Généraliser le réemploi ?

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Généraliser le réemploi ?

Méthodes, outils et acteurs pour un développement de la pratique

« S’il n’y a pas de construction sans matériaux, et donc sans destruction et consommation, il n’y a pas de projet juste et économe sans dépense redoublée d’imagination. Nous considérons comme non seulement possible mais nécessaire l’invention d’autres modalités de construction : économiquement et écologiquement sobres, et par là même riches de sens et d’imaginaires nouveaux. Chaque contexte offre mille ressources que seule une analyse fine et systématique peut révéler. Chaque situation regorge d’objets, de mémoires, de matières vives et sédimentées à utiliser comme on magnifie. La justesse d’un projet résulte à nos yeux d’un savoir composer avec ce qui existe ici et maintenant, d’un savoir raconter de nouvelles histoires avec un présent à toujours réexplorer, pour mieux s’y inscrire. »

ÉTUD. ARCHAMBEAUD Foucault UNIT Mémoire d’Initiation à la Recherche

MEM

DE MEM DE PFE

HAYET W. CONTET B.

MASTER ARCHI

S10 AHD 17-18 DCAI3

© ENSAL


Citation première de couverture : Collectif Encore Heureux Disponible sur : http://encoreheureux.org/about/ Illustration : Analogie illustrant l’un des enjeux soulevés par ce mémoire: comment un cadre a priori très raide et générique (l’industrie en en place) peut-il intégrer des éléments plus spécifiques et irréguliers (le réemploi) ? Les deux peuvent-ils s’interalimenter ?


Généraliser le réemploi



FOUCAULT ARCHAMBEAUD

Généraliser le réemploi

Méthodes, outils et acteurs pour un développement de la pratique

Mémoire d'initiation à la recherche Soutenu le 22 Janvier 2018, à L'École Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon (ENSAL)

ÉTUD. ARCHAMBEAUD Foucault UNIT Mémoire d’Initiation à la Recherche

MEM

DE MEM Sous la direction HAYETde W.William Hayet DE PFE CONTET B.

MASTER ARCHI

Séminaire Architecture, Héritage et Durabilité (AHD)

S10 AHD 17-18 DCAI3



La rédaction d'un mémoire étant un travail personnel mais non solitaire, je tiens à remercier particulièrement : Luisa G. pour ses relectures attentives et pertinentes ; Alice G. pour ses brillantes interventions et sa critique avisée ; Ma famille pour... tout ?! M. Moinet et I. Bertin dont les travaux ont servi de terreau à celui-ci ; et bien-sûr, M. Hayet, qui s'est rendu disponible à toute heure pour m'aiguiller.


#

Avant-Propos 12

1.

Introduction 14

1.1.

Une raréfaction préoccupante des ressources : vers un scénario catastrophe ? 17

1.2.

Le secteur de la construction fortement concerné par la nécessité de réagir

21

1.3.

«La nécessité est mère de l’invention» : le temps de la réaction

23

1.4.

Définition de la problématique

25

2.

Éléments de compréhension et de caractérisation de la pratique 28

2.1.

Déchets : Diachronie et enjeux d'une définition

31

2.1.1.

L'ambiguité d'une définition

31

La perte de valeurs d’usage : une donnée subjective L’importance du contexte culturel et historique 2.1.2.

Le rôle des «imaginaires sociaux»

33

Influer sur les perceptions collectives Justifier d’une politique publique

2.2.

Le frein majeur au réemploi : «assurer le risque»

37

2.2.1.

Homologuer un produit : processus traditionnel vs. réemploi

39

Réglementations et normes : quelle place pour le réemploi ? Les ATEx : solution viable ? 2.2.2.

DTU et assurances dommage-ouvrage

44

2.2.3.

Une ouverture à l’expérimentation : Le permis de faire de la loi LCAP

46

2.3.

Le réemploi : une production caractérisée

49

2.3.1.

Objet : projets à faibles enjeux techniques

49

2.3.2.

Acteurs : actions manifestes ou expérimentales

51

2.3.3.

Processus : une architecture «opportuniste»

55

3.

Vers une méthodologie du réemploi : pistes pour son intégration aux processus de construction traditionnels 56

3.1.

Activer le gisement : rendre prévisible la ressource.

59

3.1.1.

De la volonté de réemployer….

59

Identifier la ressource : le diagnostic déchet et sa fiche ressource Evaluer la ressource : le valoriste-diagnostiqueur 3.1.2.

… à la collecte des ressources : déconstruction d’un édifice.

63

La passation d’un marché de déconstruction Réemploi in-Situ ou ex situ ?

3.2.

Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource

65

3.2.1.

Stocker la ressource

65


La nécessité d’un intermédiaire Territorialiser la ressource Partager compétences et moyens 3.2.2.

Reconditionner la ressource

71

Redonner sa valeur à la ressource De ressource à produit Les classes de réemploi Quels standards pour le réemploi ?

3.3.

De la prescription à la construction : rendre descriptible le produit

77

3.3.1.

Prescrire le produit de réemploi

77

Assouplir la prescription Le Cahier des Clauses Techniques Particulières 3.3.2.

Construire 80 Réinventer le projet en chantier Solliciter le savoir-faire des entreprises

4.

Le réemploi à l’aune de la transition numérique : du constat à la prospective 82

4.1.

Les plateformes digitales

85

4.1.1.

Le digital comme aide à la prospection

85

Transmettre l’information Les Start-Up : de l’information à la vente. 4.1.2.

Le digital comme outil de structuration d’un marché

88

L’illisibilité des services Vers une collaboration entre plateformes digitales et physiques

4.2.

Les potentiels du BIM

91

4.2.1.

Vers une base de donnée centralisée

91

Adéquation des logiques du BIM et du réemploi Les principes du passeport-ressources 4.2.2.

Numériser la ressource

93

Définir la donnée Manipuler la donnée : production d’un avatar

5.

Conlusion 98 Schéma de synthèse

102

Glossaire 104 Bibliographie 110 Illustrations 114


# Avant-Propos


J

'ai trouvé dans le sujet du réemploi une réponse à mes attentes conscientes, et

peut-être même inconscientes. Fait amusant que je me suis remémoré récemment : l'une des premières questions qui m'ont été posées lors des entretiens d'admission en école d'architecture portait sur l'intérêt d'une déconstruction sélective par rapport à une démolition classique. J'ignorais alors tout de cette pratique, et suis resté penaud devant l'examinateur. Aujourd'hui, cinq ans plus tard, me voilà à répondre (partiellement) à la première question sur l’architecture par laquelle j'ai été mis en échec ! La boucle est bouclée...

11


#1 Introduction


« L’urgence justifie parfois la vitesse et la recherche de solutions provisoires mais l’urgence ne peut en aucun cas, justifier l’entrée dans un cercle infernal car l’éphémère, le jetable, sont des réponses précaires qui, si elles rentrent dans le registre de l’architecture, ne sont pas la règle et ne doivent pas le devenir. » (Plourde, 2016)

13


14

Figure 1. L'Earth Overshoot Day Illustre l'accélération de la consommation des ressources planétaires. L'impact de la disparition des matières premières sur la pratique des architectes est certain, car il devront bientôt composer, en phase de conception, en considérant l'état des gisements, des «stocks». Dans la pratique, toute l'industrie de la construction, des fournisseurs aux entreprises, sera contrainte de réinterroger la pertinence des produits utilisés, de la gaine en plastique la plus insignifiante (raréfaction du pétrole), au béton le plus polluant (sur-exploitation du sable). Source : phys.org © AFP


#1.1 Une raréfaction préoccupante des ressources : vers un scénario catastrophe ?

C

'est aujourd'hui devenu un poncif : ma génération est née, vit, et mourra probablement avec l’incertitude de l'issue de la civilisation humaine telle

qu'on la connaît.

Répétée voire rabâchée, cette affirmation alarmante, consensuellement admise depuis plusieurs décennies par les élites dirigeantes et scientifiques de tous pays, a conduit en Novembre 2017 à la rédaction d'un manifeste par des chercheurs du monde entier1. Ses quinze mille signataires s'unissaient pour alerter l'humanité de la trajectoire dangereuse prise par nos sociétés, et sur les dégradations irréversibles qu’entrainerait son maintien. Impacts hautement médiatisés depuis quelques années : le jour du dépassement (earth overshoot day) (Voir "Figure 1. L'Earth Overshoot Day", page 14) ne cesse de survenir de plus en plus précocement alors que les années passent et que la société de consommation se renforce. Cette date symbolique correspond à la période à partir de laquelle l’homme, par ses modes de vie et de consommation, aura usé la planète de manière irrémédiable en mettant en péril la régénération de ses écosystèmes.

S’il fait dans le sensationnel et si la rigueur de la méthode qui mène à un tel résultat prête à discussion, ce constat très imagé a pour intérêt d'alerter le grand public sur l'inadéquation existante entre l'accroissement démographique, les modes de consommation et de production non maîtrisés et la pérennité de l'humanité. Bref, sur la gravité de la crise environnementale que cette dernière traverse. Rien de foncièrement nouveau, donc. En effet, ces

1 Laurance, William J. Ripple, Christopher Wolf, Thomas M. Newsome, Mauro Galetti, Mohammed Alamgir, Eileen Crist, Mahmoud I. Mahmoud et William F. « Tribune : le cri d’alarme de quinze mille scientifiques sur l’état de la planète ». [en ligne] Le Monde.fr, 13 novembre 2017. http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/11/13/le-cri-d-alarmede-quinze-mille-scientifiques-sur-l-etat-de-la-planete_5214185_3244.html, consulté le 14/11/17 .

15


Une raréfaction préoccupante des ressources : vers un scénario catastrophe ?

mises en garde ne font que s'inscrire dans une longue liste d'interventions, conférences, essais et études, suivis ou non de décision politique.

L’enjeux n’est évidemment pas qu’environnemental : le rapport Bruntland de 1987 est une première tentative de considérer que l'humanité ne traverse pas une polycrise mais une crise «globale», un dérèglement généralisé qui se manifeste à différentes échelles d'observation. Pour endiguer un renforcement de cette crise globale, la Commission Mondiale sur l'environnement de l'ONU est chargée d'étudier les grandes orientations que doivent impérativement suivre nos sociétés sur le long terme. Les conclusions de leur travail mènent à l’apparition du concept de développement durable, soit

«un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs». Éminemment anthropocentré (il s’agit de sauver l’homme de ce qu’il a lui 16

même causé, non pas de préserver un environnement à forte résilience), le caractère inclusif de cette sentence désormais mondialement connue marque les esprits. Comment ne pas se sentir concerné par le bien-être des générations futures ? Ce qui n’était jusqu’alors qu’une posture engagée ne concernant qu’une poignée d’activistes est devenu une préoccupation du plus grand nombre.

Si elle permet à chacun de se sentir concerné, cette formulation a jus-

tement pour limite d’être trop générale, chacun (chaque système politique, chaque société, chaque individu) mettant le curseur de ses besoins là où il le souhaite, l’amenant parfois au seuil de sa propre morale. Les volontés de changement ne se sont que très rarement transformées en actes, et voilà qu’en 2017, malgré les agendas 21 et les Grenelles, malgré les quelques lois et réglementations mises en place sur le territoire français (et leurs équivalents à l’international), on observe un maintien absolu du constat ayant conduit au rapport de Bruntland trente années auparavant. Ceci est d'autant plus vrai que le fondement même de la formule «développement durable» serait aujourd'hui à remettre en question : en prenant pour axiome que le


développement de nos sociétés pourrait être soutenable sur le long terme, les conclusions de Bruntland ont négligé l’importance du phénomène démographique que nous connaissons2.

17

2 Cette question de la légitimité du développement durable (Développement Durable… n’est-ce pas là un oxymore ?), quoique passionnante et complexe, ne sera pas traitée dans ce mémoire.


Une raréfaction préoccupante des ressources : vers un scénario catastrophe ?

18

fiches stef-1

9/06/05

9:29

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AGENDA 21 / PLAN D’ACTIONS / AGENDA 21 1 • 2 • 3 • 4 • 5 • 6 • 7 • 8 • 9 • 10 • 11 • 12 • 13 • 14 • 15 • 16 • 17 • 18 • 19 • 20 • 21 • 22 • 23 • 24 • 25 • 26 • 27 • 28 • 29 • 30 • 31 • 32 • 33 • 34 • 35 • 36 • 37 • 38 • 39 • 40 • 41 • 42 • 43 • 44 • 45 • 46 • 47 • 48 • 49 • 50 • 51 • 52 • 53 • 54 • 55 • 56 • 57 • 58 • 59 • 60 • 61 • 62 • 63

AGENDA 21 / PLAN D’ACTIONS / AGENDA 21 1 • 2 • 3 • 4 • 5 • 6 • 7 • 8 • 9 • 10 • 11 • 12 • 13 • 14 • 15 • 16 • 17 • 18 • 19 • 20 • 21 • 22 • 23 • 24 • 25 • 26 • 27 • 28 • 29 • 30 • 31 • 32 • 33 • 34 • 35 • 36 • 37 • 38 • 39 • 40 • 41 • 42 • 43 • 44 • 45 • 46 • 47 • 48 • 49 • 50 • 51 • 52 • 53 • 54 • 55 • 56 • 57 • 58 • 59 • 60 • 61 • 62 • 63

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Figure 2.  Une multiplicité d'initiatives, quelles actions ?

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aimons l’avenir

Plan d’actions 2005 / 2007 / / / / / / / / /

AGENDA 21 GRAND LYON

GRANDLYON

communauté urbaine

Les COP (Conferences of the parties) marquent la volonté internationale d'engager une action globale pour répondre aux problématiques environnementales de tout ordre. Les Agendas 21 définissent le cadre de l'action publique, à une échelle territoriale. Les associations organisent des opérations coups-de-poing, destinées à compenser la lenteur des procédures qui nuisent à l'action... La prise de conscience se constate à toutes les échelles, de l'institution à l'association, du politique au citoyen. Pourtant, malgré ce consensus (quasi) total, une inertie importante se fait sentir à l'échelle planétaire, et les quelques décisions entérinées lors d'évènements dédiées peinent à se concrétiser, faute de budget alloué. Sources : greenpeace.fr; www.colibrislemouvement.org ; un.org ; millenaire3.com ; areneidf.org


#1.2 Le secteur de la construction fortement concerné par la nécessité de réagir

L

e secteur du bâtiment est concerné à plusieurs titres par ces enjeux du développement durable et est lui aussi confronté aux incohérences voire

contradictions soulevées par la complexité d’une approche durable : que ce soit dans les revues spécialisées, lors de conférences ou des rares cours dispensés en école d’architecture et d'ingénierie sur le sujet (seules formations sur lesquelles je puisse porter un regard critiquee...), la question environnementale n’est souvent traitée que selon son angle énergétique. Et à juste titre : la consommation énergétique du bâtiment (tertiaire et résidentiel) pèse pour 44 % dans la consommation française3, ce qui en fait le premier

poste de dépenses énergétiques en France, devant le secteur industriel qui représente 32% de cette consommation totale4. 19

Ainsi, chacun affirme qu’il est urgent de réduire la note environne-

mentale du monde du bâtiment : la prise de conscience a bien eu lieu auprès des populations et des instances décisionnelles. Passifs, BEPOS (Bâtiments à Énergie POSitive), HQE (Haute Qualité Environnementale, issu du label Haute Performance Énergétique) sont autant de labels sensés certifier l’adéquation de ces édifices aux enjeux du développement durable… en des termes énergétiques du moins. Mais on ne peut pas décomposer l’écologie en problèmes indépendants et la question de la ressource reste trop peu abordée. Pourtant si l’homme est capable de concevoir des dispositifs « verts » de production/consommation d’énergie, la plupart des ressources, comme le sable5 et de nombreux métaux6, s’épuisent et ne se renouvellent que sur le très long 3 ADEME. Chiffres clefs du bâtiment, [en ligne]. Disponible sur : http://presse. ademe.fr/2014/04/les-chiffres-cles-du-batiment-2013.html, consulté le 06.01.2018 4 Idem. 5 DELESTRAC, Denis. Le sable : enquête sur une disparition, [DVD]. ARTE France, Rappi Productions, La Compagnie des Taxi-Brousse, Informaction, 2013, (74min). 6 D’après les chiffres de la Fédération Française du Bâtiment. A consulter sur http://www.dechets-chantier.ffbatiment.fr/


Le secteur de la construction fortement concerné par la nécessité de réagir

terme. Ceci est à mettre en regard avec l’accumulation des déchets issus du secteur du bâtiment (73% du volume total des déchets en France, dont plus de 90% sont issus des déconstructions et chantiers de réhabilitation7), et la qualité du parc immobilier Européen qui représente 25 milliards de mètres carrés construits, dont 40% avant 19408 qui seront autant de déchets dans un futur proche de renouvellement urbain.

