9782215128489 les amoureux du loch

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Les amoureux du loch


Du même auteur : Ysée, cavalière de légende

Photo de couverture : Christiana Stawski Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : Sarah Malherbe Édition : Raphaële Glaux Direction artistique : Élisabeth Hebert Fabrication : Thierry Dubus, Gwendoline Da Rocha Composition et mise en pages : Text’Oh ! © Fleurus, Paris, 2015 Site : www.fleuruseditions.com ISBN : 978-2-2151-284-89 Code MDS : 652 320 Tous droits réservés pour tous pays. « Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. »

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Muriel Z端rcher

Les amoureux du loch

Fleurus


1 Coup de panique Ysée s’approcha de la barrière du champ, les poumons

emplis de l’air glacé de ce matin de janvier. Le doux soleil d’hiver atténuait à peine le caractère sauvage et rugueux du paysage écossais. Çà et là, des chevaux arpentaient la lande, interrompant leur déambulation le temps d’arracher d’un coup de dent une touffe d’herbe blanchie par le givre. À quelques mètres d’Ysée, Léonard ouvrit la barrière et versa un seau de granulés dans la mangeoire. Les chevaux levèrent la tête, à l’affût. D’un pas tranquille, la plupart d’entre eux se dirigèrent vers lui. Le vieux palefrenier interpella la jeune fille : – Bon sang de bois, Ysée, tu attends que les fées te tricotent des racines au bout des pieds ? File donc chercher le matériel, longe-moi ces chevaux et attache-les à la barrière. Si on veut tous les ramener avant midi, s’agirait pas de lambiner ! 5

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Ysée, cavalière de légende

Trois mois auparavant, le ton grincheux de Léonard aurait déconcerté Ysée. Mais, après un trimestre passé au lycée de Ghorse Highschool, elle cernait mieux le caractère du ­palefrenier. – À vos ordres, chef ! Mais on ne vous a jamais dit que l’esclavage était aboli ? répliqua-t-elle avec une pointe d’ironie. La grosse moustache du palefrenier masqua son sourire. C’était la première fois qu’un élève était condamné par le conseil de discipline du lycée à accomplir trois jours de travaux d’intérêt collectif pendant les vacances, mais la situation n’était pas pour lui déplaire. Lui aussi avait appris à connaître Ysée. Réservée et sensible, la jeune fille dissimulait sous son apparente fragilité une détermination sans faille. Même s’il ne se départissait pas de son ton grognon, le vieux palefrenier ne savait pas cacher combien il l’appréciait. Ysée rapporta du 4 x 4 une pleine brassée de cordes à mousqueton qu’elle plaça en travers de la barrière. Puis, une des longes à la main, elle s’approcha d’Oural qui avait déjà plongé ses naseaux dans la mangeoire. Ce cheval était réputé pour sa grande sensibilité. Ysée veilla à ne pas le bousculer par des gestes brusques. Elle le rassura d’une caresse tandis qu’elle accrochait le mousqueton à son licol et se mit en marche vers la sortie. La jeune fille savourait de commencer son troisième et dernier jour de punition par cette mission. Après deux matinées aux cuisines et deux après-midi au secrétariat, la visite au pré était comme une récréation ! Pour elle, ramener les chevaux des 6

