La presqu’île d’Ambès sous pression et violence climatiques Quelles stratégies d’adaptation et de résilience en territoire inondable et périphérique ?
Flora Arènes Travail Personnel de Fin d’Etudes Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage - Bordeaux Novembre 2017 Directeur d’études : Vincent Tricaud
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Flora Arènes Travail Personnel de Fin d’Etudes Ecole nationale supérieure d’architecture et de paysage - Bordeaux Novembre 2017 Directeur d’études : Vincent Tricaud 4
Je tiens à remercier Mon directeur d’études Vincent Tricaud, pour son suivi et sa disponibilité ; Les professeurs et autres professionnels rencontrés durant ces années d’études, qui ont su faire mûrir en moi le goût du métier et alimenter la flamme ; Ma soeur Alexandra, pour ses relectures attentives et conseils toujours pertinents, mes yeux de cadette brilleront toujours sur toi et ton talent ; Mes camarades de promotion et ami(e)s dans la vie, pour le soutien et réconfort mutuels : merci à Gianni, Camille et Lucas ; Mes parents, qui m’ont fait confiance.
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Ce travail de fin d’études conduisant au diplôme de paysagiste DPLG a été soutenu le mercredi 29 novembre 2017 à 10h à l’école nationale supérieure d’architecture et de paysage de Bordeaux. Je tiens à remercier l’ensemble du jury de l’intérêt qu’ils ont porté à mon travail. Les jurés sont : M. Tricaud Vincent, paysagiste DPLG, urbaniste et enseignant de l’ENSAP, directeur d’études de ce présent travail ; M. Davasse Bernard, géographe et enseignant de l’ENSAP ; Mme Gilot Claire, paysagiste DPLG et co-directrice d’Exit Paysagistes ; Mme Gross Françoise, ingénieur écologue et directrice de Rivière Environnement ; et M. Poirier Franck, paysagiste DPLG et co-directeur de BASE. 6
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Les êtres vivants, tous compris, des virus et bactéries aux protozoaires, champignons, plantes et animaux, humains inclus, ont depuis leur apparition, construit les écosystèmes en s’organisant entre eux. Si durant des milliards et centaines de millions d’années, tout a évolué sous la pression des facteurs abiotiques (température, salinité de l’océan, longueur du jour…) et biotiques du milieu (facteurs liés au vivant, la nourriture par exemple, sa composition, sa disponibilité…), depuis une époque récente dénommée « anthropocène », la plus grande force évolutive sur cette planète est la présence de l’humain, associée à son cortège d’activités (plantes et animaux domestiques par exemple). Et la biodiversité aujourd’hui s’en va, elle s’en va inéluctablement, de plus en plus vite sous les « coups de boutoir » de l’humanité. Les raisons en sont les destructions et pollutions des milieux naturels, la surexploitation des ressources vivantes, dépassant alors leur seuil de « renouvelabilité », la dissémination anarchique d’espèces, certaines se révélant ensuite invasives et enfin le changement climatique et le réchauffement global dans lequel l’humain a bien sa part.
Gilles Boeuf, président du Muséum national d’histoire naturelle, professeur à l’Université Pierre & Marie Curie, professeur invité au Collège de France
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SOMMAIRE PROPOS INTRODUCTIFS
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1. Territoire je te choisis car tu es séduisant, complexe et instable 2. Un territoire « vivant » 3. Formuler une réponse locale adaptée aux changements climatiques mondiaux 4. Altérité entre les vivants 5. Paysage comme reflet des conflits et des dynamiques des écosystèmes ? PARTIE 1 // CONNAISSANCES DU TERRITOIRE
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0. Méthodologie d’approche du territoire A. Méthodes d’acquisition des savoirs B. Interdisciplinarité des savoirs I. Les grandes structures territoriales à l’échelle de l’Entre-Deux-Mers A. A l’échelle du département : contexte géographique de l’Entre-deux-Mers : deux fleuves et un estuaire B. La situation géomorphologique de l’Entre-Deux-Mers : trois grands ensembles C. Les enjeux métropolitains : stratégies urbaines et paysagères D. Périmètre d’étude
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II. Des types d’approches variées et complémentaires afin d’aborder la complexité du territoire de la presqu’île d’Ambès 1. Structures géographiques A. Topographie B. Hydrographie 2. Les éléments vivants sous l’angle des strates végétales basses, mi-hautes et hautes A. Les strates végétales basses créent des espaces ouverts B. Les strates végétales hautes créent des espaces moins transparents et fermés 3. Réseau viaire A. A l’échelle de l’aire métropolitaine : enjeux d’extension de la métropole B. A l’échelle de la presqu’île : la voirie existante comme point d’accroche 4. Typologies d’habitats et ressources foncières 5. Un territoire et des paysages réglementés A. Les enjeux liés à l’estuaire de la Gironde B. Limites administratives peu cohérentes avec la géographie et la réalité du territoire vécu C. Se prémunir des inondations : le PPRI est-il un document toujours adapté ? D. Cas concret : que nous enseigne la tempête Martin de 1999 ? E. Milieux naturels référencés réseau Natura 2000 F. Risques industriel et technologique : quelles légitimités des ressources ?
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III. Recomposer les structures territoriales à échelle de la presqu’île 1. Approches qui doivent être réinterprétées dans des logiques territoriales 2. Les enjeux propres à chaque logique
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PARTIE 2 // ENJEUX DU TERRITOIRE AUX VUES DES RISQUES ENCOURUS
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I. Dynamiques et invariables au cours du temps 0 > 100 ans : topographie et eau comme pré-requis
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II. Espaces à enjeux
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III. Enjeux déduits 1. Points bas 0 à 1 m NGF 2. Points bas 1 à 2 m NGF 3. Points intermédiaires 2 m > 5 m NGF 4. Points hauts > 5 m NGF
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PARTIE 3 // IMAGES MENTALES ET ÉTHIQUE DE PROJET L’harmonie territoriale selon Ambrogio Lorenzetti (...) Le projet de paysage comme outil possible afin d’établir une autre « carte du vivant » (...) S’affranchir du modèle centre/périphérie et ville/campagne (...) Les « marges » ou les espaces latents périphériques (...)
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PARTIE 4 // STRATEGIES DE PROJET et SITUATIONS TERRITORIALES I. Scénarios 1. s’adapter en résistant : collaboration étroite humain / territoire 2. s’adapter en reculant et en se mettant hors d’eau 3. s’adapter en trouvant des solutions mixtes de résistance et de recul
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II. Justification des situations choisies 1. Habitats amphibies : comment habiter en zone inondable ? 2. Recomposition de la périphérie : comment envisager la fin de la ville ? 3. Processus de renaturation : rendre les terres à la vie et à l’eau
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CONCLUSION ET OUVERTURE
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BIBLIOGRAPHIE
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PROPOS INTRODUCTIFS
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Ci-dessus : les installations de la raffinerie sur le bec d’Ambès, carte postale ancienne des voies ferrées de Gironde http://voiesferreesdegironde.e-monsite.com/pages/reseau-de-l-etat/bordeaux-bec-d-ambes.html 13
1. Territoire je te choisis car tu es séduisant, complexe et instable Il y a plus d’un an de cela, j’ai été amené à formuler les prémices de mon sujet de diplôme. Ma méthode de travail n’a pas été de sélectionner dans un premier temps un territoire par affinité ou par sentiment, mais de formuler un « thème » qui me passionnait et dont je souhaitais pouvoir consacrer du temps. Je choisis donc une situation territoriale particulière : la périphérie. Mais la périphérie, ce n’est pas qu’un seul terme, justement : à son envers s’en cache beaucoup d’autres, par addition ou opposition : banlieue, faubourg, périmètre, pourtour... ; il est impossible à travers lui seul d’y définir toute la complexité qu’il suppose, autant dans ses formes, ses usages et la manière dont il apparaît aux yeux des humains. Selon la première étymologie à la fin du XIIIe s, perifere est une « circonférence, un contour d’une figure curviligne » 1, dont la figure géométrique sera reprise au XXe s pour désigner l’ « ensemble des quartiers éloignés du centre d’une ville » 2. Malgré les mots pour la qualifier, la périphérie reste pour moi une énigme. Alors, comment la qualifier, comment lui donner sens et matière ? Il faut peut-être donc s’extraire des mots « faciles », des mots qui cloisonnent le langage, l’esprit et l’action, des mots qui n’ont plus la faculté d’ouvrir la pensée, de permettre le rêve. Au-delà du centre urbain, des boulevards et des autoroutes, que puis-je trouver en elle de si attirant ? Peut-être d’abord, son caractère instable. La périphérie n’est pas figée, elle se renouvelle sur elle-même : c’est un instant, c’est l’instabilité, sur le fil, de la tension que cela suppose, mais où tout est encore possible. Sûrement ensuite, sa capacité à se doter de multiples visages, car elle n’est pas seulement urbaine, pas totalement rurale ou naturelle. A la croisée de plusieurs mondes, elle ne semble vouloir appartenir à aucune vision homogène du territoire. Cette situation territoriale m’impose alors d’emblée de travailler avec la notion de temps, sous tous ses aspects : le temps humain et animal, le temps du végétal, le temps de l’eau ou de l’air... Parallèlement, le sujet m’imposait de définir un périmètre d’étude. Sur carte satellite m’apparaît alors la presqu’île d’Ambès, magnifique entité géographique dont les contours sont dessinés par les courbes gracieuses de deux fleuves. Ces deux fleuves puissants, Garonne et Dordogne, parcourant plaines et vallées, ont accueilli dans leur ventre une multitude d’autres eaux, fossés, ruisseaux ou rivières, pour se retrouver dans un même mouvement, à la convergence de plusieurs ensembles géomorphologiques. L’estuaire s’ouvre alors. La presqu’île est singulière : on y devine des terres fatalement soumises aux eaux qui la longent, comme un dialogue indéfectible. Elle est aussi une figure de proue face à cette immense étendue d’eau, une voie sans issue, où s’évanouissent les derniers fragments urbains de la bouillonnante métropole bordelaise. La presqu’île d’Ambès « termine » l’Entre-Deux-Mers comme il ouvre sur d’autres paysages : ceux de l’estuaire de la Gironde, des grands horizons et du règne de l’eau.
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Mathieu le Vilain, Metheores, éd. R. Edgren, p.19, ligne 1, CNTRL Romains, Copains, 1913, p.247
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2. Un territoire « vivant » « Souvent les territoires de périphérie des villes sont des paysages agricoles dévastés. Il ne s’agit pas de les restaurer mais de transposer le « langage paysager » à d’autres échelles, pour d’autres usages » Michel Desvignes Un territoire à rendre aux vivants Dans sa définition première, le terme de territoire est issu du latin territorium, signifiant littéralement « étendue sur laquelle vit un groupe humain » 3. Le territoire est donc politique : il est plus ou moins nettement délimité par des frontières, qu’elles soient naturelles ou informelles. Le territoire serait donc une construction humaine, le résultat de sociétés culturelles qui ont pu subdiviser une réalité matérielle, la terre, le monde, le globe... en parties distinctes et normalisées, du moins sur papier. Une question me vient alors. Un territoire, mais pour qui, et par qui le faisant exister ? Le territoire ne se définit-il pas également à travers toutes les formes du vivant qui le parcourent ? Pour Bruno Latour, sociologue, anthropologue et philosophe, la carte du monde et des territoires est dépassée, car elle est faite par les humains et pour les humains. Or, « si l’on définit le territoire par ce dont on dépend pour subsister » 4, ne faudrait-il pas donner un statut institutionnel, à toutes les entités qui permettent l’existence de ce territoire, et donc de nos nations : les sols, l’atmosphère, les animaux, les océans, les forêts... ? Aujourd’hui, le système actuel est-il encore viable à long terme ? Notre système économique globalisé semble engendrer une perte de cohérence, de respect des territoires et d’entente entre ceux qui habitent ces territoires. Certains modes d’habiter engendrent une dégradation des écosystèmes et un usage trop extensif de la terre. Certains espaces anthropisés sont vulnérables et inadaptés aux écosystèmes qui sont en train de se bouleverser. L’adaptation aux changements climatiques est primordiale pour la pérennité des espèces. La question n’est-elle pas de réorganiser la manière d’habiter par rapport aux logiques naturelles, géographiques..., et se baser sur la coopération et la diversification ? Changer de paradigme Le sujet suppose en effet de dépasser une vision historique de notre société occidentale fondée sur une conception binaire du territoire, en deux entités distinctes et opposées : la ville et la campagne. Si l’on a jadis érigé des murs pour protéger la ville du reste du territoire, les pierres sont tombées depuis et les limites ont pris des formes diverses. C’est précisément la question des limites qu’il faut repenser : « à la mitoyenneté, aujourd’hui conflictuelle, entre ces deux mondes qui s’ignorent et se repoussent, alors que c’est là, précisément, où se joueront, demain, les projets de réconciliation que je souhaite » 5. La périphérie est cette situation territoriale conséquente de la croissance des villes qui vient rencontrer les espaces « autres », non urbains. Alors, de quoi et par qui est formée la périphérie ? Si elle contient des lieux dévastés, relégués et oubliés, en marge, est-ce ces derniers qui pourraient fournir les ressources potentielles à son renouvellement ? Se pourrait-il que les bords de ville et de campagne soient le terrain d’expressivité de nouveaux paysages ? Peut-on proposer une « fin » de ville par une réflexion par son pourtour ? Synergie, surface d’échanges (lisières et écotones) et stratégies résilientes (ressources) La périphérie se compose de multiples lieux qui possèdent leurs propres logiques, parfois en concurrence : les interfaces génèrent alors des conflits. Les conflits induisent des sources de tensions, les paysages les rendent visibles. Quelles sont les logiques, pourquoi, et comment ne pourraient-elles pas trouver un terrain d’entente ? J’émets donc une hypothèse : penser la coopération par la lisière, c’est-à-dire considérer les marges de ces espaces comme des éléments de liaison d’un système plus large, ayant la capacité de générer de la fertilité. Quels seraient leurs atouts ? Fondamentalement, ils faudraient que ces lisières soient pensées dans des stratégies résilientes à partir des ressources sur place, qu’elles soient végétales, animales, géographiques... Sur le principe de l’écotone. Permettre le renouvellement naturel des ressources du territoire permettrait-il le maintien du système et des paysages dans la durée ? Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Le Robert, 1992 « Comment représenter les forêts, les pôles et les océans », Article de Bruno Latour, http://www.lemonde.fr/international/article/2016/01/18/ bruno-latour-comment-representer-les-forets-les-poles-et-les-oceans_4848969_3210.html 5 « Le paysage, une expérience pour construire la ville, Michel Corajoud, Juillet 2003, Paris 3 4
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3. Formuler une réponse locale adaptée aux changements climatiques mondiaux Une nouvelle ère : l’époque anthropocène Un lien de causalité des activités humaines sur le bouleversement du système terrestre semble désormais clairement établi ; ce lien est « très probable » pour le GIEC (95% de chances) et partagé par une grande communauté de scientifiques et chercheurs, même si « l’entrée dans l’anthropocène n’est pas encore actée par la Commission internationale de stratigraphie et l’Union internationale des sciences géologiques » 6. En effet, ce ne sont pas des changements qui sont l’effet de cycles naturels répétitifs comme certains climatospectiques pourraient le prétendre (les épisodes de réchauffement/refroidissement, connus sous le nom d’événements de Dansgaard-Oeschger) mais bien un « déséquilibre énergétique global d’importance ». Cette époque, marquée par diverses manifestations à la surface du globe, est appelée en sciences humaines l’époque « anthropocène ». Toujours dans l’article du Monde, selon Will Steffen, chercheur à l’Université de Stockholm (Suède) et à l’Université nationale australienne, nous serions rentrés dans une nouvelle ère géologique : « En un peu plus de deux générations, l’humanité est devenue une force géologique à l’échelle de la planète ». En effet, même si le système humain a, depuis tout temps, modifié son environnement, le rythme et l’amplitutude de la production et de la consommation de bien se sont intensifiés dès le milieu du siècle dernier. Néanmoins, une autre variable rentre en compte puisqu’on ne peut attribuer à chaque nation le même niveau de responsabilité. Il faut distinguer trois grands « groupes », les pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique (comprenant 35 pays membres dont la France), les pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), et ceux en développement. Ce sont les membres de l’OCDE « qui possédaient en 2010 près des trois quarts de la richesse mondiale (somme des produits intérieurs bruts), alors qu’ils ne totalisaient que 18 % de la population ». Les données scientifiques du GIEC entrent-elles en résonance avec d’actuelles et futures problématiques territoriales de la presqu’île d’Ambès ? Le Cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC) 7, publié dès 2013, est un document en trois volets qui rassemble les travaux de chercheurs du monde entier. Ce document renseigne à la fois sur les changements climatiques globaux passés et également sur les perspectives possibles de changements futurs à la fois dans le temps (à court, moyen ou long terme), et dans leur niveau de gravité (quatre scénarios, du plus optimiste ou plus pessimiste). J’ai donc identifié deux phénomènes climatiques qui auront une conséquence directe sur le territoire de la presqu’île d’Ambès : - la hausse du niveau des mers : à moyen terme (horizon 2050), cette hausse serait potentiellement comprise entre 17 et 38 cm, située entre 29 et 82 centimètres d’ici la fin du 21ème siècle (2081-2100) et si le rythme continue, elle serait de 3m en 2300 ! Cette hausse entraîne par conséquent une hausse du niveau des fleuves, qui sera d’autant plus visible près des embouchures. Certaines parties de la presqu’île en seraient donc impactées, puisqu’on retrouve de nombreux points bas proches du niveau de la mer. - la hausse des températures moyennes de l’air : à court et moyen terme (2016-2035), l’augmentation moyenne serait de 0,5°C, mais elles grimperaient de façon alarmante jusqu’à la fin du siècle, le scénario le plus optimiste prévoyant un peu moins de 2°C et le plus pessimiste (et le plus probable si rien ne change), 5,5°C. Il faut également intégrer le fait que les épisodes plutôt rares (comme des vagues extrêmes de températures froides ou chaudes) se feront de plus en plus extrèmes et fréquentes. De plus, l’eau de mer se dilate avec la chaleur : une augmentation des températures fera donc augmenter le volume de l’eau (+1,1mm/an). Si le climat change, ce sont toutes les espèces animales et végétales qui en seront impactées, avec des capacités de déplacement et d’adaptation très variables selon les espèces. http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/01/15/nous-sommes-entres-dans-l-anthropocene depuis-1950_4557141_3244.html#Xs2Pkm4wz7Z85fyC.99 7 GIEC, 2014: Changements climatiques 2014: Rapport de synthèse. Contribution des Groupes de travail I, II et III au cinquième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [Sous la direction de l’équipe de rédaction principale, R.K. Pachauri et L.A. Meyer].GIEC, Genève, Suisse, 161 p. 6
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4. Altérité entre les vivants A travers les trois années de formation, deux sujets de travail m’ont particulièrement marqués. Traitant du rôle de l’humain dans les changements climatiques, ils ont exercé sur moi un attrait certain. En deuxième année, il nous a été proposé d’aborder et de comprendre l’état des paysages visibles par ses principaux déterminants naturels et sociaux, afin de créer une base de connaissance solide permettant d’envisager l’avenir de ces paysages (mémoire 100 ans de paysage). Le choix de mon territoire s’est porté sur la plaine et le littoral biterrois, dans l’Hérault (à une soixantaine de kilomètres de Montpellier), avec notamment l’étude de l’évolution du tracé du littoral sous l’influence anthropique. En troisième année, nous avons proposé un projet territorial et paysager se devant être évolutif au vue des risques de submersion marine et d’érosion côtière sur la commune de Capbreton (dans le cadre du C10A) : un projet fait de scénarios, d’hypothèses, et loin de proposer une image fixe de l’avenir de la commune. Pour cette quatrième et dernière année, je tenais particulièrement à intégrer complètement ces sujets qui me paraissent être des enjeux fondamentaux et auxquels on fera sans doute face, à différentes échelles, dans notre future profession de paysagiste. La prise de conscience de notre responsabilité entraîne également d’autres remises en question d’ordre philosophique : doit-on revoir notre rapport au monde vivant ? Notre système de pensée occidental n’est-il pas plus destructeur qu’égalitaire ? Notre pensée occidentale est-elle avilissante envers les systèmes vivants ? Si nous modifions profondément les systèmes climatiques et vivants de manière irréversible, c’est aussi lié au fait que notre culture occidentale a appris à voir le monde uniquement comme une matière, sans capacité de penser. Nous ne donnons pas la même « capacité d’agir » aux autres espèces vivantes. A travers le temps, nous avons soumis l’entièreté des systèmes vivants (qu’il soit animal ou végétal) à notre règne, considérant qu’ils étaient des ressources potentielles à notre développement. Changer de paradigme et de point de vue peuvent-ils être la solution, en essayant tout d’abord de les comprendre ? Il faut se tourner vers d’autres cultures qui ont une toute autre opinion que la notre de la nature, qui comprennent chacune de leurs particularités et qui ont par conséquent développé des formes d’échanges adaptés. C’est ce que nous raconte l’anthropologue Eduardo Kohn 8. Le peuple des chasseurs Runa d’Amazonie, cultive l’animéité, qui est cette faculté à considérer l’ensemble des êtres vivants comme des personnes qui ont leur propre mode de communication. Les arbres en sont un exemple particulièrement intéressant, puisqu’ils sont interdépendants les uns des autres, à la fois dans le sol en formant un réseau racinaire et à la fois dans l’air en libérant des substances chimiques, leur permettant de communiquer de certains dangers, de donner l’alerte vis-à-vis de prédateurs etc. En Afrique, lorsque les antilopes broutent les feuilles des acacias, ces derniers libèrent des enzymes par l’air qui avertissent les autres arbres dans un certain rayon de kilomètres, permettant aux autres d’enclencher un processus chimique rendant les feuilles toxiques pour les mammifères 9. Imperceptible pour nous, ce mode de communication est pourtant bien réel. Nous concernant, notre langage humain est constitué de symboles prenant la forme de mots qui constituent notre référentiel culturel. Or, nos modes de vie ont tendance à perdre de vue le référentiel de ces mots, ce qu’ils représentent dans la réalité, et ce qui est la nature. Par conséquent, la cassure entre l’humain et le reste du monde vivant s’accentue et nous ne sommes pas aussi attentifs que nous devrions l’être à son propre système de pensée et de langage, qui se traduit au-delà des mots et ne sont pas symboliques : sons, odeurs, visions... Les enjeux politiques seraient de pouvoir considérer ces pensées non-humaines à part égales, « en tant que modes de pensée et d’action, afin de soutenir les espaces où elle peut se produire », affirme l’anthropologue, car « il est tout aussi important à cet égard de préserver une forêt tropicale qu’un démocratie ou une université ». Ce sujet implique donc divers questionnements relatifs au statut de la profession. De quelles manières cette dernière peut-elle répondre à ces enjeux ? A-t-elle la capacité de proposer des visions sur le long terme, qui s’accordent aux rythmes des systèmes vivants ? Doit-elle s’affranchir de visions datées, héritages d’une certaine esthétique occidentale du paysage ? « Comment pensent les forêts », entretien avec Eduardo Kohn, par Pauline Briand et Anne de Malleray, p.7, Revue Billebaude n°10, Eté 2017, « Sur la piste animale ». 9 « Les langages secrets de la nature », Jean-Marie Pelt, Editeur Le livre de poche, avril 1998 8
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5. Paysage comme reflet des conflits et des dynamiques des écosystèmes ? La notion de paysage n’a eu de cesse, à travers les époques et les cultures, de se modifier et se recomposer. Elle est marqué néanmoins par une tendance dominante de penser que le paysage est le résultat d’une force et d’une démonstration politiques. A travers notre histoire occidentale, de nombreux exemples en font l’illustration. A la fin du XVIIIe s en Angleterre, l’apparition de jardins anglais renvoie à l’émergence d’une domination socio-politique. Cette élite aristocratique a exercé une forte oppression sociale en chassant la paysannerie locale lorsque cette dernière gênait la construction de grandes propriétés. Les peintres qui étaient alors également paysagistes, mettaient en scène une Angleterre riche qui souhaitait se rapprocher d’une certaine idée de nature. Le paysage peut être alors considéré comme un outil de propagande qui a masqué et légitimé l’oppression sociale. Un autre exemple, cette fois en Italie, nous montre encore une fois que les configurations géographiques du paysage ont servi à faire valoir une certaine manifestation du pouvoir. La villa Médicis, ancienne villa de villégiature construite autour de 1450 dans la région de Toscane, est construite sur un versant dominant la plaine en contrebas. Dans cette plaine s’est implantée la ville de Florence, et une des plus spectatulaires architectures y fut édifiée : la cathédrale Santa Maria del Fiore et sa coupole. La coupole, dont le maître d’oeuvre fut Filippo Brunelleschi, est une construction autoportée d’une largeur de près de 42 mètres, qui a eu pour but de marquer le paysage toscan de très loin. Et c’est tournée vers cette cathédrale que la villa de Giovanni Médicis, propriétaire (collectionneur, mécène, homme d’affaires, entre autres), fut construite. L’ouverture sur le grand paysage et la correspondance visuelle établit avec le Duomo de Florence illustre la pensée humaniste, celle d’un paysage-décor, paysage comme support d’une emprise intellectuelle et politique. Qu’en est-il aujourd’hui ? Une pensée commune de multiples chercheurs en histoire de l’art, anthropologues, philosophes, artistes, éthologues, paysagistes etc, qui ont contribué à un numéro de la revue Billebaude (revue d’analyses, d’interviews, de récits), remet précisément en cause notre imaginaire moderne, celui qui nous dit que « le paysage naturel est un beau panorama, une carte postale, un décor plaisant pour l’oeil humain ». Si le paysage se réduit à un décor, ça serait « parce que nous restons devant, sans voir ceux qui l’animent » 10. Ne faudrait-il pas revoir les fondements de la constitution de paysages, hautement plus dynamiques qu’un support neutre aux établissements humains ? Le paysage est-il vraiment cette toile de fond, où les végétaux seraient des entités fixes et muettes, et les animaux des bêtes dénuées d’intelligence ? Le paysage peut-il encore être considéré comme la conséquence volontaire et forcée de l’emprise de l’humain sur son territoire ? A travers ce présent diplôme, il sera donc question de formuler des hypothèses d’une nouvelle définition du paysage. Une définition profondément plus vivante aux dimensions exploratrices, où le paysage est avant tout un monde habité, le seul, celui des espèces de l’air, de la terre, de l’eau, du feu...
