langue (DELF/ DALF) qui sont proposés par niveaux. « Actuellement, elles utilisent souvent des outils maison moyennement satisfaisants et assez inégaux. Avec Ev@lang, nous leur proposons un outil fiable et précis, prêt à

l’emploi, pour faire ce travail à leur place », ajoute Sébastien Portelli. Dégagé des contraintes humaines et matérielles, le centre pourra même proposer au candidat de passer le test de chez lui. L’école lui enverra alors un code d’accès à usage unique pour se connecter en ligne et il recevra immédiatement les

« Ev@lang est plus rapide – 7 à 35 minutes contre 1 h 30 pour le TCF –, plus souple et bien moins cher » résultats. C’est une vraie ressource contre la chronophagie usuelle des tests, à laquelle a été sensible Paul Pouzergues, chef de projet FLE qui l’a testé au Service interuniversitaire d’apprentissage des langues (SIAL) de la Sorbonne : « Il nous a permis de gagner un temps précieux en période de rentrée », assure-t-il. Les entreprises françaises sont la deuxième grande cible de cette nouvelle offre de service. « Pour un emploi qui nécessite la maîtrise d’une-

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016


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ILS L’ONT TESTÉ EN AVANT-PREMIÈRE Avant de le lancer sur le marché, le CIEP a testé Ev@lang chez différents partenaires, où ses résultats ont été comparés aux tests maison. En avril 2015, neuf Instituts français au Maroc l’ont fait passer à près de 300 apprenants. À Fès, la concordance était parfaite à plus de 91 % ! Rozenn Joufflineau, coordinatrice des certifications de l’Institut français du Maroc, confirme : « Ev@lang nous intéresse beaucoup, comme je pense de nombreuses écoles de langues au Maroc, les universités et beaucoup de nos entreprises pour lesquelles la maîtrise du français est souvent un critère d’embauche. Nous avons d’ailleurs déjà été sollicités par un grand cabinet de recrutement pour l’achat de 1 600 tests ! » Après l’Alliance française de Quito et celle de Bruxelles, le SIAL de la Sorbonne l’a enfin fait passer à près de 150 élèves en janvier dernier : « Son administration et la gestion de ses résultats me paraissent très intéressantes dans la création de groupes de niveaux. Les résultats obtenus sont très précis, ce qui permet de former des groupes plus homogènes. C’est vraiment un outil pratique, très intuitif, qui est en plus très bon marché ! », confirme Paul Pouzergues, son chef de projet FLE. n

Proposées de manière aléatoire, les questions s’adaptent au niveau des candidats au fil du test afin d’affiner son évaluation langue étrangère, Ev@lang peut faire partie des tests de prérecrutement. Les entreprises n’ont pas besoin d’un test certifiant. Elles veulent juste avoir une estimation claire et précise. Ev@lang correspond parfaitement à ce besoin, et ceci à un bien plus faible coût que les autres tests à leurs dispositions ! Nous misons beaucoup sur cette cible pour notre version anglaise », précise-t-on au CIEP, où l’on travaille actuellement à la finalisation de la version en arabe, qui s’annonce prometteuse, le marché étant encore quasi vierge. « Nous espérons lancer une version en espagnol courant 2016. Nous pensons ensuite nous lancer sur Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

des versions en russe et en chinois, puis en allemand voire en portugais. » Entièrement à la carte, Ev@lang évalue une, deux, trois… et bientôt quatre ou cinq activités langagières. C’est le candidat qui décide du nombre et des compétences à examiner. La compréhension écrite, la compréhension orale, la grammaire et le lexique sont d’ores et déjà prêts. L’expression orale et l’expression écrite devraient être disponibles dès septembre 2016. Proposées de manière aléatoire, les questions s’adaptent au niveau des candidats au fil du test afin d’affiner son évaluation. « Nous pouvons ainsi proposer des résultats bien plus fins que nos concurrents qui se cantonnent habituellement à 6 niveaux. Nous en proposons 12 pour chaque compétence auquel s’ajoute le premier niveau non atteint. » Les élèves pourront ainsi avoir une idée très précise de leurs points forts et de leurs points faibles pour progresser, palier par palier. n

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MÉTIER | QUE DIRE, QUE FAIRE ? Plus-que-parfait, imparfait, passé composé, passé récent… Notre conjugaison est très riche mais pour les apprenants il y a parfois de quoi s’y perdre ! Chaque temps a sa logique et son fonctionnement. Pour manier un nouveau temps, l’apprenant doit évidemment se l’approprier. Il le compare à sa langue native ou à d’autres langues étrangères, mais cela ne fonctionne pas toujours et il doit alors faire un effort important pour accepter une logique tout à fait nouvelle. Comment aidons-nous les apprenants à comprendre, identifier, différencier et surtout utiliser correctement les différents temps du passé ? Quelles techniques originales ou quels supports sont particulièrement adaptés ? C’est ce que nous avons demandé à la communauté d’enseignants sur le Facebook de votre revue. Voici leurs réponses. RUBRIQUE ANIMÉE PAR ADRIEN PAYET www.fle-adrienpayet.com

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es apprenants ont en général beaucoup de mal à systématiser les conjugaisons des temps au passé (particulièrement le passé composé). J’utilise beaucoup d’activités ludiques, notamment la bataille verbale qui permet de systématiser à l’oral. Le jeu fonctionne sur le même principe que la bataille navale mais avec des verbes et des pronoms personnels à la place des chiffres et des lettres. Cela permet d’introduire un enjeu non linguistique et de l’amusement lors d’une étape fastidieuse et néanmoins nécessaire. ROMAIN FABRES, Canada

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vec les adolescents, j’utilise bien souvent comme documents déclencheurs des articles issus de la rubrique « insolite » des journaux. Les occurrences sont suffisamment nombreuses pour faire un repérage des temps du passé et permettre un vrai travail sur la langue. Ces articles sont en général très amusants à lire et motivent les apprenants lors de l’étape de compréhension car ils veulent savoir ce qu’il est arrivé. Pour la production, je leur donne un support de type photo ou titre de presse insolite en leur demandant de rédiger un article qui explique ce qu’il s’est passé. De plus, ils sont très motivés pour lire ensuite l’article et découvrir s’ils ont vu juste dans leur production. STANISLAS VENCESLAS, France

COMMENT ENSEIGN

A

vec la chanson « Trois Petits Chats », les enfants peuvent utiliser facilement le passé composé pour raconter ce que les chats ont fait dans la vidéo. Le lien : https://www.youtube.com/ watch?v=aPjHCM9FwQo ALMEDA FLORES VERONIKA, Mexique

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our consolider la concordance des temps du passé de manière amusante, j’aime utiliser l’activité des deux anecdotes amusantes. Les apprenants doivent écrire, puis raconter, deux histoires qui leur sont arrivées. L’une est vraie, l’autre non ! C’est ensuite aux autres apprenants de deviner laquelle est un mensonge. On peut aussi leur demander de corriger les erreurs des autres et même ouvrir le débat sur la subtilité de l’utilisation des temps avec un niveau plus avancé ! CLOÉ COMBEAU, France

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e dispose quatre chaises en ligne et indique sur chacune d’elle un temps du passé. Sur la chaise la plus à gauche je colle le papier « Plus-que-parfait », à côté « Imparfait » puis « Passé composé » et enfin « Passé récent ». Je demande ensuite aux apprenants de raconter une histoire en se plaçant devant les différentes chaises et donc en utilisant ces différents temps.

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ous jouons à « La patate chaude ». C’est une boîte avec plusieurs questions/réponses au présent et il faut les mettre à tous les temps du passé.

n s’appuie sur la poésie de Jacques Prévert « Le Petit-Déjeuner  ». Nous lisons et les élèves découvrent le passé dans le texte. Un élève mime une action du texte et les autres doivent dire la phrase correspondante.

LETUICI BORTOLUZZI, Brésil

JULIA FLORES, Espagne

AYSEL ONAL, Turquie

ER LES TEMPS DU PASSÉ ? À RETENIR

Passer du temps sur les temps du passé Nous décortiquons souvent les temps froidement comme le ferait un biologiste dans son laboratoire : « Prenez la racine du futur, ajoutez-y la terminaison de l’imparfait, vous obtiendrez un conditionnel présent. » Comprendre la structure d’un nouveau temps est une chose mais il ne faut pas oublier pour autant de lui donner un sens. Certains supports, tels que des textes, des chansons ou encore des images permettent de faire comprendre aisément pourquoi nous utilisons tel ou tel temps du passé. C’est également le cas des articles insolites proposés par Stanislas (description de la situation ou du contexte à l’imparfait, démonstration des faits

au passé composé, etc.) Le support visuel que propose Nicoletta permet de mémoriser de manière visuelle l’agencement des temps dans le récit. Et pour la chronologie et la concordance des temps, l’activité de systématisation de Julia me semble également très intéressante car elle permet de faire produire les apprenants, tout en sollicitant leur intelligence spatiale. Enfin, pour motiver les apprenants rien de mieux que de les placer au centre du sujet. Ainsi, l’activité du menteur proposé par Cloé permet à la fois de produire au passé mais aussi de s’intéresser aux membres de la classe et à leurs anecdotes personnelles. n

Un grand merci aux enseignants qui ont partagé leur expérience. Rendez-vous dès à présent sur l’onglet « Forum » de notre page Facebook pour participer aux prochains « Que dire, que faire ? ». Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

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n donne des catalogues et on divise la classe en quatre groupes. On attribue à chaque groupe une saison et on demande aux élèves de faire leurs valises avec les vêtements trouvés dans le catalogue. MARWA MOHSEN et OMAYMA SAYED, Égypte

Rejoignez FACEBOOK/LeFDLM www.fdlm.org

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ela peut paraître antipédagogique mais j’enseigne le passé à l’aide de la traduction. Nous avons en espagnol le pretérito perfecto simple (yo trabajé) et le pretérito perfecto compuesto (yo he trabajado). C’est mon point de départ ; à partir de là, on ajoute des précisions, on joue avec les participes réguliers et irréguliers, on produit des phrases, toujours au moyen de la traduction. Les élèves se rendent compte combien ils apprennent de leur propre langue maternelle. L’imparfait, c’est déjà plus facile ! SILVINA CARRIZO DE TOURNOUD, Argentine

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MÉTIER | ZOOM

LES LANGUES PARLENT D’UNE MÊME VOIX : L’APPORT DU CECR Quinze années après sa création, petit éclairage sur quelques contributions essentielles du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR), devenu un repère et un modèle pour l’enseignement-apprentissage des langues. PAR LUCIA CLARO

Lucia Claro est adjointe à la direction de l’enseignement à l’Alliance française de São Paulo et docteure en didactique du FLE de l’Université de São Paulo (Brésil).

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C

’est en 1991 que le Conseil de l’Europe a été chargé de la création d’un cadre commun de référence pour l’enseignement-apprentissage des langues en Europe. L’objectif de cet outil étant donc la description – et, par conséquent, un rapprochement – de l’enseignement-apprentissage de ces langues à tous les niveaux, pour que « toutes les catégories de la population disposent effectivement des moyens d’acquérir une connaissance des langues des autres États membres et une aptitude à utiliser lesdites langues telle qu’elle leur permette de satisfaire leurs besoins de communication (...) ». (2001, p. 11). Le Cadre européen commun de référence pour les langues (le Cadre) a ouvert une nouvelle ère dans l’enseignement des langues vivantes en Europe, puisqu’il s’agit du premier outil de politique linguistique véri-

Le Cadre propose une démarche basée sur la communication, mais surtout sur l’action insérée dans un contexte social

tablement transversal à toutes les langues vivantes et non pas restreint à une langue spécifique. En effet, avec le Cadre, le Conseil de l’Europe a réussi à créer un outil majeur non seulement pour la transparence, la compréhension et la comparabilité des dispositifs pédagogiques, mais aussi pour les qualifications des langues européennes, avec la création de l’échelle de niveaux.

De l’approche communicative à la perspective actionnelle

La perspective de type « actionnel » occupe une place centrale dans les apports du Cadre. La conception de la langue est donc centrée sur l’action et l’on précise que cette action peut être langagière ou non langagière. L’accent est mis sur les mots action et tâche. Le Cadre propose une démarche basée non seulement sur la communication, mais surtout sur l’action insérée dans un contexte social. C’est l’objectif à atteindre qui définira la démarche d’enseignement. Quant à l’évaluation et aux attestations de niveau, elles seront également établies à partir de ces objectifs, autrement dit, à partir des tâches que l’apprenant est capable de réaliser. Cette nouvelle conception de l’en-

seignement-apprentissage d’une langue, qui vise à faire de l’apprenant un usager à part entière de la langue, suppose des modifications importantes dans les choix didactiques et dans les pratiques de classe. En effet, c’est l’objectif même de l’apprentissage qui se modifie dans cette perspective. Il ne suffit plus de préparer nos apprenants à communiquer dans des situations prévisibles, il faut maintenant les préparer non seulement à communiquer en langue étrangère, mais aussi à vivre, à agir, à interagir en langue étrangère et à s’intégrer dans un pays étranger. Pour ce faire, ils doivent réaliser les tâches les plus diverses, dans des domaines particuliers : s’inscrire à l’université, remplir un formulaire, ouvrir un compte bancaire, accomplir des démarches administratives, etc. Leur niveau de compétence à communiquer langagièrement est défini par le nombre et la complexité de tâches qu’ils peuvent accomplir.

Perspective actionnelle et notion de « tâche »

La notion de tâche est au cœur même du Cadre. Pour accomplir ces tâches, l’usager d’une langue doit mobiliser l’ensemble de ses compé-

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L’enseignant ne doit pas exclure un travail approfondi de réflexion lors de l’utilisation des outils pédagogiques issus du CECR

tences, c’est-à-dire ses compétences générales (savoir socioculturel, savoir-faire, savoir-être, etc.) et ses compétences communicatives langagières (compétences linguistiques, sociolinguistiques et pragmatiques). La perspective actionnelle élargit ainsi les dimensions de l’enseignement-apprentissage d’une langue, puisqu’elle tient compte non seulement des compétences liées à l’aspect linguistique de l’apprentissage, mais aussi des compétences générales individuelles, autrement dit des aptitudes et des savoirs de chaque apprenant. C’est grâce à cet équilibre entre les différentes compétences que l’apprenant devient un usager efficace de la langue, un acteur social. Dès lors qu’elle s’inscrit dans des situations authentiques, en relation avec les besoins de communication des élèves, la tâche donne un sens à l’apprentissage d’une langue et favorise l’engagement personnel dans cet apprentissage. Nous pourrions

regrouper ces tâches de la manière suivante : • Tâches de l’usager = tâches authentiques de la vie réelle (ex : donner son avis, justifier un point de vue, etc.) • Tâches de l’apprenant = tâches spécifiques à l’enseignement-apprentissage d’une langue. Dans un cours basé sur la perspective actionnelle, les tâches s’éloignent d’un simple exercice de manipulation de formes, hors contexte. Apprendre une langue dans une perspective actionnelle, c’est donc savoir agir – en tant qu’apprenant ou utilisateur – en vue d’un résultat tangible, identifiable et motivé par un objectif communicatif clair et précis.

Des descripteurs aux pratiques de classe

Un des grands apports du Cadre est bien évidemment la définition de six niveaux de compétences sous forme d’échelle qui permettent de distinguer les différentes étapes

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dans l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère. Pour chacun de ces niveaux, le Cadre propose des descripteurs définissant les compétences dans chaque activité langagière. Cette échelle de niveaux de compétences, commune à toutes les langues européennes, vient répondre au besoin de transparence des diplômes dans les langues européennes et fournit, en même temps, une base commune pour l’élaboration de programmes d’enseignement-apprentissage de ces langues. Pour l’enseignant, ces descripteurs constituent un point de repère inestimable pour l’élaboration d’un programme d’enseignement et la conception d’un cours. Ils sont à l’origine de différents référentiels comme celui de l’Alliance française de Paris, Référentiel pour le Cadre européen commun (CLE International, 2008). Ces référentiels ont servi de base à la conception de méthodes et de séquences didactiques. Même si l’enseignant dispose aujourd’hui d’un grand nombre de méthodes qui ont déjà été conçues en adéquation avec le Cadre, cela n’exclut pas de sa part un travail approfondi de réflexion lors de l’utilisation de ces outils pédagogiques. Parallèlement, les documents authentiques que l’enseignant choisit pour compléter son cours doivent se prêter également à l’atteinte des objectifs pédagogiques préétablis. Au moment de la préparation d’une séquence didactique,

l’enseignant doit donc veiller à l’aspect actionnel de son cours et à son adéquation à l’échelle de niveaux, en se posant plusieurs questions, par exemple : - Est-ce que l’objectif de l’activité est en adéquation avec les descripteurs du CECR pour ce niveau, dans cette activité langagière ? - Est-ce que le support choisi se prête à l’atteinte de cet objectif ? - Est-ce que le type de support est en adéquation avec ce niveau du CECR ? - Est-ce que les tâches proposées sont en adéquation avec les descripteurs du CECR pour ce niveau ? - Est-ce que les tâches proposées permettent à l’élève de réaliser les compétences communicatives prévues dans les descripteurs pour ce niveau ? En définitive, quinze ans après sa création et le succès de son implantation, on constate aujourd’hui combien Le Cadre a favorisé, et favorise, à la fois le foisonnement de réflexions et l’établissement d’un langage commun à l’enseignement-apprentissage des langues européennes. n

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MÉTIER | INNOVATION RFI lance RFI SAVOIRS, un site destiné au grand public comme aux professionnels de l’éducation mettant à leur disposition des ressources et des outils – pour apprendre le français et comprendre le monde en français – qui s’appuient sur la richesse des contenus de la radio du monde et de ses partenaires.

RFI SAVOIRS : COMPRENDRE, ENSEIGNER ET PARTICIPER EN FRANÇAIS Olivier Da Lage, rédacteur en chef de RFI SAVOIRS

« Supposons que j’aie un exposé à faire sur les Africains dans la Première Guerre mondiale. Je me rends sur le site RFI SAVOIRS, je choisis dans Comprendre et enrichir ses connaissances la thématique Histoire, et dans la colonne de gauche, je clique sur Première Guerre mondiale : 60 éléments sont disponibles. J’affine par zone

DR

PAR MARINE BECHTEL

géographique en sélectionnant “Afrique”. Il en reste 14. Parmi eux, je peux faire mon choix entre plusieurs émissions sur les rôles respectifs du Burundi, du Cameroun, du Tchad ou de l’Algérie. J’y trouve également un article faisant la synthèse sur la place de l’Afrique dans la Grande Guerre. Au fond, c’est comme explorer une bibliothèque en suivant les rayonnages jusqu’à trouver les ouvrages recherchés ! » n

FICHE PÉDAGOGIQUE DISPONIBLE EN PAGES 73-74

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e site RFI SAVOIRS, qui s’articule en trois grandes parties, est un complément documentaire au site d’actualité rfi.fr et propose des dossiers autour des sujets traités à l’antenne pour approfondir ses connaissances. Il offre en outre une navigation intuitive, optimisée pour tous les supports fixes et mobiles. La partie « Comprendre et enrichir ses connaissances » s’adresse à tous ceux qui sont à la recherche d’informations dans les grandes disciplines que sont l’histoire, la géopolitique, les sciences, la santé, l’environnement ou encore la culture. Les internautes peuvent trouver de vastes ressources documentaires que constituent les émissions et articles de RFI déjà disponibles et à venir, regroupés dans des dossiers thématiques. À la différence du site rfi.fr, RFI SAVOIRS ne vise pas à l’exhaustivité. Ce sont des choix éditoriaux ciblés qui déterminent son contenu. Sa conception est basée sur la démarche logique de l’utilisateur qui navigue dans un environnement

Lidwien van Dixhoorn, chef du service Langue française

« L’enseignant de français spécialisé qui, par exemple,prépare un projet de classe sur le réchauffement climatique, trouvera une vingtaine d’extraits sonores et ressources pédagogiques. Il introduit le projet avec un travail d’écoute sur la situation alarmante des îles Maldives. Il télécharge le son et la fiche pédagogique ou mémorise l’ensemble sur son compte pour les retrouver sur l’ordinateur de sa classe. Il peut aussi proposer à ses étudiants de travailler en autonomie avec les exercices autocorrectifs sur la COP21. Pour les aider à comprendre, les sons sont accompagnés d’une transcription, d’un dictionnaire multilingue et d’un lexique. Enfin, la classe peut partager son projet et ses travaux dans la communauté avec d’autres francophones et francophiles du monde entier.» n

intuitif à la recherche d’informations dans un domaine particulier. Il vise un large public : étudiants, chercheurs, ou tout internaute soucieux de parfaire ses connaissances dans un domaine donné pour lequel l’expertise de RFI est reconnue. C’est donc une approche différente, mais totalement complémentaire, de celle qui prévaut sur le site rfi.fr sur lequel l’internaute est invité à naviguer en fonction de l’actualité ou par type d’émission.

Un véritable laboratoire d’expertise

La partie « Apprendre & enseigner le français » est destinée à tous ceux qui souhaitent parfaire leurs connaissances du français ou intégrer la radio dans leur enseignement : les émissions forment le point de départ d’activités d’apprentissage et d’enseignement du français. RFI SAVOIRS intègre désormais les ressources pédagogiques développées depuis de nombreuses années par RFI pour l’apprentissage et l’enseignement de la langue française, en les rendant encore mieux accessibles. Les internautes trouveront des extraits d’émissions classés par thèmes, objectifs ou types de contenus. Ils sont accompagnés d’activités en ligne – exercices et quiz – ou d’outils pédagogiques pour améliorer la compréhension orale et enrichir le vocabulaire. Des fiches pédagogiques prêtes à l’emploi permettent aux enseignants de mieux intégrer la radio dans leurs cours de français. Fruits de plusieurs partenariats avec différents experts, des dossiers et collections complètent ces outils pédagogiques : L’Atelier radio pour comprendre et reproduire les formats radio ; Autour des professions pour aborder un vocabulaire spécialisé ; et un parcours d’autoformation pour les enseignants dans le dossier Dynamiser les pratiques de classe avec la radio. Pour les internautes qui souhaitent s’initier au français, le site propose des séries bilingues pour apprendre à son rythme. La partie « Participer à la communauté » propose un espace de travail et d’échanges convivial dans

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Isabelle Cros, blogueuse RFI SAVOIRS

« Doctorante en sciences du langage et attachée de recherche et d’enseignement à l’Université de la Sorbonne Nouvelle, je tiens un blog intitulé Perfectionnement linguistique français. J’ai été séduite par ce nouveau site à l’interface résolument plus attrayante. La plateforme communautaire de RFI SAVOIRS m’a paru un parfait tremplin pour me lancer dans cette aventure 2.0. Parce que le site est très simple d’utilisation, et aussi grâce au tutoriel, j’ai ouvert en “deux clics trois tags” mon blog, avec simplement une photo de ma bibliothèque et des idées tous azimuts. La rédaction de ce blog est pour moi source de plaisir : il me permet de travailler autrement la langue française. Bien qu’il soit conçu pour s’adresser à mes étudiants, j’ai l’espoir qu’il puisse aussi être utile à d’autres professeurs ou apprenants et qu’il s’enrichisse des apports mutuels des membres de la communauté RFI SAVOIRS.» n

lequel toutes les découvertes et intelligences peuvent se construire et s’exprimer. Chaque utilisateur inscrit dispose d’un espace personnel de sauvegarde et de classement de ressources qu’il peut ensuite facilement réutiliser ou consulter. Un forum de questions/réponses lui permet à tout moment de demander ou de proposer de l’aide aux autres membres sur un contenu rencontré sur le site. Pour enrichir et faire vivre ce « laboratoire d’expertises », apprentissages et enseignements, un espace de publication permet de faire connaître ses travaux et ceux de sa classe, ou encore de partager ses connaissances sous forme d’audioblog (MP3), de billet (texte) ou de ressources à télécharger (PDF). n

RFI SAVOIRS EN CHIFFRES Déjà plus de 600 audios disponibles 75 dossiers Une centaine d’exercices en ligne Plus de 500 000 fans sur Facebook

POUR EN SAVOIR PLUS savoirs.rfi.org

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MÉTIER | ressources Approche créative à tous les niveaux

PAR CHANTAL PARPETTE

TECHNOLOGIES : QUE NOUS RÉSERVE 2016 ?

B1-B2

UNE GRAMMAIRE TRÈS COMMUNICATIVE

C’est ce que propose dans Grammaire des premiers temps B1-B2 D. Abry et M.-L. Chalaron, connues de longue date pour l’originalité et la créativité de leurs propositions pédagogiques (PUG 2015). Leur ouvrage nous rappelle que la grammaire n’est pas un ensemble de structures isolées, hors contexte, mais un élément du discours et de la communication aussi bien orale qu’écrite. Au long de ses 300 pages, le manuel aborde en 18 chapitres les contenus grammaticaux recommandés par le CECR, formes verbales, marqueurs de temps, relations logiques, discours rapporté, etc. Il repose sur des principes méthodologiques fondamentaux de l’approche communicative. Les apprenants sont mis en situation de communiquer entre eux pour s’approprier les structures gramma-

ticales à travers des réponses à des interrogations, des commentaires, des références à leurs connaissances personnelles : retrouver des titres d’œuvres comportant des relatifs (le film L’homme qu’on aimait trop, la sculpture L’homme qui marche), lister les questions que l’on se pose sur un fait de société français (Le président de la République paie-t-il des impôts ? Combien de temps dure le congé de paternité ?). Les thèmes et les activités sont appuyés sur des supports très variés, souvent humoristiques. Le Chat de Geluck est largement mis à contribution : « On écrit 100 femmes et 1 homme sont venus, au masculin, sauf si l’homme est en retard… ». Ou encore les perles des mots d’excuse au chapitre de la cause : « William n’est pas venu à l’école hier parce qu’il a fait grève. Chacun son tour. » L’oral est aussi

Apple nous a habitués à lancer un nouvel iPhone tous les ans et, effectivement, 2016 devrait donner naissance au 7e du nom. Son concurrent Samsung devrait également annoncer l’arrivée du Galaxy S7.

présent que l’écrit à travers un CD comptant plus de 3 heures d’enregistrements : écoute et apprentissage par cœur de certaines structures complexes afin d’en faire des automatismes (je me suis fait voler mes papiers, il ne dit jamais rien), repérage de données, reprise de textes poétiques, jeux de mémoire, improvisation, etc. Enseignants et apprenants disposent là d’un outil riche intégrant pleinement la grammaire au sens des discours. n

12-16 ANS

À PLUS

C’est l’expression favorite des ados pour dire au revoir ! C’est aussi le titre de la nouvelle méthode que leur propose emdl (L. Kharbache et al., 2015). Chacune des 6 unités du niveau A1 s’ouvre sur une page de présentation qui synthétise très clairement l’ensemble de la séquence : objectifs communicatifs, projet final et vidéo associée. Suivent 6 pages d’activités d’écoute, discussion, vérification, analyse, comparaison, recherche d’informations, etc. Les prises de parole et les productions écrites sont guidées par des amorces ou des modèles : présenter la fête des voisins sur le modèle d’une carte « fête de la musique » présente sur la page ; choisir et décrire un lieu sous forme de brochure, d’article de dic-

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tionnaire ou d’extrait littéraire. Les 2 pages Mag.com et Mag.TV ciblent plus explicitement des aspects culturels : le collège en France et en Chine, les tribus, les campagnes de prévention. Le projet final de chaque unité conduit les apprenants étape par étape : recherche des données, rédaction, mise en page avec photos, et exposition dans la classe. Des petits encadrés Le sais-tu ? distillent au fil des pages de courtes informations culturelles ou insolites. Toutes les 2 leçons, 2 pages proposent une entrée dans les disciplines scolaires : activités sur les paysages de la France, pour la géographie, découverte des Nymphéas de Monet pour les arts plastiques, vocabulaire des instruments et jeu d’écoute pour la mu-

sique, etc. Un dossier Jeux fait manipuler les connaissances acquises à travers l’adaptation de jeux connus, bataille navale, pendu, dessinez c’est gagné, etc. Le guide pédagogique accompagne de manière très précise le déroulement de cette méthode qui se décline en 4 niveaux. n

Si les montres connectées sont très attendues depuis le dernier trimestre 2015, des projets que nous associions à la sciencefiction il y a encore peu seront à suivre de près. Trois constructeurs ont d’ores et déjà annoncé la mise en vente prochaine de casques de réalité virtuelle. Probablement associés dans un premier temps aux jeux vidéo, puis au tourisme virtuel, ces petits engins ont un bel avenir devant eux. n

Lors du CES (Consumer Electronic Show) de Las Vegas de janvier 2016, présentant les dernières innovations technologiques, on pourra notamment mentionner le développement des drones et les présentations de voitures autonomes de différents constructeurs, relayées par la quasi-totalité des médias présents. n

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MULTIMÉDIA B2

LES QUATRE SAISONS

ET SI ON e-VOYAGEAIT ? On connaissait déjà les promenades virtuelles depuis Google Earth ou Google Street View, mais depuis quelque temps déjà les professionnels du tourisme ont voulu développer un nouvel outil d’attraction : les visites virtuelles. Comme son nom l’indique, le tourisme virtuel consiste à visiter un lieu, un monument, une ville ou une région à partir de médias (souvent des vidéos réelles ou de synthèse) confortablement assis devant son écran. Si ce type de tourisme n’a pas pour vocation de se substituer intégralement au voyage traditionnel, il permet au futur touriste d’avoir un aperçu de ce qu’il pourra contempler sur place et pourquoi pas lui donner envie de tenter une

visite plus « réelle ». Ainsi, afin de promouvoir la richesse de leur patrimoine, plusieurs villes françaises dont Bordeaux, Lyon ou la station de ski Chamonix ont opté pour une présentation virtuelle, suivies par de nombreuses régions, en France comme à l’étranger. Ces visites d’un nouveau genre permettent également de préserver certains lieux historiques réputés fragiles comme la grotte de Lascaux, dont la visite virtuelle est de grande qualité, ou de revoir une exposition temporaire, telle que celles réalisées au château de Versailles, ou même des collections permanentes comme au Louvre.

Parcours pédagogiques

Le site www.voyagesenfrancais. fr, conçu par les Instituts français de Madrid, Brême et Milan, propose des parcours pédagogiques autour de découvertes touristiques centrées sur l’Aquitaine. Si le site s’adresse à un public d’apprenants, il héberge également des fiches pédagogiques à l’atten-

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tion d’enseignants qui souhaitent l’exploiter en classe. « Enseigner avec TV5Monde » propose, lui, de nombreuses vidéos à didactiser. Celles-ci parcourent le monde francophone de Namur à la Camargue, en passant par Québec et le Togo. Le tourisme virtuel est un domaine en plein développement. En effet, les nouvelles technologies permettent désormais d’imaginer des visites virtuelles en 3D, voire 4D qui intégreraient le toucher. Le tourisme a donc de beaux jours devant lui. n À VOIR SUR LE NET : • http://www.lascaux.culture.fr • http://www.chateauversailles. fr/multimedias/multimedia/ sites-internet • http://www.louvre.fr/visitesen-ligne

Flore Benard et Nina Gourevitch Alliance française Paris Île-de-France

Voici arrivé le 4e manuel de Saison (M.-N. Cocton et al., Didier 2015, niveau B2). Autour de thématiques comme le bonheur, les évolutions, l’égalité, les utopies, etc., chacune des 9 unités est structurée en deux moments. Le premier amène l’apprenant à s’informer et à analyser des prises de position sur des faits de société, le second affine son approche du monde francophone en lui apprenant à décrypter des discours, à lire entre les lignes. La rubrique Info ou intox ? interroge les apprenants sur les sources des documents lus et sur leur fiabilité, tandis que À demi-mot amène à clarifier les implicites de discours fortement intégrés dans leur contexte culturel : pourquoi dit-on qu’il faut réapprendre à vivre ensemble ? quelles réalités recouvre le terme solidarité intergénérationnelle ? Quelle différence y a-t-il entre un rebelle et un résistant ? Le niveau B2 est celui de la finesse lexicale. Les pages Repères linguistiques apportent des données grammaticales et lexicales permettant de construire des argumentations précises et nuancées : proposer à une entreprise de devenir mécène en évoquant la démocratisation culturelle, l’accès aux œuvres, le soutien à la création artistique. Les Ateliers d’expression abordent à la fois les situations orales de la vie courante avec leurs discours familiers, et les situations appelant des discours longs, élaborés, argumentés, soutenus par des indications méthodologiques très précises. Des supports écrits et oraux authentiques, variés, et exigeants, des activités dynamiques, poussent l’apprenant à une véritable plongée dans les faits de société. n Ch. P.