Ce constat croisé sur les ressources, les déchets et l’état du bâti

pousse l’architecte à s’interroger. Il semble urgent de remettre en cause le système linéaire actuel, extraire – produire – consommer – jeter, afin de ne considérer nos réalisations que comme la pétrification temporaire d’un flux de matériaux. Ainsi, inclure le bilan « matière » de l’architecture dans une temporalité plus large que la simple vie du bâtiment conduit à percevoir un édifice comme un important gisement, plus que comme le lieu de l’accomplissement du matériau. Au delà d’une évolution des modes de pensée, il convient de se questionner sur les moyens mis en place pour modifier les logiciels9 présidant à la réalisation d’un édifice. Ces réflexions posent néces20

sairement la question d’une évolution des pratiques, et donc des méthodologies adossées à l’architecture.

7 GOBBO, Émilie. Déchets de construction, matière à conception, [En ligne] Conférence at Architecture UCL, Brussels Studies. 2015. Disponible sur : https://vimeo. com/118223629, consulté le 15.04.2017 8 Idem. 9 Comme développé plus loin dans le mémoire, logiciel sera ici compris à la fois selon la définition qu’en a le Larousse (Ensemble des programmes, procédés et règles, et éventuellement de la documentation, relatifs au fonctionnement d’un ensemble de traitement de données) et selon l’acception plus commune de logiciel informatique.


#1.3 «La nécessité est mère de l’invention»10 : le temps de la réaction

O

n ne peut en effet que constater une évolution dans l'approche qu'ont les jeunes architectes et étudiants en architecture de leur discipline.

Les figures d’architecte artiste, d’architecte sculpteur, voire même d’architecte intellectuel ne convainquent plus beaucoup des futurs praticiens qui se tournent souvent vers des pratiques teintées de politique. Celles-ci impliquent de se positionner par rapport à un contexte, local et global. Aujourd’hui, cette prise de position n’intervient plus seulement par le projet, mais avant tout en développant son être au monde11. L’architecture n’est plus affaire d’expertise (de l’espace, de la matière, de la lumière...), de maîtrise (des flux, des ambiances …), mais bien de compréhension et de positionnement face à des contextes. Pour illustrer ceci, et en écho à ce que dit précédemment, dans Qu’est-ce que le développement durable pour les architectes ? (2016) l’Atelier 2/3/4 énonce :

« On met beaucoup en avant la faible consommation, voire l’absence ou mieux la restitution énergétique, comme objectif du développement durable. Il s’ensuit des compositions d’enveloppes épaisses et sophistiquées [et] l’ajout de matériel ». Un constat qui montre qu’en effet, nous avons jusqu’à récemment agit, par incompréhension, en incohérence avec des principes bioclimatiques élémentaires : la débauche de matière destinée à optimiser la maîtrise des ambiances contrevient aux principes de bon sens visant à la réduction de la consommation de ressources. A la lecture de l’essai de Marie-Claude

10 Alessandro Vicari, « Éco-design. Processus et hypothèses de travail », Multitudes 2013/2 (n° 53), p. 185-190. DOI 10.3917/mult.053.0185 11 Positionnement actif voire proactif par rapport aux phénomènes observés.

21


«La nécessité est mère de l’invention» : le temps de la réaction

Plourde12, doctorante à l’Université du Québec, nous comprenons que la solution se doit d’être complexe et dialectique. Performances, usages, contexte culturel et enjeux environnementaux doivent être simultanément appréhendés pour pouvoir prétendre à une architecture durable.

Conscients de cela, nous sommes entrés dans un temps de la com-

préhension qui verra l’objet et la méthode de la pratique architecturale profondément réinventés.

«Dans l’éco-design, écologie et design se rencontrent : la discipline qui étudie la relation entre l’homme et son milieu côtoie la discipline qui étudie et formalise les objets, les espaces et les comportements. Dans une époque de transition du paradigme moderne au paradigme écologique, ce mot composé se révèle un outil précieux, puisqu’il prône la complémentarité de deux concepts, nature et culture, séparés depuis l’avènement de la modernité.»13 22

Le biomimétisme, la conception participative, le 4Dimensional-De-

sign, le label Cradle2Cradle (C2C) ou l’architecture de réemploi sont des pratiques émergentes qui tentent justement de saisir cette complémentarité. Leurs variétés permettent de s’assurer «que l’architecture [devienne] universelle dans sa démarche mais non dans sa forme.»14 en proposant des approches et des degrés de militantisme très variés.

12 PLOURDE, Marie-Claude. Collectif, 2016, Qu’est-ce que le développement durable pour les architectes ? Paris, Archibooks et Sautereau Éditeur, Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 7, n°1 | Avril 2016, Disponible sur : http:// developpementdurable.revues.org/11262. Consulté le 26 mai 2017. 13 VICARI, Alessandro. Éco-design. Processus et hypothèses de travail, [En ligne] Multitudes 2013/2 (n° 53), p. 185-190. DOI 10.3917/mult.053.0185 14 SARFATI dans PLOURDE, Marie-Claude (2016), Op. Cit.


#1.4 Définition de la problématique

A

l’occasion de ce mémoire, nous nous concentrerons sur l’une de ces pratiques, le réemploi. Même s'il s'agit d'une thématique très en vogue

dans les écoles d’architecture, il ne doit pas pour autant être boudé par les travaux de recherches sous le prétexte qu’il ne constituerait pas un angle assez original ou inédit. Pour les raisons contextuelles que nous avons décrites (crise globale, modification des pratiques...), le réemploi ne doit pas être approché comme l’objet d’une mode, mais comme un mouvement de fond qui mériterait d’être développé.

En effet, la question de la gestion des déchets préoccupe de plus en

plus l’industrie de la construction. Outre leur enfouissement et leur incinération, une partie des déchets est recyclée comme matériaux de construction pour les travaux publics (remblais, réalisation de chaussées…) mais l’intérêt écologique d’un tel recyclage trouve très rapidement ses limites dans la dépense énergétique nécessaire à l’opération. De plus, les matériaux ne sont pas indéfiniment recyclables et perdent généralement leurs qualités intrinsèques initiales, mécaniques ou chimiques : c’est ce que l’on appelle le downcycling. Ce constat impose la réutilisation (conservation de la fonction du produit, très difficile en pratique) ou le réemploi (non conservation de la fonction, mais respect de la forme) comme les solutions les plus à même de répondre à la double problématique de l’accumulation des déchets et de l’impact environnemental de leur traitement. Il convient donc de se poser la question du réemploi avant celle du recyclage.

On constate depuis une décennie l’apparition de filières de tri des

déchets issus des démantèlements, mais leur usage par les acteurs du milieu de la construction reste minoritaire. L’enjeu de la décennie à venir sera donc de faire passer le réemploi d’une pratique marginale à une pratique usuelle, afin d’inverser le paradigme qui pousse à ne se concentrer que sur la construction et la vie du bâtiment. Que deviennent les matériaux et les

23


Définition de la problématique

éléments constructifs une fois le bâtiment déconstruit ? Comment, par une réflexion en amont, faciliter leur réemploi en aval ?

Dans quelle mesure la pratique du réemploi peut-elle s'insérer dans les logiques de l'industrie de la construction ?

Pour répondre à ces questions, nous nous attacherons dans un pre-

mier temps à comprendre ce que signifie réemployer, conceptuellement et méthodologiquement. Dresser un tableau de la production d’architecture de «seconde-main» nous permettra de déceler les grands principes qui la favorisent ou au contraire la limitent.

La seconde partie nous amènera à nous questionner sur la possi-

bilité de structurer une méthode du réemploi, en dépit du caractère très incertain des gisements de produits de réemploi. Nous nous appuierons sur une analyse de la chaîne de construction, et tâcherons d’évaluer l’impact que peut avoir cette pratique sur le quotidien de ses acteurs. 24

Nous nous pencherons ensuite sur les potentiels offerts par les

nouveaux outils du numérique pour encourager et faciliter les logiques du réemploi. Traçabilité et évaluations qualitatives des produits de seconde main seront mises en regard avec la réalité du quotidien de l’architecte. En raison de leur objectif opératoire, ces deux dernières parties seront résolument pragmatiques.

Les stages, lectures, et enseignement suivis ne m'ayant donné qu'un

aperçu partiel des processus conduisant à la réalisation d'un édifice, je n'ai donc pas l'expérience suffisante pour avoir une vision globale du secteur de la construcion. Aussi, le propos de ce mémoire ne sera certainement pas de mettre en place une méthode «clefs-en-main» du réemploi, mais de proposer une réflexion sur des pistes viables qui pourraient conduire à sa généralisation.


25


#2 Éléments de compréhension et de caractérisation de la pratique

#2.1 Le déchet : diachronie et enjeux d'une définition #2.2 Un frein majeur au réemploi : «assurer le risque» #2.3 Le réemploi : une production caractérisée


A ceux qui diront que le réemploi est une pratique marginale vouée à le rester, nous verrons que l’Union Européenne répond, par sa directive du 19 Novembre 2008 relative aux déchets, qu’il s’agit en réalité d’une priorité pour tous les états membres, destinée à se généraliser à grande échelle. L’UE, bien consciente de la problématique déjà exposée de l’accumulation des déchets, a décidé en 2008 de donner un cadre légal à cette pratique. Pour cela, arrêter une définition claire du concept de déchet s’est avéré nécessaire. Comme nous le verrons, les questions soulevées sont complexes et les enjeux d’une telle définition, majeurs. En dépit des moyens mis en oeuvre par les états le réemploi peine à pleinement se développer. En cause : l'imprécision de certaines définitions fondamentales, l’inertie d’une société bien établie et la complexité des acteurs impliqués, qu’ils soient économiques ou politiques... Les ouvrages effectivement construits selon cette pratique sont encore peu nombreux, et le cadre normatif dans lequel ils sont conçus tend à caractériser la production tout entière.

27


28


L'ambiguité d'une définition

#2.1 Déchets : Diachronie et enjeux d'une définition L'ambiguité d'une définition La perte de valeurs d’usage : une donnée subjective

L

’article L. 541-1-1 du Code de l'environnement désigne sous le terme de déchet

«toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention ou l’obligation de se défaire». 1 C’est donc uniquement par le jugement, par la vision de l’usager qui le décrit qu’un objet devient déchet. Cette observation est absolument capitale.

Les membres du collectif belge d’architectes Rotor (des incontournables du réemploi, nous aurons l’occasion de les citer de nombreuses fois dans ce mémoire) ont imaginé un atelier2 qui nous pousse à réfléchir sur cette définition.

Encadrant les étudiants de la Haute École du paysage, d'ingénierie et

d'architecture de Genève (HEPIA) , ils se sont associés avec les propriétaires d’une bijouterie voisine désireux de changer la décoration de leur local commercial. Ils avaient convenu d’une dépose de tous les équipements et habillages par les étudiants, qui en contrepartie pouvaient conserver tout ce qu’ils souhaitaient du démontage. Après plusieurs jours de démontage minutieux, tous les éléments récoltés ont été stockés pour faire l’objet d’un référencement détaillé. Consignant leurs dimensions, matériaux et état, les étudiants se sont appropriés toutes les caractéristiques de ces objets. Pour réaliser 1 Code de l’environnement, Article L541-1-1. Ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des déchets. 2 GIELEN, Marteen. Conférence, 15ème minute.

29


Déchets : Diachronie et enjeux d'une définition

leur projet d’occupation temporaire d’un espace public genevois, une étape de reconditionnement léger a été nécessaire. Nettoyage, tri des éléments inutilisables, ré-assemblage… Une fois l’autorisation d’occupation arrivée à son terme, les objets ont étés réunis puis disposés de sorte à être évacués le lendemain par la municipalité.

Or, les étudiants ont observé que de nombreuses personnes étaient

intéressées par ces éléments qui attendaient d’être évacués, et allaient jusqu’à les récupérer. Ce qui est édifiant avec cette opération, c’est que seul un déplacement de ces éléments associé à un léger nettoyage les a transformés en biens «désirables» par d’autres. Ils ont par deux fois échappé à la benne, car ils n’ont à aucun moment été considérés autrement que comme des produits renfermant une certaine valeur, capables de répondre à un usage.

C’est sur cette perte purement subjective de valeur d’usage que l’ar-

ticle L. 541-1-1 du Code de l'environnement fonde sa définition du déchet. 30

Loin d’être une vue de l’esprit, les limites qu’imposent cette définition sont bien concrètes et réduisent drastiquement les opportunités de réemploi, car de la même manière qu’il est interdit aux grandes surfaces de vendre des produits de consommation périmés, il est impossible dans le secteur du bâtiment de mettre en oeuvre des produits de construction considérés comme des déchets. Tout l’enjeu du réemploi réside dans la capacité des différents acteurs de la construction à soustraire des produits déjà usités à cette définition du mot déchet.

L’importance du contexte culturel et historique

E

n cela, comprendre la dimension culturelle de la définition du déchet revêt une importance primordiale. Dans un entretien qu’ils ont accordé à

la revue scientifique Mouvements, François Jarrige et Thomas Le Roux démontrent que parce qu’elle est subjective donc culturelle, la notion de déchet est profondément mouvante. Ils mettent en valeur les changements de définition liés à la perception des déchets, en lien direct avec les évolutions technico-sociétales d’une époque en démontrant que


Le rôle des «imaginaires sociaux»

«La capacité des sociétés à gérer les déchets dépend aussi des imaginaires sociaux.»3 Pour exemple, au XVIIIe siècle, aucun produit n’était présent en quantité suffisante pour être raisonnablement dirigé vers son exutoire final. La pauvreté caractéristique d’une frange importante de la population de cette époque imposait alors de trouver un nouvel usage à ces produits, qui, aux yeux de leurs propriétaires, renfermaient encore une certaine valeur d’usage.

Une rupture s’opère à la fin du XIXe siècle. La production industrielle

augmentant, la nouvelle abondance des produits de consommation rend alors inutile l’effort de réutilisation. Dans l’imaginaire collectif, les évolutions positives des niveaux de vie des populations ont conduit à désigner comme détritus impropres à un quelconque usage ce qui était auparavant perçu comme des ressources. D’ailleurs, Joseph Schumpeter qualifie de «destruction créatrice» la caractéristique intrinsèque du système capitaliste naissant qui consiste en un cycle de création, de destruction, et de restructuration.

Le rôle des «imaginaires sociaux» Influer sur les perceptions collectives

N

otre société a hérité de ce changement de paradigme, au point que l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) iden-

tifie comme l’un des freins principaux4 au développement du réemploi la barrière psychologique liée à la définition mouvante du déchet. Dans le cadre de la construction, les inhibitions liées à cette pratique concernent les maîtres d’ouvrage, qui, même si convaincus du bénéfice du réemploi, restent malgré tout peu désireux de mettre en oeuvre des produits perçus comme «sales».

Ce constat explique aussi la prédominance du recyclage qui pourtant intervient après le réemploi dans les priorités de valorisation définies par l’UE. Le 3 Entretien réalisé par Stéphane Le Lay, « Le rôle des déchets dans l’histoire. Entretien avec François Jarrige et Thomas Le Roux », Mouvements 2016/3 (n° 87), p. 5968. DOI 10.3917/mouv.087.0059, page 61 4 ADEME, Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction – 149 pages.