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Préface « Animer le paysage », par Anne de Malleray, Revue Billebaude n°10, Eté 2017, « Sur la piste animale ».
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PARTIE 1 CONNAISSANCES DU TERRITOIRE
« Choisir, c’est renoncer » André Gide
Cette première partie vise à acquérir des connaissances du territoire orientées à partir de la problématique du thème de l’étude : La recherche de connaissances est fondamentale pour appréhender à la fois le territoire dans son ensemble, mais également dans ses particularités. Ne pas se noyer dans la complexité relève d’un tri, ce qui suggère le caractère imparfait de cette sélection pour certains. Comment éviter d’empiler les informations, afin d’éviter un document lourd et complexe ? Avant de présenter cette partie, il me semblait important de réfléchir aux méthodes « d’acquisition » de ces connaissances : quels sont les outils que je choisis, pour quelles raisons, et quelles sont leurs failles potentielles ? J’aimerais également aborder dans le même temps l’importance d’une dimension interdisciplinaire afin de pouvoir la complexité d’un territoire vivant. ORGANISATION DE LA PARTIE 1 Cette partie est divisée en plusieurs sous-parties, quatre temps de réflexion, dont chacun comprend des points et des stades différents d’analyse. La sous-partie (0) vise à présenter la méthodologie d’approche du territoire : seront ici développées les méthodes d’acquisition des savoirs et l’importance de l’interdisciplinarité ; La sous-partie (I) offrira une première approche du site par les grandes structures territoriales à l’échelle de l’Entre-deux-Mers ; La sous-partie (II) offrira une lecture analytique et problématisée par différentes types d’approches variés du territoire de la presqu’île ; La sous-partie (III) visera à recomposer ces approches par quatre logiques à l’oeuvre dans le territoire.
Ci-contre : Carte de Cassini, extrait de la feuille de Bordeaux n°104, 1740, source IGNF
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0. Méthodologie d’approche du territoire Il me semble important de réfléchir aux outils qui vont me permettre d’acquérir des connaissances. Ils sont loin d’être neutres, présentent leurs intérêts mais aussi leurs limites. Pour quelles raisons les manipule-t-on, comment et quelles sont leurs faiblesses ? Ces outils sont de natures différentes, ils sont complémentaires car individuellement sont incomplets ; mais ils offrent une lecture croisée du site, afin de comprendre l’ensemble des interactions en jeu. L’idée est donc d’éviter l’analyse « mono-orientée » à travers un seul outil et développer des points de vue différents. Il y a deux grands « types » de données : - les données de type « géoréférencées », c’est-à-dire les cartes satellites, IGN ou SIG; - les données constituées par un travail de « terrain, in-situ », tels que le récit, la photographie, le vélo... A. Méthodes d’acquisition des savoirs > L’image satellite La photographie aérienne, qui peut être prise à différentes hauteurs de prises de vue, retranscrit la matérialité du territoire. En effet, les formes, les couleurs apparaissent telles qu’elles sont. C’est une chance donc de pouvoir contempler le territoire à vol d’oiseau ou d’avion. L’image satellite nous offre à voir des « ensembles » géographiques, là où du sol nous ne pouvons saisir ces sortes de systèmes. > La cartographie « L’échelle de la carte excède les capacités perceptives naturelles de l’individu » : il devient alors « possible d’accéder visuellement au monde dans lequel on se trouve plongé sans pouvoir le dominer du regard ». Jean-Marc Besse La cartographie ancienne permet de témoigner d’un état, à ce moment donné, du territoire. La presqu’île fut représentée dès l’apparition du premier système cartographique établie à l’échelle du royaume de France, la Carte de Cassini, au XVIIIe s. Par la suite, au XIXe s, la Carte d’Etat-Major pris la suite et vient actualiser les anciennes données, en offrant toute fois une nouveauté importante : celle de la représentation du relief à l’aide de calculs planimétriques et altimétriques. Les ressources proposées par la cartographie actuelle sont très intéressantes en terme de données. Elles offrent une lecture complémentaire à l’image satellite : je parle de deux types de fonds. D’abord le fond cartographique (carte topographique TOP 25) proposé par l’Institut national de l’Information Géographique et Forestière (IGN), plus précisément à l’échelle 1/25 000, échelle qui sera couramment utilisée durant les temps de recherche, mais aussi de projet. Ce dernier permet une lecture rationalisé et codifié du territoire, où chaque élément est renvoyé à une légende pour comprendre quelle est sa nature précise. Ce fond permet, à travers ce système, de pouvoir « décortiquer » une réalité complexe quand on l’aborde à première vue, il est à la fois équilibré entre la précision de ses détails et une relative facilité de lecture. Il permet également de se repérer grâce à une échelle et à un système de mesure du terrain simplifié (un carré d’un cm sur la carte est égal à 250 m dans la réalité). Deuxième outil, le Système d’Information Géographique permet de lire des informations de différents types, « concernant des phénomènes directement ou indirectement associés à une localisation terrestre » (définition normalisée – réf Afnor, août 1999), c’est donc un « ensemble de données repérées dans l’espace, structuré de façon à pouvoir en extraire commodément des synthèses utiles à la décision » (source Michel Didier, 1990). Ces données se lisent à travers un logiciel OpenSource, dans ce cas là QGis, qui correspond à un « généraliste bureautique », permettant d’importer des données externes, de les modifier et de les exporter. Les avantages du SIG sont divers : ils permettent tout d’abord d’adopter des échelles d’utilisation diverses : de la grande échelle (1/200 000e et plus), moyenne (1/25 000 au 1/200 000e) ou plus petite (1/100e au 1/25 21
000e). Les données qui seront utilisées sont des données publiques mises à disposition par Bordeaux Métropole depuis septembre 2010 (data.bordeaux-métropole.fr). Cet OpenData permet donc de télécharger gratuitement des fichiers assimilables par le logiciel Qgis. Le maniement libre des données permettra donc de composer des cartes personnelles, qui auront l’avantage de retranscrire une lecture orientée du territoire. Pour Jean-Marc Besse, directeur de recherche au CNRS et codirecteur des Carnets du Paysage, la cartographie porte déjà la démarche projectuelle, car « les diverses opérations de recueil d’informations, de sélection, de schématisation, de synthèse (…) qui définissent intellectuellement et pratiquement l’activité cartographique font de la carte un « opérateur de construction du paysage » (dernière citation de Gilles A. Tiberghien). L’activité cartographique sous-tend donc la préparation du projet, elle n’est donc pas neutre ou passive : « les diverses procédures cartographiques de sélection, de schématisation et de synthèse font de la carte déjà un projet en train de se faire » (James Corner, paysagiste américain). « (...) le projet de paysage est une cartographie du territoire, et en cela il est une reconfiguration du territoire. Plus exactement dit, il est en soi-même un acte de territorialisation, qui s’exprime entre autres dans une reconfiguration cartographique. » Jean-Marc Besse Il y a évidemment des limites à ces outils. Le premier serait de s’enfermer dans ce mode de représentation qui a également le souci de prendre beaucoup de recul et de distance vis-à-vis du site, et d’arriver à une sorte d’abstraction du territoire. Car en effet, il ne faut pas oublier que la vue à vol d’oiseau est avant tout une lecture d’ensemble, et que la réalité du terrain peut se confronter ou contredire la vue globalisante. Pour Jacques Sgard, paysagiste, il considère ce manque comme un atout, car pour lui le projet se trouve dans la relation entre la carte et le terrain : ce qui manque à la carte, le terrain lui révèle, c’est-à-dire la singularité du paysage : « Ce qui est intéressant, ce n’est donc pas ce que la carte nous apprend du paysage, mais ce qu’elle ne nous dit pas. Le paysage est affaire de sensibilité, et cette dimension-là est absente de la carte. » Ainsi, il est fondamental de lier la carte à d’autres outils. En citant Jean-Marc Besse, qui nous conduit à la suite de notre cheminement de pensée : « « la carte » est, par ailleurs, une coupe instantanée dans un processus de figuration qui commence dès la première esquisse de terrain, peut-être même dès la première anticipation, avant tout dessin effectif, avant la rencontre du terrain. En ce sens il n’y a pas lieu, pour le paysagiste en particulier, de séparer de manière absolue la carte de l’ensemble des figurations qui l’accompagnent (croquis, maquettes, diagrammes, etc.). » > Le récit concerne permet d’évoquer le territoire. Ce qui est intéressant sera de varier les formes d’écriture : la description, l’observation, la problématisation, la poétisation... > L’outil photographique permet de fixer un moment qui s’inscrit dans une temporalité (le jour ou la nuit, l’heure...) dans un lieu donné. Le cadrage de la photographie relève d’un choix de montrer certains éléments par rapport à d’autres. Elle peut révéler de l’esthétisation des choses, de l’observation, d’un constat... Elle est donc toujours orientée et subjective, elle délivre un message, vient en renfort de propos, etc. > Tout comme la photographie, l’outil dessin est une vue particulière sur une situation. Le dessin se révèle davantage sélectif puisqu’il peut ne pas montrer l’entièreté de ce qui est sous les yeux de l’observateur, contrairement à la photographie qui fixe la réalité du terrain. Ce médium se montre particulièrement intéressant dans sa fonction sélective et dans sa manière de révéler la personnalité de son auteur.
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> Le vélo rend le piéton « amélioré » de vitesse Rapidement s’est posée la question de comment découvrir physiquement le territoire. Ne possédant pas de voiture, moyen de locomotion qui semble le plus « facile » et « pratique » afin d’arpenter un territoire, je choisis d’utiliser le vélo. Le vélo permet au piéton de se déplacer plus vite, tout en mobilisant l’énergie que son corps peut produire, par pédalage. Je découvris alors de multiples avantages et bénéfices que cet outil revêt. Le vélo est pour le piéton qui veut se déplacer à la fois plus vite, mais assez lentement afin de se rendre compte pleinement de la matérialité du territoire, dans ses aspects les plus sensoriels. Ces « possibilités sensorielles » sont autant d’atouts qui sont utiles dans la perception de l’espace : ressentir l’air frais, la pression du vent sur le corps ; la lumière aveuglante ou lorsqu’elle se diffuse entre les nuages ; entendre les bruits ambiants, les insectes ou les autoroutes ; observer sans gêne les paysages sous nos yeux : l’habitacle de la voiture étant limitant (vues obstruées, perte du rapport sensoriel à l’extérieur). D’un point de vue pratique, le vélo permet de s’immiscer (presque) partout, de s’affranchir parfois des routes qui limitent les voitures : il est facile de s’arrêter sur le bas-côté, de poser son vélo, d’aller plus loin en marchant ; de faire demi-tour, de se rendre que l’on est en propriété privée, de repartir, de continuer, et de recommencer. Le vélo engendre l’effort, un effort qui permet de sentir le territoire dans ses jambes, s’en imprégner ; et en avançant, sentir ses longueurs, ses variations topographiques, ses textures. > « Les paysages de la Seine à vélo » Un « atelier itinérant » organisé par l’école nationale supérieure du paysage de Versailles en 2016 place le vélo comme un « nouvel outil d’appréhension du terrain ». Dans le cadre d’un cursus de formation et avec d’autres étudiants des écoles supérieures du territoire de la Seine, le petit groupe a parcouru entre 60 et 80 kilomètres durant une semaine « dans le but de développer des réflexions sensibles et pragmatiques liées à la réalité du terrain ». Cette expérience a permis de questionner la réseau de mobilités douces sur l’axe Cherbourg/Paris afin de trouver des solutions de projet adaptés. Cette expérience prouve également du besoin d’élargir notre spectre d’outils de découverte du terrain. « Nous on propose tout simplement de sortir de la logique des cartes pour être plus dans la pratique du territoire et pour pouvoir apporter un témoignage sur la réalité du parcours aujourd’hui. »
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Extrait d’une planche de photographies, « Présences animales », Sonia Levy, p.44, Revue Billebaude n°10, Eté 2017, « Sur la piste animale ». 25
B. Interdisciplinarité des savoirs Le paysagiste ne possède pas à lui seul les meilleures clés de lecture afin de comprendre les paysages et le vivant et d’en identifier les besoins. Pour se faire, il paraît indispensable de recourir à un champ de savoirs interdisciplinaire, celui composé par des professions qui sembleraient éloignées du champ classique de l’aménagement du territoire, mais qui développent des points de vue riches et parfois originaux sur le monde, en liant souvent des méthodes et des outils intéressants afin d’acquérir des savoirs. « (...) une approche interdisciplinaire est nécessaire pour la compréhension et la représentation de ces nouveaux territoires affectés par l’expansion urbaine et ses processus industriels » Sonia Levy Beaucoup de praticiens, qu’ils soient urbanistes, paysagistes, architectes, écrivains, scientifiques, géographes, ingénieurs etc, ont développé leur propre manière d’observer et de posséder leurs propres entrées dans les paysages. Si leurs buts ne sont pas forcément dans la formalisation d’un projet de paysage, leurs pratiques sont intéressantes à connaître car sous certains aspects, elles complètent le champ du paysagiste, et prouvent de l’importance de construire à plusieurs une réflexion. Georges Pérec, écrivain de la deuxième partie du XXe siècle, n’a cessé à travers de multiples essais (« Espèces d’espaces », « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien », ou encore l’oeuvre inachevée « Les Lieux » ), de parler de l’espace et du temps qui passe, en optant pour une méthode d’observation et de description méthodiques des lieux ordinaires. Parce que nous aurons perdu la faculté réelle d’observer, Pérec nous invite alors à réinterroger l’espace autour de nous : « ou, plus simplement encore, de le lire ; car ce que nous appelons quotidienneté n’est pas évidence, mais opacité : une forme de cécité, une manière d’anesthésie ». Sa méthode permet de nous réinterroger sur le besoin que l’on devrait avoir de retrouver une écoute attentive de notre environnement, afin de mieux le comprendre. Ce qui est également intéressant d’un point de vue formel, c’est la liberté qu’il se donne dans son écriture ; les formes varient, d’une écriture spontanée à une plus travaillée. J’essaierais donc, sans prétendre avoir les qualités d’un écrivain, de varier les formes de récit, de descriptions... Parfois, c’est le dispositif de capture d’informations qui peut faire converger des champs disciplinaires. C’est le cas d’un dispositif photographique, principalement à visée scientifique, mis en place par l’artiste Sonia Levy dans son jardin de Londres, en 2010, intitulé « Urban Foxes ». Plusieurs caméras pièges ont été installées, qui permettent de se déclencher sans la présence de l’humain car munies de capteurs thermiques et de détecteurs de mouvement. L’artiste a amassé plus de 2 000 images de renards qui revenaient régulièrement dans son jardin, empruntant les murs qui séparent les jardins comme des chemins. Outre le détournement du protocole scientifique, Sonia Levy pose à travers ces séries d’images la question d’un besoin de partage des espaces et de cohabitation. La campagne qui se modifie, n’offre pas toujours les ressources nécessaires alors que nos villes, explique-t-elle, « regorgent d’opportunités alimentaires pour un charognard comme le renard » 11. Le champ scientifique permet également d’avoir une certaine approche des écosystèmes. Généralement scientifique de terrain, l’éco-éthologue, quant à lui, s’attache à comprendre comment l’animal se déplace et quelles sont les conséquences de son déplacement dans les écosystèmes. Adopter le regard de l’écoéthologue, c’est changer de posture sur le paysage, non plus en l’observant de manière statique à partir de ses éléments physiques, mais en comprenant qu’il est constitué de milliers de vivants qui le composent et « l’entretiennent », en quelque sorte.
11
« Présences animales », Sonia Levy, propos recueillis par Arnaud Aubry, p.42, Revue Billebaude n°10, Eté 2017, « Sur la piste animale ».
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I. Les grandes structures territoriales à l’échelle de l’Entre-deux-Mers A. A l’échelle du département : contexte géographique de l’Entre-deux-Mers : deux fleuves et un estuaire Le territoire d’étude s’inscrit dans le département de la Gironde qui constitue un des onze départements de la Nouvelle-Aquitaine. L’estuaire de la Gironde naît de la confluence des deux fleuves Garonne et Dordogne, confluence qui prend naissance au Bec d’Ambès et trouve son exutoire dans l’Océan Atlantique. L’estuaire prend naissance là où les terres de l’Entre-Deux-Mers finissent en forme de « bec », d’où la dénomination du Bec d’Ambès. A la fin du XVIIIe siècle, le département pris, pour quelques années, le nom du « département du Becd’Ambès », détail qui constitue une preuve intéressante de l’intérêt porté aux fleuves et particulièrement à la situation de la confluence. Le territoire choisi se place donc à la charnière entre ces fleuves puissants qui bordent la région qu’est l’EntreDeux-Mers. Cette dernière est une région naturelle du département, et comme son nom l’indique, « inter duo maria », elle s’inscrit entre Garonne et Dordogne. Cette formule est probablement d’origine antique et indique que ces cours d’eau subissent l’influence des marées : elle est employée en 615 dans le testament de Bertechramnus, évêque du Mans, à propos d’une villa qu’il possédait à Floirac : Villa Floriaco sita inter duo maria. En effet, l’estuaire de la Gironde, le plus grand d’Europe occidentale, est fortement soumis aux rythmes des marées, créant ainsi un partage entre eau salée et eau douce. La marée remonte, dans la Dordogne, jusqu’à Castillon-la-Bataille, à quelques kilomètres en amont de Libourne, et jusqu’à Casseuil dans la Garonne, un peu en amont de Langon.
l’estuaire de la Gironde
territoire étudié : la presque-île d’Ambès
la Dordogne Bordeaux et son agglomération la Garonne
ord 28
ord
n échantillo territoire étudié : la presque-île d’Ambès
du grand
0
5 000 m 2 500 m
10 000 m
ensemble
1
2
3
29
B. La situation géomorphologique de l’Entre-Deux-Mers : trois grands ensembles La période allant de -23 à -5,5 millions d’années, appelée Miocène, a permis la sortie des eaux des terres de l’Entre-deux-Mers qui étaient alors recouvertes par l’océan. Cette transformation naturelle de grande ampleur a formé trois grands ensembles géomorphologiques distincts : 1. une plaine fluvio-maritime qui forme une frange qui se développe de la Réole à Lormont et recommence de Bassens au Bec d’Ambès et se termine dans le marais d’Izon côté Dordogne. La plaine pénètre dans les terres jusqu’aux limites d’Ambarès-et-Lagrave. Elle ne dépasse pas les 5 à 10 mètres d’altitude. Deux des secteurs sont largement inondables : le premier de Saint-Macaire à Tabanac sur la Garonne, au sud de Bordeaux, et le deuxième de la presqu’île d’Ambès à Moulon sur la Dordogne. Cette plaine est formée de dépôts de sable, de limons, de graviers et de sables argileux dits « molasses supérieures du Fronsadais », provenant de la Dordogne au cours du Quartenaire. Cette plaine est fortement soumise au régime des marées provenant de l’océan. 2. le coteau, formé des pentes du plateau calcaire de l’Entre-deux-Mers. Les coteaux au nord, allant d’Ambarèset-Lagrave à Arveyres sont constitués de terrasses alluviales du Quartenaire dominant les deux fleuves. A l’ouest, de Bassens à Langoiran, ils prennent la forme de falaises calcaires culminant entre 60 et 80 mètres. Ce rebord occidental constitue un obstacle majeur à la Garonne. 3. le plateau, formé d’assises calcaires et de dépôts molassiques, est constitué de quatre formations elles-mêmes différentes dans leur composition. Il est composé de vallées plus ou moins marquées qui se sont formées lors du retrait de la mer à l’époque quaternaire. De façon générale, l’Entre-deux-Mers est tout de même largement vallonné. L’étude est donc comprise entre une plaine fluvio-maritime soumise aux régimes des marées et des crues, et la fin de terrasses aux reliefs bas situées sur le secteur d’Ambarès-et-Lagrave.
