W E I V E PR La résurrection du Christ est l’affirmation l’affirmation centrale de la foi chrétienne. « Si le Christ n’est pas ressuscité », n’a pas craint d’affirmer saint Paul, « notre prédication est vaine, et vaine aussi est notre foi » (1 Co 15, 14). Bien que cet événement mystérieux n’ait pas eu de témoin oculaire, il a été évoqué et célébré dans l’art d’inspiration chrétienne dès les premiers siècles et jusqu’à nos jours. Mais de quelle manière ?
Cet ouvrage présente une sélection de 35 œuvres d’origines géographiques diverses, sur des supports et dans des formats très variés, pour des usages différents. La plus ancienne remonte aux années 400 et la plus récente date de 2014. Chacune d’elles est d’abord soigneusement reproduite en pleine page et commentée avec les ressources de l’exégèse, de l’histoire de l’art et de la théologie et le secours éventuel de reproductions de détails. Il s’en dégage au total une tension parlante et féconde entre la tendance dominante dans l’art d’Occident jusqu’au xxe siècle exclu, de représenter la résurrection du Christ comme une triomphale sortie du tombeau, suivie immédiatement d’une lévitation évoquant l’Ascension, tandis que l’art d’Orient a suivi, jusqu’à nos jours inclus, majoritairement, une tout autre piste, celle des effets salvifiques de la descente du Christ aux enfers, c’està-dire dans le domaine des morts, où il commence par extraire « à bras fort et à main étendue » les Justes de l’Ancienne Alliance, au premier rang desquels Adam et Ève.
L’ouvrage comble une étrange lacune – il n’existait pas de livre de référence sur ce sujet essentiel – et présente sous un jour nouveau à la fois la bipolarité de l’art chrétien et les récentes remises en question du concept même de Résurrection chez les théologiens européens de la décennie écoulée.
François Bœspflug, professeur émérite de l’université de Strasbourg, est théologien et historien de l’art et des religions. Il a publié depuis plusieurs décennies de nombreux livres autour de la représentation de Dieu, du Christ et de la Trinité dans l’art, entre autres Dieu et ses images. Une histoire de l’Éternel dans l’art (Bayard, 2011), Le Regard du Christ dans l’art. Temps et lieux d’un échange (Mame-Desclée, 2014) et Jésus a-t-il eu une vraie enfance ? Le procès de l’art chrétien (Éditions du Cerf, 2015). Emanuela Fogliadini enseigne l’histoire de Byzance et de l’Orthodoxie à la Faculté de Théologie de l’Italie Septentrionale à Milan. Docteur en théologie et en histoire, elle a publié chez Jaca Book à Milan une trilogie savante remarquée sur l’essor des icônes (Il volto di Cristo, 2011), la théorie des iconoclastes (L’immagine negata, 2013) et celle du concile œcuménique Nicée II (L’Invenzione dell’immagine sacra, 2015), et depuis plusieurs essais, dont Parola e immagine tra Oriente et Occidente (EDB, Bologne).
RESSUSCITÉ LA RÉSURRECTION DU CHRIST DANS L’ART ORIENT - OCCIDENT
39,90 € France TTC www.mameeditions.com
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Couverture : Mantegna, prédelle de la Pala de San Zeno, panneau peint, 70 x 92 cm, 1457-1459 ; musée des Beaux-Arts, Tours
Direction : Guillaume Arnaud Direction éditoriale : David Gabillet Édition : Claire Renaud Création graphique : Élisabeth Hebert et Isabelle Mascaras Mise en pages : Magali Meunier Fabrication : Thierry Dubus © Mame. www.mameeditions.com ISBN : 978-2-7289-2262-8 Code MDS : 531 581 Tous droits réservés pour tous pays.