31


Déchets : Diachronie et enjeux d'une définition

recyclage est perçu comme un nettoyage, puisqu’il est impossible de reconnaître le produit après qu’il a été recyclé. Cette explication illustre l’importance de la redéfinition de «déchet» pour la levée de la défiance vis à vis des produits de réemploi.

Nous comprenons ainsi pourquoi, parmi les moyens de lutter contre

le danger que représente le phénomène d’accumulation des déchets, l’UE place comme priorité la prévention des populations : plutôt que de gérer des déchets toujours plus nombreux, on cherche à en limiter la production afin de changer le regard que portent les populations sur des objets jugés inutiles. Cette prévention, nous la vivons tous au quotidien à travers les nombreuses campagnes qui nous exhortent à réduire notre production de déchets. C’est même devenu un enjeu marketing : comprenant que les populations ont parfaitement intégré cette nécessité, certaines marques alimentaires ont saisi l’opportunité en développant des produits sans emballage. L’effort est donc bien réel et concerne pour une fois aussi bien les populations, soumises au 32

matraquage publicitaire, que les entreprises, convaincues par les bénéfices qu’elles pourraient tirer d’une telle évolution.

Justifier d’une politique publique Toutefois, ces politiques publiques en matière de prévention gagneraient à se tourner également vers d’autres secteurs économiques, car malgré leur impact positif indéniable5 sur les ménages, elles ne concernent que les 8%6 de la totalité des déchets produits France que sont les déchets ménagers. L’enjeu porté par ce secteur est donc faible relativement à ceux soulevés par

5 Baisse annuelle constatée de 3% des Déchets Ménagers et Associés, au lieu des 1% prévus initialement par la loi sur la transition énergétique pour une croissance verte. Chiffres issus de : ADEME. Chiffres clefs du bâtiment 2016, [en ligne]. Disponible sur: http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/dechets_chiffrescles2016_8813.pdf, consulté le 22.01.2018. Page 6 Idem. Page 27


Le rôle des «imaginaires sociaux»

les 72%7 issus du secteur de la construction.8 Nous pouvons noter cependant que l’Union Européenne a fixé à 70% la quantité de déchets produits par les BTP qui devront être revalorisés à l’horizon 2020. Officiellement, en 2013, la France en valorisait déjà 60%, mais ce n’est en réalité que grâce à la confusion entre réemploi, réutilisation, comblement et recyclage qu’elle peut se vanter d’un tel taux, alors que l’intérêt écologique de certaines de ces pratiques reste discutable.

33

7 Idem. 8 Les derniers 20% proviennent du secteur industriel. Parmi ces 73%, distinguons les déchets du Bâtiment et les déchets des Travaux publics . Ces derniers ne seront pas traités dans cette étude, car il profitent déjà d’un important travail de revalorisation et s’éloignent de l’objet architectural.



Le rôle des «imaginaires sociaux»

#2.2 Le frein majeur au réemploi : «assurer le risque9»

D

ans le monde du BTP, les premières victimes (consentantes) de cette inhibition sont les assureurs, qui présentent souvent une grande frilosité lorsqu’il s’agit

d’assurer des produits de seconde main.

«La première chose qu’un assureur continue à demander à l’issue d’un chantier, c’est de savoir si ont été utilisées des techniques non courantes, hors normes. Et, en fonction de la réponse, il décidera de ce qu’il va assurer ou pas.»10

Même si un architecte-réemployeur décide de réutiliser un élément de construction selon son usage initial, la technique de mise en oeuvre ne pourra être assurée sous les mêmes conditions qu’un produit détenant toutes les certifications nécessaires. Elle relèvera des techniques dites «innovantes» ou «non-courantes», qui impliquent la réunion d’une commission comprenant des architectes. Celle-ci devra délivrer un rapport d’expertise statuant sur les risques de sinistralité de telle ou telle opération de réemploi, dont dépendront les conditions d’assurabilité.

Cette frilosité peut être rendue objective par trois critères identifiés par l’ADEME11:

La difficulté à obtenir l’«habillage12» réglementaire et normatif lié au produit;

La complexité qu’ont les opérateurs du réemploi à s’assurer pour des techniques non référencées dans leur DTU ;

Le frein de l'assurabilité-projet.

9 Encore Heureux, Choppin Julien, Delon Nicola. Matière Grise : Matériaux,réemploi, architecture. Paris, Pavillon de l'Arsenal, 2014. Page 272. 10 Ibid, p. 273 11 ADEME, Op. Cit. 12 Selon l’expression de Michaël GHYOOT, dans GHYOOT M., (2014) Le concepteur et les matériaux de construction, Thèse de doctorat sous la dir. de Jean-Louis GENARD, Faculté d’architecture de la Cambre Horta, Bruxelles.

35


Fabrication

Protocoles de test interne

Contrôles de la chaine de production et de test

Marquage

Mise en circulation +

N

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36

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Figure 3.  L'"habillage" d'un produit Un produit, pour pouvoir être mis en circulation, doit faire l'objet d'une certification CE. S'ajoutant à cette obligation réglementaire, le respect de normes multiples facilitent l'assurabilité du produit, ouvrant définitivement la voie de sa mise en oeuvre . Sources : Illustration personelle © Foucault Archambeaud / ENSAL

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Le frein majeur au réemploi : «assurer le risque»

=

Assurabilité du produit

Homologation du produit


Homologuer un produit : processus traditionnel vs. réemploi

Homologuer un produit : processus traditionnel vs. réemploi Réglementations et normes : quelle place pour le réemploi ?

L

es enjeux sanitaires et de sécurité soulevés par le secteur du bâtiment en font l’un des milieux les plus réglementés et normalisés. Une distinction

importante est à opérer entre deux procédés d’ «habillage» de produit.

→→ La réglementation est un document législatif contraignant, «créé par des autorités administratives (Etat, Sénat, collectivités, etc.), qui émane donc d’un projet de loi, d’un règlement»13. Tout acteur de la construction a l’obligation de s’y soumettre s’il ne veut pas tomber dans l’illégalité. Généralement, les réglementations européennes ou françaises visent à fixer des seuils de performances énergétiques, ou à assurer la sécurité des usagers. Chaque produit mis sur le marché doit donc avoir subi un processus de vérifications qui permettent de valider leur conformité à ces règles que nous pourrions qualifier de fondamentales. Il se décompose en deux phases :

Une évaluation est réalisée par le fabricant, qui va rédiger une «fiche produit», déclarant les performances dudit produit à partir de tests réalisés en interne.

Cette déclaration du fabricant est validée (ou non) par un organisme tiers qui confirme que les protocoles de contrôle des performances normalisés à l’échelle européenne ont été respectés.

Un produit, pour pouvoir prétendre à être assuré, doit donc avoir rempli ces deux conditions : déclaration du produit et contrôle de la chaîne de production.

13 https://normalisation.afnor.org/actualites/norme-vs-reglementationdifferences-enjeux-et-finalites/

37


Le frein majeur au réemploi : «assurer le risque»

Il apparaît que ce processus de vérification est absolument inadapté aux produits de réemploi qui ne proviennent d’aucune chaîne de production. Leur mise en circulation peut donc sembler compromise.

→→ Quant aux normes, il s’agit d’une «surcouche» plus spécifique dont l’application par les acteurs de la construction n’est pas obligatoire dans le cadre de marchés privés, mais est un argument pour l’obtention de divers labels et certifications. Elles sont fixées par un comité de normalisation. Prenons l’exemple d’une poutre en bois, et de son processus de normalisation. Le Comité Européen de Normalisation (CEN) est composé de cinq acteurs14 ayant chacun des intérêts différents à définir les standards de demain:

«Les industries, qui ont un intérêt commercial à une normalisation valorisant leurs produits ;

• 38

Les ingénieurs consultants, qui sont d’un apport purement technique ;

La communauté qui a un intérêt sécuritaire ;

Les commerçants et groupes de consommateurs : les normes permettent de communiquer clairement sur les attentes des clients et de permettre des comparaisons aisées ;

Les autorités publiques ont un intérêt législatif dans le domaine dans la mesure où les standards sont souvent liés aux Eurocodes et aux codes de la construction des états membres.»15

Prendre connaissance des acteurs qui travaillent à élaborer les normes permet de comprendre qu’aucun ne gagnerait à faire rentrer dans la norme des produits de réemploi. Les industries n’ont en l’état actuel aucun intérêt à faire la promotion de produits qui échappent à leurs filières de production et qui seraient susceptibles de les concurrencer. Les autorités publiques seraient confrontées à des opérations d’une grande complexité à même de fragiliser 14 CEN/TC 124, « CEN/TC 124 Business Plan ». Comité européen de normalisation (CEN), 16 septembre 2010. 15 GHYOOT M., 2014. Op. Cit. p.67


Homologuer un produit : processus traditionnel vs. réemploi

leur fonctionnement peu flexible basé sur des procédures. Pourtant, malgré la partialité des acteurs qui tendrait à nous faire douter du bien-fondé de la normalisation, celle-ci a un rôle primordial dans la confiance des assureurs vis-à-vis des techniques et produits à assurer.

Les ATEx : solution viable ?

P

our résumer, les produits de réemploi ne peuvent répondre à la suite d’exigences très clairement formalisées par les assureurs que sont le

respect des normes et des réglementations, en raison du processus même d’obtention de cet «habillage» nécessaire à la mise sur le marché de produits de construction. Les concepteurs désireux de faire appel au réemploi devront passer par une procédure d’ATEx. L’Appréciation Technique d’Expérimentation (ATEx) est un outil du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB) permettant de mettre en oeuvre des produits ne répondant pas aux normes et certifications usuelles. Il s’agit d’une évaluation orientée produit (ATEx type a) ou projet (ATEx type b) prononcée par un collège d’experts concernant la faisabilité, la sécurité, et les risques de désordre d’une technique constructive ou d’un produit innovant.

Plus spécifiquement, les ATEx déposés dans le cadre d’une opération

de réemploi sont de type b16: ils concernent un «projet de réalisation identifié, c'est-à-dire l'application d'une technique constructive sur un chantier précis à réaliser»17. Pour chaque demande d’ATEx, un dossier complet doit être instruit par un contrôleur technique pour ensuite être validé - ou non - par le comité. En plus de parfois nécessiter des essais préalables déjà coûteux, la démarche de demande d’ATEx représente un poste de dépense non négligeable, allant de huit à onze mille euros par dossier instruit, selon l’objet de la demande. Dans le cadre d’un projet de réemploi comportant de nombreuses techniques non courantes, il semble inenvisageable de généraliser le recours 16 ADEME, Repar : Réemploi comme passerelle entre architecture et industrie [En ligne], 2012, Téléchargeable sur : http://www.ademe.fr/repar-reemploi-commepasserelle-entre-architecture-industrie. 17 CSTB, Demander une ATEx, [En ligne] Disponible sur : http://evaluation.cstb.fr/ fr/appreciation-technique-expertise-atex/demander/, consulté le 02.01.2018

39


Le frein majeur au réemploi : «assurer le risque»

Prix, délai, durée de validité de l’ATEx PRIX DE BASE SELON TAILLE DU PROJET

ATEx

(à titre indicatif)

Appréciation Technique d’Expérimentation

14

CAS

de

A

à k€ H

5

LEVÉE DES RÉSERVES

OPTIONS

PHASAGE ET PRINCIPAUX DÉLAIS DE LA PROCÉDURE ATEx 15 JOURS OUVRABLES 0

1

MONTAGE DU DOSSIER par le demandeur 2

option : réunions préparatoires

4

constitution du dossier par le demandeur

40 1er contact

3

dépôt d’une demande

10 J OUVR

1 MOIS 5

6

étude du dossier par le rapporteur

option : réunions préparatoires DOSSIER TECHNIQUE PRÉLIMINAIRE

demande de justifications particulières

commission ATEx(2) DÉPÔT DU DOSSIER DÉFINITIF 8 exemplaires

AVIS

offre choix du rapporteur généralement un contrôleur technique

 favorable  défavorable  réservé ou

 réservé avec suivi

enregistrement

recevabilité

(1) Pour l’ATEx de cas « A », ce délai s’entend après correction par le demandeur de son dossier technique. (2) Dans le cas de l’ATEx « C », consultation d’un comité restreint. Septembre 2017 Figure 4.  L'ATEx ou la complexité d'une procédure

Si l'ATEx permet ponctuellement de mettre en oeuvre des techniques expérimentales, l'investissement qu'elle implique de la part des acteurs de la construction rendent illusoire sa généralisation pour un projet de réemploi. Sources : http://evaluation.cstb.fr


Homologuer un produit : processus traditionnel vs. réemploi

PRIX DE BASE SELON TAILLE DU PROJET (à titre indicatif)

14 20

CAS

de

A

50%

LEVÉE DES RÉSERVES

OPTIONS

CAS

à k€ HT

B

DU COÛT INITIAL

A PROCÉDURE ATEx

5

CAS

à k€ HT

C

RÉUNIONS PRÉPARATOIRES

10 JOURS OUVRABLES(1) 6

étude du dossier par le rapporteur

~ 3,2 k€ HT

~ 4 k€ HT

15 JOURS OUVRABLES 7

1

2

ENVOI de l’ATEx offre

commission ATEx(2)

DÉPÔT DOSSIER ÉFINITIF xemplaires

istrement

8 11

PHASAGE DE LA LEVÉE DES RÉSERVES

1 MOIS 4

de

dossier de levée des réserves + paiement

réunion CSTB + rapporteur

AVIS  favorable  défavorable

enregistrement AVIS  favorable  défavorable  réservé ou

 réservé avec suivi

ENVOI COURRIER

 avis favorable  avis défavorable

41


Le frein majeur au réemploi : «assurer le risque»

aux ATEx. Cette procédure d’homologation coûteuse en énergie, en temps et en argent ne semble donc pas constituer une piste viable pour une généralisation de la pratique du réemploi, mais permettent ponctuellement de solliciter certaines techniques non courantes.

DTU et assurances dommage-ouvrage

A

u delà des procédés de certification-produit que nous venons de voir, les acteurs de la construction, et plus particulièrement les entreprises,

sont soumises à des certifications professionnelles et règles de l'art qui répertorient les techniques constructives homologuées par corps de métier : les Documents Techniques Unifiés (DTU). Avant les années 1990, ces documents complémentaires18 aux normes françaises ne révêtaient pas un caractère obligatoire. Les artisans bénéficiaient donc d’une certaine latitude dans les techniques de mise en oeuvre. Par souci de simplification, les normes et 42

les DTU ont fusionné en 1993. Comme pour les normes-produits, le respect par les artisans de ces nouvelles normes dites NF DTU n’est pas une condition nécessaire à l’obtention d’un marché. Ce n’est que contractuellement qu’elles peuvent être imposées si le marché de travaux y fait référence, explicitement ou par la mention de la NF P03-00119. Là aussi, le DTU est un document destiné à assurer la sécurité des artisans et la conformité des mises en oeuvre. Ils décrivent précisément les techniques pour lesquelles les différents corps de métiers sont assurables, et par voie de conséquence, toute technique non répertoriée dans ce document peut entraîner l’irrecevabilité d’une demande auprès de l’assureur, si ce dernier considère qu’elle n’entre pas dans les compétences de l’entreprise. La clauses-types de l'annexe de l'article A. 243-1 du Code des assurances20 dispose : 18 CARDIEGUE, Normes et DTU, une logique mise à mal … [en ligne] Disponible sur : https://conseils.xpair.com/lettres_expert/roger-cadiergues/149.htm, consulté le 30.11.2017. 19 http://www.ffbatiment.fr/federation-francaise-du-batiment/laffb/mediatheque/ batimetiers.html?ID_ARTICLE=1641 20 Code des assurances, Annexe article A243-1. Modifié par Arrêté du 19 novembre 2009 portant sur les clauses-types applicables aux contrats d'assurance et de responsabilité décennale.


