flanders
#2 | été 2011 | e 3,99
Version française
L’île de Didier
Relecture de Don Quichotte par Didier Volckaert
En route ! Geoffrey Enthoven et Hasta la vista
Ces courts, c’est CANNES ! Badpakje 46 et Bento Monogatari sur la Croisette
Le nouveau
GUST
est arrivé ! Blue Bird ou le retour de Gust Van den Berghe à la Quinzaine des Réalisateurs
Bavo Defurne Michaël R. Roskam Frank Van Passel Jean-Christophe Berjon
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Plus de contenu
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Couverture : Gust Van den Berghe vu par Bart Dewaele
04 GRAND ANGLE
Nicolas Provost signe son premier long métrage L’Envahisseur.
06 GRAND ANGLE
sommaire
S mmaire Après sa sélection à Berlin, Tête de bœuf (Rundskop) de Michaël R. Roskam sera présenté au Marché du Film à Cannes.
10 GROS-PLAN
Gust Van den Berghe retourne à la Quinzaine avec Blue Bird (L’oiseau bleu).
14 DÉCOUVERTE
Avec Quixote’s Island, Didier Volckaert se lance dans la fiction par une relecture toute personnelle de ‘Don Quichotte’.
18 RENCONTRE
Pour le look de son premier long métrage Swooni, Kaat Beels s’est inspirée des films en technicolor de Douglas Sirk.
22 INTERVIEW
Bavo Defurne espère que son premier long métrage Noordzee, Texas peut toucher tous ceux qui sont ou ont été amoureux.
26 FOCUS
Het varken van Madonna marque le retour au grand écran de Frank Van Passel, réalisateur de Manneken Pis.
30 TOURNAGE
Geoffrey Enthoven lie humour et émotion dans Hasta La Vista, portrait surprenant de trois amis handicapés qui veulent à tout prix tirer un coup…
34 DOCS
La mort reste un sujet tabou pour beaucoup de gens. Deux réalisatrices et un réalisateur flamands ont défriché ce terrain sensible.
38 SHORTISSIMO
Dans Bento Monogatari, sélectionné pour la Cinéfondation à Cannes, Pieter Dirkx présente une Flamande qui s’initie au mode de vie japonais.
40 SHORTISSIMO
Badpakje 46, le court métrage de Wannes Destoop, a été sélectionné pour la Compétition Officielle à Cannes.
46 FANS
Jean-Christophe Berjon, Délégué Général de la Semaine de la Critique, au sujet du cinéma flamand.
9 A suivre Germaine | 42 Sous influence Michaël R. Roskam | 44 ICôNES
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L’ENVAHISSEUR Dans le premier long métrage tant attendu de Nicolas Provost, L’Envahisseur, Issaka Sawadogo joue le rôle d’un immigré africain en situation illégale. Son parcours commence à Bruxelles où il cherche – comme tant d’autres immigrés – un endroit où vivre une vie meilleure. Confronté à la dureté de la société, il commence lentement mais de manière irréversible à incarner nos angoisses les plus profondes et devient le monstre que nous avons créé. Sur un script de Provost et François Pirot, L’Envahisseur met également en vedette Stefania Rocca et Serge Riaboukine. Frank Vanden Eeden dirige la photographie et Nico Leunen signe le montage du film. Le coproducteur flamand est Antonino Lombardo de Prime Time.
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grand angle
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TÊTE DE BOEUF Pour incarner Jacky Vanmarsenille dans Tête de bœuf (Rundskop) de Michaël R. Roskam, Matthias Schoenaerts a pris 25 kilos. Il y est parvenu grâce à un régime composé d’un total de 3000 boîtes de thon, des centaines de poulets, une masse d’avoine, du riz et des pâtes. Rundskop est un drame criminel sur des gangsters et des fermiers dans le milieu de la mafia des hormones. Le jeune fermier Jacky entre en contact avec un vétérinaire louche qui veut conclure un marché avec un marchand de viande véreux. Mais la mort d’un inspecteur de la police fédérale et la confrontation inattendue avec un mystérieux secret de l’enfance de Jacky vont tout gâcher. Après son passage remarqué au Festival International du Film de Berlin et les prix récoltés au Festival International du film policier de Beaune en France, Rundskop reçoit enfin sa première market screening au Marché du Film à Cannes. Le film est produit par Bart Van Langendonck. Les ventes internationales sont assurées par Celluloid Dreams. Découvrez l’interview du réalisateur Michaël R. Roskam en page 42 de ce numéro.
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38th Ghent International Film Festival (11-22 October 2011)
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your film now!
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Ghent International Film Festival • Prizes in cash to local distributors who release the winning films. • Competition for European Shorts in cooperation with the European Film Academy (European director - produced in 2011) • National & international media coverage • More than 130,000 visitors • Instigator of the World Soundtrack Awards – 11th edition: 22 October 2011 • Sabam Award For Best Young European Composer: an annual competition for European film music composers aged 36 or less. The prize includes 2.500 euros and a live performance of the composition by the Brussels Philharmonic - the Orchestra of Flanders during the World Soundtrack Awards ceremony on 22 October.
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www.filmfestival.be www.worldsoundtrackacademy.com
Ghent International Film Festival Leeuwstraat 40b, 9000 Ghent – Belgium – tel +32 (0)9 242 80 60 – wim.dewitte@filmfestival.be
à suivre
Germaine
Dans Germaine, le réalisateur Frank Van Mechelen nous ramène en 1971. Germaine, 18 ans, vit avec ses parents et son grand père. Elle travaille dans un supermarché, écoute de la musique pop et rêve d’une vie meilleure quand les ouvriers de l’usine municipale, dont son père, décident de partir en grève. Cette action n’est pas soutenue par les syndicats mais les ouvriers refusent de céder et tiennent pendant trois mois. La grève va changer leurs vies à tout jamais. Produit par Eric Wirix pour Skyline Entertainment, Germaine met en vedette Evelien Bosmans dans le rôle de Germaine, Stanny Crets, Michel Van Dousselaere, Clara Cleymans et Tiny Bertels. Germaine est le troisième long métrage de Frank Van Mechelen après De indringer et De hel van Tanger.
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© Bart Dewaele
OISEAU RARE
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Après Little Baby Jesus of Flanders, Gust Van den Berghe s’attaque de nouveau, avec Blue Bird, à un auteur classique. Et son second film est, à l’instar du premier, une fable. Et surtout
la
confirmation
d’une
splendide brèche poétique ouverte dans le cinéma. Par Alex Masson
gros-plan
Le hasard fait bien les choses. À l’occasion de la présentation de Little Baby Jesus of Flanders à la Quinzaine des réalisateurs, il y a un an, Gust Van den Berghe confiait que son premier film n’avait tenu à pas grand-chose : alors qu’il écrivait un autre scénario, il avait fait la découverte du texte de Felix Timmermans, qui le captiva au point de vouloir rapidement le porter à l’écran. Blue Bird, son second film, est lui aussi redevable d’une rencontre inopinée avec le texte d’un grand auteur, Maurice Maeterlinck. ‘ J’ai lu « L’Oiseau bleu » le jour même où je terminais la post-production de Little Baby Jesus. Il y a une grande différence entre l’écriture de Maeterlinck et celle de Timmermans, mais elles me touchent toutes les deux. Un peu par le côté kitsch qu’elles ont pris avec la patine du temps. Surtout parce qu’elles parlent l’une et l’autre de l’âme des choses. Maeterlinck encore plus que Timmermans. C’est présent en permanence dans « L’Oiseau bleu », d’autant que ce texte a été écrit en pleine période du symbolisme. À tel point que, vu d’aujourd’hui, ça en devient presque psychédélique, à se demander si l’auteur n’était pas sous influence quand il l’a écrit.’ À l’origine, « L’Oiseau bleu », rédigé en 1908, suit Tyltyl et Mytyl, deux enfants d’un bûcheron pauvre. Une fée va leur apparaître, les chargeant d’une mission : aller chercher un oiseau qui pourrait guérir sa fille d’une pénétrante mélancolie. Initialement, c’était une pièce qui se déroulait en Russie, puisqu’écrite pour Constantin Stanislavski, le propriétaire du théâtre de Moscou. Van den Berghe y a vu, lui, une histoire… africaine : ‘ D’abord, j’ai pensé qu’il était impossible d’en tirer un film. Et puis j’ai appris que ça avait déjà été fait cinq fois. Je n’ai réussi à voir que des extraits de ces adaptations, mais elles m’ont donné l’impression d’une interprétation littérale du texte, qu’elles n’en avaient pas capté la magie. Comme si elles s’étaient contentées de faire un tour de prestidigitation. Or, pour moi, le vrai cinéma suppose qu’il se passe quelque chose de magique à l’écran, quelque chose qui ne s’explique pas. Ça m’a conforté dans l’envie de faire ce film. Mais en allégeant la pièce de la moitié de ses thèmes. Ne subsistent que les enfants qui vont chercher l’oiseau et quelques figures, comme la nature et la force qui l’habite. J’ai conservé l’essentiel : une histoire d’enfants qui perdent leur innocence en entrant dans le monde des adultes. À partir de là, je pouvais la filmer n’importe où. J’ai choisi le Togo mais ça aurait pu être la Russie, l’Amérique latine ou ailleurs.’ Plus précisément, Van den Berghe a posé ses caméras en pays Tamberma, peuple vivant dans le Nord-Est du Blue Bird
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Blue Bird
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Togo. ‘ C’est une région qui est depuis peu protégée par l’UNESCO. Les Tamberma n’ont jamais été colonisés, et ils ont perpétué un mode de vie qui leur est propre, jusque dans leur rapport à la religion.’
