Journal Journal 96 Echantillon

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FRANCK LOZAC’H

JOURNAL 1996

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Janvier L’intelligence de l’homme consiste à fabriquer ce qu’il ne sait pas - et c’est acte de créativité.

La pire des compagnies - le mal, évidemment, et soi-même parfois. Et pourtant quelle osmose entre le Moi qui pense et le Moi qui agit ! Les deux sont en accord parfait. L’un ordonne et l’autre exécute. Nulle contrainte, nulle résistance à l’obéissance. Si l’un possède telle capacité intellectuelle, l’autre en détient une part identique. L’on voit ainsi l’immense privilège que confère cette spécificité de compréhension simultanée. La douleur est une perte de temps comme la maladie d’ailleurs. Elle est une résistance à la capacité intellectuelle. Elle me bride, m’interdit de penser, de travailler, de produire. Donc j’attends... J’attends qu’elle passe, et quand son sinistre manège est achevé, ma production s’est évaporée, dilapidée dans l’essence de l’inspiration,... enfuie, à tout jamais. J’ai l’ultime conviction que la poésie ne peut en aucun cas rivaliser avec les autres disciplines. Elle se situe en dessous des autres métiers. Les poètes manquent d’énergie, de puissance, de volonté de travail. Ils se figurent détenir un don remarquable, mais c’est un don de fin de semaine, c’est un hobby, c’est une muse qu’ils taquinent et pourtant ils se prévalent d’être des éléments supérieurs, dotés d’une formidable capacité. S’ils avaient la critique adaptée à la comparaison, s’ils pouvaient quantifier leur valeur, toiser leur profondeur, comprendre la complexité de la

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science, - que penseraient-ils réellement de leur identité ? Où mettraient-ils leur compétence ? Hélas ! Il est très difficile d’arborer le problème de la valeur poétique avec un amateur, - il se dresse sur ses chevaux et n’accepte aucun mea culpa, il se prétend grand et fort, génial et grand poète. Existe-t-il ou peut-on prétendre qu’il existe un système d’investigation poétique ? Une sorte de méthode exploitant un principe organisé permettant d’accéder à une poésie supérieure ou à une œuvre de qualité élevée ?

Il est assez facile de déterminer le génie comme étant une rareté inexplicable que l’on reçoit d’un bloc, qui passe outre l’apprentissage et s’achève par la production de chefs-d'œuvre. L’on y voit l’emprise de Dieu qui dotant un humain d’une capacité exceptionnelle lui permet sans effort apparent d’accomplir des œuvres d’art magnifiques, et l’on pense à Mozart et l’on pense à Michel Ange.

Mathématiques, Philosophie, Religion.

Les trois moyens pour accéder à la connaissance. La religion est le chemin le plus court si l’homme passe par la révélation. La mathématique, c’est la science qui est lente mais vraie.

La philosophie spécule et cherche, sa dialectique est un frein à la vérité.

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Les trois ensembles sont rarement compatibles. Savoir en religion, c’est posséder la vérité par le moyen des sens ; mais les sens sont trompeurs. Alors qui croire ? Il faut donc ne pas douter de ses sens, et c’est affaire personnelle. Savoir en science, c’est posséder la vérité par l’expérience renouvelable. Or il est des choses de finesse ou de subtilité qui sont instables, à fréquence variable, et leur observation n’est pas possible, en sorte que certains nient toutes ces choses par rationalité et simplification. Ce qui est pratique, mais délaisse des événements importants.

La philosophie est le vaste lieu où tout est permis, où nulle spéculation n’est interdite. Elle est une immense ville de libertés où chacun trouve une place pour construire une maison. Ce n’est point un capharnaüm, c’est une cité cosmopolite où la passion et la raison s’enchaînent et s’emmêlent. Elle a ses églises et ses temples et des lieux où l’on ne croit en rien. L’intelligence du philosophe est d’accéder à la métaphysique vraie, celle en laquelle croient les monothéistes et qui jurent de la vie après la mort.

Valéry - Cahiers.