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Coup de panique

champs jusqu’aux écuries du lycée n’avait rien d’une corvée, c’était un plaisir. Oural se laissa attacher sans difficulté à un poteau de l’enclos. Une longue entaille qui fendait le bois fit hésiter Ysée. Oural pourrait s’y blesser en cas de mouvement brutal. Elle demanda à Léonard s’il était préférable de le changer de place. L’homme secoua la tête en signe de dénégation. Les chevaux étaient au pré depuis le début des vacances. En dix jours, ils avaient eu le temps de confirmer ou de rétablir leur hiérarchie. Oural ne risquait pas d’avoir à s’agiter pour contrer le coup de sabot d’un cheval voisin. Bientôt, tous les chevaux se trouvèrent attachés de part et d’autre de la barrière. Même la sauvage Wifi s’était laissée amadouer par les paroles enjôleuses de la jeune cavalière. Restait Pop Corn, qui continuait à s’ébattre en liberté sans quitter Ysée du coin de l’œil. L’animal, fidèle à sa réputation de plaisantin, s’amusait à reculer à chaque pas qu’Ysée faisait dans sa direction. La jeune fille profita de ce que l’attention du cheval facétieux fut attirée par le ronronnement d’un moteur dans le lointain pour s’approcher de lui. Au moment où elle s’apprêtait à saisir son licol, il se déroba une nouvelle fois. – Pop Corn ! s’exclama Ysée en sortant un quartier de pomme de sa poche, tu as bientôt terminé ton petit jeu ? Léonard va finir par venir te chercher en personne, et là, ça va chauffer !

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Ysée, cavalière de légende

Qui, de la pomme ou de la menace, convainquit Pop Corn ? Qu’importe ! Il attrapa le fruit du bout des lèvres, et Ysée le félicita de se laisser enfin amadouer. Il la suivit docilement vers l’entrée du champ, les oreilles attentives au bruit de moteur qui montait en intensité. Alors qu’elle avançait, Ysée s’étonna de découvrir une ­inconnue debout à côté du 4 x 4, en pleine discussion avec Léonard. À cette distance, elle pouvait deviner qu’il s’agissait d’une élève et, pourtant, elle ne l’avait encore jamais vue au lycée. Le fait qu’il s’agisse des vacances ajoutait au caractère surprenant de sa présence ici. Ysée allongea le pas, pressée de connaître son identité. Avant de la rejoindre, elle attacha Pop Corn aux côtés des autres chevaux. Ni Léonard, ni l’inconnue ne la regardaient. Les yeux levés vers le ciel, ils cherchaient l’origine du bruit de moteur qui s’amplifiait à chaque seconde. Lorsque l’avion surgit de l’arrière d’une colline, la voix de Léonard tenta de couvrir le vacarme : – Ysée ! Éloigne-toi des chevaux ! Cet idiot de pilote vole beaucoup trop bas. Ysée observa l’engin qui semblait foncer droit sur elle. Le nom d’un site d’agence de voyages s’étalait sur son fuselage. L’avion de tourisme perdit encore de l’altitude. Ysée eut à peine le temps d’apercevoir le photographe qui s’y tenait que, déjà, un vent de panique agitait les chevaux.

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Coup de panique

Redsky, Nuts et Alpagua se cabrèrent les premiers. Le reste du troupeau ne tarda pas à les imiter. Les uns après les autres, ils arrachèrent leur nœud de sécurité et s’enfuirent au galop. Ysée savait que toute tentative pour les rassurer ou les rattraper serait vaine tant que l’avion n’aurait pas disparu. Elle recula de quelques pas vers le 4 x 4 mais s’immobilisa très vite en entendant un hennissement effrayé. L’avion poursuivait son approche, et Oural multipliait les efforts pour se détacher du poteau. La longe tendue à l’extrême, le licol à moitié arraché sous la pression qu’il lui imposait, le cheval s’agitait au risque de se blesser. Mais qu’il se cabre, qu’il rue, ou qu’il tire, le nœud de sécurité ne se défaisait pas. Pire ! Par ses mouvements désordonnés, l’animal avait coincé la longe en bas de l’entaille qui divisait le poteau sur sa longueur. L’animal se coucha à moitié, le cou et la tête étirés vers la longe qui le maintenait prisonnier. Le cœur serré, Ysée regarda le cheval qui tentait en de violents soubresauts de s’échapper du piège. La peur submergeait l’animal qui battait de ses sabots le sol gelé. Ysée se précipita. – Ysée ! Stop ! N’approche pas de lui ! Le ton impératif de Léonard arrêta la jeune fille dans son élan. Elle protesta : – On ne peut pas le laisser comme ça ! Regardez, son licol est en train de l’écorcher.

