Juana Puga - Comment parle t-on lorsqu'on parle

Page 1


Comment parle-t-on lorsqu’on parle L’atténuation dans l’espagnol du Chili Juana Puga


© Juana Puga 1e édition en français, août 2015 Traduction de l’espagnol : Sophie Rouchon Une coédition de : Ceibo Ediciones – Colección Sociedad Tél. : (56-2) 2502 0782 www.ceiboproducciones.cl et Universidad de las Américas – Chili www.udla.cl Couverture : Claudia Aranguiz Mise en page et édition : Gonzalo Astorga Santiago – Chili Registre de propriété intellectuelle: 232.887 I.S.B.N.: 978-956-359-017-3 Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 4.0 International. Pour une copie de cette licence, veuillez visiter http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/deed.fr.


À ma mère À Vicent Garcés Ramón À Claudia Aranguiz Alfieri À mon frère Gonzalo

iii


Table des matières

Préface à la deuxième édition ........................................................................................vi Prologue ..........................................................................................................................vii Introduction ......................................................................................................................1 I. De la nécessité de l’atténuation ..................................................................................5 1. La rupture entre le sujet et son environnement comme présupposé du langage................................................................................................................................5 2. La réalité comprise comme construction sociale ................................................6 3. Fondements de l’atténuation .................................................................................7 4. Atténuation et politesse ....................................................................................... 10 5. L’obstacle de l’évidence ....................................................................................... 14 6. La théorie des nœuds ........................................................................................... 16 7. Tours de parole non préférés ............................................................................. 17 II. Comment opère l’atténuation ................................................................................ 20 1. Atténuation, distance et situation de communication ..................................... 20 2. Dernières considérations sur le concept d’atténuation ................................... 33 III. L’atténuation dans l’espagnol du Chili ................................................................ 37 1. Deux modes de centre-locuteur : le locuteur chilien et le locuteur espagnol .......................................................................................................................... 37 2. Atténuation et situation de communication ..................................................... 39 3. Inventaire de quelques ressources d’atténuation propres de l’espagnol du Chili ................................................................................................................................. 78 4. Analyse d’énoncés atténués ................................................................................. 84 iv


5. Les raisons qui expliquent la fréquence de l’atténuation dans le castillan du Chili ................................................................................................................................. 92 6. L’atténuation en Amérique ................................................................................. 97 IV. Conclusions ........................................................................................................... 100 1. Où se manifeste l’atténuation ? ........................................................................ 100 2. L’atténuation au Chili et en Espagne ............................................................... 102 3. Mots de la fin ...................................................................................................... 103 Annexe 1 ...................................................................................................................... 104 Extraits de “Sergio Larraín García Moreno: Historia de una vocacion” ........ 104 Annexe 2 ...................................................................................................................... 108 Réflexion finale : éthnographie et atténuation .................................................... 108 Bibliographie ................................................................................................................ 113 L’auteure ....................................................................................................................... 126

v


Préface à la deuxième édition

Ce livre correspond à la troisième édition du livre La atenuación en el castellano de Chile: un enfoque pragmalingüístico (L’atténuation dans l’espagnol du Chili : une approche pragmalinguistique), publié en 1997 par l’Universidad de Valencia et Tirant Lo Blanch Libros, grâce au travail de la chercheuse Milagros Aleza, et à la deuxième édition faite au Chili par Ceibo Ediciones. Le texte rassemble les résultats de la recherche entreprise lors de mon doctorat, au « Departamento de Filología Española de la Universidad de Valencia » de 1992 à 1996. La thèse a été dirigée par Milagros Aleza Izquierdo. Pour mener à bien ces études, j’ai pu compter sur l’aide d’une bourse de la « Conselleria de Cultura, Educacion i Ciencia » de la Generalitat Valencienne. À la différence des précédentes, cette édition, prologuée par Jorge Larraín, réunit quelques chapitres de la thèse défendue à l’université de Valence, en février 1996, qui n’ont pas été publiés dans l’édition espagnole de 1997. Au cours du texte, nous signalons ces paragraphes et ceux, au contraire qui ont été publiés dans la première édition du livre, mais qui ne figurent pas dans la thèse de 1996.

Juana Puga Santiago, février 2014

vi


Prologue

Depuis le structuralisme jusqu’à nos jours, en passant par le post-structuralisme et le post-modernisme, presque toute la théorie sociale contemporaine est profondément bouleversée par ce que certains ont appelé un « virage linguistique ». C’est peutêtre pour cela que la lecture de ce livre évoque pour moi un mélange d’idées, images, et projections liées à mes études sur l’identité chilienne et latino-américaine. Considérant que Chiliens et Latino-américains atténuons le langage par des expressions et constructions linguistiques que nous utilisons quotidiennement, et du fait que l’atténuation de l’espagnol d’Amérique semble être plus forte que celle de l’espagnol péninsulaire, on peut émettre l’hypothèse qu’il existe une relation entre l’atténuation et l’identité chilienne et latino-américaine. Juana Puga ne se propose pas de rendre compte de manifestations linguistiques isolées, mais plutôt de rechercher dans les manifestations linguistiques une attitude des parlants dans leurs interactions. C’est pour cette raison qu’elle adopte le terme atténuation. Comme l’auteure le signale à la fin de son ouvrage, établir une passerelle entre phénomènes linguistiques et attitudes des locuteurs, c’est ouvrir la porte à de nouvelles études à caractère interdisciplinaires. L’atténuation du langage est universelle : elle est présente dans toutes les cultures. Elle s’utilise, entre autres pour se référer à des tabous et pour éviter les conflits ; pour protéger la relation avec les autres et pour manier la différence de classe et de hiérarchie sociale, en évitant d’offenser et de manquer de respect ; on l’utilise aussi pour nous protéger nous-même. C’est pour cela que dans les pays plus ségrégatifs ou stratifiés apparaissent des formes d’atténuation du langage plus évidentes et plus sophistiquées que dans des pays plus égalitaires, où l’on fera vraisemblablement un usage plus direct du langage. L’atténuation est présente dans toutes les cultures et se manifeste autour d’une série d’axes culturels. vii


Je suis particulièrement intéressé par le fait que l’atténuation aide à cacher des sentiments, des croyances, des manières d’être ou des dispositions à ne pas suivre la norme. Un certain nombre de traits de fond de l’identité chilienne que j’ai explorés ont à voir avec la simulation. L’hypothèse que je formule ici est que l’atténuation de notre castillan facilite cette simulation. La simulation à laquelle je me réfère consiste, quand la norme contrarie nos intérêts, à la respecter dans les formes, sans pour autant la suivre. Les origines de cette tendance sont multiples. L’une des formes évidentes de simulation est celle pratiquée par les conquistadors espagnols affrontant les lois et les décrets du roi. Ayant étés conçus dans la lointaine Espagne, il arrivait que l’application de ces décrets, à la réalité chilienne soit parfois préjudiciable aux intérêts des conquistadors et à ceux même de la couronne. Ceci s’exprimait par la formule traditionnelle : « se acata pero no se cumple » (on l’accepte mais on ne la suit pas) qui à propos d’un ordre royal signifiait une intention sans failles d’obéir ; cependant que la réalité rendait impossible l’exécution de cet ordre. Cela se passait invariablement et immanquablement dans le cas de la législation qui protégeait les Indiens des abus des conquistadors. Ce qui est intéressant dans ce procédé est que le manque de volonté d’appliquer la loi ne s’accompagne jamais d’une mise en question de la légitimité ou de la validité de ladite loi. Au contraire il faut proclamer le respect sans restriction de la norme. Les principes peuvent être transgressés, dans la mesure seulement où ils sont en même temps reconnus. Ainsi est maintenue l’apparence du respect de la norme. Au Chili ceci est crucial, car on ne malmène pas le principe d’autorité si important pour nous. En lien avec le sujet de ce livre, je suis tenté de m’arrêter sur une forme différente de simulation : celle qui se réfère à la situation dégradante des Indiens, obligés de se convertir au catholicisme, par la force. Pour se sauver, beaucoup accepteront formellement, la nouvelle religion mais secrètement continueront à pratiquer la leur, utilisant souvent les mêmes célébrations liturgiques et les cérémonies catholiques. Dans l’Amérique espagnole, la rébellion était une raison légale assez fréquente pour esclavagiser les Indiens. La relation entre autoritarisme politique et obéissance religieuse a laissé une trace profonde et durable dans l’éthos culturel d’Amérique latine. Par exemple, au XVIIe siècle, les campagnes insistantes des congrégations religieuses contre l’idolâtrie dans la sierra centrale du Pérou eurent une connotation de contrôle politique ; des mécanismes religieux comme l’Inquisition aidèrent à compenser les faiblesses de l’armée. Par les obligations religieuses et souvent la terreur, on assurait le contrôle politique sur les indigènes. Je pense que, en particulier dans le cas des indigènes, l’atténuation de l’espagnol devait être un processus qui s’est développé pour rendre la simulation efficace face aux propriétaires terriens et aux autorités politiques et religieuses. Au départ, la motivation n’a pas été seulement le respect de la hiérarchie sociale ou de l’autorité ; il s’agissait plutôt de la peur des châtiments corporels, de l’esclavage ou simplement de viii


la mort, en cas de découverte. Certaines des formes d’atténuation étudiées par l’auteure sont en parfaite adéquation avec ce but de feindre ou dissimuler les véritables sentiments religieux face à une menace ou à un risque vital. Par exemple, les euphémismes, la voix basse, le ton plaintif, les omissions, les silences, les locutions réparatrices : excuses, demandes de pardon, explications. Cela fait déjà bien longtemps qu’au Chili et en Amérique latine, les croyances religieuses ont cessé de représenter un danger et de mettre en péril la vie des personnes. Cependant cela ne signifie pas que la simulation a disparu. Notre tendance à « masquer » les réalités, continue à être présente et se manifeste de multiple façons : dans le légalisme excessif, dans l’adhésion formelle et rituelle à la norme qui recouvre une tendance à l’ignorer dans la pratique ; et aussi dans ce que nous appellerons « la passion pour le maquillage» : « faire bonne figure » pour triompher en société « ne pas avoir l’air pauvre ». L’oligarchie du XIXe paradait avec ses grandes demeures et ses habits. Cette tendance se manifeste aujourd’hui encore, par exemple, dans l’importance démesurée que l’on accorde aux experts en « image » publique. Nous sommes un pays obsédé par l’image que nous projetons, il nous importe au plus haut point de savoir comment on nous voit de l’extérieur. Toutes ces formes de simulation ne requièrent pas nécessairement l’atténuation de notre espagnol. Cette dernière nous aide surtout à cacher nos sentiments, croyances et pratiques non tolérées par l’autorité. Il est évident que l’atténuation de l’espagnol remplit d’autres objectifs que détaille le livre et illustrent les exemples qui l’accompagnent. Je me suis concentré sur un seul aspect. Mais il me semble que cet aspect lié à la condition originelle d’oppression des indigènes durant au moins trois siècles est très important pour comprendre pourquoi l’atténuation est plus marquée en Amérique latine qu’en Espagne. C’est pourquoi cette étude est très suggestive et revêt un grand intérêt pour les sciences sociales.

Jorge Larraín Santiago, août 2013

ix


Introduction

Dès le début de notre séjour en Espagne, alors que tous nos sens vagabondaient, en alerte et attentifs aux contrastes entre l’Espagne et le Chili, nous avons été frappé par une série de faits linguistiques qui rendent compte d’une attitude très différente du locuteur chilien par rapport au locuteur espagnol dans sa manière d’utiliser, ce qui cependant est notre langue commune : l’espagnol. Le contraste entre notre castillan et celui que nous entendons en Espagne apparaît en bien des aspects. Notre but initial était de réunir et de systématiser les expressions linguistiques qui marquent cette différence, en utilisant comme critère de classement l’attitude des parlants. Je suis consciente que le fait d’avoir été en Espagne, baignée par l’utilisation de l’espagnol selon les normes péninsulaires a représenté une situation privilégiée pour observer la langue dans son usage. C’est pour cela que j’ai choisi un angle pragmatique pour cette étude. Si elles correspondaient à des « visions du monde » particulières, ces différences entre notre espagnol et celui d’Espagne rendraient compte d’attitudes différentes des émetteurs. Afin de la mettre en évidence, il nous a semblé nécessaire de réaliser une étude globalisante, holistique. J’ai recherché les situations dans lesquelles se manifeste linguistiquement une attitude du locuteur dans sa manière d’interagir. Il a pour cela été nécessaire de renoncer à l’étude d’un aspect trop particulier. C’est ainsi qu’il m’est apparu opportun de partir d’un terme qui en lui-même puisse décrire une attitude humaine. J’ai choisi le terme atténuation. Notre travail comporte trois grandes parties. Dans la première, nous explorons les fondements théoriques de l’atténuation. On cherche ses raisons d’être dans le langage. Dans la seconde, nous nous intéressons à la forme qu’elle adopte. Dans le troisième, enfin, nous illustrons de diverses façons, la manière dont se manifeste l’atténuation dans l’espagnol du Chili et soulignons quelques différences d’avec l’espagnol ibérique. L’étude théorique nous a amené à considérer l’atténuation comme un geste de prise 1


de distance. Le fondement de ce dit geste doit être cherché bien au-delà du simple langage, dans l’anthropologie, dans la sociologie, dans la psychologie. Pour expliquer ce qui motive le locuteur à se distancer, considérons les quatre éléments qui constituent la situation de communication selon le modèle de la théorie communicationnelle de Shannon et Weaver déjà exposée dans le domaine du structuralisme classique par K. Bühler, à savoir : l’émetteur, le message, le destinataire et le canal. Ensuite, suivant le modèle proposé, nous nous penchons sur la manière de manifester linguistiquement l’atténuation au Chili. Nous illustrons la pratique de l’émetteur ―très répandue dans notre pays― de prendre de la distance par rapport à son propre je. Plus loin nous montrons la distance que le parlant prend, par rapport au message. Dans ce but, nous dressons une légère esquisse de la société chilienne. L’objectif est double : d’une part dégager une série de sujets dont l’abord est délicat et auxquels le locuteur chilien fait référence en mode atténué. De l’autre, au contraire, cela nous permet de pointer certains domaines, traités par les gens cultivés de Santiago de manière emphatique et catégorique, sans recourir à l’atténuation. La hiérarchie sociale est un facteur déterminant du type de relation que les personnes établissent entre elles. Nous montrons le modus operandi de l’atténuation entre personnes qui, par leur statut d’égalité, établissent entre elles des relations de réciprocité. Nous mettons ainsi en lumière l’atténuation verbale entre les personnes au statut socio-économique radicalement différent, et donc entre lesquelles s’établit une relation de type non réciproque. Ce qui précède nous conduit à établir une distinction entre deux types de politesse : une politesse tout court et une autre que nous dénommerons politesse « maître-valet ». Dans cette dernière, l’atténuation se manifeste surtout quand un parlant de moindre statut social s’adresse à une personne de statut social supérieur. Nous pouvons présumer que la stratification sociale très marquée dans notre pays est l’un des facteurs qui contribuent à expliquer le plus grand recours à l’atténuation qu’en Espagne où cette stratification est beaucoup plus ténue. Parler de distance d’avec des thèmes abordés, revient à parler de tabous. Parler d’atténuation revient donc, dans ce cas, à parler d’euphémismes. Il est de notoriété publique qu’en Amérique, les tabous et les euphémismes sont infinis. Ce qui pourrait être un argument en faveur de notre hypothèse : l’atténuation dans l’espagnol du Chili est plus forte que celle que l’on rencontre dans l’espagnol d’Espagne. Nous consacrons un chapitre à montrer à quel point notre castillan est euphémique lorsque l’on touche à des thèmes universellement érigés en tabous. Mais du fait que, ce que dans l’enfance, nous apprenons à voir et ce que nous apprenons à ne plus voir, varient considérablement d’une culture à l’autre, mentionner les différences dans le 2


registre des thèmes tabous de chaque culture, revient à parler de différentes « visions du monde ». Ainsi, l’atténuation, loin d’être un sujet purement linguistique, reflète des différences assez profondes entre la culture chilienne et l’espagnole. Bien que nous n’ayons pas pour objet de creuser ici ces aspects, il nous paraît fondamental de le signaler et par là même, d’ouvrir la porte à la possibilité d’études holistiques, études interdisciplinaires, études dont l’objet continue d’être l’usage du langage. Les actes de parole, dans la mesure où, par eux le locuteur cherche à influencer la conduite de son interlocuteur, sont aussi, un lieu propice aux manifestations de l’atténuation. Il y a un rapport inversement proportionnel entre le degré de certitude du locuteur de pouvoir obtenir une réponse favorable de son interlocuteur et le degré d’atténuation qu’il emploie pour formuler son énoncé à son interlocuteur : à moindre assurance d’obtenir une réponse désirée, plus grande nécessité d’atténuer l’acte de parole. De là s’entend que les ordres et les demandes sont les actes qui, par excellence, font appel à l’atténuation. Dans la conversation, la manière de s’exprimer du parlant, ou bien se caractérise par la prédominance du je, ou bien est déterminée par une plus grande déférence envers l’interlocuteur. Nous pensons que la prédominance du je est plus caractéristique du parler des Espagnols que de celui des Chiliens. Et que, au contraire, la déférence vis-à-vis de l’interlocuteur caractérise davantage ces derniers. Si nous sommes dans le vrai, ceci pourrait contribuer à expliquer le plus grand recours à l’atténuation au Chili. Nous avons consacré quelques pages à relever des formules très courantes qui montrent bien cette différence d’attitude des parlants. Cette différence entre le parler des Espagnols et celui des Chiliens se manifeste dans ce que nous avons appelé « la responsabilité des actions ». Le parleur espagnol s’autonomise de son interlocuteur et le responsabilise dans ses actes là où souvent, le Chilien, au contraire, cherche à participer à ses actes, avec son interlocuteur. Ainsi, quand un invité, au Chili, souhaite quitter une rencontre sociale, il dira à l’hôte : bueno, me voy yendo (bon, un bon retardateur, je commence à m’en aller). Et s’attend à ce que celui-ci cherche à le retenir : pero quédate un poquito más (mais reste un peu plus). Dans la même situation en Espagne, un invité dira : me voy (je m’en vais). Et l’hôte répondra : porque quieres (puisque tu le veux). La politesse au Chili et en Espagne dans ce cas est opposée. Enfin, par rapport à la distance qu’impose le canal, nous verrons qu’elle est inversement proportionnelle au besoin d’atténuer. En effet, si les hommes ont besoin de protéger leur image en maintenant une distance d’avec les autres, plus ils sont proches les uns des autres, dans leur interaction communicative, plus leur image est exposée, et plus grand sera leur besoin de recourir à l’atténuation. C’est pour cela que l’atténuation est plus forte dans la conversation courante qu’à 3


l’écrit. À propos du corpus, du fait que c’est le phénomène de l’atténuation en lui-même qui nous intéresse, nous nous sommes vus dans la nécessité d’utiliser un corpus multiple. Un corpus réduit à un seul registre et à un seul code en particulier, aurait limité dangereusement notre champ de vision. En ce qui concerne le registre écrit, il y aura des exemples de la presse, de lettre personnelles, d’autobiographie paysanne et d’études dans des domaines liés aux sciences sociales, réalisées par des auteurs chiliens. Pour le registre oral, il y aura des exemples extraits de conversations de El habla culta de Santiago de Chile (Rabanales, A. & Contreras, L. 1990) ; d’autres de conversations du parler populaire et, enfin des exemples pris de ma propre connaissance en tant que parlante espagnol du Chili. Si nous parvenons, en effet à poser le ciment de l’atténuation, elle sera, par la suite, applicable à n’importe quel type de communication interactive.

4


I. De la nécessité de l’atténuation

1. La rupture entre le sujet et son environnement comme présupposé du langage Pour comprendre la nécessité de l’atténuation dans le langage, nous devons remonter à ses origines. La conduite animale est principalement motivée par les instincts. Chez l’homme « diminue au maximum la préfixation héréditaire des conduites instinctives et [à la place] s’accroît la capacité d’apprentissage » (Pinillos, 1994 : 45). La conduite instinctive de l’animal le prédestine à un type de relation déterminé avec son environnement. L’affaiblissement de cette conduite chez l’homme fait que son interaction avec l’environnement est beaucoup moins prédéfinie : Dans un contexte psychogénétique, parler de supériorité, c’est parler d’espèces dotées d’un plus haut degré de liberté comportementale, c’est-à-dire de l’apparition de systèmes plus libres, d’organismes en croissance, capables d’une meilleure autonomie fonctionnelle et d’un plus parfait contrôle du milieu. (Pinillos, 1994 : 56) L’apprentissage se voit accru par l’apparition de l’outil le plus impressionnant que l’homme ait créé pour transcender les limites de ses capacités individuelles, à savoir, le langage. Le langage donne les moyens à l’homme de profiter de l’expérience des autres. Il n’existe pas d’activité humaine qui ne soit médiatisée par lui. Cette médiation rend possible la transmission de génération en génération de la manière dont les choses doivent être faites et comprises.

5


2. La réalité comprise comme construction sociale Nous naissons dans un monde (étymologiquement « ordre ») que enfant, l’on croit unique. Ce n’est que plus tard que nous prenons conscience de son arbitraire. Mais il est déjà intériorisé comme le monde et il nous en coûtera bien des efforts pour cesser de le confondre avec la réalité. Puisqu’il est arbitraire, notre monde pour être social (intersubjectif) doit être objectivé par un système de signes qui rendent possible à la fois sa conservation et sa transmission. Ce système de signes est, par excellence, le langage : Le langage objective les expériences partagées et les rend accessibles à tous ceux qui appartiennent à la même communauté linguistique et se convertit, ainsi, en base et instrument de la réserve collective de la connaissance (Berger & Luckmann, 1991 : 91) L’enfant, en plus d’internaliser le langage, internalise le monde (ordre) que celui-ci représente. Le monde physique est continu, il n’y a pas de vide. Cependant, notre perception s’exerce à reconnaître un monde discontinue. On apprend aux enfants à placer sur cet environnement une sorte de filet discriminatoire qui sert à percevoir le monde comme s’il était composé de beaucoup d’éléments distincts chacun d’eux désigné par un nom. Cependant, le résultat ―notre monde― n’est rien d’autre qu’une représentation de nos catégories linguistiques (Hjelmslev, 1972). Plus tard, l’enfance passée ―qui en sociologie s’entend comme l’étape de la socialisation primaire―, l’individu deviendra capable de différencier son monde d’autres mondes possibles. Malgré tout, la socialisation primaire sera une colonne vertébrale, et sera déterminante dans les étapes postérieures de sa vie : Par le langage, la mère apprend à l’enfant les plans sémantiques du monde qu’il doit construire. La réalité brute n’est pas habitable : il est nécessaire de lui donner du sens, de la segmenter, de la cloisonner en différentes pièces et de construire des couloirs et des relations pour aller de l’une à l’autre. C’est à l’enfant de se construire sa propre demeure (Marina, 1994 : 63). La réalité est une construction sociale. Le langage est le principal instrument, à la fois d’entretien et de régénération de cette réalité qui n’est rien d’autre que notre monde. Mais naître dans un monde déterminé, signifie aussi, naître au sein d’une structure sociale objective. Ainsi, l’identité dont l’individu hérite, dépend du lieu spécifique qui

6


lui est assigné dans le monde. Comme nous l’avons dit, cette identité se forge essentiellement au moment de la socialisation primaire. Ce qui s’y internalise prioritairement est le langage. C’est surtout le langage qui doit s’internaliser. Avec le langage et par son intermédiaire, divers schémas motivationnels et interprétatifs s’internalisent comme définis institutionnellement (Berger et Luckmann, 1991 : 14) Le sociolinguiste Basil Bernstein a montré comment l’éducation formelle que reçoivent tous jeunes les enfants des classes supérieures ―et dont est privé ceux des classes inférieures― développe la faculté de distinguer l’expression de l’intellect de celle des sentiments affectifs. L’éducation formelle inhibe la communication directe de l’affect. Ainsi ―comme nous le verrons plus loin― il existe une relation claire entre politesse et éducation. Les comportements impulsifs et les sentiments hostiles ne doivent pas s’exprimer de manière directe. Mais puisque la nécessité d’exprimer ces sentiments existe, et souvent de manière impérieuse, il nous est seulement permis de le faire de manière indirecte, atténuée.

3. Fondements de l’atténuation Les fondements de l’atténuation doivent être recherchés au-delà de la linguistique : dans la psychologie humaine, dans l’anthropologie et dans la sociologie. Nous savons que le désir d’éloge et d’approbation nous accompagne depuis la moitié de notre première année de vie : Le premier pas, que beaucoup d’enfants franchissent à 5 mois, est le passage de plaisirs purement sensitifs, comme la chaleur et l’alimentation, au plaisir de l’approbation sociale. Ce plaisir, au départ, se développe rapidement, tout enfant aime l’éloge et déteste la répression. (Russell, 1967 : 51). Le développement de l’intellect et celui de l’affectivité ne suivent pas des voies séparées : A partir de la période préverbale [il existe] un parallèle étroit entre le développement de l’affectivité et celui des fonctions intellectuelles, puisque ceux sont deux aspects indissociables de chaque action : en effet, dans chaque conduite, les mobiles et le dynamisme énergétique proviennent de l’affectivité, tandis que les techniques et l’ajustement des moyens employés en constitue l’aspect cognitif (sensoriel ou rationnel). Ainsi, il ne se produit jamais une action totalement 7


intellectuelle (Piaget, 1992 : 48). C’est ainsi que l’atténuation dans le langage répond à la nécessité de l’homme de se protéger face à tout ce qui peut représenter une menace. Du point de vue de la sociologie, Erving Goffman (1959) considère les rencontres sociales et essentiellement les interactions verbales comme ritualisées. Dans ce type d’interactions, l’autoprotection des participants est basique et consiste en grande mesure à éviter d’envahir le territoire de l’interlocuteur. A partir de ces présupposés, l’auteur a construit sa théorie de l’image. Il soutient que lors des interactions verbales, on cherche autant à préserver sa propre image qu’à éviter de menacer celle de l’interlocuteur. L’importance de ne pas envahir le territoire de l’interlocuteur a son corrélat dans les études de proxémie réalisées par l’anthropologue nord-américain Eduard Hall (1976). L’auteur établit une distinction entre ce qu’il a appelé les espèces animales « de contact » et les espèces « de non contact » : Certaines espèces se regroupent et cherchent le contact physique entre elles. D’autres évitent complètement de se toucher. Il n’existe pas de logique apparente qui régit la catégorie dans laquelle se range une espèce ou une autre (Hall, 1976 : 21). L’homme est un animal de non contact. Les animaux de ce type évitent de se toucher, ils établissent entre eux les types de distance suivants : a) Distance personnelle : c’est la distance normale que les animaux de type non contact maintiennent avec leurs congénères. Y intervient l’organisation sociale : Les animaux dominants ont tendance à maintenir une plus grande distance personnelle que ceux qui occupent des positions inférieures dans la hiérarchie sociale, tandis que les animaux subordonnés, on le remarque, cèdent de l’espace aux dominants (Hall, 1976 : 22). La relation entre distance personnelle et hiérarchie sociale paraît être le propre de tous les vertébrés. b) Distance sociale : même s’ils évitent de se toucher, les animaux sociaux ont besoin les uns des autres et ne doivent pas perdre le contact entre eux. La distance sociale est celle qui garantit que ce contact se maintienne. Quand celle-ci devient trop importante, l’animal devient plus vulnérable aux dangers de son environnement. Cette distance, qui peut être considérée comme psychologique, varie selon l’espèce. Chez

8


l’homme, la télévision, le téléphone, le télégraphe, etc. l’ont agrandie et lui ont permis d’interagir à distance. c) Distance publique : on appelle ainsi celle qui sépare, par exemple, un conférencier ou un groupe théâtral de son public. A cette distance, la participation affective personnelle se perd. La voix est souvent amplifiée et une grande partie de la communication est assurée par des gestes. d) Distance intime : quand la distance personnelle se réduit, il s’établit entre les personnes une distance intime. Avec elle, les sensations olfactives et tactiles entrent en jeu et déterminent de manière significative le degré de relation affective entre les personnes. La distance intime peut être motivée par une relation de type agressive et hostile. Indépendamment de la distance que les différents animaux ―y compris l’homme― établissent entre eux en diverses situations, il est intéressant de prendre en compte que : La fugue est le mécanisme fondamental de survit pour les animaux doués de mouvements (Hall, 1976 : 19). Ceci nous permet d’établir la relation suivante sur le plan du langage : à la fuite correspond l’évasif, le silence, et quand cela n’est pas possible, l’atténuation. Dans le monde physique, les dangers peuvent être de différentes natures, et la fugue consiste à mettre de la distance par rapport à eux. Dans le domaine du langage, le danger est toujours représenté par l’interlocuteur. A la nécessité de se protéger (dans le monde physique), correspond dans le domaine du langage, la nécessité de sauvegarder sa propre image et celle de l’interlocuteur. Ainsi, le danger, d’accord avec Goffman (1959 : 1971), consistera en la toujours possible rupture de cette préservation. A la prise de distance de ce qui représente un danger dans le monde physique, correspond, dans le domaine du langage, ce que l’on convient avec Haverkate (1994) de considérer comme une prise de distance métaphorique. La fonction de l’atténuation est, précisément, de parvenir à cette distance métaphorique. L’image de l’interlocuteur est mise en danger, quand ce que le parlant lui dit peut représenter une gêne. L’atténuation opère en prenant une distance métaphorique avec tout ce qui est en jeu dans la conversation, dans la communication « face à face », puisque c’est dans cette situation de communication que l’image des interlocuteurs est la plus exposée.

9


4. Atténuation et politesse1 4.1. La préservation de l’image2 Catherine Kerbrat-Orecchioni (1992, tome II) s’arrête attentivement sur la révision des modèles les plus représentatifs de l’étude de la politesse. Elle mentionne, en premier lieu, celle de Penelope Brown et Stephen Levinson (dont la première version date de 1978). Nous exposerons brièvement ce modèle, car il nous servira de cadre théorique pour, par la suite, préciser le fonctionnement de l’atténuation. Brown et Levinson construisent leur modèle en partant du concept de « face » (image), établi originalement ―comme on l’a déjà signalé― par Goffman. Mais si auparavant nous disions que Goffman évoquait la nécessité de préserver sa propre image, et celle de l’interlocuteur, nous verrons maintenant comment ces auteurs ne parlent plus seulement d’une, mais de deux images pour chaque personne. En effet, les auteurs affirment que chaque personne, en tant qu’entité sociale, possède deux images : une négative et une positive. A la nécessité de préserver notre territoire corporel et spatial ―qui a conduit, comme on l’a dit, Hall à distinguer des types de distances que les personnes établissent entre elles en fonction des différentes situations sociales― s’ajoute celle que nous avons de préserver nos biens tant matériels que cognitifs. De cette façon, les auteurs entendent image négative, au sens large, comme territoire du je. Auquel appartient autant le corps du je que ses prolongations : vêtements, accessoires, etc. Mais aussi ses biens matériels : sa voiture, ses enfants ; son territoire spatial : logement, quartier, lieu de travail, ville ; son territoire temporel ; et ses réserves d’information : ses secrets. L’image positive du je se réfère à son narcissisme. Dans une interaction entre deux personnes, quatre images sont en jeu, et susceptibles d’être menacées : la négative et la positive de chacun des interlocuteurs. Le locuteur menace l’image négative de son interlocuteur quand il envahit son territoire. Les violations non-verbales de ce type consistent en certains contacts corporels, agressions visuelles, olfactives, et auditives. Par analogie, les actes de parole considérés par Searle comme, « directifs » envahissent le territoire de l’interlocuteur, en limitant sa liberté d’action. Ainsi, un ordre, une interdiction, un conseil, une demande, menacent l’image négative du destinataire. Le locuteur menace l’image positive de son interlocuteur quand il met en danger son narcissisme, par exemple, par une critique, un reproche, une insulte, une injure

1 Dû à l’importance que l’étude de la politesse a acquise depuis que j’ai soutenue ma thèse en février 1996, j’ai décidé de présenter ici la partie sur la politesse publiée dans Puga (1997) et, ensuite, une partie inédite sur le sujet, pris de la thèse régistrée à la bibliothèque de l’Université de Valence en 1996. 2

Ce paragraphe correspond à « La politesse », dans Puga (1997).

10


ou un rejet. Mais, en plus de menacer les images de son interlocuteur, le parlant peut menacer les siennes propres. Il menace son image négative quand il met en péril son propre territoire, par exemple par le biais d’une promesse ou d’une offre. Il menace son image positive quand il se dégrade lui-même. Comme par une autocritique, une autoaccusation, une excuse, une confession, etc. Kerbrat-Orecchioni nous présente la classification de la politesse que font les auteurs. Nous cherchons à montrer ici que bon nombre de ressources de l’atténuation ―que nous reprendrons plus loin en détail― sont proposées explicitement par Brown et Levinson comme des tactiques de politesse : cherchez l’accord, utilisez des marqueurs d’identité in group, ayez présent à l’esprit les désirs de l’interlocuteur, recourez à l’indirection conversationnelle : ¿podría pasarme la sal ? (Pourriez-vous me passer le sel ?) ; faites appel aux modalisateurs ; minimisez l’obligation : sólo quería preguntarte si puedes prestarme tu lápiz un minutito (je voulais juste te demander si tu pouvais me prêter ton stylo une petite minute) ; demandez pardon ; utilisez le discours impersonnel, minimisez votre expression (au moyen par exemple de la litote) ; soyez ambigu ; faites des généralisations ; ayez recours à l’ellipse. Comme nous aurons l’occasion de le voir, pour suivre ces instructions nous faisons appel aux ressources de l’atténuation. Nous ne voulons pas terminer ce bref chapitre consacré à la politesse, sans faire allusion à sa relation avec l’éducation et avec les classes sociales. La politesse est au service du bon fonctionnement des relations sociales. Au Chili, quand quelqu’un dit à un ami : Estoy medio enojado contigo porque no viniste ayer (je suis à moitié en colère contre toi parce que tu n’es pas venu hier), l’interlocuteur doit comprendre que son ami est fâché, point, et que probablement il l’est beaucoup, du moment qu’il a décidé de le lui dire. L’interlocuteur sait, puisqu’il a grandi, baigné dans ce type de langage, que medio (à moitié) reflète la difficulté de lui dire quelque chose de désagréable à entendre. Il sait que cela n’atténue pas le degré de colère. Du fait que l’atténuation en ce sens masque et déguise ce qui veut être dit, son utilisation adéquate résulte nécessairement d’un apprentissage. C’est ainsi que l’excès de politesse peut se traduire par un manque d’authenticité. C’est la spontanéité qui doit être réfrénée. C’est l’animal tapi en chacun de nous qui doit être caché. La politesse est en fin de compte, une lutte contre notre propre nature. Il faut neutraliser, il faut aseptiser tout ce qui en nous et autour de nous est l’expression de la nature. Les corps doivent être oubliés (Dhoquois, 1993 : 175). Vue ainsi, la politesse est surtout l’affaire des classes supérieures. Bernstein illustre la fonction de la socialisation formellement organisée à laquelle est soumis l’enfant 11


des classes supérieures dès son plus jeune âge, tant au sein de la famille qu’à l’école : L’enfant grandit dans un ordre éducatif rationnel, qui organise dès son plus jeune âge, la totalité de son expérience. Dans ces milieux, on décourage la manifestation directe des sentiments, et tout particulièrement des sentiments d’hostilité (Bernstein, 1975 : 32). Bernstein souligne également l’importance que, en ce sens, on donne au langage. Pour l’auteur, une valeur éminente est attribuée à la verbalisation car la parole sert de médiateur entre l’expression des sentiments et les formes socialement admises de manifester ces sentiments. Pour en revenir à notre exemple initial : Pourquoi dit-on : Estoy medio enojado contigo (je suis à moitié en colère contre toi)? mais pas : *Estoy medio contento contigo (je suis à moitié contente avec toi) ? Parce que c’est le sentiment de colère qui, fondamentalement, doit être masqué. La politesse « s’acquiert par un long et minutieux apprentissage » (Dhoquois, 1993 : 169). Pour cette raison, elle concerne principalement les classes supérieures. De fait, seul peut se permettre de ne pas être courtois, celui qui n’a pas reçu une « éducation convenable ». Du fait que la manière de s’exercer de la politesse est une convention sociale, et puisqu’elle proscrit certains aspects des plus enracinés de notre être, elle commence à se manifester dans le groupe familial. C’est là que se jouent les étapes qui conduisent à une éducation convenable. À travers des actes de surveillance, répétition et apprentissage renforcé commencent à se dessiner les premiers interdits. Ils détermineront, en toutes circonstances, les conduites impolies à bannir : ne pas se moucher devant son interlocuteur, ne pas s’asseoir les jambes trop écartées, ne pas traîner les pieds, ne pas parler avec les mains, ne pas couper la parole, etc. Mais l’éducation même de la politesse, se fait de manière polie, puisque celui qui éduque est lui-même poli : Le discours des parents dévoile le désir de minimiser l’aspect autoritaire de cet apprentissage (Zaidman, 1993 : 174). Prenons un exemple emprunté à Bernstein (1975). Quand la mère souhaite que son fils se taise, elle lui dira : querido, sería mejor que hicieras menos ruido (mon chéri, il vaudrait mieux que tu fasses moins de bruit) et pas simplement : cállate (tais-toi). L’enfant de son côté comprendra que sa mère lui demande qu’il se taise. Parce qu’il a appris à être sensible à ce type de phrase. La politesse refuse les phrases courtes. De manière qu’il ne suffira pas de 12


dire : buenos días »(bonjour), mais plutôt buenos días, señora (bonjour madame) (Mienson-Rigau, 1993 : 168). La politesse en ce sens, va à l’encontre de l’économie de langage. 4.2. Transgression des « maximes de coopération »3 S’il y a quelque chose de commun entre atténuation et politesse, c’est que les deux sont au service du bon fonctionnement des relations sociales. Souvent, pour préserver ces relations, le parlant se voit dans la nécessité de sacrifier, en partie ou totalement, la clarté de ses énoncés. Grice (1975) considère que le principe de base de la conversation est « la coopération » pour favoriser le fonctionnement optimal des relations sociales. Nous sommes d’accord avec l’auteur, mais nous nous voyons dans l’obligation de revoir le concept de « coopération ». Comme nous l’avons dit, souvent, afin de maintenir un équilibre dans les relations sociales, le locuteur se voit obligé de transgresser les « maximes de coopération » établies par Grice. L’une de ces maximes, postule que le parlant ne doit pas dire ce qu’il croit faux. Cependant, il est évident que tant l’atténuation que la politesse recourent au mensonge ou du moins, à la dissimulation de la vérité. Une autre maxime indique qu’il faut éviter l’ambiguïté et l’obscurité dans l’expression. Cependant, en certaines circonstances, « ambiguïté » et « atténuation » sont des concepts pratiquement synonymes. Enfin, il est évident que l’atténuation, comme la politesse, font appel à des circonlocutions incompatibles avec la brièveté que réclame une autre maxime. Escandell (1993 : 164-165) résout ce problème en établissant une distinction entre le principe de coopération proposé par Grice, dont la fonction est de parvenir à une « transmission efficace de l’information » et le principe de politesse qui est au service des « relations sociales ». Cependant, l’auteure, reconnaît que souvent, ces principes entrent en conflit. Elle pense que la politesse est considérée comme un principe supérieur, qui explique et légitime la transgression de la maxime de Grice. Nous, nous considérons que l’erreur tient au fait que parlant d’« efficacité », on ne considère pas le langage dans son sens pragmatique. Souvent, c’est l’intérêt envers notre interlocuteur qui nous conduit à être poli avec lui, à atténuer nos énoncés. La

Les chapitres qui suivent sont inédits mais correspondent à un fragment de « Atténuation et politesse » dans la thèse (Puga 1996). 3

13


politesse consiste, au fond, à laisser ouvert un maximum de choix de réponses à l’interlocuteur. En ce sens, la politesse suppose une attitude dialoguante. Le principe, à la base de la politesse, indépendamment de la forme dans laquelle elle se manifeste, est toujours le même : il s’agit, comme pour les recours à l’atténuation, de marquer de la distance, de masquer l’honnêteté, qui souvent nous conduit à heurter les autres. La politesse est un instrument destiné à sauver les apparences et à masquer la vérité.