L’enfance de l’art L’Afrique selon Van den Berghe ne ressemble pas à celle qu’on voit d’habitude au cinéma. Normal, il n’est pas question d’en filmer la surface mais la profondeur : ‘Vouloir parler de l’âme des choses a quelque chose de vieillot, suranné, en Europe. L’Afrique est plus en phase avec cette vision des choses. Arrivé là-bas, je n’avais que des bribes de scénario, mais ça n’a pas empêché l’équipe de comprendre que je voulais faire un film sur le voyage de l’enfance vers l’âge adulte.’ Autre particularité reléguant d’emblée toute forme d’exotisme, cette dominante chromatique bleue. ‘ Ça aurait été trop facile, trop simpliste, de ramener des images qui sont devenues des clichés : le coucher de soleil, la savane… J’ai préféré une référence à la peinture symboliste en vogue à l’époque où Maeterlinck a écrit son texte. Par ailleurs, je voulais montrer un monde que l’on connaît mais vu à travers les yeux d’enfants. Le bleu est la couleur du rêve, de l’inconscient, mais aussi de la douceur. Sans compter l’aspect d’étrangeté que cette teinte ajoute : on n’est ni vraiment dans le jour ni dans la nuit, ni dans la vraisemblance ni dans l’onirisme. Ce bleu me permettait de me détacher de la réalité tout en restant dans un monde cohérent, où tout serait possible.’ Et, pourquoi pas, retrouver son enfance ? ‘ Non, même si ce fut une période cruciale. Mais comment pourrais-je en être nostalgique alors que je suis encore un enfant ? Le cinéma n’est pour moi qu’un jeu. Ma mère m’a raconté que, petit, je jouais jusqu’à tomber de fatigue, endormi avec mes épées. Je perpétue cet état avec mes films parce que j’y apprends encore des choses sur moi-même et le monde. Blue Bird repose d’ailleurs là-dessus : les deux enfants y sont tout le temps en train de jouer, d’explorer les choses. La nostalgie consiste à vouloir fixer ce qu’on a vécu dans son enfance. Mes films sont en lien direct avec la mienne, ayant quelque chose de brut, de naïf, exactement comme le sont les jeux des enfants.’ De l’enfance, Van den Berghe a surtout gardé une liberté de ton, et l’acuité du regard. En témoigne la mise en scène de Blue Bird, qui trouve la bonne distance tout en étant instinctive. ‘ Les meilleures questions qu’on m’ait posées sur Little Baby Jesus venaient d’enfants. Parce qu’ils sont directs et francs. C’est aux adultes de les écouter pour apprendre des choses de la vie, et non l’inverse. Avec le recul, je crois que c’est le point de départ de Blue Bird. Lors du tournage, tout venait des tripes : le choix de laisser des choses dans le champ ou hors-champ, d’être près ou loin des personnages dans le cadre… C’était des décisions purement viscérales. Je m’en suis rendu compte en visionnant les premiers rushes, lors d’une interruption du tournage où je suis rentré en Europe pour la promotion de Little Baby Jesus.’
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D’un conte à l’autre Sans savoir si cela tient à quelque dimension de l’inconscient, il s’avère que « L’Oiseau bleu » a souvent inspiré, en dehors des cinq films qui en ont été tirés avant celui-ci, des artistes japonais, qu’il s’agisse d’une allusion directe dans « Demain les oiseaux » , un manga d’Osamu Tezuka ou de quelques épisodes de séries de japanimation (RahXephon, Eurêka Seven) en passant par des romans (« La Mélancolie » de Haruhi Suzumiya). Et plus qu’une essence africaine, c’est une sensation d’Asie que diffuse Blue Bird. ‘ Je l’ai ressentie pendant le tournage où je me suis surpris à penser à Ozu. Peut-être parce que je me suis aperçu que certaines scènes sont cadrées à la même hauteur, assez basse, que dans certains de ses films. Mais même sans ça, Blue Bird s’est rapproché à mon insu d’une certaine culture orientale, cette philosophie du lâcher-prise face aux réalités de la vie, le fait de ne pas être dans une position de jugement, ne pas avoir besoin d’une explication des choses.’ À moins que ce lien ne soit dû à une des idées motrices de Blue Bird, le principe d’un cycle de vie qui se perpétue. ‘ J’ai toujours eu l’intention de faire un triptyque. Little Baby Jesus parle de la naissance d’une innocence permanente, Blue Bird de sa perte, le troisième volet devait initialement traiter de sa réincarnation, mais j’ai revu ma copie, et il parle de la culpabilité qui accompagne la perte de l’innocence.’ www.flandersimage.com
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Issu du documentaire et du cinéma expérimental, Didier Volckaert
En CROISADE
se lance dans la fiction avec Quixote’s Island, une relecture toute personnelle de Don Quichotte. Par Alex Masson
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Certaines histoires sont immortelles. Encore plus quand on croit les connaître. ‘ Les gens ont une image partielle de « Don Quichotte ». C’est normal : personne, ou presque, ne l’a lu au-delà des cent premières pages. L’histoire parle à tout le monde, mais qui sait vraiment de quoi elle parle ? En fait, chacun y met ce qu’il veut. J’ai cherché dans ce livre des thèmes qui soient encore d’actualité. C’est en ça que ça reste un livre fondamental, qui pose de grandes questions : « qu’est-ce que l’obsession, que devient le rapport au monde quand
on ne veut pas voir ce que les autres considèrent comme la norme ? ».’ Vu de l’extérieur, le parcours de Didier Volckaert n’entre pas non plus dans la norme. C’est aujourd’hui, après s’être fait un nom dans le milieu du cinéma expérimental et du documentaire, qu’il passe à la fiction avec Quixote’s Island. ‘Tout jeune, j’ai voulu faire du cinéma. Mais je n’en avais pas les moyens. J’ai donc commencé par des études plus généralistes : une école d’art, puis d’architecture. Lorsque j’ai enfin accédé à celle de cinéma, mes quatre ans en art avaient déjà modelé mon point de vue. J’étais
découver te
déjà trop formé à l’expérimental pour passer à la fiction. D’autant que mes profs de cinéma avaient une aversion pour les cinéastes expérimentaux que j’aimais… ’ Sur le papier, Don Quichotte est un vieil homme qui part en croisade contre des chimères. Volckaert l’a remodelé. ‘ Quixote’s Island suit San, un jeune homme qui se sent incompris et s’évade du réel par son imagination. Lorsqu’il rencontre Isabelle, il tombe sous son charme alors qu’elle l’aperçoit à peine. Elle est son premier amour et donc forcément le premier grand choc entre deux univers. Quixote (rôle interprété par le même acteur que celui qui joue le père de San) fait alors son apparition dans le monde imaginaire où se réfugie l’adolescent. Ensemble, ils partent à la recherche d’une île. En chemin, San est confronté, dans la réalité, à sa lâcheté, étant témoin d’un acte atroce qu’il pourrait empêcher. Le regret vient toujours trop tard, dit un dicton flamand. Le vrai sujet du film est là : comment réparer quelque chose qui n’est plus réparable ? C’est un film destiné au grand public. Avoir recours à l’histoire de Don Quichotte, que tout le monde connaît, est un atout à cet égard. Ce qu’elle véhicule chez les gens me permet d’éviter de tout expliquer.’
Cervantès n’est cependant pas la seule influence de Quixote’s Island. On y distingue aussi les traces du « Robinson Crusoë » de Daniel Defoe et, plus surprenant, celles de certains mangas. ‘ San est un adolescent totalement solitaire. Les Japonais ont un rapport à l’isolement qui me fascine. Ils ont inventé le baladeur, le premier appareil au monde qui a rendu notre point de vue sur le monde transportable. Regarder les choses avec un casque d’Ipod sur les oreilles n’est pas la même expérience que sans : on est à la fois dans le monde et dans le sien. Pour moi, cet objet est une solution. Si quelqu’un décide de se retirer du monde pour lire des livres ou jouer à des jeux vidéo toute la journée, tant qu’il ne cause pas de tort à la société, pour moi, ce n’est pas un problème.’
© Bart Dewaele
Point de vue et images du monde
Quichote's Island
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Expliqué de la sorte, Quixote’s Island semble entretenir un lien avec Ben X, un des grands succès du cinéma flamand. ‘ Ce n’est pas la première fois qu’on me le fait remarquer. Ne l’ayant jamais vu, je ne peux pas confirmer. En tout cas, il n’a pas pu m’influencer. Mais les deux films ont en commun d’être belges. La Belgique a toujours été, et restera, un champ d’expérimentation. C’est une vraie qualité. Et j’ai l’impression que, depuis une dizaine d’années, son cinéma essaie justement de définir plus précisément cette identité en faisant des expériences, tant sur le fond que sur la forme. Si on ne sait pas trop exprimer qui on est, on sait relativiser les choses.’
D’un Quichotte à l’autre Don Quichotte avait une quête, on devine celle de Didier Volckaert avec Quixote’s Island : venir à bout d’une idée reçue, en réconciliant son travail de documentariste et de cinéaste expérimental avec le grand public. ‘ Mes études
m’ont appris que le cinéma est avant tout un art visuel. Cet aspect est resté fondamental à mes yeux. Plus que la narration ou les acteurs, le premier niveau d’un film est visuel. L’histoire doit se communiquer, avant le scénario, à ce niveau-là. Cela me manque au cinéma. Je suis donc autant intéressé par ce qui se passe devant la caméra que par la matière filmique. Quixote’s Island a été tourné en 35 mm et en numérique. C’est un choix délibéré, je voulais faire de la texture même du film un outil sensoriel. J’aurais pu séparer les deux univers du film en utilisant le noir et blanc et la couleur. C’est trop simpliste. De même que mon passage par le documentaire m’a amené à ne jamais donner de réponse mais à poser des questions. Celles de Quixote’s Island s’adressent à tout le monde, aux vieux comme aux jeunes. Quel que soit notre âge, nous attachons tous de l’importance au premier amour, par exemple. J’ai pourtant choisi un adolescent pour le rôle central. C’est l’âge des transitions. J’y ai toujours vu un parallèle avec le livre de
Cervantès, qui est peut-être l’œuvre la plus importante au monde sur ce sujet-là. Parce qu’il marque le point de rupture entre le romantisme et le rationalisme.’ San n’est pas le seul à avoir fait l’expérience d’un rite de passage. En s’essayant à la fiction, Volckaert aussi : ‘ Dans le cinéma expérimental, on peut faire n’importe quoi, se retrouver face à des gens qui te disent que c’est nul, et leur répondre que ce n’est pas grave tant que toi, tu comprends. C’est le vrai souci des vidéastes : ils n’ont pas souvent la volonté de communiquer, alors que
la nature première de tout art est sa capacité à transmettre, à communiquer quelque chose. Mon plus grand défi en réalisant Quixote’s Island reste de séduire un large public sans trahir ma conception du cinéma. Je suis convaincu qu’un cinéaste peut passionner le spectateur à partir d’un univers visuel complexe. À condition de lui donner pour repère une histoire bien structurée.’
