7 minute read

MANIFESTE NEGPOS

Next Article
Jérome BAUDUIN

Jérome BAUDUIN

« Créer c’est résister à ce qui entend contrôler nos vies » Gilles DELEUZE

NEGPOS privilégie la création visuelle et tout particulièrement la photographie d’auteur dans tous ses genres car elle demeure une grande forme de la pensée et de la connaissance, un vecteur d’intelligence et de savoir. Parce elle nous dit fatalement quelque chose sur le réel, elle nous informe sur lui, à sa manière, qui n’est pas celle des médias mais qui n’est pas non plus celle de la science ou de la philosophie, d’où son caractère précieux. Par le biais des multiples projets que nous accompagnons et réalisons, nous défendons l’utilité des artistes dans notre société. Une utilité publique d’ordre symbolique - qui est la fonction première de l’artiste dans la cité - à savoir faire sentir ce qui nous manque et en donner le désir ; voilà qui est magnifiquement utile à tous ! Mais aussi une utilité collective que l’on peut qualifier de secondaire et qui plus que jamais est nécessaire à notre société en crise où le « Care » s’impose comme la voie à suivre pour notre intérêt collectif ; par exemple en rendant visible un lieu ou une activité dépréciée, en faisant vivre une mémoire, en matérialisant une appartenance identitaire ou en améliorant un cadre de vie.

Advertisement

Dans ce sens nous mettons tout en oeuvre afin que leur travail soit reconnu à sa juste valeur. L’accompagnement des auteurs photographes et leur professionnalisation nous préoccupent au quotidien. Nous appliquons en interne nos engagements dans ce sens – en termes notamment de rémunération – et veillons auprès de nos différents partenaires qu’ils soient respectés.

Nous prônons un « art de la démocratie ». Nous tissons des liens et faisons communauté par l’art et avec l’art. Nous sommes tout particulièrement attentifs aux finalités de nos actions culturelles et artistiques afin qu’elles soutiennent à la fois l’offre créatrice des auteurs et soient en même temps une réponse à la demande des citoyens. Nous agissons pour que l’œuvre d’art devienne un acteur de la vie publique en donnant un sens commun à la création contemporaine. La dimension participative et l’interaction sont des constantes de notre démarche. Nous suscitons la rencontre entre les artistes – qui apportent leurs savoir-faire, leurs cultures, leurs réflexions, leurs sensibilités - et les publics extérieurs au monde de l’art qui eux apportent leurs questionnements et leurs rêves.

Par l’aide à la création émergente, l’expérimentation artistique et la recherche-création notre but est d’explorer de nouvelles formes de représentations qui sont à la portée de tous et qui nous éclairent sur les grandes questions culturelles, politiques, économiques, scientifiques et écologiques relatives à notre temps

Le projet artistique de NEGPOS s’articule autour d’un axe majeur qui interroge la relation entre esthétique et politique ; axe transversal de notre programmation et de nos actions de médiation qui dépasse les clivages des formes photographiques, des filiations, des générations et des origines des auteurs. Nous pensons que la question esthétique – aisthésis, qui relève de la sensation, du sentir et de la sensibilité en général – est une question éminemment politique – politeia, au sens étymologique « le » politique, l’être ensemble –

Nous ne voulons évidemment pas dire que les artistes doivent « s’engager » mais que leur travail est originairement engagé dans la question de la sensibilité de l’autre. Or la question politique est essentiellement la question de la relation à l’autre dans un sentir ensemble. La politique est l’art de garantir une unité de la cité dans son désir d’avenir commun, son individuation, sa singularité comme devenir-un. Or un tel désir suppose un fonds esthétique commun. L’être-ensemble est celui d’un ensemble sensible. Une communauté politique est donc la communauté d’un sentir.

Nous sommes persuadés que la dimension politique du travail de l’artiste n’a jamais été autant nécessaire à notre société contemporaine. Nous avons aujourd’hui autant besoin d’artistes pour nous éclairer que de sociologues, de psychologues, de femmes et d’hommes politiques. L’œuvre d’art, à sa manière, manifeste et la manifestation appartient à l’essence même du politique. Pour celui ou celle qui prend le temps de s’attarder dans la perception l’œuvre d’art visuelle est indéniablement ostensive et émancipatrice.

Nous désirons faire vivre l’expérience esthétique au plus grand nombre qui en est aujourd’hui privé parce que soumis au conditionnement esthétique du marketing qui est devenu hégémonique pour l’immense majorité de la population qui vit dans des zones esthétiquement reléguées où l’on ne peut pas vivre et s’aimer parce qu’on y est esthétiquement aliéné.