DTU et assurances dommage-ouvrage

«L'assuré est déchu de tout droit à garantie en cas d'inobservation inexcusable des règles de l'art, telles qu'elles sont définies par les réglementations en vigueur, les normes françaises homologuées ou les normes publiées par les organismes de normalisation d'un autre État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen offrant un degré de sécurité et de pérennité équivalant à celui des normes françaises.» Dans le meilleur des cas, une hausse de la tarification sera opérée.

Un dernier frein est à chercher du coté de l'assurabilité du maître

d'ouvrage. L'assurance dommage-ouvrage, qui permet un remboursement rapide du MOA si un sinistre est constaté dans l'année couverte par la garantie de parfait achèvement, repose sur l'état des produits et mises en oeuvre après la livraison d'un bâtiment. Pour un assureur, comment avoir confiance en un édifice dont les éléments de construction ont l'allure de produits anciens, voire abimés, alors même qu'ils viennent d'être posés ? L'extrapolation aux performances dudit produit semble naturelle, a fortiori quand des sommes importantes sont en jeu, et justifie leur réticence à assurer de tels ouvrages. L'ADEME place ce frein au réemploi en 7e position sur 3721, signe que la problématique de l'assurabilité d'un projet de réemploi est l'une des contraintes les plus épineuses auxquelles il est soumis.

21

ADEME, Op. Cit. p.125

43


Le frein majeur au réemploi : «assurer le risque»

Une ouverture à l’expérimentation : Le permis de faire de la loi LCAP

P

atrick Bouchain de l’agence Construire déplore que les intérêts économiques et politiques soient les principaux critères à l’élaboration du

cadre législatif-normatif dans lequel évolue le secteur de la construction. Il considère que ce carcan freine l’expérimentation architecturale en prétendant remplacer le bon sens des architectes prescripteurs :

«Au delà des instituts de normalisation d’intérêt public en charge de la production de nouvelles normes, des labels de performances (qualitel, effinergie,....) qui évoluent constamment, et des lobbies industriels qui s’assurent ainsi des situations de quasi monopole, c’est en fait tout le système des financements et des assurances du bâtiment qui enferme l’acte de construire dans les circuits de la production, de la distribution et de la consommation des biens industriels, rejetant le réemploi et autres «circuits courts» dans les marges des constructions dites expérimentales

44

ou irrégulières, c’est à dire illégales.»22 Conscient que la profusion des normes et des réglementations contraint grandement l’innovation architecturale (dont le réemploi fait partie) en provoquant une défiance chez les assureurs, le Parlement français a voté une loi en faveur de l’expérimentation architecturale. Cette loi, relative à la Liberté de Création, à l’Architecture et au Patrimoine (Loi LCAP), définit le cadre d’un « permis d’expérimenter » qui favoriserait la mise en oeuvre de techniques non courantes et de produits de seconde main. Le réemploi y occupe une place de premier ordre :

« I. - A titre expérimental et pour une durée de sept ans à compter de la promulgation de la présente loi, l'Etat, les collectivités territoriales et leurs groupements, les organismes d'habitations à loyer modéré [...], les sociétés d'économie mixte agréées [...] ainsi que les sociétés d'économie mixte 22

CHOPPIN Julien ; DELON Nicola. Op. cit., p. 31


Une ouverture à l’expérimentation : Le permis de faire de la loi LCAP

locales [...] et les sociétés publiques locales [...] peuvent, pour la réalisation d'équipements publics et de logements sociaux, déroger à certaines règles en vigueur en matière de construction dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles. Un décret en Conseil d’État fixe les règles qui peuvent faire l'objet de cette expérimentation, notamment en ce qui concerne les matériaux et leur réemploi, ainsi que les résultats à atteindre qui s'y substituent. Il détermine également les conditions dans lesquelles l'atteinte de ces résultats est contrôlée tout au long de l'élaboration du projet de construction et de sa réalisation.»23 L’énoncé de l’Article 88 de la loi repose sur la distinction fondamentale dans le monde du bâtiment entre l’obligation de moyen et l’obligation de résultat. L’obligation de moyen désigne la nécessité pour un architecte et ses partenaires de tout mettre en oeuvre pour atteindre les objectifs préétablis par les réglementations. Elle porte sur les questions acoustiques, thermiques, mais aussi sur la sécurité et l'accessibilité. Elle s’oppose à l’obligation de résultat, qui porte, comme son nom l’indique, sur les performances constatées après la construction, quels que soient les moyens mis en oeuvre. La loi LCAP a pour conséquence d’exploiter cette distinction en permettant aux municipalités de valider des permis de construire qui ne répondent pas à l’obligation de moyen. Dans le cadre du réemploi, cela signifie que pourront être mis en oeuvre des éléments de projet a priori non conformes si, une fois l’ouvrage réalisé, la démonstration de sa performance peut être faite.

23 Ministère de la culture, Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, (LCAP) article 88

45


46

Figure 5.  Siège du conseil, Bruxelles Architectes : Samyn&Partners Les châssis récoltés dans tous les pays d'Europe ont été assemblés pour constituer une sur-façade au bâtiment. Composée de fenêtre de seconde main, cette façade n'a pas pu être considérée lors des calculs portant sur la thermique et l’acoustique de l'édifice, mais a un impact bien réel qui pourrait aujourd'hui être mesuré. Elle joue le rôle d'un écran supplémentaire contre le vent et la pluie. Sources : lemonde.fr © Thierry Henrard. Ph. Samyn and Partners


Objet : projets à faibles enjeux techniques

#2.3 Le réemploi : une production caractérisée

E

n dépit de toutes les difficultés que rencontrent les MOA souhaitant faire appel à cette pratique, une production conséquente d’édifices construits

en réemploi existe. Dans son étude «identification des freins et leviers au réemploi de produits et matériaux de construction», l’ADEME identifie jusqu’à 49 cas pratiques, ne serait-ce qu’en France. Il semblerait donc que même avant la loi LCAP, ces limitations n’occupaient pas l’intégralité du paysage de la construction mais au contraire laissaient la place à un certain espace de liberté dans lequel quelques architectes et MOA ont su s’inscrire. Mais même en contournant les usages établis pour rendre concrètes leurs ambitions de réemploi, ces acteurs ne peuvent nier la législation dont le détournement implique de prendre des chemins «de niche». Rendue caractéristique dans son objet, ses acteurs, et son processus de conception-réalisation, la production de réemploi peut être analysée comme le négatif du champ de contraintes décrit précédemment. Si ces chemins ne sont pas systématiques, étudier quelques édifices construits en réemploi révèle malgré tout des tendances auxquelles les bâtiments de réemploi se conforment généralement. Dans ce qui suit, nous prendrons l’exemple de bâtiments remarquables et remarqués pour illustrer nos propos.

Objet : projets à faibles enjeux techniques

L

e corpus réglementaire auquel est soumis le secteur de la construction vise à établir la sécurité et l’accessibilité des usagers, que ce soit à l’étape

de la construction ou de la vie du bâtiment. S’assurer de la résistance d’un produit en cas d’incendie pour sécuriser l’évacuation des usagers, garantir la solidité de poutres en bois pour éviter le soulèvement d’une toiture au premier vent... Même si elles peuvent être perçues comme des contraintes, les réglementations sont donc bien souvent légitimes dans leurs intentions. L’architecte réemployeur ne peut négliger leur importance. Concevoir avec des

47


Le réemploi : une production caractérisée

48

Figure 6.  Le Pavillon Circulaire, Paris Architectes : Encore Heureux Ce pavillon, bel et bien rectangulaire en dépit de son nom, se veut être une démonstration du potentiel esthétique, éthique, et technique du réemploi. Destiné à être démonté, transporté puis remonté, il est le siège d' une exposition dédiée à l'économie circulaire (d'où son appellation) dans le secteur des BTP. Véritable plaidoyer en faveur du réemploi, le pavillion semble avoir été conçu comme une architecture engagée, voire militante. La municipalité, qui officie en temps que MOA, réalise grâce à l'agence Encore Heureux une belle opération de communication. Source : amc-archi.com © Cyrus Cornut/Matignon


Acteurs : actions manifestes ou expérimentales

produits de réemploi nécessite donc souvent d’imaginer la mise en oeuvre de produits dont on ne peut garantir a priori les performances sans aller à l’encontre des principes réglementaires et de bon sens de sécurité. Cela peut avoir deux incidences sur la production de réemploi :

Contraindre la nature du projet tout entier à un objet à faible enjeu technique, de type kiosques ou installations urbaines éphémères (par exemple le projet d’occupation d’une friche par ROTOR à coté de Saint Pancras, Londres).

Limiter l’usage des produits de réemploi à une fonction essentiellement (mais non seulement) esthétique, le respect des fonctions techniques réglementaires étant, elles, assurées par ailleurs par des produits « de première main».

En 2015, dans le cadre de l'extension du siège de l’Union Européenne (Voir "Figure 5. Siège du conseil, Bruxelles", page 46) , l’agence d’architecture Samyn & Partners a imaginé une façade en réemploi, composée de châssis de fenêtres en chêne glanées dans les États membres. Si la double peau constituée par cet assemblage remplit bien un rôle acoustique et thermique, ce n’est qu’en complément aux dispositifs réglementaires «traditionnels» mis en oeuvre dans le bâtiment.

Acteurs : actions manifestes ou expérimentales

V

éritables «Don Quichotte» luttant contre les systèmes établis par le secteur de la construction, les architectes-réemployeurs se retrouvent bien

souvent limités à des projets de pfaible envergure, que l’on pourrait qualifier d’expérimentaux alors même que la pratique existe depuis les premiers pas de la construction. Que ce soit par l’association Bellastock qui a imaginé un laboratoire d’expérimentation autour de réemploi en plein coeur de Paris24, ou par les membres de ROTOR qui proposent à leurs étudiants de produire des éléments de scénographie urbaine éphémères, la pratique peine à dé24 Pour des précisions sur le fonctionnement de leur Actlab, lire "Territorialiser la ressource", page 66

49


Le réemploi : une production caractérisée

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Figure 7. Une cartographie de ressources Un recensement de ressources, indiquant la distance du gisement au lieu de projet. Certainement un travail laborieux et chronophage, à réitérer à chaque projet ? Source : http://superuse-studios.com © SuperUse Studio


Acteurs : actions manifestes ou expérimentales

passer le stade de l’anecdotique. Maarten Gielen a avoué nourrir une frustration vis à vis de ce constat, qui a amené les membres de ROTOR à passer certaines de leurs productions sous mandat d’oeuvre artistique de manière à alléger la réglementation nécessaire25. Ils n’ont pas précisé la nature des projets touchés par ce détournement, mais l’extrémité d’une telle démarche illustre la difficulté à produire de l’architecture de réemploi dans un cadre traditionnel.

Si le réemploi est en grande partie affaire des valeurs de l’architecte

et de la MOA, nous avons vu que le cadre politique et culturel revêt également une importance capitale dans la caractérisation de la production. En raison des difficultés à surmonter, construire en réemploi est souvent perçu comme une profession de foi par des architectes et MOA qui voient l’architecture comme médium politique. Cette vision, très largement partagée par la jeune génération d’architectes militants, s’intègre dans une réflexion sociétale globale liée à la nécessité d’un développement durable. Les acteurs impliqués dans un projet de réemploi sont donc très souvent politisés, voire politiques. Ainsi, la sur-façade de l’Union Européenne se fait-elle la vitrine (presque littéralement !) de l’unité des différents états membres et de leur volonté commune de s’emparer des problématiques environnementales. D’une manière analogue, la rénovation du Salon de la Mairie de Paris et le projet du Pavillon Circulaire (Voir "Figure 6. Le Pavillon Circulaire, Paris", page 48) par le collectif Encore Heureux ont été portés par la municipalité de Paris, qui a facilité l’accès à certains gisements de produits de réemploi. Comme tout objet politique, l’architecture de réemploi devient sujet à une forme de récupération et se transforme en élément de sensibilisation, ou plus lucidement, de communication. Cette politisation n’est pas à déplorer puisqu’elle permet de mettre en lumière une pratique peu connue, et pourtant utile à la société. Mais dans l’hypothèse de sa généralisation à un plus grand nombre de projets, le réemploi se devra de dépasser ce statut de «manifeste», et donc de perdre sa dimension politique pour retomber dans le domaine du 25 GIELEN, Maarten. Conférence : Rotor, Tristan Boniver, Lionel Devlieger et Maarten Gielen, membres fondateurs, Bruxelles, Belgique. 2015. Cité de l’architecture et du patrimoine, https://www.dailymotion.com/video/x2u4syi_rotor-tristan-boniver-lioneldevlieger-et-maarten-gielen-membres-fondateurs-bruxelles-belgique_creation. 50e minute.

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Le réemploi : une production caractérisée

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Figure 8.  L'académie Fratellini, Saint-Denis Architectes : Agence Construire (Patrick Bouchain) Symptomatique d'un réemploi par «glanage«, cette architecture était initialement prévue pour être démontée rapidement, car la parcelle réservée n'était que temporaire. De temporaire, son installation est devenue définitive quand la double prouesse que constitue la réalisation de cet édifice (réemploi+démontable !) a pu être constaté. Source : amc-archi.com © Philippe Ruault


Processus : une architecture «opportuniste»

commun.

Processus : une architecture «opportuniste»

L

’expression d’architectes «opportunistes» est empruntée à l’agence transdisciplinaire SuperUse Studio26. Leur processus d’approvisionne-

ment est basé sur la prospection systématique de gisements destinée à établir une cartographie (Voir "Figure 7. Une cartographie de ressources", page 50) des ressources à proximité de leurs projets. L’opération réitérée à chaque fois, est coûteuse en temps mais est la garantie d’aboutir à un projet singulier absolument contextualisé. Ce qui ne devrait être qu’une posture personnelle défendue par SuperUse Studio est en réalité symptomatique de l’ensemble de la production. En effet, les architectes réemployeurs sont condamnés, par manque d’outils et de filière établie, à devenir les «chasseurs-cueilleurs» de la construction. Peu d’agences d’architecture disposent des moyens temporels, humains et économiques pour mener une telle prospection.

Le projet de l’Académie Fratellini de l’agence Construire ("Figure 8.

L'académie Fratellini, Saint-Denis", page 52) illustre un autre mode d’obtention des ressources, qui pourrait sembler plus passif que celui de SuperUse Studio. Patrick Bouchain, confronté à un budget très serré pour cette académie qui devait être initialement éphémère (!) était en recherche de tôles ondulées à moindre coût. Mis en contact au moment propice avec le fournisseur du projet de Disneyland Paris, ils ont eu la chance de pouvoir interrompre la mise en décharge d’un lot de tôles qui avaient été refusées par la MOA de Disney au motif qu’elles présentaient une trop grande irrégularité colorimétrique. L’exemple d’un tel projet de réemploi met en valeur l’impossibilité de reproductibilité de ce type de processus. Un projet architectural étant déjà complexe à gérer sans cette part de hasard bienheureux, seuls les architectes sachant se saisir ou ayant les moyens de provoquer l’opportunité ont une chance de pouvoir un jour concevoir un projet de réemploi de grande envergure. Difficile, dans ces conditions d’en généraliser la pratique...

26 VAN HINTE, Ed ; PEREEN, Césare ; JONGERT, Jan. Superuse : Constructing New Architecture by Shortcutting Material Flows. Rotterdam : 010, 2017.

