JOHN BALDESSARI Upward Fall, 1986. Photographies noir et blanc, huile, encre mĂŠtallique sur papier, 241,3 x 172,7 cm.
COMMENT LA RECONNAÎTRE ?
QU’EST-CE QUE LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE ?
RONI HORN, Clowd and Cloun (Blue), 2000-2001.
CHRISTIAN BOLTANSKI, Monument (Odessa), 1989, 170 x 140 x 22 cm.
Sur support libre, elle apparaît déchirée, fragmentée, découpée, à l’image des figures monstrueuses d’Annette Messager déployant leurs bordures incertaines sur de vastes cimaises. Autre option, très en vogue, les installations tapissées d’images reproduites sur papier journal grâce au système Diasec. Avec ce matériau fragile, certains artistes composent des installations fascinantes où l’on peut voir, égrenées çà et là, du sol au plafond, des images de formats différents et de 14
sources variées. L’option maximale consiste à recouvrir des portions de villes avec des affiches photographiques géantes à la manière des interventions spectaculaires de l’artiste JR, comme celle qu’il a pratiquée dans une favela de Rio de Janeiro. Enfin les projections d’images constituent, actuellement, une option très prisée. Et Bertrand Gadenne en donne une version légère et poétique avec ses jolis papillons qui viennent se poser au creux de la main. 15
BERTRAND GADENNE, Les Papillons, 1988. Installation avec un projecteur de diapositives.
UN ÉTAT D’ESPRIT ?
QU’EST-CE QUE LA PHOTOGRAPHIE CONTEMPORAINE ?
DENIS DARZACQ La Chute, n° 14, 2006.
LARRY CLARK, Untitled, 1968. Photographie noir et blanc.
Mais les artistes, contrairement aux photojournalistes, gardent leur distance par rapport à l’actualité. Témoigner au jour le jour et dans l’urgence ne les concerne pas. Non soumis à une commande commerciale, ils prennent le temps de peaufiner leurs images. De composer des mises en scène, de créer, par exemple, comme John Baldessari, des compositions narratives. « Je peins avec des photographies », explique Christian Boltanski. La photographie, 24
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pour eux, renvoie moins à un instrument et à une valeur d’usage qu’à un mode d’écriture : elle s’inscrit dans une démarche personnelle, leur permet de poursuivre différemment leur investigation antérieure. Auteur avant tout, le plasticien travaille sans objectif calibré. Il cherche à rendre visible, il défend des positions et active son esprit critique. Il affirme sa liberté en choisissant ses sujets, ses focales, ses cadrages et ses tirages.
LE NU
SI PAR GOÛT VOUS PRÉFÉREZ
RIP HOPKINS, Cyrille et Le Déjeuner sur l’herbe, de la série « Muses d’Orsay », 2006.
Ainsi, certains continuent-ils d’associer photographie et performance, à l’exemple de Dieter Appelt qui présente, dans de sobres clichés noir et blanc, son corps nu recouvert de boue séchée, mais aussi son visage ou ses mains comme s’ils étaient déjà fossilisés. Enveloppé de terre argileuse qui se craquelle, ou de bandelettes le transformant en momie, l’artiste propose une puissante allégorie sur le thème 112
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HELMUT NEWTON Self-portrait with Wife and Models, 1981.
de la vie et de la mort : « Tu es poussière et tu retourneras poussière », dit la Bible. Appelt souhaite exprimer, en effet, par l’intensité de ses images, ce qu’il définit comme « l’angoisse et la détresse de l’être humain ». En jouant sur la superposition invisible de clichés identiques et en privilégiant le temps d’exposition, il donne du relief à ses prises de vues et son corps prend l’apparence d’une statue d’art primitif.
ILS L’ONT FAIT POUR LA PREMIÈRE FOIS
ILS L’ONT FAIT POUR LA PREMIÈRE FOIS
Qu’est-ce qu’un album de photographies ? Il s’agit d’un ouvrage regroupant un grand nombre d’images accompagnées ou non d’un texte. Il peut être thématique et regrouper les travaux de différents artistes ou prendre la forme d’une monographie retraçant le parcours d’un photographe sur plusieurs années. L’album photo sert à exposer une démarche de longue haleine engagée par le photographe, suite à une commande, ou, le plus souvent, à titre personnel. Le photographe auteur devient alors le metteur en scène du scénario qu’il écrit au fur et à mesure de son investigation. L’ambition de presque tous les photographes consiste à réaliser un livre. Au même titre qu’une exposition, l’album photo lui permet de montrer ses images mais aussi de les diffuser dans de nombreux pays. L’évolution du livre de photographies s’est accélérée avec celle des procédés d’impression. On sait
ROBERT DOISNEAU, Sans titre. Photo tirée de l’album Palm Springs 1960. 164
