Eléments de réflexion

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FRANCK LOZAC'H

ÉLÉMENTS DE RÉFLEXION

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CHAPITRE PREMIER

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De l’Intelligence

Le parcours de l’esprit

L’Esprit s’assoie sur son néant. Ainsi il perçoit sa première conscience. C’est toutefois une perception de la Nature qu’il reçoit dans cet état. Il ne peut en être autrement, puisqu’il est un élément de cet ensemble. L’Esprit se construit pour aller de la satisfaction des nécessités de survie jusqu’à la compréhension de l'après-vie. Il se cristallise pour accéder aux besoins immédiats. C’est donc une volonté d’effort à la nature qui est ainsi accompli. Il en est d’ailleurs de toute espèce, de toute diversité animale

ou

végétale.

Une

conscience

de

situations,

d’apprentissage, d’expérience en quelque sorte se forme. La conscience s’adapte aux obligations de la Nature. L’on voit ainsi que c’est elle qui domine, et impose son diktat de vie et de survie. Le travail du vivant sera de s’adapter, de transformer, et de combattre cet ennemi. Le monde est en guerre. Ce monde d’actions mécaniques traduit la force, la déchéance, la

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transmission de l’héritage génétique. Ceci n’est pas ma logique. C’est bien la loi de la Nature qui nous soumet à cette vérité. Il est à supposer que l’Esprit, qui est déjà une forme élaborée de la conscience, est parvenu à combattre ou maîtriser certains éléments de la Nature. L’Esprit avance avec sa logique, mais il arrive rapidement au bord du gouffre, de son propre gouffre de la vie, - c’est l’échéance de la mort. Comment peut-il comprendre, ou supposer comprendre la possibilité de vie après la mort ? Il le fera en utilisant les propriétés sensitives mises à sa disposition par son organisme. Il le fera car vivant en communauté, il essayera de comprendre la suite de la destinée de ses proches. Peut-on prétendre que certains organismes, plus sensibles que d’autres, possèdent l’aptitude de percevoir un semblant de vie après la mort biologique ? Dans la logique de la pensée, le rationnel n’est pas toujours le plus sûr. C’est notre civilisation qui a établi le diktat de la science. Mais la compréhension du paranormal, c’est-à-dire de la suite après le gouffre s’opère par l’utilisation d’autres propriétés. Il n’y a pas que le rationnel qui soit réel. Le paranormal est du réel, mais perceptible en utilisant d’autres propriétés des sens. La capacité répétitive de la physique réduit au mépris et à 4


l’insignifiant cette partie de la nature dont l’expérience ne peut être constamment reproduite. L’esprit poursuit donc son chemin logique pour accéder à une métaphysique. Cet élan vers un Principe absolu nécessite la séparation du corps d’avec l’esprit. Ainsi il faut voler, voler pour franchir le gouffre, et c’est déjà pénétrer dans l’histoire de la Religion. L’homme applique cette méthode. Certains pourtant prétendent qu’après le gouffre, il n’y a rien, et s’en retournent à leur propre néant. Faut-il parier ? Est-ce un pari d’ailleurs ? Ou est-ce une perception seulement accessible à une élite ?

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De la logique

La pensée apparaît comme étant un petit accident de l’intelligence, une sorte de minuscule collision où s’associent et s’opposent des concepts, des images, des symboles et du langage. L’ensemble combiné engendre une pensée qui est le plus souvent une réflexion, ou du moins une action intérieure. Abstraite et volatile, rationnelle et concrète, sa définition épouse toutes les formes autorisées par la capacité créatrice de l’intelligence. Il semble difficile de prétendre savoir s’il est plus logique de faire apparaître des schémas simplifiés et ordonnés, ou des concepts impénétrables et délétères. La raison conseille d’aller du plus simple au plus compliqué, donc d’organiser sa création d’actions par des propositions élémentaires puis de les surcharger par des principes supérieurs à l’entendement. Qu’en est-il de la vérité ? Des doctrines et des thèses s’opposent. On dirait que chacune d’entre elles définit une méthode d’exploitation et d’expérimentation sans pour autant posséder toutes les définitions de l’autre. L’ensemble des méthodes offertes semble posséder la vérité, mais chaque partie séparée ne permet pas de tirer une analyse globale satisfaisante. L’arbitre conseillerait de prendre 6


chaque ensemble sans pour autant décider d’un choix ou d’un prélèvement judicieux. Un principe risque d’exclure les autres principes, et si tous possèdent un peu de vrai, l’on ne peut choisir, et il faut tous les prendre.

Le lecteur avisé prétendra que c’est aller dans beaucoup d’endroits à la fois, et que l’on se trouve ainsi entraîné dans une étonnante aventure de l’esprit. Que l’intelligence le veuille ou non, la raison s’arrête pour juger et décide d’un choix, car la capacité humaine d’absorption ne peut, faut de mémoire et de moyens, maîtriser l’ensemble des procédés mis à sa disposition. Les méthodes ou les principes employés pour ordonner cette aptitude de l’intelligence ne sont pas constamment opposés. Ils offrent parfois des similitudes d’actions quand bien même ils sembleraient pénétrer des voies différentes. Si la première perception semble abstraite ou éloignée de la logique, la finalité à atteindre est bien concrète et répond à une matérialisation quantifiable. Cette finalité semble bien éloignée de la première idée naïve qui apparaissait à la conscience. L’être trouvera la solution d’après sa perception interne ou en corrélation avec le monde extérieur.

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Tout d’abord, l’esprit s’entoure du néant, puis il avance et désire organiser un déplacement rationnel ou hasardeux. Il avance, regardant sur sa droite, sur sa gauche vers un avenir en utilisant un passé. Il tâtonne ou prétend aller fort vite, éclairé par une sorte de certitude. Ce matériel de l’intelligence s’élabore, se construit et se fortifie animé par les autres notions ou idées qui viennent le secourir. La logique alors construit avec la volonté d’aller de l’avant. La pensée ne fait-elle qu’avancer, ou parfois ne cherche-t-elle pas à tourner en cercle pour revenir à son point de départ, c’est-à-dire à son réflexe premier ?

La logique de penseur accomplit tout d’abord son effort pour satisfaire à une matérialité, puis elle satisfait le désir de l’être, et quand elle a satisfait ce désir, elle échappe à l’être pour accéder à l’essence supérieure, c’est-à-dire à une volonté métaphysique. Elle agit par ordre de nécessité allant du plus simple au plus abstrait. Ce n’est pas une chute simplifiée, ni une trajectoire calculable. La construction s’opère d’une idée à l’autre par le principe de ressemblance. L’énergie utilisée pour fabriquer le mouvement permet à l’intelligence de se déplacer.

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Accéder à la pensée finale, c’est-à-dire à l’essence de la métaphysique est d’une importance capitale pour le devenir de l’homme. Élaborer, échafauder une construction de l’homme vers le haut permet de spéculer sur les idées éternelles. C’est donc en étudiant le mécanisme du fonctionnement de la logique, en déterminant le parcours qu’elle nous permettra d’accomplir, c’est-à-dire la suite de ces actions rationnelles et abstraites, que nous parviendrons à accéder à une philosophie de la nature. Il nous faudra avancer en décomposant de manière logique, donc avec un système de simplification pour comprendre la nature dans sa diversité.

La pensée doit avancer, subirait-elle des heurts, des résistances ou des volontés de retournements sur soi-même. Elle doit avancer, accompagnée de sa propre négation, car lui faut comprendre. Ne faut-il pas essayer d’accéder au pur commencement, à la pensée première quand bien même il s’agirait encore d’un travail abstrait. Mais de toujours se déplacer selon un ordre, sans vouloir toutefois épuiser toutes les possibilités, ce qui serait un jeu éreintant pour l’esprit ? Difficile pourtant d’aborder ici le 9


problème de la sélection ou du choix dans les actions à accomplir. L’ordre serait de découvrir le premier acte de logique, puis d’en expliquer le second. Ce premier acte ne pourrait trouver son origine dans la mémoire, c’est-à-dire dans le passé puisqu’avant ce premier acte de logique, il n’y avait rien. Il semble difficile d’avancer dans cette recherche de la logique sans y intégrer la valeur temporelle. L’avancée permanente de la raison qui progresse accompagnée de sa propre négation se développe sur l’étendue du temps. Mais je puis comprendre que pour des raisons évidentes de simplification, l’analyse s’effectue en dehors du paramètre temporel.

Après avoir dégagé une première réflexion concernant la logique, nous nous promettons de spéculer quelque peu sur l’être et sur l’essence. Nous verrons à quelle hauteur ou quelle profondeur la difficulté nous entraîne, et comme il semble utopique de vouloir échafauder quelque construction en ne possédant pas tous les éléments d’analyse véritables.

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L’intelligence humaine

L’intelligence humaine possède cette particularité de chercher constamment à défaire des questions qui reviennent sans cesse dans sa propre conscience. Sa volonté est de résoudre des problèmes posés par la nature, et d’y donner une réponse qui dépasse le plus souvent les limites de sa perception. Confrontée au difficile problème de l’adaptation à l’existence, par son savoir et son expérience, elle voudra dompter les éléments naturels pour tenter d’en devenir le maître. Intégrant de la pensée dans la matière, elle désire s’élever toujours plus haut

jusqu’à

la

compréhension

ultime

des

phénomènes

métaphysiques. Et c’est en transmettant son héritage intellectuel, de génération en génération, que la raison parviendra à progresser. C’est élan qui pousse l’homme vers l’avenir défera les contradictions et l’obscurantisme dans lesquels son essence d’être vivant semblait l’avoir laissé.

Il lui faudra aller au-delà des limites de sa capacité à percevoir. Il devra supposer au-delà du champ de l’expérience,

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n’ayant plus désormais par les moyens de sa perception la possibilité de vérifier ce qu’il avance. L’homme de science va croire sans voir, et s’en retournera ainsi à la conviction sensible de l’être spirituel qui a présupposé une possibilité de vie après la mort. Il est vrai que si l’outil qu’emploie l’homme de science apparaît plus subtil pour étayer ce qu’il avance, l’outil même virtuel est encore une fraction du réel, et cette simulation semble suffire.

L’analyste doit donc attacher une immense importance à toutes ces sortes de recherche dont l’objet est d’élever la nature humaine. Celui qui exprime du mépris ou de l’indifférence à l’égard de ces choses cachées affiche un sentiment coupable de blocage et d’intelligence limitée. L’on peut apprécier chez l’homme de science sa volonté profonde remplie d’objectivité et de droiture rationnelle, et cette objectivité-là offrira la possibilité à la civilisation de progresser.

Si le fondement est bien établi, si la discipline accède aux choses profondément enfouies, c’est encore toute la communauté 12


qui bénéficie de cette excellence. Et cette réputation de solidité et de vigueur mérite tous les éloges. Il est d’autres disciplines nourries de sensibilité, dont la nature subtile et délétère ne favorise aucunement la vérification des principes, - ceux-ci étant du domaine du variable et du modifiable. Il en est ainsi des arts dont les règles établies constamment sont déplacées par le génie de leurs exécuteurs.

Il y a enfin le monde spirituel constellé de points d’interrogation, légiféré par des structures de croyance qu’il semble le plus souvent difficile d’épouser. Celui-ci nécessite de l’entendement de coeur qui va au-delà de la raison ou de la vision de l’oeil. Il s’agit ici de percevoir par le soupçon, qui est encore une forme de sensibilité imperceptible et non renouvelable. C’est à chacun de lui accorder son propre examen d’après sa conviction intime. Il y aurait donc une critique à faire à l’égard de cette forme de connaissance qui peut se développer indépendamment de toute certitude quantifiable, quoique... les mystiques ne sont point hommes de confusion et leur intelligence est parfaite dans l’entendement du quotidien. 13


Intégrer une métaphysique dans son monde spirituel, cela est certes une bonne chose, mais il faut encore que les principes sur lesquels l’on établit cette vérité-là soient bien déterminés. Il faut parfois s’en référer à la compétence d’autrui, car ceci est gain de temps et certitude de bonne méthode, mais l’opinion du grand nombre peut le plus souvent être détestable. Il est des perceptions encore inexpliquées qui inquiètent l’élite mais sont rejetées avec virulence par la masse d’humains. Il est des connaissances dont l’entendement est incertain, dont les contours sont difficilement délimités. Leur base ne peut être fermement déterminée. De certitude, il n’en est point. Leur recherche est encore insoupçonnée, leurs règles inconnues. Et c’est en exploitant l’intuition de l’homme que l’on parvient à extraire les premières parcelles de vérités. Pourtant l’opinion d’autrui fondée sur des entendements solides, transmise de générations en générations est d’une certitude autorisée. Faut-il tout reconsidérer, et vérifier par soimême ce que les pères ont intelligemment démontré ? La capacité temporelle mise à la disposition de l’homme lui impose d’aller outre, d’y gagner en vitesse et de refuser les tâtonnements. 14


Pour ce qui est de l’hypothèse - j’accorde à dire qu’elle est l’une des “caractéristiques” de la personnalité humaine la plus audacieuse et la plus intéressante. Elle projette l’homme vers le devenir par la spéculation, par son risque et son résultat. Elle est l’aventure de l’esprit, elle se nourrit d’énergie pour explorer, chercher et parfois découvrir.

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L’idée

L’idée est le pur concept, inadapté encore, ne possédant aucune mise en forme. Elle n’est qu’une perception délétère, inorganisée, elle est indice d’or, donc parcelles lumineuses dans un magma de boue. Elle ne possède pas toujours de certitude de vérité. L’or du pauvre est bien la pyrite, et beaucoup se sont laissés tromper. On doit davantage l’employer dans le sens de : “perception inconnue”, de rareté, d’unicité. L’idée n’appartient pas à un ensemble. Elle ne peut jaillir que d’un seul cerveau. L’idée n’est pas une opinion. On ne peut pas avoir une idée concernant un tableau ou une œuvre d’art. Il s’agit ici d’une réflexion critique que tout un chacun peut exprimer. Il n’y a pas nouveauté, détermination inconnue. Le but de l’idée est de devenir, devenir concept à forme rationnelle, palpable et quantifiable. On doit en faire un usage. Il y a donc l’idée et son but. Entre les deux s’expriment l’exécution, la mise en forme, l’exploitation, tout le travail de l’adaptation jusqu’à la finalité à obtenir. L’idée doit donc se construire dans le 16


rationnel, et c’est seulement à cette condition qu’elle pénétrera l’espace de l’objectivité.

Mais cette objectivité peut tout aussi bien revêtir une valeur personnelle. IL faut encore que la perception extérieure d’autrui s’accorde avec l’idée réalisée par le concepteur. L’habillage de l’idée, sa mise en forme en quelque sorte doit posséder bien du talent, c’est-à-dire des valeurs reconnues pour que l’idée nouvelle puisse être assimilée et comprise.

L’idée se confond avec la pensée. Si la pensée a une connotation à tendance philosophique, c’est-à-dire intégrant des concepts de l’entendement, à forme représentative, l’idée doit déboucher sur un concept rationnel scientifique ou technique, épousant le signifiant aussi du service. L’Idée prétend donc posséder le Vrai en soi, et elle va tenter dans l’exécution de son travail de finaliser sa certitude. C’est pourquoi le devenir est un paramètre indispensable qui s’associe à la vérité de l’Idée. Il faut aller dans l’au-delà, dans le futur proche, et ainsi prouver que l’Idée possédait du Vrai. Il n’est

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pas toujours utile de concrétiser cette action pour détenir l’intime conviction que ce que l’on suppose pénètre le Vrai.

La certitude subjective mais intime doit coïncider avec la certitude objective d’autrui, ainsi l’Idée devient-elle réelle. L’Idée qui germe pour pénétrer l’espace objectif doit constamment subir des modifications pour s’adapter, pour se construire et se conformer à la certitude d’autrui. Il est vrai que la finalité ne possède nul objet qui soit conforme à l’essence de l’Idée. Évidemment ! Puisque l’Idée subit des modifications pour pénétrer dans le Concret. La finalité de l’Idée jamais ne pourra prétendre répondre à son concept initial. La lente élaboration de sa forme première a modifié de manière significative son concept d’origine. L’idée ne s’oppose donc pas à sa réalisation, mais elle n’est plus ce qu’elle semblait supposer être. L’idée de la maquette ne peut être comparée au prototype, - grande est la distance qui la sépare de cette finalité-là. L’idée ne peut s’épanouir que dans le réel, et dans cet espace-là, elle doit s’analyser avec objectivité pour savoir si son essence est conforme à l’application de son concept.

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L’Intelligence accède à une forme de Vérité, quand l’Idée se finalise dans une réalisation. J’écris bien une forme de Vérité, car elle peut tout aussi bien revêtir une valeur personnelle et non pas universelle. Il y a donc intégration d’autres éléments permettant à l’idée de se finaliser. Cette obtention du résultat n’engendre pas toujours une détermination satisfaisante. Le concept dans sa pure spéculation permettait d’obtenir un objet ou d’envisager une finalité différente. L’Idée ne revêt qu’une détermination limitée, son contenu est imperceptible, - en vérité, il n’est qu’un réel virtuel, sans puissance d’existence. L’idée n’existe pas dans la réalité. Elle n’est que la conscience subjective et ne peut se réaliser que dans l’objectivité. Si l’idée se suffit d’elle-même, si elle conserve cet état initial de pureté, si elle ne peut vérifier avec exactitude ce qu’elle suppose, sa pensée reste abstraite. L’idée doit poursuivre à travers la vérification et le champ d’expériences la véracité de ce qu’elle prétend. Il s’agit encore d’accéder à une forme d’enrichissement, de développement après la germination initiale. Si le concept demeure, son apparence a subi des transformations. Cette succession d’expériences fortifie l’idée principale. Et c’est bien un processus 19


d’élaboration et de progrès qui a permis cette évolution sur le concept initial. Il y a donc transformation considérable, et l’offre basée ne peut plus être connue dans le résultat obtenu. Mais est-ce le concept qui a subi une évolution, ou n’est-ce pas le travail de l’homme qui a conduit au changement ?

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Détester le doute

La vérité est la pensée, par excellence, de l’esprit. Sans la vérité, les connaissances seraient bien hasardeuses, toute construction s’écroulerait. J’entends toutes les connaissances, celles qui se prévalent d’être les mieux pensées dans leur valeur fondamentale. Aller dans la certitude, sans erreur, sans l’imperceptible doute, c’est avancer à coup sûr, sans risque de revenir à son point de départ. C’est prétendre que l’on ne peut se tromper. Je sais, cela paraît difficile et pourtant...

Car le doute est détestable. Il nous fait violence, il est l’alarme qui constamment fonctionne. Il nous enduit en faiblesse, il est une retenue de temps, il impose une vérification. Pourtant nous sommes dans l’obligation de douter, car la raison se plaît à examiner. C’est une sorte de réflexe qui constamment accompagne son action.

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On nous dit qu’il faut croire sans voir. Je prétends qu’il faut se faire voyant, comprendre l’au-delà quand bien même cela nécessiterait des perceptions paranormales.

Il faut donc croire en ouvrant les yeux et tenter de percevoir la vérité. Et cette vérité-là est délétère, impalpable, difficilement quantifiable avec les instruments de la rigueur.

Mais tout croire est folie. Nous voilà confrontés à une sorte de magma incompréhensible où semblent jaillir çà et là quelques taches de couleur un peu mieux discernables. Le privilège serait d’aller plus loin que la pensée, et son mécanisme. Il serait d’atteindre immédiatement la réponse juste, en ligne droite, pour accomplir le moins de chemin possible, c’est-à-dire agir avec l’effort minimum. C’est encore une question de croyance, car il s’agit de croire en soi, avec la certitude, sans opinion, sans balancement. C’est la foi en l’homme, en l’esprit qui s’y cache ou y vit. À savoir si cette foi-là sauve l’homme. Il est à craindre que beaucoup se soient perdus.