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Ysée, cavalière de légende

Ysée désignait du doigt la peau fragile de la tête d’Oural que le licol avait meurtrie. Léonard posa la main sur l’épaule de la jeune fille. – C’est trop dangereux, Ysée. Oural est dans un tel état de stress qu’il risque de te blesser. – Il faut faire quelque chose ! À force de se débattre, Oural s’était empêtré dans la longe qui menaçait désormais de l’étrangler. – Léonard, s’il vous plaît. C’est trop cruel. Laissez-moi y aller ! La main de Léonard se resserra fermement sur l’épaule d’Ysée. Accablée, Ysée regardait Oural animé de violents spasmes tandis que ses yeux se révulsaient. Ysée n’eut pas besoin de réfléchir avant de prendre sa décision. Pour elle, désobéir à Léonard signifiait un renvoi du lycée et la fin de tous ses projets d’avenir. Mais si personne n’intervenait pour arracher le licol qui l’étranglait, Oural ne survivrait pas. Il s’agissait d’une question de vie ou de mort. Quoi qu’il lui en coûte, Ysée ne laisserait pas Oural mourir sans tenter de le sauver.

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2 Le retour d’Ellen Au moment où Ysée s’élançait pour s’arracher à l’emprise de

Léonard, l’inconnue passa en trombe devant elle. – Ellen ! Reviens ici ! L’appel furieux de Léonard n’ébranla pas la jeune fille. Elle se hissa sur la barrière et esquissa quelques pas à l’image d’une gymnaste sur une poutre, la grâce en moins. Arrivée à l’aplomb d’Oural, trop en hauteur pour qu’il puisse l’atteindre avec les dents ou les sabots, elle cisailla la corde à l’aide du sécateur qu’elle avait trouvé dans le 4 x 4. Puis, elle sauta le plus loin possible en arrière pour se mettre à l’abri des réactions du cheval. Sonné, Oural se redressa, les membres largement écartés. Ysée s’étonna qu’il ne prenne pas la fuite au galop. Léonard appela le cheval sur un ton rassurant qui contrastait avec la colère qu’on pouvait lire sur son visage. Ysée comprit 11

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Ysée, cavalière de légende

que, dès que l’animal serait calmé, l’inconnue aurait droit à une réprimande en règle. Pour l’heure, Oural se dirigea vers le palefrenier d’une démarche maladroite et se laissa toucher sans se dérober. – Restez à distance, toutes les deux, je ne veux pas de vous dans mes pattes ! Tandis que Léonard examinait Oural, la fille s’approcha d’Ysée. – Salut, moi c’est Ellen. Et toi ? – Je m’appelle Ysée. Ellen… Il s’agissait donc de la petite amie norvégienne de Jehan, celle qui n’avait pas pu réintégrer le lycée à la rentrée en raison d’une blessure au genou ! Ysée ne savait que lui dire. Elle n’était déjà pas douée pour faire la conversation, mais découvrir qui était cette fille ajoutait une gêne à sa réserve naturelle. Fallait-il qu’elle lui annonce la vérité ? Ces trois derniers mois, elle était tombée amoureuse de Jehan. Mais le garçon, malgré tous les signes qui prouvaient qu’Ysée lui plaisait, n’avait jamais clairement répondu à ses sentiments. Il avait fini par lui avouer qu’il ne pourrait pas s’engager tant qu’il serait lié à Ellen. Depuis le début des vacances, alors que Jehan achevait de récupérer de sa chute à l’hôpital, Ysée et lui échangeaient quotidiennement. Ils parlaient nature, voyage autour du monde,