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EN SCÈNE !

INTERLUDE |

Si vous souhaitez publier une vidéo de votre mise en scène sur theatre-fle.blogspot.com, envoyez un courriel à adrien-payet@hotmail.com

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POURQUOI CI, POURQUOI ÇA ? Dans chaque numéro du Français dans le monde, retrouvez une saynète écrite pour les apprenants de français adultes et adolescents. PAR ADRIEN PAYET

A : Pourquoi le mot « court » est-il

plus long que le mot « long » ? B : Pourquoi les établissements ouverts 24 heures sur 24 ont-ils des serrures ? C : Pourquoi a-t-on cinq orteils et pas quatre ou six ? D : Pourquoi dit-on papillon de nuit mais pas papillon de jour ? E : Pourquoi les moustiques font du bruit s’ils veulent nous piquer ? F : Pourquoi les œufs, ça pue ? Tous crient (sauf Z) : POURQUOI ??? Z : Pourquoi poser toutes ces questions… Ça n’a pas de sens… Dans les prochaines répliques, les personnages qui répondent sortent du groupe et forment peu à peu le « chœur des parce que ». A : Pourquoi c’est compliqué

l’amour ? B : Parce que si l’amour était simple, il serait moins beau. AVANT DE COMMENCER -P articularité grammaticale : les relations logiques (cause, conséquence et but). - Distribution : 11 comédiens. Les acteurs forment un groupe serré, tête baissée. Nous appellerons ce groupe le « chœur des pourquoi ». Le rythme est soutenu. Chacun pose une question en levant la tête, puis la rebaisse immédiatement. Z est hors du groupe et lit un journal. On ne voit sa tête que lorsqu’il parle.

Les autres applaudissent. B salue. C : Pourquoi les hommes se croient

intelligent ? A : Parce qu’ils sont fiers. D : Parce qu’ils ont oublié d’être bêtes. E : Parce que ce ne sont plus des bêtes. F : Parce qu’ils sont encore plus bêtes que les bêtes. B (lentement et sur un ton professoral) : Si celui qui ne sait rien se croit intelligent, c’est parce qu’il ne sait pas qu’il ne sait rien.

F : Je n’ai pas tout compris… B : Ce n’est pas de moi, c’est de Sta-

nislas Leszczynski. H : Pourquoi les gens qui disent des choses intelligentes ont toujours des noms compliqués à prononcer ? E : Moi aussi j’ai une question. Pourquoi les super-héros portentils des collants ? G (le scientifique) : Pour ne pas avoir froid quand ils volent dans le ciel. H (l’agressif) : Pour se battre plus facilement ! I (le poète) : Parce qu’un super-héros sans collant, c’est comme une banane sans peau. Superman entre sur scène. SUPERMAN (hautain) : Mais

non !!! C’est parce qu’on est fashion, c’est tout. Vous ne comprenez pas puisque vous ne connaissez rien à la mode, vous les Terriens ! Une voix féminine dans les coulisses : Au secours ! SUPERMAN : Désolé, une jolie fille

m’appelle, donc je m’en vais. (Il ajuste son collant puis sort.) A : Je ne l’aime pas ce Superman… C : Pourquoi il nous regarde de

haut ? En voilà un qui se croit intelligent. D : Sérieusement, pourquoi la terre ne tourne pas rond ? G : Car elle est ovale.

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EXPLOITATION

PÉDAGOGIQUE 1. Faire comprendre le texte Demander aux apprenants d’observer l’image puis de dire quel mot interrogatif est sur le visage de chacun. (Réponse : pourquoi.) Proposer une première lecture individuelle du texte. Travailler si nécessaire sur les mots incompris, puis faire lire le texte à voix haute. Demander aux apprenants de bien mettre le ton.

© RAWPIXEL.COM – FOTOLIA.COM

2. Travailler les aspects langagiers Les relations logiques (cause, conséquence, but) : Demander aux apprenants d’identifier dans le texte trois expressions de cause (réponses : parce que, car et puisque), une de conséquence (réponse : donc) et une de but (réponse : pour). Mettre en commun les réponses.

H : Car il n’y a personne pour la

faire tourner. I : Car le vent souffle dans l’autre sens. Z (suppliant) : Arrêtez ! Vous me faites tourner la tête ! Les personnages entourent Z petit à petit. A : Un jour, tu crois que j’aurai les

réponses à mes questions ? B : Un jour, tu me diras ce que tu penses vraiment ? C : Un jour, penses-tu qu’on saura tout sur la vie, tout sur l’univers ? D : Crois-tu qu’on saura pourquoi l’eau est bleue, les arbres sont verts et le soleil est jaune ? Z : Mais quelle importance ? TOUS (sauf Z) : Comment ça, quelle importance !?! Z : Pourquoi vouloir toujours savoir ? Pourquoi ne pas vivre tout simplement ? E : Mais une vie sans questions… F : Une vie sans réponses…

G : Ce n’est pas une vie ! TOUS (sauf Z) : Pourquoi, pour-

quoi, pourquoi ??? L’intensité monte progressivement dans les répliques qui suivent jusqu’à arriver à son maximum. H : Pourquoi tu ne veux pas savoir

pourquoi ? Z : Parce que ça ne m’intéresse pas. I : Pourquoi ça ne t’intéresse pas ? Z : Parce que j’ai envie de vivre ma vie tranquillement. A : Pourquoi tu as envie de vivre ta vie tranquillement ? Z : Parce que la vie est belle. B : Pourquoi la vie est belle ? Z : Parce qu’elle est courte. C : Pourquoi la vie est courte ? Z : Parce que la mort est au bout du chemin. D : Pourquoi la mort est au bout du chemin ? Z : Parce qu’on ne peut pas être mort et vivant à la fois. E : Pourquoi on ne peut pas être

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mort et vivant à la fois ? Z : Parce qu’on est sur Terre. F : Pourquoi on est sur Terre ? Z ne répond pas. TOUS (sauf Z) : Pourquoi on est sur

Terre ?

Z ne répond pas. TOUS (sauf Z) : Pourquoi, pour-

quoi, pourquoi ???

Z (il explose) : Je ne sais pas ! Parce

que c’est comme ça, c’est tout !

Tous les personnages sortent en répétant « Parce que c’est comme ça, c’est tout », en chuchotant sur plusieurs tons. Une voix dans les coulisses : Au secours !!! Superman passe en courant sur la scène vide.

3. Faire réagir a) Placer les apprenants en groupes de deux. Demandez-leur d’imaginer ensemble une réponse à 3 questions du texte en utilisant les expressions de cause ou de but. Voter pour les réponses les plus drôles ou les plus logiques. Variante : Faire écrire une suite de questions/réponses la plus longue possible comme celle de la fin du texte. b) Proposer aux apprenants d’imaginer d’autres questions existentielles ou insolites et de les poster sur le site : www.pourquois.com 4. Mettre en scène Le jeu d’acteur : Dans le « chœur des pourquoi », les apprenants doivent former un groupe compact comme s’il ne s’agissait que d’une seule personne. Faire exagérer l’expression du visage lorsqu’ils lèvent la tête. Faire parler fort et travailler sur le rythme. Les costumes : Aucun décor n’est nécessaire pour ce sketch. Les apprenants peuvent être habillés en noir et Z en blanc. Demander aux apprenants de chercher un habit de Superman ou d’en construire un. n

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DOSSIER |

LES NOUVEAUX ENJEUX DU TOURISME LINGUISTIQUE

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V

enir découvrir les châteaux de la Loire, s’attabler avec des Français pour partager leurs repas ou visiter les vignobles bordelais : comme évoqué dans l’entretien de ce dossier, l’immersion est aussi ancienne que les stages linguistiques. Tout d’abord parce que l’on n’apprend pas une langue pour elle-même. La culture et la civilisation sont les atouts premiers de la langue française, les découvrir en France est une évidence pour qui vient en premier lieu pour s’exercer au français. Grand pays de tourisme, la France a su améliorer son offre pour ces « touristes linguistiques » qui deviennent à juste titre de plus en plus exigeants concernant l’offre touristique proprement dite. Désormais, l’accueil, les visites sur site, les échanges thématiques lors des stages de langue n’ont rien à envier aux programmes des grandes agences de voyage. Cette plus-value interculturelle pour les enseignants en formation continue ou les élèves en situation d’apprentissage devient même parfois le cœur et le moteur de ces formations linguistiques in vivo. Désormais théorisé et pédagogiquement intégré, le tourisme linguistique peut véritablement se développer. n Sébastien Langevin

FICHE PÉDAGOGIQUE DISPONIBLE EN PAGE 75

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DOSSIER | ENTRETIEN Au Centre d’approches vivantes des langues et des médias (Cavilam) de Vichy.

« LE FRANÇAIS DEVIENT UN PRODUIT TOURISTIQUE » Écoles de langues, mais aussi centres de formation et de recherche, le Cavilam-Alliance Française de Vichy et le CLA de Besançon accueillent chaque année des centaines de stagiaires. Figures reconnues de ces deux institutions, Michel Boiron et Hélène Vanthier évoquent les mutations liées au tourisme linguistique.

PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN LANGEVIN

S’il n’est pas vraiment nouveau, le « tourisme linguistique » semble changer de nature ces dernières années. C’est un enjeu de taille pour vos centres de langue…

Michel Boiron est

directeur général du CavilamAlliance française de Vichy.

Hélène Vanthier est

responsable pédagogique des stages d’été pour professeurs du CLA Besançon.

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Hélène Vanthier : Le tourisme linguistique n’est pas récent. L’immersion a été l’un des objectifs très importants de l’accueil des stagiaires en France. Ils viennent pour apprendre le français mais aussi pour vivre en Français, et ce depuis des décennies. L’immersion est en lien avec l’apprentissage de la langue

ou avec la formation continue des professeurs. Et cela se décline différemment selon les programmes. Cela peut être intégré complètement à la formation. Par exemple nous avons au CLA un programme semestriel « Langue, culture, société » qui est un parcours pré-universitaire. Dans ce cadre, il y a des stages dans des institutions, des associations, des établissements scolaires, des entreprises culturelles à Besançon. Nous avons aussi à répondre à une forte demande culturelle (patrimoine, histoire, histoire de l’art, architecture…) et à une demande pour habiter et vivre avec les Français, pour rencontrer les Français. Michel Boiron : Dès la création du Cavilam, l’objectif a été double. Proposer à des stagiaires venant du monde entier de vivre à la française, d’une part à travers la découverte de la langue et du patrimoine culturel et artistique de la région et, d’autre part, au contact des Français. C’est le cas notamment grâce à

l’hébergement en famille d’accueil, qui représente toujours 60 % de la demande de logement. Dès 1964, le Cavilam a aussi eu pour but de créer de l’activité économique, des emplois et de la richesse dans l’intérêt collectif de la cité. En 2014, l’impact direct du Cavilam sur l’économie locale de la ville de Vichy est estimé entre 12 et 15 millions d’euros. H. V. : Pour nous l’objectif est un peu différent. Le CLA draine une grande population de stagiaires du monde entier, ils apportent de l’activité mais sont aussi vecteurs de notoriété hors de France : le maire dit que l’on connaît Besançon dans le monde entier grâce au CLA ! Je pense que la taille de Besançon et de Vichy permet des relations étroites avec les différents partenaires locaux. Comme ce ne sont pas de grands villes, nous avons une grande proximité avec les associations culturelles, l’office de tourisme, la municipalité ou le conseil régional. On peut apprécier l’implication, voire l’imbrication, de

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Au Centre de linguistique appliquée (CLA) de Besançon.

APPLICATION « IMMERSION FRANCE » 25 janvier 2016 : lancement au ministère des Affaires étrangères de l’application « Immersion France ». Objectif : promouvoir les séjours linguistiques en France pour les visiteurs individuels, les familles ou les publics scolaires.

la ville ou de la région dans nombre d’activités proposées aux stagiaires du CLA. Il y a aussi un effet loupe dans une ville de taille moyenne comme Vichy ou Besançon, au niveau des acteurs et des lieux qui sont plus accessibles que dans une grande ville.

Les différents publics attendent-ils les mêmes choses qu’auparavant d’un stage linguistique ?

M. B. : On voit évoluer les publics et les demandes, notamment à cause de la baisse des financements publics, les personnes paient de plus en plus eux-mêmes leurs séjours, qui du coup sont de plus en plus courts. Les inscriptions sont de plus en plus tardives, les exigences de plus en plus grandes, en termes d’hébergement, de confort d’accueil, mais aussi d’offre culturelle. Nous devons ainsi individualiser les programmes linguistiques mais aussi culturels. On évolue du stage linguistique vers le tourisme linguistique. Même si on vient dans nos centres avant tout pour la qualité pédagogique. H. V. : Nous sommes dans un contexte économique difficile : est-ce que nous devons tout accepter ou pouvons-nous nous permettre de refuser certaines de-

D’abord faire parler les chiffres : 130 000 inscrits à un séjour linguistique, 1 million de nuitées vendues, 115 millions d’euros de chiffre d’affaires générés, 2 600 emplois occupés… C’est clair, le tourisme linguistique a un véritable impact économique. Prise de conscience tardive qui avait déjà fait l’objet d’un séminaire d’information et de réflexion, il y a six mois, en 2015. Prise de conscience efficace puisque l’engagement pris de créer une application s’adressant à ce public trouve aujourd’hui son aboutissement avec la présentation officielle par Matthias Feckl, secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des

Français de l’étranger, de l’application « Immersion France ». Une réalisation confiée à Campus France en partenariat avec Atout France et TV5MONDE. « Pratique, dynamique, séduisante », c’est l’Ambassadeur de France au Mexique qui l’affirme. « Immersion France » a été conçue comme une application grand public, multilingue, gratuite pour mobiles et tablettes qui offre la possibilité de mieux choisir son séjour linguistique en France. On y trouve un catalogue des meilleures offres des centres de langue en France toutes labellisées (Qualité FLE, UNOSEL, Office) : plus de 300 offres de séjours déclinant apprentissage de la langue française, formation professionnelle ou universitaire, gastronomie, circuits touristiques, séjours pour juniors, etc. ; une aide à la décision pour trouver son séjour sur mesure ; une carte interactive pour découvrir en images et en vidéo les régions françaises. n J. P.

POUR EN SAVOIR PLUS www.immersionfrance.fr

mandes qui ne correspondent pas à notre cœur de métier ? M. B. : Les stagiaires sont devenus des clients, nous pouvons désormais faire l’analogie avec les touristes. Ils jugent l’ensemble de la qualité de la prestation, même si la pédagogie reste notre cœur de métier. En revanche, ces mutations de la demande remettent en question le statut de l’enseignant. Les demandes de plus en plus fragmentées conduisent à une « Uberisation » du métier d’enseignant, nombreux sont ceux qui doivent s’orienter

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vers le statut d’autoentrepeneur, par exemple. Le niveau de formation des enseignants évolue vers le haut, mais les possibilités d’emploi semblent évoluer vers le bas.

Cette imbrication plus forte du « linguistique » et du « touristique » obligentelles vos structures à modifier leur offre ?

M. B. : À partir du moment où l’on considère que l’on est dans le domaine touristique, on est dans une

relation différente par rapport à l’usager, dans laquelle on doit sans arrêt se poser la question de comment se positionner par rapport au marché, de comment le conquérir, comment réagir à la demande. H. V. : Dans nos programmes, il y a une articulation réelle, selon la perspective actionnelle, entre ce que l’on apprend dans nos classes et l’exploration du terrain. Avec un vaet-vient permanent entre le pédagogique dans les classes, avec les préparations de sortie par exemple et le terrain en lui-même. Cela contribue à l’immersion. On est dans une pédagogie en lien direct, en interaction avec une activité de type touristique, où l’apprentissage de la langue permet une découverte plus fine du milieu. Réciproquement, cette exploration ciblée du milieu rejaillit sur la qualité des apprentissages linguistiques. Il s’agit bien d’un « apprentissage en immersion ». M. B. : Autrefois, nous recevions des stagiaires qui venaient apprendre le français, associé à un programme culturel. Aujourd’hui, au cœur de notre activité, il y a la promotion extérieure de la langue française. Le français devient un produit touristique. Nous devons travailler sur l’attractivité de notre langue. Cet aspect était à la marge, il se place désormais au centre. n

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DOSSIER | REPORTAGE Jérémie, vigneron.

Roel, originaire des Pays-Bas.

BORDEAUX : LE VIN SUR En France, certaines villes sont particulièrement attractives pour les « touristes linguistiques » : Bordeaux, avec son architecture majestueuse, ses plats typiques et surtout ses vins, est de celles-ci. Reportage dans un vignoble bordelais.

TEXTE ET PHOTOS PAR SARAH NUYTEN

Toute notre production est en agriculture biologique. Mais pour ce vin-là, nous sommes encore plus pointilleux : labour à cheval, conduite du vignoble totalement traditionnelle… » Au milieu des barriques, Jérémie Bessard-Milhard, 27 ans, raconte son métier de paysan vigneron. Face à lui, une quarantaine d’étudiants, majoritairement étrangers. Ils ne saisissent pas toutes les subtilités du vocabulaire employé, mais semblent fascinés. Nous sommes au Château Vieux Mougnac, un domaine viticole situé à une soixantaine de kilomètres

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de Bordeaux, en Aquitaine. « Nous jouons beaucoup sur l’œnotourisme et avons énormément de touristes étrangers, explique le jeune vigneron. C’est agréable, car ce sont des visiteurs très curieux, avec qui on prend plaisir à partager notre histoire. » Emmitouflée dans sa parka kaki, Svetlana suit la visite avec attention. « Quand j’ai dit que j’allais à Bordeaux, tout le monde m’a dit : “Il faut que tu goûtes à tous les vins !” Alors je tenais absolument à participer à cette sortie », explique-t-elle, enthousiaste. Cette guide touristique russe vit à Naples, en Italie. Elle est à Bordeaux pour six semaines, en vue d’améliorer son français, mais pas seulement : « Je veux voir et apprendre le plus de choses possible ! » Une fois par mois, l’Office de tourisme de la capitale girondine organise ce type d’excursion, réservée aux étudiants. « Il y a toujours beaucoup d’étrangers en séjour linguis-

« Quand j’ai dit que j’allais à Bordeaux, tout le monde m’a dit : “Il faut que tu goûtes à tous les vins !” »

tique, explique Nathalie Escuredo, guide et formatrice à l’École du vin de Bordeaux. On sent clairement qu’ils ont choisi Bordeaux parce que la ville est réputée sur le plan culturel, et notamment pour ses vins. »

130 000 touristes linguistiques chaque année

Un peu à l’écart du groupe, Roel boit les paroles du vigneron. Il a 20 ans et c’est sa deuxième visite de château. Demain, il rentre aux Pays-Bas et souhaitait terminer son séjour en beauté. « J’aime comprendre l’histoire, les origines d’un vin, raconte le jeune homme dans un français fluide. J’étais totalement novice et plus j’en apprends, plus j’ai envie d’en découvrir davantage. » Avant son séjour bordelais, il n’avait presque jamais bu de vin. « J’aimerais continuer à affiner mon goût, car plus j’en bois, plus j’aime ça, ajoute-t-il, un sourire aux lèvres. Mais aux Pays-Bas, ça risque d’être plus compliqué ! » Appareil photo en main, Shusen immortalise le Château Vieux Mougnac sous tous les angles. À 25 ans, ce Cantonnais vient de passer deux ans et demi en France. Sa famille travaille dans l’importation de vin,

alors après un Master à Paris, venir à Bordeaux était une évidence. « Je suis en première année à CAFA, une école qui forme à la sommellerie. Je veux devenir conseiller sommelier. » Son projet : travailler entre la Chine et la France, « pour continuer à pratique la langue ». Pour l’instant, il suit des cours à l’Alliance française. Avec chaque année 1 800 apprenants venus de plus de 90 pays du monde, pour des séjours d’une semaine à neuf mois, l’Alliance française de Bordeaux est la troisième plus importante de France. Et l’attractivité de la région n’y est pas pour rien. Bordeaux, ses pierres dorées et son architecture majestueuse, est inscrite depuis 2007 au Patrimoine mondial de l’Unesco. « La perle d’Aquitaine » est une ville de tradition et d’histoire, proche de l’océan et à quelques heures seulement des Pyrénées. Mais Bordeaux est surtout la capitale mondiale du vin. Consciente de l’attractivité touristique de la région, l’Alliance française joue à fond la carte culturelle : partenariat avec l’Office de tourisme, excursions sur le bassin d’Arcachon, sessions surf à Lacanau… « La renommée de la ville nous sert : la plupart de nos étudiants ont choisi Bordeaux en raison de son

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Séance de dégustation au Château Vieux Mougnac.

Alessandra, étudiante sommelière à Milan.

LE BOUT DE LA LANGUE image de marque, explique Bertrand Segues, responsable pédagogique de l’Alliance française. Ils veulent profiter de leur séjour pour découvrir un maximum de choses. Les cours ont lieu le matin, et l’après-midi c’est visite ! » À l’échelle nationale, on dénombre environ 130 000 « touristes linguistiques » chaque année en France : 87 % d’entre eux ont entre 18 et 34 ans. Ils viennent d’Allemagne, d’Espagne, de Chine, des États-Unis ou du Brésil. Leur objectif : découvrir la culture française, approfondir leur connaissance de

la langue ou continuer leurs études supérieures. Une carte à jouer pour la France, quand on sait que 125 millions de personnes apprennent le français dans monde.

Vins, châteaux et romantisme

Retour au Château Vieux Mougnac. La visite se termine sur une dégustation pour les étudiants. Jérémie Bessard-Milhard commence par leur proposer un vin blanc sec de 2013. Dans un silence presque religieux, chacun approche son verre de son nez pour humer le nectar, une étape

Svetlana, guide touristique russe qui vit à Naples.

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indispensable. « Le premier nez est très fruité, je pense que c’est un vin qui va très bien avec le poisson », déclare Alessandra. Cette Italienne de 22 ans est à Bordeaux depuis deux semaines. Et elle n’a pas choisi cette ville par hasard : « Mon père est un grand passionné de vins, une pas-

« Essayez de vous rappeler des odeurs d’enfance… Ce sont souvent celles qui décrivent le mieux un vin » Shusen, cantonais et futur sommelier.

sion qu’il m’a transmise. » Étudiante sommelière à Milan, elle souhaite poursuivre avec un master en œnologie. La connaissance des vins et de la langue française lui est ainsi indispensable. Concentrée, la jeune femme porte le verre à ses lèvres : « En général, je préfère le vin rouge, mais celui-ci est vraiment délicieux, très parfumé. » Le vigneron poursuit la dégustation avec un Bordeaux supérieur de 2007 : « Fermez les yeux, respirez et essayez de vous rappeler des odeurs d’enfance… Ce sont souvent celles qui décrivent le mieux un vin. » Svetlana, la guide touristique russe, savoure : « Le blanc était très agréable, mais ce vin rouge, c’est un délice ! » Kuan-Ju, 22 ans, vide son verre dans le crachoir. « Je préfère le vin blanc... Mais j’aime surtout le fait de trinquer avec mes amis, un grand verre à la main. C’est très élégant. » Étudiante au département français de Taïwan, elle apprend le français depuis 3 ans et a choisi Bordeaux pour « ses vins, ses châteaux » et le romantisme qui s’en dégage. Son tour de France n’est pas terminé. Il lui reste quelques semaines pour appréhender un peu plus ce pays qui la fascine. Prochaines étapes : Lyon, puis Paris, la Ville Lumière, incontournable. n

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DOSSIER | DÉCRYPTAGE Le tour de monde en 80 plats, au CLA de Besançon. Des apprenants du Fleura de Clermont-Ferrand en visite à l’usine Michelin.

USAGES LINGUISTIQUES L’écrivain et philosophe roumain francophone Emil Cioran le proclamait : « On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre. » PAR BRIGITTE LEPEZ, DOMINIQUE ABRY ET JEAN-YVES PETITGIRARD

Brigitte Lepez est

enseignante-chercheure et présidente de l’ADCUEFE (http://www.campus-fle.fr).

Dominique Abry est

enseignante-chercheure.

Jean-Yves Petitgirard est enseignant-chercheur.

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L

e Trésor de la langue française propose une définition culturelle et interculturelle du tourisme : « Activité d’une personne qui voyage pour son agrément, visite une région, un pays, un continent autre que le sien, pour satisfaire sa curiosité, son goût de l’aventure et de la découverte, son désir d’enrichir son expérience et sa culture. » Par rapport aux Centres de formation de notre groupement professionnel ADCUEFE-Campus-FLE, il ressort de ces deux visions complémentaires deux faits saillants. Le premier est la notion d’immersion que nous intégrons dans nos pratiques pédagogiques. Il s’agit de mettre en place un enseignement-apprentissage du français dans un contexte de communication exolingue où, pour l’étudiant, la langue d’enseignement-apprentissage de la classe est aussi celle de son nouvel environnement linguistique et culturel au quotidien.

Intégrer les savoirs culturels

La deuxième conception du tourisme comme activité de visite et de découverte d’un pays autre, fait également

partie de nos préoccupations ; nous en avons d’ailleurs déjà fait état dans notre précédente tribune (FDLM n° 403, p. 42-43) présentant le concept de « classe hors les murs ». Si, de toute évidence, les préoccupations évoquées ci-dessus concernent tout centre de FLE, les perspectives culturelles et interculturelles sont plus spécifiquement l’apanage de nos centres universitaires et ce, pour au moins deux raisons. La première est que les savoirs culturels font partie intégrante de nos dispositifs de formation ; ils font l’objet de cours à part entière, ils sont d’ailleurs présents dans toutes les maquettes de nos diplômes universitaires d’études françaises (DUEF), du niveau A1 au niveau C2. La seconde est qu’ils font l’objet d’une évaluation à part entière et sont donc pris en compte dans la délivrance de nos certifications. Il nous paraît fondamental d’associer perspectives culturelles-interculturelles et savoirs linguistiques afin de permettre à nos étudiants de prendre le recul nécessaire pour appréhender et comprendre l’environnement dans lequel ils se trouvent tout en y confrontant leurs propres

représentations de la culture cible et la conceptualisation de leur propre culture. La plupart de nos centres – pour ne citer que le Fleura de Clermont-Ferrand, le CLA de Besançon, le CUEF de Grenoble, le DEFI de Lille, ou l’ILCF de Lyon – proposent des formations : • à la littérature française et francophone favorisant ainsi l’appropriation des textes classiques et contemporains ; • à la civilisation française afin de mieux comprendre la société française contemporaine à partir des enjeux locaux, mais aussi sensibiliser aux grands débats de la société française actuelle ;

Des dispositifs où le tourisme permet aux étudiants de s’approprier la langue-culture dans toute sa complexité et dans des situations de communication authentiques

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La place aux oignons, à Lille, où les étudiants du DEFI peuvent venir prendre des photos pour le club étudiant. © CURIOUS - Pierre Jayet

Le CUEF de Grenoble, entouré de montagnes.

ET SAVOIRS CULTURELS • au cinéma au travers de la découverte de l’histoire du cinéma français et francophone et une initiation au langage cinématographique ; • à l’histoire de l’art tant sur le plan de la peinture-sculpture que de l’architecture présentant les réalisations représentatives des grands mouvements culturels et contribuant à une meilleure compréhension aussi bien des œuvres muséales que de celles qu’ils seraient à même de côtoyer dans leur environnement urbain. D’autres centres mettent en place de véritables dispositifs où le tourisme permet aux étudiants de s’approprier la langue-culture dans toute sa complexité et dans des situations de communication authentiques. Au Département de l’enseignement du français à l’international (DEFI) de Lille par exemple, un projet culturel a eu pour objectif de partager avec d’autres étudiants internationaux mais aussi des étudiants autochtones leur regard neuf sur la ville. Les étudiants prennent des photos des lieux qui présentent pour eux une relation particulière : une émotion esthétique, une curiosité historique ou scientifique, un

étonnement devant la différence culturelle… et cela donne lieu à un montage diaporama et à une exposition de photos accompagnées de commentaires écrits sur leur expérience de la découverte. Ces photos sont accrochées au Club étudiants (Club Ulysse) et font l’objet d’un vernissage qui s’adresse à un public élargi à l’ensemble de la communauté universitaire, d’où de fructueux échanges interculturels.

Enquêtes exploratoires

Par ailleurs, le DUEF B1 du DEFI comprend un module culturel qui sollicite l’autonomie et la créativité des étudiants dans leur découverte de la culture française dans sa diversité régionale notamment. Les apprenants ont à concevoir, programmer et gérer dans une pédagogie de l’événementiel des moments forts de leur apprentissage, complètement ouverts sur la société cible, mais aussi en comparatif dans une approche interculturelle avec leur propre société d’origine. Toutes ces activités se conçoivent en groupes et se construisent en classe ; l’enseignant s’assure que l’étudiant

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Faciliter le passage d’une culture d’appartenance à une culture d’adaptation dispose d’un capital linguistique suffisant et de tous les outils langagiers nécessaires pour gérer le projet et assumer la prise de risque inhérente à toute découverte d’un territoire inconnu. Ce projet culturel sous forme d’organisation de visites, d’enquêtes exploratoires, d’écrits scénarisés comprend un dossier documentaire, un carnet de bord relatant le déroulement du projet avec ses réussites, ses difficultés, ses problèmes, ses solutions et une auto-évaluation. Cette découverte heuristique des pratiques culturelles de la France a pour vocation de faciliter le passage d’une culture d’appartenance à une culture d’adaptation et d’accélérer l’acculturation universitaire, sans oublier que ces expérimentations et expériences de la culture française se partagent sur Facebook, alimentant les écrits notamment et multipliant les échanges.

Ainsi, grâce à ce projet culturel qui s’appuie sur le tourisme, tout en prenant possession de son nouveau contexte géographique, historique, économique, socioculturel et politique, l’étudiant international des centres FLE se construit une mémoire individuelle d’une mobilité ancrée dans une histoire collective. Il maîtrise ainsi peu à peu les outils de la culture française et de la culture universitaire dans leur complexité avec une pratique socialisée des exercices académiques tels que la recherche documentaire, l’argumentation, la synthèse, le compte rendu, la définition, à l’oral comme à l’écrit. Apprendre une langue en tissant dans leur complexité les approches linguistiques, culturelles et touristiques fait appel certes à des transferts de compétences, mais induit aussi à la construction de compétences nouvelles chez l’apprenant dont des compétences interculturelles de compréhension et de communication. Comme le dit Geneviève Zarate, « dans la confrontation avec l’autre, c’est une définition de soi qui se construit ». n

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DOSSIER | TÉMOIGNAGE Les étudiants napolitains du lycée IPSEOA Gioacchino Rossini en voyage linguistique durant un mois à French in Normandie, basé à Rouen.

