Sommaire P8
« Je ne suis pas de ce monde.
je ne suis d’aucun monde. » P 13
« J’ai grandi sous une bonne étoile. Jaune. »
P 22
« Je ne sais pas ce qu’il faut faire mais je sais ce qu’il ne faut pas faire. »
P 28
« Au fond d’la cave,
paraît qu’y a pas d’sot métier. »
P 34
P 42
« La laideur a ceci de supérieur à la beauté, c’est qu’elle dure. » « Il faut prendre les femmes pour ce qu’elles ne sont pas et les laisser pour ce qu’elles sont. »
P 50
P 72
« La provocation est une cuirasse,
P 128
P 136
P 140
P 148
« J’ai retourné ma veste,
P 162
« Docteur Jekyll et Monsieur Hyde. » « Physiquement je suis pudique
quand même, c’est intellectuellement que je ne le suis pas. » P 82
P 120
P 154
parce que je me suis aperçu que la doublure était en vison. »
P 66
« Pour la vie il n’est pas d’antidote »
« Je pratique un art mineur
destiné aux mineures. » P 58
P 111
« L’ amour est un cristal
P 170
P 175
P 184
qui se brise en silence. » P 88
«Signalement Yeux bleus,
P 104
« 69 année érotique » « Ça c’est l’histoire de… Melody Nelson. »
« Je suis l’homme à la tête de chou. Moitié légume, moitié mec. » La chance est un oiseau de proie
survolant un aveugle aux yeux bandés.
« Le succès et la gloire
ne me griseront jamais que les tempes. »
« Le masque tombe, l’homme reste,
et le héros s’évanouit. »
« L’amour est aveugle
et sa canne est rose. »
« Qui promène son chien
est au bout de la laisse. »
« Fuir le bonheur
de peur qu’il ne se sauve. »
« Si j’ai quoi, affirmatif, et quoi d’autre…
No comment. »
« La connerie, c’est la décontraction
de l’intelligence. »
P 192
« Quand j’ai le délirium,
P 200
« La postérité,
P 208
« Ne m’enterrez pas en grande pompe
cheveux châtains Jane B, anglaise. » P 97
la solitude une cotte de mailles. Me voilà bien protégé… »
je deviens très mince. »
c’est une larme dans l’infini. »
mais à toute pompe ! »
Sommaire P8
« Je ne suis pas de ce monde.
je ne suis d’aucun monde. » P 13
« J’ai grandi sous une bonne étoile. Jaune. »
P 22
« Je ne sais pas ce qu’il faut faire mais je sais ce qu’il ne faut pas faire. »
P 28
« Au fond d’la cave,
paraît qu’y a pas d’sot métier. »
P 34
P 42
« La laideur a ceci de supérieur à la beauté, c’est qu’elle dure. » « Il faut prendre les femmes pour ce qu’elles ne sont pas et les laisser pour ce qu’elles sont. »
P 50
P 72
« La provocation est une cuirasse,
P 128
P 136
P 140
P 148
« J’ai retourné ma veste,
P 162
« Docteur Jekyll et Monsieur Hyde. » « Physiquement je suis pudique
quand même, c’est intellectuellement que je ne le suis pas. » P 82
P 120
P 154
parce que je me suis aperçu que la doublure était en vison. »
P 66
« Pour la vie il n’est pas d’antidote »
« Je pratique un art mineur
destiné aux mineures. » P 58
P 111
« L’ amour est un cristal
P 170
P 175
P 184
qui se brise en silence. » P 88
«Signalement Yeux bleus,
P 104
« 69 année érotique » « Ça c’est l’histoire de… Melody Nelson. »
« Je suis l’homme à la tête de chou. Moitié légume, moitié mec. » La chance est un oiseau de proie
survolant un aveugle aux yeux bandés.
« Le succès et la gloire
ne me griseront jamais que les tempes. »
« Le masque tombe, l’homme reste,
et le héros s’évanouit. »
« L’amour est aveugle
et sa canne est rose. »
« Qui promène son chien
est au bout de la laisse. »
« Fuir le bonheur
de peur qu’il ne se sauve. »
« Si j’ai quoi, affirmatif, et quoi d’autre…
No comment. »
« La connerie, c’est la décontraction
de l’intelligence. »
P 192
« Quand j’ai le délirium,
P 200
« La postérité,
P 208
« Ne m’enterrez pas en grande pompe
cheveux châtains Jane B, anglaise. » P 97
la solitude une cotte de mailles. Me voilà bien protégé… »
je deviens très mince. »
c’est une larme dans l’infini. »
mais à toute pompe ! »
Et ouais, c’est moi Lucien…
Lucien Ginsburg voit le jour à 4 h 55 le 2 avril 1928 à la maternité de l’Hôtel-Dieu de Paris, quelques minutes après Liliane, sa sœur jumelle. Notre futur Serge Gainsbourg a aussi une sœur aînée, Jacqueline, âgée d’à peine 2 ans. Joseph et Olga furent également les parents d’un petit Marcel né en 1922, malheureusement terrassé par une bronchite à l’âge de 16 mois. Gainsbourg racontera souvent qu’il est un survivant. Son premier sursis remonte à quelques mois avant sa naissance. Sa mère retombe rapidement enceinte après la naissance de Jacqueline, un événement qui survient beaucoup trop tôt pour les jeunes parents. Elle décide alors d’aller voir un pseudo-toubib à Pigalle, un faiseur d’anges comme on dit. Mais effrayée par l’insalubrité du lieu et l’aspect sordide de l’affaire, Olga décampe en se disant que, finalement, elle attend peut-être un garçon. Elle en rêve de son p’tit gars…
A Joseph derrière son piano avec l’orchestre « Les Blue Star Boys » au Casino de la plage d’Arcachon en 1929.