Le projet artistique de NEGPOS se focalise également sur les frontières poreuses entre la photographie et l’art contemporain. Les artistes visuels et projets photographiques que nous privilégions sont ceux qui nous éclairent sur les questions suivantes : Comment photographie et art contemporain se nourrissent-ils mutuellement ? Comment les nouvelles formes de création visuelle et de diffusion à partir de l’image numérique viennent enrichir l’expérimentation artistique ainsi que sa perception auprès des différents publics ?

Nous appréhendons les nouvelles formes de création des images en lien aux nouveaux médiums numériques comme de nouveaux outils s’offrant aux artistes. Nous ne pensons pas que ces nouvelles technologies aient enclenchées un changement épistémologique majeur au sein de la création artistique contemporaine mais nous envisageons leur avènement du point de vue du dépassement du « régime de vérité » de la photographie et des nouveaux territoires d’expérimentation qu’elles offrent notamment dans la relation entre réalité et fiction.

En termes de médiation, nous envisageons les nouvelles technologies audio-visuelles, notamment celles qui permettent de vivre des expériences immersives, comme de nouvelles possibilités pour le grand public de rencontre avec l’art et le sensible. Eu égard à cette nouvelle opportunité, nous espérons que de nouveaux espaces « tiers lieux » ouverts sur la cité puissent voir le jour afin de contribuer comme il se doit à la démocratisation culturelle.

La recherche-création en photographie et en arts visuels est un chantier que nous avons ouvert et que nous souhaitons approfondir. A l’instar des écoles supérieures d’art, nous pensons que comme Centre d’art et de photographie nous sommes un espace privilégié pour faciliter l’émergence d’un savoir partageable qui part d’une pratique artistique et qui excède le strict domaine de la création artistique. Nous affirmons haut et fort que l’art demeure l’une des grandes formes de la pensée et de la connaissance et nous avons la volonté de partager nos expérimentations et les résultats de nos recherches dans ce domaine avec d’autres partenaires : universités, laboratoires de recherche, entreprises, collectivités publiques, société civile.

L’un des principaux objectifs du projet culturel de NEGPOS est la transmission – en explorant toutes les formes possibles de médiation – notamment pour faciliter au mieux les relations et interactions entre le meilleur de la création photographique contemporaine française et internationale et ceux qui sont les plus éloignés de l’offre culturelle et artistique. Nous sommes en effet persuadés qu’en apprenant à mieux regarder nous apprenons à mieux penser à la fois la société, l’image et l’art. L’éducation à l’image et par l’image est l’une de nos priorités.

Notre but est de pouvoir contribuer à l’émancipation des citoyen/nes capables d’autonomie intellectuelle et d’intégration sociale et culturelle. Il s’agit d’un positionnement éthique et politique qui s’inscrit dans la droite lignée des idées fondatrices de l’éducation populaire.

La rencontre singulière et concrète de n’importe quel individu avec les œuvres d’art ou les savoirs de son temps, quelles qu’en soient la nature et la complexité, doit être reconnue comme un droit. Chacun doit pouvoir revenir sur ses pas, accéder au travail de la pensée, expérimenter s’il le souhaite un rapport personnel à la création. Nous œuvrons dans ce sens au quotidien au nom de l’intérêt général et de l’utilité publique, au nom de la démocratie.

La dimension internationale est au cœur du projet de NEGPOS. L’interculturalité et le nomadisme sont des formes que nous privilégions. En réaffirmant la nature cosmopolite de l’art, notre vocation est de partager des expériences portées par un large panel de partenaires internationaux qui partagent nos sensibilités. Il s’agit clairement d’échanger des visions du monde pour mesurer comment à l’échelle d’un Centre d’art et de photographie comme le nôtre des ressources peuvent être partagées au bénéfice des artistes et des publics. Les artistes et commissaires de nationalités différentes que nous invitons régulièrement nous permettent d’appréhender de nouvelles manières de penser, de sentir et d’agir par-delà les frontières et leur langue d’origine en manifestant leurs points de vue qui nous aident ainsi à mieux saisir les virtualités innombrables du réel et les grands défis sociétaux que nous devons aujourd’hui relever. Ainsi, NEGPOS se déploie sous une forme rhizomique aux quatre coins du monde avec un tropisme pour le continent Latino-américain avec lequel nous entretenons des rapports historiques et privilégiés. On sait à quel point les questions politiques, ethniques et écologiques sont mises en avant aujourd’hui dans les pratiques artistiques, et cela partout dans le monde, mais on peut dire que les artistes latino-américains y sont confrontés de façon particulièrement abrupte et brutale !

Nous revendiquons enfin une forme de latinité dans notre manière de faire et dans notre savoir être. Nous privilégions l’échange, la convivialité et la rencontre. Le plaisir esthétique est notre fil conducteur et nous nous efforçons de faire bon usage de la lenteur.

This article is from: