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PRESSE LOCALE

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ELFORT B Entrevues : « Les films sont faits pour être vus en salles »

leur existence. Sur les plate- formes, c’est plus difficile d’exister. »

Cette année, le festival met en avant l’amour fou. Un thème qui colle parfaite- ment à votre film, qui racon- te la romance d’un bour-

e geois du XVI arrondissement avec une guichetière de métro…

La « Oui, c’est vrai [rires]. Pièce rapportée , c’est un peu le jeu de l’amour et du hasard. Le hasard et la chance, sont des thèmes récurrents dans mes films. J’aime voir comment mes personnages s’en sortent face à ces signes du destin. »

Et côté folie, avec Philippe Katerine et Josiane Balasko, le spectateur est servi…

« Philippe Katerine est un acteur que j’adore. Il a ce côté surréaliste qui me plaît beau- coup. J’avais déjà eu envie de tourner avec lui, mais ça n’avait pas pu se faire. Et Josia- ne Balasko est parfaite en “Reine mère” qui veut contrô- ler la vie de son fils. Ils ont vraiment apporté leur patte à leurs personnages. J’ai adoré travailler avec eux. »

Aurélien BRETON

Antonin Peretjatko a présenté son nouveau film, La Pièce édition du festival Entrevues ce , en ouverture de la 36 e rapportée

Photo ER /Aurélien BRETON dimanche à Belfort.

Pendant la crise sanitaire, certains réalisateurs ont choisi de sortir leur film sur les plateformes. Est-ce que vous avez envisagé cette possibilité ?

« Personne ne me l’a propo- sé. Mais je m’y serais opposé de toute façon. Pour moi, les films sont faits pour être vus en salles. Le passage en sal- les, c’est la concrétisation de

enfin, en avant-première, au public ?

« Je suis ravi de retrouver le public. J’ai déjà présenté le film dans plusieurs festivals. C’est toujours intéressant de se con- fronter à la réaction des specta- teurs, de prendre la températu- re avant la sortie officielle. Là, j’ai tendu une oreille au début de la projection. Ça avait l’air plutôt encourageant… »

édition du festival La 36 e Entrevues s’est ouverte ce dimanche avec la projec-La Pièce rapportion de tée , le troisième film d’Antonin Peretjatko. Pré-sent pour un échange avec le public, le réalisateur était ravi de voir son film arriver prochainement dans les salles. Interview.

Vous avez été choisi pour ouvrir cette 36 e édition d’Entrevues , une édition particu- lière après l’annulation de 2020. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

est quelque chose de galvanisant, d’encourageant. Et puis il y a un côté symbolique : l’ouver- ture, c’est ce qui va donner le ton du festival. Que mon film soit choisi, c’est un honneur. Surtout que je connais déjà le festival pour y être venu avec mon précédent film [N.D.L.R. :

« C’

La Loi de la jun-] en 2016. » gle

, votre La Pièce rapportée nouveau film, devait sortir en 2020 (N.D.L.R. : il sera décemsur les écrans le 1 er bre). Que ressentez-vous au moment de le présenter

bloc-

notes

ELFORT B

Messe

Dimanche 28 novembre. Église Sainte-ThérèÀ 10 h 30. se-du-Mont. Tél. 06 08 67 44 89.

Solidarité Femmes

23 rue de Mulhouse. Accueil des femmes victi- mes de violence.

Les lundis, jeudis et vendredis de 9 h à 12 h et les mardis de 14 h à 17 h. Tél. 03 84 28 99 09.

TERRITOIRE DE BELFORT Réunion du comité syndical du Sertrid le 24 novembre

Le comité du Syndicat d’étu-des et de réalisations pour le traitement intercommunal des déchets (Sertrid) se réu-nira mercredi 24 novembre à 18 h à l’Écopôle avec, entre autres, à l’ordre du jour, l’ap-probation du Bulletin Officiel du 22 septembre, le compte rendu de réunion de bureau, le marché de transport et de traitement des déchets végé-taux, un avenant à la conven-tion d’adhésion au service de médecine professionnelle et préventive, le rapport annuel d’information sur l’état de la dette au 1 er janvier 2022 et les tarifs des extérieurs à er janvier 2022. compter du 1

SORTIR 17

ns Le pAys de montBéLiArd et Le territoire de BeLFort

ses formateurs et accompagna-

Salle polyvalente. 90, rue Participation libre. Tél. 06 63 66 41 80.

ours

Organisé par les élèves de l’école de musique et les membres de l’Harmonie d’Hérimon-

Jeu au profit des associations. Salle Sainte-Thérèse du 16, avenue du Château20 € planche de 12 cartons. Tél. 06 65 01 87 84.

Vieux-Charmont

Organisé par les Anciens com-

Rencontres Jean Jaurès. 20, 15 €. Tél. 03 84 22 83 58.