Gainsbourg années héroîques 10
Le clan Ginsburg La famille Ginsburg a déménagé et occupe un petit appartement de la rue de Chine dans le 20e arrondissement – à proximité du futur jardin Serge-Gainsbourg de la porte des Lilas, inauguré le 8 juillet 2010. La religion n’a pas vraiment de place sous leur toit. Olga et Joseph parlent russe entre eux mais ne sont pas pratiquants et ne fréquentent pas les synagogues. Les premiers souvenirs de Serge sont musicaux. Son père répète inlassablement au piano les œuvres de Gershwin, Chopin, Scarlatti, Bach, Cole Porter... Il ne jure en effet que par les grandes œuvres classiques ou le jazz et blâme les chansons populaires à la mode. Les parents, passionnés d’art, élèveront leurs enfants dans un Paris artistique imprégné des années 1920. Une période influencée par le mouvement Dada et marquée par le Manifeste du surréalisme d’André Breton, les premières pièces de Sacha Guitry, La Ruée vers l’or de Chaplin ou la publication d’Ulysse de James Joyce. C’est en 1932 que le clan Ginsburg s’installe près de Pigalle et de la place Blanche, au 11 bis rue Chaptal, juste à côté de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Leur immeuble est situé en face du Hot Club de France, le temple du jazz à Paris. Joseph ne manque pas de travail en tant que pianiste de nuit. Sa réputation est excellente mais il ne percera jamais dans le circuit élitiste et fermé des musiciens de studio. Entre deux prestations, il se rend, comme la plupart de ses confrères, au « marché aux musiciens » en face du grand café Les Omnibus afin de décrocher de nouveaux engagements. En 1932, il rencontre Fred Adison, un des pionniers du jazz en France, et intègre sa formation pour animer les après-midi du célèbre restaurant Chez Maxim’s. Par ailleurs, ses nombreux contrats le feront voyager de la Méditerranée à l’Atlantique. L’été, Joseph joue dans les casinos : Arcachon (de 1929 à 1932), Cabourg (1933), le Casino de la Corniche à Alger (1934), Trouville
(1935) et Fouras en Charente-Maritime (1936). À cette époque, les congés payés n’existent pas encore. Olga, Jacqueline, Liliane et Lucien en profitent pour l’accompagner et notamment à Alger, où ils résideront pendant cinq mois. À Paris, Joseph sera aussi pianiste Aux enfants de la chance pendant trois ans jusqu’en 1937. Le nom de cette boîte, inspiré d’un roman de Kessel, influencera Gainsbourg pour écrire en 1987 une de ses plus jolies chansons, dédiée aux kids, sur les dangers de la drogue.
J Jacqueline, 7 ans. G Liliane et Lucien.
L’univers du jeune Lucien
En rentrant de l’école communale de la rue Blanche, Lulu et ses deux sœurs ont droit à la leçon de piano du père, qui généralement se conclut par des larmes. L’autorité paternelle se décline parfois en mode « cosaque » avec des fessées à coups de ceinturon. Lucien fait également quelques stages dans le noir du placard fermé à double tour. Les filles, elles, sont épargnées car beaucoup plus sérieuses. Côté scolarité, les enfants Ginsburg fréquentent l’école publique laïque et républicaine. Mais pour Lulu, ce n’est pas facile tous les jours ! Dans la cour de récréation, ses camarades le surnomment Ginette car il est timide, solitaire et légèrement efféminé. Alors il fait de temps à autre l’école buissonnière et en profite pour chaparder des jouets dans les magasins et chiper quelques pièces dans le sac de sa mère. Lulu est un trouillard de première. Comme pour exorciser cette peur maladive, il fait le pitre devant ses frangines. Car c’est aussi un petit garçon irrésistiblement drôle, doté d’un humour féroce, héritage de sa malicieuse et caustique maman. Pour s’évader dans un monde imaginaire, il se réfugie dans ses lectures favorites : les Contes de Grimm ou les illustrés comme Robinson, Le Journal de Mickey, Guy l’Éclair, Luc Bradefer, Pim Pam Poum ou Bicot. Son imagination fertile lui donne l’envie de prendre le crayon et d’apporter des couleurs à son enfance. C’est décidé, il se lance dans la bande dessinée et crée sa toute première œuvre, Les Aventures du professeur Filippus ! Lucien collectionne des timbres des colonies françaises d’Afrique, s’amuse aussi avec un tank qui crache des étincelles et joue au Meccano. « Étant enfant, je m’identifiais à mon jeu de Meccano, je pouvais me détruire et me construire à mon gré. J’avais la clé (anglaise, une prémonition) et les boulons en main. » Interview L e Q uotidien de Paris, 1982
D Olga et Joseph dans les années 1930.
Et ouais, c’est moi Lucien…
Lucien Ginsburg voit le jour à 4 h 55 le 2 avril 1928 à la maternité de l’Hôtel-Dieu de Paris, quelques minutes après Liliane, sa sœur jumelle. Notre futur Serge Gainsbourg a aussi une sœur aînée, Jacqueline, âgée d’à peine 2 ans. Joseph et Olga furent également les parents d’un petit Marcel né en 1922, malheureusement terrassé par une bronchite à l’âge de 16 mois. Gainsbourg racontera souvent qu’il est un survivant. Son premier sursis remonte à quelques mois avant sa naissance. Sa mère retombe rapidement enceinte après la naissance de Jacqueline, un événement qui survient beaucoup trop tôt pour les jeunes parents. Elle décide alors d’aller voir un pseudo-toubib à Pigalle, un faiseur d’anges comme on dit. Mais effrayée par l’insalubrité du lieu et l’aspect sordide de l’affaire, Olga décampe en se disant que, finalement, elle attend peut-être un garçon. Elle en rêve de son p’tit gars…
A Joseph derrière son piano avec l’orchestre « Les Blue Star Boys » au Casino de la plage d’Arcachon en 1929.