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Room Servic
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Kaat Beels a choisi pour (presque) tout décor de Swooni un hôtel cinq étoiles. Auxquelles s’ajoutent celles que voudraient décrocher les personnages de son film. Par Alex Masson.
Il y a six personnages principaux dans Swooni. Ou plutôt sept. Car l’hôtel où se croisent, le temps d’une journée, des hommes et des femmes qui rêvent d’une autre vie joue un rôle prépondérant dans le premier long métrage de Kaat Beels. ‘ Il est presque aussi multiple que les histoires qui y sont racontées. Nous n’avions pas de budget suffisant pour le reconstituer en décor. Pour coller au scénario, on a dû combiner des éléments de plusieurs hôtels de Bruxelles. Un toit, un hall d’entrée, certains intérieurs… On les a en quelque sorte échantillonnés jusqu’à ce que ça ressemble à l’hôtel que mes scénaristes et moi avions imaginé. J’ai eu la chance de travailler avec un chef artistique qui a parfaitement compris l’atmosphère que je voulais.’ Kaat Beels peut aussi féliciter son cadreur et son directeur de la photo. Le premier a signé un des plans d’ouverture les plus époustouflants vus récemment au cinéma. ‘ Le but de cette séquence était de faire croire à un plan unique, sans montage, mais évidemment, ça n’a pas été possible. L’idée était de donner l’impression d’un mouvement sans fin. Il a été réalisé à la steadycam. En référence à Gosford Park mais, de manière plus générale, à tous les films de Robert Altman. Je lui ai emprunté cette manière d’introduire de nombreux personnages à l’écran. J’aurais aimé tourner le reste du film à la steadycam mais, là encore, le budget ne le permettait pas. J’ai néanmoins essayé de conserver jusqu’au bout un aspect organique, de faire danser la caméra autour des acteurs. Mais une caméra à l’épaule ou des travellings ne transmettent pas les mêmes sensations qu’une steadycam.’ On en éprouvera d’autres tout au long de Swooni, notamment à cause des choix chromatiques. ‘ Je tenais à ce que le film soit très coloré. Pour moi, tous les personnages sont victimes de leurs propres rêves. Alors, quand ils entrent dans l’hôtel, je voulais qu’ils entrent dans un univers plus coloré que la vie qu’ils ont eue jusque-là, voire dans un conte de fées, ou du moins dans quelque chose de plus glamour que leur quotidien. Pour la préparation, j’ai regardé énormément de films des années 50 et 60, notamment ceux avec Elisabeth Taylor, les mélos en technicolor de Douglas Sirk. C’est ce look que je voulais pour Swooni. D’où mon insistance pour tourner en pellicule. Je suis persuadée que le numérique n’aurait pas donné cette texture. Le travail avec mon chef opérateur et mon costumier s’est quasiment fait en termes de nuances picturales.’
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rencontre Ici et là-bas Pour ce qui est des personnages, Kaat Beels a changé de registre, cumulant architecture, mathématiques et sciences humaines. ‘ Le scénario a été construit comme une pyramide de désirs humains qui s’empilent. À sa base, il y a ces deux Africains, ce petit garçon et son père, dont le but est, dans un certain sens, de survivre, tout simplement. En haut de la pyramide, il y a Anna. Elle a tout ce dont on peut rêver mais se demande si c’est ce qu’elle voulait. Ses envies, ses désirs restent, à ses yeux, plus beaux que sa vie. Si on compare sa situation à ce qu’ont enduré l’enfant et son père, on peut légitimement se demander de quoi elle se plaint. Cependant, les opposer n’allait pas dans mon sens. En effet, si tout semble les opposer, ils sont néanmoins liés par un point fort : ils ont des rêves, des espoirs, pour lesquels ils se battent. Ceux de ces Africains étant plus vitaux, leur histoire étant la plus dure, il m’a semblé qu’il fallait la représenter à l’écran, pour qu’on comprenne l’importance des
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enjeux pour eux. Par ailleurs, sans ces flash-back, on ne comprendrait pas l’importance que prend le rôle du père, qui, autrement, tomberait comme un cheveu sur la soupe, vu qu’il serait apparu tardivement à l’écran. Une version précédente du scénario démarrait sur le petit garçon et son père dans le container. Mais ça orientait le film vers autre chose, vers un propos plus social. Il me paraissait plus naturel d’ouvrir Swooni sur quelqu’un qui entre dans l’hôtel, parce que je savais que, une fois à l’intérieur, on n’en sortirait plus. Cette entrée en matière était donc le seul moyen de faire la différence entre le monde extérieur et l’hôtel, mais aussi bien sûr de le situer dans une époque, préciser qu’il se passe à notre époque. Si le film s’était déroulé intégralement dans l’hôtel, son action aurait pu se tenir n’importe quand dans les vingt dernières années. Il était important d’être rattaché à une certaine réalité, sans écarter une part d’irréel. Il devenait de ce fait logique que Swooni débute par le regard de cet enfant, découvrant un monde très éloigné de celui d’où il vient.’
Ascenseur social L’hôtel de Swooni est effectivement un monde en soi, beaucoup plus peuplé qu’on le pense. Les trois histoires centrales sont irriguées par des personnages secondaires plus discrets, mais jamais laissés de côté. ‘Nous savions dès le départ qu’ils seraient là. Mais aussi qu’on ne pourrait pas leur donner autant de place qu’aux six principaux, pour éviter de diluer l’ensemble. Mais je ne fais pas de réelle différence entre travailler sur un film à intrigues multiples ou sur un film qui a un ou deux personnages centraux. Mais ces différents personnages se justifient dans Swooni : ils appuient l’idée d’une hiérarchie sociale dans l’hôtel. Elle a d’ailleurs été rejointe par la réalité. Lors des repérages, la vue depuis le toit de l’hôtel où nous avons tourné était magnifique et on n’y a croisé que des clients. En revanche, dans celui où nous avons tourné les scènes de sous-sol, on n’a rencontré que des employées, presque toutes des immigrées, venues des Philippines ou du Maghreb. Le plan sur la femme de chambre sur le toit était une manière de mettre tout le monde sur un pied d’égalité en montrant qu’elle aussi a des désirs, des espoirs. À la fin d’une longue journée de travail, cette femme se met à rêver comme les autres à une vie meilleure. Il était important de recentrer le film sur ce thème. De plus, il renvoie à Violette, cette femme qui croit qu’elle est devenue importante parce que le personnel de l’hôtel est aux petits soins avec elle. Là encore, j’avais besoin de ce contraste, pour rester en équilibre entre le fantasme et la réalité.’
Swooni
Espoir On l’a dit, Swooni ne dure qu’une journée. À son terme, l’hôtel referme ses portes, pas le film. ‘ Il était important pour moi que la fin opère comme un soulagement, une délivrance, pour chaque personnage. La tension se relâche, la pluie rafraîchit l’atmosphère : ils peuvent tous enfin respirer. Quant à ce qui leur arrive par la suite… Je crois qu’il y a un peu d’espoir dans cette fin mais on n’est pas dans un happy end. J’aime croire que l’issue est en partie heureuse, parce que, par exemple, le garçon et son père se retrouvent enfin, mais il est très probable que d’autres épreuves les attendent une fois qu’ils seront dehors, qu’ils seront expulsés du pays… Une fin totalement heureuse ne me paraissait pas appropriée, mais j’ai essayé de ne pas non plus aller vers le mélodrame le plus sombre (rires). Tous ne vont pas changer après ce qui leur est arrivé durant cette journée, mais je crois qu’ils sont un peu plus conscients de leur situation et se rendent compte que, si leur vie n’est pas celle dont ils rêvent, ils peuvent la réévaluer. Et que désormais, il ne s’agit plus d’espérer un sort meilleur mais d’agir pour que le rêve se réalise, ou du moins de mieux apprécier le moment présent. Ils auront au moins appris à faire ce choix-là.’ www.swooni.be
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Noordzee, Texas
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L’ amour Histoire d’amour entre deux garçons, Noordzee, Texas refuse pour autant d’être labellisé « film gay ». Bavo Defurne préfère porter une autre parole : celle de l’universalité de l’amour, quelle que soit l’orientation sexuelle. Par Alex Masson
Dans Noordzee, Texas, Pim, un adolescent délaissé par sa mère, voit sa vie transformée par la rencontre de Gino, dont il va tomber amoureux. Cela suffit-il à en faire un film gay ? Bavo Defurne réfute cette étiquette trop cloisonnante. ‘Pour moi, c’est secondaire. L’envie initiale était de faire un film que les spectateurs auraient l’impression de n’avoir jamais vu. De raconter une histoire qui trouve une résonance chez eux. Selon un critique de Humo, un magazine très populaire en Flandre, il est trop facile de dire que Noordzee, Texas est un film gay puisqu’il peut toucher tous ceux qui ont été amoureux, peu importe leur sexe ou leur sexualité.’ Là où justement beaucoup de metteurs en scène auraient basé la même histoire sur un suspense autour d’un coming out, Defurne lève rapidement le voile, en révélant d’entrée de jeu les inclinations sexuelles de Pim. ‘ C’était déjà dans le livre d’André Sollie, qu’on a adapté. Ça nous a facilité beaucoup
de choses. Comme lui, le film raconte une histoire d’amour entre deux garçons, non d’un point de vue sociétal mais sous l’angle du romantisme. Ça n’empêche pas d’en aborder la part problématique, mais sans pour autant en faire un film militant : ce n’est qu’une histoire d’amour, rien de plus et rien de moins.’ On y verra pourtant un vrai plus, les gays brillant par leur absence dans le cinéma flamand. ‘Excepté Het sacrament (Hugo Claus, 1990), je n’ai pas le souvenir de personnages principaux ayant une relation homosexuelle dans un film flamand. Ce que je ne m’explique pas : la Belgique est un des seuls pays où un homme ou une femme peut épouser quelqu’un du même sexe. Le cinéma doit être de son temps. Mais ce problème n’est pas l’apanage du cinéma flamand : même quand le cinéma américain essaie d’aborder l’homosexualité, ça finit forcément mal, comme dans Brokeback Mountain. On voulait l’éviter avec
Âge tendre Pour preuve de son absence de stigmatisation sexuelle, Noordzee, Texas joue la carte de la parité en logeant tout le monde à la même enseigne : garçons et filles y sont malheureux en amour. ‘ Tous ces personnages ont des rêves que des obstacles empêchent d’assouvir : Pim aime Gino mais ce dernier est convaincu que sa vie doit se faire avec une jeune Française. Sabrina, la sœur de Gino, aime Pim, qui est donc amoureux de Gino. La mère de Pim rêve d’une vie d’artiste bohème à l’étranger mais doit assumer son rôle de mère auprès de son fils. La mère de Gino et Sabrina voudrait être parfaite, jusqu’à prendre Pim sous son aile, voire l’adopter. Sauf qu’il a malgré tout déjà une mère… Noordzee, Texas touche à l’universel dans ce jeu de miroirs entre les personnages.’
inter view
Noordzee, Texas : il n’était pas question de placer ce film dans une opposition, un conflit, entre Pim et le reste du monde, mais plutôt entre lui et ses passions, ses amours. Ce n’est que l’histoire de quelqu’un qui rêve d’un prince charmant sur son cheval blanc. Quelque chose d’assez banal finalement, et là réside l’intérêt du film.’