BroCAntes

BeLFort Festival entrevues : les quatre films à ne pas manquer ce dimanche

« La pièce rapportée », dernier film d’Antonin peretjatko, est projeté en ouverture du festival entrevues ce

dimanche.Photo Atelier de production Orange Stu

Organisé par le Tennis de Table

Salle polyvalente. Tél. 03 63 32 32 81.

arché de l’artisanat

Exposition-vente des productions des artisans locaux proposée par Désandans Nature et Chaque jour de la 36e édition d’Entrevues, le festival international du film de Belfort, l’équipe d’organisation partage ses coups de cœur. « L’événement » de ce dimanche sera la cérémonie d’ouverture à 15 h avec la projection de « La Pièce rapportée » d’Antonin Peretjatko, suivie d’une rencontre avec le réalisateur et l’actrice Anaïs Demoustier. L’équipe invite aussi à emmener les enfants pour « Aladdin » de Ron Clements et John Musker à 14 h dans le cadre des Petites Entrevues, à découvrir la carte blanche donnée à l’Espace Gantner de Bourogne avec la projection à 18 h 30 de « Petit ami parfait », de Kaori Kinoshita et Alain Della Negra, suivi d’une rencontre avec les cinéastes et la directrice de Gantner Valérie Perrin. Enfin, on finira la journée en dansant avec la projection à 20 h 30 de « West Side Story » de Robert Wise et Jerome Robbins.

Mairie. 2, rue du Monument. Tél. 06 14 48 90 20. Tél. 06 67 79 59 96.

Bourse aux jouets, vêtements enfants et puériculture

Organisée par Exin’Lutte. De 8 h 30 à 16 h 30. Salle Augé. Gratuit. Tél. 06 63 44 29 72.

arché des créateurs

Organisé par l’ALPLF. Rue du Stade. Gra■rAndonnées, BALAdes, Visites Guidées

montbéliard rando au château de Burg (sundgau suisse)

Randonnée pédestre avec les Sports Réunis du Pays de Montbéliard. 4 h de marche, 500 m de dénivelé, 14 km. Départ à 8 h 30 de la Roselière à Montbéliard. Covoiturage : 4 €. Contact : Adelin Gerlinger 06 37 85 63 17

exposition de dinosaures

T-Rex, vélociraptor, tricératops, ptéranodons et autres créatures venues du fond des âges vous donnent rendezvous.

De 10 h à 19 h. L’AtraXion. 10 €, 8 € pour les enfants. Tél. 07 86 97 42 24. ■sALons, Foires

Bavans salon du cadeau

Organisé par la municipalité. Nombreux exposants, tombola, buvette, petite restauration avec l’association Tous Pour Raphaël. De 10 h à 18 h. Salle polyvalente. Rue du Stade. Gratuit. Tél. 06 33 57 73 79. À 15 h. Stade d’athlétisme. 18 Voie du Tram. 12 €. Tél. 06 07 70 94 90.

demAin

■jeux, ConCours

Belfort Club de bridge

À 14h. 6, rue des Entrepreneurs. Tél. 06 62 20 94 89.

tournoi de tarot

Du Tarot Club L’Excuse belfortaine.

D’amours fous

Par Cécile Becker

Deux fois de Jackie Raynal

eNtreVues, festiVal iNterNatioNal Du film De Belfort reVieNt et Nous Ne BouDoNs pas Notre plaisir ! Cette aNNÉe, sa traNsVersale porte soN regarD sur l’amour fou. regarDer l'amour et eN parler, C’est forCÉmeNt approCher l’iNtimitÉ.

EntreVues rattrape le temps perdu et se penche sur l’Amour fou, un sujet qu’Elsa Charbit, directrice du festival, souhaitait aborder depuis un certain temps et qui le savait : « Notre éducation sentimentale s’est faite par le cinéma. » Bien sûr et peut-être pas toujours pour le meilleur… Mais aussi parce qu’elle se demandait ce que l’amour, au-delà de ses représentations (mélodrame, comédie romantique, etc.), pouvait produire sur la forme : « Ça pousse les films à se dépasser, à sortir de leurs gonds : comment met-on ça en image ? Qu’estce que ça vient perturber du cinéma ? » Ainsi, une trentaine de films seront présentés (extrait de la programmation en fin d’article) ne dépassant pas l’année 2012 pour préférer des films anciens et pouvoir ainsi mieux penser le cinéma au présent. Une fois que l’on sait ça : comment écrire dans Novo sur cette rétrospective ? Je suis passée par toutes les hypothèses : parler des films de cette programmation, dont beaucoup que je n’ai pas vus ? Malhonnête et périlleux. En choisir un ? Trop restrictif. Interviewer des spécialistes, dont certains que j’ai tenté de joindre sans succès ? C’était prendre le risque de la théorie. De théorie, je ne voulais pas : l’Amour fou, la manière dont on le regarde au cinéma est influencée par nos propres histoires et déboires. Chaque histoire d’amour sur écran a, dans les premiers films que l’on a vus, formé une sorte d’absolu à faire coïncider à nos vies. Plus tard, on finit sans doute par y chercher l’infirmation ou la validation de nos choix de relation, parfois dans la douleur, toujours dans le mouvement. Alors, écrire dans Novo sur l’Amour fou au cinéma, c’était forcément parler d’intime et donc de subjectivité. Après une discussion avec un ami (qui se retrouve dans ce patchwork) dont la cinéphilie et l’intelligence me clouent, j’ai choisi de me tourner vers des personnes que j’aime et/ ou j’admire et de leur demander ce que l’Amour fou signifiait pour elles, par le biais du cinéma ou non. L’exercice me semble intéressant : il suggère forcément des images et des scènes – le monologue de La Maman et la Putain qui m’avait laissée tétanisée dans une chambre qui sentait le fioul alors que je ne savais pas encore que le rôle amoureux que je pouvais jouer pouvait être multiple et souple, la puissance d’un amour vieillissant et titubant dans Amour de Haneke dans une salle de cinéma où mes joues ne se sont jamais séchées… L’exercice glisse parfois vers la rédaction de lettres très adressées et force le souvenir. Ce que ça veut dire, c’est qu’on ne peut pas regarder (faire ?) un film sans y mettre des bouts de soi, et c’est alors que la boucle se boucle : les films, le cinéma, la cinéphilie, l’amitié, le sentimental, la littérature, la peinture ; on y revient sans cesse, à l’amour.

