FRANCK LOZAC'H http://flozach.free.fr/lozach/ LE MANUSCRIT INACHEVÉ
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OU
LES CONFESSIONS D'UN JEUNE ÉCRIVAIN
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PRÉFACE
Voilà un bien curieux titre pour un recueil de textes ! Il pourrait sembler énigmatique voire emprunt d'une tendance surréaliste. Il n'en est rien du tout. L'origine de ce choix est ordinaire. J'avais accumulé en avril - mai - juin 79 un ensemble de fragments et de morceaux qui étaient sortis dans un désordre inimaginable. J'ignorais ce que je pouvais bien faire de ce tas de papier mêlé et empêtré ! Je ne parvenais pas à en tirer une sorte de canevas. M'essayant encore à construire le recueil et ne pouvant y arriver, je décidai de l'abandonner. J'inscrivis donc sur la chemise : manuscrit inachevé qui est devenu Le manuscrit inachevé. Telle est l'histoire.
Je pense avoir tenté dans cet exercice d'écriture de démontrer la réelle difficulté qu'éprouve le jeune littérateur à produire un livre construit de manière satisfaisante. On y dénote un dialogue dans la première partie de l'ouvrage où l'âme, la conscience, la critique et le poète prennent tour à tour la parole. J'espère que ces interventions seront toutefois comprises et ne sont pas interprétées comme étant une vulgaire cacophonie.
La deuxième partie du recueil est plus conventionnelle. 3
Elle est construite avec un ensemble de textes ayant la particularité de pouvoir être lus indépendamment.
J'avoue n'avoir que très peu retouché le manuscrit original. J'y ai laissé parfois la gaucherie et la spontanéité si caractéristiques de l'élan de jeunesse.
En souhaitant que l'éventuel lecteur ne m'en tiendra guère rigueur et se laissera aller à cette agréable spéculation sur la difficulté à devenir écrivain.
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Quel équilibre ?
Quel équilibre ? Ces lignes dénotent ta nature. Tu as voulu un monde à ta mesure. Tu n'étais qu'un enfant.
Les conversations pendant les longues promenades n'existaient que dans ta tête. Ta vie, ta jeune carrière sont-elles à résumer ? Dois-tu ajouter quelque chose ? Tu as vendu tes fantasmes. Que reste-t-il à écrire ?
Ce style précieux, étonnant, te donne-t-il le droit au bonheur ? Ne ris pas.
Y eut-il des tentatives intimes qui purent me satisfaire quelque journée ? Ce métier, était-il accessible à l'adolescence ?
Devons-nous grandir parmi les hommes de lettres, parrainés des plus hauts génies, et chaque soir nous endormir désespérés ? Nous faut-il vivre avec l'horreur de les toucher ?
Mais pourquoi rester enfermé seul des nuits entières dans cette chambre putride ? Ta solitude, je commençais à m'y habituer, moi qui travaille fort tard la nuit.
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Je m'évangélise cyniquement
Je m'évangélise cyniquement. Tous mes préceptes m'ont suivi. Voilà que je retombe dans mon mal. Arrête-toi là, s'il te plaît ! C'est la conscience qui parle, etc. Tu écris mal.
Las de se battre avec soi-même. La parfaite comédie de la vie, les petits évènements, les distractions. Chacun se croit subtil. En vérité des niais !
Écouter des chansons distrayantes, des idioties ! Je me suis peigné, brossé les dents. La mort dans l'âme, je sais ce que je représente. - Atroce nuit - nuit qui éclaire !
Il faut se faire comprendre. La puissance est à l'audace. Je n'ai jamais su exploser. J'ai toujours eu à subir la passion des autres.
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Tortures de la tête
Tortures de la tête. Ronflements incessants contre les supports stupides de la mémoire.
J'aurais préféré peindre la lumière des poèmes à boire. Je suis à l'agonie. Les sécheresses à des lieues du talent des écrivains !
Extraire des sucs, ma chimie ! J'étais heureux, sans plaire. Mon public, ces murs bleus...
Pâle faiblesse. J'ai changé les batailles. J'ai porté l'habit rouge. Je me restaure aux Dix commandements. J'ai ordonné à un vol d'étourneaux des tourbillons d'étoiles sans opérer de fantastiques agressions. Et pourquoi ?
7
Des pluies d'orage
Des pluies d'orage mordillent le sol, les flancs et le sable. Des nuits s'agrippent à la lune. Les charrues libératrices murmurent dans le chemin. Mes paroles stupides sont proférées à son oreille : obstination tardive. Effet printanier sans embrasser celle de mon choix.
8
J'ai dénoué les cheveux d'or
J'ai dénoué les cheveux d'or. Que valsent les éclairs, les amants, les amours !
Sinon, qu'insignifiante sa désinvolture paraisse !
Qu'il s'y plaise avec ses sermons, à l'origine de son feu !
Les images fusent, tombent, réapparaissent et se cognent, fractions de culture.
Pour quelle intensité, lui sergent de mes songes pendant que je travaille à nous verser davantage de femmes, invariables de chimie dans nos bras ?
9
Pourquoi se sont-ils tus ?
