LA PRATIQUE DU VÉLO EN VILLE : LE RAPPORT D’UN CYCLISTE AU PAYSAGE

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FLORENT DETÈVE

LA PRATIQUE DU VÉLO EN VILLE : LE RAPPORT D’UN CYCLISTE AU PAYSAGE sur le Boulevard de Strasbourg, d’Alsace et de Belfort à Lille 2017-2018

École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage de Lille Séminaire initiation à la recherche ENSAPL – Axe conception du LACTH « Espace public, paysage, arts, anthropologie de l’espace » Catherine Grout, Isabelle Estienne et Antonin Margier

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(fig de couverture) Les trois typologies de vélo : le vélo de ville, le VTT et le V’Lille. Montage réalisé et retravaillé sur Photoshop.

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REMERCIEMENTS

J’adresse mes remerciements à,

Catherine Grout, Isabelle Estienne et Antonin Margier pour leur suivi et recommandation dans ce travail d’initiation à la recherche. Nicole Valois pour ses critiques constructives lors des séances du séminaire, Jacques Detève pour sa participation aux parcours commentés qui ont demandé de l’énergie, Sébastien Torro-Tokodi et Clotilde Félix-Fromentin de m’avoir accordé du temps afin de répondre à mes nombreuses questions lors de nos entretiens. Et mes proches, qui m’ont aidés et épaulés pour la réalisation de ce mémoire de recherche, notamment Florian pour son travail de relecture.

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SOMMAIRE

AVANT-PROPOS

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INTRODUCTION

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1.

LA PERCEPTION DU PAYSAGE D’UN CYCLISTE PAR L’ÉTUDE DE TROIS TYPOLOGIES DE VÉLO 21

1.1. Étude en vélo de ville 1.2. Étude en vélo tout-terrain (VTT) 1.3. Étude en V’Lille (Vélo libre-service)

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2. LA PRATIQUE DU VÉLO : UNE MANIÈRE D’ÊTRE DANS LE PAYSAGE

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2.1. La polysensorialité lors de la pratique du vélo 2.2. Être dans le paysage 2.3. Le cycliste entre temps et espace

CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE INDEX DES FIGURES ANNEXES

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AVANT-PROPOS

Lorsque j’ai intégré la formation paysage à l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage, j’ai emménagé en 2016 à Lille. Pour me rendre à l’école et assurer mes déplacements du quotidien, je me déplaçais exclusivement en métro en complément de la marche. Un moyen efficace et rapide selon moi. Habitant dans le quartier sud de Lille, je prenais sans cesse le métro afin de me rendre dans le centre-ville de Lille bien que quelques kilomètres suffisent pour y aller. Lorsque j’empruntais le métro, à plusieurs reprises je me suis demandé : « Qu’est-ce qu’il y a au-dessus de ces tunnels ? En dessous du viaduc ? Comment est la ville ? Quelle forme a t-elle ? Qu’est-ce que je traverse ? ».

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J’ai décidé d’acquérir un abonnement V’Lille longue durée, le système de vélo en libreservice de la métropole Lilloise fin 2016. L’abonnement était abordable financièrement, et cela m’a en partie convaincu en plus de la praticité du système. Je me suis donc empressé de découvrir les quartiers, les rues, les avenues qui m’étaient invisibles lors de mes déplacements en métro. J’essayais des itinéraires, il m’arrivait de me perdre mais je n’y voyais pas d’inconvénient. Je découvrais la ville que je n’avais jamais traversée auparavant. Depuis chez moi, j’avais de la marche afin d’accéder à la première borne, mais je ne considérais pas cela comme une contrainte. Je trouvais tout de même le système pratique pour mes déplacements occasionnels. Quelques mois plus tard, j’ai récupéré mon Vélo tout terrain (VTT) personnel qui dormait dans le garage de mes parents. J’ai ainsi eu une liberté de déplacement accru, n’ayant plus la contrainte de la borne remplie de vélo ou au contraire vidée. C’est ainsi que j’ai découvert une passion pour la pratique du vélo en ville. Avec mon VTT, j’ai commencé à effectuer mes premiers déplacements domicile – école de manière épisodique. Dans un premier temps seulement les jours de beau temps puis ensuite presque tous les jours. Un vélo qui n’était pas équipé à l’usage que j’en faisais. Le poids, du ou des sacs, était un frein pour certains trajets : j’ai donc acheté un porte bagage adaptable à ce vélo. Au quotidien, je roulais sur un vélo de 19 kg, sans compter le poids des affaires transportés. De plus, à l’utiliser 15km par jour, j’avais attrapé mal au dos dû à la posture adoptée. L’achat d’un vélo de ville me questionnait. L’été 2017, j’ai donc fait le choix d’acquérir un second vélo personnel grâce à la prime à l’achat vélo de la Métropole Européenne de Lille. Ainsi, j’ai acquis un vélo de ville, réputé confortable et adapté à l’environnement urbain équipé de lumière dynamo et d’un porte-bagage arrière. C’est ainsi que mes déplacements domicile – école se sont intensifiés. Je me suis senti davantage en communication avec la ville. C’est-à-dire que j’avais l’impression de mieux la comprendre. Je comprenais sa forme, ses distances, ses différents quartiers. J’étais attentif et sensible au paysage et à l’architecture. « Mais pourquoi ? » avais-je cette impression de mieux la comprendre en vélo de ville qu’en VTT ?

Ma pratique du vélo me questionnait car, pour moi, c’était un moyen de découvrir la ville. Rapidement, sans fatigue et avec plaisir. La ville me surprenait sans cesse, à chaque déplacement. Je découvrais de nouvelles façades, de nouveaux chantiers. C’était excitant. J’appréciais sentir l’air frais et les rayons du soleil sur mon visage. Je me sentais libre de mes mouvements.

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En déambulant dans la bibliothèque de l’école à la recherche d’ouvrage, j’ai découvert « Le retour de la bicyclette »1 de Frédéric Héran en 2017, et j’ai été surpris de le lire avec autant de plaisir. Frédéric Héran est un économiste et urbaniste de formation, il s’interroge sur les mobilités urbaines et leurs présences dans l’espace public. Son regard d’urbaniste m’avait interpellé car il pense la ville par l’usage et l’humain. En lisant cet ouvrage, j’ai eu la sensation d’entrer dans le processus que développait l’auteur, c’est-à-dire, de faire partie de cet engouement, du nouvel essor du vélo en ville. Cependant, je n’ai pas retrouvé dans le livre, l’éclairage sensoriel que je ressentais lors de ma pratique. L’ouvrage est très théorique, organisé. Et cela me manquait. Alors pourquoi avaisje cette sensation de liberté ? De ne pas être contraint ? D’être dans le paysage ? Et pourquoi était-ce différent en vélo de ville qu’en VTT ? Ces questions restaient sans réponses, cependant parcourir la ville en vélo plutôt qu’à pied était plus rapide et je parcourais plus de distance avec le même laps de temps. En voiture, il fallait payer sa place de stationnement dans le centre-ville, cela était une véritable contrainte.

Lors d’un trajet sur la Boulevard de la Liberté à Lille en septembre 2017, j’ai été surpris : J’ai failli tomber de mon vélo. Les irrégularités du sol m’avais fait perdre l’équilibre. Grâce (ou à cause) de cette perte de stabilité je fus sorti de ma quotidienneté, de mes pensées. J’ai compris la ville. Ses couleurs, ses formes, son organisation. Cette anecdote a été le moment initial, un déclic aux questions que je me posais. J’ai ainsi voulu étudier cela dans le cadre du séminaire d’initiation à la recherche afin de questionner la pratique du vélo, le cycliste, l’espace public et le lien que j’avais au paysage.

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Héran, Frédéric. Le retour de la bicyclette, Paris, Éditions La Découverte, 2014, 225 p.

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INTRODUCTION

Mon sujet sur la pratique du vélo en ville me permet d’étudier le rapport du cycliste au paysage, notamment le mien. Dans cette recherche, j’interroge les espaces publics caractérisés par des boulevards, des places, des rues et les cyclistes qui le pratiquent. Par l’étude de trois types de vélo (le vélo de ville, le VTT et le V’Lille), je souhaite comprendre comment le cycliste perçois le paysage en étudiant les notions de polysensorialité et les mouvements du corps lors de la pratique. J’interroge aussi la posture du cycliste sur ces trois types de vélo et le rapport que cela produit au paysage. Lorsque je parle de rapport, je me demande comment est le cycliste lors de la pratique. Je souhaite ainsi comprendre comment le cycliste perçois le paysage traversé et comment le comprend t-il. Dans quelle mesure, le cycliste se sent-il dans le paysage ou au contraire exclu. Pour définir la notion de paysage, je m’appuie sur l’ouvrage « La théorie du paysage en

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France »1 de Alain Roger. Cette anthologie rassemble des textes d’auteurs définissant ce qu’est le paysage. Je me suis attarder sur le texte de Michel Corajoud car j’ai déjà consulté des extraits de ces textes lorsqu’il s’adressait aux étudiants paysagistes. Michel Corajoud était un paysagiste qui a essayé de définir ce qu’était le « paysage » au cours de sa carrière. « Le paysage est le lieu du rationnel où toutes les localités ne sont compréhensibles que par référence à un ensemble qui s’intègre, à son tour, en un ensemble plus vaste. Et ce qui fait qu’il n’y a pas confusion ou éparpillement des données sensibles, c’est sans doute le fait que les choses qui le composent ne s’ignorent pas et qu’elles sont liées par un même pacte. »2

Selon Michel Corajoud, le paysage est comme un ensemble de lieux qui s’intègrent les uns dans les autres à des échelles diverses. J’arrive difficilement à intégrer la définition du paysage vu par Michel Corajourd car il manque selon moi la part du sensible, du vécu et de l’expérience corporelle. Celui qui vis le paysage, le fait vivre et le révèle. Selon moi sans la présence humaine, il n’y a pas de paysage. La définition de Michel Corajoud fonctionne par emboîtement de lieux ou par addition. De plus, en tant que cycliste, je circule dans l’espace, je le traverse, je vais d’un point à un autre. La notion d’emboîtement n’est pas perceptible pour moi. La définition d’ensemble de lieu qui s’intègrent à différentes échelles dont parle Michel Corajoud doit être à mon sens requestionné car les lieux s’emboîtent, se touchent et sont liés les uns aux autres. Je voudrais d’ailleurs croiser la définition de Michel Corajoud avec celle énoncé par Pierre Sansot, sociologue et philosophe. Il définit le terme paysage dans le chapitre « le plus riche de nos paysages » dans l’ouvrage Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance 3. « Par paysage, nous entendons un milieu qui tranche sur le reste du monde, dont les éléments vivent en connivence, qui imprime en nous une certaine posture corporelle et une certaine forme de plaisir »4 Le paysage selon Pierre Sansot, se sont des éléments qui vivent en accord comme dans « l’ensemble » de Michel Corajoud. Par ailleurs, le paysage reflète en nous une attitude, une posture corporelle, un plaisir. La définition de Pierre Sansot m’intéresse car elle prend en compte l’expérience vécu corporellement, non pas simplement avec le regard mais avec tout

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Roger, Alain. La théorie du paysage en France, Paris, Champ Vallon, 1995, 463p. Ibid. p.144 Abram Joseph, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, École des Beaux-Arts de Metz, 1997, 175p. Ibid. p52.


le corps et tous les sens. C’est pour cela que je souhaite étudier la polysensorialité à vélo car elle pourrait me permettre de définir ce qu’est le paysage à vélo. Le paysage imprime en nous une posture corporelle mais comment est notre posture dans le paysage ? Comment le cycliste perçoit-il le paysage sur différents types de vélo ? Se considère-t-il dans le paysage ? et dans quelle mesure participe-t-il à le faire vivre ? Comment son expérience corporelle participe à faire paysage ? Cette recherche me permet, au-delà de l’engouement actuel pour le vélo, et de son expansion en ville en tant que mobilité durable, comprendre si sa pratique serait une manière différente d’être dans le paysage, de le ressentir et de le comprendre. Ces questionnements et réflexions supposent d’interroger un terrain d’étude précis et le partage de l’espace public, notamment le réseau viaire. Dans quelle mesure l’espace public entre dans le rapport du cycliste au paysage. Le cycliste se partage l’espace public et le paysage avec les autres modes mais a-t ’il un rapport plus fort avec la ville ?

Le moment initial, qui m’a permis de m’engager dans cette recherche, concernait les sens à vélo, notamment le toucher. Les sens lors du pratique du vélo sont-ils en éveils ? La vue semble être le sens privilégié selon Bernard Chambaz5, mais ce sens est à étudier à différentes échelles. Les notions de vision fovéal et de vision périphérique6 entre dans la perception d’un espace lors d’un mouvement. Ainsi étudier les sens à vélo, conduit à étudier les rythmes et la notion du mouvement. Je souhaite me concentrer sur la vue et le toucher, bien sûr en n’oubliant pas les autres sens car ils participent tous à la perception de l’espace. Depuis un an, j’ai utilisé plusieurs types de vélo : Mon vélo de ville personnel, mon VTT personnel ainsi que les vélos en libre-service de la Métropole Lilloise (V’Lille). Chaque type de vélo favorise notre corps à se mettre dans une position. Le cycliste, avant de commencer son trajet a d’emblée une posture plus ou moins induite par le vélo. En étudiant les typologies de vélo, je souhaite comprendre comment est le rapport du cycliste urbain au paysage. Puis en quoi le vélo impose des visions du paysage, une façon d’être. Ainsi, plusieurs critères entrent en compte : le poids du vélo, son cadre, sa taille, son usage originel, c’est à dire sa vocation première. Un VTT normalement utilisé pour circuler dans des terrain boueux et vallonné n’est pas conçu pour circuler en ville mais il est possible de le faire. Ses sensations sont-elles toujours les mêmes ? Comment est la perception du

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Chambaz, Bernard. Petite philosophie du vélo, Roubaix, Edition Champs, 2014, 127p. Docteur en Histoire et professeur d’histoire au Lycée Louis-le-Grand à Paris. La vision fovéale est la zone de fixation du regard et la vision périphérique nous renseigne sur l’espace environnant qui nous entoure

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cycliste ? Y a-t-il un lien avec les sensations ? D’après Bernard Chambaz, « Par perception, nous pouvons supposer l’ensemble de nos sensations rassemblées »7. Est-ce ce qui se passe pour le cycliste ?

Puis, je souhaiterais étudier le rapport que peut avoir le cycliste au temps lors de son déplacement. C’est-à-dire, est-il dans la même temporalité que les autres modes ? La temporalité pour le cycliste, c’est moduler son effort physique afin de contrôler son temps de déplacement. Le rapport espace-temps du cycliste est-il est lien avec le paysage ? Le cycliste se différencie du piéton par sa vitesse mais il fournit des efforts physiques similaires. Pour la même quantité d’énergie libérée, le cycliste parcourra plus de distance qu’un piéton sur un même temps donné. Je souhaite comprendre si une relation entre le temps, le rythme, l’horizon, le paysage et le cycliste est présente lors de la pratique en ville. La pratique du vélo ne permet-elle pas de s’évader et de s’extraire de l’instant présent tout en étant là physiquement ?

En tant que futur paysagiste, je convoque plusieurs disciplines : l’anthropologie, l’urbanisme et le paysage. Ce dernier est selon moi le premier confronté à mon sujet car les notions de polysensorialité, d’émotions ou de mouvements y sont pleinement étudiées par la plupart de mes auteurs de références8. J’étudie également le champ disciplinaire de l’anthropologie car je cherche à comprendre la relation physique du cycliste à l’espace et au temps. Puis le champ disciplinaire de l’urbanisme mêlé au paysage en renvoyant à l’histoire urbaine du terrain d’étude. Plusieurs boulevards d’une longueur importante présentent des caractéristiques urbaines différentes à comprendre.

La problématique que je pose dans ce travail de recherche est : Pourquoi et comment le type de vélo et la pratique du vélo offrent une perception singulière du paysage au cycliste ? Afin de développer cette question, je vais dans un premier temps interroger les trois types de vélo et le rapport d’un cycliste au paysage. Je vais me concentrer sur la notion théorique d’auteurs ainsi que sur mes observations personnelles qui prennent la forme de récits rassemblées dans un livret en annexe 1 permettant au lecteur, s’il le souhaite, de comprendre l’observation dans sa globalité. Dans la seconde partie, j’interrogerai la polysensorialité, le rythme et le rapport au paysage 7 8

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Chambaz, Bernard. Petite philosophie du vélo, Roubaix, Edition Champs, 2014, p.88 Bernard Chambaz, Marc Augé, Pierre Sansot et Odile Rouquet


en terminant par la temporalité lors de la pratique du vélo. Afin de répondre à la problématique soulevée, j’ai deux hypothèses : •

Lorsque le cycliste parcourt l’espace, le paysage est perçu différemment en fonction

du type de vélo et de la posture adoptée par le cycliste. Chaque vélo proposerait une façon de se positionner et de comprendre le paysage traversé ainsi le paysage urbain perçu et les sensations ressentis seraient différentes pour le cycliste En vélo de ville, comme mon dos est presque droit et que le guidon de mon vélo relevé, mon regard porterait loin. Je serait davantage attentif à ce qu’il y a autour de moi et l’habitude de ma bicyclette (qui est un vélo de ville) me faciliterait une communication plus importante avec l’environnement qui m’entoure. En vélo de ville, la vue semble être le sens priorisé par le cycliste. En VTT, le dos du cycliste serait plus courbé et son regard orienté en direction du guidon du sol. Suite à l’utilisation de des deux vélos, je peux dire que je ne perçois par le paysage de la même manière qu’en vélo de ville. Je suis plus dans la vitesse, mon cadre de vélo me l’impose presque. « L’allure débonnaire »9 de Bernard Chambaz n’est pas compatible avec ce type de vélo. Le sens du toucher semble être le plus sollicité et le plus actif du fait de la posture adoptée. Puis en V’Lille, je retrouve une posture similaire au vélo de ville, cependant le vélo imposerait une lourdeur, et cela se ressent sur la posture. Son système de vitesse imposerait une concentration et une habitude afin de prendre en main le vélo. À nouveau le sens du toucher serait le plus sollicité car la machine est lourde et transmet facilement les irrégularités du sol.

La polysensorialité lors de la pratique fait que le cycliste fait corps avec le paysage

et cela fait paysage. Lorsque le cycliste pratique le vélo ses sensations seraient en éveilles. Parfois un rythme s’installe et cela serait propice à une concentration de l’esprit. Pour qu’un rythme soit présent, il ne faut pas qu’il y ait d’arrêt, de ralentissement ou de pause. Un rythme dans le paysage pourrait permettre une concentration de l’esprit et un lien avec le paysage autour de soi. Bien sûr ce lien est différent en fonction des types de vélos utilisés. La temporalité entrerait dans le rapport du cycliste au paysage car il gère son temps lors de son déplacement. Il serait capable de le comprendre, de se l’approprier et d’en avoir la maitrise.

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Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, p16.

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Afin de traiter mon sujet, j’ai établi diverses méthodes me permettant d’analyser mon terrain et le sujet traité : Mon premier outil, a été la réalisation de récits d’expériences de terrain avec divers modes de déplacement (en métro, à pied et à vélo). Puis des récits d’observations directes afin de réaliser des mises en récits avec les trois types de vélos étudiés. Ces récits sont des éléments sur lesquels je m’appuie afin d’étudier les trois typologies de vélo, les sensations, les postures et mon rapport au paysage. L’entretien réalisé auprès de Sébastien Torro-Tokodi, chargé de concertation de l’association Droit Au Vélo, m’a permis de comprendre mon terrain vis-à-vis de mon sujet et de comprendre la dimension urbaine de la part du vélo en ville ; et quelles étaient les connaissances et le point de vue de Sébastien Torro-Tokodi en plus de celui de l’association sur la question des types de vélo, des matérialités et des sensations lors de la pratique du vélo en ville. Le second entretien auprès de Clotilde Félix-Fromentin a été réalisé en avril 2018. Elle est ingénieure, architecte d’intérieur de formation et docteure en esthétique pratique et théorique et est également chercheuse au LaCTH (Laboratoire de recherche de l’ENSAPL) dans l’axe Matérialité Pensée et Culture Constructives. Clotilde Félix-Fromentin est aussi une cycliste parisienne et adepte de ce moyen de déplacement depuis son enfance. L’entretien m’a apporté un éclairage sur les notions de rythmes, d’élasticité du temps et simplement de sa pratique du vélo en ville ainsi que de son rapport au paysage. Lors de notre première rencontre en octobre 2017, elle avait énoncée dans le cours de la conversation la notion d’« élasticité du temps ». Je souhaitais davantage d’explication de sa part. L’entretien est arrivé tardivement (avril 2017) mais nécessaire à la recherche afin de confronter mes observations. J’ai réalisé des questionnaires auprès des utilisateurs du service V’Lille à Porte de Valenciennes. Étant le vélo auquel j’avais le moins accès, j’ai souhaité par l’intermédiaire d’utilisateurs comprendre leurs pratique du V’Lille. Les tempêtes à répétition en fin d’année 2017 m’ont contraint à interroger suffisamment d’utilisateurs, cet outil a été abandonné au fur et à mesure de la recherche au profit de parcours commentés. Toutefois la grille de question qui avait été établi n’a pas été abandonnée. Elle a été reprise et améliorée afin d’établir celle de l’entretien avec Clotilde Félix-Fromentin. Mis à part les notions développés par les auteurs théoriques et les entretiens, j’étudiais uniquement ma propre vision de mon rapport au paysage en fonction des types de vélo. Les parcours commentés réalisés en avril avec Jacques Detève m’ont donné l'occasion d’avoir cet autre regard et de confronter mes observations aux siennes le temps d’une matinée.

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En lisant l’ouvrage La tête aux pieds de Odile Rouquet10, danseuse et chorégraphe qui a étudié les visions fovéales et périphériques lors de la danse, je me suis appuyé sur ces propos afin de transposer ces visions sur la pratique du vélo aux trois typologies étudiés. Ainsi, j’ai réalisé des photomontages de superposition de photos me permettant de comprendre et d'interroger la zone de focalisation du regard et la vision périphériques en fonction du type de vélo utilisé. Ces photomontages sont remis en question dans le corps du texte car cet outil est selon moi limité afin de comprendre ces notions. De plus, je m’appuie sur son ouvrage pour comprendre les notions de glisse que j’ai ressenti lors de mes observations.

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Rouquet Odile, La tête aux pieds, Paris, Recherche en mouvement, 1991, 155p.

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Le terrain d’étude se situe au sud de Lille intra-muros sur les Boulevards de Strasbourg, d’Alsace et de Belfort. Ces boulevards sont bordés au sud par le périphérique Lillois (A25) et au nord par un tissu urbain dense.11 Ces boulevards sont caractérisés par différentes portes permettant autrefois d’entrer ou de sortir de Lille. Aujourd’hui, ces portes sont marquées par la présence de station de métro reprenant les noms des portes originelles. Porte des Postes à l’ouest, puis Porte d’Arras, Porte de Douai et enfin Porte de Valenciennes à l’est. Le centre de ces boulevards est marqué par la présence du viaduc de métro en aérien construit en 1989, sauf à Porte des Postes où il est en souterrain. Les boulevards sont caractérisés par une double circulation automobile dans les deux sens avec la présence d’une bande cyclable le long des voies autos réalisés dans les années 1980. J’ai fait le choix de ce terrain d’étude car je souhaitais étudier dans un premier temps le rapport que je pouvais avoir au paysage en fonction de mon moyen de déplacement. Sur ce lieu, il y avait la possibilité d’étudier cela à pied, en vélo, en métro et en voiture. La recherche m’a finalement orienté uniquement sur la pratique du vélo avec différentes typologies car ma pratique personnelle du vélo me questionnais plus qu’avec les autres moyens de déplacements. Puis le métro renvoyais au train, un sujet très documenté par ailleurs, comme la marche. Je souhaitais réaliser une recherche sur un sujet liant mobilité et paysage vu par l’angle du paysagiste.

Boulevard de Belfort Boulevard de Strasbourg

Boulevard d’Alsace

Périmètre d’étude (fig.1) Périmètre du terrain d’étude

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Partie historique du terrain d’étude en Annexe 12 p139.


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1. LA PERCEPTION DU PAYSAGE D’UN CYCLISTE PAR L’ÉTUDE DE TROIS TYPOLOGIES DE VÉLO

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Joseph Abrams, architecte et auteur du livre Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance1 résume la vie Claude Genzling lui-même architecte (d’expérience et non de formation), mais également artiste et coureur cycliste. Cet ouvrage restitue une exposition de l’artiste à l’école des Beaux-Arts de Metz en 1997. Claude Genzling intervient dans cet ouvrage et explique son expérience de coureur cycliste ainsi que ses évolutions professionnelles en lien avec le vélo. Il a fait de sa passion son métier en étudiant la posture idéale des coureurs cycliste sur le vélo de course. Pour lui, une manière d’être dans la mesure, le dessin et le cyclisme : ses trois passions. Le travail qui m’intéresse chez Claude Genzling est sa recherche sur la posture idéale du coureur cycliste sur son vélo de course. Outre le fait qu’il s’intéresse principalement aux courses, il énonce des indications sur la posture à adopter même pour les cyclistes occasionnels. La pratique du vélo et la posture adoptée propose au cyliste un rapport au paysage. C’est pour cela qu’il a étudié en détail, en mesurant, calculant et dessinant, les postures, les positions, les hauteurs de selles en fonction du cycliste et du vélo utilisé. 2

Voici un extrait de l’entretien entre Joseph Abrams et Claude Genzling issus de l’ouvrage où ce dernier explique l’importance du calibrage de son vélo au millimètre et de son ressenti lors de sa pratique. « Question : Vous avez eu, très jeune, l’intuition de l’importance des réglages dimensionnels du vélo... Réponse : À partir de 14 ans, j’ai eu régulièrement des vélos. Mes parents m’ont offert un pour mon bac, et, quand je suis entré à polytechnique, avec ma première solde, je me suis acheté un vélo de course. J’ai commencé à bricoler me-s vélos dès le début. A 17 ans, je réglais instinctivement ma machine au millimètre prés, comme celle d’un coureur. J’avais compris que plus ma hauteur de selle serait grande, meilleure serait mon rendement. Je le savais par mes jambes. J’avais des sensations très fines. Je voulais aller de plus en plus vite. J’étais sensible à la régularité de l’effort. Je considérais comme vulgaire de gesticuler lors de l’escalade d’un col. Je cherchais à gommer de ma géométrie corporelle tout ce qui pouvait altérer le classicisme de l’attitude. Je me revois sur la route, dans les Vosges, par un après-midi en1 2

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Abram Joseph, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, École des Beaux-Arts de Metz, 1997, 175p. Claude Genzlin jeune avait un engouement pour le dessin, il dessinait le plus précisément possible ce qu’il voyait. « la perfection du trait devient pour lui un défi ». Le dessin précis à la règle et mesuré. Claude Genzling intègre l’École Polytechnique en 1956 où il excelle en géométrie descriptive, cependant la part du dessin n’étant pas au-delà de ses attentent, il intègre l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris et en ressort diplômé en 1968. Puis il travaille dans le domaine de l’urbanisme et l’architecture pour enfin enseigner le dessin à l’École d’Architecture Paris la Villette en 1966.


soleillé. Le soleil était là, à gauche, et je regardais mon ombre par terre fascinée par le mouvement alternatif des jambes. Je revois encore cette image, et je me souviens en avoir éprouvé une émotion esthétique. J’avais conscience d’une beauté angulaire, inhérente à l’espace-temps « homme/ machine ». Je percevais que le miracle du vélo, c’était de se déplacer très vite, tout en restant immobile. Il fallait donc rendre le mouvement des jambes le plus continu possible, le plus parfait, pour se mouvoir sans effort apparent, dans la légèreté, avec la précision d’une horloge. Très grande était ma satisfaction de faire fonctionner mon corps dans cette perfection archétypique. »3

Dans cette entretien, Claude Genzling explique qu’adapter sa machine à ses jambes, donc à sa morphologie permet d’améliorer son rendement en tant que coureur cycliste. Il accorde une importance à son vélo et cela lui procure des émotions, mais son rapport au paysage est avant tout esthétique et technique. Ce qui est primordiale dans la pratique du cyclisme de Claude Genzling est sa capacité à comprendre et à modifier sa position corporelle afin de rester immobile. Le rapport qu'il entretien avec le paysage est esthétique car il utilise la notion de beauté et technique car il mesure et calcule : « la précision d’une horloge ». Cependant, le cycliste interagit avec son environnement, sa tête bouge, il regarde, observe, analyse et comprend. Claude Genzling est préocupé par l'architecture de son vélo, sa posture et son corps, toutefois quel rapport (autre qu'esthétique) a t-il au paysage lors de sa pratique. Quel rapport ai-je au paysage en vélo ? Le vélo proposerait une posture, une façon de se placer et d’être dans le paysage parcouru ; ainsi en vélo de ville, en vélo tout terrain ou encore en vélo libre-service le cycliste percevrait le paysage différemment.

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Abram Joseph, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, École des Beaux-Arts de Metz, 1997, p23.

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1.1 Étude en vélo de ville

En octobre 2017, j’ai réalisé ma première expérience de terrain pour cette initiation à la recherche en métro, à pied et avec un vélo de ville. C’est lors de ce premier trajet que j’ai été confronté à mon terrain pour la première fois en vélo dans sa totalité. Entre la station de métro Porte de Postes et Porte d’Arras, j’ai alors constaté que mon regard portait loin. Lors de mon récit d’expérience écrit dans l’heure suivant l’expérience de terrain, j’ai écrit « Le ciel s’ouvrait à mon passage mais je filais droit devant voulant inconsciemment fuir cet espace déserté de vie. Je regardais loin devant. »1 J’eus la sensation que le ciel s’ouvrait à mon passage et l’impression d’être dans un couloir dans lequel je regardais loin devant car je ne me sentais pas à ma place dans cet espace. Je cherchais des points de repères, des lieux que je connaissais. À nouveau en novembre 2017, en réalisant mes observations directes, mon regard à une fois de plus porté loin dès le début du parcours : « Je démarre et, depuis quelques mètres, j’observe déjà la station de métro Porte d’Arras au fond. Je vois l’entrée de la station ainsi que de nombreuses couleurs vertes associées à cette station. Le tracé du boulevard est droit. Il monte légèrement pour redescendre ensuite. C’est très rassurant de voir loin. Je ne prêtais pas attention aux véhicules passant à ma gauche sur une seule voie. J’étais droit sur mon vélo. Je glissais. »2

Cependant contrairement à la première expérience où je cherchais des points de repères, surtout visuels, quelque chose différait dans l’approche que j’avais du boulevard. Ma posture sur le vélo entrait en compte : « J’étais droit sur mon vélo ».3 Ainsi il semblerait que le contact privilégié que j’avais à l’horizon lors de ma pratique en vélo de ville était en corrélation avec la posture globalement droite adoptée. Afin de comprendre comment ma posture entrait en compte dans mon rapport au paysage, j’ai étudié mes vélos en réalisant des fiches identités vélos. En (fig.2)4 : le vélo de ville. J’ai étudié l’angle d’inclinaison, non absolue, que je pouvais avoir avec ce type de vélo. L’angle mis en valeur ici n’est pas toujours fixe. Il est indicatif et le reflet d’une posture globalement

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Citation extraite du récit d’expérience de terrain en vélo le 04/10/2017. Livret p8. Citation extraite du récit d’observation direct en vélo de ville le 24/11/2017. Livret p21. Ibid. Livret p21 Fiche identité vélo en vélo de ville en annexe 11 p135.

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(fig.2) Posture adoptée et angle d’inclinaison du corps sur un vélo de ville. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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adoptée. Je m’appuie sur cet angle afin de comprendre mon rapport global au paysage mais il est varie constamment en fonction de mon état et de l’environnement traversé. Cette posture est favorisée par la présence d’un guidon droit, relevé ainsi ma posture est quasiment droite. Mon angle d’inclinaison est de 12% par rapport à la perpendiculaire au sol, toutefois, il faut apporter une nuance sur la posture adoptée sur le vélo. Je ne suis jamais immobile, mon haut du corps bouge, se relève ou s’abaisse en fonction de l’effort à fournir ou de la présence du soleil dans le champ de vision par exemple. Cette fiche identité vélo permet d’avoir un aperçu de la position générale lors de la pratique. Nous verrons plus loin dans cette même partie que la posture est en lien avec les angles de vues et le paysage autour de moi.

J’ai donc quasiment la même posture qu’un marcheur sauf que je suis plus haut sur mon vélo et donc mon regard porte plus loin. Nos jambes bougent afin de nous déplacer ; les miennes effectuent des rotations et les pieds du marcheur se posent alternativement sur le sol afin d’avancer. Nos bustes sont droits et ne bougent que légèrement en fonction des mouvements de têtes et nous sommes à l’air libre et subissons les effets du climat sur notre corps. Toutefois, chacun à sa manière de se mouvoir puisque le piéton n’a pas la même foulée qu’un autre piéton, puis les rythmes et les manières d’appuyer le pieds sur le sol sont différentes à chacun. Par ailleurs, il en est de même pour le cycliste. Ce dernier pédale et effectue des rotations différentes en fonction de sa taille, son poids, voir de sa fatigue ou de son humeur du jour. Sur cette typologie de vélo, j’ai un contact fort au paysage, surtout au paysage lointain. C’est la particularité du vélo de ville, vis-à-vis du VTT. Lors de l’observation directe faite en novembre 2017, j’ai été attentif à l’horizon jusqu’à la fin de mon parcours. Le dernier paragraphe du récit se termine à nouveau sur ce rapport. « Je suivais la ligne du viaduc du regard devinant en vert les tours du quartier du Bois habité à l’arrière. Je m’étais aperçu de l’importance du végétal sur cette portion. »5 Je fus attentif aux tours emblématiques de couleurs vertes du quartier du Bois habité proche du siège de Région. Ces tours sont en fait à peine perceptibles depuis le boulevard de Belfort, cela montre que j’ai été attentif au paysage lointain car j’ai perçu des éléments architecturaux du paysage qui sont pourtant quasiment imperceptibles depuis le terrain d’étude. J’ai observé des éléments distincts se détachant de l’horizon, des fragments de paysage comme l’a énoncé Bernard Chambaz :

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Citation extraite du récit d’observation direct en vélo de ville le 24/11/2017. Livret p24.

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« Une échappée, c’est aussi un espace qui laisse voir quelque chose, c’est-à-dire un fragment de paysage, un espace ouvert, voire l’horizon. Le vélo ou la bicyclette représentent alors un poste d’observation idéal. »6 Être sur un vélo de ville, c’est comme être sur un « poste d’observation », être positionné à un endroit stratégique dans le paysage afin de mieux de le comprendre, l’observer. C’est à dire être dans une posture ouverte dans laquelle les éléments du paysage viennent au cycliste. Il est vrai que la posture sur ce type de vélo était de l’ordre de l’observation lors de l’expérience puisque la vue est le sens privilégié. Bien sûr, les autres sens sont également sollicités mais j’y reviendrais dans la seconde partie. L’échappée dont parle Bernard Chambaz est pour le coureur cycliste l’action de lâcher le peloton afin de prendre de la distance. Mais dans le cas de la pratique du vélo en ville, l’échappée est en lien avec le paysage. C’est un espace libre laissé à la vue dont le cycliste s’empare dans lequel la vue peut plonger. Le cycliste prend ainsi possession du paysage auquel il est sensible et il s’en saisi par le biais de la compréhension des lieux, des formes, des couleurs en un court instant, le temps du passage. Ce fragment est l’occasion de voir un morceau de ville qu’il ne s’attendait à observer et cet espace est uniquement saisissable par le cycliste sur ce type de vélo, mesurant par exemple une haute précise et ayant la tête orientée dans cette direction. Je m’en suis emparé lors de mon observation directe. Mon regard a plongé, à l’arrivé à la Porte de Valenciennes, à travers la végétation vers l’horizon. J’ai été confronté à une échappé, celle dont Bernard Chambaz parle.

La notion de « poste d’observation » énoncée par Bernard Chambaz est à compléter car il n’y a pas que la vue qui entre en compte dans la perception de l’espace. Pour étudier cela, je vais m’appuyer sur l’entretien réalisé le 18 décembre 2017 auprès de Sébastien Torro-Tokodi, chargé de concertation de l’Association Droit Au Vélo. L'expression « surplombe le paysage » a été énoncé de sa part lorsque j’ai demandé si l’utilisation d’un type de vélo pouvait avoir une incidence sur le rapport que le cycliste a au paysage. Sa réponse a été claire et franche par un haussement de ton. « Q : Est-ce que vous pensez que le type de vélo peut avoir une incidence sur la perception qu’on peut avoir du paysage ? De notre ressenti, perception et de notre rapport aux autres ? R : […] Tandis quand on est haut perché sur un vélo avec assise droite on est

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Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, p79.


déjà mieux vu et puis on perçoit aussi mieux. On surplombe le paysage donc on est plus à l’aise pour pouvoir appréhender les comportements. »7

Le vélo de ville est caractérisé par une assise droite et est très haut, ce qui peut donner cette impression d’être perché en hauteur. Le guidon est à une hauteur de 1m10 du sol et selon les propos tenus par Sébastien Torro-Tokodi, le cycliste « surplombe le paysage », c’est-àdire qu’il a une position dominante vis-à-vis des autres types de vélos. Mais « surplomber le paysage » ne veut pas dire l’observer. Sébastien Torro-Tokodi associe cette notion à « appréhender les comportements », c’est-à-dire qu’être droit sur son vélo permet une meilleure perception de l’espace car selon le CNRTL « appréhender »8 est lier à « percevoir ». De ce fait, être en vélo de ville offre une perception de l’espace accru et permet de mieux le comprendre dans sa globalité. Selon les propos tenus par Sébastien Torro-Tokodi, l’appréhension fait référence aux comportements des usagers autour du cycliste comme les automobilistes et les piétons par exemple. Il n’est plus question de paysage dans cette approche mais de notre rapport aux espaces publics et plus largement à la ville incluant tout usage et pratique, ainsi je me pose la question : Comment le cycliste en vélo de ville interagit-il avec les autres usagers de la route ?