CAROLINE CHâTELET Journaliste, collaboratrice de Novo

L’Amour fou, j’ai longtemps cru que c’était celui que l’on connaissait jeune. Celui qui fait qu’on monte dans un train au débotté pour suivre l’autre ; qu’on observe tout en pensant à l’autre ; qu’on mitonne des histoires folles pour voir l’autre. Et que passé vingt ans, ce sentiment d’exaltation, ce sens de l’éperdu – comme de perte de soi – ne revenait plus. Heureusement, il y a la vie – le cinéma – pour recaler tout ça. Soit, les films de John Cassavetes. Chez Cassavetes, l’Amour fou est à l’écran, comme hors-champ. Dans les récits qui se déplient, comme dans cette manière de fabriquer du cinéma en couple, en famille, entre amis, en s’amusant et en déjouant les attendus, les conventions. Comme le dit Minnie dans Minnie et Moskowitz, « Les films sont une conspiration parce qu’ils te conditionnent. Dès que tu es toute petite, ils te préparent à croire à tout (…), aux idéaux, à la force et aux mecs bien, et bien sûr à l’amour. Et toi, eh bien, tu y crois (…) et rien ne se passe. » Mais si le cinéma conditionne nos représentations (souvent pour le pire en prolongeant les schémas hétéropatriarcaux), le film de Cassavetes se moque de cela. L’Amour fou entre ces deux loosers magnifiques rappelle que pour qu’il y ait rencontre, il faut seulement accepter de se déplacer. Et qu’il n’y a aucune limite d’âge à cela…

Minnie et Moskowitz de John Cassavetes

LAëLIEN LECERF Barman

L’Amour fou, c’est peut-être quelque chose qui te traverse et te bouleverse, parti d’une passion débordante, qui ne trouve pas forcément d’ancrage ni de sens au début.

Un ressenti ou un sentiment qui est capable de changer le cours du temps, d’étirer des moments que tu ne reconnaîtras nulle part : ni à l’autre bout du globe, ni avec personne d’autre.

Et là, tu sais que tu es en train de traverser quelque chose d’extraordinaire.

L’Amour fou, c’est peut-être aussi ce qui te permet de te dépasser.

Une rencontre t’amène à te rediriger ou en tout cas, à réorienter ton chemin, c’est souvent l’énergie qui te confronte à deux choses : le désir et la peur.

Tu prendras à droite parce que tes motivations se verront démultipliées par ce sentiment, tu traverseras des obstacles indéfinis que tu pensais infranchissables jusqu’à maintenant, et puis tu prendras à gauche d’autres fois à cause de l’opacité de ta projection : pris par les tripes et tes temporalités, tu seras incapable de dépasser une limite et te confronteras au remords et au regret.

L’Amour fou, c’est sûrement quelque chose comme ça, en partie.

À presque tous

Ou à presque personne ?

Mais à toi.

DIANE LISARELLI Journaliste

« Il y a des gens qui n’auraient jamais été amoureux s’ils n’avaient jamais entendu parler de l’amour » notait La Rochefoucauld deux siècles avant l’invention du cinéma.

Pour se risquer à saisir « l’Amour fou, » tenter de l’approcher timidement, l’on pourrait assembler les scènes qui surgissent comme des évidences, s’essayer à un montage tout personnel. On y verrait par exemple Claude Rich coincé dans une machine à remonter le temps, le Pont neuf pendant le bicentenaire de la Révolution, d’anciens repris de justice dans les ruelles du vieux Gênes, une femme au nom de fleur sur le boulevard du crime, un précipice au-dessus duquel plonge une Ford Thunderbird.

Il y aurait tout ce qu’on s’est imaginé de ce que serait la vie (et qu’elle n’est pas).

Il y aurait le meilleur mais aussi le pire – combien de femmes blessées, diabolisées, assassinées.

Surtout, il y aurait ce feu-là, ce feu immense, qu’on ne voit qu’au cinéma. Un foyer auprès duquel on se réchauffe sans se brûler. Mon incendie préféré embrase la dernière scène de Pierrot le fou. Ferdinand, en bout de course, amoureux d’une femme qui n’est pas celle qu’il croyait, se peint le visage en bleu et se fait sauter, pour immédiatement le regretter. Trop tard. Sur les rochers cramés et face à la Méditerranée, les flammes laissent la place aux mots chuchotés de Rimbaud qui, je crois, en connaissait un rayon sur le sujet.