« AMENER LES ÉTUDIANTS À CONSTRUIRE PAR EUX-MÊMES UN PROJET » Pour un groupe de jeunes apprenants, un voyage scolaire en France est certes l’occasion d’un agréable moment de convivialité, mais aussi le moment où se cristallisent les enseignements linguistiques passés. Passage en revue des mérites pédagogiques des voyages linguistiques. PROPOS RECUEILLIS PAR OLIVIER MASSÉ

Pourquoi et comment des structures éducatives choisissent-elles d’envoyer des groupes de jeunes gens en séjour linguistique dans votre centre ? Vanessa Daubigney est référente des groupes scolaires en séjour linguistique au centre de langues French in Normandy (Rouen)

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Nombreux sont les collèges et lycées de par le monde qui proposent l’apprentissage d’une langue étrangère dans leur curriculum, et le français tient une place particulière parmi les langues proposées. Choisir le français, c’est d’abord

faire un choix de « culture », et les jeunes qui abordent cette langue en ont tout autant conscience que leurs professeurs. De sorte que les projets d’immersion proposés par ces structures éducatives sont toujours liés à un fort désir de faire découvrir l’environnement culturel de la France, sa richesse et sa diversité, que ce soit dans les paysages urbains ou naturels (les visites), mais aussi dans la vie quotidienne des gens. C’est pour cette raison que le choix des familles d’accueil est très important. D’un autre côté, les rencontres « pédagogiques » que nous organisons avec nos partenaires pâtissiers, historiens, chanteurs, conteurs et autres gens de métiers dans nos ateliers culturels sont des moments de communication et des rencontres toujours extrêmement appréciées, précisément pour l’échange authentique qu’ils rendent possible. Ensuite, concernant le choix de

notre structure en particulier, les écoles internationales nous choisissent d’une part pour notre visibilité (présence sur Internet au travers de sites référents tels que Education Stars, partenariats avec d’autres structures éducatives) et nos accréditations (Label Qualité FLE, UEE, IALC, etc.), et d’autre part – et cela rejoint le désir de culture précédemment évoqué – pour notre localisation dans un très beau centre historique français.

Quels genres de « projets pédagogiques » sont construits autour de ces voyages ?

Les séjours organisés à Rouen sont effectivement une préparation pour amener les étudiants à construire par eux-mêmes un projet qu’ils mèneront à terme grâce à l’encadrement pédagogique de l’école. Les canevas qui sont proposés peuvent être assez

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différents selon le pays d’origine, mais ils sont toujours conçus spécifiquement pour le groupe (parfois les groupes) que nous recevons. Certains schémas sont toutefois récurrents, par exemple la création d’un journal de voyage, l’élaboration d’un projet humanitaire ou associatif (recherches, prospection, affichage et communication, collecte de fonds...), aboutissant parfois à des réalisations concrètes menant bien au-delà de la simple vie de l’établissement.

Quelles sont les contraintes organisationnelles de tels voyages ? Y a-t-il des éléments pédagogiques qui sont mis en place en amont et en aval du séjour proprement dit ?

L’organisation d’un séjour de ce type nécessite la prise en compte de divers facteurs, comme le niveau des élèves (rarement homogène), leur âge, ce qui est en mesure d’alimenter leur motivation. Il faut prendre en considération chaque groupe en tant que tel, et en même temps aussi les individus qui le composent, condition pour assurer une cohésion au groupe et un séjour réussi pour chacun. C’est un défi pour chaque groupe que nous recevons, et je crois que c’est le souci d’organisation conjoint à la flexibilité de notre centre qui permet de résoudre cette

équation particulière sans cesse à renouveler. Nous proposons au professeur accompagnateur de chaque groupe un programme en fonction de son (parfois ses) projet pédagogique, ce qui nous amène à déterminer avec eux des projets ou tâches finaux grâce auxquels l’apprentissage aura un sens concret. Puis nous déterminons des interventions (gens de métier, spécialistes) qui vont aiguiller et nourrir la motivation pour ces projets. Cette recherche est donc faite en amont, afin de planifier ces interventions et de pouvoir communiquer ce programme au professeur qui sera en charge du groupe. Ce

dernier élabore ensuite, à son tour, ses propres séquences autour du programme validé. Après le départ du groupe, nous mettons en valeur le travail des étudiants sur nos réseaux sociaux. Les professeurs, eux, se servent généralement du projet final réalisé en France pour créer avec leur classe un continuum, sous la forme de série d’exposés ou d’un autre projet pédagogique plus ambitieux (blogs ou page Web en français par exemple).

Pour finir, quelle perception les jeunes ontils de ces voyages ? Qu’en retirent-ils ?

TOURISME ET GASTRONOMIE EN FRANCE

Depuis mai 2015, TV5MONDE met à disposition des enseignants des reportages et leur transcription afin qu’ils puissent créer librement leurs propres activités pédagogiques. Cette nouvelle rubrique est particulièrement riche en vidéos sur le tourisme et la gastronomie en France. Elle vient compléter la série « Ça bouge », également disponible sur l’application Immersion France. Vidéos à didactiser : http://tv5m.tv/videosadidactiser Ça bouge : http://tv5m.tv/CollectionCaBouge

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« Les variations culturelles portent un enjeu plus profond que les variations linguistiques » Avant leur arrivée, les étudiants envisagent souvent leur séjour comme une occasion de voyager et de passer de bons moments entre amis, en mettant en valeur ce qu’ils connaissent déjà de la langue cible. Mais au moment du retour vers leur pays, d’autres données s’ajoutent et ils réalisent qu’ils ont acquis bien plus qu’ils ne l’imaginaient. Étudier à l’étranger permet de mieux connaître sa propre culture, et les variations culturelles portent un enjeu plus profond que les variations linguistiques. Nos séjours linguistiques sont une expérience qui les conduit à reconsidérer leurs propres valeurs, et beaucoup d’étudiants restent en contact avec nous et nous font savoir à quel point cette expérience a été un déclenchement. Je vous donnerai pour exemple les étudiants napolitains du lycée IPSEOA Gioacchino Rossini, qui sont venus en octobre 2014, et qui continuent à me donner régulièrement des nouvelles, certains projetant de revenir à French in Normandy. Cette expérience avec ce groupe a été aussi forte pour eux que pour moi, et je leur en suis très reconnaissante. n

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BD

INTERLUDE |

FICHE PÉDAGOGIQUE téléchargeable sur WWW.FDLM.ORG

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L’auteur Illustrateur et auteur de bande dessinée vivant à La Rochelle, Lamisseb a publié plusieurs albums : Rhum & Eau (éditions Chemin Faisant), Et pis taf ! (Nats éditions) et Les Nœils (Bac@ BD), dont les héros animent ces deux pages. http://lamisseb. com/blog/

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MÉMO | À ÉCOUTER TROIS QUESTIONS À ZAZIE

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COUPS DE CŒUR

ILS ONT MARQUÉ 2015 Une année musicale entre consécration et découverte durant laquelle les plus belles ventes de disques dans l’Hexagone ont souvent été réalisées par des révélations de télé-crochet. Sa bouille sympathique et souriante est devenue familière aux Français en l’espace de quelques mois. Vianney (23 ans) a fait très fort avec son tube « Pas là », extrait de son premier disque Idées blanches. Le gitan Kendji Girac (19 ans) a renouvelé avec son 2nd disque, Ensemble (sorti à l’automne dernier), les ventes records de son 1er album paru un an plus tôt, avec plus de 500 000 exemplaires. Chapeau melon sur la tête, le rappeur sénégalais Faada Freddy a enfin connu son heure de gloire en 2015. Sur Gospel Journey, il revisite avec sa troupe de chanteurs, des chansons soul, R’n’B et folk. Un album conçu uniquement avec des voix et des percussions corporelles en tous genres. La chanteuse malienne Inna Modja a publié en octobre dernier son 3e album, Motel Bamako. La chanteuse (parisienne d’adoption) rend hommage à ses racines africaines sans pour autant renier ses influences soul et hip-hop. Le disque a été enregistré entre Paris, Londres et Bamako. Abd al Malik a fait le choix original de poser sa voix et son slam sur la musique de Laurent Garnier, l’un des papes de la techno française. Le chanteur a publié en 2015 Scarifications où il raconte notamment sa difficile adolescence à Strasbourg. La très jeune (19 ans elle aussi) Louane (ex-« The Voice ») a conquis le cœur du public avec son disque Chambre 12 sorti en mars dernier et qui s’est écoulé à quelque 700 000 exemplaires. Marina Kayes (qui n’a pas encore 18 ans) avait été révélée par la saison 6 de l’émission « La France a un incroyable talent » dont elle est ressortie vainqueur en décembre 2011. Elle a reçu un disque d’or pour son premier album Fearless, paru en mai 2015. n

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PENCHÉE

SUR L’AMOUR Sur la pochette de son neuvième album, Encore heureux (Mercury), Zazie est comme la tour de Pise dans les rues de New York… Penchée sur le monde. En quête du bonheur pour tous. Profondément humaine, tout comme ce nouveau disque PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CLAUDE DEMARI

Votre mère était une des choristes de Michel Corboz, le très grand chef d’orchestre baroque suisse. Avez-vous eu l’occasion de le rencontrer ?

Enfant, je le voyais très régulièrement. C’est un très grand ami de ma mère, qui est surtout pianiste. Je garde un immense souvenir : quand j’avais sept ans, ma mère chantait avec les sopranos dans la « Messe en si » de Bach et Michel Corboz m’a permis de me faufiler parmi les chœurs. Sans chanter, bien sûr. Mais vivre et entendre le concert depuis la scène et voir les visages réjouis du public, c’était incroyable. Ce souvenir m’a sans doute donné moins d’appréhension, bien plus tard, pour entrer en scène. C’est Étienne Roda-Gil, immense parolier, qui vous a encouragée à vous lancer dans la chanson en 1990. De quelle manière ?

Pour mon premier album, ma maison de disques m’avait dit : « On va te signer. Mais il faudrait peut-être améliorer tes textes avec un autre auteur. » J’ai aussitôt choisi Étienne Roda-Gil. Au premier rendez-vous, il a lu mes textes puis a rappelé ma maison de disques : « Je n’écrirai pas de textes pour Zazie ! Parce qu’elle va les faire elle-même : il faut la laisser devenir. Juste une ou deux séances de travail… » Plus de vingt ans après, je ne mets pas d’étiquette sur ce que je fais. Je chante de la chanson populaire : je ne choisis pas à qui je m’adresse. Pas de posture ni d’imposture… Depuis « Je suis un homme », en 2007, et ici avec « I love you all », « Faut pas s’y fier » et « Oui-filles », vous semblez porter un projet pour le troisième millénaire : la féminocratie…

(Rire) Il s’agit de désarmer les hommes ! Je ne pense pas porter de valeurs féministes. Des valeurs féminines, oui : la tendresse, le respect, l’écoute de l’autre, la bienveillance, l’humilité. Notre rôle d’artistes n’est pas d’être dans le message. En revanche, le point de vue des femmes n’est pas dénué de sens : nous avons une notion plus palpable de notre mortalité, de notre fragilité et du courage qu’il faut pour affronter un quotidien pas très glamour. Je crois donc qu’il faut un monde aux valeurs plus féminines, en tête desquelles l’amour… n

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CONCERT ET TOURNÉES DANS LE MONDE : NOS CHOIX Avec Francophonie Diffusion : francodiff.org

ALEXIS HK En Suisse le 19 mars (Genève). BIG FLO & OLI En Suisse les 11 et 18 mars (Genève, Lausanne). BERTRAND BELIN En Suisse les 17 et 18 mars (Genève, Le Locle). FRANCIS CABREL Au Québec le 7 mai (Gatineau). STEPHAN EICHER En Belgique le 5 mars (Soignies). FEU ! CHATTERTON Au Luxembourg le 10 mars. En Belgique le 19 mai (Bruxelles). LA GRANDE SOPHIE En Suisse le 18 mars (Genève). SOPHIE HUNGER En Allemagne le 8 mars. En Suisse les 10 et 12 mars (Berne, Lausanne). ANGÉLIQUE IONATOS. En Suisse les 11, 12 et 13 mars (Berne, Delémont, Burgdorf).

PAR JEAN-CLAUDE DEMARI ET EDMOND SADAKA

LIVRES À ÉCOUTER PAR SOPHIE PATOIS

EN BREF Zanaka est le 1er album de Jain (de son vrai prénom Jeanne), vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires. Cette Toulousaine de 23 ans assure avoir trouvé à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville (où elle a vécu) le goût des mélodies dansantes et entraînantes.

Paru pour la rentrée littéraire de septembre 2015, D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan a reçu un bon accueil de la critique et du public (il a été notamment couronné par le prix Goncourt des lycéens). Habilement ficelé, le roman s’annonce a priori dans la veine autofictionnelle de Rien ne s’oppose à la nuit (prix Renaudot des lycéens, Prix Fnac et Grand prix des lectrices de Elle en 2012). En vérité, la fiction se joue du réel et le récit tient plus du thrilleur psychologique. De quoi tenir le lecteur et l’auditeur en haleine ! Bonus offert dans cet audio-livre : une interview de l’auteure réalisée par la comédienne qui lit le texte, Marianne Epin. Sans affectation aucune, l’écrivain s’ouvre ainsi sur sa façon d’écrire et de vivre la littérature, vivement et simplement ! Autre musique, autre partition à écouter attentivement : le roman Ravel qui retrace les dix dernières années de la vie du compositeur français. Une vie et une œuvre encore plus romanesques sous la plume de Jean Echenoz, qui lit ici lui-même son roman paru en 2006. n

Eddy Mitchell est de retour. Notre incontournable rocker a réalisé « un rêve de gosse » en choisissant cette fois la formule du big band et en se faisant accompagner des meilleurs musiciens américains. Enregistré en quelques jours à Los Angeles, le disque est une réussite. Sou Kono : c’est le nom du dernier opus signé Midnight Ravers. Ce groupe franco-malien, emmené par le batteur lyonnais Dom Peter et la chanteuse malienne Fatima Kouyaté, continue de tisser avec originalité des liens entre l’électro et la musique mandingue.

D’après une histoire vraie de Delphine de Vigan, lu par Marianne Epin (Audiolib). Ravel de Jean Echenoz, lu par Jean Echenoz (Audiolib).

LA SENSATION

Harmonies vocales, mélodies et guitares impeccables, textes bien trempés : le duo Fréro Delavega, un an après le succès fou du « Chant des sirènes », sort un 2nd album plus exigeant, Des ombres et des lumières. Écouter « Ton visage », écrit par Tété, « à l’équilibre », coécrit avec Ben Mazué, ou « Sous les étoiles », magnifique reggae piano-voix.

ADDED

LOUISE ATTAQUE En Suisse le 8 mars (Thônex). A Luxembourg le 17 mars. IBRAHIM MAALOUF A Luxembourg le 31 mars. En Turquie le 23 avril (Istanbul). MICKEY 3D En Suisse le 21 avril (Lausanne). PARIS COMBO En République tchèque le 1er avril (Prague). VÉRONIQUE RIVIÈRE En Suisse les 15 et 16 avril (Genève). SINSEMILIA En Suisse le 9 mai (Le Noirmont) et le 15 août (Yverdon). n

Il a fallu attendre 2015 et la sortie remarquée de son premier album, Be Sensational, pour que Jeanne Added se fasse un nom. La jeune femme de 35 ans n’ est pourtant pas novice en matière d’expérience scénique. Violoncelliste de formation, après avoir emprunté les chemins du jazz et du chant lyrique elle s’est transformée en chanteuse de rock, la guitare basse en bandoulière. La voici aujourd’hui qui se coule dans un son purement électro et déverse une énergie punk-rock avec des arrangements très travaillés. Ses

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onze titres ont qui plus est été réalisés avec Dan Levy, la moitié masculine du duo rock français The Dø. Jeanne Added chante et écrit en anglais, avec un accent impeccable. Ceux qui l’ont vue sur scène (entourée de deux femmes, la batteuse Anne Paceo et la claviériste Narumi Hérisson), ont probablement été impressionnés par sa présence magnétique et intense. n E. S. Les plus audio sur WWW.FDLM.ORG espace abonnés

Mickey 3d revient avec son 7e album, couronné par « La Rose blanche », émouvant hommage où la voix de Mickaël réinvente les mots de Sophie Scholl, exécutée par les nazis le 22 février 1943. Sophie Scholl, initiatrice, avec son frère Hans, du réseau de Résistance étudiante Die Weisse Rose… Après-minuit est le second EP de Clara Néville. Superbe voix, textes incisifs, guitares rock : on peut penser à la splendide Louise Féron (« L’ivresse des profondeurs », 1991). Qu’ils se nomment « Ultra violet » ou « Black Star », les 5 titres de l’album se dévorent sans retenue. n

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MÉMO | À LIRE ROMANS

PAR NATACHA CALVET

PAS SI SEUL(S)

Yves Grevet, Carole Trébor, Florence Hinckel, Vincent Villeminot, U4, Syros/Nathan

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LE CHAMP DES POSSIBLES Plus ou moins désengagés de leur existence, les personnages mis en relief dans Le bleu du ciel est déjà en eux, sont tous liés à un verbe qui n’est pas forcément transitif mais les transcende… Les neuf nouvelles du recueil de Stéphane Padovani éclairent en effet des rencontres et des moments charnières quand la solitude cède la place à l’empathie et que la parole fait taire le silence malheureux. Il y a d’abord « Traduire » avec la poignante

confession d’un traducteur exilé d’un pays en guerre qui tente de retrouver le « désir de la langue » et « le désir de vivre ». La sœur hantée par un frère disparu et qui apparaît sur le petit écran : « Se noyer », ou encore « Occuper » : l’histoire d’une mère qui cherche une « occupante » plutôt qu’une locataire pour vivre son deuil presque par substitution… Posées à la lisière du réel, ces fictions ouvrent sur un imaginaire généreux, découvrant d’une nouvelle à l’autre le champ des possibles… n S. P. Stéphane Padovani, Le bleu du ciel est déjà en eux, Quidam éditeur

DR

Réussir la quadrature du cercle littéraire, voilà le projet fou dans lequel se sont lancés quatre auteurs de talent et de renom. Ils ont écrit à huit mains, tissé ensemble la trame d’une histoire et fait naître un roman chacun. Les personnages principaux des uns devenant les personnages secondaires des autres. Si l’aventure littéraire leur a plu, elle aura été, de leur propre aveu, longue et douloureuse. Le premier roman qu’on ouvre est un choc. Les corps touchés par le virus U4 jonchent les rues de France. De Paris à Marseille, enfants et adultes tombent. Ne restent que les adolescents et le fol espoir que Khronos, le maître d’un jeu vidéo, leur vienne en aide en remontant le temps. Les écritures sont crues, les descriptions angoissantes, les épreuves traversées par ces jeunes héros effroyables et pourtant, à peine remis de la lecture du premier livre, on se prend à en vouloir encore. Pas de suite, mais un éternel recommencement, à travers un autre point de vue, un autre cheminement. Pour devenir omniscient, le lecteur doit à chaque fois replonger dans cette arène où demain n’est pas un autre jour. n

PAR SOPHIE PATOIS ET BERNARD MAGNIER

L’ŒIL ÉCOUTE « Enregistrez la voix de ceux qui vous sont chers », tel est le conseil que nous donne la poète japonaise Ryoko Sekiguchi dès les premières lignes de La Voix sombre. Frappée par la disparition de son grand-père qui a beaucoup compté dans sa vie et avec lequel elle correspondait par téléphone, la journaliste et écrivain japonaise s’interroge sur les voix et le souvenir que nous en gardons, tout à la fois intact et fragile. Les voix qui nous sont chères, celles qui s’en sont allées, celles qui restent présentes à nos mémoires, celles que l’on a oubliées. La voix d’un proche, la voix d’un écrivain entendue à la radio, la voix conservée dans un message laissé sur un répondeur, sont autant d’échos de mémoire… jusqu’à la voix fantôme ou bien encore jusqu’à la traque rêvée de la voix d’outre-tombe… La Voix sombre est un très court petit

livre empreint de poésie qui interroge et distille le doute. Une méditation sur le souvenir, sur la force et la place des voix dans nos histoires. Ryoko Sekiguchi est née au Japon et vit à Paris depuis 1997. Elle y exerce plusieurs activités, tour à tour poète (elle écrit ses textes en français et en japonais), elle est l’auteur de Ce n’est pas un hasard, des « chroniques japonaises » écrites, lors de la catastrophe de Fukushima, sur le regard porté par les Français sur la société japonaise, sur les clichés et les préjugés. Ryoko Sekiguchi est aussi traductrice de Jean Echenoz, Atiq Rahimi ou Michel Houellebecq en japonais et aussi de ses propres textes et de plusieurs poètes japonais en français ; elle est aussi passionnée de cuisine et publie régulièrement livres et articles de critique gastronomique. n B. M. Ryoko Sekiguchi, La Voix sombre, P.O.L. Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

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JEUNESSE


« LA CULTURE OCCUPE UN TROU LAISSÉ VACANT PAR LES OUVRIERS » PROPOS RECUEILLIS PAR BERNARD MAGNIER

Quel est le jeu ou l’enjeu de cette fiction qui invente des œuvres et des artistes tout à fait vraisemblables ?

Le point de départ n’est pas de décrire le monde de l’art ! Au cœur de chaque chapitre il y a un projet artistique que j’ai cherché à réaliser en décrivant l’œuvre. Un jeu de référence n’aurait intéressé personne. Ce qui est intrigant et romanesque c’est la relation entre les artistes, plus que le jeu entre la réalité et la fiction. Donc il s’agit d’une pure fiction, mais qui rappelle énormément de choses. J’ai voulu montrer essentiellement des artistes avec leurs folies, leurs lubies, leurs grains ou gros grains parce que parfois cela va très loin… Toutes les œuvres exposées sont les miennes finalement, mais avec détachement. Je joue doucement de l’ironie, du sarcasme… Je me suis mis dans la peau d’un galeriste ou d’un collectionneur d’art, curateur ou commissaire d’exposition. Les œuvres sont plus ou moins réussies, oniriques, fantasmagoriques… S’il y a des clins d’œil, il est inutile d’être un fin connaisseur de l’histoire de l’art, encore moins de l’art contemporain, pour se prêter au jeu, du moins je l’espère ! Je n’ai surtout pas voulu faire un livre à charge contre l’art contemporain. Qui sont pour vous les « désœuvrés » ? Un titre curieux

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Premier roman couronné par la SGDL, Les Désœuvrés d’Aram Kebabdjian impressionne par sa densité et sa maîtrise. Docteur en histoire de la philosophie, photographe, antiquaire, l’auteur invente un monde autour de la « Cité radieuse des artistes modernes ».

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3 QUESTIONS À ARAM KEBABDJIAN

POCHES FRANCOPHONES PAR BERNARD MAGNIER Isookanga est un jeune pygmée de la forêt équatoriale féru d’Internet, venu à Kinshasa, contre l’avis de son oncle, afin d’y tenter sa chance… Il se heurtera à cette mégalopole furieuse, lieu de toutes les dérives, démences et autres compromissions, en proie aux corruptions internes et aux convoitises étrangères.

pour un livre foisonnant d’œuvres, fussent-elles fictives !

Cela fonctionne en effet par antiphrase, mais pas seulement. Le titre est venu une fois le dernier mot écrit. Il fait référence à cet état de dépression qui suit et précède une œuvre. Une fois la toile achevée, le peintre se sent vide, désespéré… Il y a aussi le désœuvrement industriel. Sans faire de sociologie, j’ai l’intuition que la culture occupe un trou laissé vacant par les ouvriers. C’est le point de départ du livre avec la CRAM (ou Cité radieuse des artistes modernes) bâtie sur un espace occupé autrefois par une usine et une entreprise de pompes funèbres. Beaucoup de fondations d’art, de musées, sont installés sur des friches industrielles en France et partout dans le monde. Les ouvriers ont disparu et la culture érige de nouvelles cathédrales dans ces usines. La dernière dimension se rapporte aux spectateurs, finalement désœuvrés, qui passent plus de temps à faire la queue pour entrer à l’exposition que devant les œuvres… Recevoir le Grand Prix SGDL du premier roman, c’est important ?

Avoir un prix pour un premier roman, c’est génial ! On se dit qu’on ne s’est pas complètement fourvoyé en écrivant 500 pages, qu’il y a des gens qui les lisent. Surtout quand cela vient de la Société des gens de lettres. Cela me fait d’autant plus plaisir que c’est la maison de Balzac. Comme tout romancier qui se respecte je lui dois beaucoup. C’est très encourageant. Actuellement, je suis dans les relectures d’un autre roman beaucoup plus court (150 pages). Je fais en quelque sorte mon premier roman maintenant ! n

In Koli Jean Bofane, Congo Inc, Babel

Héros récurrent dans la part policière de l’œuvre du romancier marocain, l’Inspecteur Ali doit cette fois enquêter sur la mort d’une princesse marocaine venue étudier dans le prestigieux collège britannique… Il fera preuve d’un flegme… tout marocain. Driss Chraïbi, Inspecteur Ali à Trinity College, Points

Le romancier camerounais fait un travail de chroniqueur historien sans se départir de son imaginaire créatif pour retracer le refus de cette femme qui a choisi de « rester assisse pour tenir debout ». Une jolie formule pour saluer le refus de Rosa Parks, en décembre 1955, dans un autobus de Montgomery dans l’Alabama. Eugène Ébodé, La Rose dans le bus jaune, Folio

Le romancier guinéen a quitté son pays en 1969 et a depuis l’imagination voyageuse… Abidjan, Lyon, Salvador de Bahia, le Rwanda ou les Vosges et, pour ce livre, La Havane où choisit de débarquer un exilé guinéen en quête de ses racines et qui y rencontre un personnage interlope, mi-barbouze du régime, mi-voleur de touristes, dont il sera le confident… Tierno Monénembo, Les coqs cubains chantent à minuit, Points

Le Tram 83 est un bar du bout de nulle part dans un lieu ravagé par la guerre et la folie des hommes. C’est aussi un livre déroutant et chaotique à la langue enfiévrée, un texte à la démesure de la République démocratique du Congo où réside l’auteur de ce premier roman. Fiston Mwanza Mujila, Tram 83, Le Livre de Poche

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MÉMO | À LIRE BANDE DESSINÉE PAR SÉBASTIEN LANGEVIN

BD DÉCALÉE

Imaginez l’impensable : au supermarché, un jeune homme n’a pas sa carte de fidélité au moment de payer. Devant l’insistance de la caissière inquiète, c’est le drame : il se saisit d’un poireau, le directeur est à deux doigts de devoir faire une roulade arrière… Zaï zaï zaï zaï commence ainsi, dans l’absurdité la plus loufoque et se poursuit de la même manière dans un non-sens jubilatoire. La succession de plans fixes et les décors sommaires renforcent l’impact de ces dialogues sans queue ni tête qui révèlent beaucoup de nos sociétés, moins cohérentes qu’elles n’y paraissent… n

Fabcaro, Zai zai zai zai, Six pieds sous terre

ÇA CASTAGNE À KIN Kinshasa, été 1974. La rue kinoise ne parle que du combat de boxe qui va bientôt opposer Mohamed Ali et George Foreman dans la capitale congolaise. Bien au-delà de l’enjeu sportif, de New York à Dakar en passant par Bruxelles, d’énormes tensions idéologiques et géopolitiques entourent l’événement. Grâce à cette fiction nourrie de faits historiques, le journaliste belge Thierry Bellefroid et le dessinateur congolais Barly Baruti redonnent vie à la période agitée du règne de Mobutu : du grand art. n

DOCUMENTAIRES

PAR PHILIPPE HOIBIAN

LA 1re RADIO À LIRE

Déjà 16 numéros, pour cette superbe revue trimestrielle en couleurs, de 192 pages, que l’on peut acheter en kiosque, en librairie ou sur abonnements@victoires.com. France Culture Papiers aborde des sujets très variés, à partir des meilleures émissions (culturelles, scientifiques, artistiques, politiques) de cette radio, retranscrites, éditorialisées, illustrées et enrichies. Prolongement de la radio, France Culture Papiers s’impose comme une approche libre et vivante du savoir. Pour chaque transcription, sont indiqués le titre et la date de l’émission sélectionnée, ce qui permet ensuite de la réécouter ou de la télécharger dans sa totalité. Ainsi les lecteurs peuvent (re)devenir auditeurs et réciproquement. n

Thierry Bellefroid et Barly Baruti, Chaos debout à Kinshasa, Glénat

COLONISATION, DÉCOLONISATION ET NÉOCOLONISATION

Créé en 1930 pour sauver financièrement le journal L’Humanité (fondé par Jean Jaurès et repris par le parti communiste), cet événement festif, politique et culturel rassemble chaque année, mi-septembre, pendant 3 jours, un demi-million de personnes (dont un faible pourcentage de communistes), dans le parc de La Courneuve (banlieue nord de Paris). Au programme (avec un pass à 32 €) : débats, rencontres, expositions, concerts, théâtre, cirque, attractions foraines, danse, cinéma, gastronomie régionale et internationale ; cité du livre et village du monde… Cette manifestation de fraternité et de solidarité permet aux responsables politiques d’apprécier « la température » et la capacité de lutte des travailleurs. n

Ce qui caractérise le bistrot, c’est d’être ouvert du matin au soir en continu, d’avoir un comptoir, de proposer, en plus des diverses boissons, une cuisine simple, authentique, locale. On y apprécie son ambiance aimable, accueillante, chaleureuse. Il répond à un besoin de compagnie, permet de jeter l’ancre dans un havre de paix. Chacun peut s’y exprimer à l’occasion. C’est un espace intermédiaire entre chez soi et son lieu de travail, mais aussi un endroit particulier avec son décor pittoresque, ses acteurs, son histoire. Le serveur doit savoir distinguer ses différents clients afin d’adapter son langage et ses éventuelles plaisanteries. Le patron doit veiller à l’harmonie de l’ensemble. Chacun y est acteur et spectateur. n

La conquête puis la mise en valeur des colonies du Nouveau Monde ont eu pour conséquence l’effondrement (massacres, asservissements, épidémies…) de la population autochtone des Amériques (passée d’environ 100 millions en 1492 à moins de 5 millions à la fin du xviiie siècle) et la déportation de plus de 12 millions d’esclaves africains. L’apogée de la colonisation mercantiliste au xviiie correspond au triomphe de l’Europe, de sa vision du monde, de ses religions, de son hégémonie commerciale, économique et culturelle. À la longue période de colonisation succède une séquence plus brève de décolonisation (de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1970). Cet atlas s’inscrit dans un projet d’histoire globale : plutôt que se focaliser sur l’un ou l’autre des plus grands empires, il s’intéresse aussi à de petits empires plus éphémères (allemand, italien, néerlandais…), à des empires non européens (états-unien ou japonais) ou dont les colonies