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F rançois Bœspflug
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Emanuela F ogliadini
La Résurrection du Christ dans l'art Orient-Occident
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Sommaire Introduction__________________________________ 6 La Résurrection du Christ dans l’art_____
Aux pieds du Ressuscité,
Christus Victor,
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Milan_______________________________________ 18
La porte entrouverte du sépulcre,
Ravenne____________________________________
22
Adam empoigné,
Codex Rabula______________________________ 26
Autour du tombeau vide,
basilique San Clemente___________________ 30
Le gardien de l’enfer piétiné,
enluminure arménienne___________________ 34
Puissance du Ressuscité,
Venise______________________________________ 38
Kurbinovo__________________________________ 42 Le Ressuscité souriant, abbaye de Wienhausen_____________________ 46
Ne me touche pas,
Éblouissante Anastasis,
Padoue______________________________________ 50
Le Ressuscité en sa grâce,
Saint-Sauveur-in-Chora_________________ 54
Prague_____________________________________ 58
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Une sortie du tombeau fermé,
Sienne_____________________________________ 62
L’ouverture de la prison, Florence__________________________________ 66
Sortie en gloire, Tours______________________________________ 70
L’annonce de l’ange,
Ressuscité sévère,
Vicenza__________________________________ 126
Vol au-dessus des gardiens,
Paris______________________________________ 130
Un Ressuscité impérieux,
Sansepolcro_______________________________ 74
Ressuscité au soleil levant,
Ressuscité en lévitation,
São Paolo__________________________________ 82
Résurrection-explosion,
Soleil de nuit,
Le premier témoin,
Le Ressuscité paisible,
Paris_______________________________________ 78
Ressuscité debout sur l’autel,
Milan______________________________________ 86
Colmar____________________________________ 90 Le second Adam en bel homme, Rome______________________________________ 94
Un envol à l’aube,
Brescia____________________________________ 98 Le Ressuscité élancé, Madrid__________________________________ 102
Résurrection-redressement,
New York________________________________ 134
Les couleurs de la Résurrection,
Paris______________________________________ 138 Paris______________________________________ 142
La croix tremplin,
Vatican___________________________________ 146 San Luis__________________________________ 150
Paris______________________________________ 154
Conclusion___________________________________ 158 Bibliographie des auteurs_______________________ 164 Index des citations scripturaires_________________ 166 Crédits photographiques________________________ 167
Florence_________________________________ 106 Lent réveil, Munich__________________________________ 110
Ascension triomphale,
Résurrection-Crucifixion,
Versailles________________________________ 114
La Résurrection racontée,
New York________________________________ 118
Hanovre__________________________________ 122
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La Résurrection du Christ dans l’art
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Aux pieds du Ressuscité, Milan Volet de diptyque, relief en ivoire, 30,7 x 13,4 cm, Italie du Nord, vers 400 ; Castello Sforzesco, Milan43.
L’Antiquité tardive, à compter du ive siècle de notre ère, a connu un essor sans précédent de la production d’objets en ivoire. Mais leur vogue est ancienne, elle remonte aux arts grecs et romains et ne connut aucun fléchissement avant le milieu du Moyen Âge, et l’on a produit des crucifix en ivoire en nombre jusqu’à nos jours. Des techniques avaient été mises au point pour débiter l’ivoire des défenses d’éléphant en lamelles ou en plaques susceptibles de faire l’objet d’un travail de sculpture en bas-relief à l’aide de gouges ou de ciseaux, le trépan étant également utilisé pour creuser des trous isolés, par exemple pour suggérer les yeux44. Ces plaques, dont beaucoup ont été fabriquées dans des ateliers byzantins, pouvaient servir de tableaux autonomes, être reliées en diptyques ou en triptyques, ou fixées sur des meubles pour les décorer, comme cela fut fait sur la chaire de Maximien de Ravenne - un meuble d’apparat, au vrai, trop petit et trop fragile pour que l’on puisse s’y asseoir. Plus tard, au Moyen Âge, elles ont aussi été accolées sur les reliures des livres. On en fit également des pyxides, ces petits boîtiers circulaires qui furent ornés de motifs chrétiens aux ve et vie siècles, servant parfois de boîtes à hostie. Une des plus anciennes représentations du Ressuscité assis devant son propre tombeau - selon une iconographie qui a des proches parents, comme celle du fameux ivoire de Munich45, mais ne sera pas reprise de manière habituelle - est justement un panneau
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la résurrectIon
du
chrIst
d a n s l ’a rt
side de Sainte-Pudentienne de Rome, où les Vivants entourent la Croix au-dessus du Christ siégeant (une mosaïque datée sensiblement des mêmes années).