5. L’obstacle de l’évidence Avoir intériorisé le monde à travers le langage depuis ses premières années de vie, rend difficile le fait pour l’enfant de prendre plus tard conscience que, tout comme il existe celui qu’il a intériorisé, il en existe d’autres : Les gens qui ont été élevés dans plusieurs cultures apprennent tout jeune, sans jamais s’en rendre compte, à exclure certains types d’informations, tout en étant très attentifs à d’autres. Une fois instaurées, ces normes de perception paraissent être suivies invariablement toute la vie (Hall, non daté : 61). Nos actions sont vécues intérieurement. Les percevoir de l’extérieur répond à une nécessité, toujours intéressée. L’homme est un être réfléchi. Par cela nous entendons deux choses. D’une part qu’il a besoin du regard des autres pour se voir lui-même. Plus encore : ce regard le constitue. D’autre part, que, malgré le fait de compter sur ce regard extérieur, il ne parvient pas à se voir de manière complète. De la même façon que le langage surgit d’une rupture ―de l’absence de coïncidence entre les organismes et leur milieu― une fois le langage instauré, celui-ci s’utilise de préférence pour rendre explicite ce qui rompt avec le « normal ». La norme s’établit socialement. Si la norme est que les trains arrivent à l’heure, l’anormal, ce qui attirera notre attention et nous incitera à le mentionner sera, précisément le retard d’un train. Nous sommes beaucoup moins sensibles au normal qu’à l’anormal. Ainsi, c’est souvent le plus évident que nous voyons le moins : Il existe (…) un grand obstacle à l’étude du sens des objets, [et de celui des mots] et cet obstacle, nous l’appellerons l’obstacle de l’évidence : si nous nous proposons d’étudier le sens des objets, nous devons nous secouer, nous distancer, pour objectiver l’objet, structurer sa signification (Barthes, 1993 : 250).

14


Nous sommes tellement le jeu de nos routines, au cours de notre vie quotidienne, que l’on doit faire un grand effort pour nous rappeler que notre réalité est une construction sociale (Berger & Luckmann, 1991) Par ailleurs, la stabilité et la bonne santé de nos sociétés dépendent en grande partie de l’aveuglement de ceux qui la composent. Les systèmes dominants de nos sociétés n’ont pas intérêt à ce que les citoyens voient à tous moments, qu’il est arbitraire. Ils préfèrent leur laisser penser que l’ordre établi est le seul envisageable ; qu’ils n’imaginent pas la possibilité d’un système alternatif. Mais il existe d’autres obstacles qui nous empêchent de « voir ». Nous sommes conditionnés par notre propre organisme à percevoir le stimulus de manière inévitablement sélective. L’habitude est l’un des facteurs qui nous permettent de ne plus faire attention, du moins consciemment, à des choses que l’on percevait auparavant. Ainsi des stimulus qui étaient ―en termes gestaltiques― la figure de notre attention, deviennent le fond de nouvelles figures, de nouveaux stimulus, bien qu’ils continuent à exister à un niveau préconscient (Wertheimer, 1922 ; Koffka, 1935 ; De Vega, 1984). Une action plusieurs fois répétée, créée en nous une habitude qui nous permet de l’exécuter comme une règle, avec un minimum d’efforts. C’est-à-dire que son exécution devient indépendante de nos décisions conscientes : Selon les significations attribuées par l’homme à son activité, l’habitude rend inutile, le fait de redéfinir à nouveau chaque situation, pas à pas (Berger & Luckmann, 1991 : 75). L’habitude fait, ainsi, que nous ne prenons plus la distance nécessaire d’avec nos actions pour pouvoir les observer et les interroger. Le fait de naître dans un ordre social établi, contribue aussi à notre aveuglement : Etant donné que l’enfant n’intervient pas dans le choix de ses autres signifiants, il s’identifie avec eux presque automatiquement. L’enfant n’intériorise pas seulement le monde de ses autres signifiants comme un parmi tant d’autres : il l’internalise comme le monde, le seul existant, et qui se puisse concevoir, le monde tout court (Berger & Luckmann, 1991 : 171). La réalité est donc, une construction sociale. Le langage, comme nous l’avons dit, est le principal outil, tant de maintien que de régénération de cette réalité qui n’est rien d’autre que notre monde. Un certain degré d’aveuglement est nécessaire pour le maintien de cet ordre et il est, par ailleurs, inhérent à notre condition humaine : L’homme de la rue se préoccupe rarement de ce qui pour lui est « réel » et de ce 15


qu’il « connaît », à moins qu’un problème ne surgisse. Il prend pour inamovible, sa « réalité » et son « savoir ». (Berger & Luckmann, 1991 : 14).

6. La théorie des nœuds D’une personne qui va bien et évolue librement dans son milieu, on dit qu’elle est « comme un poisson dans l’eau ». De la même manière qu’un organisme pleinement adapté à son milieu n’a pas besoin de récepteurs sensoriels pour se rendre compte de son état présent (Hörmann, 1973), seul peut se sentir « comme un poisson dans l’eau » celui qui n’a pas, ou a perdu jusqu’à un certain point, la conscience de lui-même. Celui qui ne pense pas ou ne questionne pas sa condition. Sans être absolue, il existe une base solide dans laquelle l’homme est immergé et depuis laquelle il observe et interroge des aspects seulement ponctuels de sa manière d’agir et, éventuellement d’être : « Ce que je suis » n’est pas tellement à ma portée. Pour cela, il faut que je m’arrête, que j’interrompe la spontanéité continue de mon expérience et que je fasse remonter délibérément mon attention vers moi-même. Plus encore, cette réflexion sur moi-même est provoquée surtout par l’attitude envers moi de l’autre. C’est une réponse typique en « miroir » aux attitudes de l’autre (Berger & Luckmann, 1991 : 47). Ceci a son corrélat dans le langage. Comme remarque Lakoff (1991), les métaphores ―par exemple d’orientation― sont tellement liées à notre structure corporelle, à notre manière d’habiter l’espace, que nous n’avons pas conscience qu’il s’agit précisément de métaphores. Lorsque l’on dit, par exemple, remonter le moral, nous ne sommes pas conscient que c’est notre posture dressée et le fait que la tête occupe la partie supérieure de notre corps, qui nous fait considérer « en haut » comme positif et « en bas » comme négatif : Ces orientations spatiales sont liées au fait que nous avons des corps de types particuliers (…) Ces orientations métaphoriques ne sont pas arbitraires, elles ont leurs bases dans notre expérience physique et culturelle. (Lakoff, 1991 : 50) Ainsi, en général, nous sommes inconscients du langage que nous utilisons en parlant. Nous choisissons chaque mot, mais ce choix et presque automatique, nous n’avons pas à marquer un temps pour choisir entre deux phrases. Notre langue maternelle est l’eau dont nous sommes les poissons. Nous évoluons

16


en elle et avec elle librement, sans nous arrêter, sauf très ponctuellement, pour l’observer. Elle, en outre, se manifeste seulement lorsqu’elle se trouble. Nous ne la voyons que, lorsque, pour un motif quelconque, elle nous oppose une résistance y compris à ceux qui prétendent l’étudier et la voir en permanence. De même que nous sommes incapables de voir nos traits sans l’aide d’un miroir ―et encore, ainsi les voyons nous inversés― nous sommes incapables d’observer notre propre usage du langage. Nous sommes incapables de nous installer dans un métalangage. Si nous considérons que parler du langage avec le langage est métalinguistique, dire, par exemple : en espagnol le terme maman fait allusion au langage infantile, nous pouvons étudier ce que nous disons du langage mais le langage que nous utilisons pour le dire, nous échappe. Quelqu’un d’autre aurait pu dire : maman, fait allusion au babillement des enfants et on considérerait que les deux ont dit la même chose : Nous prêtons attention à ce qui se dit, mais nous nous interrogeons rarement sur la manière dont le langage permet de dire les choses. Ce n’est que lorsque la communication s’interrompt, parfois, que l’on parvient à se rendre compte du langage comme langage (Gumperz & Bennett, 1981 : 9). Nous appellerons nœuds les conflits responsables d’interruptions dans la communication. Quand un conflit de ce type se présente, il nous oblige à nous distancer de notre langage, à l’objectiver, à prendre conscience de lui pour pouvoir choisir le mot précis. Si par exemple nous voulons décliner une invitation, nous devons chercher les mots qui expliquent notre refus, en évitant, cependant, de blesser celui qui nous invite. Ces mots ont pour mission d’atténuer notre refus. Le rejet d’une invitation réclame une explication, il n’en va pas de même pour l’acceptation. L’explication dans ce cas atténue le refus.

7. Tours de parole non préférés Entendant par tour de parole chaque intervention faite par l’un des interlocuteurs dans une conversation, les ethnométhodologues nord-américains, ont établi la notion de préférence. Les théoriciens de l’analyse de la conversation l’entendent comme une négociation dans laquelle il existe des tours préférés, des tours non préférés et entre les deux, une série de solutions intermédiaires (Gallardo, 1993). Comme le signale Beatriz Gallardo (1990) dans son article « Autour de la préférence comme concept d’analyse conversationnelle » la notion de préférence ne doit pas être négligée lorsque nous cherchons les raisons au fait qu’il existe des tours de parole qui nous offrent moins de résistance que d’autres. 17


Lorsqu’on lance une invitation, on espère être accepté. Le rejet de son invitation, correspond à un tour de parole non préféré. Le refus réclame une explication, une atténuation du refus. Le différend doit être argumenté. Ainsi, si la durée de la pause entre un tour préféré (l’acceptation) est minime, la pause entre une invitation et un tour non préféré sera prolongée. Dans ce cas, la réponse n’est pas « automatique ». D’une part, l’interlocuteur a besoin de temps pour préparer une argumentation plus complexe, mais d’autre part, le prolongement de la pause annonce déjà, à l’auteur de l’invitation, une réponse négative de son interlocuteur. En ce sens, le silence est également significatif : la pause (silence entre les mots), est analogue à certaines des atténuations (mots par certains points vides de sens, dont la fonction est retardatrice). Dans la conversation, la pause qui sépare un tour du précédent est en général très brève. Cependant, elle est significativement plus longue quand le second est un tour non préféré, sa formulation nécessite davantage de temps. Une hiérarchisation intervient sur les alternatives de deuxième partie, ainsi il existe au moins une catégorie de réponses préférées et une autre non préférées, dont les traits fondamentaux correspondent à ceux signalés par Pomerantz. Ainsi, nous obtenons ce tableau : 1e partie

2e partie préférée

2e partie non préférée

Demande Invitation Offre Question Reproche Jugement

Concession Acceptation Acceptation Réponse espérée Négative Conformité

Négative Refus Refus Réponse non espérée Admission Désaccord

(Gallardo, 1990 : 344). Il ressort que les tours non préférés, indépendamment du fait qu’ils répondent à une question, à une demande, ou à une offre, ont beaucoup plus en commun que les tours préférés. Précisément, ils ont en commun, le fait que, supposant un désagrément pour l’interlocuteur, ils ont besoin d’atténuation. La structure de ces tours comporte souvent ces éléments (Levinson, 1989 : 322) : a) retardement : par une pause avant de parler ; par l’emploi d’une préface ; par l’ajournement de la réponse pendant un certain nombre de tours. b) préfaces : l’emploi de marqueurs ou d’annonceurs de réponses non préférées comme eh…, ah…, bueno (heu…, hum…, bon) ; l’apport de preuves d’approbation avant d’exprimer le désaccord ; l’usage d’appréciations s’il y a lieu (pour les offres, les invitations, les suggestions, les conseils) ; l’emploi d’excuses s’il y a lieu (pour les demandes, 18


les invitations, etc.) ; l’emploi d’atténuateurs ; par ex. no lo sé seguro, pero (je n’en suis pas certain mais…) ; plusieurs formes d’hésitation, incluant l’autocorrection. c) justifications : explications formulées avec précautions du pourquoi de l’acte (non préféré). d) composants de refus : dont la forme s’ajuste au style de la première partie énoncée par le pair, bien que généralement indirecte ou atténuée. « Retardements », « préfaces », « justifications » et « composants de refus », qui sont le propre des tours non préférés, peuvent être considérés comme des recours d’atténuation.

19


II. Comment opère l’atténuation

1. Atténuation, distance et situation de communication 1.1. La distanciation de l’émetteur Tout comme le reste des animaux, l’homme face à un danger à tendance à la fuite. Ainsi par analogie avec la distance physique que l’homme prend d’avec un élément ―comme le feu― qui représente pour lui un danger, dans la communication linguistique (orale et écrite) l’émetteur se distance ―cette fois métaphoriquement― du je de l’énonciation et des autres éléments qui font partie de la situation communicative : récepteur, message et canal. L’émetteur parvient à se distancer de la propriété de son énoncé en feignant de passer du champ de référence qui lui correspond en tant que parlant dans la conversation, à celui qui correspond à l’auditeur ou à la troisième personne qui est toujours un absent. Alcina et Blecua (1994 : 594) observent que ce changement d’axe peut être dû, entre autres, à des raisons de modestie ou de servitude. Quelles qu’en soient les raisons, la prise de distance du parlant d’avec le je peut être considérée comme une forme d’atténuation. Haverkate (1994 : 131), même s’il ne parle pas à proprement d’atténuation, dénomme cette stratégie déictique « défocalisation » et la définit comme « une tactique de distancement de la part du parlant pour réduire ou minimiser son propre rôle ou celui de l’auditeur dans ce qui est décrit ». Les procédés utilisés sont les suivants : le passage de la première à la deuxième personne, de la première à la troisième et l’impersonnalité.

20


1.1.1. Echange du pronom personnel ‘je’ avec celui de la deuxième personne du singulier ‘tu’ Par ce changement, le parlant généralise son expérience, et intègre son auditeur à son propre vécu. Avec tous ces cris je n’entends rien/Avec tous ces cris tu n’entends rien (Apud Alcina & Blecua, 1994 : 594). Le parlant suggère que son expérience personnelle est générale et partagée par tout le monde, et donc, par l’auditeur. En généralisant ainsi sa propre expérience, le parlant protège son image puisqu’il enlève de la propriété à ses mots. C’est dans ce sens que nous pouvons parler de distance. Grâce à cette stratégie, le parleur peut vouloir éviter d’essuyer une critique personnelle, c’est-à-dire protéger son image positive (en reprenant le modèle de politesse proposé par Brown et Levinson). Ce peut-être aussi un moyen de faire passer pour objectif un thème qui le touche particulièrement mais dont l’abord lui paraît délicat. En utilisant le pronom tu, l’émetteur établit avec le récepteur une relation de solidarité, qui contribue à l’impliquer affectivement et à le faire complice de ses paroles. Haverkate (1994) rappelle que cette « stratégie défocalisatrice » peut être utile au parlant qui a commis une action défavorable à l’auditeur, parce que : Ce qui apparaît implicite par le caractère non spécifique de la référence défocalisatrice est que l’auditeur aurait pu provoquer la même situation. Ainsi, par exemple, une personne qui en heurte une autre dans un escalier peut justifier son comportement en disant : está tan oscuro aquí que no ves prácticamente nada (il fait tellement noir ici que tu ne vois presque rien). L’interprétation généralisante de cet exemple saute à la vue si on le compare avec (le suivant), qui contient une référence spécifique à l’auditeur : está tan oscuro aquí que (tú) no ves prácticamente nada (il fait tellement noir ici que tu ne vois presque rien) (…). La paraphrase non défocalisée, enfin, qui pour des raisons évidentes n’atténue plus la force de la parole, se construit par la référence spécifique au parleur même, comme on peut le voir dans : está tan oscuro aquí que (yo) no veo prácticamente nada (il fait tellement noir ici que (je) ne vois presque rien (Haverkate 1994 : 135-7). 1.1.2. Passage de l’axe de référence de l’émetteur à celui de la troisième personne Le changement du pronom personnel yo (je) par le pronom uno (on) est fréquent pour introduire une distanciation du parlant. L’emploi de la forme impersonnelle au lieu de la première personne contribue à l’atténuation : Yo no puedo hacerlo/un servidor no puede hacerlo (je ne peux pas le faire/un

21


serviteur ne peut pas le faire) ; En ocasiones me encuentro perdido/en ocasiones uno se encuentra perdido (parfois je me perds/parfois on se perd) (Alcina & Blecua, 1994 : 594). 1.1.3. Phrases impersonnelles utilisant ‘se’ (on) Haverkate (1994 : 135), dans la lignée des formes grammaticales traditionnelles descriptives rappelle que l’on peut utiliser à des fins d’atténuations le pronom pseudoréflexif se : se consultó a los diputados (les députés ont étés consultés) 1.2. Distance du temps présent En tant que temps de l’énoncé, le présent est dans certaines circonstances associé à la notion de durée. Comme nous le verrons plus loin, Alcina et Blecua signalent que, afin d’atténuer le présent, nous utilisons l’imparfait ou le futur. Au Chili, cette manière d’atténuer le présent est très fréquente. Souvent nous employons l’imparfait : quería decirte una cosita (je voulais te dire une petite chose) (au lieu de dire : Quiero decirte una cosa (je veux te dire quelque chose). Lorsque nous téléphonons, nous avons l’habitude de demander au futur, la personne avec qui nous souhaitons parler : aló, ¿estará Pedro ? (allô, Pedro sera-t-il là ?) 1.3. La distanciation du message Le langage est culturellement encadré dans le traitement de chaque sujet. Parfois l’atténuation est nécessaire à cause de la difficulté à aborder certains d’entre eux. Ces thèmes varient d’une culture à l’autre et même à l’intérieur de chaque culture, ils varient selon le statut social : Le langage domestiqué, censure devenue nature qui proscrit les mots ‘gras’, les plaisanteries ‘grossières’ et les accents ‘vulgaires’ accompagne la domestication du corps qui exclue toutes manifestations excessives des appétits ou des sentiments (aussi bien les cris que les larmes ou les gestes) et qui le soumet à toutes sortes de disciplines et de censures dans le but de le dénaturaliser (Bourdieu, 1985 : 61). 1.3.1. Tabous et euphémismes Peut-être que l’exemple le plus évident de sujets « interdits » apparaît dans les tabous linguistiques et dans les euphémismes qui leur correspondent :

22


Il ne s’agit pas de penser qu’il existe seulement des mots ―au sens lexicographique du terme― qui ne doivent pas être prononcés ou uniquement en des circonstances déterminées, strictement définies (….). Il existe des sujets qui, dans leur totalité, sont interdits et protégés par une sorte de loi du silence (Ducrot, 1982 : 11). Dans ce cas, c’est l’euphémisme qui remplit la fonction atténuante. Il atténue le traitement du sujet « interdit ». 1.3.2. Actes de paroles L’ expression de l’ordre Dans l’échange communicatif quotidien, nous réalisons en permanence une série d’actes de paroles, dont on considère qu’ils peuvent dans une grande ou une moindre mesure menacer la face positive ou négative de notre interlocuteur, ou celle du parlant lui-même (Brown et Levinson). Pour les énoncer on a systématiquement recours à l’atténuation. La plupart du temps nous la pratiquons de façon automatique et nous ne sommes pas conscient de recourir à cette stratégie communicative ; cela se passe ainsi, par exemple, lorsque nous utilisons le conditionnel pour des questions qui, normalement, devraient être formulées au présent : ¿me podría pasar la sal por favor ? (tu pourrais me passer le sel s’il te plaît ?) En ce qui concerne les actos ilocutivos ils apparaissent souvent de forme atténuée, quand le locuteur pense qu’il pourrait mettre en danger son interlocuteur. Le plus évident de ces actes est celui d’ordonner car ce faisant, le parlant envahit le territoire de l’interlocuteur, le prive de sa liberté d’action, menace son image. Nous pouvons nous passer de l’impératif et le remplacer par une expression aimable. Il est ainsi possible d’adoucir l’ordre jusqu’à qu’il cesse d’en être un . Ce faisant, nous transférons à l’interlocuteur la décision de faire ou de ne pas faire ce que lui dicte notre autorité et sa dépendance ou son devoir. Une fois de plus interviennent dans ces domaines, les temps verbaux avec lesquels nous manifestons notre volonté : « quisiera (ou querría) un café » (je voudrais un café), omettant la condition qui compléterait la phrase si usted pudiera traérmelo (si vous puissiez me l’apporter) ; ou bien quería un café (je voulais un café) formulant notre souhait comme une chose passée. D’autre fois nous demandons : ¿tendría usted la bondad de… ? (auriez-vous la bonté de …. ?), ¿quiere usted… ? (voulez-vous… ?). Les grammaires ―comme par exemple l’Esbozo― les dénomment demandes exhortatives (indicative d’ordre ou d’interdiction). Dans ces grammaires, l’exhortation nous est présentée comme une sorte d’ordre atténué, sans la crudité de l’impératif, dans la mesure où elle inclut une expression du souhait par le présent du subjonctif. Lorsque 23


cette deuxième personne jouit d’une certaine autorité ou que nous lui accordons un certain respect, on n’utilise pas l’impératif, mais le présent du subjonctif à la 3 ème personne. Et de la même manière nous recourons à l’emploi de cette 3ème personne quand ceux à qui il est fait référence ne sont pas présents : el negligente pague su dejadez (que le négligent paie son laisser-aller) (Real Academia Española, 1986 : 361). Enfin, pour atténuer l’ordre, la politesse peut s’exprimer à travers le conditionnel ou bien des verbes subjectifs exprimant le désir (vouloir et désirer). De même la demande se trouve atténuée par l’éventail des temps ou modes utilisés comme l’imparfait ou le conditionnel : Pour exprimer le désir avec modestie et politesse, nous nous servons parfois des verbes vouloir et désirer au conditionnel ou dans la forme –ra du prétérit imparfait du subjonctif, et disons : desearía pedirte un favor (je désirerais te demander une faveur) ; quisiera decirte dos palabras (je voudrais te dire quelques mots) (Real Academia Española, 1986 : 362-3) Notons qu’en recourant au conditionnel ou à l’imparfait du subjonctif, le présent s’en trouve éludé, moment où pourtant l’interaction ‘en tête à tête’, a lieu. Cependant revenons à la définition du DRAE (Diccionario de la Real Academia Española), l’interlocuteur comprend que l’intention du parlant quand il lui dit : desearía pedirte un favor (je désirerais te demander une faveur) est de la lui demander justement à ce moment précis. La politesse et l’atténuation permettent au parlant une plus grande liberté pour préserver l’image de l’interlocuteur ou, ce qui revient au même, pour lui attribuer un plus grand pouvoir de décision. Lorsque nous formulons un ordre à un inférieur en autorité ou en pouvoir et que l’on utilise l’impératif, nous le faisons protégé par notre situation de supériorité. Notre interlocuteur n’a pas le choix, il doit obéir à notre ordre. Toutefois, quand nous égalons ou sommes inférieur à notre interlocuteur, rien ne nous garantit son obéissance, de sorte que, un ordre doit donner lieu à une demande à laquelle notre interlocuteur peut accéder ou pas. Je peux donner l’ordre à mon jardinier de planter un certain type de fleur, mais je ne peux pas exiger la même chose d’une amie qui vient me rendre visite. En revanche, je peux lui demander de le faire, mais en lui laissant la liberté d’accepter ou de refuser ma demande. A mon jardinier, je peux dire : plante estas flores (plantez ces fleurs) . Par contre à mon ami je peux juste lui demander : ¿me podrías plantar estas flores ? (tu pourrais me planter ces fleurs ?). Il existe ainsi des circonstances dans lesquelles la demande est un ordre atténué. Politesse et atténuation sont rendues nécessaires lorsque la relation entre les interlocuteurs n’implique pas le devoir de l’un de servir l’autre. Moins le locuteur a de certitudes d’obtenir ce qu’il veut de son interlocuteur, plus

24


atténuée devra être sa demande. Dans ce cas, c’est l’impératif qui doit être atténué. Le degré d’atténuation dépendra autant de ce qui est demandé que du type de relation qui existe entre les interlocuteurs. Formules de requêtes En matière de formules de requête, on peut établir une graduation de moins à plus atténuée, de moins à plus polie –Interrogation : ¿me das un cigarro? (tu me donnes une cigarette ?) –Interrogation + verbe de modalité au présent : ¿puedes darme un cigarro? ; ¿quieres darme un cigarro? (tu peux me donner une cigarette ? ; tu veux me donner une cigarette ?) –Interrogation + verbe de modalité au conditionnel : ¿podrías darme un cigarillo? ; ¿querrías darme un cigarro? (tu pourrais me donner une cigarette ? ; tu voudrais me donner une cigarette ?) –Interrogation + tener la amabilidad de (avoir l’amabilité de) + conditionnel : ¿tendrías la amabilidad de darme un cigarro ? (tu aurais l’amabilité de me donner une cigarette ?) 1.4. La distanciation d’avec le récepteur : relations réciproques et relations non réciproques En matière d’interlocuteurs, nous devons distinguer ceux qui sont considérés comme valables de ceux qui ne le sont pas. Le rang social des interlocuteurs est l’un des éléments à prendre en compte pour considérer le niveau de validité qu’ils s’octroient mutuellement. Dans une société socialement très stratifiée, il est fréquent de constater que les personnes de classes sociales supérieures ne considèrent pas comme des interlocuteurs valables dans tous les cas, les personnes des classes sociales inférieures. Il faut faire une distinction entre les atténuations qui ont lieu entre personnes de rang social égal, de celles qui existent entre interlocuteurs de rangs différents. Leur motivation sera distincte dans un cas et dans l’autre. Si l’on entend par atténuation, stratégie discursive, il est évident que le parlant devra atténuer, surtout, les énoncés par lesquels il entend influencer la conduite ou l’attitude de son interlocuteur. Dans ce sens, nous pouvons dire, que plus le parlant est incertain d’obtenir une réponse favorable, plus grand est son besoin d’atténuer l’énoncé : Gagner la collaboration du destinataire est l’une des tâche fondamentale de la communication (Escandell, 1993 : 159).

25


Ici la hiérarchie sociale entre interlocuteurs joue un rôle déterminant. S’il existe entre eux une relation de service socialement établie, si un parlant de haut niveau social a à son service un interlocuteur de classe inférieure, il n’aura pas besoin d’atténuer ses demandes puisque la collaboration de son interlocuteur lui est acquise. Inversement, le parlant de rang inférieur, devra utiliser un grand nombre de recours d’atténuation s’il entend obtenir quelque chose d’une personne qui lui est socialement supérieure, car il n’est en rien établi que ce dernier veuille accéder à sa requête. Illustrons ceci avec la demande d’un prêt d’argent : entre interlocuteurs de même rang social, plus grande sera la somme qu’une personne souhaite emprunter à un ami ―plus grand en sera le coût pour l’interlocuteur―, plus atténué devra être sa demande. Les explications, les excuses, les promesses d’un remboursement rapide sont, dans ce sens des formes d’atténuation. Le degré de confiance qui existe entre les interlocuteurs sera aussi significatif. Plus grande sera la confiance, plus faible sera le besoin d’atténuer la requête et vice-versa. Si celui qui demande le prêt est de niveau social inférieur à celui qui le concède, l’usage de formules d’atténuation pour justifier la demande est incontournable. Dans les relations non réciproques, l’atténuation opère fondamentalement de bas en haut. D’une certaine façon, c’est le résultat d’une « estime de soi basse », de ce que l’on pourrait considérer comme une « auto négation » des parlants de classe inférieure quand ils s’adressent à quelqu’un de classe moyenne et supérieure. Cette auto négation se voit renforcée, bien sûr, par la négation même de ces interlocuteurs, de la part de la classe dirigeante. Ils ne les considèrent pas comme des interlocuteurs valables. En vertu, précisément, de leur rang, les parlants de classes supérieure ne risquent rien en face de leurs interlocuteurs de classe inférieure. C’est pour cela que lorsqu’ils s’adressent à eux, ils auront moins besoin d’avoir recours à l’atténuation que lorsqu’ils s’adressent à leurs pairs des classes supérieures. Le fait de tutoyer ou de vouvoyer délimite les relations réciproques et les non réciproques ; en cela c’est le reflet des relations qui s’établissent entre les interlocuteurs dans une société déterminée : Cela semble être un universel linguistique (…) que dans la manière de s’adresser à quelqu’un sont codées les dimensions de solidarité et de statut (…) (la solidarité se base sur l’égalité, le statut sur l’inégalité dans la possession d’attributs valorisés positivement (Hörmann, 1967 : 413-4). Les interlocuteurs de même niveau socio-économique établissent entre eux des relations réciproques marquées fondamentalement par le pronom personnel tu. Si la distance sociale est significative, elle sera marquée par l’emploi du vous de la part de la personne de niveau social inférieur.

26


Dans les relations non réciproques, les locuteurs de statut social plus élevé tutoieront ceux de rang plus bas. Il s’agit de l’usage du pronom tu non réciproque. On ne peut parler d’atténuation seulement quand, à un niveau paradigmatique, le locuteur, en choisissant un énoncé, aurait pu en choisir d’autres ; et, l’énoncé choisi a été celui qu’il a considéré comme la meilleure « prise de distance » de l’un ou de plusieurs des éléments qui constituent la situation communicative. L’usage du tu et du vous, dans la mesure où il est régi socialement, ne laisse aucun choix au parlant. Il ne peut donc pas être considéré comme un recours d’atténuation. Cependant il est un indicateur clair des relations qui s’établissent entre les interlocuteurs et, en ce sens, il est un indice du type d’atténuation qu’en toute probabilité l’on rencontrera dans les interactions verbales qui auront lieux entre eux. 1.5. La distanciation du canal : conversation et écriture C’est le contact direct avec le feu qui représente pour l’homme le danger de se brûler. A une distance prudente d’une flambée, l’homme peut profiter de la chaleur qui émane d’elle sans, pour autant, risquer des brûlures. Cependant, la distance que l’homme prend d’avec le feu dépend de lui. Un feu, vu sur écran de cinéma ou en photo, garantit au spectateur qu’il est hors de danger de se brûler. Mais en même temps qu’il le protège du danger, la distance qu’impose l’écran ou le papier, empêche le spectateur de profiter de la chaleur du feu. Sur écran, le feu, aussi réel qu’il puisse paraître, n’est rien d‘autre qu’une évocation. Dans ce cas, le spectateur ne peut pas s’approcher de cette évocation, de ce signe. Il est condamné à la distance d’avec le feu. Par analogie, l’image sociale des participants à la communication linguistique (orale et écrite) sera plus exposée dans la mesure où ils sont plus proches les uns des autres. Les sociologues Berger et Luckmann (1991) montrent comment c’est la conversation en face à face qui est le type d’interaction sociale dans laquelle les participants sont le plus exposés les uns aux autres : Dans la communication ‘en face à face’, l’autre m’apparaît dans un présent vécu que tous les deux nous partageons (…) Mon ‘ici et maintenant’ et le sien gravitent continuellement l’un autour de l’autre (…) Dans ces situations face à face, l’autre est complètement réel. Cette réalité fait partie de la réalité totale de la vie quotidienne, et, en cela, elle est massive et impérieuse. Il est vrai que cet autre pourrait être réel pour moi sans que je l’ai rencontré ’face à face’, en le connaissant de nom, par exemple, ou pour avoir eu affaire à lui par courrier. Cependant, il devient réel pour moi au plein sens du mot, seulement quand je le rencontre ’face à face’ (Berger/Luckmann, 1991 : 46-47).

27


D’autre part les auteurs proposent que la réalité se construit socialement et que la conversation ―forme la plus élémentaire de communication et dont dérive toutes les autres―, est beaucoup plus responsable que l’écriture, de la création et de l’entretien de cette réalité : Le vecteur le plus important de l’entretien de cette réalité est le dialogue. La vie quotidienne de l’individu peut se considérer comme le démarrage d’une appareil conversationnel qui entretient, modifie et reconstruit continuellement sa réalité subjective (Berger & Luckmann, 1991 : 191). Seul dans les interactions communicationnelles en face à face, le contact entre les participants est direct. Les auteurs préviennent que dans cette forme de communication mon interlocuteur est même plus réel pour moi que ce que je le suis moi-même. : S’il est bien certain que je suis celui qui me connaît le mieux, la connaissance de moi-même passe par la réflexion. L’autre par contre, se présente à moi de façon directe et « pré réflexive ». Il se tient en permanence à portée, non seulement de ma voix mais aussi de mes sens. Ainsi dans l’interaction parlée, l’interlocuteur a l’avantage de pouvoir contrôler la réaction de son auditeur à chaque minute, avec l’inconvénient d’exposer ses propres sentiments (Brown & Yule, 1993 : 21). Le texte écrit, au contraire de la conversation, ne réunit pas dans le même espace-temps l’écrivain et ses lecteurs. D’autre part, le texte ne révèle pas le processus d’écriture dont il est le fruit. Tout ce qui a été écrit, et plus tard, effacé, les possibles changements d’ordre des paragraphes ou l’éventuelle réécriture complète, demeurent invisibles pour le lecteur qui reçoit le produit une fois que l’écrivain en a fini avec lui et l’a considéré comme terminé. Le lecteur est complètement libre de la pression de l’écrivant. A la différence de l’écrivant solitaire qui loin des regards manipule son texte, les interlocuteurs, exposés les uns aux autres, émettent des énoncés qui au moment même où ils sont prononcés, se dissipent et se perdent dans le silence. La seule chose qui soit permanente dans la conversation est la présence de ceux qui la tienne. Les mots se perdent au moment même où ils sont dits. Il faudrait se demander s’ils ne le font pas pour nous empêcher de les sortir de leur contexte. Ils ne peuvent justement être compris pleinement qu’à l’intérieur de ce contexte. Les abstraire de celui-ci revient à les priver d’une part importante de leur sens. Mais la distinction entre conversation et écriture n’est pas suffisante pour déterminer le degré de rapprochement auquel parviennent les participants dans les interactions communicatives. Il ne fait pas de doute que ce soit dans la conversation où les

28


participants sont le plus près les uns des autres. Cependant ils ne sont pas exposés de manière égale dans tous les types de conversation. Bon nombre de conversations que nous avons au quotidien sont pratiquement figées et se limitent à un échange conventionnel de mots. Que l’on pense, par exemple, aux paroles que nous échangeons chaque matin avec le boulanger ou avec le chauffeur de bus : Dans la vie quotidienne, il est probable que ce type de ‘négociation’ puisse se régler d’avance, de manière codé comme le processus typique de marchandage entre clients et vendeurs. De sorte que, la plupart des fois, mes rencontres avec les autres dans la vie quotidienne sont fixées de deux manières : j’appréhende l’autre comme un archétype et tous les deux, nous échangeons dans une situation qui en elle-même est fixée (Berger & Luckmann, 1991 : 50). Dans ces situations ce sont précisément les règles déjà établies qui nous donnent la possibilité d’interagir sans nous exposer de manière excessive. Malgré le fait qu’il s’agisse de conversation face à face, nous sommes moins exposés à notre interlocuteur que ce que nous le serions vis-à-vis d’un ami avec qui nous aurions une conversation sur un ton informel. En effet, selon les catégorisations que Val. Es. Co. (1995 : 27-35) a fait de la conversation, nous pouvons affirmer que la plus grande proximité entre les participants à la conversation est certaine quand la conversation est familière. Les marques de langage familier sont les suivantes : a) Relation d’égalité entre les interlocuteurs, que ce soit dans les rôles sociaux (déterminé par le niveau socio-culturel, la profession, etc.) ou fonctionnels (provoqués par la situation ; par exemple un professeur d’université et un aide maçon interné à l’hôpital dans la même chambre sont fonctionnellement malades) : la relation entre des égaux, favorise le langage familier (…) b) Relation de vie de proximité : Connaissance mutuelle et expérience commune partagée entre les interlocuteurs (présuppositions communes). c) Cadre d’interaction familiale : plus quotidien est l’espace d’interaction des parlants, plus il est probable que s’y déroule une conversation familière. d) Thématiques non spécialisées : le contenu énonciatif est constitué de thèmes à la portée de n’importe qui. Les auteurs précisent que des traits de langage familier mentionnés, les deux premiers font référence à la relation dynamique entre les participants à une conversation ; le troisième souligne la relation des participants avec la situation communicative, et le dernier fait référence au sujet de la conversation (Val. Es. Co., 1995 : 31).

29


Ces caractéristiques ajoutées à d’autres qu’ils considèrent comme première : le fait qu’il s’agisse d’une « conversation en face à face » ; que l’alternance des tours de parole soit « non prédéterminée » ; qu’il y ait « absence de planification » et le fait que son ton soit « informel », nous donne le profil du type de conversation qui favorise la plus grande proximité entre les interlocuteurs. Ce sera dans ce type de conversation que l’image sociale des participants à l’interaction communicative sera la plus exposée. Ici les participants sont beaucoup plus vulnérables que dans n’importe quel autre type de communication. L’atténuation verbale sert précisément à préserver l’image sociale. Il en sera donc fait un plus grand usage, dans la conversation familière. Ainsi, c’est en observant ce type de conversation que nous pouvons mieux appréhender le fonctionnement de l’atténuation. Le fait que les interlocuteurs soient exposés et qu’ils soient vulnérables, implique que l’une des composantes fondamentales de la conversation soit la négociation, tel que l’a signalé Widdowson : Le mode opératoire du langage parlé n’est qu’en partie une conséquence des restrictions du processus : il résulte aussi de la condition typiquement négociable du langage, de la participation réciproque dont il est à l’origine (…) Dans l’échange parlé, les signifiants sont maniés conjointement par l’émetteur et le récepteur, contribuant chacun d’eux à l’élaboration accumulative du discours, chaque énoncé présuppose les conclusions de l’énoncé précédent. De cette manière, chaque énoncé s’ajuste dans le schéma du dialogue antérieur dans un procédé de reformulation constante. (Widdowson, 1989 : 248-249). En même temps qu’elle permet la modification progressive de l’information, la négociation permet de préserver l’image sociale et l’image de soi des interlocuteurs. L’écriture n’engage pas de manière directe le lecteur avec l’écrivain, ni celui-ci visà-vis de ses lecteurs. Si un lecteur s’ennuie en lisant un roman, il est libre de le refermer et de changer de lecture ou d’activité. Cette liberté, l’auditeur ennuyé par la conversation ne l’a pas. Il ne peut pas, comme ça, abandonner son interlocuteur ou changer de sujet. Il doit négocier son retrait. Il doit cacher, atténuer son déplaisir : (L’écriture) donne matière à des interprétations variables. Du fait que le lecteur n’a ni voix ni vote dans le déroulement du discours, le processus d’interprétation tient lieu d’acte d’analyse, après la communication (…) L’écriture n’est pas négociable. L’interaction n’obéit pas à un contrôle conjoint : il ne peut y avoir aucune réfutation ou correction dans le processus de déroulement du discours, mais seulement en réponse à la production textuelle. L’écriture par nature, éloigne les gens des engagements sociaux immédiats : encourage la séparation. Permet un 30


engagement sans participation (Widdowson, 1989 : 248-9). De même que l’on ne peut parler de conversation sans faire de distinctions, nous ne pouvons pas, pour ce qui nous occupe, parler de l’écriture comme un tout homogène. Si l’on considère les différentes modalités de conversation, il est évident que l’atténuation sera plus présente dans la conversation familière. Quant aux différentes modalités d’écriture, l’atténuation sera plus présente dans celles qui s’approchent davantage de la conversation familière. L’écriture : le genre épistolaire Les lettres personnelles, malgré le fait de ne pas partager avec la conversation familière le trait fondamental de base du face à face, ont d’autres points commun qui les rapprochent, en certains sens, de ce type de conversation. Les lettres personnelles s’écrivent sans trop de planification et leur ton peut être considéré comme informel. Par analogie, on rencontre dans ce type d’écriture certains des traits même du langage parlé. La « relation d’égalité entre les interlocuteurs » et la «relation de vie de proximité » peuvent être analogues avec celles qui existent entre l’auteur et le destinataire. De même la thématique des lettres sera non spécialisée. Justement parce que celui qui écrit souhaite maintenir la conversation avec son destinataire, dans une lettre personnelle, l’auteur s’efforce de recréer le contexte de son écriture, de la manière la plus objective possible et dans le but de le communiquer à son lecteur. Il cherche à recréer la situation de face à face, il cherche à abolir la distance. Mais, inévitablement dans les lettres, le contrôle de l’interlocuteur se perd. L’auteur ne peut pas le faire (comme dans la conversation) complice de ses dires. Il ne peut pas l’amener à dire ce qu’il a envie d’écouter. Il n’y a pas de tour de parole, pour, successivement lui voler la parole jusqu’à obtenir un ‘consensus’. Pour écrire, chacun choisit la circonstance et l’interlocuteur est obligé d’écouter silencieusement jusqu’à ce que celui qui parle (écrit) décide d’avoir fini. Et la réponse ? Est-ce que l’on répond réellement à une lettre comme l’on répond à une question ? Il ne fait pas de doute que non. Répondre à une lettre, c’est tout simplement écrire une autre lettre. L’auteur solitaire n’a pas comme référence le contexte de son interlocuteur mais plutôt le sien propre. Il dialogue, non pas avec l’autre, mais bien avec lui-même. Les lettres personnelles peuvent être, dans ce sens, implacables. Celui qui s’affronte à la page blanche s’affronte à un exercice d’autoréférence. A notre époque, le téléphone, le fax et le télégramme nous permettent de garder le contact avec l’interlocuteur absent sans pour autant nous exposer à l’introspection. C’est aussi souvent un révélateur infaillible de l’état d’âme dans lequel se trouve 31


l’écrivant. Dans les lettres, d’un côté celui qui écrit se sent libre de s’étendre, du fait qu’il n’est pas en présence, toujours déterminante, de l’interlocuteur. Mais d’un autre, il doit faire face à la restriction du langage qu’il a internalisé depuis tout petit. C’est pour cela que les lettres laissent souvent à découvert les sentiments et les états d’âme. Mais la lutte de celui qui se livre ainsi, contre son propre langage, apparaît clairement, précisément dans les manifestations d’atténuation : Tú sabes cómo es la cosa, hay una parte de uno (de mí), nacida para traicionarme, para desacreditarme (tu sais comment sont les choses, il y a une partie de nous (de moi) née pour me trahir me discréditer) (Lettre de 1992, femme de 25 ans). Tú sabes cómo es la cosa (tu sais comment sont les choses) annonce au lecteur quelque chose d’indéfini, la chose dont on va lui parler . Par ailleurs ça implique le lecteur dans la connaissance de ce dont il va lui parler. Dans un premier temps, la femme évite, atténue son je en le substituant au pronom indéfini uno [nous, de généralité dans ce cas, N.d.T]. Mais immédiatement ensuite, elle réagit face à l’impossibilité de généraliser ce cas bien particulier et, entre parenthèses, récupère son yo (je). L’écriture : le genre littéraire Pour pouvoir parler d’atténuation dans l’écriture, il nous faut distinguer au moins deux types d’écrivants : celui qui assume son identité et celui qui la dissimule ou la masque. L’écrivain de littérature fait partie de cette deuxième catégorie. L’écrivain a un rôle irresponsable. Il n’écrit pas en tant que personne ou depuis une position, mais comme figure (masque ou personnage) : transfiguration temporelle de la personnalité. Les pensées, perceptions et sentiments exprimés dans un poème lyrique (par exemple) n’ont ainsi, aucun responsabilité : on ne peut pas les renvoyer à l’auteur, on ne peut pas les mettre en doute, car on ne peut pas convenir de critères pour établir leur véracité ou leur justification. Il n’y a aucune raison de faire appel au principe de coopération, qui renseigne la pratique communicative normale, par laquelle, on suppose que ce qui est dit se justifie par les faits, ou vaut par rapport aux implications contextuelles basées sur une réalité ordonnée selon des conventions (Widdowson, 1989 : 253). Si celui qui écrit, a décidé de se dissimiler derrière un masque, de transfigurer temporellement sa personnalité, s’il n’affirme pas ; s’il ne peut mentir, il ne peut pas non plus atténuer. Nous avons dit que, la négociation, sans encore en spécifier les formes, est le mode 32


le plus élémentaire d’atténuation. Il est évident qu’il ne peut y avoir négociation s’il n’y a personne pour soutenir un texte. Dans la littérature, on pourra voir comment se manifeste l’atténuation entre les différents personnages. Cela en effet, peut rendre compte d’un procédé qui transcende l’écrit, à moins qu’un lapsus de l’auteur, lui fasse oublier que son « rôle irresponsable » le protège, qu’il peut mettre dans la bouche de ses personnages n’importe quel mot, et donc, l’espace d’un instant, apparaisse à visage découvert face à nous. On pourrait dire que le degré de proximité entre les acteurs d’une interaction communicative est directement proportionnel au degré auquel leur image sociale se voit exposée. Pour sa part, la fonction de l’atténuation est de contribuer à préserver cette image. Ainsi, on peut supposer, que le degré d’exposition de l’image sociale dans une situation de communication sera proportionnel au degré de présence de l’atténuation. L’interaction communicative qui rapproche le plus ses participants est la conversation familière. Il va de soi qu’en se référant à une conversation familière nous avons fait référence non seulement au canal mais, en plus, aux types d’interlocuteurs et aux thèmes abordés. Nous ne pouvons pas établir une frontière entre un élément et un autre, tous interagissent et ensemble forment la situation communicative. 2. Dernières considérations sur le concept d’atténuation L’atténuation a été peu étudiée comme catégorie en elle-même. Nous l’avons étudiée en relation avec les éléments qui forment la situation de communication. Nous allons voir maintenant comment les allusions que certains auteurs y font peuvent contribuer à justifier notre point de vue. Comme nous avons eu l’occasion de le voir, l’atténuation n’est pas l’apanage de la conversation. Cependant, du fait de ses caractéristiques, c’est en elle qu’elle se manifeste en priorité. Les auteurs que nous passons en revue insistent sur la nécessité d’atténuer : la dureté du présent, une communication ingrate, une question délicate, un ordre (l’impératif), une critique à l’interlocuteur : La dureté du présent L’imparfait de politesse, atténue la dureté du présent. Bueno, yo venía a hablarte de un asunto de importancia (Bon, je venais t’entretenir d’un sujet d’importance) (Alcina & Blecua, 1975 : 789). 33


Cette atténuation pourrait être obtenue en utilisant le futur : A la deuxième personne (usted) avec un ton interrogatif, ce futur du moment présent adoucit la même construction au présent. Il est dit : futur de politesse. ¿Y no me dirá usted cómo se llama para que yo conserve mejor su recuerdo? (Et vous ne me direz pas comment vous vous appelez pour que je me souvienne mieux de vous ?) (Alcina/Blecua, 1975 : 800). Une communication ingrate La conséquence désagréable qu’une communication ingrate peut avoir sur l’interlocuteur, est atténuée par des procédés variables (Beinhauer, 1991 : 179). Une question délicate Pour atténuer le désagrément que pourrait causer à un interlocuteur une question un peu délicate, l’émetteur lui demande la permission de la formuler, alors même qu’il l’a déjà posée. La question formulée n’est considérée valide, que si elle ne gêne pas le récepteur. ¿ Y de qué se trata, si no es indiscreción ? (Et de quoi ça parle, si ce n’est pas indiscret ? sous-entendu de te le demander). ¿Y quién era ese hombre, si puede saberse ? (Et peut-on savoir qui était cet homme ?) Autres variantes : si es lícito preguntarlo ; si me permite la pregunta ; dispensando la pregunta ; no tome a mal que se lo pregunte ; si no es mucho preguntar (s’il est permis de demander ; si vous me permettez la question ; en m’excusant de la question ; ne prenez pas mal la question ; si ce n’est pas trop demander (dans les deux sens du terme). Ici entre également la formule ¿se puede ? (on peut ?), avec laquelle on demande souvent la permission d’entrer dans une pièce depuis la porte et avant le ¡adelante! (entrez !) de celui qui est à l’intérieur (Beinhauer, 1991 : 181). Un ordre : l’impératif L’exhortation est un ordre atténué, un ordre sans la crudité de l’impératif, lequel s’emploie seulement lorsque nous nous adressons à quelqu’un que nous considérons égal ou inférieur en autorité et pouvoir. C’est un ordre qui en même temps contient une requête, il s’exprime ainsi au présent du subjonctif (Real Academia Española, 1986 : 361). Une critique de l’interlocuteur Si l’apposition placée devant la phrase sert à prévenir ; celle qui est placée à la fin de la phrase produit l’effet atténuant : une fois la chose dite, le locuteur ajoute

34


un commentaire pour devancer une critique éventuelle de son interlocuteur. (MP 32 Horacio, à Pipo et Celso) : ¿Tomé yo mal aquello! Chiquillerías de hombre, tal vez.(je l’ai mal pris moi ! Des enfantillages d’homme peut-être), l’apposition anticipe ici l’idée ‘¡ mira que tomarlo a mal !, ¡que tontería !’ (quel idiot de le prendre mal, quelle bêtise) et cet ’auto-reproche’ désarme l’interlocuteur (Beinhauer, 1991 : 181) D’autre part, les auteurs considèrent les diminutifs et le mode subjonctif comme des éléments susceptibles d’atténuer ce qui est dit : Les diminutifs Parfois, les suffixes diminutifs, surtout ceux ajoutés à des adjectifs ou à des adverbes, peuvent également faire fonction d’atténuant. Ya sabes que es algo envidiosillo (tu sais bien qu’il est un peu envieux) (cela atténue ce qui en réalité signifie : es de lo más envidioso (il est très envieux) (Beinhauer, 1991 : 183) Le mode subjonctif Dans les phrases indépendantes qui contiennent certains adverbes exprimant le doute, le verbe peut-être au subjonctif ou à l’indicatif, selon le caractère plus ou moins prononcé du doute que celui qui s’exprime veut donner à son expression. Comparez les phrases : Acaso viajemos juntos y acaso viajaremos juntos (peut-être que nous voyageons ensemble et peut-être que nous voyagerons ensemble) ; Quizá lo sepas y quizá lo sabes (il se peut que tu le saches et peut-être que tu le sais) ; Tal vez se hayan ido y Tal vez se han ido (il se peut qu’ils soient partis et ils sont peut-être partis). Au subjonctif, le doute s’intensifie, avec l’indicatif, il s’atténue (Real Academia Española, 1986 : 456). On peut dire Quizá nos equivoquemos o quizá nos equivocamos (il se peut que l’on se trompe ou on se trompe peut-être) selon que les hésitations du doute soient ressentis comme plus ou moins intenses ou atténuées (Real Academia Española, 1986 : 455). La Real Academia Española, dans l’édition de son dictionnaire de 1992, nous propose la définition suivante de l’atténuation : Du latin attenuatio, –onis f. Action et effet de atténuer// 2 Réthor. Figure qui consiste à ne pas exprimer tout ce qui veut être donné à entendre, sans que pour autant l’intention de celui qui parle ne cesse d’être bien comprise. Se forme généralement en niant le contraire de ce que l’on veut affirmer : no soy tan insensato (je ne suis pas si ridicule).

35


Dans ce travail nous nous sommes proposés de systématiser ces éléments et de donner une explication cohérente au phénomène de l’atténuation.

36


III. L’atténuation dans l’espagnol du Chili

1. Deux modes de centre-locuteur : le locuteur chilien et le locuteur espagnol L’Espagnol est plus direct, il ne fait pas de détours. L’Espagnol est moins courtois. L’Espagnol parle presque en criant. Il arrive que lorsque des Espagnols discutent on ait la sensation qu’ils se disputent. L’Espagnol est plus égocentrique. Les Chiliens et une grande partie des hispano-américains qui sont venus en Espagne sont d’accord avec ce type de jugement. Haverkate, comparant les Espagnols aux Hollandais, attire l’attention sur ce fait qui génère des malentendus et s’étonne du peu d’attention qu’il en est fait dans l’enseignement des langues étrangères : Il n’est pas rare que dans le contexte d’actes quotidiens, les interactions des Espagnols, paraissent impolies aux Hollandais [ainsi qu’à beaucoup de latino-américains], alors que pour les Espagnols, les réponses verbales préférées dans la culture hollandaise, leur donnent l’impression d’être exagérées ou superflues (Haverkate, 1994 : 95). Bon nombre d’expressions linguistiques ―tout comme beaucoup d’attitudes des Espagnols― paraissent choquantes et même agressives aux yeux des Latino-américains qui viennent pour la première fois en Espagne. Savoir que ce n’est pas le cas ―puisqu’elles n’ont pas été prononcées dans cette intention et puisque entre interlocuteurs Espagnols elles ne produisent pas cet effet― est d’une importance vitale si nous considérons qu’en parlant l’homme cherche à préserver sa propre image et à ménager celle de son interlocuteur. Tant que le Latino-américain se sent agressé par les interlocuteurs péninsulaires, il 37


ne pourra pas évoluer librement en Espagne et en toute certitude, émettra des jugements erronés sur les Espagnols et leurs intentions : D’après le témoignage d’une Chilienne de 28 ans : En Espagne il y a como una cuestión (comme un truc) plus direct avec le langage. Ponte tú (vois tu) quand j appelais pour demander, je voudrais parler au directeur artistique, qué se yo (j’sais pas), je ne disais pas : hola buenas tardes, mira soy tal que quiere hablar (salut bonjour, voilà je suis un tel et je voudrais parler). Non : « salut, le directeur artistique, s’il vous plaît (…) voilà, je suis graphiste et je voudrais te montrer mon travail ». Souvent même j’économisais même le ‘s’il te plaît ‘. Et on me répondait : « appelle-moi à telle heure, tel jour ». Ca…au Chili…ce sont des heures de palabres. C’est-à-dire : « hola con quién hablo,

quiero mostrar tal … » (bonjour, qui est à l’appareil, je voudrais montrer ce…) Et ils te disent : «pero tú ¿que haces ? ¿qué has hecho ? (mais toi, qu’est-ce que tu fais ? qu’est ce que tu as fait ?) Et ensuite ils te disent : « mira…voy a ver si mi agenda…¿Por qué no me llamas otro día ? » (écoute…je vais voir si mon agenda…Pourquoi tu ne me rappelles pas un autre jour ?) Ici, deux ou trois m’ont dit : « non, tu sais ça ne m’intéresse pas de voir le travail de qui que ce soit ; mon équipe est au complet .» Et tu leur disais : « ok, ciao. » C’est beaucoup plus clair, direct. O sea no te va in ninguna…es como llegar y decir (bref, tu te fais pas de film…c’est comme se poser et dire) : « bonjour, une bière. » Et on te l’apporte : pof. Au Chili c’est… « Oyé, ¿nos podi atender ?,

¿nos podi traer dos cervezas, por favor ? ». »¿ de cuál ? » « Mira, no sé…mm… » « Ya listos Gracias. » (Ohé, tu peux nous servir ?, tu peux nous apporter deux bières s’il te plaît ? Laquelle ? Ecoute, je ne sais pas, hummm… Voilà c’est ça, merci.) Ici il n’y aucun préambule. Tu arrives et tu demandes exactement ce que tu veux. C’est disons beaucoup plus clair. La personne qui s’exprime est graphiste et évoque la période pendant laquelle, tout juste arrivée en Espagne, elle cherchait du travail dans ce domaine, à Madrid. Notons comment elle ne peut s’empêcher, en faisant ces commentaires, d’utiliser elle-même une série d’atténuations. Une autre Chilienne écrit de Valladolid en mars 1994 : Me he acordado tanto de ti y de todo lo que me contaste en Chile de los españoles, sobre todo aquello de que hablan mucho y fuerte y tienen la tendencia a ventilar en público sus asuntos privados. Aquí basta ir a la tienda de la esquina para enterarse de que una señora tiene al niño enfermo, a la otra el marido no le habla desde ayer porque se ha enojado, la otra amaneció con dolor de cabeza y así. Son de una locuacidad agotadora. Esto se advierte [también] en la abundancia de muchas señoras avejentadas, envueltas en sus oscuras chaquetas de piel, de 38


rostro severo, seco, adusto. Están en todas las esquinas o en las puertas de las iglesias, siempre en grupitos, quejándose, contándose confidencias en voz alta, criticando las vidas de otros. Esto al menos es lo que yo imagino al verlas y creo no equivocarme. Yo he llamado a estas señoras ‘las hijas de Franco’, seguramente no soy la primera. El resto de la población son estudiantes, ellos se ven mucho más relajados y joviales. (Je me suis souvenue de toi et de tout ce que tu m’as raconté au Chili à propos des Espagnols, surtout du fait qu’ils parlent beaucoup et fort et qu’ils ont tendance à raconter publiquement leur vie privée. Ici, il suffit d’aller au magasin du coin de la rue pour apprendre que le fils de telle femme est malade, qu’à une autre, son mari ne lui parle plus depuis hier parce qu’il s’est fâché, une autre encore s’est réveillée avec un mal de tête et ainsi de suite. Ils sont d’un bavard épuisant. Ca se remarque (aussi) dans le nombre de femme vieillies, enveloppé dans leur veste de cuir, le visage sévère, sec, austère. Elles se tiennent à tous les coins de rue ou à la porte des églises, toujours en petit groupe, se plaignant, se faisant des confidences à voix haute, critiquant la vie des autres. C’est du moins ce que j’imagine en les voyant et je pense ne pas me tromper. J’ai baptisé ses dames ‘les filles de Franco’, sans doute ne suis-je pas la première. Le reste de la population ce sont des étudiants, eux ont l’air beaucoup plus décontractés et légers.) En relation avec notre volume de voix, le prix national de littérature, José Santos, González Vera, disait en 1963 : Le Chilien n’utilise pas toute sa voix et ne voudrait dire que le mot juste. Il a tendance à la synthèse, bien que souvent il n’y parvienne pas. Ce qu’il dit s’adresse à ses auditeurs immédiats. C’est exceptionnellement, sans que cela soit bien vu, qu’il parle au pays ou au continent (González Vera, 1963 : 126).

2. Atténuation et situation de communication En suivant le schéma de fonctionnement de l’atténuation que nous avons proposé dans la première partie de ce travail, nous allons donner maintenant quelques exemples du fonctionnement de l’atténuation au Chili. Par ailleurs, nous signalerons certaines différences entre l’usage de l’atténuation dans notre castillan et dans celui de l’espagnol d’Espagne 2.1. Distanciation de l’émetteur 2.1.1. Alternance du pronom personnel je avec le pronom on Au Chili on remarque le très fréquent usage de uno (on) comme atténuant qui se substitue au yo (je) du locuteur. Exemples : 39


Yo quisiera agradecer, primeramente, la invitación que se nos himzo para hablar sobre estos temas a los que uno no está acostumbrada por estar al otro lado de la barrera informativa. Quisiera decir, al empezar, que la motivación primera para ser periodista ―en mi caso― tiene que ver con una preocupación y una sensibilidad. Voy a hablar siempre

en primera persona, porque hablo por mí solamente. Es una sensibilidad que nace al ver el problema de un pueblo con el que uno crece y se desarrolla. Son golpes de corriente ver mujeres harapientas (...) y todos esos síntomas de pobreza que cuando una está chica y después de adolescente, golpean. Entonces hay una preocupación por un pueblo, que hace decir: esto me inquieta, yo quiero hacer algo que me permita meterme más adentro. Diría que el primer cambio que se produce con la dictadura es que uno se da cuenta que hay muchos riesgos, y el riesgo más serio es el de perder de vista la sensibilidad por los seres humanos, por lo que significa la importanciaque tiene cada ser humano. Yo diría que fue ahí cuando comencé a darme cuenta de este problema de que había muertos, de que había detenidos desaparecidos, de que había gente torturada, de que había gente, mucha gente, dañada, que no tenía expresión, que no tenía voz. Era un testimonio diario que se iba perdiendo, y lo primero que había que hacer era recoger ese tipo de testimonio y que era una preocupación por cada ser que estaba sufriendo un daño (...) Me acordé de mi experiencia en Vietnam: cuando poco estaba almorzando o comiendo y veías las noticias (...) era como que ya dejaba de ser algo impactante. Me empezó una tremenda angustia. Esto lo compartía mucho con mi amiga Patricia Verdugo: la angustia de no saber qué hacer realmente con esta profesión que uno tiene, que uno aprendió en tiempos de democracia, que busca la verdad, que uno sabe que hay riesgo, que quiere seguir, que quiere encontrarla, pero se enfrenta con una realidad distinta de repente (...) Y viene una época muy conflictiva para mí, en que yo creía que lo que estaba haciendo no era muy importante: porque, claro, uno publica problemas de tortura (...) De repente, uno se da cuenta que pueden pasar dos años y ya nadie se acuerda de aquellos dramas terribles (González, 1988: 92-94). (Je souhaiterais remercier, tout d’abord, l’invitation qui nous a été faites, pour parler de ces sujets auxquels on n’est pas habitué étant de l’autre côté de la barrière informatique. Je voudrais dire, que la motivation première à être journaliste ―dans mon cas― a à avoir avec un intérêt et une sensibilité. Je vais toujours parler à la première personne, parce que je parle pour moi seulement. C’est une sensibilité qui naît en voyant le problème d’un village dans lequel on grandit et on se développe. Ce sont des chocs de voir des femmes en haillons (…) et tous ces symptômes de la pauvreté qui quand on est petite puis adolescente frappent. Alors il existe une préoccupation pour un village qui fait dire : ça ne me laisse pas en paix, j’ai envie de faire quelque chose qui me permette de me glisser à l’intérieur. Je dirais que le premier changement qui a lieu avec la dictature est que l’ on se rend compte qu’il y a de gros risques et le risque majeur est de perdre de vue la sensibilité pour les êtres humains, pour ce que signifie l’importance de chaque être humain. Je dirais que c’est là que j’ai commencé à me rendre compte de ce problème du fait qu’il y avait des morts, qu’il y avait des disparus, qu’il y avait des gens torturés, qu’il y avait des gens, beaucoup

40


de gens, affectés, qui n’avait pas de moyens d‘expression, qui n’avaient pas de voix. C’était un témoignage quotidien qui se perdait, et la première chose qu ’il y avait à faire était de recueillir ce type de témoignage et que c’était un souci pour chaque être qui souffrait (…). Je me suis souvenue de mon expérience au Vietnam quand je déjeunais ou je mangeais et que tu voyais les informations (…) c’était comme si déjà ce n’était plus quelque chose de choquant. Il m’est venue une terrible angoisse. Je partageais cela avec mon amie Patricia Verdugo : l’angoisse de ne pas savoir que faire avec ce métier qu’ on a, qu’on a appris en démocratie, qui cherche la vérité, dont on connaît les risques, qu’on veut continuer, qu’on veut trouver, mais où l’on s’affronte à une réalité différente tout à coup (…) Alors apparaît une période de grands doutes pour moi, où je croyais que ce que je faisais n’était pas très important : parce que, bien sûr, on écrit sur les problèmes de la torture (…). Tout à coup, on se rend compte qu’il peut se passer deux ans et déjà, plus personne ne se souvient de ces drames terribles (González, 1988 : 92-94).) Dans l’extrait précédent, la journaliste González spécifie qu’elle va parler à titre personnel. Cependant ceci n’empêche pas qu’elle utilise de manière récurrente uno (on) à la place de yo (je) et une série de verbes impersonnels qui contribuent également au fait qu’elle n’assume pas pleinement la responsabilité de ses dires. Précisément, le fait qu’elle indique parler à titre personnel, confirme que l’usage du uno (on) se substitue au yo (je) attendu. Cela confirme également qu’elle fait s’accorder en genre una (on, féminin de uno) avec chica (petite fille) : cuando una está chica (quand on est petite). Le phénomène de l’accord est très général. Passons en revue d’autres exemples : Eran tiempos en que una sentía ―como joven― que la patria era un escenario ancho y desafiante (Narváez, 1988: 103). (C’étaient des périodes au cours desquelles una (on au féminin) sentait ―en tant que jeune― que la patrie était une vaste scène pleine de défis (Narváez, 1988 : 103). El cuore niente, ya comienzo a desesperar ; ¿por qué a una le cuesta tanto ? (Carta de 1992). (Rien côté cœur, je commence déjà a désespérer, pourquoi ça coûte tant ?) (Lettre de 1992)). Mis deseos en el fondo eran seguir estudiando, pero en un colegio en el cual una pueda conseguir el título (GIA, 1986, Vol. V: 540). (Mes souhaits au fond étaient de continuer à étudier, mais dans un établissement dans lequel una (on, au féminin) peut obtenir un diplôme (GIA, 1986, Vol.V : 540).) Kany (1969) observe que, bien que uno (on) se référant à la personne qui parle comme substitut au pronom je s’utilise dans tout le monde hispanique, il paraît plus fréquent en Amérique latine. Cependant, son explication du phénomène fait davantage référence à l’emphatisation qu’à l’atténuation. Nous considérons que l’idée de Kany sur ce point, pourrait être complétée. Nous n’écartons pas que dans certains cas, uno (on) donne de l’emphase au sujet de l’action

41


en se substituant à la construction réflexive avec se (se) ; cependant, souvent, il s’agit, de manière évidente, d’un recours d’atténuation qui déplace le yo (je) du locuteur. 2.1.2. Alternance du pronom personnel je avec celui de la deuxième personne du singulier ‘tu’ Au Chili, il est rare que la distanciation de l’émetteur, s’effectue au moyen du pronom tu. En revanche, en Espagne pour obtenir cet effet de déplacement, on utilise beaucoup plus souvent le pronom tu. 2.1.3. Phrases impersonnelles réfléchies Dans une étude sur les phrases impersonnelles dans le langage des gens de Santiago qui ont fait des études supérieures, Martínez (1991 : 1029-1037) signale que souvent celles-ci « manifestent une structure de signifiants actifs ». Il cite, entre autres, les exemples suivants extraits du quotidien El Mercurio du 21 mai 1989 : « 1. Ainsi les excès des uns, ne retombent pas sur les autres ; 2. Comme chacun le sait, ceci n’a duré même pas dix ans 3. Et quand il se fait que l’on pense trop à bien placer ses amis, il ne manque pas grand chose pour se dire que quitte à aider tant de gens, il est logique de penser à s’aider soi-même ; 4. Des doutes subsistent cependant sur l’opportunité que cet organisme reçoive une reconnaissance institutionnelle, qui l’incorpore au schéma institutionnel de la république et même éventuellement qu’il soit lié avec un caractère obligatoire à certains procédés d’élaboration législative » (Martínez, 1991 : 1034). La distance de l’émetteur s’obtient par la non spécificité du se (il impersonnel) 2.2. Distanciation du message : atténuation induite par le sujet traité 2.2.1. Ebauche de la société chilienne actuelle Pour pouvoir parler de l’atténuation dans notre pays, nous devons caractériser notre société. Nous avons dit, avec Berger et Luckmann, que la réalité est une construction sociale. Si nous parvenons à nous faire une idée des forces qui opèrent dans notre société, des valeurs qui en sont les piliers, nous aurons alors une piste qui nous permettra de reconnaître certains thèmes conflictuels ―les nœuds― des locuteurs chiliens et nous saurons où pourra se manifester l’atténuation. C’est dans cet objectif, que nous allons dessiner sommairement la société chilienne, en nous basant sur les études du psychologue Jorge Gissi et de l’anthropologue Sonia Montecino. Le psychologue Jorge Gissi (1989 : 58-59) montre comment race et pouvoir sont

42


imbriqués dans notre société : L’identité asphyxiée a induit chez nous un vouloir être ce que nous ne sommes pas. Les cultures néo-colonialistes sont élevées à l’inauthenticité depuis la naissance. On regarde aujourd’hui beaucoup vers les Etats-Unis et l’Europe et peu vers l’intérieur et vers les frères d’à côté. Le ‘caractère social’ latino américain continue à être ambivalent, bâtard, aliéné à divers degrés et de diverses façons. Lorsque les plus blancs et les plus riches, ne reconnaissent pas comme compatriotes légitimes, le noir, l’Indien ; l’Indien et le noir ne peuvent pas s’auto reconnaître citoyens légitimes. Ils restent ainsi comme des cultures subalternes, avec peu de possibilité de créer une culture alternative, c’est-à-dire de revendiquer et de légitimer leur identité. Ils se sentent honteux d’être noirs, mulâtres ou métisses, ils cachent les noms de famille et les origines familiales, ils ont honte aussi d’être pauvre, parce qu’on leur a enseigné que tout en eux est honteux (…) La honte est un auto rejet, un vouloir être ce qui n’est pas. L’identité est négative, l’image de soi-même est ‘niée’. La race est un instrument culturel important : Là où la nature le permettra, la physionomie distincte va être remarquées et célébrées de manière appropriée. (Barnes, 1990 : 133). Jorge Gissi et l’anthropologue Sonia Montecino, pour nommer deux spécialistes dans des domaines différents sont d’accord, pour affirmer l’urgence de notre pays et de l’Amérique entière, d’assumer son identité métisse. Gissi nous dit : Actuellement, les caractéristiques raciales continuent à être des symboles des caractéristiques sociales, économiques et psychologiques. En effet à cause de la discrimination, les blancs ont tendance à paraître puissants et riches, au moins relativement, et avec un niveaux d’étude plus élevée, ce dont ils tirent prestige social et haute image de soi. Les symboles de statut exigent et induisent que les plus blancs soient perçus comme « supérieurs » ou comme ‘meilleurs’, et que devant eux on ait des attitudes de déférence, admiration et/ou timidité (…) Etant donné que la supériorité socio-économique est réelle, ces attitudes et préjugés se confirment et se maintiennent confortant la bonne image d’eux-mêmes des blancs. Les noirs, les Indiens et tous les métisses, par contre, apparaissent carencé, comme en infériorité sur tous les plans : économique, social, parce que leurs caractéristiques physiques (raciales) sont pour eux négatives devenant sources de stigmatisation. Par contre, être blanc et blond ou avoir les yeux clairs est un symbole de statut positif (1989 : 62).

43


Par rapport aux Indiens, on en est même venu à douter jusqu’au fait même qu’ils aient une âme. On les considère comme barbares. On leur attribue, et on continue à le faire, beaucoup de traits négatifs : paresseux, ivrogne, voleur, peu sûr d’eux mêmes. De son côté, Sonia Montencino (1991) afin de répondre à la question urgente de notre origine, de notre identité, nous parle du métissage vu par les historiens. L’auteur passe en revue la pensée de Francisco Encina, de Jaime Eyzaguirre et de Nicolás Palacios. Ici nous nous limiterons à mentionner celle d’Encina. Encina considère la race espagnole « supérieure » à l’indigène. Le métissage, produit du mélange entre ces deux races « manque des vertus des ‘vieilles races’occidentales ». La strate indigène a fait ‘rétrograder’ le ‘sang espagnol’. Et ceci a son corrélat au niveau de la structure sociale : les plus blancs sont au sommet de la pyramide et les plus indiens appartiennent au ‘bas-fonds social’ (terme de l’historien). Ainsi, selon Montecino, Encina voit en la colonisation un processus de dépassement de la barbarie vers la civilisation. Selon cet historien, l’unité du peuple chilien se fait par le ‘blanchiment’, dans la zone centrale de notre pays. Le Nord aussi bien que le Sud continuant à être « les lieux de refuges des Indiens » : Le métis chilien est un Européen, et quand advient la République, il n’est même plus besoin de le nommer comme tel, c’est simplement un ‘blanc’ chilien qui, influencé par les basques, contribue à l’unité de sa nation (…) [En revanche], toutes les caractéristiques du métis,‘chargé de sang indien’, prévaudront dans le peuple. Dans le monde populaire, urbain et rural, ses attributs s’encrent : l’ivrognerie, la paresse, la dépense, les ‘basses passions’ et resteront relégués aux pauvres de la campagne et de la ville. (Montecino, 1991 : 125). Le métis, pour Encina, n’a aucune influence dans la fondation de la nationalité.