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Penser, c’est vérifier

Penser, c’est vérifier. Ce qui signifierait qu’une organisation cérébrale déjà a été construite. L’action de l’intelligence consisterait à confirmer ce qui a été proposé à la conscience. Mais ce n’est peut-être qu’une apparence. Penser, ce n’est pas toujours dire non. Il peut y avoir volonté de remplissage, de recevoir des informations inconnues et de les stocker dans la mémoire. L’esprit n’est pas toujours à consentir, à prendre sans douter. Il est dans une perspective de compréhension, d’intégration de l’information offerte. Sa raison cherchera à n’être pas trompée. Il ne doute pas de sa capacité à recevoir, il doute de l’information que l’on met à sa disposition. Il devrait douter de sa propre capacité à comprendre. Mais il croit en lui, et prétend posséder suffisamment d’avertisseur pour être bon juge. Chacun règne en son esprit et aime sa royauté, l’ignorant comme le savant. 23


Pourtant l’homme sait se dire non. Il dit non après analyse, après détermination du message perçu. Non à sa spéculation. Il ne peut pas toujours transformer le non en oui. Il y a blanc parfois. Quand la science s’abstient, il y a blanc. Elle sait que grande est son ignorance, et espère reculer son inaptitude à posséder la vérité. C’est le oui, c’est le non, c’est la vérification, c’est encore l’abstention. Avec ces comportements fondamentaux, la pensée prétend avancer.

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De juger

Il y a une intelligence qui pense de l’intérieur. Fidèle à exploiter les informations reçues, elle trie, choisit, décide et agit d’après cette déduction, ou d’après cette synthèse de perceptions. Elle n’est pas faite pour enseigner ou conseiller autrui. Elle n’est pas conçue pour aider l’autre. Non, elle cherche à se gouverner et propose des actions à accomplir d’après l’état des choses qui lui est suggéré. Cette capacité de l’intelligence ne sert pas à prévoir ou supposer. Elle n’a pas pour but d’aller dans l’avenir proche pour en tirer des comportements à appliquer dans le présent.

Est-ce une aptitude purement humaine ? Peut-on prétendre que l’animal est pourvu de cette qualité ? Difficile dans l’état actuel de nos connaissances de pouvoir l’assurer. Il s’agit du moins de juger - j’entends faire preuve de synthèse et tirer de cette synthèse un comportement satisfaisant. Il faut donc recevoir, accumuler des preuves et des certitudes, et en extraire une vérité. 25


Puis un autre que moi-même qui est pourtant proche de ma conscience exploitera cette décision pour décider d’un comportement. C’est ainsi que cela doit s’accomplir. Il est pourtant utile même pur un homme libre d’écouter la raison d’autrui, d’avancer dans la pensée avec les soutiens d’une personne tierce. Là où le flux de propos et de paroles abonde, la décision s’enrichit d’informations nouvelles.

Enfin la raison est de se bien gouverner, de manière autarcique, avec sa souveraineté. Oui, de la sorte, doit se comporter tout bon esprit, sans trop de concession mais avec une oreille ouverte pour le bon sens d’autrui...

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La quête de la vérité

La quête de la vérité au moyen de l’intelligence est la condition

première

de

toute

investigation

philosophique.

L’homme possède un Esprit et sa volonté spirituelle lui impose à comprendre les choses de la nature. S’il doit douter, c’est toutefois de la qualité et de l’efficacité que son intelligence met à sa disposition. Possède-t-il suffisamment de grandeur et de puissance pour accéder aux réponses qui lui soumet sa curiosité ? La nature complexe, à la pénétration difficile, que représente la connaissance de cet objet tendrait à faire croire que la réponse est négative. Mais il peut avancer à petits pas, et s’assurer ainsi que le chemin parcouru était voie de certitude. L’homme veut comprendre. Cela lui est utile pour vivre. Il lui faut chercher et découvrir. La philosophie comme sa soeur la science a besoin de posséder une représentation exacte des objets qui l’environnent. De ces formes et de leur existence, l’esprit construira un mode de perception et de représentation indispensable à sa pensée.

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Il y a donc travail de l’intelligence avec recherches, doutes, suppositions, et démonstrations. L’esprit n’hésite pas à se contredire, à user de l’opposition avec soi-même pour tenter de pénétrer. L’esprit brasse et spécule, il aime à s’engager dans son contraire. Par le jeu des oppositions, il veut extraire une solution satisfaisante lui permettant d’avancer dans sa quête de connaissances.

La pensée est immédiatement confrontée à une perception globale et simultanée des éléments qui l’environnent. Le travail de l’intelligence consistera à décomposer en sections simples ou complexes, en thèmes majeurs ces différents assemblages qui s’organisent dans une sorte d’ordre que l’on appelle Nature.

La pensée accède-t-elle immédiatement à une perception de l’Absolu que l’on pourrait identifier à un Principe Divin ? Sa volonté de chercher ne lui impose-t-elle pas d’abolir cette conception-là pour s’en retourner à une décomposition des éléments de la Nature ? La pensée se développe en s’enrichissant de ses propres expériences et de ses déterminations. Encore faut-il qu’au-delà de sa propre vérité, qui parfois peut être trompeur, encore faut-il que 28


ce qu’elle emmagasine pour construire son système soit matériel de certitude.

Ainsi la vérification par la raison, par les sens ou l’expérience

s’avère

indispensable

élaboration.

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pour

poursuivre

son


L’intelligence doute

L’intelligence constamment doute dans le choix de ses actions et dans le mécanisme de sa pensée. Et puisque c’est manquer de raison que de se précipiter avec toute sa foi dans le mouvement de l’existence, l’esprit sensé préfère s’abstenir ou du moins aller doucement pour ne point commettre d’erreurs. Mais le doute n’est pas toujours le plus sûr : il faut parfois quelques particules de folie, quelques volontés audacieuses pour faire avancer l’homme. L’intelligence a besoin de construire : il lui faut de l’énergie, de la prestance et encore du risque. Mais ces actions sont mesurées et c’est la certitude qui lui permet d’aller de l’avant. L’esprit insensé agit en premier et réfléchit par la suite sans se soucier des conséquences désastreuses qu’un tel comportement peut engendrer. Le doute est pourtant une résistance à l’action. Il remet constamment en cause le départ, et s’il avance quelque peu, c’est encore pour s’arrêter et regarder derrière soi. Est-ce jugement ? Est-ce raison ? L’esprit veut faire demi-tour, et recherche son point de départ. 30


Il s’agit de se bien gouverner, ou d’imiter les bons modèles pour être certain de la manière dont il faut se comporter. L’esprit du créateur, riche d’audaces et de folie, de certitudes à peine perceptibles se voit dans l’obligation d’imiter en cela l’insensé, et de poursuivre un chemin qu’il ne connaît guère, qu’il n’a jamais emprunté ou qui ne mène nulle part. Combien d’artistes ou de soi-disant génies se sont fourvoyés en pénétrant des espaces inconnus de tous et d’eux-mêmes, prétendant ouvrir de nouvelles portes et n’allaient en vérité sur rien ! L’on pourrait rétorquer que ceci est encore du capital-risque artistique, et qui ne tente rien n’a rien. Je ne suis sûr que d’une certitude - celle de mon ignorance. J’ai beau tenter d’apprendre et de savoir, je me sens infiniment vide comme un alvéole d’abeille dépourvu de miel. Et qu’aurai-je réellement appris à la fin de mon existence ? Que la jeunesse ne se garde et que la mort nous appelle bien vite. Était-ce donc cela que de vivre ?

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Idées et réflexions Il est assez difficile d’avoir des idées ; l’idée renferme la notion d’inédit, d’inconnu. Il faut donc que ce qui est exprimé ou rendu à autrui possède la propriété rare de l’imprévu. L’on détient plus facilement des réflexions qui sont propres à chacun, mais communes à tous, un peu mieux exprimées par les spécialistes et grossièrement rendues par les esprits simples. L’intelligence, par son travail, se propose d’assembler le tout, d’extraire des endroits jugés utiles et de délaisser les moyens précaires ou caducs. Il ne s’agit pas ici de mêler à l’emportepièce, sans fil ni trame. Car l’esprit, pour bien se conduire, doit avancer avec raison, accumulant les uns derrière les autres les preuves ou les justificatifs. La difficulté est de savoir douter, d’oser remettre en cause le matériel à exploiter, qui se prête de bonne grâce et semble prêt à l’emploi par la capacité loquace du débit. Il faut donc se méfier, et apprendre à avancer lentement. Partout où l’intelligence construit un procédé pour prouver, la critique, sa fille aiguisée, se cache là à l’entrée de la bouche, prête à intervenir pour faire cesser le babillage. 32


C’est pourquoi s’il surgit une grande idée, il la faut maîtriser avant que de la proposer à autrui. Il serait préférable de la malaxer, de la refaire, de la presser dans sa chambre ou dans son bureau, à l’écart de tous, sans cette détestable improvisation qui peut casser par son inexpérience les plus beaux élans. On ne peut guère être un inventeur d’idées. Le plus souvent nous exploitons des lectures, des références, des informations du quotidien pour extraire ou fusionner des concepts disparates. Les grandes créations sont rarement l’œuvre d’un seul homme. Elles découlent assez généralement d’un principe de synthèse, de condensation opérées par une intelligence qui ramasse les différentes mises. Nous ne faisons que perfectionner des systèmes déjà existants.

Le vingtième a connu essentiellement deux grandes découvertes : l’ordinateur et la télévision. Le dix-neuvième, plus inventif peut-être, a vu ses découvertes fondamentales subir des progrès techniques et technologiques considérables.

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Des ressources humaines

Peu d’hommes inventent et conçoivent. Peu d’hommes sont aptes à fixer leur intelligence sur un problème de sublimation artistique ou de création technique. Le génie solitaire a peu de chance de voir sa découverte reconnue. L’équipe de chercheurs bien menée peut voir son projet déboucher sur une application d’entreprise. Il semble évident qu’une réussite médicale sera hautement considérée par la communauté tandis qu’une œuvre poétique laissera dans une différence quasi-générale. Notre élite est de belle valeur. Pourquoi devrait-on s’en étonner

?

Les

structures

scolaires,

pédagogiques

et

professionnelles imposent une telle sélection, une telle aptitude à l’obéissance, que les cerveaux se musclent, se fortifient et deviennent de splendides petits soldats. Il n’y a ici de moquerie ; Il y a constatation que les structures d’accueil sont de qualité et permettent à l’intelligence supérieure de participer efficacement à l’évolution de la civilisation.

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Nous devons pourtant reconnaître qu’une obéissance zélée peut engendrer une corruption de l’intelligence, qui obséquieuse et soumise refusera d’aller au-delà de ce qu’elle peut obtenir. Un caractère élevé, vif et rempli d’espoirs, constamment arrêté par un système hiérarchique, usé et soumis, détruira sa propre capacité subliminale, obsédé par la crainte de l’argent. Il apprend à ruser, à truquer, trop soucieux de la rentabilité financière, c’est-à-dire du salaire. Il devient habile renard caressant à l’extrême, craignant de perdre sa place. Le salaire détruit la sublimation. Puis l’âge, l’usure du temps achève ce qu’il lui restait de capacité inventive. Voilà pourquoi la détection de la ressource humaine est un volet de l’exploitation de l’intelligence. Si elle ne s’accompagne de structures souples où la liberté créative évolue, si elle étouffe la capacité inventive dans un carcan de lois et de soumissions, jamais la potentialité humaine ne parviendra à s’épanouir pleinement, et cela serait grand dommage pour la civilisation.

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Les postulats

La philosophie ne possède aucun postulat. Nulle vérité n’est fondée. Le travail de l’intelligence consiste aussi à vérifier que ce qui est avancé par les Anciens possède quelque fondement de certitude. Elle n’a aucun diktat préétabli. Elle n’existe pas dans un système de réflexions définies, même si le principe de l’échafaudage philosophique réduit les conceptions, les idées, les objections etc... dans un espace limité. L’élaboration du système engendre un domaine de définitions. Consciemment

ou

inconsciemment le philosophe construit donc un rempart protecteur où il limite son entendement. Ses concepts ne sauraient être multiréférentiels. Cette raison évidente découle du fait que l’homme est une unité en soi. Le contenu ne saurait être déjà pensé : il provient d’une accumulation d’expériences, de lectures et de productions de réflexions. Le contenu peut être une ramification d’un courant de pensées déjà existant.

Le postulat mathématique, lui est déjà établi. On exige, on impose à l’intelligence de s’en référer immédiatement à l’obéissance des anciens, prétendant qu’il n’y a pas d’autres vérités que celles-là. L’exemple du repère est significatif. À l’état 36


de nature, la droite n’existe pas : tout est courbe, tout est circulaire - voyez une pomme, un atome, un satellite. L’ensemble est bien rond. Je prétends qu’il est quasiment impossible de trouver des exemples naturels de droite. Une arête de poisson est un segment de cercle - c’est un arc. Un os n’est jamais tout à fait droit. Un arbre ne pousse jamais tel un bâton sans se pencher un peu. On enseigne la droite, le repère orthonormé, le système unitaire. Et pourtant cet outil ne permet pas même de calculer le volume d’une sphère avec exactitude ! Or la nature est essentiellement composée de sphères... Alors qui croire ? La philosophie n’a donc pas de point de départ. Elle se conçoit dans son propre absolu - et telle est sa liberté.

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L’intuition

Quand l’homme commun s’en réfère à cette sorte de perception inexpliquée que l’on appelle intuition et prétend posséder une vérité à travers un système de valeurs délétères et floues, l’on peut en toute objectivité se demander s’il fait preuve d’aberration ou si, inconsciemment il n’a pas opéré un ensemble d’actions analytiques imperceptibles lui permettant toutefois de tirer une certitude ou sa certitude concernant le fait déterminé. Je prétends que celui qui juge d’après sa sensibilité épidermique agit en une fraction de secondes par esprit de synthèse, ayant mémorisé des situations, des renseignements, de l’expérience lui permettant de conclure à cela. Il y aurait donc conscience de l’individu, certitude immédiate fondée ou non sur un ensemble de déterminants à peine captables, mais en nombre suffisant pour tirer une information. S’il vient à partager avec autrui cette perception, la même référence d’analyse assez souvent tombe d’avis semblable. Cette vérité de l’immédiat sans fondement réel conscient peut paraître

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détestable, car dépourvue de raison et d’analyse. Cette vérité-là semble ne posséder aucune richesse constructible intellectuelle.

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La certitude de l’immédiat

Le contenu de la certitude de l’immédiat laisse apparaître une connaissance quasi imparfaite, exploitant une détermination réalisée dans un temps très court. Il n’y a pas spéculation, doute ou retenue. L’intelligence prétend posséder la vérité, sa vérité d’après une analyse macro, grossière et incertaine. Comment un esprit raisonné, pourvu de sens critique aiguisé peut-il se précipiter dans un choix épidermique, réactif, sans enchaînement rationnel ou logique aucun ? Car il a la possibilité d’offrir à sa critique une richesse d’informations issue de l’expérience. Cette vérité-là semble loin d’être vraie, et pourtant elle est référentielle pour un grand nombre d’options, de choix ou d’opinion. Elle n’a pourtant accompli aucune analyse méthodique de l’objet mais le prend dans son entier. Sa certitude est approximative, floue et abstraite.

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Dialectique négative

L’évolution scientifique s’opère essentiellement par la connaissance de la proposition négative. La détermination de cette certitude permet d’accéder à une vérité infaillible. Ce négatif-là dans sa pure essence possède une affirmation qui ne peut être contredite, celle de n’être pas. Quand l’intelligence détient une vérité, il faut que celle-ci soit suffisamment épurée, sans scories de doutes ou d’hypothèses sous-jacentes. Car s’il advenait qu’une seule partie de l’ensemble fût possiblement vraie, il faudrait l’extraire, la discuter et la vérifier encore.

Le doute doit être de rigueur, car le négatif dans sa proposition principale pourrait servir d’éléments absorbant à l’image du zéro pour la multiplication, qui imprègne quelconque réel et quel que soit son rang pur le réduire à l’état de rien.

Si 0 x 100 = 0 x 10, je dois bien me garder de prétendre que 10 = 100.

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La conscience et l’instinct

La conscience est la morale de l’âme. Elle s’impose comme juge possédant sa propre sagesse pour déterminer son système de valeurs. Elle s’oppose donc à l’instinct qui lui produit des actions sans analyse aucune. L’instinct ne détient aucune objectivité - il agit par loi de nature, de manière animalière. À moins qu’il faille considérer qu’une accumulation de certitudes s’est imposée à l’esprit, et que celui-ci ne réagit pas de manière spontanée face à une situation précise et présupposée. Il y aurait donc accumulation d’expériences et violence dans le fait, tel un jaguar aux aguets prêt à bondir. L’instinct libérerait donc de la conscience qui était intégrée à son concept d’existence. Dans l’instinct, l’intelligence exprime une détermination qui se développe ou explose de manière instantanée. L’accumulation de la force intérieure peut découler d’un lent processus justifiant un laps de temps relativement long avant l’acte d’explosion.

La morale peut être extrémiste et prétendre toutefois au bien fondé de sa valeur.

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Le royaume du doute

La philosophie habite le royaume du doute, de l’à-peuprès et de l’incertain. Constamment elle se fonde sur du délétère et de l’impalpable pour tenter de construire ses fondations. Je ne l’accuse pas, je constate. Elle désire accéder à la vérité, à la connaissance exacte mais le matériel de mots, de dialectique, de sensations qu’elle exploite, - ses outils en quelque sorte -, sont loin de posséder la rigueur et la qualité des outils de la mathématique ou de la physique. Elle n’est pas plus propriétaire de l’idée que la science. L’esprit scientifique nécessite des perceptions, des suppositions, des sortes d’intuitions qui lui permettent d’envisager ou d’élaborer des théories. La volonté d’accéder au savoir n’est pas le propre de la philosophie, quand bien même son essence est de désirer comprendre. Elle est un immense brasseur de la connaissance, puis tente d’organiser par ressemblance, par énergie, par élan de vie l’ensemble du matériel dont elle dispose. Elle ignore le plus souvent qu’elle ne détient pas tous les éléments utiles à sa 43


construction. Ce qui explique que son architecture ici et là repose sur des malfaçons ou s’affaisse quelque peu. Ce besoin vital qu’est la curiosité de l’homme doit répondre à un sentiment de dignité. Il est en effet estimable de vouloir atteindre les plus hautes vérités. La conscience du bien et du mal, du réel et du mensonge, du visible et de l’invisible, du Dieu et du Néant engendrant la détermination de son propre devenir ne saurait être trop grande pour la satisfaction de l’esprit. Est-ce l’amour de la vérité qu’au fond de soi-même cherche irrésistiblement l’homme ? N’est-ce pas plutôt une indispensable nécessité pour avancer avec les pieds affermis sur le parcours de l’existence ? S’il est un Dieu, créateur de toutes choses, l’essence même de l’univers restera pour longtemps cachée à l’intelligence de l’homme. Sa capacité spirituelle ne lui permettra pas de posséder les richesses et les profondeurs d’une si vaste nature.