Lors de ce contact à l’horizon, et de ce rapport au paysage, le regard entre en compte. Selon Odile Rouquet, professeure d’analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement danse, il y a deux principales visions : la vision fovéale et la vision périphérique. « cette vision périphérique est très importante car elle permet la localisation des objets et l’orientation spatiale, tandis que la vision fovéale permet la reconnaissance fine des objets, mais indépendamment de leur position spatiale. Quand on conduit, on utilise cette double vision, la fovéale pour voir en détail le tracé de la route, le périphérique pour porter attention sur ce qui se passe autour : croisement, voiture, piétons, etc. »9

Lors de mon observation en vélo de ville à Porte de Valenciennes, j’ai été confronté aux deux types de regards. Premièrement à la vision périphérique lorsque j’ai été attentif à l’ambiance autour de moi : « Je m’étais aperçu de l’importance du végétal sur cette portion »10 puis à la

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Extrait de l’entretien réalisé avec Sébastien Torro-Tokodi, responsable concertation de l’association ADAV. Annexe 2 p99. http://www.cnrtl.fr/definition/appr%C3%A9hender Rouquet Odile, Les pieds à la tête la tête aux pieds, Paris, Recherche en mouvement, 1991, p53. Citation extraite du récit d’observation direct en vélo de ville le 24/11/2017. Livret p24.

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(fig.3) Posture adoptée, angle d’inclinaison du corps et champ de vison à 140 degrés sur mon vélo de ville. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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vision fovéale lorsque j’ai aperçu les tours du quartier du Bois habité : « je suivais la ligne du viaduc du regard devinant en vert les tours du quartier du Bois habité à l’arrière ».11 L’articulation de cette dernière phrase par le mot « devinant » montre que la vision fovéale m’a permis une reconnaissance du quartier en identifiant la couleur verte dominante détachée de son environnement. Dans l’ouvrage Sites et sitologie12, Paul Faye, architecte, et ses coauteurs géographes et sculpteurs étudient le fonctionnement de la vision, et plus spécifiquement celui de l’œil. Ils énoncent que le regard humain est caractérisé par deux principales visions. La vision fovéale qui est au centre de l’œil, « C’est la zone [...] de la fixation »13 et « la vision périphérique permet de percevoir les mouvements sur les côtés »14. Selon les auteurs, la vue a un angle limité, ainsi « La vision périphérique est limitée à un angle de 90 degrés de chaque côté de la ligne de symétrie de notre corps ». Selon eux, de manière générale, l’homme a un champ de vision de 140 degrés verticalement et de 150 degrés horizontalement. Néanmoins, il faut apporter ici une précision sur les termes utilisés par les auteurs de l’ouvrage car l’œil enferme l’appareil optique des êtres vivants et la vision est l’action pour quelqu’un de voir, de percevoir grâce à l’œil de la lumière, des couleurs, des formes, du relief... Enfin le regard convoque le mouvement des yeux, c’est une action contrôlée mais parfois spontanée afin d’observer un objet, un espace, ou quelque chose. Je souhaite m’attarder sur la vison car elle prend en compte la perception de l’espace et je souhaite comprendre son fonctionnement pour le cycliste.

Afin de comprendre le fonctionnement de la vision fovéale et périphérique sur le vélo de ville, j’ai établi deux méthodes. La première est la transposition de l’angle verticale de 140 degrés énoncé par Paul Faye car mon rapport à l’horizon semble être en lien avec ma compréhension de mon rapport au paysage. Puis la seconde la réalisation d’un photomontage me permettant d’étudier la zone de fixation du regard qui se rapprocherais le plus de la vision fovéale et périphériques sur ce type de vélo. (fig.4) En m’appuyant sur les photographies faites pour les fiches identités vélo, j’ai inséré l’angle verticale de 140 degrés afin de cerner l’angle de vision lors de la pratique en vélo de ville. L’angle en jaune sur le document ci-contre (fig.3) montre que la vision est partagée entre le

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Citation extraite du récit d’observation direct en vélo de ville le 24/11/2017. Livret p24. Faye, Paul. et al. Sites et sitologie, Poitiers, Édition J-J Pauvert, 1974, 159p. Ibid p24. Ibid p25.

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sol et le ciel. Malgré tout, le centre du cône jaune ne semble pas être orienté vers l’horizon, cependant mes yeux ne sont pas situés au centre de l’orbite ce qui expliquerait tout de même que mon regard soit orienté en partie vers l’horizon. De plus, l’image n’est qu’une synthèse d’une potentielle posture générale en vélo de ville et mon angle de vision n’est pas fixe. De plus, pour faciliter la prise de photo de profil, ce travail a été réalisé en intérieur. Une fois de plus, cet angle de vision verticale varie en fonction de mon déplacement et de mon état. Combiner sur le document l’angle de vision verticale et l’angle d’inclinaison du corps de 12% montre que lorsque ce dernier est faible, le vison s’oriente vers l’horizon. Ainsi cela me permet de dire que la posture et l’inclinaison du corps sont en corrélation avec la vision verticale du cycliste. Lors de la pratique du vélo, il n’y a pas que l’angle de vision verticale qui entre en compte dans la perception de l’espace. L’angle horizontal de 150 degrés est tout aussi important afin de se situer spatialement. Lors de mon observation directe réalisée le 24 novembre 2017, à la sortie du rond-point au niveau de la Porte d’Arras, je me sentais en conflit avec un véhicule cherchant à me doubler sur une zone sans bande cyclable. « Étant haut sur mon vélo, un léger coup d’œil a suffi à saisir la distance, la forme et la couleur du véhicule : Vert, allongé, environ deux mètres de distance entre lui et moi. »15. Le temps d’un coup d’œil sur la gauche, j’ai saisi la couleur, la forme du véhicule et la distance qui me séparait de lui. Le champ de vision horizontal a été décalé sur la gauche suite au mouvement de mes yeux sur la gauche au détriment de la vue vers la droite. C’est la vision périphérique qui a été sollicitée lors de ce mouvement car j’ai réussi à situer le véhicule par rapport à mon corps étant ma référence afin d’établir la distance qui nous séparait. J’ai « appréhendé les comportements » comme l’a dit Sébastien Torro-Tokodi lors de notre entretien. Seulement, je ne me suis uniquement pas servi de ma vision périphérique afin de déterminer la distance qui me séparais du véhicule puisque je n’étais pas dans l’observation mais dans la perception car d’autres facteurs entraient en compte en plus de la vision. Les sons notamment et l’impression également d’être poussé par un véhicule. J’ai estimé et analysé ma position dans l’espace vis-à-vis de l’automobiliste.

Pour comprendre et évoquer la vision fovéale et périphérique lors de la pratique en vélo de ville, j’ai réalisé un photomontage. (fig.4) Je me suis positionné sur mon vélo de ville entre Porte des Postes et Porte d’Arras et j’ai réalisé 3 photographies. La photographie de gauche

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Citation extraite du récit d’observation directe en vélo de ville le 24/11/2017. Livret p22.


(fig.4) Photomontage de la zone de fixation du regard et des zones périphériques sur un vélo de ville. Photomontage réalisé sur Photoshop.

serait la représentation d'un regard orienté vers la gauche, la photo du centre, le regard central. Et enfin la photo de droite, un regard orienté vers la droite. Le photomontage prend en définitive la forme d’un panorama. J’ai mis en lumière par superposition des trois photos en pointillé jaune, la zone où mon regard se porte le plus souvent. Cette zone serait la zone de concentration du regard, là où en roulant, je serais le plus attentif. La zone d’attention est plus longue que large et met en lumière un rapport terre-ciel évident. Et au centre de la zone, l’horizon. Cela pourrait expliquer pourquoi j’ai autant été attentif au paysage lointain lors des parcours sur le terrain en vélo de ville. Incontestablement, ce photomontage n’est pas le reflet de la réalité, il est un outil me permettant de comprendre fonctionnement de la vision lors de la pratique. Toutefois, cet outil photographique ne me semble pas concluant afin de comprendre le fonctionnement des deux principales visions. La photographie n’est pas le reflet de la réalité et ne retranscrit pas la part sensible que j’ai ressenti lors de la pratique et qui m’a amené à entamer cette recherche. L’outil photographique, même assemblé en panorama, contraint les regards dans un cadre alors que le propre de la vision est qu’elle est libre, et permet de voir et de comprendre l’espace autour de soi et non simplement face à soi. Malgré tout, j’ai eu le besoin d’étudier cet outil à son maximum pour comprendre ma zone de focalisation du regard et ma vision périphérique qui, tout deux ensemble, me permette de me situer spatialement. Paul Faye dans son analyse des mécanismes de la vision, explique que pour la vision

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(fig.5) Dessin de mémoire réalisé le 6 mai 2018 représentant l’ambiance végétale dans la vision périphérique à l’arrivé à la Porte de Valenciennes. Médium : Aquarelle sur format A4.

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périphérique « Les cônes sont plus rares, la faculté de voir en couleur diminue »16. Néanmoins, je veux apporter une précision à se propos car lors de la pratique, la faculté de voir en couleur ne diminue pas, les formes sont modifiés et la précision diminue ; c’est en analysant le dessin de mémoire réalisé que je vais compléter son discours.

Le dessin de mémoire (fig.5) est la représentation de l’instant où j’ai été attentif à la couleur verte dominante des platanes proche de moi à l’arrivé à Porte de Valenciennes. Afin de me remémorer l’instant et l’impression du lieu j’avais fermé les yeux jusqu’aux premiers coup de crayon, c’est ainsi que le tronc d’arbre sur la droite à été réalisé. Dans ce dessin, il y a trois types de traits qui renvoient chacun à mon expérience du lieu. Les traits rapides manifestent un souvenir moins important qui ne montre pas un espace auquel j’ai été sensible. Les traits qui se rejoignent montre un sol qui n’est pas représenté et affirme une profondeur ressentie mais qui n’est pas le sujet principale de mon souvenir. Ils représentent la route et le viaduc du métro à gauche sur le dessin. Le second type de trait est celui utilisé pour dessiner les platanes, les arbres au premier plan, à droite du dessin. Ce sont des arbres prenant une place importante dans la composition car c’est l’élément auquel j’ai été le plus sensible. Je me souviens que les rayons du soleil illuminaient par moment le feuillage vert, mais que, du à l’abondance de feuillage, les nuances de verts se mélangeaient. Ils sont le reflet d’une vision périphérique qui a pris une grande place dans mon souvenir, donc de ma perception de l’espace traversé. Le type de trait, qui ne fait pas contour, et la part donnée au végétale par l’utilisation de l’aquarelle, montre que cet élément du paysage à conditionné m’a place dans le paysage et ma perception de celui-ci. Le dernier type de trait, au centre du dessin, représente, dans une moindre mesure, un point de repère. Les bâtiments du quartier du Bois habité sont la représentation de ma vision fovéale qui n’est pas ce qui renvoi à mon expérience du site car je les ai dessiné en petit, presque caché par le feuillage des platanes. Cela montre que c’est la vision périphérique qui témoigne de mon expérience corporelle de cycliste à l’arrivé à Porte de Valenciennes et non la vision fovéale.

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Faye, Paul. et al. Sites et sitologie, Poitiers, Édition J-J Pauvert, 1974, p25.

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1.2 Étude en vélo tout-terrain (VTT)

Bernard Chambaz dans son ouvrage Petite philosophie du vélo1 définit les typologies principales de vélo. Selon lui, le vélo de ville est comme une bicyclette, puis il apporte une distinction entre le vélo tout-terrain et le vélo de manière générale. « À notre époque, il faudrait opérer une autre distinction entre vélo tout-terrain (qui se dit VTT) et le vélo tout court (qui reste par définition le vélo). »2 Le VTT, dans sa forme, est un vélo robuste et propice à la vitesse. Il est conçu pour circuler sur des chemins boueux, escarpé. Il est utilisé pour pratiquer la randonnée sportive en montagne notamment. Originellement, il n’est pas conçu pour circuler sur les routes goudronnées et en ville. C’est ce qu’affirme Pierre Sansot dans son Ouvrage Chemins aux vents3 « Le VTT en impose par sa robustesse, il ne craint pas les accidents de terrain, il accepte d’être rudoyé.»4 Le VTT impose une posture courbée avec un regard majoritairement orienté vers le sol. Avec ce type de vélo, en parcourant l’espace entre Porte des Postes et Porte de Valenciennes, je n’avais pas le regard qui portait loin, au contraire. « Je regardais uniquement le sol. Un enrobé noir, lisse et propre. »5 Un vocabulaire lié au sol et à la matérialité des revêtements a été utilisé dans mes récits. À plusieurs reprises j’ai décrit le revêtement de la route en y étant attentif. Mon attention se focalisait que sur cela sauf lors des arrêts, au feu par exemple. Uniquement à ces momentlà, je relevais la tête. J’observais ce qui se passait autour de moi, comme avec un regard neuf car je ne voyais pas le paysage évoluer au court de mon déplacement comme en vélo de ville où d'ailleurs l’accès à l’horizon est privilégié tout au long de la pratique, contrairement au VTT où c’est le cas uniquement aux arrêts. À l’arrêt, j’ai tendance à me relever de mon vélo et à lever la tête. C’est à ce moment là uniquement qu’un lien avec le paysage lointain peut s’opérer. À nouveau, lors de mon observation participante réalisée le 28 décembre 2017 après avoir quitté le feu rouge à la Porte d’Arras, j’ai été attentif aux détails du sol. « Après mon arrêt au feu, j’ai rejoint la bande cyclable. Elle était de couleur crème avec de nombreuses fissures, de morceaux de branches et de bouts de verre. J’évitais les plaques d’égout. »6 1 2 3 4 5 6

Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, 127 p. Ibid p17. Sansot Pierre, Chemins aux vents, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2000, p 48 à 68. Ibid p 61-62. Citation extraite du récit d’observation directe en VTT le 28 novembre 2017. Livret p27. Ibid. Livret p28

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(fig.6) Dessin de mémoire réalisé le 5 mai 2018 représentant la vue orienté vers le sol en VTT. Médium : Aquarelle sur format A3.

(fig.7) Dessin de mémoire réalisé le 2 août 2018 représentant mon souvenir du paysage à l’arrêt au feu tricolore à Porte d’Arras en VTT. Médium : Crayon noir sur format A4.

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Le dessin de mémoire (fig.6) réalisé en mai 2018 représente une vue en plongé de ma pratique du VTT. J’ai réalisé ce dessin à l’aquarelle car mon souvenir était assez flou mais emblématique de l’attitude adoptée. Je me souviens particulièrement de la couleur du sol, plutôt clair, et des débris sur la bande cyclable, comme dans mon récit. Ce dessin est caricatural de l’attitude en VTT car ce n’est pas ce que j’ai vu, cependant il montre à quoi j’ai été le plus sensible : le sol et mon guidon. Les détails réalisés afin de dessiner le guidon, les cornes, mes poignées sont le reflet des éléments auquel j’ai été attentif lors de la pratique. Ce qui ressort également de ce dessin de mémoire est mon rapport aux autres et au monde qui est inexistant car je me suis enfermé dans ma bande cyclable sans communication, visuelle, sociale ou physique avec autrui et cela se ressent dans le représentation du dessin.

Afin de comprendre pourquoi lorsque j’étais à l’arrêt avec ce type de vélo, j’adoptai un regard neuf, autre que lorsque je roulais. Pour comprendre cette différence, j’ai réalisé un second dessin de mémoire (fig.7) représentant le souvenir que j’avais lorsque je m’étais arrêté au feu tricolore à Porte d’Arras. Dans un premier temps, je souhaite regarder la construction générale du dessin. Le dessin est réalisé avec un crayon noir à mine fine permettant de dessiner certains détails. De plus, la vue dessinée est relevée, ce n’est pas la vue que j’avais depuis mon vélo à l’arrêt. Je pense avoir eu le besoin de dessiner en relevant la perspective pour signifier une envi, avec ce type de vélo, de m’élever. Comme vu avec le précédent dessin de mémoire, ma vue est souvent en direction du sol et du guidon. Seul aux arrêts j’ai l’opportunité de relever la tête dans son intégralité, ainsi que le dos. Le plus flagrant dans la représentation de l’espace est l’endroit où mon regard fuie. Les diverses lignes représentant la voirie, la bande cyclable, les bordures ne terminent sur aucun point précis donnant une perspective non terminée. Est-ce par ce que ais-je été attentif à autre chose ? Ce qui ressort du dessin sont les détails du premier plan ainsi que du métro. Je me souviens de son revêtement gravillonné et des jeux de texture rectangulaire représenté dans le dessin avec des lignes verticales et horizontales. La texture striée des piliers de béton du métro ont attiré mon attention, ainsi que l’ombre sous le viaduc. Sur la bande cyclable, les fissures, les plaques d’égouts prennent de l’importance alors que la voirie est vide, blanche. La première en cercle est presque représenté en plan comme si elle se trouvait sous mes pieds lors de cet arrêt. La représenter de cette manière me permet d’insister sur sa présence dans l’espace et de l’importance qu’elle a eu pour moi avec ce

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(fig.8) Posture adoptée, angle d’inclinaison du corps et champ de vison à 150 degrés sur mon VTT. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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type de vélo. Afin de comprendre mon rapport à l’espace je souhaitais dans un premier temps réaliser une coupe du lieu lorsque j’étais à l’arrêt. Cependant cet outil ne me semblais pas pertinent pour décrire l’espace qui m’entourais au feu tricolore. De plus, la coupe reste un outil d’analyse franc, qui coupe l’espace et ne permet pas appréhender ce qu’il y a au delà de la coupure. J’avais commencer à réaliser cette coupe et des mots fléchés aux espaces représentés permettaient d’apporter des détails sur les éléments auxquels j’avais été le plus attentif mais cela ne me semblais pas pertinent. J’ai donc fait le choix de réaliser un dessin en me laissant guider par mes souvenirs même si ce qui est représenté n’est pas l’espace réel. L’outil du dessin de mémoire, exploré à plusieurs reprise pour la première fois dans ce mémoire de recherche, permet de révéler la part sensible, et met en valeur les éléments auquel j’ai été le plus attentif arrêté au feu tricolore.

Lors de l’entretien réalisé avec Sébastien Torro-Tokodi, lorsque j’ai demandé si le type de vélo avait une incidence sur la perception que le cycliste peut avoir du paysage, il a d’abord parlé du VTT puis du vélo de ville. « Q : […] Est-ce que vous pensez que le type de vélo peut avoir une incidence sur la perception qu’on peut avoir du paysage ? De notre ressenti, perception et de notre rapport aux autres ? R : Alors, oui, oui, je pense oui (haussement de ton). La conduite basse plutôt, sportive je pense incite à la prise de vitesse. On fait peut-être moins attention aux autres aussi, et ce qu’il y a autour de nous. Tandis quand on est haut perché sur un vélo avec assise droite on est déjà mieux vu et puis on perçoit aussi mieux. On surplombe le paysage donc on est plus à l’aise pour pouvoir appréhender les comportements. Je pense oui. » 7

La pratique basse à laquelle fait référence Sébastien Torro-Tokodi est celle adoptée en VTT. Notre corps est fortement penché en avant, le regard orienté vers le sol et non vers l’horizon. Cette posture qui incite à la vitesse dont il parle, je ne l’ai pas ressentie. Comme en témoigne mon propos dans mon récit d’observation directe, j’ai ressenti cette posture comme une contrainte. Et mon propos est critique vis-à-vis de cette posture.

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Extrait de l’entretien réalisé avec Sébastien Torro-Tokodi, responsable concertation de l’association ADAV. Annexe 2 p105

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« Ayant une inclinaison du corps fortement en avant sur un VTT, le poids est réparti sur mes bras mais surtout sur mes poignées. À chaque rugosité ou à chaque bosse, j’avais l’impression de ressentir la dureté du matériau dans mes poignées. Plus l’irrégularité était forte, plus j’avais l’impression d’avoir mal. J’ai à nouveau été surpris par l’ombre portée, cette fois-ci par Baggio. [Lycée professionnel] »8

Mon corps étant en avant sur le VTT impose un report de mon poids non pas sur mes fesses, comme pour le vélo de ville, mais sur mes épaules, bras et poignées. Ainsi lorsqu’une irrégularité de sol se présente et que je l’emprunte, cela provoque des secousses à l’avant de mon corps. À ce moment précis, je n’ai plus l’impression d’être dans le paysage mais de le subir. Mais subir les irrégularités et regarder le sol n'est-ce pas le paysage ? Je subissais, dans mes membres notamment, les matérialités, les revêtements, les irrégularités, les éléments présents sur le sol. J’ai repéré uniquement cela avec ce type de vélo. Lors des mises en récits de mes expériences et de mon observation directe, le mot « sol » serait le mot clef lié à ce type de vélo.

J’ai réalisé un entretien avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018 et nous avons discuté de sa pratique du vélo. Nous nous étions rencontrés une première fois lors du séminaire doctoral en novembre 2017 sur le mouvement et la spatialité. À cette occasion nous avions discuté de ma recherche et de sa pratique du vélo très brièvement. Le 12 avril 2018, lors de l’entretien, Clotilde Félix-Fromentin est revenue sur certaines notions et les a approfondies. J’ai demandé si notre rapport changeait en fonction du type de vélo utilisé elle a ainsi détaillé ses vélos en fonction de ses usages. Elle a quatre type de vélo ; le premier est un pliant qu'elle utilise lorsqu'elle doit prendre les transports collectifs, qui est un vélo à posture droite. Le second est un vélo de course, ou de route de marque Gitane, sur lequel elle est penché, puis un Fixie avec une seule vitesse et des freins. Et enfin un Lakamora à posture droite qu'elle utilise pour la rando vélo car elle peut y mettre ses sacoches de voyage. Je lui ai demandé si en fonction des vélo utilisé elle avait un rapport différent au paysage : « Q : Vous avez l’impression que vous n’avez pas le même rapport ? R : Oui, en plus j’ai des lunettes, je n’ai pas un champ de vision aussi large que tout le monde, j’ai des petites lunettes en plus. Donc quand je suis couchée, je suis sans arrêt obligée de faire ça (mouvement de bas en haut de la tête). Sinon la tête dans le guidon, l’expression dit bien ce qu’elle dit. Je reçois 8

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Citation extraite du récit d’observation directe en VTT le 28 novembre 2017.Livret p29


moins l’entièreté du paysage quand je suis moins droite. Et c’est vrai que dans Paris, on ne peut pas rouler. Le Gitane et le moto bécane je suis très bien dessus mais comme on est sans arrêt arrêté par des carrefours… La position couchée n’est pas du tout adaptée. »9

Selon Clotilde Félix-Fromentin, lorsqu’elle est couchée sur son demi course, elle ne reçoit pas « l’entièreté du paysage ». Cela est la conséquence de la posture couchée adoptée sur le vélo. De plus, rouler avec ce type de vélo n’est pas adapté à la circulation en ville, comme le disait Sébastien Torro-Tokodi. En VTT, le cycliste ne fait pas attention aux autres usagers et à ce qu’il l’entoure mais je pense que cela est induit par la posture et non pas par la volonté de la personne à ne pas être attentive. À nouveau, afin de comprendre comme pour le vélo de ville le champ de vision du cycliste, j’ai transposé les notions d’angles de vues de Paul Faye issus de l’ouvrage Sites et sitologie10. J’ai associé à la photo de l’étude de l’inclinaison de corps, le champ de vision verticale de Paul Faye. (fig.8) L’inclinaison du corps sur un VTT est d’environ 32%. J’ai associé l’angle verticale de 140 degrés à ma vue. Ainsi, la majorité du regard est orienté vers le sol et le guidon, ce qui explique que dans mes récits, j’en parle beaucoup avec ce type de vélo. La zone d’attention du regard serait donc plutôt orientée vers le sol et non vers l’horizon contrairement à un vélo à assise droite. Sur le photographie, ma posture n’est pas celle véritablement adoptée lors de la pratique car ma nuque est sensiblement plus relevée. À nouveau ce document me permet d’analyser et de comprendre la posture générale adoptée avec le VTT. Evidemment la posture n’est pas unique et chacun à sa manière de se déplacer. De plus, les observations ont été faite sur un vélo Lapierre et tous les cyclistes n’ont pas ce type de vélo. De plus, si le vélo semble induire une posture, il est toujours possible de s’en détacher, de se relever de son VTT par exemple.

Clotilde Félix-Fromentin annonce, lorsqu’elle ne reçoit pas « l’entièreté du paysage », que c’est lié à sa vue, notamment à sa myopie. À la fin de l’entretien elle a affirmé lorsqu’on parlait de mon sujet de recherche : « R : Vous me parlez d’une personne qui a été très sensible au lointain, moi en vélo je suis rarement sensible au très lointain. C’est peut-être aussi parce que moi je suis myope. Je n’ai jamais vraiment eu accès au lointain. »11

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Extrait de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018. Annexe 3 p110. Faye, Paul. et al. Sites et sitologie, Poitiers, Édition J-J Pauvert, 1974, 159p. Extrait de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018. Annexe 3 p112.

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Le fait d’avoir une posture couchée en vélo oblige Clotilde Félix-Fromentin à effectuer des mouvements de tête de bas en haut au-dessus de ses lunettes et à travers ses verres afin d’observer. Selon elle, ne pas recevoir l’entièreté du paysage passerait donc par la vue.

Le 7 avril 2018, j’ai réalisé des parcours commentés avec Jacques Detève avec les trois types de vélos étudiés. En VTT, il s’est mis dans la peau d’un photographe. Pourquoi avoir eu cette attitude uniquement avec le VTT ? Dès le début du parcours, après avoir démarré de Portes des Postes, son propos a tout de suite été négatif vis-à-vis du vélo. Il faisait face à une forme d’inconfort sur le VTT. « Ce vélo est compliqué, j’ai mal au cul déjà. J’ai tellement mal que je n’ai pas commencé à regarder. »12. Il a probablement décidé de trouver une forme de confort dans l’attitude et dans le regard à adopter. Jacques Detève aime faire de la photographie en ville, notamment de l’architecture, cela a donc été une façon pour lui de s’approprier l’espace ou au contraire de s’en détacher en le regardant à travers le filtre de la photographie car il n’arrivait pas à s’approprier le vélo. À la fin du parcours commenté et de la réalisation du dessin, il a commenté et apporté quelques précisions : « Par contre, le parcours, parcours 2 je vais l’appeler. Beaucoup moins agréable parce que vélo (souffle émis) pas approprié. Selle [inaudible 12 :20]. Je crois que si je n’avais pas eu la volonté de regarder, j’aurais regardé la route, j’aurais regardé la route… moins agréable, plus de voitures encore. »13

Selon lui, ce type de vélo n’est pas adapté à la circulation en ville. Le souffle émis lors du commentaire témoigne de l’inconfort ressenti lors du parcours. De plus, il a affirmé à deux reprises qu’il aurait regardé uniquement le sol, cela montre qu’il ne l’a pas ignoré lors du parcours mais qu’il a fait l’effort de l’ignorer. Après les parcours, j’avais quelques questions à poser. À la dernière question lorsque j’ai demandé à quels éléments du paysage a-t-il été attentif, il a apporté des précisions sur la volonté de se mettre dans la peau d’un photographe. « F : À quoi as-tu été le plus attentif ? J : Alors là c’était l’objectif que je m’étais fixé. C’était d’avoir une vision comme si je voulais prendre des photos. Donc j’ai été attentif aux lignes, plus

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Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en VTT réalisé le 7 avril 2018. Annexe 5 p119. Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en VTT réalisé le 7 avril 2018. Annexe 5 p119.


l’œil du photographe. Et j’ai vu des choses intéressantes aux niveaux des vieilles maisons qui recoupent avec la ligne du métro, le viaduc. En fait ça pourrait être un truc sympa mais ce n’est pas du tout mis en valeur comme c’est tout noir, tout sale. Où ça n’est pas nettoyé, ça pourrait être mis vachement en valeur. Et c’est comme si on voulait couper deux mondes. Ce n’est pas la volonté puisque je ne pense pas qu’ils voulaient passer en dessous [le métro]. Mais quand tu vois ça, tu vois d’un côté tous les bâtiments anciens qui sont maintenant sur la droite, les vieilles maisons etc… Et là toutes les constructions qui ont été faites dans les années 70. On pourrait imaginer que ça fasse une ligne pour couper ces deux mondes. Par contre je n’ai pas vu cette sensation de ligne droite, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j’avais la tête plus baissée. »14

Lors du parcours commenté en vélo de ville, il avait ressenti cette sensation de ligne droite. Je reviendrais sur cette notion dans la seconde partie. Mais lors de ce parcours en VTT, il a affirmé qu’il ne l’avait pas ressentit, car il avait la tête baissée, en direction du sol.

En VTT le posture du cycliste et induite par le vélo même s’il est possible de s’en détacher comme l’a fait Jacques Detève. Toutefois, même en essayant de s’extraire de sa présence, le sol reste très présent dans notre rapport (à Jacques Detève et moi même) au paysage avec ce type de vélo.

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Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en VTT réalisé le 7 avril 2018. Annexe 5 p119.

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1.3 Étude en V’Lille (Vélo libre-service) Le V’Lille est un système de vélo en libre-service mis en place par la Métropole Européenne de Lille. Le dispositif a été mis en place en 2011 avec aujourd’hui 4100 vélos répartis sur 221 stations. Sur mon site d’étude se trouve quatre stations, à chaque arrêt de métro (Porte des Postes, Portes d’Arras, Porte de Douai et Porte de Valenciennes). Selon Sébastien Torro-Tokodi, le V’Lille a donné une impulsion à l’utilisation du vélo en ville à Lille. Les bénéfices n’en reste pas là car selon Marc Augé cela concernent aussi le rapport du cycliste au paysage. « les vélos de location leur a manifestement permis de se réapproprier l’espace urbain. Lorsque Marc Augé dit « ils », il parle des « urbains » Parisiens qui utilisaient uniquement la voiture ou les transports en commun afin de se déplacer en ville. « ils se rendaient compte avec émerveillement que la ville est faites pour être vue […] qu’elle est belle jusque dans ses rues les plus modestes, et qu’il est aisé de la parcourir. »1 À Paris, lors du lancement du Vélib’ (le système de vélo libre-service de Paris) en 2007, les « urbains » auraient eu selon lui l’occasion de redécouvrir la ville. Ils ont redécouvert son architecture et le paysage. Les vélos en libre-service permettent de parcourir la ville aisément sans la contrainte d’un vélo personnel à devoir rentrer dans son domicile parfois trop petit. Et permet de limiter le risque de vol, aujourd’hui un fléau dans les grandes villes. Ainsi ces types de vélos, selon l’auteur, permettent aux citadins , lorsqu’ils les utilisent, de se réapproprier la ville et de la contempler à nouveau sans avoir véritable de vélo personnel. Dans le chapitre « crise », Marc Augé explique que le développement des villes et de l’accroissement urbain à conduit à une mondialisation qui nous a fait perdre notre contact avec la ville. C’est-à-dire que les citadins n’ont plus conscience du lieu dans lequel ils vivent. La routine permanente en est la cause et cette aveuglement a fait oublier la ville à ceux qui y vivent au quotidien. Pour lui, l’apparition des vélos en livres services est un exemple de sortie de crise. Ce système de partage de vélo est un outil de cohésion sociale entre les « urbains » devenus cycliste. Il imagine donc en mars 2008 (date de sortie de l’ouvrage) quelques mois après le lancement du système Vélib’, des vélos en accès libre disponibles partout dans la ville pour tous sans la contrainte d’une borne. « Avec un peu de d’imagination, on serait même tenté de rêver, à partir de là,

1

Augé marc, Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, p53.

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d’une ville où chacun pourrait à volonté prendre n’importe quelle bicyclette dans la rue, la laisser n’importe où et en reprendre une autre un peu plus tard ; rêver d’une sorte de communisme urbain pour les chevaliers et chevalières de la bicyclette qu’uniraient une éthique commune et des règles de courtoisies unanimement respectées. »2

Manifestement Marc Augé a été attentif à ces vélos car il semble avoir compris le fonctionnement du système. L’usager à l’aide d’un abonnement peut décrocher un vélo quand il veux et où il veut dans n’importe quelle borne présente sur l’espace public. Sa phrase commençant par « avec un peu d’imagination » montre qu’il imagine, voire rêve, déjà quelques mois après le lancement du système, un système sans borne, avec uniquement des vélos pour tous dans la ville.

Noël Jouenne chercheur et docteur en anthropologie sociale a, dans son article Contrepoint à l’« Eloge de la bicyclette »3 juxtaposé son propos à celui de Marc Augé. Selon lui, le vélo en libre-service dont parle Marc Augé n’est pas un outil permettant de créer du lien social dans les rues de la ville. « Aussi, je ne partage pas l’engouement de Marc Augé lorsqu’il prétend que le vélo serait un moyen de socialiser les rues. Bien au contraire, la rapidité des trajets, des dépassements et des croisements en fait un objet socialement distanciateur. »4 L’engouement de Marc Augé est effectivement à nuancer mais je ne partage pas l’avis de Noël Jouenne car le vélo n’est pas un objet socialement distanciateur. À plusieurs reprises, non pas lors de mes expériences de terrain, mais lors de trajet personnels, j’ai échangé avec des cyclistes. Selon lui, la vitesse du cycliste en est la cause. Je ne partage pas son point de vue car en roulant, il m’ait arrivé de partager avec un cycliste roulant à la même vitesse que moi lors d’un trajet domicile-école. Cependant, il est vrai que le cycliste communique peu avec les autres types d’usagers, notamment les piétons qui marche à leurs rythmes. De nouveau, il m’ait arrivé de discuter avec une personne ayant son vélo accroché sur le même arceau que moi, une fois de plus, le vélo a été le moyen de communiquer, le point de contact entre ce cycliste et moi. De plus, le cycliste est à l’air libre, il a un contact direct avec l’environnement qui l’entoure donc avec les gens qui pratiquent aussi l’espace. Ce contact permet, à l’aide d’un geste, d’un sourire ou d’un regard de communiquer, de laisser passer des personnes aux passages piétons. Ce n’est pas le cas de l’automobiliste qui est enfermé

2 3 4

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Augé marc, Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, p53. Jouenne Noël, Contrepoint à l’ « Eloge de la bicyclette », 2011, 20p. Ibid p15.


dans l’enceinte du véhicule et qui n’a donc pas ce contact privilégié avec autrui.