Voyons quelques extraits de l’historien Encina lui-même se référant aux indiens, en général, et aux araucariens en particulier : Ici, il suffit juste de rendre compte des [coutûmes] qui ont le plus profondément influencé la psychologie de la nouvelle race qui a surgi du croisement de l’Espagnol avec l’Aborigène. Comme presque tous les peuples de même niveau de développement social, l’Araucanien s’alimentaient de manière très irrégulière. Il supportait la faim lors des guerres et le manque avec le même stoïcisme que celui qu’il affichait face à la douleur physique. En revanche lorsqu’il pouvait le faire au dépens des autres, ‘il mangeait de manière si extrême qu’il forçait l’admiration de celui qui le voyait faire’. Récit de Núñez de Pineda et Bascuñán ; qui, en voyage avec dix ou douze mapuches prirent du troupeau de quelqu’un, chacun un mouton pour manger sur le champs ; et que leur ayant fait remarquer que avec trois ou quatre têtes, il y en aurait eu pour chacun, ils leur répondirent 44


‘ que chacun d’eux aurait pu manger plus de deux moutons’. Et ajoute qu’au réveil le lendemain, il cherchait un morceau de viande et a eu la surprise de constater que, effectivement, ils avaient dévoré les dix moutons, ce qui en faisait un par tête (Encina, non daté : 76) Encina parle au nom de la vérité. Son discours est‘objectif’et ne laisse aucune place au doute. Les jugements qu’il émet sont apodictiques et sans appels. Son discours manque de toutes sortes d’atténuations, surtout dans son jugement envers les indigènes. Revenons un moment à Montecino : Personne n’a envie d’être métis et encore moins du peuple. Métisse c’est avoir du sang indigène, venir du peuple c’est être pauvre, faire partie du ‘bas-fonds social’. Métis et peuple font allusion à une réalité qui doit être cachée, couverte par cette ‘unité nationale’, par le ‘blanchissement’ que propose Encina : métis oui, dans certains lieux reculés de notre histoire, mais aujourd’hui, civilisés, modernes, européens. Nous les Chiliens, sommes ‘les Anglais d’Amérique-latine’ (Montecino, 1991 : 27). Voyons comment dans certains jugements des témoins du Habla culta de Santiago (Rabanales 1979 et 1990) apparaissait, encore aujourd’hui, ces dévalorisations de l’indigène, du métis et de la pauvreté. Propos d’une femme de 48 ans : Ahora está tan lejos [el aeropuerto de] Pudahuel que a nosotros va a tener que quitársenos un poco lo indio de ir a dejar, ir a buscar a cuanto familiar sale o llega, porque ya uno pierde más el tiempo en el camino de aquí a Pudahuel que en la espera de que llegue el avión, lo que sea... (Maintenant c’est tellement loin [ l’aéroport de Pudahuel] qu’il va falloir que l’on perde un peu l’indien d’aller amener et chercher nos proches qui partent ou reviennent, parce que on perd déjà plus de temps pour aller d’ici à Pudahuel qu’à attendre l’arrivée de l’avion, ou autre…) (Rabanales, 1990 : 232-233). On remarque le caractère péjoratif de indien. On observe aussi comment celle qui parle est consciente de la connotation et atténue indien en utilisant un poco (un peu). D’autre part, la femme atténue son propre je, en le faisant extensif grâce au pronom personnel uno (on). Une témoin de 38 ans évoque la possibilité que se construise une piscine communautaire dans son quartier : Mujer: Tampoco me gustaría que mi niñita fuera a escuchar a los niñitos que van a venir seguramente de otras poblaciones que no… no son muy buenas ¿ves?, y que pueden

45


tener ... eh ... tuberculosos (...) pueden usar garabatos, pueden, qué sé yo, hacer cien mil cosas. Entonces, me pueden tachar de clasista, sin ser clasista yo ¿mm?, pero considero que estamos juntos pero no revueltos ¿no es cierto? Enc: Justamente. Mujer: Yo no ... no me considero ... Por lo menos, mi primer deber en la vida como ... como mujer, es ver el futuro de mis hijas. Pretendo que conozcan todo, a toda la vi ... toda la vida como es, con todas sus cosas buenas y malas, y a toda la gente. Pero de ahí a verlas que, de repente anden ... qué sé yo, con piojos (por decirte una cosa bien vulgar) [negritas y cursivas nuestras] no lo aceptaría. Estaría faltando a mi deber de madre ¿verdad?, que es lo primero. Enc: Claro. Mujer: Entonces, simplemente, para mí, la idea de la piscina de la esquina, no es totalmente aceptable. ¿Por qué? Porque me encantaría que los niños de la villa y otros niños (muchos que no son de la villa, pero que andan limpiecitos) pudieran tener una piscina, pero no que vengan otros niñitos que traen, como te digo, enfermedadesy costumbres que no son nuestras. Entonces, si yo voy a exponer estas ideas en una Junta de Vecinos, seguramente me van a decir ‘la momia’ (reaccionaria), me van a decir ‘clasista’, ‘que se cree la muerte’ (se cree lo mejor), ‘que ella no es nadie’ y cosas que me van a picar (a molestar). (Rabanales, 1979 : 159). (Femme : j’aimerais pas non plus que ma petite aille écouter les gamins qui vont sûrement venir des autres cités qui ne sont pas…sont pas très bien, tu vois ? et qui pourraient avoir…heu…la tuberculose (…), dire des gros mots, peuvent, je sais pas moi, faire pleins de trucs. Alors vous pouvez me taxer de classiste, pas que je sois classiste moi, hein ?, mais je considère que nous sommes ensemble mais pas mélangés , pas vrai ? Interviewer : Justement. La femme : Moi non…je ne me considère…Au moins, mon premier devoir dans la vie comme…comme femme, c’est de penser au futur de mes enfants. Je suis d’accord pour qu’elles connaissent tout, toute la v…toute la vie comme elle est, avec tous ses bon côtés et ses mauvais, et tous types de gens. Mais de là à les voir tout à coup…je sais pas moi, avec des poux (pour te dire un truc bien vulgaire) je suis pas d’accord. Ce serait manquer à mon devoir de mère, pas vrai ? Qui est mon premier devoir. Int : Bien sûr. La femme : Alors, tout simplement pour moi, l’idée de la piscine du coin n’est pas totalement acceptable. Pourquoi ? parce que je serai ravie que les gosses de la cité et d’autres gamins (beaucoup qui ne sont pas de la cité mais qui sont tout bien propres) puissent avoir une piscine, mais que n’y viennent pas d’autres gosses qui trimballent comme je te l’ai dit des maladies et des habitudes qui ne sont pas les nôtres. Alors si je vais exprimer ces idées à un conseil de quartier à tous les cousp ils vont me traiter de ‘momio’ (réactionnaire), ils vont me traiter de ‘classiste’, ‘qu’ elle se croit la mort’ (elle se prend pas pour n’importe qui), ‘que 46


c’est une rien du tout’ et des trucs qui vont me toucher’ (m’embêter)) Reprenons la citation. Dans le premier paragraphe, la mère est réticente à ce que sa fille écoute parler des enfants des quartiers pauvres. Ceci révèle l’importance du langage comme marqueur de classe sociale, comme instrument de pouvoir. Les cités ne sont pas très bien équivaut à les cités sont mauvaises. La témoin (tém) sait que le thème qu’elle aborde est conflictuel et cherche à mitiger, atténuer ses jugements. Elle sait que l’on va la taxer de classiste et n’accepte pas de l’être : Alors vous pouvez me taxer de classiste, pas que je sois classiste moi, hein ? La témoin (tém) essaie de faire l’interviewer (Int) complice de son opinion : tu

vois ? c’est pas vrai ? Sa peur d’être étiquetée classiste se voit réaffirmée par les derniers mots de la citation : Alors si je vais exprimer ces idées à un conseil de quartier à tous les coups ils vont me traiter de ‘momio’ (réactionnaire), ils vont me traiter de ‘classiste’, ‘qu’ elle se croit la mort’ (elle se prend pas pour n’importe qui), ‘que c’est une rien du tout’ et des trucs qui vont me toucher’ (m’embêter). Après tout ce qui a été dit, il est évident que ce n’est pas totalement acceptable [la piscine communautaire] équivaut à c’est inacceptable. Le classisme de cette femme « typique de la classe moyenne » (comme elle s’autodéfinit) est malgré sa volonté de le cacher, évident. Sa manière d’évaluer les pauvres est disqualifiante et chargée de préjugés et d’idées que l’on aurait pu imaginer enterrés au vingtième siècle : [Les enfants] pourraient avoir… Heu… la tuberculose (…), dire des gros mots, pourraient, je sais pas moi, faire pleins de trucs. [Ce sont des] gosses qui trimballent comme je te l’ai dit des maladies et des habitudes qui ne sont pas les nôtres (…) Nous sommes ensemble mais pas mélangés, pas vrai ? (…) Je suis d’accord pour que [mes filles] connaissent tout. Mais de là à les voir tout à coup avec des poux (pour te dire un truc bien vulgaire) je suis pas d’accord. Auparavant, pour se libérer de toute culpabilité et pour montrer qu’elle est dans le vrai, notre interlocutrice généralisera ses principes à ceux de l’humanité entière, les considérants intrinsèques à notre condition humaine : Ce sont des valeurs intrinsèques directement, c’est l’essence même de l’être humain, c’est comme l’instinct, l’amour des tiens de tes enfants surtout. Alors tu ne vas pas avoir… je crois que c’est impossible, ce serait changer radicalement la… la… l’essence de l’être humain, prétendre qu’on va penser d’abord aux autres et jusqu’à sacrifier ses enfants. Moi, jamais de la vie (Rabanales, 1979 : 160).

47


Un architecte de 45 ans (Rabanales,1990 : 259) nous dit : Dans les cités [quartiers périphériques de Santiago], c’est effrayant de voir comment les enfants déambulent parce que ceux des beaux quartiers [quartier des classes aisées] ont encore l’habitude de se laver. Ceux…ceux des cités n’en ont aucune (…). Ils sont habillés comme des singes et… et… et sales ; pire que des singes. Une femme de 64 ans évoquant une bague perdue, ne peut s’empêcher de penser à sa femme de ménage : Je ne l’avais pas. Et je me souviens que je la laissais toujours sur la table de nuit hein ? je ne me la suis pas mise, donc : Elle sera passée où cette bague ?’ J’avais deux théories : ou bien la nouvelle femme de ménage, que tu vois à moitié empotée a dû la pousser en faisant la pièce ou bien les petits-enfants me l’ont prise. (Rabanales 1990 : 262). Ici l’atténuant à moitié cherche à mitiger empotée et avec le que tu vois, la femme veut que son interlocuteur lui donne raison et partage avec elle la responsabilité du qualificatif négatif qu’elle fera de son employée. Dans l’échantillon 44, deux femmes, l’une de 37 ans et l’autre de 42 ans évoquent un possible voyage : A : Et là, ils louent… ils louent des chambres, mais il faut pas avoir peur du rustique, car ce sont des maisons de pêcheurs. B : Non ; je préfère... No ; si je… .J’ai fait beaucoup de camping, c’est-à-dire que le… je préfère une tente disons, hein ? A : Ah alors toi, tu préfères vivre en tente ? B : … N’importe comment, un sac de couchage plutôt qu’une mauvaise pièce, disons (Rabanales, 1990 : 291). Atténuations et dubitations dans la première intervention de B révèlent ses difficultés à reconnaître qu’elle ne veut pas dormir dans la maison des pêcheurs. Faire les choses à la chilienne, c’est les faire mal : A : Je me suis rendu compte [dit un architecte de 56 ans], que dans notre mi…milieu, il existe ―disons― des pièces [de théâtre], extraordinairement ben montées, n’est-ce pas ? et d’autres, qui à dire vrai, on les fait un peu à la chilienne, hein ? B : Tout à fait, tout à fait. A : Avec un peu de bonne volonté, avec beaucoup d’enthousiasme, pas vrai ?

48


B : C’est sûr. A : …mais sans aller, à mon avis, jusqu’au perfectionnement qui existe quand il y a les moyens de faire une oeuvre scénique, ou plutôt réaliser une oeuvre scénique, dans les règles de l’art (Rabanales, 1990 : 456). Par contre, selon une femme médecin de 44 ans (Rabanales, 1990 : 394 et 398), un pays très européen est un pays qui fonctionne très bien et une belle réception est comparable à une fête européenne : Je ne vais pas te nommer des pays en particulier pour pouvoir… heu… te raconter quelques anecdotes curieuses. Heu…on a été tout d’abord dans un pays d’Amérique centrale. C’est peut-être le pays le ...heu…plus intéressant d’Amérique, le plus stable politiquement et différent des autres pays d’Amérique centrale. Heu… c’est un pays très européen. Bon, en fin de… compte tout ce qui paraissait un martyr, a fini en grande… heu réception dans les salons du théâtre, qui en fait donnait l’impression d’une fête européenne : champagne français, pour tous le public, qui était nombreux à cette heure et un cocktail haut de gamme. En fait pour tout ce qui est des… réceptions sociales, ils ne pouvaient pas faire mieux. Ils ont dépensé beaucoup et ont été très bien organisés et très attentifs à tout. Les occasions privilégiées où se manifeste l’atténuation sont, nous l’avons dit, celles où pour un motif quelconque, se crée un conflit et le langage devient opaque. C’est pour cela que souvent, les termes qui font référence à l’aspect stigmatisant de notre race apparaissent atténués dans les énoncés de notre castillan. Autre démonstration de la valorisation positive de l’Européen et de la dépréciation du national, se trouve dans les extraits suivants où les journalistes Romero et Torres nous parlent « Des attributs de don Simón [Bolivar] » : Aristocrate, grand propriétaire terrien, riche, blanc, élevé en Europe, il aurait pu se faire une vie facile et briller en société, mais il a préféré libérer non seulement sa patrie, mais tout le continent sud américain, et en faire une seule puissance. Deux siècle plus tard, un petit barbouilleur lui donne la récompense du Chili, en faisant son portrait en métis à poitrine et au doigt dressé en un geste qu’il est inutile de qualifier. Méritait-il Simon Bolivar, le libérateur de l’Amérique, un si mauvais traitement ? Que gagnent l’art et l’humanité à cette peinture grotesque et blessante que personne n’osera accrocher dans aucune maison qui se respecte ? (…) il n’y a plus de fleurs ni de couchers du soleil à peindre, par hasard ? Peut-on sous le titre de modernisme tolérer tous types d’atrocités qui blessent jusqu’à l’armée qui nous a même permis de nous libérer du communisme ? Une fois commise la barbarie, heureusement il y eut des personnes pour réagir comme il se doit en faveur d’un fils bien né de ce continent. C’est ainsi que l’on

49


a entendu Monsieur Gabriel Valdés Subercaseaux (...) les distingués membres d’une société bolivarienne dont la communauté ignorait l’existence et qui sans doute a dû voir grossir ses rangs après l’affront. Des gens au cœur et aux valeurs solides qui heureusement ont démasqué la défense de ces freluquets pseudo intellectuels qui, au nom de la liberté de la création artistique ont pris la défense de Dávila et de sa gracieuseté. Quand le lettré se met à faire le malin pour attirer la masse, il ne parvient qu’à la tromper et à la faire fuir (…) Si la culture consacrée, consolidée, qui mérite des hommages et des prébendes, est ignorée du peuple, que dire de celle qui est expérimentale, provocatrice, moderne ou quel que soit le nom qu’on lui donne. Underground l’appelle les‘coléricos’ (colériques) (Romero et Torres, 1995 : 41-42). L’actualité de cette œuvre, confirme que ces opinions n’appartiennent pas seulement au passé. Observons le manque d’atténuation dans les jugements de ces journalistes. Le diminutif dans pintorcillo (petit peintre) est ici péjoratif. C’est la classe dominante qui établit les critères de correction tant dans le langage que dans les attitudes, le vêtement et tout autre instrument culturel. Ainsi, les différences socio-économiques deviennent aussi, différences de valeurs. Le niveau des interlocuteurs déterminé avant tout par leurs différences de niveau socio-économique, est marqué par le langage. Nous ne nous adressons pas de la même façon à un interlocuteur de même niveau socio-économique que nous qu’à un de niveau supérieur ou inférieur au nôtre. Au Chili, en raison de la stratification sociale, la classe sociale dans laquelle un homme naît conditionne de manière radicale son langage. L’importance de la stratification sociale au Chili par rapport à l’Espagne apparaît dans de nombreux domaines. Dans le langage, bien sûr, mais aussi dans l’attitude des interlocuteurs, dans leur manière de s’habiller, dans les lieux qu’ils fréquentent et dans les activités qu’ils réalisent. Gumperz et Bennett considèrent que « la variation dialectique est fondamentalement une variation sociale ». La « diversité du langage » est directement liée au niveau de stratification sociale de la communauté étudiée : Dans les communautés où cette variété n’existe pas, ou bien est minime, on notera aussi que la stratification sociale est pratiquement insignifiante. (Gumperz & Bennett, 1980 : 112). Notre identité n’est rien d’autre que notre spécificité et notre frontière avec les autres. 50


Ce qui différencie une société stratifiée, d’une autre non stratifiée c’est précisément, la définition de autres. La question qui s’impose est : de qui cherchons nous à nous différencier ? Dans une société comme la nôtre la première question à laquelle nous devons répondre est, à quel groupe appartient chaque individu et desquels est-il exclu. Ainsi, tout se transforme en signal, tout marque cette différence. Le pouvoir d’achat est déterminant pour appartenir à un groupe ou à un autre. À meilleur pouvoir d’achat, meilleure possibilité d’accéder à des niveaux plus élevés d’études. Le langage se fait l’écho de cette différence interne de manière prépondérante comme l’instrument de pouvoir qu’il est. Dans notre pays, selon Gissi et Montecino, la mobilité sociale est minime. Il y a la chance, ou pas, d’être né dans « un berceau doré », et où l’on naît on reste. Cette importante stratification sociale mérite d’être expliquée d’un point de vue historique : Les créoles ―descendants des conquistadors― sont restés groupés, formant une classe. Et bon nombre d’entre eux marquent fortement leur distance sociale avec les gens qui étaient socialement plus bas, à l’origine, les peuples indigènes conquis. La base de la pyramide, qui auparavant était indienne, est dès lors une base populaire plus métissée et, dans certains pays, comme le nôtre, à moitié blanche. Actuellement, dans la société chilienne, c’est la classe dominante qui détermine et impose les usages normés et corrects et chaque couche cherche à gommer ses différences d’avec le niveau supérieur. Caricaturant, cela conduit à dessiner une société aliénée dans laquelle chacun veut être ou ressembler à celui qui est « au-dessus », ou les aspirations sont hors de portée de main. La réalité se construit socialement et ce sont ceux qui sont au sommet de la pyramide sociale ―ceux qui ont le pouvoir― qui déterminent ce que doivent être les usages normatifs du langage, de la manière de s’habiller, des attitudes, etc. Si nous poussons cette analyse dans ces derniers retranchements, il faut quitter le Chili qui en tant que pays forme la base d’une pyramide dont le sommet sont l’Europe et les Etats-Unis. C’est pour cela que, par certains aspects, ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide du Chili ne forgent pas leurs propres valeurs mais cherchent à imiter les Européens et les Nord-américains. Pour ce qui est du langage, notre norme castillane cherche à se reconnaître et à s’assimiler à la péninsule. Nous n’assumons pas notre différence et notre identité en tant que pays. En fin de compte, le Chilien prétend être Européen. Ceci est évident par le grand prestige qu’ont les noms de famille européens au Chili. 51


Une économiste de 46 ans cherche à expliquer à un médecin de 44 ans notre affinité avec le peuple allemand (Rabanales, 1979 : 257-259) Médecin : Je crois que la mentalité allemande n’a rien à voir avec la mentalité chilienne. Economiste : Mais regarde, et la mentalité des gens à Osorno, à Valdivia, à Temuco même, tout ça ? M : Ah oui mais c’est que là-bas il y a une énorme concentration de sang allemand ! E : Mais il y a aussi beaucoup de Chiliens, beaucoup...beaucoup d’indiens même, [L’interlocuteur distingue chilien et indien] et toi quand tu vas à Osorno et à Valdivia tu sens cette concentration qui n’est pas d’Allemands, tu vois ? mais des petits-enfants ou arrière petitsenfants d’Allemands, tu vois ? ; mais on se sent ni mal à l’aise ni bizarre, et ce sont les gens des plus agréables (…) Au bout du compte l’économiste dira : E : …là on entre dans une discussion beaucoup plus philosophique : l’affinité, ça te donne ou pas quelque chose en commun ? Pourquoi tu as des affinités avec un… avec… avec… avec un peuple, ou avec une race ou avec une personne ? Pourquoi es-tu réellement différent ? Ceci n’explique pas l’affinité ; il doit y avoir un…un ancêtre, quelque chose de commun. Et remarque qu’en grattant un peu n’oublie pas que les Espagnols de qui l’on descend dans notre grande majorité ont des racines germaniques par les wisigoths, bon du sang, ajouté aux maures et avec tous les…le celte enfin tous les anciens, mais ils ont beaucoup de mélange de sang germanique aussi. Le langage joue ici un rôle fondamental : la norme des gens cultivés s’impose comme la correcte et on lui attribue une valeur spécifique. En faisant ce portrait de notre société, on distingue trois moments historiques remarquablement différents. Pour une part, les auteurs chiliens auxquels nous empruntons les idées, écrivent dans la décade des années 80 et 90 (l’anthropologue, Sonia Montencino, 1991 ; le psychologue Gissi, 1989 et 1990 ; le philosophe Humberto Giannini, 1988). Cependant, les exemples extraits du El habla culta de Santiago correspondent à la période de gouvernement de Salvador Allende. Les enregistrements ont été réalisés entre les années 1970 et 1972. Le gouvernement de l’Unité Populaire retourna les bases de la classe aisée la conduisant à se polariser radicalement. Les bourgeois (réactionnaires) se virent toucher dans leur essence la plus profonde et surgit d’eux tout leur classisme. Cependant, le fait que les écrits récents des auteurs précités distinguent des aspects similaires, nous alerte sur le fait que ces préjugés n’ont pas été éradiqués complètement de tous les secteurs de la classe 52


aisée. La société chilienne continue à être polarisée. Dans une situation de conflit, la classe aisée, se voit obligée à prendre conscience de sa nature profonde ―à la transférer dans le langage― et, même si souvent cela est gênant, ses jugements doivent être explicites car ils sont mis entre les lignes 2.2.2. Tabous et euphémismes Après avoir vu ce portrait de la société chilienne, il va être plus simple de contextualiser les exemples de ‘temas nudos’ (sujets nœuds) ou conflictuels que nous abordons maintenant. Comme l’indique Haverkate (1994), l’euphémisme paraphrase ou substitue par une métaphore un lexème ou une expression à connotation défavorable. Sa nécessité répond souvent à des conventions socioculturelles. C’est pour cela que les mots liés aux tabous que dès l’enfance nous apprenons à éviter, varient d’une culture à l’autre. Nous savons que l’espagnol d’Amérique est à bien des sens, plus euphémistique que celui d’Espagne. Lapesa (1988) observe que dans ce contient on fait souvent appel à l’euphémisme pour éviter d’exprimer des choses désagréables ou terribles. Ci-après, nous abordons une série d’euphémismes avec lesquels au Chili on fait allusion à ces sujets de manière plus tabou qu’en Espagne. En cela nous ne prétendons pas nier qu’il existe en Espagne d’autres formes, tout autant euphémistique de se référer aux mêmes sujets. Ce catalogue n’a pas la prétention d’être comparatif mais plutôt illustratif de ce qui se passe dans notre pays. Nous sommes conscients que certaines des formes que nous allons mentionner s’utilisent également dans l’espagnol péninsulaire mais leur fréquence d’utilisation est plus grande au Chili qu’en Espagne. a) Les fluides du corps Les fluides corporels son universellement l’objet de fort tabous. Menstruation On se réfère à la période menstruelle comme s’il s’agissait d’une maladie. Les expressions suivantes sont courantes : estoy enferma (je suis malade/j’ai mes règles), me enfermé (je suis tombé malade/j’ai eu mes règles), me toca enfermarme (c’est mon tour de tomber malade/il se trouve que j’ai mes règles), no me enfermo hace dos meses (je ne suis pas malade depuis deux mois/je n’ai pas eu mes règles depuis deux mois) etc.

53


Urine On évoque l’action d’uriner, dans le « parlé cultivé » du Chili à l’aide de périphrases et d’euphémismes. Il est fréquent de hacer pipí (faire pipi), me hago pipí (je me fais pipi dessus), querer pipí (avoir pipi) (en oubliant l’infinitif faire). Voyons l’extrait suivant : Je me suis faufilé dans le couloir obscur qui menait aux toilettes (…). La vérité, c’est que j’explosais. J’aurai dû y aller depuis un moment et encore j’aurai pu pisser en chemin, et je sais bien le plaisir qu’il y a à pisser dehors ; mais non, ce sont certaines disciplines que l’on s’impose, histoire d’aller plus vite. Dans ces toilettes inexplicablement grandes qui peut-être ont été un jour une salle de danse annexe, [au bar] peintes désormais d’un vert piscine criard, les carreaux du sol trempés par une eau douteuse qui coule des coins, il y a un individu jeune qui est à un urinoir depuis que je suis entré et qui continue à faire quand j’ai déjà terminé. Il est petit, mais il a une vessie de cheval, parce qu’il fait un bruit hors du commun. On aurait dit un jockey. Dans cette ville sûr qu’il n’y a pas d’hippodrome, mais lui il a la taille, l’humeur et l’épi sur le front des jockeys. Il portait des tennis à semelle de crêpes qui lui rajoutaient deux centimètres au moins. Nous n’étions pas à plus d’un mètre, deux urinoirs entre nous, et je m’aperçus que c’était le genre de type qui partage volontiers ses jets de pisses avec ses congénères d’un de ces coups d’œil animal en biais. (Contreras, 1991 : 1314). Dans l’épisode antérieur, Gonzalo Contreras, né en 1958, raconte la rencontre du personnage principal de son roman La ciudad anterior, un marchand d’armes, avec un homme dans les toilettes d’un restaurant. Chaque fois que l’écrivain se réfère à l’action d’uriner, il utilise mear (pisser) : j’aurai pu pisser en chemin, et je sais bien le plaisir qu’il y a à pisser dehors ; je m’aperçus que c’était le genre de type qui partage volontiers ses jets de pisse avec ses congénères. Ce verbe et ses répétitions semblent être au service de l’ambiance décadente que l’écrivain cherche à créer. Cependant, son peu d’habitude d’utiliser le mot l’amène à intercaler dans le même paragraphe la phrase suivante : il y a un individu jeune qui est à un urinoir depuis que je suis entré et qui continue à faire quand j’ai déjà terminé. Si l’on complète la périphrase verbale, le résultat sera : qui continue à faire pipi. Nous sommes persuadés que si Contreras avait eu conscience de cela, il aurait modifié cette phrase tellement dissonante dans ce contexte. Fèces Les expressions périphrasiques sont habituelles hacer caca (faire caca) et querer caca (vouloir (faire) caca). Entre femmes, il arrive d’entendre ¿ se te movió la guatita ? (tu as le ventre qui a remué ?). Un médecin peut demander à sa patiente : 54


¿obra regularmente ? (vous oeuvrez régulièrement ?) Les gros-mots me cago en (je chie à) : la hostia (l’hostie), la hostia bendita (l’hostie bénie), la Virgen (la Vierge), la puta Virgen (la pute Vierge), Dios (Dieu), propres à l’Espagne, ne s’utilisent pas dans le pays sud-américain. Comme négation emphatique au Chili, on utilise l’expression ni cagando (même pas en chiant/jamais de la vie). Ce qui se contracte euphémistiquement en nica. –¿ me prestarías un poco de plata ? (tu me prêterais un peu d’argent ?) –nica (jamais d’la’vie) Il existe cependant un usage familier non euphémistique du verbe cagar (chier) parmi les jeunes. On fait ici référence à l’expression la cagó (c’est chié). Elle sert à qualifier indifféremment quelque chose d’excellent, de détestable ou d’excessif : No te pierdas esta película, la cagó pa’ buena (ne loupe pas ce film il est à chier de bien) ; no se te ocurra ver esa pellicula, la cagó pa’ mala (n’ais pas la mauvaise idée de voir ce film, il est à chier) ; anoche, la cagó pa’ llover (hier soir il a fait un temps à chier/hier soir il a beaucoup plu). Un autre usage non euphémistique du verbe cagar (chier), également familier mais pas exclusif du parlé jeune, se trouve dans l’insulte la cagaste : la cagaste con no venir ayer (t’as merdé de pas venir hier). Même si le verbe ne s’utilise pas de manière euphémistique cette insulte admet une atténuation obtenue par la périphrase verbale au gérondif : la anduviste cagando con no venir ayer (tu as fait un tout petit peu chier à pas venir hier) Par ailleurs, en terme d’atténuation, il arrive que l’on substitue le verbe cagar (chier) par l’euphémistique embarrar (crotter) : La embarraste con no venir ayer (tu as merdé de ne pas venir hier) ; la anduviste embarrando con no venir ayer (tu as un peu merdé à pas venir hier). De la même façon, dejar la cagada (foutre la merde) s’atténue avec les euphémismes dejar la embarrada (merder), dejar la grande (laisser la grande), dejar la escoba (oublier le balai) et dejar la crema (laisser la crème). Sueur Au lieu de sueur, nous employons y compris dans la conversation familière le verbe transpirar (transpirer), plus savant que le premier : me lo transpiré todo en el partido (j’ai transpiré un maximum) pendant le match ; aquí huele a transpiración (ça sent la transpiration ici). b) Parties du corps : culs et nichons Le premier de ces mots, habituel en Espagne, est un tabou au Chili. Ses équivalents euphémistiques sont : poto, trasero (derrière), popis, pompi, traste (fesses) et popó (cucul). 55


L’expression péninsulaire ir de culo (aller de cul) ne s’utilise pas. Selon son sens les équivalents sont euphémistiques : ir de espaldas (dans un bus) (aller de dos/dans le sens inverse de la marche) et estar de cabeza (plongé dans une activité) (être à fond). Aux gafas de culos de vaso (lunettes cul de bouteille) espagnoles correspondent au Chili les antiojos poto’e botella (les lunettes fesse d’bouteille). D’autres part, potón(a) est la personnes qui a un gros postérieur . Quant au deuxième mot, à nouveau nous avons un mot habituel en Espagne et tabou au Chili. Dans notre pays, le terme familier habituel est pechugas (poitrine) et le savant est pecho (seins). C’est ainsi que dar pecho (donner le sein) (à un enfant) est en langage familier dar pechuga (donner la tétée). Pechugona est une femme à grosse poitrine. Pechugón est, cependant, l’homme comédien et prétentieux. Une femme ne va pas demander à son gynécologue que le toque las pechugas (qu’il lui touche la poitrine) mais de manière plus distinguée et polie que le palpe el pecho (qu’il lui palpe les seins). c) Pièces de vêtements : culottes Ce mot n’est pas tabou mais comme le montre l’exemple suivant, on en parle souvent de manière atténuée : Une fois une femme rendait visite à une amie qui partageait un appartement avec son fiancé et un ami. Tout à coup, la maîtresse de maison, profitant d’un moment où elles étaient seules, s’approche de son invitée et lui dit à voix basse : Hay como una especie de calzoncito en el baño que pienso que puede ser tuyo (Il y a comme une sorte de petite culotte dans la salle de bain dont je pense qu’elle pourrait être à toi) . La situation ne prêtait pas à confusion. A ce moment-là, elles étaient les deux seules femmes dans l’appartement, donc si los calzones (la culotte) n’était pas à l’une, elle ne pouvait être qu’à l’autre. Si cet épisode avait eu lieu entre Espagnoles, la phrase prononcée par l’interlocutrice aurait été : Maria, te has dejado las bragas en el servicio (Maria tu as oublié ta culotte dans la salle de bain).

56


d) Relations sexuelles Par euphémisme on utilise : meterse (se mettre avec), pasar algo (se passer quelque chose), tener onda (avoir le feeling), o acostarse con alguen (ou se coucher avec quelqu’un).

2.2.3. Sujets nœuds En marge des tabous linguistiques, il existe, comme nous l’avons dit, bon nombre d’autres tsujets dont l’abord, pour des raisons diverses, et problématique. e) Les caractéristiques physiques considérées peu esthétiques Au Chili, l’idéal esthétique pour la classe moyenne et haute est le type grand, mince, teint blanc, yeux clairs et cheveux blonds. Il en résulte qu’être petit, gros ou brun est considéré, même si ce n’est pas toujours ouvertement, comme un défaut. Quand on évoque l’un de ces défauts, il se produit un nœud dans le langage. L’interlocuteur prend de la distance par rapport à son énoncé et se voit dans la nécessité de choisir une forme atténuée de se référer à eux. La petite taille Nous disposons de l’interview suivant : –¿Cuánto mide usted? (Vous mesurez combien ?) –No tengo idea. En todo caso soy más bien bajito, aunque no tengo mucho tema con eso, siempre me ha dado un poco lo mismo excepto cuando se trata de jugar al básquetbol, pero rara vez lo he intentado (Je n’en ai aucun idée. En tous cas je suis plutôt petiot, même si j’ai pas trop de problème avec ça, ça m’est un peu égal sauf lorsqu’il s’agit de jouer au basket, mais j’ai rarement essayé) (Revista Análisis, 22 au 28 avril 1991 : 36-7). La question de la journaliste est déjà insidieuse. Le médecin de 37 ans au début prétend ignorer le sujet. Plus tard, en todo caso soy bajo (en tous cas je suis plutôt petit) apparaît atténué par plutôt et le diminutif. Dans no tengo tema con eso et siempre me ha dado lo mismo (j’ai pas trop de problème avec ça et ça m’a toujours été un peu égal) apparaissent les atténuants trop et un peu, qui révèlent le contraire de ce que veut nous dire l’interviewé .

No tengo mucho tema con eso (j’ai pas trop de problème avec ça) équivaut à tengo algo de tema con eso; me da un poco lo mismo, a no me da del todo lo mismo.(j’ai un peu des problèmes avec ça ; ça m’est un peu égal à ça ne m’est pas tout à fait égal) .

57


A la fin, l’économiste échappe au sujet par une plaisanterie : Excepto cuando se trata de jugar al básquetbol, pero rara vez lo he intentado (sauf lorsqu’il s’agit de jouer au basket, mais j’ai rarement essayé). Ceci prouve que l’interlocuteur a pleinement conscience d’être petit. Plus loin dans l’interview, le journaliste lui dit : –Descríbase como galán (décrivez vous en séducteur) –Yo creo que ahí uno usa todas las formas de lucha ¿no le parece? (je crois que dans ce cas là on a recours à toutes les formes de lutte, vous ne trouvez pas ?) L’économiste ne se décrit pas comme séducteur mais se met en situation de séduction. C’est-à-dire qu’il évite la question en soi : première atténuation. La phrase Yo creo que ahí uno usa todas las formas de lucha ¿no le parece? (je crois que dans ce cas là on a recours à toutes les formes de lutte, vous ne trouvez pas ?) se dénature complètement. Je crois que atténue l’ensemble de l’énoncé. On entend généraliser l’action de l’interlocuteur et à l’étendre à tous les hommes. De cette manière celui qui parle se libère d’une responsabilité individuelle de ses actes. En recourant à, vous ne trouvez pas ? le but recherché est rendre l’interlocuteur complice de la manière d’agir de celui qui parle. Nous pouvons établir la graduation suivante de phrases de moins à plus atténuées, en commençant par une non atténuée : Yo ahi uso todas la formas de lucha. (Moi là, j’utilise toutes les formes de lutte) Yo creo que ahi uso todas la formas de lucha. (Moi je crois que là, j’utilise toutes les formes de lutte

Yo creo que ahi uno uso todas la formas de lucha. (Moi je crois que là, on utilise toutes les formes de lutte) Yo creo que ahi uno uso todas la formas de lucha ¿no le parece ? (Moi là, je crois qu’on utilise toutes les formes de lutte, vous ne trouvez pas ?) La calvitie L’extrait suivant provient d’une autre interview : -¿Desde cuándo es pelado ? (depuis combien de temps êtes vous chauves ?) - Bueno, siempre tuve poco pelo pero la verdad es que no me di cuenta, hasta que por acumulación un dia te míres en el espejo y ya eres un pelado (Bein, j’ai toujours eu peu de cheveux mais en fait, je ne m’en suis pas rendu compte jusqu’à ce que, à force, un jour tu te regardes 58


dans la glace et tu es déjà chauve) (Revista Análisis, 10 à 16 décembre 1990 : 36-37). De nouveau, nous avons affaire à une question insidieuse du journaliste. Dans cet exemple, l’interviewé, un acteur de 32 ans, atténue son je en lui substituant le pronom de la deuxième personne tu. La grosseur Dans une troisième interview, cette fois à un sociologue, nous avons : –¿Cómo era usted cuando niño? (vous étiez comment quand vous étiez petit ?) –Era sumamente delgado, retraido, tímido, reflexivo (j’étais extrêmement mince, en retrait, timide, songeur). –¿Y cómo fue que se transformo en un señor entradito en carne, robusto… ? (Et comment ça se fait que vous soyez devenu un homme bien en chair, costaud… ?) –Comencé a ser gordito en la Universidad de Concepción cuando ya no me quedó tiempo para el deporte (J’ai commencé à être un peu gros à l’Université de Concepción quand je n’avais déjà plus le temps de faire su sport) (Interview de Nelson Gutiérrez dans Análisis, 15 au 20 avril 1991 : 34-35). Le poids est abordé par euphémisme par la journaliste. Etre entrado en carne (bien en chair) et être robusto (costaud) est d’un degré inférieur à être gros. L’interviewé pour sa part, arrive à atténuer l’allusion à son poids en recourant au diminutif. f) La drogue Un homme de 34 ans cherche à se renseigner dans un quartier défavorisé sur l’usage d’une colle qui, aspirée, fait l’effet d’une drogue. Il se doute que la question puisse gêner son interlocuteur, et la pose de la manière la plus atténuée possible :

Dicen también contaban por ahí que parece que sirve pa’volarse un poco ¿o no?, ¿o es mentira? (Ils disent que, on raconte par là que, il paraît que ça sert à planer un peu ou non ? ou c’est pas vrai ?) Ici, nous pouvons voir comment l’atténuation consiste à laisser un maximum de possibilités à l’autre afin qu’il puisse se défendre et réfuter facilement son interlocuteur. Ceci explique le vague de la question. Celui qui la formule sait très bien que, en effet, la colle en question sert à « planer ».

59


g) Sentiments personnels Comme nous l’avons dit auparavant, Bernstein (1975) montre comment dans la classe supérieure les sentiments personnels sont interdits. Voyons quelques extraits de lettres personnelles dans lesquelles le traitement de ces sujets ―que nous pouvons considérer comme des nœuds― fait plus ou moins prendre conscience à celui qui écrit du langage qu’il utilise et l’amène à l’atténuer :

Oiga Rosita, de repente tengo la sensación que no estás bien en Italia (...) No pareces muy convencida del esfuerzo que estás haciendo, si vale o no la pena. ¿Estoy equivocada? Si así fuera, tómate la libertad de seguir tus sentimientos y necesidades y filo con lo que piensen los demás. Un besito muy muy cariñoso. Mamá (Carta de 1992). (Ecoutez Rosita, parfois j’ai la sensation que tu n’es pas bien en Italie (…) Tu ne parais pas très certaine de savoir si l’effort que tu es en train de faire, vaut ou non la peine. Je me trompe ? Si c’était le cas sens toi libre de suivre tes sentiments et besoins et laisse tomber ce que pensent les autres. Un baiser très très affectueux. Maman (Lettre de 1992)). La place de cet extrait dans la lettre parle à lui seul de la difficulté de la mère à exprimer à sa fille ses impressions. En effet, ce qui paraît être le thème central qui motive l’écriture de la lettre, est placé à la fin de celle-ci. Auparavant il était question de beaucoup d’autres choses. La mère dit tu à sa fille mais la complexité du sujet l’amène a atténuer cette manière de s’adresser à elle en lui substituant le vous. Cet usage de de repente (parfois) équivaut au Chili à a veces (des fois). En ce sens, il atténue la sensation de la mère qui, très certainement, est continue. Le verbe paraître atténue être. L’énoncé no pareces convencida est atténué par très. La mère ne nie pas de manière radicale que la fille soit convaincue de ses efforts. La présence de très laisse la possibilité que la fille soit un peu, un tantinet convaincue. En ce sens, le jugement de la mère n’est pas impérieux et reste ouvert à ce que la fille puisse le contredire. Ce qui est dit précedemment se voit renforcé par la question, je me trompe ? qui démontre que la mère admet la possibilité que ce soit le cas. El trabajo me ordena bastante aunque no he estado del todo ‘hallada’ como diría la Melania. Una cierta rigidez de la administraciónpública, horarios, lentitud de los procedimientos, me hace sentir a veces como presa (Carta de 1991). (Le travail me structure pas mal mais si je n’ai pas été totalement à ma place, comme dirait Mélanie. Une certaine rigidité de l’administration publique : horaires, lenteur des procédures, me fait sentir parfois comme en prison (Lettre de 1991)).

60


Ici nous souhaitons seulement attirer l’attention sur le halo flou que les atténuations signalées impriment aux sentiments de la femme qui écrit cette lettre. No del todo (pas totalement), una cierta (une certaine) et a veces como (parfois comme) donnent comme résultat, un énoncé en rien apodictique. On se pose la question de savoir si cela répond au fait que la femme ne sait pas exactement comment elle se sent ou si elle a peur d’inquiéter (déranger) le destinataire de sa lettre, de blesser son image négative.

