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L’INTERVIEW DU MOIS
from femmes 229
Corinna Niemeyer
IVRE DE MUSIQUE
Après avoir travaillé en France, avoir été cheffe assistante de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, l’Allemande Corinna Niemeyer a pris les rênes de l’Orchestre de Chambre du Luxembourg (OCL). Nous avons rencontré celle qui veut faire découvrir de « nouvelles choses » au public et faire que chaque concert soit pour lui un « chez-soi » inspirant. Échange joyeux avec une trentenaire à l’esprit novateur et qui a le sens du partage.
TEXTE : KARINE SITARZ | PHOTOGRAPHIE : SIMON PAULY
Corinna Niemeyer
Quelle a été la place de la musique dans votre enfance ?
J’ai commencé le violoncelle à 5 ans et si plus tard j’ai appris le piano, le violoncelle est resté mon instrument de cœur. À 14 ans, à Constance, où nous avions emménagé (ndlr : elle est née près de Münster), j’ai choisi une école avec orchestre. C’était nouveau, j’adorais jouer dans l’orchestre, le découvrir de l’intérieur a été une révélation. Quand j’ai rejoint le Conservatoire de Munich pour l’agrégation et devenir professeure de musique, j’ai aussi suivi des cours de direction d’orchestre. À l’examen final, j’ai dirigé tout un orchestre, j’en suis sortie ivre de musique et là j’ai su que ce serait ma voie.
Mais être femme cheffe d’orchestre est encore rare, avez-vous rencontré des difficultés au fil de votre parcours ?
Je suis partie étudier à Karlsruhe puis à Zurich où j’ai obtenu mon Master en direction d’orchestre. Pendant toutes ces études, j’ai été la seule fille et n’ai eu aucun professeur femme. Sans modèle, j’ai toujours dû me déterminer seule. Mais là comme plus tard dans mes engagements professionnels, je n’ai pas rencontré de problèmes particuliers. Être femme fait partie de mon identité, mais c’est la musique qui est au centre de mon travail et elle est indépendante de ces réflexions.
Chaque concert est conçu pour amener les gens à voyager et leur faire découvrir quelque chose
Comment s’est passée votre rencontre avec l’OCL et comment avezvous vécu cette première année à sa tête ?
J’étais cheffe invitée de l’OCL en février 2020 pour un concert au CAPE à Ettelbruck. Cela s’est si bien passé que lorsque l’orchestre a lancé le recrutement de son chef principal j’ai posé ma candidature.
En septembre 2020, j’en ai pris la direction artistique, pour 4 ans, ce qui permet un travail sur le long terme. C’est un orchestre de 35 musiciens, à géométrie variable, on est donc flexible sur les formats, ouverts à un vaste répertoire et l’équipe est très engagée. Malgré la pandémie, nous avons pu nous produire au Luxembourg et si cela a été difficile, tant il y avait d’incertitudes, ce fut intense et je suis fière de ce que nous avons fait.
Quel est le fil rouge de votre nouvelle saison ?
Une autre façon de présenter des concerts, une envie d’aller vers le public dans tout le pays avec un esprit ouvert et joyeux et intégrer ce public. Et puis des nouveautés : un concert surprise autour de Marianna Martines, des « Concerts commentés de Corinna », un concert sur les Années folles, chacun offrant une véritable narration et des concerts avec de jeunes musiciens du Luxembourg intégrés dans l’orchestre, notamment lors du « European Youth Music Festival » à la Rockhal pour Esch2022.
Cet engagement auprès des jeunes est important pour vous qui avez été directrice artistique d’un orchestre d’enfants à la Philharmonie de Paris et directrice musicale de l’Orchestre universitaire de Strasbourg…
Être proche des jeunes, leur faire découvrir la richesse de la musique d’orchestre, les faire participer, est quelque chose qui me tient à cœur.
Y a-t-il des voyages qui vous ont plus particulièrement marquée ?
À 18 ans, une tournée en Chine qui a changé mon regard sur le monde, et, à 22 ans, un semestre d’études du violoncelle à Shanghai où j’ai appris le chinois et me suis vraiment intégrée. Il y a aussi l’Alsace où j’ai été active pendant 10 ans, avec des concerts à la cathédrale de Strasbourg et une vraie participation à la vie culturelle de la ville, et Paris avec mes premiers concerts avec l’orchestre des enfants dans la toute nouvelle Philharmonie. Des lieux devenus des « chez-moi », comme l’est aujourd’hui le Luxembourg.
À quoi ressemble une journée type dans la vie d’une cheffe d’orchestre ?
En temps de concert, on démarre les répétitions cinq jours avant le concert à raison de beaucoup d’heures par jour. Je lis, relis et relis la partition pour bien comprendre comment le morceau fonctionne et ce que le compositeur a voulu exprimer. Le jour du concert, il faut bien gérer temps de travail et temps de repos, un peu comme les sportifs en compétition. En dehors des concerts, je lis beaucoup de partitions, cherche des programmes, rencontre des partenaires pour d’éventuels projets. L’OCL aura ainsi à partir du 20 janvier un intéressant projet d’opéra conçu et mis en scène par Stéphane Ghislain Roussel au Grand Théâtre.
Y a-t-il un moment phare à l’international en 2022 ?
Oui, en février à l’Opéra de Lille où je dirigerai L’Enfant et les Sortilèges de Ravel avec l’orchestre Les Siècles qui joue sur instruments d’époque et, en mai, mes débuts avec l’Orchestre symphonique national du Danemark pour la Troisième Symphonie de Saint-Saëns, un morceau de cœur.
Quelle belle rencontre pouvez-vous partager avec nous ?
Celle avec François-Xavier Roth, chef d’orchestre parmi les plus grands aujourd’hui, toujours à la recherche de nouveautés, avec qui j’ai beaucoup travaillé et appris depuis notre rencontre en 2012 et dont je partage l’esprit d’ouverture.
Questions à la volée
UNE MUSIQUE : « Orgoglioso fiumicello », une cantate de Marianna Martines inscrite à notre programme et qui n’a été jouée qu’une seule fois en Europe depuis sa création.
UN COUP DE CŒUR ARTISTIQUE : Les vitraux de la Cathédrale de Metz où nous venons de travailler sur un opéra, tous magnifiques.
UNE DESTINATION : Le vieux pont en pierres derrière neimënster, lieu magique et inspirant, j’aime imaginer des histoires et me représenter les personnes qui l’ont traversé.
UN VŒU POUR 2022 : Avoir des moments de beauté, d’inspiration et de joie dans notre quotidien.