d’ivoire en relief de la collection Trivulzio de Milan. Il est construit sur deux registres que réunit l’architecture complexe du sépulcre, avec le corps du bâtiment qui occupe le registre inférieur, sommé d’une tour circulaire au registre supérieur.
La conclusion s’impose. Le personnage siégeant est donc le Ressuscité se manifestant aux femmes devant le tombeau vide et leur faisant bon accueil. Il résulte en quelque sorte d’une fusion entre les versets 5 (l’ange parlant aux femmes) et 9 (Jésus venant à leur rencontre) du chapitre 28 de l’Évangile selon saint Matthieu, le dernier passage précisant : « Elles s’approchèrent de lui et lui saisirent les pieds en se prosternant devant lui. » C’est exactement ce qu’on les voit faire sur l’ivoire de Milan. Le Ressuscité se laisse toucher par elles, comme il encouragera Thomas l’incrédule à le toucher pour surmonter ses doutes. On comprend qu’elles aient été aimantées par lui, tellement il est aimable, apaisé, avenant. Dans son maître ouvrage sur la vision béatifique, La Cité de Dieu, Augustin s’est risqué à en fournir une définition ramassée : tranquillitas ordinis, « la tranquillité de l’ordre ». Elle est perceptible dès la Résurrection et surpasse toute paix, jusqu’au calme olympien…
La porte figurée au registre inférieur comporte des panneaux sculptés comme il y en a sur les portes de la basilique Sainte-Sabine sur l’Aventin à Rome, sensiblement de la même époque. Elle est entrouverte, mais le regard ne peut pas pénétrer à l’intérieur. Les deux panneaux du haut représentent la résurrection de Lazare. Devant le tombeau est assis un homme jeune, en lequel on a souvent voulu reconnaître non le Ressuscité mais un ange, comme dans la partie basse de l’ivoire évoqué plus haut, où la visite des femmes au tombeau est représentée au registre inférieur, sous une Ascension. Le doute sur l’identité de la figure qui siège dans l’ivoire de Munich est permis, mais il ne peut s’agir, dans le cas de l’ivoire de Milan, que du Ressuscité lui-même. Outre que cette figure est « aptère », sans ailes (mais celle de Munich l’est également), elle présente plusieurs particularités : elle bénit de la droite (comme à Munich), ce que les anges n’ont pas coutume de faire, et tient serré dans la main gauche un rotulus (qui manque à Munich), attribut de qui enseigne, ne convenant donc pas à un ange, et confié le plus souvent au Christ dans l’art paléochrétien. La proskynèse de l’une des deux femmes, le geste de vénération de l’autre Marie, comme celui des deux veilleurs s’inclinant depuis le toit, ces signes ne sont jamais adressés à un ange46 et renforcent l’interprétation christique de la figure. Enfin, le Taureau et l’Homme qui apparaissent dans la partie haute audessus de la tour sont deux des Quatre Vivants de la vision inaugurale d’Ézéchiel (Ez 1). Ils escortent Dieu selon le prophète biblique et, à partir de l’époque paléochrétienne, sont rapportés au Christ exclusivement, comme symboles de sa glorification - ainsi ont-ils été représentés dans la partie haute de la mosaïque de l’ab-