Gordita, comuníquese con nosotros. Si tiene poco tiempo para escribir, llame ‘colect’ de vez en cuando (...) Necesito saber de ti, como estás. Me comienza a inquietar no tener noticias tuyas (Carta de 1993). (Petite grosse, appelez-nous. Si vous n’avez pas le temps d’écrire, appelez en PCV de temps en temps (…). J’ai besoin d’avoir de tes nouvelles, comment tu vas. Ca commence à m’inquiéter de ne pas avoir de tes nouvelles (Lettre de 1993).) La transition au tutoiement, après le vouvoiement, attire l’attention dans cet extrait. Ce dernier, dans ce cas, peut-être considéré comme un atténuateur puisqu’il modifie la distance du destinateur envers son interlocuteur. Il faut préciser, cependant, que dans ce cas, usted (vous) ne distancie pas l’émetteur du destinataire, au contraire, il les rapproche. Il s’agit de l’usage affectueux du vouvoiement. Cet usage se voit confirmé par le surnom de forme diminutive gordita (petite grosse). Yo he estado un poco tristona porque hablé con mi mamá, se las ha visto duras con [la enfermedad] de mi abuelo y bastante impotente (Carta de 1994). (J’ai été un peu tristoune parce que j’ai parlé à ma mère, j’ai trouvé que c’est dur pour elle la maladie de mon grand-père et elle est assez impuissante (lettre de 1994).) La personne qui a écrit cette lettre était très triste. Cependant la tristesse est un sentiment qu’il nous coûte de confesser. Il est curieux de constater qu’ici l’augmentatif tristona (tristoune) fonctionne comme un diminutif de l’adjectif triste. Le quantificateur un poco (un peu) en tant que déterminant de l’adjectif triste, contribue aussi à l’atténuer. Ahora estoy en un período bajo en el que me parece no entender nada. Son momentos. En el fondo es únicamente soledad. Me ha ido más o menos con los amores. Tuve un pololo (novio) que me duró un mes y luego chao. ¡Qué lata! Entonces eso me frena para trabajar, se me quitan las fuerzas. (En ce moment je suis dans une période de creux où j’ai l’impression de ne rien comprendre. Ce sont des moments. Dans le fond, c’est juste de la solitude. Ca a été couci-couça côté amour. J’ai eu un petit copain avec qui ça a duré un mois et puis ciao. Quelle galère. Du coup ça m’empêche de travailler, ça m’ôte toutes mes forces.)

61


Il est évident que si cela a duré un mois avec le copain, que si ça lui casse les pieds et lui ôte l’énergie pour travailler, ça ne va pas couci-couça côté amour mais carrément, mal. Couci-Couça n’est rien d’autre qu’un atténuateur. 2.2.4. Sujets qui ne sont pas considérés comme ‘nœuds’ Afin de mettre en contraste les exemples de thèmes considérés comme ‘nœuds ‘ voyons d’autres extraits de la même lettre dans lesquels nous n’avons pas à faire à des thèmes conflictuels. Bien qu’il nous aurait suffi d’un bref extrait pour illustrer ce fait, la diminution ou la quasi-disparition des atténuants est si significative que nous souhaitons l’illustrer de manière plus conséquente. Leur trait commun étant que : –Ils sont écrits au passé. Nous avons dit que le temps de l’atténuation est principalement le présent, en tant que temps de l’énonciation. Lorsqu’on raconte un fait passé, le besoin de recourir à l’atténuation diminue significativement. –Rien qui n’implique personnellement l’émetteur et le récepteur n’est en jeu. –Les faits racontés concernent des tierces personnes. Comme nous l’avons dit, la troisième personne correspond à la non personne, c’est toujours un absent. Ainsi, lorsque l’énoncé se réfère à elle, l’atténuation n’est plus nécessaire. ¿Te cuento? me compré una de las esculturas de Fernando Casasempere, una grande, verde clara, con la forma de un gigantesco poroto, preciosa. Fue un amor él, me hizo una súper rebaja. La voy a instalar arriba, en el hall de la pileta, entre las plantas. Le voy a pedir a Gonzalo que me haga un lindo pedestal de metal (Carta de 1994). (Je te raconte ? Je me suis acheté l’une des sculptures de Fernando Casasempere, une grande, vert clair, en forme de haricot géant, magnifique. Il a été un amour, il m’a fait un super prix. Je vais l’installer en haut, dans le hall de la piscine, entre les plantes. Je vais demander à Gonzalo qu’il me fasse un joli un piédestal en métal (Lettre de 1994). a) Informations nationales : Los milicos (militares) hacen movimientos raros en las calles para asustarnos a todos (lo que consiguen fácilmente) con el fin de que retire una acusación contra el hijo de Pinochet por la venta de una empresa en quiebra por la que recibió del ejército la suma de un millón de dólares en tiempos de la dictadura. Todos los ministros están preocupados, se reúnen y terminarán negociando la tranquilidad tapando los fraudes. Se proclamó candidato de la Concertación a Frei y sigue la derecha sin ponerse de acuerdo 62


sobre candidaturas a presidente y a parlamentarios, la Concertación sacará mayoría absoluta en el congreso. También eso preocupa a los milicos porque así salen al tiro (de inmediato) las leyes para que el presidente pueda remover al comandante en jefe, para sacar a los senadores designados, cambiar la ley electoral y otras por el estilo (Carta de 1994). (Les militaires se déplacent bizarrement dans les rues pour nous faire peur à tous (ce qui n’est pas difficile) afin que soit retirée une accusation contre le fils de Pinochet, pour la vente d’une entreprise en faillite pour laquelle il a perçu de l’armée un million de dollar, pendant la dictature. Tous les ministres sont inquiets, ils se réunissent et vont finir par négocier la paix en couvrant les fraudes.) (Frei est proclamé candidat de la Concertación et la droite continue à ne pas se mettre d’accord sur les candidats à la présidentielle et au parlement, la Concertación va obtenir la majorité absolue au congrés. Cela aussi préoccupe les militaires parce que si c’est ça, ils promulguent tout de suite les lois pour que le président puisse révoquer le commandant en chef, pour en finir avec les sénateurs désignés, changer la loi électorale et un tas de chose comme ça (Lettre de 1994).) b) Informations locales : Sebastián mirándolo todo con unos ojos color gris azulado, color piedra. Es muy atento, mira seriamente y sostenidamente. Luego se para contra todo lo que pilla: una pierna, una silla, una mesa. No siempre sus apoyos lo resisten y se pega tutes (golpes) a menudo. También aprendió recién a subir escaleras, como la Mari vive en casa de dos pisos. Es una guagua (bebé) adorable que se conquista a todos. A mí, desde luego. Hemos estado hablando con la Claudia. Se ganó una beca a Japón y se va en agosto. Vivirá con una familia nipona durante 8 meses. Bien valiente, con lo difícil que es convivir con gente cercana, cómo será con estos personajes que se sacan los zapatos, hacen mil reverencias por minuto y trabajan 18 horas diarias (Carta de 1994). (Sebastián observe tout avec des yeux gris-bleus, couleur de pierre. Il est très attentif, il regarde avec sérieux et attention. Après il se dresse contre tout ce qu’il peut : une jambe, une chaise, une table. Ces appuis ne résistent pas toujours et il se conge souvent. Il a aussi appris récemment à monter les escaliers car Marie habite dans une maison sur deux niveaux. C’est un bébé adorable qui charme tout le monde. Moi la première.) (Claudia m’a raconté. Elle a obtenu une bourse pour le Japon et part en août. Elle vivra avec une famille japonaise pendant 8 mois. Elle a du courage, déjà que c’est difficile de vivre avec des proches qu’est ce que ça doit donner avec des gens qui s’enlèvent les chaussures, font mille courbettes à la minute et travaillent 18 heures par jour. (Lettre de 1994)).

63


2.3. L’attitude du parlant envers son interlocuteur 2.3.1. L’atténuation dans une conversation entre professionels qualifiés hiérarchiquement distants Pour montrer comment se manifestent les différences hiérarchiques entre professions, j’ai sélectionné de “El habla culto de Santiago” une conversation (extrait 36) qui a eu lieu entre un architecte de 58 ans et une professeur des écoles de 27 ans. L’architecture jouit au Chili d’un meilleur prestige social que l’enseignement. Nous sommes consciente que la variable sexe et âge contribue aussi à la domination de l’architecte. Cependant, même si l’âge peut être déterminant dans le choix du tutoiement ou du vouvoiement ―l’architecte tutoie l’enseignante et elle vouvoie son interlocuteur― ce qui précède n’invalide pas l’intérêt de la conversation pour ce qui nous occupe. Elle tourne précisemment autour de la profession des interlocuteurs et permet de voir clairement, l’appréciation de l’une et l’autre. Nous allons voir en quoi cette conversation est comparable à une lutte. La hiérarchie entre les interlocuteurs place l’homme dans une situation de pouvoir et de domination, et laisse la femme à la merci de son interlocuteur. Elle, timide et dubitative va tenter de se soumettre aux inombrables démonstrations de supériorité de son interlocuteur. Lui-même, un peu comme s’il était sourd, va construire durant une grande partie de la conversation un monologue sur le mode envahissant, en ignorant ce qu’elle dit et en s’appropriant la parole. Le résultat, sera, jusqu’à la ligne 335, un texte haché, plein d’interruptions et de points de suspensions, dans lequel les plus grandes interventions sont celles de l’homme et il en est le sujet. A L. 335 lui, qui n’a plus rien à ajouter sur l’exercice de sa profession, paraît se rendre compte d’un coup qu’elle est en face silencieuse et dans l’attente. Alors il reprend sans se départir de son ton supérieur : –Bueno, no me has hablado de tu profesión. ¿A ver? (Bon, tu ne m’as pas parlé de ton métier. Alors ?) Elle, timide et soumise, comme ne sachant que faire de la parole qu’il lui a été concédée gentiement : –Bueno, pregúnteme usted, p’; no se me ocurre qué decirle (L.336) (Bon, posez-moi des questions, je ne sais pas quoi vous dire moi). Alors lui du haut de son pouvoir : –Desde luego, fue por vocación ¿no cierto? ¿o no? ... (L. 338). (C’est sûrement une 64


vocation, pas vrai ou pas ?) Elle synthétique et sobre (des qualités qui vont souvent ensemble) : -Sí (oui). Lui, reprenant son intervention précédente, et allant vers là où il voulait en venir : –... ¿o empujada por alguna circunstancia especial? (…ou forcée par une circonstance particulière ?) En réalité, il ne fait que mettre en doute le fait que son interlocutrice (ou que quelqu’un) puisse vouloir devenir enseignant par vocation. Au Chili, l’enseignement est une voie peu prestigieuse. On y entre avec des résultats faibles, ce qui fait que s’y concentrent tous les étudiants qui n’ont pas d’autres choix et qui y arrivent sans jamais s’être posés de questions sur leur vocation d’enseignant. Il se peut qu’implicitement, il mette en doute les capacités intellectuelles de son interlocutrice. Mais rendons un peu justice à notre homme. Quiconque ayant lu la conversation depuis le début connaîtra la principale raison de son déploiement de force. On peut présumer que la force lui est donnée par le fait d’être homme, architecte et d’approcher des 60 ans. Ella: Usted dice que es arquitecto y que trabaja en el Servicio Nacional de Salud ... (vous dites que vous êtes architecte et que vous travaillez au Service national de santé) Él: Claro (tout à fait) Ella: ... o sea, yo siempre he pensado en la profesión de arquitectura como un ... como una de las llamadas profesiones liberales y se me ocurre que el hecho de estar en un servicio público como que a uno le ... le corta sus ideales, sus posibilidades; o sea que siempre he pensado que el arquitecto es un creador por naturaleza, y el hecho de trabajar en un servicio público, como el Servicio Nacional de Salud, se me imagina que siempre van a crear un determinado ―supongo― tipo de estructuras, de edificios que no permite una ... l ... la creación libre, como sería el caso de residencias particulares. (Je veux dire, j’ai toujours pensé à la profession d’architecte comme un…comme une de ce qu’on appelle les professions libérales et il me semble que le fait d’être dans un service public doit comme…entamer ses idéaux, ses possibilités ; en fait j’ai toujours pensé que l’architecte est par nature un créateur et le fait de travailler dans un service public comme le Service national de santé, je m’imagine que vous devez toujours créer un certain type ―je suppose― de structures, de bâtiments qui ne permet pas une …l…la libre création, comme ce serait le cas avec des résidences

65


privées) Él: Tienes algo de razón, Lucy, pero no precisamente en lo que a creación se refiere, sino en cuanto a tener un patrón, en general, y en cuanto a servir intereses determinados que están en relación con un servicio, pero en la parte de creación, al menos en el servicio en que yo trabajo, uno tiene amplia libertad, entonces, lo que a uno lo limita es el tema a crear (L.1-19). (Tu as en partie raison Lucy, mais ce n’est pas tant le problème de la création, sinon d’avoir un patron en général et pour ce qui est de se mettre au service d’intérêt précis qui ont à voir avec le secteur, mais pour ce qui est de la création, du moins dans le service où je travaille, on a une grande liberté, donc ce qui peut nous brider c’est le sujet à créer) La hiérarchie est marquée dès la première intervention de Lucy et dès la deuxième de l’architecte. Elle lui dit vous, il lui dit tu et l’appelle par son prénom. Dans le type de traitement non réciproque, s’exprime une différence de statuts, la différence inégalitaire des attributs qui sont évalués positivement par la société. Cette différence de statuts se manifeste avant tout comme quantité différente de pouvoir social (Hörmann, 1967: 413). Malgré son statut social inférieur ―et à cause de lui― elle cherche depuis le début à trouver un point faible, une limitation à l’exercice de la profession de son interlocuteur. Si cela n’avait pas été une attaque mais une simple curiosité, elle aurait posé une question et n’y aurait pas eu de lutte. Cependant, malgré son attaque, du fait de son statut inférieur, Lucy dévoile son ton peu assuré, mitigé de nombreuses atténuations : O sea (je veux dire), se me ocurre (il me semble), supongo (je suppose). Lucy attaque mais de manière camouflée. Si vraiment ‘supone’ (je suppose) et ‘se le occure’ (elle a l’idée que), on aurait espéré d’elle une question. Du moment qu’elle attaque, tant d’atténuations ne sont pas pertinentes. La phrase principale de son intervention, la trahit complétement :

…se me ocurre que el hecho de estar en un servicio público como que a uno le ... le corta sus ideales, sus posibilidades (…il me semble que le fait d’être dans un service public doit comme…entamer ses idéaux, ses possibilités). En tous cas, elle parvient à atteindre l’architecte en mettant en doute sa créativité. Él: En ese sentido tengo la limitación, pero dentro de cada uno de los proyectos, no tengo ninguna limitación; se respeta al profesional allá; no sé en otros servicios públicos; puede ocurrir la otra limitación, que yo no la tengo ni ninguno de mis colegas. Son más de treinta arquitectos, entonces, por eso te digo: tienes algo de razón (L. 25) (Lui : en ce sens je suis limité, mais à 66


l’intérieur de chaque projets, je n’ai aucune limite ; on y respecte les professionnels, je ne sais pas pour les autres services publics ; il peut y avoir d’autres limitations, mais moi je n’en n’ai pas ni aucun de mes collègues. Il y a plus de trente architectes, c’est pour ça je te dis : quelque part tu as raison.) Elle, pas satisfaite, obsédée par l’idée de trouver une limitation dans son travail, dit plus loin : Ella: ya está; una limitación tiene esto ... usted ... el hecho de trabajar pa’ un servicio público ¿le permite hacer trabajos particulares fuera? (Elle : C’est déjà ; une limite en cela …vous…le fait de travailler pour un service public, vous avez le droit de travailler pour des particuliers en dehors ?) Él: Perfectamente; manos libres, que llamamos nosotros (L. 83). (Lui : parfaitement ; mains libres, comme on dit dans notre jargon.) Cependant, finalement elle finit par céder, en admettant la possibilité que son interlocuteur soit créatif : Ella: Usted eligió por vocación, arquitectura ... (vous avez choisi architecture par vocation…) Él: Claro (L. 781). (bien sûr) Ella: A veces cuesta, no sé. (parfois c’est difficile, je sais pas) Él: Eso de crear ... pero ...(de créer …mais…) Ella: Era buen dibujante, supongo, en el liceo o en el colegio.(j’imagine que vous étiez bon en dessin au lycée ou à l’école) Él: No tan bueno (pas si bon). Ella: ¿No? (non ?) Él: Mejoré la mano en la ... en la universidad. Es el aspecto creación lo que a mí me atrajo (L. 789). (J’ai amélioré mon coup de crayon à l’…à l’université. Sur l’aspect création, ce qui m’attirait moi) Ella: ¡Ah! ¿usted es más parte creación, ... l ... la parte ...? (Ah! Vous êtes plus partie création, … l …la partie …?) Él: Sí, esa es la parte que me gusta ... crear, proyectar; eso es lo que me gusta (L. 806). (Oui, c’est le côté qui me plaît …créer, faire des projets ; c’est ça qui me plaît) Elle se reposera de cette lutte épuisante quand il daignera lui poser des questions sur son métier. Alors elle monopolisera un moment la conversation et lui acceptera de lâcher son rôle jusque-là protagonique. 67


Tout au long de la conversation elle aura ce ton mal assuré et soumis, mis en relief par les nombreuses phrases interrompues et recommencées, et par le recours fréquent à des atténuations là où son interlocuteur n’en emploie aucune. Au plus fort de la lutte, il l’interrompra à plusieurs reprises, ne tenant pas compte de ses interventions et la troublera avec des termes techniques qui corrigent ce qu’elle, comme n’importe quel profane en matière d’architecture, aurait pu dire. Ainsi, il justifie la hiérarchie (elle n’est pas un interlocuteur valable). De son côté, Lucy, sans s’en rendre compte, est prise au jeu. En interrogeant l’architecte sur les termes exacts en usage, mais inconnus d’elle, elle admet que ses mots sont imprécis. Ella: ... diseñar, llamo yo (Elle : …dessiner, comme je dis) Él: Claro. (Lui : Oui) Ella: ... no sé cómo se llama ...(je ne sais pas comment ça s’appelle) Él: [nada cooperativo] Claro. ([ne l’aidant pas] Tout à fait) Ella: ... ¿bosquejar casas? no ... no sé. (…ébaucher des maisons ? Non … je sais pas) Él: Claro, proyectar y dirigir la obra (...) (L. 127). (c’est ça faire un projet, diriger un chantier (…) Ella: ¿Ustedes tienen que ver con jardines también? (...) (vous voyez les jardins aussi ?) Él: Decoración, claro. (la décoration, tout à fait) Ella: ... porque veo, por ejemplo, en un proyecto, cuando hacen esas maquetas, creo que se llaman ... (L. 231). (… parce que je vois, par exemple, dans un projet, quand ils font ces maquettes, je crois que ça s’appelle comme ça…) Él: Claro, porque hay que estudiar mucha botánica, entonces, el arquitecto que se especializa en eso a ti te proyecta un jardín y te pone con el nombre científico; aquí tiene que ir tal planta con su nombre científico y aquí tal otra y así; es muy ... eh ... muy ... ¡es muy bonito! (L. 240). (Oui, parce qu’ il faut étudier pas mal la botanique, c’est pour ça, l’architecte qui se spécialise en ça, à toi il te fait un projet de jardin et te met les noms scientifiques ; ici il faut mettre telle autre avec son nom scientifique et ici telle autre et ainsi de suite ; c’est très …eh… très …, très beau) Él: ... el urbanismo ya, en un nivel más amplio se llama planeamiento territorial eso también. Planeamiento territorial se llama (L. 259). (…l’urbanisme déjà à un niveau plus large ça s’appelle aussi la plannification territoriale. Ça s’appelle la plannification territoriale) Ella: ... o yo que viajo todos los días San Pablo abajo; San Pablo yo lo demolería creo que desde Matucana ... (…ou moi qui fait le trajet tous les jours de San Pablo vers le bas ; San Pablo je le démolirais je crois depuis Matucana) Él: Sí, sí.(oui, oui) Ella: ... hasta ... hasta la altura del sesenta. (jusqu’à …jusqu’au numéro soixante) 68


Él: Eso es lo que se llama plano regulador [no ha lugar] (voilà ce qu’on appelle un plan d’urbanisme) Ella: ¡Ah! (ah!) La lutte s’apaise quand Lucy parle de sa profession (L. 335), notre architecte adopte une attitude plus coopérative, il l’écoute et aprouve ses interventions. Plus tard, il va récupérer son rôle prépondérant : il va parler de ses voyages en Europe. Elle, qui n’est jamais sortie du pays, se limitera à poser des questions et à imaginer ce qu’il a dû faire en Europe, selon les clichés : Ella: Usted iría a los museos ... el museo ... museo de cera, el museo de ... (vous alliez dans les musées ..le musée…musée de cire, le musée de…) Él: A los museos, claro; el Louvre vi ... estuve durante una semana yendo al Louvre pa’ poderlo ver todo (L. 904). (Dans les musées, bien sûr ; le Louvre j’ai vu…je suis allé toute une semaine au Louvre pour pouvoir bien tout voir) Ella: ¿Y a espectáculos y a obras teatrales fue también? (et vous avez été aussi à des spectacles et au théâtre ?) Él: Es bien interesante recorrer Italia. (c’est bien intéressant de parcourir l’Italie) Ella: Fue a las ... iría a las catacumbas (L. 1192). (vous avez été aux… vous iriez dans les catacombes) Dans cette dernière partie, chacun retrouve sa place et la lutte disparaît complètement. Lui, installé sur le trône de connaissance et du savoir, montre à son interlocutrice très curieuse, un monde inconnu, lointain et désirable. Elle, qui maîtrise l’une de ses langues, qu’elle enseigne, n’y a jamais eu accès. 2.3.2. L’atténuation dans une conversation entre professionnels qualifiés hiérarchiquement proches. Pour étudier comment fonctionne l’atténuation dans les relations réciproques entre interlocuteurs de classe supérieure, il sera utile de nous rapprocher de l’extrait 46 de El habla culta de Santiago. Les témoins, on le présume, jouissent du même niveau socio-économique (toutes les deux sont enseignantes : l’une, éducatrice de jeunes enfants, la seconde, professeur d’espagnol dans le secondaire). Elles se tutoient, c’est à dire qu’elles utilisent un type de traitement réciproque ou

69


symétrique. Ceci rend compte d’une proximité. L’attitude de chacune est très coopérative ce qui fait que la conversation progresse sans faux-pas. Du point de vue de la progression thématique (employée, plage, climat, cabanes, chaises, table, fauteuils, voyage de Mary, maison, employée, salaire, tricot, vol, pull, costume, ciné, théâtre, télévision, lecture) la conversation n’aborde pas de sujets personnels, et, en général, on y raconte des faits passés. Il n’y a pas d’occasions d’introspection des interlocutrices. En résumé rien de ce qui ne les implique trop n’est en jeu. Ceci facilite le fait qu’il n’y ait pas de ‘lutte’ et qu’aucune des témoins ne veuillent triompher de l’autre. Seulement à deux reprises A et B ont des avis contraires en 46 minutes de conversation. Les deux fois cela se passe à la fin de celle-ci (L.989 et L.1076), lorsqu’il s’agit de cinéma et de théâtre. A propos d’un film : 1. B: Oye, yo la encontré tan mala, tan mala, que me atacó ...(Dis donc, je l’ai trouvé si mauvais, si mauvais, j’en ai été malade…) 2. A: ¿La encontraste mala? (tu l’as trouvé mauvais ?) 3. B: ... me atacó (...) (…j’en ai été malade) 4. A: Oye, yo no la encontré tan mala, fíjate.(écoute, je l’ai pas trouvé si mauvais,

figure toi) 5. B: ¡Oh! no me digas, yo la encontré ...(ne me dis pas ça, moi, je l’ai trouvé…) 6. A: Claro que la mujer ... (d’accord, la femme…) 7. B: ... una personalidad tan idiota, oye. Una mujer que no ... ¡ay! (un telle idiote, écoute. Une femme que non…ha!) 8. A: La mujer era ... era en realidad ... cómo aceptaba todo eso y con una calma (...) (la femme était…était en fait…comment elle a accepté tout ça et avec un calme (…)) 9. A: Yo no la encontré tan mala, lo único que un poco deprimente, o sea, bueno, bastante deprimente ¿ah? (je ne l’ai pas trouvé si mauvais, juste un peu déprimant, enfin, très déprimant, hein ?) En (5) B ignore l’appéciation de A. En (6) A se range en faveur de B. En (8) et (9) A continue à se ranger en faveur de B mais pas au point de changer d’opinion. Le désaccord revient par rapport à une pièce de théâtre. A un moment donné, B dit : 70


–Pero no, fíjate, no diría eso yo. (mais non, figure-toi, je ne dirais pas cela) Dans la seconde partie de son tour de parole, elle atténue avec le conditionnel la négation de la première partie, sans pour autant changer l’information. Ainsi, malgré le fait de n’être pas d’accord avec A, B garde une attitude ‘courtoise’. Les principaux marqueurs qui permettent la progression fluide de la conversation sont : a) La répétition d’un des témoins d’un ou de plusieurs mots prononcés par l’autre lors de l’intervention précédente. b) L’approbation en utilisant si (oui) et claro (bien sûr) de l’intervention précédente. c) Les questions fréquentes de l’un ou de l’autre des témoins en rapport au thème traité. d) L’introduction des changements de thème par le mot ‘oye’ (écoute/au fait/dis donc…). Ce qui précède contribue à dessiner une conversation avec une alternance fréquente de parole, dans laquelle aucun des interlocuteurs ne monopolise la parole. Les approbations oui, bien sûr, c’est logique, etc. remplissent, en plus d’une fonction d’approbation, une fonction phatique : elles garantissent à celui qui écoute qu’il a l’attention de son interlocuteur, rendant inutile des interventions de type, cachay (tu piges), sabes (tu sais), me entiendes o no (je me fais comprendre ou pas) et autres, conséquence de la crainte du parleur de ne pas être compris comme il faut. Cependant, le plus frappant dans ce texte, sont les répétitions fréquentes dans le même tour de parole d’un extrait d’un tour précédent. Elles contribuent sans doute à homogénéiser le texte, rapprochant son aspect de dialogue de celui de monologue. La cohérance thématique est mise en avant avec cette superposition de tours de parole qui sont unis par des extraits communs. Tout au long de cette conversation, on peut compter cent répétitions de ce type et à cinquante-deux reprises, c’est A qui reprend ce qui a été dit par B et quarante-huit fois, c’est B qui reprend ce qui a été dit par A. C’est ainsi que cette ressoource n’est pas seulement l’apanage de l’un mais en plus elle est utilisée en proportion égale. De cette façon, il est également bien mis en évidence qu’aucun des témoins ne ‘dépend’ de ce que dit l’autre. Ces marques de politesse aussi doivent être considérées comme des atténuateurs. Atténuateurs qui ni mitigent ni adoucissent la lutte, mais l’empêchent. Atténuateurs qui permettent que le dialogue continue à se dérouler. Lorsque une lutte apparait la

71


conversation dialoguante, la négociation, disparait pour laisser place à une superposition de monologues. Plus la conversation est négociée plus elle est atténuée et polie. Reprenons le premier extrait cité : 1. B: Oye, yo la encontré tan mala, tan mala, que me atacó ...(Dis donc, je l’ai trouvé si mauvais, si mauvais que j’en étais malade…) 2. A: ¿La encontraste mala? (tu l’as trouvé mauvais ?) 3. B: ... me atacó (...) (…m’a rendu malade) 4. A: Oye, yo no la encontré tan mala, fíjate.(écoute, je l’ai pas trouvé si mauvais,

figure toi) 5. B: ¡Oh! no me digas, yo la encontré ...(ne me dis pas ça, moi, je l’ai trouvé…) 6. A: Claro que la mujer ... (d’accord, la femme…) 7. B: ... una personalidad tan idiota, oye. Una mujer que no ... ¡ay! (un telle idiote, écoute. Une femme que non…ha!) 8. A: La mujer era ... era en realidad ... cómo aceptaba todo eso y con una calma (...) (la femme était…était en fait…comment elle a accepté tout ça et avec un calme (…)) 9. A: Yo no la encontré tan mala, lo único que un poco deprimente, o sea, bueno, bastante deprimente ¿ah? (je ne l’ai pas trouvé si mauvais,la seule chose un peu déprimante, enfin, assez déprimante, hein ?) Si à (1) A avait répondu pues, es genial (mais, elle est géniale) la transaction n’aurait pas eu lieu et les témoins n’auraient pas pu aller plus loin dans leur conversation sur le film. Ils n’auraient pas eu l’occasion d’exprimer chacun son point de vue sur le film. B n’aurait pas eu l’occasion d’influencer l’opinion de A et celle-ci n’aurait pas non plus pu nuancer son point de vue. Toutes les deux en sauraient beaucoup moins sur ce que pense son interlocutrice du film et, comme dialoguer avec quelqu’un c’est aussi dialoguer avec soi-même, les deux en sauraient beaucoup moins sur leur propre perception du film. En (1) et (4) en utilisant le verbe subjectif (Kerbrat-Orecchioni,1980) ou performatif encontrar (trouver) l’interlocuteur rend explicite le fait qu’il s’agit de sa propre appréciation du film, et en cela, permet que celle de son interlocuteur soit différente. Il ressort que encontrar (trouver) est plus atténué, moins lapidaire que ser (être). En (5) no me digas (ne me dit pas ça) prouve que B écoute A malgré son désaccord avec elle. Les atténuateurs de (8) et (9) montrent le changement qui se produit chez A. C’est à dire, ils atténuent ses propres interventions précédentes. En ce sens ils sont métadiscursifs. 72


En (9) le passage de lo único que un poco deprimente (la seule chose un peu déprimante) à o sea, bueno, bastante deprimente (enfin, bon, assez déprimante) dénonce un dialogue de A avec elle-même. Elle affirme une chose puis se rétracte et la nuance. Finir un tour de parole avec la question ¿ah? (hein ?) est très fréquent dans notre espagnol. Ceci démontre que le parlant ne croit jamais avoir dit le dernier mot et la conversation peut continuer. Dans cette conversation les thèmes abordés sont : celui des employés de maison et des artisans, des problèmes de poids et de la vieillesse (les deux derniers érigés en tabous et abordés par euphémismes de diverses façons dans notre culture, au sein de la classe moyenne et supérieure). Par rapport aux employés de maison les interlocuteurs disent ceci : 1. B: O si no, la tienes metida aquí (...) en el living, encima de uno (L. 431). (ou sinon tu l’as ici (…) dans le salon, sur le dos) 2. B: Entonces, yo, no es que tenga nada, pero no se puede. Uno ya termina aburriéndose tener siempre una persona ajena encima (...) Resulta que es difícil [tener empleada] por como es la casa (L. 437 y 440). (alors, moi, c’est pas que j’ai quoi que ce soit, mais c’est pas possible. On finit par ne plus en pouvoir d’avoir une étrangère dans les pattes (…). A la fin, c’est difficile [d’avoir une employée] à cause de la disposition de la maison) 3. A: Da no sé qué que se vaya a encerrar a otra parte. (ça fait quelque chose, qu’elle aille s’enfermer plus loin) 4. B: Claro, tiene cierto temperamento (L. 453). (c’est sûr, elle a son petit caractère) 5. B: Lo que pasa es que está como retirado [el dormitorio de la empleada] y como ni siquiera hay puerta por este lado (L. 519). Ce qu’il y a c’est qu’elle est comme éloignée [la chambre de l’employée de maison]et qu’il n’y a même pas de porte de ce côté-là) Grâce au pronom indéfini uno (on) l’interlocutrice prend de la distance, évite le pronom personnel yo (je) qui l’implique plus directement . En (2) la justification met en évidence l’inconfort de l’interlocutrice. Ceci se voit renforcé par l’utilisation postérieure de uno (on) . En (3) l’atténuation est apporté par l’utilisation impersonnelle du verbe. Grâce à ce recours la responsabilité du sujet se généralise et diminue celle de l’interlocuteur. Si nous lisons les phrases (4) et (5) dans leur contexte, il est évident que l’employée à beaucoup de caratère et que la distance de la chambre par rapport au reste de la maison est importante. Donc l’atténuation n’est pas de mise. Parlant des artisans, elles disent : B: Quedó malito [el trabajo de los maestros]. No tan como mal, pero no ... (L. 558) 73


(C’est pas terrible [le travail des artisans]. Pas vraiment si mal, mais non…) Ici le diminutif sert d’atténuant, renforcé par como (comme). Revenant sur le sujet des employées, elles disent : 1. A: ... le dijimos nosotros ... [a la empleada] que Carlos le dijo que se iba a tener que ir (...) (L. 773) (on lui a dit …[à l’employée de maison] que Carlos lui a dit qu’elle allait devoir partir (…)) 2. B: ... que se tienten [a la empleada] y te corten un bistequito y se lo lleven, uno lo encuentra, oye, hasta natural, oye ... (L. 830). (…qu’ellse se laissent entraîner [les employées] et se coupent un petit bifteck et se l’emportent, on trouve ça, regarde, même naturel, regarde… 3. A: Y uno misma ya no lo consideraría tan robo eso, oye (L. 839). (et soi-même, on finirait par ne plus trouver que c’est tellement du vol, tu vois) Les phrases périphrasiques sont un autre recours fréquent d’atténuation ainsi que le conditionnel qui élude le temps présent en (3). Il est habituel de trouver des constructions dans lesquelles une intervention postérieure du même interlocuteur ―comme dans l’exemple suivant (3)― dénonce le non sens, ou plutôt le plein sens, de l’utilisation d’atténuateurs lors d’une intervention antérieure (1) : 1. A: (...) Es más bien gordo mi hermano ya, casi. Está gordo. (…) (Il est plutôt gros mon frère, presque. Il est gros (…)) 2. B: ¿Está gordo? (...) (Il est gros ? (…)) 3. A: ¡Está tremendo! (il est impressionant !) Si A estime que son frère ¡está tremendo! (est impressionant !) elle ne peut pas penser à la fois qu’il est seulement más bien gordo (plutôt gros). 2.3.3. La responsabilité des actions : une différence d’attitude entre l’interlocuteur chilien et l’espagnol En partant des mots de Beinhauer sur les deux attitudes possibles que peut adopter l’interlocuteur : En observant la façon de dialoguer d’une personne avec une autre, nous pouvons dégager deux attitudes fondamentales : ou bien sa manière de s’exprimer se caractérise par la prédominance du ‘je’, ou bien elle est déterminée par la

74


considération envers l’interlocuteur (Beinhauer, 1991 : 133). Par certains aspects, nous pouvons considérer que le parleur chilien a plus à l’esprit son interlocuteur que le parleur espagnol. L’Espagnol, de son côté, donne plus d’importance, lors de la conversation, à son je que le Chilien, c’est à dire qu’il est plus égocentrique. En quel sens s’opposent la prédominance du je et la considération envers l’interlocuteur ? Considérer l’interlocuteur signifie lui donner un maximum de possibilités dans l’interaction communicative. Cela signifie établir avec lui une relation de dialogue. Si l’interlocuteur fait prédominer son je dans la conversation, il empêche la survenue d’une relation de ce type. La différence d’une série d’expressions qui nous semblent davantage atténuées au Chili qu’en Espagne, est dû au fait que dans la péninsule le locuteur responsabilise son interlocuteur de ses actes, alors qu’au Chili, la responsabilité est partagée par les deux interlocuteurs. Voyons quelques expemples : Parce que tu le veux bien Comme nous l’avons dit dans l’Introduction, lorsque le Chilien en se retirant d’une rencontre sociale annonce de manière atténuée son départ, en utilisant le gérondif me voy yendo (je commence à m’en aller), il s’attend à ce que son interlocuteur cherche à le retenir, qu’il lui dise : ¿por qué tan temprano? o quédate un poquito más (pourquoi si tôt ? ou reste un peu plus), ouvrant ainsi un espace de négociation. Le visiteur peut effectivement partir, mais la politesse exige cette négociation dans laquelle le parlant se verra obligé de justifier le motif de son retrait. A Valence, au contraire, l’Espagnol démontre sa politesse à son interlocuteur qui en se retirant d’une réunion dit me voy (je m’en vais) en lui répondant porque quieres (puisque tu le veux). Par cette réplique, il le rend responsable de sa décision de partir et se défait de cette responsabilité. Par porque quieres (puisque tu le veux), l’hôte manifeste à son interlocuteur le plaisir que lui procure sa compagnie. A la différence de ce qui se produit au Chili, à la fin de ce dialogue, on n’attend pas qu’il y ait une négociation du moment du départ. Cette différence de codes induit le Chilien en erreur qui dans une situation semblable à celle de l’exemple, dit, à Valence, me voy yendo (je commence à m’en aller) et qui obtient en guise de réponse un porque quieres (puisque tu le veux). Au Chili le destinateur dira me voy (je m’en vais) seulement si son départ, pour une raison quelconque, doit avoir lieu sans délai. Dans ce cas, il n’offre pas la possibilité à son interlocuteur de le retenir me voy, que tengo hora al médico (je pars, j’ai un rendez-vous 75


chez le médecin). Dans ce cas l’excuse est imparable. Quand tu peux En Espagne, il est fréquent que le client dise au serveur dans un bar cuando puedas, un café; dime qué te debo, cuando puedas; te cobras cuando puedas (quand tu peux, un café ; dis-moi ce que je te dois, quand tu peux ; je te paie quand tu peux) ou simplement cuando puedas (quand tu peux) pour attirer son attention et lui demander qu’il le serve. Cet usage dans lequel la demande est atténuée par l’apparente délégation au serveur de la décision du moment où il réalisera l’action, ne s’entend pas au Chili. Au Chili, on utilise des formules du type me podría atender, por favor (vous pourriez me servir s’il vous plaît ?). Le condtionnel dans ce cas est très fréquent. Tú mismo(a) (toi même/comme chez toi) –¿me das un vaso de agua? (tu me donnes un verre d’eau ?) –tú mismo (toi même/fais comme chez toi) Cette formule de politesse qui indique à celui qui demande quelque chose qu’il peut se servir comme s’il était chez lui, est ignorée au Chili . La politesse veut que le maître de maison serve son ami. Quand il y a une grande familiarité entre les interlocuteurs la réponse peut-être ¿puedes servirte tú mismo? (tu veux bien te servir toi même ?), mais le verbe ne peut pas être omis et cette réponse n’est pas polie. Me dejas (pasar) (tu me laisses (passer)?) Au Chili les formules correspondantes sont permiso (permis), permi (perm’), perdón (pardon), ¿puedo pasar? (je peux ?). L’Espagnol fait directement allusion à son interlocuteur et ―fréquemment― le tutoie. Le Chilien ou bien fait référence à lui-même ou bien ne fait référence à personne. C’est pour cela que les formules chiliennes résultent beaucoup plus atténué. Une fois de plus, on voit comment l’Espagnol renvoit la décision de son action à son interlocuteur. 2.3.4. Actes de paroles Remerciements On ne remercie pas de la même manière dans toutes les cultures ni dans toutes les

76


situations de communication. Selon Haverkate (1994 : 94), en Espagne, il n’est pas établi comme une norme que le client doivent remercier le serveur quand il lui sert son plat. De son côté le serveur ne dira rien non plus à son client au moment de le servir. Au Chili au contraire, les remerciements dans ces situations sont indispensables. De même que le client doit accompagner sa demande avec des formules de politesse du type por favor (s’il vous plaît), si es tan amable (si vous avez l’amabilité). Lorsqu’il est cuturellement établi que dans une situation déterminée on utilise le remerciement, son absence s’interprète comme une impolitesse. Le remerciement est nécessaire car il rétribue symboliquement l’effort qu’a signifié réaliser une action pour l’interlocuteur : Les formules de remerciements compensent symboliquement le coût investi par l’interlocuteur au profit du locuteur (…) Ne pas rétablir la balance coût-bénéfice, ne pas remercier l’interlocuteur coopératif, est considéré comme une forme de comportement discourtois (Haverkate, 1994: 93). Le fait qu’en Espagne il n’est pas établi que le client doivent remercier le serveur, confirme, une fois de plus, l’hypothèse que nous avons proposée lorsque nous avons parlé de la responsabilité des actions. Si nous partons de l’idée de Beinhauer (1991) qui propose que dans une convsersation le locuteur peut adopter une attitude de considération face à son interlocuteur ou, au contraire, adopter une attitude qui se caractérise par la prédominance de son propre je, nous pouvons supposer que l’Espagnol est moins déférant vis-à-vis de son interlocuteur que le Chilien. Haverkate signale qu’en règle générale, la culture espagnole attache moins d’importance que d’autres à l’émission de formules de remerciement. Un dernier exemple en ce sens, compare la culture espagnole à la hollandaise. Autre exemple constrastant espagnol-hollandais : le contrôleur des chemins de fer hollandais [et le Chilien] échange tous les jours des milliers de merci lorsqu’il prend et rend les billets qu’il doit contrôler. Son collègue de la RENFE (Chemins de fer espagnols), par contre, peut économiser complètement cette énergie verbale (Haverkate, 1994 : 94-95). La culture chilienne serait, sur ce point, similaire à la hollandaise. Excuses Les occasions dans lesquelles le Chilien demande pardon sont plus nombreuses que celles rencontrées par le parleur espagnol. Ici aussi on peut observer une plus 77


grande déférence envers l’interlocuteur au Chili. Lorsqu’une personne s’adresse à un inconnu pour lui demander quelque chose, il précède souvent sa demande de disculpe ou perdone : disculpe/perdone, ¿me podría decir la hora? (désolé/pardon, vous pouvez me dire l’heure ?); disculpe/perdón, ¿me podría decir dónde queda la calle Huérfanos? (désolé/pardon, vous pourriez me dire où se trouve la rue Huérfanos ?) Demandes Une demande qu’un élève ferait de cette manière à un professeur au Chili : en algún momento me gustaría poder hablar con usted (j’aimerai pouvoir vous parler à un moment ou à un autre) peut correspondre en Espagne à l’énoncé suivant : quería comentarte una cosa (je voulais te dire quelque chose). Probablement que l’Espagnol a recours à l’imparfait pour atténuer le présent de sa demande. Cependant, si nous considérons ces deux formules il est évident que dans l’espagnole, le je du parlant prédomine alors que dans la chilienne l’interlocuteur est davantage considéré. Par le moyen de en algún momento (à un moment ou à un autre) il lui concède la décision du moment où la conversation aura lieu. Le conditionnel élude le présent. Le verbe de possibilité pouvoir, de son côté, fait dépendre cette possibilité de l’interlocuteur, lui donne l’occasion de refuser la conversation.