Je me pose parfois la question de savoir si Valéry est esprit de synthèse ou impuissance de développement. Tous ces bouts, tous ces fragments accumulés pendant un demi-siècle, - pourquoi ? Pourquoi le tout n’a-t-il pas été lié ? Car la pensée éjaculée sur dix, vingt ou trente lignes n’a pas le moyen de se développer, d’exister et de se fortifier dans la contradiction du débat. Le propos n’est pas

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architecturé par le dialogue d’un grand livre, mais semble idée infuse qui passe et que l’on capte,... puis l’on travaille à autre chose.

Le paradoxe de cette réflexion. Je suis persuadé à travers la production de Variétés, de la méthode de Léonard écrite à vingt trois ans que Paul avait aisément les moyens intellectuels d’unir ou de développer ses morceaux accolés. Alors pourquoi n’a-t-il pas souhaité organiser l’ensemble ?

Mort de François Mitterrand, lundi 8 janvier à 8 h 30 du matin. Difficile d’analyser et de prétendre savoir quelle récompense l’avenir offrira à cet homme. Le personnage est ambigu, nourri d’intelligence et de subtilité politique à la manière d’un Talleyrand.

Ce que je sais ou suppose posséder à la lumière du passé : la croissance mondiale détermine en grande partie l’image que laisse l’homme.

Puis-je faire la pluie et le beau temps ? Non, mais je navigue avec telle embarcation dans telle situation de climat. Et cela s’appelle gérer l’économie.

L’obligation.

Il faut donc chercher la pure obligation. Pour la trouver il faut longtemps puiser en soi-même, pénétrer au plus profond, être à l’écoute de sa propre conscience. Il s’agit de son principe de vie. Car la fragilité de cette recherche est de trouver en quoi l’obligation consiste. L’homme s’impose un devoir et se fait fort sur une période courte ou totale d’existence d’appliquer son 5


obligation. C’est une sorte de morale, un code de conduite. Il s’imposera une discipline pour atteindre son but. Il exploitera sa propre méthode, - rarement celle d’autrui.

La foi consiste avant tout à gagner du temps, à pénétrer une voie droite, simple, banalisée, accessible à tous. Le but est très intéressé. Il doit conduire l’esprit vers le futur. La foi n’est pas un hommage à une Force inconnue. L’esprit qui pense ne peut croire que cette immense organisation soit le fait du hasard, que le beau de la nature soit chance, probabilités, fréquences de statistiques. L’oeil qui voit, la perception qui ressent, a l’étrange impression que l’âme existe encore après la vie terrestre, que l’au-delà spirituel est une vérité, quand bien même cette véritélà, avec les moyens scientifiques dont dispose l’homme, serait difficile à démontrer. Il faut donc prouver scientifiquement l’existence de Dieu. Le témoignage de l’homme qui a vu Dieu serait peut-être faible chose, et ne serait pas preuve évidente pour la communauté rationnelle. S’il y avait un Dieu, il n’y aurait que lui, et pas de monde. (Ibid, VII, 659) p 602, P. Valéry. Cahiers II - Pléiade. L’on peut supposer que la période précédant la création de l’univers était période de divinité unique, d’éternelle solitude, de parfaite contemplation du Moi, puis vint l’Idée de construire. Mais le tout pourrait s’en retourner au Néant. Car ce qui a été construit peut être démoli, et la matière créée disparaître. 6


On

peut

supposer

pour

comprendre

l’immense

principe

de

réincarnation, de purification et d’élévation dont tout ce qui est vie est le témoin et l’acteur, que réintégrer, revivre est du moins nécessaire pour l’accession à la sphère finale, c’est-à-dire le bien-être dans un autre espace-temps. Il en est de l’homme comme du microbe, de l’infiniment grand comme de l’infiniment petit : Il se meurt et renaît.

Santé.

Toujours enquiquiné par ces gastrites aiguës à répétition. Le spécialiste propose si cela doit se poursuivre, de pratiquer une coloscopie afin d’aller visiter les intestins et l’estomac pour savoir ce qu’ils renferment.

Ma mère, branchée sur les médecines douces, me conseille de boire des verres d’argile, et de consulter Monsieur Girard, sorte de guérisseur doué dans le voisinage...

Plus sérieusement, je subis une sorte de fragilisation lente mais continuelle de mon organisme. Le système de défense semble moins efficace, et soumet l’ensemble à un affaiblissement de ma personne.