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C. Les enjeux métropolitains : stratégies urbaines et paysagères Le projet métropolitain, porté anciennement par la Communauté Urbaine de Bordeaux jusqu'en décembre 2014, a comme ambition de faire de Bordeaux et son agglomération une métropole au niveau européen, par l'intermédiaire d'une politique de création de projets urbains majeurs mais également de renouvellement urbain. Comptant un peu plus de 760 000 habitants en 2014, la croissance de la métropole bordelaise ne cesse de s'accentuer depuis une dizaine d'années (elle a été de 6,2%, soit le double de la moyenne nationale). Le projet métropolitain, tel que défini par Vincent Feltesse, expresident de Bordeaux Métropole, s'apparente à un « combat pour une égale qualité de vie dans l'espace métropolitain », en mobilisant notamment, les « puissants leviers que sont la fiscalité, la maîtrise du foncier et le logement social ». Au fil des années, l'agglomération a acquis une connaissance importante de son territoire, de ses enjeux et potentiels au travers de nombreuses études se faisant également stratégies, les majeures étant les 55 000 ha pour la nature et l'opération 50 000 logements. Ces deux stratégies, justement, ont la nécessité d'être pensées ensemble, ce que Vincent Feltesse défend en 2012 : « Cinquante-cinq mille hectares, c'est la superficie de la Communauté urbaine. C'est donc une façon de dire que la question de la nature est pour nous aussi importante que celle de l'habitat ; que la nature ne doit plus être considérée comme un « vide » destiné tôt ou tard à être construit mais comme un « plein » qui structure le territoire au même titre que les zones urbanisées ». Quant aux 50 000 logements, l'ambition est de proposer une « qualité architecturale et urbanistique sur toute l'agglomération et pas seulement sur le centre ou les communes riches », chose permise par l'entité politique que représente Bordeaux métropole. Cet apport de connaissances doit permettre, désormais, d'établir des ponts entre les pensées et les pratiques : il n'y a pas que d'un côté l'architecture, d'un autre l'agriculture, d'un autre la nature... La ville n'est plus cette machine infernale qui nous déracine du reste du territoire, elle doit notamment composer avec les logiques écologiques et écosystémiques. Il faut adopter une vision croisée, hautement complexe, telle que l'énonce l'agence TER, agence d'urbanistes, d'architectes et de paysagistes, qui ont développé une stratégie de projets par les « bords » : « la fabrique de la ville peut apporter une résolution dans la préservation de la nature et inversement, la valorisation de la nature participe à l'habitabilité et soutenabilité de la métropole bordelaise » 12 « Penser le projet nature de la CUB par ses bords ; Stratégie métropolitaine, Vers une métropole capitale verte européenne », Equipe Agence TER mandataire, Juin 2014. 12
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Paysages pluriels Bordeaux a donc bien identifié les enjeux qu'entraînent la croissance de la métropole ; ils rendent publics ces derniers et les placent au cœur du débat. En témoigne l'évènement d'Agora, crée en 2004, qui invite à discuter, entre professionnels et non-initiés, d'urbanisme, d'architecture et de paysage. Le thème de l'année 2017, qui s'intitule « Paysage en mouvement, paysage en progrès », offre un coup de projecteur sur notre discipline. Le commissaire nommé pour l'exposition, Bas Smets, paysagiste et ingénieur, offre des clés de réflexion quant à la mutation de la ville et des paysages : « Aujourd’hui, toutes ces villes européennes deviennent des métropoles, et avec leur expansion spatiale l’opposition entre ville et campagne s’efface. Les limites perdent en netteté, et les rapports entre la métropole et la composante nature se sont modifiés » 13 Ceci nous interroge donc quant à la nature du projet de paysage : « La métropole, soumise à une croissance continue, exige l’intériorisation des paysages afin de créer un nouvel équilibre autour d’un paysage habité ». L'ambition n'est pas tant de redéfinir des limites à la ville ou de les repousser, mais de les effacer, et de repenser ainsi notre rapport entre ce qui est du domaine de l'habité et ce qui est du domaine de la « nature », même si ce mot reste encore un peu ambigu. Les paysages forment donc un tout : il suffit alors de les révéler, à eux-mêmes et à tous ceux qui les côtoient. Pour se faire, il faut comprendre que ces paysages sont générés par les spécificités de leur territoire. Repenser leurs structures revient donc à identifier les caractères du territoire. Et de penser que « la structure de paysages peut être l’outil par excellence de l’ancrage de la métropole dans le territoire ». Paysages productifs Comme nous avons pu l’évoquer auparavant, le projet de paysage ne se réduit par à une amélioration esthétisante du cadre de vie : le paysagiste ne crée pas du beau, comme on crée un tableau. Il doit d’abord saisir les mécanismes intrinsèques du territoire à partir duquel il se compose afin d’en tirer meilleur parti : « comment créer des paysages « performants » pour répondre aux questions que posent la métropole aujourd’hui, telles que la nécessité traditionnelle de la maîtrise de l’eau, la production agro-forestière ou agroalimentaire ou encore la nécessité d’ouvrages infrastructurels, à quoi s’ajoutent les nouvelles exigences comme celles de la régulation du confort extérieur, de l’accroissement de la biodiversité, de la diminution des pollutions, ou encore de la transition énergétique ». Si le territoire est depuis toujours support à exploitation des hommes, il s'agit ici d'exploiter différemment, mieux, et dans le respect et la compréhension des ressources disponibles.
13
https://www.agorabordeaux.fr/edition-2017/le-commissaire/paysages-metropolitains/
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ord
limite nord
ite
lim t
es
ite
lim t
es
ou limite sud
33
D. Périmètre d’étude L’étude des entités géomorphologiques a permis de dégager les puissantes structures géographiques qui forment le nord-ouest de l’Entre-deux-mers. Ainsi défini, le territoire de la presqu’île se matérialise par des formes naturelles : elle est bordée de ses deux côtés par la Garonne à l’Ouest, et par la Dordogne à l’Est. La confluence de ces deux fleuves donne aux terres à l’intérieur de ces deux fleuves la forme de bec : c’est la limite Nord du territoire d’étude. Au Sud, la limite se fait par l’évanouissement des terrasses alluviales issues des coteaux (voir page précédente). Le choix du périmètre est donné principalement par l’entrée géographique qui permet d’éviter au maximum, il me semble, un découpage arbitraire qui ignorerait les limites naturelles, qui sont ici très visibles et arbitrées par l’eau.
territoire étudié : la presque-île d’Ambès
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Justification des limites > La limite Nord est celle donnée par la fin du bec d’Ambès, figure de proue qui rassemble une forte activité industrielle. Il est à noter que depuis 1825, le bec d’Ambès s’est allongé de 600 mètres par accumulations de bancs vaseux venus des deux fleuves ; > La limite Ouest et Est est donnée par les deux fleuves, qui créent des figures naturellement limitantes. On considère néanmoins que leurs présences est à intégrer dans l’étude. > La limite Sud est plus difficile à définir puisqu’elle se situe à cheval sur des situations différentes. Elle intègre les derniers fragments urbains du nord de la métropole qui se situent, en majorité, sur les dernières terrasses alluviales. Cette limite vise donc à intégrer cette situation périphérique qui fait office de marge entre des espaces très urbanisés plus au Sud (comme Cenon, Lormont etc) et des espaces davantage à vocations agricole ou naturelle au nord.
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II. Des types d’approche variés et complémentaires afin d’aborder la complexité du territoire de la presqu’île d’Ambès...
Identifier les structures paysagères existantes qui pourraient avoir un rôle dans les changements climatiques à advenir
La méthodologie adoptée vise à décomposer la complexité territoriale par un système de calques : ce sont les types d’approche choisis. Ces approches permettent de comprendre l’identité du territoire, à travers plusieurs manières, qu’elle soit administrative ou législative, strictement géographique, végétale ou urbaine... Ces données doivent dans un premier temps être comprises dans leur singularité, une à une, puis dans un second temps, comprendre à quelles logiques elles appartiennent (naturelle ou écologique, agricole, urbaine ou industrielle), pour enfin être testées dans un système dynamique de projection, c’est-à-dire les questions qu’elles peuvent soulever au regard des changements climatiques et dans une fourchette de temps de 0 à 100 ans.
Au début, il y a toujours un sol / l’importance de la matière
La topographie constituera la base de tous calques pour plusieurs raisons. Le sol constitue la base matérielle à partir duquel tout paysage se forme. Sa nature, sa texture, son épaisseur... sont tout autant de variables qui permettent à d’autres structures de s’établir et notamment en créant des paysages particuliers qui sont le résultats de sols très différents. Pierre Donadieu, agronome, écologue et géographe, qualifie le sol de « biosol » : considérant que ce dernier représente « l’ensemble matériel, minéral et vivant qui peut nourrir des végétaux, spontanés ou cultivés. (Ce sont) tous les sols, à condition qu’ils réunissent la vie végétale et microbienne sous toutes ses formes ». Le biosol constituerait pour lui la base « de la résilience des régions urbaines ». Le sol porte également la mémoire, et rappelle à quel point l’homme est un aménageur de l’espace : autant en espace urbain qu’en espace rural, si les traits visibles ne sont pas les mêmes, le paysage actuel garde en mémoire les actions d’anthropisation du territoire. Il semble que nous ne prenons pas assez soin de ce sol, il faudra donc imaginer des systèmes de résilience où ce dernier pourra retrouver toute son efficacité et sa complexité en le considérant dans son épaisseur.
Ci-contre : extrait de sol des marais de Montferrand 36
réseau fermé
réseau ouvert
eau
sol
37
1. Structures géographiques Les structures géographiques sont des objets vivants. Concernant ce présent diplôme, les structures identifiées sont le sol, l’eau et le réseau formé d’espaces ouverts et fermés formés par les strates végétales basses, mi-hautes et hautes. Ils forment ce que j’appelle les structures géographiques, ce que j’identifie comme la base fondamentale de mon analyse. Le vivant est complexe : il répond à un rôle d’abord utilitaire et fonctionnel, il forme des chaînes et des cycles naturels infinies, tels que le cycle de l’eau, ou le déplacement des espèces animales ou végétales, entre autres. Le vivant ne fait pas de concessions, ne négocie pas, dans la nature, être vivant tient lieu à un combat de tous les jours pour la vie, contre sa ou d’autres espèces. Le vivant ne s’oppose pas à l’homme. Nous n’essaierons pas dans ce diplôme de tenter de faire une différence entre nature sauvage ou de nature domestiquée, en réalité, cette différence n’existe apparemment plus (très peu d’endroits dans le monde sont restés vierges de toute trace humaine). Ainsi, lorsque nous parlerons de structures géographiques, elles peuvent être le résultat physique de processus naturels, modifiées ou crées totalement par l’homme.
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Lecture horizontale du territoire
3 4,5
ord 2,5 3
5 000 m
0
10 000 m
2 500 m
3,5 3
5
3,5 1,5 2,5
2,5
4,5 4,5
4 3,5
4
les bords de berges, ou «bourrelets alluvionnaires», sont naturellement plus hauts que le centre de la presqu’île / 3-4m environ
2,5 1
2,5
4 1,5
3
2,5
1,5
1,5
0,5
4
3,5 1 1
4
2,5
0,5
1,5
4
0,5
intérieur de la presqu’île assez plane comprenant les points les plus bas du territoire / de 0 à 2m
2 1
3,5
0 2,5
1
4
8
3
7
3,5
3
4,5 11
3,5
8
7,5 5
4
2,5
1,5
4
le secteur d’Ambarès-et-Lagrave constitue un ultime relief > à 10m
3
0
3,5
4
11,5 13
8,5
4
2,5
2,5
4 5
4 2
3,5
2,5
3,5
5
11 14
5,5
27 18 18
37
39
Lecture verticale du territoire langue de terre où la hauteur est de 0 à 10m
premiers reliefs > 20m amorçant les premiers coteaux de Lormont 40
A. Topographie Comme expliqué précédemment, le territoire s’inscrit dans la plaine fluvio-maritime formée par les berges des deux fleuves ainsi que leur confluence. On peut exercer plusieurs niveaux de lecture quant à la topographie du site. Une première, générale et verticale, vient scinder le territoire en deux grands entités, l’une constituée par les coteaux des villes de Cenon, Lormont puis Bassens, et l’autre qui n’est d’autre que cette langue de terre, qui varie modestement à une hauteur comprise entre 0 et 10 mètres, venant se finir en pointe au nord. Une deuxième lecture cette fois horizontale, permet de s’apercevoir des variations entre ces deux entités. La majeure partie d’Ambarès-et-Lagrave qui s’établit à une hauteur comprise entre 10 et 20 mètres, constitue l’articulation entre ces fins de coteaux et la presqu’île. Si le reste du territoire varie donc entre 0 et 10 mètres, il existe deux morphologies différentes qui vont déterminer beaucoup quant à l’occupation du sol. Les bords de berges, d’une largeur variable et d’une hauteur autour des 3,4 mètres, constituent des bourrelets alluvionnaires où se sont implantées les majeures traces d’urbanisation de la presqu’île. Le centre de la presqu’île constitue donc une « cuvette » plutôt plane dont l’altimétrie est la plus basse, au même niveau que les fleuves : elle comprend des points de 0 à 2 mètres maximum. Aux premiers abords, on pourrait donc se dire que le relief n’est pas très important, qu’il semblerait anecdotique, ou qu’il déterminerait peu de choses par rapport à des paysages de coteaux, de vallées ou encore de montagnes, qui expriment d’emblée leurs caractères marqués. Pourtant, si elle reste en effet assez discrète, cette topographie est un élément de base fondamental pour construire le projet. De plus, à l’échelle de la carte ci-contre, on ne peut totalement apprécier entièrement les micro-reliefs qui sont peu visibles à cette échelle, d’où l’importance de croiser avec les données du terrain. Il s’agit donc de considérer ces « variations discrètes » du sol à part entière, et pour nous aider à mieux les discerner, il faut les croiser avec une autre donnée : l’hydrographie.
altitude (m) 5
Saint-Vincent-de-Paul
Saint-Louisde-Montferrand
4
Ambarès-et-Lagrave
3 2 1
A
bourrelet de rive alluvions marines (Bri flaudrien) 1
cuvette de la presqu’île : marais tourbes 2
bourrelet de rive alluvions marines (Bri flaudrien)
3
4
A’
distance (km)
5
Garonne
Dordogne
Ouest
Est
altitude (m)
Saint-Louisde-Montferrand
10 5
Ambarès-et-Lagrave Plan d’eau de la Blanche
Saint-Vincent-de-Paul
1
B
Garonne
bourrelet de rive 1
anciens marais et carrière d’extraction 2
terrasses alluviales 3
forêt 4
B’ distance (km)
bourrelet de rive 5
6
Dordogne
Ouest
Est 41
A’ A
B
B’
Les deux coupes ci-contre permettant d’apprécier le relief général de la presqu’île ainsi que les sols qui la composent. La coupe AA’ est une coupe en travers caractéristique de la presqu’île : on retrouve les deux fleuves, deux bourrelets de rive et un centre de presqu’île. Cette dernière montre une différence de hauteur entre les bords des deux fleuves, et l’intérieur de la presqu’île. Les bords de berges culminent à une hauteur moyenne de 3 à 4 mètres environ, même si elles sont asymétriques puisque dans ce cas-là, le bourrelet à l’Est est plus haut qu’à l’Ouest. Ils sont formés par des alluvions marines à l’époque du Bri flandrien (période interglaciaire), qui composent un sol plutôt solide. Au contraire, l’intérieur de la presqu’île, formant une cuvette, est composé de tourbes, sol mouvant et instable permettant l’existence de marais. Ce sont particulièrement ces zones là qui sont sujettes à inondation, du fait de leur hauteur (en grande partie au même niveau que les fleuves) et de leur nature de sol. Plusieurs phénomènes aggravent l’inondation : à la fois la remontée de nappe du à un sol très poreux, le ruissellement des eaux pluviales venant des coteaux se déversant dans les marais, et exceptionnellement l’eau des fleuves lorsqu’elle déborde et vient se stocker en points bas. La coupe BB’ se situe plus au sud et vient couper en travers des terrasses alluviales de l’Entre-Deux-Mers, dernières manifestations des coteaux. Le profil ressemble au précédent, si ce n’est donc l’existence des terrasses qui culminent dans ce cas là à environ 10 mètres de hauteur. On retrouve de part et d’autre de ces dernières, à l’Ouest le plan d’eau de la Blanche, aujourd’hui fréquenté pour ses loisirs, qui a été autrefois une carrière d’extraction de matériaux et bien plus tôt encore, d’anciens marais sur cette partie de presqu’île ; et à l’Est, une forêt classée.
42
ord
0
5 000 m 2 500 m
10 000 m
l’eau courante, circule
l’eau dormante, stagne
43
B. Hydrographie La présence de l’eau sur ce territoire n’est pas anecdotique ou seulement esthétique : elle témoigne des rapports très intimes qu’elle entretient avec la terre. Comme nous l’avons abordé précédemment, la presqu’île est une plaine quasiment entièrement inondable, seulement, cette situation génère des situations nombreuses et particulières. Car en effet, l’eau se manifeste sous plusieurs états, tant dans sa forme matérielle que dans sa durée. L’eau est une entité mouvante et souvent indomptable, qui ne se donne aucune limite à son parcours si ce n’est celle que lui dicte la topographie. Ainsi c’est un couple sol/eau qui existe, l’un servant de base à l’autre afin de permettre la fertilité, et donc l’existence du vivant. Sur ce territoire, l’eau existe à plusieurs échelles, si tant elles sont différentes elles fonctionnent pourtant toutes ensemble. De la plus petite échelle du fossé jusqu’à l’immensité du fleuve, l’eau traverse le territoire et génère, à travers les qualités et caractéristiques des sols, des paysages variés. S’il est vrai que nous pouvons distinguer plusieurs « formes », naturelles ou non, que prend l’eau, il faut avant tout la considérer comme génératrice de liens dans le territoire. Il existe plusieurs situations, plusieurs combinaisons à partir de plusieurs typologies de formes . Ces formes se combinent entre elles et créent un territoire diversifié. >> lecture cartographique Cette cartographie ci-contre permet de lire distinctement la couche SIG du réseau de l’eau couplée à celle de la topographie. Ce qui, d’emblée, semble remarquable, sont les différentes formes que peut prendre l’eau. On peut d’abord observer deux grandes « tendances » : l’eau qui s’étend par forme compacte, en « aplat » : lacs, réservoirs d’eau, marais etc ; et l’eau qui circule, prend une forme linéaire, tels que le réseau de drainage artificiel des jalles, ou encore le drainage naturel opéré par les ruisseaux, fossés etc. L’ensemble nous indique néanmoins du caractère très aménagé de ces terres submersibles, qui ont été rendues habitables et cultivables par les populations de l’époque. Sous l’influence des deux fleuves, il a fallu mettre en place un système de gestion de l’eau cohérent. >> lecture par blocs schématiques (page suivante) Afin de permettre une lecture simplifiée, j’ai extrait des échantillons représentatifs des diverses typologies existantes. Celles-ci peuvent se retrouver plus ou moins fréquemment dans le territoire. Chacune de ces typologies répondent à des fonctions initiales, celles pour lesquelles elles ont été conçues. Elles peuvent également engendrer d’autres fonctions induites, offrant des aménités aux sites et aux habitants,comme la pratique de loisirs, l’enrichissement de la biodiversité... Ces fonctions ne s’opposent pas toujours : si par exemple, le réseau des jalles a été conçu dans une visée technicienne d’évacuation des eaux, elle participe à l’enrichissement de la biodiversité en créant des couloirs de déplacement, de migration, entre diverses espèces.
44
1
statut état usage premier usage(s) induit(s)
marais permanent et intermittent réservoir d’eau réservoir biologique / chasse / pâturage / loisirs
2
statut état usage premier usage(s) induit(s)
lacs, anciennes carrières permanent extraction de roches réservoir d’eau / loisirs
3
statut état usage premier usage(s) induit(s)
lacs de rétention d’eau permanent réservoir d’eau aucun (espace fermé)
4
statut état usage premier usage(s) induit(s)
réseau de jalles (jalles de prises d’eau ou d’égoût ou les deux) permanent ou intermittent système artificiel de drainage
5
statut état usage premier usage(s) induit(s)
rivières, fossés permanent ou intermittent système naturel de drainage réservoir biologique
statut état usage premier usage(s) induit(s)
réseau de jalles (jalles de prises d’eau ou d’égoût ou les deux) permanent ou intermittent système artificiel de drainage
45
1
2
4
5
46
3
47
Garonne
Dordogne
estey dy Gua
Grand Marais (296 ha) et Petit Marais (190 ha)
ĂŠtangs de la Blanche 40ha
parc de CantefrĂŞne 40ha
ord
>> les principales étapes de transformation du territoire Cette série de trois cartes permet d’observer uniquement la répartition du réseau hydraulique sur base SIG dans l’espace de la presqu’île, mais également dans une perspective passé/présent. Il est à noter qu’à cette échelle qui est celle de la donnée SIG, toutes les échelles ne sont pas visibles, et la représentation est du domaine du schématique. Toute la réalité n’est donc pas représenté ; la précision viendra ultérieurement. La première carte (dans le sens de la lecture) représente l’hypothèse de l’état premier du territoire, avec sans doute des changements de formes au cours du temps, mais sans anthropisation ; la présence des fleuves Garonne et Dordogne, les espaces d’eau en milieu de presqu’île qui correspondent aux marais (espaces de pleine eau, mais les marais s’étendent plus largement en réalité). Ces marais sont indivisibles et ne peuvent être vendus par les communes, ils sont propriété collective. En 1872, un Syndicat des Marais de Montferrand a été crée, fixant des règles de gestion et d’obligations. Dernièrement, l’estey du Gua, qui permet d’acheminer l’eau du bassin-versant prenant sa source à Tresses, sur les hauts de Floirac, vers la Garonne. La deuxième carte met en évidence la volonté de rendre de cette terre hostile, initialement vouée aux marais et aux espaces insalubres, habitable et cultivable. Dès le milieu du XVIIe s, selon des preuves écrites, Louis XIV en demanda le drainage pour permettre le dessèchement des terres, le déclarant : « comme servant considérablement à la décoration de son Royaume, à la santé de ceux qui habitent les environs des dits marais inondés, et à l’avantage général de tous ses sujets ». Un siècle plus tard, la carte de Cassini cartographie la structure première des canaux de drainage, qui va ne cesser de s’étendre sur tout le territoire, jusqu’à ce présent réseau très développé. Il faut donc remarquer la mise en place d’un système intelligent et mécanique, qui vise à réguler les mouvements de l’eau sans dérégler ses cycles naturels. En 1766, ce sont les propriétaires qui doivent entretenir ces jalles et sont alors appelés les «déssecheurs» qui étaient tâchés d’enlever herbes hautes et vase par «bac». Ce système s’est donc mis en place, a perduré jusqu’à la fin du XXe s, où on observe dès lors une déprise et un affaiblissement voire une disparition d’entretien des jalles, ce qui en perturbe donc le drainage. Actuellement, seulement cinq ou six jalles fonctionnent, ce qui pose d’évidents problèmes d’évacuation de l’eau. La troisième carte se focalise sur un moment important de l’aménagement du territoire, celui de la deuxième partie du XXe s. En effet, sont mis en place des projets de carrières, qui deviendront par la suite des lacs et étangs, souvent de plusieurs hectares, comme le Parc de Cantefrêne au nord, ou encore parmi d’autres, les Etangs de la Blanche à Ambarès-et-Lagrave. Parallèlement à cela, plusieurs lacs de rétention d’eau ont été aménagés, afin de proposer des solutions de régulation du débit de l’eau. Ces aménagements sont bien évidemment reliés aux jalles, et offrent des surfaces d’eau tout à fait différentes, tant dans les formes que les usages, que ces dernières.
48
coefficient de marée ++ force et direction du vent ++
débit fluvial ++
débo
rdem
ent d
es fle
uves e
ss
rui
tua
ire
in
ce fluen
de
la
Gir
on
de
time
maré
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Dordogne
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au
ime
marit
uvionce fl
ord
es
++
ta
en
m lle
ru cc
BORDEAUX Garonne
remontée de nappe
iale
49 nce fluv influe
>> les dynamiques de l’eau en présence Les dynamiques de l’eau existent sous plusieurs formes de manifestations. Elles sont le résultat de cycles naturels et réccurents, puisqu’ils se répètent à différentes pas de temps : à la journée, ou de façon plus aléatoire (régime des pluies, des fontes de glaciers, etc) > La représentation en noir figure les dynamiques en temps normal, qui sont l’effet d’influences à la fois fluviale (Garonne et Dordogne, et réseau hydrographique) et maritime (océan et estuaire) : - le mouvement océan > estuaire > intérieur des terres : la marée est un phénomène récurrent qui se reproduit toutes les 12h et modifie le débit des fleuves. Cette influence est majeure sur le territoire de la presqu’île. Cette manifestation de rentrée d’eau salée est due au soleil et à la lune, et peut varier en hauteur selon les équinoxes à l’échelle de l’année (21 mars et 21 septembre) où l’équateur est dans le plan du soleil, de la lune et de la terre. - le mouvement source > rivière > fleuve > océan : c’est le ruissellement de l’eau qui permet d’alimenter les fleuves. Cette dynamique peut être accentuée sur des périodes particulières de l’année : lors de forts orages d’été, les inondations automnale ou hivernale.. Mais également phénomènes annuels comme la fonte des glaciers au printemps qui apportent un débit très important d’eau charrié par les rivières. - le mouvement sous-sol > surface du sol : ce sont les remontées de nappes phréatiques dues aux pluies. Les remontées de nappe sont visibles dans les points bas du territoire, lorsque les pluies sont abondantes, et que le sol n’a pas eu le temps ou la capacité d’absorber toute l’eau. > Lors d’événements exceptionnels, la double influence que subit la métropole bordelaise et par conséquent la presqu’île, peut générer des combinaisons qui décuplent les dynamiques en présence. Lors de fortes tempêtes, une combinaison de quatre paramètres hydrométéorologiques (représentées en bleu-vert) peut entraîner une hausse du niveau des fleuves et des crues majeures dans les territoires les longeant 14 : - le débit fluvial (ruissellement accru provenant des terres), - la sur côte à l’embouchure de l’estuaire, - le coefficient de marée (plus il est haut, plus l’eau monte) - la force et la direction du vent (si le vent souffle dans l’axe de l’estuaire, la montée des eaux des fleuves n’en sera que plus importante). Il est à noter néanmoins que le débordement des fleuves ne se fait pas, généralement, de façon violente et incontrôlable, ce qui peut être le cas dans un territoire où l’espace du fleuve est resserré ou bordé d’espaces urbains limitant l’étalement des eaux. Sur notre territoire, la sortie des eaux du lit mineur des fleuves se fait donc de façon relativement lente en comparaison d’autres villes (comme à Toulouse par exemple) Cette série de facteurs nous rappellent au fait que la presqu’île, si elle existe en tant qu’entité physique, est plus que déterminée par des dynamiques, à la fois tangibles mais variables, et donc parfois fugaces. Cette compréhension de ce vivant à travers la notion de temps est indispensable afin de se rendre compte d’un territoire complexe.