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Le retour d’Ellen

cheval et les sms défilaient toute la journée sur le smartphone qu’Ysée avait reçu à Noël. Ysée savourait ces petits bonheurs qu’elle n’avait jamais connus avant. Elle espérait secrètement que rien n’entraverait cette belle histoire qui commençait. Mais l’ombre d’Ellen planait toujours dans son esprit. Comme Jehan éludait toute discussion à son sujet, Ysée avait compris qu’il n’accepterait pas de rompre avec Ellen à distance. Une perspective intéressante s’annonçait avec son arrivée : Jehan pourrait éclaircir la situation de vive voix. Viendrait alors ce moment qu’Ysée attendait tant… celui du premier baiser. – Ben dis donc, tu n’as pas l’air du genre bavarde, toi ! La remarque d’Ellen arracha une grimace à Ysée qui répondit : – Désolée… Tu as été supercourageuse, tu sais ? Sans toi, je me demande ce qu’Oural serait devenu ! D’un geste du bras, Ellen balaya le compliment. – Arrête ! J’ai bien vu que si Léonard ne t’avait pas retenue, tu y serais allée avant moi ! – Et vu sa tête, ça va bientôt barder pour toi ! Ellen éclata de rire. – Je sais bien. Mais j’ai un truc génial pour désamorcer ses colères. Regarde ça ! Ellen jeta un coup d’œil en direction de Léonard qui continuait à s’occuper d’Oural, sans leur porter attention. Elle tourna vers Ysée son visage espiègle qui, en moins d’une seconde,

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se transforma pour afficher une mine contrite où se lisait le remords. – Tu devrais faire du théâtre ! s’exclama Ysée. Quand on te voit comme ça, on n’a qu’une envie : te pardonner. – Être douée pour la comédie, ça fait partie de mon futur métier, répondit Ellen en laissant un sourire revenir éclairer ses traits. Et alors, cette rentrée ? Raconte ! Y a des beaux mecs en seconde ? La conversation s’écoula, facile et agréable. Ysée ne put s’empêcher de rire aux nombreuses plaisanteries d’Ellen. Elle qui pensait ne pas l’apprécier découvrait qu’Ellen n’était pas seulement la tête brûlée avide de sensations fortes qu’on lui avait décrite, mais aussi une fille sympathique et pleine d’humour. – Et pourquoi tu es déjà au lycée ? l’interrogea Ellen, je croyais être toute seule à rentrer un jour à l’avance. Tu fais des heures supplémentaires ? Ysée raconta le conseil de discipline et les trois jours de travaux d’intérêt collectif dont elle avait écopé. Un long sifflement admiratif ponctua la fin de son récit. Ellen tendit sa main, paume vers le ciel, pour qu’Ysée la frappe en signe de connivence. – Eh ben, on dirait que tu ne fais pas les choses à moitié ! Ysée topa dans la main tendue et lui sourit. Cette fille lui plaisait. Qui sait ? Si elle n’avait pas été la copine de Jehan, elles auraient pu devenir amies !

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Le retour d’Ellen

Les grommellements de Léonard mirent fin à la discussion. La voix pleine de fureur, il tempêta contre ces stupides blancsbecs de photographes marchands de rêve, même pas fichus de respecter la nature avec leur engin du diable. Sa mauvaise humeur se tourna ensuite contre Ellen. – Quant à toi, ne crois pas t’en sortir ainsi, on réglera ça au lycée ! Les excuses prononcées d’une mine implorante par la jeune acrobate firent cesser les reproches. Renfrogné, Léonard somma les deux jeunes filles de rassembler les chevaux éparpillés dans la lande. Deux heures et de nombreux allers-retours plus tard, ils abandonnèrent le 4 x 4 sur place. Léonard reviendrait le chercher dans la soirée. Ysée et Ellen chevauchaient Redsky et Alpagua. Tenus en longe derrière elles, les chevaux les suivaient, à l’exception d’Oural que Léonard menait à pied. Meurtri par l’accident, le cheval refusait d’accélérer le pas et continuait à marcher d’une manière étrange, tel un poulain nouveau-né. Le palefrenier rassura les deux lycéennes qui s’inquiétaient. Il n’avait décelé aucune blessure hormis l’écorchure au niveau du licol. Le stress avait été violent, la réaction d’Oural s’estomperait avec le temps. La conversation laissa peu à peu place au silence. La masse grise du château de granit qui abritait le lycée se découpait au loin sur le ciel limpide. Ysée eut l’impression que la bâtisse 15