STÉPHANE LIBS Directeur des cinémas Star à Strasbourg

Ellen Berent alias Gene Tierney dans Péché Mortel est une machine à tuer qui n’a rien à envier à la Plymouth Fury 1957 de Christine. Elles sont folles d’amour de leur propre image. Corps tendus, visages fermés, ultra maîtrise des sentiments. Ce sont des garces frigides de cinéma, incapables d’aimer. Mais dans la vraie vie au cinéma, l’Amour fou intervient avant les escalades érotiques, avant même le premier rendez-vous en haut de l’Empire State Building. Mais juste après le badinage.

C’est une maison avec un jardin sur les hauteurs de Villefranche, une vieille dame qui regarde son petit-fils Nickie et la femme qui l’accompagne, Terry. Il y a aussi une chapelle et une histoire de châle. Il fait beau et le temps est éternité. Pourtant il ne se passe rien. Terry et Nickie ne se touchent pas, à peine se regardent-ils. L’amour naît sous nos yeux, dans sa chimie invisible. Et c’est fou.

Edvard Munch, Vampire II (W. 41 ; S. 34), 1893

AyLINE OLUkMAN Artiste-peintre

L’Amour fou me fait penser à cette gravure de Munch de 1893. Image d’une passion qui dévore et s’engloutit. Intitulée Amour et peine, la gravure fut nommée malgré elle « Vampire » par les critiques. Alors que les nazis déclarèrent l’œuvre d’art dégénérée, Munch a toujours prétendu qu’il ne montrait rien de plus qu’une femme embrassant un homme sur le cou.

ROMAIN SUBLON Fondateur de (feu) la revue Cut et auteur

Au commencement, une phrase d’Aimé Césaire : « Ne vous tranquillisez pas outre mesure. » Peut-être même ne l’avait-il pas employée à l’endroit de la chose amoureuse. Je ne sais plus.

Après, il y a eu les films de Cassavetes, John, alors, tout à fait sens dans tous les sens, à l’endroit à l’envers et il est apparu comme une évidence que l’amour s’épanouirait volontiers dans la folie.

Pour finir sont arrivés les drones, depuis on sait que le ciel ne s’atteindra plus à la seule faveur d’une affaire de cul(s).

Tabou de Murnau et Flaherty

LySE NIPPERT Serveuse

Quand je pense Amour fou, je pense amour déraisonnable, presque malade, et instantanément me vient le film Mon roi de Maïwenn. Je pense à cet Amour fou là, qui pénètre ton corps, qui altère ton ADN, qui fait de toi une autre personne. Je ne sais pas ce que le cinéma a fait à cet amour mais je sais que ce film le montre. Je pense à cette femme qui petit à petit se voit dépossédée de son amourpropre. Est-ce qu’aimer follement c’est donner tout l’amour que l’on a en soi à quelqu’un d’autre ? Est-il possible d’aimer follement tout en continuant à s’aimer soi sainement ?

QUELQUES FILMS D’AMOUR FOU à voir à EntrEvuEs :

L’Inconnu de Tod Browning, Tabou de Murnau et Flaherty, Péché mortel de John Stahl, Amoureuse d’Emilio Fernandez, Les Amants crucifiés de Kenji Mizoguchi, Deux Fois de Jackie Raynal, Minnie et Moskowitz de John Cassavetes, Grandeur nature de Luis Garcia Berlanga, Vivre vite ! de Carlos Saura, Christine de John Carpenter, No Sex Last Night de Sophie Calle, La Ballade de Genesis et Lady Jaye de Marie Losier…

— FESTIVAL DU FILM DE BELFORT

ENTREVUES, festival du 21 au 28 novembre, à Belfort www.festival-entrevues.com

le ChaNt Des igNorÉs

Par Nicolas Bézard

elle fut le ChaîNoN maNquaNt eNtre le NÉorÉalisme et la poÉsie CoNtestataire De pier paolo pasoliNi : la pioNNière Du CiNÉma DoCumeNtaire italieN CeCilia maNgiNi aura les hoNNeurs D’uNe sÉaNCe spÉCiale lors De la 36e ÉDitioN Du festiVal eNtreVues.

Cecilia Mangini, Panarea, 1952

S’affirmant comme le « festival international du jeune cinéma indépendant et novateur, » les EntreVues belfortaines n’en oublient jamais le dialogue essentiel avec les figures du passé, conscientes que les œuvres du patrimoine sont parfois plus modernes que la modernité elle-même.

À ce titre, l’œuvre immense et encore méconnue de Cecilia Mangini, disparue en janvier dernier à l’âge de 93 ans, vaudrait d’être qualifiée de « classique moderne, » tant elle recèle un trésor d’inspirations et d’enseignements.