53


#3 Vers une méthodologie du réemploi : pistes pour son intégration aux processus de construction traditionnels

#3.1 Activer le gisement : rendre prévisible la ressource. #3.2 Les plateformes de réemploi : rendre disponible la ressource #3.3 De la prescription à la construction : rendre descriptible le produit


Le réemploi tel qu’il est défendu dans ce mémoire se doit d’être plus que l’expression de la conviction et des engagements (inter)personnels de quelques acteurs motivés. Pour répondre aux enjeux qu’il soulève, nous avons pris le parti de réfléchir à intégrer le réemploi aux processus opératoires qui président déjà à la réalisation d’un édifice. En effet, il ne convient pas d’inventer de nouvelles manières de procéder, à travers la création de nouveaux acteurs et de nouveaux processus, mais d’intervenir à toutes les étapes de la filière existante pour les rendre compatibles avec les principes du réemploi. Cette seconde partie aura donc pour objectif de croiser la chronologie d’un hypothétique chantier de réemploi avec celle d’un chantier plus classique. Elle sera l’occasion d’étudier les documents existants qui pourront servir de support à la pratique, à travers toutes les phases du projet/chantier.

55


Synthèse du diagnostic de gestion des déchets issus de la démolition de bâtiments de plus de 1000 m² ou

Ministère chargé de la construction

de bâtiments professionnels ayant accueillis des substances dangereuses au sens de l’art. R4411-6 du code du travail

Localisation des matériaux dans les bâtiments

Quantité Unités (ml, m², u)

Tonnes

Observations concernant les opérations particulières à envisager lors de la démolition et les éventuelles possibilités de réemploi sur le site

Mélanges bitumineux (sans goudron) Terres (hors terre végétale) non polluées Béton et pierre

Matériaux ou déchets inertes (DI)

Tuiles et briques

(1)

Céramique (carrelage, faïence et sanitaires) Verre sans menuiserie Mélanges de DI listés cidessus sans DND (à détailler éventuellement en fin du présent tableau) Autres déchets inertes (à détailler obligatoirement en (5) fin du présent tableau) Plaques et carreaux Enduit + support inerte

Plâtre

Complexes plâtre + isolant

56

Non traités Bois Matériaux ou déchets non dangereux (DND)

Faiblement adjuvantés Fenêtres et autres ouvertures vitrées Métaux (à détailler éventuellement en fin du présent tableau) Plastiques (à détailler éventuellement selon type de (2) plastiques ; ex : PVC) Laines minérales Isolants

Plastiques alvéolaires (PSE, XPS, PU) (2) -1-

Détail des déchets comportant la mention "à détailler obligatoirement" ou "à détailler éventuellement" dans les listes ci-dessus Type de matériaux ou déchets (6)

Quantités Appellation du matériau ou déchets (5)

Localisation des matériaux dans le bâtiment

Figure 9. Extrait d'un formulaire de diagnostic Source : formulaires.modernisation.gouv.fr

Unités (ml,m², u)

Tonnes

Observations concernant les opérations particulières à envisager lors de la démolition et les éventuelles possibilités de réemploi sur le site


De la volonté de réemployer….

#3.1 Activer le gisement : rendre prévisible la ressource. De la volonté de réemployer…. Identifier la ressource : le diagnostic déchet et sa fiche ressource

L

e réemploi amène les opérateurs du bâtiment à considérer la ville comme une mine importante de ressources. Comme tout gisement de minerai,

par exemple, celui du réemploi préexiste à toute intervention humaine : les ressources sont en attente d’être identifiées et exploitées. Mais, si nous filons l’analogie, il ne s’agit pas de mettre en branle toute la chaîne de l’extraction à la moindre trace de minerai trouvée. Pour prévenir toute dépense et perte de temps inutiles, une évaluation préalable du gisement doit être opérée, afin d’identifier la quantité et la qualité de la ressource détectée et d’estimer si un forage peut-être réalisé. Cette première approche a pour objectif de rendre prévisible1 la ressource.

Un tel parallèle vise à démontrer que tout édifice déconstruit ne de-

vra pas nécessairement faire l’objet d’une action de réemploi. La pertinence de cette dernière doit être préalablement étudiée de manière à peser les bénéfices et opportunités offertes aux différents acteurs (du MOA aux entreprises). Aussi, connaître la ressource est l’une des conditions sine qua non à l’établissement d’un réemploi institutionnalisé. Cette nécessité, à la base de toute filière classique, rendra possible de dépasser le statut de «chasseurs-cueilleurs» qu’ont trop souvent les acteurs du réemploi. Cette volonté de caractériser le «gisement-déchet» est traduite depuis 2011 dans l’article 190 de la loi dite "Grenelle 2" par l’obligation de réaliser un dia-

1 Expression empruntée à GHYOOT Michael. (2014) Le concepteur et les matériaux de construction, Thèse de doctorat sous la dir. de Jean-Louis GENARD, Faculté d’architecture de la Cambre Horta, Bruxelles. Il cite trois critères nécessaires à l'attractivité d'un produit : sa prévisibilité, sa disponibilité, sa descriptibilité.

57


Activer le gisement : rendre prévisible la ressource.

gnostic déchet sous certaines conditions2. Cette modification du code de la construction vise deux catégories d’opération :

Tout chantier de déconstruction d’un bâti d’une surface supérieure à 1000 m² ;

Tout chantier de déconstruction d’un bâti ayant accueilli une activité agricole, industrielle ou commerciale et ayant été le siège d'une utilisation, d'un stockage, d'une fabrication ou d'une distribution d'une ou plusieurs substances dangereuses.

Une telle disposition réglementaire vise à anticiper le gisement de déchets généré par une opération de déconstruction, pour organiser leur redirection vers les filières de tri ou d’enfouissement les plus adaptées. Elle consiste en la production d’un document normalisé (Voir "Figure 9. Extrait d'un formulaire de diagnostic", page 56) qui renseigne sur la localisation des produits dans le bâtiment et leur quantité, par catégorie de déchets (DI, DND, DD, sous 58

catégorisés3). Un champ d’expression libre permet au diagnostiqueur de noter des observations quant aux opérations particulières à envisager lors de la démolition. Parmi ces opérations, la possibilité d’un réemploi in-situ est particulièrement mise en avant. En pratique, ce document représente un diagnostic trop peu précis aux objectifs insuffisamment définis pour conduire à de réelles opérations de réemploi.

Un effort prospectif supplémentaire participerait à sa systématisation afin de le faire évoluer vers un "diagnostic-ressources"4 plus complet qui d’identifierait la nature, la quantité, l’emplacement et l’état des ressources réem-

2 LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, Journal officiel n°0160 du 13 juillet 2010, p. 12905 3 DI: Déchets Inertes (Terres, béton et pierres, tuiles et briques, céramiques, Verre…) DND : Déchets Non Dangereux (Plâtre, bois, fenêtres, plastiques, isolants, revêtement de sol…) DD : Déchets Dangereux (Peintures, amiantes, goudron, sources lumineuses….) 4 Expressoion issue de : ADEME. REPAR, Reemploi comme Passerelle entre Architecture et industrie. ADEME, 2012-2014. [En ligne ] Téléchargeable sur : http://www. ademe.fr/repar-reemploi-comme-passerelle-entre-architecture-industrie. p.5


De la volonté de réemployer….

ployables sur un futur chantier de déconstruction. Ce travail de renseignement systématique, formalisé en fiches-ressources rendrait envisageable l’élaboration d’une cartographie précise des ressources sur site et d’un document d’antériorité pour chacune d'elle. Pour compléter les relevés et métrés des éléments potentiellement réemployables, le valoriste-diagnostiqueur procéderait à une compulsation rigoureuse de tous les documents connus afin de comprendre au mieux le gisement étudié (âge, évolutions globales du bâtiment et réparations ponctuelles). L’analyse des fiches-produits prises en exemple par la Formation Bâtiment Durable : Réemploi de matériaux et éléments déconstruction5 nous donne un aperçu des informations qui pourraient être comprises dans la fiche-ressource :

Les caractéristiques générales du produit concerné : Description générale, composition, dimension des éléments de base, lieu de l’utilisation (mur, plafond, sol ; revêtement, structure…), origine de fabrication (si l’information est disponible, finition (texture, couleur…).

Les données propres au lieu : premiers éléments cartographiques Quantités en place, stock éventuel (non posé), fixation et pose (mortier, type de joint, type de pose....), localisation (identification de tous les lieux de pose, état (description visuelle des dégradations.)

Une première prescription d’intervention : En fonction de l’état constaté du produit : maintenir, nettoyer, réparer et traiter, pour un réemploi In-situ, ou déposer, revaloriser, et dans certains cas, si le réemploi est impossible, évacuer vers l’exutoire final...

L’utilisation systématique de mots clefs serait une première étape vers la constitution d’une base de donnée de projet dont les enjeux seront abordés dans ce mémoire6. 5 POSSOZ, Jean-Philippe. Formation Bâtiments Durables : Réemploi de matériaux et éléments de construction. [En ligne] Bruxelle Environnement, Disponible sur http:// www.environnement.brussels/sites/default/files/user_files/pres_20151127_reem_1_3_ mp_fr_vf.pdf, consulté le 09.01.2018 6 Lire "Les potentiels du BIM", page 89

59


Activer le gisement : rendre prévisible la ressource.

Evaluer la ressource : le valoriste-diagnostiqueur

C

e diagnostic renforcé requiert comme on le voit une vraie connaissance des pathologies et altérations naturelles du bâtiment, qu’elles soient

biologiques ou mécaniques. L’acquisition de cette "science" est encadrée en Belgique par une formation certifiante qui pourraient être transposée en France et dispensée par un organisme reconnu, le CSTB par exemple. Elle pourrait être assurée par un nouvel acteur de la construction (en France du moins) le valoriste-diagnostiqueur. «Un valoriste est un spécialiste de la récupération, du réemploi, du recyclage et de la valorisation des matières résiduelles » ayant pour objectif de «détourner du centre d’enfouissement des éléments, qui autrement auraient terminé leur vie utile ; en leur donnant une deuxième vie» . En Belgique, la fonction de valoriste existe déjà, mais concerne plutôt les

7

produits quotidien.

Parmi tous les acteurs qui gravitent autour d’un chantier de déconstruction, 60

reste à déterminer celui qui serait le plus à même d’endosser cette compétence.

La législation française prévoit la neutralité du diagnostiqueur. En ef-

fet, afin d’éviter tout conflit d'intérêt, le diagnostic est à la charge d’un tier neutre, qui ne tirerait aucun avantage à privilégier un mode de traitement des déchets plutôt qu’un autre. Cela tendrait à privilégier la piste - qui a en effet cours aujourd’hui - d’un bureau d’étude spécialisé dans l’analyse des gisements issus de chantier de déconstruction, sollicité par la maîtrise d’ouvrage pour dresser un bilan des flux à venir et estimer les potentiels de réemploi. Dans le secteur de la réhabilitation, qui pose des questions analogues à celles du réemploi, ce sont bien les BET qui prennent en charge le diagnostic.

Pourtant, dans son rapport «Identification des freins et des leviers au

réemploi de produits et matériaux de construction», l’ADEME ne semble pas considérer l’impartialité du valoriste comme primordiale. Elle propose plu7 RODGERS, Caroline. Marc Charbonneau, valoriste. [En ligne] Disponible sur : http://affaires.lapresse.ca/cv/environnement/201105/24/01-4402246-marccharbonneau-valoriste.php, publié le 24.05.2011, consulté le 10/09/2017.


… à la collecte des ressources : déconstruction d’un édifice.

tôt d’intégrer la compétence de «consultant revalorisation»8 (le valoriste) aux entreprises de démolition qui prendraient dès lors en charge le diagnostic systématique et poussé des bâtiments. L'intérêt de cette nouvelle fonction que pourraient endosser les entreprises tient justement dans les avantages qu’elles auraient à tirer du réemploi. Pour le comprendre, il faut se pencher sur les prix pratiqués pour le tri des déchets, à la charge des entreprises : Le coût d’évacuation des déchets s’élève pour les entreprises jusqu’à 700€9 pour les déchets non dangereux mélangés10. La mise en décharge entraîne donc un coût non négligeable. L’évolution proposée du modèle économique de la construction propose de percevoir « les déchets des uns comme les ressources des autres »11, dont la vente partielle assurerait un revenu conséquent pour ces entreprises, les poussant à agir en faveur du réemploi. Elles gagneraient donc à prendre en charge la filière de réemploi, et à devenir de ce fait des fournisseurs de produits de réemploi.

… à la collecte des ressources : déconstruction d’un édifice. La passation d’un marché de déconstruction

C

onsidérant cette évolution du travail des entreprises, le diagnostic-cartographie deviendrait un document référence lors des appels d’offres

pour un chantier de déconstruction. En plus des critères techniques, financiers et économiques, l’attribution d’un marché par le pouvoir adjudicateur répondrait alors à un critère supplémentaire obligatoire : celui de la capacité des entreprises à collecter les ressources présentes sur site et à les rediriger vers des centres de reconditionnement appropriés, par lot technique identifié. Cette clause supplémentaire pousserait les entreprises à s’engager un peu plus dans la démarche du réemploi tout en s’intégrant suffisamment 8 ADEME, Op. Cit., levier n°30, p. 127 9 D’après une expérience de stage à l’Atelier Bulle, entre Juillet au Août 2017, Bordeaux. 10 FLORIO F., Gestion selective des dechets sur les chantiers de construction : Ratios techniques et économiques, Rapport de l’ADEME, 2001 11 CHOPPIN Julien, DELON Nicola. Op. Cit.

61


Activer le gisement : rendre prévisible la ressource.

aux usages actuels pour être acceptée par toutes les parties. Par la proposition de variantes dédiées, telles qu’elles existent aujourd’hui dans les offres, les entreprises seraient amenées à proposer des solutions de valorisation adaptées à leurs compétences. Libre ensuite au MOE d’appuyer dans sa note finale cet aspect de l’offre, et au MOA de fixer la pondération des critères en fonction de ses propres aspirations écologiques. Quelle que soit cette pondération et donc l’impact réel sur le marché, intégrer le critère «valorisation» aux appels d’offres serait le gage d’une sensibilisation de tous les acteurs et d’une prise en compte renforcée de cet enjeu écologique. Une fois l’attribution des marchés effectuée, en phase EXE de la déconstruction, le document de diagnostic mis à disposition du responsable OPC par le MOA faciliterait la planification, l’ordonnancement et la coordination du chantier de déconstruction.

Réemploi in-Situ ou ex situ ? 62

Les marchés attribués et le chantier planifié, vient le temps de l’intervention des entreprises. Deux scénarios peuvent alors se dessiner, en fonction des indications fournies par le diagnostiqueur-valoriste :

L’hypothèse d’un scénario in-situ, nécessitant une parfaite coordina-

tion entre la MOE de déconstruction et la MOE de construction, constitue la solution idéale en limitant le transport et la manutention, le stockage temporaire des ressources extraites peut cependant interférer avec les chantiers de déconstruction puis de construction. De plus, une revalorisation in-situ ne pourra jamais concerner 100% des ressources d'un projet de réemploi, à moins d'une reconstruction à l'identique... Mais alors, pourquoi démonter ?! La deuxième possibilité est celle d'un réemploi hors site, c'est à dire que la ressource, une fois extraite, est acheminée vers des centres de stockage pour être traitée puis remise en circulation. Ces deux approches sont totalement différentes, et si la première semble idéale, elle induit des situations trop spécifiques pour être étudiées dans ce mémoire. Nous lui préfèrerons donc la seconde, qui a le potentiel pour être mise en application à grande échelle.


Stocker la ressource

#3.2 Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource Stocker la ressource La nécessité d’un intermédiaire

S

e contenter de mettre en place des méthodes et diagnostics visant à identifier puis évaluer un gisement pour en exploiter la ressource ne suf-

fira pas à assurer la disponibilité des produits de seconde main pour le plus grand nombre de chantiers possible.