Pourquoi se sont-ils tus ? L'irritation m'aurait sauvé. Épouvantables nuits qui font l'homme ! Je n'ai jamais cru progresser.
Apprentissage scolastique. Si je suppose le manuscrit, je suis lu par une élite. Effet nul.
10
Un ange
Un ange commet l'indigne souhait de me toucher. D'autres se sont plu à contempler ma face virginale. Des "moi-mêmes" silencieux. Les ai-je une seule fois compris ?
Les rires sont fourbes. J'entends des rires vicieux. Leur crime est d'avoir usé de ma pureté.
Des prodiges stériles aux voix de marbre. Des présences. Mais quelle comédie jouer ? Point de critiques, point de moqueries ! Pourtant quelles faiblesses ! Quel est le sens de ces visites ?
11
J'annonce
J'annonce la scientifique année, et je plonge sous l'obstacle. Je devrais courir, voler, me battre.
Résignée, la plume est anéantie sous des milliers de lectures. J'obtiendrai, moi l'infatigable, l'effet qu'ils doivent retenir. Croire en soi, en Dieu. Je ne prie pas. Je fortifierais mon âme.
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Je me couche néanmoins
Je me couche néanmoins sur des neiges brûlantes en grande personne du premier âge.
J'ai la page à laver selon le vide, car le poème se meurt.
Une ligne préférée, c'est un pas vers toi. Pourtant la vie est commune. C'est l'air du débarras. La génération jure qu'on m'attend. La petite folie me tient au cœur, et la belle bête s'est vautrée au voisinage de la raison.
Peu d'âmes pour converser ! Je sens mon dialogue s'éteindre, mourir et renaître, - dialogue de mon choix.
Je me suis consolé, libre et serein. Essais difficiles. L'intelligence rampait dans la fange. J'ai nié ma culture.
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Encerclé par le poème
Encerclé par le poème, moi l'ignorant ! Feux, rayonnements d'ombres, eux ! Suis-je né d'avoir trop vécu ?
Aux portes du mystère, - les principes de la nuit Tout ce monde courbé, qui réfléchit ! ...
Heureux dignitaires, j'ai parlé aux pères !
14
Mes trophées
Mes trophées, mes jérémiades, ô la mystification pour des richesses convoitées !
Crapule, tu crèves dans l'orgueil. Tu as subi des crises puantes, des cris menteurs. Tes nullités nagent. Ce sont tes soucis.
Voici que les difficultés tombent dans tes chemises ! Pour raisonner, lis les journaux ! La vie est d'une transparence sans esprit.
As-tu fait dire de toi : quel esprit complexé ! Arrivait le pâle essai, et j'interrogeais mon rôle : Qui est-il ? Silencieuse nuit, nuit lourde de travail où je ne dominais rien.
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Mystérieux écrivain
Mystérieux écrivain sorti d'un corps d'élite. Eux autour de l'apprenti. Groupés, écoutant les mots gonflés. Et je pense à Stéphane, et je pense à Paul. Comblé, le fade prosateur qui composait à la limite de son possible. Dans la maison du Pendu, je croyais entendre des suffocations.
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Des beautés ?
Des beautés ? Rien au passable ! De l'envie de se surpasser. À quoi bon continuer ? Point de sueurs, des attentes seulement. L'art s'efface au profit du succès. Quelle est ma différence ? Tu y gagneras à être un inconnu. Tu n'intéresseras jamais personne.
Ignorer le passé, il m'indispose toujours. Plaindre son jeune âge. Apprendre à se contrôler. Cracher sur les idioties enfantines.
Les mots, les carences de l'âme, à oublier. Les subtilités incomprises, les musiques savantes, les beaux accidents, à rêver. Mes désirs, mes mensonges, mes mystifications, que sais-je ? Je veux du neuf.
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La bouche collée
La bouche collée à la source d'inspiration. Seul, tout de même, les yeux plaqués sur ces livres, sur ces feuilles blanches qu'il faut noircir.
Prêt à céder quelques lopins de terre, à souffrir dans la contrainte. Les concessions, les gentillesses, les sourires. Le sauvage sortira de son trou. Lorsque le loup a faim etc.
J'ai menti de bonne foi, allègre mais besogneux.
Je me suis dégoûté avec ces phrases douteuses ! À la recherche de nouvelles aptitudes. Lire les grands classiques, c'est se haïr, se reprocher ses pages incertaines, Fils de chien, tu resteras chien etc.
Et le mot insensé se charge de vibration. La tension : je tremble de plaisir. Une ombre tenace d'Entités pour un poème menaçant. J'entends les âmes blanches penser : il écrit trop vite.
J'Illumine les impuretés. Je nage dans le détail. Ne sais où je vais. Patience. 18
Nègre, cette prose est détestable. Cherche des idées à défendre. Je t'inviterai à prolonger la fête, la nuit. Ce que tu diras pourra te nuire. Lis bien. Engage-toi dans de nouveaux poèmes. Agis pour scandaliser.
Aucune articulation dans ces textes. Rien n'est accouplé. Tu te gaspilles. Sans rigueur, que comptes-tu faire ? Il faut te forger une discipline.
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