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Méthode d’intégration

Le temps est un paramètre indispensable à tout système de vie, au même titre que la longueur, la largeur ou la profondeur. L’une des caractéristiques qui spécifie tout ce qui est vivant ou inanimé, est sa soumission au vieillissement ou à l’érosion.

Comment dans ces conditions de dimensions humaines parvenir à accéder à un savoir ou à une formation suffisante tandis que le temps est assassin, et n’est jamais à son côté, mais se positionne contre soi ? Il faut donc s’imposer des règles ou des lois, des sortes de principes d’existence, et les tenir fermement pour avancer sans commettre trop d’erreurs.

La première est bien de recevoir les choses pour vraies et de tenter de les assimiler le plus rapidement possible. Il faut toutefois éviter la précipitation, et ceci est balancement et bonne mesure. “Intègre tout d’abord, tu comprendras par la suite”. Il faut donc s’en référer au savoir et à l’expérience du corps enseignant et de l’autorité parentale. La contrainte de cette obligation est le 45


doute, que toute intelligence possède. Car si en quelque occasion l’esprit a raison de douter, tout le système peut être discuté et donc remis en cause.

La seconde est de globaliser le problème dans son ensemble, de le comprendre outre le détail, et de chercher à atteindre la synthèse immédiatement. L’esprit qui tente de comprendre exploitera son énergie dans une analyse détaillée de chaque élément, et usera sa fonction intellectuelle à des fins puériles. Y a-t-il des objections ? Évidemment, mais j’exprime un système de pensées permettant d’y gagner en temps. L’on comprendra que l’intelligence doit accepter sans trop se soucier de la démonstration et d’aller outre l’analyse pour atteindre la finalité. Je songe à ces enfants qui désirent tout intégrer du cours de mathématique, et forcent leur attention sur la démonstration du professeur, et n’ont de réserve de compréhension pour assimiler le théorème ou l’axiome qui est l’instrument-clé de l’exercice à obtenir. La troisième sera de revenir sur l’ensemble des objets qui ont été intégrés, et de prétendre par le jeu de la décomposition d’en tirer l’explication sur chaque endroit. Il ne s’agit pas d’ordonner sa pensée pour aller du plus simple au plus complexe. 46


Il s’agit d’assimiler l’endroit où il y a résistance, sans pour autant s’imposer à décortiquer l’ensemble des endroits.

Les longues chaînes qui encastrent les raisonnements les uns dans les autres alourdissent les démonstrations, fatiguent l’intelligence qui les doit assimiler. Est-il possible que toutes ces choses parviennent à la connaissance de l’homme sans qu’il ait le souci de tout redécomposer ? Il est vrai que l’organisation et l’ordre balisent le cerveau, et lui permettent d’avancer à pas certains.

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Imaginer

Imaginer, c’est parfois concevoir un objet ou l’ombre d’un objet, et prétendre possible son action sur nos sens ou sur une sélection de nos sens. L’imagination du présommeil, - celle qui fabrique assez rapidement des perceptions visuelles n’intervient que sur un seul de nos sens : ni le toucher, ni l’auditif, ni le tactile, ni le goût n’en exploitent la création. Nous voici donc confrontés à une sorte d’impression à deux dimensions mollement animée, aux contours nets ou parfois indéfinissables, rarement colorée, sans forme réelle. C’est une espèce de fantôme gazé venu de la fabrication de traits, qui apparaît en un lieu, celui du front, qui accomplit quelques mouvements et s’efface d’un coup.

En réfléchissant quelques instants sur son origine, on peut prétendre qu’il naît de l’énergie électrique permettant l’activité de l’intelligence. Son explication trouve son essence dans le travail du rêve : il est symbolique, condensation, concentration, allusion. Je veux prétendre ici un exemple. Une nuit, j’interrogeais mon cerveau et je lui dis : montre-moi ce que tu aurais voulu être. 48


Après un laps de temps très court, je reçois une image. C’était un cercle blanc coupé d’une croix ressemblant à un X. Et je compris immédiatement la signification du message.

Le cercle blanc symbolise la pureté et le logo de Dieu, l’X est une croix chrétienne, il est aussi la représentation de l’école de Polytechnique. J’eusse donc aimé accomplir une Grande École et accéder à la purification divine. L’on peut évidemment tirer d’autres explications de cette image, mais j’en resterai là.

Toute image visuelle renferme donc un relief et un sens. Il faut en comprendre son signifiant. Après quoi, l’on peut s’attarder sur un commentaire pour en dégager l’explication. Si l’image

condensée

semble

en

rendre

ambigu

le

sens,

l’investigation freudienne facilite son approche. Si j’avais ordonné à cette espèce de machine placée dans le cerveau, de faire resurgir une image précise, il est évident qu’elle en aurait été incapable. L’on tire de cette observation que l’on ne saurait inventer ce que nous désirons. 49


La capacité d’exploiter la mémoire auditive semble encore plus délicate à maîtriser. Comment faire surgir la perception de voix bien précises, de mélodies longtemps entendues ?

On semble être capable de retrouver, mais non pas d’enregistrer parfaitement un son comme cela se fait avec une récitation. Il ne s’agit peut-être pas du même mécanisme de perception intellectuelle.

Nous avons pourtant un film enregistreur placé quelque part dans le cerveau. Dans les rêves, nous entendons bien des voix qui ne sont pas les nôtres. Non, il n’y a pas d’erreur, il s’agit ici d’une voix constituée par la mémoire, donc par une aptitude de mémorisation. Mais le mécanisme semble complexe. Les biologiques trouveront peut-être la clé de ce mystère.

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Dédoublement

Rien ne change en moi, ou si peu ; j’ai la certitude de pouvoir maîtriser un grand nombre de perceptions, du moins je le prétends. Mais n’est-ce pas déraisonnable de faire preuve d’une telle assurance ? Non ! Voyons ! Cela était de l’humour... Je m’en retourne au sérieux.

Quelle pensée me faut-il aborder ? De quoi voudrais-je parler ? Je souhaiterais m’intéresser au problème du Moi. Il est vrai que je ne puis échapper à sa vérité - le sujet de mes pensées est toujours et encore moi ! Ne pas être me semble donc impossible. Mais serait-il absurde de penser que je puisse être deux ? Je veux m’imaginer détenir un frère jumeau, de même essence, possédant mes caractéristiques génétiques, ayant reçu et perçu la même culture et les mêmes informations.

Je suis donc un, et je puis être deux. Mon frère me ressemble pareillement. Je puis dire que je suis l’autre et que l’autre est moi. Je reste le même tout en me dédoublant. J’épargne 51


le prix d’une glace, et me contemple à mon aise. Je dois m’aimer à la manière de Narcisse, ou mieux apprécier mes faiblesses et mes défauts. Je puis posséder le don d’iniquité, et être en deux endroits simultanément. Imaginons un instant que je puisse, étant en deux lieux différents, posséder deux variables temporelles, t1 et t2 qui se situent à deux moments distincts. Je parviendrai donc en fonction d’un présent connu à pouvoir me comporter autrement dans un avenir proche, ayant connaissance des conséquences d’évènements futurs... Mais il faudrait pour cela que je fusse doté de ces deux variables temporelles. Je ne possède que deux Moi, ce qui déjà est un privilège... Il est peut-être vain de spéculer sur la quatrième dimension. Il est vrai que les deux temps pourraient faire partie d’un même temps, et les deux espaces d’une même espace. Les deux Moi pourraient s’associer à nouveau, pourquoi pas ? Mais l’expérience prendrait fin, et plus rien ne serait plausible. Il n’est donc pas question ici de faire apparaître le Moi unique. Je reste avec ces deux Moi, et c’est pourquoi je prétends que nous pensons, distinctement est plausible?

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Les deux Moi sont puissants et concrets. Ils peuvent se contredire, ou s’instruire quelque peu l’un l’autre. L’unité de ces deux personnalités est toutefois incompatible, je reste pourtant bien séparé. Je suis en ce moi-même et je suis en cet autre. À moi de vivre avec cette apparente contradiction : être là et être ailleurs, uni et désuni. Je dois pour autant m’efforcer d’être en accord avec moi. Il me suffit de concevoir tout simplement cette notion concrète du nous pensons.

Nous sommes, unis et séparés. Voilà une pensée de dédoublement qui semble fantaisiste par son contenu, mais qui par la Loi de Dieu et de Son Esprit pourrait s’avérer exacte.

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Volonté d’abolir la conscience

Je veux fermer mes yeux, protéger mes oreilles pour ne plus rien entendre, rejeter consciemment par ordre logique toutes les perceptions que je puis avoir du monde extérieur. Ainsi fait, tout ce que je reçois d’autrui est aboli, n’existe plus par la suppression de l’activité de mes sens. Le concept matériel se détruit dans le silence de cette nuit profonde. Je suis un peu cet aveugle sourd et muet. Je suis bien en moi, et cette perception relève d’une étonnante intensité. Je reçois toutefois des informations venues de l’extérieur, d’une zone périphérique qui encercle mon corps. Le sensitif n’est pas inactif, mais pleinement efficace. Je possède aussi cette mémoire des souvenirs engendrés. Leur impression est forte et pleine. Ce degré de perception, sa hauteur d’intensité est fonction de l’abolition des autres sens. Comment parvenir à une perception qui s’approcherait du point zéro ? Comment obtenir une non-conscience parfaite du moi ?

Car je ne puis gommer la trace de cette mémoire construite sur de l’acquis et de l’expérience. Je possède encore cette certitude d’activité qui anime mon cerveau, puisque je pense, et peux l’exprimer. Je vais toutefois tenter de réduire 54


encore ces messages reçus du monde, c’est-à-dire de l’extérieur. Les voilà à présent réduits à une portion congrue, à de l’infinie insignifiance. Tout va-t-il disparaître ? Cela semble difficile, puisqu’un autre effet de conscience vient supputer ou se substituer à ce dernier pour analyser l’ultime perception. Je me vois donc dans l’obligation d’une constance de sensation, et pour l’abolir, il faudrait accéder à une destruction de la conscience, ou pour dire autrement à une mort biologique de ma cervelle. Je ressuscite à chaque instant par la conscience de ma perception ! Je tache de détruire, mais je reçois encore soit venus du dedans, soit imposés par l’extérieur, des messages de vie.

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CHAPITRE SECOND

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De la Mathématique

La Mathématique

Le doute, en tant que pensée parfaite, peut s’appliquer à toutes les formes et aspects du savoir. Il serait une sorte de témoignage de l’insuffisance et de la faiblesse de ce qui est avancé ou certifié. Mais il peut être un instrument qui ralentit, qui retient la pensée jusqu’à lui imposer une vérité infaillible. Il est pour la raison une perte de temps le plus souvent. Car faut-il réellement douter de ce que le bon sens offre à tout à chacun ? Le principe mathématique possède plusieurs moments. Il y a en un, le postulat à la question qui désire exprimer ce que l’on va tenter de démontrer ; il y en a deux, la démonstration elle-même, détenant une méthode d’investigation, et prétendant avancer avec certitude ; il y a en trois la finalité, c’est-à-dire la preuve qui a été tirée de ce mouvement logique. Le doute, trouve alors des formes satisfaisantes, certifiées par la démonstration, et son scepticisme se défait de son concept négatif.

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La science possède en elle-même une immense part de doute. Si elle admet une hypothèse, elle n’exploite sa preuve qu’avec la certitude de sa démonstration. La logique dialectique s’est débarrassée de tout parasitage, de tout élément variant ou d’exception. Elle n’évolue que dans un espace déterminé, fini, contingenté. Ainsi elle parvient à extraire des vérités et là est son immense force. De là prétendre qu’elle possède toutes les formes de savoir, de connaissances, de passé et d’avenir, qu’elle s’accompagne de sensibilité humaine... Je puis dire que la mathématique est vraie, car elle évolue dans une structure restrictive.

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Le vrai

Selon moi, et cette appréciation peut être justifiée par la certitude de son impuissance, - l’homme ne sait rien, ou peu. Sa connaissance est fragmentaire, en mouvement. Son vrai est de faible valeur, à l’orée d’une civilisation. Pourtant il lui faut chercher, évoluer, comprendre, percevoir les mécanismes visibles et invisibles qui régissent les lois de la nature. Il doit aussi se projeter dans son passé pour y comprendre l’avenir, et spéculer sur l’éventualité d’une autre forme de vie en dehors du système terrestre. Il doit encore tenter d’accéder à la conception Divine, seule substance qui a inquiété les hommes de toutes époques et de toutes civilisations. Peut-on prétendre que son fini est vrai ? Son fini n’est qu’une étape, qu’une borne, qu’une transition de savoir devant permettre d’obtenir une vérité pleine. Il cherche à casser du Néant, à souffler sur les brouillards pour tendre vers une vérité. Il doit se dépasser. Sa volonté est dans le dépassement.

Le vrai et le faux sont par la simplicité de leur détermination deux notions opposées, intimement unies par la 59


certitude du contraire, fixées, ne possédant que des éléments inverses pour les associer. Cela est fort pratique pour analyser, prétendre ou certifier dans le domaine rationnel de la science et de la science appliquée. Et cette vérité-là dans un espace de travail bien limité, dans une sorte de royaume autarcique, permet de détenir des plans, d’échafauder des constructions par les principes mêmes qui y sont exploités. Le vrai et le faux y sont facilement discernables. Nous sommes en plein dans l’esprit de géométrie de Blaise Pascal. Le faux apparaît donc comme étant l’aspect négatif de l’idée, ou de la substance. Cette partie de l’idée renferme une notion négative essentiellement parce que son concept est facilement déterminable, sa différenciation se conçoit avec lucidité, et peut se comparer à la main droite et la main gauche : il ne propose que deux cas possibles, - ce qui simplifie considérablement le choix.

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De la géométrie et de l’intuition

L’esprit

sans

raison

est

un

bateau

sans

cap.

Constamment il divague, et ne sait où aller, empruntant tous les chemins sans savoir lequel suivre. Aussi faut-il s’imposer un bon principe d’investigation intellectuelle, basé sur une méthode efficace qui s’allie assez sensiblement au principe scientifique. L’esprit logique exploitera les procédés que l’expérience humaine répétitive met à sa disposition, et tentera parfois de pénétrer une issue jusqu’alors inconnue. L’avancée rationnelle s’avère indispensable et l’esprit parviendra à découvrir ce qu’il s’était promis de chercher. On observera que s’il ne parvient pas à atteindre son but, retournant sur ses propres pas avec son système bien indiqué, il ne pourra se perdre, mais reviendra à son point de départ sans dommage aucun.

Pourtant il serait sot de prétendre que seul le mode d’emploi scientifique permet d’accéder à une vérité à découvrir. La science peut même, par son principe rigide, détruire toute une spéculation, toute une tentative audacieuse que savent à merveille investir les artistes. La preuve directe, constamment productible impose de l’expérience qu’elle soit renouvelable. 61


Et chacun sait que certains phénomènes tirent la propriété ou leur spécificité de leur incapacité à être reproduits.

Il est toutefois à supposer que le mathématicien ou que le physicien pénétrant dans des recherches de plus en plus profondes, faisant preuve de hardiesse et de capital-risque investissement en utilisant des procédés à la limite de la régularité scientifique.

Ces moyens employés, je ne puis les condamner ayant constamment travaillé avec l’esprit de finesse et ayant été dans l’obligation de délaisser l’esprit de géométrie dont Pascal nous avait nourris sur notre adolescence.

Il faut donc le plus souvent aller au-delà de ce que la doctrine enseigne, et pénétrer dans cette haute difficulté dont les parties ne sont ni évidentes ni clarifiées, en utilisant son propre système de perception. Quant à l’efficacité de cette méthode, il est difficilement possible de quantifier ses performances. Du moins sa portée

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semble être immédiate pour les hommes de science, comme grand nombre d’entre eux avouent l’utiliser régulièrement.

Mais ce sont là de vieilles recettes, connues depuis des millénaires par les hommes de rigueur, qui percevaient une sorte de vérité dans l’air du temps sans pouvoir réellement prouver son origine. Ce que l’on a obtenu pour preuve a souvent été senti ou pressenti par la conscience, réfutant parfois ce qui lui paraissait évident, étant dans l’incapacité de le démontrer par la raison. Puis la certitude vint, et la chose fut entendue.

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Le 1 et le 0

Le vrai et le faux, le 1 et le 0 sont des valeurs basées du langage mathématique, totalement épurés de quelconque contenu. Le concept de la vérité épouse un nuancier beaucoup plus subtil comparable aux différentes couleurs qui composent l’immense palette de la nature. Le vrai et le faux peuvent se mêler, et ce qui semble vérité dans tel espace, dans telle situation et dans un domaine de définition bien précis pourra s’avérer entièrement faux si l’on vient à faire varier un infime paramètre.

La vérité mathématique tire son essence des propriétés et des lois qui la régissent. Sa nature justifie son existence par les lois mêmes qui la construisent, et c’est sur cette vérité-là qu’elle assoie sa certitude. C’est ainsi que le sens et la nature de la mathématique trouvent leur origine, leur développement et leur avenir par le résultat obtenu qui devient une preuve. Je vais ici donner un exemple : j’affirme être une banque qui accomplit des opérations financières et qui possède en dépôt 500 millions de dollars. On me pose cette question : “ Qui êtesvous ? ” Je réponds : je suis une banque qui accomplit des 64


opérations financières. L’on insiste : quel est le montant de vos dépôts, - je réponds : je possède en dépôt 500 millions de dollars. L’on voit l’importance capitale du rapport entre le contenu et son sujet. L’affirmation est vraie, et tire son explication de son origine. La production du résultat découle d’une connaissance certifiée et prouvée. Et tel est le privilège de la logique dialectique.

Le savoir philosophie veut spéculer sur le faux, sur le doute et le possible. Il refuse d’exclure l’indéterminé. La thèse et l’antithèse avancent ensemble pour accéder à la voie de la vérité. De ces deux conceptions naît un troisième concept : la synthèse. L’unification de ces deux mouvements contribue à agrandir le savoir philosophique.

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Insensible mathématique...

La dialectique mathématique ignore la sensibilité, la transmission de l’amour, l’affectivité etc... Elle n’étudie que le rapport entre les grandeurs, et se plaît à accomplir des opérations sur de la matière inanimée. Son royaume est le calcul des masses déplacées. Son matériel est très grossier. Il ignore l’essence des phénomènes. Il ne se soucie que des rapports de divisions ou de multiplications. La mathématique refuse de considérer la réalité de l’esprit. Nous sommes confrontés à du matérialisme primaire. C’est pourquoi de petites machines sont aptes à résoudre des problèmes de calculs proportionnés de dix en dix. L’aptitude de la pensée qui produit d’autres pensées et conçoit le calcul, lui semble inexistant. La forme de la réalité qui est le plus souvent à saisir dans son schématisme ou son symbolisme, lui est inconnu. Elle ne vit que dans l’analyse du phénomène réel mais la puissance de l’âme qui produit ce phénomène n’a pas lieu d’être. Elle n’est donc qu’un outil au service d’un certain type de raisonnement, qu’un calcul de compas, qu’une distance à prétendre, qu’une balance à peser. Elle ne peut pas engendrer et sa créativité est nulle.

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Il ne sera pas aisé de vouloir déterminer le vrai dans son essence et dans son sujet ; car le vrai, s’il possède cette propriété et s’il en tire son principe d’existence et la transmet sur des objets, il ne peut en prétendre la valeur universelle. Le vrai est vrai car il évolue dans un espace limité avec un domaine de définition bien précis. En dehors de ce domaine, cette vérité devient aléatoire et ne peut être démontrée.