Gainsbourg années héroîques 10
Le clan Ginsburg La famille Ginsburg a déménagé et occupe un petit appartement de la rue de Chine dans le 20e arrondissement – à proximité du futur jardin Serge-Gainsbourg de la porte des Lilas, inauguré le 8 juillet 2010. La religion n’a pas vraiment de place sous leur toit. Olga et Joseph parlent russe entre eux mais ne sont pas pratiquants et ne fréquentent pas les synagogues. Les premiers souvenirs de Serge sont musicaux. Son père répète inlassablement au piano les œuvres de Gershwin, Chopin, Scarlatti, Bach, Cole Porter... Il ne jure en effet que par les grandes œuvres classiques ou le jazz et blâme les chansons populaires à la mode. Les parents, passionnés d’art, élèveront leurs enfants dans un Paris artistique imprégné des années 1920. Une période influencée par le mouvement Dada et marquée par le Manifeste du surréalisme d’André Breton, les premières pièces de Sacha Guitry, La Ruée vers l’or de Chaplin ou la publication d’Ulysse de James Joyce. C’est en 1932 que le clan Ginsburg s’installe près de Pigalle et de la place Blanche, au 11 bis rue Chaptal, juste à côté de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Leur immeuble est situé en face du Hot Club de France, le temple du jazz à Paris. Joseph ne manque pas de travail en tant que pianiste de nuit. Sa réputation est excellente mais il ne percera jamais dans le circuit élitiste et fermé des musiciens de studio. Entre deux prestations, il se rend, comme la plupart de ses confrères, au « marché aux musiciens » en face du grand café Les Omnibus afin de décrocher de nouveaux engagements. En 1932, il rencontre Fred Adison, un des pionniers du jazz en France, et intègre sa formation pour animer les après-midi du célèbre restaurant Chez Maxim’s. Par ailleurs, ses nombreux contrats le feront voyager de la Méditerranée à l’Atlantique. L’été, Joseph joue dans les casinos : Arcachon (de 1929 à 1932), Cabourg (1933), le Casino de la Corniche à Alger (1934), Trouville
(1935) et Fouras en Charente-Maritime (1936). À cette époque, les congés payés n’existent pas encore. Olga, Jacqueline, Liliane et Lucien en profitent pour l’accompagner et notamment à Alger, où ils résideront pendant cinq mois. À Paris, Joseph sera aussi pianiste Aux enfants de la chance pendant trois ans jusqu’en 1937. Le nom de cette boîte, inspiré d’un roman de Kessel, influencera Gainsbourg pour écrire en 1987 une de ses plus jolies chansons, dédiée aux kids, sur les dangers de la drogue.
J Jacqueline, 7 ans. G Liliane et Lucien.
L’univers du jeune Lucien
En rentrant de l’école communale de la rue Blanche, Lulu et ses deux sœurs ont droit à la leçon de piano du père, qui généralement se conclut par des larmes. L’autorité paternelle se décline parfois en mode « cosaque » avec des fessées à coups de ceinturon. Lucien fait également quelques stages dans le noir du placard fermé à double tour. Les filles, elles, sont épargnées car beaucoup plus sérieuses. Côté scolarité, les enfants Ginsburg fréquentent l’école publique laïque et républicaine. Mais pour Lulu, ce n’est pas facile tous les jours ! Dans la cour de récréation, ses camarades le surnomment Ginette car il est timide, solitaire et légèrement efféminé. Alors il fait de temps à autre l’école buissonnière et en profite pour chaparder des jouets dans les magasins et chiper quelques pièces dans le sac de sa mère. Lulu est un trouillard de première. Comme pour exorciser cette peur maladive, il fait le pitre devant ses frangines. Car c’est aussi un petit garçon irrésistiblement drôle, doté d’un humour féroce, héritage de sa malicieuse et caustique maman. Pour s’évader dans un monde imaginaire, il se réfugie dans ses lectures favorites : les Contes de Grimm ou les illustrés comme Robinson, Le Journal de Mickey, Guy l’Éclair, Luc Bradefer, Pim Pam Poum ou Bicot. Son imagination fertile lui donne l’envie de prendre le crayon et d’apporter des couleurs à son enfance. C’est décidé, il se lance dans la bande dessinée et crée sa toute première œuvre, Les Aventures du professeur Filippus ! Lucien collectionne des timbres des colonies françaises d’Afrique, s’amuse aussi avec un tank qui crache des étincelles et joue au Meccano. « Étant enfant, je m’identifiais à mon jeu de Meccano, je pouvais me détruire et me construire à mon gré. J’avais la clé (anglaise, une prémonition) et les boulons en main. » Interview L e Q uotidien de Paris, 1982
D Olga et Joseph dans les années 1930.
Fréhel : première connexion avec le showbiz
En 1936-1937, Jean Gabin chante « Quand on se promène au bord de l’eau », Ray Ventura et ses Collégiens lancent « Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine », Tino Rossi pousse « Marinella » et Fernandel s’attaque à « Ignace ». Lucien a 8 ans quand Damia crée « Sombre dimanche ». Gainsbourg reprendra cette chanson dépressive sur l’album You’re Under Arrest sous le titre de « Gloomy Sunday », soit cinquante et un ans plus tard. Même plan pour « Mon légionnaire », qui fut également à cette époque un énorme succès créé par Marie Dubas et repris en 1937 par Édith Piaf. Serge s’appropriera cette chanson féminine pour en faire un tube funky sur ce même album en 1987. En 1938, à l’âge de 10 ans, Lulu reçoit la croix d’honneur et l’épingle fièrement sur sa blouse en revenant de l’école. En chemin, il tombe sur Fréhel, la célèbre chanteuse réaliste de l’époque. L’interprète de « La Coco » est une artiste extravagante, toxicomane et suicidaire. Ce jour-là, Fréhel se balade avec un pékinois sous chaque bras puis, distinguant la récompense du jeune écolier, elle l’interpelle pour le féliciter. Cerise sur le gâteau, la vedette lui paie un diabolo grenadine et une tarte dans un bistrot du quartier, L’Annexe, au bout de la rue Chaptal. Gainsbourg parlera d’un « premier contact avec le show-business ».
D Jacqueline (13 ans), Liliane (11 ans), Lucien (11 ans) et Joseph sur la plage à Deauville en 1939.
« J’ai ta main » Été 1938. La famille Ginsburg passe ses vacances comme chaque année au bord de la mer, sur la côte Atlantique. Lucien, du haut de ses 10 ans, est fan de Charles Trenet.