Je voudrais apporter une nuance aux propos de Marc Augé, car suite à mon expérience de terrain, le contact eu avec le paysage ne m’a pas été si évident avec ce type de vélo. Il y a plusieurs types d’utilisateurs de ces systèmes : les occasionnels et les réguliers. Les occasionnels sont des cyclistes non quotidiens qui utilisent le système une à deux fois par semaine. Les réguliers sont des utilisateurs du quotidien qui utilisent ce vélo pour effectuer des déplacements par exemple domicile-travail sur des faibles distances. Je suis un utilisateur occasionnel de ces vélos, je les utilise uniquement de manière exceptionnelle car j’ai acquis un vélo de ville personnel que je privilégie. La réalisation de questionnaires devait et aurait dû me permettre de comprendre si un utilisateur occasionnel ou régulier avait un rapport différent au paysage. Mais comme indiqué dans l’introduction, cet outil à été abandonné car le temps et la période de réalisation de ce travail n’était pas approprié. En vélo libre-service, du fait de la non habitude de la machine, l’utilisateur occasionnel n’a pas la même attitude qu’en vélo de ville malgré le fait que la posture soit similaire. La non habitude et l’inhabilité à utiliser ce type de vélo ne permet pas un contact simplifié entre le paysage et le cycliste. Lors de mon observation directe réalisée le 24 novembre 2017, j’ai eu un temps d’adaptation avant de me réhabituer à ce type de vélo. Le vélo pesant 24kg est lourd et cela se ressent lors de la pratique. Les premiers cent mètres ont été difficile car j’ai du m’accommoder avec la machine, la comprendre. Le moyeu à vitesses intégrés est un système récent presque exclusivement utilisé sur les vélos en libre-service, il est peu communément utilisé sur les vélos de ville. Je ne suis pas habitué à ce système de vitesse et cela s’est ressenti lors de la rédaction du récit. « J’ai démarré en vitesse 2 sur le V’Lille, quelques mètres après avoir commencé, en longeant l’espace dédié à Lille plage, je roulais sans fatigue. (Il n’y a que 3 vitesses sur les V’Lille) Mais lorsque la légère pente s’est engagée, je pédalais trop. En actionnant la vitesse 3, j’avais l’impression de ne plus avancer, de pédaler lentement, d’être lent. Je pensais sans cesse à mes jambes. À chaque coup de pédale. Je n’étais plus dans une fluidité de mouvement, à chaque changement de vitesse les rythmes sont perturbés. Également à chaque intersection ou carrefour. J’étais attentif au paysage proche, c’est-àdire aux éléments proches de moi. Les voitures, la fin de la bande cyclable, le

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(fig.9) Posture adoptée et angle d’inclinaison du corps sur un V’Lille. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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feu tricolore qui reste toujours vert, la borne incendie rouge. »5

Le V’lille est un vélo difficile à manipuler car il ne comporte que trois vitesses et il n’est pas conçu avec les dérailleurs classiques présents sur les vélos de ville, VTT ou encore les vélos de courses. Lorsque j’ai commencé mon expérience de terrain, je ne savais pas en quelle vitesse commencer. J’ai choisi la vitesse deux, l’intermédiaire, afin de commencer facilement. En longeant l’espace dédié à Lille plage, j’ai ressenti cette facilité mais lorsque la légère pente du Boulevard d’Alsace s’est engagée, je pédalais trop par rapport à ma vitesse, j’ai alors enclenché la troisième vitesse, cependant le vélo est devenu difficile à manier et à manipuler. Les rotations étaient difficiles, j’ai peiné à avancer. Afin de comprendre comment est ma posture sur ce type de vélo, j’ai réalisé comme pour le vélo de ville et le VTT, l’analyse de ma posture (fig.9). Mon angle d’inclinaison est de l’ordre de 10% par rapport à la perpendiculaire au sol, ce qui est similaire à celle adoptée en vélo de ville (12%). Ce document me permet d’analyser la posture générale lors de la pratique avec ce type de vélo. Je peux en conclure que les deux postures sont presque identiques mais non absolues. Mon récit d’observation direct a mis en lumière les éléments auxquels j’ai été attentifs. « Les voitures, la fin de la bande cyclable, le feu tricolore qui reste toujours vert, la borne incendie rouge. »6 Malgré la posture adoptée, similaire à celle en vélo de ville qui favorise l’accès à l’horizon, c’est la difficulté à manier le vélo et à utiliser les vitesses qui ressort de mon récit. Je n’ai pas eu le même contact au paysage lointain qu’en vélo de ville. Mon regard s’est focalisé sur les éléments qui étaient proche de moi. La non habitude du vélo ne permet pas d’avoir un rapport privilégié avec le paysage lointain surtout pour un utilisateur occasionnel comme moi. D’ailleurs, Claude Genzling analyse la position du cycliste en fonction de sa fréquence et de son type de trajet. « Le cycliste occasionnel, qui prend son vélo pendant le week-end, a généralement réglé la selle et la potence au hasard. Seules les douleurs qu’il est amené à ressentir, lors d’une sortie plus longue, le conduiront à s’interroger sur sa position. A dire vrai, parler de position sans préciser le type de cyclisme pratiqué n’a guère de sens. Pour le promeneur, qui parcourt quelques kilomètres, sans beaucoup solliciter les muscles et l’organisme, il importe

5 Citation extraite du récit d’observation directe en V’Lille le 24 novembre 2017. Livret p33. 6 Ibid.

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surtout de se sentir «bien», et les cotes de la position supportent des variations assez importantes, à condition, cela va de soi, d’éviter les erreurs les plus grossières »7

Claude Genzling fait le distinguo dans le chapitre « Tout part de la chaussure ! », entre le coureur cycliste et le cycliste occasionnel. Il se trouve que le cycliste qui n’utilise pas son vélo tous les jours, n’a pas sa selle bien réglée. C’est à dire qu’elle n’est pas adaptée à sa taille. Mais ce n’est pas ce que le cycliste occasionnel recherche. Souvent, sa préoccupation est d’effectuer un déplacement de courte distance qui se fasse plus rapidement et plus agréablement qu’en transport en commun. C’est à dire être confortablement installé afin de pouvoir pédaler dans les meilleurs conditions. Cependant, pour un utilisateur du V’lille qui souhaite passer un bon moment, ou pour circuler de manière occasionnel en ville, aura sa selle réglée au hasard comme l’affirme Claude Genzling. Son rapport au paysage est-il différent ?

Jacques Detève a réalisé des parcours commentés avec les trois types de vélos étudiés.8 Il a 54 ans et mesure une taille similaire à la mienne, c’est à dire 1m75. En V’Lille, il a tout de suite après quelques mètres réalisés, été attentif aux vitesses. « Donc là j’ai un V’Lille, c’est la première fois que j’en prend un. Il y a trois vitesses. »9 Manifestement, elles n’ont pas affecté son confort car il a qualifié le V’Lille d’un vélo de promenade. « Le V’Lille est lourd mais tu es bien droit. On a l’impression que c’est un vélo de promenade. »10 Sur ce vélo, Jacques Detève s’est senti bien comme l’a qualifié Claude Genzling pour un cycliste occasionnel. C’est d’ailleurs son cas car c’est la première fois qu’il en utilisé un. Pourquoi n’ai-je pas eu la même sensation de confort lorsque j’ai réalisé mon expérience directe ? Je pense avoir pris l’habitude de mon vélo personnel. C’est un vélo plus léger et plus confortable qui est adapté à ma taille. La position de ma selle à été définie suite à la mesure entre le sol et mon entrejambe. Ce qui permet au quotidien d’être confortablement assis. Proche de l’arrivé à le Porte d’Arras, il a qualifié ce confort : « On est bien assis, un peu dure [la selle] mais ça va. J’ai plus de plaisir que tout à l’heure à rouler. »11 Il se sentait bien sur ce vélo malgré une selle inconfortable à son goût, pourtant d’après les fiches identités vélo

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Abram Joseph, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, École des Beaux-Arts de Metz, 1997, p 65. 8 Annexe 4 p114, Annexe 5 p119 et Annexe 6 p123. 9 Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en V’Lille. Annexe 6 p123. 10 Ibid. 11 Ibid.

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réalisées, le V’Lille à une selle particulièrement grande, large et molle. Après être passé à la Porte d’Arras, proche du lycée professionnel Baggio, il a eu le regard qui portait haut. « Il y en a qui ont fait des tags sur des pignons de murs, on se demande comment ils ont réussi à faire ça. »12 Il a été attentif aux graffitis présents sur une façade de brique en retrait de la rue. C’est un élément que je n’avais jamais identifié. À nouveau proche de l’hôpital Saint Vincent de Paul, il a manifesté un intérêt à me montrer des détails architecturaux de maisons ouvrières en briques. « … Là regarde le pignon avec le toit c’est chouette ça. Deux maisons côte à côte comme ça, c’est bizarre d’ailleurs. Là aussi une belle photo à prendre, on dirait des toitures [inaudible 8 :35] alors que c’est des maisons individuelles. Colorées. »13 Ces maisons sont dans une rue perpendiculaire au Boulevard de Belfort, pas facilement perceptibles depuis la bande cyclable où il circulait mais elles ont attiré son attention. Cela montre qu’en V’Lille, son regard a porté haut, vers les toits contrairement à moi même où j’ai été attentif aux éléments proches de moi. Je pense que cela est dû à mon habitude de circuler au quotidien avec un vélo de ville, donc de changer cela pour un V’Lille n’a pas engendré le même rapport au paysage. Avant d’arriver à la Porte de Valenciennes, Jacques Detève a repéré sous le viaduc du métro, des cheminées de briques et de béton dépassées au dessus des toits. À nouveau c’est un élément du paysage que je n’avais jamais repéré avec aucun type de vélo. Je les avais uniquement aperçus lors de mon observation de terrain en métro réalisée le 6 octobre 2017.

Pourquoi n’ai-je pas eu le même rapport au lointain avec le V’Lille comme Jacques Detève ? Chacun s’adapte et à une préférence pour un type de vélo. Jacques Detève a apprécié le V’Lille en le qualifiant de vélo de balade. Selon moi, j’ai eu des difficultés à appréhender et à rouler avec le V’Lille car une habitude s’est installée avec mon vélo de ville personnel ce qui m’empêche de me réadapter à un nouveau type de vélo et complexifie le rapport que j’ai au paysage.

Suite aux parcours commentés et aux éléments qui en résultent, je me questionne sur le rapport au paysage de chaque personne. Jacques Detève n’est pas de la même génération que moi, il n’a pas le même vécu et la même culture que la mienne. Y a-t-il autant de paysages que de cycliste en ville ? Avec plusieurs typologies de vélos ? Plus généralement les vélos en libres-services ne sont-il pas des vélos qui bouleversent et 12 Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en V’Lille. Annexe 6 p123. 13 Ibid.

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qui bouleverseront l’image et le paysage de la ville ? Les utilisateurs de ces types de vélos ne font-il pas naître une nouvelle forme de ville ? Et/ou la naissance et la modification du paysage actuel en démocratisant la pratique du vélo ? Le système du libre-service se développe de plus en plus dans les grands centres urbain. À Lille un redéploiement est prévu pour janvier 2019, n’est ce pas déjà un pas vers une nouvelle forme de ville ? Une ville qui change, qui adapte ses infrastructures et qui modifie le paysage pour la pratique du vélo.

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2. LA PRATIQUE DU VÉLO : UNE MANIÈRE D’ÊTRE DANS LE PAYSAGE

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Étudier la polysensorialité lors de la pratique du vélo me questionnait. C’est par ce biais que je voulais dans un premier temps orienter ma recherche, car interroger les sens du cycliste lors de sa pratique en essayant de comprendre l’incidence que cela pouvait avoir au paysage me semblait essentiel afin de comprendre son rapport à l’espace. Afin de comprendre ce qu’est la polysensorialité du cycliste, il faut dans un premier temps s’interroger sur les sens. Bernard Chambaz dans son ouvrage Petite philosophie du vélo1 propose un chapitre sur les sensations. « Faire du vélo, on s’en doute, ne met pas en jeu le seul sens de l’équilibre. Les cinq sens sont, si je puis dire, de sortie. Par leur biais, nous éprouvons un nombre considérable de données sensorielles élémentaires. Si toutes ne sont pas prises dans un processus de connaissance, certaines se manifestent au point de devenir une espèce de perception du fait de la conscience que l’on a.»2

Selon lui, les cinq sens sont sollicités et le cycliste perçoit un grand nombre de sensations en liaison avec les cinq principaux sens. La vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût. Bernard Chambaz affirme que le cycliste éprouve de nombreuses données sensorielles élémentaires, c’est à dire des sensations simples, non complexes en lien avec les cinq sens. D’ailleurs, il énonce que les cinq sens sont de sortie, mais dans son ouvrage, il développe uniquement quatre sens. En guise de cinquième, il oublie volontairement le goût et le remplace par le sixième sens en apportant peu de précision sur ce propos. Simplement que le cycliste aurait la capacité à deviner les ouvertures de portières par instinct.

Je vais étudier dans un premier temps l’incidence des principaux sens sur le cycliste et comprendre s’il y a un lien entre le paysage, les sens et le cycliste puis nous verrons dans un second temps que d’autres sensations envahissent le cycliste et je vais essayer de déterminer si elles participent à comprendre son rapport au paysage.

1 2

Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, 127 p. Ibid p85.

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2.1 La polysensorialité lors de la pratique du vélo

C’est un trajet effectué sur le Boulevard de la Liberté à Lille qui m’a amené à cette recherche en octobre 2017. Le récit1 de ce trajet réalisé de mémoire a été le moment déclencheur de mes questionnements sur ma pratique du vélo et c’est en lien avec le sens du toucher que ça a commencé. « Puis arrivé proche du musée des Beaux-arts, le revêtement de sol abîmé suite aux passages successif des bus m’a fait perdre l’équilibre un instant. Me ressaisissant et relevant la tête, j’ai redécouvert le boulevard. »2 Je n’ai pas seulement manqué de tomber, j’ai aussi redécouvert le Boulevard. J’étais entré dans une habitude me faisant oublier l’espace autour de moi. J’étais seul avec mes pensés déconnecté du lieu que je traversais. Je reviendrais sur la notion d’habitude dans la partie temporalité. Ici, c’est le revêtement de sol qui m’a réveillé, car je n’y était pas attentif en plus que je n’avais aucun contact direct avec. Dans l’ouvrage Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance3, Claude Genzling lui même affirme que « Le paradoxe du cycliste, c’est que ses pieds ne prennent pas appui sur le sol, et que, pourtant, il se déplace le plus vite qu’il soit possible à un être humain de le faire par le secours de ses seules données musculaires. ».4 Claude Genzling simplifie l’attitude du cycliste car ce dernier a un contact fort avec le sol. Aux arrêts ses pieds sont en contact avec le revêtement de sol et il y prend appui. De plus, lors de la pratique, le sens du touché est sollicité, que le cycliste soit à l’arrêt ou en mouvement. Le contact est assuré par l’intermédiaire des roues et est perçu différemment en fonction du type de vélo. Lors de l’entretien réalisé avec Sébastien Torro-Tokodi, j’ai demandé si un éventuel revêtement de sol pouvait conduire un cycliste à modifier son trajet, ou si une matérialité pouvait être facteur de détour : « Q : Pensez-vous qu’un revêtement de sol peut être facteur de changement ou de changer de rue ? Parce que l’on sait qu’à certains endroits il y a une matérialité qui ne plaît pas. R : (haussement de ton) Ah oui ! Surtout à vélo, on est très sensible puisque, pour peu, fin je sais qu’on a eu des retours à l’époque lorsque ça a été inau1 2 3 4

Récit « Ma première fois » réalisé le 03 octobre 2017. Livret p4. Citation extraite du Récit «Ma première fois» réalisé le 03 octobre 2017. Livret p5. Abram Joseph, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, Ecole des Beaux-Arts de Metz, 1997, 175p. Ibid p42.

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guré : les pistes du Boulevard de Tournai qui vont vers le stade. Q : Oui, je vois, je la prends tous les jours. R : En passant par rue Verte j’imagine ? Q : Oui exactement. R : Cette (hésitation), la piste, il y a une espèce de gravillon qui fait que ça tremble (mouvement de tremblements en haut et bas du corps) et c’est assez désagréable. Au début c’était… fin là ça s’est un peu tassé. Ça fait trois ou quatre ans que cet aménagement a été livré. Au début c’était très désagréable, ça vibrait très fort. On a eu beaucoup de retours de cyclistes qui voyaient le billard pour les voitures et de leur côté de devoir se taper un aménagement pas très confortable. Donc oui, oui c’est clair que l’aménagement a un… très, très important… fin la qualité du revêtement même plus qu’en voiture parce qu’en voiture on peut se contenter de quelques choses de moins roulant puisqu’on est moins… Fin la section des roues vélo c’est qu’on est beaucoup plus sensible. Surtout quand on a un vélo de ville. »5

La réaction de Sébastien Torro-Tokodi m’a surpris car il a rapidement réagis à la première question en haussant le ton et en affirmant sa réponse. Manifestement le revêtement de sol est un élément du paysage auquel il est sensible car il a mimé l’attitude d’un cycliste passant sur un revêtement de sol gravillonné. Le revêtement active le sens du toucher pour un cycliste qui ne touche pas directement le sol. Seul le contact avec les roues permet cela. Selon Sébastien Torro-Tokodi, la sensibilité du cycliste dépend aussi de la largeur des roues, donc du type de vélo utilisé. Sur un vélo avec des sections de roue fine comme mon vélo de ville personnel, une sensibilité accrue envahit le cycliste car ce vélo n’absorbe pas les chocs. C’est un vélo dur dans sa forme, rigide. Ainsi c’est le cycliste qui absorbe la majorité des chocs. Toutefois, j’ai été sensible à la matérialité des sols, surtout sur mon VTT. Un vélo avec une section de roue large conçu pour parcourir des terrains accidentés et gravillonnés muni de suspension permettant d’absorber de gros chocs.

Lors de mon observation directe réalisée en VTT6, j’ai eu un propos négatif dans le récit car mon ressenti du parcours était désagréable. Plus haut, dans la partie 1.2, j’ai mis en lien que la posture adoptée en VTT ne participait pas à ce que je comprenne le paysage et que je m’y sente dedans. Mais pourquoi ? J’ai ressenti des douleurs dans mes poignets et dans 5 6

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Extrait de l’entretien réalisé avec Sébastien Torro-Tokodi, responsable concertation de l’association ADAV. Annexe 2 p104. Récit observation directe en VTT réalisé le 28 décembre 2017. Livret p26.


ma nuque suite à la posture adoptée. Mais ce n’est pas uniquement la posture qui entrait en compte ici, la sensation du toucher sur-sollicitées a focalisé mon attention uniquement sur ce qui me perturbais. Pourquoi lorsque ce sens a été activé lors de ma première expérience j’ai eu l’impression d’être dans le paysage et de la comprendre ? Le sens du toucher activé ponctuellement peut me provoquer cette perception d’être dans le paysage alors que ce sens perpétuellement sollicité lors de mon parcours en VTT ne m’a pas permis d’en avoir conscience. Comme l’a dit Bernard Chambaz à propos des sensations, « Si toutes ne sont pas prises dans un processus de connaissance, certaines se manifestent au point de devenir une espèce de perception du fait de la conscience que l’on a. »7 Ce n’est pas l’abondance de sensation qui provoque cette perception mais simplement s’apercevoir que l’on en a conscience. J’ai eu conscience de mon sens du toucher sur le Boulevard de la Liberté, ainsi je peux dire que j’ai été dans le paysage car j’ai analysé à posteriori mon rapport et cela me permet de tirer ces conclusion.

L’entretien avec Sébastien Torro-Tokodi m’a permis de mettre en lumière la vision de l’Association Droit Au Vélo, notamment la sienne. Avant que je le questionne sur sa vision des sens du cycliste, il a exprimé son point de vue concernant la vue mais surtout l’ouïe lorsque nous avons parlé du rapport du cycliste avec les autres usagers utilisant d’autres moyens de déplacement. « Q : Qu’est-ce que vous pensez du rapport que peut avoir le cycliste avec les autres modes en ville ? La voiture, le piéton, peut-être aussi les autres modes augmentés qu’on voit apparaître. Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur le rapport qu’il (le cycliste) peut avoir ? [...] Q : Hum… R : Euh (long), donc plutôt conflictuelle avec la voiture et les modes motorisés en générale : camion, scooter parce qu’il fait… clairement il fait pas le poids. Un mode relativement vulnérable parce que peu de carrosserie. Encore que moins vulnérable que les deux roues motorisés qui lui n’a pas de carrosserie mais des vitesses bien plus supérieure et un danger beaucoup plus fort mais qu’on pressant pas… les deux roues motorisés ont tendance à sentir peu en insécurité. Voilà. Euh (long). En revanche, les automobilistes (hésitation) euh… Après l’avantage du vélo, c’est d’avoir un champ de vision très ouvert, de pouvoir s’aider de l’ouïe, de pouvoir s’aider de tous ses sens pour pouvoir appréhender aussi le comportement des automobilistes mais ça demande 7

Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, p85.

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une certaine confiance, une certaine expertise, une certaine dextérité que… qui, qui demande de l’expérience. Donc ça c’est avec les véhicules motorisés et après avec les piétons (haussement de ton) le ressenti des piétons, c’est un sentiment de conflits, c’est généralement ce qui ressort même s’il n’y a pas de conflit avéré. C’est souvent des ressentis. Il y a peu d’accidents qui nous sont remontés. Euh (long), parce que le souci du piéton c’est le silence du vélo. Le vélo arrive parfois vite… »8

Sébastien Torro-Tokodi a, à plusieurs reprise, énoncé le fait que le cycliste appréhende mieux les comportements que les autres usagers car il est haut sur son vélo (tout dépend du vélo utilisé) et qu’il a un champ de vision large. Dans la première partie sur le vélo de ville, Sébastien Torro-Tolodi avait déjà énoncé le terme « appréhender les comportements ». Cela concerne la perception de l’espace autour du cycliste en tenant compte du rapport avec les autres usagers autour de lui. Toutefois, dans cet extrait de l’entretien apporte des précisions sur les sens sollicités. Il y a la vue mais surtout le sens de l’ouïe. En quoi l’ouïe permet-elle au cycliste d’être dans le paysage ? Sébastien Torro-Tokodi, à la fin de l’extrait de l’entretien dit que le vélo est silencieux. Le vélo n’émet que très peu de bruit. Seul le son de la chaine sur le dérailleur lorsqu’il y a un changement de vitesse est perceptible ou lorsque les manettes de freins et de vitesses se remettent en place après leurs utilisations. Le cycliste peut surprendre de part sa vitesse et son silence les autres usagers, surtout le piéton. Mais qu’en est-il de la faible quantité de son produite par le cycliste en lien avec sa perception ? Y a t-il une incidence dans son rapport au paysage ? Est-il plus sensible aux sons ? Jacques Detève à réalisé des parcours commentés et a manifesté, concernant le vélo de ville, une permanence de son qui lui perturbait la sensation d’agréable ressenti. Voici l’extrait de son commentaire après la réalisation de son dessin : « Tu arrives au rond-point, c’est panique à bord parce que tu as plus rien, tu ne te sens pas du tout en sécurité. Et une chose caractéristique qu’on ne se rend pas compte, c’est qu’il y a un bruit permanent qui rend et qui casse la sensation d’agréable que tu as quand tu es sur le vélo parce que quand tu es en voiture, tu as tous les sons de la ville qui sont couverts par l’habitacle. Là tu es proche du métro, donc tu as un bruit de fond permanent. F : Un son dû au métro et aux voitures ? 8

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Extrait de l’entretien réalisé avec Sébastien Torro-Tokodi, responsable concertation de l’association ADAV. Annexe 2 p 100.


J : Le métro je ne l’ai pas trop entendu, c’est surtout le périphérique et les véhicules qui passent. Et puis tu ne te sens pas en sécurité quand les voitures passent à côté de toi et encore on a de la chance, il n’y avait pas de poids-lourd. Mais avec un poids-lourd, tu ne te demande pas si tu ne vas pas t’arrêter. »9

Jacques Detève a raccroché sa sensation d’inconfort à celle de l’insécurité. Les sons qu’il a perçus, je ne les ai jamais entendus. Le parcours commenté a été réalisé un samedi matin, la circulation était peut-être plus intense qu’en semaine lorsque j’ai réalisé mes observations. Le fait que le cycliste n’émette pas de son, le rendrait plus sensible aux sons produits par la ville. J’entends par la ville, les sons des moteurs de véhicules, celui du frottement des pneus sur le sol, les piétons qui parlent, les roulettes des skateboards dans le skatepark de la Porte de Valenciennes etc. Le cycliste, comme le piéton n’émet pas de son, sauf qu’en vélo, une plus longue distance est parcourue sans moteur et simplement grâce à l’énergie musculaire. Comme l’a dit Jacques Detève, l’automobiliste est protégé sous sa carrosserie et les sons de la ville ne lui parviennent dans une moindre mesure jusqu’au oreilles, alors que, sur un vélo, le corps est au vent et les oreilles saisissent le moindres son, même lointain, comme le vrombissement d’automobiles sur une autoroute. Du fait de son déplacement rapide dans l’espace, le cycliste peux entendre ce qui est derrière lui presque comme s’il était à côté et il peux entendre ce qui est au loin plus facilement car il est presque déjà arrivé au son quand il se produit.

Je souhaitais avoir l’avis de Sébastien Torro-Tokodi à propos des principaux sens sollicités à vélo car, plus tôt dans l’entretien, il en avait fait plusieurs fois allusion. « Q : Est-ce que la question des sens est quelque chose d’important pour le cycliste ? R : Ah oui, oui (enthousiasme). Très fort (répétition x2). Alors justement l’ouïe, il y a une action aux Pays-Bas qui consiste à indiquer pour les enfants ou adultes qui sont malentendants... Il y a un petit panneau sous la selle qui précise aux automobilistes qu’ils sont malentendants. Pour que les automobilistes sachent. Il ne faut pas qu’ils s’imaginent que le cycliste se fie au bruit du moteur. Ce qui est un gros problème d’ailleurs avec le développement des véhicules électriques où on se fit moins à l’ouïe. Q : Pour vous, quel serait le sens privilégié pour le cycliste ? 9

Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en vélo de ville. Annexe 4 p114.

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R : Ça reste la vue quand même. Q : Ça reste la vue. Et le second ? R : L’ouïe. Q : L’ouïe. R : Oui bien sûr. Q : Et si je vous parle de l’odorat ? R : Oui il est sollicité et après, c’est pas ça qui va lui permettre de circuler mieux ou pas. Mais l’odorat oui, quand on est sur une zone très malodorante parce qu’il y a, notamment le matin, quand il y a les moteurs qui sont encore froid on va… certains cyclistes évitent des endroits très circulé. Quand ils peuvent. »10

Lorsque j’ai demandé de manière générale si les sens étaient importants pour le cycliste, Sébastien Torro-Tokodi m’a parlé du son, notamment l’absence de son pour les malentendants aux Pays-Bas. Cette attitude m’a interpellé. Pourquoi parler instinctivement des cyclistes qui n’entendent pas les sons de la ville ? Pourquoi associer le sens de l’ouïe aux cyclistes qui n’entendent pas ? Sa vision sur le sens de l’ouïe est ambiguë car il affirme dans un second temps que le sens privilégié reste la vue. Pourquoi m’avoir parlé du son alors que la vue semble pour lui être priorisée par le cycliste. Cela montre que ce sens est important pour lui dans son rapport à l’espace et au paysage, cependant, il n’arrive pas mettre de mot et de précision sur ces propos.

Je souhaite revenir sur le sens qui m’a amené à cette recherche : le toucher. Ce sens semble être important pour la compréhension du paysage par le cycliste. Clotilde Félix-Fromentin a mis en lumière une sensation que j’ai moi même perçu lors de mon observation directe en vélo de ville. Nous parlions de la manière dont se repère le cycliste dans l’espace. Clotilde Félix-Fromentin assure être sensible aux revêtements de sol à Paris, la ville où elle pratique le vélo au quotidien. « Q : Beaucoup de cyclistes se repèrent grâce au relief. Vous montez, vous descendez là…

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Extrait de l’entretien réalisé avec Sébastien Torro-Tokodi, responsable concertation de l’association ADAV. Annexe 2 p102.


R : Oui et puis on ressent les faux plats très vite en vélo. Les gens souvent n’ont pas vu la côte en question alors qu’on sait très bien que c’est une côte. Q : On se rend mieux compte de la géographie, du nivellement… R : Et du revêtement de sol aussi. Je suis très sensible aux revêtements de sol parce que Paris en ce moment est un vrai chantier. Mais ce n’est pas un chantier géré. Il y a des travaux partout et c’est vraiment n’importe quoi. Et notamment par le remplacement des Vélib’ par les nouveaux Vélib’ fait que tout ce qui est sur le bord de la route qui nous est dédiés, nous cycliste, c’est dans un état épouvantable. Q : Ils ont commencés le plan vélo et j’imagine que ça doit faire pas mal de travaux ? R : Oui, ça doit y être intégré Q : Vous m’avez parlé des revêtements de sol. Vous pensez qu’en fonction du revêtement de sol vous n’avez pas le même rapport au paysage ? R : Moi en vélo, je sens le sol mais dans mes pédales, sous mes pieds. Il y a quelque chose qui fait que les pneus attrapent le grain mais dans la mécanique de mon vélo, c’est sous mon pied que ça m’arrive, comme si je marchais, c’est peut-être l’habitude. Je sens le grain du sol. Et ça participe au paysage mentale, à l’ambiance que je crée. Et c’est très énervant… que ce soit rugueux ou lisse, d’accord, je ne cherche pas la « lissitude » absolue pour pouvoir être tranquille et pensez ce que je veux. Quand c’est rugueux ça va, quand c’est vraiment accidentel sans arrêt, on en peut pas être perceptif à autre chose. Ça nous accapare.»11

Le sens du toucher de Clotilde Félix-Fromentin est surtout présent dans ses pieds. C’est de cette manière qu’elle perçoit le revêtement de sol et que cela participe à sa compréhension du paysage traversé. D’ailleurs elle affirme que cela construit son paysage mental mais je reviendrais sur ses propos dans la partie suivante. Pourquoi lorsqu’un revêtement de sol trop abîmé, accapare sa perception du paysage ? Son sens du toucher est monopolisé, et elle focalise son attention uniquement sur le sol. Il arrive alors de se poser ces questions : Ou rouler pour ne pas tomber ? Comment éviter les obstacles ? Rechercher un revêtement plus confortable, plus lisse. Un sens accaparé ne permet plus au cycliste d’avoir conscience du paysage et de le comprendre. La perception qu’elle pouvait en avoir a été coupé, inhibé par un seul sens sollicité

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Extrait de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018. Annexe 3 p109.

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en masse. Son sens a absorbé sa perception du paysage. L’expérience dont m’a fait part Clotilde Félix-Fromentin lors de notre entretien ne m’était pas inconnue étant donné que j’ai aussi vécu cela sur mon terrain d’étude entre Porte d’Arras et Porte de Douai. Lorsque j’ai réalisé mon observation directe en vélo de ville, à la sortie du rond-point de porte d’Arras, je n’étais attentif qu’aux véhicules passant à côté de moi. Cette zone est dangereuse à traverser en vélo, c’est pourquoi je pensais principalement à ma sécurité. Je me suis donc retrouvé proche du Lycée professionnel Baggio sur le boulevard d’Alsace étourdi par le passage du rond-point. C’est à ce moment là, que je me suis retrouvé dans la même situation que Clotilde Félix-Fromentin. « Au niveau de Baggio, j’ai ressenti les irrégularités de la route comme je ne les avais pas ressentis depuis le début de l’observation. Une plaque d’égout longue prenait totalement la surface de la bande cyclable. Je n’ai pas eu le choix que de passer dessus. J’ai eu le réflexe de regarder attentivement mon guidon puis le sol pour en éviter d’autre. J’ai eu peur. La sensation de tomber dans le vide m’avait surpris. J’ai ensuite était plus attentif au sol alors que je n’y prêtais pas attention auparavant. L’enrobé était clair, strié, et de nombreuses plaques d’égouts étaient présentes. Il n’était pas lisse et souple. Plutôt rugueux, voir cabossé. »12

J’ai été absorbé par le sol dû à la présence d’irrégularités sur la bande cyclable. Suite à mon passage sur une plaque d’égout qui à failli provoquer ma chute, j’ai orienté mon attention uniquement en direction du sol. J’ai été accaparé, comme Clotilde Félix-Fromentin, par la matérialité et cela a modifié ma perception du paysage. « L’enrobé était clair, strié, et de nombreuses plaques d’égouts étaient présentes. Il n’était pas lisse et souple. Plutôt rugueux, voir cabossé. »13 Cette irrégularité du sol a provoquée une sensation, autre qu’avec les cinq sens généraux. « La sensation de tomber dans le vide m’avait surpris.»14 D’où est venu cette sensation ? Est-ce provoqué par l‘abondance du sens du toucher ? Ou la volonté d’oublier les autres sens ?

Les sens modifient mon rapport au paysage en fonction de leurs intensités, de leur présence

12 Citation extraite du récit d’observation directe en vélo de ville le 24/11/2017. Livret p23. 13 Ibid. 14 Ibid.

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ou non. Ils sont le clef de la compréhension de mon rapport à l’espace, donc au paysage que je traverse avec les différents types de vélo étudiés. Je vais, dans la partie suivante, étudier les sensations ressenties uniquement à vélo et qui ne sont pas directement les cinq sens généraux. Elles sont en lien mais pourquoi sontelles particulières ? Pourquoi, lorsque je les ai ressentis, j’ai eu l’impression d’être dans le paysage ? Cette partie n’amènera à étudier la question : suis-je dans le paysage à vélo ?

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2.2 Être dans le paysage Je vais m’attarder dans cette partie sur les sensations qui m’ont donné l’impression d’être dans le paysage. La sensation de glisse dont je ne suis pas le seul a y avoir été confronté. Je partirais de mon expérience personnelle puis de celle de Clotilde Félix-Fromentin et de Jacques Detève afin de comprendre dans quelle mesure cette sensation donne l’impression d’être dans le paysage ou d’en avoir conscience.

Le 24 octobre 2017, lors de mon expérience de terrain avec mon vélo personnel, j’ai eu la sensation de glisser juste après mon départ, au commencement du Boulevard de Strasbourg. « J’ai démarré à la sortie du métro Porte des Postes, où le Boulevard de Strasbourg commence. Je roulais sur la bande cyclable en pédalant à peine car le boulevard est en légère pente. J’avais l’impression de glisser dans un couloir, peut-être le vent était en ma faveur. Cette sensation s’explique, car sur ma gauche, au centre du boulevard, un gigantesque mur de béton obstrue la vue. C’est en fait le lieu où les rails de métro glissent dans le sol, ou s’en échappent afin de rejoindre soit la terre, soit les airs. Je glissais, c’est-à-dire que je pédalais dans le vide presque cette impression de voler à quelques centimètres du sol. Mes mouvements de jambes étaient sans aucune contrainte et mes roues de vélo n’étaient plus entraînées par mon énergie et par la chaine du vélo.»1

La sensation de glisser ressenti sur le Boulevard de Strasbourg a été agréable. J’ai écrit dans mon récit que cette sensation était dû à l’impression d’être dans un couloir. Mon sens de la vue était, en partie, obstrué par le mur de béton au centre du boulevard. L’effet de perspective était fort à cet endroit, de plus que sur ma droite se trouvait, au moment de l’expérience de terrain, des planches de bois cachant l’espace dédié à Lille plage utilisé pendant la période estivale. Mon regard était canalisé latéralement, c’est pourquoi j’ai eu l’impression d’être dans un couloir. Le revêtement de sol, au commencement du Boulevard de Strasbourg est lisse ; c’est un enrobé, différent de celui présent au centre de la voirie où les automobilistes circulent. Pourquoi lorsque deux de mes sens sont sollicités confortablement, ai-je cette sensation de glisse ? A ce moment précis, lorsque cette sensation m’a envahi j’étais dans le paysage

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Citation extraite du récit d’expérience de terrain en vélo le 04/10/2017. Livret p7.

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puisque je glissais dans un couloir. Le trajet était sans contrainte et je comprenais l’espace autour de moi. Je ne suis pas le seul à avoir eu la sensation de glisser à vélo, car lors de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin, ce terme est à nouveau apparu dans la conversation sans l’avoir prononcé moi-même auparavant. La chercheuse affirme mieux comprendre les éléments du paysage qu’elle traverse grâce à l’utilisation du vélo. « Quand je traverse à vélo je comprends des choses ». 2 Toutefois elle ne parlait pas du milieu urbain donc j’ai souhaité qu’elle apporte son point de vue sur cette notion lorsqu’elle traversait la ville. « Q : En milieu urbain, vous n’avez donc pas cette impression de comprendre le paysage ? et d’être dedans ? R : Ah si, si bien-sûr. Mais c’est un autre paysage. Je suis né en banlieue parisienne et je suis bretonne d’origine. Mais rapidement c’était Paris. Puis j’ai fait mes études dans Paris. Donc je fais du vélo dans Paris depuis toujours. J’ai vraiment l’impression de me glisser dans la masse de Paris, je ne connais pas du tout le nom des rues, le nom des stations de métro. J’ai appris un petit peu évidement. Mais je n’ai absolument pas la même vision que d’autre personne. »3

Clotilde Félix-Fromentin se « glisse dans la masse » de la ville de Paris lorsqu’elle se déplace à vélo. Le terme « masse » utilisé par la chercheuse est fort car elle se sent dans le paysage, inclue à l’intérieur sans connaitre le nom des lieux qu’elle traverse. La sensation de glisse que j’avais ressenti lors de mon expérience de terrain est-elle du même ordre que l’impression de Clotilde Félix-Fromentin ? Cette sensation agréable qui m’a donné l’impression d’être dans le paysage c’est peut-être que je me suis glissé dans la masse de Lille, en tout cas dans celle des Boulevards étudiés.

Marc Augé, suite aux propos liés au Vélib’ Parisien, retrouve un discours plus général sur la bicyclette. Selon lui, les transports en commun suivent un itinéraire fixe, donc les voyageurs sont contraints de le suivre. En vélo, toujours selon Marc Augé, tout deviens proche et facile à atteindre. « A bicyclette, plus de changements, plus de correspondances. On se glisse subrepticement dans une autre géographie, éminemment et littéralement

2 Extrait de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018. Annexe 3 p109. 3 Ibid.

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poétique puisqu’elle est l’occasion de contact immédiat ente lieux que d’ordinaire on ne fréquentait séparément, et qu’elle apparait ainsi comme la source des métaphores spatiales, des rapprochements inattendus et des courts-circuits qui ne cesse de susciter à la force du mollet la curiosité réveillée des nouveaux promeneurs. »4

Selon Marc Augé, le cycliste se glisse dans une autre géographie. Les lieux éloignés deviennent ainsi proches les uns des autres. La mobilité à vélo confère au cycliste une liberté de mouvement, auquel on n’a pas accès lorsqu’on utilise les transports en commun ou la voiture par exemple. À nouveau le cycliste glisse, cette fois-ci, dans un autre paysage. Marc Augé utilise la préposition « dans » afin d’insister sur l’inclusion du cycliste dans une autre géographie qu’il ne connaissait pas et qui, grâce à la pratique du vélo peut connaitre comme Clotilde Félix-Fromentin lorsqu’elle est « dans la masse de Paris ».

Pour le moment, j’ai uniquement fait allusion à mon expérience personnelle, qu’en est-il de celle de Jacques Detève qui a participé aux parcours commentés sur le site d’étude ?

Lorsque Jacques Detève a réalisé le parcours commenté en vélo de ville, sur le Boulevard de Strasbourg, il a eu l’impression d’être dans un tunnel. Il exprime cela à la fois par la parole et par le dessin. Lors du parcours, il n’a jamais parlé de couloir, de tunnel ou de ligne droite, pourtant c’est ce qui ressort exclusivement de son dessin et de ses commentaires post-parcours. C’est lorsqu’il a commencé le dessin, qu’il a parlé de ligne droite. « je vais représenter la synthèse de l’impression que j’ai eu sur le parcours qui était une ligne droite. Un élément central qui était le métro. »5 Le dessin, en annexe p 116, réalisé à Porte de Valenciennes après le parcours a été réalisé au crayon de bois et représente une vue à vol d’oiseau des boulevards. Il a, avec un trait rapide et franc fait les contours du boulevard en matérialisant la bande cyclable et le viaduc du métro au centre. Il a voulu accentuer la perspective afin de donner un effet tunnel à son dessin. C’est d’ailleurs ce qu’il a écrit en mot clef dans l’espace dédié sur le document A3. « Impression d’avancer vers un tunnel »6. Dans cette courte phrase, il s’inclue dans l’action d’avancer. C’est qu’il a conscience de son action et qu’il s’inclut dans le paysage du boule-

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Augé marc, Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, p54. Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en vélo de ville. Annexe 4 p114. Citation extraite du dessin du parcours commenté p116.