14
Source smiddest, http://www.smiddest.fr/le-risque-inondation-sur-l-estuaire-de-la-gironde.html
50
approche par les strates végétales basses ... et approche par les strates végétales mi-hautes à hautes
51
2. Les éléments vivants sous l’angle des strates végétales basses, mi-hautes et hautes La topographie et l’eau constituent donc des éléments géographiques majeurs. Mais qu’en est-il des autres éléments vivants, et surtout, comment les aborder face à la complexité offerte par le territoire ? Une double entrée de lecture a donc été définie : l’entrée par les strates végétales basses, et l’entrée par les strates végétales mi-hautes à hautes. C’est une entrée dans les espaces assez cartésienne, mais qui va permettre de dresser de grandes catégories d’espaces, ceux plus ou moins ouverts et ceux plus ou moins fermés. Cet angle d’analyse ne s’axe pas seulement sur le végétal, même s’il est le point de départ. Il permet comprendre l’état des paysages sous différents angles de lecture : quelles formes ces ensembles végétaux prennent-ils dans le territoire, à quelles différentes natures ces deux types d’espaces appartiennent-ils (agricole, jardiné...), quels sont leurs possibles durabilités ou leurs fragilités... Il est surtout question d’observer plutôt un ensemble d’espaces plutôt que des espaces isolés qui seraient considérés seulement et uniquement par l’entrée de leur nature ou leur « catégorie », alors qu’une autre réalité est plus intéressante. Cette réalité, c’est celle que l’on cherche à mettre en évidence, l’idée que les éléments vivants forment des structures, et que les liens apparemment effacés n’ont besoin que d’être révélés. A travers cette entrée, il est également possible d’avoir une vision projectuelle, en identifiant dès lors les structures existantes potentiellement d’intérêt, celles que l’on pourrait renforcer, créer, avec l’idée de mettre en valeur ce qui est déjà existant. L’échelle de la cartographie utilisée qui ne varie pas dans la partie I ne permet pas de tout montrer, il y aura donc bien-sûr des changements d’échelle à faire par la suite, si un besoin de précision s’impose. Les deux cartographies qui suivent ont été réalisées sur la base de l’orthophotographie en date de l’été 2012 et du Registre Parcellaire Graphique de l’IGN de 2012 et 2013.
52
ord
0
5 000 m 2 500 m
10 000 m
parcelles en lanières caractéristiques de la culture de la vigne nombre de prairies importantes
grandes emprises plutôt caractéristiques de cultures céréalières
autres espaces ouverts peu qualifiables et diffus
palue de Sabarèges en gel agricole
53
A. Les strates végétales basses créent des espaces ouverts à propos de la notion d’ouverture Ces espaces sont qualifiables par une double ouverture : au ciel et à l’horizon. L’ouverture au ciel signifie qu’il n’y a pas obstruction du regard verticalement, on se situe dans un espace qui reçoit entièrement le soleil ou la pluie, où l’on peut se sentir respirer mais également vulnérable. L’ouverture à l’horizon va être relative : certains espaces vont offrir un large dégagement du regard vers l’horizontalité, d’autres moins car la vue va rencontrer des obstacles plus ou moins lointains. Globalement, on observe de très nombreux espaces ouverts, dont la taille et la position varient selon l’endroit où ils se situent. La plupart des moyennes et grandes emprises vont se localiser au centre de la presqu’île, berge à berge, à l’exception de grandes emprises au Sud-Ouest. Vers la pointe au Nord, les espaces ouverts se déploient majoritairement du côté de la berge de la Dordogne, du fait des grandes parcelles d’industries côté Garonne. Au Sud, en direction des premiers reliefs et du fait des espaces urbains, les espaces ouverts rapetissent et prennent un caractère morcelé. Ces espaces ouverts sont très surprenants, car beaucoup d’entre eux se situent dans les interstices de la ville. De tailles variables, ils offrent des espaces perméables et de « respiration » dans ce continuum de quartiers d’habitations. Ils génèrent des lisières « ouvertes » plus ou moins importantes avec les habitations et permettent la plurifonctionnalité dans ces quartiers qui sont souvent monofonctionnels. Ces espaces sont de natures diverses : peuvent être récréatifs, être du pâturage, être en friche... Les moyennes et grandes emprises vont davantage correspondre à de la culture de blé, de maïs ou de tournesol (et autres céréalières) qui demandent beaucoup d’espaces. On va également retrouver beaucoup de surfaces de prairies, permanentes ou temporaires du fait de la qualité de la terre plutôt riche en humus, propice au pâturage. Du côté des cultures pérennes, la vigne est présente mais en faible pourcentage, elle se situe surtout sur le bord des berges (dans les points les plus hauts) et en lanières. On en retrouve également ponctuellement au sein des quartiers, chose assez surprenante. Des vergers sont également présents en faible nombre, dont un reste important sur le bourrelet de rive à SaintVincent-de-Paul, en culture biologique. Le fait qu’il existe des cultures plutôt pérennes et d’autres cultures davantage annuelles, nous indiquent de la possibilité de « réversibilité » des terrains par rapport à un éventuel projet. En effet, il sera plus simple de considérer qu’un champ de maïs est mutable plutôt qu’un espace de vigne, et que l’on aura éventuellement une marge de manœuvre plus grande.
54
espaces interstitiels dans les quartiers d’habitations ; pâturage
55
de gauche à droite et de haut en bas : abeille, carabe doré, fauvette grisette, campagnol, belette, coléoptère, alouette des champs, ver de terre, chat, epeire fasciée, caille des champs, bourdon, chien, coccinelle, chouette hulotte, cheval, mouton, chèvre
56
champs de vignes, cultures céréalières et verger biologique
57
de gauche à droite et de haut en bas : coucou, renard roux, sauterelle, lièvre, lézard, mésange charbonnière, mésange bleue, lérot, grillon, papillon, guêpe, hérisson, musaraigne, tourterelle orientale, lapin de garenne, putois, pince-oreille, pic-epeiche
58
ord
0
5 000 m 2 500 m
10 000 m
grandes emprises privées (centrale électrique, extraction matériaux)
bords de berges développant des structures en longueur
structures végétales liées à la topographie (marais, fin des coteaux)
espaces liés aux infrastructures de transport
structures végétales liées à la topographie (l’estey du Gua)
59
B. Les strates végétales hautes créent des espaces moins transparents et fermés à propos de la notion de fermeture Il me semblait important de cartographier ce qui tient lieu de marge dans le territoire, pénétrable ou impénétrable : les espaces fermés ont cette capacité à être des lisières à plus ou moins grande échelle. Le végétal est l’élément principal à partir duquel on génère cette lecture. Si un arbre ne permet pas la fermeture, dix arbres peuvent constituer un espace plus ou moins fermé. Cependant, il ne faut donc pas considérer les espaces fermés comme hermétiques par rapport aux espaces qui les bordent. En effet, je parle de fermeture plutôt comme un ressenti, une sensation d’occuper l’espace davantage qu’un espace ouvert, dans le sens où ils ont une volumétrie plus visible. Tout se joue alors dans le degré de « transparence » ou de porosité de ces espaces : la lisière peut créer du lien ou au contraire générer des barrières. La porosité s’exerce à différents niveaux, elle peut en effet être seulement visuelle, permettre au regard de traverser ces espaces, ou physique : arpenter l’espace fermé plus ou moins facilement, ou pas du tout. Un espace complètement fermé ne sera accessible ni visuellement, ni physiquement. La fermeture accepte un panel de nuances, car ces espaces peuvent parfois favoriser le lien, d’articulation dans le territoire, et créer d’importants couloirs de circulation d’espèces vivantes et de réservoir biologique (corridors biologiques). Il ne faut donc pas vouloir à tout pris « ouvrir » les espaces et tout lier, il faut donner à certains lieux un caractère inaccessible. De façon similaire aux espaces ouverts, les espaces fermés se caractérisent par leur hétérogénéité en terme de taille et de position. On observe à la fois de grandes emprises qui forment déjà des structures importantes, qu’elles soient en terme de surface ou en terme de développé dans le territoire ; tandis que d’autres emprises restent isolées les unes des autres. Il y a d’abord les espaces fermés qui peuvent être associés à la topographie et aux formes dessinées par la nature : ces forêts marquent la fin des coteaux et font transition entre quartiers d’habitations et marais de Montferrand. Ces espaces naturels dont les franges extérieures jouxtent les parcelles privées créent des lisières où parfois fond de jardin et forêt se mêlent en créant un cadre de vie singulier. Dans leurs intérieurs, ces forêts peuvent être pratiquées tout en étant protégées dans une certaine mesure : réserve de chasse, espace de promenade... Les espaces fermés peuvent se développer en linéaire, telle que la structure végétale qui émerge autour de l’estey du Gua mais aussi les bords des berges de Garonne et Dordogne, composée alternativement de végétation ripisylve naturelle et de jardins privés, témoignant d’un habitat installé près des fleuves, sur les bourrelets. De longues emprises végétales empêchent souvent la simple vue ou même perception des fleuves, il est parfois difficile de discerner ce qui est du domaine public ou privé, néanmoins on peut discerner des formes d’entretien de l’espace, qu’il soit d’origine privée ou public. Dans ces linéaires, il est parfois étonnant de trouver des parcelles peu larges mais qui permettent d’accéder de manière publique jusqu’au bourrelet de rive, ce qui forme un petit bout de parc au caractère intime, pris en étau entre deux parcelles privées. Certains espaces permettent d’être lus ensemble parce qu’ils sont la conséquence d’infrastructures de transport, parfois comme des délaissés. On va également observer de grandes emprises privés plutôt sur la pointe du bec d’Ambès.
60
ord
0
5 000 m 2 500 m
10 000 m
les grands espaces boisés créent de puissantes structures végétales
à échelle plus précise, les espaces végétalisés apparaissent en pointillé
61
Complémentaire à la cartographie précédente, le calque SIG issue des données de la métropole rassemble tous les « espaces boisés » avec davantage de précision que le découpage sur fond aérien. Nous pouvons nettement observer le pointillisme rendue par la multiplicité d’espaces boisés ou jardinés sur la commune d’Ambarès-et-Lagrave. Cette carte valide et complète les observations faites à travers le découpage du fond aérien.
le long de la Garonne, des berges plus ou moins transparentes et accessibles
62
des transparences variées : forêts réserve de chasse, arrières de jardins, culture de chênes...
63
de gauche à droite et de haut en bas : taupe, rouge-gorge, fourmi, hirondelle, ecureuil roux, moineau domestique, martinet, hibou petit-duc, blaireau, chevreuil, pinson des arbres, merle noir, geai des chênes, sanglier, martin-pêcheur, pipistrelle (chauve-souris), épervier, pic-vert
64
ord
0
2500 m 5 000 m
10 000 m
amorce de la forêt des Landes
presqu’île d’Ambès
vallée des Jalles
deuxième couronne
première couronne 65
3. Réseau viaire A. À l’échelle de l’aire métropolitaine : enjeux d’extension de la métropole Echanges à l’intérieur des terres Les moyens de déplacement abordés ici sont purement anthropiques et témoignent du besoin de l’homme de se déplacer dans l’espace. Il est utile de comprendre le système global de déplacement à l’échelle de la métropole bordelaise avant de s’interroger au cas de la presqu’île d’Ambès. Si cette dernière apparaît comme une « terre extrême » liée à la réunion des deux fleuves, ce territoire n’en reste pas moins rattaché à la métropole par des moyens de déplacement multiples. La carte ci-contre, à l’échelle de l’agglomération bordelaise, rend compte, sur fond topographique, du filaire des voies. Si la topographie est intéressante à joindre avec le réseau, c’est qu’elle conditionne pour beaucoup l’implantation de la voirie et donc de l’urbanisation de l’homme dans son territoire. De grandes entités géographiques sont en effet exemptes de voiries, telles que la vallée des Jalles qui s’ouvre vers la Garonne, l’amorce de la forêt des Landes sur tout l’ouest du territoire de la métropole, et dans nos cas d’étude, d’une majorité de la presqu’île d’Ambès dans ses points les plus bas. Le filaire permet également de nous donner une idée de la densité urbaine : beaucoup de cas de figures sont en effet repérables. Sur la rive gauche, le cas de la première couronne de Bordeaux à l’intérieur des boulevards nous montre à voir un maillage plutôt serré et équilibré, qui a tendance à converger vers le centre ville et la Garonne. A contrario, passé cette première couronne et encore plus la rocade de Bordeaux, le maillage se révèle d’abord être plus lâche, mais également très différent du fait de nombreuses boucles, de voiries plutôt refermées sur elles-même bien qu’elle soient reliées les unes aux autres. Si l’impression générale nous amène à voir de grands axes qui tendent à rejoindre Bordeaux centre par sa périphérie, force est de constater que cette dite périphérie développe d’autres logiques qui ne sont pas celles issues du centre urbain, mais celles de l’extension urbaine. Face au chevelu plutôt développé de toute la métropole, que ce soit en rive gauche jusqu’à plusieurs kilomètres à l’ouest, ou en rive droite sur les coteaux des Hauts de Garonne, la presqu’île semble faire figure d’exception dans le sens où son réseau est plutôt modeste. Une métropole qui développe d’importantes surfaces de contact avec les fleuves Les systèmes de liaisons ne se résument pas seulement aux voies de déplacement à l’intérieur des terres. Il faut tenir compte de la présence marquée de la Garonne et la Dordogne, qui ont permis le développement de la ville et de la métropole actuelle avec son commerce extérieur. Ce qui est intéressant dans le cas de la presqu’île d’Ambès, c’est la grande surface d’échanges possibles entre les terres et les deux fleuves des deux côtés, rendues possibles par l’existence de berges accessibles. Le transport fluvial sur la Garonne est toujours actif sur la presqu’île, mais seulement dédié au transport de marchandises, mais peu comme moyens de déplacement quotidien.
66
ord
0
5 000 m 2 500 m
10 000 m
routes les plus anciennes sur bourrelets, hors d’eau
D1
0
route principalement crée et utilisée pour le passage de véhicules allant vers les sites industriels du nord
voie ferrée uniquement affectée pour les industries
D10
D113
absence de réseau routier due aux points les plus bas
réseau routier lâche, dessinant de grandes enclaves de parcelles
D257
A10
voie ferrée sncf pour voyageurs
67
B. À l’échelle de la presqu’île : la voirie existante comme point d’accroche Les axes rendus visibles sur cette cartographie correspondent au réseau filaire des voiries et des voies ferrées. On observe un réseau inégal du réseau viaire qui sera à mettre en corrélation avec les espaces urbanisés. La compréhension de la voirie nous permet déjà de savoir quels endroits dans le territoire sont rendus accessibles, et nous indiquant par contraste ceux qui ne le sont pas. Deuxièmement, la route est une « créatrice » de paysages, dans le sens où elle est un point de vue vers le sujet regardé, en l’occurrence les paysages. Comment peut-on se servir des routes existantes afin de donner à voir des paysages ? Son usage premier, celui de se déplacer, peut-il s’étendre vers autre chose ? Permettre la En effet, on observe un réseau plus dense sur la fin des terrasses d’Ambarès-et-Lagrave, correspondant aux points les plus hauts, et une quasi-absence dans les points les plus bas. Le sud de la presqu’île est rattaché de façon importante au nord de Bordeaux, notamment par de grandes infrastructures telles que l’autoroute A10 qui traverse les deux fleuves, mais aussi le tracé de la voie ferrée pour voyageurs, qui intègre depuis 2017 le tracé parallèle de la ligne à grande vitesse. On observe un relâchement de la voirie au niveau d’Ambarès-et-Lagrave qui forment de grandes enclaves entre les routes. En croisant avec les approches à venir (strates végétales basses et hautes), ces relâchements dans le tissu urbain sont occupés en majeure partie par de l’espace perméable (champs, friches...). Au nord, le réseau viaire du territoire se résume à quelques grands axes : le long des berges, on peut observer les deux axes historiques le long des berges (D10) datant d’au moins le milieu du XIXe s, qui permettaient de desservir, hors d’eau, les habitats dispersés en suivant la courbe des berges. Un axe central, plus moderne, parcourt le centre de la presqu’île (D113), et est calibré de manière à accueillir de gros véhicules qui font le lien entre zones industrielles sur la pointe et routes rattachées au nord de la métropole (A10, nationales). L’unique voie ferrée traversant la presqu’île nord/sud est exclusivement réservée au transport de marchandises. Le territoire n’est donc pas desservi de la même façon partout, et c’est ce qui le rend aussi intéressant, puisque certains endroits restent difficiles d’accès ou inaccessibles aux véhicules motorisés, comme les marais de Montferrand. Cette observation renforce l’idée que ce n’est pas un territoire qu’on traverse, mais plutôt une destination, on a forcément une raison précise d’y aller. En terme de projet, la voirie peut donc être considérée comme un point d’accroche pour répondre au renouvellement urbain. Si l’on prend en compte cette donnée, on peut éviter de générer de nouvelles voiries sur des terres perméables, qui peuvent être valorisées d’une meilleure manière (espaces naturels, agricoles). Cette intelligence de réutiliser l’existant permet également de générer une économie d’espace et de budget.
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page gauche / infrastructures de grands dĂŠplacements : voie ferrĂŠe pour voyageurs et marchandises, pont pour A10
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page droite / différents gabarits de voies ; visibilité marquée de grands pylônes
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5 000 m 2 500 m
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grandes enclaves dÊfinies par la voirie et le bâti
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4. Typologies d’habitats et ressources foncières >> Lecture cartographique La cartographie révèle le développé du bâti existant avec ses voiries attenantes. Une différenciation de couleur rouge a été faite à partir de la carte de Cassini, et localise (sans grande précision) les habitats ou les hameaux présents au XVIIIe s. Tous les habitats de ce siècle ne sont pas représentés, puisque le territoire a subi des modifications. L’idée de cette représentation est d’observer le point de départ de certaines formes urbaines, et de comprendre, sans rentrer dans des observations historiques, les tendances de développement urbain. Une majorité des espaces urbains se localise en grande partie sur la dernière terrasse issue de la fin des coteaux de la rive droite ; en marge entre des espaces à vocation très naturelle ou écologique, et la fin de la ville dense du nord de Bordeaux. C’est ici qu’on retrouve donc les reliefs les plus hauts de la presqu’île, c’est donc en toute logique que les hommes s’y sont installés. Issus des villes du nord de Bordeaux tel que Bassens et, dans le sud d’Ambarès-et-Lagrave, les maillages urbains sont assez serrés, et ont tendance à se relâcher en remontant vers le nord. En effet, le tissu urbain devient plus lâche, et l’on voit se dessiner, dans le blanc de la carte, de grandes enclaves entre le bâti et la voirie, de natures à définir. Le bâti se concentre donc le long de la voirie, et la carte de Cassini du XVIIIe s nous indique l’implantation originelle des hameaux dispersés le long des axes de circulation, qui sont parfois très proches de ceux actuels. L’originalité de cette partie de la ville est donc son tissu lâche et ces grandes parcelles à l’intérieur des voiries qui ne se sont pas partis en urbain, comme ça aurait pu être le cas sous pression urbaine. La deuxième grand tendance urbaine est le développé le long des berges de la Garonne et de la Dordogne sur les bourrelets alluviaux qui sont plus hauts que l’intérieur de la presqu’île. On observe une présence de bâtis s’étant regroupés en hameaux ou quasiment en villages, comme Saint-Louis-de-Montferrand ou Ambès. On retrouve, dès le XVIIIe s, une forte présence de ce modèle urbain qui entretenait un rapport étroit avec les fleuves, avec notamment la présence toujours actuelle de châteaux viticoles qui commerçaient le long des fleuves : la viticulture y était très prospère et sont venus s’installer les négociants bordelais et la noblesse parlementaire de la région. L’arrivée de grandes industries sur le nord de la presqu’île côté Garonne durant la deuxième partie du Xxe s modifie l’affectation des anciens hameaux, et remodèle le territoire en grandes enclaves inaccessibles. Cette industrialisation a transformé la presqu’île en un pôle industriel lourd, stratégique à l’échelle du département. En 1996, Ambès stockait le pétrole pour l’équivalent de quatorze départements français. L’absence de bâti est également à observer dans le blanc de la carte : elle nous renseigne sur l’hostilité de certains espaces à être habités depuis toujours. Une grande majorité du centre de la presqu’île jusqu’à la pointe reste vierge de tout habitat, mais pas de toute activité, comme nous avons pu le remarquer lors de l’étude des espaces ouverts. Sur ce territoire, le bâti reste en grande partie tributaire des conditions géomorphologiques et de la force des éléments naturels comme l’eau.