J’ai ta main dans ma main Je joue avec tes doigts J’ai mes yeux dans tes yeux
Gainsbourg années héroîques 12
Sur la plage, les haut-parleurs diffusent « J’ai ta main dans ma main » de son idole. Lulu aperçoit une petite fille au regard d’ange et se rapproche d’elle. Le temps est suspendu… Premiers émois, premières sensations, premières vibrations. Des souvenirs indélébiles pour Serge Gainsbourg, qui évoquera un amour fulgurant, d’une pureté absolue : « Elle était mignonne, j’avais déjà un penchant pour l’esthétisme. »
« J’ai grandi sous une bonne étoile. Jaune. »
Fréhel : première connexion avec le showbiz
En 1936-1937, Jean Gabin chante « Quand on se promène au bord de l’eau », Ray Ventura et ses Collégiens lancent « Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine », Tino Rossi pousse « Marinella » et Fernandel s’attaque à « Ignace ». Lucien a 8 ans quand Damia crée « Sombre dimanche ». Gainsbourg reprendra cette chanson dépressive sur l’album You’re Under Arrest sous le titre de « Gloomy Sunday », soit cinquante et un ans plus tard. Même plan pour « Mon légionnaire », qui fut également à cette époque un énorme succès créé par Marie Dubas et repris en 1937 par Édith Piaf. Serge s’appropriera cette chanson féminine pour en faire un tube funky sur ce même album en 1987. En 1938, à l’âge de 10 ans, Lulu reçoit la croix d’honneur et l’épingle fièrement sur sa blouse en revenant de l’école. En chemin, il tombe sur Fréhel, la célèbre chanteuse réaliste de l’époque. L’interprète de « La Coco » est une artiste extravagante, toxicomane et suicidaire. Ce jour-là, Fréhel se balade avec un pékinois sous chaque bras puis, distinguant la récompense du jeune écolier, elle l’interpelle pour le féliciter. Cerise sur le gâteau, la vedette lui paie un diabolo grenadine et une tarte dans un bistrot du quartier, L’Annexe, au bout de la rue Chaptal. Gainsbourg parlera d’un « premier contact avec le show-business ».
D Jacqueline (13 ans), Liliane (11 ans), Lucien (11 ans) et Joseph sur la plage à Deauville en 1939.
« J’ai ta main » Été 1938. La famille Ginsburg passe ses vacances comme chaque année au bord de la mer, sur la côte Atlantique. Lucien, du haut de ses 10 ans, est fan de Charles Trenet.
J’ai ta main dans ma main Je joue avec tes doigts J’ai mes yeux dans tes yeux
Gainsbourg années héroîques 12
Sur la plage, les haut-parleurs diffusent « J’ai ta main dans ma main » de son idole. Lulu aperçoit une petite fille au regard d’ange et se rapproche d’elle. Le temps est suspendu… Premiers émois, premières sensations, premières vibrations. Des souvenirs indélébiles pour Serge Gainsbourg, qui évoquera un amour fulgurant, d’une pureté absolue : « Elle était mignonne, j’avais déjà un penchant pour l’esthétisme. »
« J’ai grandi sous une bonne étoile. Jaune. »
1er septembre 1939. Les Allemands franchissent la frontière polonaise et déclenchent une guerre éclair. La Pologne est impuissante face aux panzers d’Hitler. Sur le front de l’Est, les offensives de l’Armée rouge progressent et les Polonais se retrouvent pris en tenaille. Varsovie ne tardera pas à capituler. En France, la mobilisation générale est ordonnée ; le 3 septembre, les Français et les Anglais déclarent la guerre à l’Allemagne. Sigmund Freud, père de la psychanalyse, s’éteint le 23 septembre. Le neurologue autrichien d’origine juive se pencha en 1930 sur les problèmes de société à travers un ouvrage malheureusement prophétique, Malaise dans la civilisation.
L
Le bruit des bottes
ucien a 11 ans lorsque la guerre éclate. À la fin de l’été 1939, les Ginsburg sont à Dinard, où Joseph joue au casino de la ville. Dispensé du service actif, il est cependant rappelé par décret de mobilisation générale et affecté au 223e RAT, pour finalement revenir à Paris quelques jours plus tard. L’année scolaire 1939-1940 se déroule plutôt sereinement en Ille-et-Vilaine. Les enfants sont inscrits dans un lycée de guerre, à la Villa Nahan. En mai 1940, les troupes du Reich entrent en France après avoir envahi les Pays-Bas et la Belgique. Les Allemands arrivent à Paris le 14 juin. Ce même jour, l’armée française se replie sur la Loire et le gouvernement quitte Tours pour Bordeaux. Le général de Gaulle lance son fameux appel du 18 juin sur les ondes de la BBC. Quant à Pétain, il signe l’armistice à Rethondes le 22 juin. C’est le début de l’exode pour deux millions de réfugiés. Olga et les enfants décident alors de rejoindre Joseph à Paris. Ils découvrent les premières affiches antijuives placardées sur les murs de la capitale. Du 3 au 20 octobre 1940, les juifs de Paris ont pour obligation de se faire recenser au commissariat de leur quartier. Un infâme cachet rouge « juif » ou « juive » est apposé sur les cartes d’identité. La propagande antisémite déploie ses tentacules et se propage dans la ville des Lumières. Les artistes et journalistes juifs ne peuvent plus s’exprimer librement, les commerçants doivent afficher un écriteau signalant leurs origines. Et dans cette escalade vers l’ignominie, le livre du professeur George Montandon Comment reconnaître le juif ? est présenté en bonne place dans les librairies. C’est dans ce contexte terrorisant que Lucien démarre son année scolaire en 5e au collège Condorcet près de la place de Clichy. Le dessin est toujours omniprésent chez lui et son père décide de l’inscrire à l’académie de peinture Montmartre. Le jeune artiste perfectionne son trait, dessine au fusain et observe malicieusement les modèles féminins qui viennent poser nues.
Gainsbourg années héroîques 14
Question de sursis
En 1941, la situation des juifs se dégrade. Les tracts haineux se multiplient et les rafles s’organisent. Lucien ne fait pas sa rentrée en 4 e pour raisons de santé. Terriblement affaibli, il passe de longues semaines cloué au lit, victime d’une péritonite tuberculeuse, maladie foudroyante quasi mortelle à cette époque. Le grand spécialiste français, Robert Debré, le sauve in extremis et Lulu doit partir en cure à la campagne. Direction Courgenard dans la Sarthe, où les Ginsburg venaient de passer leurs vacances d’été. Séparé de sa famille, il est hébergé dans une ferme chez les Dumur. Au programme : balades dans les champs et repas équilibrés. Ainsi, Lucien se refait petit à petit une santé mais perd une année scolaire. Quoi qu’il en soit, ses parents refusent de le faire redoubler, préférant financer des cours privés.
