ALBERTO GIACOMETTI
/ À la recherche des œuvres disparues
Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition Alberto Giacometti / À la recherche des œuvres disparues, présentée à l’Institut Giacometti, Paris, du 24 février au 12 avril 2020
This book is published on the occasion of the exhibition Alberto Giacometti / In Search of Lost Works, presented at the Giacometti Institute in Paris, from February 24th to April 12th 2020
EXPOSITION
CATALOGUE
COMMISSARIAT Michèle Kieffer
DIRECTION SCIENTIFIQUE Michèle Kieffer
PRODUCTION Stéphanie Barbé-Sicouri
COORDINATION ÉDITORIALE Michèle Kieffer Stéphanie Barbé-Sicouri Fondation Giacometti, Paris
RÉGIE DES ŒUVRES Clara Gibertoni Stéphanie Barbé-Sicouri SCÉNOGRAPHIE Éric Morin LUMIÈRES ACL Transpalux AGENCEMENT Jet Lag K. ENCADREMENTS Cadre en Seine Laurent Blaise Saint Maurice SIGNALÉTIQUE Œil de Lynx PROGRAMME PÉDAGOGIQUE Alice Martel MÉDIATION Claire Isorni, Amina Janssen, Théodore Parizet, Laura Partin, Julia Stankiewicz
Philippe Grand Fage éditions CONCEPTION GRAPHIQUE Brigitte Mestrot DROITS Émilie Le Mappian TRADUCTIONS Catherine Petit & Paul Buck, Bryan Woy
ALBERTO GIACOMETTI / À LA RECHERCHE DES ŒUVRES DISPARUES / IN SEARCH OF LOST WORKS (1920-1935) 7
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CHRISTIAN ALANDETE Détruire, dit-il ! Destroy, he says! MICHÈLE KIEFFER À la recherche des œuvres disparues In Search of Lost Works JOANNA FIDUCCIA Altération / Altérité dans Mannequin et Femme qui marche de Giacometti Alteration / Alterity in Giacometti’s Mannequin and Walking Woman NATHALIE LELEU Destruction jouissive ou punitive : Pépites et déchets Joyous or Punitive Destruction: Gems and Trash
Alberto Giacometti dans son atelier Alberto Giacometti in his Studio Photo : anonyme, c. 1933 Archives de la Fondation Giacometti, Paris
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Détruire, dit-il ! Destroy, he says! CHRISTIAN ALANDETE
‘Obviously one shouldn’t be easily satisfied or be afraid to destroy in order to redo, but in the same way as one cannot reach the summit of a mountain in one single leap but one has to climb from one mount to the next, catching one’s breath, one cannot attain in one single work the perfection or relative perfection to which one aspires1.’ Giovanni Giacometti, 1923
« Bien sûr il ne faut pas se contenter facilement ni avoir peur de détruire pour refaire, mais de la même façon qu’on ne peut pas rejoindre le sommet d’une montagne d’un seul jet mais en grimpant d’un mont à l’autre en reprenant son souffle, on ne peut atteindre dans une seule œuvre la perfection ou la relative perfection à laquelle on aspire1. » Giovanni Giacometti, 1923
In the course of his training with Antoine Bourdelle at the Académie de la Grande Chaumière, the young Alberto Giacometti produced much and probably destroyed as much. After a sheltered childhood in Stampa, Switzerland, in the studio of his father Giovanni, where he practised sculpture and painting with a disconcerting ease, the first steps of the young artist recently arrived in Paris were more hesitant. The young Giacometti had to find his style and searched in different directions at the same time. Between classicism, the remains of cubism, the discovery of non-Western arts and his first surrealist works, Giacometti, like most artists, looked for a way that would be his own.
Au cours de sa formation auprès d’Antoine Bourdelle à l’Académie de la Grande Chaumière, le jeune Alberto Giacometti produit beaucoup et détruit probablement autant. Après une enfance protégée à Stampa en Suisse dans l’atelier de son père Giovanni où il pratique la sculpture et la peinture avec une facilité déconcertante, les premiers pas du jeune artiste fraîchement débarqué à Paris sont plus hésitants. Le jeune Giacometti doit trouver son style et cherche de manière concomitante dans différentes directions. Entre le classicisme, les réminiscences du cubisme, la découverte des arts extra-occidentaux et ses premières œuvres surréalistes, Giacometti, comme la plupart des artistes, cherche une voie qui lui serait propre.
In 1926, Giacometti found a permanent studio in rue Hippolyte Maindron, a tiny space where he could work and keep his pieces.
À partir de 1926, Giacometti trouve un atelier permanent rue Hippolyte Maindron, un espace minuscule où il peut travailler et
1. Letter from Giovanni Giacometti to Alberto Giacometti, 15 March 1923, Archives of the Giacometti Foundation, Paris.
1. Lettre de Giovanni Giacometti à Alberto Giacometti du 15 mars 1923, Archives de la Fondation Giacometti, Paris.
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Dès la fin de l’année 1931, Giacometti collabore avec Luis Buñuel, René Crevel et Salvador Dalí pour une œuvre représentant une girafe en grandeur nature, destinée à être exposée lors du festival des mécènes Marie-Laure et Charles de Noailles en avril 1932. Après la création d’une maquette, Crevel et Dalí abandonnent le projet, mais Giacometti et Buñuel font exécuter une girafe en planches de bois peint par la maison Chanaux. Buñuel rédige des textes, pour la plupart érotiques, cachés sous les taches brunes de l’animal, que les invités découvrent à l’aide d’un escabeau. Après le dîner l’œuvre disparaît, comme le décrit Buñuel dans ses mémoires : « Après le café, je revins dans le jardin avec Giacometti. Plus de girafe. Totalement disparue, sans une explication. L’avait-on jugée trop scandaleuse après le scandale de L’Âge d’or ? Je ne sais pas ce que la girafe est devenue. Charles et Marie-Laure, devant moi, n’y firent jamais allusion. Et je n’osai pas demander la raison de ce bannissement soudain1. » L’Âge d’or, considéré comme antipatriotique et antichrétien, avait en effet déclenché de vives réactions à sa sortie en fin d’année 1930, dirigées non seulement contre son réalisateur, mais aussi contre ses producteurs, les Noailles. 1. Luis Buñuel, Mon dernier soupir, Paris, Ramsay, 1986, pp. 143-144.