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CHAPITRE TROISIÈME

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De l’Art

Trois distinctions dans l’art

On peut déterminer trois distinctions fondamentales permettant aisément, mais de manière totalitaire toutefois, de sectionner le concept de l’Art. Nous pourrions y voir trois représentations de l’action de l’homme dans la matière. Il y a tout d’abord, la forme purifiée, simplifiée dont l’Idéal recherche la symbolique. On la trouve le plus souvent dans le signe exprimant par la limitation du sens une restriction à exprimer. Elle se veut parfois synthèse de plusieurs explications, et n’hésite pas à utiliser le travail de condensation. Apparue dans les sociétés primitives, la forme purifiée avec le symbolisme et autres Écoles d’Art a connu un immense succès à la fin du XIXe siècle. Cette forme exploite les vérités de la nature ou des comportements humains, mais se trouve confrontée à leur interprétation. Elle se dépouille de l’habillage, de l’abondance, pour ne saisir que l’essentiel. Son concept refuse l’identification exacte. 69


Permet-elle par la purification de ses traits, de son Idée d’offrir au receveur la capacité d’intégrer totalement le message offert ? N’est-elle pas une sorte de raccourci, un principe codé, uniquement accessible à l’amateur possédant déjà une charge culturelle importante ?

Elle est donc une représentation abstraite qui nécessite une interprétation. Sa forme n’est pas accomplie mais épurée. La seconde distinction fondamentale s’apparente à la forme classique. Elle se veut objectivité concrète, sans excès ni fioritures. La volonté de l’artiste sera de reproduire avec le maximum de ressemblance l’objet à réaliser. Et l’on peut songer aux commandes exécutées par les peintres officiels et à la qualité exacte des portraits obtenus. Certaines civilisations optent pour une représentation fidèle du produit à imiter. Mais la naïveté ou le manque de compétence de ses artistes réduisent à une configuration enfantine l’œuvre exécutée. L’Esprit qui pense se détermine et veut déterminer l’objet extérieur qu’il désire figurer. Il perçoit très nettement la forme externe, il tentera de s’unir parfaitement avec cette réalité objective. Il s’agit ici d’une imitation fidèle du travail à 70


accomplir. Le contenu de l’œuvre sera donc limité à sa propre explication. Si la pensée est fidèle, si sa matière est parfaitement déterminée, son interprétation en est donc bornée. Cette forme d’Art applique fidèlement l’Idée perçue.

Il en est tout autrement de la troisième distinction dont la caractéristique essentielle est d’interpréter le contenu à définir. L’Esprit décide alors d’intégrer sa propre définition, exploite le travail de son intelligence, et imprègne son action personnelle dans la représentation externe. La forme obtenue n’est plus qu’une extériorité, qu’une vision transformée par le travail de l’artiste. Le vrai a disparu, et laisse la place à une détermination totalement subjective. Il n’est nulle clé permettant de comprendre le sens de l’œuvre. Il faut donc épouser la particularité du créateur. On voit les immenses difficultés qu’engendre cette troisième section de l’art. Elle peut rejeter des artistes de qualité exceptionnelle mais inaptes à plaire ou à séduire. Mais elle peut tout aussi bien reconnaître des artistes qui n’auraient qu’une qualité douteuse et dont le temps se défera.

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Le vouloir créatif

Il faut donc accéder à la connaissance qui permettra de concevoir

de

la

d’investigation

création.

intellectuelle,

Y

a-t-il

système

méthode,

principe

d’assemblage,

de

condensation favorisant l’explosion d’un produit artistique ou scientifique nouveau ? Comment faut-il saisir l’instant autorisant quelque délire, menant l’idée jusqu’à sa finalité dans le réel ? Comment passer de l’imperceptible, de l’insignifiant et pouvoir le détecter pour l’épanouir dans le supérieur où règnent les pensées ? L’imagination ne permet pas de comprendre - elle n’est qu’un vaste réservoir où grouillent des centaines d’idées sans association aucune, le plus souvent. Elle n’est pas un moyen propre à l’entendement, - non. Mais elle est le lieu où l’audace dépasse la raison, où le risque se défait du rationnel. Ceux qui désirent utiliser la loi et le bâton pour avancer, s’interdirent tout volume de liberté. L’intelligence humaine créative se nourrit de constants changements dans l’appréciation. Ces évolutions ou ces variables de la perception favorisent une représentation autre de l’information reçue. Entre les informations reçues et le travail de 72


l’esprit, il y a un temps durant lequel la conscience ou quelque chose d’équivalent dit : Comment interprètes-tu cela ?

Il faut se comprendre, et parvenir à admettre que cette perception est bonne ou utile, et doit découler sur une forme nouvelle et inventive. Il faut posséder également une certitude dans son avancée et détenir cette puissance du vouloir, qui va audelà de la critique d’autrui, au-delà de sa propre résistance, qui est ténacité vers l’avenir.

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Arpèges sur le beau

Le beau n’a pas besoin de s’associer à la vérité pour exister. Il n’est pas même un soupçon de cette vérité, il peut se situer en dehors. Le vrai est parfois beau. L’essence du vrai, c’est le Principe avant toute application, avant toute vérification de sa certitude. Le Principe peut donc concevoir dans le beau, il peut concevoir uniquement du beau, alors il est Art avec lois et techniques et maîtrise. Le Principe peut être vrai. S’il est faux, il ne peut résister à l’usure du temps. Car les générations le soumettront à rude exigence, à vérifications. La critique sait le ruiner et cherche à réduire son influence. S’il est vrai et fort, il résiste, - il est - sinon, il s’en retourne à l’état de Néant. La Pensée peut être pure, chercher le Beau dans son Essence, dans son application, mais parfois être décevante dans sa réalisation. Le beau doit charmer la conscience, la séduire. S’il étonne, c’est qu’il possède une charge autre, et ce sont peut-être ses techniques et ses méthodes que l’on cherche à découvrir. Si le Beau a communiqué son apparence externe, c’est qu’il est en osmose avec la conscience de l’autre.

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Le Beau habille l’Idée, il est l’épiderme superficiel de la pensée. Le beau s’associe à la forme, quand la forme vise le concept de l’art.

La logique rationnelle appliquant son système de vérification n’est pas toujours l’instrument adopté à la détermination du Beau. Le Beau n’a pas à être soumis à l’analyse, il se reçoit dans son ensemble, et l’entendement s’opère de manière globale, d’un bloc. La décomposition du Beau peut engendrer le mépris ou l’indifférence. Un tableau, une œuvre de sculpture se reçoivent dans leur ensemble, et le Beau “ fouette la gueule ” comme une révélation. La perception doit être unifiée, car la décomposition de l’œuvre casse l’élan général. Si le beau n’est pas libre, s’il ne peut imposer ses propres exigences, s’il est limité par l’entendement et la commande d’autrui, sa réalité devient objective, et il y perd en sensibilité. Si l’exécution du Beau doit être libre, on comprendra que son essence elle-même qui trouve naissance à l’intérieur est plus libre encore. Le beau se nourrit de l’énergie du créateur, de sa technique et de son inspiration. Il prélève des éléments dans la nature et dans le savoir des hommes. Si le beau est objectif, son

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essence est asservie à une finitude. Il se met au service du pouvoir, et ne possède plus cette indépendance d’actions.

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De l’art

L’esprit supérieur, détaché de toute contrainte matérielle, étant parvenu à créer des espaces temporels de liberté cherche une essence élevée où sa conscience pourra jouir d’un bien-être. Cet espace n’est pas un espace de vérité et de certitude où les oppositions et les contradictions cessent enfin de se confronter, non. La certitude y est relative, le savoir et son objet ne détiennent qu’une partie infime du vrai. Quelle que soit la forme qu’elle dégage ou le fond qu’elle renferme, elle ne peut prétendre valider sa vérité. Cette matière du génie humain est évidemment l’art.

La conscience du vulgaire ne se soucie que fort peu de cette discipline. Elle éprouve d’étonnantes difficultés à intégrer sa valeur et lui préfère des considérations d’ordre primaire. Elle la rejette ou cherche un autre support pour satisfaire ses désirs immédiats. Elle résoudra des problèmes proches des besoins suscités par la survivance à la nature. L’esprit va donc pénétrer une forme qui sera chargée d’un signifiant à travers un objet. L’esprit portera à sa conscience

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la vérité de cet objet. Ayant considéré la valeur de son contenu, il en déterminera son utilité.

Il veut saisir ou pénétrer avec profondeur une perception de forme à travers une sensibilité, il veut comprendre l’absolu qui se présente à sa conscience, et en exploitant son intuition accouplée à sa raison, il déterminera la jouissance et l’utilité qu’il peut en tirer.

La réaction peut dans un premier temps être nourrie de sensibilité. C’est une sorte de perception immédiate qui engendre parfois l’acceptation ou le refus. Dans le second temps, l’intelligence décide d’associer une représentation de l’objet offert tirée de sa mémoire. La troisième phase de l’analyse de ce produit artistique consiste à construire une critique raisonnée qui provient de l’esprit.

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Esthétique

L’esthétique

recherche

la

grandeur,

la

beauté,

l’admiration mêlées au plaisir. Il est évident que le beau de la nature répond parfaitement à cette définition. Il n’est qu’à considérer le spectacle d’un coucher de soleil, des teintes rousses de l’automne, ou du fracas des vagues ballottées par la tempête pour comprendre avec précision ce que l’entendement humain suppose derrière cette définition. Il serait stupide d’évincer de cette détermination le beau caché ou enfoui de la science pure. J’en veux pour exemple les magnifiques

représentations

microscopiques

des

systèmes

cristallisés, les constructions infiniment petites des briques de la matière, ou les décompositions spectrales de la lumière. L’homme a inventé l’art. Il a prétendu proposer une représentation parfaite de la nature, avec sa sensibilité, ses dispositions, ses oppositions et ses différences. Y est-il parvenu ? Que fait-il aujourd’hui ?

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Qu’est-ce qui nous émeut, nous élève ou nous charme ? Dans quelles mesures peut-on attribuer aux éléments ou aux objets qui nous entourent la qualité du beau ? Les créations de l’homme ne sauraient rivaliser avec les aptitudes de la nature. Et si l’on admet la parfaite esthétique d’un corps féminin fixé dans la matière, l’on doit reconnaître que l’original fait de chair, de muscles et de vaisseaux sanguins est d’une finesse et d’une subtilité qu’aucun artiste ne pourrait prétendre obtenir.

Une objection de taille peut affirmer que nulle part à l’état de nature l’on trouve une composition musicale de qualité acoustique supérieure en harmonie, en technique et en puissance de jeu à celles obtenues par le travail de nos prestigieux musiciens. Et le doux gazouillis d’une cascade, le chant mélodieux d’un rossignol ne sauraient par l’intensité de leur mouvement couvrir les riches percussions ou les cuivres sonores d’un orchestre. Peut-on prétendre que l’art est le propre de l’homme, que cette particularité de la conscience pensante est exclue du monde animal et végétal ? N’y a-t-il dans l’animal lors de sa parade nuptiale, recherche d’esthétique pour séduire et convaincre sa femelle ? Son pourtour ou celui de la fleur ne renferment-ils pas 80


quelque essence de qualité qui ne découle pas de la loi du hasard ? L’inorganisé ne saurait être beau. Considérons l’emplacement chaotique sur la planète Mars, ou l’écrasement des météorites sur le satellite lunaire. On en tire que la non-conscience de la vie ne peut engendrer quelque particularité de Beau. L’évolution des choses de la nature a favorisé l’intégration d’une forme d’Art dans les éléments animés. L’oeil de l’homme est trompé et ne peut pas toujours user de perspicacité, mais deux oiseaux ne construisent pas leur nid avec le même résultat, deux mammifères n’éduquent pas leurs petits avec le même principe d’apprentissage, etc... Les exemples pourraient être multipliés par des milliers dans le monde animal et végétal. Lui, l’homme a atteint un stade de développement extrême si l’on compare ce qu’il peut faire et ce que peuvent accomplir les autres espèces vivantes sur la terre. S’il est totalement intégré à la nature, il peut aussi la modifier, la transformer, y ajouter sa force de travail. L’homme agit donc dans les choses externes, et ce besoin d’intégrer sa pensée dans la matière ira jusqu’à une sublimation de sa production que l’on appelle Art. Mais il est peut-être sot de prétendre que l’Art 81


n’appartient qu’à l’homme, puisque d’autres perceptions et comportements dans la gent animale et végétale pénètrent ou possèdent des formes de Beau dont nous sommes sensibles.

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CHAPITRE QUATRIÈME

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De la Poésie

De l’invisible et de la rigueur

Je ne vis qu’avec des fantômes, des fantômes d’idées, des sortes de spectres de l’impalpable et de l’invisible. Leurs formes délétères se dérobent sous mes sens. Pourtant tel un apprenti médium, je tente de les capturer, de les saisir pour les offrir à la conscience de mon esprit. Je déteste ces brouillards vagues, ces fumées incomprises manquant de rigueur et de rationalité. La réflexion est détestable quand elle est constamment nourrie d’à peu près et de perceptions insolites. Il est vrai que cet immense mélange de la vie nous brasse une quantité considérable d’informations. Des évènements imprévus à la raison humaine se combinent les uns aux autres pour organiser ou troubler l’existence. Il ne s’agit pas ici de jeu pour l’esprit, non, - nous subissons régulièrement des contraintes dans notre quotidien.

Ma volonté recherche la rigueur et déteste se laisser emporter à la dérive avec ce matériel d’imprécisions si volubile. Cela ne pourrait me satisfaire. Comment parviendrais-je à accéder à quelque chose de profond et de singulier si je me laisse bercer 84


par l’enchantement du jeu, ou par le dérisoire et l’insignifiant ? Je dois les exclure de mon mode d’emploi ou de ma méthode personnelle. Certains riront de moi prétendant qu’il n’est pas de bon ton pour un poète de donner des leçons de rigueur quasimilitaires. Je connais trop bien ces moments d’ivresse et de nonchalance, quand la pensée flotte pour tenter d’accéder à quelque chose d’inconnu. L’âme s’y complaît, et s’y baigne avec aisance. Au seul nom de poésie, déjà je m’enivre et je crains de perdre ma capacité d’analyse et de synthèse. Je crains de vagabonder par monts et par vaux, cherchant je-ne-sais-quoi, allant vers l’insouciance et le hasard. Cela ne saurait me charmer, quand bien même j’avoue éprouver du plaisir à caresser cette femme volage et éphémère, qui s’enfuyant sans cesse, constamment désire me rejoindre pour un ballet nuptial.

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Le spectre d’autrefois Le spectre d’autrefois vint visiter l’apprenti poète, rempli d’élans et d’actions, aux yeux tournés vers l’avenir. Le spectre feuilletait un livre consacré à l’art grec, à ses colonnes et au temple du Panthéon. Au cours de cette cérémonie médiumnique, on sentait pleinement toute l’activité intellectuelle qui animait encore l’esprit échaudé et excité par cette rencontre. Cette petite boule verte de phosphore allait et venait, enfin elle se mit à parler : “ Nourris-toi de moi-même ! Apprends et instruis-toi. Je suis venu te dire ce que tu dois faire, ce qu’il te faut obtenir. Là sera ta suffisance. Il n’est pas ici question d’ambition, de prétention ou de toute sorte de termes péjoratifs. Non, là est ton but. Et ta raison est de l’atteindre. ” L’apprenti poète savait toutefois que les artistes et les écrivains étaient soumis à nombreuses critiques, qu’une poignée très réduite parvenait à crédibiliser sa capacité littéraire. Et s’ils avaient quelque avenir, c’était surtout la mort que leur offrait ce privilège. “ Il suffit, dit le jeune. Voilà, tu t’es déplacé pour rien. Tout ce que tu pouvais me dire, je le savais déjà en prescience de 86


bons sens et de vérités. Tel est le privilège des âmes bien nées, elles possèdent cet extraordinaire don de connaissance sans l’usage de l’expérience. C’est vrai, je suis de bonne race comme toi. Mais je doute de pouvoir atteindre cette place si hautement convoitée. Tu sais comme je puis apprécier ces challenges de l’esprit. Je m’y astreindrai par jeu de l’intelligence. ”

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Le don de plaire

Un jeune poète qui se prévalait de posséder du génie, mais qui pour l’instant était le seul à le prétendre tenta vainement de rencontrer des hommes de lettres de qualité lui permettant de débuter ou du moins de faire ses premiers pas dans la République des Lettres. Le jeune auteur fit preuve d’un zèle remarquable, courant à droite, courant à gauche, d’une amabilité, d’une affabilité exceptionnelles. Avec ses petites plaquettes sous le bras, il résolut de faire la tournée des directeurs de revues et des Comités de lecture. Les directeurs de revues semblaient s’intéresser à sa production, du moins l’assuraient-ils, mais tous exigeaient que le jeune homme prît un abonnement d’un an à la revue pour espérer figurer dans la modeste parution.

Ne se décourageant pas, il proposa ses manuscrits à différentes maisons d’édition. Les plus sérieuses lui retournèrent ses exercices accompagnés d’une lettre circulaire, le remerciant de son envoi mais prétendant que sa poésie n’entrait pas dans le cadre de leurs collections. 88


Il voulut forcer la main du destin. “ Par Dieu, se dit-il, si tu ne vas pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! ”

Il envoya ses livres à des maisons spécialisées dans le compte d’auteur. Illico, celles-ci lui firent un contrat basé sur l’article 57 de la protection littéraire, ce qui voulait dire en d’autres termes que l’édition était à sa charge. On lui fit un tirage à mille exemplaires d’un recueil qui jamais ne fut distribué ou si mal qu’il ne put avoir un seul lecteur. Il en était tout dépité : “ Quelle injustice, que cette soidisant structure poétique d’accueil ! J’ai dépensé toute une petite fortune pour engraisser le compte bancaire d’un éditeur véreux ! Me voilà retourné à mon point de départ. Mais que puis-je faire pour crédibiliser mon identité poétique auprès d’autrui ? ”

Il osa se remettre en cause, décidant de repartir à zéro, achetant traité de versification sur traité de versification, y appliquant toute sa sève et toute sa force. Le travail ajouté sur le don de nature fit croître son aptitude poétique. Le jeune homme allait bon train, enfin je veux dire l’homme jeune, car de

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nombreuses années déjà s’étaient écoulées sans qu’il ne pût accéder à l’édition. Il poursuivit toutefois son œuvre entreprise. Il pouvait se flatter d’avoir obtenu une bonne vingtaine de plaquettes, quelques-unes éditées à compte d’auteur, d’autres fabriquées artisanalement par ses propres soins ou par des amis. Il frayait ici et là, se frottant à d’autres littéraires vus ou entrevus à des Journées du Livre ou à des Fêtes de l’édition. Cela ne permettait guère de percer dans le monde des lettres, mais du moins cela correspondait à du zèle actif, et qui sait... Le temps s’écoula, et toutes les tentatives entreprises échouèrent. “ Quel sale destin ! pensa-t-il. Pas un éditeur, pas de lecteur ! Quelques reconnaissances, quelques estimes, mais voilà qui est fort peu. Je ne puis donc parvenir ? ”

Il se lamentait et poursuivait encore sa tâche animé par le besoin d’écrire, mais sans grand succès toutefois !

Et voilà ce qui attend la quasi-totalité de ceux qui s’essaient à l’art d’écrire. Car il ne suffit pas d’avoir du génie 90


pour exister dans cette discipline, non il faut quelque chose de bien plus important, et cela s’appelle le don de plaire. L’on peut parfois l’assimiler à du talent.