J’ai gagné la Yellow Star
De retour parmi les siens à Paris, Lucien passe son année scolaire 1942-1943 en 3e au Cours Du Guesclin, proche du quartier de l’Europe, alors que ses sœurs sont inscrites au lycée Jules-Ferry. Entre-temps, le port de l’étoile jaune est rendu obligatoire pour tous les juifs de plus de 6 ans. La Yellow Star doit porter l’inscription « juif » en lettres noires. Une nouvelle humiliation parfois affichée avec fierté et dignité, à l’instar d’une décoration. Le quotidien est de plus en plus difficile. Joseph ne trouve plus de travail et les vivres se font rares. Il n’a plus guère le choix et décide de passer en zone libre. Direction la Côte d’Azur. Obligé de faire une bonne partie du trajet à pied, il arrive à Nice éreinté. À la rentrée de septembre 1942, Olga se retrouve donc seule à Paris avec ses trois enfants. Jacqueline et Liliane sont envoyées dans un couvent à Senlis au printemps 1943. Cependant, leur sécurité n’étant plus assurée, elles devront bientôt réintégrer leur lycée JulesFerry. Au sein de son école privée, Lucien est le seul enfant à porter l’étoile jaune mais ses petits camarades ne le stigmatisent pas, bien au contraire. La priorité pour ces gamins de 14 ans reste la rigolade. Lucien se désintéresse de plus en plus des études. En revanche, sa passion pour la peinture grandit. À ses côtés à l’académie Montmartre, un officier allemand exerce ses talents d’artiste peintre… En septembre 1943, la guerre semble prendre un nouveau tournant. Les Alliés bombardent Paris et sa banlieue. Le 3 septembre, l’Italie signe l’armistice en Sicile. Les Allemands viennent de subir une sévère défaite à Koursk. Mussolini est enfin renversé. En France, la Résistance s’organise et prend de l’ampleur. À quand le débarquement ? Le journal clandestin Défense de la France publie les premières photos des camps de concentration. En attendant le jour J du débarquement, il faut continuer tant bien que mal à vivre, à sourire. Fernandel s’en charge en interprétant ironiquement « On m’appelle Simplet ». La chanson à boire « Ah ! Le petit vin blanc » de Jean Dréjac est le succès de l’année. Quant à Charles Trenet, l’idole de Serge, il signe l’une de ses plus belles chansons « Que restet-il de nos amours ? ». En cette sombre période, Le Petit Prince voit le jour à New York sous la plume poétique de Saint-Exupéry.
J Groupe de réfugiés belges sur la route en 1940.
K Joseph Ginsburg sur la Canebière à Marseille en septembre 1942.
Gainsbourg années héroîques 15
1939-1944
1er septembre 1939. Les Allemands franchissent la frontière polonaise et déclenchent une guerre éclair. La Pologne est impuissante face aux panzers d’Hitler. Sur le front de l’Est, les offensives de l’Armée rouge progressent et les Polonais se retrouvent pris en tenaille. Varsovie ne tardera pas à capituler. En France, la mobilisation générale est ordonnée ; le 3 septembre, les Français et les Anglais déclarent la guerre à l’Allemagne. Sigmund Freud, père de la psychanalyse, s’éteint le 23 septembre. Le neurologue autrichien d’origine juive se pencha en 1930 sur les problèmes de société à travers un ouvrage malheureusement prophétique, Malaise dans la civilisation.
L
Le bruit des bottes
ucien a 11 ans lorsque la guerre éclate. À la fin de l’été 1939, les Ginsburg sont à Dinard, où Joseph joue au casino de la ville. Dispensé du service actif, il est cependant rappelé par décret de mobilisation générale et affecté au 223e RAT, pour finalement revenir à Paris quelques jours plus tard. L’année scolaire 1939-1940 se déroule plutôt sereinement en Ille-et-Vilaine. Les enfants sont inscrits dans un lycée de guerre, à la Villa Nahan. En mai 1940, les troupes du Reich entrent en France après avoir envahi les Pays-Bas et la Belgique. Les Allemands arrivent à Paris le 14 juin. Ce même jour, l’armée française se replie sur la Loire et le gouvernement quitte Tours pour Bordeaux. Le général de Gaulle lance son fameux appel du 18 juin sur les ondes de la BBC. Quant à Pétain, il signe l’armistice à Rethondes le 22 juin. C’est le début de l’exode pour deux millions de réfugiés. Olga et les enfants décident alors de rejoindre Joseph à Paris. Ils découvrent les premières affiches antijuives placardées sur les murs de la capitale. Du 3 au 20 octobre 1940, les juifs de Paris ont pour obligation de se faire recenser au commissariat de leur quartier. Un infâme cachet rouge « juif » ou « juive » est apposé sur les cartes d’identité. La propagande antisémite déploie ses tentacules et se propage dans la ville des Lumières. Les artistes et journalistes juifs ne peuvent plus s’exprimer librement, les commerçants doivent afficher un écriteau signalant leurs origines. Et dans cette escalade vers l’ignominie, le livre du professeur George Montandon Comment reconnaître le juif ? est présenté en bonne place dans les librairies. C’est dans ce contexte terrorisant que Lucien démarre son année scolaire en 5e au collège Condorcet près de la place de Clichy. Le dessin est toujours omniprésent chez lui et son père décide de l’inscrire à l’académie de peinture Montmartre. Le jeune artiste perfectionne son trait, dessine au fusain et observe malicieusement les modèles féminins qui viennent poser nues.
Gainsbourg années héroîques 14
Question de sursis
En 1941, la situation des juifs se dégrade. Les tracts haineux se multiplient et les rafles s’organisent. Lucien ne fait pas sa rentrée en 4 e pour raisons de santé. Terriblement affaibli, il passe de longues semaines cloué au lit, victime d’une péritonite tuberculeuse, maladie foudroyante quasi mortelle à cette époque. Le grand spécialiste français, Robert Debré, le sauve in extremis et Lulu doit partir en cure à la campagne. Direction Courgenard dans la Sarthe, où les Ginsburg venaient de passer leurs vacances d’été. Séparé de sa famille, il est hébergé dans une ferme chez les Dumur. Au programme : balades dans les champs et repas équilibrés. Ainsi, Lucien se refait petit à petit une santé mais perd une année scolaire. Quoi qu’il en soit, ses parents refusent de le faire redoubler, préférant financer des cours privés.