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typologie caractéristiques
le pavillon qui enclave des espaces agricoles propriété privée généreuse, souvent plantée, enclavant de la parcelle de culture de différentes natures (prairie, blé, maïs, vigne, verger...) voisine
privé/public
largeurs variables entre route et parcelles: bas-côtés, fossés, trottoirs, souvent peu valorisés
typologie caractéristiques
habitat mitoyen isolé formant un lotissement souvent quartier indépendant et isolé où la voie d’accès finit en cul-de-sac
privé/public
peu de place pour l’espace public : le trottoir semble seulement permettre le retrait entre voirie et privé
typologie caractéristiques
hameau regroupé ou habitat isolé souvent le long des berges, peut être un corps de ferme, château... bordé de cultures (vigne, maïs, verger etc) quelques batisses peuvent être abandonnées
privé/public
limite donnée par la voirie : quasi absence de trottoir, bas-côté restreint, limite privée/ publique floue
typologie caractéristiques
bourg de village façades sur rue, quelquefois petits jardins attenants, regroupement de services (mairie, poste, commerces) large espace public (place, parvis...) souvent peu mis en valeur
privé/public
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>> Relation espace public / espace privé L’idée dans cette planche n’est pas de définir précisément des typologies, ce qui n’est pas dans notre compétence, mais de comprendre les grandes tendances de l’implantation de l’habitat dans son environnement, et notamment la relation entre espace public et espace privé. L’idée n’est donc pas de recenser toutes les typologies, mais celles les plus à même de présenter un intérêt en terme de qualité d’espace public et relation avec le privé. Les représentations se font sous forme de blocs schématiques qui permettent une visualisation facilitée dans l’espace. Pareillement aux typologies liées aux formes de l’eau, ces blocs ne représentent pas vraiment une situation réelle précise, mais une typologie. Ils permettent de discerner l’espace privé (sans couleur) et l’espace public (en gris clair). Si l’espace public est rendu bien visible sous ses formes conventionnelles (place, parvis etc dans le cas d’un bourg de village), il faut en effet identifier ses autres formes qui se cachent parfois dans les résidus de l’habitat, ce qui reste après la construction : bas-côtés, fossés, trottoirs peu valorisants... Ces espaces souvent linéaires, le long de la voirie, représentent des potentiels d’aménagement, notamment pour permettre le lien, ils peuvent être oubliés mais peuvent être mobilisables.
de haut en bas : pavillon avec limites de parcelle enherbée et forêt dense lotissement récent jardin de corps de ferme sans limite marquée avec le champ attenant place de la mairie de St-Louis de Monterrand
74
5. Un territoire et des paysages réglementés A. Les enjeux liés à l'estuaire de la Gironde Le bec d'Ambès s'inscrit également à une échelle plus large, celle de l'estuaire de la Gironde. Il faut donc élargir le regard sur l'ensemble de l'estuaire afin de constater que de nombreux documents ont été réalisés témoignant de la prise en compte et de la (re)connaissance de ce territoire d'estuaire au niveau régional. Orientations issues du CIADT (Comité Interministériel de l'Aménagement et du Développement du Territoire), Charte paysagère et environnementale de l'estuaire de la Gironde 15, SAGE « Estuaire de la Gironde et milieux associés » pour le compte de la Commission Locale de l'Eau 16, et dernièrement la Stratégie de l'Estuaire 2014-2020 17... Parmi tous ces documents de diagnostics, d'enjeux et qui restent à l'état de prescriptions (fiches-actions), il est parfois difficile de s'y retrouver. Le but n'est pas d'en faire une synthèse, mais de relever à travers eux les informations les plus pertinentes afin de comprendre les enjeux qui se posent à grande échelle et auxquels nous serons confrontés à plus petite échelle sur la presqu’île d'Ambès. La stratégie 2014-2020 de l'estuaire, porté par le SMIDDEST, vise en la mise en œuvre d'une stratégie alliant l'entité de l'estuaire et l'aire urbaine bordelaise : en effet, si les anciennes approches tenaient seulement compte de l'aspect rural, l'évidence est de constater que les enjeux issus de l'urbain et du rural sont évidemment liés. Cette stratégie sur six ans vise à pouvoir considérer l'estuaire comme une entité territoriale, géographique, paysagère etc, dépassant le découpage administratif parfois trop excluant. Seulement, même si cette stratégie est portée par le Syndicat, le périmètre d'intervention et les missions de maîtrise d'ouvrage sont majoritairement portées par des intercommunalités. Là est tout l'enjeu, et le plus difficile, de pouvoir mettre en place des actions collectives, de partenariats inter-institutionnels etc. Dix axes stratégiques ont été mis en œuvre. Les premiers axes, naturellement, dans un territoire gouverné par l'eau, ont trait à la gestion de cette ressource indispensable, tels que la maîtrise du risque inondation et la préservation de la qualité de l'eau et de la biodiversité. Les axes suivants s'orientent vers la préservation et la valorisation générales des paysages qui créent l'identité de l'estuaire ; les derniers objectifs sont orientés dans un souci de développement et de maintien économique : « assurer le maintien et le développement des activités aquacoles, ostréicoles et de pêche, favoriser le développement d'une agriculture durable et de qualité, structurer et promouvoir une destination touristique durable, accompagner le développement du nautisme... ». Ces objectifs, s'ils sont évidemment intéressants et pertinents, doivent être 75
pensés dans un même temps, car plusieurs objectifs peuvent être résolus de concert : par exemple, il est tout à fait possible de limiter le risque d'inondation en offrant des terres qui sont submersibles, pouvant absorber de grandes quantités d'eau, tout en permettant une activité agricole adaptée. Ce document met l'accent sur des problèmes et risques bien présents, au niveau de l'estuaire mais également, en ce qui peut nous concerner, au niveau du bec d'Ambès. On y relève les risques naturels dont l'inondation fluvio-maritime (tempêtes successives de 1999 et 2010) et de pollutions accidentelles (forte présence d'industries le long des berges, transport d'hydrocarbures et de produits chimiques sur l'estuaire), mais également les impacts potentiels du changement climatique (échelle du grand bassin versant Garonne-Dordogne). L'étude note également un déclin des « activités traditionnelles contribuant à la bonne gestion d'un territoire », notamment l'élevage qui se voit remplacé depuis quelques années par les cultures de céréales (maïs et blé), cultures qui n'assurent pas un rôle d'entretien et de gestion de ces espaces particuliers, contrairement à l'élevage. Le SAGE, quant à lui, est un outil qui vise à établir à la fois un encadrement réglementaire, une gestion commune de l'eau et des espaces aquatiques, mais également de potentielles actions prioritaires. Il a été mis en place en 1992 à travers la Loi sur l'Eau puis renforcé en 2006. Un Plan d'Aménagement et de Gestion Durable de l'Eau a été crée, qui identifie neuf enjeux concernant le bassin Adour-Garonne dont fait partie l'estuaire de la Gironde. On peut relever le souci de « la qualité des eaux superficielles et le bon état écologique des sous-bassins versants », la prise en compte du risque inondation à travers le PAPI 18, ou encore l'attention aux zones humides, en essayant d'organiser « la conciliation des objectifs environnementaux et humains ». Le PAPI vise à instaurer un outil de contractualisation entre l'Etat et les collectivités, permettant de mettre en place une politique cohérente de gestion du risque inondation à l'échelle de l'estuaire afin de « réduire la vulnérabilité des enjeux humains, économiques et environnementaux ». Concernant notre territoire d'études, le PAPI intègre le Territoire à Risques important d'Inondation de Bordeaux, mais aussi le périmètre SAGE énoncé ci-dessus. Ce document reprend énormément d'informations de la Stratégie 2014-2020, ce qui génère, une fois n'est pas coutume, des documents plutôt longs et dont les contenus sont parfois redondants.
IGN, embouchure de l’estuaire de la Gironde quelque part entre la pointe de Grave et la pointe de Suzac, 2009 15 SMIDDEST (Syndicat mixte pour le développement durable de l’estuaire de la Gironde), « La Charte paysagère et environnementale de l’estuaire de la Gironde », réalisée par l’agence de paysagistes et d’urbanistes Folléa-Gautier, 2006 16 SMIDDEST, Schéma d’Aménagement et de Gestions des Eaux (SAGE) : Estuaire de la Gironde et milieux associés, 2013 17 SMIDDEST, « Estuaire de la Gironde, Stratégie 2014-2020 » issu du programme Leader 2007-2013 18 SMIDDEST, PAPI, Programme d’Actions et de Prévention des Inondations de l’Estuaire de la Gironde, 2015 76
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5 000 m 2 500 m
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B. Limites administratives peu cohérentes avec la géographie et la réalité du territoire vécu Le territoire sur lequel porte l’étude est divisé administrativement par plusieurs communes, dont les buts politiques sont différents. Ces communes s’inscrivent dans un PLU et un SCOT à l’échelle de Bordeaux Métropole, et ont du déléguer certaines compétences, notamment lors de la restructuration des régions. Le millefeuille politique se complexifie puisque l’Etat a également pouvoir sur ce territoire. Pour ainsi dire, chaque territoire semble soumis à des contraintes technico-administratives qui ont défini des limites abstraites et permettent de gérer un territoire par morceau. Ces limites, définies arbitrairement au cours du temps, au gré des opportunités et selon chaque situation, ne coïncident que très rarement avec des éléments concrets du paysage, des structures géographiques par exemple. On peut observer sur la carte ci-contre le découpage des communes qui se fait généralement nord/sud, on a donc une ignorance complète d’une lecture ouest-est du territoire, de berge à berge. Les seules limites cohérentes sont celles qui ont été placées dans le milieu des fleuves, concernant Ambès, Saint-Louis-de-Montferrand et Saint-Vincent-de-Paul, où la limite est bien celle géographique. Mais de façon générale, cette organisation du territoire ne sépare-t-elle pas des entités paysagères qui fonctionnent d’un seul tenant dans la réalité, qui ont leurs propres logiques et qui sont très loin de celles données par l’administration ? Dans le contexte du renforcement de la métropole, il est clair qu’une volonté est faite pour rassembler des compétences et créer une politique métropolitaine globale, et aussi à partir d’entités paysagères (l’exemple du 55 000 ha pour la nature) ; mais cela peut rester encore un peu flou. Ces limites abstraites, je pense qu’elles ne doivent régler que des questions administratives, et que les réalités du terrain et du vivant doivent permettre de penser le territoire autrement. En effet, d’autres logiques sont à l’oeuvre, qui sont cohérentes car faisant partie d’un système vivant qui se base sur des éléments fondateurs du territoire : la géographie, la topographie, l’hydrographie... Ce que l’on pourrait nommer de biens communs potentiels. Ils pourraient donc devenir les objets d’une nouvelle gouvernance territoriale à finalités multiples. A travers ce diplôme, il est donc question de réinterroger le regard que l’on porte sur notre territoire et la façon de le gouverner. Peut-on imaginer un autre mode de gouvernance à partir des éléments vivants ? Cette question est légitimement posée par d’autres nations. En 2008, l’Equateur est le premier pays au monde à avoir permis, dans sa Constitution, de faire figurer les droits de la nature : « Nature ou Pacha Mama, où se reproduit et réalise la vie, a le droit à ce que soient intégralement respectés son existence, le maintien et la régénération de ses cycles vitaux, sa structure, ses fonctions et ses processus évolutifs. Toute personne, communauté, peuple ou nationalité pourra exiger à l’autorité publique, l’accomplissement des droits de la nature ». En 2016 en Nouvelle-Calédonie, le code de l’environnement a introduit le principe de la reconnaissance juridique à des éléments de la nature, animal ou plante, etc. Le 15 mars 2017, le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande, a été reconnu juridiquement comme être vivant unique, « personnalité juridique, avec tous les droits et les devoirs attenants ». Comme toute personne physique, le fleuve peut donc être défendu, dans les procédures judiciaires, par des avocats et par des membres de la tribu qui se sont battus depuis la seconde moitié du XIXe s afin d’obtenir ce texte de loi. Le fleuve retrouve donc son indépendance après avoir été administrativement découpé par le gouvernement britannique, le faisant appartenir à différents propriétaires qui exerçaient des droits d’usages différents. Sur le cas de la presqu’île, c’est à peu près sembable : les propriétaires sont chacun responsable d’une partie du réseau des jalles, ils en ont donc obligation de l’entretenir, ce qui n’est clairement pas fait et engendre donc une inefficience du réseau. Pour autant, même si certains modes de gouvernance se modifient dans certains pays, sommes-nous prêts, localement, à donner un statut à des éléments vivants à mille lieues de notre système économique ? Sommesnous prêts moralement à considérer qu’une mare ou un renard possède ses propres logiques et ses propres langages, et qu’on doit par voie de conséquence, redéfinir un autre rapport au territoire traversé par des formes de vie multiples et des phénomènes non totalement contrôlables (inondations, réchauffement de l’atmosphère, etc) ? 78
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5 000 m 2 500 m
10 000 m
document réalisé à partir de la carte de zonage réglementaire du PPRI de la presqu’île d’Ambès (Direction Départementale de l’Equipement de la Gironde), 2005
champ d’expansion de la crue de référence centennale : globalement totale inconstructibilité
situé sous moins d’1m d’eau, espaces constructibles sous prescriptions constructives
secteur hors PPRI
inondable en exceptionnel, constructible mais limitations des établissements sensibles
79
C. Se prémunir des inondations : le PPRI est-il un document toujours adapté ? Cette cartographie est à mettre en parallèle avec la carte du réseau hydrographique et la topographie (voir partie A.2). Près du tiers de la métropole bordelaise est situé sous le niveau probable des plus hautes eaux. La métropole cumule plusieurs phénomènes naturels : lorsqu’il y a des basses pressions, des vents violents venus du golfe de Gascogne et une forte marée, ces trois éléments se combinent et entraînent la surélévation des eaux de l’estuaire qui ne peuvent plus s’écouler vers l’océan. Concernant le cas de la presqu’île, cette dernière présente une faible topographie qui empêche l’écoulement des eaux, cumulée à cela la remontée de la nappe phréatique due à un sous-sol très perméable. Ce risque inondation est donc réel et fait l’objet du Plan de Prévention du Risque Inondation (PPRI) inscrit au PLU, pour les sept communes : Ambarès-et-Lagrave, Ambès, Bassens, Bayon-sur-Gironde, Lormont, Saint-Louis de Montferrand et Saint-Vincent-de-Paul. Ce dernier règlement a pour plusieurs objectifs : notamment « préserver les champs d’expansion des crues et la capacité d’écoulement des eaux, et limiter l’aggravation du risque inondation par la maîtrise de l’occupation des sols », ce qui passe par des « mesures d’interdiction ou des prescription vis à vis des constructions, des ouvrages, des aménagements ». L’application s’effectue par un « zonage réglementaire » permettant de classer les espaces en trois niveaux de risque : totale inconstructibilité, espaces constructibles sous conditions, et période de crue exceptionnelle (période de retour supérieure à 100 ans mais urbanisable). Afin de se mettre hors d’eau lors d’une crue centennale et de la plue haute crue connue, la côte minimale de seuil estimée est de 4,16m. Cette valeur est ajoutée de 0,50m afin de tenir compte d’une « surélévation possible de la hauteur d’eau dans un casier lors de la phase dynamique de l’inondation, liée au transfert de l’eau plus ou moins rapide entre les casiers ». Néanmoins, ce PPRI, en vigueur depuis 2005, est loin d’être d’actualité : il est basé sur des données qui ne tiennent pas en compte la tempête de 1999, ils sont donc en révision afin de tenir compte du risque de rupture de digues et la montée du niveau des océans. « Les habitants de la presqu’île doivent apprendre à réapprendre à vivre avec risque. Avant la construction des digues dans les années 70, les gens avaient l’habitude de voir l’eau entrer puis sortir » 19 Les inondations qui ne vont cesser de s’accentuer avec le temps nous imposent de savoir comment y faire face : devons-nous lutter contre en les maintenant loin de nous, ou faire en sorte de pouvoir les absorber ? Peut-on proposer des solutions adaptatives et nouvelles, qui puissent composer avec risque ? Est-ce que cela peut remettre en cause le périmètre PPRI ? Quelles postures adopter ?
19
Florence Youbi, directrice du SPIPA, http://rue89bordeaux.com/2014/12/prevention-inondations-serpent-mer-en-gironde/
80
débordements observés sur l’ensemble du linéaire de protection à l’exception de l’extrême partie nord côté Garonne
les bourgs d’Ambès, StVincent-de-Paul et St-Louis de Montferrand sont inondés
ord
hauteurs d’eau supérieures à 1 m dans les secteurs des marais
Cartographie des aléas (hauteurs d’eau maximales de la tempête 1999) - Source Artelia 81
D. Cas concret : que nous enseigne la tempête Martin de 1999 ? >> Hauteurs d’eau maximales dans la presqu’île L’estuaire de la Gironde a été touché à maintes reprises par des crues historiques qui ont impacté largement les territoires bordant les fleuves. En un siècle, on en dénombre une vingtaine dont deux particulièrement importantes qui sont rentrées dans la mémoire populaire : la tempête Martin en 1999 et Xynthia en 2010. L’analyse historique des données quantitatives mises à disposition par le SMIDDEST et rassemblées dans le tableau (page suivante) permet de montrer que « la génération d’une phénomène d’inondation sur l’estuaire est bien sous la dépendance d’une conjonction de phénomènes hydrométéorologiques et peut se produire différemment, ce qui rend encore plus complexe qu’ailleurs l’analyse ». En réponse à cela, le SMIDDEST passe une commande d’étude au bureau d’ingénierie Artelia (Eau & Environnement Sud-Ouest, Agence de Bordeaux) 20. Ce document a pour objectif de définir et d’optimiser les aménagements pouvant être mis à œuvre afin « d’assurer la protection des populations des secteurs densément habités (hors habités isolés) grâce à des protections d’ensemble ». Un schéma d’aménagement de l’estuaire a donc été proposé, fait de réhabilitations ou de constructions de digues, de remise en service de jalles, etc, ceci servant de base pour le futur PAPI (Programmes d’Actions de Prévention des Inondations). Ce qui est surtout intéressant dans le cadre de notre travail, ce sont les modélisations crées à partir des données hydrométéorologiques (ci-contre), de la topographie et du réseau de ressuyage (cours d’eau, jalles, esteys, canaux etc) ainsi que le fonctionnement des ouvrages spécifiques (clapets, portes à flots etc). Ces cartes « d’aléas hydrauliques » traduisent les paramètres maximaux observés sur chaque lieu d’étude. L’événement de référence pris pour cette étude est la tempête Martin de 1999, qui se caractérisait par un coefficient de marée faible, des débits fluviaux moyens mais des vents forts (des pointes à 194 km/h) et une sur côte très forte de 2,25 m à Bordeaux). La carte ci-contre montre, dans l’état actuel des protections, les hauteurs d’eau maximales générées par la tempête sur la presqu’île. Ce qui est flagrant c’est que quasiment l’ensemble de la presqu’île a été inondé sous des hauteurs d’eau différentes, cependant relativement importantes (0,50m jusqu’à plus de 1m) pour que l’on s’inquiète du devenir du territoire. Si Artelia recommande la rénovation complète et la construction de digues sur tout le linéaire de berges, nous sommes en droit de nous demander, jusqu’à quelle hauteur, et pour combien de temps ? N’y aura-t-il pas plus de tempêtes, fortes et imprévisibles qui s’affranchissent des murs qui se fendent et cassent ? Combien d’argent engagé pour offrir une protection que l’on sait temporaire et qu’il faudra de toute façon reconstruire ? Un autre axe de leur stratégie est de diriger au maximum les eaux vers les Marais, du nord au sud afin de limiter les inondations dans les bourgs concernés, tout en ne proposant pas de solutions pour les habitats isolés dont aucune solution n’est proposée. Les questions se placent, en effet, à différents niveaux. Quelle protection offrir à la population, qui est dans la majorité de la presqu’île, menacée ? Face à cette possible impasse, ne peut-on pas opter pour des stratégies qui ne soient pas faites de murs en béton, mais plutôt d’une possible adaptation aux phénomènes et d’une « utilisation » raisonnée du territoire ? Comment sortir d’une vision technicienne qui soumet le territoire exclusivement pour le besoin humain, sans prendre en compte de possibles impacts dans les écosystèmes pouvant être engendrées par les aménagements ou par le transfert rapide de trop grosses quantités d’eau dans les parties basses ?
ARTELIA, Elaboration d’un référentiel de protection contre les inondations sur l’estuaire de la Gironde, Rapport d’étape 2 : schéma d’aménagement de l’estuaire, 2012. Pour le SMIDDEST 20
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+ faible ++ moyen +++ fort +++++ très fort 06 mars 1930
débit
surcôte vent marée (75 ; > 100) (< 50 ; > 100) (< 10 ; > 100) cm km/h
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+
-
-
+
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10 décembre 1944
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+
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-
1er novembre 1963
+
+++
-
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+
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-
+
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+++
++
13 décembre 1981
++
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+++
17 décembre 1981
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+
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++
18 mars 1988
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++++
-
+
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+++
++
07 février 1996
+
++
++++
++
27 décembre 1999
+
++
++++
++++
06 février 2003
+++
+
+
-
05 mai 2004
+
+++
++
++
12 mars 2006
++
+
+
-
30 mars 2006
+
+++
++
-
28 février 2010
++
+++
++++
++++
1er février 2014
++
+++
+
++
03 mars 2014
++
+++
+
-
14 mars 1937
30 janvier 1979 28 mars 1979
23 décembre 1995
événements fluvio-maritimes de l’estuaire de la Gironde depuis 1930
83
« On surveille la météo, le vent surtout, c’est lui qui fait déborder la Garonne. Et on est à l’écoute des animaux. On a remarqué ça plusieurs fois : avant une tempête, les oiseaux disparaissent, il n’y en a plus un seul, et les poules se perchent en haut des arbres. Ça, c’est un signe qui ne trompe pas. Moi, je repense souvent à la tempête. La nuit, je touche le sol de ma chambre, par réflexe, pour voir s’il n’y a pas d’eau ! » 21 Renée Boutin, habitante de Saint-Louis-de-Montferrand, à quelques mètres du fleuve, sinistrée en 1999 et 2010
21
http://www.sudouest.fr/2011/02/24/l-effet-xynthia-un-an-apres-325878-729.php
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5 000 m 2 500 m
10 000 m
document réalisé à partir des données du DOCOB Natura 2000 «Marais du Bec d’Ambès, Octobre 2012
2% Autres plantations 7% Forêts caducifoliées 10% Forêts artificielles 10% Marais, Bas-marais, tourbières 10% Eaux douces intérieures
61% Prairies semi-naturelles humides, prairies mésophiles
85
E. Milieux naturels référencés Natura 2000 >> Lecture cartographique Natura 2000 est un réseau développé à échelle européenne qui vise en la protection et la gestion des sites naturels de la faune et de la flore sauvage. Pour cela, deux directives ont été adoptées, l’une en 1979 (Directive Oiseaux et Habitats) puis en 1992 (Directive Habitats) qui permettent de répertorier les Sites d’Interêt Communautaire. Concernant cette dernière directive, elle a pour objectif de répertorier les « habitats naturels ou semi-naturels d’intérêt communautaire, de par leur rareté, ou le rôle écologique primordial qu’ils jouent », intégrant également les espèces issues de la faune et de la flore. L’originalité de la démarche Natura 2000 est de prendre en compte des habitats et non plus des espèces seules ; mais aussi de prendre en compte l’impact des activités humaines dans la protection de la nature. Il s’agit là d’une vision basée sur le développement durable des territoires et non plus d’une vision sactuarisée des espaces à protéger. Il est laissé libre à chaque Etat membre de l’Europe d’établir « les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrées dans d’autres plans d’aménagement » (article 6.1 de la Directive Habitats). En France, ces mesures sont réunies dans des « DOCument d’OBjectifs », élaborés localement par un opérateur (dans le cas de la presqu’île, la société Rivière Environnement) pour le compte du comité de pilotage. Une grande partie de la presqu’île bénéficie d’un périmètre de protection Natura 2000. Elle traverse des paysages assez diversifiés et il est intéressant d’analyser la valeur « écologique » donnée à cette partie du territoire. Ce sont les marais du bec d’Ambès qui ont été répertoriés au titre de la ZPS (Zone Spéciale de Conservation) de la directive Habitats de 1992, au terme d’une procédure qui dura quatre ans, jusqu’en 2006. D’une surface totale de 2 651 ha, ce site est présenté comme un « ensemble de milieux humides sur substrat alluvionnaire », comprenant plusieurs classes d’habitats. Un « habitat naturel » se caractérise en trois points non dissociables les uns des autres : il est formé par un compartiment stationnel (conditions climatiques régionales et locales, géomorphologie, propriétés physiques et chimiques du sol, d’une végétation, et d’une faune associée (espèces inféodées à une espèce végétale). Les milieux répertoriés sont au nombre de six dont un prédomine largement : les prairies semi-naturelles humides ou mésophiles représentent 61% du périmètre, on peut donc imaginer des paysages plutôt ras et ouverts. Trois habitats représentent chacun 10%, les eaux douces intérieures, les marais, bas-marais et tourbières, ainsi que les forêts artificielles en monoculture. En plus faible nombre, on retrouve des forêts caducifoliées (7%) et d’autres plantations de types vergers, vignes... (2%). L’agriculture est l’activité économique la plus importante dans ce périmètre, elle permet notamment le maintien des espaces ouverts. Ce sont majoritairement le pâturage extensif et la chasse au gibier d’eau à partir d’installations fixes appelées « tonnes » qui favorisent le maintien des milieux ouverts et bocagers. Cependant les menaces identifiées concernent précisément une déprise agricole de plus en plus marquée et une disparition progressive des pratiques traditionnelles liées à l’élevage. Ainsi, le DOCOB 22 datant d’octobre 2012 propose, en outre des informations synthétiques concernant le site classé, des préconisations de gestion afin de « soutenir la poursuite, le développement et la valorisation de pratiques favorables à leur conservation ». Ce document est à destination de « personnes privées et personnes morales, publiques ou privées (propriétaires privés, communes, syndicat des marais, établissements publics...) », dont les « engagements proposés correspondent à des bonnes pratiques n’entraînant pas de surcoût de gestion ».
http://www.donnees.aquitaine.developpement-durable.gouv.fr/DOCUMENTS/SPREB/NATURE_PAYSAGE_BIODIVERSITE/ NATURA_2000/DOCOB_CHARTE/FR7200686_Charte.pdf 22
86
1
Prairies humides semi-naturelles et prairies mésophiles (Formations herbeuses naturelles et semi-naturelles)
prairies pâturées en bord de Dordogne, St-Vincent de Paul 2
Habitats d’eau douces (eaux dormantes et eaux courantes)
jalle en eau au Petit Marais, Ambarès-et-Lagrave 3
Forêts caducifoliées (forêts alluviales et forêts mixtes)
ripisylve le long de la Garonne, St-Louis de Montferrand
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>> Exemples de trois types de milieux référencés dans le DOCOB au titre de « milieux naturels d’intérêt communautaire et patrimonial » 1
Compartiment stationnel et Habitats On retrouve trois habitats différents concernant les prairies humides semi-naturelles. Les caractères généraux de ces prairies sont de « vastes ensembles de communautés correspondant à des végétations de hautes herbes de type mégaphorbiaies et de lisières forestières ». Le premier habitat rassemble des prairies à Molinia sur sols calcaires, tourbeux ou argilo-limoneux (Molinion caeruleae). Le deuxième des mégaphorbiaies mésotrophes collinéennes (Filipendula ulmaria, Angelica Sylvestris, Lythrum salicaria...), et le troisième des mégaphorbiaies eutrophes des eaux douces 23. Compartiment stationnel et Habitats Les pelouses mésophiles rentrent dans la catégorie des prairies fauchées thermo-atlantique mésohydrophiles du Sud-Ouest. Elles sont assez communes en France puisqu’elles s’installent dans un large spectre de conditions trophiques, avec un sol plus ou moins profond. Ces prairies peuvent être à la fois fauchées et pâturées, actions qui modifient plus ou moins la composition floristique des prairies, « selon les combinaisons de traitement, la charge et la durée du pâturage », et qui permettent de maintenir ce type d’habitat en l’état : la « fauche de ces prairies permet d’en conserver la structure et la diversité floristique spécifique » 24. 2
Compartiment stationnel et Habitats Les eaux stagnantes vont accueillir une végétation vivace oligotrophique caractéristique des régions atlantiques avec principalement des Littorelletea uniflorae. Cette espèce vit par groupements pionniers, amphibies à aquatiques, formant des gazons plus ou moins denses. Ils se contentent de substrats variés pauvres en nutriments. On retrouve également des communautés annuelles de mésotrophiques qui se développent plutôt sur de petites surfaces, les recouvrements au sol étant assez faibles (Isoeto et Juncetea). Compartiment stationnel et Habitats Les eaux courantes comprennent des ruisseaux ou petites rivières eutrophes neutres à basiques. La végétation associée s’installe dans des eaux assez à peu courantes, dont les hydrophytes submergées (Callitriche obtusangula, Zannichellia palustris...) et flottantes et les épiphytes sont les plus fréquentes, malgré la présence possible de plusieurs strates végétales.