Il permet de pénétrer, de se crédibiliser immédiatement. Il est

l’énergie

monnayable,

achetable

comme

ces

bons

feuilletonistes qui ont couvert des pages et des pages de journaux au grand bonheur de leurs directeurs. Qu’est donc devenu cet homme jeune, âgé aujourd’hui et sur le point de passer à trépas ? Il a connu la destinée de dizaines de milliers de littéraires. Plein de fougue et d’entrain, animé par l’idée du génie, le voilà vieux, grommelant dans sa barbe blanche. Il finira poète de famille. Quelques écrits seront transmis de fils à petit-fils pour finir oublié sous le marbre du temps.

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De l’œuvre

“ Jusqu’où Franck Lozac’h, irez-vous dans la recherche désespérée de cette production pléthorique ? ” Ainsi s’étonne la plupart des personnes qui ont pu accéder à mon Oeuvre. Ils n’y ont vu qu’une immense quantité et n’ont pu y déceler une aptitude quelconque d’écrivain. L’on prétend que je travaille grandement, j’écrirai plus volontiers, que chaque jour qui passe me voit noircir quelque vingt ou trente lignes. Et c’est l’accumulation de cette fréquence qui engendre la détermination d’une quantité importante. Je suis bien loin des œuvres immenses d’un Victor Hugo, d’un Voltaire ou d’un Balzac. Et c’est encore manquer de modestie que d’oser user de leurs noms pour se permettre une comparaison. Je crois toutefois que le lecteur comprendra ce que je souhaitais signifier. “ Mon cher Franck Lozac’h, vous ressemblez à Mickey Mouse dans l’apprenti sorcier, le dessin animé de Walt Disney sur une musique de Paul Ducat. Vous accumulez, accumulez de la

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quantité, et êtes débordé par votre propre abondance. Jusqu’où ira votre folie ? ”

Tels sont à peu près les extraits des discours dont se glose la compagnie de gens qui me critiquent. Leur analyse est parfois judicieuse, mais elle semble ignorer que j’agis pour accomplir une Oeuvre - a Work - en quelque sorte. Je travaille pour ma propre personne conscient que nul lecteur n’aura la capacité de lire tout ce que j’ai pu produire ou concevoir sur ces quelques décennies.

Je ne suis aucun plan général, ne sachant réellement où je vais, comparable à ce héron au long cou qui terminera son festin avec un ridicule vermisseau, il se peut. Si je prétends posséder un semblant d’organisation, c’est du moins pour produire et ranger mes ouvrages par ordre de composition. Cette petite société paraît toutefois se construire, et si je ne sais en concevoir la finalité, certains traits de l’esquisse semblent apparaître çà et là. Il me semble que cette société est en marche, qu’elle évolue, se développe par besoin, par prospérité, et commerce. 93


N’est-ce pas à moi, en vérité, de la savoir bien gouvernée ? Je dois donc y mettre des lois et des décrets.

Voilà très sommairement, sans poursuivre une analyse précise, ce que je puis penser de ce travail et de cette quantité. Parviendrai-je à obtenir un ensemble cohérent où chacun pourra s’y déplacer avec aisance, allant où bon lui semble, y découvrant ce qui l’intéresse ?

Plaise à Dieu - ou du moins à ma raison - que cet espoir se réalise, et que j’obtienne ce que je m’étais promis - une représentation de qualité de ma propre personne, voilà tout.

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De l’association poétique

Il y a ici une petite assemblée composée de littéraires de qualité,

et

de

personnes

fort

savantes

exerçant

dans

l’enseignement qui appartiennent à une communauté poétique, mais qui ne sont point du tout du même avis concernant la valeur à accorder aux uns et aux autres.

Certains se prévalent de posséder un avenir littéraire quand la plupart ne croient ni en leur talent ni en leur génie.

Je me souviens de quelques anecdotes et réflexions disposées çà et là dans le feu de la conversation pour tenter de limiter l’influence grandissante de l’un des adhérents. Cette société comparable à une mutuelle veut niveler les valeurs en haussant les plus défavorisés et en coupant les têtes de ceux qui sortent de l’alignement. Après tout, cette conception sociale est fort égalitaire et sa philosophie est défendable. Du moins tous sont d’accord pour reconnaître l’immense qualité du poète Arthur Rimbaud. Il est devenu un Dieu et chacun s’extasie devant sa précocité et son œuvre exceptionnelles. 95


Cela semble toutefois aller très lentement dans cette assemblée. Certains poètes zélés dont l’œuvre tient dans deux boîtes de chaussures, n’ont édité qu’une mince plaquette de cinq cents vers. D’autres n’ont pas même de quoi construire un recueil. Mais, enfin, l’ensemble spécule, certifie et jure posséder la vérité. Car l’on parle ici de l’expérience accumulée depuis trente années de poésie. Cela serait une preuve irréfutable de sa compétence pour juger.

Il faut user de politesse et de courtoisie, car la conversation ne doit employer de termes violents. L’on pourrait se fâcher et ces messieurs étant d’une sensibilité extrême, les pots de porcelaine ne sauraient résister.

Vous

voyez

quelle

ambiance

circule

dans

cette

compagnie. Tout y est courtoisie, amabilité et quantité insignifiante. La qualité des auteurs ne pourrait pourtant être remise en cause. Il n’y a pas de belles disputes ou de clans franchement séparés. Si ce n’est du mépris qui détermine la valeur que l’on accorde à autrui, c’est du moins de l’indifférence, qui est l’anti-sentiment par excellence.

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Cette assemblée est encore trop petite pour jouir de la renommée de certaines consœurs, mais elle l’obtiendra sans doute. Les adhérents y sont au nombre de deux cents, ce qui est loin d’être ridicule. L’on commence à lire dans cette revue les meilleures plumes du temps passé, et l’on se plaît à imaginer que l’immortalité de jadis côtoie déjà de superbes avenirs. Si Charles Baudelaire renaissait, l’on peut supposer qu’il parviendrait à se faire imprimer dans cette revue, à la condition toutefois qu’il n’oublie pas de payer sa cotisation comme tout un chacun, grand poète ou pas.

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De la critique poétique

Je sais assez bien lire les poètes. Je connais les combinaisons, les analogies, les principes symboliques. Je puis décomposer un poème par un système de technique analytique. Je les ai compris en les lisant longtemps. J’avoue pourtant être assez déconcerté par un auteur inconnu. Je dois m’appliquer à le découvrir, à l’intégrer. Ne possédant que très peu de repères le concernant, je dois spéculer, envisager et douter. Il faut que je me fasse pardonner ma faible aptitude à savoir discerner. Je préfère le plus souvent m’abstenir que de prendre le risque de mépriser une personne douée, faute de visibilité intellectuelle. Certes, je puis m’enthousiasmer, acclamer certains auteurs, me désespérer devant la perfection de chefs-d’œuvre. Mais ce sont toujours des auteurs célèbres, dont la renommée a passé des décennies ou des siècles. Quel mérite peut-on avoir d’acclamer l’œuvre de Baudelaire ou de tomber des nues devant la pureté de Racine ?

Ainsi il me faut tout découvrir. Ma sensibilité avec son éventail d’émotions ne s’adapte que très difficilement à de nouvelles propositions artistiques. Je dois recommencer et tenter de percevoir la fréquence poétique de l’autre. 98


Ce que je veux détester c’est cette sorte de suffisance dont s’habillent les littéraires, prétendant avec un pseudo-esprit de synthèse être parvenus en quelques secondes à détruire ou mépriser le travail d’autrui. C’est le genre : “ Je sais que cela vaut peu. Allez voir ailleurs, Monsieur ! ” Il y a là un manque total d’honnêteté intellectuelle. Le poète se trouve donc dans l’obligation de caresser, de faire le joli coeur, d’aller chercher la considération élégante ou polie du critique. Il lui faut parfois des années d’insistance, de civilités pour parvenir à crédibiliser son aptitude littéraire. Quelle galère ! Et combien de difficultés pour s’entendre dire deux ou trois mots flatteurs !

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Comprendre les poètes

J’étudie souvent les recueils de poésie. Je les lis rarement avec l’oeil du lecteur ; non, je les lis avec l’oeil de l’analyste. Je décompose le vers, je compte les signes, je vérifie le rapport voyelles/consonnes, j’observe la technique de l’harmonie musicale, et je sais rapidement si je suis confronté à un écrivain au courant de la plume, ou à un technicien de l’écriture.

Je puis toutefois aller outre, et me laisser emporter par l’ivresse de l’image, ou de l’ensemble produit. Je me dis que très rarement le texte, je préfère le murmurer, le prononcer à voix basse, et accomplir un effort de mastication. Car il y a plaisir buccal à prononcer un vers, et l’on peut en cela le comparer au plaisir de mâcher du vin. “ Le poème est fait pour être dit ”, répète-t-on. Je douterais aisément de cette vérité, sachant pertinemment qu’une avalanche de structures, d’images complexes, de retours sonores ne peut être assimilée par une bonne intelligence. Trop d’éléments s’opposent ou réagissent par interférence, et ne facilitent en rien la compréhension de l’endroit. 100


Quel plaisir peut-on éprouver à écouter un orateur ? Que demande la conscience pour être bien charmée ?

Elle désire bien entendre ce que la voix propose. Je prétends que l’on reçoit une grande satisfaction à écouter des textes ou des poèmes que l’on connaît déjà. L’intelligence s’arrête alors sur d’autres considérations que la seule compréhension du texte. L’esprit ne se limite pas à la transformation cérébrale pour intégrer des mots. Non, il possède déjà le contenu du message. Alors l’oreille se fait plus experte, elle apprécie le rythme, l’intonation, et la hauteur. Il faut dire que l’une des caractéristiques du produit poétique c’est d’être capable de répondre à grand nombre de considérations : un poème est multiréférentiel. Comment alors qu’il possède cette propriété, prétendre qu’un auditeur quelconque peut recevoir du plaisir lors de son écoute ? L’encombrement des raisons brouille sa lucidité intellectuelle.

Mais que faire ? Dire le texte sur enregistrement avec musique et bruitage, dire le texte avec de grandes respirations et de nombreux silences, et proposer à l’éventuel auditeur la possibilité de suivre le poème avec un support écrit. 101


Poésie, rigueur et liberté

La

poésie

ne

repose

sur

aucune

connaissance

systématique, elle ne peut donc être assimilée à une sorte de science quand bien même elle serait régie par des lois strictes de rythmiques, d’accents et de chiffres. La poésie libre, celle qui est au courant de la plume a décidé d’abolir les derniers diktats de l’harmonie musicale, du compte de signes et de syllabes. Nous voilà donc confrontés à un espace exceptionnel de liberté où tout peut être dit, où rien n’est interdit. La poésie épouse une forme qui pourrait s’apparenter à une conception individuelle d’interpréter un contenu. Les écrits poétiques n’embrassent que des secteurs isolés de son vaste éventail. De nombreuses sensibilités cohabitent, sont parfois contradictoires, ou en opposition farouche. Il y a donc sections, classes, écoles et s’il n’est pas possible d’embrasser l’ensemble des techniques offertes, les plus grands spécialistes ont une vaste palette d’émotions et de sentiments mis à leur disposition. Aucun poète ne pourra renfermer en lui-même l’ensemble des procédés ou des techniques qui découlent des différentes écoles. Il est ridicule d’exiger d’un sprinter de 100 mètres plat de concourir sur 102


un Marathon ou sur une distance de demi-fond. Il est ridicule de prétendre

qu’un

sonnettiste

parviendra

à

proposer

des

développements de plusieurs milliers d’alexandrins. Charles Baudelaire en ce sens s’oppose de manière significative à Victor Hugo. Quand l’un produit trois à quatre mille vers sur toute sa carrière, l’autre impose plus de deux cent mille alexandrins, et exploite à merveille des procédés de développement où son génie abonde.

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Le choix de la jeunesse

Il est peu de temps où des circonstances semblent favorables au milieu desquelles la poésie peut espérer attirer la curiosité du public et se voir estimer de la même estime que celle d’autrefois. Là voilà encore retournée belle femme muette et silencieuse au mépris que l’on éprouve la concernant. Les intérêts de notre temps, le développement des sciences et des technologies, les obligations mesquines de notre réalité ont absorbé tous les instants de puissance que possédait l’esprit, toute l’énergie et les divertissements octroyés à chaque humain. Ainsi la vie intérieure se nourrit d’une autre forme de culture plus axée sur l’image à recevoir que sur l’image à fabriquer avec des signes. L’esprit se contente d’une certaine forme de réalité, et soutenue par le concours d’autrui l’intelligence n’a plus besoin de jouir par elle-même pour éprouver de la satisfaction. Elle se contente de gérer, de sélectionner le flot d’images que l’on met à sa disposition. On est loin de penser que le temps est enfin arrivé où le royaume de l’imaginaire instaurera à nouveau sa suprématie. Notre jeunesse a déjà manifesté son choix, et semble irrésistiblement attirée par l’image offerte. Mais son choix est peut-être plus judicieux qu’on ne le pense, car si elle exploite un 104


support imagé déjà proposé, il lui faudra utiliser toute son intelligence et sa pensée pour remplir ces coquilles de programmes vides. Elle devra du moins faire preuve d’une forte vie spirituelle qui est l’élément fondamental de son existence. Il lui faudra aussi savoir lutter pour s’imposer une indépendance et une capacité libre de penser. Elle ne doit pas se soumettre, mais bien dominer l’effrayante puissance que peut représenter la machine. Tout dépendra encore de sa capacité autonome d’esprit, de son énergie intérieure mise au service de sa propre personnalité.

Quelle place accordera cette génération au produit poétique ? Ne le méprisera-t-elle pas comme une vulgaire discipline d’hier, dépassée, à oublier ? Le poète ne sera-t-il pas rangé au patrimoine artistique comme le maréchal-ferrant et le sabotier, le sont au musée de l’artisanat ? C’est pourtant dans ces immenses entreprises de l’esprit que la pensée s’élève pour accéder à une dignité, qui l’éloigne du vulgaire et de l’insignifiant pour s’emporter dans des espaces où s’épanouit la grandeur de l’homme. 105


I

L’inspiration apparaît aussi comme un immense réservoir de mots qui s’associent, se combinent et se multiplient. Il y a donc interférence, - indispensable nécessité d’union, de frottements, de refus, d’accouplements. Voilà ! Il y a acte physique entre les mots qui doivent former un bel accord, comme deux êtres forment un beau couple. L’impulsion, l’élan vital de l’inspiré est passé par là. Il fallait bien qu’il eût ce que l’on peut appeler “ Énergie ” pour favoriser cet accouplement. C’est vrai, de nombreux obstacles, des retards, des blocages ont constamment tenté de condamner ce droit à l’orgasme littéraire. Le plus virulent est certainement l’interdit du critique, qui est un gendarme redoutable, doutant de tout, et réglant la circulation du flux sans réellement connaître les règles du déplacement. La conscience du poète le pousse le plus souvent vers une impasse : pourquoi produire cela ? Quel intérêt y a-t-il à caramboler de cette sorte ? Le raisonnement de la critique virulente provoque en lui une volonté de refus, je dirai - de stérilité.

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II

La poésie nous introduit dans le monde de l’imaginaire. Elle nous montre la relation de non-vie entre un mot, masse inerte ou objet instrumental et un autre mot, qui associés formeront un bel accord, ou une combinaison criarde. Tout dépendra de l’analyse auditive du poète ou de sa volonté à obtenir l’effet recherché. Il suffit d’écouter sa conscience, et de décider d’après le choix arrêté. Parfois c’est une liberté absolue qui dicte la marche à suivre. Le poète devient joueur de jazz, à l’inspiration vagabonde au plan indéterminé. C’est juste une question de feeling. L’exercice de poésie dite libre s’apparente assez sensiblement à ce type de travail. L’auteur subit, ou voltige papillon hoqueteux, de fleur en fleur, ou pour reprendre l’exemple du pianiste, d’accords en accords, de combinaisons en combinaisons. Mais la comparaison cesse là. Car le poète, à sa table, possède ce que l’on appelle des blancs. Ce sont des laps de temps d’une certaine durée qui vont de quelques secondes à deux ou trois heures...

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Les moments de blancs sont remplis de façon diverse : lecture, doute, refus, activités autres, dessin, que sais-je encore ! Je veux dire par là que le poète travaille sans continuité à l’instar du musicien de bar ou du jazzman qui par le son engendre le son.

III

La poésie doit le plus souvent abandonner cette conscience de critique si elle veut poursuivre le chemin de l’écriture. Un écrivain foudroyant tue tous les mots qui passent devant son regard. Il devient le destructeur du soi-même, et sa tendance le poussera à la stérilité. Il y a en tout poète un étrange mélangeur d’intelligence, d’intuition et de critique. Pourtant ne peut-on pas considérer qu’il y a une sorte d’incompatibilité dans la gestion de ces différents paramètres ? Un poète bien fait semble pouvoir maîtriser ces divers états de l’activité consciente, et en exploiter pleinement leur synergie. Il y a d’ailleurs des variables de densité entre ces différents ingrédients qui réclament des dosages entre l’instinct et l’intelligence. Là est une part du travail de sublimation dans la 108


structure mentale du poète. Une gymnastique de l’entraînement peut produire un développement de telle fonction au détriment de telle autre. Il est difficile de prétendre savoir quelle partie de soimême est la plus apte à exploiter ou à maîtriser. Il semble acquis que la seule conscience du poète peut lui permettre de savoir. Estce une lumière intérieure plus ou moins intense, faible ou éblouissante qui éclaire la conscience de son manque de lucidité ? La critique a besoin de beaucoup d’intelligence.

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La poésie

La poésie, qui a enrichi les âmes supérieures a contribué à les instruire, et cette instruction a fortifié leur intelligence ; de là, vient une vérité que ceux qui nous dominent et nous dirigent ont intégré des valeurs élevées en science et en lettres. C’est la poésie qui est le support incontournable de l’imaginaire, et qui fait des poètes des hommes en décalage avec leurs confrères. Ils ont le plus souvent une poétique possédant un siècle d’avance sur les autres disciplines. La postérité s’est trop bien rendre des comptes à ses illustres esprits et leur offre des hommages et des carrières le plus souvent posthumes.

Comment se fait-il que des poètes obscurs et méprisés incompris de tous, à l’allure pataude, au gueuloir exorbitant deviennent par leur puissance d’évocation, par la maîtrise de leur langue et de leur technique, des références incontournables et immortelles dont on s’inspire encore trois siècles après leur décès ?

Quand des écrivains lecteurs de Grandes Maisons d’Éditions Prix Nobel de littérature, ou futurs académiciens 110


festonnaient en tête et se prévalaient de mépriser des Stéphane Mallarmé ou des Paul Verlaine, quand des directeurs de revues ou de collections rejetaient avec dédain des œuvres de Paul Claudel ou de Paul Valéry, ces derniers eurent recours à leurs propres confrères qui comprirent aisément le degré de leur valeur. Certains auraient pu dire : “ Maîtres, n’ayez crainte. Nous avons considéré la valeur de vos œuvres. Nous saurons faire fructifier vos images immortelles, votre postérité déjà est assurée. ”

Tout cela peut rendre ridicule les structures littéraires actuelles si l’on ose comparer le bouquet des écrivains de la postérité avec les lamentables collections dont se prévalent et dont s’enorgueillissent des présidents de groupes. C’est pourquoi de très grands poètes ne dédaignent pas de travailler dans des revues que l’on ose parfois rejeter, considérant avec dédain le faible tirage qu’elles engendrent.