Gide. Je caresse le Journal de Gide. J’en suis à l’année 1927. Je vais à droite, à gauche, j’extrais des endroits, je parcours, je butine etc. !

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Gide, c’est une stylistique d’élégance, de délicatesse, de raffinement. Gide arrange les bouquets de roses. Sa critique est judicieuse, pertinente. Elle est l’œuvre d’un romancier ignorant la philosophie, la mathématique et l’esprit de science. Mais il se suffit de sa forme d’intelligence. Tout n’est que subtilité et finesse quand la rationalité et la géométrie sont inexistantes.

Avais-je véritablement le temps et les moyens de tenter de crédibiliser mon identité poétique ? J’ai délaissé tout le pan du relationnel, de l’activité consultante pour focaliser mon attention sur l’aptitude de production. Ai-je eu raison ? Car je n’ai pas appris à caresser, à faire le délicat, l’attentif à la critique d’autrui. J’avoue n’avoir jamais cru en la capacité de l’autre pour juger. Tous m’ont conseillé d’en cesser là, de faire chose différente, de ne pas entreprendre la traduction de la Bible, de synthétiser mon travail, d’abolir cette quantité etc. Si je les avais écoutés, jamais je n’aurais écrit ou si peu... quelques plaquettes, tout au plus. Ils m’ont conseillé de bifurquer, de travailler à temps partiel, d’exercer une profession adjacente. Et j’ai dû batailler ferme pour accomplir tant bien que mal cette œuvre. Est-il possible de se prévaloir d’être un grand poète ou un grand écrivain s’il n’y a pas constance à sa table de travail ? Ho ! Certes, quelquesunes, très doués, sont parvenus à obtenir des résultats, tout en pratiquant une autre discipline par convention personnelle ou par nécessité familiale. Mais que n’ont-ils pas perdu en œuvre, en travail, en affirmation du Moi, préoccupés qu’ils étaient à exercer des tâches répétitives ? Si la fourmi ne voyait pas l’homme, si son oeil lui permettait d’observer une ville, elle prétendrait toutefois qu’un architecte, et non pas qu’une

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organisation naturelle à l’image d’un enchevêtrement de brindilles, ou de feuilles ou d’herbes a composé cet ensemble. Et l’homme pense de cette sorte quand il contemple l’univers. Il a l’étrange impression face à cette monstrueuse organisation que le tout ne peut découler d’un pur hasard, mais résulte d’une immense volonté d’un Etre supérieur. Si l’art est un élégant babillage, un instrument insignifiant de culture plaisant et divertissant, l’esprit qui a pensé, n’a pas atteint son but. L’intelligence doit produire des nouvelles formes et concevoir des contenus inexploités, vierges en quelque sorte. L’art doit déployer une vérité jusqu’à l’ignorer, obstruée par je ne sais quel mur ou quel écran de fumée. S’il analyse son temps, l’art sera un témoignage subtil ou grossier, un observateur de son Histoire. Peut-il prétendre être un splendide représentant du travail humain, quand la production de masse impose à des millions d’exemplaires des objets sociaux ?

La pensée est vivante en soi, active, claire et bondissante. Elle est une partie de la conscience. Constamment, elle se manifeste. Elle tire son énergie des aliments que l’organisme ingurgite.

Il peut y avoir des principes complexes de condensation.

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Tu peux prendre les lois de la Nature, Nature qui t’apparaît d’un bloc et que tu dois décomposer. Trois représentations de la Nature par l’Art. 1) La symbolique simplification 2) La classique volonté exacte de représentation 3) La romantique exagération enflure 4) Le surréalisme dans la session - exagération - enflure.

