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Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Direction artistique : Élisabeth Hebert Édition : Claire Renaud Fabrication : Tatiana Fache Mise en page : Text’oh Illustration de couverture : Ariane Delrieu © Groupe Fleurus, Paris, 2012 Site : www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-1798-8 Dépôt légal : octobre 2012 Code MDS : 651 641 N° d’édition : 12 197 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »

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À Armelle, ma précieuse assistante

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La passagère

– Voiles à tribord ! Le cri de la vigie fit sursauter l’équipage écrasé de chaleur. Les marins s’étaient réfugiés à l’ombre des voiles pour fuir les puissants rayons du soleil et trouver un peu de fraîcheur. En cet après-midi du mois de mars 1681, la température sous les tropiques ne cessait de grimper et oppressait les marins. – Voiles à tribord ! répéta l’homme perché en haut du mât en pointant le doigt sur la droite. Le vieux Señor de Gregorios, capitaine du navire, laissa la barre à son second et se précipita à l’avant du bateau. Il attrapa la longue-vue qui ne le quittait jamais et la posa sur son œil. Il lui fallut plusieurs minutes pour repérer les minuscules voiles qui se dessinaient à l’horizon. À cette distance, il était impossible de savoir s’il s’agissait d’un bâtiment ami ou ennemi mais l’expérience avait appris au capitaine que, en mer, mieux valait toujours se tenir prêt. – Tout le monde à son poste ! ordonna-t-il.

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La Passagère du Roy-Louis Depuis des années, les navires espagnols étaient régulièrement attaqués par des corsaires français ou anglais qui les dévalisaient de leurs marchandises. El Sol était un navire solide et équipé d’une quarantaine de canons, dont la moitié en bronze. Le capitaine de Gregorios le commandait depuis près de vingt ans. Il n’en était pas à sa première bataille navale. Mais s’il avait toujours réussi à sauver son navire et son équipage, c’était parce qu’il ne s’était jamais laissé surprendre. L’agitation inhabituelle sur le pont du bateau surprit Inès qui brodait dans sa cabine. La jeune fille releva la tête de son ouvrage et tendit l’oreille. À travers le plafond, elle entendait les officiers élever la voix pour donner des ordres aux hommes d’équipage. Il se passait quelque chose. Inès avait quitté l’Espagne depuis plus d’un mois maintenant. Au fil des journées passées en mer, elle avait appris à connaître chaque bruit et chaque détail qui rythmaient la vie du navire. Rien ne lui ­échappait. Elle percevait le moindre changement sans que l’on eût besoin de lui dire quoi que ce soit. – Alphonsine, peux-tu aller voir ce qui se passe dehors ? demandat‑elle à la gouvernante française qui s’occupait d’elle depuis son plus jeune âge. Comme personne ne répondait, Inès se retourna pour voir où se trouvait sa gouvernante. Cette dernière somnolait dans un fauteuil, le menton posé sur sa large poitrine. Elle s’était endormie sur la paire de bas qu’elle reprisait. Inès sourit et la regarda tendrement. Comme ce voyage lui paraîtrait long sans elle.

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La Passagère du Roy-Louis Inès se leva sans faire de bruit pour ne pas réveiller sa nounou. Elle posa délicatement son ouvrage sur le fauteuil de velours rouge qui trônait dans un coin de sa grande cabine, et se dirigea vers la porte en prenant garde à ne pas faire bruisser le taffetas de ses multiples jupons. Quand la jeune fille ouvrit la porte, un homme d’équipage manqua la renverser. Il courait vers le pont supérieur, les bras chargés de pistolets et de mousquets, ces longs fusils qui donnèrent leur nom aux mousquetaires du roi. Ce n’était pas la première fois que tout l’équipage d’El Sol se préparait au combat. Une fois ou deux même, le capitaine de Gregorios avait ordonné de tirer quelques coups de canon pour intimider l’adversaire. Finalement, le navire n’avait jamais eu à se battre. Pourtant la jeune fille n’aimait pas cela. La tension qui envahissait alors l’atmosphère la mettait mal à l’aise. Elle ne voulait pas se l’avouer, mais elle avait peur. – Doña Inès ! Le capitaine de Gregorios regardait la jeune fille blonde, figée devant la porte de sa cabine. Chaque fois qu’il l’apercevait, il ne pouvait s’empêcher d’admirer ses traits fins, son petit nez légèrement retroussé, ses yeux d’un bleu profond et ses lèvres parfaitement dessinées. Inès était différente de la plupart des jeunes filles espagnoles de son âge. Beaucoup disaient qu’elle ressemblait à son arrière-arrière-arrière-grandmère, une demoiselle de France. – Doña Inès ! répéta le capitaine sur un ton paternel. Vous devriez rester dans votre cabine. – Que se passe-t-il, capitaine de Gregorios ? demanda la jeune fille. – Notre vigie vient d’apercevoir des voiles à l’horizon. – Amies ou ennemies ?