Tandis que des André Gide et des Paul Valéry se formaient pour accéder à la carrière que nous leur connaissons, ils n’hésitaient pas à proposer leurs œuvres dans une revue aujourd’hui oubliée de tous, - La jeune conque.

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Et cette coutume est loin de passer, si l’on en juge par les centaines de feuillets imprimés qui fleurissent ici et là dans nos régions et départements. Pourtant à Paris, tout semble impossible, - la plus infime édition nécessite mille ans d’amitiés auprès des uns et des autres. Et encore, cela paraît faveur de vous donner le droit d’imprimer quelques endroits de votre personne... Dans cette Capitale, rien qui n’engendre l’argent ne saurait être utile. Il faut se hâter de proposer une biographie sous un chanteur ou un ouvrage de politique, si l’on veut voir son nom figurer sur un livre. Le littéraire entend parler de soi avec mépris, il est assez sot pour cacher sa production poétique de crainte de subir des lazzis. J’ignore pourtant lequel est le plus utile à la postérité. Ou un torche-cul qui fera quelque dix mille francs de droits d’auteur, ou un poète immortel qui saura instruire des générations de têtes blondes et contribuera ainsi à l’éducation de notre pays.

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Stylistique en prose et stylistique poétique

La stylistique en prose permet de recevoir l’objet à transformer

de

manière

réelle,

sans

nécessité

aucune

d’adaptabilité de la capacité intellectuelle à la proposition offerte. L’entendement est direct, et la cause suit l’effet. Il y a pourtant une substitution d’éléments écrits en images à produire. Le roman en est une parfaite illustration. D’ailleurs, s’il y avait une étude réelle du psychisme qui transforme les caractères écrits, l’on observerait des différences et des écarts considérables dans la mutation de l’expression écrite. Pourtant les types d’individus qui lisent le roman parviennent à se mettre d’accord sur l’extériorité du produit et sa finitude interne. L’intelligence est collective, et reçoit grosso modo le même message. La capacité particulière ne se différencie que très peu de la conscience collective, le contenu étant unique quoique possédant des ramifications et des détails spécifiques. Il y aura selon les individus plus ou moins d’aptitude à tout recevoir ou à recevoir une grande partie de la proposition écrite. L’ensemble des lecteurs peut donc se prévaloir de s’être mis d’accord sur le message reçu.

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Il faut bien que cette conscience soit ordinaire, satisfaisante à l’ensemble, sinon elle ne pourrait pas être assimilée par la grande majorité. Ce qui lui arrive a peu de chances d’être singulier ou de s’habiller de solutions rares. Il n’y a pas résistance à l’entendement.

Qu’en est-il réellement de la stylistique poétique ? La pensée poétique construit son système de valeur sans exploiter la rationalité du langage et en faisant varier la signification des choses. Elle devient alors inutilisable pour l’immense majorité des

lecteurs qui exigent de leur conscience une application de la réalité, du moins d’une certaine réalité. Aussi la compréhension d’un univers construit sur du délétère, aux lois variables, aux signifiants dénaturés de leur réel contenu engendre un refus catégorique de la plupart des lecteurs. Cette juxtaposition d’éléments indépendants fabrique, il est vrai, une vitalité créative et inventive, mais peut sembler totalement inadaptée à un esprit authentique. Pour l’esprit à la pensée profonde, la vie extérieure revêt une apparence d’intérêt moindre. L’épanouissement de l’âme peut s’accomplir en employant l’imagerie poétique.

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Cet espace de variantes, d’associations délétères est le royaume de l’aptitude spéculative qui combine, additionne de l’invraisemblable pour obtenir du possible. Ce ne sont pas des défauts de l’entendement qui engendrent cette aptitude à varier, à déplacer le sens commun, - cela découle de la vitalité de l’intelligence à concevoir autrement ce que l’ensemble ne voit que d’une seule manière. Ceci est donc un privilège,... inutile hélas, et le plus souvent rejeté de l’ensemble. Il s’agit encore de capter la forme de la réalité pour la transformer en principe idéalisé et supérieur. La stylistique poétique veut donc élever l’entendement, mais elle ne peut prétendre épouser la perception exacte de la vérité. Elle ne saurait être une conciliation du vrai et de l’imaginaire, quoi que parfois son assise se manifeste dans la réalité du quotidien.

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De la critique de soi

Qui peut se prévaloir d’avoir obtenu un résultat digne de sa compétence, qui peut ? On est rarement soi-même, on travaille en dessous. Il y a une constance de déception, une vérité critique à l’intérieur de soi qui murmure : “ Tu étais capable d’accéder à quelque chose de bien meilleur. Regarde, observe où tu en es à présent ! Le temps, ton ennemi, aura bien su te ronger et te détruire lentement. ” Pourtant l’analyse se veut impartiale. Elle ne recherche pas à distribuer des éloges, ou à rosser à coups de trique. Quand on a la certitude d’avoir accompli correctement sa tâche, l’on peut encore se dire : “ Oui, j’aurais pu toutefois ajouter ceci, j’avais la potentialité pour trouver cela, hélas, le temps m’a détruit. ” Il est pénible de se déplaire, mais il est détestable de faire preuve d’une avidité maladive.

Certains hommes toutefois recherchent des caresses et des flatteries. Les littéraires sont des gens de politesse et de courtoisie, toujours enclins à obtenir quelque faveur. Mais tout est gratuité, et cela ne coûte rien de s’entendre dire : “ Monsieur, 116


vous êtes un grand poète ”, ou encore “ Ce jeune artiste a un bel avenir. ” Certains rétorqueront que la belle critique est agréable à l’oreille, et peut engendrer un vif élan d’actions. Il est pourtant plus puissant de se nourrir de soi-même et d’extirper de sa propre négation de l’énergie et de la volonté de gains. D’ailleurs l’outil de mesure qu’emploie autrui est rarement le vôtre. Il détermine votre suffisance en fonction de sa propre aptitude à agir. Ainsi des poètes peu féconds condamnent votre opulence et votre générosité. Et ceci vous porte encore préjudice. L’on appelle excès ce qui fait votre force, et votre abondance se transforme en obésité. Il faut parfois penser en égoïste car ce n’est pas toujours mal pensé. Faut-il être aux yeux d’autrui ? Faut-il que l’autre se pose en tant que juge ? Je ne saurais condamner l’acuité critique, cette sorte de lucidité qui fait souvent défaut à l’homme qui ne peut être et se voir sous toutes ses dimensions. Je conseillerai toutefois de se fier à son propre sérieux, qui est le plus souvent un superbe ange gardien. Certains appellent cette sorte d’allégorie, la conscience, tout simplement.

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Fragment sur la poésie

Rester en soi, au plus profond de son aptitude, et ne jamais faire sortir l’activité de son génie, même dans une société limitée à quelques initiés, voilà l’une des caractéristiques de ce genre particulier qu’est la poésie. Cette création libre, hors de toute contrainte sociale ou de règles établies ne peut s’épanouir dans une situation extérieure. L’homme et le poète, deux personnes en une seule, capable de se dédoubler, d’échapper à la préoccupation pratique peuvent donc penser ou concevoir par l’observation du monde extérieur ou par l’activité créatrice interne. Son aptitude directrice qui le pousse à écrire lui offre un immense sentiment de liberté mêlée à une vérité autarcique et personnelle. Il n’est donc pas affranchi de toute nécessité matérielle, mais il lui faut trouver des espaces temporels de liberté durant lesquels il pourra développer son aptitude inventive.

Difficile de prétendre connaître la courbe évolutive de l’intelligence poétique, et certifier que telle période de l’existence est plus favorable que telle autre pour obtenir une production de 118


qualité. La raison voudrait que la période de jeunesse associée à la maîtrise de la bouillonnante activité offrît les meilleures conditions pour l’écriture. Mais cette vérité peut être objectée par grand nombre d’autres considérations. Si la vieillesse est dépourvue d’intuition et d’énergie, elle possède du moins la maturité et l’expérience lui permettant d’avancer à pas assurés dans l’élaboration de son œuvre. Et l’on peut songer à l’admirable poème conçu par le vieil Homère, ou relire des œuvres de Goethe obtenues à l’apogée de sa vie.

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Blocage de la transmission poétique

La poésie a perdu son caractère initial qui est de fabriquer des images. Elle ne peut plus rivaliser avec les nouvelles formes des techniques modernes, qui elles sans difficulté aucune offrent à l’intelligence la certitude d’une évasion à moindre effort. L’association audacieuse, au-delà du réel, du possible ou de l’imaginable pénalise et interdit à la capacité poétique de l’amateur de pénétrer le plus souvent le monde créé par l’auteur. Il y a une sorte de barrage, de blocage, et le texte donné reste hermétique, en quelque sorte inaccessible. Il ne peut donc y avoir plaisir immédiat ni plaisir retardé, car la dialectique proposée interdit toute communication entre le poète et l’amateur. Elle n’a plus aucune vérité, pas même onirique. Son essence abstraite ne saurait être transmise et comprise. Elle a une apparence de fausseté, de mensonge et d’invraisemblance. Le public lui préfère d’autres modes d’expression. Ce n’est pas seulement au niveau de la lecture que s’opère le blocage. Il serait identique dans le parlé, dans le transmis à l’oreille : l’intelligence ne saurait convertir des solutions d’images en images émotives pour l’esprit.

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Morceau

Difficile de prétendre savoir quel est le but de la poésie. Certains assurent que la poésie n’a pour but qu’elle-même, et ceci est pensée de parnassien. D’autres qu’elle doit charmer, élever ou instruire. Qui a raison ? Qui peut se prévaloir d’en tirer son essence réelle ?

Il est plus délicat de lui conférer une existence pratique, utile à l’ensemble. Elle nourrit l’élite, instruit l’esprit supérieur. L’homme, au for de lui-même, cherche à purifier sa pensée, et l’expression poétique lui offre un instrument parfait de sanctification. L’association de vocables employée veut atteindre une hauteur et son mode d’expression se distingue de tout autre.

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CHAPITRE CINQUIÈME

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De Dieu

De Dieu, de l’intelligence de coeur

Je ne sais plus quel homme stupide a osé dire que Dieu n’existait pas, comme si c’était une raison d’être aveugle aux pays des voyants ; comme s’il fallait se crever les pupilles pour se prétendre libre de penser ! Cette liberté-là ne permet pas de marcher, mais d’avancer en tâtonnant pour tomber dans le précipice. S’il faut croire en Dieu, ce n’est certes pas avec prudence, mais avec toute la puissance de conviction qui est en soi. Il n’y a pas deux juges, il n’y en a qu’un, et c’est Dieu. Quant à l’homme, s’il se prévaut de pouvoir choisir, il ignore qu’une immense programmation a déjà balisé son chemin. Tout ce que nous accomplissons a été pensé, pré-imaginé - nous ne sommes que la confirmation d’une phénoménale loi planifiée dans les moindres détails.

Quand un homme construit un pont, érige un mur, il accomplit un nombre considérable d’études et de vérifications. Il connaît avec exactitude le coût du chantier, le but à atteindre, la finalité escomptée, - et l’on voudrait que la sagesse divine 123


n’atteigne pas le bout du nez de la compétence humaine ! Comme cela paraît ridicule, et semble mépriser la capacité d’un être doué d’une gigantesque compétence !

Qui donc peut juger et considérer Dieu ? Peut-on juger Dieu et prétendre savoir ce qu’il fallait faire ? Le pot dit-il au potier, - je vaux plus que toi ? La prudence est de craindre les grands. C’est sagesse d’homme et d’animal. Craindre, c’est se protéger de toutes les embûches et de toutes les erreurs. La témérité mène tout droit au tombeau. L’acte de bravoure est orgueil de soldat. Mais le soldat perd sa vie pour trois fois rien, le plus souvent. Mais Dieu est-il peut-être l’objet de sentiments opposés, de conceptions critiquables car encore incomprises ? Je sais Dieu, et je vois tant d’hommes souffrir, tant de femmes et d’enfants vivre dans des conditions détestables, que j’en suis à condamner ces existences de misère, sans parler de ces immenses guerres et du génocide du peuple élu. Il n’est guère d’homme dont la conscience ne se révolte contre ces abominations. L’homme de religion, à cet égard, doit faire preuve d’une formidable acceptation : glorifier une puissance sans en 124


comprendre les desseins fondamentaux. Il faut donc parvenir à servir sans connaître réellement le sens de son travail. À travers la lecture des livres sacrés, la pensée prétend se consolider, savoir et déduire. Mais le plus souvent elle emprunte une voie qui la mène vers une interprétation douteuse ou erronée. Parfois des fantaisies enfantines suffisent à engendrer des comportements dans le culte divin. La théologie prétend posséder la vérité avec ces exégèses, ces savants qui ne sont que des hommes s’essayant encore au jeu de l’interprétation. Mon Dieu, que ces hommes prennent des risques ! Même doté de la lumière du Saint-Esprit, je prétends qu’il est toutefois difficile de ne pas commettre d’énormes bévues. Ce monde dans lequel nous vivons, n’a jamais été véritablement compris. Les plus grands physiciens, tous les deux siècles nous apportent une loi fondamentale nouvelle. Nous sommes fascinés par le travail de la nature et n’en connaissons que fort mal les mécanismes. Ce spectacle nous émerveille, mais nous sommes incapables d’en découvrir l’essence. Pourtant nous nous targuons en exploitant des livres difficiles non seulement de spéculer sur l’au-delà, mais d’en connaître les structures.

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Voilà qui est audacieux ! Certains, fanatiques, exploitent des pseudo-vérités pour torturer ou soumettre leurs congénères ! Jusqu’où n’ira pas la folie de l’homme ! Mais cela a déjà été écrit par d’autres que moi-même, avec une qualité de style plus brillante, à n’en pas douter.

Pourtant il faut croire aux miracles. Cela confère à notre esprit un espoir d’avenir après la mort. Et cette sécurité pour l’audelà augmente le plaisir de nos sens par la jouissance qu’il procure. Ainsi la nature nous semble favorable et pleinement satisfaisante. Les bienfaits de l’homme n’ont pas d’avenir. C’est peut-être de l’intelligence d’anticipation que de se projeter vers le futur en méprisant le quotidien. Et l’on voit peu l’intérêt de la femme dans ce cas de spéculation. S’il est vrai que l’amitié disparaît, que les êtres chers s’éloignent les uns des autres, que les enfants s’en vont ailleurs, plus loin, - le système de valeurs et l’amour qui en découle paraît bien incertain. On s’en retourne encore à une situation égoïste où la seule Force à glorifier est celle de Dieu. Les épouses du Christ l’ont compris, elles qui délaissent leur mission de femme, pour s’unir à un Dieu, éternellement. 126


Elles ont certainement pressenti cette nécessaire union entre les éléments de la nature et leur créateur. Il s’agirait en quelque sorte de l’unification de l’esprit de Dieu à travers l’univers. Un immense message de communication et de fraternité entre les êtres et les choses visibles et invisibles de l’espace.

Il est toutefois difficile de déterminer le degré de parenté entre toutes les formes de vie et d’esprit dans la nature. La communion pourtant pourrait être parfaite à l’image d’une société où chaque élément est une partie intégrante et indispensable à autrui. Ainsi renaît l’espérance d’une immense osmose entre tous les êtres vivants visibles ou non, du présent et de l’avenir. Il faut, je le reconnais, faire toutefois preuve d’une grande foi et interpréter d’une certaine manière les choses de la nature pour raisonner de la sorte.

La finalité de cette douteuse démonstration est encore de convaincre l’homme d’aimer l’homme, - je dis aimer avec sincérité et non pas avec la crainte du châtiment divin, malgré les excès et les désordres, les passions dont toute société se sait ivre. 127


Ceux qui parviennent à aimer leurs ennemis vont au-delà de ce qui provoque la répulsion et le dégoût. Ils sont pleinement dans le coeur de Jésus-Christ. Cela dépasse la charité. La pensée théologique a rarement imposé à ses adeptes d’atteindre ce degré de perfection. C’est pourquoi cette conception de l’amour semble la plus belle. Elle est plus grande que la charité, elle est l’intelligence du coeur, et peu se prévalent d’en être pourvu.

Pourtant toutes ces spéculations audacieuses sur Dieu, sur la foi, l’espérance et la charité ne sont-elles pas de fausses lumières qui tentent d’éclairer ici et là mais ne dirigent que vers l’ombre, en vérité ?

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De la grandeur du Saint-Esprit

Les spécialistes de la religion chrétienne n’ont guère pu traiter de la vérité de l’Esprit de Dieu, n’ayant à leur disposition qu’une quantité infiniment ridicule d’informations concernant ce sujet. Le Talmud des Juifs associe le Saint-Esprit à la Chekina, qui serait la présence de Dieu à côté de Dieu. Lorsque Dieu au commencement de la Bible écrit : “ Faisons un homme à notre image. ” Il semble s’adresser à la communauté d’Anges qui forme sa cour, mais en y réfléchissant de plus près, on peut y déceler dans ce Faisons deux personnalités distinctes et pourtant identiques, une sorte de dédoublement de soi-même, qui pourrait indiquer la représentation du Saint Esprit à côté du Père. Cette grandeur d’âme, cette sorte de supra conscience à côté du Père étant juge de tout, semble au-dessus de tout. Il aurait la capacité de mesurer avec exactitude la valeur des choses, sans indulgence mais sans sévérité, avec la raison parfaite de la pure intelligence. Cette supra conscience de Dieu semble moins active que le Père car s’il n’est pas le créateur de toutes choses, il en est la critique, l’observation et la parfaite analyse.

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J’y vois aussi une immense humilité, une volonté de retrait et de discrétion que l’on ne trouve ni chez le Père ni chez le Fils. Sur les tables de la Loi remises à Moïse, le Père indique clairement qu’il interdit toute représentation de sa propre personne. Le Fils suivant l’exemple du Père aurait dû interdire l’imitation de son image. Or, il n’est pas un village reculé, une infime place d’un hameau, où l’on ne voit l’image crucifiée du Fils. Le Père lui-même s’étale dans de nombreux musées, tandis que personne ne semble l’avoir vu, et donc n’en peut prétendre la reproduction. Il en va tout autrement du Saint-Esprit. On ne peut l’identifier qu’à une colombe et là est son unique gloire ! Il est à supposer qu’un Dieu vaut plus qu’un volatile.

On ne peut non plus prétendre connaître le timbre de sa voix. Il est aisé d’imaginer le langage employé par le Christ c’était l’Araméen. Il est plus audacieux de soupçonner connaître la voix du Père. On l’associe à la colère, à la violence, au feu, au volcan, au chant délicat de la source. On peut supposer que le Père exploite un autre mode d’expression non pas imitant le langage des hommes, mais adapté à sa spécificité divine. Que savons-nous réellement de l’Esprit de Dieu ? Il appartient à la Trinité. Jésus-Christ en venant sur terre a dit : “ Il 130


n’est pas UN, mais nous sommes TROIS. ” Il est donc élément intégrant la famille divine. Dieu de lumière, Dieu de gloire, constitué des mêmes éléments que le Père, c’est une Force qui a participé à la construction de l’espace. On peut donc dire qu’il est le Frère de Dieu, le frère spirituel, ou le grand frère. Le paradoxe de sa grandeur est d’obéir à la pensée du Fils. On peut lire (Jean 16,7) : “ Pourtant je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je parte ; car si je ne pars pas, Le Paraclet ne viendra pas à vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. ”

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Le Parfait

Dieu est donc la représentation du parfait. Il s’agit de le considérer petit de taille, et immense dans sa réalisation. Il faut aussi l’imaginer en un lieu qui pourrait s’apparenter au Saint Sanctuaire, et tenter de supposer son rapport avec les choses visibles et invisibles qu’Il prétend dominer. Il faudrait aussi tenter de comprendre quel est son rapport mécanique ou actif avec les objets qui l’entourent. Encore est-il nécessaire de prétendre qu’il habite le même espace-temps que les objets qu’il a produits. Et voilà la grande difficulté à laquelle est soumis tout spéculateur. Il suppose d’après des éléments aléatoires mis à sa disposition. S’il construit sur une théorie de l’erreur, il ne s’en doute pas et ne veut en démentir. S’il travaille avec l’outil biblique, il jugera en la vérité des Saintes Écritures. Alors que faire ? Dieu est lumière, et tous s’accordent sur ce point. La lumière serait donc un principe d’intelligence, de vie et d’immortalité. Cette énergie-là conférerait des propriétés qui engendreraient du pouvoir.

