6 minute read
Visite privée : l’hôtel de la Marine
L’HÔTEL DE LA MARINE HISTOIRE
D’UNE RENAISSANCE
Advertisement
Après quatre ans d’une campagne de restauration placée sous l’égide du Centre des monuments nationaux, l’hôtel de la Marine, édifi ce du XVIIIe siècle qui abritait le Garde-Meuble de la Couronne, a rouvert ses portes. Un résultat aussi spectaculaire qu’émouvant.
REPORTAGE SERGE GLEIZES. PHOTOS ALEXANDRE RÉTY.
Façade de l’hôtel de la Marine, place de la Concorde à Paris. À droite, La Félicité publique, sculptée par Guillaume II Coustou, couronne l’avant-corps oriental du fronton. La première pierre de l’édifi ce est posée en 1758 sur ce qui était jadis la place Louis XV. Et les travaux sont supervisés par le premier architecte du roi, Ange-Jacques Gabriel et réalisés par Jacques-Germain Souffl ot.
1 2
La cour de l’Intendant, avec sa verrière constituée de petits miroirs renvoyant la lumière. Une réalisation de l’architecte britannique Hugh Dutton qui a, au passage, redonné à la cour son volume initial. 1. L’entrée de l’hôtel de la Marine avec, au premier étage, la loggia. 2. Avant de devenir le salon des amiraux et le salon d’honneur, la galerie des grands meubles abritait au XVIIIe siècle, dans de grandes armoires, les collections royales d’étoffes précieuses. Aujourd’hui, les grands bals de l’époque reprennent vie sur de grands miroirs numériques. Un dispositif géré par l’agence Moatti-Rivière avec les bureaux d’études Illusio, Locomotion, 8’18 et Sismo. 3. L’escalier d’honneur. Au XIXe siècle, des symboles maritimes ont été rajoutés sur la rampe d’escalier en fer forgé, remplaçant ainsi le chiffre royal et la fl eur de lys.
Combien de fois est-on passé devant sans se douter que ce lieu renfermait des pans entiers de l’histoire de France ? En 1770, on y aménage des appartements pour le mariage du Dauphin et de Marie-Antoinette. En 1792, a lieu ici le plus célèbre vol de l’Ancien Régime, celui des joyaux de la Couronne. L’exécution de Marie-Antoinette y est signée en 1793 dans le boudoir-bibliothèque. Et l’édifi ce est le théâtre des plus grands bals donnés au XIXe siècle : le bal de l’Europe en 1802, les bals du sacre de Napoléon Ier en 1804 et de Charles X en 1825, et le bal de Napoléon III en 1866. Enfi n, c’est là que Victor Schœlcher fait signer un acte capital dans l’histoire de l’humanité : l’abolition de l’esclavage. Quatre ans de chantier avaient rendu presque invisible cette belle endormie dont la façade, séparée de celle de l’hôtel de Crillon et de L’Automobile Club de France par la rue Royale, domine l’une des plus belles places au monde, la Concorde, autrefois place Louis XV. Côté maîtrise d’ouvrage, c’est l’excellence. Christophe Bottineau, architecte en chef des monuments historiques, a orchestré une restauration qui a consisté à retrouver les espaces de jadis et, surtout, les ors et les patines d’origine. Scénographie, mise en lumière, signalétique et installations numériques mises en scène par l’agence Moatti-Rivière ont été aussi particulièrement soignées.
Armes et apparats royaux
L’hôtel de la Marine (à ne pas confondre avec le musée national de la Marine, place du Trocadéro) fut d’abord, sous l’Ancien Régime, le Garde-Meuble de la Couronne, chargé de l’aménagement des résidences royales. On y abrita, conserva et restaura les plus beaux meubles et objets décoratifs, réalisés par la fi ne fl eur de l’artisanat d’art français. En 1776, le lieu ouvre ses portes au public, qui y déambule gratuitement tous les premiers mardis du mois, de Pâques à la Toussaint, pour admirer les armes ...
Des salles habitées et vivantes comme si la Révolution française n’était jamais passée par là…
et les armures du roi, les joyaux de la Couronne, les tapisseries, les grands meubles, la collection royale de bronzes. Deux grandes époques scandent l’histoire de ce palais, qui se visite à nouveau depuis ce printemps. Le XVIIIe siècle, d’abord, dont sont emblématiques les appartements privés des deux intendants – PierreÉlisabeth de Fontanieu puis Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray et son épouse. Cette période est sans aucun doute la partie la plus intéressante avec une démonstration décorative de haute volée, des meubles de très belle ...