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reculait à mesure qu’ils avançaient vers elle. Ils n’arriveraient donc jamais ? Son esprit vagabonda, et elle songea aux jours passés. L’ombre de son père avait une nouvelle fois plané sur le Noël qu’elle avait partagé avec sa mère, dans le salon de leur petite maison. Et, pourtant, cette ambiance ne lui avait pas autant pesé qu’avant. Ysée supposa que son départ de France pour le lycée écossais avait contribué à faire évoluer sa mère. Peut-être même accepterait-elle un jour de lui parler de ce père qui les avait ­quittées sans plus donner de nouvelles ? Des aboiements la sortirent de ses pensées, alors qu’ils s’étaient arrêtés un instant auprès du rocher du petit peuple pour que Léonard y dépose une offrande. Tidoy galopait dans leur direction. Ellen s’amusa de la joie exubérante du chien à les retrouver. – Si seulement les profs pouvaient me faire le même accueil lundi, ça m’arrangerait bien ! Ysée s’esclaffa. Elle savait que sa copine Lally manquait à Tidoy. Le chien avait tourné en rond toutes les vacances et, depuis le retour d’Ysée, il se glissait chaque soir dans la chambre pour passer la nuit sur le lit de Lally. Ysée maîtrisa l’écart que Redsky esquissa lorsque Tidoy se précipita dans ses jambes. Elle poussa un discret soupir. Elle avait apprécié ces deux jours de travail dans le château désert. Mais, à elle aussi, Lally manquait, ainsi que Blaise, Joyce, Lukas, Jena, Romain… tous les amis qu’elle s’était faits en arrivant ici.

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Le retour d’Ellen

Le plus dur était passé et ce deuxième trimestre s’annonçait sous d’excellents auspices. Des chevaux, des amis, un amoureux, il ne lui en fallait pas plus pour être heureuse. Ils se remirent en marche. Peu après, les sabots des chevaux résonnèrent sur le sol des écuries. Ysée engagea Redsky et tout le troupeau qui la suivait entre deux des bâtiments modernes aux toits arrondis de l’écurie. Là s’ouvraient les portes des boxes. Ellen l’imita, mit pied à terre et entreprit d’attacher les montures le long du mur. Elle embrassa d’un large geste le château, les écuries et le parc et s’exclama : – Tout ça m’a tellement manqué ! Je suis contente d’être rentrée. Et puis je vais retrouver Jehan. Si tu savais, Ysée, comme je suis impatiente ! Imagine… Ça fait cinq mois qu’on ne s’est pas vus. Autant dire l’éternité ! Tu le connais un peu, il est trop cool, pas vrai ? Ysée répondit par une tentative de sourire crispé. Elle détestait l’idée de dissimuler sa relation avec Jehan à cette fille qui ne lui avait rien fait. Elle détestait l’idée qu’Ellen le lui reprocherait. Elle détestait le personnage de menteuse qu’elle se trouvait contrainte de jouer. Si seulement Jehan n’avait pas tant tardé ! Il était plus que temps qu’il lui révèle la vérité.

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3 Un spot sur le loch Il n’était que 16 heures, mais déjà la luminosité de cet après-

midi de janvier commençait à baisser. Assise derrière le grand bureau de la secrétaire du lycée, Ysée accueillit avec soulagement l’arrivée de la gouvernante. – Karvina, s’il vous plaît, dites-moi que vous venez pour me libérer, supplia-t-elle en agitant ses doigts, j’ai des courbatures plein les mains ! Bientôt, j’aurais la même tête que celui-là ! D’un coup de menton, elle désigna le tableau qui ornait le hall d’accueil administratif situé en face du bureau. Un étalon aux yeux fous s’y trouvait contraint d’obéir à son maître violent. Les talons des petites bottines à lacets de la gouvernante résonnèrent sur le sol de pierre. Karvina posa une main délicatement bordée de la dentelle de sa manche sur l’une des piles de papiers qui occupaient le bureau. 18