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43 G. Schiller, t. III, p. 20 et fig. 11 ; B. Brenk, « Das Trivulzio-Elfenbein und seine antiarianische Mission », dans Habitus. Norm und Transgression in Bild und Text, Festgabe für Liselotte E. Saurma-Jeltsch, Berlin, A. Hoffmann, K. Bull éd., 2011, p. 245-257. Merci à notre collègue et ami Jean-Michel Spieser pour sa relecture de notre commentaire de cette œuvre. 44 A. Cutler, The Craft of Ivory : Sources, Techniques and Uses in the Mediterranean World, A.D. 200-1400, Dumbarton Oaks Byzantine Research Library and Collection, 1985. 45 J. - M. Spieser, Images du Christ. Des catacombes aux lendemains de l’iconoclasme, coll. « Titre courant », n° 57, Librairie Droz, Genève, 2015, p. 386-388. 46 On pourrait néanmoins s’objecter Ap 22,8 : « Moi, Jean, j’ai entendu et j’ai vu cela. Et après avoir entendu et vu, je me prosternai, pour l’adorer, aux pieds de l’ange qui me montrait cela. » Il faut cependant continuer la lecture : « Mais il me dit : garde-toi de le faire ! Je suis un compagnon de service, pour toi et pour tes frères les prophètes, et pour ceux qui gardent les paroles de ce livre. C’est Dieu que tu dois adorer. »
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Un envol Brescia
à l’aube,
Tiziano Vecellio, dit Titien, La Résurrection du Christ, huile sur toile, 278 x 122 cm, panneau central du Polyptyque Averoldi, 1520-1522 ; Collegiata dei santi Nazaro e Celso, Brescia.
Le polyptyque de l’église des Saints-Nazaireet-Celse de Brescia est composé de cinq tableaux. Au centre, la Résurrection. Elle est flanquée, en haut, d’une Annonciation en deux parties, avec l’ange Gabriel à gauche et la Vierge Marie à droite ; et en bas, à gauche les saints Nazaire et Celse avec le commanditaire agenouillé, et à droite saint Sébastien percé d’une flèche. Ce tableau d’autel fut commandé en 1519 à Titien (1488/1490 – 1576) par Altobello Averoldi, nonce apostolique à Venise. L’artiste l’avait achevé en 1522 (la date et sa signature, « Ticianus faciebat/MDXXII », figurent sur la colonne aux pieds de saint Sébastien). Titien avait à peine dépassé la trentaine, mais avait déjà à son actif toute une série de chefs-d’œuvre tant publics que privés et sa réputation commençait de s’établir solidement à Venise et auprès des cours d’Italie. La forme du polyptyque de Brescia, typique du quattrocento, fut probablement imposée par le commanditaire : le choix d’Averoldi fut peut-être dû à la volonté de s’aligner sur ce qu’était la vieille église de Saints-Nazaire-et-Celse, différente de l’exemple de classicisme en lequel elle fut transformée au milieu du settecento. Par ailleurs, la nouvelle peinture devait remplacer une œuvre monumentale de Vincenzo Foppa, terminée seulement trois décennies plus tôt : un polyptyque « moderne » serait ainsi placé dans la continuité, tout en respectant la tradition locale. L’œuvre arriva à Brescia en 1522 et fut montée près de l’autel majeur de l’église,
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La Résurrection
du
Christ
d a n s l ’a rt
La scène centrale de la Résurrection renouvelle l’iconographie traditionnelle en la combinant avec celle de l’Ascension. Un Christ triomphant se manifeste de manière fulgurante dans le ciel, empoignant l’étendard avec la croix, emblème du christianisme et de la victoire sur la mort. Son corps n’a vraiment rien de traumatisé. Il démontre au contraire une joie et une énergie fabuleuses, et exprime la « mystique de la chair » qui a inspiré l’art des peintres vénitiens dans le sillage de Bellini91. Sa figure, d’une extraordinaire force expressive, s’élève, baignée d’une lumière contrastant avec l’arrière-plan encore plongé dans l’obscurité au moment précis où le soleil se lève, et avec les soldats dans l’ombre en bas, à peine éclairés par quelques reflets sur l’armure de l’un d’eux. Titien démontre, dans la plastique du