UN PEU D’HISTOIRE
En 1755, Louis XV approuve le plan d’aménagement de la place, proposé par le premier architecte du roi, Ange-Jacques Gabriel. Il la baptisera place Louis XV (future place de la Concorde). Trois ans plus tard, la première pierre de ce qui deviendra, en 1765, le Garde-Meuble de la Couronne est posée sous la direction de Jacques-Germain Souffl ot (chantre du néoclassicisme et auteur de l’église Sainte-Geneviève à Paris, devenue le Panthéon). L’intendant du lieu, Pierre-Élisabeth de Fontanieu, confi e à Jacques Gondouin le soin de décorer de manière fastueuse ses appartements privés. Il est remplacé en 1784 par Thierry de Ville-d’Avray. Cinq ans plus tard, le ministère de la Marine s’installe dans une partie de l’hôtel. La place Louis XV devient la place de la Révolution en 1792, et place de la Concorde en 1795. En 1870, le Garde-Meuble, rebaptisé en 1804 Mobilier impérial, est désormais appelé Mobilier national. En 1944, des combats de rue ont lieu devant le bâtiment pour la libération de Paris. En 1989, les dirigeants politiques du monde entier assistent des balcons au défi lé historique du bicentenaire de la Révolution française. En 2015, le ministère de la Marine quitte les lieux, qui seront désormais gérés par le Centre des monuments nationaux. Deux ans plus tard, débute la campagne de restauration.
1. La loggia, tel un péristyle antique, avec sa colonnade corinthienne et son plafond à caissons. 2. La plupart des porcelaines proviennent de la manufacture et du musée national de Céramique de Sèvres. 3. Console en marbre située à l’entrée de la salle à manger de l’Intendant, qui donne sur les grands salons.
3
Un dîner de fruits de mer a été reconstitué dans la salle à manger de l’Intendant. Les murs sont tendus de tentures de soie blanche, peintes à la main d’après les inventaires, dans le style fl oral cher au XVIIIe siècle. 1 2
2 3
La chambre de Madame Thierry de Ville-d’Avray. Les étoffes ont été refaites à l’identique par Tassinari & Chatel (Lelièvre).
La reconstitution historique va jusqu’à la création des fragrances de jadis, qui planent sur les lieux…
facture qui fi rent sans doute pâlir de jalousie Versailles. Car rien ne fut trop beau pour ce lieu. On va même installer une « table volante », qui monte du salon à l’offi ce grâce à un système de poulies, projet abandonné à Versailles car jugé trop onéreux.
Une immersion par touches poétiques
L’autre partie de l’hôtel de la Marine est consacrée au XIXe siècle, et se compose de grands salons d’apparat, plus vides en matière de décoration, mais dorés à outrance. Parallèlement au travail formidable de grands artisans d’art (menuiserie Asselin, Declercq Passementiers, les ateliers de Mathieu Lustrerie, Phelippeau Tapissier…), Joseph Achkar et Michel Charrière, architectes d’intérieur et antiquaires experts en arts décoratifs du Moyen Âge au XVIIIe siècle, ont apporté leur rigueur historique. Mais tout cela serait resté bien froid et classique si l’on ne s’était pas évertué à faire revivre le lieu par petites touches poétiques, en recréant, par exemple, un dîner de fruits de mer dans la salle à manger. Ou en faisant planer, dans la chambre des bains de Monsieur Thierry de Villed’Avray et dans celle de Madame, des senteurs à base de matières naturelles, réalisées par Chantal Sanier dans l’esprit des fragrances du XVIIIe siècle. ■
1. Dans le cabinet de bains, les murs lambrissés, le sol en marbre, les robinets en bronze et les boules à savon datent du XVIIIe siècle. La baignoire en cuivre peinte et patinée est contemporaine. Sur la cheminée, est posé un brûle-parfum ancien. La bergère vient du musée des Arts décoratifs. 2. Détail d’un des portraits du salon des amiraux, représentant La Pérouse, Suffren et Bougainville, et peints sur une toile maroufl ée au XIXe siècle par Gustave Adolphe Chassevent-Bacques. 3. Corridor conduisant au cabinet de travail de l’intendant Marc-Antoine Thierry de Ville-d’Avray.
HÔTEL DE LA MARINE 2, place de la Concorde, 75008 Paris. Ouvert tous les jours de 10 h 30 à 19 h. hotel-de-la-marine.paris