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vard, toutefois, il nuance son propos vis-à-vis de son commentaire oral car il n’est pas dans le tunnel mais il avance vers le tunnel. Il a commenté son dessin après l’avoir fait et a dit : « Un sentiment un peu bizarre de … pas bizarre mais l’impression de rouler dans une ligne continue parce qu’il n’y a pas de virage. C’est ce que j’ai indiqué, tu as l’impression d’avancer dans un tunnel. Le métro qui est aérien, on ne le voit pas. Ces grands blocs de béton sur le côté, on a l’impression d’avancer sur une ligne continue comme ça. »7

Cette fois-ci, il utilise le terme « dans » et non « vers » afin de parler du tunnel. Il s’inclut donc dans le paysage traversé et a l’impression d’être dans un tunnel. Jacques ne dessine pas beaucoup mais a des bases en dessin, il ne dessine pas de paysage mais des personnages dans l’esprit de bande dessinée et a tendance dans ses dessins à mettre beaucoup de détails et à exprimer une attitude ou l’humeur d’un personnage. Le dessin du parcours commenté ne témoigne pas de cela car les traits sont rapides et vont à l’essentiel. Je voulais comprendre pourquoi il avait dessiné en vue à vol d’oiseau, je l’ai questionné : « Q : Alors, en ce qui concerne ton dessin, pourquoi as-tu dessiné en vue à vol d’oiseau ? R : C’est cette notion de tunnel qui est plus représentative comme ça. Et on a l’impression d’avoir effectué un cheminement. »8

Le dessin en vu à vol d’oiseau est volontaire de sa part afin de retranscrire la sensation ressentie de circuler dans un tunnel. Le dessin donne aussi l’impression de « glisser dans la masse » qu’a eu Clotilde Félix-Fromentin lorsqu’elle roulait à Paris. Le moyen de représentation de Jacques Detève est peu utilisé afin de représenter un espace traversé. Ici, il a voulu signifier sa sensation d’avoir effectué un cheminement droit, entouré de mur, canalisant son trajet.

Je souhaite comprendre cette sensation de glisse dont je ne suis pas le seul à avoir ressenti. Comment s’explique t-elle et à quoi est t-elle dû ? Odile Rouquet dans son ouvrage La tête au pied9, explique le fonctionnement de la vision

7 Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en vélo de ville. Annexe 4 p114. 8 Ibid. 9 Rouquet Odile, Les pieds à la tête la tête aux pieds, Paris, Recherche en mouvement, 1991, 155p.

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fovéale et périphérique. Dans le sous-chapitre « corps référence - corps référé » elle explique que lorsqu’une seule des deux visions est priorisée par une personne, son rapport à l’environnement change. « si je mets l’accent sur la vision fovéale, je vois l’environnement bouger, et si je mets l’accent sur la vision périphérique, l’environnement reste stable et c’est moi qui bouge ».10 En d’autres termes, lorsque j’ai circulé sur le Boulevard de Strasbourg, j’ai mis l’accent sur ma vision périphérique. Ainsi, la sensation de glisse ressentie serait la résultante d’une conscience accrue sur ma vision périphérique au détriment de ma vision fovéale. C’est pourquoi, je me suis senti bouger - glisser- dans l’espace car l’environnement autour de moi était la référence. Je me considérais dans le paysage lors de cette expérience. Toutefois, je voudrais apporter un complément aux propos d’Odile Rouquet qui s’intéresse principalement aux regards. Selon moi, la matérialité du sol entre aussi en compte dans cette perception, car la sensation de glisse est liée au revêtement de sol sur lequel le cycliste circule. Nous avons vu dans la partie précédente qu’un revêtement de sol pouvait accaparer l’attention du cycliste, si toutefois cela est le cas, la sensation de glisse ne se produira pas.

Afin de comprendre pourquoi la sensation de glisse s’est produite sur cette portion du Boulevard de Strasbourg, je souhaite utiliser les outils du paysagiste pour essayer d’expliquer comment l’environnement à conduit à ce que je ressente cela.

(fig.10) Coupe perspective du Boulevard de Strasbourg direction Porte d’Arras de mémoire réalisé le 6 août 2018. Médium : Crayon de bois sur format A4.

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Rouquet Odile, Les pieds à la tête la tête aux pieds, Paris, Recherche en mouvement, 1991, p54.

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Sur cette sensation de glisse, je n’avais mis que des mots issus de mes observations mais afin de comprendre comment l’environnement interagissait avec moi, j’ai eu le besoin d’utiliser un des outils du paysagiste : la coupe. La coupe seule ne me semblais pas pertinente à faire et à analyser car elle ne montre pas la profondeur du paysage et c’est justement cet élément qui, pour le cycliste, est à comprendre car il se déplacement relativement rapidement dans l’espace. C’est ainsi que j’ai modifié ma coupe en coupe perspective. Si je m’appuie sur les propos d’Odile Rouquet, j’ai mis l’accent sur ma vision périphérique ce qui permet de dire que c’est mon corps qui bouge dans l’espace. La coupe perspective, une fois de plus, est plus pertinente que l’outil photographique expérimenté dans la partie 1.1 (Étude en vélo de ville) de ce mémoire. Dessiné, elle indique aussi les éléments auxquels j’ai été attentif. Mon champ de vision horizontale de 150 degrés est canalisé par le mur de béton permettant l’arrivée des métros en aérien sur ma gauche, puis par une clôture de bois ajourée verticalement sur ma droite. Ces murs et clôtures sont constant et uniformisés tout au long du parcours. La vision n’est ainsi pas attirés par des éléments d’accroches ou d’attrapes regards à droite et à gauche. Mon champs de vision horizontale est ainsi réduit lors de la pratique au profit du champ verticale. De plus, le revêtement de sol relativement lisse et la légère pente du boulevard me donnais une aisance me mettant dans une situation de confort. Je pense que par l’étude du Boulevard par ma coupe me permet de mieux comprendre comment l’environnement proche interagissait avec mon corps. Mêlant l’outil du paysagiste, les mots et les auteurs théoriques me permet de mieux comprendre mon rapport au paysage. Marc Augé dans son ouvrage Eloge de la bicyclette11 utilise une métaphore afin de qualifier le cycliste qui, selon lui, rêve d’être un oiseau ou un poisson car il n’a pas de contrainte spatiale. Les cyclistes « naviguent » et « surfent ». La métaphore de Marc Augé ne met pas étrangère puisque lors de mon expérience de terrain, quand j’ai eu la sensation de glisser, j’ai écris dans mon récit : « Je glissais, c’est-à-dire que je pédalais dans le vide presque cette impression de voler à quelques centimètres du sol. »12 J’ai eu l’impression d’être soulevé dans l’air et de me laisser aller sans contrainte. Être à quelques centimètres du sol sans le toucher n’est évidement pas possible mais si j’ai res11 12

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Augé marc, Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, 93p. Citation extraite du récit d’expérience de terrain en vélo le 04/10/2017. Livret p7.


senti cela, je pense que c’est à nouveau lié au revêtement de sol lisse présent sur le boulevard et l’accent porté sur la vue périphérique lors de mon trajet. Didier Tronchet13 utilise aussi le champ lexical de la mer lorsqu’il parle de la pratique du vélo. Dans l’hebdomadaire Le 1, il s’exprime vis-à-vis de l’engouement pour le vélo ces dernières années et dans un sous chapitre qu’il intitule « Navigation cycliste » il dit : « Ce sentiment de naviguer sur l’océan urbain procure de belles sensations de liberté et de découverte »14. Le champ lexical de la navigation et de la mer semble faire écho à la pratique du vélo. Plusieurs auteurs utilisent ces termes qui semblent propre à cette façon de se déplacer en ville.

Pour comprendre mon rapport au paysage, je souhaite repartir de mon expérience personnelle en vélo de ville. Pour cela je souhaite étudier une sensation ressenti, à nouveau à Porte de Valenciennes. Lorsque j’y suis arrivé, j’ai eu la sensation d’apaiser les tensions puis plus proche du métro, d’être au centre de tout. « Avant l’arrivé à la Porte de Valenciennes, de nombreux arbres plantés sur des espaces privés couvrent l’espace public, notamment le trottoir et la chaussée. Cette présence végétale me procurait la sensation d’apaiser les tensions. Je me sentais en sécurité, protégé, vulnérable mais protégé. Arrivé au pied du métro Porte de Valenciennes, l’espace était extrêmement lumineux. Le sol blanc et luisant, la station de métro blanc cassé et la tour emblématique du quartier également. En quelques mètres, j’étais vu des autres usagers. J’ai découvert pour la première fois depuis le départ, la présence de piétons. La place jouxtant la station de métro était ouverte et aérée. Je me sentais cette fois-ci, au centre de tout et non repoussé comme quelques mètres avant. Peut-être le sentiment que les autres reconnaissaient ma pratique est ce que je ressentais. Et contrairement à tout à l’heure, la non présence de végétal n’était pas inconfortable, je l’ai apprécié. »15

Avant d’arriver à la Porte de Valenciennes, j’étais écrasé par la présence des véhicules roulant sur la double voie de circulation, se réduisant ensuite afin d’en donner plus qu’une. C’est d’ailleurs à ce moment précis que les platanes prennent une place importante dans le paysage. Proche du métro, la couleur blanche domine, la station de métro, le pavage de la place brillant reflétant les rayons du soleil et les bâtiments. 13 14 15

Didier Tronche est un auteur, romancier et journaliste. Il a publié un ouvrage sur le vélo intitulé : Petit traité de vélosophie. Tronchet, Didier. Les nouveaux vélosophes. Le 1, 11 juillet 2018, n°210, Poster central. Citation extraite du récit d’expérience de terrain en vélo le 04/10/2017. Livret p9 et 10.

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Lorsque je suis arrivé sur cet espace, je me suis senti au centre de tout et non plus repoussé sur le côté comme sur une grande partie du trajet. Dans mon récit, j’ai qualifié les lieux. J’ai était attentif aux couleurs, à la lumière, et à la présence de personne traversant la place. Estce en lien avec la sensation d’être au centre de tout ? De manière à comprendre ce ressenti, je me suis à nouveau appuyé sur l’ouvrage d’Odile Rouquet La tête au pied.16 L’auteure annonce : « Quand l’environnement est pris comme référence, et non plus le corps, le besoin ne se fait plus sentir de faire venir ou d’aller vers, mais prend place un laisser-faire, un laisser-venir à soi, une orientation véritable qui permet de se laisser guider par l’environnement. »17 Lorsque je me suis senti au centre de tout à la Porte de Valenciennes, j’ai pris comme référence, non plus mon corps, mais l’environnement. C’est qui explique, dans mon récit, l’importance donnée aux détails du lieu. L’environnement était mon guide, ainsi j’ai pris place dans le lieu, c’est pourquoi je me suis senti au centre de tout, dans le paysage aux abords de la station de métro. Toutefois, j’ai pris comme référence l’environnement mais le vélo à de l’importance dans la sensation ressentie. Pour cela, je vais m’appuyer sur le propos de Pierre Sansot énoncé dans l’ouvrage de Joseph Abrams, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance.18 Pierre Sansot dans un chapitre de l’ouvrage parle du rapport qu’a le sportif avec le paysage. Il explique ce lien entre plusieurs sports, notamment la natation : « il se produit un entrelacement amoureux, sensuel, de la nageuse et de la piscine qui rend caduque la distinction du naturel et de l’artificiel. Nous sommes en présence d’un paysage »19 Pierre Sansot explique ici qu’un lien fort est créé entre la nageuse et la piscine en rapport avec le sensuel, donc les sens. Ce rapport « caduque » est abandonné, ce qui conduit à ce que la nageuse et la piscine ne forme plus qu’un. En pratiquant la natation, la nageuse est liée à la piscine, ainsi, selon Pierre Sansot cela donne présence à un paysage. Quant est-il du cycliste ? Je me suis senti au centre de tout à Porte de Valenciennes àvélo, cela aurait peut-être été différent avec un autre mode de déplacement. Alors pourquoi cette sensation à vélo ? Je me suis senti dans le paysage, peut-être parce que je ne formais plus qu’un avec mon vélo. Nous formions un ensemble, nous étions liés et je n’utilisai pas mon corps comme

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Rouquet Odile, Les pieds à la tête la tête aux pieds, Paris, Recherche en mouvement, 1991, 155p. Ibid p55 Abram Joseph, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, École des Beaux-Arts de Metz, 1997, 175p. Ibid p53.


référence dans cet espace mais bien l’environnement. Bernard Chambaz, apporte une précision sur le fait d’être dans le paysage : « La philosophie permet d’envisager en deux phrases ce que j’ai mis des années et des années à concevoir et à formuler à partir d’une intuition et d’une expérience immédiate plus facile à connaitre dans les horizons les plus larges. «Je suis le paysage.» À la suite de Merleau-Ponty, disons que l’esprit se fait à travers le corps, et que la perception advient comme mode de l’ouverture au monde. À ce constat que je suis dans le paysage, prolongé dans le postulat selon lequel je suis le paysage, je peux dire désormais avec plus de justesse que j’en suis, que je suis du paysage, dans la mesure où je ne suis pas tout le paysage, d’autant que j’en perçois pas toutes les faces. Ma conscience s’éveille ainsi comme sujet percevant un corps-à-corps avec le monde alentour où nous nous projetons ou nous sommes aspirés. »20

À Porte de Valenciennes, je ne peux pas dire que je suis le paysage ou tout le paysage car même si, d’après l’interprétation de Pierre Sansot, je faisais corps avec mon vélo cela n’est pas la condition à faire paysage. Toutefois, je peux affirmer que j’ai eu la sensation d’être au centre de tout. Selon Bernard Chambaz, la perception est l’ensemble de nos sensations rassemblée. Il ne faut pas que les sensations soient sur-sollicitées et qu’elles permettent au cycliste de faire corps avec son vélo afin de pourvoir avoir l’impression d’être dans le paysage.

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Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, p88.

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2.3 Le cycliste entre temps et espace

Bernard Chambaz, après son constat d’être dans le paysage, affirme que la joie « étend l’espace et le temps »1. La notion de temporalité n’est pas neutre lors de la pratique du vélo car plusieurs auteurs et personnes rencontrés assurent avoir un rapport étroit avec le temps lors de la pratique du vélo.

C’est d’ailleurs lors de ma première rencontre avec Clotilde Félix-Fromentin fin 2017 que j’ai été confronté à cette notion. Elle a affirmé que le temps était élastique. Pour reprendre ses mots : l’élasticité du temps. L’extension ou la distension de l’espace n’est pas anodine pour Clotilde Félix-Fromentin car, afin de se repérer dans l’espace, elle se crée une carte mentale et se fabrique une vision du paysage. « Q : Beaucoup de monde se repère aux stations de métro, mais en tant que cycliste, comment vous vous repérez ? R : Je vois la carte, le carte que je me suis fabriquée… Q : Dans la tête ? R : Oui dans la tête, c’est une carte mentale. Ce n’est pas une carte géographique. Je n’ai jamais cherché à la dessiner mais elle doit être distendue parce qu’il y a des zones que je connais mieux, il y a des trajets qui me paressent très long, d’autres très court donc ça serait intéressant de mettre ça à plat mais elle ne serait pas géographique. »2

La carte mentale de Clotilde Félix-Fromentin est distendue en fonction des espaces qu’elle connait ou non. Cette carte n’est pas géographique, pas réelle. Les distances n’existent pas et le paysage imaginé est personnel. Dans sa carte, la notion de temporalité est induite car elle énonce que des trajets lui paressent plus ou moins long. La temporalité est liée à la distension de l’espace et à la représentation (mentale) que l’on peut s’en faire. Bernard Chambaz dans son chapitre « Espace » dit qu’à vélo, le cycliste se projette dans l’espace dans lequel il va circuler. Selon l’auteur, le cycliste imagine le paysage à traverser, l’espace est continu et le cycliste se situe dans un espace-temps propre à lui même. Il apporte

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Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, p68. Extrait de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018. Annexe 3 p109.

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des précisions dans le chapitre suivant intitulé « Temps ». L’auteur affirme qu’« Il y a dans le temps du vélo quelque chose d’élastique et dans le roulement quelque chose du flottement, y compris dans l’attention que l’on porte aux choses. Être à vélo, c’est à la fois être à flot, être suspendu à ceci ou cela et être doué d’une certaine liberté de mouvement. »3 Le cycliste se situant dans son propre « espace-temps », à dans une certaine mesure la capacité à le contrôler. C’est à dire que lorsque l’auteur dit « élastique », le cycliste a la capacité de ralentir ou d’accélérer à sa guise en fournissant un effort physique supplémentaire. Cela lui confère une « liberté de mouvement » dont les autres modes de déplacement ne sont pas pourvus. La liberté de mouvement dont parle Bernard Chambaz est également expliqué par Clotilde Félix-Fromentin en plus de ses explications complémentaires sur « l’élasticité du temps » dans l’entretien réalisé le 12 avril 2018. « Q : Lors de notre première rencontre, vous avez utilisé l’expression « élasticité du temps ». Pouvez-vous développer cette notion ? R : C’est quelque chose que moi aussi j’aimerais étudier, un jour mettre à plat et mettre des mots sur tout ça. C’est quand en vélo, je sens que le temps redevient élastique dans le sens où je vais par exemple à Gare du Nord, je sais que je mets 40 minutes mais je sais que je peux mettre 20 minutes à atteindre ¼ de mon trajet et puis tout d’un coup ça file. Mais c’est moi qui décide si tout d’un coup je décide d’appuyer sur mes pédales. Si je me faufile ou pas, si j’ai traîné ou si j’ai regardé autour de moi parce que j’ai pensé à autres choses. Je ne sais pas, mais il y a quelque chose que je contrôle. Q : Une forme de contrôle du temps R : Et c’est lié à mon effort, je le sens. Quand le temps s’accélère, je le sens entièrement dans mon corps et quand je ralentis, je sens que tout ralenti. Alors que quand j’ai à faire à un trajet en voiture je trouve ça infernale parce que le temps est totalement linéaire avec une régularité épouvantable. Je n’ai pas la main, donc je m’énerve à l’intérieur mais le temps en s’accélère pas pour autant. Rien ne s’accélère, donc ça c’est terrible. Q : On subit ? R : On subit et ce n’est pas en phase avec nous. On n’a pas la main. [...] C’est vrai que les embouteillages, je trouve ça inhumain. Même à vélo dans les embouteillages je suis embêté évidement mais je suis active. Je réagi et même si je suis énervé je le dépense.

3

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Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, p75.


Q : On ne reste pas à rien faire à attendre que la voiture devant nous avance. R : Oui, ça c’est incompréhensible. Donc l’élasticité c’est simplement ça, c’est très positif. C’est fluide, c’est comme un muscle. Q : Qui s’étend et qui se détend. Comme un élastique. R : Oui, mais il n’y a pas assez de chair. Là ça pompe comme un muscle du cœur. Q : Comme un muscle qui s’étend et se détend sans cesse dans lequel on a le contrôle. R : Oui. Je décide de le tendre et je décide de la détendre. Et du coup j’ai mon temps, je maitrise complètement mon temps. Je ne suis jamais en retard. Il y a quelque chose qui est très agréable. Et j’ai l’impression que même dans mon travail, j’ai cette capacité d’accélération et de ralentissement et de gérer tout ça. Je ne pourrais pas partir de Saint-Denis 10 minutes avant et de me dire que j’irais très vite. Il y a quelque chose qui fait que l’on sait notre capacité à accélérer ou pas. »4

L’élasticité du temps selon Clotilde Félix-Fromentin, c’est décider de son effort dans l’espace et dans le temps. « c’est lié à mon effort » dit-elle lorsqu’elle affirme que c’est quelque chose qu’elle contrôle. Elle prend l’exemple d’un trajet jusqu’à la Gare du Nord où elle contrôle son temps de trajet en fonction de son effort physique fourni. L’élasticité du temps qui pourrait faire référence à un élastique n’est pas tout à fait exact car l’élastique une fois tiré revient toujours à sa forme d’origine. Dans le cas de la pratique du vélo, c’est une décision, une volonté prise. Clotilde Félix-Fromentin prend l’exemple d’un muscle du cœur qui se tend et se détend non pas par automatisme mais par la volonté. Elle prend la décision d’accélérer ou de ralentir afin de ne pas arriver en retard. L’élasticité ce n’est pas gérer le temps mais c’est gérer son propre temps en fournissant une puissance musculaire plus ou moins élevée en fonction de la rapidité à atteindre sa destination. Marc Augé, dans son ouvrage Eloge de la bicyclette5 assure que la pratique du vélo est en lien avec le temps. « Les jeunes gens qui se mettent au vélo font l’expérience conquérante de leurs corps »6. Dans cette citation nous retrouvons l’expérience de Clotilde Félix-Fromentin

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Extrait de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018. Annexe 3 p110. Augé marc, Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, 93p. Ibid p31.

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qui, selon elle, choisi d’appuyer plus fort sur les pédales afin de se déplacer plus rapidement et cela se ressent dans son corps. Elle fait donc « l’expression conquérante » de son corps en gérant son propre temps. Marc Augé apporte deux niveaux à la notion de temporalité. La première lors de l’instant comme Clotilde Félix-Fromentin et dit « faire du vélo, c’est apprendre à gérer le temps ».7 Or nous ne pouvons pas gérer le temps mais nous pouvons gérer notre propre temps lors d’un trajet. Le temps file et nous ne pouvons pas l’arrêter, nous sommes dedans et subissons son éternel continuum. Puis Marc Augé dit que « la bicyclette est aussi une expérience d’éternité »8 L’auteur veut dire que lorsqu’une personne, généralement pas jeune, reprend le vélo après une longue période sans l’avoir utilisé, se remémore des instants de son enfance. Le cycliste retrouve les sensations de son enfance et « redécouvre vite avec elles un ensemble d’impressions (l’exaltation de la descente en roue libre, le bruit de l’asphalte sous les pneus, la caresse de l’air sur le visage, la lente mise en mouvement du paysage) »9 Après une longue période de non pratique, le vélo permet de se remémorer des instants passés, parfois dans la mélancolie et fait resurgir des sensations perçues qui étaient oubliées.

Jacques Detève, lors de son parcours commenté en VTT à ressenti une forme d’inconfort. Les carrefours aux niveaux des différentes portes n’ont pas de bandes ou de pistes cyclable, le cycliste est livré à lui même dans le même espace que pour les véhicules. À plusieurs reprises, Jacques Detève à géré son temps afin que la durée du parcours soit la plus courte et pour que le trajet se termine le plus vite possible. Cela a été le cas à deux reprise lors du parcours commenté en VTT. À l’arrivée au rond-point proche de la Porte d’Arras, la bande cyclable s’interrompt brutalement pour laisser place à deux voies autos. Jacques Detève, avait été surpris lors de son premier parcours en vélo de ville et pour le second en VTT a manifesté une forme de contrôle de son temps de parcours. « On arrive dans la zone assez dangereuse puisque c’est un rond-point et là il n’y a plus rien. Il n’y a pas de voiture, j’accélère. »10 Après avoir vérifié s’il n’y avait pas de véhicule dans le rond-point, il a accéléré. D’ailleurs j’avais relevé sa gestuelle sur mon carnet de bord après le parcours. J’avais écris : « Se lève de sa selle à Porte d’Arras ». Cela manifeste une volonté d’appuyer plus fort sur les pédales et de faciliter son effort physique lors d’une accélération.

7 Augé marc, Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, p31. 8 Ibid 9 Ibid p32. 10 Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en VTT. Annexe 5 p119.

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Puis, entre Porte de Douai et Porte de Valenciennes, il a à nouveau effectué une accélération en se soulevant de sa selle au passage d’un feu tricolore qu’il a passé au orange. Il a déclaré à ce moment là « Aller je passe au orange. »11 après avoir vérifié si aucun véhicule arrivait. À deux reprises, sa volonté de contrôler le temps de son parcours a été identifiable via sa posture adoptée.

Le cycliste gère son temps lors de trajet du quotidien comme Clotilde Félix-Fromentin ou alors lors d’un moment difficile à passer comme Jacques Detève, mais lors d’un trajet occasionnel pour le loisir, il n’a pas de contrainte horaire. Bernard Chambaz dit que « si je me balade, je prend mon temps sans me soucier de vitesse »12 Ainsi le cycliste est plus soucieux du paysage, il est davantage attentif et s’imprègne des ambiances traversées. Clotilde Félix-Fromentin pratique la rando vélo chaque été et plusieurs fois par an. Lors de l’entretien nous parlions de son rapport au paysage et que celui-ci différait lorsqu’elle entamait une rando vélo. « Q : C’est peut-être le fait d’engager ce voyage ? R : Oui je pense. Tout d’un coup ce n’est plus la même attention que d’habitude. Je scrute tout. Les gens etc… et à partir d’un moment j’ai la tête pleine d’images et c’est là que ça se détend. Que je peux à la fois apprécier le paysage et me mettre à divaguer et à penser. Q : Et dans les jours suivants ça change ? R : Oui il y a des moments on plonge presque dans des états de rêverie. On parle de moins en moins au fur et à mesure de la rando. Q : Vous rouler côte à côte ? R : Dans la mesure du possible, si on peut. Et ce n’est pas l’un contre l’autre. Ce n’est pas soit je pense à mes propres pensées soit je suis attentive à l’extérieur, c’est ça qui est subtile. C’est l’impression que c’est le paysage qui peut m’aider à être plus intériorisé. Je me souviens notamment dans les Landes, il y a donc de très grandes routes avec des pins mais avec quasiment un rythme. Là je me souviens que j’avais écrit, parce que je tiens des carnets. Je me souviens que cette page là c’était la page du rythme. Ça m’avait choqué parce que les arbres ont un rythme naturel, il y a les segments, les pointillés qui délimitent la bande cyclable. Il y a les

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Extrait du parcours commenté avec Jacques Detève en VTT. Annexe 5 p119. Chambaz Bernard, Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, p76.

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massifs qui s’arrêtent de temps en temps parce qu’ils ont fait des percées. En fait il y avait plein de choses comme ça qui scandait le rythme. Alors je ne sais pas si c’était ça mais j’étais complètement absorbé dans mes pensées. Totalement ailleurs, autonome. Les choses qui font que s’installe une règle, qui fait que tout le reste se détendre. Comme si on était assuré de ce qu’il allait arriver et qu’il y avait moins de surprises. Et je me souviens bien du paysage. Et je me souviens bien des odeurs parce qu’il y avait des animaux morts. Dans cette régularité la moindre odeur qui venait me choquer. Donc pour vous dire, il y a des gens qui vous disent que mettre un walkman ou que à force de rouler on entre dans une forme de transe et que ça nous coupe, ben non, je ne suis pas d’accord. »13

Clotilde Félix-Fromentin et son mari roulent à leurs rythmes sans se fixer de contrainte horaire, simplement une destination plus ou moins précise à atteindre à la fin de la journée. Lorsqu’elle engage ses voyages, le paysage l’aide à s’intérioriser. Elle pense beaucoup, et est attentif à tout ce qui l’entoure et entre dans un état de rêverie. Elle prend l’exemple d’un trajet dans les Landes où un rythme engendré par les plantations régulières de pin lui a conféré un état de rêverie, un sentiment d’évasion de l’esprit. Toutefois, le rythme engendré n’a pas influé sur son imprégnation du paysage. Avant de rebondir sur les propos de Clotilde Félix-Fromentin, je souhaiterais comprendre l’approche de Claude Genzling en ce qui concerne le contemplation et la concentration. Selon lui : « Le cycliste réalise aussi la synthèse entre le mouvement et l’immobilité, dans la mesure où son buste est statique et où ses jambes tournent sans discontinuer. Or l’alliance de la contemplation, exprimée par l’immobilité relative du buste, et de l’activité musculaire, mise en œuvre par le pédalage, engendre des effets très puissant sur la concentration intérieure, c’est, en tout cas, ainsi que j’ai vécu mon expérience cycliste, même en compétition. Les jambes moulinent, la tête contemple. »14

Dans cette citation, Claude Genzling simplifie les termes « mouvement » et « immobilité » car lors de la pratique du vélo, l’immobilité du haut du corps n’est pas absolue. Toutefois, selon lui, la contemplation peut engendrer une concentration de l’esprit du cycliste. Manifestement Clotilde Félix-Fromentin qui a affirmé se souvenir du paysage mais également

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Extrait de l’entretien réalisé avec Clotilde Félix-Fromentin le 12 avril 2018. Annexe 3 p111. Abram Joseph, Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, École des Beaux-Arts de Metz, 1997, p42.


des odeurs d’animaux morts prouve bien qu’elle a était attentive et qu’elle a contemplé le paysage. Lorsqu’un rythme est présent dans le paysage et qu’il fait entrer le cycliste dans un état second, cela n’influe aucunement sa perception de l’espace.

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CONCLUSION

En tant que cycliste, je me questionnais sur mon rapport au paysage lorsque je circulais. C’est pour cela que j’ai souhaité engager ce travail d’initiation à la recherche dans l’axe « Espace public, paysage, arts, anthropologie de l’espace » afin de d’interroger le lien que je pouvais avoir au paysage lors d’un trajet en ville. La recherche m’a amené à étudier uniquement la pratique du vélo, mais avec trois typologies : le vélo de ville, le VTT et le V’LIlle. Cette initiation à la recherche m’a permis de répondre à cette question : Pourquoi et comment le type de vélo et la pratique du vélo offrent une perception singulière du paysage au cycliste ? Afin d’y répondre, j’ai établi deux hypothèses auquel j’ai essayé de répondre tout au long de la recherche.

En fonction du type de vélo utilisé et de la posture adoptée, le paysage n’est pas perçu

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de la même manière par le cycliste. J’ai établi diverses méthodes afin de répondre à mes hypothèses. Pour la première, je me suis principalement appuyé sur mes expériences personnelles, c’est pour cela que j’ai réalisé un livret de récit qui rassemble l’ensemble de mes observations ; mes récits d’expériences et mes observations directes. Manifestement le paysage n’est pas perçu de la même façon en fonction du type de vélo utilisé et la perception en est tout aussi différente. Mais, mon objectif n’étais pas de faire une généralité et de me baser simplement sur m’a propre expérience. L’outil des questionnaires auprès des utilisateurs du V’Lille à Porte de Valenciennes n’a pas porté ses fruits, toutefois, je me suis appuyé sur la grille qui avait été établi pour en construire une plus complète afin de réaliser l’entretien avec Clotilde Félix-Fromentin en avril 2018. Le rapport que l’on peut avoir au paysage dépend certes du vélo utilisé, mais surtout de la personne qui pratique le vélo. Chacun à sa manière de voir les choses en fonction de ses expériences vécus, de son âge, son poids, sa taille etc... Les parcours commentés réalisés auprès de Jacques Detève avec les trois typologies de vélo m’ont permis d’avoir un autre point de vue, une autre vision de la pratique du vélo sur le terrain étudié. Ça a été un outil difficile à mettre en place, à organiser, et très chronophage. Toutefois, je déplore peut-être le manque de parcours commentés car ils m’ont permis d’appuyer certaines constatations ou au contraire en remettre en cause d’autres. La posture et le type de vélo utilisé par le cycliste sont d’une importance dans la perception qu’il se fait du paysage. En vélo de ville, une dimension forte est donnée aux visions fovéales et périphériques avec un lien étroit au paysage lointain. En VTT, la part du sens du toucher prend une place considérable et en V’Lille, contrairement à Jacques Detève, j’ai eu une difficulté à m’approprier le vélo. Chacun s’approprie le ou son vélo et cela change la perception qu’a le cycliste du paysage.

Le cycliste est étroitement lié à la machine qui lui permet de se déplacer : le vélo. Quelque soit le vélo utilisé, les sensations du cycliste sont présentes. Afin de comprendre la polysensorialité, je me suis appuyé sur mes divers récits et également sur les entretiens. Ce sont des rencontres qui ont étaient riche afin de comprendre le point de vue de chacun et le rapport qu’ils avaient au paysage. Les entretiens ont demandés du temps de retranscription et d’analyse, toutefois ils ont été une ressource sur laquelle j’ai pu m’appuyer pour répondre à la seconde hypothèse, notamment l’entretien avec Clotilde Félix-Fromentin. Les sensations sont plus ou moins sollicitées lors de la pratique mais j’ai souhaité comprendre pourquoi et comment les sensations de glisser et d’être au centre de tout

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m’amenais particulièrement à être dans le paysage. Les sensations perçus n’étaient pas banales, malgré tout, je n’étais pas le seul à utiliser par exemple le terme « glisser ». Il semblerait que la pratique du vélo offre au cycliste une autre manière de percevoir la ville. Ne serait-ce pas une autre manière pour le paysagiste d’arpenter les lieux, de comprendre le paysage ? La polysensorialité établi un lien étroit entre le cycliste et le paysage. Ce sont tous ces sens, en plus des autres sensations ressentis, pas obligatoirement tous sollicités au même instant, qui font que le cycliste peut être dans le paysage. Le vélo entre en considération car de nombreuses sensations y sont liés comme par exemple le sens du toucher dû au roulement du pneu sur la chaussée. Étudier les sensations dans le cadre de cette recherche m’a permis de questionner le rapport que je pouvais avoir au paysage, si j’étais dans le paysage ou non et si j’en avais conscience. Étudier ses impressions premières, ses sensations et sa perception du paysage pourrait être une méthode pour le paysagiste afin d’étudier un espace et comprendre dans quelle mesure il y a paysage.

À l’École Nationale Supérieure d’Architecture et de Paysage, les méthodes d’analyses de terrain utilisés lors des ateliers de projets sont toujours similaires. L’étudiant étudie le lieu à pied avec un carnet de croquis dans la main, il dessine et annote. Puis il complète son diagnostic via des recherches historiques, géographiques, écologiques, paysagères etc... Cependant, la pratique du vélo ne pourrait-elle pas être une autre manière de comprendre le paysage en l’additionnant aux méthodes actuelles ? Bien sûr cette méthode ne pourrait pas être utilisé pour tous les sites étudiés mais la part du sensible et des sensations mériterait à être davantage confronté dans le cadre des ateliers de projets en passant notamment par l’écriture de récit. De plus, la méthode de la carte mentale, à l’image de celle dont Clotilde Félix-Fromentin se crée lorsqu’elle circule à Paris, serait une autre manière de percevoir le paysage traversé pour le paysagiste. J’ai réalisé des dessins de mémoire pour cette recherche qui reflètent des modalités d’attentions de mon regard lorsque je circulais à vélo, toutefois une carte mentale globale du trajet serait une représentation non réelle du lieu, mais qui aurait mérité une analyse de ma perception du paysage.

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BIBLIOGRAPHIE

HISTORIQUE DE LA PRATIQUE DU VÉLO

Héran, Frédéric. Le retour de la bicyclette, Paris, Éditions La Découverte, 2014, 225 p. Thiesset, Pierre. Les bienfaits de la vélocipédie, Vierzon, Édition le pas de côté, 2013, 254p. Tronchet Didier, Petit traité de vélosophie Réinventer la ville à vélo, 2014, Paris, Plon, 199p.

LES TYPOLOGIES DE VÉLOS

Abram Joseph, Claude Genzling Corps / Matière / Géométrie : Le Dessin de la Performance, Édition de l’École des beaux-arts de Metz, Metz, 1997, 175p. Jouenne Noël, Contrepoint à l’ « Eloge de la bicyclette », 2011, 20p.

MOUVEMENT DU CORPS ET VISIONS ET ÉMOTION

Faye, Paul. et al. Sites et sitologie, Poitiers, Édition J-J Pauvert, 1974, 159p. Nogue Joan, « Émotion, lieu et paysage », Les carnets du paysage n°21 : À la croisée des mondes, p215 à 225. Rouquet Odile, Les pieds à la tête la tête aux pieds, Paris, Recherche en mouvement, 1991, 155p.

RAPPORT AU PAYSAGE LORS DE LA PRATIQUE DU VÉLO

Augé, Marc. Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, 93 p. Chambaz, Bernard. Petite philosophie du vélo, Roubaix, Édition Champs, 2014, 127p. Tronchet, Didier. Les nouveaux vélosophes. Le 1, 11 juillet 2018, n°210, Poster central. Sansot, Pierre. Chemins aux vents, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2000, p 48 à 68.

THÉORIE DU PAYSAGE

Besse Jean-Marc, Le goût du monde, s.l, Actes sud / ENSP, 2009, 227 p. Roger, Alain. La théorie du paysage en France, Paris, Champ Vallon, 1995, 463p.

MARCHE ET FLÂNERIE

Amphoux Pascal. « Marcher en ville ». In: Les Annales de la recherche urbaine, N°97, 2004. Renouvellements urbains. pp. 136-140. Hessel Franz, Flâneries parisiennes, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2013, 141 p.

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INDEX DES FIGURES Les trois typologies de vélo : le vélo de ville, le VTT et le V’Lille. Montage réalisé et retravaillé sur Photoshop.

2

(fig.1)

Périmètre du terrain d’étude, capture d’écran prise sur Geoportail.fr

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(fig.2)

Posture adoptée et angle d’inclinaison du corps sur un vélo de ville. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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(fig.3)

Posture adoptée, angle d’inclinaison du corps et champ de vison à 150 degrés sur mon vélo de ville. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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(fig.4)

Photomontage de la zone de fixation du regard et des zones périphériques sur un vélo de ville. Photomontage réalisé sur Photoshop.

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(fig.5)

Dessin de mémoire réalisé le 6 mai 2018 représentant l’ambiance végétale dans la vision périphérique à l’arrivé à la Porte de Valenciennes. Médium : Aquarelle sur format A4.

