« Tout bien considéré, il n’y a que deux sortes d’hommes dans ce monde, ceux qui restent chez eux et les autres. » Rudyard Kipling
« Quand je me sens des plis amers autour de la bouche, quand mon âme est un bruineux et dégoulinant novembre, et surtout lorsque mon cafard prend tellement le dessus que je dois me tenir à quatre pour ne pas descendre dans la rue y envoyer valdinguer le chapeau des gens, je comprends qu’il est grand temps de prendre le large. Ça remplace pour moi le suicide. » Herman Melville, Moby Dick
« Il ne faut jamais finir un voyage, seulement l’interrompre. » Bernard Giraudeau
Illustration pour un poème de Rudyard Kipling.
Introduction
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V O Y AA G GEEUURRSS, , I L S D E V I N R EN T É C R I VA I N S
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Joshua SLOCUM Pierre LOTI Robert Louis STEVENSON Joseph CONRAD Alexandra DAVID-NÉEL Victor SEGALEN Nikos KAVVADIAS Wilfred THESIGER Bernard MOITESSIER Nicolas BOUVIER
16 26 34 44 52 60 68 74 82 90
Le circumnavigateur solitaire Le magicien de l’évasion L’amoureux des îles L’aventurier de la lucidité La clandestine aux semelles de vent Le voyageur mélancolique Le radio du bout du monde L’arpenteur de zones blanches Le vagabond du grand large L’usager du monde
ÉC RI VA I N S, I L S S E F I R E N T V O YA G E U R S
100
Rudyard KIPLING Jack LONDON Pierre MAC ORLAN Blaise CENDRARS Joseph KESSEL Georges SIMENON Romain GARY Jack KEROUAC Bruce CHATWIN
104 112 122 130 138 146 154 164 172
Le nostalgique de l’empire des Indes L’utopiste désespéré Le passe-partout de l’aventure passive L’écrivain à la main coupée Le lion de l’écriture Le romancier-vagabond L’errant extravagant L’accro de la route L’esthète nomade
être écrivain-voyageur au xxie siècle Notes Bibliographie / Filmographie
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Nous sommes en 1881, la famille Stevenson a retrouvé les brumes écossaises. Dans sa chambre, le petit Lloyd s’applique à tracer une carte imaginaire quand son beau-père surgit et se met à compléter le dessin de l’enfant, ajoutant ici et là noms et annotations. « Je n’oublierai jamais le frisson qui accueillit l’apparition de l’île du Squelette, de la colline de la Longue-Vue, ni le paroxysme transportant le cœur devant les trois croix rouges, et le paroxysme encore plus grand quand il traça ces mots, l’île au Trésor, dans le coin supérieur droit »27, racontera par la suite le petit garçon. Mais la joie de Lloyd laisse place à l’incompréhension quand Robert, sans dire un mot, roule la carte et l’emporte. Un emprunt que l’enfant ne regrettera pas… Peu après, Stevenson convoque Lloyd pour lui lire les premières lignes de son futur chef-d’œuvre : « C’est à la demande du
seigneur Trelawney, du docteur Livesey et de tous ces messieurs que je prends la plume […] pour vous narrer, du début à la fin, l’histoire de l’île au Trésor 28, sans rien omettre que la position géographique exacte de l’île, où des richesses demeurent enfouies. » D’abord publiée en 1882, en feuilleton dans la revue Young Folks, sous la signature du capitaine George North, puis un an plus tard en un seul volume sous celle de Robert Louis Stevenson, L’Île au trésor rencontre un succès colossal, qui met son auteur à l’abri du besoin pour le reste de ses jours et lui procure une renommée mondiale.
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Voyageurs, ils devinrent écrivains
Page de droite et ci-dessous : Frontispice de l’édition illustrée de L’Île au trésor de 1886, avec une carte d’Hispaniola.
1898-1979 Français
JOSEPH KESSEL
L E L I O N D E L’ É C R I T U R E
P
lus de quarante romans – de L’Équipage, écrit à vingtquatre ans, aux Cavaliers parus à soixante-neuf –, des biographies romanesques – de Monfreid à Mermoz –, des récits de voyage épiques – d’En Syrie à La Piste fauve –, des dizaines de contes et nouvelles, des centaines de reportages à travers le monde… Joseph Kessel aura, en cinquante-trois ans, écrit soixante-dix-huit livres, auxquels s’ajoutent des scénarios de films et quelques chansons, dont l’immortel Chant des partisans, griffonné sur un coin de table un soir de mai 1943 à Londres, avec son neveu Maurice Druon.
Quel est le secret de cet écrivain-journaliste prolixe, capable d’écrire près de deux livres par an ? Le besoin d’argent pour partager avec ses nombreux amis son goût immodéré de la fête, des femmes, du jeu, de la vodka et de l’opium ? Une soif intarissable de gloire et de reconnaissance ? Une addiction compulsive à l’écriture, ou tout simplement l’art inégalé de décliner à l’infini ses aventures ?
Avant même de devenir un auteur prolifique, Kessel connaît une vie mouvementée, susceptible de nourrir bien des romans. Joseph naît le 31 janvier 1898 à Clara, en
Argentine, au sein d’une colonie d’émigrés juifs. Son père, Samuel, y exerce la médecine pour s’acquitter d’une dette morale à l’égard du mécène ayant financé en France ses études. Sans laisser à leur aîné le temps de succomber aux charmes de la pampa, sa famille regagne la Russie – leur terre d’origine –, pour s’installer à Orenbourg, au cœur des steppes de l’Oural.
De haut en bas : Partition du Chant des partisans, écrit à Londres en 1943 avec Druon. La famille Kessel à Orenbourg, Joseph au premier plan à droite, Lola à gauche, Georges au milieu sur les genoux de leur mère. Dans les années 1950, avec son neveu Maurice Druon. Page de gauche : Kessel en 1917, alors qu’il vient de s’engager à 19 ans dans l’aviation.
Joseph kessel, le lion de l’écriture
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