à la plage Bavo Defurne (milieu)
© Kris Dewitte
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Le désarroi amoureux et la solitude qui en résulte sont des thèmes récurrents chez Defurne. Ils formaient déjà le cœur de ses courts métrages, très remarqués en festival. ‘ Les personnages principaux de mes courts métrages finissent tous isolés. Cela se retrouve avec le personnage de Pim : quand il s’aperçoit que sa relation avec Gino est probablement impossible, il n’a personne à qui en parler. Ni sa mère, ni ses amis. Mais là encore, il faut relativiser, ce n’est pas forcément parce que mes personnages sont homosexuels qu’ils sombrent dans le désespoir. L’autre constante de mes films est de mettre en scène des adolescents. De parler de cet âge très spécifique où on se cherche, où on n’a pas encore construit son identité. Sans oublier que Noordzee, Texas tend vers un certain optimisme. C’est le livre qui m’y a amené. Il m’a convaincu de ne pas répéter mes courts métrages. Je reçois régulièrement des mails de gens qui me demandent ce qui se passe après la fin des films. Noordzee, Texas est une manière de leur répondre, sans tomber dans le travers de Brokeback Mountain.’
Émois et moi L’identité de Noordzee, Texas, quant à elle, passe par l’esthétique. Qui est un des premiers rapports au cinéma de Defurne, puisqu’il y a fait ses débuts comme décorateur : ‘ J’ai fait mes études à l’école de cinéma Sint-Lukas. À l’époque, il fallait choisir entre cinéma et vidéo. Et par vidéo, on entendait Art vidéo. J’ai choisi cette voie parce que sa dimension expérimentale me séduisait. De fil en aiguille, je suis devenu décorateur pour les films de fin d’études de mes amis, avant de faire un stage sur un tournage de Peter Greenaway. Autant parce que j’aimais l’esthétisme de ses films que pour comprendre, en tant que cinéaste, comment il mettait en scène. Je voulais le voir à l’œuvre sur le plateau. J’ai toujours pensé qu’une des raisons d’être du cinéma est de montrer quelque chose que les gens ne voient pas au quotidien. Je ne veux pas donner à voir aux gens le monde qu’ils voient par leur fenêtre.’ Noordzee, Texas présente effectivement un autre monde. Ou plutôt une autre époque. ‘ Le livre se situe dans les années 70. Lors de la préparation et des choix de décors et de vêtements, un glissement vers
inter view Noordzee, Texas
les années 60 s’est opéré. Simplement parce que les années 70 sont trop marquées culturellement. Or je voulais raconter une histoire de jeunesse plus classique, plus intemporelle. La première phrase du scénario était : « Notre jeunesse, il y a quelques dizaines d’années.» Les années 50 et 60 ont installé un style classique : on pourrait encore porter un jean cousu à cette époque sans que cela ne se remarque, tandis que les motifs, les formes des années 70, sont très reconnaissables. L’écrivain André Sollie est plus âgé que moi, il a 64 ans. Quelque part, je suis plus proche de la réalité en situant Noordzee, Texas à l’époque de sa propre jeunesse, à l’époque des prémices de la révolution sexuelle. Ce qui est un avantage pour moi, qui suis né après, car, dans une certaine mesure, je raconte mon histoire au travers de la sienne.’
Le goût du café Avec Noordzee, Texas, Bavo Defurne raconte aussi une autre histoire, celle de la côte belge. Du moins telle qu’elle existe dans l’inconscient collectif : ‘ Il n’est pas spécifié où l’action se passe. On a filmé près de Gand, parce que je ne trouvais pas les maisons de la côte belge assez belles. Et on a rajouté digitalement des dunes. Noordzee, Texas
est clairement conçu pour correspondre à un fantasme de spectateur, celui d’un monde et d’une époque tels qu’on aurait voulu qu’ils existent. Si on était honnête, on se rendrait compte que la jeunesse n’a rien à voir avec le souvenir idéalisé qu’on en garde. L’adolescence a été pour moi un moment clé, où ma vie a trouvé sa direction, parfois à partir de détails qui pourraient paraître futiles. J’ai oublié le nom de personnes que j’ai rencontrées il y a une semaine, pas celui des personnes dont j’étais proche à 16 ans. C’est ce que je voulais rendre, en trichant un peu sur la reconstitution d’une jeunesse. Le principe était de faire quelque chose de réel mais pas réaliste. Comme les films qui se passent à Paris et où on voit la tour Eiffel par la fenêtre. Ce n’est pas la réalité de Paris, mais si on le fait de manière honnête, on peut en transmettre le ressenti. C’est la différence entre une caricature et un archétype. Quand des gens me disent qu’ils reconnaissent le café, qu’ils y sont déjà allés, je suis ravi et en même temps un peu gêné de les décevoir en leur révélant qu’il n’existe pas. Sinon dans les souvenirs de faits qu’ils n’ont pas vraiment vécus.’
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MADE IN EUROPE À la télévision comme au cinéma, Frank Van Passel interroge intelligemment l’identité européenne : avec des œuvres populaires et engagées. Par Alex Masson En 1995, Manneken Pis, comédie douce-amère, fait de Frank Van Passel un espoir du cinéma européen. Deux ans après, c’est le petit écran qui assurera sa renommée. Il réalise Retour à Oosterdonk, une série télé diffusée en Flandre et aux Pays-Bas, acclamée par les spectateurs et les critiques, et considérée une série culte. Le public ne le suivra pas sur son film suivant, Villa des roses (2002). Neuf ans après, Van Passel revient au cinéma avec Het varken van Madonna, une histoire de village, de mémoire… et de cochon mécanique. ‘ L’échec de Villa des roses m’a amené à prendre du recul, pour comprendre ce qui n’avait pas marché avec ce film, alors que j’en était satisfait. Si Het varken van Madonna ne se fait que maintenant, c’est parce que j’ai senti que ce projet était enfin prêt. De toute façon, j’ai toujours trouvé qu’il se faisait trop de films. Qu’un réalisateur tourne tous les deux ou trois ans, c’est bien mais ce n’est pas une obligation.’ Van Passel n’a de toute façon pas chômé durant ces neuf ans. En 2005, sa société de production, Roses are Blue, fusionne avec une autre pour devenir Caviar – d’où sortiront des films signés, entre autres, Pieter Van Hees (Linkeroever, Dirty Mind), Dorothée van den Berghe (My Queen Karo), Hilde Van Mieghem (Dennis van Rita, Smoorverliefd) ou Jaco Van Dormael (Mr. Nobody) – dont il devient le directeur de la création. Quand il ne coréalise pas De smaak van De Keyser, une série télé qui a triomphé dans le monde entier. ‘ Ça n’a rien changé à la gestation de Het varken van Madonna. Je suis bien placé pour le savoir, ce n’est pas parce que tu as du succès avec un film que réaliser le suivant sera plus aisé. Il faut toujours recommencer à zéro. Ça ne me pose pas de problèmes, c’est juste une réalité. Bon, pour être tout à fait honnête, De smaak van De Keyser a facilité le financement de Het varken van Madonna, en installant une certaine confiance chez les investisseurs.’
Cochon belge
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On imagine malgré tout la stupeur des potentiels financeurs quand Van Passel leur proposa son scénario. Même s’il n’est pas si extravagant qu’il n’y paraît. ‘ Quasiment tout dans Het varken van Madonna part de choses vraies. Il y a douze ans, j’ai vu un documentaire sur un homme qui faisait le tour des fermes allemandes avec un cochon robotisé, pour se substituer aux porcs devenus trop gras pour copuler facilement. Ce cochon émet un son qui excite les truies, qui se laissent alors plus facilement inséminer artificiellement. Je me suis demandé comment ce gars vivait son métier. Plus tard, j’ai appris qu’il existait aussi des masturbateurs de dindons. Par ricochet, je me suis interrogé sur ce que ça pouvait avoir comme impact sur notre alimentation. De fil en aiguille, l’idée d’un jeune type débarquant avec ce type de machine dans une petite communauté qui ne sait plus où est sa place dans le monde, m’a semblé une histoire intéressante à développer.’ Elle
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focus ressemble surtout au cinéma que fait Van Passel, dont on avait repéré depuis Manneken Pis la belle capacité à teinter un contexte réaliste d’un climat fantastique. ‘ La plupart des réalisateurs filment la réalité des choses. Ça ne me déplait pas en tant que spectateur, mais ne m’intéresse pas en tant que réalisateur. Il faut faire avec le cinéma ce que l’on ne peut faire nulle part ailleurs. Quand je fais des séries télé, j’essaie qu’elles ne débordent pas du petit écran, et quand je fais un film, je veux qu’il ne puisse exister qu’au cinéma. Il faut donner un petit plus aux spectateurs, qu’ils ne trouveront qu’en allant au cinéma. Pour moi, la part de fantastique de Het varken van Madonna est ce bonus.’ S’il tique sur l’étiquette cliché d’un surréalisme à la belge, Van Passel ne renie pas pour autant
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l’identité de Het varken van Madonna. ‘ Dans un sens, c’est l’histoire d’une petite communauté qui essaie de vivre dans un monde globalisé. Un homme y arrive et va involontairement fissurer les murs moraux, mentaux, qui entourent cette communauté. C’est donc en soi une histoire belge. Surtout au moment où nous sommes en train de nous débattre avec notre identité, de chercher notre place face à des institutions comme l’Europe ou le système capitaliste. Cette idée s’est cristallisée dans le film. Mais je pense qu’elle peut s’étendre aujourd’hui à tous les pays européens, et probablement bientôt au monde entier. Nous sommes arrivés à un moment où des régions, des zones linguistiques, sont en quête d’une identité propre parce que l’image qui leur est renvoyée ne leur semble plus juste. Je considère qu’avant d’être flamand, Het varken van Madonna est un film belge. Ce qui signifie beaucoup pour moi. Aujourd’hui, c’est presque une déclaration d’intention de pouvoir trouver des financements à la fois en Flandre et en Wallonie. Cette idée récurrente de l’Europe tient de la richesse de son identité. Si tu fais des films, et je n’en ai pas fait beaucoup, tu dois absolument y dire quelque chose d’important. Ce film est financé en grande partie par de l’argent public, il est donc normal qu’il exprime en contrepartie quelque chose d’important pour le public. En vivant en Belgique, on ne se rend souvent pas compte de la chance d’être au carrefour de Londres, Paris, Amsterdam et Cologne. On voit tout le monde passer, c’est une position enviable.’