J’ai décidé la construction du Livre des sonnets. C’est un ouvrage composé de l’ensemble des sonnets à l’exception des inédits, produits de 1978 à 1995. Je dois en posséder aux alentours de deux cents, ce qui est peu et beaucoup à la fois. J’ai toujours été fasciné par le sonnet, - son architecture 4 - 4 - 3 - 3, m’a constamment semblé être une construction solide et raisonnable. J’ai toujours considéré que l’utilisation d’un 14 pour exprimer une réflexion était une distance courte mais idéale. Et puis il y a tout cet héritage du sonnet qui va de Pétrarque à Shakespeare, se poursuit dans Ronsard, Du Bellay, puis atteint le XIXe siècle avec Baudelaire, Mallarmé, De Heredia, Valéry. “Il faut faire des sonnets” conseillait Valéry. Oui, c’est étonnant ce que l’on peut apprendre en s’essayant à cet exercice. Christ : Il m’a oint, je suis rien. On a donc peu l’occasion ou le temps de vérifier par soi-même toutes les données ou les informations que l’on met à sa disposition. Il faut croire en ce que l’enseignant enseigne, et obéir à ce que l’autorité parentale impose. 10


Il faut du moins prétendre que leur esprit est de belle qualité pour se prévaloir de transmettre des vérités ou d’instaurer des diktats. L’adolescent se révolte et ose condamner un principe de certitude préétablie. Il cherche un nouveau système de valeurs déterminé sur sa propre expérience et sur la perception de sa génération.

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Février

Toujours effrayé par l’immense puissance de Victor Hugo. Je le prends, le lis, le relis et ne sais comment en venir à bout. Je pèse mon 55 000 et son 200 000, et je me dis : mais comment puis-je accéder à sa quantité ? Où puisje trouver la force ?J’essaie de gérer la production poétique qu’il me reste à nettoyer, rectifier, transformer, etc.

Je n’ai jamais su gérer la présence de la femme à mes côtés. La femme n’était qu’un outil sexuel, qu’une poupée de jeu - je ne pouvais imaginer constamment vivre avec une présence féminine près de moi. Ceci explique, - je suppose - mon célibat. La femme me gêne, me dérange, me ralentit, m’ennuie, m’impose sa vitesse, ses goûts, ses loisirs etc., en vérité, je perds mon temps. Quand l’acte sexuel est achevé, qu’ai-je à espérer de la femme ? Je la jette, je l’éloigne et je m’en retourne en moi-même avec mes aptitudes, mes problèmes, mes réflexions. J’écoute Iggy Pop (Sixteen, Succes - Lust For Life), et par ressemblance je pense à Sex Pistols, et je me dis : si du moins je parvenais à poser les pierres de la créativité, les bornes d’une nouvelle invention, sans forme, sans technique - seulement les Idées - pures - détestables peut-être, incomprises certainement - du moins si je pouvais... Je suis un vieillard à l’écriture poudrée du XVIIe. Je n’ai pas voulu sauter les époques - j’ai construit ainsi mon système : imite d’abord les anciens, 12


après tu feras ce que tu voudras. Et aujourd’hui, je ne puis créer. La charge du passé est trop lourde. Comment puis-je créer ?

Il me faudrait donc parvenir à passer vingt-cinq ou vingt-sept recueils de poésies d’ici à quelques mois. Le challenge me paraît impossible à tenir. Le projet ignore la fatigue cérébrale ou la saturation de la capacité intellectuelle. Je n’aime pas les mots, je n’aime pas les poèmes ni la poésie. Je produis par besoin. Je leur préfère les livres. La poésie me semble faible, ridicule et dérisoire, incapable de rivaliser avec la science ou la science appliquée. Elle signifie mépris, petitesse, médiocrité. Bien sûr, il y a quelques poètes qui ont un niveau intéressant, mais l’immense majorité est perte.

Comment pourrait-il en être autrement ? Ce ne sont que des amateurs, des poètes du dimanche, des instituteurs. Ceci n’est pas péjoratif. Une discipline qui s’accomplit à temps partiel, qui est autofinancée ne peut rivaliser avec des branches de la société qui investissent des sommes colossales sur des individus à la formation spécialisée et pointue.

Mais que faire ? Comment sortir de cette impasse ? Ne faut-il pas se résigner et accepter cette vérité si difficile soit-elle ?

On peut opérer un raisonnement inverse. Imaginons un homme féru de médecine, habitant le XVIIe siècle. Supposons-le cherchant, travaillant, s’instruisant, potassant des ouvrages et possédant de la sorte 15 ou 30 années d’expérience dans cette discipline qu’il n’a pu exercer en tant que professionnel, mais qu’il possède relativement bien. A quel niveau de compétence peut-on

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situer cet homme ? Est-il erroné de prétendre que cet homme a l’expérience pour décrocher son diplôme de médecine générale ? Serait-il recalé ?