Riche, sinueuse, parfois empêchée, la trajectoire artistique de cette grande femme d’image se confond avec celle du cinéma transalpin dans le courant du 20e siècle. Née en 1927 dans la ruralité des Pouilles, Cecilia Mangini est une enfant du sud de l’Italie. Un sud pauvre, sous-développé, où la mort peut frapper en plein soleil, au coin de la rue, mais aussi un Midi gorgé de mythologie, de rites et de croyances ancestrales vers lesquels la réalisatrice ne cessera de revenir tout au long de sa vie. Délaissant cette Italie méridionale au profit d’un nord moins touché par la crise économique, la famille de Mangini s’installe à Florence en 1933. La fillette devient une « enfant de la Louve » contrainte de vouer obéissance au fascisme et de subir une politique de propagande visant en priorité la jeunesse. Cette rhétorique visuelle conçue pour manipuler les masses est

La canta delle marane, 1962

le creuset paradoxal dans lequel se forge le regard de la future photographe et cinéaste. Paradoxal, car c’est en fréquentant les Cineguf, cercles cinématographiques institués par la doctrine mussolinienne, que cette autodidacte découvre quelques chefs-d’œuvre du réalisme poétique français miraculeusement passés sous les radars de la censure. Paradoxal encore, puisque c’est en se confrontant à ce flot de programmes menteurs et mystifiants qu’elle prend la mesure du vertigineux pouvoir qu’une image peut exercer sur les consciences. Cette révélation précoce sera d’ailleurs à l’origine, en 1962, d’un film de montage constitué presque exclusivement des images ayant servi à la propagande des dictatures allemande et italienne, All’Armi, Siam Fascisti, œuvre de dénonciation aussitôt censurée par le pouvoir démocrate-chrétien de l’époque, au prétexte qu’elle lève le voile sur des collusions entre le Vatican et le régime du Duce.

Aussi corrompus soient-ils, les Cineguf font donc office de première école du regard pour la jeune femme passionnée d’image. De manière intuitive, elle y apprend la puissance expressive du cadrage, l’importance de la composition, la poésie du noir et blanc et des gris. « Tout ce qui a à faire avec la vie est bien plus lié à l’image qu’à la parole écrite » déclarera-t-elle en 2009, ajoutant : « Je crois qu’entre cinéma et photographie, la contiguïté est telle qu’il n’existe pas de frontière entre l’un et l’autre, car les deux sont régis par un seul empire, celui de l’image, qui communique une grande quantité d’informations et même de sentiments, en négatif et en positif. » Si elle parfait sa culture du 7e Art dans les cinéclubs de la Florence d’après la débâcle, accusant le choc esthétique et social des premiers films néoréalistes des Roberto Rossellini, des Vittorio De Sica, c’est bien vers la photographie qu’elle se dirige d’abord, composant une œuvre somptueuse et pétrie d’humanisme, redécouverte en 2017 à l’occasion d’une large exposition au Musée des Arts et Traditions Populaires de Rome. Du début des années 50 jusqu’au milieu des années 60, son appareil à la main – ou plutôt au cou, la photographe privilégiant les moyens formats à visée poitrine qui permettent de déclencher sans être confondu – Cecilia Mangini s’attache à rendre visibles les angles morts de l’Italie d’après-guerre, celle des oubliés du progrès économique et des victimes d’une disparité Nord-Sud qui va en s’aggravant. De la blancheur métaphysique des carrières de ponce sur l’île de Lipari aux brumes des banlieues nouvelles de Milan, en passant par le Nord Vietnam dont elle rapporte, avec son époux Lino Del Fra, une centaine de photographies en 1965, c’est la même urgence qui semble l’animer : raconter, avant qu’il ne disparaisse, le quotidien du petit peuple confronté à la mutation brutale, sauvage, de son environnement.

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Le cinéma n’est jamais aussi fort que lorsqu’il filme une chose pour la dernière fois. Sur le fond comme sur la forme, les clichés rapportés par Mangini contiennent en germe tout ce qui fera la singularité de son cinéma documentaire, véritable prolongement esthétique et moral de son geste de photographe. Elle convoquera à nouveau cette Italie mystique immortalisée en photo dans le très beau Stendali (1959), enregistrant un rite de lamentation dans une enclave hellénophone de la région de Salento, au cœur de ses Pouilles natales. Usant de procédés de montages hérités des réalisateurs de l’avant-garde russe – Eisenstein, Vertov, Koulechov –, la cinéaste explore les conséquences des inégalités qui fracturent le pays en deux mondes inconciliables, signant coup sur coup Brindisi, Essere Donne et Tommaso (1965). La pièce centrale du triptyque est un manifeste féministe d’une rare acuité. Il démontre avec une virtuosité dialectique étonnante comment le capitalisme, obsédé par sa perpétuation, s’appuie sur les racines patriarcales du pays pour entretenir, au sein même de la structure qui les exploite, l’inégalité entre les hommes et les femmes.

Affinant une méthode documentaire basée sur la reconstitution du réel avec assentiment des protagonistes jouant devant la caméra leur propre rôle, Cecilia Mangini témoigne, à la manière d’une sismologue, des tremblements et soubresauts de l’âme italienne prise dans les rais contradictoires de l’économie de marché. Son observation l’amène tout naturellement à se rapprocher des êtres et des territoires marginaux, là où les secousses les plus violentes se font sentir, et où l’injustice fait naître un sentiment légitime de révolte. Ainsi, ce n’est pas un hasard si le destin de cette figure militante est étroitement lié à celui de Pier Paolo Pasolini, artiste non moins connu pour ses engagements. Outre leurs affinités politiques, les deux ont en commun cette empathie pour la marge. Aussi, la première demandera au second d’écrire les commentaires de plusieurs de ses films, à commencer par son court métrage liminaire relatant l’errance dans les bidonvilles romains d’une jeunesse livrée à elle-même. Intitulé Ignoti alla Città (« Inconnu à la ville »), le film est inspiré du roman de Pasolini Le Ragazzi di Vita (« Les garçons de vie »). Il sera sans surprise censuré pour incitation à la délinquance, là où le roman de Pasolini avait déjà fait l’objet d’un jugement pour obscénité, la doxa dominante ne pouvant souffrir le cri de ceux qu’elle considérait alors comme ses ennemis – fut-ce en réalité un chant remonté des ornières et des fossés, ce beau, ce triste chant des ignorés.