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(fig.6)

Dessin de mémoire réalisé le 5 mai 2018 représentant la vue orienté vers le sol en VTT. Médium : Aquarelle sur format A3.

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(fig.7)

Dessin de mémoire réalisé le 2 août 2018 représentant mon souvenir du paysage à l’arrêt au feu tricolore à Porte d’Arras en VTT. Médium : Crayon noir sur format A4.

38

(fig.8)

Posture adoptée, angle d’inclinaison du corps et champ de vison à 150 degrés sur mon VTT. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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(fig.9)

Posture adoptée et angle d’inclinaison du corps sur un V’Lille. Photo de Florian Ducrocq retravaillée sur Photoshop.

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(fig.10)

Coupe perspective du Boulevard de Strasbourg direction Porte d’Arras de mémoire réalisé le 6 août 2018. Médium : Crayon de bois sur format A4.

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ANNEXES

Annexe 1 : Livret de récits

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Annexe 2 : L’entretien avec Sébastien Torro-Tokodi, responsable concertation de l’Association Droit Au Vélo. Le 12/12/2017

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Annexe 3 : Entretien avec Clotilde Félix-Fromentin. Le 12/04/2018

103

Annexe 4 : Parcours commentés avec Jacques Detève en vélo de ville

108

Annexe 5 : Parcours commentés avec Jacques Detève en VTT

113

Annexe 6 : Parcours commentés avec Jacques Detève en V’Lille

117

Annexe 7 : Fiche de lecture Eloge de la bicyclette de Marc Augé

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Annexe 8 : Fiche de lecture Petite philosophie du vélo de Bernard Chambaz

123

Annexe 9 : Fiche de lecture Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance de Abram Joseph

125

Annexe 10 : Fiche de lecture Les pieds à la tête la tête aux pieds de Odile Rouquet

127

Annexe 11 : Fiche identités vélo

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Annexe 12 : Analyse historique du terrain d’étude

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Livret de rĂŠcit

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Annexe 2 : L’entretien avec Sébastien Torro-Tokodi, responsable concertation de l’Association Droit Au Vélo le 12/12/2017 Q : J’ai une première question qui est plus personnelle, qui va plus vous concerner vous, depuis quand pratiquez-vous le vélo ? R : Depuis (long euh) 199... Ben, depuis mes 5 ans, après en usage quotidien j’imagine ? Q : Oui R : En usage utilitaire ? Q : Oui plus du quotidien. R : Euh 97, (hésitation) 1996. Oui 1996. Q : Et c’est à partir de là en fait que vous vous êtes investi dans la vie associative ? De l’ADAV ? R : Non, non, non (hochement de tête). 2001 mon investissement, je n’étais pas à Lille à l’époque. Q : Ah d’accord. R : On est arrivé à Lille en revanche assez rapidement. Q : Et pourquoi avoir choisi la vie associative ? Vous faisiez peut-être quelque chose d’autre avant ? R : Euh (long) j’avais envie de, de, m’investir dans quelque chose qui donné sens, qui avait du sens pour moi, donc euh, je trouvais, fin, je suis d’origine Hollandaise par ma mère et j’avais un peu d’expérience avec ce qui se passait au Pays-Bas et donc ça me questionnait. Fin la différence d’approche me questionnait et donc j’ai, je me suis intéressé au sujet. Q : Hum, une forme de militance ? R : Au départ ouais (haussement de ton), fin, c’était clairement pour faire changer les choses ouais, dans le but que les choses changent ouais. Q : Vous avez l’impression que ça marche ? R : Ouais, ouais (haussement de ton, enthousiasme) ça prend un peu de partout ces dernières années, c’est très… assez, assez impressionnant. Alors on le voit pas forcément de l’extérieur mais nous sommes vraiment au cœur du sujet, on voit aussi bien que politiquement, que économiquement, que à plein de niveau c’est en train de se développer de manière très rapide. Q : D’accord… R : Des bouleversements assez importants qui ne sont peut-être pas forcément très visibles, encore que si parce que les retours du public qu’on a, on a quand même de plus en plus de gens qui nous disent qu’ont vois de plus en plus de vélo, fin on le voit de manière assez massive ouais. Q : Ouais… R : Après pas partout, mais même des villes, euh qui sont a priori qui ne sont pas forcément intéressés par le sujet commencent à nous interpeller, fin interpeller l’association pour travailler avec nous… Q : Autour de Lille par exemple ? R : Euh oui, oui, alors on travaillait déjà… en fait l’association est régionale donc on travaillait déjà à l’échelle du Nord-Pas-de-Calais depuis fin des années 90 début années 2000 et Haut-de-France depuis cette année puisqu’on a changé de statut. Q : Bien sûr, R : Suite à ça, mais on est plus présent historiquement sur le Nord et le Pas-de-Calais pour l’instant.

Q : Hum… R : Et (long), après avec des associations partenaires dans l’autre versant, le versant sud de la région. Donc l’ancienne Picardie. Et oui des villes du bassin minier notamment, qui, fin, dans le cadre d’un projet de transport en commun (hésitation), ce qu’on appelle du BHNS (Bus à Haut Niveau de Service). Ils vont, c’est tout un réseau qui va être créé et donc ils se posent la question d’y intégrer le vélo et on sent qu’il y a vraiment une volonté, fin, ils voient, ils commencent à y voir une certaine logique à avoir un certain système à développer. Donc c’est plutôt intéressant ouais. Q : D’accord R : Ça prend de l’ampleur (baisse de ton) plutôt rapidement ces derniers temps. Q : Très bien… R : Puis au niveau national, il y a les Assises de la mobilité qui se sont tenues [inaudible 3.27]. Q : Oui j’ai vu ça… R : Des annonces faites sur le vélo aussi, c’est la première fois qu’on parle vraiment du vélo au niveau national, donc ça devient vraiment excitant ouais. Q : Qu’est-ce que vous pensez du rapport que peut avoir le cycliste avec les autres modes en ville ? La voiture, le piéton, peut-être aussi les autres modes augmentés qu’on voit apparaître. Qu’est-ce que vous pouvez me dire sur le rapport qu’il (le cycliste) peut avoir ? R : Ben, un rapport, euh (long) avec la voiture assez conflictuelle, puisqu’on est souvent encore, trop souvent en France, euh, mis sur le même plan en fait. En termes d’aménagement, il y a peu d’aménagement séparé même sur des axes très passant, ça commence à venir, mais, ces dernières années, jusqu’au début dans les années 2000, on avait tendance à juste mettre de la peinture et à considérer que c’était suffisant. Ce qui est vrai pour les cyclistes confirmés mais pas pour les cyclistes débutants. Donc nous, des retours qu’on a, c’est des gens qui sont en attente d’aménagements séparés physiquement. La fameuse piste cyclable. Q : Oui, et non la bande ? R : Oui et non la bande. Alors la bande, elle peut très bien convenir dans certains endroits, mais pas partout en fait. Q : Hum… R : C’est vraiment du cas par cas. C’est ce qu’on défend depuis des années. Les aménageurs avaient plutôt une approche… avec des portes d’entrées… donc c’était… quand c’était des gros aménagements, c’était la bande cyclable. Et en dehors de ça, c’était cohabitation. En zone 30, ils avaient tendance à dire que ça suffisait, ou pas d’ailleurs. En zone 50, on a plein de rue à 50km/h qui sont non équipés d’aménagements cyclables où les cyclistes doivent se (hésitation) [inaudible 5.06], alors que dans d’autre pays en Europe du nord : PaysBas, Danemark, Allemagne, quand c’est comme ça, on essaye… Soit on limite la vitesse, on fait en sorte que ce soit respecté, soit on fait des aménagements séparés. Q : D’accord… R : Et donc, euh, donc le rapport est plutôt con…,

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conflictuelle avec les automobilistes parce que l’automobiliste a très peu, euh, un champ de vision quand même très réduit par son habitacle et donc il voit pas le cycliste. Alors ça s’améliore parce qu’il y a de plus en plus de cycliste donc l’automobiliste fait de plus en plus attention. C’est ce qu’on appelle la sécurité par le nombre. Quelque chose qui a été bien étudiée, bien documentée. Donc c’est le fait, qu’un mode de déplacement, quel qu’il soit, à partir du moment où il se développe, euh, il y a un passage entre le moment où il est peu représenté et le moment où il commence à se développer massivement qui est peut-être un moment, fin, une période charnière plus complexe. Fin, en tout cas, conflictuelle, parce que chacun doit un peu trouver sa place, mais on sent depuis ces dernières années à Lille, le vélo est de plus en plus respecté parce qu’il est de plus en plus présent. Mais en contrepartie il y a aussi une forme d’agressivité de la part d’automobilistes qui doivent se ressentir, se sentir attaqués sur leurs champs… Q : Hum… R : Depuis le plan de régulation… je ne sais pas si vous avez suivi. Q : Si, bien sûr… R : Il y a eu pas mal de mesures ces derniers temps, euh… que les automobilistes vivent comme des mesures qui vont contre eux, et c’est clairement le cas puisque c’est voulu, c’est le but, objectif c’est que les gens se déplacent moins en voiture. Q : Hum… R : C’est forcément… c’est de la contrainte et euh… donc ça. Le cycliste doit parfois payer le frais de ces politiques. Q : Hum… R : Euh (long), donc plutôt conflictuelle avec la voiture et les modes motorisés en générale : camion, scooter parce qu’il fait… clairement il fait pas le poids. Un mode relativement vulnérable parce que peu de carrosserie. Encore que moins vulnérable que les deux roues motorisés qui lui n’a pas de carrosserie mais des vitesses bien plus supérieure et un danger beaucoup plus fort mais qu’on pressant pas… fin… les deux roues motorisés ont tendance à se sentir peu en insécurité. Voilà. Euh (long). En revanche, les automobilistes (hésitation) euh… Après l’avantage du vélo, c’est d’avoir un champ de vision très ouvert, de pouvoir s’aider de l’ouïe, de pouvoir s’aider de tous ses sens pour pouvoir appréhender aussi le comportement des automobilistes mais ça demande une certaine confiance, une certaine expertise, une certaine dextérité que… qui, qui demande de l’expérience. Donc ça c’est avec les véhicules motorisés et après avec les piétons (haussement de ton) le ressenti des piétons, c’est un sentiment de conflits, c’est généralement ce qui ressort même s’il n’y a pas de conflit avéré. Fin, c’est souvent des ressentis. Il y a peu d’accidents qui nous sont remontés. Euh (long), parce que le souci du piéton c’est le silence en fait du vélo. Le vélo arrive parfois vite… Q : Hum… R : Euh… Il surprend, c’est surprenant en fait, donc ça peut mettre mal à l’aise certains publics notamment âgés. Q : D’accord, ouais… R : Mais après il y a un risque qui est quand même beaucoup moins élevé. Souvent c’est marrant mais le retour que nous avons des personnes âgées, ça va plus concerner les cyclistes que les automobilistes alors que finalement être percuté par une voiture c’est… les conséquences sont bien plus importantes. Les morts par vélo, je crois qu’il y en a eu un l’année dernière, une

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femme âgée qui s’est fait renverser par un vélo, sur toute l’année. Euh, alors que les accidents de piétons par les automobilistes est de l’ordre de, 400 et 500 par an alors ça n’a rien à voir. Q : Oui, on n’est pas dans les mêmes proportions. R : On n’est pas du tout dans les mêmes proportions, mais du coup c’est assez, finalement, assez (hésitation) exceptionnel pour le coup. Médiatiquement c’est (répétition) très représenté, fin… sur-représentées en fait dans les médias ce type d’accident, il y a aussi un rapport… Ben les gens sont (hésitation) plus souvent automobilistes que cyclistes et donc vont plutôt se mettre du côté des automobilistes et donc vont vouloir exagérer un peu ces situations. Q : Hum… R : Qui sont relativement exceptionnelles, fin très exceptionnelle. Q : Vous avez parlé de la sécurité par le nombre, aujourd’hui c’est valable pour les automobilistes ? R : Oui, oui bien sûr (haussement de ton). Q : Ça se contrebalance ? R : Euh ben (long), en ville (répétition), accidents automobilistes est peu, (hésitation), fin peu présent dans les accidents graves en ville (insistance). Après sur une route nationale, tout ça, on n’en a beaucoup plus. C’est… Q : Hum, bien sûr. R : Mais c’est plus quand il y a (hésitation) les différents modes entre eux. Q : C’est ça… R : Les modes, pas le mode de déplacement à l’intérieur, en fait en interne si vous voulez. Les déplacements de vélo avec vélo c’est… Là où ça va poser plus de problèmes ces vis-à-vis des autres véhicules, ouais. Q : Vous parlez de conflits par le nombre, on a toujours tendance à dire que les automobilistes contre le camion que le cycliste contre l’automobiliste, de piétons contre le cycliste. On est sur une chaîne, est-ce que… R : Il y a une forme de hiérarchie. Q : Oui, avez-vous l’impression qu’en ville, il y a cette forme de hiérarchie ? R : Euh, en vulnérabilité oui, euh (hésitation), bien sûr, en (hésitation) vulnérabilité ouais, c’est clairement. Après en ressenti, il y a un décalage comme je vous le disais. Le piéton va être plus (répétition et hésitation) critique visà-vis du cycliste que vis-à-vis de la voiture bien souvent. Q : Hum… R : Alors que… fin quand on regarde les problématiques, elles sont… fin, le truc c’est qu’on arrivait à un tel (hésitation) engorgement avec les… (hésitation), beaucoup de congestion liées à la voiture etc... que en fait, les gens… il y a une forme de ras-le-bol et dès qu’il y a un mode qui va arriver en plus, ben, du coup en plus c’est souvent, pour l’instant encore, sur le piéton que… Fin le cycliste (hésitation)… fin, comme les aménagements sont peu présents, les aménagements propres, comme je vous le disais juste avant, fin les aménagements en site propre. Q : Hum… R : De type piste séparée. Les cyclistes vont avoir tendance à se… à se rabattre sur les trottoirs. Et du coup à venir déranger les piétons. On ne cherche pas… Fin nous clairement, on pref… fin quand on parle d’aménagement séparé, c’est aménagement en propre. Q : Hum, je vois…


R : Voilà. Après à certains endroits, ça nous pose pas de problème de cohabiter dès qu’il y a peu de piétons mais c’est vrai dès qu’il y a un flux important de piétons, il y a des conflits qui viennent important (baisse de ton). Q : Hum… R : Fin je vois, typiquement sur le secteur que vous citiez, sur la porte d’Arras, euh (hésitation). Q : Oui… R : Sur le passage au niveau du périph, il y a un trottoir relativement étroit. Q : Peu large oui. R : Oui qui mène vers Faches-Thumesnil en fait, [inaudible 11.48] … qui mène à Décathlon. Q : Oui je vois. R : Je ne sais pas si vous voyez ? Q : Si, si je vois, j’habite à Lille Sud, je vois très bien. R : D’accord, au niveau de Marcel Hénault ? Q : J’habite dans la ZAC Arras Europe. R : D’accord, ben là, fin, moi j’y vais régulièrement. J’ai mes enfants qui sont à l’école de musique à Lille Sud. J’habite Moulins, donc je fais régulièrement le passage sur le pont et du coup avec des enfants je le fais sur le trottoir. Je vais en respectant… fin je vais à la vitesse du piéton. Je fais très attention aux piétons parce que je sais qu’ils sont prioritaires. Fin, je sais que ce n’est pas agréable. J’aimerais pas être embêté par des vélos. Je me projette donc euh… oui mais c’est vrai que parfois il peut y avoir des conflits parce qu’on est sur des endroits très étroits alors que les voitures ont deux voies chacune et donc on se retrouve dans des situations… voilà… il y a des conflits possibles parce qu’il y a une telle congestion que les vélos osent pas aller sur la chaussée et il n’y a pas d’aménagements propres donc ils se rabattent sur les trottoirs et donc sont, sont en conflit avec les piétons. Ouais c’est… des situations qui sont courantes, ouais. Q : Courantes oui. J’ai réalisé des observations sur mon site et pouvez-vous me parler de la pratique du vélo de la porte des Postes jusqu’à la porte de Valenciennes ? J’aimerais avoir en fait votre ressenti sur cette portion. R : D’accord (haussement de ton). Ben là typiquement, c’est le type d’aménagement qui (répétition) conviendrait plus aujourd’hui. Que nous on refuserait de faire. En fait bande cyclable avec deux voies auto sur des voies larges comme ça, avec des (hésitation répétition) circulation rapide… pour… c’est quelque chose… fin pour nous… si, si… alors on va pas demander aux aménageurs de le refaire immédiatement. On préfère mettre la priorité sur des endroits où il n’y a pas du tout d’aménagement. Parce qu’il y a un aménagement qui est là. En plus il est inexistant une partie de l’année parce que, dans le cadre de Lille plage, il est neutralisé sur le boulevard de Strasbourg quasiment de porte d’Arras à porte des Postes. Q : Hum… R : Avec une bande cyclable de l’autre côté qui s’interrompt un peu avant la station essence… Q : Hum… je vois. R : Donc quand même des situations qui ne sont pas franchement agréables. Euh, avec une (hésitation), un aménagement relativement étroit côté boulevard de Belfort cette fois-ci, donc au niveau du collège Moulins… Q : Oui, je vois… R : Donc là, la bande est très étroite alors qu’on a deux voies auto qui sont aux gabarits normaux.

Q : Ouais… R : Euh… donc voilà il y a plusieurs problématiques, fin, dysfonctionnement qui font que nous clairement si ça devrait être refait on privilégierait une piste séparée mais il se trouve qu’il n’y a pas de projet actuel. Donc tant qu’il n’y a pas de projet on préfère maintenir en l’état (rythme accéléré). Un gros problème qu’on a aussi souligné à l’époque où ça été réalisé, ce n’est pas très vieux pour le coup, c’est plus vers porte de Valenciennes. Toute la partie qui vient d’être faite entre porte de Valenciennes et porte d’Arras parce que c’est bien avant mais, fin toute la partie neuve qui a été refaite. Q : Toute la ZAC en fait ? R : Oui toute la ZAC, ça été fait de nouveaux en bande cyclable parce qu’ils voulaient rester sur le même… sur la même typologie d’aménagement que ce qu’il y avait avant. Q : Hum… R : Et du coup on a maintenu des bandes cyclables qui ne sont pas du tout adapté. Pour nous c’est clairement pas adap… en plus il y a clairement des problèmes de circulation d’automobilistes sur la bande cyclable à ce niveau-là parce que les voitures qui viennent de porte d’Arras et qui vont vers porte de Valenciennes. Euh, en fait la voie passe à deux voies. En fait il y a la voie unique avec une bande cyclable qui passe deux voies pour permettre le « tourner à gauche », en fait pour stocker « le tourner à gauche au feu ». Q : Oui… R : Et la rue s’élargit en fait, donc il y a une bande cyclable qui est régulièrement occupée par les voitures qui anticipent en fait l’élargissement pour… Q : Pour pouvoir tourner… prendre l’autoroute… R : Pour pouvoir tourner, fin surtout aussi pour laisser passer les voitures derrière elle qui vont, elles à gauche. Ça part d’un bon sentiment sauf qu’ils circulent sur la bande cyclable et met en danger les cyclistes. Donc c’est pas [inaudible 15.33]. Donc voilà typiquement c’est un aménagement que nous on refuserait aujourd’hui mais qui a été fait il y a… ces bandes cyclables remontent du début des années 90 et aujourd’hui si c’était à refaire on dirait « non ». Q : D’accord… quand vous dites que vous refuseriez, c’est-à-dire, vous comment vous refuseriez ? Quel est votre pouvoir j’ai envie de dire, le pouvoir de l’association ? R : On est, en fait, on travail, on a un partenariat avec la MEL qui est l’aménageur. Q : Hum… R : Et on rencontre les communes dès qu’il y a un projet cyclable normalement. En tout cas (hésitation) à Lille c’est quasiment systématique. Q : Hum… R : On rencontre, euh, dans le cadre de ce qu’on appelle les « groupes travail vélo » qu’on a mis en place dans le début des années 2000. Ce sont des réunions en fait qui (hésitation), où on a l’élue, les techniciens de la MEL, les techniciens de la ville. Donc l’élue ville, technicien MEL et technicien ville et les représentants de l’ADAV qui sont là pour échanger sur les projets et pour donner notre avis en fait. Q : D’accord, donc en fait vous donnez votre avis… R : Voilà, après la décision revient au maire. C’est le maire qui a le pouvoir de changer le statut d’une rue, d’une chaussée mais euh… quand on… fin ce type d’aménagement on mettrait notre veto.

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Q : Hum… R : Après les gens font ce qu’ils veulent mais en tout cas, on demande à ce que ce soit indiqué dans le compte rendu : « l’ADAV s’oppose à cet aménagement » Q : D’accord. R : Ce qui est rarement le cas parce qu’ils n’aiment pas trop. Q : Hum… R : Fin, ils souhaitent qu’on donne notre aval parce qu’on a un certain poids maintenant avec plus de 1000 adhérents, avec une certaine histoire, on a quand même obtenu pas mal de choses, euh, notamment le budget vélo qui a été voté l’an dernier à hauteur de 30 millions d’euros. C’est… Q : En partie grâce à vous ? R : Oui, en partie grâce à nous. On a mobilisé notre… la presse, on a mobilisé… puisqu’il n’y avait pas trop de politiques identifiées. On a demandé à ce que la MEL s’empare [incompréhensible 17.35]. Q : D’accord, donc euh, la résolution de tous les points durs, je pense notamment à la Porte d’Arras, qui est en partie sur mon terrain. Donc ce sera en partie grâce à vous que la liaison est/ouest, Boulevard de Belfort, d’Alsace et de Strasbourg va pouvoir être confronté à la liaison Nord/Sud qui irait jusqu’à Wattignies. R : (Haussement de ton). À Wattignies c’est pas pris en compte puisque le maire Wattignies… Vous parlez de la ville de Wattignies ? Q : Quand je dis Wattignies, je parle de la rue du Faubourg d’Arras qui remonte jusqu’au métro. R : Ouais, ouais (haussement de ton), on demande… en fait il y a un aménagement qui est présent à Seclin, qui arrivent jusqu’à Wattignies et qui s’interrompt à Wattignies et qui est inexistant à Fâches. Q : Oui… R : En fait nous on souhaiterait relier en effet toute la porte d’Arras jusqu’à… donc les Boulevards de Belfort à (hésitation) Wattignies ouais. Mais ça ne se fera pas tout de suite. Actuellement il y a une opposition forte du maire, alors que Fâches un peu moins. Mais Wattignies oui. En tout cas, Fâches il est d’accord sur une partie de l’aménagement, euh, donc des pistes cyclables qui seront réalisées sur une petite partie de Fâches. Sur la totalité de la partie Lilloise donc on aura des couloirs bus partagés avec les vélos, euh, (hésitation) et, comment dire ? Et avec des bandes cyclables. Fin, la typiquement il fallait tout reprendre, soit reprendre la chaussée… On est aussi pragmatique, on sait que quand il y a un aménagement où l’on reprend que la chaussée, par exemple le Boulevard Louis XIV.

Q : Hum… R : … qui reprenait après. On a demandé un couloir bus qui arrive jusqu’au feu, ce qu’on a obtenu et donc on demande la même configuration la rue du faubourg d’Arras que pour nous… fin… c’est… le couloir a l’avantage d’être beaucoup plus respecté des automobilistes. Les chauffeurs de bus sont souvent plus (répétition) informés de comment circuler… Fin c’est pas n’importe qui et en peut plus facilement les trouver en cas de conflit en fait. Avec Transpole, on a un contact dès qu’il y a un problème on fait remonter le numéro du bus, l’heure de… du problème et [incompréhensible 20.31]. On sait qu’il y a plus d’effet qu’un simple automobiliste, ouais. Q : Hum. D’accord. Je voudrais rebondir, vous m’avez parlé du ressenti notamment avec l’ouïe mais vous parliez pour le piéton. R : Ah oui (haussement de ton). Q : Est-ce que la question des sens est quelque chose d’important pour le cycliste ? R : Ah oui, oui (enthousiasme). Très fort (répétition x2). Alors justement l’ouïe, il y a une action aux Pays-Bas qui consiste à indiquer pour les enfants… fin… enfants ou adultes qui sont malentendants. Il y a un petit panneau sous la selle qui précise aux automobilistes qu’ils sont malentendants. Pour que les automobilistes sachent, fin, il ne faut pas qu’ils s’imaginent que le cycliste se fie au bruit du moteur. Ce qui est un gros problème d’ailleurs avec le développement des véhicules électriques où en fait on se fit moins à l’ouïe. Q : Hum… bien sûr. R : Même si passer une certaine vitesse il y a toute… fin, le bruit de la carrosserie, des pneus qui va couvrir le bruit du moteur, même pour un moteur thermique et c’est vrai que le bruit est très important ouais. Q : Hum. Pour vous, quel serait le sens privilégié pour le cycliste ? R : Ça reste la vue quand même. Q : Ça reste la vue. Et le second ? R : Ben, l’ouïe ouais. Q : L’ouïe. R : Ouais bien sûr.

Q : Oui, R : A l’époque il y avait… c’était deux voies à sens unique.

Q : Et si je vous parle de l’odorat ? R : Ben, oui il est sollicité et après, c’est pas ça qui va lui permettre de circuler mieux ou pas. Mais l’odorat oui, quand on est sur une zone très malodorante parce qu’il y a, fin notamment le matin, quand il y a les moteurs qui sont encore froid on va… fin certains cyclistes évitent des endroits très circulé. Quand ils peuvent.

Q : Hum… R : Et des bandes cyclables. Non c’était trois voies… attendez… (long silence).

Q : Bien sûr, j’imagine. Je voudrais votre avis. J’ai lu un bouquin d’un historien sur le vélo et cette personne… R : Qui s’appelle ?

Q : Je ne peux pas vous aider, je n’ai pas connu (rire). R : Nan, c’était la même configuration que le boulevard de la liberté au début. C’était une voie bus à contresens et trois voies voitures et une bande cyclable.

Q : Bernard Chambaz. C’est « petite philosophie du vélo » R : Ah ouais ?! (Air interrogateur).

Q : D’accord. R : Et quand le boulevard a été refait, sinon que c’est nous qui avons demandé à ce qu’il y ait un couloir bus. On trouvait plus confortable… et que le couloir bus soit amené jusqu’aux intersections parce qu’au début ils

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nous avaient proposé un plan bus qui s’arrêtait au niveau du feu pour pouvoir stocker plus de voiture.

Q : Il dit, qu’il y a de manière générale le vélo. Mais il y a bicyclettes et vélos. Dans la rubrique vélo, il met les VTT, les vélos de route et dans bicyclette il met les vélos hollandais, vélo de ville. Est-ce que vous pensez que… R : Euh (haussement de ton). Il y a ce débat régulièrement. Euh (long) mais je… fin… je crois que le vélo englobe tous


types de vélo. C’est plus vélo qui englobe tous types de vélo et après dans ce vélo on va retrouver différents types de… la bicyclette je pense… il y a un moment au début du… il date de quand ce livre ? Vous avez une idée ? Q : 2008 ou 2010. R : Ah ouais, c’est assez récent. C’est plutôt… ça a été… en fait le… le… (hésitation). C’est plutôt le renouveau du vélo… parce que le vélo a été très présent en France aussi. Fin, nous on a des comptages de Lille qui remonte à 1951 où le vélo était majoritaire en fait sur… En fait il y avait des comptages qui étaient réalisés sur tous les points de franchissement de Lille. Tous ceux qui étaient entrés et sortis. Q : Hum. R : Le vélo était majoritaire sur toutes les… sur l’ensemble en fait. Sur plus de 50 % des modes mécanisées. En tout cas il n’y avait pas de piétons. Voiture, camion, et voiture à cheval à l’époque. Et on était dans les mêmes proportions que Copenhague en termes de pratiques. Q : En 1951 ? R : Ouais et ça a commencé à décliner parce qu’on a fait beaucoup de choses pour la voiture. On a privilégié un mode sur l’autre et quand on a privilégié la voiture, c’est au détriment de tous les autres. Parce que ça prend tellement de place… on le voit aujourd’hui.

On voit bien qu’aux Pays-Bas, ce n’est pas un pays méditerranéen, les gens se déplacent beaucoup à vélo parce que ça devient une évidence parce que c’est trop compliqué en voiture en fait. Ce n’est même pas parce que les gens sont différents de nous parce qu’ils veulent faire du vélo. C’est juste parce que la contrainte est très forte sur la voiture et du coup le mode le plus compétitif c’est le vélo en termes… à différents niveaux : en termes de rapidité, de souplesse d’utilisation. L’écologie d’ailleurs intervient que parmi les derniers arguments en fait. Q : Hum. Oui… R : C’est le cadet de leurs soucis. Q : On s’attendrait justement à ce que l’écologie arrive en premier. R : Oui c’est ça (haussement de ton). Moi, moi, moi, personnellement c’était un de mes arguments principaux. C’était un moyen d’avoir un rapport écologique (hésitation) à ma vie de tous les jours en fait. Pour moi c’était une évidence. C’est vrai que c’est pas ce qui ressort. Q : Vous étiez automobilistes avant ? R : Non, non, non, jamais (haussement de ton) … Fin, j’ai eu une voiture mais j’ai vite abandonné parce que pour moi c’était un coût trop important et écologiquement ça me posait des problèmes moraux.

Q : Hum. R : Euh donc 1951 c’est à l’époque majoritaire et ce renouveau date de 1995 avec les… fin le moment charnière c’est les grandes grèves à Paris.

Q : Hum. R : Et puis à Lille on a la chance d’avoir un accès à l’auto partage. Fin, un système d’auto partage très (hésitation)…

Q : Oui… R : Grève dans les transports qui font que les gens se tournent vers le vélo et les premières mesures pour redévelopper le vélo à Paris avec Chirac à l’époque. Avec un premier plan vélo qui s’est développé dans cette période. Et puis euh (hésitation). Nan c’est Tiberi en tant que maire. Euh donc premier plan vélo de puis après ça a un peu fait tache d’huile sur d’autres… Fin, pour commencer dans les centres urbains, encore à cette période c’est les grandes villes, le cœur des grandes villes.

Q : Lilas ? R : Oui qui est devenu Citiz depuis.

Q : Notamment à Lille j’imagine ? R : Voilà puis après ça gagne un peu la périphérie mais lentement, très lentement parce que (hésitation) il y a besoin de sécuriser, fin, ces fameux points de franchissement, c’est quasiment toujours des points franchissement. Q : Hum. R : Et donc, tant qu’ils ne sont pas traités, on perd beaucoup de cyclistes potentiels, parce que le curseur sécurité est pas du tout… Q : Si le curseur sécurité n’est pas coché, il n’y aura pas de vélo tout de suite ? R : (haussement de ton) Alors souvent les gens le mettent pas toujours en premier. Souvent il apparaît… Il y a une grande enquête qui a été menée… Q : Oui j’ai vu. R : Le baromètre de la FUB des villes cyclables. Euh (long) donc la sécurité ressort fort, jusqu’à présent c’était beaucoup le vol qui était le point problématique, la météo, mais on s’aperçoit que ces éléments-là sont un peu… fin les gens vont se donner ses arguments là parce que… inconsciemment ils savent qu’ils le feront pas parce qu’ils ne sont pas en situation… fin, le danger est trop présent. Et, après une fois que les conditions sont là, ils vont plus facilement se mettre au vélo.

Q : Ca a changé… (rire) R : Ouais ça a changé de nom mais c’est toujours la même société. Ils ont changé de nom pour entrer dans le réseau national en fait. Qui semble plus logique. Ils se sont développés à Arras maintenant. Toute la MEL, Arras. On peut avec la carte d’abonné accéder aux voitures qui sont situées dans toutes les grandes villes, fin, où partout il y en a, donc c’est quand même intéressant. Donc ça, ça aide beaucoup aussi à … Je sais que pour un usage exceptionnel je peux toujours avoir accès à une voiture même si j’en ai pas. C’est vrai que je peux toujours avoir accès pour un besoin… La dernière fois, c’est ma femme qui était malade. Elle ne pouvait pas aller chez le médecin à vélo… Q : Bien sûr… R : Sur 2 heures, pas de contrainte de la voiture au quotidien, les réparations, les frais d’assurance. Fin tous des frais… Q : Vous n’avez pas du tout de voiture ? R : On a pas du tout de voiture ouais (haussement de ton). Avec deux enfants, on s’en sort pas mal ouais. Deux enfants en bas âges qui ont eux même leur vélo. Q : Hum. R : On a un vélo cargo, un vélo avec une grosse caisse pour les grosses courses qu’on se partage. Parce qu’il y a pratiquement un vélo pour chaque usage. Q : D’accord. Je voudrais revenir sur ce que vous avez dit tout à l’heure : vous avez parlé des débutants et des confirmés. Pouvez-vous qualifier ces deux mots ? Qu’est-ce que vous entendez par « débutant et confirmé » ? Qui est le débutant et qui est le confirmé ? R : Ben, c’est (haussement de ton) les néo cyclistes en gros qui vont découvrir le déplacement, qui, qui, pratique

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peut-être jusqu’à un ou peut-être deux ans de pratique je pense pour bien anticiper les mouvements, pour être bien… et après il y a des gens qui accèdent jamais à cette expertise parce qu’ils (hésitation)… un manque d’attention. Fin je sais pas trop mais il y a des gens qui conduisent dangereusement pour soi et pour les autres. Mais c’est vrai que généralement il faut quand même une certaine expertise, une certaine expérimentation du terrain urbain pour vraiment s’approprier une bonne conduite parce que il y a plein de choses auxquelles il faut faire attention. Moi, je sais que mes accidents sont arrivés dans mes deux premières années de vélo puis après j’ai commencé à faire attention aux portières, à faire attention aux mouvements, et à plus anticiper les mouvements des autres (augmentation du rythme) qui m’ont après servi dans l’usage de la voiture aussi puisque c’est vrai que je fais beaucoup plus attention aux [compréhensible 29.39]. Mais c’est vrai… je pense minimum deux ans… Q : Minimum deux ans… R : Oui Q : Après bien des experts ? R : Ben, ben, plus aguerri en tout cas. Q : Je voudrais revenir à une question plus générale, en rapport avec le paysage. Qu’est-ce que vous pensez du rapport que peut avoir le cycliste au paysage ? R : Ben, il est… Q : En termes d’urbain ou pas. R : En termes d’importance ? ou … (hésitation) Ben, je pense que les cyclistes vont rechercher des endroits agréables surtout quand c’est de la balade. Quand c'est des déplacements utilitaires c’est un peu moins, même si c’est important aussi. Nous on milite justement pour que tous les endroits le long des cours d’eau, par exemple soient aménagés pour permettre aux vélos, à la fois utilitaire et de balade, parce que du coup on remplit deux fonctions. Soit équipé d’aménagement donc, qui rentre dans les villes en fait, comme le long de la Deûle, le long du Canal de Roubaix qui sont en parti fait. Ce sont des réseaux qui sont d’ailleurs inscrits maintenant au schéma, grâce à nous, au schéma directeur vélo en fait donc euh… au départ c’était vraiment séparé, considéré comme un itinéraire de balades, complètement distingué du réseau urbain qui était parfois même pas connecté et ça posait pas de problème aux aménageurs. Nous on a demandé à ce que ce soit correctement connecté pour permettre à des gens qui voulaient, qui hésitent à prendre le vélo de le faire avec plaisir parce qu’on est très compétitif sur… comme on suit les cours d’eau, c’est généralement plat, on a très peu d’intersection avec les chaussées donc euh, on perd très peu de temps d’arrêt etc… Fin par rapport à la voiture principalement ou bus par exemple. Q : Hum, bien sûr. R : Fin, du coup on demande des revêtements qui permettaient aux cyclistes de rouler à vitesse confortable. Il ne faut pas non plus que ce soit des bolides mais en tout cas qu’ils aient un revêtement suffisamment de qualité pour ne pas à avoir à changer d’itinéraire dès qu’il y a un … une pluie ou un… (baisse de ton). Q : Vous pensez qu’un revêtement de sol peut être facteur de changement ou de changer de rue ? Parce que l’on sait qu’à certains endroits il y a une matérialité qui ne plaît pas. R : (haussement de ton) Ah oui ! Surtout à vélo, on est très sensible puisque, pour peu, fin je sais qu’on a eu des retours à l’époque lorsque ça été inauguré : les pistes du Boulevard de Tournai qui vont vers le stade.