J’ai gagné la Yellow Star
De retour parmi les siens à Paris, Lucien passe son année scolaire 1942-1943 en 3e au Cours Du Guesclin, proche du quartier de l’Europe, alors que ses sœurs sont inscrites au lycée Jules-Ferry. Entre-temps, le port de l’étoile jaune est rendu obligatoire pour tous les juifs de plus de 6 ans. La Yellow Star doit porter l’inscription « juif » en lettres noires. Une nouvelle humiliation parfois affichée avec fierté et dignité, à l’instar d’une décoration. Le quotidien est de plus en plus difficile. Joseph ne trouve plus de travail et les vivres se font rares. Il n’a plus guère le choix et décide de passer en zone libre. Direction la Côte d’Azur. Obligé de faire une bonne partie du trajet à pied, il arrive à Nice éreinté. À la rentrée de septembre 1942, Olga se retrouve donc seule à Paris avec ses trois enfants. Jacqueline et Liliane sont envoyées dans un couvent à Senlis au printemps 1943. Cependant, leur sécurité n’étant plus assurée, elles devront bientôt réintégrer leur lycée JulesFerry. Au sein de son école privée, Lucien est le seul enfant à porter l’étoile jaune mais ses petits camarades ne le stigmatisent pas, bien au contraire. La priorité pour ces gamins de 14 ans reste la rigolade. Lucien se désintéresse de plus en plus des études. En revanche, sa passion pour la peinture grandit. À ses côtés à l’académie Montmartre, un officier allemand exerce ses talents d’artiste peintre… En septembre 1943, la guerre semble prendre un nouveau tournant. Les Alliés bombardent Paris et sa banlieue. Le 3 septembre, l’Italie signe l’armistice en Sicile. Les Allemands viennent de subir une sévère défaite à Koursk. Mussolini est enfin renversé. En France, la Résistance s’organise et prend de l’ampleur. À quand le débarquement ? Le journal clandestin Défense de la France publie les premières photos des camps de concentration. En attendant le jour J du débarquement, il faut continuer tant bien que mal à vivre, à sourire. Fernandel s’en charge en interprétant ironiquement « On m’appelle Simplet ». La chanson à boire « Ah ! Le petit vin blanc » de Jean Dréjac est le succès de l’année. Quant à Charles Trenet, l’idole de Serge, il signe l’une de ses plus belles chansons « Que restet-il de nos amours ? ». En cette sombre période, Le Petit Prince voit le jour à New York sous la plume poétique de Saint-Exupéry.
J Groupe de réfugiés belges sur la route en 1940.
K Joseph Ginsburg sur la Canebière à Marseille en septembre 1942.
Gainsbourg années héroîques 15
1939-1944
Gainsbourg années héroîques 24
J Peinture représentant la place du Tertre en avril 1945, signée Lucien Ginsburg (toile inédite). D Vase « deux visages » peint par Lucien et offert à sa sœur Jacqueline en 1947.
Le musée du Louvre devient sa deuxième maison. Un lieu sacré où notre artiste passe ses journées à copier les toiles de ses grands maîtres : Courbet, Géricault, Cézanne, Vélasquez ou Delacroix. Cette initiation est très certainement à l’origine de sa distinction entre les arts majeurs et les arts mineurs. Serge aura consacré quinze ans de sa vie à la peinture. À 30 ans, n’arrivant pas à trouver son style, il décide d’arrêter et détruit presque toutes ses toiles. Gainsbourg parlera d’une approche vers le bonheur qu’il aura interrompue par lâcheté. « Les images, je les ai écrites, plaquées sur des symboles musicaux, c’est là mon drame. Peintre, j’aurais fait une œuvre. » Extrait de Voyeur de première, Frank Maubert, éditions La Table Ronde, 1998.
Premiers amours, premières blessures
À l’académie Montmartre, le jeune Lucien dessine maintenant des femmes nues. À 17 ans, la tentation de passer enfin à l’action devient délicate à canaliser. « J’étais raide fauchman, mais je décide de me payer une petite pute. Je vais donc du côté de Barbès où je tombe sur un groupe de cinq prostituées, cinq pauvres gamines et, dans un émoi, je choisis la plus nulle mais aussi la plus gentille. Quand elle a fermé la porte de sa piaule, j’étais mort de trac. Je lui ai dit que je n’avais jamais fait ça. Elle m’a montré le chemin de son engin glauque et visqueux et quand ça a été fini, elle m’a dit que je n’étais pas maladroit. Quand je suis rentré chez mes parents, j’avais l’impression que ça se voyait, je suis allé aux chiottes et là je me suis branlé pour retrouver mes rêves de puceau. Voilà l’affaire. » E xtrait de Gainsbourg, Gilles Verlant, A lbin Michel , coll . Rock & Folk , 1992. C’est après avoir pratiqué l’amour en allongeant quelques francs que Lucien tombe amoureux d’une jeune fille de 18 ans, très élégante, très grande, très « russe ». Elle s’appelle Olga Tolstoï. « C’était avec une petite-fille ou arrière-petite-fille de Tolstoï. Elle était vierge. Je l’avais emmenée dans une chambre mansardée mais, une fois sous mon corps, elle avait pris peur et je l’avais respectée. » Olga et Lulu devaient se revoir le lendemain mais elle n’est jamais venue. Blessé et désespéré, il connaît son tout premier chagrin d’amour.