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Dieu n’est pas toujours dans l’âme ou dans le coeur, car il existe autant d’hommes à ne rien croire que d’hommes à croire en quelque chose. Si tous considèrent qu’il y a une organisation à l’échelle de la nature, quand certains y voient la preuve de Dieu, d’autres n’y décèlent qu’un élan vital biologique.

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Le mystique

Le mystique est un homme de raison, qui a pu juger par ses sens et accéder à une expérience paranormale unique, rarissime dans son fait et difficilement renouvelable. Et c’est la rareté de son expérience qui engendre chez autrui le doute concernant la véracité de ce fait.

Imaginons un papou indigène, ignorant tout de la civilisation occidentale, - s’il aperçoit un objet volant tel un avion de transport, s’il observe attentivement le déplacement de cet objet, il ne pourra prétendre avoir été berné par la qualité de ses sens. De retour dans son village, s’il raconte son histoire, il peut ne pas être cru par le reste de la communauté, qui ne verra en lui qu’un sinistre fabulateur en proie à l’ivresse de quelques champignons hallucinogènes.

Le mystique est donc un homme qui a une expérience exceptionnelle avec l’inconnu, avec l’inexplicable. Il entend des voix, assiste à des manifestations quasi-divines et choisit le plus souvent de conserver le silence plutôt que de se savoir la risée de ses contemporains. Il en arrive même à taire à ses supérieurs le 134


phénomène fantastique qu’il a éprouvé. Le silence, la certitude de Dieu en son for intérieur lui semblent plus raisonnables : il craint parfois que l’interprétation de son expérience ne soit jugée comme étant une volonté délibérée de surestimer sa “ valeur humaine réelle. ” Car c’est bien se grandir que de prétendre communier avec la Vierge, avec un Dieu ou avec le Christ. Le voilà dans son immense solitude, enrichi d’une expérience phénoménale, qui grandit sa foi, mais le marginalise dans la communauté. Je ne suis pas loin de penser que nombre de sœurs qui ont épousé Jésus-Christ, de prêtres qui ont fait vœu d’abstinence, ont quelque part eu un rendez-vous pour un immense témoignage avec un principe de l’Au-delà. Mais l’humilité de leur coeur a préféré ne rien dévoiler, ne rien divulguer, n’imitant pas en cela un simple racontar de secrets. Car il s’agit d’un secret qui veut certifier la vérité d’une vie après la mort, d’une existence hors de l’enveloppe charnelle, là où règne l’Esprit. Nous descendons à présent dans le commun des mortels. Grand nombre de personnes, fort raisonnables, pourvues de bon sens populaire, ont éprouvé lors d’un décès la certitude perceptible de phénomènes paranormaux tels la présence 135


à leurs côtés du proche disparu. L’analyse médicale prétend que tout cela découle du travail du décès, qui ne s’appuie sur aucune explication rationnelle. Je prétends que c’est par cet endroit que l’on pénétrera le mystère d’une possible survie après la mort. La religion a suscité autant de vocations qu’elle a fabriquées d’incrédules. Le mystique dit : “ Je crois parce que j’ai vu, parce que je sais. ” Le prêtre dit : “ Croyez car cela est écrit dans la Bible. ” Pascal dit : “ Pariez pour Dieu, vous n’avez rien à perdre. ” L’homme de science demain dira peut-être : “ Vous pouvez croire en Dieu, car il y a une forme de vie après la mort. ”

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Révélations sur l’au-delà

Il faut ici considérer la détermination divine avec un oeil rationnel, sans aucune concession pour la religion. Il la faut donc voir avec la certitude et la logique des moyens dont nous disposons. Jetons tout d’abord à la poubelle de la facilité la croyance sans la preuve, la croyance du coeur ou de l’enfant. Je ne dispute point sur sa beauté ni sur son fondement réel, mais je l’exclus car s’il est preuve en soi, il ne saurait être vérité universelle. Les hommes de religion m’accorderont le droit pour le développement de ce raisonnement, quand bien même il nierait dans un premier temps l’existence du Fils et du Père, d’exploiter cette manœuvre fort utile dans les démonstrations mathématiques. J’ai détenu entre mes mains, voilà déjà presque vingt ans, un livre fort lumineux, traduit de l’américain et qui maintenant est accessible pur les petites bourses en collection bon marché. Le titre de l’ouvrage : “ La vie après la vie. ” 137


Je dois reconnaître que durant ma période d’adolescence, j’étais curieux des choses inconnues et paranormales. Je m’intéressais à la parapsychologie, au déplacement d’objet à distance, à la transmission télépathique et autres étonnements. J’avais lu des endroits extraits d’une revue, et la publicité ayant fait preuve d’efficacité, je décidai de commander le livre.

Dans les années soixante-dix, soixante-quinze, aux États-Unis, d’énormes progrès avaient été réalisés dans la réanimation des patients. Il était déjà possible à cette époque de ramener à la conscience des individus en situation de comas dépassés. Un médecin plus attentif que les autres avait remarqué que d’étranges témoignages qui se recoupaient, offraient des similitudes de détails et d’explications concernant des histoires abracadabrantes.

La plupart de ces patients prétendaient être sortis hors de leur corps physique, avoir entendu des voix les appelant, des voix de l’au-delà ou de proches disparus, s’être engouffrés dans une sorte de tunnel, et pour certains même avoir pu accéder à une source de lumière qu’ils identifiaient à Dieu ou au Christ.

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Il est évident que cela peut surprendre, et l’on prétend le plus souvent que ces états hypnotiques engendrent par le travail du cerveau des hallucinations bien connues. Mais les témoignages étaient concordants et l’hallucination si elle se nourrit de la mémoire de l’esprit, donc possède une valeur individuelle précise, ne peut revêtir un habillage collectif. Ce docteur a donc entrepris une enquête et n’a pas hésité à questionner certaines personnes qui n’osaient, de crainte de passer pour ridicules, de dévoiler leur témoignage. La recherche ne faisait que confirmer ce qui déjà avait été dit. Je n’ose croire que ce montage ne soit que pure fantaisie et qu’il ait été inventé pour vendre du papier. Je pense sincèrement qu’un grand secteur d’investigation s’offre à l’intelligence humaine, et lui permettra certainement de mieux pénétrer dans le mystère de la vie après la vie, et de la métaphysique divine.

Nous voilà donc dépourvus de toute croyance sans preuve quantifiable. Nous rejetons la certitude du coeur et pénétrons par la démonstration scientifique, dans l’un de nos plus éminents problèmes : l’existence de Dieu. 139


Rappel

Je me suis évertué dans mes recherches personnelles à tenter d’accéder au mystère et au paranormal, non pas que la curiosité me poussa vers cette forme irrationnelle et inconnue, mais je pourrais dire que le phénomène inexpliqué est venu à moi. Emprunter cette voie est hautement difficile. Elle n’est composée que d’indices, que de perceptions non renouvelables, et si elle possède quelque intérêt pour un esprit, elle est toutefois rejetée par l’immense majorité des rationalistes. La raison ne doit pas se laisser emporter par de vaines apparences, non. Elle doit constamment faire preuve de rigueur et de volonté pour ne pas s’embarquer vers des destinations sans but. Une intelligence responsable s’aperçoit que seule cette méthode peut le conduire à la vérité et à la connaissance. Il faut donc employer l’esprit de science, le seul réellement capable d’offrir une sécurité de certitude. L’expérience doit se concilier avec l’évidence absolue, et constamment s’entretenir avec la raison. 140


Mysticisme et paranormal

La forme nouvelle dans laquelle la vérité doit exister, ne peut être que le paranormal et le mysticisme.

Il est vrai que cela contredit la pensée fondamentale de la certitude dite scientifique, qui dans ce siècle rationnel à la technique appliquée n’a fait que d’affirmer le contraire. Il y a là tout un gisement d’une richesse inouïe qui nécessite évidemment un nettoyage ou une purification, - mais qui par son contenu et les questions qu’il pose - veut offrir à l’intelligence rationnelle tout un espace d’apprentissage et de compréhension. Ne peut-on pas aborder le problème de la voyance à travers une étude scientifique circonspecte ? Vérifier aux moyens de fréquences, de statistiques, de probabilité afin d’abolir la loi du hasard, vérifier l’exactitude des faits avancés ? Dans le domaine du mysticisme, serait-il stupide d’analyser avec rationalité des témoignages d’hommes de bon sens, qui cent fois pourraient répondre parfaitement aux questions ordinaires ou spécifiques, et qui affirment toutefois la vérité d’une communication paranormale ? Ces cobayes

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accepteraient-ils de bonne grâce de se soumettre aux tests de détecteurs de mensonges ou de “ pain ” total

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La vérité biblique

Il ne faut pas confondre interprétation humaine d’un Livre transmis par un Dieu, et vérité définitive et immuable. Il s’agit ici d’intégrer le développement progressif de la vérité, et de comprendre que la nature conserve un nombre considérable de secrets,

que

l’intelligence

humaine

n’en

est

qu’à

ses

balbutiements dans la connaissance, et que ce qui peut apparaître comme une contradiction n’est qu’un passage de l’ombre à la lumière, du boisseau tamisé à la réelle clarté. La certitude qui s’en dégage n’est qu’une affirmation du moment. En ce sens, le vrai et le faux ne s’opposent pas dans la détermination commune, mais avancent tous deux dans la direction du progrès. Il n’est donc pas question de rejeter en bloc l’ensemble de l’ouvrage sous prétexte qu’une explication semble contredire l’usage donné à la vérité. Ce n’est pas ainsi que l’on comprend la contraction dans le système mathématique basé sur des 1 et des 0, des affirmations et des négations. Il n’est admis que l’une ou l’autre de ces

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attitudes, - ce qui refuse le progrès dans le savoir et exclut toute Êvolution sensible.

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CHAPITRE SIXIÈME

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Divers

Continuité d’un monde occidental

Il est facile de voir que notre monde est un monde capitaliste qui ne subit aucune modification dans son principe, et qui certainement se poursuivra de la sorte dans les prochaines décennies. La pensée capitaliste s’impose et se positionne dans les pays de l’Est. C’est là un immense succès pour le leader ship américain.

Certes, il y a des modifications, des transformations étonnantes liées en grande partie à l’émergence de certains marchés à croissance rapide, mais la pensée occidentale semble s’imposer et régner dans un monde de libre-échange où la puissance des banques et des multinationales se fortifient et se renforcent. Les progrès accomplis dans les domaines des techniques engendrent des évolutions et non pas des révolutions de comportements.

Le grand perdant de cette crise économique qui a vu le jour en 1973 avec la guerre du Kippour et dont les effets de 146


restructurations semblent en grande partie être accomplis, - le grand perdant, disais-je, me paraît être le parti ouvrier occidental. Des millions d’hommes et de femmes quémandent le droit au travail, d’autres vendent leur force pour des mi-temps avec des salaires dérisoires, d’autres encore sont sans logis et errent des journées entières marchant avec enfants pour quelques-uns dans les rues de la ville. Tout cela est pitoyable, et peu digne d’une société se prévalant d’être l’une des plus riches au monde. Le nombre d’adhésions aux syndicats ne cesse de baisser, l’ouvrier frileux et replié sur soi-même craint pour son emploi, et préfère se taire plutôt que d’intervenir et voir son poste supprimé. Il faut donc se satisfaire d’un revenu dérisoire, en peau de chagrin et l’on prétend encore que pour résoudre le problème du chômage, le partage du temps de travail s’avère nécessaire. On propose une diminution du temps de travail accompagnée évidemment d’une diminution de salaire, donc du pouvoir d’achat.

Dans le même temps, les profits réalisés par les entreprises sont en hausse constante. La balance commerciale de 147


la France tire des excédents jamais atteints. Si les grandes reconstructions ont déjà été accomplies dans d’importants secteurs, si le dégraissage a été effectué, la bonne santé de ces entreprises qui progressent en profit n’a pas encore entraîné la moindre création d’emplois d’ouvriers ou de techniciens qualifiés. Le profit va au profit, et nulle relance pour l’économie. Les ménages ne peuvent consommer, faute de moyens financiers. Les capitaux dans une certaine mesure, se placent à taux élevé sur les bourses étrangères. La France s’essouffle. Le gouvernement tant bien que mal, plutôt mal que bien d’ailleurs, propose aux bénéficiaires de PEP d’utiliser les sommes bloquées dans les contrats, et cherchent à convaincre les Français de tirer dans leurs bas de laine leurs faibles économies pour relancer la demande par la consommation. Tout cela prête à rire. L’Allemagne, notre colossal partenaire, prévoit une croissance de son PIB de 0,5 à 1 % pour l’année 96. Le Japon ne resplendit guère mieux, et de grands centres de statistiques assurent une augmentation du produit intérieur de 0,5 % pour l’année fiscale qui va débuter.

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Que faire dans une conjoncture occidentale si difficile ? Et quel peut être l’espoir et l’avenir du monde ouvrier dans de telles circonstances internationales ? Je l’écris - c’est bien la continuité du monde occidental, l’on y terrasse l’ouvrier, l’on y soumet les techniciens et le personnel d’encadrement à des rendements excessifs. L’homme au chapeau clap et au gros cigare semble réellement avoir gagné son tour de bras de force avec l’ouvrier. Ce dernier est miné, soumis à quémander quelque obole pour survivre. Et je ne vois guère de possibles évolutions de changements. Cela risque de durer longtemps ainsi encore.

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Second degré

N’est-ce pas une chose difficile que d’avoir constamment des étrangers autour de soi et d’être dans l’obligation de subir leur présence ? Toutes les différences de peau, de faciès, de couleur et de culture ajoutent encore à cette contradiction. On ne peut pas même s’échanger les plus infimes propos. Aux temps bénis des colonies, comme l’a chanté Michel Sardou, le relationnel était tout autre : c’était un rapport dominant/dominé. Le noir obéissait à l’ordre du blanc - un point, c’est tout. L’ensemble était compris, admis, appliqué. La suprématie de la race blanche s’imposait et semblait faire bénéficier de sa compétence la race noire, c’est-àdire la race inférieure. Remarquez qu’il n’y avait pas de haine. De vraies amitiés pouvaient même se nouer. De splendides dou dous aimaient leurs bons maît’es, pleines de reconnaissance pour les gages qu’ils leur octroyaient. Il n’y avait là ni haine ni violence, ni explosif ni dynamite. On s’étonne parfois que pas un chef politique, pas un leader d’opposition à l’exception peut-être de Jean-Marie Le Pen n’ait agité l’étendard de la colonisation, du big back to the blacks. Chacun y trouverait profit : les malheureux et les pauvres, les 150


crève-la-faim à qui l’on apprendrait à semer, les sidaïques à qui l’on apprendrait à bien mourir. Car pour tout vous dire, ils sont des millions et des millions en Ouganda et pays limitrophes à être contaminés par l’HIV. Il s’agit ici de solidarité à l’échelle planétaire. Mais les états, les tribus se replient sur eux-mêmes et refusent de participer à cet immense élan de générosité. Certains prétendent que l’on a assez donné, d’autres que l’on n’a pas assez pris. Prendre, donner... c’est échanger. L’on voit toute l’utilité du commerce pour une civilisation. Le commerce rend prospère et cette prospérité est mère de nombreuses vertus.

Nous-mêmes, ne devons-nous pas subir la domination de la race jaune qui nous surpasse dans tous les domaines de la technique appliquée, qui est en avance sur nos précédés et sur notre connaissance ?

Cela serait un bon retour des choses, et la boucle serait bouclée.

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De la femme

Est-il bon de se répandre dans la chair des femmes, d’épuiser sa semence vitale pour accéder à quelques instants de plaisir ? On prétendra qu’il est dans la nature de l’homme d’aller et venir dans le corps de sa compagne afin d’y générer un soimême qui lui ressemblera.

Ne serait-il pas plus raisonnable de se défaire par un acte masturbatoire du trop plein qu’engendrent notre hypophyse ou nos glandes sexuelles, de se débarrasser de cet amas visqueux et gluant que le pénis secoue et expulse dans des contorsions étranges ? Quelqu’un s’est-il essayé de comptabiliser toutes les heures perdues à courir, supplier, quémander ou implorer aux pieds de sa femme ou de sa maîtresse ? Est-il possible de déterminer le nombre de conflits, d’embarras, de violence ou d’excès que peut entraîner la présence de la femme à ses côtés ?

Je suppose que grand nombre de philosophes par raison ou par expérience ont dû apprécier à leur manière cette 152


interrogation, et sachant y répondre ont préféré la solitude à la vie en commun avec une compagne.

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De la critique littéraire

Est-ce vraiment raisonnable de s’essayer au jeu divertissant de l’écriture ? De s’amuser à construire des structures, associant des substantifs à des adjectifs pour obtenir de beaux accords ? Sont-ils beaux d’ailleurs, ces accords ? Qui pourrait juger de la qualité stylistique ainsi obtenue ? Quel artiste, grand amateur de beau, quel critique à la plume virulente, pourra se prévaloir de posséder la vérité dans l’exercice de l’art ? Pourtant chacun se prétend pourvu d’une quantité appréciable de vérité dans l’analyse d’autrui. “ Cette certitude est le fruit de l’expérience, disent certains. Voilà, déjà trente ans que je lis de la poésie, de la prose ou du roman. Je sais donc ce qui est bon et ce qui est mauvais. Je puis aisément séparer le grain de l’ivraie, et je vous certifie, mon cher ami etc... ” Combien de gens de bonne foi ai-je pu entendre s’exprimer de la sorte, et tous avaient la conviction comme une croix autour du cou. J’ai appris qu’il était impossible de savoir qu’untel était doué et que tel autre était un triple nigaud. Que l’œuvre de celui-

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ci passera à la postérité tandis que l’œuvre de celui-là sera jetée au plus profond des oubliettes. L’histoire de la littérature est composée d’incapables, de rejetés, d’ignorés de leur temps présent, qui aujourd’hui instruisent et nourrissent les enfants de l’éducation nationale.

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Sur la mort

En vérité, il y a pour l’espèce humaine deux espaces temps bien définis. Le premier, qui se conçoit de lui-même, c’est celui dans lequel nous vivons où le temps est mesuré de façon précise. Cet espace est palpable, il est quadridimensionnel, et l’homme y est fait de chair. L’une des caractéristiques de cet espace, c’est la difficulté que rencontre l’homme à s’y mouvoir difficultés de substances matérielles, difficultés corporelles et difficultés spirituelles. On peut dire de façon amusante que l’homme est une tortue avec sa carapace, ses contraintes et son poids. Mais que la tortue vienne à atteindre l’eau, et elle se déplacera à la vitesse de trente-deux kilomètres/heure. Et nous voilà dans le deuxième espace-temps, plus intéressant à pénétrer et à comprendre. C’est encore l’image de la tortue mais sans sa carapace, ou l’image de l’homme sans son enveloppe charnelle. Pour ce faire, pour atteindre ce nouvel espace, il faut donc quitter son enveloppe charnelle, il faut mourir dans la plupart des cas, car grand nombre de personnes sont déjà parvenues à sortir hors de leur corps et à le réintégrer. Il doit y avoir des techniques relativement simples de yoga permettant d’accomplir cette sortie hors de soi. 156


Ce nouvel espace-temps peut être assimilé à l’idée simple que se font les croyants de la vie après la vie, ou tout bêtement “ le ciel.”