3
Compartiment stationnel et Habitats Les forêts alluviales correspondent à des habitats qui occupent le lit majeur des cours d’eau, en stations humides. Ces forêts sont donc soumises à des remontées de nappe d’eau souterraine ou en bordure de sources. Deux grands ensembles de types d’habitat élémentaire peuvent être distingués : les forêts à bois tendre (saulaies, saulaies-peupleraies, peupleraies noires...) sont nourris par les limons de crues, tandis que les forêts à bois dur (Alnus glutinosa, Fraxinus excelsior...) se trouvent en retrait par rapport aux bois tendres. Cependant, ils peuvent se retrouver en bordure des cours d’eau, et « jouent un rôle fondamental dans la fixation des berges et sur le plan paysager ». Ce type d’habitat a fortement diminué du fait des pratiques anthropiques et les enjeux de conservation du cours d’eau et de sa dynamique sont importants 23 Compartiment stationnel et Habitats Les forêts mixtes « représentent les forêts riveraines les plus mûres que l’on puisse observer au niveau des lits majeurs de nos cours d’eau ». Elles sont installées sur les terrasses alluviales des fleuves, de grandes rivières ou sur certaines zones soumises à des crues dues à la remontée de la nappe. Elles peuvent être associées à des forêts à bois tendre. On y retrouve des Frênes (Fraxinus excelsior et F. angustifolia), du Chêne pédonculé (Quercus robur), des Ormes (Ulmus laevis, U. minor) et du Peuplier blanc parfois (Populus alba).
http://www.donnees.aquitaine.developpement-durable.gouv.fr/DOCUMENTS/SPREB/NATURE_PAYSAGE_BIODIVERSITE/ NATURA_2000/DOCOB_CHARTE/FR7200686_Charte.pdf 24 https://inpn.mnhn.fr/habitat/cd_hab/1132/tab/description / https://inpn.mnhn.fr/habitat/cd_hab/1087/tab/description 23
88
les docks des pétroles d’Ambès EKA chimie SA
ord
cie bordelaise des gaz liquéfiés
0
5 000 m 2 500 m
10 000 m
document réalisé à partir de la carte «sites industriels et technologiques et types de risques inscrits au PLU» de l’atlas de la presqu’île d’Ambès (a’urba 2008)
terminal pétrolier de Bordeaux
YARA Ambès entrepôt pétrolier de la Gironde Lucien Bernard et Cie
Installations classées SEVESO 2 seuil haut seuil bas Périmètre SEVESO 2 (données issues de la DRIRE)
SIMOREP et Cie CASCO Industrie les docks des pétroles d’Ambès SOGIP LINDE GAS SA 89
F. Risques industriel et technologique : quelles légitimités des ressources ? La présence marquée de sites industriels et technologiques témoigne, une fois de plus, du caractère hétérogène de la presqu’île. Apparues dès la seconde moitié du XXe siècle, ces infrastructures ont été reléguées loin des villes car peu séduisantes, et surtout plutôt dangereuses. Elles demandaient alors de grands espaces disponibles, et l’on a trouvé dans la presqu’île l’endroit idéal car permettant un accès direct au fleuve Garonne, mais aussi une population peu nombreuse et des espaces urbains réduits. Quarante neuf installations sont classées, dont treize d’entre elles Seveso II, dont neuf en seuil haut. Sur la cartographie ci-contre, seules quelques installations classées Seveso II sont représentées. La majorité se trouvent le long des berges de la Garonne, et monopolisent des surfaces de terrain importantes. La législation sur les Installations classés distingue trois degrés de dangerosité, évalués en fonction de la masse des produits générateurs de risques et des potentiels de fabrication. Le niveau maximal de dangerosité est valable pour 1 249 installations en France, selon les normes de la Directive Seveso II depuis 2000. Parmi ces installations, 668 établissements sont en « seuil haut », car elles représentent une dangerosité maximale, du fait de plusieurs facteurs : leur enclavement dans le tissu urbain, mais aussi la nature même de leur activité, principalement dans les secteurs de la chimie et du traitement des hydrocarbures. Le Plan de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) mis en place par la loi du 30 juillet 2003 et suite à la catastrophe de l’usine AZF à Toulouse, vise à renforcer les moyens juridiques pour se prémunir et limiter les accidents potentiels : travaux de prévention, droit de préemption, droit de délaissement, expropriation... Des questions de pérennité se posent sur les installations les plus dangereuses, qui tirent profit de ressources qui, pour la majorité, appauvrissent et ont des répercussions néfastes sur notre système terrestre. Dans le cas du pétrole par exemple, peut-on imaginer à long terme sa disparition ? Est-ce que nous devons remettre en cause la légitimité d’user de ces ressources ? Doivent-elles être encore si présentes dans 20, 50 ou 100 ans ? Doit-on continuer sur ces modèles jusqu’à épuisement total des « stocks » naturels ou réduire leur emprise sur le territoire, et auquel cas, comment reconvertir ces territoires certainement pollués ?
installations d’hydrocarbures sur la pointe du bec d’Ambès 90
III.Recomposer les structures territoriales à échelle de la presqu’île La dernière étape de la première partie « Connaissances du territoire » va nous permettre de remettre en lien chaque structure dans un système de logique territoriale
les structures identifiées
topographie
1. Approches qui doivent être réinterprétées dans des logiques Chaque approche constitue une structure individuelle qui a pu être observée séparément des autres. Seulement, cette façon de procéder est incomplète : il nous faut dorénavant recomposer ces calques afin de comprendre les relations qu’elles tissent entre elles. Pour la majeure partie, chaque structure territoriale compose une part de la logique. Une structure peut également composer plusieurs logiques, car la méthode d’étude par calques ne se veut pas restrictive dans les usages. Ces relations sont issues d’une logique territoriale, celle qui définit « l’ensemble des relations qui règlent le fonctionnement d’une organisation ou l’apparition de phénomènes » (Le petit Larousse illustré, 2000). Il existe donc des « organisations » qui sont le fait de plusieurs logiques territoriales qui règnent sur le territoire. Ces relations sont de natures différentes, elles n’ont pas les mêmes objectifs et fonctions, et se retrouvent donc en concurrence pour posséder du territoire. Cette façon de procéder m’a permis de dégager quatre logiques territoriales fondamentales. Elles constituent les quatre logiques sur lesquelles le projet de paysage devra se baser : > la logique naturelle / écologique > la logique agricole / productrice > la logique urbaine > la logique industrielle
hydrographie
espaces ouverts et semi-transparents
espaces les moins transparents et fermés
déplacement
habitat et ses abords
sites industriels et technologiques
91
les logiques identifiĂŠes
logique naturelle / ĂŠcologique
logique agricole / productrice
logique urbaine
logique industrielle
92
93
2. Les enjeux propres à chaque logique > la logique naturelle / écologique
> la logique urbaine
Il faut d’abord renvoyer à la définition première de l’écologie donnée par le biologiste allemand Ernst Haeckel en 1866, qui la désigne comme « la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence ». C’est donc la totalité du monde vivant qu’il faut intégrer, du micro-organisme jusqu’à l’humain. La notion d’écologie renvoie donc à deux aspects, celui des êtres vivants (biocénose) et celui du milieu physique (biotope) qui, ensemble, forment un écosystème. La logique naturelle renvoie donc à la logique du vivant et à son expression dans l’environnement. Il faut l’associer au domaine de la biologie dont les objets d’étude sont l’être vivant et la vie en général. L’objectif de cette logique est donc l’expression du vivant à toutes échelles et dans des milieux physiques adaptés.
La logique urbaine est celle qui réunit les conditions d’existence de la ville. Selon les deux géographes Michel Lussault et Jacques Lévy, l’urbanité est le « couplage de la densité et de la diversité des objets de société dans l’espace », ce qui induit donc des « gradients d’urbanité ». Selon la définition donnée par Géoconfluences (site expert ENS/DGESCO de géographie), « l’urbanité s’appuie sur une double mixité : mixité sociale (co-présence dans l’espace urbain de toutes les strates de la société) et mixité fonctionnelle (les espaces urbains sont dédiés à toutes les fonctions d’habitat, de commerce, de production, de loisirs et de circulation). » L’objectif de cette logique est donc l’expression de la ville dans sa diversité, induisant de l’habitat, des espaces publics, des services etc.
> la logique agricole / productrice
> la logique industrielle
L’activité agricole a pour but d’assurer principalement les besoins alimentaires des sociétés qui la pratiquent. C’est un processus d’aménagement qui désigne l’ensemble des travaux mis en place afin de transformer le milieu naturel. L’agriculture est une pratique fondamentale pour nos sociétés et représente également un héritage. Néanmoins, les systèmes, c’est à dire les modes de fonctionnement et les impacts qu’ils représentent aux niveaux social, économique et environnemental sont plus que remis en question à notre époque. Nous aurons l’occasion de réinterroger les modèles en place afin peut être, d’envisager de nouvelles possibilités permises par le projet.
Selon le CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales), l’industrie représente l’ « ensemble des activités économiques (caractérisées par la mécanisation et l’automatisation des moyens de travail, la centralisation des moyens de production et la concentration de la propriété des moyens de production), ayant pour objet l’exploitation des sources d’énergie et des richesses minérales du sol ainsi que la production de produits fabriqués à partir de matières premières ou de matières ayant déjà subi une ou plusieurs transformations ». Cette définition plutôt large correspond à la pluralité d’entreprises et d’industries de natures différentes présentes sur la presqu’île. Si cette logique peut également faire partie de la logique urbaine, j’ai préféré l’isoler car elle occupe une part importante sur le territoire.
94
Ci-dessus : remontée de nappe dans un jardin sur la commune de Saint-Vincent-de-Paul, à proximité d’une jalle, février 2016 95
PARTIE 2 ENJEUX DU TERRITOIRE AUX VUES DES RISQUES ENCOURUS
Cette partie va permettre de formuler les enjeux qui se posent sur le territoire, en ayant comme porte d’entrée le sol et l’eau. Ceci en vue de formaliser des stratégies d’adaptation qui intègrent toutes les questions qui se posent sur le territoire. Il s’agit de mettre en regard la réalité actuelle du territoire et les possibles changements à advenir, à partir de ce que l’on sait du nouveau régime climatique à advenir. Chaque logique, on l’a vu, est source de questions dont les réponses peuvent être différentes : l’idée dans cette partie est de questionner collectivement les possibles enjeux en cours. Avec notamment une question fondamentale : quels paysages voulons-nous voir conserver et/ou émerger ? Nous allons peut-être alors être amenés à bousculer de possibles certitudes et savoirs que l’on aura appris durant la Partie I. Peut-être faudra-t-il remettre en question les périmètres, les législations ? Se rendra-t-on compte d’une possible obsolescence de nos systèmes de pensée et d’action face à une pression climatique qui va se faire de plus en plus présente ? ORGANISATION DE LA PARTIE 2 La partie 2 se fera en trois temps : Une première cartographie dynamique qui posera les premiers jalons pour définir nos enjeux, à partir de la topographie et l’eau, comme pré-requis ; Le deuxième temps sera de définir des espaces à enjeux qui s’appuieront sur quatre fourchettes de variations topographiques ; Le troisième temps identifiera et localisera les enjeux sur chaque partie du territoire selon les fourchettes de hauteurs de sols. La formulation d’enjeux permettra de poser des questions constituant le premier pas vers une projection dans le temps. En effet, notre postulat sera de proposer, en partie 4, à environ + 100 ans de notre année actuelle, des états possibles du territoire pour la presqu’île d’Ambès, des stratégies de transformation du territoire. Proposer cette vision anticipée sera un préalable pour, pourquoi pas, tricoter des scénarios sur plusieurs pas de temps, un projet à l’envers, à partir de la vision à long terme.
96
montée des eaux
e
ritim
marée aller/retour
AMBÈS
remontée de nappe
ruissellement des cours d’eau
influ
ritime
io-ma
fluv ence
ord
e ma
nc influe
viale
ce flu
n influe
97
I. Dynamiques et invariables au cours du temps 0 > 100 ans : topographie et eau comme pré-requis Cette cartographie ci-contre montre les données invariables sur lesquelles on va s’appuyer afin de penser les stratégies. Elle nous servira de référence car elle permet de considérer le territoire à la fois dans ses données géographiques invariables (topographie naturelle, dynamiques de l’eau) et à la fois dans ses événements climatiques exceptionnels qui donnent un autre visage à la presqu’île (tempête 1999 événement de référence, montée des eaux).
> l’événement de référence, la tempête Martin 1999, est la résultante des trois dynamiques précédentes. Elle nous sert de base de données et de chiffres tangibles au pire des conjonctions des dynamiques : marée, ruissellement des eaux pluviales, remontées de nappe, et la montée des eaux progressive (source Artelia, voir Partie I). Les points les plus bas peuvent-ils se révéler être des points d’ancrage autour desquels les stratégies de projet gravitent ?
+
> la prévision de la montée des eaux, qui reste peu perceptible en temps normal, se révèle être une donnée importante lors des marées et des tempêtes, puisqu’elle aggrave les conditions. A court, moyen ou long terme, sa visibilité va en s’aggravant, ainsi, il paraît fondamental de voir son état à 100 ans pour mettre dès aujourd’hui des solutions en place afin qu’elle ne rende pas le territoire plus vulnérable.
+ > les dynamiques de l’eau à différents pas de temps, témoignent d’un territoire dynamique, fortement influencé par les mouvements de l’eau : marée, ruissellement des eaux pluviales, remontées de nappe. Peut-on utiliser ces dernières dans des formes et temps de projet ?
+ > le socle topographique : conditions d’existence du territoire, il se révèle par juxtaposition avec le calque des inondations de la tempête de 1999 : les points bas sont ainsi visibles autant que les points hauts, par différence. 98
Points hauts > 5 m NGF
Points intermédiaires 2 à 5 m NGF
Points bas + 1 à 2 m NGF
ord
Points bas ++ 0 à 1 m NGF
Ci-dessus : cartographie des espaces à enjeux selon les points topographiques 99
II. Espaces à enjeux A partir de cette cartographie, nous considérons donc que deux données invariables permettent de définir la principale porte d’entrée afin de définir des enjeux sur les différents espaces de la presqu’île. Parce que le territoire n’est pas homogène, il est notamment caractérisé par ses variations topographiques comme nous avons pu déjà le voir, ce que la carte des points bas inondés révèle d’autant plus dans une situation exceptionnelle (Tempête Martin, 1999). J’ai donc décidé de pouvoir définir les enjeux du territoire à partir de quatre variations « topographiques », qui sont des fourchettes de hauteurs : - en points bas compris de 0 à 1 m de hauteur au-dessus du niveau de la mer : ce sont les points les plus inondés, ceux formant une « cuvette » - en points bas compris de 1 à 2 m de hauteur au-dessus du niveau de la mer : ils sont inondés mais leur capacité pour évacuer les eaux est plus rapide - en points intermédiaires compris de 2 à 5 m de hauteur au-dessus du niveau de la mer : nous sommes sur des hauteurs qui peuvent être submergées temporairement, mais l’eau n’est que de passage : on retrouve ces points notamment sur les bourrelets alluvionnaires partie Est de la presqu’île - en points hauts supérieurs à 5 m de hauteur au-dessus du niveau de la mer : les terrasses de la fin des coteaux sont hors d’eau, ils ne sont donc pas compris comme terres inondables mais leur considérant dans le projet est indissociable, de par la question périphérique. La série de cartes ci-après révèle donc, par sur-brillance couleur, les fourchettes de hauteurs auxquelles sont légendés les enjeux déduits de ces espaces.
100
III. Enjeux déduits A. Points bas 0 à 1 m NGF
e
n s, rue c de ne rs rdog o l ui, Do s q e la e d é ilis au rag s l’e f a s rge t p be ppen sto
« marais des Religieuses » : parcelles agricoles ou en enfrichement du fait de l’arrêt de l’ancienne centrale thermique EDF
rôle d’expansion des eaux lors de crues ? rôle agricole ?
points les plus bas de la presqu’île : marais, parcelles valorisés par l’agriculture extensive fonctionnement des jalles quasi-nulle : freine le rejet des eaux de crues dans les fleuves périmètre natura 2000
ord
créer des espaces d’ouverture pour la Dordogne ? consolider et fermer les berges ? agrandissement périmètre natura 2000 ?
quelle gestion des jalles ? réparer le système ? comment, du fait des multiples gestionnaires qui ne peuvent pas toujours entretenir le réseau ? proposer un nouveau système de gouvernance (communal, métropole, état ?) du système ? ne pas avoir d’intervention sur le système des jalles ? rendre ces espaces essentiels pour l’accueil de l’eau ? un réservoir hydrique et biologique ? une grande Réserve Biologique Métropolitaine ? cultures agricoles à adapter si inondations de + en + fréquentes ?
NB : les espaces en couleur sont l’ensemble de points concernés par les enjeux 101
centre bourg de St-Louis de Montferrand inondé limiter la venue de l’eau des fleuves pour protéger coûte que coûte les espaces urbains construits ? faire un choix ? délocaliser les villages hors d’eau par décision de justice ? zone d’aménagement différé ?
102
palus de Sabarèges en gel agricole et périmètre natura 2000 protéger des inondations ou offrir des espaces d’expansion pour la Garonne ? créer de la porosité avec les espaces urbains en arrière ?
2. Enjeux déduits B. Points bas 1 à 2 m NGF
espaces industriels soumis aux inondations où les risques peuvent être importants centre bourg d’Ambès inondé limiter la venue de l’eau des fleuves pour protéger coûte que coûte les espaces urbains construits ? faire un choix ? délocaliser les villages vers des terres hors d’eau ? proposer un outil de préemption afin d’acquérir les terres (zone d’aménagement différé) ? comment reconvertir ces espaces ubains ?
ord
consolidation des berges pour protéger les industries ? déplacement / disparition et dépollution des terres ?
NB : les espaces en couleur sont l’ensemble de points concernés par les enjeux 103
franges inondées de façon moins importante que les espaces qu’elles bordent espaces de transition ? penser des lisières fertiles entre différents types d’espaces : naturel, agricole, urbain ? lisière agricole / habitat ? habitat / forêt ? habitat / marais ? etc
estey du Gua longeant la palue de Sabarèges pénétrante entre les berges et l’intérieur des terres ? retravailler ses abords ? l’intégrer dans un ensemble d’espaces plus vaste ?
104
Enjeux C. Points intermédiaires 2 m > 5 m NGF
frange Est de la presqu’île comprenant des points intermédiaires permettant le transfert de l’eau en arrière lors de fortes crues
ord
quels statuts pour ces espaces inondés temporairement ? peut-on y proposer de l’habitat adapté, sur pilotis ? revoir périmètre natura 2000 afin d’accorder des modèles d’habiter en étroite collaboration avec le territoire ? doit-on y développer plutôt des espaces agricoles submersibles temporairement ? quelles relations avec les marais ? peut-on imaginer des «pôles mixtes» faits d’agriculture, d’habitat, d’espaces d’agrément, jouant le rôle de «pivot» entre fleuve et intérieur de la presqu’île ?
NB : les espaces en couleur sont l’ensemble de points concernés par les enjeux 105
106
Enjeux D. Points hauts > 5 m NGF
points hors d’eau sur la fin des terrasses alluviales : quartiers pavillonnaires pour la majorité avec peu de densité, grandes surfaces de terrains, grande consommation d’espace parcelles sans affectation (enfrichement) ou en voie d’urbanisation. quelques parcelles servant à faire pâturer
ord
quelle politique pour cette fin de ville ? doit-on densifier les dents creuses afin de proposer de nouvelles formes d’habitats ? doit-on conserver des ilôts végétalisés qui agissent comme régulateurs climatiques / gestion des eaux pluviales ?
NB : les espaces en couleur sont l’ensemble de points concernés par les enjeux 107
108
109
PARTIE 3 IMAGES MENTALES ET ÉTHIQUE DE PROJET
« A travers les vicissitudes de ma vie et une ardeur de connaissance dirigée sur des objets très variés, je me suis trouvé engagé à m’occuper, en apparence presque exclusivement et pendant plusieurs années, de disciplines particulières : de botanique, de géologie, de chimie, de positionnements astronomiques et de magnétisme terrestre, qui devaient me préparer à une lointaine expédition ; le véritable but de ces études était en effet bien plus élevé. Je désirais saisir le monde des phénomènes et des forces physiques dans leur connexité et leur influence réciproques. » 25
Maintenant, une suspension, une respiration. Le temps des prises de décision, des choix, des abandons, des doutes, le temps du projet est arrivé. Mais faisons un pas de côté. Partons loin de la presqu’île d’Ambès. Je vous invite à voguer dans mes « images mentales », celles composées des diverses références auxquelles j’adhère particulièrement. Elles composent aujourd’hui ma façon de concevoir le projet de paysage, ma propre éthique en train de se construire. Ces références ne peuvent être hiéarchisées entre elles, se complètent souvent et jamais ne s’opposent ; sont de sources et d’influences différentes : tantôt empruntées au domaine scientifique, au domaine pictural, au domaine philosophique, au domaine social, au domaine écologique,… Tant d’origines qui prouvent que la profession de paysagiste se nourrit de la pluralité d’approches, est à multiples facettes et multiples angles d’attaque : aucun compartimentage n’est possible.