Gainsbourg années héroîques 25
« J’ai la nostalgie de ce que je n’ai pas été : un grand peintre »
Lucien a 18 ans et continue de s’exprimer à travers la peinture. Rappelons-nous que six ans auparavant c’est son père qui l’a pris par la main pour l’inscrire à l’académie de Montmartre. Joseph voulait que son p’tit gars soit initié à cet art majeur car luimême avait pratiqué la peinture en Russie. Mais l’histoire s’arrêta net lors d’un voyage dans le Transsibérien lorsqu’il était étudiant : on lui déroba une de ses toiles représentant la femme qu’il aimait à cette époque. Ce jour-là, Joseph se jura de ne plus jamais retoucher à une toile. Quant au futur Serge Gainsbourg, il se met en tête d’atteindre la perfection. Le génie sinon rien. Ses professeurs remarquent sa forte personnalité et l’encourage à persévérer. À l’encontre d’une attitude parfois rebelle, froide et arrogante, ses peintures sont douces, délicates, sans tragédie. Un style proche de celui d’un de ses maîtres, le peintre postimpressionniste, Pierre Bonnard. Dans cette mouvance, Juliette Gréco possède une huile très tendre représentant deux enfants jouant dans le sable. Lucien s’imprègne également du cubisme en suivant les cours d’André Lhote, qui selon lui est un excellent théoricien, et de Fernand Léger, pour lequel il n’a vraiment aucune admiration. « Léger ? Un lourd… », balançait-il avec ironie. Une moquerie envers ses enseignants qu’il affichera avec ironie dans son conte parabolique Evguénie Sokolov, l’histoire d’un peintre pétomane… « Je marquai promptement un penchant très net pour le dessin, mais la spontanéité de mes croquis et la fraîcheur naïve de mes aquarelles furent aussitôt calmées par les pédagogues qui n’avaient que faire de mes ballons cubiques, lapins à damiers, cochons bleus et autres fantasmes embryonnaires, et comme il me fallait me soumettre, je me vengeais à la piscine où je lâchais près d’eux des bulles irisées qui remontaient en bouillonnant à la surface avant d’éclater à l’air pur en libérant leurs gaz contestataires. » E xtrait du conte parabolique Evguénie Sokolov, Gallimard, coll . NRF, 1980.
Gainsbourg années héroîques 24
J Peinture représentant la place du Tertre en avril 1945, signée Lucien Ginsburg (toile inédite). D Vase « deux visages » peint par Lucien et offert à sa sœur Jacqueline en 1947.
Le musée du Louvre devient sa deuxième maison. Un lieu sacré où notre artiste passe ses journées à copier les toiles de ses grands maîtres : Courbet, Géricault, Cézanne, Vélasquez ou Delacroix. Cette initiation est très certainement à l’origine de sa distinction entre les arts majeurs et les arts mineurs. Serge aura consacré quinze ans de sa vie à la peinture. À 30 ans, n’arrivant pas à trouver son style, il décide d’arrêter et détruit presque toutes ses toiles. Gainsbourg parlera d’une approche vers le bonheur qu’il aura interrompue par lâcheté. « Les images, je les ai écrites, plaquées sur des symboles musicaux, c’est là mon drame. Peintre, j’aurais fait une œuvre. » Extrait de Voyeur de première, Frank Maubert, éditions La Table Ronde, 1998.
Premiers amours, premières blessures
À l’académie Montmartre, le jeune Lucien dessine maintenant des femmes nues. À 17 ans, la tentation de passer enfin à l’action devient délicate à canaliser. « J’étais raide fauchman, mais je décide de me payer une petite pute. Je vais donc du côté de Barbès où je tombe sur un groupe de cinq prostituées, cinq pauvres gamines et, dans un émoi, je choisis la plus nulle mais aussi la plus gentille. Quand elle a fermé la porte de sa piaule, j’étais mort de trac. Je lui ai dit que je n’avais jamais fait ça. Elle m’a montré le chemin de son engin glauque et visqueux et quand ça a été fini, elle m’a dit que je n’étais pas maladroit. Quand je suis rentré chez mes parents, j’avais l’impression que ça se voyait, je suis allé aux chiottes et là je me suis branlé pour retrouver mes rêves de puceau. Voilà l’affaire. » E xtrait de Gainsbourg, Gilles Verlant, A lbin Michel , coll . Rock & Folk , 1992. C’est après avoir pratiqué l’amour en allongeant quelques francs que Lucien tombe amoureux d’une jeune fille de 18 ans, très élégante, très grande, très « russe ». Elle s’appelle Olga Tolstoï. « C’était avec une petite-fille ou arrière-petite-fille de Tolstoï. Elle était vierge. Je l’avais emmenée dans une chambre mansardée mais, une fois sous mon corps, elle avait pris peur et je l’avais respectée. » Olga et Lulu devaient se revoir le lendemain mais elle n’est jamais venue. Blessé et désespéré, il connaît son tout premier chagrin d’amour.
Gainsbourg années héroîques 25
« J’ai la nostalgie de ce que je n’ai pas été : un grand peintre »
Lucien a 18 ans et continue de s’exprimer à travers la peinture. Rappelons-nous que six ans auparavant c’est son père qui l’a pris par la main pour l’inscrire à l’académie de Montmartre. Joseph voulait que son p’tit gars soit initié à cet art majeur car luimême avait pratiqué la peinture en Russie. Mais l’histoire s’arrêta net lors d’un voyage dans le Transsibérien lorsqu’il était étudiant : on lui déroba une de ses toiles représentant la femme qu’il aimait à cette époque. Ce jour-là, Joseph se jura de ne plus jamais retoucher à une toile. Quant au futur Serge Gainsbourg, il se met en tête d’atteindre la perfection. Le génie sinon rien. Ses professeurs remarquent sa forte personnalité et l’encourage à persévérer. À l’encontre d’une attitude parfois rebelle, froide et arrogante, ses peintures sont douces, délicates, sans tragédie. Un style proche de celui d’un de ses maîtres, le peintre postimpressionniste, Pierre Bonnard. Dans cette mouvance, Juliette Gréco possède une huile très tendre représentant deux enfants jouant dans le sable. Lucien s’imprègne également du cubisme en suivant les cours d’André Lhote, qui selon lui est un excellent théoricien, et de Fernand Léger, pour lequel il n’a vraiment aucune admiration. « Léger ? Un lourd… », balançait-il avec ironie. Une moquerie envers ses enseignants qu’il affichera avec ironie dans son conte parabolique Evguénie Sokolov, l’histoire d’un peintre pétomane… « Je marquai promptement un penchant très net pour le dessin, mais la spontanéité de mes croquis et la fraîcheur naïve de mes aquarelles furent aussitôt calmées par les pédagogues qui n’avaient que faire de mes ballons cubiques, lapins à damiers, cochons bleus et autres fantasmes embryonnaires, et comme il me fallait me soumettre, je me vengeais à la piscine où je lâchais près d’eux des bulles irisées qui remontaient en bouillonnant à la surface avant d’éclater à l’air pur en libérant leurs gaz contestataires. » E xtrait du conte parabolique Evguénie Sokolov, Gallimard, coll . NRF, 1980.