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De la rigueur mathématique

Quoi de plus incongru, de plus étonnant que de faire appel à des poètes pour tirer quelques vérités. Ce sont des esprits remplis de chimères, qui se nourrissent d’images et se languissent constamment pour des insignifiances et du ridicule.

Ils se prélassent des heures durant sur des divans, ou se reposent au cabaret et se prévalent de détenir quelques certitudes. N’est-ce pas insensé que d’utiliser de telles raisons qui parlent dans de telles bouches pour annoncer le Droit et la Loi ?

Comment est-il possible de comprendre une Force Supérieure qui a construit avec sa magnifique intelligence ce splendide univers ? Le voilà qui parle par la bouche de ses prophètes avec des images poétiques ! Le voilà encore qui sacre le roi des rois - Salomon - et lui fait rédiger des recueils de sentences ! N’aurait-il pas été plus raisonnable d’utiliser un homme charpenté de vérités mathématiques sachant pertinemment que 2 et 2 font quatre ?

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Il est vrai me rĂŠpond ma malice que dans le principe de La TrinitĂŠ un plus un plus un font un.

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L’état prophétique

Il est assez humain de vouloir comparer la pensée philosophique à l’image poétique et le lyrisme poétique à l’état prophétique. Le tout se ressemble et paraît se mêler dans une mixture intellectuelle sublime ou cocasse. L’accumulation de la raison s’associe au déversement de l’image, et le tout relié par des éléments de coordination donne au chant, au chapitre ou au poème un mouvement qui semble pouvoir s’entendre, - quoique des résistances de sens s’opèrent ici et là. Mais ne faut-il pas, pense le lecteur, qu’il y ait en quelques endroits du moins de la difficulté ? Où serait le plaisir de la compréhension ?

Je prétends et je veux affirmer avec beaucoup de véhémence que l’état prophétique n’est pas une chimère donnée à quelque inspiration poétique débrayée, mais qu’il est un choix puissant et responsable de l’Esprit de Dieu qui confère à l’homme prédestiné la capacité de servir d’intermédiaire entre Dieu et le peuple. Entend qui voudra.

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Du plaisir dans l’apprentissage

Ce qui semble étonnant c’est de voir certains hommes capables de répéter inlassablement les mêmes actions, les mêmes comportements, les mêmes déplacements et de s’en bien porter pour autant. Y aurait-il donc plaisir dans l’obligation de reproduire un même geste, de concevoir une même pensée ou d’agir de façon semblable ? Serait-ce de la paresse ou de la jouissance nonchalante que de balayer son regard sur un paysage que l’on a déjà vu des milliers de fois, de caresser le corps d’une femme que l’on possède depuis de longues années ou d’accomplir la même tâche à son bureau ou dans son atelier ? Il est peut-être dans la nature de l’homme de se suffire du fameux steak frites 6 fois par semaine, de regarder la même émission de télévision présentée par Michel Drucker ou de subir les fameux embouteillages de fin de semaine.

Car ne faut-il pas condamner cet éternel étudiant qui toujours à s’instruire, toujours à s’ouvrir sur des mondes nouveaux, avide de savoir et de connaissance veut encore apprendre et ne sait jamais rien ? 161


Domaine du défini

On parvient toutefois en mathématique à utiliser un langage commun qui va au-delà de sa propre langue (l’écriture mathématique russe est la même que l’écriture mathématique anglaise), on peut exprimer des concepts, des notions, des certitudes, des propositions ou des vérités uniquement parce que l’on travaille dans un espace bien défini, bien régi. Que l’on vienne à se poser un problème en se déplaçant d’espace ou de lieu de définition, et la certitude devient doute, et la vérité est à reconsidérer, à vérifier à nouveau. C’est le grand privilège du langage mathématique : une affirmation est vraie parce que l’on raisonne dans un espace déterminé. Que l’on vienne à changer d’espace etc.

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Lire ou compter

Je ne me souviens pas avoir éprouvé le moindre intérêt à lire quelques ouvrages dans mon enfance. La connaissance que je pouvais en tirer me paraissait le plus souvent ennuyeuse et astreignante. Je pensais que je parviendrais à acquérir un savoir précis et utile à ma formation en côtoyant le quotidien, en me frottant à des adultes, en vérité, en me nourrissant avec les yeux. J’estimais fort peu la poésie, prétendant que cet art était plutôt le jeu d’esprits insouciants, dépourvus de rigueur et enclins aux excès les plus détestables. Ceux qui s’essayaient à ce genre de discipline me paraissaient manquer de pensées claires et lucides, n’ayant que peu de moyens pour persuader et se complaisant dans des pleurnicheries et des jérémiades sans fin.

Je ne méprisais pas leur habileté à savoir maîtriser la tournure, et savais apprécier leur manière et leur douceur, mais je ne pensais pas que cette discipline pût apporter à ma raison l’équilibre certain qu’elle s’efforçait de trouver. 163


Je croyais en toute évidence, à la sacro-sainte mathématique - la reine des sciences - à cause de sa certitude et de l’évidence de ses raisonnements. Je pensais qu’elle n’avait pour but qu’elle-même, c’est-à-dire sa propre pureté. Je ne voyais guère l’utilité de ses applications...

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Quelle méthode ?

Ce que je recherche avec cette méthode - la mienne c’est de parvenir en utilisant toute la raison qui est mise à ma disposition, ou pour le mieux en mon pouvoir, à exploiter les ressources intellectuelles connues et inconnues. Je commence à sentir - terme qui ne me convient guère par son manque de précision - que l’esprit s’essaie peu à peu à tirer de soi de nouvelles possibilités et de nouveaux moyens.

Suis-je homme qui marche seul, dans la rue sans lumières ? Me faut-il aller lentement en usant de beaucoup de circonspection, craignant de trébucher ou de chuter sur un obstacle ?

Mais je cherche à avancer vite, pressé par le temps peutêtre. J’ai la certitude d’avoir mes Dieux à mes côtés. Quel risque puis-je encourir ? Ce que je méprise le plus en moi, le plus en l’homme, c’est sa petitesse intellectuelle, sa médiocrité d’être né si tôt tandis que la civilisation en est à ses balbutiements de développements 165


et de savoir. Alors je subis le ridicule de ma capacité à comprendre, à percevoir, à assimiler.

Je vis par le sexe et le bien-être matériel, incapable que je suis à vivre auprès de Dieu, à le palper avec de grands bras invisibles.

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La folie

La folie. Il faudrait tout d’abord s’entendre sur la signification de ce mot. À quoi est-on fou ? Quel péché a-t-on pu commettre pour arriver à cet état de souffrance ? Est-ce d’ailleurs la résultante d’une faute présente ou antérieure ? Répondre à cette question, c’est prétendre posséder ce mystère de valeurs, de rachats, de fautes, de justice en quelque sorte que pourrait détenir le Seigneur. Je reviens à ma première question, après cette légère parenthèse : À quoi est-on fou ? Il serait préférable d’interroger des spécialistes, des psychiatres plus aptes à intervenir efficacement car en contact permanent avec ces malades. À quoi n’est-on pas fou ? Voilà une question peut-être plus intéressante.

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Bilan

En ce jour détestable, où tout est souffrance et violence et douleur, où certaines figues viennent à maturation, où d’autres sont encore jeunes pour être cueillies, un soleil de conscience vient d’éclairer ma raison : j’observe ce que j’ai fait, je conçois ce que j’aurais dû produire, jamais je n’ai obtenu les œuvres que mon cerveau m’aurait permis d’extraire. Voilà bien un triste bilan. J’analyse mes résultats aujourd’hui dans ma trente-sixième année. Je n’ai pu travailler qu’à 50 % de ma capacité intellectuelle et j’ai perdu 90 % de ma technique d’écriture. Quelle misère ! Voilà pourquoi, je puis gémir, sans que personne ne puisse me consoler, hélas !

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De bien mourir

Il faudrait trouver une méthode d’investigation humaine permettant de se préparer à bien mourir, c’est-à-dire de se présenter devant Dieu dans les meilleures conditions possibles de purification, de formation, d’apprentissage et d’expériences terrestres positives. Mais pour cela, il serait nécessaire tout d’abord de croire en la certitude d’une vie après la mort. Car à quoi peut bien servir un système d’apprentissage, de formation ou d’expérience si l’individu intéressé prétend qu’il n’existe aucune forme de vie dite supérieure après la mort ? Ceci prouve que ce principe de vie n’est concevable qu’accompagné d’une certitude de morale à appliquer. Il s’agirait toutefois pour l’homme rempli d’athéisme ou de certitude du rien et du néant de se construire un système d’existence à travers une multitude d’expériences - expériences

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susceptibles d’enrichir son esprit et de favoriser ainsi son principe de vie et de pensÊes.

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L’existence de Dieu

Pour démontrer l’existence de Dieu, il suffirait que Dieu se laissât rendre accessible à nos sens, que l’on pût le voir, le toucher, discuter avec lui - ceci serait une preuve, un état de certitude, et le grand problème de la métaphysique serait ainsi révolu avec un peu de moyens, avec une grande économie de tergiversations et de discussions. Mais hélas pour l’intelligence humaine, ce Dieu est bien discret, et ne se veut montrer qu’à quelques-uns - on les appelle mystiques, voyants ou sanctifiés. C’est encore une démonstration par le Cercle. Or il faut être en dehors du Cercle pour admettre ce type de vérités. Et celui qui croit dans le périmètre... Il faudrait une certitude collective telle une vérité mathématique, tandis que l’acte de foi consiste à se crédibiliser auprès de chaque individu, de façon indépendante, de façon unitaire. On fabrique des prosélytes en vérité, touchés de manière indépendante. La croyance n’est pas basée sur des faits concrets. C’est un acte de foi,... dommage.

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Savoir, ignorer

Il y a

Ce que je sais - ce dont je ne puis douter ; ce que je crois par raison impalpable ; ce que je sais et ne puis révéler ;

Il y a

Ce que je ne sais pas, et qui est vérité ; ce que je crois savoir mais qui est fausseté ; ce que je prétends connaître et qui est confusion ;

Il y a Ce que je n’ai jamais su et que je ne saurai jamais ;

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Philosophie

Comment construire un homme ?

Utiliser le langage humain pour raisonner, c’est employer l’appréciation de l’oeil pour déterminer les distances. Quoi de plus impur que le langage des mots ! Et l’on voudrait utiliser un instrument si imparfait pour défendre des raisons, pour annoncer des vérités philosophiques, pour convaincre et prétendre détenir la certitude ! Le bon sens est encore de s’abstenir et de faire preuve de modestie dans l’emploi du langage, puisque ce dernier est composé de mots qui sont des variables de valeur dont les définitions diffèrent selon chaque individu. Il faut donc se mettre d’accord sur le sens, sur la valeur des mots que l’on emploie. Et cela n’est pas chose aisée.

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Méthode d’adolescent

Je doutais de la morale et des vérités et de la foi. Pourtant elles avaient été les toutes premières à nourrir mon esprit, et à lui servir de créance. Je prétendais qu’en toutes mes opinions, je pouvais librement juger au-delà d’une certaine norme et d’une certaine raison. Je compris l’utilité de converser avec les hommes plutôt que de rester enfermé longtemps en soi-même. Je ne fis autre chose que de me nourrir de spectacle de la vie et de travailler avec mes yeux, tachant d’y être un habile observateur plutôt qu’un déplorable comédien.

Je pouvais de cette sorte remettre en cause grand nombre d’informations reçues qui donnent toujours l’occasion de commettre des erreurs, et je parvenais à me corriger. Il va s’en dire, que je ne tachais pas d’imiter les sceptiques qui toujours en sont à douter. Non. J’essayais de construire lentement selon un procédé de certitudes indéniables et 174


de m’y fixer comme structures de base, ou d’architectures métalliques.

Et je prétendais obtenir des gains de vérité assez certains. Ces constructions ou ces avancées raisonnées et claires me permettaient de substituer à des premières “certitudes” douteuses, d’autres informations plus fondées et plus réalistes. J’ose employer cette image : je défaisais certains pans de mon habitation, et reconstruisais avec plus de ciment et de meilleures briques.

175


Question

Recevoir des informations fausses pour véritables, et ne pouvoir dans des principes si mal assurés discerner l’erreur de la certitude ; comment parvenir à se défaire de tous ces mauvais fondements et comment reconstruire un principe de certitude tandis que la méthode afin d’évaluer, de peser ou de prétendre savoir peut s’avérer être inexacte ?

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Le génie

Le génie est rarement cette impulsion inexplicable qui surgirait d’un inconnu créatif dont on serait l’instrument et en même temps la victime passive. Le génie n’est pas seulement le médium entre un inconscient qui dicte et une feuille de papier qui reçoit des informations. Je dis feuille de papier, mais j’entends aussi bien le maillet du sculpteur, le pinceau du peintre ou le piano du compositeur. Je pense que l’artiste se nourrit de toutes sortes d’informations qu’il ingurgite, avale, assimile, consciemment ou inconsciemment, je prétends que son cerveau travaille et peut lui enseigner une manière, un tour, des refus, des choix de combinaisons qu’il aura vite fait d’utiliser pour appliquer son principe de création.

Alain dans ses Eléments de philosophie tente dans son chapitre X du quatrième livre de mieux cerner la spécificité du génie. Il lui accorde une facilité dans l’exécution, une vitesse et une précision rares. Il y voit la marque de la spontanéité dans 177


l’improvisation. D’après cela, la raison et la mesure, la maîtrise de soi seraient assez éloignées de la définition qu’il pourrait revêtir.

Ne faut-il pas au-delà de cette difficulté certaine à comprendre le mécanisme fondamental de la création humaine, y voir

une

association

entre

une

impulsion

cérébrale

et

mémorisation d’expériences qui combinées l’une à l’autre permet d’engendrer un acte inventif de qualité supérieure ?

Comprendre comment fonctionne le cerveau sublimé, est-ce réellement nécessaire ? Qu’est-ce qui sépare Picasso d’un enfant de six ans ? C’est un rapport de 1 à 1 milliard pour ce qui est de l’aptitude à peindre. C’est la bille et la planète. Comprendre la bille n’est pas un échantillonnage suffisant pour comprendre la planète ? Pourquoi s’intéresser à la sublimation de l’artiste ? N’est-ce pas plus raisonnable de tenter de savoir comment fonctionne ce cerveau humain ? C’est peut-être la machine la plus extraordinaire mise à la disposition de l’homme. C’est un instrument bien plus complexe encore que la meilleure de nos navettes spatiales, car son tableau de bord nous est à 90 % inconnu. 178


Entre deux âges

Assis sur le toit des deux âges, je regarde jeunesse qui s’enfuit et vieillesse qui arrive à pas de loup. Je ne me crois ni jeune ni vieux, et si je balance de l’un à l’autre, la force vive semble toutefois puissamment ancrée dans ma personne. Je ne possède plus cette formidable impulsion de jeunesse qui offre à l’esprit la capacité d’aller outre la construction logique, et par aptitude de synthèse de comprendre sans avoir démontré. J’avance plus doucement et j’aime échafauder ; oui, j’apprécie cette élaboration lente et précise qui accompagne les faits. Le jugement appelle le repos, et prétend que la raison doit aller bon train, sans trop se hâter accompagnée de la preuve et de la certitude. Il serait peut-être judicieux que l’une et l’autre imitent les qualités et tentent de rejeter leurs défauts. Cela n’est pas une belle chose que de froncer les sourcils et de prendre des airs ténébreux pour s’imaginer posséder quelque importance. Cela peut sembler ridicule que d’être partant pour la danse quand des premiers rhumatismes ou sciatiques attaquent nerfs et os. 179


Comment faut-il se comporter ? De quelle manière faut-il exploiter cette expérience ?

Pour aller vite, jeunesse doit savoir sans avoir eu à démontrer. Pour aller bien, vieillesse doit tenter d’être utile en prétendant à l’innovation. “ Moi qui balance entre deux âges ”... Tout à coup me revient à la mémoire la chanson de Georges Brassens... Nous devons posséder de l’intelligence et exister, et nous assumer sur les trois âges, - celui de la jeunesse, celui de l’âge de force, et celui de la vieillesse. Je reconnais la formidable capacité créatrice de Pablo Picasso qui dans sa dernière façon peignait de manière buissonneuse mais encore splendide.

Une remarque semble assez paradoxale. Quand on essaie de récupérer le filon de la jeunesse, en y ajoutant sa compétence, l’ensemble réunit n’offre pas un produit de qualité. La maîtrise de l’inspiration détruirait donc cette sorte d’impulsivité qui est parfois la marque du génie ?

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La discipline de la musique moderne bruyante et agressive semblerait donner raison à la jeunesse. Passer un certain âge, comme l’on dit souvent, le Rock And Roll n’est plus qu’une visite au Musée où l’on voit gesticuler des quinquagénaires qui se contorsionnent. Mais la substance des produits musicaux a été conçue en d’autres époques, passées, dépassées... oubliées.

Alors que faire ? De quelle manière faut-il se comporter ? Puis-je réellement répondre à cette question ? Il est plus sage d’attendre que le temps me donne l’expérience pour m’exprimer à nouveau.

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TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE PREMIER - De l’Intelligence Le parcours de l’esprit De la logique L’intelligence humaine L’idée Détester le doute Penser, c’est vérifier De juger La quête de la vérité L’intelligence doute Idées et réflexions Des ressources humaines Les postulats L’intuition La certitude de l’immédiat Dialectique négative La conscience et l’instinct Le royaume du doute 182


Méthode d’intégration Imaginer Dédoublement Volonté d’abolir la conscience

CHAPITRE SECOND - De la Mathématique

La Mathématique Le vrai De la géométrie et de l’intuition Le 1 et le 0 Insensible mathématique

CHAPITRE TROISIÈME - De l’Art Trois distinctions dans l’art Le vouloir créatif Arpèges sur le beau De l’art Esthétique

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CHAPITRE QUATRIÈME - De la Poésie De l’invisible et de la rigueur Le spectre d’autrefois Le don de plaire De l’œuvre De l’association poétique De la critique poétique Comprendre les poètes Poésie, rigueur et liberté Le choix de la jeunesse

I II III

La poésie Stylistique en prose et stylistique poétique De la critique de soi Fragment sur la poésie

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Blocage de la transmission poétique Morceau

CHAPITRE CINQUIÈME - De Dieu De Dieu, de l’intelligence de coeur De la grandeur du Saint-Esprit Le parfait Le mystique Révélations sur l’au-delà Rappel Mysticisme et paranormal La vérité biblique

CHAPITRE SIXIÈME - Divers Continuité d’un monde occidental Second degré De la femme De la critique littéraire Sur la mort 185


De la rigueur mathématique L’état prophétique Du plaisir dans l’apprentissage Domaine du défini Lire ou compter Quelle méthode ? La folie Bilan De bien mourir L’existence de Dieu Savoir, ignorer Philosophie Méthode d’adolescent Question Le génie Entre deux âges

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