Transposons cet exemple sur la situation poétique. Telle personne a déjà produit dix, vingt, trente recueils ou plaquettes. Elle s’essaie à la discipline depuis de nombreux lustres, et connaît du mieux qu’il se peut les auteurs, les œuvres et les techniques de versification à appliquer. Faut-il la mépriser, et rire d’elle comme son travail est peu entendu ? Ne lui doit-on pas respect et considération quand bien même son activité serait assimilée à du dérisoire et de l’insignifiant ?

La proposition poétique est avant tout un assemblage de mots dont la construction se développe de manière aléatoire sans plan, réellement défini. Elle est conduite par le principe d’inspiration de l’écrivain qui ignore ce que deviendra la suite de son mouvement. A quelle certitude, le poète conçoit-il ? Que sait-il réellement ?

Je crois que je ne parviendrais jamais à obtenir une édition. Pourtant je ne puis faire plus, je ne puis faire mieux. Toutes mes tentations se sont transformées en échecs réels. Je viens encore d’envoyer aux Editions Actes Sud des traductions d’Eschyle, d’Euripide et de Sénèque. Je crains bien que nul texte ne sera retenu. Tout s’en retournera dans mon néant d’écrivain, - je veux dire dans son armoire où s’accumule déjà un nombre considérable de livres, jamais publiés, hélas !

Question test : - Reconnaissez-vous ce monsieur avec un bandeau sur le visage et une barbe ? - Oui, c’est Guillaume Apollinaire. 14


-Vous connaissez son œuvre ? Pourriez-vous me citer quelques-uns des ses ouvrages ? Les avez-vous lus ? - Non, mais je sais que c’est un grand poète !

Et voilà en vérité en quoi peut se résumer la compétence du public dans la supra culture poétique : je n’ai pas lu, on m’a dit et je reconnais le dessin. Il ne reste plus qu’à produire une personnalité de grand poète par l’emphase, le relationnel extraverti, la figure en quelque sorte. Mais le contenu lui-même, c’est-à-dire l’œuvre peut sembler inaccessible, inadaptée à l’utilité du lecteur, des goûts et besoins du public. C’est ainsi ! Il faut faire avec ! Ou plutôt, sans : sans édition, sans lecteur, sans parcours professionnel. L’on voit l’importance de la construction interne pour l’écrivain lui-même ! Produire par moi-même, sans le concours d’autrui, en utilisant uniquement ma propre capacité intellectuelle, est-ce possible ? Pour qui ? Je désire obtenir quoi ? Je pense Hugo, son 200 000 par bouquins I, II, III, IV, par Chantiers, Océan, Théâtre I et II, et je me dis : mais comment accéder à cette quantité-là ? Car il y a dans ces tomes édités par Laffont la complète versifiée d’Hugo. L’homme est à quelques décennies de la vraie vie.

Enfin, mort !

J’ai attrapé pour la ième fois une gastrique. Celle-ci a véritablement été douloureuse, et m’a abruti le corps et le cerveau. J’avais l’impression de ressembler à un boxeur sonné debout. Je ne puis durer, encore cette constance de 15


maladie. Je décide d’entrer en clinique pour faire des examens approfondis. Du moins je parviendrais à savoir où j’en suis réellement avec ces problèmes.

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Mars Je poursuis le remplissage d’Eléments de réflexions, tant bien que mal. J’en suis à 70 % du volume - je compte tirer 3 000 lignes. J’exploite Hegel et Alain pour construire ce bouquin. Il serait après L’acte poétique, le second essai de mon œuvre littéraire. J’attaque donc la troisième partie de ce livre, avec difficulté. J’ai besoin d’obtenir encore mille lignes, ce qui représente les 30 % restant. J’emploie Kant et ses préfaces de Critique de la raison pure pour trouver quelques idées. Je voudrais achever cet exercice pour la mi-avril, mais est-ce réellement possible ? La construction de la certitude s’élabore avec une accumulation d’indices de vérités, qui lentement associés permet d’étayer une évidence. Parfois les parcelles de vérités indépendantes tel un puzzle déposé n’offrent aucune visibilité sur l’ensemble à obtenir ou à découvrir. Il n’y a pas embarras, il y a difficulté associative. Il faut donc construire des ponts qui favorisent le passage d’une idée à une autre. C’est un travail de tâtonnement, de recherche audacieuse qui peut engendrer l’abandon du projet. Le transfert des meubles s’opère enfin d’une maison à l’autre. Les meubles en bois ont été installés dans la salle à manger et le petit salon. L’ensemble paraît dénoter et ce goût stylistique semble des plus douteux. Plus tard, nous les échangerons pour du Louis Philippe. La masse pesante et visuelle de ces table et buffet alourdit l’espace et nous bloque dans les déplacements. Il y a un sentiment d’écrasement, de gêne - cela est pataud et en dysharmonie avec les toiles que nous comptons y accrocher.