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Un spot sur le loch

– N’exagérons rien, Ysée. Agrafer des documents ne relève pas tout à fait de la torture. – Essayez et vous verrez… Ça fait plus de trois heures que je m’y colle, et avec des liasses de cette épaisseur, il faudrait la musculature d’un gorille pour parvenir au bout du tas. – Je ne manquerai pas d’en informer la secrétaire qui se charge habituellement de cette tâche. Je suis certaine qu’elle se réjouira de la comparaison ! Le discret sourire qu’afficha la gouvernante prouva qu’elle n’en ferait rien. Vêtue d’une longue robe de laine cintrée, ornée d’une multitude de minuscules boutons montant jusqu’à son cou, elle avait l’élégance d’une châtelaine et n’aurait pas dépareillé au sein des murs de granit du manoir de Ghorse il y a deux siècles. – D’accord, mademoiselle, reprit-elle, tu as bien travaillé ces trois derniers jours et tu as rempli la part du contrat imposé par le conseil de discipline. Te voilà libre ! – Merci, Karvina ! s’exclama Ysée en jetant l’agrafeuse dans un tiroir avant de le fermer d’un coup de genou. J’avais prévu de sortir à cheval avec Ellen. Ça ne posera pas de problème ? – Nullement ! J’ai tant à faire pour préparer le retour de vos camarades. Amusez-vous bien ! Et soyez de retour pour le dîner, sans faute ! Ysée surgit dans l’écurie, les joues rosies par le plaisir de la balade qui s’annonçait. 19

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Ysée, cavalière de légende

Ellen se trouvait déjà devant le local des professeurs d’équitation. Face à elle, Léonard agitait un index menaçant. En s’approchant, Ysée l’entendit énoncer une longue liste d’activités interdites, de la plus évidente (on ne marche pas en équilibre sur les toits) à la plus improbable (on ne construit pas une piste de luge avec les bottes de paille). Tête penchée, Ellen l’écoutait docilement, sans marquer de surprise. L’idée qu’Ellen ait pu expérimenter chacun des faits cités au cours de l’année précédente effleura Ysée. Sa réputation de casse-cou n’était vraiment pas usurpée ! – Tu t’engages à renoncer à toutes les idées stupides qui pourraient te passer par la tête ? conclut le palefrenier. – Je ne ferai aucune bêtise à l’écurie, confirma la jeune fille. Elle rejoignit Ysée en courant devant le box d’Oural et murmura à son intention : – À l’écurie… mais ailleurs, c’est une autre histoire. Prends Alpagua avec son harnais de voltige, je m’occupe de Woogie, ce sera mieux pour ce qu’on va faire. Ysée s’étonna de sa proposition. Toutes les deux avaient prévu d’aller au bord du loch, il n’y avait pas besoin de chevaux de voltige. Que lui réservait donc Ellen ? Elle n’eut pas le temps d’y penser davantage car Léonard se dirigeait vers elle. Après la longue randonnée de la matinée, sa claudication s’était accentuée, mais c’est pour Oural qu’il ­s’inquiétait. Malgré le calmant prescrit au téléphone par le ­vétérinaire, le cheval restait toujours aussi nerveux, peut-être 20

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même plus encore que dans les minutes qui avaient suivi l’accident. Cette réaction était assez inhabituelle. Le palefrenier annonça : – Tout devrait très vite rentrer dans l’ordre, maintenant. Mais le doute qui pointait dans ses propos indiquait qu’il tentait de se convaincre lui-même autant que de rassurer Ysée. À peine les deux filles eurent-elles franchi le mur d’enceinte du lycée, Ellen mit pied à terre. Les deux chevaux n’étaient équipés que de leur harnais de voltige et les deux cavalières montaient à cru. Quand Ellen grimpa à nouveau sur Woogie, elle portait en travers du dos la planche de surf qu’elle avait dissimulée dans les broussailles une heure auparavant. – Je ne voudrais pas te casser le moral, s’amusa Ysée, mais le loch, côté vague, ce n’est pas vraiment le meilleur des spots de surf ! En guise de réponse, Ellen afficha un air mystérieux et mit Woogie au petit trop. Les bavardages allèrent bon train sur le chemin qui menait au loch. Les filles discutaient de ces grands « touts » et de ces petits « riens » qui permettent de mieux se connaître. Quand Ellen évoqua la douleur de la longue séparation qu’elle avait vécue avec Jehan, lorsqu’elle était en Norvège, Ysée resta muette. Elle aussi l’expérimenterait bientôt. Jehan devrait prochainement regagner son propre lycée, aux États-Unis, et la distance qui les éloignerait serait un déchirement. 21