3. Inventaire de quelques ressources d’atténuation propres de l’espagnol du Chili 3.1. Ressources lexicales et phraséologiques Absolument Kany prévient que l’adverbe absolument (ainsi que la phrase en absoluto (dans l’absolu)) s’utilise fréquemment de manière élliptique à la place de de ninguna manera, de ningún modo (en aucune manière, en aucune façon), etc., c’est à dire que l’élément négatif non ou rien est souvent omis car il est sous entendu. Il cite les exemples suivants pour le Chili : –¿Tienes veinte pesos que prestarme? (tu as vingt pesos à me prêter ?) –Absolutamente. (absolument) –¿Oíste lo que dijo Pedro? (tu as entendu ce qu’a dit Pedro ?) –Absolutamente (Román, I, 9). (absolument) –¿Así que mi enfermedad no es de cuidado? (donc ma maladie n’est pas grave ?) –Absolutamente (En Kany, 1969: 318). (absolument) 78


Cet usage existe aussi en Espagne mais il est plus fréquent en Amérique. Le fait que absolutamente (absolument) permette d’omettre l’adverbe de négation, rend possible de le considérer comme un atténuateur. Kany ajoute : Un tel usage se trouve en concordance avec cette particularité de l’espagnol qui, par l’emploi constant du mot no (non) ou d’un autre mot négatif, a fait que certaines expressions originalement affirmatives ont acquis une valeur négative : no lo he visto en mi vida > en mi vida lo he visto (je ne l’ai pas vu de ma vie > dans ma vie je l’ai vu) (Kany, 1969 : 318). Mais il est possible de penser que ce n’est pas le seul emploi constant du mot non ou d’un autre mot négatif qui ait fait que l’adverbe se perde, mais pluôt qu’il ait contribué au fait que la négation ait besoin d’être atténuée. Une manière évidente d’atténuer la négation est d’omettre la particule négative. Comme L’usage de como (comme) continue à être fréquent : Dans l’espagnol des dernières années nous assistons à un phénomène qui a été réprouvé de plusieurs points de vue ; Nous nous référons à l’usage exagéré de como (comme) qui certaines fois sert de liaison et d’autres de ‘joker’ dans tous types de situations de conversation. Nous pensons à des usages du type : (1) Kim Novak es como muy bella (Kim Novak est comme très belle), (2) A mí Luis me parece como muy superficial (Luis me parait à moi comme très superficiel), (3) Kashogi tiene como mucho dinero (Kashogi a comme beaucoup d’argent) (Manjón Cabeza Cruz, 1987 : 176). Il est évident, que, dans ces exemples l’emploi de como (comme) produit un effet atténuateur, car le locuteur indique par-là qu’il ne se fait pas responsable d’appliquer au sujet auquel il se réfère, le prédicat dans toute son intention lexicale. A la fois nous remarquons que l’atténuateur ne produit pas nécessairement un effet de politesse. Concrètement dans ces exemples, seul le second pourrait exprimer une forme de politesse, ce qui tient à la mitigation du signifiant péjoratif du prédicat superficiel. Ici nous trouvons une condition intrinsèque du fonctionnemnt courtois de l’atténuateur ; la mitigation s’applique à des qualifications négatives de la personne ou de l’objet auquel on se réfère. Cette restriction est montré efficcacement avec la comparaison entre : La pintura estaba un poco sucia. (la peinture était un peu sale) *La pintura estaba un poco limpia (la peinture était un peu propre) (Haverkate, 1994: 209-210). 79


Dans certaines régions, comme en Colombie como (comme) s’utilise adverbalement dans le sens de un peu, assez, plutôt. Par exemple : –Estoy como cansada. (je suis un peu fatiguée) –¿Qué tal es la película? (comment est le film ?) –Es como buena, es como cansona. (il est plutôt bien, il est comme fatiguant) –Fulano es como tan simpático (machin il est plutôt tellement sympa) (Flórez, págs. 382384. Dans Kany, 1969: 344). Au Chili, cet usage de como (comme) est très fréquent. On trouve como (comme) + adjectif et como que (comme que) + verbe. Como mucho (es como mucho = es el colmo) (ça fait beaucoup = c’est le comble). Como (comme) s’est lexicalisé dans la locution como mucho (c’est le comble) : C’est como mucho (le comble) que Mario ait frappé sa femme. De repente (soudain) (en tant qu’atténuant équivaut à souvent, presque toujours) Une femme se voit obligée de renvoyer son jardinier pour sa lenteur dans le travail ; elle écrit une lettre à sa fille pour justifier son renvoi : De repente Joel es bien lenteja y olvidadizo (parfois Joel est bien lambinard et distrait). Le terme lenteja se réfère à la forme atténué de lento (lent). Medio (moitié/à demi) Le numéral exclusivement fractionnaire ‘demi’ s’emploi presque toujours comme adjectif fraction accolé à des noms substantifs (…) demi kilo (…) Le masculin singulier est aussi un adverbe : medio muerto (moitié mort), a medio vestir (à moitié habillé) (Esbozo, 2. 9. 6, c). La comparaison entre les énoncés estoy medio molesta contigo (je suis à moitié fâchée avec toi) avec *estoy medio contenta contigo (je suis à moitié contente de toi), nous prouve une « condition intrinsèque du fonctionnement de politesse de l’atténuateur ; la mitigation s’applique à des qualificatifs négatifs de la personne ou des objets auxquels il est fait référence » (Haverkate, 1994 : 210). Un peu L’usage modérateur de poco (un peu) dans sa fonction d’adverbe modérateur, est typique du langage de la conversation non seuelement en espagnol, mais dans beaucoup d’autres langues. (Haverkate, 1994: 210). Au Chili cet usage de un poco (un peu) est très fréquent. 80


Un poco mucho (un peu beaucoup); un poco demasiado (un peu trop) (=c’est le comble) : Es un poco mucho que no hayas venido ayer. (c’est un peu beaucoup que tu ne sois pas venu hier)

En una de esas (si ça te dit): En una de esas te vienes más temprano y nos juntamos a almorzar. (si ça te dit tu viens plus tôt et on se retrouve pour déjeuner) No sé si quiero (je ne sais pas si je veux) (=je ne veux pas): No sé si quiero ir a tu casa (= no quiero ir a tu casa) (je ne sais pas si je veux aller chez toi (= je ne veux pas aller chez toi)

No pasa mucho (il ne se passe pas grand chose) (=ne se passe rien): En esta clase no pasa mucho; el profe es una lata y no sabe nada. (dans cette classe, il ne se passe pas grand chose ; le prof est nul et ne sait rien) Una especie de (une sorte de): Hay como una especie de calzoncito en el baño que pienso que puede ser tuyo. (Il y a comme une espèce de culotte dans la salle de bain dont je pense qu’elle pourrait être à toi) 3.2. Ressources morphosyntaxiques Périphrases verbales Comme le signale la Real Academia Española (1986: 444), en espagnol, la périphrase consiste en l’emploie d’un verbe auxiliaire conjugué suivi d’un infinitif, gérondif ou participe passé : Les périphrases formées par un verbe auxiliaire suivi d’un infinitif donnent à l’action un caractère orienté relativement vers le futur ; le gérondif regarde vers le présent et communique à l’action un caractère de durée, le participé passé imprime à l’action un sens perfectif et la situe en position relative de passé (Real Academia Española (1986 : 445). Dans l’exemple : La María ha confesado que no se está sintiendo bien (Maria a confessé qu’elle n’est pas en train de se sentir bien), c’est le caractère de durée de la périphrase no se está sintiendo bien (qu’elle n’est pas en train de se sentir bien) qui lui donne un sens atténué. L’alternative sans périphrase no se siente bien (elle ne se sent pas bien) n’apparait pas atténuée car le caractère temporel ressort et non pas le modal. Kany (1969) signale que dans bons nombres de régions d’Amérique du sud, on paraphrase très souvent de simples verbes d’action par un auxiliaire + un substantif verbal féminin en –ada (dérivé du participe passé des verbes de la première conjugaison) ou en –ida (dérivé du participe des verbes de la deuxième ou de la troisième conjugaison). Il illustre ses dires avec les exemples suvants : me corté > me di una cortada 81


(je me suis coupé > je me suis donné une coupure), voy a nadar > voy a echar una nadada (je vais nager > je vais m’envoyer une baignade) et il pense que ce type de constructions sont emphatiques : Elles correspondent au désir d’exprimer une action intense et complète, ou psychologiquement considérée comme complète (…) Au passé (…) cela ajoute intensité et rapidité à la puissance de l’action (eché una mirada (j’ai jeté un oeil) face à miré (j’ai regardé) (Kany, 1969 : 34-36). Nous pensons que, bon nombre de fois, ces constructions correspondent au désir contraire, c’est à dire à celui d’expimer une action de manière atténuée. L’action de echar una mirada (jeter un oeil) nous parait plus atténué que celle de mirar (regarder). Le eché una mirada a tu libro (j’ai jeté un oeil à ton livre) ne suppose pas que je l’ai lu. Par rapport à la fréquence avec laquelle ce type de construction se rencontre en Amérique, l’auteur nous prévient de sa présence considérable dans des registres déterminés : Dans le parler familier d’aujourd’hui, populaire et rustique de beaucoup d’endroits d’Amérique latine, la formation de substantifs verbaux + auxiliaires (dar (donner), echar (jeter), pegar (coller), hacer (faire), etc.) ne semble pas avoir de limites (Kany, 1969 : 34-36). Dans l’espagnol du Chili, beaucoup de périphrases verbales ont un caractère inchoatif : elles indiquent le commencement d’une action qui se prolonge. Les constructions en ir (aller) + gérondif sont fréquentes avec des verbes de mouvement me voy yendo (je m’en vais) ; vayan saliendo (sortez) ; se anduvo emborrachando (il est allé se saoûlant); quiere llover (il veut pleuvoir) ; entró a equivocarse (il a commencé à se tromper); como que me quiero resfriar (j’ai comme envie de m’enrhumer); es más bien tirada para gordita (elle tend vers la rondouillarde). En certaines occasions le verbe inchoatif se précise : Si usted sigue no viniendo a verme me voy a empezar a enojar (si vous continuez à ne pas venir me voir, je vais commencer à me fâcher). Le verbre tratar (essayer) peut atténuer d’autres verbes. Dans une pharmacie la personne chargée de remettre les articles vendus dit à la caissière : - Ana, trata de no rayar los números de las boletas. (Ana, essaie de ne pas rayer les chiffres des tickets de caisse)

82


Elle qui n’entend pas, demande : –¿Qué me dijiste, Manuel? (qu’est ce que tu m’as dit Manuel ?) –Que no rayes los números de las boletas (que tu ne rayes pas les chiffres des tickets de caisse) (Concepción, 1996). Ici, le verbe tratar (essayer) atténue l’ordre. Sa fonction atténuante se voit confirmée par le fait que lorsque Manuel répète sa demande, il ne l’utilise pas. Diminutifs Dans le castillan du Chili, souvent le diminutif est affectueux, mais parfois il s’emploie péjorativement. Parfois, les suffixes diminutifs, surtout ceux qui sont ajoutés aux adjectifs et aux adverbes, peuvent aussi assumer des fonctions d’atténuateurs. Ya sabes que es algo envidiosillo (tu sais bien qu’il est un peu envieux sur les bords) (cela atténue ce qui signifie en vérité : il est des plus envieux) (Haverkate, 1994: 21). Le diminutif dans ¿puedes hacerme un favorcito? (tu peux me faire une petit faveur ?) ne diminue pas la faveur qui est demandée dans le but de ne pas déranger le destinataire. Cet usage constraste avec le suivant, dans lequel se combinent atténuation et affectivité : Anita, creo que sería bueno que hicieras un poco de régimen (Anita, je crois qu’il serait bon que tu fasses un peu de régime). De manière pragmatique, le contenu de l’énoncé se résume à Ana, debes hacer régimen (Ana, tu dois faire un régime). Le diminutif du prénom indique une relation de déférence du locuteur envers celui à qui il s’adresse et prépare son interlocuteur à recevoir une critique, mais sur un ton affectueux. Ces exemples contrastent avec les suivants marqués péjorativement : vino una mujercita a pedir comida (une petite bonne femme est venue demander à manger). Le diminutif signale la supériorité de celui qui parle depuis son niveau socio-économique. Dans les textes suivants, nous montrons comment diminutifs et insultes peuvent être compatibles : De un rincón emergía mi tía Mariela, me aborrecía, para qué decir más. Y me decía: “mira mocosita o mira tontona, ponte a resfregar esas colchas de la batea así como andas flojeando (...) ya, mocosita, anda haciendo la masa, mira que tienes que ir aprendiendo. Después se te ocurre casarte y no sabes ni una cosa (GIA, 1986: 280-281). (Ma tante Mariela surgissait d’un coin, elle me détestait, pourquoi en dire plus. Et elle me 83


disait : “Regarde, petit morveuse ou regarde bêtasse, met toi à frotter le couvre-lit dans la bassine puisque tu traîne à rien faire (…) allez, morveuse, va faire la pâte, regarde qu’il faut que tu apprennes. Après il va te prendre de te marier et tu ne sais rien) Le fait de traiter de morveuse est déjà péjoratif, ce qui n’empêche pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser que ce mot prenne une forme diminutive renforçant justement ce caractère péjoratif Phrases interrogatives Comme nous l’avons déjà signalé, parmi les choses génantes pour un locuteur, figure le fait de devoir demander quelque chose à quelqu’un qui pourrait le déranger. Qui pourrait menacer son image négative. Souvent le mode impératif se camoufle en question, comme cela apparait bien dans les exemples suivants chiliens : ¿me podría dar un cafecito? (vous pourriez me donner un petit café ?), ¿me podrías hacer un favor chiquitito? (tu pourrais m’accorder une petite faveur ?). Dans l’espagnol du Chili l’emploi de l’impératif est inhabituel car il apparaît insultant. L’habituel et le poli serait, donc, l’emploi de formules alternatives, parmi lesquelles on distingue surtout les interrogatives.

4. Analyse d’énoncés atténués Dans une grande partie des exemples suivants, beaucoup de tactiques de politesse exposées par Brown et Lévinson sont ici au service de l’atténuation : recherchez toujours l’accord ; utilisez des marqueurs d’identité “in group”; ayez conscience des désirs de l’interlocuteur ; ayez recours à l’indirection : ¿podría pasarme la sal? (vous pourriez me passer le sel ?) est mieux que “páseme la sal” (« passez moi le sel »); minimisez la contrainte : sólo quería preguntarte si puedes prestarme tu lápiz un minutito (je voulais juste te demander si tu peux me prêter ton stylo une petite minute); demandez pardon de manière réitérée ; ayez recours au discours impersonnel ; soyez extrêmement ambigu et vague ; généralisez et utilisez l’ellipse. 1)

Une professeur a besoin d’un classeur. Une secrétaire en trouve un et le lui prête. Passent plusieurs jours sans que la professeur ne manifeste son désir de le rendre. Finalement la secrétaire lui dit : Professeur, me acordé del archivador (Professeur, je me suis souvenue du classeur). La professeur répond :

84


Es cierto, se me había olvidado, lo voy a comprar ahora mismo y te lo devuelvo (c’est vrai, j’avais oublié, je vais en acheter un tout de suite et je te le rends) (Concepción, 1996). D’une part, les jours écoulés entre le prêt et la requête révèlent les difficultés de la secrétaire à la faire. Sa conditition de subalterne contribue à expliquer cette difficulté. La première chose qui attire l’attention est l’absence de relation entre les deux énoncés. Cependant, le contenu implicite aporté par la situation communicative complète l’information et la professeur interprète automatiquement comme une réclamation l’énoncé affirmatif de la secrétaire. La professeur tutoie la secrétaire. Cette dernière, en revanche, la vouvoie et s’adresse à elle en utilisant le titre de professeur. Elle ne l’appellerait jamais par son nom. Appeler les choses (et les personnes) par leur nom, de manière directe est le contraire de les nommer par des subterfuges de manière atténuée, nommer “comme celui qui ne tient pas vraiment à quelque chose”. Reprenant le chapitre de la politesse, ici nous voyons comment la secrétaire atténue son énoncé afin d’éviter de menacer l’image négative (le territoire) de la professeur. Pour éviter l’énoncé tel qu’il aurait dû être profesora, acuérdese del archivador (professeur, pensez au classeur) la secrétaire s’octroie à elle-même l’action du verbe. 2)

La secrétaire dit à un patient dont vient le tour : Elcira, ¿pasamos? (Elcira, nous y allons ?) (Santiago, 1996). L’impératif est atténué par une question et, pour ne pas faire allusion directement à son interlocutrice, elle s’inclue dans l’action et utilise la première personne du pluriel.

3)

Une linguiste a remis un article à une amie également linguiste. L’amie qui le reçoit dit :

Oye, ¿Sería muy traumático que yo te comentara un pequeño detalle de ortografía? (Dis-moi, ce serait très traumatisant que je te commente un petit détail d’orthographe ?) (Santiago, 1996). Ici la locutrice craint de blesser l’image positive (narcissisme) de son amie en lui faisant une critique. 4)

Dans un autobus le chauffeur dit à un passager qui veut descendre :

Tratemos de bajar por atrasito, atrás ‘tá la bajá, por favor, no ve que por aquí pasan parte (Essayons de descendre par la petite porte arrière, la descente c’est par l’arrière, s’il 85


vous plait vous voyez pas que par ici ils mettent des amendes) (Santiago, 1996). 5)

Une femme dit à son fils, s’excusant pour son retard : Estoy en [la heladería] Tavelli todavía mijito. Estoy casi saliendo en unos 15 minutos más (je suis encore au [glacier]Tavelli mon poussin. Je suis sur le point de partir dans une quinzaine de minutes (Santiago, 1996).

6)

Quelqu’un appelle sa soeur à 22 h : –¿Estaban durmiendo? (vous dormiez ?) –Lmmm regular (mmm moyen) –Llamo mañana (je t’appelle demain) –Sí (oui) (Santiago, 1996).

7)

Dans une librairie, il y a deux femmes qui regardent des livres de la même étagère. L’un d’elles dit :

Perdón, me voy a poner un poco así agachada, acá (pardon, je vais me baisser un peu là) (Santiago, 1996). 8)

Deux amis sont en train de déjeuner dans un restaurant. L’un deux dit à son interlocutrice : ¿Vamos como andando?, yo estoy medio apuradito (on commence comme à y aller ? ; moi je suis à moitié pressé) (Santiago, 1996).

9)

Deux amies se rencontrent. L’une d’elles, pour éviter de continuer à discuter dit après un bref dialogue : Estoy media atrasadita (je suis à moitié pressé)

10) Une amie en appelle une autre par téléphone. Celle-ci, afin d’éviter une longue conversation lui dit : Yo tengo como que ir saliendo en este ratito (je dois comme commencer à sortir dans un petit instant) 11) Sur la place de Concepción (1996), il y a un tournage, il y a des policiers qui évitent que les gens ne s’approchent de trop près. L’un d’eux dit :

Caballeros, ¿por qué no avanzamos hacia atrás?, por favor. (messieurs, pourquoi on n’avance pas vers l’arrière. S’il vous plait ?) 86


12) Dans une station d’essence, après avoir été servie, une cliente dit : Le voy a pedir la boleta, eso sí, por favor (je vais vous demander le ticket, ça oui, s’il vous plait) (Santiago, 1996). 13) Dans un café, à l’heure de la fermeture, une serveuse dit à un couple, assis à une table :

Discuuulpa, te voy a dar el vale ( Paaardon, je vais te donner l’addition) (Santiago, 1996). L’atténuation est requise par le fait que la serveuse communique aux clients qu’ils doivent partir du café. 14) Deux amis se rencontrent. L’un d’eux qui vient d’arriver du Costa Rica dit à l’autre La gente que está en Costa Rica ‘ta queriendo venirse ‘ta como eh ... achatada entonces por eso a la larga Costa Rica te achata (les gens qui sont au Costa Rica sont en train d’avoir envie de revenir sont comme eh…aplatis alors c’est pour ça que au bout du compte le Costa Rica t’aplatit. 15) Fuguet qui caricature la manière de parler de la jeunesse urbaine de la classe moyenne au Chili, met dans la bouche d’une jeune fille les mots suivants : Bueno, después de eso, como que se levantó una muralla, no nos llamábamos por teléfono aunque cada una se moría por hablar, esperando al lado de él viendo si sonaba (bein, après ça c’est comme si un mur s’était élevé, on ne s’appelait plus au téléphone même si chacune mourait d’envie de parler, attendant à côté de l’appareil pour voir s’il sonnait (Fuguet, 1990: 63). Por qué no me pasái otro pucho [cigarrillo] porfa ... como que lo necesito (pourquoi tu ne me passe pas une autre clope , stup…j’en ai comme besoin (Fuguet, 1990: 63).

Como que nada que ver que te cuente todo esto, no sé, como que no puedo dejar de hablar (c’est comme rien à voir que je te raconte tout ça, comme si je pouvais pas m’arrêter de parler (Fuguet, 1990: 56). 16) Les trois exemples suivants sont des paroles de paysans : Cuando uno es pequeño agricultor como que la gente no lo toma en cuenta, lo que trabaja, lo que hace (quand on est un petit agriculteur c’est comme si les gens ne te prenaient pas en compte, ton travail, ce que tu fais) (Grupo de Investigaciones Agrarias (GIA), 1986). 87


Tengo una edad suficientemente que ya no, como que ya no es para mí esta revista (j’ai un âge tel que c’est fini, comme que ce magazine n’est plus pour moi) (GIA, 1986). [Mi padre] todo el tiempo como que tuvo una admiración por mí ([mon père] tout le temps, c’est comme s’il avait eu de l’admiration pour moi) (GIA, 1986, Tomo IV: 376). 17) Une amie écrit à une autre :

¿Sabes? como que me siento extraña en el ocio (que nunca es ocio por lo demás) ( tu sais quoi ? c’est comme que je me sens bizarre dans le désoeuvrement (qui n’est jamais du désoeuvrement par ailleurs) (Carta de 1991). 18) L’atténuation limite l’affirmation. L’exemple suivant nous donne raison, dans le sens où ceci correspond à une caractéristique de la manière de parler chilienne : O sea, además creo que, en general, el alumno ... como que no se le da ... eh ...una fuerza para decir : “bueno, yo pienso esto, esto y esto, y lo puedo contraponer a la opinión del profesor” (c’est à dire, je pense que, en général, l’élève... c’est comme si il n’avait pas…heu..la force de dire : “bon, je pense ceci, ceci et ceci et je peux l’opposer à l’opinion du professeur) (Rabanales, 1979, Muestra 25). 19) Une femme cadre de Santiago parlant des adolescents dit : Es como mucho (es el colmo) que haya tanta película donde se ve chascones y chasconas drogados y volando y con ataque de una y otra cosa (c’est un peu trop (c’est le comble) qu’il y ait tant de films où l’on voit des échevelés et des échevelés drogués et volant et avec des attaques d’une truc ou de l’autre (Rabanales, 1979, Muestra 9). 20) Il s’agit dans l’exemple suivant d’un jardinier que la femme qui écrit la lettre a remercié (notons l’euphémisme de ce verbe qui nous évite l’incommodité de dire renvoyé). Joel de repente es bien lenteja y olvidadizo (Joel de temps en temps est bien lambinard et tête en l’air) (Carta de 1993). Si elle a décidé de le renvoyer, on peut supposer qu’il est toujours lent et pas seulement de temps en temps. L’adjectif lent est atténué en lui substituant lambinard.

88


21) Une mère écrit à sa fille :

Oiga Rosita, de repente tengo la sensación que no estás bien en Italia (...) No pareces muy convencida del esfuerzo que estás haciendo, si vale o no la pena (écoutez Rosita, parfois j’ai l’impression que tu n’es pas bien en Italie (…). Tu ne parais pas très convaincue de l’effort que tu es en train de faire, si ça vaut ou pas la peine (Lettre de 1993). Le diminutif affectif anticipe le traitement d’un sujet délicat (noeud). La mère n’ose pas affirmer, par peur d’entamer l’image positive (narcissisme) de sa fille qu’elle sent mal. Elle ne se risque pas à lui suggérer qu’elle rentre dans son pays. No estás convencida del esfuerzo que estás haciendo (tu n’es pas convaincue par l’effort que tu fais) est atténué par le verbe performatif parecer (paraître) et par l’adverbe d’intensification très. 22) Dans l’exemple suivant, le caractère atténuant de medio (à moitié) se voit renforcé par l’emphase de l’aspect duratif de la périphrase nos anduvimos enojando (on s’est un peu fâchés). L’alternative sans périphrase du gérondif nous nous sommes fâchés, en mettant en avant le caractère temporel et non pas le modal, donne comme résultat un énoncé apodictique.

Nos anduvimos medio enojando (on s’est à moitié fâchés) (Lettre de 1993). 23) Voyons un autre exemple : En general no estoy muy animosa , me siento un poco en el aire con mi situación, de algún modo la monotonía ha invadido mi vida, necesito con urgencia hacer cosas nuevas (Carta de 1991). (De manière générale je ne suis pas très enthousiaste , je me sens un peu dans une situation d’attente, d’une certaine façon, la monotonie a envahi ma vie, j’ai besoin de manière urgente de faire de nouvelles choses (Lettre de 1991)). Si nous lisons le paragraphe en inversant l’ordre des énoncés, il apparaît avec évidence que un poco (un peu) n’est rien d’autre qu’un atténuateur. Si la femme de 29 ans qui écrit cette lettre a besoin de manère urgente de faire de nouvelles choses c’est parce que la monotonie a bel et bien envahi sa vie. Dans de telles circonstances on peut présumer qu’elle se sent totalement dans une situation d’attente et pas seulement un peu. Par ailleurs le plus probable est que je ne suis pas très enthousiaste soit aussi un atténuateur qui cherche à mitiger son manque d’énergie pour ne pas importuner le destinataire de la lettre.

89


24) La première partie de l’extrait suivant est concessif, elle atténue la manifestation de sentiments personnels négatifs qui ont réellement motivé l’écriture de cette lettre : Mi pega, bien en general, salvo que me absorbe demasiadas horas y eso me da un poco de lata (...) No sería nada si estuviera haciendo cosas entretenidas, pero resulta que muchas veces, como ahora que te estoy escribiendo, no pasa nada porque estoy a la espera de decisiones que no dependen de nosotros (Carta de 1991). (Mon boulot ça va de manière générale, sauf que ça me prend trop d’heures et ça, ça me casse les pieds (…) Ca irait encore si je faisais des choses amusantes, mais il se trouve que souvent, comme au moment où je t’écris, il ne se passe rien car je suis dans l’attente de décisions qui ne dépendent pas de nous) (Lettre de 1991). Cet extrait a une structure similaire aux énoncés adversatifs, à l’apparence concessif oui, mais… le caractère concessif est apporté par l’adverbe d’affirmation si (oui). Au Chili, il est tès fréquent de recourir à ce type d’énoncé pour manifester de manière atténué, un désaccord avec l’interlocuteur : –¿me queda bien este peinado? (ça me va bien cette coiffure ?) –sí, pero te quedaría mejor este otro (oui, mais celle ci t’irait mieux). 25) Comme nous l’avons déjà dit, le métier de journaliste n’est pas la garantie d’une plus grande objectivité dans l’usage du langage. C’est ce que démontre Romero et Torres : El chileno ha sido siempre un poquito infiel, partiendo por nuestro conquistador Pedro de Valdivia, quien dio el ejemplo, engañando a doña Marina con doña Inés de Suárez (Romero & Torres, 1995 : 85). (Le Chilien a toujours été un petit peu infidèle, à commencer par notre conquistador Pedro de Valdivia, qui a donné l’exemple en trompant doña Marina avec doña Inés de Suárez. 26) Dans l’énoncé suivant, il y a une contradiction évidente entre ses deux parties :

Está un poquito gordito. Va a haber que ponerlo a dieta (Carta de 1992). (Il est un tout petit peu grassouillet. Il va falloir le mettre au régime) (Lettre de 1992). Si l’on considère que quelqu’un doit être mis au régime c’est parce qu’il nous parait gros, pas un tout petit peu grassouillet. Ceci est encore plus clair si nous tenons compte du contexte dans lequel apparaît cet énoncé. Celle qui parle est une femme de 30 ans, qui souhaite présenter un ami à une amie célibataire. L’énoncé fait partie d’une conversation entre les deux amies. A la demande de son interlocutrice, la première femme lui décrit l’ami en question.

90


27) Une grossesse peut prendre par surprise une femme, mais comment pourraitt-il la prendre seulement un petit peu par surprise ? A la Titi la pilló un poquito desprevenida (el embarazo), pero con todo pienso que fue un buen momento, con poco pensar y recién llegados (Carta de 1993). (Ça l’a un peu pris par surprise (la grossesse) à Titi mais malgré tout, je pense que ça a été un bon moment, sans trop y penser, à peine arrivés (Lettre de 1993)). 28) Le caratère duratif de la périphrase no se está sintiendo bien (elle est en train de ne pas se sentir bien) donne à l’énoncé un sens atténué : La María ha confesado que no se está sintiendo bien (Carta de 1991). (Maria a confessé qu’elle est en train de ne pas se sentir bien) (Lettre de 1991). L’alternative sans périphrase du gérondif no se siente bien (elle ne se sent pas bien), ne paraît pas atténuée car c’est le caractère temporel et non le modal qui est mis en avant. 29) Le surpoids comme nous l’avons dit est un sujet noeud.

Anita, creo que sería bueno que hicieras un poco de régimen (Anita, je crois qu’il serait bon que tu fasses un peu de régime). Le contenu de l’énoncé se résume à Ana, debes hacer régimen (Ana tu dois faire un régime). Le diminutif du nom indique une relation de déférence de l’interlocuteur envers l’auditeur et le prépare à recevoir une critique, mais sur un ton affectueux. 30) Pour terminer, voyons quelques périphrases verbales : Bueno Anita, por aquí voy terminando. Es tarde y me quiero echar (bon Anita, je commence à terminer par là. Il est tard, j’ai envie de me coucher) (Lettre de 1991). Puse un departamento aquí para pasar algunos meses, otros meses en Costa Rica. Me vine viniendo de a poco (Carta de 1992). (J’ai pris un appartement ici pour passer quelques mois, les autres mois au Costa Rica. J’ai commencé à rentrer petit à petit) (Lettre de 1992). Yo creo que ya podemos irnos despidiendo , porque ya no queda nada ya, oye ¿ah? (Rabanales & Contreras, 1990: 233). (Je crois qu’ on peut commencer à nous dire aurevoir parce qu’il ne reste plus rien à dire, regarde , hein ? Nos va quedando bien poco de esta larga conversación que hemos tenido (Rabanales, 1990: 233). (Il nous va restant bien peu de cette longue conversation que nous avons eu).

91


5. Les raisons qui expliquent la fréquence de l’atténuation dans le castillan du Chili 5.1. La stratification sociale La première raison que nous avons avancée pour expliquer la plus grande atténuation dans le castillan du Chili par rapport à celui d’Espagne est la nette stratification sociale de notre pays. Mienson-Rigau (1993: 171) affirme que la politesse, comme instrument de séparation des classes sociales opère tant par le biais du langage verbal que par celui du langage corporel : Elle produit des signes extraordinairement éloquents dont la fonction est de permettre la reconnaissance et la classification des individus. Nous souhaitons adopter la distinction que font aussi bien Compte que Beinhauer entre la politesse, toute simple, et celle que Compte a appelé “politesse obséquieuse et servile” et Beinhauer “politesse maître-valet”. Effectivement, si nous considérons le niveau socio-économique des interlocuteurs, la distinction entre deux types de politesse devient indispensable. Dans notre société, la hiérarchie sociale est très marquée. Le recours au vouvoiement ou au tutoiement reflète cette distance sociale. Dans l’Espagne de ces dernières années, le tutoiement s’est beaucoup généralisé. Ils s’établit des relations réciproques entre des persones aux métiers les plus divers. Les différences soci-économiques entre elles sont beaucoup plus ténues que celles qui existent au Chili. Voyons quelques exemples, qui illustrerons dans notre pays, ce que nous avons dit. a) Au Chili, à la différence de ce qui a lieu en Espagne, les personnes qui occupent des emplois ‘non qualifiés’ jouissent d’un prestige social inférieur à celui dont bénéficient les personnes qualifiées. A Valence, j’ai entendu le dialogue suivant entre une dame d’environ 70 ans et un livreur de gaz : Elle : ¿no me has traído gas? (vous ne m’avez pas apporté de gaz ?) Lui : no, señora, se me ha acabado (non madame, j’en ai plus). Elle : ¿pero, cómo? si yo lo he pedido hace dos días (mais comment ? Alors que je vous l’ai commandé il y a deux jours). Lui : sí, señora, pero se me ha acabado ¿qué quiere, que se lo pinte? (oui madame, mais j’en ai plus, qu’est ce que vous voulez, que je vous le peigne ?) 92


Au Chili, la question finale apparaîtrait insultante. Par ailleurs elle ne serait pas compatible avec le vouvoiement et l’utilisation de señora (madame) b) En Espagne on entend fréquemment dans la rue des demandes comme dame dinero (donne-moi de l’argent). Cet exemple est impensable au Chili à cause de la stratification sociale du pays. Dans une situation analogue, celui qui demande ne tutoiera pas son interlocuteur, mais lui dira usted (vous). La demande peut être atténuée par por favor (s’il vous plaît). La plata (l’argent) n’est pas mentionnée, seule une moneda (monnaie) sera demandée, atténuée très probablement par le diminutif monedita (petite pièce). À la place de « monedita », il pourrai dire una ayudita (une petite aide). Dans ce cas, l’atténuation obtenue par le diminutif sera renforcée par l’euphémisme. La demande pourra être formulée des manières suivantes : deme una monedita, por favor (donnez-moi une petite pièce, s’il vous plaît) ; ¿me daría una ayudita, por favor? (vous me donneriez une petite aide, s’il vous plaît ?) ou ¿me podría dar una ayudita, por favor? (vous pourriez me donner une petite aide, s’il vous plaît ?). c) Le dialogue suivant a eu lieu entre un homme d’une trentaine d’années qui demandait de l’argent et un autre de près de 40 ans : –Deme algo de dinero, caballero (donnez-moi un peu d’argent, monsieur) –Llamándome caballero ya la has fastidiado (en m’appelant monsieur, tu as déjà tout gâché). –Vale, colega, dame algo (allez, collègue donne-moi quelque chose). L’homme s’est fâché car en Espagne on réserve caballero (monsieur) aux personnes d’un certain âge. Au Chili, cette manière de s’adresser à quelqu’un aurait été en affinité avec la situation. d) Les femmes qu font le ménage au Chili sont appelées empleadas (employées) et établissent avec leurs patronas (patronnes) une relation beaucoup plus distante qu’en Espagne Un signe évident de cette distance est qu’elles disent obligatoirement usted (vous) à leur patronne et l’appellent señora (madame). On ne s’attend pas à ce qu’une employée, au Chili demande de l’aide à sa patronne pour, par exemple, soulever un meuble lourd. On ne s’attend pas non plus à ce qu’elle émette un jugement sur ce qu’elle voit, ni qu’elle donne des instructions à sa patronne sur la manière de faire les choses. Ces types de commentaires ne sont pas rares dans une situation analogue, en Espagne. On peut entendre la fille du ménage dire : Estas puertas están que se van de viaje (= asquerosas) (ces portes sont dégoûtantes); Hoy la casa está muy guarra (sucia) (aujourd’hui la maison est très sale); ¿Cuántos días hace que no limpias la cocina? (ça fait combien de temps que tu n’as pas lavé la cuisine ?) 93


Ou bien : El mocho (estropajo) se ha de pasar con vinagre (les serpillères doivent être trempées dans le vinaigre). Dans les relations non réciproques l’atténuation qui fonctionne de bas en haut, est souvent le résultat d’une estime de soi basse, de ce que l’on pourrait considérer comme unr autonégation des interlocuteurs de classes populaires, lorsqu’ils se dirigent à ceux de la classe moyenne ou supérieure. Cette autonégation se voit renforcée, bien entendu par le fait que les personnes des classes les plus puissantes, les nient. Ils ne les considèrent pas comme des interlocuteurs valables. Nous proposons de distinguer ainsi entre une politesse “maître-valet” et une politesse entre égaux. Il est évident qu’il existe une politesse basée sur la relation “maître-valet”, et il est évident aussi qu’un grand nombre de ce que nous avons considéré comme ressources d’atténuation provient de ce type de relation. Nous ne voyons pas cependant, de raisons de considérer, comme le fait Beinhauer, cette relation comme fictive. Il nous dit qu’avec elle “le parlant feint d’assumer le rôle de serviteur de l’interlocuteur, lui attribuant celui de maître” (Beinhauer, 1991 : 136). Au Chili, ce type de relation est établie socialement et correspond à la grande stratification socio-économique de ses habitants. L’un des interlocuteurs y est effectivement un serviteur et l’autre effectivement le patron. C’est la relation qui s’établit, par exemple entre l’employée de maison et sa patronne ou entre les paysans et leur patron. Mais elle existe aussi entre les personnes qui exercent des métiers comme celui de plombier, électricien, facteur, etc. et leur client. Elle apparaît également entre le mendiant ou le vendeur ambulant et le passant. En résumé, elle apparait chaque fois qu’un parlant de classe populaire s’adresse à une personne de classe supérieure. e) Un acheteur dans une boulangerie en Espagne, dira au vendeur : me pones un kilo de pan de huerta y dos ensaimadas (vous me mettez un kilo de pain de campagne et deux gâteaux). Au Chili, l’acheteur vouvoiera le vendeur et n’emploira pas l’impératif mais plus probablement le conditionnel ¿me podría dar un kilo de marraqueta? (vous pourriez me donner un kilo de marraqueta (sorte de pain) ?)