At end of the year 1931, Giacometti collaborates with Luis Buñuel, René Crevel and Salvador Dalí on a work representing a life-size giraffe, intended to be exhibited at Marie-Laure and Charles de Noailles festival in April of 1932. After creating a model, Crevel and Dalí abandon the project, but Giacometti and Buñuel have a giraffe made out of painted wooden planks by Chanaux. Buñuel wrote some texts, mainly of erotic content, concealed under the animal’s brown spots, that the guests were invited to discover by climbing on a step-ladder. After the dinner, the piece disappeared, as Buñuel wrote in his memoir: ‘After the coffee, I went back into the garden with Giacometti. No more giraffe. Totally vanished, with no explanation. Was it judged too scandalous after the scandal of L’Âge d’or? I don’t know what became of the giraffe. Charles and Marie-Laure Noailles never alluded to it in front of me. And I didn’t dare ask the reason for that sudden banishment1.’ L’Âge d’or, considered as unpatriotic and un-Christian, had indeed provoked strong reactions at its opening at the end of 1930, addressed not only against the filmmaker, but also against its producers, the Noailles. 1. Luis Buñuel, Mon dernier soupir, Paris, Ramsay, 1986, pp. 143-144.
119 Alberto Giacometti et Luis Buñuel Girafe / Giraffe, 1932 Bois peint / painted wood [ Œuvre détruite / destroyed work ]
Luis Buñuel et Alberto Giacometti posant avec Girafe Luis Buñuel and Alberto Giacometti Posing with Giraffe Photo : anonyme, 1932 Archives de la Fondation Giacometti, Paris
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Alberto Giacometti Croquis de Girafe, 1932 Sketch of Giraffe Crayon sur papier / pencil on paper 11,7 x 7,4 cm Fondation Giacometti, Paris
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Alberto Giacometti Croquis de Girafe, 1932 Sketch of Giraffe Crayon sur carnet / pencil on sketchbook 11,7 x 7,4 cm Fondation Giacometti, Paris
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Les Trois figures (1929-1930) en plâtre ont certainement été créées et détruites durant l’été 1930, quand l’artiste séjournait à Maloja avec sa famille. Selon Diego Giacometti, la pièce préfigure la Figure (1929-1932, p. 125) en pierre de Bourgogne commandée en 1929 par le couple de mécènes Charles et Marie-Laure de Noailles, finalement réalisée en 19321. Il est en effet possible qu’il s’agisse d’un premier essai insatisfaisant aux yeux de l’artiste, qui mentionne régulièrement son travail sur la commande des Noailles dans les lettres à ses parents à partir d’octobre 1929. Giacometti confirme la destruction des Trois figures dans une lettre à son galeriste Pierre Matisse en 1962 : « Je suis très content que tu aimais les trois figures mais ces figures n’existent plus depuis 1928 !! ou 29 ! et je le regrette un peu2. » 1. Diego Giacometti cité dans Michael Brenson, The Early Work of Alberto Giacometti: 1925-1935, Baltimore, The Johns Hopkins University, 1974, non paginé. 2. Lettre d’Alberto Giacometti à Pierre Matisse, 16 mars 1962, Pierre Matisse Gallery Archives, Pierpont Morgan Library, New York.
Three Figures in plaster were certainly made and destroyed in the summer of 1930, when the artist was staying in Maloja with his family. According to Diego Giacometti, the sculpture prefigures Figure (1929-1932, p. 125) in natural stone from Burgundy commissioned in 1929 by the patrons Charles and Marie-Laure Noailles, and finally completed in 19321. It is indeed possible that is was the artist’s first unsatisfactory attempt for the commission, regularly mentioned in the letters to his parents from October 1929. Giacometti confirmed the destruction of Three Figures in a letter to the gallery owner Pierre Matisse in 1962: ‘I am very happy that you liked the three figures, but those figures no longer exist since 1928!! or 29! and I regret it a bit2.’ 1. Diego Giacometti quoted in Michael Brenson, The Early Work of Alberto Giacometti: 1925-1935, Baltimore, The Johns Hopkins University, 1974, unpaginated. 2. Letter from Alberto Giacometti to Pierre Matisse, 16 March 1962, Pierre Matisse Gallery Archives, Pierpont Morgan Library, New York.
123 Alberto Giacometti Trois figures / Three Figures, c. 1930 Plâtre / plaster [ Œuvre détruite / destroyed work ]
Photo : anonyme, c. 1930 Archives de la Fondation Giacometti, Paris
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Alberto Giacometti Croquis de Mannequin, c. 1934 Sketch of Mannequin Crayon, encre et stylo bille sur carnet / pencil, ink and ballpoint pen on sketchbook Fondation Giacometti, Paris
Vue de l’Exposition surréaliste à la Galerie Pierre Colle Exhibition Vue of the Exposition Surréaliste at the Galerie Pierre Colle Photo : Man Ray, juin 1933 Archives de la Fondation Giacometti, Paris
133 Alberto Giacometti Mannequin, 1932-1933 Plâtre / plaster [ Œuvre disparue / lost work ]
Photo : Marc Vaux, n. d. Archives de la Fondation Giacometti, Paris