Les vestiges du passé Van Passel se préoccupe de l’Europe actuelle, mais aussi de son passé. Parmi les personnages de Het varken van Madonna, on trouve le fantôme d’un soldat de la guerre 14-18.
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Het varken van Madonna
‘ Le petit village de Madonna existe réellement dans une partie de la Flandre qui fut un des champs de bataille de la guerre. Dans le sol de cette petite parcelle de terrain se trouveraient les cadavres de près de cent mille soldats. Ils sont représentés dans le film par l’esprit de l’un d’entre eux, qui ne mourra vraiment que lorsque son corps sera retrouvé. Dans trois ans aura lieu le centenaire du début de la première guerre mondiale. Pour notre génération, elle est encore assez proche, parce qu’on a des grands-parents qui l’ont vécue. Pour mes enfants, elle est très abstraite. Ils n’en ont pas peur alors qu’elle m’effraie encore. Pour des raisons personnelles, je voulais qu’avant qu’ils soient submergés par les documentaires qui ne manqueront pas de déferler dans trois ans, la jeune génération puisse voir un film créant un lien émotionnel avec cette guerre. Par ailleurs, ce personnage de fantôme permet également d’interroger l’Europe en tant qu’institution. Elle connaît de nombreuses critiques, certaines justifiées, mais j’y suis néanmoins favorable. Ne serait-ce que parce qu’au XXe siècle les Européens ont tué soixante-dix millions d’autres Européens, alors qu’on envisage ce siècle comme une période d’évolution fantastique. On ne se rend pas compte qu’à cette époque, on n’avait pas d’organismes, d’institutions, pour nous protéger de nous-mêmes. Ce soldat symbolise aussi la stupidité de cette période, et je voulais le replacer dans le monde d’aujourd’hui.’ Entre 2011 et 1995, s’il y a bien une chose qui a changé, c’est le cinéma. ‘ Quand j’ai fait Manneken Pis, la distinction entre cinéma d’auteur et cinéma populaire était encore très claire. Ce n’est plus le cas. Parfois pour le mieux : le renouveau de la fiction télé dans les années 80, notamment dans la manière de raconter des histoires, a forcé les scénaristes de cinéma à beaucoup plus travailler leurs scripts. Aujourd’hui, nous avons d’excellents scénaristes, même si certains se contentent d’une efficacité au détriment des rapports entre les personnages. La compassion, la tendresse me manquent dans le cinéma contemporain. Si j’ai un talent, c’est, je crois, celui de rapprocher le public de mes personnages. Grâce à ma touche personnelle : un mélange de tendresse et d’absurdité.’ www.flandersimage.com
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Hasta La Vista, le nouveau film de Geoffrey Enthoven, emmène trois handicapés sur le chemin de leur épanouissement personnel. Un parcours qui rejoint celui du réalisateur. Par Alex Masson
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BON VOYAGE
Quelque chose a changé dans le cinéma de Geoffrey Enthoven. Jusqu’à The Over the Hill Band, ses films, des Enfants de l’amour à Happy Together, reflétaient son penchant pour le drame. Après la très attachante histoire de trois mamies qui veulent monter un groupe de R&B, Hasta La Vista, périple de trois handicapés qui veulent à tout prix tirer un coup, reste une histoire grave, mais racontée avec le sourire. ‘ Faire un film, c’est comme mâcher un chewing-gum pendant très longtemps : on a peur qu’il n’ait plus de goût à la longue. Partir d’un sujet de société permet de rebondir tout le temps, fait avancer les choses, maintient en permanence l’intérêt. Et surtout permet de toucher tout le monde. Il y a plein de sujets qui m’intéressent mais sur lesquels je ne me vois pas travailler trois ans d’affilée. Un sujet de société est en fait un prétexte pour me concentrer sur le travail… (rires). La comédie, c’est la confiture qui fait avaler la pilule. Si on y regarde de plus près, mes deux derniers films traitent des mêmes sujets que les précédents, mais faire rire permet de relativiser les choses, de mieux les faire accepter. Je pense même que ça améliore la réception de l’histoire, parce que le poids de l’appréhension n’est plus là.’ Il ne faut certes pas chercher bien loin des liens entre Hasta La Vista et, par exemple, Les enfants de l’amour. Dans les deux cas, il y a une histoire vraie. Celle d’Asta Philpot, un Anglais tétraplégique militant pour le droit à la sexualité des handicapés, a fait, avant Hasta La Vista, l’objet d’un documentaire anglais, For One Night Only. ‘ Ç’a été un atout. Car, quand j’ai raconté l’idée à des financiers et des coproducteurs, ça les a fait rire, mais la gêne était palpable. J’avais rencontré le même souci avec The Over the Hill Band. Certains étaient réticents à l’idée d’un film où trois mamies, avec l’ombre de
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la maladie d’Alzheimer qui rôde autour d’elles, veulent faire du R&B. Ce fut beaucoup plus simple sur Hasta La Vista, parce que le documentaire anglais avait démontré qu’on pouvait lier humour et émotion. Qui plus est, on savait qu’en partant d’une histoire vraie, donc très documentée, on allait éviter les clichés. Notre but était de faire oublier au bout de cinq minutes que les personnages étaient des handicapés. On a fait une projection-test d’Hasta La Vista. L’une des questions posées ensuite aux spectateurs était : quel est pour vous le sujet de ce film ? Avec comme réponses possibles : le handicap, l’amour, le voyage, l’amitié. La grande majorité a encerclé : l’amitié. Ça m’a réjoui, parce que ça veut dire que le film montre que tout le monde est atteint d’un handicap en matière de communication avec les autres. Et c’est ce que je voulais raconter.’
Cinéma-vérité La différence avec le parcours d’Asta Philpot ? Hasta La Vista ne raconte pas l’histoire d’un seul handicapé mais de trois. ‘ Ce n’est qu’une question de point de vue : on peut faire un film avec un seul personnage mais qui révèlera des traits de caractère très différents. Et là ces trois personnages n’en forment qu’un : une identité. Tous les trois sont handicapés, veulent être indépendants et n’ont qu’un but, aller aux putes. J’aurai pu faire le même film avec un seul. Asta a été consultant sur le film, qui démarre sur Philippe, qui comme lui est totalement paralysé, alors qu’il ressemble plus à Joseph, plein de joie de vivre. Pendant quelque temps, j’ai cru qu’il était important qu’Asta soit présent en permanence, pour qu’il serve de référent, que notre travail ne sonne pas faux. J’ai appréhendé le fait qu’il ne soit pas là pendant le tournage en France, mais son regard, une fois présent, était tellement enthousiaste… ’ Restait le challenge de trouver des interprètes qui soient crédibles. ‘ Dans un premier temps, on a essayé de trouver des handicapés, pour plus de réalisme. On a monté un casting à la manière de La nouvelle star, en se disant qu’on allait forcément trouver des gens avec un vrai talent d’acteur. Au bout d’un an et demi, on a trouvé une personne qui semblait faire l’affaire, mais, par souci d’objectivité, j’ai voulu comparer avec de vrais acteurs. Ils se sont révélés bien meilleurs. On a donc décidé de prendre des acteurs qui simulent le handicap. Avec satisfaction puisque tous ceux qui ont vu le film me demandent s’ils sont ou non vraiment handicapés.’
Si chacun des films d’Enthoven raconte une transformation, un périple intérieur, Hasta La Vista est aussi un voyage physique. Que l’équipe a autant fait que les personnages. ‘ Le road-movie a apporté un supplément à cette histoire, ne serait-ce que visuel : Hasta La Vista démarre en automne en Belgique, où il fait gris, pour aller vers le soleil d’Espagne. Ça accompagne l’évolution des personnages, mais permet aussi d’expliquer que ce voyage est plus important que son but. Pour des raisons pratiques, le tournage s’est presque fait dans le sens inverse du scénario : on a commencé par les scènes en France, puis en Espagne et enfin en Belgique. Ce chemin-là a soudé toute l’équipe, procuré une atmosphère très joyeuse. J’avais déjà connu ça lors de l’enregistrement de la bande-son de Vidange Perdue en Espagne. Il faisait beau, on était détendus. Du coup, le travail fut très agréable. Sur Hasta La Vista, la majorité de l’équipe étant belge, quand on tournait en Belgique, le soir chacun rentrait chez soi. En France et en Espagne, on se retrouvait tous le soir, on continuait à être dans une énergie constructive pour le film. C’est un peu comme si on avait été en séminaire. Bon, on a bien sûr souvent fait la fête, mais en gardant le film à l’esprit. Et ça se ressent, on se doute qu’il a été fait dans une bonne ambiance et avec amour.’ Cela tient aussi au fait que le film est solaire, littéralement lumineux. ‘ Dans Hasta La Vista, le personnage le plus dépendant des autres est celui qui a la plus grande gueule, celui qui est aveugle « voit » les choses les plus positives. Avant d’avoir des enfants, j’étais intrigué par les choses sombres. Plus maintenant. Le plus surprenant est que je ne supporte plus, physiquement, le noir, à cause d’une forte myopie. Du coup, je suis à la recherche de choses lumineuses. Au propre comme au figuré. Je suis devenu accro à la positivité. Je reste un peu pessimiste, mais je me soigne : même faire semblant d’être positif m’aide à mieux vivre.’