94


5.2. Influence de la langue de substrat et des langues indigènes au contact de l’espagnol d’Amérique Mais les différences dans l’usage de l’attténuation et de la politesse au Chili et en Espagne, ne sont pas dûes exclusivement à une stratification sociale plus marquée du pays sud-américain. Nous n’avons pas étudié la relation qui existe entre atténuation et affectivité, mais nous avons dit que l’atténuation, comme la politesse, suppose une attitude déférente du parlant envers son interlocuteur. Comme nous pouvons le voir dans le récit suivant de la Doctrina Cristiana, les Indiens étaient considérés par les Espagnols comme des gens faibles, davantage mues par les affects que par la raison. On peut présumer, donc, que la différence de caractère entre les Indiens et les Espagnols, se reflétait dans le langage, contribuant à ce que celui des premiers soit plus atténué que celui des seconds. Dernièrement, par expérience, on constate que ces Indiens (comme les autres hommes) en général, se laisse convaincre et agissent davantage par les affects que par la raison. Et ainsi, il est important dans les sermons d’avoir recours à des choses qui provoquent et éveillent leurs affects, tels que des apostrophes, des exclamations et autres figures que nous enseigne l’art oratoire et la grâce de l’Esprit Saint pénètre mieux quand brûle le sentiment du prédicateur évangélique. L’Apôtre disait : ‘Vellem apud vos esse modo et mutare vocem meam’. Parce que sans doute, bien que ces lettres fussent très efficaces, son allocution était incomparablement meilleure et il semblait qu’il imprimait un esprit céleste lorsqu’il parlait, et c’est pour cela que Saint-Augustin conseille tellement que le prédicateur qui souhaite imprimer les mots de Dieu par les sermons, les transmette d’abord par des prières. Et bien que ceci soit général à tout le monde, l’expérience prouve qu’avec les Indiens en tant qu’ Etres faibles par définition, dès qu’ils entendent chez celui qui leur parle un quelqconque type d’affect, ils entendent, goûtent et se déplacent de manière différente. Car, eux-mêmes, entre eux dans leur langage, ils ont tant d’affects dans les mots, que ceux qui ne les connaissent pas peuvent n’y voir que de l’affectation et des manières (Troisième concile de Lima, Doctrina Christiana [1584], 1985: pp.356-57, Consejo Superior de Investigaciones Científicas, Madrid). Kany (1969) recueille une série de locutions verbales d’origine quechua qui sont passées dans l’espagnol dans diverses régions d’Amérique. Ainsi par exemple, il signale : En Equateur et dans la région frontalière du sud de la Colombie, on trouve, en plus de mandar + gérondif (envoyer + gérondif), l’usage de dar (donner) en qualité

95


d’auxiliaire suivi d’un gérondif dar vendiendo= vender (vendre), dar matando=matar (tuer), etc., construction courante non seulement dans le petit peuple, mais aussi dans le parler courant de personnes dotées d’un certain niveau culturel. Cela parait moins abrupt et donc plus courtois, que le simple verbe : utilisé en forme de demande, la force impérative de l’expression se trouve modérée en la convertissant en un souhait poli (Kany, 1969: 255). Il n’est pas dans notre propos ici de nous étendre sur la possible influence des langues de substrat et des langues en contact dans l’atténuation du castillan, mais par contre il nous semble intéressant de mentionner la nécessité de la considérer dans le cadre de futures études sur l’atténuation. 5.3. Les notions de temps distinctes Günther Haensch fait référence à un autre des aspects importants à prendre en compte en matière d’atténuation et de politesse. Le niveau de développement significativement plus faible de bons nombres de pays d’Amérique latine par rapport à l’Espagne, fait que le mode de vie de ses habitants est très différent de celui des Espagnols. Cela se répercute dans la manière d’être en relation. Evoquant les haut plateaux boliviens, l’auteur nous dit : Dans le récit (énoncé oral), l’intercalage de verbes déclaratifs (verba dicendi) est fréquente comme : Le (te) cuento que (je vous (te) raconte que), le comento que (je vous commente que), mira que (regarde que), etc. Il ne faut pas oublier que pour un hispanoaméricain le rituel compte d’avantage dans la vie (et aussi dans le langage) que le fonctionnel. L’hispanoaméricain ne pense pas encore (à part dans quelques grandes villes, ou bien là où il y a déjà un début de société de consommation) en terme d’utilité, de productivité ; pour lui, les relations humaines sont quelque chose de très important (…) Il a une autre notion du temps que le nordaméricain ou l’occidental européen, il investit plus de temps dans les contacts humains, de là (…) les salutations et les prises de congé qui durent plus longtemps (Haensch, 1994 : 189).

96


6. L’atténuation en Amérique4 Levinson, comparant la culture Hispanique avec l’anglaise, nous dit que dans la manière d’utilisr l’atténuation interviennent des facteurs culturels : Au crédit de l’arbitraire [des atténuateurs] on pourrait ajouter l’intervention d’un facteur culturel. Par exemple la culture anglaise, paraît avoir davantage tendance a employer des circonlocution ou des atténuants de politesse que la culture hispanique (Levinson, 1989: 262). S’il existe une relation entre culture et atténuation, cela contribuerait à expliquer pourquoi, par bien des aspects, l’utilisation du castillan par les autres pays d’Amérique est également plus atténuée que celui d’Espagne. Hall, à partir de l’anthropologie, mentionne la tendance de la culture latinoaméricaine à l’évitement : Il est important d’avoir présent à l’esprit, que dans la culture latinoaméricaine, plusieurs forces sont en présence. La première consiste en l’évitement, à tous prix, de la confrontation face à face ou d’un désaccord quelconque avec les personnes avec qui on collabore ou avec qui l’on a une relation quelle qu’elle soit (Hall, s.f.: 141). La relation entre atténuation et évitement nous paraît évidente. Afin d’illustrer le phénomène de l’atténuation dans les autres pays d’Amérique Latine, nous donnerons quelques exemples que nous avons recueillis pour le Mexique et le Pérou : Mexique Carnicer nous dit de la politesse au Mexique : La politesse mexicaine n’a pas d’équivalent. A l’expression ‘gracias’ (merci) correspond habituellement cette réponse, prononcée avec la lenteur propre à la politesse : ‘A usted se le dan’ (c’est vous qui êtes remercié). Il n’est pas moins amusant de constater qu’à une demande, on répond par un gentil reproche : ‘¿Cómo no?’ (comment non ?) (Carnicer, 1977 : 120). Selon le témoignage d’amis mexicains résidents à Valence, dans un restaurant, il est habituel de dire au serveur : ¿te molesto con el azúcar, por favor? (je t’embête avec le sucre, s’il te plaît ?). Dans ce cas le parlant, part du principe évident que sa

Ce chapitre correspond à la thèse (Puga, 1996) ; il n’apparaît pas dans la première publication de la recherche (Puga, 1997) 4

97


demande va embêter son interlocuteur, même si la fonction de celui-ci est précisément de répondre aux demandes de ses clients. Il est intéressant d’observer que, dans ce cas, la formulation de la demande est complètement éludée. Autre manière d’atténuer la demande, dans une situation similaire, serait d’utiliser le verbe regalar (offrir): ¿me puedes regalar salsa brava? (tu peux m’offrir de la sauce ?), demandait mon témoin dans un bar de Valence. Le garçon, qui n’avait pas compris le sens de ses paroles, apporta à la table une bouteille de sauce neuve et fermée afin que son client puisse l’emporter chez lui. Quand il s’agit de quelque chose d’aussi simple que de demander un stylo, mes témoins coïncidaient sur le fait qu’une des manières habituelles de le faire est de dire : ¿me prestas tantito tu lápiz? (tu me prêtes une seconde ton stylo ?) assurant, avec le diminutif, à son interlocuteur que la gêne qui va lui être occasionée en prêtant son stylo sera brève dans le temps. La question, nous l’avons dit, est également un facteur atténuant. Il est fréquent que la demande soit formulée en ajoutant devant l’adverbe de négation no (non), avec lequel on paraît vouloir faciliter à l’interlocuteur la possibilité de refuser la demande ¿no me regalas un vaso de agua? (tu me donnes pas un verre d’eau ?) ou bien ¿no me haces un favor? (tu me fais pas une faveur ?). S’il s’agit de demander une somme d’argent, ou quelque chose de plus important qu’un stylo, le parlant mexicain, comme le chilien, prépare le terrain avec une longue série d’explications qui justifient sa demande. Celle-ci ne se formule qu’en seconde instance. Dans ce cas, ces explications peuvent être considérées comme des atténuateurs. Si la réponse de son interlocuteur est négative, elle sera précédée par une série toute aussi fournie de justifications. Ces justifications indiquent d’avance, à l’interlocuteur, qu’il va obtenir une réponse non préférée. Mes témoins signalent que formuler une critique à l’encontre de son interlocuteur, ne se fait jamais de manière directe. No te ofendas pero (ne te fâche pas mais) pourrait en être le préambule. On ne critique jamais un ami en public. En cela les usages mexicains et chiliens sont aussi concordants. Pérou L’utilisation des diminutifs à des fins d’atténuation est beaucoup plus fréquente au Pérou qu’au Chili. Souvent les diminutifs se multiplient L’usage de périphrases verbales avec le gérondif parait aussi plus courante : Aquí voy dejando un lapicito para el teléfono (je suis en train de laisser là un petit stylo pour le téléphone). Un énoncé dont le sens pragmatique peut être no te vuelvas a llevar este lápiz de aquí, porque cuando lo necesito para tomar algún mensaje telefónico nunca está a mano (ne prend pas à nouveau ce stylo de là, parce que lorsque j’en ai besoin pour prendre un message, il n’est jamais à portée). 98


Des exemples comme le précédent, il y a : voy botando la basura (= voy a botar la basura) (je vais jeter la poubelle), voy comprando el pan (je vais acheter le pain), voy acompañándolo a su carro (je vais l’accompagner à sa voiture). Alfredo Torero5 indique que le sens inchoatif de la périphrase a pour objet d’informer l’interlocuteur de l’action que va réaliser le parlant et lui donner l’occasion d’intervenir, soit en s’opposant à ce qu’il la réalise, soit en participant à sa réalisation. D’une certaine manière en utilisant cette périphrase, le parlant demande la permission à l’auditeur de réaliser une action déterminée.

5

Opinion du linguiste péruvien lors d’une communication directe.

99


IV. Conclusions

1. Où se manifeste l’atténuation ? L’atténuation verbale a été entendue comme ressource qui permet aux participants à une situation de communication de prendre une certaine distance d’avec les autres. L’homme est un animal de non contact qui a besoin, pour vivre, de préserver son territoire physique et son image sociale. Cependant, il ne peut se séparer de ses congénères au point de perdre totalement contact avec eux. Le paradoxe veut donc que l’homme a besoin de la proximité des autres, mais qu’il doit maintenir avec eux à tous moments une certaine distance. Cette distance varie selon le type de relation qui s’établit entre les personnes. Un bon nombre d’interactions sont socialement fixées ; dans celles-ci, il suffit seulement de s’en tenir aux règles sociales de comportement pour que soit garantie la sauvegarde de sa propre image. La distance s’obtient dans ce cas, par un certain degré d’impersonnalisation de la relation. Nous trouvons un exemple clair de ce type de relation dans le fonctionnement de la bureaucratie. Face à elle, nous sommes tous ‘égaux’. Pour réaliser une opération bancaire, l’employé n’a pas besoin de nous identifier par notre propre nom. C’est pourquoi l’on dit que dans certaines occasions, ‘nous ne sommes qu’un numéro’. Cesser de n’être qu’un numéro signifie nous présenter avec les caractéristiques personnelles qui nous distinguent des autres. Mais il ne nous est pas toujours permis de le faire, et dans les situations où nous pouvons le plus facilement le faire ―comme quand nous sommes rentrés à la maison après une journée de travail―, on se trouve aussi confronté à une série de règles qui unifient notre comportement et nous assimilent aux autres. Si cette manière standardisée d’agir n’existait pas, si chacun de nous agissait ‘à sa manière’, ‘le monde ne marcherait pas’. La responsable du rôle normatif de nos actes est la culture. Nous pourrions établir les relations suivantes : Plus petite est la distance entre les personnes, plus grand est le danger d’être envahi

100


par les autres et donc, plus grand est le besoin de recourir à l’atténuation. Plus grande est la distance entre les presonnes, plus petit est le danger d’être envahi par les autres et, donc, plus petit est le besoin de recourir à l’atténuation. – distance > + danger d’invasion = + atténuation + distance > – danger d’invasion = – atténuation La relation nous paraît évidente ; cependant, nous sommes conscients de la contradiction qu’elle cache. Il existe un trait continu entre la distance qu’impose la culture et celle que, dans le domaine du langage, impose l’atténuation. Rien ne nous empêche de considérer les règles de comportement qui nous garantissent la sauvegarde des distances dans des situations déterminées ―comme celle que nous avons mentionnée de la transaction bancaire― comme une macro ressource d’atténuation. Restreignons-nous maintenant au domaine du langage. L’un des déterminants les plus évident de la distance qui s’établit entre les participants de l’interaction communicative est celle du canal. La communication face à face, la conversation ―du fait de la coprésence des interlocuteurs― est le type d’interaction dans laquelle les personnes sont le plus proches. L’écriture, pour sa part, est celle qui maintient le plus de distance entre les participants à la communication verbale. C’est pour cela que l’atténuation est plus présente dans la conversation que dans l’écriture. Reprenons notre schéma : Conversation : – distance > + danger d’invasion = + atténuation Ecriture : + distance > – danger d’invasion = – atténuation Aussi bien dans l’interaction orale que dans celle écrite la distance entre les participants varie selon le niveau de formalité de ces interactions. La relation est directe : à plus grande formalité, correspond plus de distance. Les comportements formels ont lieu selon les règles fixées socialement, selon les formes établies. La formalité implique uniformité de comportements et donc, un degré de renoncement à manifester son individualité. La formalité comme l’atténuation est un moyen d’instaurer des distances. Reformulons ce que nous avons dit. Dans les relations interpersonnelles, l’existence d’une distance entre les participants est indispensable. Si cette distance est donnée par la formalité de la situation communicative, les participants, protégés par elle, n’ont pas besoin de recourir à l’atténuation. La situation même, dans ce cas, les empêche de s’approcher dangereusement les uns des autres et d’autre part, elle leur permet d’obtenir des bénéfices de l’interaction sans besoin de le faire. Si notre but est d’acheter un kilo de pommes, l’interaction avec le vendeur de fruits aura été réussie pour les deux, si à la fin, j’ai mes pommes et lui, les a vendues. 101


Si, au contraire, il s’agit d’une situation communicative informelle, les participants, pour réussir à maintenir entre eux la distance qui les protège ―et qui cette fois ne leur est pas facilité par l’informalité de la situation―, auront besoin de faire appel plus souvent à l’atténuation. Revenons à notre schéma. – formalité > – distance = + atténuation + formalité > + distance = – atténuation Si nous évoquons différents types de conversations, la familière ―grâce à son informalité― est celle qui impose le moins de distance entre les interlocuteurs. Ainsi, c’est avec elle que s’exerce le plus l’atténuation. L’informalité n’est pas l’unique caractéristique d’une conversation familière, mais les autres caractéristiques ―cadre d’interaction familière et thématique non spécialisée―, en dépendent. Ainsi, dans la conversation : + familier > – distance = + atténuation Dans l’écriture, les lettres informelles ―justement parce qu’elles le sont― sont celles qui ont le plus en commun avec la conversation familière, et c’est pour cela que c’est chez elles que l’on rencontre le plus de manifestations d’atténuation.

2. L’atténuation au Chili et en Espagne Nous disions que l’attitude du parlant chilien dans la conversation est déterminée par une plus grande déférence vis à vis de l’interlocuteur. Le parlant espagnol, au contraire, se caratérise par une plus grande prédominance de son je . Si nous sommes dans le vrai, cela pourrait contribuer à expliquer la plus grande présence de l’atténuation au Chili. La déférence envers l’auditeur, établit une proximité entre les interlocuteurs. De son côté, la prédominance du je du parlant, marque une distance d’avec l’auditeur. De cette façon une plus grande atténuation verbale au Chili est rendue nécessaire par la relation plus proche que le locuteur établit dans la conversation avec son interlocuteur. + déférence envers l’interlocuteur > – distance = + atténuation – déférence envers l’interlocuteur > – distance = + atténuation + prédominance du je du parlant > + distance = – atténuation 102


– prédominance du je du parlant > – distance = +atténuation

3. Mots de la fin Le concept d’atténuation nous amène à considérer une série de caractéristiques de notre castillan qui s’étudient en général de manière isolées. Cela nous permet aussi d’établir un pont entre phénomènes linguistiques et attitude des parlants. Si la linguistique s’intéresse à l’étude des premiers, il manque d’autres disciplines humanistes pour traiter de l’attitude des parlants. Laissons ainsi une voie tracée pour initier de nouvelles études de caractère interdisciplinaires.

103


Annexe 1

Extraits de “Sergio Larraín García Moreno: Historia de una vocacion” L’annexe, extrait de la biographie que j’ai écrite sur mon grand-père (Boza, 1990: 21-39), montre l’atténuation dans le récit de l’architecte de 85 ans. C’est quelque chose de très étrange, comme des gens qui ne se connaissent pas, en commençant à parler et à se réunir avec des prières et des chants, peu à peu ouvrent des barrières et petit petit brisent les limites et les liens qui nous attachent aux conventions. Là on arrive à avoir une liberté que l’on aurait jamais cru possible (…) Notre vie acquiet au fur et à mesure son sens plein. Notre détachement pour les choses du monde, de nos jours nous y parvenons d’une manière beaucoup plus profonde, et je crois que nous regardons la mort avec beaucoup de sérénité (dont j’espère que Dieu me la préserve) (p.21). Je venais, arrivant du Chili sans une vision des choses, et j’allais, recevant, comme par tonnes, des informations et des éléments de culture et de savoir, que sûrement, je n’étais pas prêt à assimiler (…) C’était des voyages que faisait ma mère pour nous cultiver, je m’imagine. Je crois que ces différents voyages que nous avons faits, ont été comme un paysage des choses. Maintenant déjà à l’époque rien ne me choquait : j’allais le comprenant, j’allais trouvant tout facile. Il me semblait que tout faisait partie de la vie qui s’offrait à moi et qui était à venir (p.24). Dans cette solitude d’amis, de gens, de jeunesse de mon âge et parce que par la curiosité on apprend des choses ―et probablement aussi grâce à certains conjonctures de la vie― l’art m’a de plus en plus séduit (…). Les choses grandioses du Paris du XIXème siècle, apparemment ―je ne sais pas, 104


j’ai peur de ne pas être entièrement juste― je crois qu’elles ont cessé de me séduire tant (p.23). J’ai beaucoup été avec mon frère Pepe (…) Il avait17 ans de plus que moi et il a été en un certain sens un maître pour moi. Moi, je n’avais pas d’amis de mon âge. Sûrement que ma vie a été assez solitaire. Je me suis tout à fait habitué à être seul et à faire des choses seuls, à voyager seul. Ceci m’a beaucoup servi ensuite pour être seul. Sûrement que ça a été une vie assez anormale celle que j’ai eu, assez peu commune (p.25). En Europe, j’ai reçu, un peu par osmose, l’influence de la révolution, qui était en train d’éclore dans la sensibliité de toutes les générations. Je l’ai sûrement reçu de manière très forte, malgré le fait d’être confiné à l’anonymat ; et si peu remarqué ; le benjamin d’une famille latino-américaine qui vivait, comme en s’approchant un peu du spectacle de ce monde qui était en train de vivre l’aventure si grande dans l’art et dans les changements de valeur en général. Je me suis beaucoup attaché aux arts premiers qui me plaisaient de manière très particulière. C’est pour cela probablement que j’ai tant apprécié le médiéval, qui pour beaucoup de gens n’avait pas de signification spéciale. La force de la construction de la pierre, de la sculpture, des vitraux, de la lumière de Chartres…La cathédrale de Chartres ! On la voit dans le paysage, de loin, et c’est une merveille ; elle est parfaitement insérée dans la plaine de la Beauce. Elle est parfaite. Ce qu’il y a de sûr c’est que peu à peu, sans savoir pourquoi, par une décision intérieure et mystérieuse que l’on va prenant inconsciemment, j’ai commencé à dire (sans aucune raison par ailleurs) que j’allais être architecte (…) En ce temps, mon frère Pepe qui était un peu mon mentor, la personne qui m’aidait à faire mes premiers pas et qui allait voyant l’évolution de ma…sensibilité, je peux dire, car c’était quelque chose d’encore assez primaire (il n’y avait de volonté ni beaucoup d’intellectualité dans cela (…) Ce livre était une sorte de manifeste, de propagande des idées et motivations qu’avait l’architecture moderne (…) L’architecture qu’il proposait je la trouvais assez repoussante tant elle me paraissait inhumaine. Cependant, le texte de Le Corbusier et les arguments qu’il avançait sont allés en me convainquant du fait que tout l’art contemporain, surtout l’architecture en vogue au cours du siècle précédent et au commencement de celui-ci, était une architecture de pastiche, de choses fausses, de choses placées plutôt en souvenir de quelque chose du passé, mais qui ne correspondaient véritablement à rien. Elles ne correspondaient à aucunes des architectures du passé dans leur véritable et grande tradition (…)

105


Durant mon enfance, j’avais considéré que ça, c’était la vraie architecture (p.26). .. Ensuite, j’ai été dépréciant chaque fois plus cette période de l’art, cette architecture, ces formes. J’ai commencé à détester ces édifices comme la Bibliothèque Nationale (…) Avec la lecture du livre de Le Corbusier, j’ai été renforcé toujours plus dans l’idée que toute cette architecture était fausse (…) Il a commencé à se produire alors en moi une sorte de dichotomie très bizarre par rapport à Le Corbusier (…) Ses idées allaient me passionant chaque fois plus (…) Je me suis engagé toujours plus dans mon espèce d’obsession solitaire (parce que vraiment personne ne m’y motivait). La lecture de ce livre et le spectacle de la vitalité qu’était en train de manifester l’art révolutionnaire en Europe (…) allait renforçant en moi la valeur de cette architecture nouvelle, qui était une espèce d’étendard de combat pour moi (…) Ce doit être un peu comme quand les jeunes marxistes, à un moment donné, ont découvert Marx et qu’ils ont décidé qu’il fallait faire une révolution dans le monde pour tout changer (…) Avec ma famille, à ce moment là, nous avons commencé à diverger, sur l’appréciation de l’art du moment (p.27) J’ai commencé à me retourner contre ces choses et je me suis converti en une sorte de paladin (…) Il est possible que j’exagère un peu, que cela soit en train d’être démesurémment schématique ; ceci a dû être, pendant longtemps des sentiments plutôt mélangés qui se débattaient en moi. J’allais étant chaque fois plus exclusif en matière d’art. J’ai commencé à m’intéresser aux grandes périodes ou à certains grands peintres (…) Rome avait été autre chose pour moi. Paris par contre ―par rapport à mon expérience d’alors―, signifiait plutôt le résultat d’un monde bourgeois, du monde des riches (…) En disant tout cela je suis en train d’essayer de me souvenir de ce qui s’est passé alors. Je ne fais pas le tableau de ce que je pense aujourd’hui, parce que bien sûr, les choses ont changé. Et on change aussi beaucoup. La vie vous change beaucoup, si on ne s’endurcit pas trop… Je suis allé lui parler et je lui ai raconté quelle avait été mon histoire (…) J’ai commencé mes études et j’ai commencé à avoir une position de leader de ma classe C’est le genre de choses qui se préservent (comme toutes les choses officielles) par une espèce d’inertie, un manque d’imagination, de créativité, d’esprit d’innovation des gens, les professeurs et les directeurs (p.28). 106


Dans ces années, le monde de la société s’est ouvert pour moi, c’est à dire le monde de proust. J’allais à des fêtes, j’ai commencé à connaître des gens, je suis devenu très noctambule (…) Ce voyage était supposé être un complément à mes études d’architecture (…) Une fois revenus à Paris, on a visité de nouveau Le Corbusier (p.29). Les étapes préparatoires ―les études, le mariage, les voyages― étaient supposées finies (…) J’était un petit jeune un peu pédant quand j’ai eu mon dipôme, et en réalité, je ne savais rien (…) il m’a permis de décoller comme architecte. C’est avec lui que je suis allé, me risquant à voler (…) Je l’ai dit à Monsieur Carlos Casanueva (Doyen de l’université) que je ne savais rien en histoire de l’art, que j’avais un certain verni de culture parce que j’avais été en Europe, et que j’avais vu des architectures de différentes époques, mais que je n’avais pas étudié l’histoire de l’art (…) J’ai commencé à prendre des cours d’allemand pour pouvoir lire la plus grande partie des livres qui étaient à ma disposition (p.30). C’est amusant que plus tard, à l’âge mûr ―avec le passage des ans― j’ai fini faisant un musée des arts primitifs d’Amérique. C’est à dire des arts les plus primitifs du monde, peut-être. Cela, c’était écrit depuis le début dans ma vocation (…) J’ai l’impression que depuis toujours, ou depuis que j’ai commencé à découvrir l’art, je me suis tourné vers l’art le plus primitif, le plus spontané des peuples (…) J’ai imprimé une carte avec mon portrait, avec un regard sûrement très insinuant et provocant, et avec un message (qui avait l’air manuscrit) qui disait : ‘Chère électrice, je viens vous demander de voter pour moi ‘ (p.31). Je suis en train d’arriver un peu au temps proche de nous, et il me devient difficile de scruter le passé de manière chronologique (p.36). Cette offre de l’ambassade du Pérou, nous tombe dessus comme quelque chose de très loin de nous en ce moment (…) Ce fût une sorte de fête nautique dans la piscine (…) Pour cette raison, et parce que sans doute, sûrement, cela a aiguisé ma curiosité et mon intérêt…et qui sait, aussi un peu par vanité, j’ai accepté le poste (p.37). Le Pérou, c’est un peu un monde de régions différentes : régions sylvestres, de montagnes, de côtes et désertiques (p. 38).

107


Annexe 2

Réflexion finale : éthnographie et atténuation6 Depuis qu’en 1997 j’ai publié le livre La atenuación en el castellano de Chile: un enfoque pragmalingüístico, contenant les résultats de ma thèse doctorale faite à Valence entre les années 1992 et 1995, les études sur l’atténuation en castillan et dans d’autres langues, ont proliféré. Divers aspects de ma thèse ont été abondamment cités dans des études de langues aussi diverses que l’espagnol, le suédois, et même, le japonais. Les études qui se réfèrent à la politesse verbale font fréquemment alllusion également à l’atténuation. Lorsque j’ai réalisé l’étude, je ne savais pas de manière certaine ce que je faisais : mais désormais, quatorze années plus tard, voyant les échos que celle-ci a eu, je le comprends très bien. Je voudrais à cette occasion revendiquer ce type d’étude, qui, optant pour la généralité, se voient obligées de renoncer à la spécificité que suppose la description d’un phénomène ponctuel dans un corpus unique et délimité. Bien qu’évidememnt, mon étude s’appuit sur bon nombre d’études faites à partir de corpus limités, car ces deux types d’étude sont complémentaires. Le choix d’une approche pragmatique, centrée sur l’usage du language, avalise ce regard général. Souvent, ce genre d’études effraient car nous les considérons peu scientifiques, puisqu’elles donnent des résultats difficiles à quantifier. Mais il nous faut aussi être capable de suspecter la précision de beaucoup d’études en apparence rigoureuses qui rendent compte de manière détaillée d’un phénomène, mais s’appuient en

Le texte qui suit corrrespond à la communication que j’ai présentée au Ve Colloque International du groupe EDICE (Estudios sobre el Discurso de la Cortesia en Español [Etudes sur le discours de la politesse en espagnol]), qui a eu lieu à l’Université del Atlántico, à Baranquilla, en Colombie, l’année 2010. 6

108


réalité sur un corpus bien peu représentatif, qui nous empêche d’en tirer des généralisations significatives. Il y a quelques mois, j’ai lu le livre de Honorio Velasco et Angel Diaz de Rada, de l’année 1997, La lógica de la investigación etnografíca7. J’y ai trouvé la justification d’un grand nombre d’aspect du point de vue que j’avais adopté dans mon travail, d’une certaine manière intuitivement. Et je dis bien d’une certaine manière, car pendant que je travaillais, je me suis rendue compte de la nécessité d’aborder le phénomène de l’atténuation de manière interdisciplinaire et je me suis rapproché de la psychologie, de l’histoire, et bien sûr, de l’anthropologie. Mon étude a été orientée par l’anthropologue espagnol, José Luis García García 8 et par le linguiste et anthropologue péruvien, Alfredo Torero. García et Torero m’ont fourni les outils pour affronter cette étude qui consistait en une véritable étude éthnographique sur ma propre culture, la chilienne, mise en évidence par le contraste avec la culture espagnole, dans laquelle j’ai été plongée cinq annnées. Mon étude sur l’atténuation dans le castillan du Chili a été motivée par le fait que la majorité des latinoaméricains que je connaissais à Valence, se plaignaient de ce que les Espagnols étaient durs dans les relations, cassants, extrêmement directs, parfois impolis. De toute évidence, ceci recelait un sujet d’étude intéressant. Il n’est pas possible que les Espagnols ―ou les Valenciens― soient tous impolis : eux-mêmes ne se perçoivent pas ainsi. Mais il n’est pas vrai non plus que nous, les latinoaméricains soyons tous toujours polis. De manière évidente, il y a ici un contraste entre nos cultures qui, comme tout, se manifeste dans le langage. Et du fait qu’elle reflète une attitude des parlants, cette différence dans l’utilisation de ce qui est notre langue commune, produit d’importants chocs culturels et problèmes d’interprétation. Commentons quelques principes de la méthode éhnographique, proposée par Velasco et Diaz de Rada. La prétention qui motive le travail de terrain est l’appréhension de la totalité (…) Une telle prétention est dans le fond une utopie, mais finit par être, en même temps, extrêmement stimulante (…) Ceci implique que le tout, objet de la recherche, est toujours en découverte. Il aurait pu difficilement être prévu dans son intégralité (…) L’appréhension de la réalité est en ce sens, une tendance (…) La recherche ne cesse pas. (Velasco et Diaz de Rada, 1997 : 32: 33) J’ai choisi le terme atténuation précisemment parce qu’il rend compte d’une stratégie Honorio Velasco et Ángel Díaz de Rada (1997): La lógica de la investigación etnográfica. Un modelo de trabajo para etnógrafos de la escuela. Madrid. Trotta. 7

8 En 1994, alors que je poursuivais le doctorat à l’Universidad de Valencia, j’ai assisté à l’Universidad Complutense de Madrid, au cours : « El discurso de los informantes en el trabajo de campo antropologico » donné par le Dr. García García, titulaire de la chaire du département d’anthropologie sociale, à la faculté de sciences politiques et sociologiques. Plus tard, le Dr. García fît partie du jury d’évaluation de ma thèse.