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Le déménagement est prévu pour le mois de mai, mais il reste encore de nombreux détails à régler, et pas des moindres... Il faut du moins commander la cuisine intégrée et placer le carrelage dans la salle de bain. Tout le paysage extérieur est à penser quand le crépi est à faire. Ceci peut justifier mon enthousiasme modéré voire retenu. N’écrire que pour soi, avec la certitude de Dieu, avec la seule volonté d’accéder à une œuvre supérieure, importante quand bien même cette dernière ne serait lue de personne. Une sorte de challenge de l’intelligence avec comparaison, pesage, analyse d’autrui. Enorme difficulté à poursuivre Eléments de réflexions. L’esprit refuse d’avancer comme sursaturé par une charge qu’il ne possède pas. Il doit rester encore mille lignes à trouver pour remplir complètement l’ouvrage. Je ne voudrais pas m’appesantir sur cet essai, ni trop m’user en y perdant mon temps et ma concentration.

QI L’on peut obtenir 135 - 140 dans le Temps ismparti. - Ce qui est déjà assez difficile pour l’immense majorité de l’intelligence dite normale, - car cela ne touche qu’une partie infime de la potentialité humaine, prétendons 1,5 % à 2 % des testés.

Mais il faut faire varier le Temps Imparti, car celui-ci dérivé, la capacité intellectuelle peut obtenir des résultats étonnants. Dans les Arts, le paramètre temporel est un ingrédient quasiment inutile. L’on demande avant tout au créatif d’aller fort loin dans l’exploration de la discipline mais de prendre le temps qu’il convient. Alors comment juger ? Que dire de cette manière ? 18


Opéré quelques déplacements de caisses minéralogiques de la cave de l’immeuble Hamecher pour la nouvelle maison où ils seront exposés dans des vitrines. Je soulève encore des dizaines de kilos de masses de cailloux et cela fait resurgir en moi la période Lorientaise, époque durant laquelle mes parents étaient captivés par cette discipline. Mes goûts ont évolué, et si je sais apprécier la qualité d’une fluorine ou d’un soufre bitumeux, je leur préfère aujourd’hui les objets d’art, - tableaux, sculptures, horloges, vases etc. Un grand tri sera toutefois accompli, et les pièces de second ordre seront proposées à la Salle des Ventes. Des sommes retirées peut-être pourrons-nous trouver des œuvres picturales intéressantes ? Je préfère le plus souvent investir dans un jeune talent - et je pense à Brassier, peintre que j’ai découvert au café du Palais - ces toiles y étaient exposées. J’ai par la suite pris contact avec sa personne, lui ai acheté quelques dessins et lui ai demandé un portait personnel. Ai passé un coup de fil à Rougerie - l’éditeur pour lui demander s’il avait reçu mes recueils - j’en ai envoyé 8 - L’HF, le Moût, MES I, MES II, Prières, Flori, Sueurs, et un dernier. Il me dit d’une voix chevrotante (je suppose que c’est un vieux messieur) mais fort aimable : “Il est dommage que vous ne sachiez pas ce que nous éditions. Cela vous aurait évité de nous envoyer tous ces kilos de poésie.” Je réplique : “Vous pouvez toujours extraire des endroits qui vous conviendront, je vous assure je ne me suis pas moqué de vous etc. etc. ” Cela ne l’intéresse pas. Il me conseille de tenter ma chance ailleurs et me rappelle le prix du port pour récupérer mes ouvrages...

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Que puis-je faire ? Comment travailler mieux ? Autrement ?

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