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Q : Oui, je vois, je la prends tous les jours. R : En passant par rue Verte j’imagine ? Q : Oui exactement. R : Cette (hésitation), la piste, il y a une espèce de gravillon qui fait que ça tremble (mouvement de tremblements en haut et bas du corps) et c’est assez désagréable. Au début c’était… fin là ça s’est un peu tassé. Ça fait trois ou quatre ans que cet aménagement a été livré. Au début c’était très désagréable, ça vibrait très fort. On a eu beaucoup de retours de cyclistes qui voyaient le billard pour les voitures et de leur côté de devoir se taper un aménagement pas très confortable. Donc oui, oui c’est clair que l’aménagement a un… très, très important… fin la qualité du revêtement même plus qu’en voiture parce qu’en voiture on peut se contenter de quelques choses de moins roulant puisqu’on est moins… Fin la section des roues de vélo c’est qu’on est beaucoup plus sensible. Surtout quand on a un vélo de ville. Q : Hum, oui. R : La section est moins large. VTT ou autre, c’est moins gênant mais tout ce qui est vélo de ville, de course est problématique (baisse de ton) après c’est le problème des revêtements qui permettent pas à l’eau… qui font que l’eau stagne. Beaucoup de revêtements notamment le long des cours d’eau parce qu’il y avait une volonté d’avoir une certaine… coller une certaine image que l’on se fait de l’écologie, il fallait toujours des revêtements de type sable, des choses qui font naturelle. Q : Hum, du stabilisé ? R : Du stabilisé voilà, et qui vont pas du tout en usage du quotidien parce qu'il y a des sillons qui se forment. En termes d’entretien, le problème c’est qu’un aménageur qui investit dans un aménagement, il prend jamais en compte, fin l’entretien il imagine toujours que se sera fait mais c’est pas fait. Au départ, il met l’argent… Fin, en termes de coût ça paraît pas cher parce que c’est moins cher qu’un béton autre aménagement. Ça paraît plus écologique parce que c’est du sable. Q : Hum hum. R : Et en fait en termes d’usage… Q : Donc vous êtes assez contre ? R : Ah oui, on est… D’ailleurs on a obtenu de la MEL que des mesures soient prises pour certains endroits où ça semblait plus prioritaire notamment le long de Marquette en fait. Quand on arrive vraiment sur Lille, l’aménagement qui a été livré il y a 2/3 ans qui est en béton brossé en fait, alors que ce qui est avant et après c’est en stabilisé. Q : Oui, je vois. R : Ça, ça a été le dernier… Fin, après il y a eu des problèmes de berges. Donc l’aménagement ne peut plus être utilisé à bon escient. Un an après ça s’effondrer… euh. C’est le but recherché mais après pas partout. Il y a certains endroits, on peut imaginer un revêtement un peu moins dur. Quand on regarde aux Pays-Bas dans les pays où c’est bien développé, c’est souvent un béton ou goudronné. Q : Vous parlez beaucoup des Pays-Bas, c’est une référence ? Une source d’inspiration pour l’ADAV ? R : Ah oui. Q : Puis après pour la MEL aussi après, puisque vous communiqué beaucoup avec eux ? R : Bien, c’est l’ADAV beaucoup (haussement de ton). Après les aménageurs pas trop parce que généralement ils aiment bien qu’on cite des exemples. Fin, il y a toujours cette tendance à penser que c’est une question


culturelle donc que ce n’est pas adaptée. On a même eu des fois, quand ont montrés des exemples lillois à Roubaix, on nous disait : « Ouais mais à Lille, c’est une culture différente » Q : Hum. R : On a encore surtout parfois quand on dit que ça se fait comme ça Pays-Bas, les gens qui nous regardent avec des grands yeux (baisse de ton). « Ils sont nés avec un vélo dans leur berceau donc c’est pas possible… » Q : Alors que c’est faux… R : Ça devient culturel mais au départ c’est politique. Toujours des choix politiques qui ont été faits. Quand on regarde… moi je… j’ai traduit une vidéo qui a été prise… fin… qui a été filmée en 72 sur les rues à Amsterdam, avec un enfant qui… fin un groupe d’enfants qui réclament des rues adaptées pour les enfants en fait, pour qu’ils ne soient plus en danger de mort parce que… Q : Hum. R : (Augmentation du rythme) Parce que il y avait une circulation de voitures trop importantes. On voit des rues recouvertes de voitures à sens unique comme on en verrait à Lille aujourd’hui. Des rues avec deux rangées de voitures puis des trottoirs très exigus recouverts de voitures aussi. Q : Hum. R : On voit quasiment plus de vélo, fin il y a, plus d’arbres, très triste quoi et ce sont des rues qui ont été refaites en prenant en compte les besoins, les demandes de la population de plus de qualité de vie. Fin, des besoins qui doivent être… euh… orientés parce que finalement si on demande aux gens, ils voudraient toujours pouvoir stationner leur voiture, en fait, devant chez eux. C’est la demande, qui est souvent, le fameux « to get back my car » qui veut dire : je veux bien une piste cyclable il faut pas qu’elle passe devant chez moi parce que je veux pouvoir stationner ma voiture. Q : Toujours ailleurs mais pas devant chez soi. R : Oui c’est ça. Et on a un peu les mêmes phénomènes. Aux Pays-Bas, il y a eu les mêmes phénomènes où les gens ont été opposés à ce genre de… mais il y a eu des gens qui ont été un peu précurseur, qui ont voulu montrer que c’était… qui ont voulu expérimenter en faite. C’est beaucoup passait par l’expérimentation ce qu’on a tendance à pas trop faire ici. Fin vendre le nouvel aménagement comme une expérimentation quitte à revenir dessus après même si bien souvent ça reste en l’état parce que les gens retrouvent en qualité de vie. Q : Bien sûr. R : Donc là, on voit un gamin déambuler dans les rues d’Amsterdam en 72. Des rues avec des cafés… Fin on va sur Google Street iew et on voit qu’il y a des arbres partout, qu’il y a des vélos. Alors la voiture est encore présente. Q : Bien sûr. R : Mais beaucoup plus contrainte. Q : Hum. R : On voit qu’on est passé par les mêmes phénomènes. À Amsterdam, c’était pareil qu’ici. Avec une densité de population très importante. On voulait caser... Fin, des gens commençaient à accéder à la voiture. Ce qui s’est passé aux Pays-Bas, c’est que les gens ont…Il y a Frédéric Héran qui a écrit un livre : « Le retour de la bicyclette ». Q : Oui je l’ai lu. R : Où l’on, où il explique très bien que l’accès à la voiture

s’est fait beaucoup plus tard qu’en France. Du coup les gens se sont… Fin, les foyers se sont motorisés bien plus tard et ont pratiqué le vélo bien plus longtemps que chez nous. Ils ont commencé à prendre conscience plutôt que nous. Le fossé a eu moins le temps de se creuser qu’en France. Q : Hum, hum. R : La pratique était bien plus importante aussi parce qu’il y avait, pour des raisons politiques euh… Fin expliqué aussi par le… (hésitation), la crise du pétrole. Q : Oui, la crise pétrolière. R : Qui fait que les Pays-Bas étaient… Q : Ce qui explique le fossé des pays nordiques et la France ? R : Ouais, ouais. Q : Avec le sud de l’Europe… R : Hum, oui. Q : J’ai fait des observations avec plusieurs types de vélo sur les Boulevards entre Porte des Postes et Porte de Valenciennes. Est-ce que vous pensez que le type de vélo peut avoir une incidence sur la perception qu’on peut avoir du paysage ? De notre ressenti, perception et de notre rapport aux autres ? R : Alors, oui, oui je pense ouais (haussement de ton). Ben la conduite basse plutôt, ben, sportif je pense incite à la prise de vitesse. On fait peut-être moins attention aux autres aussi, est-ce qu’il y a autour de nous. Tandis quand on est haut perché sur un vélo avec assise droite, on est déjà mieux vu et puis on perçoit aussi mieux. On surplombe le paysage donc on est plus à l’aise pour pouvoir appréhender les comportements. Je pense ouais. Q : Je pense à ça, à l’arrivée du vélo à assistance électrique. Est-ce que vous pensez que ça va modifier notre rapport à la ville ? Au paysage ? Utilisez-vous ce type de vélo ou pas ? R : Non je pense que c’est plus au niveau des vitesses et des… comment dire, c’est au niveau de la distance que c’est intéressant. Ça va permettre aux gens de parcourir des distances beaucoup plus importantes. Q : Hum… R : Parce que la vitesse est quand même limitée à 25 km/h. Il y a certains endroits où c’est très dur à atteindre. C’est une vitesse qui reste relativement gérable… fin… ça m’arrive souvent… moi j’ai pas de compteur sur mes vélos mais quand je vois, euh, parfois des voitures avec des gros compteurs, on arrive à voir la vitesse. Q : Oui. R : Et je suis, fin, très souvent aux alentours de 25, 30 km/h avec mon vélo sans assistance donc euh, on n’y arrive donc, donc c’est pas… Je ne pense pas que ça change… après pour certaines personnes, pour qui la prise de vitesse n’est pas évidente ça peut avoir un effet mais je ne peux pas de parler de mon expérience propre parce que c’est l’expérience de la vitesse assez courante. Donc je ne pense pas… par contre ça joue en termes d’endurance, c’est clair. Q : Hum. R : Ça incite à aller plus loin et à parcourir des distances plus importantes. À toucher un public plus important donc ouais, c’est intéressant (baisse de ton). Q : Plus il y a de gens, plus ça touche, plus on est vu donc plus on prend de la place dans la ville donc plus les gens ont conscience de notre présence. Est-ce que

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cela joue… R : par la « sécurité par le nombre » ? Q : Les politiques guident les aménagements futurs, ce sont eux les décisionnaires. Le fait que l’ADAV a un certain nombre d’adhérents, vous offre un poids fort. Pensez-vous qu’à terme ça va encore davantage s’accentuer R : Ah oui, oui. Q : Qu’il n’y est pas forcément plus d’adhérents, mais que les politiques prennent davantage conscience du vélo ? R : Ah oui, oui (haussement de ton). Pour nous c’est évident, ouais, ouais. Il y a (répétition) une époque où on est encore, en fait, Frédéric Héran a… alors c’est pas lui qu’il l'a formulé mais c’est des études américaines qui ont montrées que l’on passe par plusieurs étapes lors de l’apparition d’un nouveau mode. Au début on passe par une forme de dérision, en fait, désintérêts et dérision. Après ça fait place à la moquerie. Et après seulement à la phase prise d’intérêt. Euh, une moquerie qui s’accompagne d’une certaine agressivité. C’est un peu la période dans laquelle on est. Q : J’allais vous le demander. R : Ouais. Mais on commence à prendre au sérieux. Ce qu’a dit… je ne sais pas si vous avez le discours de Madame Borne, la ministre des transports ? Qui a dit qu’il fallait arrêter de prendre le vélo, fin de voir le vélo avec condescendance. C’est vrai qu’il y avait cette (répétition) tendance des politiques, des aménageurs… mais là on commence (hésitation) peut-être à être pris au sérieux. C’est là où, le président de la MEL a twitté pas plus tard que vendredi… c’est les mesures sur lesquelles il voulait accentuer en 2018. Il y avait trois euh, quatre choses sur lesquelles il a pointé : l’accessibilité de la MEL, fin améliorer l’accessibilité de la MEL en transport en commun (baisse de ton) je sais plus qu’il a dit exactement. La deuxième qui était le développement économique. Le troisième la qualité de l’eau. Et le quatrième, fin c’était en deuxième, continuer le développement du plan vélo. Q : D’accord. R : C’est la première fois qu’un président… fin… Martine Aubry à l’époque où elle était présidente n'a jamais cité le vélo, jamais cité une seule fois. Elle était encore dans la partie dérision parce que un moment fort, lors du lancement du V’Lille où on l’a vu rigoler en fait en voyant, fin, un peu prendre peur. On lui a demandé si elle voulait essayer le V’Lille. « je ne vais pas m’abaisser…. » Q : « je trouve ça ridicule » ou quelque chose comme ça. C’est marrant que vous parlez du V’Lille, est-ce que ça été un moment fort à Lille ? R : Oui (haussement de ton). Ouais, ouais, ouais. Alors nous sur le fait que vous disiez de voir des vélos circulaient. Alors les retours d’un commerce qui marchait très bien qui a eu des débuts assez, un peu difficiles qui s’est développé dans le vieux Lille en 2008. C’est « Ville à vélo » qui est ensuite devenu Cyclable. Magasin rue des arts. Q : Oui, je connais. R : Ils ont eu beaucoup de demandes de nouveaux clients au moment du V’Lille en fait. Les gens sont venus en leur disant : « j’ai vu des gens circuler avec leur vélo… ». Des gens qui venaient finalement pour acheter un vélo personnel mais qui le faisait parce qu’il voyait de plus en plus de gens circuler à vélo. Q : D’accord. Ce n’était pas des utilisateurs du V’Lille ? R : Voilà. Le fait de voir des gens circuler à vélo, ça leur a posé question. Moi j’hésite jamais à sortir avec mes

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enfants à vélo parce que je me dis toujours il y a peutêtre une personne que ça va interpeller. « Si un enfant le fait, je peux le faire aussi » Q : Oui, pourquoi pas moi. R : Voilà, l’exemplarité qu’on cherche toujours à … après ce qu’on cherche beaucoup c’est à ce que les élus soient exemplaires. Il y a peu d’élus qui montent sur un vélo. Là dernièrement il y a le maire de Roubaix qu’il l'a fait pour une sortie, pour découvrir les aménagements cyclables de la ville qu’on organisait. Il y a le président de la communauté urbaine d’Arras… fin voilà. Ça commence vraiment à être pris au sérieux, notamment grâce aux vélos à assistance électrique. On sent vraiment que c'est déclencheur. Q : Un symbole ? R : Que c’est déclencheur. Parce que je pense que le vélo était considéré… C’est Fréderic Héran qui le dit en tant qu’économiste, c’est un mode qui est considéré comme pas cher, alors que c’est pas forcément vrai, on a des vélos qui peuvent être… Q : Très cher. R : A des coûts relativement élevés. Mais là avec l’arrivée du vélo à assistance électrique on dépasse un certain palier. Les gens commencent à prendre au sérieux parce que… Il a le droit de jouer dans la cour des grands parce que l’on peut dépenser plus de 2000 € pour un vélo à assistance électrique donc ça devient sérieux. Q : Le prix est prépondérant ? R : Le prix joue notamment. Q : Un vélo neuf cher est plus pris au sérieux qu’un vélo dit biclou ou acheté d’occasion ? R : On sort un peu de l’image du barbu écolo. Ça touche plus une classe de dirigeant. Q : Ce que disait justement Frédéric Héran, c’était soit pour les bobos soit pour les pauvres… R : Oui c’est ça. C’est passé des pauvres aux bobos. Les pauvres ne l’utilisent plus… statutairement ils préfèrent montrer qu’ils ont réussi en circulant en voiture alors que les gens qui montrent qui ont réussi ne se déplacent… fin… ils ne sont pas encore à vélo. Mais en tout cas le vélo est moins mal perçu. Les jeunes aujourd’hui sont moins attirés par la possession de la voiture donc du coup le vélo. Quand on voit le parking devant science po installé juste ici derrière. Je sais pas si vous avez déjà vu ? Il y a une centaine d’arceaux et autant de vélo. Fin ils sont remplis de vélo devant alors que c’était moins le cas avant (baisse de ton). Un engouement surtout au niveau des jeunes. D’ailleurs ce qui pose problème à la MEL, lors de la dernière enquête déplacement qui a été menée en 2016, il y a une augmentation d’un point de la part de la voiture entre 2006 et 2016. On passe de 35 euh… 36 à 37 % de déplacement. Euh (longue hésitation) ils ont mis ça en parallèle avec l’augmentation, fin, le vieillissement de la population en fait. Les générations de nos… fin de mes parents en tout cas les miens sont dans la 60aine. C’est une génération qui a toujours été en voiture et qui…euh… qui a tendance aussi à plus rester en ville et qui du coup a plus tendance à utiliser la voiture. Ça se ressent sur les…euh… l’enquête. Q : Oui l’enquête. Ce sont vraiment les jeunes qui vont être supports d’expansion pendant les prochaines décennies ? R : Ouais, ouais. Avec le risque quand même que beaucoup ont été conduits en voiture pour aller à l’école. Ils sont quand même fortement dépendants. Auto dé-


pendant. Les dépendance de l’automobile qui est forte puisqu’on l'a incitée par toutes les politiques d’aménagements. D’aide aussi. On voit bien aussi l’aide à l’achat de nouvelles voitures. C’est très fortement (baisse de ton). Q : La fameuse prime à la casse ? R : Oui voilà. Mais voilà de l’espoir quand même. Par contre je vais devoir… encore un petit 10 minutes cela vous va ? Q : Je n’ai plus de questions j’ai abordé tous les sujets qui m’intéressais… R : Ah d’accord. Très bien. Vous saviez comment pour les projets d’aménagement sur porte d’Arras ? Q : Je suis allé à la réunion mi-mandat. R : D’accord. Q : Je suis allé à celle dans mon quartier. Et j’ai posé la question directement à l’élu. R : Qui était Monsieur Richir ? Q : Ah je, je ne sais pas. R : Monsieur ? Q : Oui, oui c’était un monsieur. R : Un peu fort ? Et âgé ? Q : Oui, oui un peu fort. Et âgé R : ça doit être lui alors. Et (hésitation et répétition) il vous a donné des informations de comptage de vélo ? Q : Non du tout. R : Parce que nous on n’en veut un peu à la ville de Lille, qui était notre partenaire financier jusqu’en 2015 et qui a arrêté de nous financer. On n’a jamais su pour quelle raison. Ça n’a jamais été expliqué. Q : D’accord. R : Et qui se permet d’utiliser nos… on fait des comptages en fait régulièrement notamment porte d’Arras. Porte d’Arras ça va reprendre en janvier, on avait arrêté pendant six mois… Q : A cause des travaux ? R : Non c’était un bénévole qui a déménagé qui nous avait pas prévenu. Q : D’accord. Ce sont des bénévoles qui font les comptages ? R : Oui une heure par mois à l’heure de pointe. Q : Je vous ai déjà vu au pont de Tournai. R : D’accord (enthousiasme). Il y a Porte d’Arras aussi avec l’intersection avec la rue Abélard et Marcel Hainaut. Plutôt côté Décathlon. Fin le coin proche de Décathlon. Q : D’accord. R : A côté du bar tabac. Là où il y a toujours des voitures garées d’ailleurs sur le trottoir. Fin Souvent. Ouais donc là on compte, ça s’était interrompu toute l’année dernière. Donc là on reprend en janvier. Q : D’accord R : Il y a un nouveau bénévole qui s’est positionné. Q : J’avais posé la question parce que j’habite dans le quartier. Je fais toujours le détour par Porte des Postes… R : Ah ouais (surpris)

Q : Parce que la piste est vraiment sécurisée et très agréable. Donc je passe par là pour rejoindre le centre en passant par le Boulevard Victor Hugo R : ah ouais ça fait un beau détour Q : Oui mais je l’assume. R : D’accord Q : Mais j’ai quand même posé la question pour savoir qu’est-ce qu’il va en être. R : Et qu’est-ce qu’on vous a répondu ? Q : Alors sur la partie de Lille voie bus comme vous me l’aviez dit tout à l’heure. Vers Wattignies pour l’instant ils ne savent pas. Et il parle pour l’instant d’un encorbellement pour enjamber les… R : Ouais (agacé). C’est ce que lui aimerait. Q : Pour l’instant il a dit que ce n’était que des pistes de réflexion. R : Nous on est plutôt parti sur un élargissement des trottoirs pour une récupérer une partie de la voie car les voies sont relativement larges. Q : Oui c’est 2 × 2 voies. R : Ouais, ouais, peut-être même plus. Parce qu’au niveau du pont, lorsque l’on vient de Lille… fin du métro porte d’Arras en direction du périph il y a quatre voies. Q : Oui quatre voies R : Deux voies tout droit et de voies à gauche. Donc là on a demandé à conforter l’usage des trottoirs dans un premier temps. Encorbellement peut être une solution mais on part sur un principe de partage comme il s’est fait à Portes des Postes justement. Q : Oui d’accord R : Ce n’est pas séparé sur le pont il y a juste une frise mais… Q : Il y a juste une matérialité, fin une bordure qui fait la différence. R : Oui, oui c’est ça. D’ailleurs le statut c’est aire piétonne. Q : Oui. R : Ce qui n’est pas légal d’ailleurs parce que normalement ça doit être de façade à façade. On a laissé (baisse de ton). Q : Ah oui (surpris) R : Oui, fin pour nous, pour nous certains endroits, la cohabitation peut être une solution, parce qu’on ne peut pas faire autrement. Q : Passant là je trouve que ça fonctionne assez bien… R : Oui c’est vrai. Il n’y a pas trop de flux piéton donc ça passe. Q : Pour l’instant oui R : Par contre si les flux piétons venaient à augmenter ou les flux cyclistes… là on compte aussi, on a un comptage à Porte des Postes. Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de voir nos… Q : Non je ne les ai jamais vus. R : Non mais les résultats ? On a des baromètres sur notre site. Q : Oui je les ai consultés sur votre site. Vous faites un bilan tous les semestres c’est bien ça ? R : Oui et tous les semestres, avec le CEREMA. Q : Hum, j’ai déjà vu ça. C’est intéressant ça permet de voir l’évolution.

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R : Oui de voir l’évolution. Q : Depuis le plan de circulation il y a une augmentation ? R : Ah oui (enthousiasme augmentation de ton), très nette oui, très nette. Là justement… il y a souvent une baisse les mois froids. Q : Oui… R : Et là elle est intervenue beaucoup plus tard que les autres années en fait. Ça a continué à circuler beaucoup jusqu’en novembre. Là en décembre ça commence à réduire fort. Mais même sur des axes qui n’étaient pas aménagés d’ailleurs, notamment rue du Général-De-Gaulle à la Madeleine, ou c’est une rue 2 x 1 voie en fait avec souvent des tourner à gauche avec souvent une voie centrale qui est neutralisée et pas de place pour les vélos. Donc on a un trafic très fort avec 15 à 20 000 véhicules jour. C’est un très fort trafic à l’équivalent de la rue du Faubourg d’Arras mais là sur 2 × 1 voie qui est très fort congestionnée (répétition) où on a peu de place à vélo. Q : J’imagine R : On a une pratique du vélo qui est de l’ordre de 80 vélos à l’heure de pointe. Donc on considère qu’on multiplie par 10 pour avoir le nombre de vélos pendant la journée. Donc autour de 800 vélos donc c’est des (hésitations) des chiffres équivalents qu’on peut avoir sur le pont de Fives, des endroits qui sont aménagés même s’il reste encore des choses à faire. Q : Vous ne faites pas de comptages justement entre Porte des Postes et Porte de Valenciennes ? R : Non, non, nous ce qui nous intéressent vraiment ce sont les accès. Les franchissements Q : Oui les points de jonction. R : Oui parce que c’est là où c’est plus concentré. Après il y a certains endroits en ville où l’on… par exemple sur le pont Flandre ont fait, Willy Brandt, pont de Flandre. Q : Hum. R : Là on le fait sur quelque chose d’interne… fin c’est pas un point de franchissement pour le coup, en partie mais pas vraiment. Après rue Gambetta et rue Solférino. Ça nous permet d’avoir des données sur l’hypercentre. Q : Juste sur le centre de Lille ? R : Ouais, donc ça c’est une première intersection, puis une seconde intersection rue Nationale et Boulevard de la Liberté. Point de comptage historique on est passé de 5 % rue Nationale en 1999 où on a commencé le comptage à plus de 30 %. Fin, là on a pas eu les derniers chiffres de voitures en fait sur cet aménagement mais qui a dû baisser aussi grâce au plan de circulation puisqu’on a cassé le transit sur la grand’place. Q : Oui. R : Et le vélo a fortement augmenté et on doit être de l’ordre de 50 % facilement. Q : Vous pensez que plus on s’éloigne du centre moins il y a de vélo ? R : Oui, oui, pour l’instant ouais. Fin ça c’est typique. Même encore aux Pays-Bas aujourd’hui. Q : D’accord R : Ouais, plus on s’éloigne… plus la distance devient importante plus la contrainte à la voiture est plus difficile à faire, parce qu’il y a des voies rapides, des choses comme ça, donc plus le vélo va avoir du mal à trouver sa place. En tout cas la voiture a une place plus avantageuse. Fin oui il y a un cap à un moment qui se produit.

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Q : D’accord super, je vous remercie. R : Voilà je vous en prie. Le prochain baromètre sera début janvier. Q : Début janvier. Vous les avez commencés en 1999, c’est ça ? R : Euh pas partout. Historiquement Boulevard de la Liberté et rue Nationale. On dépend de la volonté des bénévoles. Mais entre 2003 et 2005 on n’a pas pu compter mais après on a repris. Fin on a eu deux ans de rupture mais on voit qu’il y a une évolution qui est constante. On voit qu’il y a une évolution qui est plus forte à chaque fois qu’il y a un nouvel événement comme l’arrivée du V’Lille mais avant ça euh… le passage de la rue Nationale, avant c’était 2 × 2 voies qui a été transformées. Les trottoirs ont été élargis. Deux voies qui ont été supprimées pour des bandes cyclables, donc là typiquement c’est pareil on aurait préféré des pistes cyclables séparées. En tout cas avant c’était assez passant puis les voitures [incompréhensible 56.18]. Q : C’est infernal… R : Oui très à l’étroit, c’est très désagréable. On est passé de 5 % je vous dis sans aménagements cyclables. Ou alors il y avait des bandes cyclables (s’interroge) déjà avec 2 × 2 voies. On était aux alentours de 5 % là maintenant à mon avis on est aux alentours de 50 %. On était déjà 35 % avant le plan de circulation en fait. Q : C’est déjà des bons chiffres R : C’est énorme, oui. (Haussement de ton). Et sur Liberté on est passé de moins de 1 % en 99 à aujourd’hui on est aux alentours de 20 %. Q : D’accord. R : Ça bouge beaucoup. Q : Ça bouge beaucoup. C’est intéressant R : Ouais mais c’est l’hypercentre. Fin on voit à Porte de Douai c’est un de nos comptages les plus significatifs aussi où on a eu aussi une réduction… En fait il y avait 2 × 2 voies auto et on est passé à 1 x 1 voie avec couloirs bus centrale, je ne sais pas si vous voyez ? Q : Si, si. Je vois R : Et là, c’est pareil on est passé de 60 cyclistes à l’heure en heure de pointe en 2007 juste avant le début du chantier et aujourd’hui on est à 200 cyclistes à l’heure. Q : Le nombre de voies est prépondérant sur le nombre de cyclistes ? R : Ouais, ouais. Q : Il y a une corrélation R : Ben, c’est le gabarit de chaussée accordée à tel ou tel mode… Fin, surtout il n’y avait pas d’aménagement cyclable donc euh… les gens… Q : Ca ne leur venait pas à l’idée de… R : Voilà, ouais. Puis pour trouver sa place aussi (baisse de ton). Voilà. Q : Merci ! R : Vous voulez un flyer de l’association ? Q : Je veux bien. R : Voilà, bonne soirée. Q : Merci, également, au revoir.


Annexe 3 : L’entretien avec Clotilde Félix-Fromentin. Le 12/04/2018. Q : Vous êtes cycliste depuis quand ? R : Depuis toujours. C’est un véritable cadeau de mes parents. J’ai appris à faire du vélo comme tout le monde vers 7 ans. Je voulais faire pas mal de sport et ils m’ont dit que si je voulais faire du sport, d’y aller toute seule en vélo. C’est comme ça que ça a commencé, donc j’ai tout fait en vélo. Q : Vous étiez déjà à Paris ? R : Non, en banlieue de Paris. Q : C’était facile de circuler ? R : Oh oui ! Ce n’était pas comme aujourd’hui. Q : Il y avait moins de voiture ? R : Il y avait moins de voiture, je pense dans mon souvenir. En tout cas on avait moins peur. Quand j’y repense, mes parents me laissaient sur mon vélo pour aller à l’école et il y avait 3km. Et puis il n’y avait pas de téléphone portable pour s’assurer que l’enfant était arrivé. Q : Maintenant que vous êtes adulte, pensez-vous que vous avez un rapport privilégié au paysage ? R : Oh oui ! Je suis cycliste urbaine mais je suis aussi rando-cycliste. Je pars 2 ou 3 semaines l’été en nomade avec les sacoches. On appelle ça les « sacochards ». Il y a plusieurs types de rando cycliste, Il y a celle qui sont dans des clubs. Des cyclos touristes qui sont suivies par un camion qui porte leurs affaires. Et puis il y a les « sacochards » qui ont tout sur eux. Donc je vais en camping ou en gite d’étape ou je me débrouille et je pars à travers… J’ai fait beaucoup la France mais là j’ai fait l’Italie parce que j’en fait un à deux par an. Et ça fait 18 ans parce que j’ai commencé en 2000. Ça fait 18 ans que je fais ça et même en France c’est super intéressant parce que c’est un tout autre rapport à son propre pays. Je l’ai bien sur traversé en voiture, en train comme tout le monde et ça n’a rien à voir. Maintenant je considère que je ne connais pas un pays si je ne l’ai pas pratiqué en vélo. Q : Quand vous dites « ne pas le connaitre », pourquoi vous avez mieux l’impression de le connaitre en vélo ? R : C’est là que c’est très subtil, et c’est là qu’on a besoin de personne qui en parle et qui mette les mots là-dessus. J’ai l’impression d’être dedans. Quand je traverse en vélo je comprends des choses, je suis plus dans le rythme des maisons, des habitations. J’adore traverser… C’est d’ailleurs pour ça que je suis contre les pistes cyclables et les voies vertes par ce que ça nous fait plus traverser les villages. Les zones industrielles, j’aime bien voir l’activité, les choses et j’ai l’impression de comprendre quand on a tronqué une forêt pour mettre une parcelle. Quand on a coupé pour mettre des champs. Je sens davantage le vent. Je sens bien les pays où l’on a un peu trop coupé les forêts, il y a un vent un peu parasite, mais pas naturel. Et c’est des petites choses comme ça, même le rythme des villages que l’on traverse. Il y a des régions en France qui sont encore assez simple, qui n’ont pas encore étaient touchées par le design. Ça s’égrène à peu près tous les 10 km, je ne sais pas pourquoi. Ça devait être des rythmes de développement urbain il y a une époque. Il y a quelque chose de très saint dans le déploiement. Quand ça se réduit quand on avance en vélo puis on voit réapparaître les maisons se densifier puis se dilater alors qu’ailleurs on sent l’anarchie qui est arrivé. L’anarchie urbaine qui fait qu’il n’y a plus du tout ça. Et on ne comprend plus, il y a des endroits que je ne comprends pas. La ville de Lyon je ne la comprends pas. Q : En milieu urbain, vous n’avez donc pas cette impres-

sion de comprendre le paysage ? et d’être dedans ? R : Ah si, si bien-sûr. Mais c’est un autre paysage. Je suis né en banlieue parisienne et je suis bretonne d’origine. Mais rapidement c’était Paris. Puis j’ai fait mes études dans Paris. Donc je fais du vélo dans Paris depuis toujours. J’ai vraiment l’impression de me glisser dans la masse de Paris, je ne connais pas du tout le nom des rues, le nom des stations de métro. J’ai appris un petit peu évidemment. Mais je n’ai absolument pas la même vision que d’autre personne. Q : Beaucoup de monde se repère aux stations de métro, mais en tant que cycliste, comment vous vous repérez ? R : Bah je vois la carte, la carte que je me suis fabriquée… Q : Dans la tête ? R : Oui dans la tête, c’est une carte mentale. Ce n’est pas une carte géographique. Je n’ai jamais cherché à la dessiner mais elle doit être distendue parce qu’il y a des zones que je connais mieux, il y a des trajets qui me paraissent très long, d’autres très court donc ça serait intéressant de mettre ça à plat mais elle ne serait pas géographique. Q : Le relief est quelque chose de fort j’imagine ? R : Oh oui ! On le ressent fort en vélo. Q : Beaucoup de cyclistes se repèrent grâce au relief. Vous montez, vous descendez là… R : Oui et puis on ressent les faux plats très vite en vélo. Les gens souvent n’ont pas vu la côte en question alors que on sait très bien que c’est une côte. Q : On se rend mieux compte de la géographie, du nivellement… R : Et du revêtement de sol aussi. Je suis très sensible aux revêtements de sol parce que Paris en ce moment est un vrai chantier. Mais ce n’est pas un chantier géré. Il y a des travaux partout et c’est vraiment n’importe quoi. Et notamment par le remplacement des Vélib’ par les nouveaux vélib’ fait que tout ce qui est sur le bord de la route qui nous est dédiés, nous cycliste, c’est dans un état épouvantable. Q : Ils ont commencés pas mal de travaux avec le plan vélo et j’imagine que ça doit faire pas mal de travaux ? R : Oui, ça doit y être intégré Q : Vous m’avez parlé des revêtements de sol. Vous pensez qu’en fonction du revêtement de sol vous n’avez pas le même rapport au paysage ? R : Moi en vélo, je sens le sol mais dans mes pédales, sous mes pieds. Il y a quelque chose qui fait que les pneus attrapent le grain mais dans la mécanique de mon vélo, c’est sous mon pied que ça m’arrive, comme si je marchais, c’est peut-être l’habitude. Je sens le grain du sol. Et ça participe au paysage mentale, à l’ambiance que je crée. Et c’est très énervant… que ce soit rugueux ou lisse, d’accord, je ne cherche pas la « lissitude » absolue pour pouvoir être tranquille et pensez ce que je veux. Quand c’est rugueux ça va, quand c’est vraiment accidentel sans arrêt, on ne peut pas être perceptif à autre chose. Ça nous accapare. Q : J’étudie ces notions de matérialité et de voir si notre rapport change, et je l’étudie en fonction de plusieurs types de vélo. Je vois que vous avez un vélo pliant, avant vous n’aviez peut-être pas celui-là ? R : J’ai 4 vélos différents. Celui-là (le pliant), c’est parce que j’ai pris le TGV pour venir. Je le plie. C’est très très intéressant de passer d’un vélo à l’autre.