Humboldt, A. de, Kosmos, Entwurf einer physischen Weltbeschreibung, première édition à partir de 1845, Frankfurter am Main, Eichborn Verlag, 941 p, 2004 25
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L’harmonie territoriale selon Ambrogio Lorenzetti : Allégorie et effets du Bon et du Mauvais Gouvernement Cet ensemble de fresques situé au Palazzo Pubblico de Sienne et exécuté entre 1337 et 1340, est vraisemblablement le premier panorama de la représentation paysagère en Europe, bien avant la Renaissance. La fresque du Bon Gouvernement établit un lien évident entre les bénéfices qu’apportent la démocratie et les effets positifs sur les paysages. Face à elle, la fresque du Mauvais Gouvernement représente un système tyrannique : on y devine une ville soumise à la destruction, aux assassinats, au tyran sur son trône, ce qui entraînent, hors des murs, des paysages qui s’enfrichent, des incendies... C’est donc une ode à l’humanisation intelligente de l’espace, où le travail humain embellit le monde pourvu qu’il soit gouverné par une Cité-Etat avec neuf vertus indispensables dont la prudence, la tempérance, la justice... Ce que nous apprend cette fresque, c’est que cette Cité-Etat n’est pas seulement urbaine, mais qu’elle est complète seulement avec ses bourgs, sa campagne environnante... La vision très duelle de l’espace, en cours dans toute l’Europe, entre un monde habité et un monde sauvage bascule : en juxtaposant l’habité et le sauvage, on se rend compte qu’il n’existe qu’un seul monde habité.
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Le projet de paysage comme outil possible afin d’établir une autre « carte du vivant » (Baptiste Morizot) afin d’intégrer pleinement les « entités non-humaines » (Bruno Latour) L’humanité toute entière fait face à des problèmes écologiques majeurs qui ne vont cesser de s’aggraver au cours du XXIe siècle. La question est de savoir si le projet de paysage a les capacités de proposer des mesures concrètes afin de limiter l’impact de ces catastrophes dans les milieux de vie impactés. Cela suggère évidemment des ressources matérielles, mais également pour nous de nouvelles clés de compréhension afin de constituer un nouveau rapport au vivant. Cette nécessité de réinterroger le rapport que nous entretenons avec les autres espèces (animales et végétales) est d’autant plus vraie que nous sommes souvent dans des relations d’impasse qui ne permettent pas d’établir un équilibre serein. C’est ce qu’explique Baptiste Morizot, enseignant-chercheur et maître de conférences en philosophie, qui prend en effet pour emblème le loup afin de questionner notre rapport au sauvage, à cette nature qu’on ne maîtrise pas, qu’on ne domine pas, qu’on n’a pas domestiqué 26... On assiste de plusieurs années au retour du loup en France. Par le biais de la médiatisation qui en est faite, la société fait saillir les représentations les plus profondes que nous avons de la nature : incontrôlable, destructrice envers les animaux que nous élevons... Le problème qu’il met à jour est la cohabitation, entre d’un côté des éleveurs qui ont une certaine manière de diriger leur troupeaux ovins, et d’un autre le retour d’un animal sauvage qu’on avait éradiqué au cours du XXe s. Les solutions mises en place afin de tenir à distance, voire de tuer, révèlent leur inefficacité. L’auteur nous met en face de notre incapacité à cohabiter avec d’autres vivants, des vivants qu’on ne peut pas contrôler, qui ne sont pas voués à constituer notre bétail ou domesticables. Morizot explique que « nous sommes constitués de nos relations constitutives avec nos écosystèmes, avec nos communautés biotiques, et à ce moment-là, prioriser les humains au détriment de notre environnement vital, ce n’est pas faire le bien des humains », chose défendue depuis des dizaines d’années par l’écologie scientifique. Anthropologue, philosophe et sociologue des sciences, Bruno Latour, pour sa part, puise une partie de sa pensée dans celle développée par le scientifique James Lovelock depuis les années 60 : il nous invite à prendre conscience de l’inscription de l’action humaine dans la Terre elle-même. Il s’agit avant tout de comprendre que l’ensemble des éléments vivants compose un environnement, et que cet environnement n’est pas seulement une toile de fond à l’épanouissement des êtres vivants : ils s’y adaptent autant qu’ils le modifient. Le concept de Gaïa émerge alors « pour décrire la particularité de la planète Terre : contrairement aux autres planètes, l’atmosphère de la Terre contient de l’oxygène grâce aux bactéries et aux végétaux photosynthétiques. De la même façon, l’eau sur Terre aurait dû redescendre depuis longtemps dans le sol. Si ce n’est pas le cas, c’est parce que des planctons, des bactéries et des végétaux ne cessent de remonter l’eau. Ainsi, les êtres vivants ne font pas qu’habiter la Terre, ils la transforment pour la rendre plus apte à accueillir la vie » 27. Fondamentalement, il s’agit donc d’aborder le projet de paysage comme un objet qui puisse maximiser la cohabitation et l’équilibre entre les espèces, en évitant qu’une ou plusieurs espèces soient dominantes ou soumises par rapport à d’autres.
Baptise Morizot, « Les Diplomates, Cohabiter avec les loups sur une nouvelle carte du vivant », Editions Wildproject, 2016 Thibault De Meyer, « Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2016, mis en ligne le 06 janvier 2016 26 27
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S’affranchir du modèle centre/périphérie et ville/campagne : espaces polycentraux (territorialistes italiens) Cette pensée permet de ne plus considérer la ville-périphérie « dans la marge » de la ville-centre. La périphérie ne doit plus être qualifiée par opposition ou par conséquence malheureuse de la croissance de la ville-centre. Ce type d’urbanisme a fait du modèle centre-périphérie une règle d’or en matière d’organisation de l’espace et doit être complètement repensée. M. Dumont et E. Hellier 28 posent alors une question fondamentale : « peuton oser concevoir des périphéries dominantes par leurs capacités d’organisation des espaces et des modes de vie ? » Et si l’on proposait une inversion des regards ? Il est commun de penser qu’il faille « rétablir » un lien entre périphérie et centre ville, « reconnecter », « rejoindre », comme si le territoire périphérique avait l’obligation d’employer le même langage qu’un centre urbanisé. Des réponses à cette question ont été proposées par les territorialistes italiens, permettant de décentrer le regard et de réfléchir plutôt à plusieurs « noyaux » qui aient la capacité de fonder leur identité dans les ressources de leur territoire , et en même temps de les intégrer complètement dans ce type d’espace. Le fait d’éviter de générer un noyau unique qui s’agrandit par couronne permet de s’affranchir au maximum de ce système périphérique. Ces espaces polycentraux suggèrent de « s’opposer au phénomène de hiérarchisation des territoires et réparer la dégradation de la qualité de vie engendrée par l’état de périphéricité » 29 Alberto Magnaghi, un des fondateurs de la pensée territorialiste italienne, développe sa théorie à partir de la discipline qu’est l’agroécologie. Cette dernière peut être définie comme un « ensemble disciplinaire alimenté par le croisement des sciences agronomiques, de l’écologie appliquée aux agroécosystèmes et des sciences humaines et sociales (sociologie, économie, géographie) » 30. L’agrosystème permet de penser le territoire comme un ensemble de relations diverses en interaction. A propos, Magnaghi définit ainsi : « Les agroécosystèmes jouent un rôle essentiel, tant du point de vue de l’esthétique des paysages, que du lien qu’ils suscitent entre nature et société »
Dumont Marc, Hellier Emmanuelle, Les nouvelles périphéries urbaines. Formes, modèles et logiques de la ville contemporaine, Presses Universitaires de Rennes, p.11-21, 2010 29 Magnaghi Alberto, Le projet local, Liège, Mardaga, 2003 30 Thomas P. Tomich, Agroecology: a review from a global change perspective, 2011 28
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Les « marges » ou les espaces latents périphériques, source de richesse et de diversité du vivant « Si l’on cesse de regarder le paysage comme l’objet d’une industrie on découvre subitement - est – ce un oubli du cartographe, une négligence du politique ? - une quantité d’espaces indécis, dépourvus de fonction sur lesquels il est difficile de porter un nom. Cet ensemble n’appartient ni au territoire de l’ombre ni à celui de la lumière. Il se situe aux marges. En lisière des bois, le long des routes et des rivières, dans les recoins oubliés de la culture, là où les machines ne passent pas. Il couvre des surfaces de dimensions modestes, dispersées comme les angles perdus d’un champ ; unitaires et vastes comme les tourbières, les landes et certaines friches issues d’une déprise récente. » 31 La périphérie donc, par opposition à la ville-centre, du fait de son tissu urbain plus lâche, génère davantage de délaissés. Cela suggère donc des espaces qui ne sont pas définis, non clairement lisibles ou carrément abandonnés. S’ils n’ont à l’évidence pas de valeur à première vue, ils peuvent, potentiellement, constituer au contraire de formidables espaces de liberté pour penser le projet. Pour le très célèbre Gilles Clément, jardinier-paysagiste, dont l’approche envers les éléments vivants reste une des références majeures dans notre profession de paysagiste, les espaces vacants représentent des réservoirs de diversité : c’est ce qu’il nomme « le Tiers Paysage » : ce dernier « est constitué de l’ensemble des lieux délaissés par l’homme. Ces marges assemblent une diversité biologique qui n’est pas à ce jour répertoriée comme richesse ». Sa pensée nous intéresse beaucoup, particulièrement lorsqu’il évoque les marges, qu’il nomme de différentes manières : « interfaces, canopées, lisières, orées, bordures... ». Les limites que constituent les différents espaces du Tiers-paysage (ensembles primaires, délaissés, réserves) sont pour lui des épaisseurs biologiques dont la richesse « est souvent supérieure à celle des milieux qu’elles séparent. Gilles Clément évoque également l’intérêt de la continuité territoriale de ces « réserves ». Apparaissant sous formes de linéaments, ils permettent d’établir des corridors biologiques et sont de natures diverses : « haies, bordures de champs, bordures de routes, ripisylves, ou encore sous forme d’îles ». Michel Desvignes, quant à lui, se rapproche de cette idée avec le concept de la « lisière épaisse », qui « n’établit pas une coupure verte, mais est le lieu d’échanges féconds, entre la périphérie des villes et le monde rural ». Quant au scientifique ou à l’écologue, ces marges constituent pour lui des écotones : « zone de transition et de contact entre deux écosystèmes voisins, telle que la lisière d’une forêt, une roselière, etc. (Les écotones ont une faune et une flore plus riches que chacun des deux écosystèmes qu’ils séparent, et ils repeuplent parfois ceux-ci.) » 32
31 32
Gilles Clément, « Manifeste du tiers paysage », éditions Sujet/Objet, 2004 http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/écotone/27689 114
Ci-dessus : projet en cours de construction, commune dâ&#x20AC;&#x2122;Ambarès-et-Lagrave 115
PARTIE 4 STRATÉGIES DE PROJET et SITUATIONS TERRITORIALES Cette quatrième et dernière partie se présentera en deux sous-parties : Une première présentera trois scénarios possibles de développement du territoire de la presqu’île d’Ambès selon les choix faits ; Une deuxième s’attachera à entrer davantage dans le détail du troisième scénario par le biais de trois situations territoriales précises. Le but sera de pouvoir développer des schémas de principe des transformations possibles, accompagnés de visuels illustrant les paysages imaginés. Quel parti-pris ? Certitudes et aléas Nous partons donc d’un postulat plutôt simple : en prenant en compte la somme des dynamiques naturelles et des changements climatiques en cours, quels paysages voulons-nous voir advenir dans 100 ans ? Quel(s) futur(s) désirons-nous ? Les questions sont ardues mais nous devons envisager des réponses. Au pluriel, et non une seule réponse formelle qui n’aurait pas la capacité de présenter assez de réponses diverses face aux questions posées. Ainsi, je propose de décliner trois scénarios de stratégies territoriales, assez contrastés les uns des autres mais tous les trois développés au même niveau d’égalité. Ces scénarios permettent d’ouvrir les réflexions plutôt que de proposer des solutions figées et peu tenables à long terme. Comme nous travaillons sur le vivant et que le vivant intègre une part d’aléatoire, ces scénarios ne peuvent tenir compte de certaines données qui ne peuvent pas être prévues. Ces stratégies sont donc, pour reprendre le terme de Morgane Colombert et Philippe Boudes « sans regret » 33, puisqu’en plus d’apporter des solutions au problème climatique, elles offrent des bénéfices conjoints aux territoires qui les reçoivent : « sans regret, dans le sens où si le changement climatique n’a pas lieu, nous ne regretterons pas d’avoir mis en place ces stratégies ». Regard à +100 ans Les changements climatiques sont pris en compte de façon majeure dans les stratégies. Pour cela, nos scénarios s’expriment dans une temporalité jusqu’à 100 ans, puisqu’ils intègrent notamment les risques liés à l’eau. Ainsi présentés ci-après, ils proposent une image à 100 ans, où le « système » de chaque scénario est en quelque sorte stable. Comment réagir et anticiper selon les risques ? Présentation des scénarios Trois postures fortes ont permis de dessiner trois combinaisons de stratégies. Elles sont avant tout nées de questions fondamentales liées aux risques : faut-il résister, faut-il se retirer ou faut-il trouver un entre-deux ? L’entièreté du territoire de la presqu’île n’a pas été traité, l’idée étant de se positionner sur les espaces les plus stratégiques par rapport à notre problématique climatique. Trois problématiques principales ont été intégrées et trouvent des formes de réponses différentes selon les scénarios : elles correspondent aux trois logiques identifiées en fin de Partie 1 : le besoin de se loger, de se nourrir et de permettre l’épanouissement d’autres formes de vie (besoin de nature, de sortir de la ville).
Morgane Colombert et Philippe Boudes, « Adaptation aux changements climatiques en milieu urbain et approche globale des trames vertes », VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, mai 2012 33
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rénovation totale du système de jalles
« peuple des Marais » réseau d’habitats sur pilotis regroupés en coeur d’hameaux déjà existants ; en intermittence avec des espaces naturels et agricoles
protection totale des bourgs existants et de la zone industrielle avec solutions mixtes : digues, renforcement des berges par talus plantés, interventions dans le fleuve (tétrapodes immergés, caissons pour casser la houle)
S’adapter en résistant : collaboration étroite humain / territoire
maintien des digues et renforcement à certains endroits fragilisées
en appui sur les jalles existantes, réserve naturelle inondable lors de marées ou crues
ord
maintien des marais comme régulateur des eaux de ruissellement
« peuple des Forêts » densification autour de St-Vincent-de-Paul : contact avec la forêt
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Afin d’intégrer pleinement l’aléa (eau) pour diminuer le risque, il faudra de façon concomitante une rénovation complète du système de jalles permettant de gérer les variations des niveaux d’eau et de protéger au mieux les espaces urbanisés. Plus qu’un simple système technique, les jalles représentent un patrimoine important de ce territoire. Les jalles sont aujourd’hui une problématique à la fois collective (elles ont permis aux humains de pouvoir vivre sur ce territoire à priori hostile) et à la fois privée (l’entretien des jalles étant à charge privée). Nous sommes donc en droit,
Ce scénario propose des solutions de résistance et de conquête adaptées face aux risques. Sa principale position consiste à proposer une offre d’habitat forte pour la métropole. Cette volonté passe par plusieurs interventions. Le maintien des bourgs existants, Ambarès-et-Lagrave, Ambès et Saint-Vincent-de-Paul se fera par renforcement à la fois des berges et à la fois par interventions directement dans les fleuves. Des offres d’habitats pourront alors être proposées sur ces communes, prioritairement par densification urbaine plutôt que par étalement urbain. La croissance urbaine sera également maîtrisée et adaptée face aux risques d’inondations par la création de propositions de formes d’habitat qui intègrent l’eau. Sur la frange Est de la presqu’île, une offre d’habitats regroupés à partir des hameaux existants pourrait se développer entre Saint-Vincent-de-Paul au sud et Ambès au nord, venant comme des « points de contrôle » qui puissent gérer les jalles côté Est. Les habitats seront parfaitement adaptés au site, avec des solutions architecturales comme l’habitat sur pilotis. Il faut garder en effet de la porosité entre l’intérieur de la presqu’île et les berges, sans troubler les dynamiques naturelles. L’idée est bien là de trouver une solution possible de gestion du réseau de jalles. L’habitant peut-il devenir un vrai acteur/gestionnaire de son territoire par cet acte ? Ces propositions remettent en cause les périmètres PPRI et Natura 2000, qui visent actuellement notamment à protéger de l’urbanisation. Cependant, l’urbanisation doit-elle être toujours considérée comme préjudiciable aux systèmes naturels ou agricoles ? Ce sont les modèles qu’il faut réinterroger, parce qu’ils consomment trop de terres, sont inadaptés, énergivores... Peuton penser justement des habitats à l’opposé de ces maux ?
1. s’adapter en résistant : collaboration étroite humain / territoire
Les scénarios présentés ci-après sont valables à long terme, à 100 ans.
Ce scénario nous interroge sur notre capacité à accepter le risque et à le vivre de la meilleure manière possible. C’est un enjeu profondément culturel : peut-on accepter, sur des événements exceptionnels, être inondés sur un mètre d’hauteur d’eau ? Ce qui engage peut-être d’adapter les maisons existantes, imaginer des systèmes de mises hors d’eau de biens ou de matériels importants...
Ce scénario propose également une reconversion du nord-est de la presqu’île en zones humides aux eaux saumâtres pouvant constituer une réserve naturelle pour la faune et la flore. Il s’agit de s’appuyer sur le réseau de jalles existantes et peut-être en créer d’autres, afin de permettre la venue de l’eau du fleuve dans les terres lors des marées montantes ou de fortes crues ou tempêtes.
face à l’importance que ce système revêt, de nous demander si une nouvelle législation ne serait-elle pas utile ?
non-entretien des digues : disparition sur le long terme
en appui sur les jalles existantes, réserve naturelle inondable lors de marées ou crues
démantèlement des industries : stratégies de dépollution à mettre en place ?
délocalisation des bourgs existants sur les points hauts : zone d’aménagement différé
les marais deviennent le coeur de la presqu’île, espace fédérateur
maintien et confortement des paysages ruraux
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S’adapter en reculant et en se mettant hors d’eau
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en appui sur les jalles existantes, réserve naturelle inondable lors de marées ou crues ; multiples bénéfices écologique, paysager, pédagogique...
densification urbaine dans les «trous» des quartiers avec des solutions paysagères limitant les effets du réchauffement climatique (notamment ilôts de chaleur urbain)
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L’utilisation du réseau des jalles se fera afin de permettre de permettre à certains espaces de retrouver davantage de « naturalité ». Comme le montre l’exemple du palus de Sabarèges au sud, anciennes zones de marais, pourra accueillir les eaux du fleuve afin de créer des espaces humides, nouveaux paysages au contact des terrasses urbanisées. De façon parallèle, le maintien de l’agriculture sera primordial afin de pouvoir bénéficier, sur cette fin de ville, de paysages ruraux qualitatifs. Un nouveau statut pourrait donc être donnée à la presqu’île : Grande Réserve (paysagère, écologique, agricole...) de la métropole ? Le modèle pourrait s’apparenter à celui du parc agricole, qui gère à la fois des problématiques agricoles tout en offrant des espaces de hautes qualités en bordure de métropole ; un modèle qui ait suffisamment d’ampleur pour asseoir une certaine légitimité à ce que ce territoire existe par lui-même et par ses configurations premières (situation géographique, topographique...).
Le parti-pris est donc d’abandonner les stratégies de lutte contre les dynamiques (entretien des digues et des jalles etc) afin de donner davantage d’ampleur à ces dernières de manière à les laisser éloignées des espaces urbanisés et également leur permettre de façonner une nouvelle identité à la presqu’île. Doit-on encore dépenser des millions d’euros pour maintenir des digues, qui se cassent lors des tempêtes et qu’il faudra reconstruire et remonter toujours plus haut ; pour reconstruire des habitats sinistrés par les inondations et qui resteront toujours vulnérables ? Ne peut-on pas plutôt mobiliser l’argent des collectivités de façon plus pérenne ?
Dans ce scénario, la majorité de la presqu’île est « rendue » aux dynamiques naturelles et à leurs pleines expressions. L’ensemble des espaces urbains existants sont progressivement abandonnés et l’offre d’habitat se reporte en points hauts, sur les terrasses insubmersibles d’Ambarès-et-Lagrave et sur les points hauts de Saint-Vincent-de-Paul. Face à la montée des eaux et aux forces des tempêtes, cette hypothèse de fuite est une possibilité afin de ne pas exposer la population à des pertes matérielles et plus grave encore, humaines, comme se fut le cas lors de Xynthia en 2010.
2. s’adapter en reculant et en se mettant hors d’eau : Grande Réserve de la Métropole
Par la pensée paysagère, la ville est capable, à son échelle et selon ses configurations, de limiter les effets du réchauffement climatique. Il faut en effet penser à une ville résiliente prenant appui sur le vivant. Par exemple, les arbres ont un effet de régulation thermique des îlots de chaleur urbain, les eaux pluviales peuvent être gérées directement en fosses plantées dans l’espace public...
Sur les terrasses, une densification urbaine se révèle indispensable afin de recueillir les populations délocalisées des bourgs des berges de la presqu’île. Se pose alors la question de comment procéder, afin de redonner à la fois de la qualité au tissu urbain existant, et de repenser les modèles d’habitats existants. Est-ce, dans une perspective 100 ans, le pavillon au milieu de sa parcelle jardinée est-il un modèle encore viable ? Ne peut-on pas redensifier avec d’autres modèles moins énergivores en espaces, qui aient la capacité de s’intégrer au site ? Est-ce que le fait de proposer des espaces naturels de qualité et de grande envergure sur la quasi totalité de la presqu’île rend acceptable qu’à certains endroits, on densifie, on démolit ?
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« peuple des Marais » réseau d’habitats sur pilotis regroupés en coeur d’hameaux déjà existants ; en intermittence avec des espaces naturels et agricoles
S’adapter en trouvant des solutions mixtes de résistance et de recul : lisière(s) berge à berge
en appui sur les jalles existantes, réserve naturelle inondable lors de marées ou crues ; multiples bénéfices écologique, paysager, pédagogique...
systèmes de protection des bourgs de SaintLouis-de-Montferrand et de Saint-Vincent-de-Paul
rénovation totale du système de jalles
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alternance de berges protégées et berges naturelles
en appui sur les jalles existantes, réserve naturelle inondable lors de marées ou crues
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continuités végétales de différentes échelles (boisements, forêts, parcs, squares...) venant « terminer » la ville et faisant transition avec des paysages ruraux/ davantage d’aspect « naturels » Renforcement d’une continuité urbaine (SaintLouis-de-Montferrand, Ambarès-et-Lagrave et SaintVincent-de-Paul)
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Sur le modèle de la ville-archipel, qui multiplie les potentialités de contacts entre les espaces, il faut penser une « périphérie » qui s’ancre dans son territoire, équilibrée entre l’urbanité propre à la ville dense et la possibilité de s’évader grâce aux espaces naturels des marais, des fleuves...
Le maintien des espaces urbains se fera en deux mouvements. Un premier reprend la situation du scénario 1 qui développe une frange habitée à l’Est aux moyens de quartiers pouvant être submergés temporairement, se dessine alors une presqu’île à l’intérieur de la presqu’île. Un deuxième mouvement s’organisera en axe ouest-est au sud de la presqu’île, qui liera les deux berges Garonne et Dordogne. L’idée est de relier les trois bourgs existants (Saint-Louis, Ambarès-et-Lagrave, Saint-Vincentde-Paul) qui aujourd’hui sont déconnectés les uns des autres et fonctionnent plutôt nord/sud. Ils peuvent former à terme une continuité urbaine afin de proposer une limite à la ville. Cependant, ce chapelet de bourgs ne s’étend pas de manière anarchique : en effet, des structures paysagères devront être imaginées en même temps que les espaces urbains se développent. Ces continuités végétales pourront être de différentes typologies selon l’endroit du territoire où elles s’installent : forêts, bois, parcs, squares, jardins... Cette imbrication entre « nature domestiquée » et modèles urbains peut générer un ensemble de lisières fertiles à échelle de presqu’île.
