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from femmes 229
LE BEAU MÉTIER DE DONNER LA VIE
La Vérité sur la lumière d'Audur Ava Olafsdottir
Sans doute la plus réputée des auteurs islandais, Audur Ava Olafsdottir construit depuis une vingtaine d’années une œuvre subtile et délicate, couronnée en 2019 par le Prix Médicis étranger pour « Miss Islande ». Son septième roman nous entraîne dans le quotidien et l’histoire familiale de Dyja, héritière d’une lignée de sages-femmes islandaises, lumineux prétexte pour explorer la vulnérabilité de l’être humain que ces femmes remettent à la lumière du monde.
Audur Ava Olafsdottir
Dyja est sage-femme, comme nombre de ses aïeules avant elle, et seule à s’être engagée par vocation dans ce métier de « mère donneuse de lumière », pour lequel la langue islandaise propose une variété presque infinie de vocables. Étudiante en théologie un peu par dépit, elle partageait l’appartement de sa grandtante, partageait son prénom original, Domhyldur, et poussa le partage jusqu’à devenir elle aussi l’une de ces femmes « qui ont de bonnes mains » et vouent leur existence à veiller sur la naissance de leur prochain. Une lointaine rupture avec les choix de son entourage : ses parents, entrepreneurs de pompes funèbres, sa sœur météorologue, les yeux rivés sur les tempêtes qui menacent le ciel d’Islande à la veille de Noël.
Célibataire, Dyja occupe l’appartement, désuet, inconfortable, encore hanté par la figure de Tante Fifa, légendaire
TEXTE : L’ÉQUIPE DE LA LIBRAIRIE ALINÉA
accoucheuse, grand-tante rude avec elle-même et adepte des sentences absconses sur la fragilité et l’inconstance de l’humain. De cette femme ayant accompagné des milliers de naissances dans des circonstances marquées par la dureté du climat et des âmes, à laquelle elle opposait une foi infaillible en la nécessité de soutirer la vie, il reste à Dyja la vocation, les souvenirs et cette caisse de manuscrits qu’elle se décide à ouvrir un jour. Tante Fifa a laissé derrière elle une œuvre étrange - moins surprenante quand on connaît l’importance dans la culture islandaise d’œuvrer et laisser derrière soi au moins un livre - œuvre qui tient en trois manuscrits confus où Fifa a jeté, non sans contradictions, les fruits des constats et des convictions d’une vie de labeur et d’engagement.
Le regard que Dyja portait sur son aïeule et son métier s’adoucit, à mesure que les circonstances infléchissent sa vie : l’appartement vétuste, aux ampoules qui claquent, finit par mériter de voir tomber ses cloisons, le voisin australien consent à contempler les aurores boréales, et la tempête s’annonce sur le paysage vaste et minéral.
Étrange et lent roman, scandé en courts chapitres aux titres sonnant comme des préceptes, où l’auteur tantôt évoque l’intimité anecdotique de son métier, ses joies et ses drames, tantôt questionne avec une hauteur presque philosophique, le « fait de naître », de venir au jour, que l’on soit humain ou animal : les baleines naissent, elles aussi, dans les eaux glacées de l’océan et n’ignorent rien du rôle magnifique de la « mère de lumière ».