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J’ai un pliant. Un Gitane donc un vélo de course, de route. J’ai un moto bécane donc c’est un semi route, un Fixie en l’occurrence avec une seule vitesse et des freins. Et j’ai un Lakamora, complètement customisé pour la rando vélo. Q : Ce dernier est dans l’esprit VTT ? R : Alors c’est des vélos de rando très costauds sur lequel on rajoute des sortes de fourches pour pouvoir porter les sacs costauds et sur lequel je suis beaucoup plus droite. Q : J’étudie les différentes postures notamment sur le vélo de ville et le VTT. En VTT on est beaucoup plus courbé… R : J’ai deux vélos droit et deux pas droit. Le pliant est droit et le Lakamora est droit. Le Gitane et le semi course, c’est couché. Ce ne sont pas forcément des vélos urbains, c’est plus couché. Q : Vous avez l’impression que vous n’avez pas le même rapport ? R : Oui, en plus j’ai des lunettes, je n’ai pas un champ de vision aussi large que tout le monde, j’ai des petites lunettes en plus. Donc quand je suis couchée, je suis sans arrêt obligée de faire ça (mouvement de bas en haut de la tête). Sinon la tête dans le guidon, l’expression dit bien ce qu’elle dit. Je reçois moins l’entièreté du paysage quand je suis moins droite. Et c’est vrai que dans Paris, on ne peut pas rouler. Le Gitane et le moto bécane je suis très bien dessus mais comme on est sans arrêt arrêté par des carrefours… La position couchée n’est pas du tout adaptée. Q : Lors de notre première rencontre, vous avez utilisé l’expression « élasticité du temps ». Pouvez-vous développer cette notion ? R : C’est quelque chose que moi aussi j’aimerais étudier, un jour mettre à plat et mettre des mots sur tout ça. C’est quand en vélo, je sens que le temps redevient élastique dans le sens où je vais par exemple à Gare du Nord, je sais que je mets 40 minutes mais je sais que je peux mettre 20 minutes à atteindre ¼ de mon trajet et puis tout d’un coup ça file. Mais c’est moi qui décide si tout d’un coup je décide d’appuyer sur mes pédales. Si je me faufile ou pas, si j’ai traîné ou si j’ai regardé autour de moi parce que j’ai pensé à autre chose. Je ne sais pas, mais il y a quelque chose que je contrôle. Q : Une forme de contrôle du temps R : Et c’est lié à mon effort, je le sens. Quand le temps s’accélère, je le sens entièrement dans mon corps et quand je ralentis, je sens que tout ralenti. Alors que quand j’ai à faire à un trajet en voiture je trouve ça infernale parce que le temps est totalement linéaire avec une régularité épouvantable. Je n’ai pas la main, donc je m’énerve à l’intérieur mais le temps ne s’accélère pas pour autant. Rien ne s’accélère, donc ça c’est terrible. Q : On subit ? R : On subit et ce n’est pas en phase avec nous. On n’a pas la main. J’ai participé à une action avec une troupe de théâtre urbain qui travaillée sur comment réduire le stress en ville en redonnant l’action au gens. Ils se basaient sur des études scientifiques qui disaient qu’on est d’autant plus stressé si on ne peut pas réagir. Et que de plus en plus, en ville, le citoyen n’a plus rien à faire. Il ne peut plus rien faire. On ne peut plus toucher, on ne peut plus adapter les choses, on ne peut plus s’amuser, on ne peut plus se rencontrer et rester un peu. De plus en plus, on restreint notre champ d’action, ce qui fait qu’on est stressé rien que pour ça. C’est vrai que les embouteillages, je trouve ça inhumain. Même en vélo dans les embouteillages je suis embêté

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évidement mais je suis active. Je réagis et même si je suis énervée je le dépense. Q : On ne reste pas à rien faire à attendre que la voiture devant nous avance. R : Oui, ça c’est incompréhensible. Donc l’élasticité c’est simplement ça, c’est très positif. C’est fluide, c’est comme un muscle. Q : Qui s’étend et qui se détend. Comme un élastique. R : Oui, mais il n’y a pas assez de chair. Là ça pompe comme un muscle du cœur. Q : Comme un muscle qui s’étend et se détend sans cesse dans lequel on a le contrôle. R : Oui. Je décide de le tendre et je décide de le détendre. Et du coup j’ai mon temps, je maitrise complètement mon temps. Je ne suis jamais en retard. Il y a quelque chose qui est très agréable. Et j’ai l’impression que même dans mon travail, j’ai cette capacité d’accélération et de ralentissement et de gérer tout ça. Je ne pourrais pas partir de Saint-Denis 10 minutes avant et de me dire que j’irais très vite. Il y a quelque chose qui fait que l’on sait notre capacité à accélérer ou pas. Q : Parce que l’on connait notre corps ? R : Oui je pense. Je ne peux pas comparer avec le même moi qui ne connaîtrait pas son corps mais je sais que je suis très sensible au climat ou à l’effort mais à un besoin d’effort, et à la fatigue ou pas. Q : On adapte notre corps en fonction de notre déplacement. R : Exactement. Sensible au vent et aux vêtements. Moi c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup mais tout d’un coup, tout devient important. Ce sont les petites choses qui pour les gens qui prennent le métro sont complètement négligeable. Je vois mes voisins partir, ils sont habillés de la même façon toute l’année, qu’il fasse beau, chaud, qu’il pleuve, ou qu’il fasse froid. Je pense qu’ils descendent dans le métro puis qu’ils rentrent dans leurs bureaux. Alors que moi se sont des questions très longues, je sais qu’il pleut tout à l’heure, j’ai de quoi me changer dans mon sac. Mais ce n’est pas du tout une contrainte, ça me fait plaisir. Le temps, la vie, le déroulement des choses n’est pas identique. Ce n’est pas uniquement linéaire, ce n’est pas uniforme. Q : Vous avez parlé de rythme, alors pensez-vous qu’il y a un rythme différent d’un vélo à l’autre ? R : La notion de rythme, c’est très compliqué et très théorisé. Moi je pense que le cyclisme m’a aidé à comprendre mon propre rythme, à comprendre ce que ça voulait dire. Qu’il y est un rythme différent en fonction des vélos je ne sais pas mais en tout cas, il y a des ressentis différent. Des résistances, des présences sous le corps. Il y en a qui m’encombre un peu et d’autres auquel je m’habitue. Celui-là (le vélo pliant) est extrêmement léger. J’ai l’impression de flotter. Q : Il fait combien de kilos ? R : Il doit faire 10 ou 12 kg. Il n’est pas tellement plus léger que les autres, c’est ça qui est étrange. Comme il est très bas et que le centre de gravité est excessivement bas et que le guidon est assez haut. Il y a quelque chose qui fait que je flotte, c’est très léger, c’est très agréable. Je suis beaucoup plus habile pour circuler entre les voitures mais ça n’a rien à voir quand on est plus couché. Le Gitane c’est un vrai vélo de course avec les poignées et la position (simule une position couché). Je me sens encombré mais en même temps contenu étonnamment. Q : Une sensation de sécurité peut-être ? R : Oui peut-être. Après comme il faut le lancer, c’est


plus dur mais j’apprécie je sais que c’est un vélo qui me demande plus de puissance. Je sais que ce n’est pas agréable dans ce sens-là et puis il faut l’arrêter. En tout cas pour le rythme je comprends que je n’ai pas le même rythme que les autres. Mais je sais que c’est à l’échelle de mes déplacements mais aussi de toute la vie. Cette année je m’occupe des mémoires à l’ESAT de Roubaix et il y a une étudiante qui travaille sur les rythmes et sur l’expérience de la course à pied en ville. À elle aussi ça lui a permis de comprendre que chacun à son rythme et qu’il y a des moments où c’est bon de s’extraire du rythme urbain. Q : De se détacher de cette espèce de routine dans laquelle tout le monde est… R : Oui. Q : Pour le mémoire j’ai un terrain précis qui se situe sur les portes de la ville, et le métro est en aérien… R : Mais moi si je prends le métro, j’ai l’impression d’être complètement déphasé. Trop lente à rentrer trop rapide à sortir. Je ne passe pas les machines comme les autres et puis même monter les marches, pour moi ça va jamais assez vite. Je ne suis plus capable de me caler sur le rythme des autres. Je sens que ça me demande un effort. Q : Vous avez parlé des ressentis mais j’aimerais votre avis sur les sensations. Vous pensez qu’il y a des sens privilégiés lors de la pratique du vélo ? R : Je dirais le tact. Le toucher en fait. Moi j’ai des lunettes parce que je suis myope et souvent je me retrouve à regarder comme ça (au-dessus de ses lunettes) avec des yeux myopes. Je vois tout flou et cela me suffit, donc preuve que la vue est utile mais une vue floue suffit. C’est une vue globale qui donne de grands repères, alors que je suis très sensible par la peau, par le vent, à tout le reste. Je pense que c’est le tact. Q : Et le son ? R : J’avoue que j’ai eu souvent de la musique dans les oreilles mais moins maintenant. Et puis à fond mais ça ne m’a jamais gêné. Et dernièrement j’apprécie moins parce que je voulais laisser mon cerveau pensé de lui-même. Q : S’imprégner de la ville peut-être ? R : Oui, on a l’impression que ça va ensemble. Plus je m’imprègne, plus je pense mes propres pensées. Rando vélo quand on part trois semaines je me suis rendu compte que les premiers jours j’étais extrêmement attentive, je regarde partout. J’adore quand on part directement de chez nous, de Paris. Ça j’aime bien, je ferme ma porte et je pars. Il n’y a pas l’étape à prendre le train mais évidemment ça nous emmène moins loin. Je me retrouve à traverser des quartiers que je connais, et pourtant je suis excessivement… je regarde tout. Q : C’est peut-être le fait d’engager ce voyage ? R : Oui je pense. Tout d’un coup ce n’est plus la même attention que d’habitude. Je scrute tout. Les gens etc… et à partir d’un moment j’ai la tête pleine d’images et c’est là que ça se détend. Que je peux à la fois apprécier le paysage et me mettre à divaguer et à penser. Q : Et dans les jours suivants ça change ? R : Oui il y a des moments on plonge presque dans des états de rêverie. On parle de moins en moins au fur et à mesure de la rando. Q : Vous roulez côte à côte ? R : Dans la mesure du possible, si on peut. Et ce n’est pas l’un contre l’autre. Ce n’est pas, soit je pense à mes propres pensées, soit je suis attentive à

l’extérieur, c’est ça qui est subtile. C’est l’impression que c’est le paysage qui peut m’aider à être plus intériorisé. Je me souviens notamment dans les Landes, il y a donc de très grandes routes avec des pins mais avec quasiment un rythme. Là je me souviens que j’avais écrit, parce que je tiens des carnets. Je me souviens que cette page là c’était la page du rythme. Ça m’avait choqué parce que les arbres ont un rythme naturel, il y a les segments, les pointillés qui délimitent la bande cyclable. Il y a les massifs qui s’arrêtent de temps en temps parce qu’ils ont fait des percées. En fait il y avait plein de choses comme ça qui scandait le rythme. Alors je ne sais pas si c’était ça mais j’étais complètement absorbé dans mes pensées. Totalement ailleurs, autonome. Les choses qui font que s’installe une règle, qui fait que tout le reste se détende. Comme si on était assuré de ce qu’il allait arriver et qu’il y avait moins de surprises. Et je me souviens bien du paysage. Et je me souviens bien des odeurs parce qu’il y avait des animaux morts. Dans cette régularité la moindre odeur qui venait me choquer. Donc pour vous dire, il y a des gens qui vous disent que mettre un walkman ou que à force de rouler on entre dans une forme de transe et que ça nous coupe, ben non, je ne suis pas d’accord. Q : Vous m’avez dit que vous teniez des carnets, ça m’intéresse. Vous faites ça uniquement pour vos voyages ? R : Je n’ai pas commencé à la première rando vélo, j’ai dû commencer en 2002 ou 2004 parce que c’était tellement génial ce que l’on vivait, il fallait l’écrire. Alors c’était compliqué parce qu’on roule. J’ai voulu commencer à écrire en vélo mais ce n’était pas possible, donc je m’arrêtais ou j’attendais les pauses. Quand j’avais envie de noter je ne me souvenais plus de rien. C’était compliqué, c’était passé. Puis le fait de s’arrêter de chercher un endroit pour s’arrêter, c’était mort. Donc je repartais, j’essaie de me ressouvenir de mes idées. C’était tellement obnubilant, parce qu’ils y en avaient d’autres qui arrivées mais je voulais absolument me souvenir. J’avais une impression d’espèce de ronde dans ma tête. Donc je m’arrêtais exprès sur le bord de la route et je disais (à son mari) : « j’arrive », et je notais des choses. Donc j’ai fait ça sur une ou deux rando vélo donc peut-être sur un ou deux ans, c’était n’importe quoi parce que quand on les relie, on ne comprend rien. C’est écrit tellement vite, c’était du chinois. Ce qui est intéressant, moi qui m’intéresse au langage, c’est une sorte de langage intérieur, un langage mental. Ce n’est absolument pas de l’ordre du langage parlé, c’est pour ça que j’avais tellement de mal à poser les mots sur le papier, parce que c’est des borborygmes. C’était souvent soit des pensées générales sur mes projets, soit sur des futurs projets ou des commentaires généraux sur les choses, tout sauf sur ce que j’avais vu. En plus de ça, les mains sur le guidon, n’ont pas la même tactilité immédiatement pour écrire. J’étais très gauche, j’avais l’impression de tenir mon crayon avec une main endolorie. Donc à chaque page j’écrivais, mais ce n’était pas du tout mon écriture, c’était très compliqué, à chaque page je me crispais, et puis je repartais de plus belle etc... C’était très intéressant parce que je n’y arrivais pas. Après j’ai essayé de trouver des façons de noter que quelques mots, ça s’est un peu amélioré puis après je m’arrêtais puis je re-notais. J’ai quand même réussi à compiler suffisamment de notes en 2010, pour préparer un petit ouvrage sur des grands thèmes. Un des grands thèmes, c’est rythme. J’ai compilé des notes écrites avec des dates différentes, c’était comme des extraits de carnets et puis je n’en ai rien fait. En fait je l’ai donné à lire à une amie qui est dans le théâtre. Et elle m’a dit « faut qu’on en fasse quelque chose ». En le relisant elle avait l’impression de replonger, elle qui fait peu de vélo, dans les ambiances. Dans des ambiances un peu cotonneuses et en même temps le paysage qui se mêle à

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des idées complètement folles, ça passe du coq à l’âne. C’était très fidèle. J’ai cette image d’une sorte de ronde, d’idées qui tournent, et je pense que c’est assez fidèle au fonctionnement de l’esprit en temps normal. Tout d’un coup je peux me dire « je n’ai pas mis mon téléphone dans ma sacoche », des choses très bêtes « est-ce que j’ai bien rangé la gourde ? » et puis « en fait le pull de ma mère… » des choses incroyables puis des choses plus graves. Q : Et puis le paysage mêlé dans tout ça. Vous ne faites jamais de dessin ? R : Non Q : Uniquement les mots ? R : Non, ce n’est pas visuel. Je fais une recherche sur l’influence de la matérialité des processus de conception ou c’est la matière textile qui est mon modèle. Ça m’intéresse parce qu’on passe outre le dessin. On dessine directement en textile. Je ne dessine pas, ou très très peu, simplement pour des schémas principes. Je fais directement des choses avec la matière, des échantillons, des maquettes directement à l’échelle un. En tout cas ce n’est pas du dessin de représentation. C’est directement les mots. C’est peut-être pour ça aussi que dans le vélo je ne mets pas d’image de représentation, ou alors ce n’est pas tant visuel que ça la pratique cycliste. Q : Tactile. R : Tactile oui, c’est même une imprégnation. C’est tout le corps. Quand on arrive qu’on traverse les villages je suis très sensible à l’entrée des villages. Ou des villes aussi. Comment ça se passe pour nous ? Ça fait 20 km qu’on roule et on est content on sait qu’on est arrivé jusque sur la carte c’était une espèce de zone d’une autre couleur avec un nom. Et c’est la surprise, ça veut dire quoi cette zone jaune ? Et comment je vais être accueilli là-dedans. On est content de pouvoir s’arrêter boire un café. Je suis très sensible puisque de plus en plus ça se passe mal. C’est-à-dire qu’ils ont mis des zones totalement ingrates, des zones commerciales ou de dépôt de marchandises, et je me dis même que pour les gens en voiture c’est terrible. Il y a des villes, par exemple Aix-enProvence, c’est épouvantable. On roule d’abord un quart d’heure dans des lieux où on n’a jamais envie d’être. On n’a pas envie de s’arrêter. Pourvu qu’on ne crève pas. Et c’est glauque au possible, et c’est ça la première impression ? L’entrée dans une ville ? Et puis ça dure alors qu’on l’a attendu. Et c’est ça qu’on nous offre. Q : Le fait de cette impatience, il y a une déception. R : Oui et puis, on voit le panneau Aix-en-Provence alors que ça fait un quart d’heure qu’on roule ! Mais elle est où cette ville ? On en a ras-le-bol ! Puis il y a même des petits villages qui commencent à faire ça, à mettre tous les petits locaux indésirables de la ville sur les bords. Et puis on n’arrive pas de l’autoroute, on arrive par les petites routes. On ne passe pas par les voies vertes, on utilise encore les routes qui sont utilisées par les gens. Alors les seuils de village, c’est vraiment un point négligé. Q : Vous faites beaucoup de kilomètres pendant vos voyages ? R : On fait une centaine de kilomètres par jour. Mais on ne roule pas tous les jours, on roule trois jours puis on s’arrête pour visiter des choses. On fait entre 1000 et 1500 kilomètres. Ce n’est pas du tout héroïque. Q : Je vous demande ça car j’envisage peut-être de faire ça cet été. Cette question me trotte dans la tête déjà depuis un moment…

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R : C’est formidable. Il faut être bien équipé, avoir de très bons sacs. J’avais la chance que mon mari en avait déjà fait avant. Un mauvais sac, c’est un sac pas étanche qui se déchire. C’est l’horreur. Et il faut être bien sur son vélo, puisque c’est huit heures par jour. C’est quand même dur, corporellement c’est quand même dur. Mais pour moi ça fait partie du jeu. Q : Vous faites des carnets par les mots mais moi j’envisageais de faire un carnet par le dessin. R : Je ne sais pas si c’est le vélo qui m’a amené ça, ou si c’est parce que je ne dessine pas par ailleurs. Faire des grands voyages à vélo, j’appelle ça faire ma fragmentation. Fragmenté ça voulait dire sur un ordi, que l’ordinateur stocké où il y avait de la place. Mais quand on détruit certaines infos il détruit là où elles étaient. Donc ça formait un gruyère, et quand il voulait stocker à nouveau des infos il ne savait plus où les stocker. Fragmenté ça voulait dire qu’il rangeait les cases qui étaient prises. Il met de l’ordre et nettoie. Donc l’effet pour moi d’une rando vélo c’est la défragmentation. Ça me range ma tête. Ça la vide et ça la nettoie. Dans la tête, c’est indispensable. Quand on revient d’une rando vélo c’est l’impression qu’on vit dans un monde où il y a trop de choses. On vit avec rien. Pendant trois semaines on vit avec deux vêtements qu’on alterne, une fourchette ou deux, en fait très peu de choses. Et quand on revient j’ai l’impression que le monde est encombré de choses inutiles. Q : Donc vous avez cette impression en ville ? R : Oui, oui, je trouve que le monde est beaucoup trop encombrer. Et puis peu à peu dans l’année même moi je commence à ré encombrer mon sac à y accumuler plein de choses et puis la rando vélo c’est une espèce d’épuration. En fait on peut vivre avec presque rien et être très heureux. Une impression d’inutilité quand on revient. Q : J’ai plus de questions particulières. R : Moi j’en ai une, sur quoi accès vous votre mémoire ? Q : Sur la perception du paysage en fonction du type de vélo. Donc j’étudie trois vélos différents, le vélo de ville, le VTT, le vélo en libre-service sur un terrain précis, au niveau des portes de la ville de Lille. J’étudie les matérialités, les sensations, les questions de rythme. La semaine dernière j’ai réalisé des parcours commentés, la personne sur le VTT s’est concentrée sur les sols et les matérialités comme vous le disiez tout à l’heure. Alors qu’en vélo de ville la personne avait le dos bien droit et le regard qui porté, il a donc été sensible aux éléments lointains et à l’horizon. R : ce n’est pas aussi en fonction des personnes ? Q : Si je pense aussi. R : Vous me parlez d’une personne qui a été très sensible au lointain, moi en vélo je suis rarement sensible au très lointain. C’est peut-être aussi parce que moi je suis myope. Je n’ai jamais vraiment eu accès au lointain. Quand je circule dans des régions et de très longue ligne droite, où les routes ont été tracées, ça m’ennuie. Ou en Bretagne aussi, il y a des routes droites mais par contre elles vallonnent. Je vois déjà presque le point où on va arriver. Ça c’est horrible, je n’aime pas. Q : Une forme de longueur. R : oui, si mon but est d’aller à ce point que je vois au loin… peut-être que je ne préfère pas voir le but. Q : Il y a peut-être cet effet de surprise ? R : Mais oui. Et puis j’ai l’impression de sentir quand une courbe est naturelle ou pas sur une route. Q : C’est-à-dire ?


R : Que c’est la nature qui a fait que cette route a été comme ça. Par exemple il y a des courbes, on sent dans la pratique qu’elle est trop courbe. Elles étaient tracées sur une carte avant d’être réalisés. Alors qu’il y a des routes naturelles qui datent du développement des routes. Pour relier de village par exemple. Il y avait un relief donc ils sont passés là où ils pouvaient. Ça s’est glissé dans le paysage logiquement par rapport au vent, par rapport au ruisseau, par rapport au relief. Alors qui en a d’autres non elles ont été tracées coûte que coûte, et on s’en rend compte à vélo. Et puis on peut se dire qu’on s’est trompé, qu’on n’est pas sur la courbe de la carte. Q : Vous prenez toujours une carte ? vous tracez votre itinéraire sur la carte avant de partir en voyage ? R : Oui, le matin. Grossièrement au début. J’avais calculé que contrairement à la voiture, en vélo on parcourt environ un tiers de plus qu’en voiture, parce qu’on n’a pas les routes directes, qu’on ne souhaite pas d’ailleurs. Puis tous les matins on reconsidère où l’on souhaite arriver le soir, on décide pour ne pas avoir la tête dedans. Elle est simplement posée sur la pochette avant du vélo. C’est vrai qu’on alterne la carte chaque jour mon mari et moi parce que moi ça m’obsède. Je n’ai pas reçu le paysage de la même façon si j’ai lu la carte. Et puis on est perturbé du mode de représentation. La carte me dit qu’il y a un étang pas loin, je ne vois pas l’étang et ben pourtant je vois l’étang. Je me figure un étang qui n’est pas l’étang en question, je vois d’autres étangs que j’ai vus avant. On se fabrique le paysage alors que je ne suis pas présente réellement au lieu. Q : On s’imprègne donc dans un autre paysage que celui qu’on traverse. R : Oui. Q : La cartographie peut perturber notre rapport à l’instant présent. R : Et ça me ça fait tous les ans. Je suis toujours fascinée par la différence de ce qu’on a imaginé le matin lorsqu’on a préparé la carte et ce qu’on vit réellement. Ça n’a rien à voir. Ce n’est pas traduisible en photo. Parce que on a déjà fait des photos j’ai essayé le film aussi pour transmettre cet état et ça ne se transmet pas. Les gens s’ennuient, j’avais fait un film de 20 minutes. C’était des tronçons avec une GO pro. Les gens s’ennuient parce qu’ils ne sont pas dedans physiquement. Je suis très occupée, il faut déplacer la mécanique, je ne suis pas juste à regarder, les gens ont trouvé ça profondément ennuyeux. Q : Je n’ai plus de question, je vous remercie. R : Ben bon courage à vous, Q : Merci.

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Annexe 4 : Parcours commenté avec Jacques Detève en vélo de ville. Le 07/04/2018. Météo : ensoleillé et venteux. Départ Porte des Postes : 10h35 J : Jacques F : Florent

qu’on est arrivé à la porte de Valenciennes. Donc on arrive à Cofidis, gros panneau publicitaire.

Éléments gestuels repéré lors du parcours : Lorsque le mur central au centre du boulevard s’est transformé en viaduc, il a tout de suite regardé en dessous. Feu brûlé à porte de Valenciennes : regard fuyant.

J : En fait, je vais représenter la synthèse de l’impression que j’ai eu sur le parcours qui était une ligne droite. Un élément central qui était le métro.

Le parcours :

En fait, un sentiment un peu bizarre de … pas bizarre mais l’impression de rouler dans une ligne continue parce qu’il n’y a pas de virage. C’est ce que j’ai indiqué, tu as l’impression d’avancer dans un tunnel. Le métro qui est aérien, on ne le voit pas. Ces grands blocs de béton sur le côté, on a l’impression d’avancer sur une ligne continue comme ça. Dans ce sens-là, sur la gauche, tu as l’impression d’avoir Lille des années 1900 – 1920 avec toutes les maisons alignées les unes à côté des autres. Un paysage assez typique, c’est typique de ce que c’était. Et à droite tu as des immeubles plus aéré. Tu as l’impression de voir deux évolutions, deux époques différentes. Ce qui m’a plus, le vélo de ville, c’est super agréable, tu as envie de prendre ton temps, c’est super intéressant et super à l’aise. Tu es droit et tu vois vraiment bien, par contre, tu n’as pas l’impression d’être en sécurité. Au démarrage tu as une piste cyclable qui est très étroite. Toute la piste est très étroite. Tu as des vélos en contre sens, tu te demandes si tu peux les croiser et si ça va passer. Tu arrives au rond-point, c’est panique à bord parce que tu as plus rien, tu ne te sens pas du tout en sécurité. Et une chose caractéristique qu’on ne se rend pas compte, c’est qu’il y a un bruit permanent qui rend et qui casse la sensation d’agréable que tu as quand tu es sur le vélo parce que quand tu es en voiture, tu as tous les sons de la ville qui sont couverts par l’habitacle. Là tu es proche du métro, donc tu as un bruit de fond permanent. F : Un son dû au métro et aux voitures ? J : Le métro je ne l’ai pas trop entendu, c’est surtout le périphérique et les véhicules qui passent. Et puis tu ne te sens pas en sécurité quand les voitures passent à côté de toi et encore on a de la chance, il n’y avait pas de poids-lourd. Mais avec un poids-lourd, tu ne te demande spas si tu ne vas pas t’arrêter. F : Alors, en ce qui concerne ton dessin, pourquoi as-tu dessiné en vue à vol d’oiseau ? J : C’est cette notion de tunnel qui est plus représentative comme ça. Et on a l’impression d’avoir effectué un cheminement.

J : Déjà là, on ne sait pas si la piste cyclable est mono sens ou pas. Il y a des vélos et elle n’est pas très large en fait. Je vais être obligé de rouler sur le trottoir. En fait elle n’est pas assez large, ce n’est pas très pratique. Alors le vélo c’est super agréable. Sur ce type de vélo c’est super agréable. Je suis venu jusqu’ici avec un autre vélo, tu es courbé…. (Il fait référence à son trajet en vtt depuis mon domicile jusqu’à la Poste des Postes). C’est là qu’ils font pendant les grandes vacances, les colos, pour les gosses. Avec ce type de vélo, tu n’as pas envie de rouler vite. On arrive à la célèbre barre qu’on voit sur le périph’, elle est vraiment vétuste. C’est vraiment… Avec le métro sur le côté, avec les blocs de bétons ça fait un peu futuriste. On dirait une rampe de lancement avec le grillage au-dessus. Alors on a un bruit de fond qui est le boulevard périphérique qui est juste à droite là. En fait, il y a beaucoup de bruit, les voitures sont vachement bruyantes. On ne s’en rend pas compte quand on est en voiture mais quand tu fais du vélo, j’ai l’impression…. Il faudrait des micros pour pouvoir communiquer comme les motards parce que le bruit des voitures empêche la communication. On voit des angles de vue qu’on ne voit pas lorsqu’on est en voiture qui sont… je connais bien le quartier, j’ai fait des études pas très loin. Notamment les arrières de cours… Alors là, ça se complique, on arrive à un rond-point et il n’y a plus de piste cyclable. Aller accélération. Alors là c’est dangereux parce que tu as l’impression d’être un intrus. Voilà la station de la Porte d’Arras. On retrouve une piste cyclable. En fait il y a trop de bruit avec les voitures comme ça, ce n’est pas très agréable. Donc souvenir souvenir, à gauche ou j’ai fait mes études Baggio et à gauche le café où ont étaient tout le temps. Alors là, c’est vraiment les maisons typiques des années 1920, très étroites, hautes. Il y a la fac de droit à gauche qui a été construite sur une ancienne filature. Le métal et les vieilles briques ça se mari bien. C’est toujours sympa. Donc là la piste s’arrête à nouveau, on revient sur une zone un petit peu dangereuse. Alors là on doit aller tout droit, tu es dans la zone (soufflement). Si tu es à vélo, tu ne sais pas comment te mettre en fait. Pause feu C’est parti ! en fait, on s’aperçoit, que la civilisation est faite pour les voitures. A gauche on a la vieille ville, les vieilles maisons et à droite des logements qui ont étaient refait dans les années 1975-1980. Alors là je ne sais pas. Ils ont fait des travaux, la piste cyclable à disparue. Alors d’habitude le métro c’est sous terre mais là on a quand même toute une zone avec un métro aérien. Les panneaux sont sales, ça fait un peu dégueu. Je crois

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Commentaire pendant la réalisation du dessin :

Commentaire après la réalisation du dessin :

Les quatre questions : F : Comment as-tu trouvé ce parcours avec ce type de vélo ? J : Agréable parce que j’ai un bon vélo. F : Qu’est ce qui t’a le plus frappé ? J : Dans le parcours c’est la ligne droite. En fait le sentiment que tu as quand tu vas faire du vélo, tu n’as pas l’impression que tu vas faire une ligne droite. J’ai l’impression que tu dois aller… j’imagine que tu dois trouver un terrain sinueux. Donc c’est d’abord cette ligne droite qui est… Ce qui m’a frappé c’est que tu es perdu quand tu arrives sur les endroits pas canalisés. Pour aller tout droit à la porte de Douai, tu dois aller tout droit. Soit les voitures tournent à droite, soit elles vont tout droit. Par contre les vélos sont obligés de se mettre en plein milieu de la route ce qui fait à un moment donné pour partir au feu… tu es totalement perdu. Donc pas adapté.


F : Quels étaient les éléments point de repère ? J : J’ai surtout fait attention aux constructions à gauche et à droite, je n’ai pas cherché de point de repère outre mesure. J’ai canalisé mon attention là-dessus parce que (hésitation) je travaille dans la construction peut-être. F : A quoi as-tu été le plus attentif ? J : (hesitation) En fait, à ma, entre guillemet, ma propre sécurité.

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Annexe 5 : Parcours commenté avec Jacques Detève en VTT. Le 07/04/2018. Météo : ensoleillé et venteux. Départ Porte des Postes : 11h05 J : Jacques F : Florent Elément gestuel repéré lors du parcours : Laisse tomber son bras gauche le long de son corps, s’appuie sur le bras droit afin de se redresser et d’avoir le dos droit. Pas d’arrêt. Se lève de la selle dans les carrefours. Le parcours : J : Ce vélo est compliqué, j’ai mal au cul déjà. J’ai tellement mal que je n’ai pas commencé à regarder. Je vais chercher un peu plus, des angles, comme si j’allais faire des photos. Là je viens de passer devant un truc sympa, où j’ai les immeubles assez chouettes anciens dont les tours dominent le métro. J’avoue que si j’avais un appareil photo je … ça aurait pu être quelque chose de sympa. Ah, le français dans son excellence, paquet de hamburger à terre. Alors là, juste là c’est une photo sympa aussi à faire parce qu’on voit des anciennes courées avec des maisons les unes sur les autres. On arrive dans la zone assez dangereuse puisque c’est un rond-point et là il n’y a plus rien. Il n’y a pas de voiture, j’accélère. Voilà. Ces stations de métros sont vachement imposantes. Alors ça, ça vient d’être fait… Mais qu’est ce qui se passe ? Des voitures qui attendent pour la déchetterie. En fait c’est assez mal fait [inaudible 4 :16]. Alors ce nouveau bâtiment c’est en fait où l’équipe de pingpong de Lille joue. C’est vachement beau parce qu’on voit la toiture, On a l’impression qu’ils n’ont pas voulu faire quelque chose de rectiligne, de droit comme tout ce qu’il y a autour où il y a que des bâtiments très droit. Aller je passe au orange. Alors quand je regarde sur la gauche, j’ai l’impression de voir un roman de Zola, le milieu ouvrier. Là, j’ai mal au cul. Et comme tu as mal, tu as envi que ça aille plus vite. Alors là tu ne regardes rien, tu te demandes comme tu vas faire pour aller tout droit encore une fois. Tu es derrière… Aller on va trouver une technique. Il y a beaucoup de véhicule que tout à l’heure, le bruit c’est franchement désagréable et lié à cette selle qui me fait mal. Ah les guetteurs sont toujours là… Là, il y a aussi une belle photo à faire avec une vieille cheminé en béton qui surplombe les toits. On est arrivé. Commentaire pendant la réalisation du dessin : Alors là ça va être différent parce que j’ai fait mon parcours ayant une volonté d’avoir une vision différente en cherchant, en imaginant des photos que j’aurais pu prendre. Mais en fait, il y a un truc qui m’a assez plu. Les gros plots du métro (inaudible 11 :01]. Alors je suis peut-être trop en vue d’oiseau. C’est assez sympa, les maisons des années 1945 et 1930 avec toutes une série de toit. Voilà. Par contre, le parcours, parcours 2 je vais l’appeler. Beaucoup moins agréable parce que vélo (soufflement) pas approprié. Selle [inaudible 12 :20]. Je crois que si je n’aurais pas eu la volonté de regarder, j’aurais regardé la route, j’aurais regardé la route… moins agréable, plus de voitures encore.

Commentaire après la réalisation du dessin : F : Tu as noté plus de bruit. J : Alors plus de bruit des voitures. Je n’ai plus du tout entendu le bruit du périph’, j’ai entendu que le bruit des voitures. F : Mais celle qui étaient proches ? J : Oui celle qui étaient proche sur le boulevard. Et tu as des voitures qui passent sur des grosses plaques en fer, ça raisonne, Bam ! Et j’imagine les gens qui sont autour, qui sont dans les maisons et c’est comme s’il y avait un coup de fusil à chaque fois. Ils mettent une grosse plaque pour qu’on ne tombe pas dessus [inaudible 14 : 00]. Comme à la Chapelle avec le docteur Villet. Sur les dos d’âne et bam bam ! Ça réveille tout le monde la nuit. Les quatre questions : F : Comment as-tu trouvé ce parcours avec ce type de vélo ? J : Pas agréable. F : Qu’est ce qui t’a le plus frappé ? J : C’est la… L’avancement de la journée qui fait que la circulation automobile a grandie. Tu es encore moins rassuré et plus de bruit. De moins en moins agréable en fait. F : Quels étaient les éléments point de repère ? J : Maintenant que j’ai vu où sont les ronds-points dangereux, je me suis cantonné à regarder comment j’allais passer ces passages. A la porte de Douai et le premier rond-point à la Porte d’Arras. F : À quoi as-tu été le plus attentif ? J : Alors là c’était l’objectif que je m’étais fixé. C’était d’avoir une vision comme si je voulais prendre des photos. Donc j’ai été attentif aux lignes, plus l’œil du photographe. Et j’ai vu des choses intéressantes aux niveaux des vieilles maisons qui recoupent avec la ligne du métro, le viaduc. En fait ça pourrait être un truc sympa mais ce n’est pas du tout mis en valeur comme c’est tout noir, tout sale. Où ça n’est pas nettoyé, ça pourrait être mis vachement en valeur. Et c’est comme si on voulait couper deux mondes. Ce n’est pas la volonté puisque je ne pense pas qu’ils voulaient passer en dessous. Mais quand tu vois ça, tu vois d’un côté tous les bâtiments anciens qui sont maintenant sur la droite, les vieilles maisons etc… Et là toutes les constructions qui ont été faites dans les années 70. On pourrait imaginer que ça fasse une ligne pour couper ces deux mondes. Par contre je n’ai pas vu cette sensation de ligne droite, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que j’avais la tête plus baissé.

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Annexe 6 : Parcours commenté avec Jacques Detève en V’Lille. Le 07/04/2018. Météo : ensoleillé et venteux. Départ Porte des Postes : 11h45 J : Jacques F : Florent Élément gestuel repéré lors du parcours : Rien d’identifié. Le parcours : J : Donc là j’ai un V’Lille, c’est la première fois que j’en prend un. Il y a 3 vitesses et il y a des gens qui se garent n’importe où. Le V’Lille est lourd mais tu es bien droit. On a l’impression que c’est un vélo de promenade. En plus avec le petit truc (panier) devant c’est vachement pratique. La vision que je voyais tout à l’heure que je montre. Alors c’est marrant, on a une autre vi… Des immeubles assez récents très moderne et le métro et les toits qui apparaissent. C’est vraiment… Je reviendrais avec un appareil photo. On est bien assis, un peu dure mais ça va. J’ai plus de plaisir que tout à l’heure à rouler. Il est bientôt midi et un samedi, il n’y a pas trop de camion heureusement. Je retrouve du plaisir à rouler cette fois-ci, par rapport à tout à l’heure. On est vraiment dans les quartiers populaires avec ces rues assez étroites et toutes ces maisons alignées. Et cette barre qui va bientôt être démolie là à droite. Attention on arrive au rond-point, heureusement il n’y a pas de véhicule qui arrivent, j’accélère. Alors je ne sais pas si c’est parce qu’on est sur un boulevard qui relie les trois portes, mais globalement il n’y a pas beaucoup de vélo. Par contre, il y a beaucoup de voiture qui vont à la déchetterie. On s’arrête au feu. Dans ce dernier parcours, je vais essayer de regarder s’il y a des choses agréables à l’œil que je n’avais pas vu tout à l’heure. On retrouve le fameux toit de cette construction qui est… il n’y a pas une ligne droite tu as l’impression. C’est agréable, c’est toujours aussi agréable que tout à l’heure. Il y en a qui ont fait des tags sur des pignons de murs, on se demande comment ils ont réussi à faire ça. A tient, l’internat de Baggio à droite, j’ai dormis là [inaudible 4 :50]. Il y a un rayon de soleil, avec les fenêtres ouvertes, les gens profitent. C’est aussi samedi matin alors on voit qu’on fait le grand nettoyage. C’est marrant. On voit plus de briques que d’arbres sur le trajet. On va arriver au deuxième parcours dangereux du trajet, le premier s’est bien passé et celui-ci… On voit qu’on est en fin de semaine, les étudiants qui repartent avec leurs sacs à dos et leurs valises atypiques. A mon avis, ils sont contents d’être en week-end. Alors ici, ce parcours-là, c’est une zone assez étudiante : fac de droit, lycée Baggio, très grand lycée technique, Faidherbe, Gaston berger sur la droite. Et c’est parti. Je pense que … Là regarde le pignon avec le toit c’est chouette ça. Deux maisons côte à côte comme ça, c’est bizarre d’ailleurs. Là aussi une belle photo à prendre, on dirait des toitures [inaudible 8 :35] alors que c’est des maisons individuelles. Coloré. Ah ben lui il ne s’emmerde pas, en plein milieu de la route (soufflement). En fait, je trouve qu’il n’y a pas beaucoup de couleur, c’est assez terne tous les bâtiments sur cette zone-ci à la fin du parcours. Beaucoup de blanc sali. Pour rendre attrayant les parcours en ville, s’il y avait plus de couleurs, plus de chose. La zone qui est derrière le bâtiment

Cofidis, je suis certain comme il y a une architecture complètement différente le long du Boulevard Hoover, ça rend plus agréable. Alors là aussi deux photos à prendre, les deux cheminées qui dépassent des toits, les unes derrières les autres. Bien calibré, ça pourrait faire sympa. En fait je m’aperçois que ma tête est toujours sur la gauche, par ce que je regarde principalement tout l’ancien. Je ne vois rien d’agréable du côté droit sur les constructions des années 1960-70. Il n’y a rien à voir, rien d’atypique. On arrive à notre point de rendez-vous. Commentaire pendant la réalisation du dessin : Donc, c’était le dernier parcours avec un V’Lille, c’est la première fois que j’en prend un. Ça m’a rendu le parcours agréable, beaucoup plus agréable que tout à l’heure. Selle un peu dure mais vélo très très confortable. Vélo assez lourd mais qui roule bien. Très bon utilitaire pour être en ville. Très très agréable en fait, très agréable. Pas besoin de 36000 vitesses et là-dessus tu as plus envi de te balader que de rouler. En fait sur ce troisième parcours ce que je vais dessiner, c’est ce que je disais tout à l’heure en roulant, c’est que ma vision a toujours était sur ma gauche, j’ai rien trouvé d’agréable sur la droite. Déchetterie, vieux bâtiment à démolir, les immeubles. Donc ma vision à toujours était sur la gauche en regardant toujours les maisons, cette station de métro. (En dessinant) : Donc j’ai toujours ma station de métro, volontairement je ne regarde rien à droite. J’ai derrière quelques maisons, j’ai des débuts de rue qui partent comme ça avec les toits. J’ai vu des angles de lignes assez intéressantes dans la mesure où il y avait un pignon qui faisait un triangle comme ça. Le toit partait comme ça et ça, ça tombait tout à fait droit. Pas une construction classique et en me retournant j’ai vu que toute la façade était colorée. Il y a 3 ou 4 maisons qui sont … il y en a une jaune, une rouge, je ne sais plus la troisième. Donc j’ai envie de dessiner les rues, les maisons, tout le patrimoine des années 1900 avec bien-sur deux magnifiques cheminées qui dominaient le métro et qui surplombaient les toits. Ça aurait pu faire une belle photo en perspective juste là. Alors je vais volontairement dessiner les angles en béton qu’on voit. Et là je vais mettre … des traits verticaux, horizontaux et à 45°. Je me dis et c’est ce que je disais tout à l’heure, un parcours beaucoup plus intéressant s’il y avait beaucoup plus de couleur. A un moment donné, je me dis tout est terne et si on avait continué le chemin vers le Boulevard Hoover là où il y a beaucoup de couleurs colorés, atypiques, une architecture plus moderne. Je pense que ça aurait pu être sympa. Donc pour les écrits, je vais écrire troisième parcours agréable. Pourquoi ? Parce que j’ai la connaissance du parcours et de ce fait là, impression de moins de danger sur les deux endroits dangereux. Je vais l’appeler la rive droite, je la mets non vue. No man’s land. C’est bien-sûr une impression Commentaire après la réalisation du dessin : F : Il y a quelque chose qui m’a frappé, c’est que tu as parlé des couleurs du boulevard Hoover. Tu les as vu ces couleurs ? J : Non c’est que je les connais, on ne les voit pas mais je les connais. Tous ces immeubles colorés avec des couleurs vertes et la sérigraphie faite les arbres. Alors j’ai dessiné aucun arbre et il y a beaucoup plus de maisons en briques que d’arbres plantés.