Le dernier scénario propose une mixité de solutions à la fois de résistance et à la fois de retrait, où on préconisera une alternance de berges protégées et de berges que l’on redonne aux fleuves. Ce dernier scénario ouvre une infinité d’autres variables et d’autres situations.
3. s’adapter en trouvant des solutions mixtes de résistance et de recul : lisière(s) berge à berge
II. Justification des situations choisies Interdépendance des systèmes Les scénarios développés s’ancrent, pour chacun d’entre eux d’une manière différente, dans la réalité du territoire. Afin de le démontrer et de pousser davantage une vision prospective, je choisis de m’appuyer sur la configuration du scénario 3 afin de développer plus en détail des situations de projet. Je choisis de réfléchir à partir de ce scénario puisqu’il présente des situations variées relevant de la double problématique climatique/périphérie. Ainsi, j’opère un recadrage sur une partie de la presqu’île, partie qui sera à la fois considérée comme un système cohérent à l’échelle de la presqu’île, et une partie qui comporte des situations variées et différentes selon les caractéristiques du territoire – notamment structures géographiques et éléments vivants – tels que le sol, le réseau hydrographique, les strates végétales... Pour cet extrait de scénario, la volonté est faite d’imaginer un ensemble de structures paysagères qui lient le territoire malgré ses différences. La pensée est celle de proposer des solutions d’entente et d’imbrication entre ville et « nature ». Quel point d’équilibre pouvons-nous imaginer entre systèmes humains, végétaux, animaux ? Comment imaginer un système qui n’en domine pas d’autres, qui ne donne plus de bénéfices à certains pour en retirer à d’autres ?
Ci-dessous : scénario 3
De la stratégie au projet – Premières intentions de projet Le projet ne fait pas table rase de ce qui existe, bien au contraire. Les formes existantes peuvent être amplifiées, valorisées, reconverties pour d’autres usages. Les interventions se font à plusieurs échelles, à plusieurs niveaux de lecture, afin de répondre à la fois en finesse, dans l’espace vécu, mais sans toutefois perdre une vision globale et synthétique, une ligne de conduite forte et affirmée. Les trois situations de projet choisies ne visent pas à répondre totalement à la complexité du scénario, il s’agit en effet de proposer des réponses possibles aux questionnements que l’on a pu se poser précédemment. A. Habitats amphibies : comment habiter en zone inondable ? B. Recomposition de la périphérie : comment envisager la fin de la ville ? C. Processus de renaturation : rendre les terres à la vie et à l’eau
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Dor
dog
Ci-dessous : intentions de projet à partir du scénario 3 ord
situation n°1 habitats amphibies
situation n°2 recomposer la périphérie fin de ville
Garonne
situation n°3 processus de renaturation
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ne
>> Trois situations variées A travers ces trois situations, il sera question d’aborder la diversité des paysages présents, qui manifestent de la pluralité des données que l’on a pu aborder en première partie : la topographie, l’hydrographie, les strates végétales basses et mi-hautes/hautes.
TOPOGRAPHIE
HYDROGRAPHIE
SITUATION n°1 bourrelet de rive et coeur de marais
SITUATION n°1 fleuve, jalles et marais
SITUATION n°2 coeur de marais et terrasses alluviales
SITUATION 3 bourrelet de rive et terrasses alluviales
SITUATION n°2 jalles, marais et plan d’eau de la Blanche
SITUATION 3 jalles et Estey du Gua
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STRATES VEGETALES BASSES
STRATES VEGETALES MI-HAUTES ET HAUTES
SITUATION n°1 parcelles agricoles, pâturées
SITUATION n°1 bords de berges, peupleraie, forêt
parcelles
SITUATION n°2 jardin, forêt classée
SITUATION n°2 parcelles pâturées, jardins, parcelles en friche, autres
SITUATION 3 parcelles en gel agricole, en friche
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SITUATION 3 forêt
pô es l e ha p ba ac bi t ag sés es é pro p rai re sur ublic posa à é u s nt d ch n ell sy fertil es e h stè es um m ai n e e
or d renforcer la présence de certaines jalles avec des cortèges végétaux bas
Dordogne
s’ap hab puyer i de r tés dé sur le jà ése s aux exista grou , de p nts voir : éc ements ie ono mie
reconstitution d’alignements et de haies sur le modèle du bocage
habitats qui se placent en articulation entre fleuve et marais
forêt mixte et peupleraie
bourrelet de rive
reconfigurer le parcellaire afin d’y implanter une agriculture de proximité adaptée aux inondations
accès aménagé faisant lien entre berges et marais (parcourable vélo, piéton...)
marais
Schéma de principe 127
1. Habitats amphibies Comment habiter en zone inondable ? La première situation est de proposer de l’habitat sur le bourrelet de rive de la presqu’île à l’Est qui rentre en relation étroite avec les marais et les espaces agricoles à proximité. A l’échelle du territoire : > l’implantation des parcelles se fera à proximité immédiate des hameaux ou petits quartiers existants selon les configurations de chacun, afin de constituer un pôle habité non éparpillé, et ceci pour plusieurs raisons d’abord pragmatiques : profiter des réseaux existants (d’électricité, d’eau potable, d’assainissement, etc) et limiter ainsi le développement de la voirie et donc la perte de terres perméables ; A l’échelle de la parcelle : > il faut pouvoir avoir une réponse paysagère cohérente avec les caractéristiques du territoire : pouvoir gérer les eaux pluviales sur place notamment ; A l’échelle de l’objet bâti : > il faut proposer des réponses architecturales qui s’adaptent au risque d’inondation. Ce n’est pas de notre ressort, en tant que paysagiste, de créer une architecture, néanmoins les références existent et il est possible d’avoir une idée imagée du fonctionnement de la cellule bâtie (voir page suivante). Ces habitats s’inscrivent dans les lieux, davantage même, ils se placent en articulation entre berges et intérieur de la presqu’île : il faut pouvoir les intégrer dans un système. Ce système sera composé de différents types de liens physiques afin de pouvoir pénétrer et traverser le territoire. Entre les marais et le fleuve de la Dordogne, nous pourrons donc imaginer un renforcement de la présence des jalles avec, par exemple, la création d’alignements de végétaux, de plantations variées comestibles, etc. De plus, des liaisons piétonnes et cyclistes pourront être envisagées traversant des paysages variées et proposant une alternative à l’automobile. Le pôle habité interroge également le rôle de l’agriculture de proximité. Comment nourrir les habitants proches, sur des terres propices à la culture ? Ainsi, une reconfiguration du parcellaire pourra être envisagée, afin de créer un réseau de parcelles à échelle humaine, cultivables en groupes ou individuellement. A travers cet espace nourricier, l’idée sera de maximiser les chances de tisser du lien social et permettre l’émergence d’espaces publics partagés et appropriables, où les initiatives pourront être menées par l’intermédiaire d’associations de quartiers par exemple. A travers ces propositions, il est question de générer des quartiers « intelligents », avec des unités de voisinage pouvant être coopératives car à échelle « humaine » : par exemple, la mutualisation de certains services : remise, laverie, livraison de bois, accès au réseau...)
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>> LE PÔLE FERTILE HABITÉ RENOUE AVEC LE TERRITOIRE
limiter l’impact de l’emprise au sol avec des habitats sur pilotis (individuel et collectif) ne pas gêner les dynamiques de l’eau et le déplacement ou l’installation de la faune
jardins privés en respect avec le terrain naturel : limiter l’artificialisation, les barrières...
quartiers organisés autour du système de jalles à rénover et amplifier les usages (jalle limite privée/publique par ex)
Références des images (de gauche à droite) : Sol Duc Cabin, d’Olson Kundig, Etats-Unis, Beaver, 2011 ZAC du Séqué La Canopée, Patrick Arotcharen, France, Bayonne, 2016 129
Manifeste - Peuples des marais Comment s’impliquer dans la gestion du territoire sur lequel on habite ? Une attention constante au site, à son rythme de vie Cette dénomination est une façon de dire que les peuples appartiennent à des entités du territoire et s’inscrivent dans la logique que ce dernier exerce Ces peuples dépendent des spécificités de ce dernier, ils s’y adaptent Ne pas lutter contre Ce sont des êtres vivants adaptés qui entretiennent une relation privilégiée avec les autres êtres humains : croiser les savoirs, se parler les autres êtres vivants : ce sont leurs égaux et ils communiquent les espèces végétales : ce sont leurs égaux et ils communiquent la terre qui les accueillent, dont ils tirent les ressources
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>> LE PÔLE FERTILE CULTIVÉ OFFRE DES RESSOURCES POUR LES ANIMAUX ET LES HUMAINS Plantations variées (feuilles ou fruits comestibles), en différentes épaisseurs et hauteurs, faisant limites et ressources pour les animaux (sauvages ou domestiques) Réseau de parcelles agricoles à échelle humaine : vergers, potagers...
Parcelles cultivables individuellement ou en groupes : l’agriculture devient une extension de l’espace public
Références des images (de gauche à droite) : Verger biologique de Dominique Gayerie, Saint-Vincent-de-Paul, 2017 / Jardin partagé de l’association Relais Nature, France, Jouy-enJosas / Pavés de cimetière, EMF Landscape Architecture, France, Laroque des Albères, 2005 131
« Habitant-gestionnaire », tu seras un être vivant qui contribue à un équilibre, à un système global Tu ne profiteras pas sans rendre aux lieux des services : entretien des jalles, pratiques agricoles respectueuses de l’environnement respect des autres êtres vivants.
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donner à voir les paysages : belvédères, petites stations le long de la voirie ou des cheminements
marais
mettre en lien structures et typologies végétales afin de recomposer les quartiers : forêt, bois, parc, square, terrain en friche, haies, jardins, alignements d’arbres...
accompagner les structures de liaisons physiques permettant le déplacement (animal, humain)
proposer des espaces d’agrément et de loisirs à proximité des habitats ; lacs, terrains de jeux...
proposer des espaces publics variés : potagers communautaires...
Ambarès-et-Lagrave
densification de parcelles habitées existantes par une démarche de type Bimby ou constitution de nouveaux quartiers
terrasses alluviales
ord
2. Recomposition de la périphérie Comment envisager la fin de la ville ? Cette deuxième situation est à cheval entre points hauts et points bas, entre terrasses alluviales et marais tourbeux. En partant du postulat que la périphérie offre des ressources importantes, à partir de quoi la recomposer ? A l’échelle du territoire : > c’est une vision d’abord théorique et peut-être un peu poétique de la ville, celle d’un système urbain aux formes organiques, un équilibre entre rouages mécaniques urbains et logiques vivantes végétales. Cependant, cette vision est réelle : les réseaux des espaces ouverts et fermés que l’on a précédemment identifiés fournissent la matière à une recomposition à grande échelle. Renversons alors le regard : peut-on imaginer des structures végétales cohérentes entre elles qui arrivent à « tenir » la ville, à s’y immiscer, à la recomposer, à lier les quartiers entre eux ? Quels potentiels pour les espaces « vacants », les terrains en friche, en attente ? La volonté plus large est donc celle-ci : comment contenir l’étalement urbain en constituant un réseau / une ceinture d’espaces naturels et agricoles ? > une question importante est celle du travail de la frange entre la fin des terrasses et les marais : quelles co-visibilités établir, relations physiques ou visuelles ? Comment la voirie peut-elle montrer, sous certains angles, les paysages, au lieu de simplement les traverser ? A l’échelle du quartier : > chaque quartier jouxte des lieux différents dans le territoire, qui vont permettre de rendre chaque quartier unique, avec ses propres spécificités. L’idée est donc de « sortir », en quelque sorte, ces quartiers, en majorité composés de pavillons individuels, de l’anonymat, de la répétition : il s’agit à travers le projet, de faire émerger des quartiers aux colorations variées, par des typologies diverses et variées : un quartier aux marges d’une forêt, autour de potagers collectifs, ou longeant des stades de jeux, pourquoi pas à proximité immédiate de plans d’eau... Lier l’espace privé et l’espace public, les faire entrer en résonance l’un dans l’autre, afin de permettre le maximum de surfaces d’échanges possibles. A l’échelle de la parcelle : > comment densifier et renouveler les espaces urbains existants à partir du parcellaire existant ? Comment faire évoluer les modèles urbains, en économie de coût, d’impact environnemental et d’engagement social ? La question est posée à travers la démarche « Bimby », Build In My BackYard, projet de recherche lancé en 2009 qui vise à « intervenir au sein des tissus pavillonnaires existants, qui représentent la grande majorité des surfaces urbanisées en France » 34 afin de proposer une alternative aux méthodes urbaines « classiques ». L’idée est la division de parcelles afin d’en générer d’autres et ainsi permettre de nouvelles offres d’habitats sur des terrains, « sans engendrer aucun étalement urbain et à un coût minime pour la collectivité » .
34
http://bimby.fr/2011/01/le-projet-de-recherche-bimby-en-quelques-mots
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>> TYPOLOGIE VÉGÉTALE AU CONTACT DE QUARTIERS HABITÉS : ICI, UN PARC AVEC PRAIRIES NATURELLES
quartiers en lisières : proposer des espaces de « nature » à proximité des habitations
espaces publics « ouverts » accueillant divers usages, gérés par ilôts d’herbacés ou arbustifs plus ou moins accessibles (zones de réserves pour insectes, petits mammifères, avifaune...)
Références des images (de gauche à droite) : Parc naturel urbain de la Feyssine, Ilex paysage urbanisme, France, Lyon-Villeurbane, 2002 Parc du Vallon de la Duchère, Ilex paysage urbanisme, France, Lyon, 2014 Cessinger Park, Förder Landschaftsarchitekten GhbM, Luxembourg, Luxembourg city, 2013 135
>> VALORISATION DE L’EXISTANT ET DES STRUCTURES VÉGÉTALES : TRAVAILLER UNE CERTAINE PERMÉABILITÉ
espaces publics « fermés » , où l’on cherchera un équilibre entre types de déplacements (humains, animaux, végétaux)
mise en scène et valorisation simple du végétal (taille, éclaircissement) et jeu prise en compte de la lumière naturelle
minimalisme d’interventions, valorisation et protection de l’existant : création de pistes, sentiers légers...
Références des images (de gauche à droite) : Homage to a duck decoy, MD Landschapsarchitecten, Pays-Bas, Glimmen, 2013 Parc naturel urbain de la Feyssine, Ilex paysage urbanisme, France, Lyon-Villeurbane, 2002 Berges de Saône, In Situ paysages et urbanisme, France, Rochetaillée, 2013 136
possibilités de reboisement par espèces introduites progressivement en mélange afin d’éviter les transformations trop violentes
>> DÉFENDRE L’INTÉRÊT DES MARAIS DANS LA GESTION DES EAUX DE RUISSELLEMENT ET LES RÉSERVES BIOLOGIQUES
marais inondés
marais en temps normal
Références des images (de bas en haut et de gauche à droite) : Umfassungweg, Michael van Gessel, Pays-Bas, Twickel, 2014 Belvédère de la forêt du Bourghail, Jacques Coulon et Linda Leblanc, France, Pessac, 2007 Marais inondés, France, Forest-sur-Marque Prairies inondées dans l’Anjou, France, Les Jubeaux 137
entretien des prairies grâce au maintien et à la valorisation du pâturage extensif
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permettre l’accès raisonné aux marais pour sensibiliser à l’importance de ces espaces ouverts
Garonne
formation de dépressions en eau selon les points bas topographiques
bourrelet de rive
rénovation des jalles permettant l’entrée de l’eau du fleuve lors de marées montantes ou de crues
Saint-Louis-de-Montferrand
espaces de frayère pour la faune piscicole les et amphibiens
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parcelles agricoles faisant transition entre quartiers et parc
pavillon architectural à intérêt pédagogique
Ambarès-et-Lagrave
terrasses alluviales
sentier de promenade surélevé avec belvédères intégrés
intégration de l’estey du Gua comme limite existante
« route-paysage » ouverte sur le parc naturel
ord
3. Processus de renaturation Rendre les terres à la vie et à l’eau La troisième situation visera à revaloriser d’anciennes terres agricoles en créant une réserve naturelle de zones humides. La recréation de ces milieux sont un vrai enjeu quand on sait que « près de 67% des zones humides métropolitaines ont disparu depuis le début du XXe s dont la moitié entre 1960 et 1990 » 35. Anciens marais avant d’être cultivées, ces terres situées sur le bourrelet alluvial côté Garonne ont été cultivées de façon intensive puis une partie a été placée en gel agricole puis classée Natura 2000 (voir Partie I, milieux naturels référencés Natura 2000), le reste étant des cultures de blé et de tournesol. Il semble donc logique de pouvoir rendre ces terres à l’eau et aux formes de vie (végétales, animales) qu’elle génère en conséquence. Le but est donc d’engager de nouvelles interactions entre milieux terrestres et milieux aquatiques, par un retournement de l’usage des jalles : normalement utiles pour drainer l’eau des terres vers le fleuve, on inverse le système : on permet alors de faire rentrer l’eau du fleuve par les jalles en laissant s’inonder certaines parties des terres, les plus basses topographiquement. C’est un système basé sur la temporalité et sur les dynamiques de l’eau, puisque ces terres ne seront pas toujours inondées, elles subiront l’influence des marées hautes, des fortes crues, des tempêtes etc. L’idée est de pouvoir reconstituer plusieurs types de milieux humides selon les conditions (vasières, prés-salés, roselières...) permettant ainsi à la fois de créer de nouveaux paysages sur la presqu’île, générer un autre espace capable d’absorber de fortes quantités d’eau, mais également d’attirer de nouvelles espèces, végétales et animales (avifaune, faune piscicole, amphibiens...) afin d’augmenter la biodiversité, qui « diminue également, les espèces voyant leur habitat se réduire et se morceler (...) La disparition des prés-salés, des mangroves et des herbiers marins entraîne la raréfaction des zones de refuge et de reproduction pour de nombreuses espèces terrestres et marines (...) Car la biodiversité sous-tend les nombreux services écosystémiques que fournissent les milieux humides » 36. La création de nouveaux paysages pourra être le support à l’étude des dynamiques écologiques et naturelles de reconquête. Cet espace d’expérimentation, aux portes des terrasses urbanisées, outre les valeurs biologiques et paysagères qu’elle générera, pourra être un lieu ouvert au public, aux vertus pédagogiques. En effet, il sera intéressant de pouvoir sensibiliser au grand public l’intérêt de reconstituer des espaces de cette nature. Un parcours pourra être proposé afin de pouvoir accéder à certaines parties du parc, dont certaines pourront être surélevées afin de limiter le piétinement et de parcourir des paysages en reconstruction. Certains endroits du parc, notamment ceux se rapprochant de la Garonne, seront inaccessibles, afin de constituer des zones de refuge exclusivement pour la faune et la flore. En frange entre le parc et les quartiers urbanisés, une bande agricole pourra être conservée, tout en repensant les cultures. Cette frange se rattache aux espaces agricoles de la situation B. Recomposition de la périphérie, permettant ainsi de prolonger notre idée de constituer une ceinture agricole / naturelle afin de limiter l’expansion urbaine.
35 36
Rapport d’évaluation du Préfet Bernard sur les zones humides, 1994 www.zones-humides.eaufrance.fr
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>> SELON LES JALLES EXISTANTES ET LES CONFIGURATIONS TOPOGRAPHIQUES, LES POINTS BAS ACCUEILLENT LES EAUX ET FORMENT UN PANEL D’HABITATS HUMIDES
création aléatoire d’îles selon la topographie
espaces pâturables
zones de refuge pour les espèces
sentier de promenade et belvédère sur pilotis afin de limiter l’impact au sol
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>> UNE CERTAINE IDÉE DE CE QUE POURRAIT ÊTRE LE PARC DANS SES ESPACES LES PLUS « SAUVAGES »
lors de crues ou de marées hautes, rentrée de l’eau dans les terres
constitution de milieux naturels favorisant l’installation, la reproduction, la migration d’espèces...
interventions légères : près d’un chemin balisé, un belvédère permettant de contempler le panorama
Références des images (de gauche à droite) : L’Île Nouvelle, propriété du Conservatoire du littoral, France, Blaye et Saint-Genès-de-Blaye Belvédères, Strootman Landscape Architects, Pays-Bas, Drenthe, 2010 142
>> CES DEUX MODÉLISATIONS SE SITUENT DAVANTAGE EN ARRIÈRE DU FLEUVE, PRÈS DES ESPACES URBANISÉES, DE PAR LEUR CARACTÈRE DAVANTAGE ANTHROPISÉS.
installations de modules d’observation, de relaxation...
pavillon venant en repère entre quartiers et réserve afin d’avoir une portée pédagogique
Références des images (de gauche à droite) : Road stop, Pushak, Norvège, Havøysund-Gunnarnes, Måsøy, 2005 Maison de la nature au parc écologique Izadia, Atelier architecture Philippe Madec, France, Anglet, 2007 143
Références des images (de gauche à droite) : Jardin du Familistère, BASE paysagistes, France, Guise, 2008 Parc de l’hippodrome d’Auteuil, Péna Paysages, France, Paris, 2013 Park Groot Schujn, Maxwan architectes urbanistes, Belgique, Antwerp, 2013 144
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CONCLUSION
Le territoire se transforme, sous les effets de choix humains ou non. L’élaboration des trois scénarios visait à envisager, à partir d’hypothèses et de modélisations, la mutation du territoire et ce à quoi elle pourrait ressembler concrètement. Nous avons pu nous recentrer sur ce qui constitue l’essence et la matérialité du territoire pour nous demander à partir de quoi fonder une stratégie de projet. Les images proposées ne sont que des « vues de l’esprit », elles trouvent d’abord des moyens d’exister sur papier pour s’exposer aux yeux des autres. En effet, ces transformations possibles sont à soumettre à débat : sommes-nous trop dans l’utopie, pas assez dans la réalité, y-a-t-il des éléments qui nous échappent ? La situation périphérique regorge de potentialités et pourrait être, précisément, l’endroit où tout se recompose, où l’on expérimente de nouveaux modes de vie sur un territoire choisi, connu et respecté. De façon corrolaire, la prise de conscience pleine et entière des changements liés au nouveau régime climatique à advenir nous oblige à repenser notre rapport au temps. Il ne s’agit plus d’agir pour un seul effet immédiat, mais d’envisager les effets sur le long terme, dans un temps qui dépasse celui de la vie de l’individu. Au terme de la réflexion, au regard de la multitude de logiques présentes sur le territoire, un constat est inévitable : l’humain ne doit plus se représenter comme l’élément autour duquel tout le reste graviterait. Le besoin et l’urgence de repenser fondamentalement notre rapport au monde vivant et de changer de posture s’imposent. Notre attitude occidentale montre une profonde inadéquation avec les systèmes vivants et biologiques : en détruisant tout autour de nous, nous nous détruisons aussi. Si ce diplôme convient de terminer la formation de paysagiste, il n’est en est pas moins fini et ouvert à d’autres réflexions, d’autres continuités. Ce travail n’est pas parfait, il ne se veut pas ainsi, ne se veut pas limitant à une seule réponse, ne propose pas des solutions idéalisées « clés en main » sur les problématiques évoquées. Il ne formalise pas un ou des projets qui deviennent obsolètes à dix, vingt ou trente ans, d’abord parce qu’à ce stade de ma formation, je ne pense pas en avoir les compétences, mais aussi parce qu’ils n’auraient pas de raison d’exister si, en amont, une vision stratégique cohérente et globale n’est pas légitimée. Ce travail de fin d’études m’a permis fondamentalement de poser des questions : des dizaines de questions d’ordres variés, sur lesquelles il a fallu revenir, reformuler, et qui ne trouvent pas forcément toujours leurs réponses, ou les bonnes réponses, mais ont le mérite d’exister. Ces questionnements, me semble-t-il, constituent l’essence de la profession de paysagiste : réinterroger sans cesse la matérialité des choses autour de nous, c’est comprendre qu’elles ne sont pas le fruit de hasards, mais la conséquence et le choix de multiples décisions, faits, événements, qu’il convient de mettre à jour, de décortiquer, et d’en tisser les liens, de recoudre et comprendre, enfin.
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