Un graphzine, ce n'est pas juste une suite d'images qui percutent, et encore moins lorsque ledit graphzine réunit plusieurs contributeurs. D'ordinaire, il y a un thème. Sinon, ce serait vite du n'importe quoi, et d'ailleurs, souvent, ça l'est. Du n'importe quoi.
Et donc ce numéro 17 de Peltex a un sujet mordant probablement assez peu exploré : la hyène. Par extension, les lycaons. Ca sent la métaphore, et ça l'est sans doute, mais pas que.
Génèse : j'ai commis il y a 2 ou trois ans une série de quatre ou cinq interventions sur des photographies représentant des hyènes : en recouvrant de poils les fauves (pas des poils de hyène malheureusement, c'est dur à trouver) puis en peignant sur cette texture, rouge/brun pour le sang, blanc pour l'os. Sur ce noyau iconique s'est greffée la suite, pour que cela devienne, justement, un thème. Un t'aime, en fait, parce que ces images sont des déclarations d'amour, si : "why we need to love humanity". Des images et des mots. Des maux et de la pitié. Le péché originel d'être né. Vous ne pigez pas ? Pas grave, c'est presque fait pour.
Et donc, l'image est oxymore, la symbolique de la hyène, ce serait plutôt la fin de l'humain, même si je vous épargne les détails à décharge, mère hyène dévouée, matriarchie, je m'en fous, vous aussi. Circons-
tance aggravante, les hyènes sont moches, par quelque bout qu'on les prenne; qui voudrait être recyclé par une hyène ? Et encore, écoutez leurs jérémiades, humez leur puanteur, elles vivent dans des entrailles.
Mes hyènes sont dévoreuses d'éclopés, assassines de petits gnous, de chatons guépards et de carnes déchues, une hyène n'est pas sentimentale, mais un moineau non plus, la pitié est seulement, et même pas toujours, humaine.
Je décris là mes charognards à moi, je remonte le fil de leur génèse comme on déroule un intestin grêle; ceux de Florence sont différents : ce sont de nobles hyènes, c'est l'Afrique éternelle, celle qui n'existe plus que dans les reportages d'Arte, celle des totems et des masques vaudous. Ses hyènes sont élégantes et signifiantes, elle font partie d'un discours, elles parlent d'ailleurs, elles sont les actrices d'une histoire rebelle à la modernité. On pourrait presque s'y attacher, parce que Florence est ainsi, elle voit du positif partout, elle est l'autre moitié de la bouteille à la mer qu'est devenu ce numéro improbable.
On en a bavé. Deux ans de travail, de questionnements, de doutes, de retour et de mélanges.
Gérard Alègre aussi a participé. C'est un taiseux, s'il en a bavé, c'est en silence. Ses animaux à lui sont des éclats de violence
nocturne, et pour le coup on est dans la brute familière, anthropomorphisme assumé, projecteurs sur l'assassin. Je n'ai rien demandé à Françoise Duvivier avant de m'approprier une sorte de créature qui rôdait sur son site-cimetière; lorsqu'il s'agit des images de Françoise, le crime a déjà eu lieu.
Quoi encore ? L'être humain, une hyène ? La bête est en nous ? Ce serait se vanter. Charognard et charogne en même temps, l'espèce fait ce qu'elle peut avec son système social de primate et ses vertiges philosophiques au-dessus de ses moyens. Ah oui, il me fallait une sorte de texte, j'avais besoin d'une bouillie typographique un peu rude pour habiller certaines images. Sur ces violences Afp, j'ai cousu délicatement des lambeaux de rêverie, même logique pour les textes que pour les images.
Parce qu'on est pas des bêtes. On essaye de ne pas être le chimpanzé d'à côté, et d'habiller tout ça d'un minimum de poésie. Je remercie infiniment Florence pour s'être pliée à ce thème improbable avec un enthousiasme et une énergie qui ont sauvé le projet au moment où je doutais de sa faisabilité, et même de son intérêt.