Maarten Gielen, membre du collectif belge Rotor, considère en effet

que l’étape qui succède à l’extraction de la ressource présente actuellement une difficulté trop importante pour pouvoir être surmontée par des entreprises de construction de taille moyenne. Sa narration12 du premier chantier de réemploi, pourtant de très petite échelle, la construction de leur agence bruxelloise, révèle que la seule bonne volonté de quelques acteurs isolés ne peut suffir à mener à bien une opération de réemploi. Alors membres d’un jeune collectif désireux de réaliser eux-même leur espace de travail, les architectes de ROTOR souhaitent récupérer des poutres en acier identifiées sur un chantier de déconstruction avoisinant. Après avoir conclu un accord avec le grutier pour qu’elles leur reviennent une fois démontées, ils se trouvent démunis lorsqu’il leur faut récupérer les poutres. Trop lourdes et encombrantes pour être mobilisées par une entreprise non spécialisée, ils s’aperçoivent de surcroit qu’une étape de traitement de la poutre s’avère nécessaire pour la rendre propre à une mise en oeuvre conforme aux réglementations. N’ayant pas les compétences pour l’une et l’autre de ces opérations, ils font le constat de la non viabilité de leur méthode, pour des chantiers de grande comme de petite envergure. Seule l’élaboration de partenariats avec des entreprises, qui elles, disposaient des compétences pour gérer ces éléments, leur ont 12

GIELEN, Marteen. Conférence, Op.Cit.

63


Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource

64

Figure 10.  Le Actlab de Bellastock, Ile-Saint-Denis Siège d'expérimentations sur le réemploi, le actlab s'inscrit dans la ZAC du futur Ecoquartier Fluvial de L’Île-Saint-Denis, signe que le réemploi peut avoir une place dans les politiques publiques d'aménagement. Source : bellastock.com © Bellastock


Stocker la ressource

permis de mettre en place une «méthode» et donc, à leur échelle, de systématiser le réemploi.

«L’un des problèmes régulièrement soulevés par les architectes est le manque de filières constituées de matériaux de réemploi. Il en résulte que chaque projet donne lieu à une stratégie d’approvisionnement nouvelle et chronophage, sans gain d’efficacité individuel ou collectif. Le réemploi devient un éternel recommencement, l’architecte un Sisyphe du seconde main.»13

Si l’on applique ce constat à la volonté d’imaginer les bases d’une filière du réemploi, la nécessité d’une étape de stockage et de traitement intermédiaire - entre l’extraction de la ressource et sa prescription en tant que produit de seconde main - apparait comme l’une des évolutions qui permettrait de tendre vers la systématisation du réemploi. Il s’agirait de faire passer le réemploi d’une pratique de niche, portée par des glaneurs motivés, à une pratique «multi-acteurs» où chacun se voit confier un rôle cohérent avec les attributions classiques de son métier. Les plateformes qui accueilleraient ce stockage seraient un premier élément de réponse aux questions soulevées par la construction de l’agence de ROTOR. Aussi, établir une pratique «professionnelle» du réemploi revient à se demander : Le MOA a-t-il vraiment besoin de soutien pour dénicher des éléments de réemploi ? Si oui, est-ce à l’architecte de trouver ces éléments ? Et si l’architecte les trouve au début de son projet pour un dépot de permis de construire un an plus tard, comment envisager la conservation et le stockage de ces éléments ? A qui imputer la responsabilité en cas de sinistre ?

13 CHOPPIN Julien ; DELON Nicola. Op. cit., p. 202. lu dans BERTIN Ingrid, Réemploi et Préfabrication : En quoi la préfabrication engendre-t-elle un potentiel et une source de réemploi en architecture ? Mémoire de Master, Marne-la-Vallée : École d’architecture de la ville & des territoires, sous la dir. de Florence Lipsky et Jean-Marc Weill, 2016, 148 p.

65


Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource

Territorialiser la ressource

L

e réemploi trouvant son sens en contexte urbain principalement, en raison des enjeux de renouvellement du bâti et de l’accumulation des res-

sources déjà abordés précédemment, la nécessité d’une infrastructure capable d’accueillir cette étape intermédiaire pourrait conduire à l’émergence d’un nouveau programme architectural et urbain, celui de la plateforme de réemploi. Pour comprendre les caractéristiques d’une telle plateforme, penchons-nous dans un premier temps sur l’exemple du Actlab, plateforme de recherche dédiée par l'association Bellastock au réemploi. Prenant comme gisement le démantèlement des entrepôts du Printemps et comme prétexte le projet d’un éco-quartier fluvial sur la ZAC de l’île de la cité, l’association Bellastock a mis en place un lieu de stockage et d’expérimentation d’une filière In-situ du réemploi. Les flux de matériaux et de produits identifiés préalablement comme étant réemployables transitent par cette plateforme de 1400m². Ils sont reconditionnés puis stockés dans l’attente d’être prescrits ou

66

utilisés pour les expérimentations de l’association.

Cet exemple nous renseigne à plusieurs titres sur ce que devrait être

une plateforme de réemploi. L’une des problématiques auxquelles le réemploi se confronte est l’inadéquation entre l’offre et la demande, la difficulté n’étant pas de récolter des produits, mais de les écouler par la suite. Les difficultés de stockage sont pointées comme l’un des principaux freins au réemploi par l’ADEME14.

Tout d’abord, à l’instar du Actlab ( Voir"Figure 12. Organisation spatiale

du Actlab", page 68), les plateformes devront donc consister en un lieu de stockage et de classement entre toutes les catégories de produits réemployables. Devant la quantité importante de produits à transporter puis entreposer, la question de la localisation d’une telle plateforme tampon se pose. Là aussi, Bellastock apporte avec son Actlab une réponse sensée, tant d’un point de vue urbanistique et logistique que politique : les friches industrielles, nombreuses et majoritairement inexploitées. Situées généralement en périphéries des centres historiques mais en plein de coeur des nouveaux 14

ADEME. Op. Cit., p.122


Stocker la ressource

projets urbains et donc de futurs chantiers de construction, elles représentent un foncier de taille souvent suffisante pour des projets de grande envergure. Leur proximité à la ville présenterait l’avantage, dans le cas où elles accueilleraient de telles plateformes, de s’intégrer au parcours des entreprises, limitant au maximum le transport et permettant un accès facile. Une telle territorialisation des ressources de seconde main est plei-

nement cohérente avec les prétentions écologiques du réemploi : les transports sont identifiés en France comme les premiers émetteurs de gaz à effet de serre15. Équiper chaque agglomération d’une plateforme de réemploi serait écologiquement, économiquement et logistiquement viable ; les friches industrielles semblant être une solution adaptée à l’établissement d’un lieu support de la mise en place d’une filière. De plus, comme le suggère le rapport de l’ADEME, penser le réemploi comme une filière locale allègerait la pression des assureurs, en limitant la circulation des produits à une zone géographique réduite.

Partager compétences et moyens

C

es plateformes, co-gérées par plusieurs entreprises de déconstruction, regrouperaient alors plusieurs pôles de compétences identifiés par

corps d’état : elles mutualiseront les outils et la main d’oeuvre nécessaires à l’acheminement, au traitement et à la distribution des produits de seconde main. Chaque corps d’état gardant ainsi les spécificités de son métier. Certaines pistes proposées pour le développement de la pratique envisagent de créer un opérateur spécialisé, extension technique du valoriste, chargé de l’ensemble des chaines de reconditionnement. Si cette solution est parfaitement viable pour les ressourceries et autres recycleries gérant des flux d’objets quotidiens dont la technicité n’excède pas celle d’un objet ménager, il paraît ici beaucoup moins pertinent de confier cette tâche à un «superviseur général». Il semble préférable de s’appuyer sur les compétences de chacun et les croiser jusqu’à obtenir une synergie entre les différents corps d’état pour développer une vraie expertise du réemploi. Les entreprises resteraient 15 Consultables sur : Statistiques.developpement-durable.gouv.fr_Emissions-gazeffet-serre-secteur-france.

67


Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource

68

Figure 12. Organisation spatiale du Actlab Le Actlab de Bellastock, lieu d'expérimentation et de recherche, peut-être envisagé comme une plateforme de réemploi "pilote", à décliner en fonction des spécificités du territoire. S'y trouve déjà l'essentiel des pôles nécessaires au reconditionnement et à l'entreposage des produits. Source : bellastock.com © Bellastock


Reconditionner la ressource

dans le champ de leurs attributions mais évolueraient dans un cadre dans lequel puiser conseils et soutien. Ces plateformes devront donc être pensées comme des lieux de communication entre les entreprises, afin de pallier le manque de connexion entre les acteurs du réemploi déploré par les membres de ROTOR. Bellastock a poussé la logique plus loin en imaginant leur Actlab comme un espace de prévention et d’information sur le réemploi. Un parcours de déambulation est prévu au sein même de l’espace d’atelier, et des visites de sensibilisation sont régulièrement organisées.

Reconditionner la ressource Redonner sa valeur à la ressource

L

e stockage ne serait pas la seule fonction d’une plateforme de réemploi. En Belgique, où cette pratique est plus répandue qu’en France, plusieurs

entreprises de déconstruction ont développé des méthodes de traitement des produits et matériaux démontés. Encouragé par des usages déjà bien implantés sur le marché de la construction, ROTOR a étudié des entreprises qui tentent de rendre aux produits de réemploi les propriétés qui les ont rendus initialement désirables aux yeux des prescripteurs.

« Il ne suffit pas de se profiler comme une alternative moins chère (même si, pour une partie de la clientèle, cela reste probablement l'argument principal), il faut également rassurer les clients quant au fait que ce qu'ils achètent va fonctionner correctement et il faut rendre les produits un minimum présentables. Toute personne qui a un jour tenté de revendre de vieux objets sur une brocante [...] sait bien qu'un certain effort doit être fait pour rendre ces objets attirants : qu'est-ce qui va faire qu'un badaud s'arrête devant mon étal plutôt que celui du voisin, qu'est-ce qui va faire qu'un internaute cliquera sur mon annonce plutôt qu'une autre ?»16

16

GHYOOT Michael. Op. Cit. p. 113

69


Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource

C’est là tout l’objet de la phase de reconditionnement dont l’objectif est de rendre la ressource propre à la vente. Selon Michaël Ghyoot, membre de ROTOR, pour prétendre à une place sur un marché (ici de la construction, mais l’observation est plus générale) tout bien commercial doit être au minimum appréciable (psychologie, valeur historique, valeur écologique...) et attractif (performances, prix, valeur esthétique…). Le reconditionnement consiste à rétablir un équilibre entre l’une et l’autre de ces caractéristiques : le frein psychologique abordé en partie I est levé par un travail de nettoyage qui n’enlève rien au poids historique du produit, rendant appréciable un produit qui a priori aurait rebuté de potentiels usagers. Si le réemploi est à l’origine intrinsèquement compétitif, le reconditionnement tend en revanche à réduire l’attractivité économique d’une ressource de réemploi, étant donné le coût de la main d’oeuvre impliquée dans le processus. Ainsi, pour maintenir une certaine attractivité par rapport aux produits neufs, le reconditionnement doit fournir des garanties de qualité, de performances et de disponibilité des ressources de réemploi. 70

De ressource à produit

L

a première étape est de contrôler l’élément de réemploi afin de l’habiller d’une nouvelle certification-produit venant remplacer celle perdue lors de

la déconstruction. Un produit de construction est défini comme tout « produit ou kit fabriqué et mis sur le marché en vue d'être incorporé de façon durable dans des ouvrages de construction»17. Cette définition qui ne semble pas aller à l’encontre des principes du réemploi, repose sur la notion de produit, qui se définit comme le «résultat d’un processus de conception industriel, production de masse et uniformisation»18. Dans la logique actuelle du réemploi, nous parlons plus d’extraction d’un gisement que de production, il n’est donc, avant tout reconditionnement, pas correct de nommer «produit» ce qui s’apparenterait plus 17 Règlement n° 305/2011 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 établissant les conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction et abrogeant la directive 89|106|CEE du Conseil, Journal officiel de l’Union européenne, 4 avril 2011, pp. L88/5-L88/43 18 Idem.


Reconditionner la ressource

à des matières premières de réemploi. Le reconditionnement associé à un contrôle des caractéristiques de la ressource serait l’équivalent-réemploi de ce processus industriel de production. Les plateformes de réemploi, en permettant une traçabilité des opérateurs du reconditionnement et un contrôle de leurs compétences permettront de «produire le cadre de la (re)mise en circulation, de sorte à ce qu’ils soient aussi "prévisibles" qu’un [produit] provenant d’une chaine de production»19 classique.

Les entreprises de déconstruction pourraient être chargées de réali-

ser des tests sur les produits à réemployer afin d’évaluer leurs performances, et donc d’actualiser les «fiches ressources» à chaque réemploi. Un organisme tiers (Bureau d’Étude ou centre de recherche) serait alors chargé de vérifier la conformité des protocoles de contrôle internes à la plateforme et des chaînes de reconditionnement mises en oeuvre afin de délivrer un certificat de conformité de la chaîne de test, plutôt que de la chaîne de production. Si théoriquement ce modèle parfaitement viable serait à même d’augmenter la confiance des assureurs, le problème de ces tests tient en leur caractère destructif : la plupart des essais mécaniques qui établissent une corrélation entre les contraintes (traction, compression, flexion,... ) et la résistance des produits engendrent d’importants dégâts sur les éléments testés, rendant leur utilisation impossible. Il existe cependant des contrôles dits non destructifs basés sur l’observation de la propagation d’ondes dans la matière (Voir "Figure 13. Un contrôle non destructif", page 72) . Ces dernières renseignent sur l’état global de l’élément testé, et en cas d’anomalie, indiquent à un opérateur humain les zones nécessitant un examen plus approfondi.

Les classes de réemploi

I

l est exclu de considérer qu’un produit de réemploi sera systématiquement mis en oeuvre selon son usage initial.

Une fois les tests réalisés, des classes de performances pourront être iden-

tifiées en fonction de l’état des produits. Ces classes permettront de rediriger

19

GHYOOT Michael. Op. Cit. p. 97

71


Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource

72

Figure 13. Un contrôle non destructif Ici pratiqué par une entreprise spécialisé, contrôle non destructif (CND) dans le domaine de l'aéronautique. Les ultrasons permettent de sonder les défauts de la matière, et d'identifier les pièces détériorées. Dans le cadre des plateformes de réemploi, ce type de technologie couplé à une expertise humaine, permettrait d'estimer rapidement l'état de la ressource. Source : http://www.g2metric.com


Reconditionner la ressource

les produits vers des usages plus ou moins proches de leur fonction originelle. Un tel système de classement existe déjà dans la filière du bois, dont la ressource est trop hétérogène pour ne pas faire l’objet d’un tri après son extraction. Un lot de bois doit subir une batterie de tests visant à évaluer ses propriétés mécaniques conduisant à un marquage spécifique. Ce dernier permet de situer le lot dans un tableau de performances :

«Il existe une norme européenne (la norme NBN EN 337) qui définit des tableaux généraux fixant la valeur des contraintes admissibles pour tous ces efforts physiques et associent celles-ci à des classes données. À partir du moment où un producteur de sections rectangulaires de bois de structure parvient à démontrer que ses produits résistent aux contraintes indiquées dans la norme, il peut légitimement indiquer dessus la classe de résistance correspondante et fournir ainsi une indication précieuse pour les entrepreneurs et les concepteurs.»20 La destination du produit de réemploi sera alors conditionnée par sa classe, déduite des résultats des tests : parement, structure, ou dans les cas les moins favorables, évacuation vers la filière de tri traditionnelle. Le principe de ces classes de réemploi serait similaire à celui du reconditionnement d’appareils électroniques, par exemple, mais disposerait d’une couche réglementaire supplémentaire. Comme nous l’avons vu, il est délicat d’imaginer que les produits de réemploi pourront un jour bénéficier des mêmes certifications qu’un produit issu d’une filière de production traditionnelle21. Néanmoins, il n'est pas excessif de supposer que ces plateformes, accueillant une chaîne d’extraction, de reconditionnement et menant à une forme de production de produits de réemploi, pourraient faire l’objet d’un contrôle menant à des garanties spécifiques par type d’usage, par "classe d'usage".

20 GHYOOT M., Op. cit., page 59 21 Lire "Homologuer un produit : processus traditionnel vs. réemploi", page 37

73


Les plateformes de réemploi: rendre disponible la ressource

Quels standards pour le réemploi ?