Valère Staraselki, La fête de l’Humanité, Cherche Midi

Marc Augé, Éloge du bistrot parisien, Payot

M. Dorigny, J-F. Klein, J-P. Peyroulou, P. Singaravélou, M.-A. de Suremain, Grand Atlas des empires coloniaux, Autrement

Collectif, revue France Culture Papiers, Éditions Place des Victoires

UN GRAND RASSEMBLEMENT POPULAIRE

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UN LIEU DE BIEN-ÊTRE

ne sont pas ultramarines (russe et ottoman). Cela permet de dégager leur spécificité et leur diversité : empires informels, colonies promises à une « assimilation », et autres formes de domination (concession, « dominions », protectorats…). Contrairement à l’impérialisme territorial qui impliquait le contrôle des territoires pour en exploiter les ressources économiques (y compris de main-d’œuvre), l’impérialisme du libre-échange assure ses bénéfices sans passer par une souveraineté directe, mais en ayant recours à de multiples formes de contraintes (financières, douanières…). Les traces de la colonisation sont encore bien visibles (langues, religions, populations déplacées, tracé des frontières, alliances militaires et politiques…) et l’économie mondiale reste largement contrôlée par les anciennes puissances. Cet ouvrage passionnant donne des clés essentielles de compréhension du monde contemporain. n

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POCHES

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PAR CLAUDE OLIVIÉRI

IDENTITÉS Les événements douloureux qu’a récemment connus la France ont amené un retour sur ses principes fondateurs de la République. V. Duclert nous offre un corpus historique, philosophique et juridique destiné à la mise en place d’un enseignement moral et civique à l’école et à l’exercice de la citoyenneté dans une démocratie, Ce solide volume de 512 pages, préfacé par Mona Ozouf, répond aux besoins d’une actualité anxiogène renforcée au quotidien par la perte de références. La République, ses valeurs, son école, Folio actuel

Loi fondamentale qui fixe les institutions politiques du pays, la Constitution a fait l’objet de révisions toujours âprement discutées dès lors qu’il s’agit de trouver un équilibre entre efficacité et démocratie. G. Carcassonne, éminent constitutionnaliste récemment disparu, et M. Guillaume nous replongent dans l’analyse de ce texte qui a établi le dix-septième régime politique de la France. Loin des idées reçues, le livre révèle une Constitution pleine de ressort, de ressources, de surprises. La Constitution, introduite et commentée par Guy Carcassonne et Marc Guillaume, Points essais

Les altérités ont ceci de paradoxal qu’il faut bien souvent les affirmer pour les dépasser. Cette leçon, c’est celle de la littérature qui nous recommande de « frotter et limer [notre] cervelle contre celle d’Autrui » (Montaigne), pour voir dans l’Autre, non seulement ce qui est diffèrent, mais aussi ce qui est moi. Invitations à penser notre rapport à l’Autre, recourant à des stratégies argumentatives diverses, les textes de cette anthologie sont autant de supports de choix pour comprendre les époques passées et le temps présent. De l’un à l’autre. Les discours sur l’altérité de Montaigne à Grand Corps Malade, GF Étonnants classiques

Pierre angulaire de la République, la laïcité permet à une Cité de se rassembler par-delà ses différences sans les nier ni les brimer. R. Debray et R. Leschi soumettent à un examen précis, un certain nombre de cas qui ont été ou sont encore des objets de polémiques et de tensions dans la société actuelle. D’aumôneries à excès de zèle en passant par blasphème, caricature, crèche, foulard, mixité, etc., ce petit vade-mecum permet d’aborder avec sérénité, sans fioritures ni faux-semblants, les débats sur la laïcité d’aujourd’hui. Régis Debray et Didier Leschi, La Laïcité au quotidien. Guide pratique, Folio

Ce recueil inédit présente un ensemble inattendu de textes – de Zola à Joséphine Baker et Polnareff ! – qui rejouent les grands moments et les heures sombres de l’histoire. Hommage à la France, mais aussi réflexion sur l’appartenance à la nation et clé de lecture du monde contemporain, cet ouvrage intéressera autant le grand public que les enseignants à la recherche de documents sur lesquels appuyer leur dialogue avec les jeunes générations. Lettres à la France, Le Livre de Poche

HISTOIRE DE FOU Un jeune comptable se rend dans un hôpital psychiatrique perdu dans les collines du Vermont. Accueilli par l’inquiétant docteur Oswald Barker, le malheureux va vivre un cauchemar éveillé dans ce sinistre bâtiment de briques rouges. Après Nous sommes tous morts, Salomon de Izarra renoue avec le thème de la folie et de l’enfermement avec Camisole, un nouveau roman de terreur dans la plus pure tradition d’Edgar Poe et de Lovecraft. Le récit, bien écrit avec ça – un vrai plaisir qui fait passer la pilule du déjà lu –, déroule son implacable mécanique comme dans un très bon scénario de L’Appel de Cthulhu. Les amateurs apprécieront. Les autres prieront pour que les fous ne quittent jamais l’asile. n Salomon de Izarra, Camisole, Rivages

VAGABONDS CÉLESTES

Philippe Cavalier en rajoute une louche au catastrophisme ambiant. Ravagée par une super crise économique qui vient grossir les rangs des vagabonds à la recherche d’un peu de travail ou d’une simple aumône, l’Amérique doute et vacille. Capitalisme en phase terminale, suicides collectifs et terrorisme ensanglantent le pays pendant que d’étranges individus dotés de pouvoirs surnaturels sillonnent les routes en se livrant à l’éternelle lutte du bien et du mal. Philippe Cavalier a retenu les leçons du Fléau de Stephen King : son Apocalypse de Jean est un page-turner d’une redoutable efficacité. n Philippe Cavalier, Hobboes, Anne Carrière

POLAR PAR MARTIN BAUDRY

Sandrine Collette, Il reste la poussière, Denoël, Sueurs Froides

SCIENCE-FICTION PAR MARTIN BAUDRY

DEMANDE À LA POUSSIÈRE

JUDEX SED LEX

Patagonie, début du siècle dernier. Les fermiers vendent l’un après l’autre leurs troupeaux aux gros éleveurs. La mère et ses quatre fils s’obstinent malgré tout, contre le sort et le vent de l’Histoire, à continuer l’élevage des vaches. Jusqu’au jour où elle joue et perd l’un de ses garçons aux cartes… Mélange de western pampa et de nature writing familial, Il reste la poussière – 4e roman de l’auteur, grand prix de littérature policière en 2013 avec l’inoubliable Des nœuds d’acier – confirme l’authentique talent de Sandrine Collette pour dépeindre l’impitoyable cruauté humaine qui se niche au cœur de ses personnages. n

Un nouveau Judex est né ! Et ce Judex-là va dire deux mots à la foule des fils à papa, des fainéants, des incapables et des ploutocrates de tout poil qui profitaient des largesses de la République. Il leur criera la haine menaçante des pauvres et des révoltés. Tremblez banquiers et politiciens, car Judex est le vrai visage de la justice ! Comme René-Victor Pilhes (L’Imprécateur) ou Alan Moore (V for Vendetta) avant lui, Dominique Maisons dépoussière – plutôt habilement – le célèbre roman-feuilleton d’Arthur Bernède et Louis Feuillade paru en 1917. Que reste-t-il de la légitimité du pouvoir ? n

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016 62-Colette

Dominique Maisons, Le Festin des fauves, Éditions de La Martinière

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MÉMO | à voir Au dernier Festival de Cannes, entouré des acteurs de Deephan.

MARE NOSTRUM Le premier film de l’Italien Jonas Carpignano, Mediterranea, est on ne peut plus d’actualité. Il narre le trajet d’Ayiva, un Burkinabé qui, pour améliorer le quotidien de sa famille, restée au pays, a traversé la « mer au milieu des terres » avant d’accoster au sud de la botte. La vie une fois sur place sera bien difficile… Pertinent, sans manichéisme ni misérabilisme, cette fiction aux allures de documentaire « multilingue » possède une force brute édifiante. L’édition DVD, due à Blaq Out, est enrichie des scènes coupées et d’un passionnant entretien. n

ON N’EST JAMAIS TROP AIMÉ Censuré, vilipendé par le royaume chérifien à cause de son sujet tabou, Much Loved est pourtant bien plus qu’un simple film sur la prostitution. Nabil Ayouch en a plutôt fait un film pour et par les femmes, via le portrait de ses quatre protagonistes qui vivent bon gré mal gré d’amour tarifé à Marrakech, et par la grâce de sa propre part de féminité et de son équipe de tournage, très féminine. Politique, humaniste, mais aussi dérangeante, cette œuvre est à découvrir absolument, avec deux suppléments passionnants offerts par Pyramide Vidéo. n

AU NOM DU PÈRE, DU FILS ET DE LA DÉBROUILLE ! Succès phénoménal en Croatie, Bonté divine (édité par Wide), de Vinko Bresan, évoque plusieurs sujets d’actualité : les excès de la religion, la baisse de la natalité, le nationalisme exacerbé et les traumatismes de la guerre, avec un certain humour, mais qui manque de constance et tombe parfois dans le « trop, c’est trop ». Reste un film inattendu qui a été vendu, chose rarissime pour ce territoire de l’ex-Yougoslavie, dans 32 pays. En grand fan, le dessinateur Charb avait réalisé peu avant les attentats contre Charlie Hebdo trois caricatures pour promouvoir le film. n

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« L’ACTEUR PARLE UNE LANGUE ÉTRANGÈRE » PAR SOPHIE TORLOTIN (RFI)

La dernière Palme d’or arrive en DVD. Jacques Audiard a tourné Dheepan dans une cité française, au sein d’un foyer de Sri-Lankais qui ont fui la guerre civile : Dheepan, c’est le nom d’emprunt du personnage principal. Cet ancien combattant chez les Tigres tamouls arrive en France flanqué d’une femme et d’une fillette qu’il ne connaît pas, mais qu’il fait passer comme sa famille. Il va être rattrapé par la violence de la cité, tenue en coupe réglée par un petit gang de trafiquants de drogue. PROPOS RECUEILLIS PAR SOPHIE TORLOTIN (RFI)

Dans Dheepan, on retrouve plusieurs thèmes récurrents de vos films. Cependant, vous vous décentrez en filmant en France mais du point de vue d’un étranger. Pourquoi avoir choisi des hommes et femmes originaires du Sri Lanka ?

J’imaginais quelque chose avec des migrants, mais qui ne soient pas francophones, que la langue soit véritablement un obstacle. Je ne parle pas leur langue, mais en même temps on peut dire cela de n’importe quel acteur. Même français, quand on ne connaît pas un acteur, en un sens il parle une langue étrangère. La langue c’est une culture, c’est tout un système expressif différent. Et là, j’ai aimé travailler avec Jesuthasan Anthonythasan [l’interprète principal de Dheepan] et Kalieaswari Srinivasan [sa femme à l’écran] car ils ont une manière de bouger différente. Ils vont éprouver les choses différemment et les

exprimer différemment. Par exemple, le sentiment amoureux, les déplacements, ne sont pas les mêmes. Les regards ou l’ironie n’ont pas la même signification. Une langue, c’est tout un registre de comportements. C’est un film sur des communautés différentes qui arrivent à vivre ensemble ?

Absolument. À l’origine j’imaginais un personnage qui arrivait dans une cité, un film du genre « vigilant », un justicier. Mais en fait cela m’intéressait peu. À l’origine de l’origine je voulais faire un remake des Chiens de paille de Peckinpah. Il en est resté cette idée de se battre pour quelque chose. Et dessous, il y avait ce concept de fausse famille. Dheepan a besoin de se composer une famille pour obtenir des papiers, pour accéder plus vite au foyer, etc. Avec cette idée qu’à un certain moment cette fausse famille allait se transformer. Et ça, c’est un autre genre de l’histoire du cinéma : c’est la « comédie du remariage ». J’avais envie de filmer la banlieue en cinémascope et trouver des visages qu’on ne voit pas au cinéma. Et je leur offre la possibilité et la noblesse du cinéma de genre, pas un truc sociologique de retour à soi-même consternant. Décrocher la Palme d’or à Cannes avec Dheepan vous ouvre-t-il de nouvelles possibilités ?

Je ne me suis pas remis de cette surprise. Pour moi, l’important était déjà de présenter ce film en compétition car il en avait vraiment besoin. C’est quand même un film français parlé quasi exclusivement en tamoul ! Grâce à la Palme, le film a pu être vendu dans le monde entier et sortir dans 22 pays. n

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DR

3 QUESTIONS À JACQUES AUDIARD


DR

PAR BÉRÉNICE BALTA

À LA VIE, À LA MORT ! Traiter du thème du suicide assisté, sans pathos ni morale et avec beaucoup d’humour, est le pari réussi par le Suisse Lionel Baier. La Vanité, à laquelle trois merveilleux acteurs donnent vie, est une sorte de huis clos qui oscille entre tendresse et drôlerie et fait réfléchir, sans imposer de point de vue définitif. Les bonus proposés sont de bon aloi et le tout forme un intéressant outil de travail pour qui souhaite se pencher sur l’épineux sujet de l’euthanasie. n

OPÉRA… COMIQUE

DE L’AFRIQUE AUX TRANCHÉES Quelle incroyable et magnifique aventure que celle d’Adama, premier long-métrage de Simon Rouby, sur une idée de Julien Lilti, lui-même inspiré par le récit du fils d’Abdoulaye N’diaye, qui fut le dernier survivant (il s’est éteint en 1998, à 104 ans) de la « Force noire » de la Grande Guerre ! Ce film d’animation, qui mêle plusieurs techniques dont certaines extrêmement complexes (telle l’encre magnétique), a été intégralement tourné au studio Pipangaï, sur l’île de la Réunion, et tient autant du conte que de la chronique historique.

On est en 1916, aux confins de l’Afrique de l’Ouest, dans un village isolé du monde, où la vie coule paisiblement, régie par les traditions et les savoirs ancestraux. Une nuit, Samba disparaît et Adama, son petit frère, décide contre l’avis de tous de partir à sa recherche. C’est là le début d’un long, très long voyage qui mènera Adama des côtes de l’Afrique à l’enfer des tranchées de Verdun, en passant par Le Havre et Paris, avant de pouvoir réintégrer son doux foyer. Un voyage en forme d’épopée qui lui fera découvrir les Nassaras (les Blancs) et la folie des hommes.

À la fois innovant et émouvant, Adama fait également œuvre de mémoire, abordant un sujet peu traité sur grand écran : l’histoire passionnante et cruelle des tirailleurs sénégalais. L’édition DVD, proposée par franceTVdistribution, permet d’entrer encore plus avant dans les secrets de cette incroyable – et magnifique – aventure ! n

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Inspiré par une cantatrice des années 40 qui avait la particularité de chanter « divinement et tragiquement faux », Xavier Giannoli offre l’un de ses plus beaux rôles à Catherine Frot, interprète de ce personnage solitaire et naïf, qui décide de passer de son cercle restreint à… la scène de l’Opéra pour chanter ses airs préférés, puisque les flagorneurs de tout poil l’encouragent en ce sens, pensant qu’elle ne le ferait pas ! Fable subtile, cruel et tendre, il ne faut pas se lasser d’effeuiller cette indicible Marguerite. n

AGENDA DU CINÉMA  : NOTRE SÉLECTION FESTIVAL DU FILM VERT du 1er au 31 mars, dans 28 villes de Suisse romande et de France. Le cinéma pour « un futur durable ».

LE FESTIVAL DU FILM FRANCOPHONE de Vienne, en Autriche, aura lieu, pour sa 18e cession, du 13 au 21 avril, avec la participation de l’Institut Français

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

VUES D’AFRIQUE ! Au Canada, la 32e édition du Festival international de cinéma se tiendra du 17 au 24 avril, entre autres, à Montréal. Le Rallye Expos complète la programmation films, avec de la photo, peinture, sculpture et des installations sur l’Afrique et les pays créoles, jusqu’au 30 juin.

LE FESTIVAL DE CANNES 69e du nom, se déroule sur la Croisette, à partir du 11 mai. Qui succédera à Jacques Audiard pour la Palme d’Or ? Réponse le 22 mai)

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OUTILS | JEUX

PAR HAYDÉE SILVA

BOGGLE &

A1. Oncle

MOTS CACHÉS Trouvez les mots cachés dans chaque grille en reliant entre elles les lettres adjacentes. Toutes les lettres doivent être utilisées, une seule fois chacune. Les mots cachés dans chaque grille et le mot du titre appartiennent au même univers thématique. À la suite de chaque grille, vous trouverez des indices : nombre de mots à trouver et nombre de lettres de chaque mot, puis – au cas où vous en auriez vraiment besoin ! – une définition. Par exemple, dans la grille suivante, le titre est « Pied » et il y a deux mots à trouver :

1. _ _ _ _ 2. _ _ _ _ 2. _ _ _ _ 3. _ _ _ _ 1. Elle donne la vie. 2. Il donne la vie 3. Enfant de sexe masculin. 4. Comme le frère, au féminin.

A2. Train 1. _ _ _ _ 2. _ _ _ _ _ 3. _ _ _ _ _ _ _

V

A

V

I

O

I

T

O

V

É

U

N

E

R

L

O

1. A deux roues. 2. Entre les nuages. 3. Souvent familiale.

M

F

I

L

È

S

Œ

S

R

È

U

E

P

E

R

R

B1. Passé

E

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A

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V

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R

A

E

I

H

1. _ _ _ _ _ _ _ 2. _ _ _ _ _ 3. _ _ _ _ _ _ _ _ _ 4. _ _ _ _ 1. Souvent dévorante. 2. Caresse. 3. Se manifeste en général par des attentions délicates. 4. Attention, fragile !

SOLUTIONS

Vélo, Avion, Voiture.

P

H

B1. Passé

A

I

Hier, Avant, Histoire, Souvenir.

B2. Amour

S

B2. Amour

1. A des doigts. 2. Pour marcher.

1. Jour précédent. 2. Plus tôt. 3. Série d’événements, de faits, d’états. 4. Trace dans la mémoire.

Passion, Câlin, Tendresse, Cœur.

1. M A I N 2. J A M B E

1. _ _ _ _ 2. _ _ _ _ _ 3. _ _ _ _ _ _ _ _ 4. _ _ _ _ _ _ _ _

A2. Train

Mère, Père, Fils, Sœur.

A1. Oncle

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OUTILS | MNÉMO

PAR ADRIEN PAYET

À chaque numéro, découvrez une « incroyable histoire du français » conçue par Adrien Payet. La version audio simplifiée pour les apprenants et son exploitation pédagogique sont à retrouver en ligne. Les illustrations sont l’œuvre de Carlos Bribián Luna, auteur d’un Pinnochio Blues (Glénat Espagne). ASTUCES MNÉMOTECHNIQUES

n cornicho

Devant les voyelles I et E la lettre C se prononce [s] comme dans pouce. Elle aime produire ce son car elle adore S.

semble, nous formons le son [ʃ] et nous disons des mots magnifiques comme chuchotement, chaumière ou château fort. » « Merci H. Tu as raison, mais c’est plus fort que moi, j’aimerais me prononcer [s] avec toutes les voyelles. » « C’est peut-être possible, répond H. Je connais un sorcier. Vas le voir il pourra peut-être t’aider. »

Ses amies essaient de la consoler : « S n’est pas parfaite », dit une lettre. « Il paraît que S est jalouse de X », ajoute une autre. « Elle est aussi dans des mots pas beaux comme sottise et sordide », chuchote une troisième.

C prend donc rendez-vous avec Abracadabra, le célèbre sorcier de la langue française.

Mais C est toujours aussi jalouse. Elle répond à chaque fois la même chose : « J’aime former le son [s] avec E ou avec I. C’est injuste. Pourquoi je forme le son [k] avec O, A et U ? Je voudrais former le son [s] avec toutes les voyelles !!! » Depuis quelques jours, C ne parle plus, ne mange plus et prend des médicaments pour dormir. H, le grand amour de sa vie, vient la voir. « Tu dois t’accepter comme tu es, lui dit H. EnLe français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

« Est-ce que vous pouvez me faire prononcer [s] avec toutes les voyelles ? », demande C. « Bien sûr, répond le sorcier. Je vais te créer une cédille. C’est un demi S que tu porteras sur toi. Abracadabra ! ta cédille est là ! » C accroche sa cédille aux fesses, comme indiqué par le sorcier, puis découvre sa nouvelle voix. « Avec cette cédille, je peux dire “ce garçon, c’est François” et même “la leçon de français” ! Fantastique, s’écrie C. Merci beaucoup ! » Depuis ce jour, C peut former le son [s] avec toutes les voyelles. C’est pourquoi, même si elle ne la porte pas toujours, C ne sort jamais sans sa cédille. n

© Larry Rains – Fotolia.com / © Klara Viskova – Fotolia.com / © Ayamap – Fotolia.com

L’INCROYABLE HISTOIRE DE LA CÉDILLE L’héroïne de cette histoire est C : une lettre très jalouse qui ne s’aime pas beaucoup. « Je ne suis pas belle, dit C. Je voudrais sonner comme S avec toutes les voyelles. S a de jolies formes… S est la reine du pluriel… S participe à des mots splendides comme soleil, sublime ou soprano… Moi, je dis cochon, caca, cornichon ! C’est horrible !!! »

Devant les voyelles O, U et A, la lettre C se prononce [k] comme dans cornichon. Elle n’aime pas produire ce son.

Quand ils sont ensemble, C et H forment le son [ʃ] comme dans « château ».

A2

Pour rendre C heureuse le sorcier a créé une cédille. Avec la cédille, C se prononce [s] devant O, U et A.

FICHE PÉDAGOGIQUE téléchargeable sur WWW.FDLM.ORG Le plus audio sur WWW.FDLM.ORG espace abonnés

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OUTILS | QUIZ

PAGE RÉALISÉE PAR PAR ALICJA KRAWCZYK

« HABITANTS » DE LA LANGUE FRANÇAISE 1. ON ESTIME À COMBIEN LE NOMBRE DE LOCUTEURS DE FRANÇAIS DANS LE MONDE ? a. 274 mille locuteurs b. 27,4 millions de locuteurs c. 274 millions de locuteurs 2. QUEL EST LE TERME UTILISÉ POUR DÉSIGNER L’ENSEMBLE DES LOCUTEURS DE LA LANGUE FRANÇAISE DANS LE MONDE ? a. la Francophonie b. la francophonie c. les francophiles 3. LA LANGUE FRANÇAISE EST : a. la troisième langue mondiale b. la cinquième langue mondiale c. la septième langue mondiale 4. SAVEZ-VOUS SUR QUEL CONTINENT LES LOCUTEURS DE LA LANGUE FRANÇAISE SONT LES PLUS NOMBREUX ? CLASSEZ LES CONTINENTS EN COMMENÇANT PAR CELUI OÙ IL Y EN A LE PLUS. a. Amérique et Caraïbe b. Europe c. Afrique d. Asie et Océanie e. Moyen-Orient

5. DE QUELS TERRITOIRES FRANCOPHONES S’AGIT-IL ? CHOISISSEZ ENTRE L’ÎLE DE LA RÉUNION, LE QUÉBEC, LE SÉNÉGAL, LE MAROC ET LA NOUVELLECALÉDONIE : a. Vous pouvez y visiter une médina, acheter des babouches ou même une djellaba. Sa capitale s’appelle Rabat, ses habitants parlent arabe et boivent du thé à la menthe. b. Célèbre pour le rallye Paris-Dakar, situé dans le nord de l’Afrique. Ses habitants portent des boubous et cherchent de l’aide auprès de marabouts. c. Un territoire volcanique, proche du continent africain. Ses habitants parlent le français mais aussi le créole, le chinois, le malgache... et ils marchent sur le feu pendant la fête de Pandialé. d. C’est un archipel pluriethnique, situé à seulement 1 500 km de l’Australie. Sa ville principale s’appelle Nouméa et on y trouve le plus d’espèces endémiques au monde. e. C’est une province du Canada, appelé également « la Nouvelle France ». Différents chanteurs francophones viennent de là, comme Céline Dion et Garou. 6. LISEZ LES MOTS EN CRÉOLE CITÉS CI-DESSOUS ET ESSAYEZ DE TROUVER LEURS ÉQUIVALENTS EN FRANÇAIS : - Bonzour : __________ - Mésyé : __________ - Èspwa : __________ - Manjé : __________ - Syoulpé : __________ - Eskizé-moin : __________ SOLUTIONS 1.c ; 2.b ; 3.b ; 4.c,b,a,e,d ; 5.a) le Maroc, b) le Sénégal, c) l’île de la Réunion, d) la Nouvelle-Calédonie, e) le Québec ; 6. Bonjour, Messieurs, Espoir, Manger, S’il vous plaît, Excusez-moi.

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Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016


PAGE RÉALISÉE PAR PAR ALICJA KRAWCZYK

OUTILS | TEST

QUESTIONS INTERROGATIONS 1. ASSOCIEZ LES RÉPONSES AUX QUESTIONS : 1. Comment ça va ?

a) Deux semaines.

2. Où vas-tu passer les prochaines vacances ?

b) La Colline du Château.

3. Pourquoi as-tu choisi la Côte d’Azur ?

c) Mes amis.

4. Qui vient avec toi ?

d) Je vais nager et me bronzer.

5. Vous allez y rester combien de temps ?

e) Très bien, merci !

6. Quand partez-vous ?

f) Parce que j’adore le soleil et la mer.

7. Quel est ton endroit préféré à Nice ?

g) À Nice.

8. Qu’est-ce que tu vas faire sur la Côte d’Azur ?

h) Le 4 juillet.

2. COMPLÉTEZ LES PHRASES SUIVANTES AVEC LES MOTS INTERROGATIFS QUI CONVIENNENT. - _____ est-ce ? - C’est Mélanie, ma voisine. - ______ langues parles-tu ? - Le français, l’italien et l’anglais. - ________ tu ne viens pas avec nous ? - Parce que je suis fatigué et je vais me coucher. - _____ est ton sport préféré ? - Le tennis. - _______ d’élèves y a-t-il dans ton groupe ? - Sept. - _____ est mon dictionnaire ? - Il est sur la chaise, près de mon lit. - __________ tu veux faire ce soir ? - J’ai envie de voir un bon film. - _______ voyages-tu d’habitude ? - En avion. - _____ as-tu commencé à faire du vélo ? - À l’âge de 15 ans. SOLUTIONS 1. 1e, 2g, 3f, 4c, 5a, 6h, 7b, 8d. • 2. Qui ; Quelles ; Pourquoi ; Quel ; Combien ; Où ; Qu’est-ce que ; Comment ; Quand • 3.1. Comment peut-on obtenir ce résultat ? 2. Tu analyses quoi ? 3. Pourquoi est-ce qu’il est à l’hôpital ? 4. Que fait-elle dans le laboratoire ? 5. Vous devez faire combien d’analyses ? 6. Quels sont les résultats de vos expériences ? 7. Depuis quand est-ce que vous collaborez avec le professeur Leblanc ? • 4. Exemples de réponses : a) Quelle est votre profession ? ; b) Combien d’enfants avez-vous ? ; c) Où passez-vous votre week-end ? ; d) Que mangez-vous au déjeuner ? ; e) Pourquoi apprenez-vous les langues étrangères ? ; f) Quels sports pratiquez-vous ? Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

3. REMETTEZ LES MOTS DANS L’ORDRE POUR RECONSTITUER DES QUESTIONS. 1. ce résultat / peut / comment / on / obtenir / ? (formulation formelle) ___________________________________________________ 2. tu / quoi / analyses / ? (formulation familière/orale avec le mot interrogatif à la fin) ___________________________________________________ 3. il / à l’hôpital / est-ce qu’/ pourquoi / est / ? ___________________________________________________ 4. elle / le laboratoire / fait / dans / que / ? (formulation formelle) ___________________________________________________ 5. d’ / devez / faire / vous / combien / analyses / ? (formulation familière avec le mot interrogatif en fin de phrase) ___________________________________________________ 6. sont / de / quels / les résultats / vos expériences / ? ___________________________________________________ 7. collaborez / est-ce que / depuis quand / avec / vous / le professeur Leblanc / ? ___________________________________________________ 4. SAVOIR INTERROGER QUELQU’UN EST ÉGALEMENT L’UNE DES COMPÉTENCES ÉVALUÉES AU COURS DE L’ÉPREUVE ORALE DU DELF A1 ; le candidat obtient quelques cartes contenant des mots-clés à partir desquels il doit poser des questions à l’examinateur. Voici quelques exemples de mots-clés. Observez-les et rédigez par la suite les questions qui vont correspondre aux réponses proposées. a. Profession ? b. Enfants ? c. Week-end ? d. Déjeuner ? e. Langues ? f. Sport ? a) - ___________________________ ? - Je suis professeur de français. b) - ___________________________ ? - Deux. c) - ___________________________ ? - À la campagne, chez mes parents. d) - ___________________________ ? - De la soupe et des pommes de terre avec un morceau de viande. e) - ___________________________ ? - Parce que je veux communiquer avec les gens de différents pays. f) - ___________________________ ? - Le weekend, je fais du vélo et je joue au ping-pong et dans la semaine, je fais du jogging ; je cours après le tramway chaque jour...

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OUTILS | FICHE

PAR KATIA BRANDEL (Bruxelles)

NIVEAU : A2 (activités 1, 2, 3), B1 (activités 4, 5, 6), B2 (activités 7 et 8) TEMPS : 90 MIN (10 pour le remue-méninge, 30 pour la Compréhension orale, 20 pour la Compréhension écrite, 30 pour l’Expression orale) OBJECTIFS : n Repérer les informations principales d’un document radiophonique ;  assimiler le lexique de la gastronomie française ;

analyser un extrait d’œuvre littéraire ; rédiger un texte personnel

OBJECTIFS DE COMMUNICATION : n Exprimer des émotions, donner son opinion, raconter des souvenirs MATÉRIEL : n L’extrait sonore et un lecteur audio, éventuellement quelques photos de grands restaurants français, de plats typiques français, de fromages, de desserts, de vins, etc. pour

l’activité de pré-écoute

LIEN VERS LA FICHE INTÉGRALE : n http://savoirs.rfi.fr/fr/apprendre-enseigner/culture/lart-de-la-table-fran%C3%A7ais-patrimoine-de-lunesco

L’ART DE LA TABLE FRANÇAIS, PATRIMOINE DE L’UNESCO En 2010, le repas gastronomique des Français est entré sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco. À travers les explications de Jean-Robert Pitte, professeur émérite de géographie et membre de l’Académie des sciences morales et politiques, découvrez dans cette fiche pédagogique les caractéristiques des repas français.

À PARTIR DU NIVEAU A2

ACTIVITÉS DE PRÉ-ÉCOUTE : AUTOUR DE LA GASTRONOMIE > Remue-méninges autour du lexique de la gastronomie Demandez aux apprenants d’exprimer à l’oral ce que représente pour eux la gastronomie française. Ils pourront citer des plats, des saveurs, des impressions (tels que des adjectifs), des ustensiles, des noms de chefs, des restaurants, etc. S’ils ne connaissent pas bien la cuisine française, vous pouvez les aider en leur montrant quelques images de plats typiques, quelques photos de grands restaurants, quelques desserts.

REPÉRAGE SONORE ET COMPRÉHENSION GLOBALE (ACTIVITÉS 1 ET 2) : LES CARACTÉRISTIQUES DE L’EXTRAIT > Objectif de l’activité 1 : Repérer les caractéristiques sonores de l’extrait Distinguer les sons et les voix en écoutant l’extrait en entier. > Objectif de l’activité 2 : Repérer les informations principales de l’extrait Qui parle et de quoi ? Quel est le sujet abordé ?