109


très générale, que le parlant met en pratique en utilisant des recours très variés. Et c’est cette généralité qui permet de relier l’atténuation à une attitude, esquive, évasive, indirecte, des parlants. La “totalité” de ce dont parlent les auteurs a été, dans mon cas, l’atténuation . Cette thèse s’appuyait sur une certitude qui n’avait pas besoin d’être prouvée : précisemment celle qui consiste à dire que le castillan est plus atténué au Chili qu’en Espagne. Personne a aucun moment, ni au Chili, ni en Espagne, ne l’a mis en doute. La tendance à l’appréhension de la totalité, implique que les techniques employées, les fondamentales, soient suffisamment flexibles pour s’adapter à la nature hétérogène des situations de travail et à la nature moins hétérogène des données. Observation et entretiens sont deux manières basiques de recueillir de l’information ou plutôt de la produire (…) Dans l’observation, apparemment, l’information est obtenue à partir de la sensibilité, depuis la finesse de perception du chercheur face aux actions des sujets d’étude (…) En réalité, le travail de terrain fait du chercheur le premier informateur, un statut encore davantage consolidé par l’observation participante, qui doit donner à l’observation le caractère de vécu d’une expérience. (Velasco et Diaz de Rada, 1997 : 33-34) Il y a quelques temps, une collègue qui réalise sa thèse doctorale sur l’atténuation en portugais du Brésil, me disait son étonnement que ma thèse n’ait pas un corpus uniforme. En effet, c’est le cas. Le corpus était mon espagnol. Ma première informatrice était (et continue d’être) moi-même. Un carnet était indispensable pour noter tout ce qui me paraissait différent et plus tard, le comparer avec ce que j’aurais dit (ou fait) dans une situation similaire. Ainsi par exemple lorsqu’à la salle de gym j’entendais dire : apretad el culo (serre le cul), je savais que cette instruction ne s’entendrait jamais au Chili et que, à la place j’entendrais : aprieten el popis ou el pompis (serrez, le derrière ou le popotin). Je le savais parce que mon espagnol vit en moi ; je n’avais pas besoin de confirmation de cette certitude. Cependant, ma collègue a raison. Je n’analysais pas un corpus mais plutôt, je cherchais, en tout lieu, des manifestations de l’atténuation. Je me servais de tout : les lettres que m’envoyaient du Chili ma famille et mes amis, les livres et magazines que j’avais avec moi, les enregistrements discrets que je faisais quand je retournais dans mon pays, la télévision, la radio et quelques entretiens de Chiliens, Espagnols ou Hispanoamériaicans de diverses nationalités. Si je postulais que le castillan du Chili est plus atténué que celui d’Espagne, je ne pouvais pas prétendre analyser exclusivement le vocable como (comme) dans un énoncé du type : estoy como cansado (je suis un peu fatigué) ou dans un corpus, aussi grand soit il. Et ce n’est pas que je dédaigne les études sur como (comme), je veux dire qu’une étude sur como (comme) ne m’aurait pas permis de conclure que le castillan du Chili est très atténué ou qu’il l’est plus que l’espagnol de la péninsule. Je ne pouvais pas non plus prétendre rendre compte de manière systématique de

110


toutes les ressources d’atténuation existantes en castillan du Chili, mais pour les besoins de cette recherche cela n’avait aucune importance. A partir du moment où l’on accepte le fait que atténuer le langage soit une nécessité des Chiliens, on doit accepter aussi qu’apparaissent en permanence de nouveaux moyens de le faire. Récemment, est devenu à la mode, l’insupportable no es menor ou no menor; tuve un problema no menor; no es menor que no te hayan pagado a estas altura del mes (il n’est pas mineur ou pas mineur ; il n’est pas mineur qu’ils ne t’aient pas encore payé à ce stade du mois). Ici l’atténuation se manifeste par la litote, qui consiste à nier le contraire de ce que l’on veut affirmer : tuve un problema no menor équivaut à tuve un problema mayor (j’ai eu un problème pas mineur équivaut à j’ai eu un gros problème). Le but n’était donc pas de livrer un registre figé des ressources d’atténuation, mais plutôt d’essayer de systématiser le phénomène en répondant aux questions : Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Et quand ? atténuons-nous le langage. Pour mener cela à bien de manière sérieuse, il a été nécessaire, au début, de renoncer à parler du castillan du Chili ou de l’espagnol d’Espagne. L’atténuation linguistique n’est pas un phénomène réservé à une langue en particulier, elle répond à une nécessité humaine, ainsi, elle est présente à divers degrés et de différentes formes dans toutes les langues. Ceci a rendu nécessaire le fait de poser les questions de manière générale avant des ancrer dasn une langue en particulier. Rien qu’en partant de la généralité (du tout, du langage tout court) nous pourrions arriver à établir des particularités représentatives de chaque culture et de chaque langue. Les sujets tabous, par exemple, sont universels : la mort, la maladie, l’argent, les organes sexuels. Mais les degrés dans lesquels ces sujets sont tabous diffèrent dans chaque culture, comme diffèrent les mécanismes qui font que dans chacune d’elle on peut les évoquer. C’est le fait que le thème de l’atténuation soit général, qui le convertit en une importante veine de recherche. Ce n’est pas seulement le castillan du Chili qui est plus atténué que l’espagnol pénisulaire, le castillan d’Amérique semble l’être aussi. Sans aller plus loin, hier j’ai demandé à une femme colombienne qui travaille dans l’hôtel dans lequel j’étais logé comment on parle le castillan dans cette région. Elle m’a répondu : “ici on ne fait pas de détour, on vous le souffle. Dans l’intérieur, on fait des détours. Sur la côte on est frontaux et sans retenues”. Je lui ai demandé : “mais autant que les Espagnols ?” et elle m’a répondu : “ah non, pas jusque là”. Ainsi, on peut étudier le contraste entre l’Espagne et les divers pays d’Amérique du sud, par rapport à l’atténuation, mais on peut aussi faire des comparaisons internes entre les différentes zones de chaque pays, ou simplement étudier comment se manifeste l’atténuation dans une culture déterminée, sans prétendre en faire une étude comparative. Pour vérifier pourquoi on atténue dans une culture déterminée, il faut un regard encyclopédique ou bien interdisciplinaire. Au-delà de la description linguistique qui met en évidence, par exemple, que les actes de paroles directifs ont besoin d’être atténués, 111


il y a beaucoup de raisons qui doivent être recherchées dasn la géographie, la psychologie, la sociologie, l’anthropologie et bien sûr, dans l’histoire. Il est nécessaire de s’interroger par rapport à l’influence des langues substrats et des langues en contact du castillan d’Amérique, par rapport au métissage, à la relation maître-valet qui provient de l’époque de la conquête, à la relation que dans chaque pays nous avons avec nos populations originelles etc. Enfin, je ne peux certainement pas donner de réponse à beaucoup de ces questions mais un thème aussi général que celui-ci interpelle à la confluence de spécialistes de divers domaines ; en cela réside sa richesse. Pour finir, je voudrais signaler deux choses. En premier lieu je vais faire référence à quelque chose que j’ai déjà signalé dans la thèse ; nous ne sommes pas tout à fait conscient du langage que nous utilisons en parlant. Nous choisissons chaque phrase mais ce choix est presque automatique, cela n’implique pas que nous nous arrêtions pour choisir entre une phrase et une autre. Notre langue maternelle est l’eau dont nous sommes les poissons. Nous évoluons en elle et avec elle librement, sans nous arrêter autrement que très ponctuellement pour la regarder. En cela, je veux dire que souvent quand dans notre culture nous atténuons le langage, nous ne le faisons pas de manière préméditée pour atteindre un objectif, mais simplement parce que c’est l’espagnol que nous avons appris. Enfin, je voudrais signaler que souvent, l’atténuation ne fait rien d’autre qu’appauvrir notre castillan. Le parlant se montre peu assuré, émet des énoncés vagues et imprécis. L’atténuation mitige et estompe leurs contenu au point de nous faire perdre le fil argumentatif et avec lui l’intérêt pour ce qui est dit. Je doute que le designer graphique et typographe, Francisco Galvez, soit conscient du peu qu’il parvient à dire dans la vidéo que j’ai pue enregistrer 9 : Il m’arrive un peu la même chose. Il s’est passé que cette pointe coupée a pu produire des lettres aussi distinctes que la gothique ou l’italique. Des lettre très enjôlivées, maniérées. Ça m’interpelle qu’une chose si simple génère tant de diversité. Et de là, j’ai commencé à acheter des livres. Et au début c’est comme que je le voyais comme quelque chose de trop ésotérique, ou comme à moitié, comment dire, comme vieillot. Mais un jour, qui m’a dit ? Il me semble que c’était… on a invité une fois un diplomate, A.G.(…) je crois que c’était lui. Il nous a dit que la calligraphie, dans le fond avait ce truc de …ça t’obligeait, comme une sorte de métalanguage c’est dire : “en réalité je ne le fais pas bien”. Comment il faudrait que je fasse pour que ça marche. Donc, il y avait comme toute une …Et au début comme que avec ce truc comme des origines d’où ça vient. C’est comme une espèce de rituel entre rituel et apprentissage. Ca ça m’a attiré l’attention pour le dire ainsi, ça t’oblige à perfectionner et jurer mais si comme que quelqu’un voulait l’apprendre. Je sais que c’est pas bien…

Conversation avec Francisco Galvez Pizarro : http://www.youtube.com/watch?v=aS895dzY2g (en espagnol). 9

112


Bibliographie

1. Sources BOZA, C. (1990): Sergio Larraín G. M.: La vanguardia como propósito. Bogotá, Escala Ltda. CARDENAS, J. P. (Director): Análisis, Revista semanal editada por la Sociedad Periodística Emisión S.A. Santiago, Editorial Antártica S.A. CONTRERAS, G. (1991): La ciudad anterior. Santiago du Chili, Planeta. ESGUEVA, M. & CANTARERO, M. (1981): El habla de la ciudad de Madrid: Materiales para su estudio. Madrid. Consejo Superior de Investigaciones Científicas. FUGET, A. (1990): Sobredosis. Santiago du Chili, Planeta. GIA (Grupo de Investigaciones Agrarias de la Académica de Humanismo Cristiano) (1986): Vida y Palabra Campesina, Tomes I, II, III, IV, V. Santiago du Chili, Imprenta GIA. GONZÁLEZ, M. (1988): “Mesa Redonda: Libro-Reportaje, una opción del periodismo”, dans La invención de la memoria (Actas). Santiago, Pehuén Editores Ltda. NARVÁEZ, J. Ed. (1988): La invención de la memoria (Actas). Santiago, Pehuén Editores Ltda. PUGA, J. (1990): “Historia de una vocación”, dans Boza, C. (1990) Sergio Larraín GM: La vanguardia como propósito. Bogotá, Escala Ltda. RABANALES, A. & CONTRERAS, L. (1979 et 1990): El habla culta de Santiago de Chile: materiales para su estudio. Santiago, Universidad de Chile. ROMERO, G. & TORRES, X. (1995): La Moral Light. Santiago du Chili, Planeta.

113


2. Études critiques ALARCOS LLORACH, E. (1978): Estudios de gramática funcional del español. Madrid, Gredos. ALARCOS LLORACH, E. (1985): “Generalidades en torno a la gramática funcional”, Lecciones del I y II Curso de Lingüística Funcional. Universidad de Oviedo: 15-21. ALCINA, J. & BLECUA, J. M. (1988): Gramática española. Barcelone, Ariel. ALEXANDRESCU, S. (1985): “L’observateur et le discours spectaculaire”, Recueil d’Hommages pour Essays in Honour of A. J. Greimas, II. Amsterdam, Benjamins: 553-574. ÁLVAREZ MARTINEZ, M. A. (1994): La gramática española en América. Universidad de la Laguna. AUSTIN, J. L. (1990): Cómo hacer cosas con las palabras. Barcelone, Paidós. BAJTIN, M. (1989): Estética de la creación verbal. Mexico, Siglo XXI. BARNES, B. (1990): La naturaleza del poder. Barcelone, Ediciones Pomares Corredor S.A. BARTHES, R. (1987): El susurro del lenguaje. Barcelone, Paidós. BARTHES, R. (1977): Fragmentos de un discurso amoroso. Mexico, Siglo XXI. BARTHES, R. (1983): Ensayos críticos, Barcelone. Seix Barral. BARTHES, R. (1991): El placer del texto y lección inaugural. Mexico, Siglo XXI. BEINHAUER, W. (1991): El español coloquial. Madrid, Gredos. BELLO, A. (1988): Gramática de la lengua castellana destinada al uso de americanos. Madrid, Arco-Libro. BENVENISTE, E. (1974): Problèmes de linguistique générale. Paris, Gallimard. BENVENISTE, E. (1966): Essai de linguistique générale. Paris, Larousse. BERGER, P. & LUCKMANN, T. (1991): La construcción social de la realidad. Buenos Aires, Amorrortu Editores. BERNÁRDEZ, E. (Comp.) (1987): Lingüística del texto. Madrid, Arco libros. BERNSTEIN, B. (1975): Langage et classes sociales: codes sociolinguistiques et contrôle social. Paris, Les Éditions de Minuit. BOURDIEU, P. (1985): ¿Qué significa hablar? Madrid, Akal. BROWN, G. & YULE, G. (1993): Análisis del discurso. Madrid, Visor. BROWN, P. & LEVINSON, S. (1987): Politeness. Cambridge, Cambridge University 114


Press. BRUNA, A. (1991): Perífrasis verbales en el español culto de Santiago de Chile, descripción y comparación con muestras del español culto de Ciudad de México. Tesis para optar al grado de licenciada en lingüística con mención en lingüística general. Santiago du Chili, Universidad de Chile. BÜLHER, K. (1950): Teoría del lenguaje. Madrid, Revista de Occidente. CAMPS, V. (1976): Pragmática del lenguaje y filosofía analítica. Barcelone, Ediciones península. CARNICER, R. (1977): Tradición y evolución en el lenguaje actual. Madrid, Prensa española. CARON, J. (1988): Las regulaciones del discurso: psicolingüística y pragmática del lenguaje. Madrid, Gredos. COHEN, B. (1993): “Lo que ‘vio’ Colón en 1942” en Investigación y Ciencia, février 1993 (édition espagnole de Scientific American). Barcelone, Prensa científica, S. A. COMTE, A. (1993): “Una virtud pequeñita”, dans La cortesía: la virtud de las apariencias. Madrid, Cátedra. CONTRERAS, L. & RABANALES, A. (1970): “Chile. Publicaciones aparecidas entre 1967 y 1968”, BI, 2. CORTÉS RODRÍGUEZed. (1995): El español coloquial: actas del I Simposio sobre análisis del discurso oral. Almería, Universidad de Almería, Servicio de publicaciones. CRIADO DEL VAL, M. (1980): Estructura general del coloquio. Madrid, C.S.I.C. CULLER/ DERRIDA/ FISH/JAMESON (1989): La lingüística de la escritura. Madrid, Visor. DAVID, J. & KLEIBER, G. (Publ.) (1981): La notion semantique-logique de modalité : colloque organisé par la Faculté des Lettres et Sciences Humaines. Metz, Centre d’Analyse Syntaxique. (1332). DE VEGA, M. (1984): Introducción a la psicología cognitiva. Madrid, Alianza. DHOQUOIS, R. (Ed.) (1993): La cortesía: la virtud de las apariencias. Madrid, Cátedra. DUCROT, O. (1977): “Présupposés et sous-entendus (réexamen)”, dans Strategies discoursives : Actes du colloque du Centre de Recherche Linguistiques et Sémiologiques de Lyon, 20-22 mai. Lyon, Presses Universitaires de Lyon. DUCROT, O. (1982): Decir y no decir. Barcelone, Anagrama. DUCROT, O. (1986): El decir y lo dicho: polifonía de la enunciación. Barcelone, Paidós. ESCANDELL, V. (1993): Introducción a la pragmática. Barcelone, Anthropos.

115


FONTANELLA DEWINBERG, B. (1992): El español de América. Madrid, MAPFRE. FOUCAULT, M. (1970): El orden del discurso. Barcelone, Tusquets. GALLARDO, B. (1990): “En torno a la referencia como concepto del análisis conversacional”. Dans López García e t Rodríguez Cuadros (eds.). Miscel. Lánia Homenatge Enrique García Diéz. Universitat de València, 341-353, Valence, Lynx. GALLARDO, B. (1991): “Pragmática y análisis conversacional: hacia una pragmática del receptor”. Sintagma, 3: 25-38. GALLARDO, B. (1993): Lingüística perceptiva y conversación: secuencia. Valence, Lynx. GALLARDO, B. (1994): “La pertinencia del análisis conversacionalpara la obtención de datos orales”. Saitavi, Facultad Geografía e Historia, Universitat de València. GARCÉS, P. (1995): “Revisión crítica de algunos de los postulados de la teoría de la cortesía lingüística propugnada por Brown y Levinson”, dans Hernández et al. Ed. Quaderns de Filologia-I, Aspecte de la reflexió i de la praxi interlingüística. Valence, Facultat de Filología, Universitat de València. GARCÍA GUILLÉN, F. (1993): Investigación y Ciencia, febrero de 1993 (edición española de Scientific American). Barcelone, Prensa científica, S.A. GARDINER, A. (1989): Langage et acte de langage : Aux sources de la pragmatique. Paris, Presses Universitaires de Lille. GIANNINI, H. (1981): Desde las palabras. Santiago, Ed. Nueva Universidad. GIANNINI, H. (1987): La reflexión cotidiana: hacia una arqueología de la experiencia. Santiago du Chili, Editorial Universitaria. GIRÓN, J. (1991): Tiempo, modalidad y adverbio. Salamanca, Universidad. GISSI, J. (1989): Identidad Latinoamericana: Psicología y Sociedad. Santiago du Chili, Psico América Ediciones. GISSI, J. (1990): Psicoantropología de la pobreza: Oscar Lewis y la Realidad Chilena. Santiago du Chili, Psico América Ediciones. GOFFMAN, E. (1959): La presentación de la persona en la vida cotidiana. Buenos Aires, Amorrurtu Eds., 1987. GOFFMAN, E. (1971): Relaciones en público. Microestudios de orden público. Madrid, Alianza, 1979. GÓMEZ TORREGO, L. (1988): Perífrasis verbales. Sintaxis, semántica y estilística. Madrid, Arco. GÓMEZTORREGO, L. (1992): La impersonalidad gramatical: descripción y norma. Madrid, Arco. 116


GONZÁLEZ VERA, J. S. (1963): Eutrapelia. Santiago du Chili, Nascimento. GOODY, J. (1977): La domesticación del pensamiento salvaje. Madrid, AKAL. GRESILLON, A. (1981): “Interrogation et interlocution”, dans DRLAV Revue de linguistique 25, Dans le champ pragmatico-énonciatif. Paris, Centre de recherche de l’université de Paris VIII. GUMPERZ, J. J. (1971): Language in Social Groups. Stanford, Stanford. GUMPERZ, J. J. &HYMES, D. (eds.) (1972): Directions in Sociolinguistics. The Ethonography of Communication. New York, Holt, Rinehart & Winston, Inc. GUMPERZ, J. J. & HERASIMCHUK, E. (1975): “The conversational analysis of social meaning: A study of classroom interaction”, dans Blount et Sanchez (eds.) Sociocultural Dimensions of Language Use. New York, Academic Press, 81-116 GUMPERZ, J. J. & BENNETT, A. (1981): Lenguaje y cultura. Barcelone, Anagrama. GUMPERZ, J. J. (1982 a): Discourse Strategies, Cambridge, Cambridge University Press. GUMPERZ, J. J. (ed.) (1982 b): Language and Social Identity, Cambridge, Cambridge University Press. HAENSCH, G. (1994): “Español de América/Español de Europa”, dans Terminologie et Traduction Nº1-1994, Bruxelles, Office des publications officielles des Communautés européennes. HALL, E. (1989): El lenguaje silencioso. Madrid, Alianza Editorial. HALL, E. (sin fecha): Más allá de la cultura. Barcelone, Editorial Gustavo Gili. HALL, E. (1976): La dimensión oculta. Mexico. Siglo XXI. Première édition en anglais, 1966. HALLIDAY, M. A. K. (1973): Explorations in the Functions of Language, London, Arnold. HALLIDAY, M. A. K. (1975): “Estructura y función del lenguaje”, dans J. Lyons (ed.) Nuevos horizontes de la lingüística. Madrid, Alianza Universidad, 145-173. HALLIDAY, M. A. K & Mc.INTOSH, A. et STRVENS, P. (1970): “The Users and Uses of Language”, dans Fishman (ed.): Reading in the Sociology of Language. The Hague, Paris, Mouton, 139-169. HAVERKATE, H. (1972): “The Performative Analysis of the Spanish Imperative”. Cahiers de Lexicologie, 21/2: 67-74. HAVERKATE, H. (1976): Impositive Sentences in Spanish. Amsterdam, North Holland. HAVERKATE, H. (1983): “Strategies in Linguistic Action”. Journal of Pragmatics, 7: 637-656.

117


HAVERKATE, H. (1984): Speech Acts, Speakers and Hearers. Reference and Referential Strategies in Spanish. Amsterdam, Philadelphia, Benjamins. HAVERKATE, H. (1987): “La cortesía como estategia conversacional”, dans H. Haverkate (ed.): Diálogos Hispánicos de Amsterdam, 6: 27-64. HAVERKATE, H. (1989): La cortesía verbal: estudio pragmalingüístico. Madrid, Gredos. HAVERKATE, H. (1982): “Los estudios gramaticales de Bello y la teoría de los actos verbales”, dans Diálogos hispánicos N.º 3, Universiteit van Amsterdam. HIDALGO, A. (1992): “Sobre los mecanismos de impersonalización en la conversación coloquial: el TÚ impersonal” lors du I Congreso Internacional de Enseñanza del Español à Madrid, du 27 au 31 janvier. HJELMSLEV, L. (1972). Ensayos lingüísticos. Madrid, Gredos. HJELMSLEV, L. (1974): Prolegómenos a una teoría del lenguaje. Madrid, Gredos. HÖRMANN, H. (1973): Psicología del lenguaje. Madrid, Gredos. HYMES, D. (1970): “The Ethnography of Speaking”, dans J. Fishman (ed.): Readings in the Sociology of Language. The Hague, Mounton: 99-138. HYMES, D. (1971): On commucative competence. Philadelphia, University of Pennsylvania Press. HYMES, D. (1973): “Models of the Interaction of Language and Social Life”, dans Gumperz, J./Hymes, D. (eds.): Direcionts in Soiolinguistics. The Ethnography of Communication. New York, Holt, Rinehart & Winston, Inc., 35-71. HYMES, D. (ed.) (1974): Traditions and Paradigms. Studies in the History of Linguistics. Bloomington, Indiana University Press. JAKOBSON, R. (1984): Ensayos de lingüística general. Barcelone, Ariel. JORQUES, D. (1995): Dimensiones de un análisis de la comunicación y modos de relación interpersonal. Valence, Lynx. KANY, Ch. (1963): Semántica hispanoamericana. Madrid, Aguilar. KANY, Ch. (1969): Sintaxis hispanoamericana. Madrid, Gredos. KEARNEY, M. (1975): “World view theory and study” dans Siegel, B. Ed. Annual Review of antropology, Volume 4, Stanford, Stanford, Univesity. KELLER, E. (1979): “Gambits: conversational strategy gisnals”, dans Coulmas, Conversational routine. KERBRAT-ORECCHIONI, C. (1980): L’énoncionation : de la subjetivité dans le language. Paris, Armand Colin Éditeur. KERBRAT-ORECCHIONI, C. (1986): L’implicite. Paris, Armand Colin Éditeur.

118


KERBRAT-ORECCHIONI, C. (1995): “Pour une approchecontrastive du fonctionnement des conversations”, dans Hernández et al. Ed. Quaderns de Filologia-I, Aspecte de la reflexió i de la praxi interlingüística. Valence, Facultat de Filologia, Universitat de València. KRIVOSHEIN, N & CORVALÁN, G. (1987): El español del Paraguay: En contacto con el guaraní. Asunción, Centro Paraguayo de Estudios Sociológicos. KOFFKA (1935): Principles of Gestalt Psychology. New York, Harcourt, Bracel and World Inc. LAKOFF, G./JOHNSON, M. (1991): Metáforas de la vida cotidiana. Madrid, Cátedra. Titre original: Metaphors we live by, University of Chicago, 1980. LAKOFF, R. (1972): “Language in context”, Language, 48, 907-927. LAKOFF, R. (1973): “The language of politeness”, Papers from the Ninth Regional Meeting of the Chicago Linguistics Society, 292-305. LAKOFF, R. (1977): “Politeness, pragmatics and performatives”, dans Rogers et al. (eds.): Proceeding of the Texas Conference on Perfomatives, Presuppositions and Implicatures. Washington, Center of Applied Linguistics, 79-106. LAPESA, R. (1988): Historia de la lengua española. Madrid, Gredos. LEVINSON, S. (1989). Pragmática. Barcelone, Teide. LÓPEZGARCÍA, A. (1988): La Psicolingüística. Madrid, Síntesis. LÓPEZ GARCÍA, A. (1989): Fundamentos de lingüística perceptiva. Madrid, Gredos. LÓPEZ GARCÍA, A. (1991): La negación y los verbos modales. Logroño, Consejería de Educación, Cultura. LYONS, J. (1989): Semántica. Barcelone, Teide. MALMBERG, B. (1974): La América hispanohablante: Unidad y diferenciación del castellano. Madrid, Istmo. MANSUR GUERIOS, R. F. (1956): Tabúes lingüísticos. Río de Janeiro. MARC, E. & PICARD, D. (1992): La interacción social: Cultura, instituciones y comunicación. Barcelone, Paidós. MARINA, J. A. (1994): Teoría de la inteligencia creadora. Barcelone, Anagrama. MARTÍNEZ, V. (1991): “Sistema de las oraciones impersonales reflejas en el Habla Culta de Santiago de Chile” dans Hernández, C. et al. ed. (1991): El Español de América. Actas del III congreso internacional del Español de América. Salamanca, Junta de Castilla y León, Consejería de Cultura y Turismo. Tome 2, pp. 1029-1037. MATURANA, H. (1992): Emociones y lenguaje en educación y política. Chili, Hachette, CED. 119


MATUS, A./DARGHAM, S./SAMANIEGO, J. L. (1992): “Notas para una historia del español en Chile” dans César Hernández Alons (Coord.) Historia y presente del Español de América. Valladolid, PABECAL. MEYER-HERMANN, R. (1988): “Atenuación e intensificación (Análisis pragmático de sus formas y funciones en español)”, Anuario de estudios filológicos XI, pp. 275-290. Cáceres, Universidad de Extremadura. Servicio de Publicaciones, Facultad de Filosofía y Letras. MIENSION-RIGAU, E. (1993): “La distinción en las élites”, dans La cortesía: la virtud de las apariencias. Madrid, Cátedra. MIRANDA, J. (1992): Usos coloquiales del español. Salamanca, Publicaciones del Colegio de España. MONTECINO, S. (1991): Madres y huachos: alegoría del mestizaje chileno. Santiago du Chili, Cuarto propio. MONTERO, C. (1979): “El eufemismo: sus repercusiones en el léxico”, Senara, Vol. I, (45-60). MORENO DE ALBA, J. (1988): El español de América. Mexico, Fondo de Cultura Económica. MORÍNIGO, M. (1953): “La formación léxica regional hispanoamericana”, NRFH VII/1-2. MUNIZAGA, G. (1988): El discurso público de Pinochet: Un análisis semiológico. Santiago du Chili, CESOC/ CENECA. OROZ, R. (1964): “El español de Chile”, PFLE, I, Madrid, OFINES, 93-109. OROZ, R. (1966): La lengua castellana en Chile. Santiago du Chili, Editorial Universitaria. PIAGET, J. (1992): Seis estudios de psicología. Barcelone, titre de l’ouvrage original: Six études de psychologie, Editions Gambier, 1964. PONS, S. (1995): “Directrices para un futuro estudio de la atenuación en las dos orillas”, dans T. Echenique, M. Aleza et M. J.: Martínez (eds). Historia de la lengua española en América y España. Universitat de València, Tirant lo Blanch, 525-526. PORTO, J. (1991): Del indicativo al subjuntivo: valores y usos de los modos del verbo. Madrid, Arco/Libros. POTTIER, B. (1970): Gramática del español. Madrid, Alcalá. POTTIER, B. (1974): Linguistique general. Paris, Klincksieck. [Traduction espagnole, Lingüística general. Madrid, Gredos, 1977]. POYATOS, F. (1994): La comunicación no verbal: I, cultura, lenguaje y conversación. Madrid, Itsmo. 120


RABANALES, A. (1964): “Pasado y presente de la investigación lingüística y filológica dans Chile”. BFUCh, 16, 121-143. REAL ACADEMICA ESPAÑOLA (1986): Esbozo de una Nueva Gramática de la Lengua Española. Madrid, Espasa-Calpe. REYE, G. (1990): La pragmática lingüística: El estudio del uso del lenguaje. Barcelone, Montesinos. RIVANO, E. (1994): Estructuras del diálogo. Santiago du Chili, Bravo y Allende ed. RIVERO, M. L. (1978): “Un ejemplo de metodología de filosofía analítica en la semántica lingüística: la cortesía y los actos verbales”, RSEL, 8-1, pp. 77-104. ROCA PONS, J. (1974): Introducción a la pragmática. Barcelone, Teide. ROCA PONS, J. (1958): Estudios sobre perífrasis verbales del español. Madrid, C.S.I.C. RODRÍGUEZ ADRADOS, F. (1971): Lingüística estructural. Madrid, Gredos. ROJAS, E. (1994): “Sobre algunas fórmulas de tratamiento: Su valoración y desvalorización a través del tiempo”, dans Historia de la lengua Española. Salamanca, Universidad de Salamanca. ROSENBLAT, A. (1971): Nuestra lengua en ambos mundos. Estella (Navarra), Salvat. ROSENBLAT, A. (1973): El castellano de España y el castellano de América. Unidad y diferenciación. Madrid, Taurus. RUSSELL, B. (1967): Ensayos sobre educación. Madrid, Espasa-Calpe. SAPIR, E. (1954): El lenguaje. Madrid, Fondo de Cultura Económica. SBISA, M. (1989): Linguaggio, ragione, interazione: per una teoria pragmatica degli atti linguistici. Bologna, II Mulino. SCHEGLOFF, E. A. (1972): “Sequencing in Conversational Opening”, dans J. Gumperz e t D. Hymes (eds.): Directions in Sociolinguistics. The Ethnography of Communication. New York, Holt, Rinehart & Winston, Inc., 346-380. SCHEGLOFF, E. A. (1976): “On some questions and ambiguities in conversation”, Pragmatics Microfiche, 2.2. D8-G-1. SCHEGLOFF, E. A. & JEFFERSON, G./SACK, H. (1977): “The preference for self-correction in the organization ofrepair in conversation”, Language, 53, 361-382. SCHERER, K.R. & GILES, H. (eds.) (1979): Social Markers in Speech. Cambridge, CUP/Editions de la Maison des Sciences de l’Homme. SCHIFFRIN, D. (1994): Aproaches to discourse. USA, Blackwell. SEARLE, J. (1990): Actos de habla. Madrid, Cátedra.

121


SPERBER, D. & WILSON, D. (1994): Relevance. Communication and Cognition. Oxford, Blackwell. ULLMANN, S. (1991): Semántica: introducción a la ciencia del significado. Madrid, Aguilar. VAL. ES. CO. (1995). La conversación coloquial (Materiales para su estudio), coordonné par Antonio Briz, Anejo XVI de Cuadernos de Filologia, Universitat de València. VAN DIJK, T. A. (1980a): Texto y contexto. Semántica y pragmática del discurso. Madrid, Cátedra. VAN DIJK, T. A. (1980b): Estructuras y funciones del discurso. Mexico, Siglo XXI. VAN DIJK, T. A. (1983): La ciencia del texto. Buenos Aires, Paidós. VANDERVEKEN, D. (1985): Les actes de discours. Bruxelles, Pierre Mardaga Editeur. VIGARA, A. Mª (1989): Estudio del español coloquial: metodología y gramática. Madrid. WOLF, M. (1988): Sociología de la vida cotidiana. Madrid, Cátedra. ZAIDMAN, C. (1993): “Maneras de comportamiento en la mesa”, dans Dhoquois, R. (Ed.) et (1993): La cortesía: la virtud de las apariencias. Madrid, Cátedra.

3. Bibliographie complémentaire ARMENGAUD, F. (1985): La pragmatique. Paris, Presses Universitaires de France. ATLAS, J.D. & LEVINSON, S. C. (1981): “It-clefts, informativeness, and logical form: Radical pragmatics (revised standard version)”, dans Cole, P. (ed.) (1981): Radical Pragmatics (1-61). BENENISTE, E. (1970): “L’appareil formel de l’énonciation”, Langages, 17, (12-18). BERRENDONNER, A. (1981): Elementos de pragmática lingüística. Barcelone, Gedisa, 1987. BILMES, J. (1986): Discourse and behavior. New York, Plenum Press. BODES NAVES, M. C. (1992): El diálogo. Estudio pragmático, lingüístico y literario. Madrid, Gredos. BROWN, G. & YULE, G. (1993): “El papel del contexto en la interpretación”, dans Análisis del discurso. Madrid, Visor, 49-94. BRUNER, J. (1984): “Pragmática del lenguaje y lenguaje de la pragmática”, Acción, pensamiento y lenguaje. Madrid, Alianza Psicología, 187-195. BURKE, P. (1993): The art ofconversation. Cambridge, U.K., Polity Press. CALVO PÉREZ, J. (1994): Introducción a la pragmática del español. Madrid, Cátedra. 122


CERVONI, J. (1987): L’énonciation. Paris, Presses Universitarires de France. COSERIU, E. (1967): “Determinación y entorno”, dans Teoría del lenguaje y lingüística general. Madrid, Gredos. COSNIER, J. & KEBRAT-ORECCHIONI, K. (eds) (1987): Décrire la conversation. Lyon, PUL. DIJK, T. A. (1977): “La pragmática del discurso”, dans Texto y contexto. Semántica y pragmática del discurso. Madrid, Cátedra, 290-324. DIJK, T. A. (1981): Studies in the pragmatics of discourse. Janua Linguarum, Series Maior 101. The Hague, Mouton. DUCROT, O. (1984): El decir y lo dicho. Barcelone, Paidós, 1986. Traduction : Irene Agoff. ECO, U. (1987): “Semantics, pragmatics, and text semiotics”, dans Jef Verschueren et Marcella Bertucelli-Papi, (eds): The pragmatic perspective. Amsterdam/Philadelphia, Joh Benjamins, 695, 713. ESCANDELL VIDAL, M. V. (1993): Introducción a la pragmática. Barcelone, Anthropos-UNED. FILLMORE, Ch. J. (1981): “Pragmatics and the description of discourse”, dans Cole, Peter, (ed.): Radical Pragmatics. New York, Academic Press, 143-166. FISHMAN, J. (1971): Sociología del lenguaje. Madrid, Cátedra. FUCHS, C./LE GOFFIC, P. (1992): “Énonciation et pragmatique”, dans Les linguistiques contemporaines: repères théoriques. Paris, Hachette, 129-142. GIVÓN, T. (1989): Mind, code, and context. Essays in pragmatics. Hillsdale (N. J.), Lawrence Erlbaum Associates. GRICE, H. P. (1957): “Meaning”, dans Steinberg, D. D. et Jakobovits, L.A., (eds.), Semantics. Cambridge, University Press, 1971, 53-59. HABERMAS, J. (1979): Communication and the evolution of society. Boston, Beacon Press. HAVERKATE, H. (ed.) (1987): La semiótica del diálogo. Diálogos Hispánicos de Amsterdam 6. Amsterdam, Rodopi. HAVERKATE, H.; HENGEVELD, K., & MULDER, G. (eds.) (1993): Aproximaciones pragmalingüísticas al español. Diálogos Hispánicos 12. Amsterdam, Universiteit van Amsterdam. HERNÁNDEZ SACRISTÁN, C. (1994): “Pragmática”, dans López García et al. (1994): Lingüística General y Aplicada. Valence, Universitat, 245-274, 2e ed. HORN, L. L. (1988): “Teoría pragmática”, dans Newmeyer, Frederick J. (ed), Panorama de la lingüística moderna de la Universidad de Cambridge, vol. I: Teoría Lingüística: 123


Fundamentos. Madrid, Visor, 1990, 147-181. Traduction : Luis A. Santos Domínguez. HYMES, Dell, H. (1971): On communicative competence. Philadelphia, Univ. of Pennsylvania Press. KANIZSA, G. (1980): Gramática de la visión. Barcelone, Paidós. KEMPSON, R. (1988): “La gramática y los principios conversacionales”, dans Newmeyer (ed.), Panorama de la Lingüística Moderna de la Universidad de Cambridge, II: Teoría lingüística: extensiones e implicaciones. Madrid, Visor, 1991, 139-163. LAVANDERA, B. (1985): Curso de Lingüística para el Análisis del Discurso. Buenos Aires, Centro Editor de América Latina. LAVER, J.D.M.H. & HUTCHESON, S. (1972): Face-to-face Commucation. Harmondsworth, Penguin. LEVINSON, S. C. (1983): “El ámbito de la pragmática”, Pragmática. Barcelone, Teide, 1989, 1-46. LÓPEZ GARCÍA, Á. (1989): “La pragmática”, dans Fundamentos de lingüística perceptiva. Madrid, Gredos, 242-318. LOZANO, J., PEÑA-MARÍN, C. & ABRIL, G. (1982): Análisis del discurso: hacia una semiótica de la interacción textual. Madrid, Cátedra. LYONS, J. (1977): Semántica, Barcelone, Teide. MANTECA ALONSO-CORTÉS, Á. (1987): “Pragmática”, Lingüística General. Madrid, Cátedra, 180-193. MEIX IZQUIERDO, F. (1983): “Significado e interacción social”, R.E.L. 13.1., 121-134. OSGGOD, Ch., SEBEOKy DIEBOLD (1974): La psicolingüística. Barcelone, Planeta. PARKER, F. (1986): “Pragmatics”, dans Linguistics for non-linguistis. Austin (TX), PROED, 11-28. PRUCHA, J. (1983): Pragmalinguistics: East European Approaches. Amsterdam/Phidadelphia, John Bejamins. REYES, G. (1990): La pragmática lingüística. El estudio del uso del lenguaje. Barcelone, Montesinos. SCHENKEIN, J. N. (ed.) (1978): Studies in the Organization of Conversational Interaction. New York, Academic Press. SCHEKEIN, J. N., SACK, F. e t WEINGARTEN, E. (eds) (1976): Issues in conversational analysis. Berlin, Suhrkamp Verlag.

124


SCHIFFRIN, D. (1992): “El análisis de la conversación”, dans Frederick J. Newmeyes, ed. Panorama de la Lingüística moderna IV: El lenguaje: Contexto sociocultural. Madrid, Visor, 1992, 229-327. SMITH, N. et WILSON, D. (1979): “Pragmática y comunicación”, dans La lingüística moderna. Los resultados de la revolución de Chomsky. Barcelone, Anagrama, 1983, 161-177. SPERBER, D. et WILSON, D. (1986): La relevancia. Madrid, Visor, 1994. STALNAKER, R. (1972): “Pragmatics”, dans D. Davidson et G. Harman (eds): (1972): Semantics of natural language. Cambridge, University Press, 380-397. STEINER, E.,/VELTMAN, R. (eds) (1988): Pragmatics, discourse and text: some systemically-inspired approaches. Norwood (N. J.), Ablex. VALDÉS VILLANUEVA, L. M. (ed) (1991): La búsqueda del significado. Murcia, Universidad de Murcia/Tecnos. VERSCHUEREN, J. (1987): “The pragmatic perspective”, dans Jef Verschueren et Marcella Bertuccelli-Papi, (eds), The pragmatic perspective. Selected papers from the 1985 International Pragmatics Conference. Amsterdam/Phidadelphia, John Benjamins, 3-8. WILSON, D. et SPERBER, D. (1986): “Pragmatics and modularity”, dans Steven Davis, (ed), Pragmatics, a reader. New York, Oxford University Press, 1991, 583-596. YULE, G. et BROWN, G. (1983): “El papel del contexto en la investigación”, Análisis del discurso. Madrid, Visor, 1993, 49-94.

125


L’auteure

Juana Puga Larraín, Directrice de l’École de Pédagogie en Langue Espagnole et Littérature de l’Universidad de las Américas (UDLA), à Santiago du Chili. (1990) Professeure d’Espagnol et titulaire d’une Licence de Lettres, mention Espagnol. Université pontificale catholique du Chili. (1996) Docteure en Philologie Espagnole. Université de Valence (Espagne). (2006) Master en Enseignement de l’Espagnol Langue Étrangère. Université Antonio de Nebrija (Espagne). (1996-2008) Professeure à l’université de Concepción (Chili). (2002-2008) Coordinatrice académique et professeure du Programme de langue et culture de l’université de Californie à Concepción (Chili). (Depuis 2010) Professeure à l’université Diego Portales (Chili). Domaines d’enseignement et recherche : atténuation, pragmatique, écriture académique, analyse de conversation, grammaire espagnole, enseignement de l’espagnol langue étrangère. Publications sur l’atténuation : (1997). La atenuación en el castellano de Chile: un enfoque pragmalingüístico. Valence : Universidad de Valencia et Tirant lo Blanch Libros. (1999). Elusión e insinuación: la atenuación en el castellano de Chile. RLA. Revista de Lingüística Aplicada, 37, 123-138. (2002). Version électronique de La atenuación en el castellano de Chile: un enfoque pragmalingüístico. Valence : Universidad de Valencia et Tirant lo Blanch Libros. Publiée par le programme EDICE (Études sur le discours de la politesse en espagnol) : http://edice.org/7-descargas/ (2012). La observación participante en el estudio de la atenuación del castellano de Chile. Dans Escamilla Morales, J. et Henry Vega, G., Miradas multidisciplinares a los fenómenos de cortesía y descortesía en el mundo hispánico. Barranquilla : Universidad del Atlántico-Programa EDICE. Puga, J. et Gutierrez, L. (En cours de publication). La atenuación en interacciones asimétricas entre un hombre y una mujer: Un análisis cualitativo de conversaciones entre profesionales en Ciudad de México y en Santiago de Chile. Monterrey: EDICE-Universidad Autónoma de

126


Nueva León. (2013). Cómo hablamos cuando hablamos: la atenuación en el castellano de Chile. Santiago: Ceibo. (2013). Cómo hablamos cuando hablamos: setecientos tres ejemplos de atenuación en el castellano de Chile. Santiago: Ceibo. D’autres publications et travaux : (1996). Breve comentario y aportaciones al Bestiario del Reyno de Chile de Lukas. Dans Serra, E. et al. (Eds.), Panorama de la Investigació Lingüística a l’Estat Espanyol, Actes del Primer Congrés de Lingüística Generall. Valence : Universidad de Valencia. (1999). El Cautivo. Quito : El Conejo. (Livre prologué par le poète Gonzalo Rojas). (2000). Una presentación de Vida y Palabra Campesina. RLA. Revista de Lingüística Aplicada, 38, 105-128. (2004). Gonzalo Rojas, la casa, el fuego, el río (Documentaire). (2008). Español para Extranjeros. Una unidad didáctica por tareas. Gonzalo Rojas: la infancia del poeta en Lebu. Concepción : Cosmigonon. (2009). Mariano Puga, 50 años de sacerdocio. (Documentaire filmé à Colo, sur l’île de Chiloé, au Chili).

127


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.