En l'an 2022, quelque part en automne Dominique LEBLANC
La mauvaise réputation
Est ce pour cette raison que j’ai endossé le rôle de défenderesse d’une cause déclarée perdue, celle de cet animal méphitique décrit par Dominique et conclut par un définitif, “et puis elles sont moches”…oui, bien sûr, une réputation c’est avant tout un florilège de lieux communs et préjugés. Mal connue et donc forcément mal aimée, notre hyène est en fait l’opposé de cet animal haineux doté de ce stupide et sarcastique ricanement, une autre de ses caractérisations, dans les sagas d’un certain Walt D, souvent amateur de clichés Charognard, elle ne l’est pas forcément, c’est une chasseuse plus redoutable que le lion, mais elle ne dédaigne pas la proie abandonnée, disputant ce rôle de nettoyeur aux vautours dont la mention, comme pour notre héroïne, tient lieu d’insulte bien saignante. Sont elles si vilaines, pas toujours non plus… elles ont ce qu’on retrouve aussi chez les primates, une variété incroyable de physionomies, on pourrait dire d’expressions, qui vont de cette gueule grande ouverte dotée d’une mâchoire toute carnassière, à une espèce de sourire de toutou benoit, arboré à l’occasion d’un tableau familial paisible. Elles sont en fait d’une très grande intelligence et disputent à ces primates, ou autres loups, l’existence d’une hiérarchie sociale complexe dans lequel la force physique n’est pas un critère. Madame Alpha existe bien, mais elle tient sa haute fonction de la qualité de ses
relations avec les autres membres du groupe, prends en de la graine, toi le supremaciste humanoïde..
Une société fondamentalement matriarcale ou le mâle a une fonction réduite à la reproduction, qui l’amène à quitter le groupe une fois sa mission assurée… voilà pour le tableau de cet animal qui pourrait potentiellement être un emblème féministe. Car la femelle est dotée d’une autre particularité plutôt rare dans le règne animal, elle arbore un pseudo penis, qui, s’il n’en a pas la fonction, est tout à fait semblable par son aspect et proportion…
Les africains ne s’y sont pas trompés, derrière la fantasmagorie aux fétides relents, sa réputation est toute autre, ils font un rituel de la nourrir ou de l’apprivoiser quant elle est dans leurs parages, sachant qu’en dehors d’une menace potentielle sur ses petits, elle ne sera jamais agressive, leur reconnaissance va aussi à sa fonction de nettoyeuse… Cette longue évocation digne d’un cours de sciences nat’, ma matière scolaire favorite, pour exprimer la teneur personnelle de cette aventure, ou j’ai multiplié à l’envie les portraits de la bestiole, incapable de me résoudre à n’y voir que la morbidité apparente du sujet, ou la projection anthropomorphe de nos turpitudes. Un cheptel d’héroïnes feminines, humaines elles, associées à la bête sont passées à la trappe… le Maître Peltex la voulait saignante, cette aventure graphique, mais elle ne l’auras pas été, de mon fait, décidément, je l’ai même
fait madone à l’occasion, la bête pas tant bestiale… Et j’ai injecté dans l’orchestration de nos productions, la mise en pages qui m’a été confiée, une profusion colorée la où mes comparses déclinaient les variantes légèrement grisées d’un noir guttural…Il l’a réclamait entrecoupée aussi de monochromies, pour le repos des yeux arguait il, n’y en aura pas eu, faute du choc charnel ou sanglant, j’ai opté pour celui de la couleur.
Ce sera aussi une histoire sans paroles… personne n’a trouvé les mots en dehors de l’éditorial et du présent épilogue en forme de droit de réponse. Gérard Alegre, Dominique ou Frédérique ont sondé les abysses de façon suffisamment éloquente…l’alchimie sacrificielle opérée par l’initiateur du projet, poils collés a une mixture d’un matériau indéfinissable d’où n’émergent que le blanc rouillé de l’os, n’affiche que ce seul «slogan» : WHY YOU NEED TO LOVE HUMANITY, le pourquoi et le comment étant les fils de cet écheveau inextricable, une trop longue histoire, où, dans le miroir des temps, l’Homme n’a plus de visage..
Je les abandonne aujourd’hui presqu’à regret, après avoir éparpillé par centaines d’octets, de multiples variations sur l’animal, un chapitre finalement plutôt consistant, sinon pesant dans mon périple créatif. Il était probablement temps, leur étreinte devenait presque suffocante, et leur intimité troublante, malgré ce grand tout… Florence Aussenard
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