à l’intérieur d’un riche cadre en bois doré, qui fut remplacé entre 1824 et 1826 quand les cinq tableaux furent détachés et replacés dans un cadre de marbres décorés. Titien fut capable de renouveler une typologie comme le polyptyque, qui était en train de se démoder : il lui apporta une série d’inventions, comme la convergence des figures vers la grande scène centrale de la Résurrection et surtout l’usage dynamique de la lumière, riche en clairs-obscurs. L’idée d’unifier les diverses scènes n’était pas neuve, compte tenu par exemple du précédent que constitue le tableau qu’Andrea Mantegna réalisa pour l’église Saint-Zénon de Vérone : Titien, toutefois, réussit à donner une forte unité chromatique et émotionnelle à la composition. Les figures des protagonistes, à l’extraordinaire force expressive et à l’impressionnant sens plastique, se renvoient l’une à l’autre avec des regards et des gestes dont les lignes directrices convergent finalement de manière puissante vers la scène centrale de la résurrection du Christ. Ce chef-d’œuvre impressionna les contemporains par sa beauté, au point que Jacopo Tebaldi, ambassadeur à Venise du duc de Ferrare, Alfonse Ier d’Este, qui avait commandé à Titien quelques peintures destinées à son étude, planifia carrément de voler le Saint Sébastien à son commanditaire légitime, en soudoyant Titien pour modifier le polyptyque. Un tel stratagème ne fut pas mis à exécution en raison de la crainte de s’aliéner un nonce du pape avec des contacts puissants auprès de la Sérénissime, et aussi du fait d’une compensation très élevée, deux cents deniers, que Titien avait négociée avec Averoldi.
Ressuscité, qu’il a assimilé et réélaboré les inventions romaines très récentes de Raphaël dans sa Transfiguration. Le geste du Christ qui ouvre les bras peut être lu comme une reprise du groupe en marbre du Laocoon et ses fils d’âge hellénistique découvert à Rome en 1506 et devenu subitement célèbre dans toute l’Italie et naturellement à Venise. Titien représente un Ressuscité en chair et en os, avec un corps puissant et splendide, parfaitement propre, où les stigmates de la Passion se font discret. Avec celui du peintre, le regard du spectateur s’envole lui aussi, si bien que l’on chercherait en vain la trace du tombeau. Dans l’obscurité, les soldats se tournent également vers le Ressuscité en train de s’éle-
On peut imaginer que l’un des buts assignés à cette œuvre commandée à Titien par le nonce fut de célébrer les principes fondamentaux de la doctrine catholique à l’époque de la Contre-Réforme. Titien réaffirma donc, à travers la représentation de l’Annonciation, la conception virginale du Christ par Marie, le thème salvifique de la Résurrection et l’invitation à combattre et supporter les souffrances par la foi, en suivant l’exemple de saint Sébastien et des martyrs Nazaire et Celse.
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ver, stupéfiés. Son triomphe survient sur fond d’aurore enflammée - trait typique de Titien, passé maître dans l’art de jouer avec les variations chromatiques - pour souligner que les phénomènes naturels deviennent les métaphores d’une renaissance spirituelle.
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91 G. Bonanno, Pittura, sacralità e carne nel Rinascimento e nel Barocco, Electa, Milan, sp. p. 122-128 (« Tiziano, mistico della carne »).
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Le premier Paris
témoin,
Francois-Xavier de Boissoudy, Noli me tangere, aquarelle et lavis sur toile, 100 x 125 cm, 2015 ; coll. part., Paris126.