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Epilogue
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Commencer Si nous allons tous mourir un jour, la mort reste un sujet tabou pour beaucoup de gens. Deux réalisatrices et un réalisateur de documentaires flamands ont défriché ce terrain sensible et produit des films saisissants sur la fin de la vie. Ils abordent cidessous les défis à relever quand on tourne un documentaire sur la mort.
Texte Ian Mundell Chaque réalisateur avait ses raisons personnelles au lancement de son projet. ‘Quand j’étais toute petite, la mort m’effrayait’, amorce Maris De Smedt, dont le film Claire, Me and My Brother accompagne les derniers mois d’une adolescente. ‘Je me réveillais angoissée : quand vais-je mourir, est-ce que mon cœur bat encore ? J’ai voulu tourner un film qui aborde la confrontation avec la mort, pour pouvoir – peut-être – vivre désormais avec une autre idée de la mort.’ Des angoisses similaires ont incité Nathalie Basteyns à tourner Still, documentaire sur le suicide. Elle se souvient : ‘J’avais toujours peur étant enfant de perdre une personne
que j’aimais. Le suicide, c’était encore pire, car je pense que c’est un acte de solitude extrême.’ Manno Lanssens a été bouleversé par la dernière année difficile de sa grand-mère. ‘Ce n’était pas une très belle façon de mourir. Je me suis donc interrogé : « y a-t-il une bonne manière de mourir ? » Ce fut le coup d’envoi de mon projet.’ Son documentaire Epilogue, diffusé en première mondiale au festival Visions du Réel de Nyon (où il a reçu une mention spéciale du jury), suit une cancéreuse au stade terminal au cours des derniers mois de sa vie dans la maison, entourée par sa famille.
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Attitude enrichissante Le premier défi auquel chaque réalisateur a été confronté fut de trouver une personne proche de la mort ou touchée par elle de la manière la plus traumatisante possible et désireuse d’être filmée malgré tout. ‘J’ai cherché durant des mois sans aucun résultat, malgré de bons contacts avec les organisations de soutien’, explique Lanssens. ‘J’ai rencontré des malades qui voulaient participer mais reculaient face à une très forte opposition familiale.’ Finalement, en travaillant sur un programme de télévision dressant l’inventaire de la loi belge sur l’euthanasie, il a rencontré Neel Couwels et sa famille. Non seulement ils voulaient participer, mais ils adoptaient une attitude très positive face à la maladie de Neel. ‘Je ne voulais pas d’un film morbide, dit Lanssens. Je voulais que cette personne malade soit entourée de vie, qu’il y ait ce contraste.’ Une attitude enrichissante en face de la mort, c’est aussi ce qui a attiré De Smedt vers la famille Geudens. Les trois enfants étaient des faux jumeaux : Claire et Michelle se battaient toutes les deux contre une grave mucoviscidose, Vincent était épargné par la maladie. ‘J’ai été touchée par l’optimisme des deux filles et j’ai eu envie de mieux les connaître’, dit-elle. Elle avait lu une interview dans un journal où ces filles parlaient de leur 18e anniversaire et des espoirs qu’elles
Maris De Smedt
nourrissaient pour leur 19e. Elle leur a donc proposé un film qui les suivrait tout au long de cette année, quoi qu’il advienne. À cette époque, Claire avait déjà subi deux transplantations du poumon, sans succès, et ne pouvait en espérer une troisième. ‘Je savais qu’elle pouvait mourir pendant la réalisation du film, mais pas aussi vite.’ Basteyns cherchait entre-temps des familles de jeunes qui s’étaient suicidés. Une famille fut renseignée par un organisme de soutien, une autre par son producteur, Kaat Beels. Une troisième avait perdu un fils, Freek, 10 années auparavant. Une quatrième venait de perdre leur fille, Eva, un an plus tôt. Parfois, cette différence temporelle est manifeste dans le film. Ailleurs, le temps semble s’être arrêté. Enfin, la réalisatrice a inclus des témoignages de Stefaan Maene, ancien nageur olympique qui avait écrit sur ses idées de suicide. Elle avait pris soin de dire aux familles qu’elle ne voulait pas savoir comment leurs enfants s’étaient donnés la mort. ‘Quand vous lisez un article de journal sur un suicide, c’est la première chose qu’ils écrivent – mais je ne voulais pas faire ça. Je ne leur ai même pas posé la question.’
Vision intime Il était encore plus important de fixer ainsi des limites pour les films tournés avec des personnes mourantes et leur famille. ‘Certains moments sont vraiment intimes, explique Lanssens, et je leur disais toujours : « C’est vous qui décidez. Si vous nous dites d’arrêter, j’arrête de filmer – sans discuter. » Mais cela ne s’est jamais produit.’ S’il était dans l’intention du réalisateur de filmer un documentaire sur la mort de Neel, la décision de filmer jusqu’au dernier souffle ne fut prise qu’à mesure que progressait la maladie. ‘À la fin, ma présence était devenue presque naturelle – nous avons vécu la maladie avec eux, depuis le début. Je n’avais pas la sensation d’être un voyeur.’ De Smedt avait également l’intention de filmer Claire tout au long de sa maladie. Claire était d’accord, mais à ses conditions. ‘Quand elle était vraiment très malade au début, elle nous demandait de ne pas filmer parce qu’elle ne se sentait pas très jolie. Elle était très fière. Elle voulait être belle pour la caméra.’ La décision de couper aux derniers instants de sa vie fut prise par la réalisatrice elle-même. ‘Si j’avais voulu filmer son dernier souffle, je crois que Claire et la famille auraient été d’accord. Mais pour moi, c’était tabou.’ La réalisatrice a veillé tout au long du film à ne pas dramatiser, en choisissant un style de tournage discret. ‘Je ne voulais pas la filmer en gros plan à l’hôpital. Je voulais être une mouche sur le mur’, explique-t-elle. Par contre, le journal vidéo de Michelle donne une vision plus intime. ‘Je savais que c’était elle qui raconterait son histoire. Je ne voulais pas le faire et Claire ne le pouvait pas.’ Basteyns a également utilisé des images personnelles ainsi que des vidéos et des photographies prises par Eva avant son suicide. Certaines scènes rappellent également la carrière de nageur de Maene mais ces passages présentent un net contraste avec le calme des interviews. ‘J’ai décidé au
Manno Lanssens
départ que je ne voulais pas d’images mobiles. Puisque tout s’était arrêté dans leur vie, je voulais que tout soit immobile.’ La dimension visuelle a posé un défi à Lanssens, puisque le documentaire devait être filmé dans sa totalité dans la maison familiale. ‘Je voulais une image très intime. Nous devions faire partie de cette famille. En même temps, je ne voulais pas d’images trop sombres. Nous avons donc travaillé un peu sur les couleurs.’ Chose inhabituelle pour des documentaires, certaines personnes filmées ont été invitées dans la salle de montage. ‘Je leur disais : « s’il y a quelque chose que vous ne voulez pas voir dans le documentaire, dites-le et je le couperai », se rappelle Basteyns. Ils m’avaient ouvert leur vie et le sujet est véritablement tabou : j’ai donc pensé qu’ils devaient avoir le choix.’ Mais il n’y a pas eu d’objection en fin de compte. Lanssens a également consulté la famille de Neel. Celle-ci était préoccupée par quelques détails pratiques mineurs plutôt que par de grands problèmes. ‘Ils portent sur ce documentaire un regard tout à fait différent. Il ne sont pas seulement spectateurs : ils ont traversé cette épreuve.’
Message positif Avoir côtoyé la mort pendant tellement de temps ne fut pas anodin pour les réalisateurs. ‘J’ai pu gérer cette situation pendant si longtemps parce que je tournais un film, dit Lanssens. Cela vous met dans une position où ce n’est pas le mourant qui monopolise votre attention, mais l’aspect technique des choses.’ Quand bien même, son caméraman fut incapable de filmer les derniers moments de Neel : un remplaçant a dû être trouvé. De Smedt a commencé les interviews, le travail sur le son
Nathalie Basteyns
et les prises de vues elle-même, mais elle a fini par engager un assistant. ‘Ca allait au début. Après un certain temps, le sujet était devenu si pesant qu’il fallait que j’en parle à quelqu’un.’ Mais l’expérience a également son côté positif. ‘J’ai davantage conscience de la mort, mais j’apprécie aussi plus la vie’, explique Lanssens. De Smedt d’ajouter : ‘Je veux désormais profiter de chaque minute de ma vie. Je ne me plains pas trop, car on a pas de temps à perdre.’ Malgré les côtés sombres du sujet, les trois réalisateurs veulent qu’un message positif porte leurs documentaires. ‘Au début, je voulais faire un film sur la perte et le chagrin. Au bout du compte, c’est en réalité un documentaire sur le courage et la survie’, conclut Basteyns. www.flandersimage.com
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Se jeter à l’eau
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Wannes Destoop a grandi dans une petite ville et est tout naturellement attiré par les histoires des petites villes. ‘Je ne veux pas raconter des histoires sur les problèmes du monde, mais sur l’homme de la rue ou la fille qui doit se battre pour avoir de nouvelles lunettes de natation, explique-til. Soit une fille comme Chantal, l’héroïne de son court métrage Badpakje 46 (Swimsuit 46), en compétition à Cannes cette année. Par Ian Mundell
Badpakje 46
Magique Ce qui attirait Destoop dans cette aventure, c’est qu’il était amené à travailler avec une jeune actrice débutante. ‘C’est magique de travailler avec quelqu’un comme Janis’, explique-t-il. ‘C’était son premier rôle au cinéma et j’ai été vraiment touché par sa manière de jouer. C’était si réaliste’. Destoop s’inspire de la démarche cinématographique du Mexicain Carlos Reygadas à qui l’on doit Stellet Licht et Batalla en el Cielo. ‘Un jour, il a dit dans un article : «Je ne veux pas que mes acteurs jouent, je veux qu’ils soient».’ Je trouve cela si juste.’ Wannes Destoop
Janis n’était pas embarrassée par ce rôle qui comprenait des scènes comme celle où elle tire sur son estomac en se regardant dans le miroir, et une garde-robe de vêtements et maillots de bain suspendus. ‘Nous nous faisions mutuellement confiance et je pense que cela se voit dans le film’, ajoute Destoop. Il rit encore en se voyant derrière le moniteur dans le ‘making of’ de Badpakje 46. ‘On lit sur mon visage combien je me régalais de la regarder jouer.’ Aux côtés de Janis, il a pu réunir des acteurs confirmés tels que Wim Opbrouck et Johan Heldenbergh. ‘Cela fait très longtemps que je rêvais de travailler avec eux’, avoue-t-il. ‘J’adore la manière dont ils jouent et se donnent dans un rôle. C’est assez extraordinaire.’ Le casting comprend une autre tête familière avec Kenneth Vanbaeden qui joue le rôle du frère de Chantal et est surtout connu comme le jeune garçon au centre du film La merditude des choses de Felix van Groeningen.