cependant que les premiers photographes, sortes de savants Géo Trouvetou, ont réalisé des livres en collant leurs images dans des albums de croquis, d’où l’origine du terme album photographique. On pense que le premier ouvrage de ce type, édité à compte d’auteur, fut celui de Henry Fox Talbot, The Pencil of Nature (« Le crayon de la nature »), publié en fascicules de 1844 à 1846 et comportant des épreuves originales collées à la main. Mais ce n’est que dans les années 1920-1930 que l’album photographique prend son essor avec la mise au point de la similigravure. Quelques titres mythiques égrènent l’histoire de cette production bien spécifique. Et la diffusion d’une œuvre sous forme de livres occupe, parfois, une place plus importante qu’une exposition. Notons, entre autres, Die Welt ist schön (1928) et Metal (1927) de Germaine Krull, Paris la nuit (1932) de Brassaï, Les américaines (1958) de Robert Frank ou encore La Banlieue de Paris (1949) et très recemment Palm Springs, 1960 (2010) de Robert Doisneau. Mais aussi Walker Evans. American Photographs (1938), The Americans (1958) de Robert Franck (1958) ou Life Is Good & Good for You in New York. Trance Witness Revels (1958) de William Klein. Très créatifs aussi furent les jeux visuels entre images et typographies, association largement utilisée chez les artistes russes, notamment dans un livre réalisé par Rodtchenko et Maïakovski et dans ceux de Lazar Lissitzky. Dans les années 1970, les procédés tels que la sérigraphie, l’offset, la xérocopie permettent la fabrication, dans des ateliers de fortune, de petits livres d’artistes, construits autour d’un concept ou d’une action. C’est le cas, entre autres, de Twenty-Six Gasoline Stations (1963) et de Some Los Angeles Apartments (1965) d’Ed Ruscha, aujourd’hui très recherchés par les collectionneurs. Mais également de 144 Blocks and Stones (1973) de Carl Andre, ou Autobiography (1980) de Sol LeWitt. Mentionnons également Domaine d’un rougegorge (1969) de Jan Dibbets, ou encore 128 Details From A Picture (1980) de Gerhard Richter. L’artiste américain Richard Prince redonne une seconde vie aux livres, affiches et fascicules de la culture populaire qu’il collectionne et sur lesquels il intervient graphiquement ou sous forme de collages. Quant à Peter Beard, il a renouvelé, avec brio, le carnet de voyage et raconté son amour de l’Afrique en mêlant sur ses cahiers ses textes, ses dessins et ses photographies d’hier ou d’aujourd’hui, sous forme de mise en abyme. Autant de livres pensés et conçus comme une œuvre en soi.
SUPERSTUDIO, groupe fondé en 1966 à Florence et dissous en 1978, From Life – Supersurface (fruits & wine), 1971. Photocollage.
Le photomontage désigne un collage réalisé à partir de plusieurs images photographiques de provenances diverses. Le résultat final constitue un patchwork visuel dynamique, souvent porteur d’un message critique ou politique, notamment lorsque les éléments qui le composent proviennent de reproductions issues de la presse. Le doute subsiste quant à la date des premiers photomontages. L’invention fut rétrospectivement revendiquée par les dadaïstes Georg Grosz et John Heartfield (1916) et par Raoul Hausmann, Hannah Höch et Johannes Baader (l918). L’idée était de réaliser des tableaux entièrement composés d’images préexistantes. D’opérer, en quelque sorte, une forme de recyclage et de détournement. Et cette manière de juxtaposer des fragments d’images hétéroclites, souvent prises sous différents angles, renvoie à l’éclatement optique des tableaux cubistes ou aux compositions stroboscopiques des peintures futuristes. Pour Raoul Hausmann, le mot photomontage « traduisait notre haine de l’artiste et, nous concevant plutôt comme des ingénieurs, nous voulions construire, assembler nos œuvres, les monter ». Le Soviétique Gustav Klucis confirme cette volonté de composer mécaniquement des images : « Le mot photomontage est né de la culture industrielle : montages de machine, montage de turbines. » Croyant à l’avènement d’un homme nouveau porté par l’évolution des sciences et des techniques, El Lissitzky réalise des fresques photographiques qu’il met au service de la propagande soviétique. Si dans les années 1920, en Russie, le photo165
montage chante les louanges du progrès, dans les années 1930, en Allemagne, il fustige la montée de la dictature nazie. Avec les surréalistes français, il avait ouvert les portes du rêve et de l’inconscient, notamment par la magie des peintures-photomontages de Max Ernst. En fait, tous ces avant-gardistes fougueux n’ont fait que réactualiser, dans un esprit différent, des expérimentations apparues très tôt, en particulier selon le système d’images composées à partir de plusieurs négatifs. Gustave Le Gray, par exemple, utilisait fréquemment deux négatifs complémentaires pour les tirages de ses fameuses Marines. Quant à Oscar Rejlander, il réalisa, en 1857, une étonnante composition photographique intitulée The Two Ways of Life, à partir de trente-deux négatifs. Mais ces pratiques n’entraient pas dans le champ de l’art à proprement parler. Actuellement, avec le trucage numérique et des logiciels de montage tels Photoshop (Adobe), Corel PaintShop Pro, CorelDraw ou Gimp, l’association d’éléments issus de sources différentes est devenue une chose banale à laquelle recourt, en particulier, l’image publicitaire. Mais les créateurs d’aujourd’hui gardent l’esprit des expérimentateurs du début du siècle en composant soit des images morcelées en plusieurs modules, à l’exemple de Jan Dibbets ou de David Hockney, soit des images globales réalisées à partir de nombreux clichés, comme le font Gerhard Richter et ses fresques composites ou Jean-François Rauzier avec ses hyperphotos réalisées à partir de centaines de clichés pris à des distances différentes.