E

n plus des garanties nécessaires à l’établissement d’une confiance envers le produit, celui-ci doit être disponible en quantité, qualité et perfor-

mances suffisamment homogènes pour pouvoir être mis en oeuvre dans un bâtiment. Par exemple, réduire la variabilité d’un lot de briques22 en nettoyant les mortiers et en retaillant les briques trop grandes est une opération importante pour pouvoir constituer des lots à réintégrer au marché de la construction. Le deuxième point à observer pour rendre un produit attractif sera donc de penser une standardisation de la ressource adaptée au réemploi. C’est également par souci d’efficacité dans le traitement des produits qu’une forme de standardisation est souhaitable, notamment pour pouvoir tendre vers une systématisation de la méthode et donc un abaissement des coûts de reconditionnement. Cette standardisation ne pourra et ne devra en aucun cas nier le caractère spécifique d’un projet faisant appel au réemploi. Il ne s’agira donc pas de traquer systématiquement la variabilité d’un produit, mais

74

de réunir en lot les éléments qui présentent des caractéristiques techniques ou dimensionnelles proches, définies comme étant un standard pour ce lot en particulier. Être en mesure de proposer des lots uniformes susceptibles d’attirer les prescripteurs tout en ne gommant pas les spécificités des situations, c’est en cela que s’entend la standardisation dans le cadre du réemploi. L'autre interêt de cette opération est de rendre simplement identifiables (sous un numéro d'identification par exemple) puis "désignables" les composantes d'un lot, ce qui, nous le verrons, est primordial pour toute prescription architecturale.

22 Exemple loin d'être anodin, puisque c’est précisement sur la brique que se sont portées les recherches de ROTOR.


Prescrire le produit de réemploi

#3.3 De la prescription à la construction : rendre descriptible le produit Prescrire le produit de réemploi Assouplir la prescription

S

i le processus de réemploi tel que nous venons de le décrit ne propose pas une refonte intégrale du secteur de la construction dans son as-

pect opératoire, il apparaît cependant qu’une évolution du sens donné aux différents métiers de ce secteur est primordiale. La pratique de l’architecte notamment, sera très impactée par la variabilité des produits à mettre en oeuvre, puisqu’il sera a priori incapable d’en connaitre précisément les caractéristiques. Et comment décrire ce qu’on ne connait pas ? La question se pose d’autant plus lorsque l’on étudie les pratiques actuelles des prescripteurs : aujourd’hui, la prescription architecturale, qui décrit les éléments à mettre en oeuvre dans le projet, repose sur un trop grand usage du «copier-coller». En effet, les architectes ne peuvent être experts de tous les matériaux et produits qu’ils prescrivent. Cela est d’autant plus exact à l’ère du numérique, dans laquelle ceux-ci ne sont généralement manipulés que virtuellement. La plupart des concepteurs composent donc avec des descriptifs pré-rédigés, qu’ils se voient habitués à puiser sur les sites des fabricants. Reléguant au statut de formalité la prescription, l’architecte perd en autonomie et en maîtrise du projet, au profit des fabricants qui ont tout à gagner à insérer des spécifications propres à leurs produits dans ces descriptifs. Pour illustrer ce propos, Maarten Gielen, membre de ROTOR donne un exemple simple, qui, s’il s’éloigne du monde du bâtiment, révèle l’inutilité de prescriptions trop précises23. Des plots de béton de trottoirs sont généralement prescrits avec une longueur fixe, ce qui contraint énormément le choix des blocs achetés. Alors qu’il n’y a aucune raison technique pour une telle spécification, le descriptif est pensé pour limiter le besoin de s’adapter en chantier. Chantier qui 23

GIELEN, Marteen. Conférence, Op.Cit. Minute 23.

75


De la prescription à la construction : rendre descriptible le produit

se résumera donc à poser systématiquement des produits absolument identiques. Dans le processus qui vise à transformer une ressource de réemploi en un produit prévisible et disponible, adapté à un nouvel usage, la dernière difficulté à laquelle se confronte le réemploi est de parvenir à définir un mode de prescription suffisamment souple pour que le prescripteur soit en mesure de projeter des produits dont il ne connait pas précisément les caractéristiques. Dans le cadre d’un projet faisant appel au réemploi, Jean-Marc Huygen estime que la prescription prend ainsi un autre sens :

«Lors de la conception du projet global, les matériaux ne sont [généralement] pas connus et pré-définis dans leurs technique et leur esthétique. Le projet définit essentiellement des usages et des performances : des dimensions et relations spatiales, des nécessités de fonction et de qualités techniques, des intentions d’intégrations formelles et sociales.»24 Cette approche implique un certain lâcher-prise de la part des concepteurs 76

qui ne pourront plus prescrire que selon des spécifications génériques. Une fois la variabilité inhérente à tout produit de réemploi admise et acceptée par l’architecte réemployeur, ce dernier doit cependant disposer d’outils pour désigner le type de produits qu’il souhaite voir mis en oeuvre. L'intérêt de l’uniformisation par lot décrite précédemment est justement de pouvoir identifier sous une dénomination et un tracé commun des éléments proches, afin de les rendre prescriptibles à grande échelle. Les documents de l’architecte deviennent alors les supports du dialogue autour du projet plutôt que des descriptifs précis des produits à mettre en oeuvre.

L’impact d’un tel changement de paradigme n’est pas limité à l’architecte. C’est en réalité toute la logique du permis de construire qui est modifiée :

« L’obtention administrative d’un permis de construire, sur la base de plans précis, est donc remise en question. Pour un projet in-disciplinaire, l’administration -qui représente les intérêts de la société- ne peut que 24 HUYGEN, Jean-Marc. La poubelle et l'architecte : vers le réemploi des matériaux, Arles, Actes Sud, 2011. Page 69


Prescrire le produit de réemploi

donner un accord préalable de début de chantier sur la base d’un cahier de performances, puis intervenir à nouveau en cours de chantier. »25

Le Cahier des Clauses Techniques Particulières

A

fin d’accompagner cette modification des pratiques des architectes en faveur du réemploi, ROTOR a entrepris la rédaction d’articles de Cahier

des Clauses Techniques Particulières (CCTP) «prêts-à-l’emploi», adaptés à la prescription de produits de réemploi. Ils se sont plus spécifiquement attardés à rédiger des cahiers pour le produit brique, qui se prête bien à une description générique. En se substituant ainsi aux fabricants, le collectif entend mettre en avant les produits de seconde main en établissant les bases d’une pratique systématique et facilité du réemploi. Dans l'extrait d’un Cahier Spécial des Charges26 (CCTP Belge) de chantier de réemploi, on remarque en effet la désignation très large des produits à mettre en oeuvre. Leurs spécifications sont fournies «approximativement», mais les performances attendues sont bien explicitées par le prescripteur.

« Pour certains matériaux de réemploi, il manque seulement ce petit outil là, ce petit article de cahier des charges qui permettraient à de gros maîtres d’ouvrage de prescrire à une échelle relativement large certains matériaux. »27 L’action 2228 du rapport de l’ADEME considère également qu’une adaptation du CCTP serait un levier majeur en faveur du réemploi. Considérant qu'une approche performancielle doit être encouragée afin d’offrir suffisamment de latitude aux opérateurs de la construction, c’est en réalité un retour au bon sens et à la collaboration opératoire entre artisans et prescripteurs que le 25 Id. Lu dans MOINET, Morgan. Vers une filière du réemploi des matériaux de construction, Mémoire de Master, Rennes : ENSAB, Sous la dir. de Mme Rozenn Boucheron-Kervella, 2015. 26 Voir «Figure 12. Extrait d'un CCTP adapté au réemploi.», page 87 27 Encore Heureux, Nicola Delon & Julien Choppin / Rotor, Lionel Billiet & Michael Ghyoot / Superuse Studios, Jan Jongert. Conférence : Matériaux, Réemploi & Architecture, 17 Novembre 2014, Paris, Pavillon de l'Arsenal [en ligne]. 2014. 28 ADEME. Op. Cit. page 30.

77


De la prescription à la construction : rendre descriptible le produit

guide préconise. Plutôt que des spécifications produits, un tel CCTP se devra de décrire précisément toutes les interventions et les objectifs recherchés afin que les entreprises agissent en totale compréhension et acceptation des enjeux de chaque opération. Un chantier de réemploi présentant déjà une complexité suffisante, la négociation entre ouvriers et maitres d’oeuvre se doit d’être uniquement technique.

Construire Réinventer le projet en chantier

C

ette vision d’une prescription large amène à envisager le chantier de construction autrement: ce dernier, plus que le simple lieu de la mise en

oeuvre de produits de catalogues deviendrait un autre temps de la conception. C’est en réalité dans les compétences de ses artisans que le réemploi trouve la

78

réponse à la majorité des arguments de ses détracteurs. Lorsque l’on oppose au réemploi la nécessité pour un artisan de mettre en oeuvre des produits standardisés, c’est nier sa capacité de réaction. Sur le chantier de réemploi, l’artisan redevient force de proposition et fait avancer le projet main dans la main avec l’architecte, cherchant la réponse technique la plus adaptée à chaque situation de réemploi. L’ouvrier verra ses compétences pleinement exploitées, puisqu’il ne s’agira plus d’un simple exécutant oeuvrant à poser mécaniquement des produits déjà calibrés pour un usage pré-établi.

Solliciter le savoir-faire des entreprises

L

e réemploi est à considérer comme une opportunité, non comme une contrainte. Il s’agit d’un pas vers un bon sens commun qui donnera toute

sa valeur au travail des différents opérateurs de la construction : pour compenser les aléas liées au réemploi, les architectes devront faire reposer leur projet sur les savoirs-faire d’artisans en lesquels ils placeront une grande confiance, ce qui, je pense, bénéficiera au secteur tout entier en instaurant une dynamique de génération d’emploi. En effet...


Construire

... «si la déconstruction reste deux fois plus chère que la démolition, sa généralisation sauverait pourtant cent soixante millions de tonnes de déchets de chantier pas an, offrirait six fois plus de travail (neuf cents heures au lieu de cent cinquante pour une maison de taille moyenne) et créerait des milliers d’emplois».29

S’interroger sur le réemploi dépasse donc le simple cadre du secteur

du bâtiment. Cela nous en amène à réfléchir à la nature de la société dans laquelle nous souhaiterions vivre. Ainsi, lorsque les détracteurs pointent du doigt le coût prétendument important des opérations de réemploi, ils oublient cette réalité : le réemploi ne fait que basculer un coût matière vers un coût social. Le coût des matériaux et produits, se situant habituellement aux alentours d’un tier du prix total, est réduit au minimum, mais tout le processus humain, de l’extraction à la repose en passant par le reconditionnement, devient l’un des postes de dépenses les plus importants, car il implique d’augmenter l’expertise, en fréquence et en compétence.

29 MOOALLEM, John. This old recycable house, New York Times Magazine, 26 septembre 2008, p58-59, dans BERTIN Ingrid, Réemploi et Préfabrication : En quoi la préfabrication engendre-t-elle un potentiel et une source de réemploi en architecture ? Mémoire de Master, Marne-la-Vallée : École d’architecture de la ville & des territoires, sous la dir. de Florence Lipsky et JeanMarc Weill, 2016, 148 p.

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#4 Le réemploi à l’aune de la transition numérique : du constat à la prospective

#4.1 Les plateformes digitales #4.2 Le potentiel du BIM


L'émergence de nouvelles pratiques du numériques dans le secteur de la construction impliquent de poser une réflexion sur l'adéquation entre le réemploi et les outils digitaux. Malgré la visée plus prospective de cette section, nous verrons qu'étudier une adaptation au réemploi des pratiques du numérique déjà existantes dans le secteur de la construction ouvre sur une grande variété de pistes. Les questions soulevées seront à la fois fondamentales et très opératoires : peut-on trouver des mécaniques communes entre les plateformes de réemploi digitales (dont nous décrirons les principes) et physiques ? Comment intégrer le réemploi, domaine de l'incertitude et du très spécifique, à un environnement aussi rigide que celui du BIM ? Comment le numérique peut-il conduire à une traçabilité de la ressource en prenant appui sur les logiques de la filière abordés précédement ? Devant la multitude des approches possibles, nous n'étudierons ici que quelques pistes.Afin d'anticiper encore plus loin le développement de la pratique, il pourra être intéressant de dépasser la simple adaptation de l'existant pour aller vers l'invention de nouvelles pratiques adaptées au numérique.

81


82

Figure 14. Un outil du digital : la cartographie en ligne Cartographie en ligne proposée par SuperStudio, Oogstkaart. org propose un service analogue à Opalis.be : mettre en contact l'offre et la demande. Source : Oogstkaart.org © SuperStudio


Le digital comme aide à la prospection

#4.1 Les plateformes digitales Le digital comme aide à la prospection Transmettre l’information

D

evant le constat du manque de communication entre les acteurs du réemploi, notamment professionnels, nombre d’outils issus des TIC1

ont vu le jour pour faciliter la mise en place de réseaux d’acteurs et la pros-

pection de produits réemployables. ROTOR, à qui il faut rendre la paternité des plateformes en ligne destinées à l’information, a établi en 2012 un annuaire interactif recensant les revendeurs d’éléments de construction d’occasion. Limitée à la région Bruxelloise, choix cohérent avec le sens même du réemploi qui se doit d’être local, leur annuaire amélioré Opalis.be a servi de fondation pour la mise en place d’une filière opérationnelle du réemploi en Belgique. Cette approche, qui vise à mettre en valeur les structures existantes, a pour intérêt de stimuler l’activité des revendeurs de réemploi déjà présents sur le marché, sans les remplacer. A la suite d’Opalis.be, SuperUse Studio a décliné son concept de cartographie via sa plateforme Oogstkaart. org (carte de récolte en français).

Certaines de ces plateformes se distinguent en proposant de réels

outils d’aide à destination des pouvoirs publics ou des prescripteurs. Ainsi, les membres de ROTOR, en complément de leur index d’entreprises, proposent variété de guides pratiques destinés à faciliter la démarche du réemploi. Mieux encore, ils proposent des articles de spécifications techniques de produits de réemploi, pensés pour se substituer aux clauses techniques des fabricants dans les CCTP (ou CS en Belgique). Néanmoins, en raison de l’important travail que constitue leur rédaction, trop peu de ces articles sont disponibles (briques, pavés, bordures de trottoirs, kinker, panneaux en bois). Par le partage de cette ressource dans une logique d’open source, ROTOR agit en temps que militant, défenseur de la cause du réemploi. 1

Technologies de l’Information et de la Communication.

83


Les plateformes digitales

Les Start-Up : de l’information à la vente.

I

l est cependant important, pour que la pratique du réemploi s’installe, que les intérêts économiques soulevés par ce nouveau marché puissent être

entendus et acceptés par des acteurs aux intentions considérées comme plus «nobles» (l’un et l’autre n’étant évidemment pas incompatibles).