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Elle se reprocha aussitôt d’être égoïste : comment pouvait-elle penser à elle alors que, par sa faute, Ellen souffrirait encore davantage au moment de la rupture ? – Tu es bien silencieuse, tout à coup ! nota Ellen. Tu penses à quoi ? La tentation de révéler la vérité faillit l’emporter. Puis Ysée renonça : Jehan lui en voudrait de ne pas lui avoir laissé régler cette histoire lui-même. – Je pense à ce que tu nous as préparé, dit-elle. Je me demande bien à quoi va servir la planche de surf ! Ysée n’eut pour réponse qu’un sourire aussi énigmatique que ravi, qui l’amena à s’attendre au pire. – Tu ne vas tout de même pas te faire tirer par les chevaux ? L’incrédulité d’Ysée déclencha le rire d’Ellen. Debout au bord du loch, la téméraire casse-cou avait ôté ses vêtements pour ne garder qu’un tee-shirt et une culotte, malgré le froid piquant de l’hiver. La planche de surf, posée à la surface, était attachée d’une double ligne de trait au harnais de Woogie. – Ben quoi ? s’amusa Ellen, il paraît qu’il n’y a même pas de monstre dans ce loch-là. Il faut bien qu’on se fasse un peu peur autrement. Un petit shoot de surf, y a rien de tel ! Sans attendre, elle mit un premier pied sur la planche de surf et donna l’ordre à Woogie de courir. Le hongre se lança au galop sur la plage de galets, sans dévier du bord du loch. Visiblement, ce n’était pas la première fois qu’il jouait les chevaux de halage. 22

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Les cris enthousiastes d’Ellen survolèrent l’eau aussi vite que sa planche y glissait. Après quelques instants, Ysée remarqua que le galop de Woogie perdait en souplesse. Quelque chose semblait le gêner au niveau d’un pied. Elle hurla pour avertir Ellen, mais cette dernière ne l’entendit pas et continua de s’éloigner. Quand Ellen revint enfin, Ysée se pencha sur la jambe arrière du cheval. Comme elle l’avait pressenti, un galet effilé s’était coincé dans son sabot. Ellen, les joues rougies et les yeux brillants, enfilait à toute allure ses vêtements secs. – Il y a un problème ? demanda-t-elle devant les traits soucieux d’Ysée. – Une pierre, pile dans la zone du pied qui permet au cheval de « sentir » le terrain. Woogie a couru trop longtemps avec. Ça va être difficile pour lui ces prochains jours d’adapter son pas et son allure. Avec fougue, Ellen se précipita sur Woogie et serra son encolure dans ses bras. – Oh, je suis désolée, désolée, désolée, mon pauvre petit cheval chéri ! Ysée observa Ellen en songeant combien sa spontanéité et son énergie la rendaient attachante… Pas étonnant que Jehan ait craqué pour elle !