COMPRÉHENSION DÉTAILLÉE (ACTIVITÉS 3, 4 ET 5) : LES TROIS PASSAGES DE L’EXTRAIT • 1er passage : L’Introduction (activité 3) > Objectif de l’activité : Comprendre l’introduction de l’extrait sonore Avec notamment les expressions « savoir-faire » et « art de vivre » et les informations nécessaires à la compréhension du passage. > Petite pause avec un remue-méninges autour du patrimoine mondial de l’Unesco Demandez aux apprenants ce que signifie l’expression « appartenir à l’humanité ». Interrogez les apprenants sur le patrimoine culturel immatériel de l’Unesco : « Qu’est-ce que le patrimoine culturel immatériel ? Connaissez-vous quelques chefs-d’œuvre faisant partie de ce classement ? »

QUATRIÈME ÉTAPE

Présentation orale des récits dans la classe par les groupes. Brève discussion sur les sujets évoqués. Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

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À PARTIR DU NIVEAU B1 • 2e passage : Le repas typique (activité 4) > Objectif de l’activité : comprendre les mots et expression du domaine de la gastronomie « Ordonnancement », hors-d’œuvre, amuse-bouche et pousse-café n’auront plus de secrets pour vos élèves ! Faites leur créer des expressions composées sur ce modèle qu’ils proposeront à leur camarade pour qu’ils tentent de deviner de quoi il s’agit. Vous leur ferez aussi remettre de l’ordre dans un menu typiquement français… Et pour finir, invitez les élèves à s’exprimer et à échanger : « Dans votre culture le vin est-il important ? Faut-il harmoniser les vins et les plats ? Boit-on en même temps que l’on mange ? » • 3e passage : Le repas familial (activité 5) > Objectif de l’activité : Comprendre la fonction culturelle du repas français Pour rebondir sur l’activité, posez oralement quelques questions aux apprenants : « Dans votre culture le thème de la nourriture, des repas est-il aussi considéré comme noble ? » « Cela vous étonne-t-il que parler de nourriture puisse être considéré comme noble ? »

EXPRESSION ORALE (ACTIVITÉ 6) : PARLER DE GASTRONOMIE

> Objectif de l’activité : s’exprimer oralement, donner son avis, argumenter autour de questions et de citations choisies qui parlent toutes de gastronomie… À PARTIR DU NIVEAU B2

COMPRÉHENSION ÉCRITE ET EXPRESSION ÉCRITE (ACTIVITÉS 7 ET 8) : UN SOUVENIR GASTRONOMIQUE > Objectif de l’activité de compréhension écrite : Apprivoiser un extrait littéraire de Du côté de chez Swan de Proust Quelques questions en fin de texte devraient aider à sa compréhension générale. > Objectif de l’activité d’expression écrite : Exploiter la créativité des élèves. Proposez à vos élèves le défi suivant : Le magazine Littérature et gastronomie lance un concours d’écriture intitulé : « Votre meilleur souvenir gastronomique. » Vous décidez d’y participer et décrivez, de manière poétique, un souvenir de repas ou de dégustation d’un plat, d’un dessert, d’un biscuit (ou autre) qui a marqué votre passé. Vous y parlez des sensations vécues, des saveurs, des circonstances, etc. dans un texte construit et cohérent. Indication : Si le sujet vous intéresse et si vous souhaiter utiliser un ouvrage plus récent comprenant un langage plus contemporain, il est également possible d’exploiter les courts poèmes en prose de Philippe Delerm intitulés La Première gorgée de bière ou L’odeur des pommes, tirés du recueil La Première gorgé de bière et autres plaisirs minuscules. Vous pouvez aussi simplement recommander leur lecture à vos apprenants.

EXPRESSION ORALE (ACTIVITÉ 7 BIS) : PARLER D’UN SOUVENIR GASTRONOMIQUE

© aannapustynnikova – Fotolia.com

> Objectif de l’activité : s’exprimer oralement, raconter une anecdote Après avoir lu l’extrait de Proust, posez à vos étudiants quelques questions : « Vous souvenez-vous vous aussi d’un instant culinaire ou gastronomique qui jusqu’à aujourd’hui éveille des sensations en vous ?» « Avez-vous une “madeleine de Proust” ? Racontez-la et donnez des détails à ce propos. » Si certains apprenants n’ont pas de souvenirs culinaires, vous pouvez les orienter vers un souvenir lié à une odeur, un petit événement symbolique (comme une chute à vélo), une sensation, etc.

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Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016


PAR PAOLA BERTOCCHINI ET EDVIGE COSTANZO (Italie)

EXPLOITATION DU DOSSIER, PAGES 48 À 57

OUTILS | FICHE FICHE ACTIVITÉS

UN SÉJOUR LINGUISTIQUE EN FRANCE ? BONNE IDÉE ! Un séjour linguistique permet à des jeunes et des moins jeunes, seuls ou en groupe, de connaître une ville ou une région de France, de suivre un cours de langue et les activités complémentaires prévues, d’interagir avec des locuteurs natifs ou des francophones présents dans les lieux choisis. C’est, en quelques mots, améliorer son français et entrer dans la culture du pays.

ACTIVITÉ 1

Quel âge avez-vous ? Si vous avez entre 7 et 77 ans (voire davantage), effectuer un séjour linguistique en France pourrait être une idée géniale ! Si on vous dit « séjour linguistique en France » à quoi pensez-vous ? Faites une liste d’au moins 20 éléments.

ACTIVITÉ 2

© odriography – Fotolia.com

On sait bien que l’immersion totale permet de progresser vite dans l’apprentissage d’une langue, surtout si on évite de se retrouver dans des groupes qui parlent notre même langue maternelle. En fonction de ce que vous estimez prioritaire pour votre séjour (cours de langue, contacts avec les francophones, etc.) pensez-vous choisir Paris, la capitale, ou bien une ville plus petite du Nord ou du Sud ? Préférez-vous un séjour près de la mer ou à la montagne ? Pourquoi ? Motivez votre réponse.

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

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ACTIVITÉ 3

Les possibilités d’hébergement sont en général assez variées : • Hébergement en famille (chambre, repas et activités culturelles et récréatives avec la famille elle-même ou chambre seulement) ; • Appartement à partager avec d’autres personnes ; • Chambre en résidence universitaire (individuelle ou double) ; • Studio individuel, etc. Quel type d’hébergement souhaitez-vous ? Complétez la grille ci-dessous en mettant en évidence les points forts et les points faibles de chacune des possibilités et motivez votre choix. POSSIBILITÉS D’HÉBERGEMENT

Points forts

Points faibles

Chez l’habitant en pension complète Chambre chez l’habitant Appartement à partager Chambre double en résidence universitaire Studio individuel Autre (préciser)

ACTIVITÉ 4

Si vous envisagez de suivre un cours de langue, sachez que vous pouvez choisir entre des cours de 3 heures par jour et d’autres, dits « intensifs », plutôt à la carte (de 5 à 8 heures par jour), pour optimiser le séjour à l’étranger. Les groupes classes sont en tout cas généralement petits et l’enseignement pratiqué permet, selon les besoins, de combler des lacunes, d’améliorer ses connaissances, ou de préparer un examen de langue. À côté des cours il y a aussi des activités récréatives et culturelles (sports, visites guidées, excursions…). Quel type de cours souhaitez-vous suivre ? Quel type d’activités complémentaires choisissez-vous ? Réfléchissez à ces possibilités et écrivez un courriel à un ami qui pense partir avec vous pour lui dire ce que vous aimeriez faire et pourquoi ; n’oubliez pas de demander son opinion. Propositions d’une école de langue pour la semaine Types de cours

Activités complémentaires

Cours de 20 h: communication, civilisation

Excursions / cours de cuisine

Cours de 15 h : phonétique, grammaire

Sports / Visites guidées

Activités culturelles créatives 25 h Sports / Excursions (réaliser un film, prendre part à une pièce de théâtre / à une comédie musicale, créer un magazine, un site web) Cours intensif de 25 h

Activités culturelles créatives

Préparation examens DELF, DALF et TCF 20 h

Activités culturelles (musées, films, théâtre…)

ACTIVITÉ 5

Bien évidemment à côté des cours, les activités complémentaires comme les sports, les visites guidées, les excursions…, représentent autant d’occasions de pratiquer la langue dans des contextes divers. Selon l’endroit que vous pensez choisir, faites une recherche sur Internet et dressez un petit programme de ce que vous aimeriez faire.

ACTIVITÉ 6

Et, avant de partir, il faut bien préparer le voyage ! a) Pour entrer en France, il est nécessaire d’avoir une carte nationale d’identité ou un passeport ; à vous de vous informer pour savoir si vous avez besoin d’un visa. Il suffit de consulter ce site : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N105 b) Et si vous êtes européen/ne, pour ce qui est de l’assurance maladie, consultez le site : www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/f12859 Sinon, avant le départ, il vaut mieux se renseigner sur les accords éventuels entre votre pays et la France et, éventuellement, prévoir un contrat d’assurance personnel.

ACTIVITÉ 7

Comment préparer vos bagages ? Pensez aux objets qui pourraient vous faciliter la vie pendant votre séjour et dressez-en une liste.

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ACTIVITÉ 8

Attention ! Même si on est en bonne santé, quand on prépare un voyage, il est conseillé de préparer un kit de médicaments dont on pourrait avoir besoin. Réfléchissez, demandez éventuellement des conseils, et dressez une liste.

ACTIVITÉ 9

Si vous partez en avion, consultez le site de votre compagnie sur Internet pour savoir si dans le bagage cabine vous pouvez transporter : une bouteille de vin / Un flacon de collyre / Un baume respiratoire aux huiles essentielles (50 ml) / Un shampoing à l’huile d’Argan (250 ml) / Un pot de confiture (100 gr).

ACTIVITÉ 10

Si pendant votre séjour vous avez l’intention de visiter la région autrement pensez à : a) des associations comme SERVAS (Servas – Échanger – Rencontrer – Voyager – Accueillir – Servir la paix) qui accueille des milliers d’adhérents et qui se présente ainsi sur le site www.servas-france.org « Voyageurs de tous âges, qui formez le projet de visiter un pays étranger, désirez-vous partager la vie de ses habitants ? Désirez-vous permettre à des gens d’autres pays de partager la vôtre ? Voulez-vous échanger vos idées, enrichir vos connaissances ? Êtes-vous prêts à oublier vos préjugés afin d’essayer de communiquer avec autrui ? Croyez-vous que la paix soit possible, à condition que chacun y mette du sien ? Voulez-vous ajouter votre pierre à l’édifice de fraternité humaine ? Alors… SERVAS est fait pour vous ! » b) à un réseau social comme couchsurfing qui compte désormais des millions d’inscrits disponibles à offrir l’hospitalité pour une ou plusieurs nuits. Le site d’échanges le plus connu est www.couchsurfing.com et le réseau est ainsi présenté : « Pouvoir se loger gratuitement dans le monde entier est un rêve qui aujourd’hui peut se réaliser ; mais n’oubliez pas que le but revendiqué de cette initiative est « de promouvoir les échanges entre les peuples afin de faire avancer la paix dans le monde ». En 2006 est lancée la version 2.0 du site qui a définitivement marqué son développement et son expansion dans le monde. Depuis 2011, d’association à but non lucratif, il s’est transformé en société à vocation commerciale. » 1. Complétez l’information sur les deux possibilités de « voyager autrement » que SERVAS et Couchsurfing présentent et dites quelle est celle que vous choisiriez pour votre séjour en France. 2. Organisez un mini-débat sur les aspects positifs et les éventuels aspects négatifs que SERVAS et Couchsurfing présentent.

SOLUTIONS Activité 7 Téléphone / ordinateur / tablette ; Les chargeurs de téléphone / ordinateur / tablette ; Un adaptateur pour prises électriques (si besoin) ; Un dictionnaire de poche français-votre langue maternelle ; si vous portez des lunettes de vue, emportez-en deux paires ; chaussures de marche fermées en toile ou cuir. Activité 8 Exemple de liste : thermomètre, petits ciseaux, pince à épiler, paquet de compresses, bande de contention (entorse), bande de gaze (plaie ou brûlure), ruban adhésif, antiseptique cutané, aspirine, antalgique, ralentisseur intestinal, antiallergique, antibiotique actif sur diverses infections Activité 9 Les liquides que vous pouvez transporter dans vos bagages doivent être : en petites quantités (100 ml maximum, par produit) ; placés dans un sac en plastique transparent qui se ferme. Un seul sac en plastique est autorisé par passager.

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OUTILS | FICHE

PAR VANESSA FERREIRA DE OLIVEIRA (São Paulo, Brésil)

NIVEAU : A2/B1 DURÉE : 1 H 30 OBJECTIFS SOCIOCULTURELS : n faire connaissance de quelques symboles et/ou des signes représentatifs de la

province du Québec et de la culture québécoise

SUPPORTS : n DVD « 9 » ou vidéo « Je me souviens, Lara Fabian 9 » sur internet :

https://www.youtube.com/watch?v=L6BZFz4wh5g

n Paroles de la chanson

« JE ME SOUVIENS » de LARA FABIAN 1. MISE EN ROUTE

Montrer des images représentatives du Québec aux apprenants. Leur demander d’imaginer quel est le lieu (pays, ville, province, continent) d’où viennent les images suivantes. Projeter alors la carte du Québec, des images du Château Frontenac, les Fortifications, le fleuve Saint-Laurent, la Place Royale, le petit Champlain, le Parc olympique, le drapeau, etc.

2. Poser des questions aux apprenants, telles que : « Connaissez-vous le Québec ? », « Que savez-vous de cette province canadienne ? » Situer le Québec sur une carte et projeter aussi des images québécoises. « Avez-vous envie d’y aller, d’y vivre ? », « Pourquoi ? »

3. Demander s’ils connaissent Lara Fabian, leur montrer une photo et raconter qu’il s’agit d’une chanteuse belge qui a la nationalité canadienne. 4. Faire regarder la vidéo. Demander s’ils y reconnaissent quelque chose de québécois. Faire un remue-méninges à partir des réponses. 5. Distribuer les paroles aux étudiants, leur demander d’écouter la chanson en soulignant ce qu’ils croient faire référence au Québec et comparer ensuite les réponses avec le camarade.

6. Projeter quelques images ou mots qui évoquent la culture québécoise et leur demander de trouver sur les paroles des extraits qui les rappellent. À faire à deux ou en sous-groupes.

7. Mise en commun. On peut finir le cours avec des biscuits tartinés au sirop d’érable !

LARA FABIAN - « JE ME SOUVIENS » Des fleurs de lys blanches sous un ciel bleu de cristal Des balades sous une neige en forme d’étoile Des érables aux couleurs d’une passion fatale Je n’oublie rien de rien, Je me souviens Les odeurs d’une forêt qu’un beau lac dévoile Les reflets d’un grand feu sur nos visages pâles Une lumière intense par des nuits boréales Je n’oublie rien de rien, Je me souviens J’aime tes poèmes, ton cœur, ta liberté Tu es la seule terre où Mon âme s’est posée Un accent dont personne ne connaît les secrets Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016

Un français qui s’élance dans des mots oubliés Une manière inimitable de chanter Je n’oublie rien de rien, Je me souviens J’aime tes blasphèmes, ta foi, ta dignité Tu es comme une île Que l’on ne peut pas quitter J’aime tes poèmes, ton cœur, ta liberté Tu es comme une île Que l’on ne veut pas quitter Des paysages qui mélangent au plus-que-parfait Des dessins que la nature ne refait jamais L’impression d’être entrée au jardin de la paix Je n’oublie rien de rien Et je reviens

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APPEL À CONTRIBUTION

Le français dans le monde

c’est vous !

Partagez avec les lecteurs du Français dans le monde vos expériences en classe, vos projets pédagogiques, vos savoir-faire didactiques 69

96

Envoyez-nous vos comptes-rendus, articles ou fiches pédagogiques (7 000 signes, espaces compris, sous traitement de texte) à l’adresse suivante : contribution@fdlm.org

Le français dans le monde | n° 404 | mars-avril 2016



le français dans le monde

REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS

// ÉPOQUE // N°404 mars-avril 2016

3

Val d’aoste, l’ Italie à la française Frédéric Chau, un acteur entre France et Asie

// MÉTIER //

Dienke, une vie de prof aux Pays-Bas r iv-fcomte.f

L’approche par compétence pour les temps verbaux en Algérie

mars-avril 2016 LES NOUVEAUX ENJEUX DU TOURISME LINGUISTIQUE

LES NOUVEAUX ENJEUX DU TOURISME LINGUISTIQUE // MÉMO //

FIPF

9 782090 370973

// DOSSIER //

N°404

ISSN 0015-9395 9782090370973

-

UNIVERSITE D’ETE 2016 | BESANCON

15 €

Enseigner le français autrement

Photos © L. Godard - UFC et © E. EME – Grand Besançon

n www.cla.u

Ryoko Sekiguchi, pont littéraire entre la France et le Japon

L’ Afrique du film d’animation Adama


N° 37 - Mars-Avril 2016

REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANçAIS

DOSSIER

Économies francophones Des dynamiques pour innover et former

focus actu

société

pédagogie

COP21 Alerte climat !

France-Mali Un trait d’union musical

L’IFEF, un nouveau cadre pour l’éducation


Entraînez-vous au TCF avec TV5MONDE

© Thinkstock

tv5monde.com/tcf


| sommaire REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANçAIS

N° 37 - Mars-Avril 2016

Innovation

Ouverture africaine pour les grandes écoles ..... 20

Focus Actu

Technologie, solidarité

Yasmina Lahlou

Alerte Climat ! ........................................................ 2

et développement durable.................................... 12

Odile Gandon

Odile Gandon

Actualité

passerelles

Société à lire................................................................. 4

Faiza Hajji, entrepreneuse

France-Mali, un trait d’union musical............. 22

écologique et solidaire........................................... 14

Sophie Patois

écouter, voir................................................. 6

Sophie Patois

Portrait

« Les futurs innovateurs sont en Afrique ».......... 15

Parier sur les CLOM ?....................................... 24

Akissi, reine des séries télé............................... 8

Propos recueillis par Yasmina Lahlou

Fanny Dupré

La dynamique « e-commerce »............................ 16

L’IFEF, un nouveau cadre

Sarah Sakho

pour l’éducation.............................................. 26

pédagogie

Bérénice Balta

Dossier Économies francophones :

Nathalie Rivière

Des dynamiques pour former et innover

Formation

Analyse

Investir dans l’éducation… Et après ? ................... 18

Fiches

Ohada, le droit au service de la Francophonie....10

Propos recueillis par Odile Gandon

Découvrir l’Amérique francophone................ 28 Savoir argumenter.......................................... 30

Dominique Mataillet

abonnement

édito Chères lectrices, chers lecteurs, En vous souhaitant une nouvelle année plus sereine que celle qui vient de s’achever, nous vous adressons nos meilleurs vœux pour 2016. Nous ouvrons ce numéro 37 sur une question d’avenir qui nous concerne tous : la lutte contre le réchauffement climatique, dont la COP21, en décembre dernier, nous a rappelé l’urgence. Au cœur de ce numéro : un dossier confectionné à la suite du 2e Forum économique de la Francophonie. Fin octobre à Paris, ce forum a réuni des chefs d’État, de nombreux ministres, des entrepreneurs, des experts, des figures des médias et du monde culturel, tous venus du monde francophone… Intitulé « Appel à l’action », cet événement prend le relais du 1er FEF qui s’était tenu à Dakar en décembre 2014, avec la volonté de transformer en actions concrètes les propositions qui y avaient été énoncées. Harmonisation du droit des affaires en Afrique, développement des incubateurs de startups, investissements dans l’éducation, et présence des universités et grandes écoles en Afrique : nous nous faisons dans ce dossier l’écho des sujets abordés par les intervenants. Nos rubriques pédagogiques prolongent en quelque sorte la dynamique du dossier : MOOC (ou CLOM), création de l’IFEF, fiches pédagogiques sur l’Amérique francophone et l’apprentissage de l’argumentation… Toujours soucieux de la présence francophone dans tous les domaines, vous devriez trouver dans ce numéro des pistes stimulantes pour réfléchir à l’avenir du continent et de la Francophonie. Jean-Benoît Alokpon, Président de l’APFA-OI

Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

bonnement Découverte 1 an : A 88 euros (6 numéros du Français dans le monde + 2 Francophonies du Sud + espace abonné en ligne) Abonnement Formation 1 an : 105 euros (6 numéros du Français dans le monde + 2 Francophonies du Sud + espace abonné en ligne + 2 numéros spéciaux)

bonnement Découverte 2 ans : A 158 euros (12 numéros du Français dans le monde + 4 Francophonies du Sud + espace abonné en ligne) Abonnement Formation 2 ans : 189 euros (12 numéros du Français dans le monde + 4 Francophonies du Sud + espace abonné en ligne + 4 numéros spéciaux)

Les frais d’envoi sont inclus dans tous les tarifs (France et étranger). POUR TOUT RENSEIGNEMENT, CONTACTEZ-NOUS ! Tél. : 00 33 (1) 40 94 22 22 – Fax : 00 33 (1) 40 94 22 32 courriel : fdlm@cometcom.fr

Francophonies du Sud n° 37

Supplément au N° 404 du Français dans le monde.

(numéro de commission paritaire : 0417T81661)

Directeur de la publication : JEAN-PIERRE CUQ – FIPF Directeur de la rédaction : SÉBASTIEN LANGEVIN Rédactrice en chef : ODILE GANDON Relations commerciales : SOPHIE FERRAND Maquette et secrétariat de rédaction : Clément Balta Photo de couverture : © FEF 2015 © CLE international 2016 Revue de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), réalisée avec le soutien de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et la collaboration de l'Association des professeurs de français d'Afrique et de l’océan Indien (APFA-OI) LE FRANÇAIS DANS LE MONDE – 9 bis, rue Abel-Hovelacque – 75013 Paris Rédaction : 33 (0) 1 72 36 30 67 – www.fdlm.org Abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax : 33 (0) 1 40 94 22 32 FIPF : Tél. : 33 (0) 1 46 26 53 16 – Fax : 33 (0) 1 46 26 81 69 – www.fipf.org Courriel : secretariat@fipf.org fdlm@fdlm.org – http://www.fdlm.org, onglet « Suppléments »

1


© Jürgen Fälchle – Fotolia.com

FOCUS ACTU |

Alerte Climat ! Les scientifiques se rejoignent sur un consensus : la planète est en danger. Une situation face à laquelle il n’est qu’une solution : agir ensemble. Mais l’appel à l’action de la COP21, s’il est indispensable, laisse ouvertes quelques questions cruciales. par odile Gandon

L

a conscience des dangers liée au réchauffement climatique ne date pas d’hier. En 1992, au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro, les pays membres de l’ONU, alertés par des recherches récentes, avaient adopté la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCNUCC). Depuis, régulièrement, des Conférences des parties ou COP (réunissant les pays signataires de la Convention) s’étaient déroulées avec, à chaque fois, appel à l’engagement contre un phénomène reconnu comme essentiellement dû aux émissions de gaz à effet de serre – dont le dioxyde de carbone – liées aux activités humaines : usage des énergies fossiles, modes de production industrielle, moyens de transport…

2

On a ainsi peu à peu pris conscience, dans les sphères politiques et économiques internationales, qu’à l’origine du réchauffement climatique il y avait un modèle économique : celui des pays développés depuis plus d’un siècle, repris par la plupart des pays en développement. Avec des conséquences sur la santé, les cultures et la nature, la qualité de l’air, les écosystèmes, la biodiversité, l’état des mers et des océans. Les périodes de fortes chaleurs, de plus en plus fréquentes, provoquent sécheresse, mais aussi pluies violentes, tempêtes, ouragans, donc inondations, réduction des réserves d’eau douce et difficultés pour l’accès à l’eau potable, avec dans le même temps montée des océans due à la fonte des glaciers et son cortège de terres disparaissant sous la mer.

De la connaissance à la décision d’agir C’est de l’avenir de tous qu’il s’agit. Tous les organismes bilatéraux ou internationaux, instances publiques ou ONG, qui interviennent dans l’aide au développement, mais aussi les grands acteurs économiques, ne peuvent plus aujourd’hui agir sans entendre le signal d’alerte maximal que lance notre planète. Cependant, même si des avancées importantes ont vu le jour, notamment lors de la COP3 à Kyoto, en 1997, quand 37 pays développés se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 5 % sur la période 2008-2012, le Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016


passage à l’action tarde à venir. Outre la difficulté de mettre en œuvre des décisions internationales face à la souveraineté des États, on peut penser que le blocage principal est venu des lobbies industriels, notamment des multinationales des pays développés. N’oublions pas que le protocole de Kyoto n’a pas été signé par les États-Unis… Le temps ne peut plus être aux conférences vues, au mieux, comme des échanges d’informations et, au pire, comme des occasions de se donner bonne conscience. Comme le signalait le journal burkinabé Le Pays, au moment où se tenait à Paris la COP21, en décembre 2015, « il suffit de faire le bilan des vingt conférences qui ont précédé celle de Paris pour se rendre compte que le monde n’a pas véritablement changé de posture dans son rapport à la Terre ». Or, avec la COP21, la donne semble avoir changé. La conférence s’est voulue un catalyseur de l’action à venir et paraît s’être donné les moyens de cette action : à la suite de remarquables efforts politiques et diplomatiques de la part des organisateurs et particulièrement du pays hôte, tous les dirigeants du monde se sont rencontrés à Paris, dont 150 chefs d’États, parmi lesquels Barack Obama, Xi Jinping et Vladimir Poutine. Grande première dans le cadre des négociations climatiques internationales : avant la Conférence, chaque pays a dû publier une contribution sur ses efforts nationaux de participation à la lutte universelle contre le réchauffement climatique.

« Responsabilité commune, mais différenciée » C’est en ces termes que s’énonçait, en 1992, le principe onusien qui avait ouvert le cycle des négociations climatiques. Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères et président de la COP21, a présenté comme « différencié, juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant » l’accord universel sur le climat adopté par consensus des 195 parties (194 États plus l’Europe) le 12 décembre 2015. Cet accord est historique, certes, et, sur certains points, plus ambitieux que l’objectif de départ. Répondant à la revendication portée par les petits États insulaires menacés de submersion par la montée La Secrétaire générale de la Francophonie Michaëlle Jean, lors de la concertation ministérielle de la Francophonie, en marge de la COP21.

des mers, il prévoit de maintenir le réchauffement bien en dessous des 2 °C prévus au départ, et de « poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ». En fait, la mention du seuil de 1,5 °C a surtout une valeur symbolique et politique, car, en l’état actuel des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce seuil est irréaliste. Le texte de l’accord, soucieux des différences et de l’équité, souligne que les pays développés, grands responsables du dérèglement actuel, doivent « montrer la voie en s’engageant à réduire leurs émissions ». À charge pour les pays en développement de « continuer leurs efforts d’atténuation ». Et surtout, l’accord prévoit que les nations économiquement plus avancées devront apporter un soutien aux pays en développement pour faire face aux impacts du changement climatique, dont ils sont les premières victimes. Soutien prévu à 100 milliards de dollars (91 milliards d’euros) par an d’ici à 2020, les nations pauvres demandant davantage après cette échéance. Par la voix de son porte-parole, Nozipho Mxakato-Diseko, ambassadrice sud-africaine, le G77, qui regroupe 134 pays en développement et émergents, s’est déclaré satisfait : « Nous sommes heureux de rentrer à la maison avec ce texte », a-t-elle déclaré.

Vers une réorientation de l’économie mondiale ? L’accord entrera en vigueur en 2020. Encore faut-il attendre pour cela qu’au moins 55 pays (représentant 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre) le signent et le ratifient dans les mois à venir. En effet, l’accord devrait entraîner une réorientation de l’économie mondiale vers un modèle à bas carbone : abandon progressif des ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz) et investissements dans les énergies propres. Or le texte ne fait pas mention d’une tarification du carbone ni d’une réduction chiffrée des émissions… Il faut reconnaître que l’accord reste a minima. Seules les obligations de transparence et la soumission régulière de nouveaux engagements de réduction et financiers sont contraignantes. Mais pas le respect de ces engagements ! Qui se chargera d’imposer des sanctions au pays fautif ? Qui, par exemple, demandera des comptes à la Chine, dont la consommation de charbon – productrice majeure de dioxyde de carbone – est chaque année de plus de 3 millions de tonnes ? Toutefois, la conférence de Paris a marqué une implication exceptionnelle de tous les acteurs de la société civile : les entreprises, les collectivités locales, les ONG, les associations, les particuliers. Signalons qu’à côté de l’accord entre les États, un « Agenda des solutions » se veut porteur des engagements des acteurs non étatiques (1). Et que l’Organisation internationale de la Francophonie, forte des centaines de millions d’habitants de la Terre qu’elle rassemble, sera un acteur décisif dans la lutte contre le réchauffement climatique. Via son Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), elle promeut l’idée d’une croissance verte et a su mobiliser une jeunesse très engagée dans la protection de la planète et la perspective d’une économie durable, dont on sait qu’elle peut être créatrice de richesses. n

© OIF

1. Sur le portail Internet Nazca, dédié à l’Agenda des solutions, on peut voir figurer déjà plus de 10 000 engagements d’acteurs non étatiques pour le climat. Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

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© C. Hélie - Gallimard

à lire |

Le poids des traditions

Diva, princesse, reine, ou sorcière venue de l’Afrique noire… la figure féminine qui fait battre le Cœur tambour, titre du dernier roman de la Rwandaise Scholastique Mukasonga (prix Renaudot 2012 pour Notre-Dame du Nil), est insaisissable et ensorcelle, naturellement. Le récit est habilement balancé en deux parties : focalisé sur le dramatique destin de la chanteuse africaine Kitami dans la première, il revient sur ses origines et ses mystères dans la seconde. Le tout entraîne le lecteur tour à tour au Rwanda bien sûr, mais aussi en Amérique

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et dans les Caraïbes au son des tambours et de la musique rasta. Étroitement liée à l’envoûtante sorcière Nyabinghi (nya-binghi signifie « mort aux Blancs »), le personnage de Prisca, narratr ice d’une grande partie du roman, rencontre, lors de ce fascinant périple, des tambourinaires et surtout un tambour fétiche appelé Ruguina. Un instrument qui est bien au cœur de cette fiction foisonnante et puissante, menée, véritablement, tambour battant..n

Mambou Aimée Gnali, L’Or des femmes, Gallimard, collection Continents noirs.

Mambou Aimée Gnali

Sophie Patois Scholastique Mukasonga, Cœur tambour, Gallimard.

Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

© C. Hélie - Gallimard

Scholastique mukasonga mène la danse

Plaidoyer pour l’émancipation, L’Or des femmes montre comment la tradition et la soumission à la loi du « mâle » contraignent et aliènent de génération en génération. Signé par Mambou Aimée Gnalli, femme politique congolaise engagée, ce premier roman décrit ainsi par le menu la condition des femmes dans la société vili dont un des dictons, mis en exergue du livre, indique : « L’homme, c’est l’or. » Prenant en quelque sorte le contre-pied de cette formule comme en atteste le titre du livre, la romancière semble entrevoir une voie nouvelle, à travers l’histoire de Bouhoussou pourtant « élevée, selon la tradition, pour être une bonne épouse et une bonne mère ». n S. P.


l’écriture en flammes

stéphanie

Thyde Monnier de la SGDL (Société des gens de lettres). Tout aussi inspiré, ce deuxième roman ne devrait pas passer inaperçu.n Sophie Patois

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas froid aux yeux, cette Stéphanie

DR

Enflammée, par moments hallucinée, l’écriture du romancier haïtien Makenzy Orcel déboule telle une tornade ! Dans un clair-obscur savamment ourlé, l’auteur de L’Ombre animale tisse un récit empreint de poésie noire, flirtant avec la folie. Jamais le désespoir n’aura retenti avec autant d’énergie. Il faut sûrement avoir le cœur bien accroché et l’esprit libre pour se laisser happer par cette fiction qui multiplie visions et incantations. Les personnages, dans un désordre irrationnel démentiel, tordent le cou au raisonnable qu’il s’agisse de Toi ma mère, bonne à tout faire et à tout subir, de Makenzy, le père maudit, ou d’Orcel, le frère amoureux de la mer… Dédoublement des noms et des voix qui semblent parvenir du tréfonds des âmes, dès l’incipit, nous voilà prévenus : « Je suis le rare cadavre ici qui n’ait pas été tué par un coup de magie, un coup de machette dans la nuque ou une expédition vaudou, il n’y aura pas d’enquête, de prestidigitation policière, de suspense à couper le souffle comme dans les films et les romans – et je te le dis tout de suite, ce n’est pas une histoire –, je suis morte de ma belle mort, c’était l’heure de m’en aller, c’est tout. »   Né à Port-au-Prince en 1983, Makenzy Orcel a déjà signé un premier roman très remarqué, Les Immortelles, qui avait reçu le prix

Calamity

St-Clair, décrite avec panache par Raphaël Confiant ! Le roman, dédié à cette Martiniquaise émigrée aux États-Unis au début du xxe siècle et devenue en quelques années « reine de Harlem », conte ses faits et méfaits authentiques mais raconte aussi, au-delà du destin de la femme-gangster redoutée et redoutable, l’histoire d’une femme véritablement libre et émancipée. Décrite comme une Black French woman, la

Makenzy Orcel, L’Ombre animale, Zulma.

« négresse » (c’est ainsi qu’elle se décrit elle-même sous la plume du romancier) a décidé de ne jamais se laisser marcher sur les pieds : elle évolue dans un monde de mâles et de mal, en s’affirmant avec une détermination et une poigne qui forcent l’admiration... La sauvagerie et la violence accompagnent son apogée et pourtant, par la grâce d’une langue nourrie de toutes les subtilités de la créolité défendue par Raphaël Confiant – aujourd’hui doyen

Sony et la langue française : un étrange face-à-face

de la faculté des lettres et sciences

Dans un ouvrage récent, qui devrait devenir une

tout au long de son par-

immanquablement. n S. P.

référence sur l’œuvre et la vie de Sony Labou

cours littéraire, aura à se

Tansi, Xavier Garnier, professeur à l’université

battre avec la « langue

Paris III, consacre un chapitre très éclairant aux

d’autorité ». Il parvient,

« rapports de force majeure » de l’écrivain congo-

par l’inscription des

lais avec la langue française.

mots dans le corps et

Apprentissage traumatisant en contexte colo-

leur mise en œuvre dans

nial, expérience douloureuse de la « violence de

un travail de décomposi-

position » – le « gros » français des dominants –,

tion, à faire entendre en français un appel à l’hu-

et, très vite, conscience que la langue « vrom-

manité et un cri d’espérance. n

bissante » des intellectuels du continent est une

Odile Gandon

langue de bois insupportable, qui ne sert qu’un déni de réalité et un maintien au pouvoir : Sony,

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humaines de l’université des Antilles et de la Guyane –, le personnage séduit,

Raphaël Confiant, Madame St-Clair, reine de Harlem, Mercure de France. © Jacques Sassier

Raphaël Confiant

Xavier Garnier, Sony Labou Tansi, une écriture de la décomposition impériale, Karthala, 2015.

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Écouter, voir | théâtre La Sape au Tarmac

art contemporain

Beauté et lumières : l’Afrique à Paris

© Andrea Magda

L’automne dernier, deux expositions ont permis aux Parisiens de prendre la mesure de la vitalité et de l’inventivité des artistes africains.

Sur la scène du Tarmac, théâtre international francophone de Paris, deux personnages errent dans un décor désolé : Criss et Cross, deux frères rescapés d’une guerre, tentent de retrouver, à travers bâtiments détruits et rues défoncées, des traces de la vie d’avant… Situation tragique, mais traitée sur le mode burlesque : c’est l’argument de la pièce du Congolais Julien Mabiala Bissila, Au nom du père et du fils et de J. M. Weston, qu’il met lui-même en scène et dans laquelle il joue Cross au côté de Criss Niangouna, inénarrable Criss. Les deux frères sont à la recherche d’une paire de chaussures de la célèbre marque, qu’ils ont enterrée dans une parcelle appartenant à leur père, lors d’une fuite, à l’époque où le jazz devenait « jazz à la kalach »… La quête de ces Weston, symbole absolu de la « Sape » – tradition d’élégance à Brazza, où, de père en fils, on se doit d’être « sapeur » –, est le prétexte à une évocation, par bribes de souvenir, de la vie antérieure, avant la guerre, avant la fuite, quand vivaient encore tous ceux, parents, voisins, amis disparus dans la tourmente. Criss et Cross, deux dandys hantant un monde détruit, font rire, mais leurs plaisanteries, leurs récits morcelés, les situations grotesques où ils se trouvent plongés, révèlent, au fond, l’effroi face à la disparition d’un monde. Le texte de la pièce, tumultueux, baroque et parfois hilarant, a été publié : que le plaisir du théâtre se prolonge dans la lecture ! n O. G. Julien Mabiala Bissila, Au nom du père et du fils et de J. M. Weston, suivi de Chemin de fer, éd. Lansman/RFI.

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Avec « Beauté Congo – Congo kitoko (19262015) », à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, le curateur Albert Magnin a proposé aux visiteurs de découvrir « l’ardeur artistique du Congo », depuis les années 1920, quand naît l’art moderne congolais, avec Lubaki, maître ivoirier et peintre de cases. Le parti pris de l’expo a été de remonter le temps, à partir des contemporains qui, depuis les années 2000, témoignent avec un regard critique des réalités de la RDC aujourd’hui et de la mémoire collective, marquée entre autres par le fameux match Ali-Foreman de 1974. La génération précédente, celle des « peintres populaires », avait bouleversé tous les canons académiques avec une production haute en couleur : Moke, Chéri Samba, Chéri Chérin et bien d’autres évoquent la vie quotidienne à Kinshasa, les bars, la rumba, la Sape mais aussi les questionnements politiques d’un pays toujours en crise. Leur digne héritier est JP Mika, dont les tableaux flamboyants font vivre avec humour des personnages emblématiques de la réalité congolaise. Passés maîtres dans la représentation de la vie urbaine, les artistes de RDC sont aussi hantés par la nature, si présente dans les toiles de Pilipli Mulogoy, Jean-Bosco Kamba ou Norbert Ilunga. Peintures, photos, sculptures (dont les maquettes gigantesques de Bodys Isek Kingelez) et films documentaires, sans oublier un parcours sonore témoignant de la puissance créatrice des musiciens congolais : « Beauté Congo » a révélé l’univers effervescent d’un art toujours vivant, qui, pour reprendre les termes d’Albert Magnin, existe « sans théorie ni exégèse ». Une autre exposition a présenté une grande première pour le continent. Pour la première fois dans l’histoire de l’art contemporain, cinquante-quatre plasticiens africains – un pour chaque État – présentent chacun une œuvre sur un même thème : c’était « Lumières d’Afrique » au palais

de Chaillot, à l’initiative de African Artists for Development (AAD), fonds créé par Mathias et Gervanne Leridon. Ce titre polysémique évoque à la fois la perspective d’un xxie siècle qui pourrait être un « Siècle des Lumières » pour l’Afrique et la question de l’accès du continent à l’énergie qui, à la veille de la COP 21, se pose en termes de développement durable. Il est difficile de rendre compte de l’extrême diversité des œuvres, peintures, tissages, installations, vidéos, sculptures, provenant d’univers culturels très différents, du Maroc à l’Afrique du Sud, de la Sierra Leone à la Somalie, du Sénégal au Zimbabwe… Mais l’ensemble est impressionnant et révélateur de l’inventivité des créateurs. Après Paris, l’exposition est partie en tournée dans les pays d’Europe et en Afrique, en commençant par Abidjan au début de 2016. n Odile Gandon Athi-Patra Ruga, Afrique du Sud, Miss Azania, 2015, Courtesy Whatiftheworld Gallery. à gauche : JP Mika, La SAPE, 2014, Collection privée, photo © André Morin. à droite : Kiripi Katembo, Subir, série Un regard, 2011, Collection de l’artiste.

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festival

Limoges : écho des Francophonies Avec son sens de la formule, Pierre Debauche, le créateur du Festival des Francophonies à Limoges, affirmait il y a encore peu que Sony Labou Tansi était « né à Limoges » ! Il est vrai que cette ville a joué un rôle essentiel dans la vie du poète congolais. C’est bien ce que très opportunément la belle exposition conçue par Bernard Magnier présentée à la BFM (bibliothèque francophone multimédia) nous a rappelé en retraçant, force documents à l’appui, l’itinéraire de Sony, que de nombreux témoins comme le prix Nobel Wole Soyinka vinrent étayer en leur temps. Le titre de l’exposition, « Brazzaville-Limoges, aller-retour » souligne bien la double polarité de l’auteur entre le Congo et la France, toujours au cœur de la langue française revisitée. C’est l’ensemble de cette 32 e édition des Francophonies en Limousin qui aura été placée sous le signe de Sony Labou Tansi, dont l’une des citations orne la couverture du programme : « L’Histoire fait mal au rire… » Le jeu des citations du même auteur se poursuit avec les éditoriaux du président, Alain Van Der Malière, et de la directrice, Marie-Agnès Sevestre. Lectures (Sony, l’avertisseur entêté du Burkinabé, d’Étienne Minoungou), rencontres (« Sony Labou Tansi, une pensée contagieuse ? »), spectacles (Le Chant des signes de Marcus Borja) auront gravité autour de cet axe, et l’on aura pu revoir avec plaisir le spectacle de Hassan Kassi Kouyaté, Sony Congo, ou la chouette petite vie bien osée de Sony Labou Tansi, déjà présenté au Tarmac à Paris, autre lieu consacré aux francophonies. Hormis cet hommage aussi appuyé que justifié, le festival s’est déroulé selon sa marque de fa-

brique avec des propositions venues d’Afrique, du Burkina Faso au Togo, en passant par la Côte d’Ivoire ou le Sénégal, mais aussi du Québec, de Belgique, de Suisse, souvent présentées en coréalisation ; la volonté d’associer des artistes de différents continents dans un projet commun est une constante des Francophonies. On a ainsi pu en apprécier toute la pertinence dans L’Acte inconnu, résultat d’un travail commun entre les Français Valère Novarina et Céline Schaeffer avec l’Haïtien Guy Régis Junior et toute son équipe artistique. De même, le Français Frédéric Fisbach a-t-il pu travailler avec la Roumaine francophone Alexandra Badea sur son très beau texte en prise avec la réalité du monde contemporain, Pulvérisés. La Roumanie était d’ailleurs à l’honneur cette année puisque l’on a pu voir le spectacle Solitaritate de Gianina Carbunariu qui, lui aussi, avec beaucoup d’acuité, rendait compte de la réalité des classes moyennes roumaines, une réalité pas forcément très éloignée de celle des autres pays d’Europe. Car c’est là aussi l’une des caractéristiques de ce festival que de vouloir rendre compte de la réalité politique et sociale de notre temps, comme en témoignaient les spectacles du Belge Michaël de Cock, avec Kamyon, et du Suisse Jérôme Richer avec Tout ira bien, et dans lesquels il était question de manière frontale du problème de l’émigration. n Jean-Pierre Han

musique Youssou N’Dour à Athènes C’est à un voyage dans le temps que nous convie Fatteliku (« souvenir » en wolof). Ce CD nous ramène en 1987, quand le musicien sénégalais et le Super Étoile de Dakar passaient en première partie de Peter Gabriel, lors de concerts donnés en plein air, sur une des collines de la capitale grecque, face à l’Acropole. Mais le passé est plus vivant que jamais : ce live, enregistré il y a presque trente ans, provoque chez l’auditeur d’aujourd’hui le même enthousiasme que celui du public de l’époque, dont les échos ponctuent le mbalax endiablé, les sons percutants et la voix puissante d’un chanteur inoubliable. n Félix Traoré Youssou N’Dour et le Super Étoile de Dakar, Fatteliku live, Real World/Pias.

J’ai arrêté de croire au futur, d’Andréya Ouamba.

Quand la danse s’engage Affronter les choses comme elles sont : c’est ainsi que le danseur et chorégraphe congolais Andréya Ouamba conçoit son art. À Limoges, son spectacle au titre provocateur, J’ai arrêté de croire au futur dénonce l’arbitraire, la violence et le cynisme des dictateurs africains. Cinq danseurs d’une folle énergie, accompagnés sur scène par le musicien Aymeric Avice, incarnent un peuple tour à tour révolté, manipulé, soumis, désespéré, sur fond de déclamation en boucle d’un texte composé des principaux discours fallacieux et pompeux de ces chefs d’État « prophètes » qui, tout au long de l’histoire du continent, ont fait des mots un piège cruel. Joué par un magnifique comédien, Wakeu Fogaing, un « Père Ubu » récite ce texte lancinant et grotesque, incarnant tour à tour Idi Amin Dada, Bokassa, Mobutu et bien d’autres « monstres politiques » africains. Un choc. n O. G.

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DR

portrait | DR

Femme de caractère au charme tapageur, Akissi Delta, sans être jamais allée à l’école, est devenue une comédienne incontournable dans le paysage médiatique ivoirien. par Bérénice Balta

akissi

Reine des séries télé

P

lantureuses, hautes en couleurs, vives, expressives, talentueuses, singulières… Les qualificatifs ne manquent pas pour désigner les comédiennes ivoiriennes. Des comédiennes qui ont généralement d’autres cordes à leur arc et qui ajoutent souvent à leur premier métier celui de chanteuse, mannequin, animatrice, metteuse en scène, écrivain, styliste ou productrice. Ainsi les Hanni Tchelley, Clémentine Papouet, Marie-Louise Asseu, Naky Sy Savané, Emma Lohoues, la plus jeune, ou encore Akissi Delta, ont-elles marqué – et marquent-elles encore – durablement le paysage audiovisuel de la Côté d’Ivoire, devant ou derrière la caméra, depuis les années soixante.

Analphabète mais pas bête ! Bien souvent, l’apprentissage s’est fait sur le tas, en jouant avec des réalisateurs friands de nouveaux tempéraments, mais pas toujours. Certaines sont passées par des formations professionnelles, dans des écoles de théâtre en Afrique ou en Europe, ou se sont, très vite, frottées au public en expérimentant leur savoir-faire avec des compagnies de danse, des compagnies musicales voire de spectacles vivants. Et puis, parfois, elles arrivent sans crier gare – comme Akissi Delta. Née Loukou Akissi Delphine, à Dimbokro, dans le centre-est du pays, le 5 mars 1960, elle quitte, encore enfant, sa ville natale pour vivre avec une tante à Abidjan. Elle n’a jamais mis les pieds dans une école, ne sait ni lire ni écrire… Sa parente lui apprend cependant le français, et aussi les bonnes manières. « Les gens se servent sciemment du fait que je ne suis pas allée à l’école pour me faire croire que je ne comprends rien à rien. Alors que ce n’est pas le cas. Je me sens donc incomprise et ce n’est pas agréable, surtout que je me sens capable de choses que certains, munis de tous leurs diplômes, ne sauraient faire. »

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« Les gens se servent sciemment du fait que je ne suis pas allée à l’école pour me faire croire que je ne comprends rien à rien » Comme un membre de la famille Akissi saura, effectivement, dépasser son handicap et devenir l’une des plus étonnantes actrices du pays. Toute jeune, elle pose pour des romans-photos. Mais, sa carrière démarre vraiment par des sketches à la télévision : elle fait notamment des étincelles dans l’émission satirique de Léonard Groguhet, « Comment ça va ? » Quand cette dernière s’arrête, en 1994, elle en remonte une autre, tout aussi populaire, « Qui a fait ça ? » Mais c’est surtout Ma famille, une série en cinq saisons qu’elle a elle-même conçue, qui finira d’asseoir sa notoriété. Une reconnaissance qui, après l’arrêt de la série en 2008, perdure encore aujourd’hui. Sacrée Akissi ! Peur de rien, envie de tout. Enfin, pas trop de théâtre : « C’est trois mois de répétition pour une heure de représentation. En plus, ça ne rapporte pas grand-chose… » Qu’à cela ne tienne, son franc-parler et sa fraîcheur séduisent. Entre autres et non des moindres, le cinéaste Henri Duparc, qui la fera tourner à plusieurs reprises… Et puis, quand elle ne joue pas pour le petit ou le grand écran, elle s’adonne à sa passion : le stylisme. Akissi est une véritable coquette qui adore imaginer et créer ses propres vêtements. Pour le moment, la comédienne ne travaille plus beaucoup. Ma famille s’est arrêtée pour d’obscures raisons et… à la suite du décès de plusieurs de ses acteurs. Rumeurs et rancœurs ne manquent pas d’alimenter la chronique et font les choux gras des tabloïds ivoiriens… Mais Akissi a de la ressource et saura, très certainement, à 55 ans, rebondir avec panache ! n

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P. 10-11 Analyse P. 12-17 Innovation P. 18-21

© FEF

DOSSIER

DOSSIER |

économies Francophones

Des dynamiques pour former et innover

Q

uatre-vingts États membres ou observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie sur cinq continents, 275 millions de francophones en 2015, 800 millions prévus en 2050 : selon les observateurs économiques, la Francophonie est un trésor ! C’est fort de cette perspective que s’est tenu le 27 octobre 2015 à Paris le 2e Forum économique de la Francophonie. Organisé par Richard Attias & Associates et l’hebdomadaire Le Point, sous l’égide de l’OIF et du ministère français des Affaires étrangères et du Développement international, cet événement a réuni, autour de Michaëlle Jean, Laurent Fabius, Anne Hidalgo et Annick Girardin, de nombreux chefs d’État et de gouvernement de pays francophones, des responsables de grandes villes et de régions, des experts et des acteurs économiques, chefs de grandes entreprises et décideurs, mais aussi jeunes

entrepreneurs engagés dans la construction d’un avenir de croissance et de développement. C’est sur ces « jeunes pousses » que nous avons focalisé ce dossier, mettant en avant les innovations porteuses d’avenir et respectueuses de l’environnement. Autre thème développé au cours du forum et dont nous savons qu’il concerne particulièrement nos lecteurs : la formation des jeunes en relation avec la création d’emploi. « Il faut abattre les barrières qui cloisonnent l’espace francophone », a dit la Secrétaire générale de la Francophonie : multiplication des réseaux professionnels, soutien aux incubateurs et accélérateurs de startups, notamment en Afrique, aide à l’éducation, transferts de savoirs académiques et, en amont, uniformisation du droit des affaires. C’est donc avec l’OHADA que nous ouvrons ce dossier qui veut rendre compte d’une nouvelle dynamique d’ouverture et de complémentarité dans le cadre d’une économie mondialisée. n

Formation Première table ronde du Forum : entre Richard Attias (de dos) et Étienne Gernelle (au fond), directeur du Point , on peut voir (de gauche à droite) Macky Sall, président de la République du Sénégal, Ali Bongo Ondimba, président de la République gabonaise, Hery Rajaonarimampianina, président de la République de Madagascar, et Charles Michel, premier ministre du royaume de Belgique.

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DOSSier | Analyse

Ohada : le droit

au service de la francophonie

par Dominique Mataillet

A

u départ, un constat : la balkanisation du continent africain au moment des indépendances n’a pas été seulement politique. Elle a touché tous les secteurs de la vie publique. Le domaine du droit, en particulier, n’a pas échappé aux méfaits de la désagrégation des anciens ensembles coloniaux que furent l’Afrique occidentale française (AOF) et l’Afrique équatoriale française (AEF). Pour ce qui est du droit des sociétés, certains pays conservaient une législation archaïque quand d’autres, au prix de réformes ambitieuses, se dotaient de corpus de règles nouvelles. Il arrivait également que dans un même pays de nouveaux textes soient promulgués sans que les anciens n’aient été abrogés. Une telle confusion ne pouvait que pénaliser les économies en maintenant les opérateurs locaux dans l’insécurité, en entravant les échanges internationaux et en refroidissant les investisseurs étrangers. Ainsi est née l’idée d’un organisme susceptible de promouvoir un droit régional moderne et unifié. Créée par le traité de Port-Louis du 17 octobre 1993 (1), l’Ohada est ouverte à tous les États membres de l’Union africaine – elle peut même accueillir en son sein des pays non africains avec l’accord de tous les États parties. Elle regroupe à ce jour dix-sept pays. Seize ont signé le traité de Port-Louis dès 1993 : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée équatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo. La République démocratique du Congo les a rejoints en septembre 2012.

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Pour atteindre ses objectifs, l’Ohada, dont le siège est à Yaoundé, s’est dotée d’un système institutionnel composé d’une Conférence des chefs d’État et de gouvernement, d’un Conseil des ministres, d’un Secrétariat permanent, d’une Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA) ainsi que d’une École régionale supérieure de la magistrature (Ersuma). C’est au Conseil des ministres, qui réunit les responsables de la Justice et des Finances de chaque pays membre, qu’il revient d’adopter les lois, appelées « actes uniformes », destinées à se substituer aux législations locales. Neuf actes uniformes sont entrés en vigueur à ce jour. Ce qui signifie qu’ils ont valeur supranationale et font désormais partie du droit positif des États membres. Ils ont trait au droit commercial général ; au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique ; à l’organisation des sûretés ; aux procédures simplifiées de recouvrement et aux voies d’exécution ; aux procédures collectives d’apurement du passif ; au droit de l’arbitrage ; à l’organisation et l’harmonisation des comptabilités des entreprises ; et, enfin, aux sociétés coopératives. Si les normes sont unifiées, leur interprétation l’est aussi. Les juridictions nationales sont, certes, compétentes pour connaître des litiges liés à l’application des actes uniformes, mais, en cassation, leurs

© Ohada

Encore une organisation internationale, dira-t-on. Certes, mais celle-ci a gagné ses galons. L’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) est une expérience d’intégration juridique parmi les plus abouties.

Enseignement du droit Ohada des sociétés commerciales à l’Université de Kinshasa (RDC).

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Sud-Kivu (RDC), septembre 2015. Formation de magistrats en droit Ohada, avec le financement de l’Union européenne et sous l’égide de l’ONG RCN Justice & Démocratie.

Les avantages du droit continental Dans le domaine du droit comme dans les autres, il faut, pour que la place et le rôle du français soient préservés, que ce dernier apporte un bénéfice tangible à ceux qui choisissent de l’apprendre et de le parler. Or, comme le soulignait Jaques Attali dans son rapport sur la francophonie économique (3), le droit continental d’inspiration française (ou droit civil), qui est l’une des composantes de l’identité francophone, présente nombre d’avantages par rapport à son concurrent anglo-saxon. Dans la mesure où il s’agit d’un droit écrit et codifié, il offre plus de visibilité aux entreprises, que ce soit en matière d’applicabilité des contrats, de procédures d’arbitrage ou de sécurité des paiements. Ensuite, alors que le droit anglo-saxon a besoin de temps pour se construire à travers la jurisprudence, le droit à la française, une fois encore parce qu’il est codifié, est rapidement applicable dans des pays où le système et la culture de droit moderne sont encore peu développés. Les juristes disent aussi que la place importante que ce droit accorde à la loi le rend moins coûteux pour les entreprises. Les contrats sont synthétiques, alors qu’avec le droit anglo-saxon il faut prévoir toutes

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les hypothèses possibles, ce qui alourdit les frais d’avocat. On ajoutera que le droit continental, loin d’isoler l’Afrique francophone, lui ouvre de larges horizons, car il est utilisé un peu partout à travers le monde. En Chine, partenaire économique important s’il en est, le droit de propriété issu du Code civil français a été privilégié pour accompagner le développement économique (4). Tout n’est pas parfait, loin de là. Certains observateurs pointent la lenteur de l’Ohada et son manque de juges compétents. Surtout, l’intégration de ses normes dans les juridictions nationales peine à se faire. Un premier objectif a toutefois été atteint : la mise en place d’un système juridique harmonisé – et harmonieux. Le second objectif est la mise en œuvre réelle de ce droit. Passer de la théorie à la pratique, comme chacun sait, est toujours le plus difficile. n 1. Le traité a été révisé lors du Sommet de la Francophonie de Québec, en octobre 2008. 2. Parmi les 17 états membres, seules la Guinée, les Comores et la RDC n’ont pas le franc CFA comme monnaie. 3. La Francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable, rapport au président de la République française, août 2014. Téléchargeable sur : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/144000511/index.shtml#.U_xa_fcxRqk.twitter?xtor=AL-1877 4. Idem.

Le siège de l’Ohada, à Yaoundé (Cameroun). © Ohada

décisions sont soumises à la CCJA, basée à Abidjan et composée de juges de plusieurs pays. Un tel transfert de souveraineté judiciaire est unique au monde ! Pour les connaisseurs du droit des affaires, les actes uniformes réservent peu de surprises. La plupart du temps, en effet, ils reprennent les principes de base des lois et de la jurisprudence française. L’Ohada, on l’a vu, est ouverte à tous les pays du continent. Ses langues de travail sont, outre le français, l’anglais, l’espagnol et le portugais. En pratique, cependant, elle réunit avant tout les pays africains francophones – qui sont aussi, pour l’essentiel, ceux de la zone franc (2). Ce n’est pas un hasard si elle est née dans l’environnement du Sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Maurice, en octobre, 1993. Abdou Diouf, alors président de la République du Sénégal, et futur Secrétaire général de l’OIF, pesa de tout son poids dans cette construction panafricaine portée par le partage en commun de la langue française.

© Ohada

Le droit continental, loin d’isoler l’Afrique francophone, lui ouvre de larges horizons, car il est utilisé un peu partout à travers le monde

Pour en savoir plus http://www.ohada.com

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DOSSier | innovation

Technologie, solidarité et développement durable Deux jeunes entrepreneurs d’Afrique francophones ont présenté leur projet lors de la COY 11 (11e Conférence de la jeunesse), qui s’est tenue à Villepinte, dans les environs de Paris, du 26au 28 novembre, en prélude à la COP 21. Rencontre au stand de la Francophonie. par odile gandon

Kossi et Minodoo,

© Cyril_Bailleul / OIF

à l’écoute des populations

à 18 ans, Kossi était l’un des plus jeunes porteurs de projet de cette 11e Conférence de la jeunesse.

Kossi Dolagbenou est togolais, il a fait ses études à Lomé : informatique et géographie. Avec un projet au cœur, depuis sa classe de 1re au lycée de Gapé Centre, petite commune rurale au sud du Togo. Il raconte : « Pour faire nos devoirs, le soir, il n’y avait qu’une petite lampe tempête, qui éclairait bien mal. Résultat : sur dix-sept élèves que nous étions, deux seulement ont réussi le bac, dont moi. Mais j’avais bien compris que, sans énergie, la plupart des jeunes ne pourraient jamais s’en sortir… Et, depuis, je n’ai qu’une idée en tête : équiper mon village en électricité ! » Kossi a travaillé en entreprise, à Lomé, mais il a rejoint très vite l’association Minodoo (en éwé, « Restons ensemble ») dès sa création, il y a à peine deux ans. Qu’est-ce que Minodoo ? Une communauté « nomade » de jeunes diplômés regroupés autour de deux idées force : diffusion de la technologie et conviction que la jeunesse togolaise doit s’impliquer dans la construction du pays. Un de ces « tiers-lieux » qui associent

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la souplesse d’organisation, la liberté d’innovation, le partage des ressources et une dynamique entrepreneuriale basée sur l’open source. « Un nouvel espace qui sensibilise les jeunes à l’entrepreneuriat numérique et organise ateliers, formations et conférences dans plusieurs villes et régions du Togo, de manière itinérante », précise Edem Alomatsi, l’un des cofondateurs, qui a rejoint Kossi sur le stand. En un mot : « faire de la technologie porte-à-porte », en permettant l’appropriation de l’outil numérique par les populations. Au Forum de Liège, Minodoo avait fait un tabac, sans Kossi malheureusement, qui n’avait pas obtenu de visa… Pour Kossi, Minodoo est la plate-forme idéale pour développer son projet : recherche d’énergies alternatives, partage de compétences avec des biophysiciens et des techniciens en énergie solaire, réseau de récupération de matériel que l’on bidouille et adapte aux besoins. Et surtout le « nomadisme » : on enquête dans les villages, on recueille les données, on implique les habitants, on assure la maintenance. Déjà, des lampes et des panneaux photovoltaïques fonctionnent à Gapé Centre et le biogaz se substitue au bois de chauffe. Via Minodoo, le défi est relevé ! Des perspectives ? Kossi parle d’un futur centre de recherche sur l’optimisation du méthane dans le biogaz, avec une évaluation de l’efficacité des produits. Et la mise en place d’outils pour la production d’énergie photovoltaïque devrait être génératrice d’emplois : on acquiert des cellules, certes, mais il faut trouver et donc former des opérateurs pour les monter en panneaux. D’où la recherche de partenariats, publics et privés. « On en aura besoin », rappelle Kossi. n

« J’avais bien compris que, sans énergie, la plupart des jeunes ne pourraient jamais s’en sortir… Et, depuis, je n’ai qu’une idée en tête : équiper mon village en électricité ! » Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016


Étienne

et l’accélérateur de projets

© Cyril_Bailleul / OIF

Étienne Tshishimbi est congolais et vit à Dakar, où il a obtenu un master en informatique. Mais plus que la technologie, c’est la dimension politique et sociale qui l’intéresse : il veut s’investir dans « la gouvernance de l’Internet ». Sa réflexion l’a mené à la question des déchets. Il explique : « Progrès technologiques et poussée démographique entraînent une augmentation des objets informatiques en circulation. D’où un problème de gestion des déchets numériques de plus en plus aigus, notamment en Afrique, où les lois sur les déchets sont anciennes et doivent évoluer pour tenir compte de ces objets spécifiques. Mon projet, DEC_NUM (pour “déchets numériques”), était à l’origine d’organiser la collecte, le tri, puis le traitement de ces déchets – des batteries au matériel obsolète. » Étienne prend conscience de la dimension industrielle d’une telle entreprise, qui demande des investissements très lourds. À l’invitation de l’OIF, il candidate pour l’accélérateur de projets proposé lors du Forum mondial de la langue française à Liège, l’été dernier. étienne, chemise rose, en compagnie de l’administrateur de l’OIF, Sélectionné, il travaille pendant dix jours, bénéficiant d’un encaM. Adama Ouane. drement d’experts, et précise alors les étapes vers une réalisation. Étienne a compris qu’il fallait commencer par la sensibilisation de mériques ») ! « Pour l’instant, dit-il, je m’investis plutôt dans le volet la population, et particulièrement des jeunes, au tri sélectif : DEC_ citoyen, qui est un préalable, tout en gardant en vue la dimension enNUM est devenu SEN_DEC_NUM (« sensibilisation aux déchets nu- trepreneuriale. » Il a déjà reçu une dotation de la Confejes (Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports de la Francophonie), qui a présenté son projet à la COP 21. « En fait, ajoute Étienne, « Mon projet peut déboucher sur plusieurs mon projet peut déboucher sur plusieurs entreprises qui se créeraient entreprises qui se créeraient tout au long de tout au long de la chaîne, entre le tri et l’utilisation des déchets numéla chaîne, entre le tri et l’utilisation des déchets riques. La Francophonie, pour moi, est un milieu qui facilite les rennumériques. La Francophonie, pour moi, est contres, les synergies et l’accès à des financements. » Développement, un milieu qui facilite les rencontres, les synergies création d’emplois verts, préservation de la planète : comme dit Étienne, « on construit l’espoir ! » n et l’accès à des financements »

à lire Ce livre, résultat de près de cinq années de recherche sur le terrain, décrit des tiers-lieux et analyse leurs racines philosophico-politiques. Il raconte comment, dans une société gouvernée par l’information, ils sont devenus des lieux de vie et de production. La manière collaborative de travailler et de vivre que proposent ces « lieux nomades » (ni bureau, ni maison) débouche sur des modèles de création entrepreneuriale très éloignés des modes de travail et de salariat issus de la révolution industrielle. n O. G. Antoine Burret, Tiers-Lieux. Et plus si affinités, éditions FYP, 176 pages.