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La Passagère du Roy-Louis – Nous l’ignorons, poursuivit le capitaine. Mais nous nous préparons, comme d’habitude. Le vieil homme s’efforçait d’adopter un ton léger et rassurant mais son regard trahissait l’inquiétude. Il ne se l’expliquait pas mais il avait le pressentiment que, cette fois-ci, El Sol ne pourrait échapper à une attaque. – Regagnez votre cabine, insista-t-il doucement. Inès vit les hommes qui s’affairaient sur le pont et dans les voiles. En restant là, elle risquait de les gêner. À contrecœur, elle se retourna ­légèrement et rouvrit la porte de sa cabine. – Vous ne craignez rien, lui lança le capitaine. Quand la jeune fille eut disparu, le Señor de Gregorios se tourna vers la mer. Il resta ainsi quelques minutes, le regard perdu à l’horizon. « Pauvre enfant, songea-t-il. Verra-t-elle jamais son futur mari ? Que lui arrivera-t-il si nous tombons aux mains des corsaires ? »

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Les corsaires

Le capitaine de Gregorios avait vu juste. Le navire à l’horizon ne dévia pas sa route. Au contraire, il maintint son cap sur El Sol et fit monter de nouvelles voiles pour augmenter sa vitesse. Soudain, un cri repris par des dizaines d’hommes se propagea comme une traînée de poudre à tous les ponts du navire. – Les Français ! Les Français ! Inès regarda Alphonsine qui s’était réveillée en sursaut. – Les Français ! murmura-t-elle d’une voix blanche. La gouvernante lui sourit courageusement. – Ils ne sont pas méchants, Iñecita. La bonne femme usait de ce tendre surnom depuis le jour où elle était entrée au service de la jeune fille. Le Señor de Los Santos l’avait engagée à sa naissance et la gouvernante française s’était occupée de la petite fille comme si elle avait été sa propre enfant. Lorsque la mère d’Inès était morte, il y a deux ans, les liens entre les deux femmes s’étaient encore resserrés. Le père d’Inès n’appréciait pas que la gouvernante appelât sa

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La Passagère du Roy-Louis fille Iñecita. Il exigeait qu’on la traitât avec le respect dû à son rang. Mais si Alphonsine faisait l’effort de l’appeler Doña Inès en présence de son maître, elle reprenait aussitôt l’affectueux surnom dès qu’elles se retrouvaient toutes les deux. – Les Français ne sont pas méchants, Iñecita, répéta-t-elle en l’attirant vers elle. Inès se laissa faire. Elle se blottit entre les bras forts de sa gouvernante et respira son odeur de lavande en fermant les yeux. Petite, quand elle avait du chagrin, elle se lovait contre Alphonsine et écoutait les battements de son cœur à travers le tissu de sa chemise. Les coups réguliers l’apaisaient. Tant qu’Alphonsine était près d’elle, elle était sûre qu’il ne pouvait rien lui arriver. Le premier coup de canon les surprit toutes les deux. Malgré sa force de caractère, Alphonsine ne put s’empêcher de pousser un petit cri. – Ah ! Elle serra plus fort sa jeune maîtresse contre elle. Le deuxième coup fit trembler tout le navire. – Le mât ! hurla un matelot juste au-dessus de leur tête. Le mât est touché ! Alphonsine comprit alors que les événements ne prenaient pas la tournure habituelle. Le bateau adverse n’était pas décidé à passer son chemin. L’armement des Espagnols ne l’intimidait pas. Il attaquait ! La nourrice promena son regard sur toute la cabine. Elle était vaste et bien meublée mais présentait peu de cachettes. Lorsque ses yeux s’arrêtèrent sur l’espèce de placard qui servait de cabinet de toilette à sa maîtresse, elle n’hésita pas une seconde. Elle lâcha Inès, se précipita vers