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C’est le deuxième court métrage de Destoop à mettre en scène une fille qui a du mal à s’intégrer à cause de sa taille. ‘Je suis passionné par les gens hors normes qui doivent trouver leur place dans la société’, ajoute-t-il. Déjà en 2008, son film de fin d’études à l’école de cinéma KASK à Gand -intitulé We Are So Happy- suivait Claudine, une fille rondelette de 16 ans, qui devait se battre pour l’amour de son meilleur ami dont l’affection semblait se poser sur une autre. Pour Badpakje 46, Destoop change légèrement d’angle. ‘Je voulais vraiment faire quelque chose sur un adolescent plus jeune et écrire sur la façon dont il doit trouver sa place dans la société pour devenir adulte’, souligne-t-il. Il a donc commencé à partir d’une histoire racontée sur un forum internet, dans laquelle une adolescente décrivait comment sa mère lui avait reproché d’être trop grosse lors d’une virée shopping. ‘Cela me touchait tellement que j’ai vraiment voulu utiliser ce récit’, se rappelle Destoop. ‘Je l’ai donc réécrit et cette scène est devenue le point de départ du film.’ Chantal (Janis Vercaempst), douze ans, doit faire les boutiques avec sa mère afin d’acheter un nouveau maillot de bain après avoir déchiré l’ancien lors d’une bagarre avec son frère. Mais cela signifie qu’il ne reste plus d’argent pour les lunettes dont elle a besoin pour sa prochaine compétition. Comme Chantal prend la natation très au sérieux, elle doit trouver d’autres moyens pour réunir l’argent.
Défi On parle déjà de Destoop comme un directeur d’acteurs, ce qui lui plaît énormément. ‘C’est le plus beau compliment que je puisse recevoir. Ce que les acteurs accomplissent dans un film est bien plus important que ce que je fais sur un plateau. Donc tout le mérite leur revient.’ Même s’il retient quelques scènes techniquement difficiles comme le long plan de Chantal à vélo sous la pluie diluvienne et la séquence sous l’eau en ouverture du film. ‘Je suis un grand fan des images sous-marines’, explique Destoop. ‘Vous voyez Chantal nageant sous l’eau, tout est calme et serein. Puis on entre véritablement dans le film aux coups de sifflet du professeur. Je voulais vraiment la présenter comme cela au début du film.’ A l’avenir, Destoop voudrait continuer à réaliser des films qui explorent l’expérience des jeunes, travailler avec des acteurs non-professionnels et développer des histoires à partir de leurs propres expériences. ‘Mon rêve serait de travailler avec quatre ou cinq adolescents, improviser et jouer avec eux, et ainsi écrire une histoire basée sur leur propre vie’, conclut-il. www.badpakje46.be
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L’ENVERS DU TABLEAU Ultra-contemporain mais non dépourvu de racines, le cinéma de Pieter Dirkx nourrit le plus passionnant des paradoxes : aller voir ailleurs pour mieux se trouver. Son court-métrage Bento Monogatari a été sélectionné pour la Cinéfondation à Cannes. Par Alex Masson
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À 27 ans, Pieter Dirkx a déjà eu plusieurs vies d’artiste. Il suffit de le googliser pour découvrir son travail prolifique de peintre, photographe ou musicien. C’est toutefois vers le cinéma qu’il se focalise. ‘ Le cinéma est un medium fantastique parce qu’il combine plusieurs aspects au service d’un propos. Je ne pourrais pas atteindre les différents niveaux de perception, de ressenti d’un film avec la photographie ou la peinture : elles peuvent créer un univers mais pas y immerger autant quelqu’un que le cinéma.’ Cette certitude habite Dirkx depuis longtemps : le cinéma est au centre de certains de ses tableaux et photos. ‘ Bien avant d’entrer à l’académie des Beaux-Arts d’Anvers, je voulais être cinéaste, mais je ne me sentais pas prêt. Apprendre la peinture fut une manière d’apprendre, à mon rythme, à faire des images... Mes études de peinture ont finalement nourri mon appétit pour le cinéma. C’est un art visuel, mais j’étais frustré de ne pas faire ce que je voulais profondément. Du coup, je me suis mis à voir jusqu’à 500 films par an. Ainsi, ma dernière année d’études, je ne peignais quasiment plus. Le plus étrange est qu’aujourd’hui je ne me considère pas peintre, preuve que la peinture n’a été qu’une étape vers le cinéma.’
shor tissimo Seule continuité, une confrontation des cultures. Un tableau peut représenter un personnage de jeu vidéo. Dans Bento Monogatari, son dernier court métrage, une Flamande s’initie au mode de vie japonais. ‘ J’ai grandi dans une société faite d’images. Encore plus avec l’arrivée d’Internet. Je me suis mis à faire des associations entre elles dans mon travail, parce que cela correspond à notre époque. Mais j’essaie de les canaliser, d’en extraire ce que je crois y voir ou en comprendre.’
Si loin, si proche Bento Monogatari ou Geometry of Beetles, son précédent court métrage, n’ont rien en commun formellement, mais se rejoignent sur des thèmes, comme l’obsession et la solitude. ‘ Je me suis aperçu de cette similarité après avoir fini Bento Monogatari. Elle est d’autant plus inconsciente que je conçois mes films comme des objets uniques : je ne pourrais pas refaire, après Geometry of Beetles, quelque chose sur un collectionneur d’insectes. Ou un film parlant d’un personnage hanté par la culture japonaise après Bento Monogatari. Pour autant, je constate la récurrence de certains sujets : l’obsession, la solitude, effectivement, mais aussi le fait d’obtenir quelque chose que l’on convoitait, mais pas de la manière voulue… À y réfléchir, je sais que cela correspond à mon vécu. J’ai beau essayer de passer à autre chose, ces thèmes reviennent sans cesse dans les nombreux scénarios que j’ai écrits.’ Pour s’en écarter, Dirkx évite de rattacher ses films à un genre particulier. ‘ Je ne veux pas me retrouver à penser : Maintenant je fais une comédie ou un film d’horreur. Il me semble presque impossible de faire quelque chose de personnel en le rattachant à un genre spécifique. J’essaie du coup de nuancer mes films : il y a de l’humour dans Bento Monogatari, mais on ne peut pas le qualifier de comédie. À chaque fois qu’un film prend une direction trop tracée d’avance, j’essaie de changer de cap.’ Bento Monogatari devait d’autant plus suivre cette logique qu’il traite, à tous les niveaux, d’une confusion des genres. ‘ On a une certaine idée du cinéma belge : ce mélange d’absurdité et de tragique. Je ne sais pas si cette identité me correspond. Ou alors dans le principe d’une Belgique qui serait un pays d’absorption culturelle. En même temps, j’éprouve un besoin d’imaginaire, d’évasion. C’est l’idée centrale de Bento Monogatari. Cet homme et cette femme ont des désirs de vie différents, incompatibles, dans lesquels ils finissent par se perdre. Elle rêve d’être japonaise sans pour autant vraiment comprendre cette culture – comme en témoignent les calligraphies chinoises qu’elle affiche au mur. De même que son mari est attiré par l’univers d’un de ses collègues mais a peur d’y entrer.’ Choix surprenant, Dirkx raconte cette histoire, si symptomatique de notre époque, au travers d’un couple âgé. ‘ Ma génération n’en est pas si différente : comme eux, on cherche encore à trouver notre place. On a juste l’avantage de ne pas encore être à l’âge des regrets. Quoique : je suis toujours pris d’une soudaine et inexplicable nostalgie quand je vois des photos du Bruxelles d’il y a cent ans…’ www.flandersimage.com
Bento Monogatari
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Michaël R. Roskam est passionné de films. Demandez-lui les trois films qu’il préfère et il vous en citera cent. Mais il en connaît également un bout sur la réalisation : ‘être cinéaste, cela signifie pour moi être artiste et conteur d’histoires.’ Par Ian Mundell
SOUS INFLUENCE
Michaël R. Roskam © Bart Dewaele
Son diplôme entre les mains, il écrit et tourne des vidéos, puis s’empare d’une idée qu’un ami lui suggère de réaliser ‘comme il se doit’. Il demande donc une bourse et la reçoit. ‘Nous avions soudain tout l’argent nécessaire et moi, je n’avais pas encore vu de plateau de tournage !’
© Bart Dewaele
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Enfant, il aime les bandes dessinées européennes – comme « Tintin » – et les films américains diffusés l’après-midi à la télévision. ‘Je n’ai découvert le cinéma européen que très tard’, concède-t-il. Michaël veut devenir dessinateur de BD et étudie la peinture à l’école d’art SaintLuc à Bruxelles. Il se souvient : ‘j’ai été tout de suite attiré par l’art contemporain et la réalisation de vidéos, de peintures et de dessins, puis je suis retourné à la bande dessinée. Mais je cherchais encore quelque chose. Je pensais à cette époque que faire un film, c’était quelque chose qu’un artiste doit faire une fois dans sa vie.’