François-Xavier de Boissoudy est né en 1966 à Cambrai. Il dit avoir été durablement marqué par une blessure d’enfance qui n’a été guérie que par grâce, en 2004, par une belle après-midi lumineuse, tandis qu’il travaillait dans son atelier à Paris. Elle s’est traduite par un temps d’émerveillement et de rencontre spirituelle. Cette conversion est à la source de son activité de peintre et continue de l’inspirer. La conception qu’il se fait de son art en a été profondément transformée. Il entend désormais témoigner par lui de la présence douce, bienveillante et silencieuse du spirituel à même le matériel, fût-il très modeste. Cette approche commande sa manière et jusqu’au choix surprenant de discrétion de sa palette chromatique. Nombre de ses toiles ont pour sujet des scènes d’Évangile. Mais aucune n’a pour visée d’éblouir ni d’épater, pas même de plaire au sens de régaler le regard. Il ne se pose ni en metteur en scène ni en chef d’orchestre, encore moins en esthète en mal d’invention, de provocation ou de création « décalée », mais en témoin de la sacralité vivante et incarnée du réel. Les nombreuses toiles de Boissoudy tournant autour du thème de la Résurrection sont deux fois singulières. D’abord par leur existence même, dans la mesure où le cycle des apparitions du Christ après sa Résurrection est le parent pauvre de l’art contemporain, mais aussi en raison de sa remarquable autonomie stylistique.
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La Résurrection
du
Christ
d a n s l ’a rt
d’Emmaüs, éventuellement Marie sa mère, à laquelle le Ressuscité serait apparu en premier.
En effet, l’artiste s’allège du poids de la polychromie, se tient à l’écart de certains développements théologiques d'un sujet comme la Descente aux enfers (l’Anastasis des Grecs), et tout autant de certaines de ces mises en scène « à grand spectacle », comme celles de la Sortie du tombeau, qui n’a pas eu de témoins oculaires selon les Évangiles canoniques, pas même parmi les soldats chargés de garder le tombeau ; c’est donc un événement dont Boissoudy sait qu’il est inaccessible au regard des reporters, journalistes, photographes ou metteurs en scène. Les artistes n’ont pas à se substituer à eux…
La toile reproduite ici est une apparition du Ressuscité à Marie-Madeleine, c’est un Noli me tangere, « Ne me touche pas ! », phrase rapportée dans l’Évangile selon saint Jean (Jn 20,17), traduction latine de Me mou aptou en grec. Le verbe aptein, fréquent dans le Nouveau Testament, est celui de la victoire sur la peur de contracter l’impureté par mégarde, celui par conséquent de la rencontre et surtout de la guérison : Jésus est un guérisseur qui a congédié la hantise du contact et recourt fréquemment au toucher127. Noli me tangere a pu être traduit par « Ne me touche pas », mais signifie plutôt : « Ne me retiens pas », alors que je suis désormais en route vers mon Père. Le Ressuscité se sait en chemin. Mais il sait aussi instaurer la bonne distance entre lui et Madeleine, et pallier ainsi toute fixation. Non sans « tact », c’est le cas de le dire.
L’artiste a réalisé depuis 2004 une quinzaine d’expositions personnelles. Parmi les principales, celle du Marais chrétien, « Temps et Éternité » à l’église SaintDenis-du-Saint-Sacrement de Paris (iiie arrondissement) en 2009, l’exposition d’art sacré de la cathédrale d’Évry en janvier-février 2013, et l’exposition sur les veilleurs, « Une Annonciation française », au couvent dominicain de l’Annonciation de Paris (IIIe arrondissement) en 2014. Il a également réalisé différentes installations dans le cadre de performances ou de scènes théâtrales (création du décor de Pasiphaé de Fabrice Hadjadj, mise en scène par Véronique Ebel, théâtre de Charenton-le-Pont, en 2009). Il contribue aussi à la revue culturelle NUNC, dont il a illustré le n° 34 en 2014 consacré à Etty Hillesum. Après avoir été présenté en 2015 à la galerie Guillaume, rue de Penthièvre (Paris viiie), avec un ensemble de toiles gravitant autour du thème de la Résurrection, il y a exposé en 2016 un ensemble de toiles illustrant celui de la Miséricorde.
Plusieurs versions de ce sujet existent, l’une d’entre elles, comme ici, montrant Jésus et Marie à petite distance, vus de profil, elle debout en face de lui et le rencontrant au moment où elle sort de la caverne creusée dans le rocher où le corps de Jésus a été déposé. L’œuvre divine de la résurrection du Dieu fait homme en Jésus de Nazareth ne lui a rien fait perdre de sa nature humaine, tout au contraire. Le Ressuscité de Boissoudy est un sommet d’humanité.