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La Passagère du Roy-Louis les deux battants ouvragés fixés dans le mur et les ouvrit. Une petite coiffeuse surmontée d’un miroir était encastrée là. Chaque matin et chaque soir, Inès s’y asseyait pour se laver le visage dans un bac en faïence qu’Alphonsine remplissait d’eau à l’aide d’une cruche de la même facture. Puis la jeune Espagnole coiffait longuement ses beaux cheveux blonds légèrement bouclés. Dans le petit tiroir fixé sous la tablette, elle rangeait ses brosses, ses peignes, ses poudres et ses bijoux, précieux souvenirs de sa pauvre maman. Alphonsine attrapa la coiffeuse et tenta de la tirer hors du placard. Le meuble bougea à peine. – Aidez-moi ! dit-elle à Inès. Inès, qui avait compris ce que voulait faire sa gouvernante, se précipita. Elle saisit un coin de la coiffeuse et tira de toutes ses forces. Le petit meuble se dégagea enfin. Les deux femmes le poussèrent contre un mur de la cabine. Au-dehors, le combat faisait rage. Le courageux capitaine de ­Gregorios exhortait ses hommes à tenir tête à l’ennemi. Les coups de canon se succédaient sans relâche, emplissant l’air d’une forte odeur de poudre. Des hommes criaient, le bois du navire craquait de toutes parts. – Cachez-vous ! ordonna Alphonsine à Inès qui restait au milieu de la pièce, les yeux rivés au plafond. La gouvernante française poussa la jeune fille dans l’étroit placard et se pressa à côté d’elle. – Tirez la porte sur vous, lui dit-elle. Inès glissa ses doigts fins à travers les échancrures de la porte et l’attira à elle. Alphonsine fit de même. Le placard se referma dans un bruit de ressort.

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La Passagère du Roy-Louis Il faisait noir et chaud dans le minuscule réduit. Inès collait son nez contre les fentes de la boiserie pour respirer l’air plus à son aise. À travers les trous, elle pouvait voir presque toute la cabine : la petite coiffeuse qu’elles avaient déplacée, le lit étroit dans lequel elle dormait depuis un mois, ses coffres remplis de vêtements et de vaisselle précieuse, cadeau de son père à son futur époux, le secrétaire qui avait appartenu à sa mère et que le capitaine de Gregorios avait accepté de prendre à bord. – Je vous salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, murmura Alphonsine dans son dos. La gouvernante priait pour vaincre sa peur et tenter d’oublier les cris et les bruits qui déchiraient l’air. Inès fixa toute son attention sur la voix douce de sa nounou. Bientôt, elle n’entendit plus qu’elle et se laissa bercer. Inès fut bien incapable de savoir combien de temps durèrent les combats. Soudain, elle réalisa que le bruit s’était tu. Un lourd silence régnait sur le navire. On n’entendait plus que le clapotis de l’eau contre les flancs du bateau et quelques râles au loin. – C’est fini ? demanda Inès en relevant difficilement la tête vers Alphonsine. La gouvernante posa un doigt sur ses lèvres. Elle tendait l’oreille pour tenter de comprendre ce qu’il se passait à l’extérieur. Il lui semblait entendre des voix très lointaines mais elle était incapable de savoir si elles étaient françaises ou espagnoles. – Restez ici, souffla-t-elle. Je sors pour voir. – Non ! murmura Inès en retenant Alphonsine par la manche alors qu’elle poussait la porte du placard.

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La Passagère du Roy-Louis La gouvernante se dégagea : – Je reviens. Restez ici. Le ton était doux mais autoritaire. Inès se recroquevilla dans un coin du petit placard comme un animal apeuré. Elle était terrorisée à l’idée de rester seule sans rien savoir de la situation. Alphonsine referma le placard derrière elle et se dirigea vers la porte avec d’infinies précautions. Inès colla son œil à la boiserie et la vit quitter la pièce. La jeune fille se mordit la lèvre jusqu’au sang pour ne pas crier et s’élancer à sa suite. Les minutes qui suivirent lui parurent une éternité et, quand la poignée de la porte tourna enfin, Inès respira plus calmement. Elle entrouvrit le placard et s’apprêta à en sortir lorsqu’elle remarqua un pied qui passait le seuil de la cabine. Il était chaussé de grandes bottes noires avec un léger talon. La jambe qui le prolongeait était moulée dans un bas blanc qui s’arrêtait au genou. Inès se recula vivement et se tapit dans la pénombre du placard. Ce n’était pas Alphonsine !

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