Scorsese et Kurosawa Michaël n’a jamais eu l’impression d’avoir raté l’école cinématographique. ‘Il n’y a eu aucune influence, aucune pression pour me dire ce que je devais ou ne devais pas faire, dit-il. Quand j’ai voulu utiliser une voix off dans Carlo, on m’a dit que ça ne se faisait pas : « Vous devez raconter une histoire dans les règles du cinéma. » Quoi ? C’est juste une voix off. Je me sers du cinéma et ça marche. Scorsese le fait tout le temps. « Mais vous n’êtes pas Scorsese. » Qu’est-ce que ça peut faire...’ Martin Scorsese est depuis toujours l’une de ses sources d’inspiration, aux côtés des frères Coen et d’Akira Kurosawa. ‘Au niveau cinématographique mais aussi en storytelling, Kurosawa combine des ingrédients dramatiques et sérieux, presque contemplatifs, avec de l’humour. Tout y est. C’est un formidable artiste.’ Ses films préférés sont La forteresse cachée, Les sept samouraïs, Rashomon et le film policier Chien enragé.
Spielberg, Mann, Cronenberg Michaël ne boude pas la production mainstream d’Hollywood et admire des metteurs en scène tels que Steven Spielberg et Michael Mann. ‘C’est davantage la perception du cinéma que la mise en scène de Spielberg qui m’inspire, explique-t-il. Quand on regarde un film de Spielberg, c’est comme un bon rêve dont on ne veut pas se réveiller. Avec Ken Loach par contre, quand on se réveille, c’est le film qui débarque dans la réalité !’ Pour Rundskop, il a cherché un ton qui soit aussi un petit peu plus vrai que nature. ‘C’est un monde noir et très étrange, dit-il. Ca se passe dans un environnement criminel mais ce n’est pas ça l’histoire : ça parle davantage des gens qui y vivent.’ Ici, c’est David Cronenberg qui l’a inspiré. ‘A History of Violence et Les promesses de l’ombre m’ont aidé à envisager mon histoire comme un conte. Ce n’est pas un conte de fées, c’est une histoire imaginaire qui nous dit quelque chose sur nous-mêmes.’ On peut trouver des leçons similaires dans La dame de Shanghai d’Orson Welles et Les désaxés de John Huston.
Michaël a aussi été frappé par No Country for Old Men des frères Coen. ‘Ce film m’a formidablement inspiré, dit-il. En butte contre toutes les règles conventionnelles du storytelling, ce film fonctionne admirablement et le ton est parfait. C’est effrayant, rigolo, dramatique. C’est en fait très simple et en même temps extrêmement complexe.’ Les arts influencent toujours le travail de Roskam – le feeling film noir de Tête de bœuf (Rundskop) provient tant de l’âge d’or de la peinture flamande que du Hollywood des années quarante. ‘Rembrandt était une référence en matière d’ombre et de lumière’, explique-t-il. Après Tête de bœuf (Rundskop), Michaël veut tout simplement continuer à faire des films, probablement en alternant ses propres scripts et ceux d’autres scénaristes pour établir un rythme de production régulier. ‘J’ai une foule d’idées. Je pourrais sans problème poursuivre pendant les 20 prochaines années. Aux politiciens qui nous annoncent qu’il faudra travailler jusque 65 ans, je réponds : « Avec plaisir ! » Rundskop www.savagefilm.be
Voici quelques-unes des œuvres qui inspirent actuellement Michaël R. Roskam :
Livre La route, Cormac McCarthy (2006)
film Les anges aux figures sales, Michael Curtiz (1938)
TV Documentaires Belga Sport sur les idoles du sport (2008-...) © EddyMerckx.be
Les frères Coen
Œuvres stimulantes
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Mais il comprend bien vite qu’il a trouvé ce qu’il cherchait : ‘La création d’un film contient à mon sens tous les éléments artistiques indispensables, surtout lorsque vous combinez les qualités d’écrivain et de metteur en scène.’ Il tourne ainsi Haun en 2002. D’autres courts métrages suivent : Carlo en 2004, The One Thing To Do en 2005 et Today Is Friday en 2007. Entre-temps, le premier long métrage de Michaël Roskam intitulé Tête de bœuf (Rundskop), histoire troublante sur la loyauté et l’amitié, démarre cette année une carrière internationale à la Berlinale, où le film a été diffusé dans le cadre de la section Panorama Special.
Musique Trois petites liturgies de la présence divine by Olivier Messiaen
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De Beverly Hills à Nyon en passant par Rotterdam, Berlin et Beaune… Voici quelques images des réalisateurs et stars flamands présents dans les plus grands festivals de films du monde entier.
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Critique, acteur et professeur au Cours Florent, Jean-christophe Berjon a été nommé délégué général de La Semaine de la Critique en 2004. e 2011, année du 50 anniversaire de la section parallèle cannoise, sera la dernière sous son autorité. Il y aura programmé plusieurs films flamands : Moscow, Belgium de Christophe Van Rompaey, Altiplano de Brosens & Woodworth et Lost persons AREA de Caroline Strubbe.
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Jean-Christophe Berjon La Semaine de la Critique occupe une place particulière à Cannes : nous sommes… différents. Notre mission ? Présenter des premiers et seconds films. À La Semaine de la Critique, on vient voir des films dont on ne sait rien mais qui se révèlent parfois passionnants. De par le passé, nous avons présenté le travail de cinéastes qui ont ensuite décroché la Palme d'Or, ou sont devenus présidents du jury de la sélection officielle. La Semaine de la Critique essaie de révéler, non seulement les réalisateurs, mais le cinéma de demain. Nous voulons découvrir les pays émergents cinématographiquement. Et les talents qui s’imposeront. J’ai toujours eu un contact franc avec les directeurs des autres sections de Cannes, que ce soit avec Olivier Père, puis Frédéric Boyer, de La Quinzaine des Réalisateurs, ou Thierry Frémaux de la sélection officielle. Nous ne travaillons pas comme le festival de Berlin, où les différentes sections décident plus ou moins conjointement qui montrera quoi. Une saine concurrence règne donc entre nous. Et il y a toujours trois ou quatre films que La Semaine de la Critique et La Quinzaine des Réalisateurs voudraient chacun avoir. L’an dernier, par exemple, nous avons beaucoup parlé de Little Baby Jesus of Flandr, qui faisait partie de notre short list. Quand nous avons appris que La Quinzaine des Réalisateurs l’avait invité, nous le leur avons laissé sans tenter de l’accaparer ! Le but de La Semaine de la Critique est d’aider les réalisateurs débutants. Prenons l’exemple de Moscow, Belgium. Nous l’avons sélectionné bien que ce ne soit pas le genre de film qu’on voit à Cannes : du cinéma populaire sur fond d’histoire d’amour et de propos social. Mais nous avons été enchantés de le présenter. Beaucoup de talents émergent dans le cinéma flamand. Et il est plus intéressant pour nous de présenter cette nouvelle génération que juste un réalisateur et son film. Pour lui donner un coup de pouce, il nous a paru fondamental de sélectionner Moscow, Belgium, un film particulièrement
plaisant, doté d’une belle sensibilité. Qui plus est, on y découvre un réalisateur très doué : il suffisait de voir une seule minute de son film pour que sa présence à La Semaine de la Critique tombe sous le sens. Comment définirais-je le cinéma flamand ? Avant tout comme très créatif, très dynamique. Tout comme l’ont été, jusqu’il y a peu, les cinémas mexicain et sud-coréen. La production n’est pas volumineuse mais elle émane d’un vivier de réalisateurs, comédiens et techniciens hautement professionnels. C’est une industrie jeune et ambitieuse, avec des films qui savent toucher le public. La plupart des réalisateurs sont jeunes. Et les acteurs formidables : Barbara Sarafian (Aanrijding in Moscou), Sam Louwyck… Dans Lost Persons Area, il est la douleur incarnée et il joue le rôle opposé dans Bullhead… Sans oublier Jan Decleir, véritable icône local. À La Semaine de la Critique, nous avons quelques personnes chargées de nous informer de ce qui se fait de neuf et d’intéressant dans toutes les cinématographies de la planète. Nous sommes en contact avec les institutions culturelles de chaque pays ou essayons de l’être par l’intermédiaire de critiques reconnus qui nous alertent en cas de découverte. Nous avons pour la Flandre le critique et sélectionneur français Alex Masson, qui nous a averti qu’il s’y passait quelque chose d’important et qu’il était impératif qu’on s’y penche dessus. Depuis, nous restons informés en flux tendu : Alex va régulièrement en Flandre et nous voyons la plupart des films qui se font. C’est ma septième Semaine. Et la dernière. Je pars pour une raison particulière : ma femme est mexicaine et je veux vivre avec elle là-bas. Sept ans, c’est un pan de vie. Ce fut une magnifique expérience, mais il est temps de passer le flambeau. Propos recueillis par Geoffrey MacNab www.semainedelacritique.com
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#2 | été 2011 | e 3,99 Couverture Gust Van den Berghe vue par Bart Dewaele
NOUVEAU
CREDITS Rédacteur en chef Christian De Schutter Rédacteur adjoint + Direction artistique Nathalie Capiau Rédacteur adjoint / Numérique Karel Verhelst Sous-éditeurs Laurent d’Ursel, Katrien Maes, An Ratinckx Collaborateurs Alex Masson, Ian Mundell, Henry Womersley Traducteurs DICE Sources photographiques : Kris Dewitte (p.24, p.30-33), Nicolas Karakatsanis (p.6-7), Chloé Nicosia (p.46), Jo Voets (p.9, p.28-29)
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GUiDE DEs
Concept
TOURNAGES EN FLANDRE
Design Mia Impression Wilda NV Abonnements:
e 10 / an (trois numéros) Info: flandersimage@vaf.be
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Flanders Image/VAF Bd Bischoffsheim 38 B-1000 Bruxelles Belgique/EU T: +32-2-226 0630 F: +32-2-219 1936 E: flandersimage@vaf.be www.flandersimage.com
Flanders Image est une division du Flanders Audiovisual Fund (VAF). Nous remercions tout particulièrement : Myriam De Boeck, Sonja De Boeck, Dirk Cools, Fabian Desmicht, Pierre Drouot, Siebe Dumon, Marie-France Dupagne, Laurent d’Ursel, Paul Embrechts, Tom Van der Elst, Hans Everaert, Katrien Maes, Karin Pays, Karla Puttemans, Stef Rycken, Dirk Schoenmaekers, Katrijn Steylaerts, Sander Van Hellemont, Inge Verroken, Helga Vinck, Frédéric Young et tous les réalisateurs et producteurs qui nous ont aidé à réaliser ce numéro. Après la lecture de cette publication, veuillez la confier à un collègue, en faire don à une bibliothèque ou la recycler.
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