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DOSSier | innovation

Faiza Hajji, entrepreneuse

Ingénieur formée à la micro-finance, cette jeune Marocaine a créé la marque Ifassen, qui propose des produits design réalisés par des artisanes marocaines à partir de sacs plastiques recyclés. Engagée dans l’entrepreunariat écologique et solidaire, elle souhaite développer la prévention en soutenant un programme éducatif... par Sophie Patois

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st-ce les études ou le voyage qui ont formé Faiza Hajji et lui ont donné le goût d’entreprendre ? Un peu des deux sans doute… Née au Maroc, il y a une petite trentaine d’années, bonne élève, elle a d’abord fait ses classes préparatoires (en mathématique) en France, puis intégré une grande école d’ingénieurs (Télécom Bretagne). À vrai dire, le campus, situé à Brest, a été son premier « terrain de jeu » international puisqu’il lui a permis de monter une antenne d’Erasmus et de développer ainsi son goût pour les échanges multiculturels. Une fois diplômée, Faiza Hajji a continué de voyager à travers le monde (en Chine et Amérique du Sud surtout) et, s’orientant vers une voie moins classique, assez inattendue après un tel parcours, elle s’est d’abord spécialisée dans la microfinance. « En acceptant une mission pour Planète Finance, précise-t-elle, j’ai accepté de diviser mon salaire par quatre… » Il n’est donc guère étonnant qu’elle se soit finalement orientée vers un entrepreneuriat local, écologique et solidaire.

En développant deux structures (ADF en France et au Maroc) elle a créé Ifassen, une marque d’objets de décoration et de design (sacs, corbeilles, tapis, tapisseries, etc.) qui recycle le plastique (environ 50 000 sacs recyclés à ce jour…) et fait vivre une soixantaine d’artisanes marocaines. « J’ai grandi au Maroc, dans le nord-est du pays, confie-t-elle, où la pollution est très visible, avec beaucoup de déchets de sacs plastiques. Enfant, j’avais l’habitude de faire du vélo dans le “quartier du plastique” comme on l’appelle là-bas. Je me suis toujours demandé ce qu’on pouvait faire avec tant de matière, gratuite qui plus est ! J’ai finalement imaginé de récupérer ces déchets pour les transformer en utilisant un savoir-faire artisanal. Ma mère, qui était médecin et m’a élevée seule, recevait plein de patients de zone rurale. Un jour, une femme l’a payée avec une corbeille qu’elle avait faite elle-même avec des matières recyclées, je m’en suis inspirée. L’idée de base était à la fois d’agir sur l’environnement et de permettre à des femmes démunies d’acquérir une autonomie financière, un point sur lequel j’avais été sensibilisée très jeune. »

Des contes sur la beauté de la nature Aujourd’hui, la jeune femme souhaite développer la prévention qu’elle mène en parallèle de son activité commerciale pour tenter de lutter contre la pollution notamment. Elle s’est ainsi inspirée d’un programme éducatif mis en place en Argentine dans les quartiers démunis. « Plutôt que de venir dans les écoles comme nous le faisions auparavant avec un discours catastrophé et moralisateur, avec en bouche beaucoup de “il faut”, “il faut pas”, nous arrivons au contraire avec des contes qui disent la beauté de la nature. Cela permet aussi de transmettre des valeurs positives sur le fait de prendre soin de soi et de son environnement. Nous nous adressons aux jeunes enfants (4-10 ans) et leur proposons aussi en plus de la lecture des activités artistiques. » Le programme, d’abord traduit en français, sera également disponible en arabe. Et afin d’implanter aussi cette méthode en Afrique (francophone), l’entrepreneuse cherche de nouveaux partenaires… n Sur le terrain, près de Berkane (Maroc).

© Saeed Khan AFP Malaisie

© Saeed Khan AFP Malaisie

écologique et solidaire

Pour en savoir plus www.ifassen.com www.adf-global.org

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« les futurs innovateurs sont en Afrique » © FEF

Depuis une dizaine d’années s’est développée une tendance à la vocation particulière : accompagner des startups dans leur envol économique. Entretien avec Marie-Vorgan Le Barzic, P.-D. G. du catalyseur français d’innovation Numa, qui intervenait lors du Forum économique de la Francophonie. Propos recueillis par Yasmina Lahlou

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é dans les écoles de commerce ou initié par les organismes économiques, le mouvement d’accompagnement des startups – ces jeunes entreprises innovantes à fort potentiel de croissance –, s’est accéléré avec les nombreux catalyseurs, incubateurs ou autres business angels qui, aujourd’hui, servent la création dans le monde entier, notamment dans le domaine des technologies de l’information et de la communication. C’est ainsi que Numa France a ouvert Numa Casablanca en janvier dernier. Pont incontournable entre l’Europe et l’Afrique, le Maroc a le meilleur taux de pénétration Internet du continent et le nombre de startups créées annuellement y a quintuplé entre 2012 et 2015.

Quelles furent les raisons de votre participation au Forum économique de la Francophonie, en octobre 2015 à Paris ? Marie-Vorgan Le Barzic : L’annonce de l’ouverture de Numa Casablanca a coïncidé avec le Forum économique de la Francophonie. Nous avons pensé que cet événement était la plateforme idéale pour annoncer cette grande nouvelle dans l’histoire de Numa et de l’écosystème Tech marocain. À cette occasion, nous avons pu rencontrer de nombreux acteurs que nous ne connaissions pas auparavant. Numa s’intéresse à l’innovation en proposant de nouveaux modèles qui s’adaptent à des écosystèmes internationaux en forte croissance, et c’est le cas de Casablanca.

Lors de la table ronde «Entrepreneurs». Derrière M.-V. Le Barzic, Thierry N’doufou, créateur de tablettes numériques pour l’éducation.

stratégique idéale que représente le Maroc, nous y avons mesuré tous les signaux d’un point d’inflexion dans l’écosystème entrepreneurial : nombre de startups, investissements publics et privés… Un vrai décollage s’amorce.

Sur quels critères avez-vous choisi votre partenaire marocain, Eiréné4Impact ? Son président et fondateur, Leyth Zniber, a abandonné la direction d’une grande entreprise pour devenir l’un des premiers business angels du pays et créer la première plate-forme holistique d’accompagnement à l’entrepreneuriat et l’innovation à fort impact sociétal. Avec lui, nous savons que Numa Casablanca portera haut et fort nos valeurs d’ouverture et de performance. n

La voix du partenaire : Leyth Zniber, président d’Eiréné4impact « Via son incubateur Impact Lab, Eiréné4Impact se concentre sur l’entreprise citoyenne, et avec Numa nous avons pu renforcer nos équipes et notre expérience pour élargir notre soutien aux entrepreneurs responsables. Au Maroc, nous comptons développer le nombre et la qualité des startups accompagnées à travers trois axes majeurs : renforcer l’écosystème national en diffusant notre savoir-faire auprès des organisations locales à travers des formations de formateurs ; faire du Maroc un hub régional et attirer des startups du monde entier intéressées par ces sujets en Afrique et au Moyen Orient ; créer un petit

Pourquoi Casablanca ? Nous voulons accélérer la croissance de quinze écosystèmes émergents d’ici à 2019. L’Afrique est l’une de nos cibles prioritaires : la moitié de la population à moins de 25 ans et a soif d’entreprendre. Nous sommes convaincus que les innovateurs de la prochaine décennie sont sur ce continent et nous avons pour objectif de nous implanter dans deux à trois pays africains. Au-delà de la position Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

fonds d’amorçage pour mieux accompagner nos startups. En 2017, nous comptons ouvrir deux nouveaux accélérateurs dans la région centreest de l’Afrique. Cette première expansion nous permettra de valider notre modèle d’internationalisation qui devrait se poursuivre jusqu’à la fin 2020 dans une vingtaine de villes, probablement en Tunisie, et, pour Afrique de l’Ouest, au Ghana, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. » n

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DOSSier | innovation

© Niokobok

L’équipe de Niokobok.

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La dynamique

« e-commerce »

Au Sénégal, de jeunes entrepreneurs se sont lancés dans l’aventure de la vente en ligne. Le pays a vu naître depuis 2014 une vingtaine de startups. À côté de plateformes internationales qui se lancent sur le marché local – telles Cdiscount ou Hellofood –, d’autres enseignes locales voient le jour. Elles opèrent essentiellement dans l’alimentaire, alliant toujours l’ingéniosité et le sens des réalités économiques. Exemples. Par Sarah Sakho

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’une des startups sénégalaises les plus innovantes s’appelle Sooretul (« ce n’est plus loin » en wolof), qui se définit comme « un marché virtuel des produits locaux transformés ». L’entreprise, fondée en 2013 par quatre jeunes Sénégalais, sert d’intermédiaire entre producteurs ruraux et consommateurs urbains. On peut y acheter en ligne du jus de ditakh (fruit à l’écorce verte très apprécié au Sénégal), des croquettes de bouye (fruit du baobab), de la semoule de mil ou encore des crevettes séchées. Autant de produits typiques de l’agriculture locale qui ne sont pas dans les supermarchés. La démarche de Sooretul est de mettre la technologie au service de l’agriculture et plus particulièrement des femmes qui, au Sénégal, sont celles qui transforment traditionnellement les produits cultivés par les hommes. Pour sa cofondatrice Awa Caba, 28 ans, « il y a quelque 7 millions d’internautes au Sénégal. Une femme rurale qui n’avait accès qu’à son village peut désormais toucher ces 7 millions de consommateurs pour écouler ses produits. C’est ça la magie de la technologie. Pas d’intermédiaire, pas d’infrastructures, l’e-commerce permet en plus de réduire les coûts ». La jeune femme reconnaît toutefois que « la pénétration d’Internet au Sénégal est encore limitée ». Selon l’ARTP, l’autorité de régulation des télécommunications et des Postes, le taux de pénétration d’Internet du pays dépassait à peine 50 % en septembre dernier. Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016


Autre exemple : Niokobok. Le nom de cette startup signifie quant à lui « on est ensemble » en wolof. Fondée en 2012, l’entreprise propose aux Sénégalais de la diaspora d’envoyer à leurs proches restés au pays des paniers alimentaires. Le concept est simple : le fils ou la tante installés en Europe achètent par carte bancaire ou transfert d’argent des biens via la plateforme numérique de l’entreprise. L’offre – que l’on retrouve sur n’importe quel marché sénégalais – couvre ce qu’on appelle au Sénégal, le « ravitaillement », autrement dit les produits de première nécessité (huiles, savon, sacs de riz, café lyophilisé, etc.) de la famille sénégalaise moyenne. La commande, une fois payée, est préparée et livrée dans les 48 heures au pays. L’affaire n’est pas encore rentable mais son chiffre d’affaires a quadruplé en 2015 et, selon Laurent Liautaud, son patron français de 38 ans, « la rentabilité est proche ». À l’origine de Niokobok, ce passionné d’Afrique et professionnel de la grande distribution, constate que l’argent envoyé aux familles par la diaspora n’est pas toujours utilisé à bon escient. Il croit par ailleurs à « l’innovation sociale par l’entreprise » et considère Internet comme un formidable outil pour les entreprises africaines. « C’est un marché encore à défricher où il y a relativement peu d’acteurs », explique-t-il. Mais la Toile permettrait selon lui de sauter des étapes : « Avec la possibilité du e-commerce on peut par exemple se demander si les hypermarchés vont se développer en Afrique de l’Ouest ou si l’on va passer directement au commerce en ligne pour l’alimentaire… »

Un incubateur/accélérateur de startups Situé dans un petit immeuble blanc du Plateau, le cœur historique de Dakar, à deux pas de la place de l’Indépendance, le CTIC accueille les entrepreneurs exerçant dans les TIC (voir encadré). L’équipe a appuyé en près de cinq ans d’existence plus de soixante-quinze start ups dont sept dans le domaine du e-commerce. La structure propose deux grands programmes. L’incubation de startups vise des jeunes porteurs de projets innovants qui restent encore à formaliser et que l’organisme accompagne pendant six mois. L’accélération

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Entre la diaspora et la famille au pays

La jeune Awa Caba, directrice et confondatrice de Sooretul.

s’adresse plutôt aux PME déjà en activité et propose des services allant du coaching à l’aide à la levée de fonds en passant par la mise à disposition de locaux au sein de leur bâtiment. CTIC Dakar est un des tout premiers catalyseurs de croissance pour les PME dans le domaine des TIC en Afrique de l’Ouest et constitue à ce titre est un véritable observatoire du secteur naissant du e-commerce au Sénégal. D’après Eva Sow, responsable de la communication, si le marché est porteur, il connaît toutefois encore de sérieuses limites : « Le paiement en ligne par exemple n’est pas du tout généralisé. Cela est dû à la fois au taux de bancarisation très faible du Sénégal mais aussi à la pédagogie des utilisateurs. Il n’est en effet absolument pas dans nos habitudes de vie de payer par carte bancaire. » Autre limite selon la jeune femme : « La vente en ligne souffre d’un manque d’organisation et de logistique. Entre autres, les rues ne sont pas nommées, un détail qui complique la livraison. » De l’aveu de tous ces acteurs, le e-commerce reste toutefois un marché à très fort potentiel au Sénégal. Selon le dernier rapport trimestriel de l’ARTP, le taux de pénétration de la téléphonie mobile qui permet à un nombre croissant de Sénégalais d’accéder à Internet est lui en explosion et frisait en juin dernier les 110 % de pénétration. n

Le CTIC, né d’un partenariat public-privé Créé en 2011, animé par sa directrice générale Regina Mbodj et une équipe de neuf membre dédiés, le CTIC Dakar est l’un des incubateurs les plus importants et performants d’Afrique de l’Ouest : plusieurs dizaines d’entreprises accompagnées (PME et startups TIC) dont plusieurs sont devenus des pépites régionales, près de mille jeunes porteurs de projets sénégalais coachés, plus de quatre-vingts événements organisés, etc. Cette organisation à but non lucratif a vu le jour sous l’impulsion du secteur privé sénégalais (Organisation des professionnels des TIC), soucieux de dynamiser le secteur TIC et de favoriser la croissance des entreprises les plus innovantes. Placé sous l’égide de la Fondation des incubateurs TIC du Sénégal (FICTIS), le projet à rapidement suscité l’intérêt du programme InfoDev, de la Banque mondiale et de nombreux autres partenaires public et privés, locaux et internationaux. n www.cticdakar.com

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DOSSier | formation

Représentation de Cyrano de Bergerac au Festival théâtral « ça se passe à Kin », en juin dernier.

Investir dans l’éducation… © Eric_Thauvin_AFD

ET après ? Rohen d’Aiglepierre, responsable du développement humain à l’Agence française du développement (AFD), participait au Forum de la Francophonie économique, fin octobre 2015. Il répond à nos questions.

Propos recueillis par odile gandon

Pouvez-vous définir ce qu’est l’AFD ? Quelles sont ses missions et comment intervient-elle dans les différents pays ? Rohen d’Aiglepierre : L’AFD est l’organisme français qui a pour mission la gestion de l’aide au développement française, et intervient dans 70 pays étrangers, mais aussi dans les départements et territoires d’outre mer et en Nouvelle-Calédonie. Elle agit de façon bilatérale, selon la demande. Ses fonctions sont d’une part celles d’une banque de développement pour financer des projets de développement dans les pays partenaires : prêts à long terme, garanties bancaires, mais aussi, pour les pays les plus pauvres, subventions, qui peuvent financer des projets lancés par des États ou par des ONG. Signalons à ce propos que la principale zone des interventions financières de l’AFD est l’Afrique subsaharienne. Outre ce rôle de banque, l’AFD intervient comme agence de développement en accompagnant la modernisation économique, sociale et environnementale des pays partenaires. Elle appuie la planification et l’élaboration de stratégies, notamment dans le domaine éducatif. Enfin, l’Agence a aussi une fonction de production de connaissances : des activités de recherche-action-anticipation, des analyses à vocation opérationnelle, des travaux d’évaluation, des actions de formation et de renforcement des capacités, notamment avec le CEFEB, université d’entreprise de l’AFD, qui forme entre autres des cadres et des fonctionnaires des pays partenaires.

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Vous êtes vous-même en charge du « développement humain » à l’AFD. En quoi cela consiste-t-il ? Il s’agit pour l’AFD d’investir dans le développement des capacités de la jeunesse, de lui donner le bagage nécessaire pour s’intégrer socialement et professionnellement. Nous essayons toujours d’agir de façon différenciée, en repérant les compétences, les caractéristiques particulières et les situations afin que les formations aient du sens et soient efficaces, en soutenant entre autres les innovations dans ce secteur et le fonctionnement de centres de formation. Nous privilégions une approche pragmatique, en fonction des demandes, des contextes et des perspectives. Les pays où nous intervenons ne sont pas tous francophones, mais, sur certains projets, nous travaillons avec l’Agence universitaire de la Francophonie, notamment en ce qui concerne les nouvelles technologies (formation et utilisation dans l’enseignement), point fort de l’engagement de l’Organisation internationale de la Francophonie dans l’enseignement (1). Notamment, nous avons récemment publié un état de la recherche française sur l’éducation dans les pays en développement, qui permet entre autres de pointer la faiblesse des relations entre le monde de la recherche et celui de l’action (2). L’aide publique au développement opère traditionnellement d’État à État, avec les risques de dérives que l’on peut déplorer. Une tendance Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016


« L’enjeu majeur réside dans l’investissement productif et la création d’emploi. Le continuum éducation-formation-emploi est donc au cœur de notre stratégie d’aide au développement »

actuelle est de remettre en question ce modèle d’aide, en construisant des partenariats public-privé. L’AFD envisage-t-elle de tels partenariats ? Certes, nous travaillons directement avec les États. Ce sont eux qui pilotent les projets. Mais depuis longtemps déjà nous associons de plus en plus des organismes et opérateurs privés (fondations, ONG) ou des collectivités territoriales et avons pleinement intégré qu’il est parfois plus efficace de financer directement des entreprises, notamment des PME locales, dans la perspective d’une économie inclusive. L’AFD va s’adosser à la Caisse des dépôts. S’agit-il de fusionner ? Cela s’inscrit dans une refonte de l’aide publique française, avec à la clé une levée de fonds plus importante et, sans doute, une amélioration de la cohérence des actions d’aide au développement. Notamment en réponse à l’agenda de la COP 21, qui associe aux nécessités de développement économique la lutte contre le réchauffement climatique et les exigences d’une « croissance verte ». Associé à la Caisse des dépôts, l’AFD deviendra ainsi la plus grande banque européenne pour le développement. Serge Michailof, ex-représentant de l’AFD auprès de gouvernements africains, met en garde dans ses ouvrages sur les risques conjugués de la poussée démographique et de l’absence de développement économique, notamment agricole, en Afrique. D’où une migration massive des jeunes… Les stratégies de l’aide à l’éducation ne doiventelles pas prendre en compte ces questions ? Michailof tire la sonnette d’alarme ! L’insertion des jeunes est un sujet essentiel. Le chômage et l’exclusion des jeunes sont des facteurs majeurs de déstabilisation. L’Afrique doit former des cadres de qualité, d’où la nécessité d’une amélioration des systèmes éducatifs, de la petite enfance à l’enseignement supérieur. Mais l’enjeu majeur réside dans l’investissement productif et la création d’emploi. Le continuum éducation-formation-emploi est donc au cœur de notre stratégie d’aide au développement. Les objectifs de l’EPT (éducation pour tous) définis par les Nations unies à Dakar, en 2000, doivent faire place à de nouveaux enjeux : développement des compétences, insertion et emploi des jeunes, emplois et compétences vertes. n 1. http://www.afd.fr/webdav/shared/PUBLICATIONS/THEMATIQUES/savoirscommuns/17-Savoirs-communs-VF.pdf 2. http://www.afd.fr/webdav/site/afd/shared/Notes%20techniques/08-notes-techniques.pdf

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Des partenariats au service de la formation L’AFD peut subventionner des projets opérationnels innovants, portés par des ONG ou des organismes paritaires public/privé. Quelques exemples : • Handicap International, en partenariat avec l’ONG néerlandaise SNV, s’est vu attribuer une subvention de l’AFD (à 80 %) pour un projet de formation par l’apprentissage et l’accompagnement vers l’emploi de personnes vulnérables dans la région de Sissako, au Mali. Les secteurs concernés sont l’agropastoralisme, l’agroforesterie et les énergies renouvelables, tous porteurs en termes d’emploi. • Agissant au Burundi, l’ONG italienne Volontariato internazionale per lo Sviluppo a entrepris de renforcer le partenariat public-privé entre les acteurs de la formation et les acteurs économiques (artisans et entreprises) pour développer des formations en alternance chez des maîtres artisans ayant reçu au préalable une qualification. Le projet (financé à 70 % par l’AFD) concerne les jeunes déscolarisés ou non scolarisés des communes nord de Bujumbura (les plus pauvres de la capitale) et de communes rurales environnantes à fort potentiel agricole. • À Madagascar, une convention de financement avec l’AFD permet la création de l’École supérieure des technologies de l’information (ESTI). Ce projet est porté par la Chambre de commerce et d’industrie d’Antananarivo et les entreprises du secteur des nouvelles technologies regroupées au sein du Groupement des opérateurs en technologies de l’information et de la communication de Madagascar (GOTICOM). Il est accompagné par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris Île-de-France (CCIP-IF), notamment avec des systèmes de co-diplomation avec ITESCIA, une des écoles de la CCIP-IF. Il s’agit ainsi de garantir une bonne adéquation entre les compétences des jeunes formés et les besoins des entreprises grâce à une formation qui alterne des cours à l’école et de l’apprentissage en entreprise. n O. G.

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© HEM

© J.Van Belle – WBI

Le campus de HEM, à Casablanca (Maroc).

ouverturE africaine

pour les grandes écoles

HEC, Polytechnique, Centrale, Dauphine, Sciences-Po, Panthéon-Assas... De prestigieux établissements d’enseignement de l’Hexagone s’exportent de plus en plus résolument vers le continent africain. Une offre pédagogique et académique qui représente un véritable investissement dans l’avenir de l’Afrique. Par Yasmina Lahlou

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a mondialisation touche désormais tous les secteurs, y compris celui de l’enseignement. Plus qu’une simple volonté ou qu’un choix stratégique, l’ouverture à l’international est devenue une nécessité pour nombre d’établissements et concerne aussi bien les étudiants que le corps enseignant, composé d’un nombre croissant d’étrangers. De fait, nous assistons aujourd’hui au renforcement de cette présence à travers la multiplication de récents partenariats entre institutions françaises et africaines.

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Des formations d’excellence Cette rentrée 2015-2016 a notamment vu l’ouverture à Douala (Cameroun) de l’École supérieure de journalisme de Paris (ESJ). Avec un cursus identique à celui de la capitale française, le développement international de l’ESJ, conduit par son président Guillaume Jobin, s’est construit depuis 2008 à partir du Maroc (Casablanca et Rabat) avant de se poursuivre à Alger, Bruxelles, Dubaï, Tunis. Par ailleurs, en collaboration avec l’Union de la presse francophone, l’école délivre un programme d’enseignement à distance (EAD) identique au programme présentiel de Paris, qui présente l’avantage de pouvoir être suivi par les étudiants quel que soit leur pays de résidence. HEC Paris renforce également sa présence : à Abidjan, la grande école commerciale collabore avec la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI), dans le cadre d’un programme de haut niveau destiné aux cadres supérieurs. « La CGECI a choisi HEC Paris pour son expérience internationale en matière de formation continue des managers et des dirigeants », se félicite Jean Kacou Diagou, son président. Animée par le corps professoral de HEC Paris et des professionnels du monde de l’entreprise ivoiriens, une formation certifiante de quatre mois a débuté en janvier 2016. « Ce cursus permet aux décideurs de faire face aux enjeux stratégiques auxquels est confrontée leur organisation. C’est en outre un certificat d’enseignement supérieur reconnu à Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016


l’international qui peut être complété par un mastère spécialisé à Paris », précise Sean Kilbride, directeur du développement à HEC. Actif depuis les années 1970 et présent dans huit pays à travers le continent, HEC développe des programmes de formation à destination des chefs d’entreprise africains. D’où la possibilité de s’appuyer sur un réseau d’anciens élèves qui occupent les postes clés dans les plus grandes entreprises africaines et internationales implantées sur le continent.

Alliances pédagogiques Politiques et diplomates conjuguent aussi leurs efforts pour renforcer les alliances pédagogiques franco-africaines. C’est ainsi qu’à l’occasion de la visite du président du Sénégal Macky Sall à l’École polytechnique (X), le 2 décembre 2015, les lycées parisiens Louisle-Grand et Henri-IV, ainsi que le lycée du Parc à Lyon, ont signé une convention pour accueillir des boursiers d’excellence sénégalais au sein de leurs classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Le lycée Sainte-Geneviève de Versailles entend à son tour proposer bientôt des places. Cette convention va permettre d’internationaliser plus encore le profil des élèves des CPGE, favorisant ainsi les échanges multiculturels entre étudiants. On se souvient que le président-poète et académicien Léopold Sédar Senghor a fait ses classes à Louis-leGrand, avant d’intégrer l’École normale supérieure… Après l’ouverture d’un centre d’examen à Dakar en mai 2015 permettant aux étudiants sénégalais de passer le concours d’entrée à Polytechnique, puis la signature en juillet dernier d’un partenariat avec l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, l’X s’est également engagée à soutenir les élèves sénégalais candidats aux grandes écoles françaises, fidèle en cela à sa tradition d’ouverture internationale (30 % de ses étudiants et 39 % de son corps enseignant sont étrangers).

le groupe HEM a établi des conventions de coopération : Paris-Dauphine, Sciences-Po, IAE Lyon, les universités Montpellier 1 et Panthéon-Assas, entre autres. Tunis-Dauphine, université privée créée en 2009 et située au cœur de la ville de Tunis, est le premier campus international de l’université Paris Dauphine, avec pour mission d’être un pôle d’excellence en Afrique, tant pour la formation que pour la recherche : sciences économiques, gestion, mathématiques et management. L’enseignement (licence et master) est assuré en tandem par des professeurs de l’université Paris-Dauphine et des universités tunisiennes et débouche sur un double diplôme : le diplôme national et le diplôme de Paris-Dauphine. Cette rentrée 2015-2016 a aussi vu l’ouverture en septembre dernier au Maroc de l’École centrale de Casablanca (ECC), née d’un partenariat très étroit avec Centrale Paris, construite sur un même modèle pédagogique et répondant aux mêmes exigences et standards. « Centrale Casablanca regorge d’ambitions. Elle veut être une école leader sur l’ensemble des pays d’Afrique de l’Ouest, avec une pédagogie innovante et largement ouverte sur l’entreprise », déclarait Hervé Biausser, directeur de Centrale Paris, insistant sur la vocation panafricaine de l’ECC. D’où la présence d’Ivoiriens, de Camerounais et de Sénégalais parmi la première promotion des cinquante élèves-ingénieurs accueillis pour cette rentrée. « Nous avons pour ambition d’en faire la première grande école d’ingénieurs généraliste sur le continent africain », explique Ghita Lahlou, directrice générale de l’ECC, elle-même diplômée de Centrale Paris. Ainsi, de plus de plus de grandes écoles et universités françaises s’intéressent de très près au marché africain de la formation, initiale ou continue, et cherchent à attirer une population francophone d’étudiants et de cadres issue de tout le continent. Mais dans tous les cas, le principe est de développer un marché dans lequel tout le monde soit gagnant. n

© FEF

© 2iE

Remise des diplômes à l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE), basé au Burkina Faso. Né d’une association entre États africains, cet Institut, qui propose des formations en présentiel mais aussi en ligne, fonctionne en partenariat public-privé avec des centres de recherche, universités et grandes écoles du monde entier, un réseau international d’entreprises, l’AUF et de nombreux appuis institutionnels et financiers.

Des partenariats académiques prestigieux Ces partenariats portent sur des échanges de professeurs et d’étudiants, d’idées et d’expériences, des projets communs, des passerelles entre différents cursus et/ou des doubles-diplômations. Au Maroc, c’est le cas de l’institut des Hautes études en management (HEM) qui, outre des campus dans les principales villes marocaines, est forte d’un corps enseignant composé de plus d’une cinquantaine de professeurs étrangers provenant d’institutions prestigieuses avec lesquels Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

Lors du Forum économique de la Francophonie, Redha Ferchiou, un des fondateurs et président de Tunis-Dauphine, a insisté sur le lien entre formation et emploi.

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société |

© romain-batteux

Le groupe Kayes DG, sur la scène du Vent-se-lève, à Paris.

France-mali,

un trait d’union musical

Créé et formé par le festival Africolor, le groupe Kayes DG rassemble de jeunes musiciens d’origine malienne vivant en France. Témoins de la vitalité des allersretours musicaux et culturels entre la France et le Mali, les membres du groupe et le directeur du Festival racontent cette aventure particulière qui nourrit leurs belles énergies. par Sophie Patois

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endez-vous incontournable des musiques africaines, le festival Africolor s’est imposé à Paris et en Seine Saint-Denis depuis 1988. Pour la vingt-septième édition, en décembre 2015, il présentait non seulement des artistes aguerris comme Boubacar Traoré, Simon Winsé ou Moustapha Maïga… mais donnait aussi à six jeunes, Maliens et Franco-Maliens l’occasion de jouer leur propre partition. « Quand je suis arrivé à Africolor il y a 2 ans, souligne Sébastien Lagrave, directeur du Festival, je me suis rendu compte que le festival avait énormément contribué à faire gagner de la visibilité aux artistes africains mais que les enfants nés en France souffraient encore d’un manque de programmation dans les institutions culturelles. La première idée était de permettre à cette nouvelle génération de musiciens trop souvent relégués dans les fêtes, les mariages ou les baptêmes, d’être repérés et accompagnés. » Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016


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En pleine répétition. Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

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Avec l’aide des associations de migrants d’Île-de-France, Africolor sélectionne donc ces musiciens de l’ombre pour les mettre sous les feux de la rampe. En ce soir de décembre, au Vent-se-lève, salle du XIXe arrondissement de Paris, les membres de Kayes DG se retrouvent : Fili Sissoko (guitare), Mamadou Demba Soumano (percussions), Mahamadou Koité (basse), Djebé Sissoko (doundoun), Dado Diallo (chant) et Diakha Faty (chant et danse). Ils interprètent un répertoire qui puise dans les musiques soninkés, bambaras et khassonkés de la région de Kayes, au Mali, sur un tempo traditionnel nourri des apports du métissage. «  J’ai la double nationalité française et malienne, explique Diakha, 24 ans. Mes parents, originaires de Gambie, ont d’abord immigré au Mali, puis en France où je suis née et j’ai grandi. Je me suis beaucoup retrouvée dans des mariages et j’ai découvert la richesse des danses, très diversifiées. Cela m’a plu et je me suis inscrite à des cours. J’y ai pris goût et aujourd’hui, c’est moi qui donne des cours de danse… L’important c’est de rester en lien avec le pays et la langue d’origine, une langue que nos enfants parleront et comprendront sans doute un peu moins bien que nous… Moi-même, quand je chante, j’ai un accent bien frenchie ! » Créé il y a un an (en janvier 2015), le groupe, coaché de près par Sébastien Lagrave, fait figure – au-delà de l’aspect culturel et musical – de symbole d’une intégration visiblement réussie. Arrivé en France il y a cinq ans pour suivre ses études (un master en sciences de l’éducation), Mahamadou Koité en est le bassiste. « Actuellement, je suis assistant d’éducation dans un collège et dans un lycée et je prépare un concours pour devenir conseiller principal d’éducation, confie-t-il. La musique, c’est ma passion. Comme je suis griot, dans la famille on a toujours fait de la musique. J’ai appris le répertoire des chansons maliennes dès tout petit. Je n’ai pas reçu de formation académique mais j’ai appris la musique comme bon nombre de Maliens. »

La chanteuse et danseuse de Kayes DG, Diakha Faty.