— FESTIVAL DU FILM DE BELFORT

ENTREVUES, festival du 21 au 28 novembre, à Belfort www.festival-entrevues.com

Essere donne, 1965

Stendali - suonano ancora, 1960

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rien à foutre

Par Cécile Becker ~ Photos : Zélie Noreda

Ça fait du bien de l’écrire. cette expression libératrice (ou répétée comme une prière comme pour s’en persuader ?) est le titre du long-métrage d’emmanuel marre et Julie lecoustre, présenté en avant-première au festival entrevues à belfort et sur les écrans le 3 mars 2022. Quand ce Qui nous entoure est régi par la performance, comment revenir à l’essentiel ?

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Premières images. Nous sommes au comptoir d’une compagnie aérienne low coast. Gros plan sur une hôtesse de l’air interprétée par Adèle Exarchopoulos. Une manager parle, le paysage est posé : performance et compétition. Les hôtesses et steward sont tenus de vendre à tour de bras parfums et autres accessoires à bord. C’est chacun pour soi. Rien à foutre de l’esprit d’équipe ou des états d’âme. L’important c’est le chiffre d’affaires ; pourvu qu’il soit généré le plus vite possible. Rien à foutre. À bord et dans les airs, Cassandre (Adèle Exarchopoulos) – personnage dont nous n’apprenons le prénom qu’au bout de 40 minutes comme pour signifier son effacement le plus total – semble en avoir rien à foutre, de rien, ni de personne. « Tu t’attaches pas, t’aimes les gens pendant deux heures, et puis salut. » Elle enchaîne les vols, les fêtes et les aventures d’un soir glanées sur Tinder. Les choses zappent, lassent, les amours passent ; Cassandre est au-dessus de tout, mais (et c’est la seconde partie du film) les traumatismes qui la hantent finissent inévitablement par la rattraper avec un retour dans la maison familiale. « Cette distance elle existe chez Cassandre dans une forme d’auto-conviction initiale, explique Julie Lecoustre, autrice et réalisatrice au même titre que son binôme Emmanuel Marre. C’est-à-dire que le rien à foutre de Cassandre, c’est un post-it mental pour ne pas oublier d’en avoir rien à foutre. Pour fuir, aller de l’avant, et laisser derrière soi la tristesse, la douleur et la souffrance. En fait, le film observe à quel point elle n’en a pas rien à foutre. On avait en tête cette idée qu’au début du film, Cassandre soit plutôt ok avec le fait de rouler pour sa pomme, avec la philosophie de sa compagnie. Ce mode de vie lui va parce qu’elle s’y fond et s’y oublie mais quelque part, elle essaye d’en sortir. Pour nous, c’est un film sur le détachement et la naissance de l’attachement. » L’hermétisme et la froideur de façade du personnage n’enlèvent en rien à l’empathie titillée chez le spectateur. Cassandre parle peu, ne se révolte pas. Tout passe dans ses regards (quelques plans s’attardent sur son visage) et dans ce qu’elle ne dit pas. « On est vraiment partie de son incapacité à exprimer les choses, comme beaucoup de gens finalement, constate Emmanuel Marre. Elle a acheté un rêve, un horizon plus large en travaillant pour cette compagnie mais découvre que la petite ville dans laquelle elle a grandi, cette vie qu’elle croyait petite n’a pas moins d’importance. » Rien à foutre parle aussi de géographies : ces lieux que l’on traverse, ces lumières qui nous touchent, qui infusent nos émotions. Julie Lecoustre confirme : « On a un intérêt viscéral pour le côté commun, banal, ordinaire. Nos plus grands drames intimes et tragédies personnelles ne sont pas dans des endroits grandiloquents, ils peuvent être sur un rond-point [la mère du personnage est décédée dans un accident de voiture, ndlr], dans un lotissement, une rue… des endroits qui sont le cadre de nos vies intimes. » Le cadre plus large dans lequel le film se loge (mise en compétition, disparition du sensible derrière des enjeux financiers) est aussi une manière pour le duo d’insister sur l’économie actuelle, qui, peu à peu, rogne sur l’intime et rend parfois impossible l’expression d’émotions. En toile de fond, deux questions se posent : comment se révolter à grande échelle, collectivement, quand nos luttes internes sont difficilement exprimables et s’effacent derrière le tintamarre ambiant ? Qu’est-ce que la réussite ? Cette dernière s’exprime dans le film par des bouts de vie de ficelle mis en scène sur les réseaux sociaux ; quand la tyrannie de l’apparence force le rêve bigger than life. Formellement, Julie Lecoustre et Emmanuel Marre empruntent d’ailleurs aux codes des réseaux sociaux pour filmer quelques scènes : dont deux où l’intime, justement, s’exprime et qui semblent être tournées avec un téléphone dont le flash est activé – le duo dit s’être inspiré ici des photographies de Juergen Teller et Nan Goldin – ; ou caméra embarquée au-devant ou à la suite de Cassandre. L’image bouge, rebondit, suit, se pose, s’arrête, souffle ; comme pour suivre les remous du personnage. La colorimétrie de la première partie du film, rutilante et glaciale à la fois, correspond à l’artificialité d’une vie mécanique et surexposée ; dans la seconde, le duo s’est autorisé plus de douceur et notamment le 16 mm pour appuyer sur l’atmosphère désuète qu’on associe à un retour dans la maison familiale avec ce que cela suppose d’authenticité. Rien à foutre, duel sur le fond comme dans la forme, interroge et infuse pour ce qu’il met en jeu de soi : que souhaitonsnous fondamentalement ? Quel rapport construire avec le monde et les autres ? Qu’est-ce qui est vrai et qui ne l’est pas ? Un plaidoyer pour ne pas en avoir rien à foutre.