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Les quatre questions : F : Comment as-tu trouvé ce parcours avec ce type de vélo ? J : Ben agréable et agréablement surpris F : Pourquoi agréablement surpris ? J : Parce que je pensais que le V’Lille allait être beaucoup plus lourd et beaucoup plus difficile à manier. La selle est un peu dure mais tu es à l’aise et encore une fois le fait d’avoir le dos droit, tu regardes, tu as envie de te balader. Et connaissance du parcours donc moins de danger. Pourtant il l’était tout autant avec les véhicules garés. C’est juste une impression. F : Qu’est ce qui t’a le plus frappé ? J : J’ai vu des visions de rues que je n’avais jamais vues en fait. Avec des angles de maisons qui sont assez atypiques. Et ce qui m’a le plus frappé, c’est que j’ai regardé plus d’un côté et pas de l’autre. F : Quels étaient les éléments point de repère ? J : J’ai moins vu… Fin si j’ai regardé… Mon point de repère c’est ce que je voulais photographier tout à l’heure. Je ne sais pas si tu as vu lorsque j’ai montré du doigt ? C’était cette zone-là, c’était mon point de repère avec ces fameuses maisons avec ces angles assez sympas. Et bien-sur mes trois cheminées. F : A quoi as-tu été le plus attentif ? J : Moins au danger car connaissance du parcours et puis plus à la rive gauche. F : Pourquoi que la rive gauche ? J : parce que quand je roule c’était sur ma gauche. F : du coup pas la rive droite ? J : la rive droite je ne l’ai pas regardé. F : Et pourquoi ? J : Parce que ce n’est pas du tout agréable.

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Annexe 7 : Fiche de lecture Eloge de la bicyclette de Marc Augé Augé, marc. Eloge de la bicyclette, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2008, 93 p. L’auteur : Marc Augé est ethnologue et anthropologue français. Il est directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) à Paris. L’ouvrage paraît dans l’édition Payot & Rivages. Il n’y a pas de note en bas de page, aucune bibliographie associée à l’ouvrage. Le titre donne tout de suite une idée de l’ouvrage : Eloge. La structure du livre : Le livre est structuré en 4 parties : le mythe vécu, La crise, l’utopie et Retour sur terre. Le mythe vécu (p15 à 37), La crise (p41 à 61), l’utopie (p65 à 80), Retour sur terre (p83 à 88). Les 3 parties sont égales en termes de nombres de pages sauf la dernière partie, plus petite. Le sujet / thèmes abordés / questionnements MA retrace et imagine en 3 temps l’éloge de la bicyclette. D’entrée, MA développe que la bicyclette a une dimension collective mais surtout individuelle (La première ligne p9 : « On ne peut pas faire l’éloge de la bicyclette sans parler de soi ».) MA commence son ouvrage avec cette phrase car il développe son rapport personnel au vélo. Pour lui, parler de la bicyclette, c’est parler de soi car son histoire et son utilisation renvoient à des expériences personnelles passées comme son apprentissage. Le mythe retrace l’histoire de la bicyclette en France notamment par l’explication de la place qu’a pris le Tour de France dans la société française. MA développe que le vélo construit le corps à l’enfance et cela se ressent à l’âge adulte p31 : « Les jeunes gens qui se mettent au vélo font l’expérience conquérante de leur corps ». Et dit que le vélo c’est gérer son temps (notion de temporalité) au court de la journée ou de l’année mais aussi une « expérience d’éternité » : C’est-à-dire, adultes, nous retrouvons par le vélo ces sensations d’évasion et de découverte que l’on a éprouvé lorsqu’on était jeune. (Lien avec mon sujet : la polysensorialité et le rapport au temps). Il y a plusieurs temporalités à distinguer. Celle qui fait « expérience d’éternité » selon MA qui fait référence au passé, à l’enfance et une temporalité lors de la pratique du vélo. Cette dernière est en rapport avec l’horizon (que le cycliste est déjà ailleurs lorsqu’il regarde loin) et à l’élasticité du temps. La notion de lien social est esquissée p35 : le jeune utilisateur du vélib’ aide les plus vieux à ce nouveau concept de vélo en libre-service en ville. Ce n’est plus les anciens qui aident les jeunes mais les jeunes qui aident les anciens. Cette notion est récente et n’est pas étudiée par d’autres auteurs à ma connaissance. Cependant ayant utilisé les VLS V’Lille pendant une période, je n’ai jamais été confronté à cela. P36, MA dit « C’est parce que la pratique du cyclisme, même épisodique, […] permet de prêter attention à autrui. […] ils discutent entre eux (de l’itinéraire, du paysage, du temps) » Cela fait écho à une expérience personnelle que j’ai vécue lors d’un trajet école/domicile. Un cycliste roulant à la même vitesse que moi m’a fait la conversation. Dans la partie « crise » : Le développement croissant des villes a conduit à une mondialisation et celle-ci nous fait perdre la ville ainsi que nous même. C’est-à-dire que nous avons plus conscience de notre lieu de vie. MA exprime que nous sommes dans une routine permanente et que cela nous fait oublier la ville. Nous ne là regardons plus. Notion de Monde/Ville (tout s’échange dans le monde – la ville est un monde) et de Ville/Monde (Morceau de ville ouvert à l’international et non à la ville même). Exemple de sortie de crise : le Vélib’. Il a permis aux urbains de se réapproprier la ville et de la ré- observer. (Lien avec l’étude de l’échantillon des utilisateurs du V’Lille à Porte de Valenciennes) Notion de « nouveaux flâneurs » p54. Ainsi les utilisateurs du Vélib’ redécouvrent la ville et voient qu’elle est faite pour être regardée. Plus largement la pratique de la bicyclette permet de se rendre compte de l’espace que l’on pratique : notion de distance et d’espace traversé par rapport aux transports en communs. Métaphore de l’écriture p55 : La pratique du vélo est une écriture sauvage (Cela fait -il référence à la flânerie ? C’est-à-dire une découverte de la ville plutôt brute et non planifiée) et plus construite (Cela fait -il référence à des trajets réguliers ? à des itinéraires planifiés ?) Défi de concilier mégalopole et ville conçus comme lieu de vie, rythme quotidien, espace intime. Dans la partie « L’utopie » MA se plonge 30 ans dans le temps. Et imagine une ville idéale selon lui : plus de voiture dans Paris. Les transports en commun de pointe et extrêmement développés et une utilisation de la bicyclette au quotidien par tous les usagers. Dernière partie très courte : « Retour sur terre » : Métaphore du cycliste qui rêve d’être un oiseau ou un poisson = de ne pas avoir la contrainte de l’espace. « naviguent» ; « surfent ». (Lien avec la notion de glisse développée dans les récits) Cependant la pratique du vélo permet de prendre conscience de l’espace, du paysage, de sa topographie, forme mais plus rapidement que le piéton. Mots clés : Bicyclette / véli’b’ / liberté / rêve / sensation / évasion / temps / rythme / ville / conscience de soi / rencontre / social / lieux de vie /

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Liens avec d’autres auteurs Lien possible avec Pierre Sansot sur la question du rapport au paysage et des sensations. (Ouvrage « chemins aux vents » en cours de lecture) et Bernard Chambaz sur les notions de sensations et d’émotions. Citations : « On ne peut pas faire l’éloge de la bicyclette sans parler de soi » p9. « faire du vélo, c’est apprendre à gérer le temps, aussi bien le temps court de la journée ou de l’étape, que le temps long des années qui s’accumulent. Et pourtant (c’est là le paradoxe) la bicyclette est aussi une expérience d’éternité. » p31. « Avec un peu d’imagination, on serait même tenté de rêver, à partir de là, d’une ville où chacun pourrait à volonté prendre n’importe quelle bicyclette dans la rue, la laisser n’importe où et en reprendre une autre un peu plus tard ; rêver d’une sorte de communisme urbain pour les chevaliers et chevalières de la bicyclette qu’uniraient une éthique commune et des règles de courtoisies unanimement respectées. » p53. « Les flâneurs de Paris – cette espèce qu’on aurait pu croire en voie de disparition – réapparaissent, mais à bicyclette ; les nouveaux flâneurs, nez au vent, faisaient à l’évidence une double découverte : ils se rendaient compte avec émerveillement que la ville est faite pour être regardée, pour être vue » p53-54. « A bicyclette, plus de changements, plus de correspondances. On se glisse subrepticement dans une autre géographie, éminemment et littéralement poétique puisqu’elle est l’occasion de contact immédiat entre lieux que d’ordinaire on ne fréquentait séparément, et qu’elle apparait ainsi comme la source des métaphores spatiales, des rapprochements inattendus et des courts-circuits qui ne cesse de susciter à la force du mollet la curiosité réveillée des nouveaux promeneurs. » p54. « Le vélo, c’est une écriture, une écriture libre souvent, voire sauvage – expérience d’écriture automatique, surréalisme en acte, ou, au contraire, méditation plus construite, plus élaborée et systématique, presque expérimentale, à travers les lieux préalablement sélectionnés par le goût raffiné des érudits. » p55. Intérêt pour le séminaire Temporalité : p31. Lien social : p35 Vélo en libre-service : p53 Flânerie à vélo : p55

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Annexe 8 : Fiche de lecture Petite philosophie du vélo de Bernard Chambaz Chambaz, Bernard. Petite philosophie du vélo, Roubaix, Éditions Champs, 2014, 127 p. L’auteur : Bernard Chambaz est un romancier, historien et poète français enseignant actuellement l’Histoire au Lycée Louis-leGrand à Paris. L’ouvrage paraît dans l’édition Champs essais. Il n’y a pas de note en bas de page, aucune bibliographie associée à l’ouvrage. La structure du livre : Le livre est structuré en 58 petits chapitres ne dépassant pas 2 pages. Chaque titre correspond à un verbe ou un substantif. Le sujet / thèmes abordés / questionnements BC aborde plusieurs sujets : le cyclisme (le Tour de France), lui-même, ses ressentis, ses observations lors de sa pratique du vélo à la campagne mais aussi en ville et des généralités et réflexions sur le vélo. Il aborde une notion dans un chapitre qui lui sert généralement de tremplin pour une autre. Ainsi les chapitres s’enchainent. Dans le chapitre « Définition » BC clarifie les termes suivants : vélo, bicyclette et VTT. P16-17 Le vélo englobe aujourd’hui tous types de vélos. La bicyclette a une allure « débonnaire ». Elle est caractérisée par une guidon plat, d’un porte bagage, d’une sonnette, d’un garde-boue. Cela est en écho à mon vélo de ville personnel. Le VTT est caractérisé par une allure de vitesse. Selon BC le VTT est un vélo. Et le vélo a dans tous les cas avoir avec la rapidité. Lien avec mon sujet sur les questions de type de vélo. P30 BC explique ses premiers mètres en vélo et énonce qu’il a éprouvé « l’instabilité de la machine » à l’âge où il apprenait à écrire et à tracé à l’école. On retrouve le lien vélo/écriture déjà développé par Marc Augé. La notion d’instabilité fait écho sur mon terrain. Notamment sur la notion des matérialités. De nombreuses fois j’ai ressenti cette sensation d’instabilité, surtout en vélo de ville due aux divers revêtements de sol et aux plaques d’égouts. C’est une notion décrite dans mon récit d’observation en vélo de ville entre la porte d’Arras et la porte de Douai. Dans son chapitre intitulé « Conatus / énergie / effort » BC définit le Conatus « comme l’effort d’un être pour persévérer dans son être » Selon BC ce n’est pas l’énergie (comme le sucre) qui permet de nous mettre en mouvement mais cette volonté de persévérer. P58. « Persévérer » est selon lui un mot clef pour le cycliste car il permet d’être le moteur du déplacement. Ce qui pousse à toujours aller de l’avant et du lutter « contre vents et marées ». BC met en lien des expressions liées à la joie avec le vélo : p68. « Etre en joie » et « Etre à la joie » reprennent les expressions « Etre en vélo » et « Etre à vélo ». De plus, il indique que des expressions comme « Rayonner de joie » ou « Etre transporté de joie » sont en lien direct avec le déplacement en vélo. De plus selon lui, la joie « étend l’espace et le temps ». Donc faut-il être en joie pour avoir une impression d’élasticité du temps et de l’espace ? Le cycliste a un contact fort avec l’horizon lors de son déplacement, ainsi l’espace lointain est plus proche que la réalité (notion développé par Marc Augé). La joie entre-t-elle dans ce rapport ? P 69, Le corps et l’âme sont lié. « A bicyclette on donne de son corps à la mesure de son âme… » Pour BC la pneuma et la psyché sont liée. L’âme alimente le souffle et le souffle alimente l’âme. Dans le chapitre « Espace », (p74) BC explique que le cycliste se projette l’espace dans lequel il va aller. L’espace à une forme de sensibilité, il se donne en mouvement. L’espace est le lien entre son corps et son être. L’espace est continue et à une forme d’éternité. Il énonce la notion d’espace-temps. Puis il enchaine avec le chapitre « Temps » p75. Selon BC, le temps est élastique (lien avec le même terme utilisé par Clotilde Fromentin-Félix). Etre à vélo, donne une certaine « liberté de mouvement ». Dans le roulement, il y a une forme de flottement (lien avec mes récits) BC dans le chapitre « Sensations » (p85) décrit chacune d’elles. La vue est le sens principal « Elle est ce sens qui sans ostentation nous en met plein la vue ». L’ouïe est le second, « un monde sonore ». Les bruits nous parviennent sans cesse en ville mais aussi en forêt. L’odorat est le 3eme sens, il détecte les odeurs désagréables de la ville « gaz d’échappement ». Le toucher est la continuité de notre propre corps. Il détecte nos vêtements mais aussi le sol sur lequel on roule (lien avec mes récits = matérialité) mais aussi la chaleur ou le froid. Il ne parle pas du goût. « Les sensations sont comme des modifications de notre âme » P88, la perception est selon BC « l’ensemble de nos sensations rassemblées » Mots clés : Vélo / Bicyclette / Sensations / Temps / Espace / Perception / Ame / Joie / Instabilité de la machine / Horizon / Liberté

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Liens avec d’autres auteurs Lien possible avec Pierre Sansot sur la question du rapport au paysage et des sensations. (Ouvrage « chemins aux vents ») et Marc Augé sur les notions de sensations et d’émotions. Citations : « La bicyclette se caractérise aussi par une sonnette, par un garde-boue, par un porte-bagages, et par une largeur certaine des pneus et de la selle. On la reconnaîtra aussi dans les jolis noms dont les usagers et ses administrateurs l’ont dotée. Bécane, clou, biclou, petite reine. » p16. « Personne ne devrait négliger la part de la pneuma et de la psyché dans la pratique du vélo, en balade comme en course. Il faut du souffle et des poumons ; c’est le soufflet de la respiration et la pompe du cœur, et toute la mécanique du corps qui prend l’air et transforme la matière en énergie. On fait avec la psyché et on ne fait jamais sans elle ; quelle qu’en soit la part biologique, elle n’est pas seulement la force d’âme mais elle doit composer avec toutes nos faiblesses. » p69. « Il y a dans le temps du vélo quelque chose d’élastique et dans le roulement quelque chose du flottement, y compris dans l’attention que l’on porte aux choses. Être à vélo, c’est à la fois être à flot, être suspendu à ceci ou cela et être doué d’une certaine liberté de mouvement. » p75. Lorsque BC parle d’élasticité, je pense qu’il fait référence aux mouvements répétitifs des jambes sur les pédales. Puis l’élasticité est en lien avec le rapport qu’a le cycliste à l’horizon. Et de sa relation aux temps. « Etre à flot » c’est se laisser guider par ce que le cycliste voit, perçoit. Comme un bateau en mer guidé par les éléments. Puis le cycliste a une liberté de déplacement dans le sens où il n’est pas contraint par son moyen de déplacement. Il est très mobile et réceptif à l’environnement qui l’entoure. « Une échappée, c’est aussi un espace qui laisse voir quelque chose, c’est-à-dire un fragment de paysage, un espace ouvert, voire l’horizon. Le vélo ou la bicyclette représentent alors un poste d’observation idéal. » p79. « À vélo, c’est la roue qui est libre. Elle est fixée à la roue arrière et permet de choisir le développement adéquat. Ma liberté est alors de tirer en force ou de mouliner. Mais c’est davantage la route qui l’est, libre, ouverte, non pas la simple possibilité de prendre à droite ou à gauche au premier croisement, mais comme horizon. Elle fonde la liberté en acte. » p120.

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Annexe 9 : Fiche de lecture Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance de Abram Joseph. Abram, Joseph. Claude Genzling, corps, matière, géométrie : le dessin de la performance, Metz, École des Beaux-Arts de Metz, 1997, 175 p. L’auteur : Joseph Abram (JA) est né au Caire en 1951, il est architecte et historien. Il est professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Nancy et chercheur au Laboratoire d’histoire de l’architecture contemporaine où il a mené différents travaux sur l’architecture du XXe siècle, en particulier sur la tradition rationaliste en France, sur les rapports peinture / architecture, sur le renouvellement des pratiques après la Seconde Guerre mondiale et sur les systèmes constructifs des années 1970. Il a enseigné à l’École des beaux-arts de Metz et à l’Institut d’architecture de Genève, et participé, pendant dix ans, au comité de rédaction de la revue Face (Genève). Il a été membre du conseil scientifique de l’Institut national polytechnique de Lorraine où il a dirigé, de 1993 à 2001, un diplôme de 3e cycle intitulé « Les pratiques européennes de l’architecture ». La structure du livre : Le livre comprend des textes de l’explication de l’exposition sur Claude Genzling réalisés à l’école des beaux-arts de Metz. Albert A. Longo (AL) et Pierre Sansot (PS) ont tous deux écrit des chapitres de ce livre ainsi que l’artiste lui-même. Le sujet / thèmes abordés / questionnements Plusieurs chapitres m’ont intéressé : « Itinéraire d’un géomètre – L’esthétique de l’intelligence » de JA. Ce chapitre explique la vie de Claude Genzling, sa vie d’artiste proche des mathématiques et de la géométrie et de sa fascination pour la mesure, ainsi que ces diverses études notamment à l’école des beaux-arts de Metz et en architecture à Paris. Il a eu une passion pour la pratique du cycliste assez tard et s’est concentré sur cela pour le reste de sa carrière. Ce chapitre m’a permis de comprendre qui est l’artiste et comment il s’est construit. Le chapitre intitulé « espace et inconscient – Symbolisme et bicyclette » de Claude Genzling. Dans ce chapitre Claude Genzling parle du symbolisme de la bicyclette, cette notion n’est pas intéressante pour moi. Cependant il parle de son rapport à la bicyclette et au paysage. P42 il parle des roues comme symbole du monde car elles ont une rotation permanente et font référence au soleil, la terre et la lune. De plus, « D’elles naissent l’espace et toutes les divisions du temps » Notion que je trouve en rapport avec la recherche. La roue permet de mieux comprendre l’espace lors de la pratique. L’espace se dévoile sous elle ? et la notion de temporalité au pluriel (« les divisions du temps ») montre qu’il y a plusieurs temps lors de la pratique. P42 Selon CG, il y a la notion de mouvement et d’immobilité lors de la pratique. « La particularité du vélo est que le haut du corps est statique et que le bas en perpétuel mouvement. » Selon lui, l’alliance des 2 permet une concentration intérieure (ce n’est pas dans ces moments-là justement qu’émerge une autre temporalité ? = en lien avec les souvenirs de Bernard Chambaz et de ses premiers tours en vélo qui lui sont remémorés lorsqu’il a pratiqué.). Selon moi, la notion d’immobilité est à nuancer. Car le haut du corps n’est jamais immobile. La tête bouge afin de regarder l’espace, la nuque permet ces mouvements. P42 : Selon CG, le cycliste ne touche jamais le sol pourtant c’est le seul mode qui a recourt à la puissance musculaire afin de fonctionner. = N’est-ce pas grâce au fait que le cycliste ne touche pas le sol qu’il a cette notion de glisse ? notion que j’ai ressenti sur mon site. Ce n’est pas en plus en lien avec les revêtements de sols ? Cependant, le cycliste touche parfois le sol, lors d’un arrêt au feu rouge par exemple. Et il est en contact avec le sol par l’intermédiaire des roues, ainsi le sens du toucher est tout de même actif. Lorsque le cycliste roule sur un sol rugueux, il ressent cette irrégularité. P44 Selon lui, « la ville redevient ludique, au niveau même de la succession rapide de ses espaces, quand on y pratique le cyclisme… » Veut-il dire que le cyclisme est un moyen de découvrir la ville ? Quelle est sa définition de « ludique » ? Mais lorsqu’il parle de « succession rapide de ses espaces » cela est en lien avec la notion de mouvement et du regard. (Voir Odile Rouquet (pas encore étudié)) Dans le chapitre « Un autre regard : à défaut de cet absolu qui se dérobe à l’homme… » de Pierre Sansot. Pierre Sansot p53 nous parle d’une nageuse en harmonie avec la piscine. « il se produit un entrelacement amoureux, sensuel, de la nageuse et de la piscine qui rend caduque la distinction du naturel et de l’artificiel. Nous sommes en présence d’un paysage » La nageuse, de par sa passion et sa pratique fabrique le paysage. N’est-il pas le même pour le cycliste ? le cycliste ne crée-t-il pas le paysage en le pratiquant ? Mots clés : Bicyclette / ville / roue / mouvement / immobilité / temps /

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Liens avec d’autres auteurs Lien avec Bernard Chambaz, Odile Rouquet sur les notions de temporalité et de regard. Citations : « Comment le cycliste met-il sa machine en mouvement, sinon à nouveau par une rotation, celle des pieds, entretenue par le mouvement alternatif des jambes » p42 « Le cycliste réalise aussi la synthèse entre le mouvement et l’immobilité, dans la mesure où son buste est statique et où ses jambes tournent sans discontinuer. Or l’alliance de la contemplation, exprimée par l’immobilité relative du buste, et de l’activité musculaire, mise en œuvre par le pédalage, engendre des effets très puissants sur la concentration intérieure, c’est, en tout cas, ainsi que j’ai vécu mon expérience cycliste, même en compétition. Les jambes moulinent, la tête contemple. » p42 « Le paradoxe du cycliste, c’est que ses pieds ne prennent pas appuis sur le sol, et que, pourtant, il se déplace le plus vite qu’il soit possible à un être humain de le faire par le secours de ses seules données musculaires. » p42 « La ville redevient ludique, au niveau même de la succession rapide de ses espaces, quand on y pratique le cyclisme » p44 « il se produit un entrelacement amoureux, sensuel, de la nageuse et de la piscine qui rend caduque la distinction du naturel et de l’artificiel. Nous sommes en présence d’un paysage » p 53

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Annexe 10 : Fiche de lecture Les pieds à la tête la tête aux pieds de Odile Rouquet Rouquet, Odile. Les pieds à la tête la tête aux pieds, Paris, Recherche en mouvement, 1991, 155p. L’auteur : Odile Rouquet est danseuse, chorégraphe et professeure d’analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement danse au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP). En 1977, elle reçoit une bourse Fulbright pour partir à New York, étudier la pédagogie de la danse à Columbia University, Teachers College, où elle obtient un Master of Arts of Dance Education. Elle y rencontre Irene Dowd qui la forme à « l’Ideokinesis ». À la demande du Ministère de la Culture et du Ministère des Affaires étrangères, elle fait une étude sur « L’organisation et le financement des études de danse aux Etats Unis. » À son retour en France, elle danse des solos chorégraphiés par Agnès Denis, Suzon Holzer et Agnès Delume, puis se tourne vers sa propre recherche chorégraphique en créant en 1988 Histoire d’O.R. en 1989, Arc-en-ciel à quatre voix, et en 1990 Poids de senteur à L’Opéra de Paris pour Wilfride Piollet et Jean Guizerix. Lors de la mise en place du DE de danse, elle est sollicitée par F. Dupuy pour intégrer l’Analyse Fonctionnelle du Corps dans le Mouvement Dansé (AFCMD) à la formation des professeurs de danse. Dans son enseignement, elle s’intéresse à « l’élan postural » qui émane des différentes « organisations » corporelles et aux changements de perception qui les accompagnent. C’est une approche sur la singularité de l’expressivité et du style de danse. Elle crée en 1986 l’association Recherche en Mouvement (www.rechercheenmouvement.org) pour faire connaître les techniques d’analyse du mouvement aux artistes. La structure du livre : Le livre est découpé en 9 chapitres dont le premier fait office d’introduction. 1 : La kinésiologie au service de la danse. 4 pages 2 : Ouvrir le dos. 20 pages 3 : Des pieds à la tête. 14 pages 4 : Avoir les yeux en face des trous. 15 pages 5 : Avoir la tête sur les épaules. 18 pages 6 : Laisser tomber le sacrum.17 pages 7 : Avoir des ailes aux pieds. 21 pages 8 : Avoir le cœur dans la main. 16 pages 9 : Tiens-toi droit. 17 pages. L’ouvrage comprend une bibliographie Le sujet / thèmes abordés / questionnements Plusieurs chapitres m’ont intéressé : « Avoir les yeux en face des trous » Via l’analyse de la danse, OR (Odile Rouquet) étudie le mouvement du corps dans l’espace et s’interroge sur les sens, notamment la vue. P46 : « le mouvement des yeux démarre le mouvement de la tête » Lors d’un mouvement en danse, les yeux activent le mouvement de la nuque, puis du tronc et des membres. Ainsi lors d’un mouvement « même si on ne regarde rien attentivement, l’œil continue à voir » p48. Selon OR pour se déplacer dans un espace, l’espace environnant sert de référence et non le corps. A vélo, l’espace environnant sert-il de référence ou de repère ? C’est le regard périphérique qui entre dans cette compréhension de l’espace. P53, OR explique la différence entre la vision fovéale et périphérique. La vision fovéale permet la reconnaissance fine d’un objet sans sa position spatiale alors que la vision périphérique permet la localisation d’objet dans leurs contextes spatiaux. Ainsi lors d’un mouvement, la vision périphérique permet de comprendre ce qu’il y a autour de nous. La vision périphérique en danse permet d’« ouvrir l’espace » P54, OR explique qu’une vision peut être plus utilisée que la seconde et vice versa. Ainsi si je mets l’accent sur la vision fovéale et que je regarde fixement un objet lors d’un mouvement, je vois l’environnement bouger. Je pense que cette configuration correspond à la vision du cycliste sur un VTT car son regard est plus orienté vers son guidon et non le paysage. Alors que si je mets l’accent sur la vision périphérique, l’environnement restera stable et c’est moi qui bougerai. En définitive, je pense que cette configuration s’applique plus au vélo de ville et V’Lille. Si c’est moi qui bouge, cela a-t-il un lien avec les sensations ? « Avoir la tête sur les épaules et dans le ciel » P60. OR explique que l’homme à la différence des animaux, se tient verticalement. Mais il est aussi instable. C’est cette instabilité qui le définit car selon elle, « L’instabilité définit l’homme comme dynamique et non statique. L’homme maintient son équilibre dans le temps et l’espace en s’ajustant aux différentes forces qui s’exercent sur lui ». L’homme en mouvement est donc toujours en équilibre et il s’adapte à son environnement extérieur. P62. OR explique que la tête contrôle tout le corps car elle est en haut de « l’édifice ». Et surtout que la tête influence le corps. Cela pourrait être en lien avec le rapport du cycliste au paysage ? Si la tête voit, regarde, analyse… est-ce en lien

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avec la posture sur le vélo ? Mots clés : Mouvement / sens / regard / environnement / vison fovéale et périphérique / corps / position Liens avec d’autres auteurs Liens avec Bernard Chambaz et les sens. Lien avec Claude Genzling sur le mouvement du corps. Citations : « Quand on se déplace, on marche, on court et même si on ne regarde rien attentivement, l’œil continue à voir. Pour bouger, une façon de s’orienter est de se référer à l’espace environnant. Il faut donc prendre en considération l’environnement tout en n’accrochant le regard à aucun point déterminé. » p 48. « cette vision périphérique est très importante car elle permet la localisation des objets et l’orientation spatiale, tandis que la vision fovéale permet la reconnaissance fine des objets, mais indépendamment de leur position spatiale. Quand on conduit, on utilise cette double vision, la fovéale pour voir en détail le tracé de la route, le périphérique pour porter attention sur ce qui se passe autour : croisement, voiture, piétons, etc. » p 53. « si je mets l’accent sur la vison fovéale, je vois l’environnement bouger, et si je mets l’accent sur la vison périphérique, l’environnement reste stable et c’est moi qui bouge. » P 54. « Quand l’environnement est pris comme référence, et non plus le corps, le besoin ne se fait plus sentir de faire venir ou d’aller vers, mais prend place un laisser-faire, un laisser-venir à soi, une orientation véritable qui permet de se laisser guider par l’environnement. » p 55. « L’instabilité définit l’homme comme dynamique et non statique. L’homme maintient son équilibre dans le temps et l’espace en s’ajustant aux différentes forces qui s’exercent sur lui » p 60. « La tête par sa position au sommet de l’édifice influence ainsi toutes les lignes gravitationnelles du corps. » p 62.

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Annexe 11 : Fiche identités vélo Fiche identité Vélo de ville personnel

Source : Photo personnelle

Source : Photo Florian Ducrocq

Type de vélo :

Vélo de ville Kalkhoff

Type de cadre :

Cadre en Aluminium - Trapèze (cadre bas)

Type de guidon

Guidon réglable – positionné en hauteur

Poids du vélo :

16 kg

Type de selle :

Selle non originelle au vélo – selle molle Décathlon de vélo de ville

Type de poignées :

Poignées dites ergonomiques – fines

Type de pneu :

Pneu anti crevaison de vélo de ville

Hauteur de selle par rapport au sol :

0,99m

Hauteur du regard sur le vélo par rapport au sol :

1,60m

Angle d’inclinaison du corps sur le vélo :

168°

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Fiche identité VTT personnel

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Source : Photo personnelle

Source : Photo Florian Ducrocq

Type de vélo :

VTT LAPIERRE

Type de cadre :

Cadre en Aluminium – cadre haut

Type de guidon

Guidon VTT

Poids du vélo :

12 - 13 kg

Type de selle :

Selle non originelle au vélo – selle vélo de ville Kalkhoff

Type de poignées :

Poignées fines et cornes

Type de pneu :

Pneu large VTT

Hauteur de selle par rapport au sol :

0,95m

Hauteur du regard sur le vélo par rapport au sol :

1,44m

Angle d’inclinaison du corps sur le vélo :

148°


Fiche identité V’Lille

Source : MEL.fr

Source : Photo Florian Ducrocq

Type de vélo :

Vélo libre service

Type de cadre :

Cadre renforcé – wave (cadre bas)

Type de guidon

Guidon positionné en hauteur

Poids du vélo :

24 kg

Type de selle :

Selle Décathlon de vélo de ville extra molle – réglable

Type de poignées :

Poignées dites ergonomiques – épaisses

Type de pneu :

Pneu plein anti crevaison de vélo de ville

Hauteur de selle par rapport au sol :

0,93m

Hauteur du regard sur le vélo par rapport au sol :

1,62m

Angle d’inclinaison du corps sur le vélo :

170°

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Annexe 12 : Analyse historique du terrain d’étude

Le terrain d’étude est le Boulevard de Strasbourg, le Boulevard d’Alsace et Boulevard de Belfort. Ces boulevards se situent au sud de Lille intra-muros. Ils longent le Boulevard périphérique (Autoroute A25) au sud.

Situation du terrain d’étude sur la ville de LILLE - Source : Géoportail.fr

Au XIXème siècle

Extrait du plan de la ville de Lille en 1869 – Source : ATLAS HISTORIQUE DE LA MÉTROPOLE LILLOISE.

La naissance des Boulevards de Strasbourg, d’Alsace et de Belfort (situés à l’extrême sud sur l’extrait de plan de la ville de Lille en 1869) est relativement ressente. Suite à l’annexion des villes de Wazemmes, Moulins et Esquermes en 1860, la ville de Lille s’est agrandie. Le sud de Lille s’urbanise afin de satisfaire un besoin d’activités industrielles en expansions. L’ancienne enceinte ne suffisait plus à contenir les besoins croissant de la ville. C’est ainsi que la municipalité réagit en démantelant les 480 ha de fortifications afin de les reporter au-delà des communes annexées. Au sud des Boulevards de Strasbourg, d’Alsace et de Belfort actuels.

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Au XXème siècle

Carte avant projet du plan de reconstruction de la ville de Lille après 1918 – Source : ATLAS HISTORIQUE DE LA MÉTROPOLE LILLOISE.

Avant la première guerre mondiale, les fortifications constituaient une véritable rupture entre Lille et son faubourg. Après la première guerre mondiale, la ville de Lille souhaitait le démantèlement des fortifications ainsi que la construction d’une gare ferroviaire le long du Boulevard de Strasbourg, entre la porte des Postes et la Porte d’Arras

La porte d’Arras en 1908 avant démolition Source : www. collection-jfm.fr

A partir de 1921, l’architecte Emile Dubuisson dessine puis fait investir entre la Porte d’Arras et la Porte de Valenciennes une série d’équipements à vocation scolaire (école, université) et sociaux. C’est ainsi que le jardin botanique est créé au niveau de la porte d’Arras. Théo Leveau, poursuit le travail amorcé par Emile Dubuisson. Il crée donc une nouvelle voie de circulation au gabarit de boulevard et fait construire le Lycée Baggio dans les mêmes échelles.

Dans les années 1950 – 1960

Construction de barres d’immeubles à la Porte des Postes et Porte d’Arras – Source : geoprtail.fr

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Dans les années 50 et 60, la population ne cesse de grandir à Lille, un besoin de logement se fait donc ressentir. La ville impose donc un rythme de construction d’habitat dans le sud de la ville. De nombreux bâtiments industriels ayant disparus, de nouvelles barres d’immeubles de grande ampleur prennent place entre Porte des Postes et Porte d’Arras.

Dans les années 1970

L’autoroute entre Porte des Postes et Porte d’Arras – Source : geoprtail.fr

Dans les années 1970, l’Etat engage les travaux de cette infrastructure routière de grande envergure. En 1975, l’autoroute A25 est terminée. Cette autoroute à obligée la création de 4 ponts afin de relier Lille intramuros au quartier sud et à son faubourg. 1 à Porte des Postes, 2 à Porte d’Arras et 1 à Porte de Douai. C’est à partir de cette période que le déséquilibre entre Lille et son faubourg se fait ressentir. L’autoroute à créé une véritable fracture urbaine.

Dans les années 1980 - 1990 En 1989, la seconde ligne de métro voit le jour à Lille dans un premier temps de Lomme jusqu’à la gare Lille Flandres. Cette seconde ligne suit le tracé des Boulevards d’Alsace et de Belfort en viaduc puis termine en souterrain sur le Boulevard de Strasbourg. Les boulevards sont ainsi repensés à cette époque et des bandes cyclables sont aménagées sur l’ensemble du tracé. Les stations de Métro « Porte des Postes » en souterrain, « Porte d’Arras », « Porte de Douai » et « Porte de Valenciennes » sont ainsi créées. De plus, deux espaces bus sont aménagés aux pieds des stations Porte d’Arras et Porte de Douai. Dans les années 2000 jusqu’à aujourd’hui Depuis 2005, la ville de Lille organise chaque été un événement culturel attendu : Lille plage. Des bassins, une plage, ainsi que des jeux pour enfants sont installés chaque année le long du Boulevard de Strasbourg. Cet événement oblige à réorganiser la circulation automobile du boulevard : une voie est fermée à la circulation et la seconde devient un double sens. En 2006, la ZAC de la Porte de Valenciennes est créée. De nombreuses déconstructions sont opérées afin de repenser l’espace public. La ville souhaite offrir un nouveau visage à ce quartier. 1000 logements sont attendus à terme. Les espaces publics eux sont déjà réalisés notamment aux abords de la station de métro « Porte de Valenciennes ». La ZAC est encore aujourd’hui en travaux.

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La Porte de Valenciennes en 2005 avant la création de la ZAC. – Source : SPL EURALILLE.

La barre Marcel Bertrand à la Porte d’Arras est aujourd’hui vidée de ses habitants. La ville souhaite sa déconstruction dans le courant de l’année 2018. De plus, des travaux d’accessibilités cyclables sont en études pour la Porte d’Arras afin offrir une sécurité accrue aux piétons et cyclistes lors de l’enjambement de l’autoroute A25 et de la voie ferrée. Ces travaux entrent dans la réflexion de la Porte d’Arras. Des travaux sont en cours sur la partie sud de la Porte. Cette carte ci-dessous réalisée par la Métropole Européenne de Lille (MEL) à pour objectif de référencer l’ensemble des rues, boulevards, etc. ayant des infrastructures cyclables. Une bande cyclable est présente sur les Boulevards de Strasbourg, d’Alsace et de Belfort avec une interruption au rond de la Porte d’Arras et à la Porte de Douai dans le sens Porte des Postes à Porte de Valenciennes. Des bornes V’Lille sont présentes à chaque station de métro. Seule celle de Porte des Postes est à l’opposée du commencement de mon terrain.

Cyclabilité du terrain – Source : LaMELavélo MEL.fr

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