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La Résurrection n’a eu que des témoins engagés, et personnellement touchés. C’est pourquoi le peintre a privilégié les rencontres du Ressuscité avec quelques personnes, à commencer par MarieMadeleine, puis les disciples en train de pêcher sur le lac de Tibériade, les Onze enfermés au cénacle, Thomas l’incrédule, puis, le soir de Pâques déjà, les disciples
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126 Fr. Bœspflug, Boissoudy, Résurrection, miséricorde, Éditions de Corlevour, Bruxelles, 2016, p. 9. Merci au peintre et à Guillaume Sébastien, le galeriste d’avoir autorisé la reproduction de cette peinture. 127 Fr. Bœspflug, « Jésus le toucha », La Vie spirituelle 133, 1979, p. 651-678.
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La résurrection du Christ est l’affirmation centrale de la foi chrétienne. « Si le Christ n’est pas ressuscité », n’a pas craint d’affirmer saint Paul, « notre prédication est vaine, et vaine aussi est notre foi » (1 Co 15, 14). Bien que cet événement mystérieux n’ait pas eu de témoin oculaire, il a été évoqué et célébré dans l’art d’inspiration chrétienne dès les premiers siècles et jusqu’à nos jours. Mais de quelle manière ? Cet ouvrage présente une sélection de 35 œuvres d’origines géographiques diverses, sur des supports et dans des formats très variés, pour des usages différents. La plus ancienne remonte aux années 400 et la plus récente date de 2014. Chacune d’elles est d’abord soigneusement reproduite en pleine page et commentée avec les ressources de l’exégèse, de l’histoire de l’art et de la théologie et le secours éventuel de reproductions de détails. Il s’en dégage au total une tension parlante et féconde entre la tendance dominante dans l’art d’Occident jusqu’au xxe siècle exclu, de représenter la résurrection du Christ comme une triomphale sortie du tombeau, suivie immédiatement d’une lévitation évoquant l’Ascension, tandis que l’art d’Orient a suivi, jusqu’à nos jours inclus, majoritairement, une tout autre piste, celle des effets salvifiques de la descente du Christ aux enfers, c’està-dire dans le domaine des morts, où il commence par extraire « à bras fort et à main étendue » les Justes de l’Ancienne Alliance, au premier rang desquels Adam et Ève. L’ouvrage comble une étrange lacune – il n’existait pas de livre de référence sur ce sujet essentiel – et présente sous un jour nouveau à la fois la bipolarité de l’art chrétien et les récentes remises en question du concept même de Résurrection chez les théologiens européens de la décennie écoulée.
François Bœspflug, professeur émérite de l’université de Strasbourg, est théologien et historien de l’art et des religions. Il a publié depuis plusieurs décennies de nombreux livres autour de la représentation de Dieu, du Christ et de la Trinité dans l’art, entre autres Dieu et ses images. Une histoire de l’Éternel dans l’art (Bayard, 2011), Le Regard du Christ dans l’art. Temps et lieux d’un échange (Mame-Desclée, 2014) et Jésus a-t-il eu une vraie enfance ? Le procès de l’art chrétien (Éditions du Cerf, 2015). Emanuela Fogliadini enseigne l’histoire de Byzance et de l’Orthodoxie à la Faculté de Théologie de l’Italie Septentrionale à Milan. Docteur en théologie et en histoire, elle a publié chez Jaca Book à Milan une trilogie savante remarquée sur l’essor des icônes (Il volto di Cristo, 2011), la théorie des iconoclastes (L’immagine negata, 2013) et celle du concile œcuménique Nicée II (L’Invenzione dell’immagine sacra, 2015), et depuis plusieurs essais, dont Parola e immagine tra Oriente et Occidente (EDB, Bologne).
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