Entre Paris et Bamako De ce lien, Kayes DG en a fait l’expérience, juste avant le festival parisien, grâce à une tournée malienne qui a permis aux artistes de répéter « en live »… « Ils ont d’abord fait une semaine de répétition à Bamako, précise le directeur d’Africolor. Puis, ils ont joué à l’Institut français et ensuite dans les villages de la région de Kayes : Bafoulabé, Diema, Kéniéba, Kita… Ils ont rencontré notamment deux jeunes chanteurs de Bamako et les gens ont vraiment reconnu leur valeur, aussi bien artistique qu’instrumentale. Le dialogue s’est établi aussi autour de la question de l’immigration. La chanteuse a eu une phrase dont je me souviendrais toujours : “On ne va pas vous dire qu’il ne faut pas partir, qu’il ne faut pas venir en France. On va vous dire une seule chose : prenez la bonne route et pas la mauvaise !” » De cette tournée, et de cet accueil qu’ils qualifient unanimement de « magnifique », ils gardent tous un souvenir ému. « Me retrouver dans mon pays d’origine pour jouer de la musique cela a été une grande émotion pour moi, souligne en particulier Mahamadou. Cela m’a fait chaud au cœur. Cela nous a fait aussi du bien car les musiciens que nous avons rencontrés là-bas nous ont encouragés à travailler ensemble. » Dopés par ces incitations et heureux de se retrouver devant un public qui entre facilement dans la danse (leur énergie étant assurément contagieuse !), ils semblent prêts à passer à la vitesse supérieure. « J’ai plusieurs projets personnels, confie l’enjouée Diakha. Et avec le groupe, nous avons envie de continuer pour voler un jour de nos propres ailes… » Confiant en leur avenir, Sébastien Lagrave renchérit : « Par leur présence et leur musique, ils incarnent ce que peuvent produire de meilleur l’émigration et l’immigration. Ils ont très envie de continuer à travailler pour faire un groupe qui serait vraiment représentatif de ce qui se passe en Île-de-France et qui ferait partie de l’histoire d’Africolor. Je les ai incités aussi à aller vers la création de textes originaux. Ils en sont au début. Avec par exemple un sujet sur les jeunes qui boivent le thé au Mali en attendant que le monde change. Ce texte est très beau parce qu’il pointe l’idée qu’il faut bouger pour que le monde change et il permet de dire : “Faisons-le ensemble des deux côtés de la Méditerranée.” » n

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© Jale Ibrak – Fotolia.com

pédagogie |

Parier sur les CLOM ? Les MOOC (Massive Open Online courses), que les francophones traduisent par CLOM (Cours en ligne ouverts et massifs) ou FLOT (Formations en ligne ouvertes à tous) : quatre lettres qui redistribuent les cartes de la formation à distance. Engouement passager ou profonde mutation ? Par fanny dupré

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A

pparus en 2008, les CLOM présentent de nombreux atouts, au premier rang desquels figurent la gratuité et la simplicité. L’inscription est rapide, elle s’effectue sur Internet. Aucun diplôme préalable n’est exigé. Le cursus est court, il ne dépasse en général pas sept semaines. Chacun le suit aux jours et heures de son choix et à son rythme. L’utilisation généralisée de la vidéo est attrayante. Les contenus disponibles sont extrêmement variés et émanent parfois des écoles les plus réputées. L’École polytechnique propose un cours d’introduction aux probabilités, l’ESSEC (École supérieure des sciences économiques et commerciales) a mis en ligne un cours intitulé « L’avenir de la décision : connaître et agir en complexité » – un programme conçu en collaboration avec le philosophe Edgar Morin –, l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, des formations en droit, celle de Genève, un cursus sur « Calvin : histoire et réception d’une réforme », etc.

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La mesure de la progression est possible, par autoévaluation via des quiz ou des examens en ligne. Ou encore, par une procédure d’examen avec vérification d’identité et, en cas de succès, délivrance d’un certificat compatible avec des ECTS (European credit transfer system) et représentant 1 à 3 crédits, sur les 60 indispensables à l’obtention d’une licence ou d’un master. Offrant une quarantaine d’heures de cours, les CLOM ne rivalisent pas avec un programme complet de formation, qui compte quinze à vingt cours différents et suppose 700 à 800 heures de cours par an. En Occident, des voix s’élèvent déjà et croient déceler une désillusion dont témoigneraient le faible taux de réussite aux tests et les nombreux abandons : moins de 5 % des inscrits valident la formation.

Le besoin africain de formations à distance Sur le continent africain, les téléphones portables restent le principal mode d’accès à Internet, alors même que leurs caractéristiques ne sont pas vraiment adaptées à la lecture des vidéos et au suivi d’un CLOM. Pourtant, malgré les difficultés techniques, les adeptes se multiplient et les programmes francophones rencontrent un succès notable. Lancée en juillet 2013 pour diffuser les meilleurs CLOM des établissements d’enseignement supérieur français ou francophones, la plateforme FUN (France université numérique) compte déjà 17 % d’étudiants africains. Mieux, 25 % des inscrits au CLOM « Gestion des projets » de l’école centrale de Lille sont aussi du continent. La popularité des CLOM est en rapport avec la situation des universités africaines, en nombre insuffisant et surpeuplées. Et l’enjeu est de taille, puisque seulement 9 % d’une classe d’âge accède à l’enseignement supérieur, contre 50 % en France. Sans surprise, les enquêtes montrent que la demande de certification et de reconnaissance académique des cursus y est forte. L’Agence universitaire de la francophonie (AUF), qui intervient depuis plus de cinquante ans auprès des acteurs universitaires francophones à travers le monde, entend ce besoin. Et y répond, notamment en soutenant ceux des CLOM qui délivrent une certification et sont intégrés dans le système éducatif. L’agence apporte en particulier son appui technique à l’organisation des examens organisés dans le cadre d’un CLOM.

La popularité des CLOM est en rapport avec la situation des universités africaines, en nombre insuffisant et surpeuplées. L’enjeu est de taille, puisque seulement 9 % d’une classe d’âge accède à l’enseignement supérieur Malgré l’intérêt suscité par les CLOM, les universités africaines fournissent encore peu de contenu. Les deux appels d’offres lancés par l’AUF en vue d’en produire attiraient principalement des réponses en provenance du Maghreb, même si l’agence relève que les équipes pédagogiques d’Afrique subsaharienne sont partantes. Et que, par ailleurs, se pose la question de l’adaptation culturelle. Concrètement, au Burkina Faso, l’université Ouaga II prépare un CLOM intitulé « Participation communautaire et développement local », destiné aux organisations non gouvernementales. Il pourrait franchir les frontières et toucher d’autres pays. À Kinshasa (RDC), les équipes travaillent en partenariat avec des universités françaises à un projet portant sur le développement durable. Des avancées timides qui trouvent sans doute une justification dans l’absence de modèle économique rentable. Les revenus générés par les éventuelles procédures payantes de délivrance de diplôme ne couvrent pas les frais de conception et de réalisation. Si les grands établissements universitaires occidentaux peuvent offrir des CLOM gratuits visant à attirer des étudiants susceptibles de payer pour des cursus complets, les établissements africains ont d’autres défis à relever. Ils se préparent à faire face au doublement de la population et savent qu’Internet représente la vraie révolution, une technologie sur laquelle s’appuyer. Les CLOM ne sont alors qu’un outil en ligne parmi d’autres. Des universités virtuelles, délivrant des diplômes complets de licence et de master, devraient voir le jour prochainement au Sénégal et, dès cette année, en Côte d’Ivoire. Il semble y avoir là un modèle économique sûr. À titre d’exemple, le site de FOAD (formation à distance) en ligne lancé par l’AUF en 2004, prépare aujourd’hui quatre-vingts licences ou masters, dont près de la moitié sont assurés par des établissements du Sud. Pour que le financement du cursus ne soit pas un frein, l’AUF attribue entre cinq cents et sept cents bourses chaque année. La rentrée voit arriver douze mille demandes d’inscription pour environ deux mille places… Un succès donc pour un dispositif qui semble offrir un niveau de rentabilité plus satisfaisant que les seuls CLOM. n

Des annuaires de CLOM francophones • Site de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) : www.foad-mooc.auf.org © Ammentorp – Fotolia.com

• Plate-forme France université numérique (FUN) : https://www.france-universite-numerique-mooc.fr • Site de référencement des CLOM francophones » : http://mooc-francophone.com

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pédagogie |

L’IFEF, un nouveau cadre © Martin Dixon / OIF

pour L’éducation Le 5 octobre dernier, l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) inaugurait l’Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation (IFEF). Quels objectifs pour cette nouvelle instance éducative ? Par Nathalie Rivière

E

n 2014, lors du XVe Sommet de la Francophonie, les chefs d’État et de gouvernement décidaient de se doter d’un dispositif en mesure d’appuyer davantage les pays dans leurs efforts pour améliorer leurs systèmes éducatifs. Ils réaffirmaient à cette occasion le rôle de l’éducation comme moteur du développement et adoptaient une stratégie économique et de soutien à la jeunesse. Avec une vision respectueuse de l’humain, de la diversité des langues et des cultures, et la solidarité entre générations.

Inauguré à Dakar

© Martin Dixon / OIF

Quelques mois plus tard, Michaëlle Jean, Secrétaire générale de la Francophonie, annonce la création de l’IFEF, qui concrétise ces ambitions. Le nouvel institut, inauguré à Dakar en octobre 2015, sera à terme doté d’une autonomie de gestion. Illustrant la volonté de l’OIF de se rapprocher des publics ciblés et des partenaires, l’IFEF travaillera en lien étroit avec tous les acteurs de la francophonie : Agence universitaire de la Francophonie, Université Senghor d’Alexandrie, Conférence des ministres de l’Éducation des États et gouvernements de la Francophonie.

Pour commencer, divers programmes de l’OIF seront rassemblés au sein de l’IFEF. D’abord IFADEM (Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres), qui propose pour les enseignants et leurs formateurs un dispositif qui s’appuie sur les technologies numériques les plus récentes. L’Unesco estime que 6 millions de professeurs doivent être recrutés en Afrique dans les quinze ans à venir et que l’IFEF pourrait en préparer au moins cent mille à leur métier. Le programme ÉLAN (École et langues nationales en Afrique) rejoindra également l’IFEF. Afin de remédier aux échecs scolaires liés à la difficulté des acquisitions de base en langue française, il promeut un enseignement favorisant les premiers apprentissages dans la langue maternelle, avant de passer au français. Dans ce domaine, l’action de l’OIF consiste à soutenir le personnel éducatif mais aussi à élaborer des cursus et produire les outils pédagogiques adaptés. En 2015, quarante langues nationales différentes étaient concernées. L’accompagnement par l’IFEF des réformes des politiques éducatives au sein de l’espace francophone se déploiera prioritairement dans les pays où IFADEM et ÉLAN sont implantés (voir FDS n° 32 et 34). Enfin, le programme de formation et d’insertion professionnelle des jeunes de 15 à 25 ans intégrera l’IFEF. Il doit favoriser leur entrée dans le monde du travail et accompagner le développement économique de leur pays. Le but étant de renforcer l’offre de formation professionnelle adaptée à l’emploi, dans un contexte très particulier où les grandes entreprises représentent moins de 5 % du PIB et où 90 % des jeunes sont formés directement par l’établissement qui les recrute. Un enjeu de taille si l’on considère que le développement économique au sein des pays de la francophonie est une priorité. n

Michaëlle Jean et Mankeur Ndiaye, ministre sénégalais des Affaires étrangères, signent l’accord de siège de l’IFEF à Dakar (octobre 2015). Michaëlle Jean et Macky Sall à Dakar, lors du lancement de l’IFEF.

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Une collection de livres uniques de Français pour mettre en œuvre les programmes en vigueur Fu

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Littérature

Langue française Méthodes

Des manuels fruits de la collaboration d’auteurs africains

Les manuels des niveaux Seconde à Terminale s’inspirent d’une démarche qui considère le cours de français non seulement comme un espace où les élèves découvrent et acquièrent de nouveaux savoirs et savoir-faire liés à cette discipline scolaire, mais aussi comme le lieu d’apprentissage de la citoyenneté et de réflexion sur les problèmes liés aujourd’hui à leur environnement. Chaque manuel articule, dans une perspective de décloisonnement des apprentissages, des activités recouvrant trois domaines : la littérature, l’étude de la langue et l’acquisition des méthodes.


FICHE pédagogique |

découvrir

l’Amérique francophone FICHE Réalisée par odile gandon Niveau : B2/C1 – lycée Objectifs

n Regarder et analyser un film documentaire n Dégager les enjeux sociaux et culturels de la francophonie n Découvrir et comprendre le français des autres

mise en route • Présentation du film : distribuer et lire ensemble la fiche 1.

matériel

n DVD du film documentaire Intimités francophones, 60 min, 15 $ canadiens.

À se procurer auprès du Projet Ose, 8414 rue Saint-Denis, Montréal, QC, H2P 2G8 / tél. : 00 1 514 796 2684 / courriel : projet@projetose.com / site : www.projetose.com n Trois documents à photocopier : 1) fiche présentation du film ; 2) carte des régions visitées dans le film ; 3) fiche historique

Fiche 2 Historique de la francophonie américaine Les Acadiens Au xvie siècle, des Français fondent une colonie, l’Acadie, à l’est du

Fiche 1 Film documentaire Intimités francophones

Canada, le long de la côte atlantique. Ils se lient aux populations amérindiennes locales, les Micmacs, formant ainsi le peuple acadien, qui parle

Intimités francophones est une initiative d’un organisme canadien d’aide

un français mêlé d’éléments amérindiens : c’est le français acadien.

à la création, le Projet Ose. Il a été réalisé en partenariat avec le Centre

Au xviiie siècle, les Anglais s’emparent des territoires de l’Acadie et

de la francophonie des Amériques et l’association Caravane des dix mots

chassent les Acadiens, qui voulaient rester indépendants. Les Acadiens

avec l’appui financier du gouvernement du Québec.

qui échappent à la déportation en Angleterre ou en France se réfu-

Les deux jeunes réalisateurs sont Anne-Céline Genevois et Alex L. Ray-

gient plus à l’ouest (actuelle province canadienne de l’Ontario) ou plus

mond (voir FDS 36, p. 15) qui ont interviewé des francophones des

au sud, dans les régions du nord-est des États Unis (Maine). Certains

Amériques. Ces derniers racontent leur rapport à la langue française,

partent encore plus loin, en Louisiane, au sud des États-Unis. Plus tard,

évoquent leurs cultures dans des territoires bilingues où le français est

au xixe siècle, quand le Canada affirme son autonomie vis-à-vis de l’An-

souvent minoritaire.

gleterre, des Acadiens reviendront s’installer sur les territoires de leurs

En 2012, pendant trente-cinq jours, le duo de cinéastes québécois a par-

ancêtres. C’est ainsi qu’en Ontario, au Nouveau Brunswick, en Nouvelle

couru près de 9 500 km à travers trois pays, tantôt sur les routes, tantôt

Écosse, dans le Maine et en Louisiane, on parle le français acadien, ap-

dans les airs : Canada, États Unis et Haïti.

pelé « cajun » en Louisiane.

Un second film sera bientôt disponible en DVD. Il complète l’enquête sur

La province canadienne francophone la plus importante, le Québec,

la francophonie américaine par un périple dans l’Ouest du Canada, au

n’a pas tout à fait la même histoire, car, au xviiie siècle, sa population

Brésil et en Guyane.

a accepté la domination anglaise, à condition de garder sa langue : les Canadiens français du Québec n’ont pas émigré comme les Acadiens.

• Repères nécessaires : le film dure 60 min, les situations qu’il présente sont très diverses et la langue française y est utilisée dans des formes parfois surprenantes. Il convient donc, à partir de quelques données générales, d’expliquer en amont en quoi consiste cette « francophonie américaine » qui fait l’objet du film et quelle est son histoire. – Les chiffres de la francophonie sur le continent américain : 33 millions de francophones, dont 9,5 millions au Canada, 11 millions aux États Unis, 300 000 au Mexique, 9,7 millions dans les Caraïbes, 2,5 millions en Amérique du Sud. – Six régions sont parcourues dans le film : Ontario, Nouvelle Écosse et Nouveau Brunswick au Canada ; Maine et Louisiane aux États Unis, Haïti (voir carte). – Insister sur le fait que l’histoire de la francophonie est différente d’une région à l’autre. Distribuer la fiche 2, que l’on commentera en classe avant le visionnage.

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Les réalisateurs du film, qui sont Québécois, n’ont pas voulu faire un documentaire sur le Québec, bien connu. Ce sont les Acadiens qu’ils ont cherché à rencontrer, pour faire entendre leur langue et leur histoire. Les Haïtiens Haïti était une colonie française depuis le xviie siècle, où des centaines de milliers d’esclaves noirs, déportés d’Afrique, travaillaient sur des plantations pour une dizaine de milliers de propriétaires blancs. Sous la conduite de dirigeants noirs, inspirés par les idées de la Révolution française, les esclaves se révoltèrent et, en 1804, Haïti prit son indépendance. On y proclama alors la première République noire du monde et on choisit comme langue nationale le français. Mais la grande majorité de la population ne parlait que le créole, où se mêlent le français, l’espagnol et des langues africaines. Aujourd’hui, le créole et le français sont les deux langues officielles de la république d’Haïti.

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© Map Resources - Shutterstock.com

CANADA 1 2 5

3 4

états-unis d’Amérique

6

7

Les régions explorées par le film 1. Québec 2. Ontario 3. Nouveau-Brunswick 4. Nouvelle-écosse 5. Maine 6. Louisiane 7. Haïti

visionnage du film

• Il est nécessaire pour l’enseignant de faire un visionnage complet du film, avant de procéder au visionnage en classe. • En classe, il est préférable de visionner le film en suivant la division en six chapitres. Cela permet de faire un point après chaque chapitre, d’expliquer ce qui n’a pas été compris, quitte à revoir à chaque fois une séquence pour approfondir. On peut fractionner ce visionnage en deux ou trois séances (deux ou trois chapitres à chaque séance). • Pour chaque chapitre, on demandera aux élèves de noter, au fur et à mesure : – les régions ou pays des interviewés (les repérer sur la carte) ; – le(s) personnage(s) qui les a(ont) le plus intéressés ou surpris. à la fin du visionnage d’un chapitre, on procédera à une mise en commun des remarques des uns et des autres, en tirant une brève conclusion sur les thèmes abordés dans le chapitre. • Points importants de chaque chapitre : – chap. 1 (influences extérieures) : notion de culture minoritaire ; évocation de l’Acadie (se référer à la fiche historique) ; français parlé / français enseigné différents ; exemples de français parlé en Louisiane (mélange français, anglais, espagnol, africain) ; idée de mondialisation de la langue française (qui fait disparaître les particularités locales). Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

– chap. 2 (bilinguisme) : importance du bilinguisme pour l’économie et la société (= « valeur ajoutée ») ; fierté d’être francophone face à l’anglais majoritaire en Amérique du Nord ; refus de l’assimilation ; en Haïti, problème spécifique (français, langue indispensable à l’écrit mais minoritaire face au créole majoritaire). – chap. 3 (langue et statut social) : problème qui se pose essentiellement en Haïti ; français ressenti comme langue de l’élite (héritage colonial) ; créole perçu comme niveau inférieur  traumatisme pour les enfants créolophones ; nécessité de valorisation du créole ; danse et théâtre comme expression de l’identité ; en Louisiane, sentiment que l’anglais est indispensable à l’avenir des enfants. – chap. 4 (éducation) : comment et en quelle langue enseigner ? ; dans le Maine, rendre le français visible par l’école, maintenir la tradition ; en Louisiane, enseignants viennent d’autres pays francophones (France, Belgique, Haïti)  faire venir les francophones louisianais dans les écoles ; risque de standardisation du français par l’enseignement ; intégrer les anglophones en leur enseignant le français ; en Haïti, projet d’enseigner en créole au primaire, car difficulté pour des enfants de langue maternelle créole de suivre un enseignement seulement en français. – chap. 5 (identité) : dépasser les identités locales pour des identités ouvertes ; nouvelle motivation pour la langue française : français non plus seulement comme maintien des traditions mais comme ouverture sur le monde pour les jeunes ; expérience de langues françaises différentes au cours de voyages dans les pays francophones ; découverte par une jeune comédienne de la déportation de ses ancêtres acadiens. – chap. 6 (francophonie) = conclusion du film : la francophonie est une culture, un héritage, une histoire, mais elle est aussi une ouverture et crée une solidarité entre les peuples ; les luttes des francophones minoritaires (par ex. en Nouvelle-Écosse) doivent déboucher sur la diversité ; des francophonies plurielles et non une francophonie standardisée. • On conclura le visionnage du film en lançant une discussion sur le sens du titre : Intimités francophones. Insister sur le pluriel employé par les réalisateurs et sur l’emploi du terme « intimités » : comme au cours d’une conversation, les interviewés parlent de leur expérience personnelle, de leur voisinage, de leurs familles, donc de sujets « intimes » et non de grandes théories.

à lire

• Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours, Actes Sud.

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FICHE pédagogique |

savoir argumenter FICHE Réalisée paR félix traoré Niveau : B2/C1 – Lycée Objectifs

n S’initier à l’argumentation

n Utiliser l’argumentation dans un débat n Étudier les connecteurs logiques n Construire un texte argumentatif matériel

n Deux fiches à photocopier : 1) textes ; 2) tableau des connecteurs

1. Échange oral autour des termes « argument », « argumenter », « argumentation », discours ou texte « argumentatif ». • Vérifier que les élèves connaissent ces mots, puis essayer de formuler une définition. • Insister sur la dimension « dialogue » de l’argumentation : « argumenter » suppose d’avoir en face de soi un auditeur (ou un lecteur) qu’il s’agit de convaincre. C’est-à-dire qu’il s’agit de l’amener par des arguments à donner son accord sur une idée. • Formuler une définition : argumenter, c’est présenter une idée (la thèse) en la soutenant par des éléments qui pourront obtenir l’adhésion de l’interlocuteur (= les arguments). Un discours ou un texte « argumentatif » est composé de la thèse que l’on veut défendre et des arguments que l’on emploie à cet effet. L’ensemble des arguments employés forment l’argumentation. • Donner des exemples concrets de situations où l’on doit argumenter : – dans un procès, un avocat doit argumenter pour défendre son client (thèse : il n’est pas coupable ; arguments : il a un alibi, il n’a aucun motif pour avoir commis ce délit…) – dans une discussion, un débat, il ne suffit pas de dire ce que l’on pense en refusant ce que pensent les autres : il faut soutenir son idée personnelle par des arguments si l’on veut prouver que l’on a raison. Mais il faut aussi savoir écouter les arguments des autres et parfois même accepter de changer d’idée s’ils sont plus convaincants. – dans un devoir personnel (exposé ou dissertation), il faut, après avoir défini sa thèse, ne pas se contenter de l’affirmer, mais il faut trouver des arguments pour l’étayer, pour donner toute sa force à cette idée. 2. Exercice collectif • Donner aux élèves des photocopies des deux petits textes argumentés suivants.

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© pathdoc – Fotolia.com

Mise en route

Texte 1 Les jeux vidéos sont nuisibles pour l’apprentissage. En effet, les enfants qui passent trop de temps à jouer aux jeux vidéo dorment mal, ce qui dégrade leur mémoire et leurs capacités d’apprentissage. D’ailleurs, une étude scientifique a montré que les enfants qui jouent après leurs devoirs retiennent moins bien les leçons qu’ils viennent d’apprendre. De plus, ils mettent plus de temps à s’endormir et leur sommeil est moins réparateur. « C’est un problème qui ne doit pas être pris à la légère », disent certains spécialistes, qui avertissent ainsi les parents. Texte 2 De nombreuses études ont montré que la pratique des jeux vidéo développait diverses compétences chez les enfants. D’abord, la capacité à traiter l’information en parallèle : pouvoir manier plusieurs données à la fois, savoir s’interrompre pour traiter une urgence, puis revenir à la tâche précédente au bon endroit. Les jeux vidéo entraînent également à évaluer la situation et à prendre la bonne décision. Enfin, ils accroissent les capacités d’anticipation et développent donc l’adaptabilité à des situations très différentes. Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016


• Les élèves lisent les textes, puis on vérifie que le vocabulaire est bien compris (compétences = qualités, capacités ; adaptabilité = possibilité de s’adapter). Ensuite on pose les questions suivantes à l’ensemble de la classe : – De quoi parlent ces deux textes ? Des jeux vidéo et des effets qu’ils ont sur les enfants. – Disent-ils la même chose ? Non, le texte 1 insiste sur l’aspect négatif, le texte 2 sur l’aspect positif. – Quelles sont donc les deux thèses en présence ? Thèse 1 : ces jeux sont mauvais pour la scolarité et la santé ; thèse 2 : ces jeux servent le développement des capacités Ces thèses sont contradictoires. • On partage la classe en deux : un groupe prend en charge le texte 1 (ils auront à défendre la thèse 1), les autres le texte 2 (ils auront à défendre la thèse 2).

analyse

• Chaque groupe analyse la composition de son texte : les élèves doivent distinguer la thèse (déjà fait lors de la mise en route) et les arguments avancés pour la défendre. • Insister sur le fait que, pour être efficace, une argumentation doit être organisée : les élèves doivent trouver les mots qui servent à l’organisation du texte. Ces mots sont des connecteurs, qu’ils doivent entourer dans le texte. • On procède alors à une mise en commun des deux analyses de textes, que l’on présentera en colonnes au tableau. procède

Thèse

Arguments

Connecteurs

Texte 1

ces jeux sont mauvais pour la santé et la scolarité

– ils empêchent de bien dormir – ils altèrent la mémoire – ils gênent l’apprentissage – une étude scientifique le montre – les spécialistes disent que c’est un problème grave

en effet de plus

Texte 2

ces jeux servent le développe- – de nombreuses études le montrent ment de capacités – ils développent la capacité à manier plusieurs données à la fois – à s’interrompre pour traiter une urgence, puis à revenir au bon endroit – à évaluer une situation – à prendre une décision – à s’adapter

d’abord également enfin donc

• Faire remarquer que dans chacun des deux textes, il y a deux sortes d’arguments : 1) ceux qui expliquent la thèse en la détaillant (« ils empêchent de bien dormir » ou « ils développent la capacité à s’adapter » ) ; 2) ceux qui font appel à une autorité (« une étude scientifique », « les spécialistes », « de nombreuses études ») : on appelle ces derniers des arguments d’autorité. • Pour enrichir son argumentation, il convient d’y ajouter des exemples. On demande à chaque groupe de chercher (ou d’imaginer) des exemples à l’appui de la thèse qu’ils ont à défendre. Propositions : Thèse 1 : « Le soir, mon petit frère est tellement excité par son jeu qu’il continue à jouer dans sa tête et n’arrive pas à s’endormir » ; « Une institutrice m’a dit que certains enfants, qui jouaient beaucoup aux jeux vidéos retenaient mal ce qu’ils avaient appris la veille  », etc. Thèse 2 : « Je connais un enfant qui a fait de grands progrès en appliquant la stratégie des jeux à des problèmes de maths » ; « Personnellement, je suis beaucoup plus à l’aise pour prendre des décisions dans la vie courante grâce à mon expérience de tel ou tel jeu vidéo  », etc.

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Entraînement au débat oral

• On va grouper les élèves par deux (un partisan du texte 1/un partisan du texte 2) : chaque groupe de deux préparera un débat en s’inspirant des textes, mais en ajoutant des exemples et en utilisant ses propres mots. Au préalable, on cherche ensemble des mots qui marquent l’opposition entre les deux thèses : non, mais, pourtant… • Demander à quelques équipes de présenter leur débat devant la classe : cette première approche orale permet aux élèves d’expérimenter concrètement l’argumentation. Les assistants doivent noter ce qui leur semble fonctionner ou non dans la présentation de leurs camarades. • On propose ensuite d’autres sujets de débat. On commencera plutôt par des sujets de société, plus accessibles que des thèmes littéraires ou philosophiques, que l’on pourra aborder plus tard, une fois acquises les techniques d’argumentation. Par exemple : – le tri sélectif (avantages/inconvénients) – les énergies renouvelables (avantages/inconvénients) – le téléchargement de films ou de musique (payer ou non) – les OGM dans l’agriculture (avantages/inconvénients) • On forme des équipes de deux (un élève A et un élève B), où l’un fera l’ « avocat du diable », c’est-à-dire qu’il s’appliquera à trouver des arguments, même s’il n’est pas d’accord. Chaque équipe liste en deux colonnes les arguments « pour » et les arguments « contre », puis présente à la classe un court débat entre A et B. Passage à l’écrit : le compte rendu des débats

• Chaque équipe va rédiger un compte rendu de son débat à partir des arguments et des exemples utilisés. Au préalable, on doit indiquer aux élèves les règles de rédaction suivantes : – Un compte rendu n’est pas un dialogue : il ne suffit pas de recopier les paroles prononcées par A et B, mais de présenter dans un même texte les idées échangées. – Ce texte doit être construit et rendre compte des objections et des restrictions apportées aux propos de l’un et de l’autre au cours de la discussion. Les élèves devront apprendre à passer d’un point de vue à son opposé par le moyen de transitions et, pour cela, faire appel à des connecteurs. – On distribue à chaque équipe la photocopie du tableau des connecteurs. Fonction du connecteur

Principaux connecteurs

Introduire une idée

premièrement / d’abord / tout d’abord / en premier lieu/ pour commencer/ avant toute chose

Introduire un argument par une cause

car / parce que / puisque

Introduire un argument par une conséquence

donc / de manière à / ainsi / en effet / par conséquent

Ajouter un argument

en outre / de plus / par ailleurs / ensuite / d’une part... d’autre part / en second lieu

Introduire un exemple

par exemple / ainsi / comme on peut le voir… / en particulier…

Admettre l’argument contraire avant de le réfuter

certes / bien que (+ subjonctif) / même si (+ indicatif)

Marquer son opposition

mais / en revanche / alors que / tandis que / au contraire / et non / cependant / néanmoins / pourtant / toutefois

Réaffirmer son idée

en réalité / en vérité / en fait

• Utiliser les connecteurs est parfois difficile. On peut proposer en amont un exercice collectif dirigé sur l’un des sujets abordés dans les débats. • Les comptes rendus écrits seront corrigés par l’enseignant et commentés en classe. Ces premiers essais de textes argumentatifs sont une introduction au travail de la dissertation.

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Francophonies du Sud | n° 37 | mars-avril 2016

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