1950-1952
« Au fond d’la cave,
paraît qu’y a pas d’sot métier. »
« Un jour, une petite fille s’approche et lève les yeux sur moi : “Monsieur, puisque vous êtes magicien, est-ce que vous pourriez me transformer en princesse ?” Son regard était d’une pureté, d’une crédulité superbe. Je lui ai passé la main dans les cheveux et je lui ai dit : “Voilà, tu es une petite princesse.” » E xtrait de G ainsbourg, Verlant, D eschamps , B rierre , A lbin Michel , 2000.
Gainsbourg années héroîques 29
D Sujet d’examen d’entrée à la Sacem, juillet 1954.
L’éducateur magicien
Au début des années 1950, Lucien Ginsburg et Lise mènent toujours une vie de bohème. Mais ses contrats de guitariste ne suffisent plus vraiment à assurer le quotidien et il devient urgent pour Lulu de dégoter un job « alimentaire ». Sur les conseils d’un de ses amis, il postule pour un emploi de moniteur au centre d’éducation de Champsfleur, entre Maisons-Laffitte et Le Mesnil-le-Roi. Il s’agit d’un établissement pour enfants juifs dont les familles ont été décimées et qui attendent d’être adoptés. Certains d’entre eux sont des rescapés des camps de concentration. La journée, les mômes vont à l’école laïque et le soir ils regagnent le foyer. Le directeur, Serge Pludermacher, met l’accent sur la culture et propose à ses petits protégés des cours de peinture, de sculpture, de musique, de chants traditionnels yiddish, de danse classique… Des sorties au théâtre et au cinéma sont également organisées le week-end pour redonner un peu de joie de vivre à ces enfants empreints de mélancolie et de désespoir. Lucien est embauché mais ses débuts sont difficiles, il semble manquer de conviction. Quand il s’exprime, c’est avec une voix très basse révélant une timidité toujours maladive. Les enfants se moquent parfois de lui mais, très vite, Lulu tire quelques oreilles pour se faire respecter. Puis, au fil des jours, il devient confiant et commence à prendre du plaisir à donner ses cours de musique. Il accompagne même ses élèves à la guitare au sein de l’orchestre de mandolines et dirige la chorale. Petit à petit, les jeunes élèves sont captivés par sa personnalité, sa pédagogie et Lucien finit par devenir un éducateur aimé des enfants. En plus de son modeste salaire, il est hébergé et nourri. Lise s’installe d’ailleurs avec lui et part travailler chaque matin sur Paris. Ils profiteront de leur séjour dans les Yvelines pour se marier le 3 novembre 1951 au Mesnil-le-Roi. C’est une période importante dans la vie du futur Serge Gainsbourg car il peint de moins en moins et commence à griffonner ses premières chansons. Lucien compose à la guitare dans sa chambre et sur le piano de l’établissement. Il teste ses premières compositions lors des veillées qui se déroulent une fois par mois. Chacun présente un numéro et Lulu s’amuse à faire des tours de magie déguisé en fakir, pour le plus grand plaisir de son jeune public.
1950-1952
« Au fond d’la cave,
paraît qu’y a pas d’sot métier. »
« Un jour, une petite fille s’approche et lève les yeux sur moi : “Monsieur, puisque vous êtes magicien, est-ce que vous pourriez me transformer en princesse ?” Son regard était d’une pureté, d’une crédulité superbe. Je lui ai passé la main dans les cheveux et je lui ai dit : “Voilà, tu es une petite princesse.” » E xtrait de G ainsbourg, Verlant, D eschamps , B rierre , A lbin Michel , 2000.
Gainsbourg années héroîques 29
D Sujet d’examen d’entrée à la Sacem, juillet 1954.
L’éducateur magicien
Au début des années 1950, Lucien Ginsburg et Lise mènent toujours une vie de bohème. Mais ses contrats de guitariste ne suffisent plus vraiment à assurer le quotidien et il devient urgent pour Lulu de dégoter un job « alimentaire ». Sur les conseils d’un de ses amis, il postule pour un emploi de moniteur au centre d’éducation de Champsfleur, entre Maisons-Laffitte et Le Mesnil-le-Roi. Il s’agit d’un établissement pour enfants juifs dont les familles ont été décimées et qui attendent d’être adoptés. Certains d’entre eux sont des rescapés des camps de concentration. La journée, les mômes vont à l’école laïque et le soir ils regagnent le foyer. Le directeur, Serge Pludermacher, met l’accent sur la culture et propose à ses petits protégés des cours de peinture, de sculpture, de musique, de chants traditionnels yiddish, de danse classique… Des sorties au théâtre et au cinéma sont également organisées le week-end pour redonner un peu de joie de vivre à ces enfants empreints de mélancolie et de désespoir. Lucien est embauché mais ses débuts sont difficiles, il semble manquer de conviction. Quand il s’exprime, c’est avec une voix très basse révélant une timidité toujours maladive. Les enfants se moquent parfois de lui mais, très vite, Lulu tire quelques oreilles pour se faire respecter. Puis, au fil des jours, il devient confiant et commence à prendre du plaisir à donner ses cours de musique. Il accompagne même ses élèves à la guitare au sein de l’orchestre de mandolines et dirige la chorale. Petit à petit, les jeunes élèves sont captivés par sa personnalité, sa pédagogie et Lucien finit par devenir un éducateur aimé des enfants. En plus de son modeste salaire, il est hébergé et nourri. Lise s’installe d’ailleurs avec lui et part travailler chaque matin sur Paris. Ils profiteront de leur séjour dans les Yvelines pour se marier le 3 novembre 1951 au Mesnil-le-Roi. C’est une période importante dans la vie du futur Serge Gainsbourg car il peint de moins en moins et commence à griffonner ses premières chansons. Lucien compose à la guitare dans sa chambre et sur le piano de l’établissement. Il teste ses premières compositions lors des veillées qui se déroulent une fois par mois. Chacun présente un numéro et Lulu s’amuse à faire des tours de magie déguisé en fakir, pour le plus grand plaisir de son jeune public.
CHRO_GAINSBOURG COUV 04.indd 1-3
Gainsbourg
Alors d’instinct, quand j’ai vu mon nom pour la première fois dans un canard, ce fut de prendre une gomme et d’essayer de l’effacer. Mais l’encre d’imprimerie est indélébile. Donc moi aussi j’étais devenu indélébile »
Stéphane Deschamps
« Boris Vian est le premier à avoir écrit un article sur moi.
Stéphane Deschamps
Gains bourg Années héroïques
06/02/17 15:33