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Woogie la sortit de ses pensées en mordillant son épaule. Ysée sourit et caressa le cheval un long moment. Elle sentait qu’il avait encore besoin de ses attentions pour se rasséréner. – Alors ? l’interpella Ellen, c’est ton tour de surfer, tu peux prendre Alpagua ! Une petite virée sur l’eau, ça te tente ? Ysée déclina. Cette idée qui enthousiasmait Ellen était assez irresponsable. Woogie aurait pu se blesser et elle aussi, à la réflexion ! – Il vaut mieux rentrer pour soigner Woogie. Ysée se garda d’ajouter que, en aucun cas, elle n’aurait accepté de tester le périlleux exercice. – Tu as sûrement raison, mais c’est dommage : tu verrais les sensations ! Fortes comme un saut en parachute ! – Tu as déjà sauté en parachute ? – Non, mais j’adorerais essayer ! Je veux devenir cascadeuse, tu vois, alors je suis prête à tout tenter ! Pour le moment, je travaille surtout le côté cheval. J’ai passé un temps fou à ­m’entraîner sur le tonneau de voltige ! – C’est quoi, ce tonneau ? l’interrogea Ysée. – Tu découvriras ça bientôt avec les cours de Mme Polsh : un tonneau perché sur quatre pieds, censé imiter le dos d’un cheval. Comme ça, on s’exerce sans risque de blesser les montures. On saute, on grimpe, on se redresse, et quand on a le geste parfait, hop ! On passe au véritable cheval. Après ça, on est au top pour les tournages. Tu sais s’il y en a de prévus pour les mois à venir ? 24

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Un spot sur le loch

Devant l’air d’incompréhension qu’affichait Ysée, Ellen lui expliqua que de nombreuses sociétés de production choisissaient de tourner leur film près du lycée. Cela leur permettait de disposer de chevaux et de figurants capables de les monter. De son côté, le lycée y trouvait son intérêt financier en louant les terres et en fournissant les repas. Juchées ensemble sur Alpagua, les deux filles retournèrent au pas vers Ghorse Highschool. D’une oreille distraite, Ysée écoutait Ellen lui raconter les détails d’un tournage de l’année précédente, énumérer les noms des cascadeurs qu’elle admirait, et exposer son rêve de les imiter. Peu après, Ellen se tut et Ysée entendit les petits bruits de la lande, les oiseaux et la brise qui soufflait. Elle posa la main sur l’encolure de sa monture. Comme elle appréciait la communion muette avec son cheval ! Ellen lui demanda de lui parler à son tour de la passion qui animait sa vie. Ysée répondit sobrement : – J’aime être à cheval plus que tout au monde ! Au loin, dans les collines, un hennissement retentit. Ellen s’en amusa : – T’entends ça ? Ghorse est d’accord avec toi ! Enfin, si tu crois aux fantômes… parce que, moi, je ne crois pas un mot de cette légende !

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Ysée, cavalière de légende

Ysée sourit sans rien ajouter. Elle ne ressentait pas le besoin de convaincre Ellen. Elle savait que Ghorse existait et, à cette idée, elle se sentait bien.

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4 Rentrée d’hiver Le lendemain, en fin de matinée les deux premiers autocars

en provenance de l’aéroport franchirent la grille du lycée. Ellen trépignait d’impatience. Ysée dissimulait davantage son excitation, mais la perspective de revoir ses amis faisait tambouriner son cœur. Même le château, éclairé par les rayons du soleil, semblait s’être paré de ses plus beaux atours pour accueillir les élèves en ce début de nouvelle année. Un flot de lycéens descendit des cars. Les deux filles croisèrent Alyson qui se dirigeait droit vers le château, sans attendre de sortir ses bagages de la soute. – Salut, Alyson, s’exclama Ysée, c’était comment les vacances à Megève ?

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Achevé d’imprimer en Italie par LEGO en septembre 2015 N° d’édition : 15219 Dépôt légal : octobre 2015

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Seule à Ghorse Highschool pour les derniers jours des vacances, Ysée attend avec impatience le retour de ses amies, Lally et Joyce, et surtout celui de Jehan, son amoureux secret. Ce début d’année s’annonce riche en bonheurs partagés ! Mais quand le cheval Oural perd la vue, que Lally et Joyce délaissent Ysée pour leurs petits amis, et que Jehan la fuit, tout s’écroule. Ysée réussira-t-elle à préserver son amitié avec les filles et à ouvrir les yeux sur la réalité de son amour pour Jehan ?

13,90 € TTC France

www.fleuruseditions.com


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