— Rien à foutRe, de Julie Lecoustre et Emmanuel Marre, le 3 mars 2022

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qu’Est-cE quE j’pEux fairE, j’sais pas quoi fairE

Par Nicolas Bézard ~ Traduction : Emilie Girardin ~ Photo : Nicolas Bézard

Et si, dE nos jours, « montrEr du tEmps » était cE quE lE cinéma pouvait proposEr dE plus fort Et dE plus transgrEssif ? BEatrix, lE prEmiEr long-métragE dE lilith KraxnEr Et dE milEna czErnovsKy, s’offrE un détour par lE cinéma dEs originEs pour miEux BousculEr nos haBitudEs dE spEctatEurs.

« Festival international du jeune cinéma indépendant et novateur », voilà un sous-titre que le festival Entrevues de Belfort n’aurait pas volé en donnant l’opportunité à ces très jeunes réalisatrices autrichiennes – toutes deux poursuivent des études aux Beaux-Arts et à l’Université de Vienne – de présenter cette œuvre énigmatique, envoûtante.

Beatrix se retrouve à passer seule son été dans une grande maison. Pour tuer le temps, elle fait le ménage, arrose des plantes, consulte le télétexte sur un vieux téléviseur, s’adonne à quelques séances d’essayages. On la regarde dresser une table pour des invités d’un soir, se faire belle pour un prétendant rapidement éconduit. Plus tard, elle se coupe les cheveux devant la glace. Lentement, les traits de son visage changent. Les sentiments qu’on y lit aussi. Beatrix, c’est l’histoire du temps qui ne passe pas, de l’avenir indécidable, du confinement désœuvré. Un temps fait de petits riens et de grands rêves qu’on ne connaîtra jamais, les auteures ayant l’intelligence de nous épargner toute psychologie. Beatrix, c’est aussi une pleine et réjouissante confiance accordée au cadrage comme matrice subtile de suspense, de beauté, de cocasserie.

Il ne se passe rien dans Beatrix, et il s’y passe l’essentiel : la naissance d’une émotion, l’éclosion d’une actrice, et l’avènement d’un duo de cinéastes sur lequel il faudra forcément compter.

Henri Langlois aimait à rappeler qu’avant de devenir un art narratif, le cinéma avait été, à son commencement, un art plastique, et que demeurait là sa véritable vocation. Avez-vous vu des films des frères Lumière, et le but de votre cinéma n’est-il pas de montrer, plutôt que de raconter?

Lilith Kraxner : Nous avons vu des films Lumière, mais il ne s’agit pas d’un référent conscient. Ce qui importait pour nous en effet, c’était de montrer. Montrer cette jeune femme, passer du temps avec elle, donner à ressentir quelques fragments de son été. Le fait de raconter une histoire passait au second plan.

Beatrix rappelle ce cinéma des premiers temps par vos choix artistiques très affirmés : plan séquence, cadre fixe, tournage en pellicule et usage du format carré.

Milena Czernovsky : Nous avons choisi de tourner en 16mm car cela permet une concentration qui n’existe pas en numérique. C’est une limitation technique que je qualifierais de créative, car elle nous oblige à bien penser chaque plan avant de commencer l’enregistrement. La pellicule induit une performativité, dans le sens où elle n’est pas illimitée et où nous devons faire attention à ne pas la gaspiller. Cela convenait bien à notre actrice, Eva Sommer, elle-même performeuse, et qui a l’habitude d’un temps de création unique, non réitérable.

L.K. : En plus de nous limiter à des plans fixes, nous avons décidé de ne jamais renseigner Eva sur la manière dont nous allions la cadrer. Elle entrait et sortait de l’image sans le savoir. C’était important de donner au spectateur cette sensation qu’il y a un derrière, un devant, un alentour, un hors-champ à ce qu’il voit. Nous voulions filmer ce corps de très près afin de proposer une expérience physique du personnage.

Comment réalise-t-on un film à quatre mains?

M.C. : De l’écriture du scénario à la production du film, en passant par son tournage, son montage, le travail sur les décors ou les costumes : nous avons tout fait ensemble. Mais Beatrix s’est aussi construit autour du dialogue engagé avec l’actrice, un dialogue essentiel, car il nous a permis de

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dégager des consensus, d’avancer toutes les trois sur la même ligne.

L’action se déroule entièrement dans une propriété, et ce n’est qu’au bout d’une heure qu’apparaît l’extérieur, la rue, au détour d’un plan furtif. Chose étonnante : il nous est impossible de reconstituer mentalement l’espace de cette maison. Au compte-gouttes, vous nous laissez en découvrir de nouvelles facettes, jamais directement connectées entre elles. Était-ce pour mieux nous faire ressentir cette légère désorientation qui semble gagner votre personnage?

L.K. : Il nous tenait à cœur que le spectateur découvre la maison en même temps que Beatrix. Notre choix de travailler en plans fixes nous a contraints à ne montrer que des fragments de cette maison. Notre but était de créer des espaces vides pour que les personnes qui voient le film puissent les combler avec leur imagination, leur expérience de vie propre.

C’est un film sans musique additionnelle, attentif aux sons les plus anodins : pépiements d’oiseaux, bruissements de la végétation, bruits triviaux ou domestiques de la mastication d’une feuille de salade, de l’aspirateur, des marches d’un escalier qui grince. Vous avez une façon très rythmique et mélodique de mettre en avant ces sons, en les entrecoupant de silence.

M.C. : Nous avons choisi volontairement de ne pas mettre de musique dans le film, car nous avions envie de raconter cette histoire de la manière la plus honnête et la plus naturelle possible. Nous ne voulions pas influencer ou guider les spectateurs dans leurs émotions. En revanche, nous avons porté notre attention sur les sons que l’on peut entendre dans cette maison, en tâchant de les intensifier. Nous voulions donner le sentiment que la maison vit, qu’elle possède une sorte de langage qui lui est propre.

Beatrix est un grand film sur l’ennui. Vous parvenez à filmer l’ennui sans que le film ne le soit jamais, ennuyeux.

M.C. : Beatrix est dans une phase de sa vie où elle ne sait pas vers qui ou vers où aller ni comment se développer. Trop de directions s’offrent à elle, et devant cet éventail de possibilités, elle décide de ne rien faire. Il était important aux yeux d’Eva de comprendre l’état d’esprit de Beatrix, et de savoir précisément ce que la solitude signifiait pour elle. Se comporte-t-on de manière différente en l’absence du regard des autres ? N’est-on vraiment soi-même que dans ce genre de situation ?

Filmer l’ennui, c’est filmer le temps. Comment filme-t-on le temps ? Est-ce par exemple en montrant son effet sur un corps humain, avec des cheveux, des poils et des ongles qui repoussent, et qu’il faut couper?

L.K. : Absolument. Le temps est palpable dans la façon dont Beatrix interagit avec son corps et s’en occupe. Par ailleurs, nous avons tourné les scènes dans l’ordre chronologique, car nous désirions ressentir nous-mêmes cette sensation réelle du temps qui passe. Les plans ont été filmés avec la lumière disponible, celle du soleil et des éclairages de la maison. Nous n’avons pas utilisé d’éclairage additionnel. En fonction de l’ambiance que nous souhaitions obtenir, nous étions obligées d’attendre certains moments de la journée ou de la nuit pour filmer. C’était une expérience du temps particulièrement forte.

Le film développe une grande sensibilité à la couleur, à la lumière – un jeu avec des régimes lumineux mouvants, changeants. On pense à la peinture, notamment aux impressionnistes.

L.K. : Dans ce film comme dans nos précédents travaux, nous avons accordé une grande attention à la couleur. L’idée était non seulement que les couleurs soient présentes dans le film, mais qu’elles soient signifiantes, qu’elles disent quelque chose du personnage et de sa situation.

M.C. : La maison du film est celle où nous habitions. Nous avons simplement remplacé nos effets personnels par ceux du personnage. Cette connaissance intime de la maison a grandement simplifié les choses. Le fait de savoir quand la lumière y était la plus belle, par exemple, nous a permis de planifier au mieux le tournage.

Très resserré autour du corps de Beatrix, le cadre s’élargit peu à peu pour finir par accueillir une coprésence, à la toute fin.

L.K. : C’était intuitif, pas forcément pensé à l’avance. Et ça a certainement à voir avec le fait que nous avons dû cadrer nous-mêmes la première moitié du film, car notre chef opératrice n’est arrivée qu’en cours de tournage. Du reste, dans la seconde partie, les personnages sont plutôt à l’extérieur de la maison. Nous avions donc la possibilité de reculer la caméra afin d’obtenir des plans plus larges.

Un mot sur l’actrice qui incarne Beatrix, Eva Sommer?

M.C. : Nous avons pensé à elle dès la phase d’écriture, mais nous ne lui avons jamais donné le scénario. Tout devait passer par des échanges, des discussions préalables au sujet de ce qui allait être tourné, comment et pourquoi. Pour incarner Beatrix, Eva a éprouvé le besoin d’en connaître les contours, les motivations. Le personnage s’est donc construit avec elle, pas à pas, dans un état de disponibilité, de confiance réciproque.

instagram.com/beatrix.film

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