«Dans le futur, l’idéal serait que les startups ou ces entreprises du milieu travaillent en collaboration avec des écoles d’ingénieurs. [...] Il y a là une opportunité économique à saisir puisque le marché est en plein essor.»2

A l’instar des «start-up» Re.Source, BatiPhoenix ou Invent’ère, de

nombreuses entreprises du digitale se revendiquant innovantes voient le jour. En complémentarité avec les objectifs d’informer et de connecter portés par les plateformes Opalis.be et Oogstkaart.org, ces start-up proposent des outils destinés à répondre à l’une des problématiques majeures de la 84

filière du réemploi : comment synchroniser l’offre et la demande pour limiter le stockage de produits de réemploi ? A cette fin, de telles plateformes jouent le rôle de vitrines digitales en offrant des alternatives professionnelles à «leboncoin.com». Elles proposent directement à la vente des produits de réemploi, leur modèle économique reposant sur le prélèvement d’une commission auprès des acheteurs3. Dans un entretien pour la start-up Matabase (autre exemple de «marketplace» digitale), l’un des premiers valoristes français, Bruno Lefauconnier, imagine un scénario idéal de réemploi qui limiterait l’accumulation de produits destinés à la vente :

«Un chargé de diagnostic commencerait par proposer ses estimations de réemploi et le budget associé. Le maître d’Ouvrage aurait alors la possibilité de lancer une offre de matériaux et/ou d’équipements sur une

2 LEFAUCONNIER, Bruno. Témoignage d'un expert réemploi/recyclage dans le BTP, [En ligne] Disponible sur http://www.matabase.fr/blog/temoignage-dun-expertreemploirecyclage-dans-le-btp-bruno-lefauconnier, Consulté le 10.10.2017. 3 Voir l’entretien accordé par Célia Azou, fondatrice de Re.Cycle disponible sur http://entreprendre.univ-lyon3.fr/startup-resource/


Le digital comme outil de structuration d’un marché

plateforme collaborative, ce qui permettrait de les vendre avant même de lancer le DCE. La méthode et le planning de démontage seraient alors adaptés aux modalités de collecte des produits. Les matériaux seraient ensuite acheminés sans rupture de charge vers leur destination : réemploi ou recyclage.»4

Dans l’hypothèse d’un réemploi généralisé, Bruno Lefauconnier sug-

gère ici que de telles plateformes seraient à même de minimiser le temps de stockage des produits, en connectant directement l’offre et la demande. Le caractère lucratif de ces plateformes n’enlève donc rien à leur vertu pour le secteur tout entier, signe que la recherche de profit n’est en rien incompatible avec la défense de la revalorisation faite cause. Dans le cadre du réemploi, c’est justement de rendre possible le profit qui entrainera un déverrouillage de la pratique.

Le digital comme outil de structuration d’un marché L’illisibilité des services

C

haque protagoniste du réemploi, souvent militant, parfois intéressé, est désireux de faire évoluer la pratique et développe des outils de commu-

nication qui lui sont propres. En octobre 2017, pas moins de 64 plateformes de type recycleries avaient été référencées5, qu’elles soient physiques ou digitales (4 à Lyon, 12 à Paris !). Difficile dans ces conditions, de rendre lisible l’offre de produits de réemploi, puisque la donnée est dilapidée voire noyée entre toutes ces plateformes digitales qui proposent des services équivalents dans leurs grands principes.

«Les plateformes digitales (ou physiques dans une moindre mesure) de réemploi pour le BTP ont commencé à fleurir, mais, si elles sont une 4 LEFAUCONNIER, Bruno. Op.Cit. 5 Référencement disponible sur tblrxguEF8MUu39oc, consulté le 09.01.2017.

https://airtable.com/shrcDXRjXEtpJwLt4/

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Les plateformes digitales

condition nécessaire, elles ne sont pas pour autant suffisantes pour faire évoluer le secteur et nombre d’entre-elles risquent de louper le coche : la faible structuration du secteur, le manque d’infrastructures et de formation, la dispersion des bases de données, les angles morts en terme d’offres de service risquent de compromettre le succès et la pérennité de ces initiatives.»6 Rendues contre-productives par leur trop grand nombre, ces plateformes pourraient gagner à se regrouper autour d’une «infrastructure» commune, régionale ou nationale. Devenue seul objet de communication, celle-ci clarifierait l’offre des plateformes sans dénaturer leur dimension entrepreneuriale. La somme de ces initiatives locales apporterait alors un vrai élément de réponse - mais néanmoins partiel - à l’absence de filière.

Vers une collaboration entre plateformes digitales et physiques 86

P

our reprendre le scénario idéal défendu par Bruno Lefauconnier, l’une des limites d’un flux tendu entre offre et demande est qu’acheminer di-

rectement la ressource depuis son lieu d’extraction vers son lieu de réemploi «court-circuite» le processus de reconditionnement qui permettrait de doter les produits des certifications nécessaires à leur remise en circulation, via les plateformes physiques de réemploi. Il est donc primordial que ces initiatives participent d’un même effort. Ainsi, à la plateforme opératoire physique de réemploi autour de laquelle les revendeurs se fédèreraient (Lire "Partager compétences et moyens", page 67), serait adossée une plateforme digitale, chargée d’informer les acheteurs du contenu et des caractéristiques du stock de ladite plateforme physique.

Une fois encore, les membres de ROTOR avancent une solution crédible de collaboration entre plateformes digitales et physiques. Ils offrent aux 6 Les plateformes d’économie circulaire dans le BTP, [En ligne] Disponible sur : https://medium.com/@MakeSenseorg/les-plateformes-d%C3%A9conomie-circulairedans-le-btp-82a19789d251, Consulté le 09.01.2017


Le digital comme outil de structuration d’un marché

entreprises de mettre en ligne sur Opalis.be des fiches «matériaux», et de connecter les acheteurs avec leurs revendeurs. Pas de possibilité de vente en ligne donc, mais uniquement de l’information, conformément aux principes d’Opalis. Les potentiels de lien entre ces fiches matériaux et les fiches-ressources constituées par le valoriste lors du diagnostic-déchet, laissent entrevoir la manière dont le digital serait le plus pertinent pour servir le réemploi. Il est aisé d’imaginer, après diagnostic et reconditionnement par les plateformes physiques de réemploi, que la ressource, nouvellement «produit», puisse faire l’objet d’une actualisation de sa fiche informative par les opérateurs du reconditionnement. Cette dernière, mise à disposition sur internet via des services empruntant à Opalis, permettrait la traçabilité de la ressource. Ce procédé, une fois généralisé, serait le premier jalon menant à la constitution d’une base de donnée conséquente de produits «habillés» réglementairement, et traçables. Cela apporterait de précieuses informations sur les spécificités d’un flux de réemploi.

87


88


Vers une base de donnée centralisée

#4.2 Les potentiels du BIM Vers une base de donnée centralisée Adéquation des logiques du BIM et du réemploi

L

a mutation actuelle des pratiques numériques de l’industrie du bâtiment amène à réfléchir à l’intégration d’outils digitaux adaptés au réemploi

dans les agences d’architecture et BET. L’usage du BIM par tous les acteurs de la construction, rendu obligatoire depuis 2017 dans les marchés publics, offre de nouveaux potentiels pour une approche numérique du réemploi. Pour en saisir la portée, il convient dans un premier temps de comprendre que le BIM est plus qu’un outil au service des concepteurs, mais est un réel processus, qui nécessite communication et rigueur entre tous les acteurs :

« Le BIM n’est pas juste une maquette numérique, c’est d’abord un processus de collecte, de partage et de gestion de l’information sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment.»7 explique Souheil Soubra, directeur des technologies de l’information au Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Le BIM peut-être aussi décrit comme un

«Processus d'intégration, de production, de gestion et de visualisation de données ; un modèle unique du bâtiment ou d'un ouvrage bâti (pouvant tenir dans un fichier numérique, lequel comprend toute l'information technique nécessaire à sa construction, son entretien, ses réparations, d'éventuelles modifications ou agrandissements et sa déconstruction).

7 SOUBRA, Souheil. Le boom du BIM chamboule le secteur de la construction, [En ligne] Disponible sur : http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/11/07/le-boom-du-bim-chamboule-lesecteur-de-la-construction_5211108_3234.html#L8lqK6pbReWxM0zd.99, consulté le 11.01.2017

89


Les potentiels du BIM

Le fichier n'est pas qu'un catalogue d'objets positionnés dans l'espace ; il comprend aussi une description des relations entre objets et de leurs propriétés» (wikipédia.fr) Le croisement de ces deux définitions est édifiant : tous les «mots-clefs» du réemploi y sont contenus. Processus de collecte, gestion de l’information, cycle de vie, déconstruction, propriétés des objets.

Il est donc facile de se laisser convaincre par l’adéquation entre le

«processus-outil» BIM et le «processus-cause» réemploi. En effet, le BIM ouvre la voie à un suivi de plus en plus poussé des ressources de tout objet architectural. La pratique du réemploi va justement dans ce sens. En offrant un aperçu précis des ressources libérées, avant même tout audit complémentaire, la possibilité de dresser des quantitatifs directement via la maquette numérique serait un outil précieux pour faciliter l’étape de diagnostic-ressource présentée dans ce mémoire8. Le diagnostiqueur, perdant son 90

rôle d’identification de la ressource, pourra alors se concentrer à la caractériser, c’est à dire à renseigner, grâce à une observation in-situ, son état et les premières prescriptions de dépose. Devenu opérateur BIM, le diagnostiqueur aurait alors à sa charge d’enrichir la maquette par ses observations, ce qui permettrait de visualiser toutes les informations techniques relatives à la ressource en un clic.

Les principes du passeport-ressources9

E

n faisant évoluer la maquette BIM vers un outil autant orienté «produit» que «projet», il serait envisageable que chaque matériau et produit dis-

pose à tout moment de son double numérique indépendant d’un quelconque projet. Un tel processus ouvre la voie aux passeports-ressource (produit ou matériau), renfermant l'intégralité des informations accumulées au cours de 8 Lire "Identifier la ressource : le diagnostic déchet et sa fiche ressource", page 57 9 Le «passeport« est une expression empruntée à Steven Beckers, Architecte et Expert en Économie circulaire. Elle est également employé par le projet BAMB, Projet international financé par l’UE qui travaille à l’élaboration conceptuelle du «material passport«.


Numériser la ressource

ses différentes vies par ladite ressource. Tout en facilitant la logistique inverse, ce passeport participerait à conserver la valeur des éléments concernés, en levant l’incertitude sur leur qualité. La modélisation du projet pourra alors être envisagée comme la mise en place d’une base de donnée «circonstanciée» de ressources réemployées et à réemployer.

Numériser la ressource Définir la donnée

L

’étape de «numérisation» de la ressource, c’est à dire de transposition de caractéristiques observées en informations transmissibles, ne peut être

réalisée «tout azimut». Elle doit être précédée par la détermination d’une stratégie opératoire, menant à un équilibre entre l’effort à fournir et les bénéfices attendus. Ici, cela consiste à définir la nature et le niveau de précision de la donnée transmise et à étudier les acteurs concernés par cette donnée pour atteindre une rationalisation du processus. Trois questions se posent alors : Quelles informations transmettre ? Comment les transmettre ? Et comment les exploiter ? Deux catégories de données peuvent être distinguées : l’une concernant les données techniques, et l’autre les données relatives au passif du produit.

Les informations techniques seront identiques à celles que l’on peut retrouver pour un produit neuf (dimensions, constructeur, performances multiples…), adaptées en fonction des résultats des tests effectués en plateforme de réemploi.

Le passif du produit concernera les données relatives aux différents cycles traversés, renseignant sur leurs modalités de mise en oeuvre (lieu de la première implantation, entreprises impliquées, charges auxquelles le produit à été soumis, sinistres éventuels...). En complément, la classe de réemploi du produit sera également renseignée, afin de donner une première indication sur sa fiabilité et donc sur les conditions assurabilité

91


Les potentiels du BIM

d’un ouvrage mettant en oeuvre ce produit.

Le BIM est l’outil idoine pour renseigner ce type de données, puisqu’il est possible d’établir ses propres critères d’information et donc de s’adapter précisément au produit considéré. Étant données les méthodes d’acquisition des informations techniques en plateforme de réemploi, le modèle verra diminuer la fiabilité de ses simulations. Mais celles-ci n’étaient déjà que toute théoriques, car dans la pratique actuelle, peu d’agences disposent des compétences pour fournir un travail de modélisation suffisamment rigoureux. En revanche, le modèle numérique se verra doter d’une nouvelle dimension, celle de l’héritage qui participera d'une réelle compréhension du produit, conduisant à une collaboration accrue entre les acteurs de la construction, au centre de laquelle la notion de "circulaire" trouvera toute sa place. Cependant, si théoriquement le caractère collaboratif du BIM pourrait être exploité afin de rendre accessible à tous, au moment de la déconstruction, des informations sur les ressources rendues disponibles, dans la pratique, il 92

est difficile d’imposer une réelle transparence aux maîtres-d’ouvrage. Comme l’expliquent les membres du projet BAMB (Building as material banks)

«Two topics of high importance for the development of Materials Passports are those of transparency and secrecy. Information stored for Materials Passports should have a purpose. That means that is should be accessible by those parties capable of connecting it to an action. Having information stored which cannot be accessed due to secrecy is not beneficial for this.«10 Une transparence absolue sur la composition des produits n’est donc pas envisageable, mais définir des indicateurs plus génériques (concernant la dangerosité par exemple) à communiquer dans un premier temps permet10 Traduction personnelle : «La transparence et le secret sont deux notions très importantes pour le développement des passeports matériaux. Les informations stockées pour les passeports-matériaux doivent avoir un objectif [comprendre : on ne fait pas ce travail pour le plaisir]. Cela signifie qu’elles devraient être accessibles aux acteurs désireux de mettre en place une action de réemploi. Avoir des informations stockées qui ne sont pas accessibles en raison du secret ne présente aucun intérêt.« Disponible sur http://www.bamb2020.eu/topics/materials-passports/transparency/, consulté le 10.01.2018


Numériser la ressource

trait une prise de décision éclairée de la part de potentiels acheteurs. Ce n’est qu’une fois la transaction effectuée que le détail sera transmis, afin de conduire à une mise en oeuvre adaptée au projet.

Manipuler la donnée : production d’un avatar

L

e fonctionnement d’un logiciel BIM (Revit, Autocad, Vectorworks, Allplan…) repose sur la manipulations d’objets virtuels, disponibles via plusieurs

types de sources : bibliothèques internes au logiciel, bibliothèques externalisées mises à disposition par les fournisseurs (polantis.fr...), ou bibliothèques constituées par l’utilisateur lui même. Les différents modèles que l’on peut se procurer via ces bibliothèques sont sensés être représentatifs d’un produit, et sont donc assortis d’une surcouche de caractéristiques techniques qui décrivent, avec des niveaux de précision variables en fonction du critère étudié, l’objet réel. L’objectif de ce double virtuel est de permettre une simulation précise du comportement du bâtiment, en considérant les interactions entre toutes ses composantes. Pour la manipulation des produits, un logiciel BIM nécessite donc de disposer d’un «avatar» fidèle au produit, qui servira d’interface entre le concepteur et la donnée. Dans une logique similaire à celle qui conduit la pratique actuelle du CCTP que nous avons étudié précédemment, les bibliothèques d’avatars-fournisseurs facilitent le travail du prescripteur, le rendant dépendant à leurs produits. L’enjeu de l’intégration du BIM est donc de rationaliser la modélisation d’éléments aux caractéristiques variables afin d'aider les architectes à s’émanciper de ces bibliothèques et donner ainsi une chance aux produits de seconde main d’être intégrés à la maquette numérique.

La question qui se pose pour le réemploi est identique à celle soulevée par l’usage du BIM en situation existante, pour une réhabilitation ou dans le cadre des monuments historiques : Comment constituer une base de données comportant les avatars non standards, en dehors de tout catalogue fournisseur de produits ? Plusieurs hypothèses s’offrent à nous.

Une première solution de numérisation, est celle du scan 3D. Cette

93


Les potentiels du BIM

technologie permet d’obtenir des avatars très fidèles à l’objet réel, ce qui conduirait à l’élaboration des maquettes de projet rigoureuses. Loin d’être superflue, cette solution conduirait à réinterroger l’approche «chantier» du réemploi, puisque les concepteurs auraient à leur disposition des outils numériques en tout point identiques à ceux disponibles pour les produits neufs, ce qui réduirait la part d’incertitude liée au réemploi. Bien qu'intéressante, cette solution n’est pas pertinente car elle implique que les plateformes de réemploi s’équipent de l’outillage complexe et onéreux nécessaire aux scans 3D. De surcroît, l’étape de transposition du nuage de point obtenu en maillage nécessite du temps et des compétences qu’il est inenvisageable d’implémenter aux plateformes de réemploi si l’on souhaite en faire un marché attractif. A moyen terme du moins, une telle remise en cause de l’équilibre entre l’effort à fournir et les bénéfices attendus écarte donc cette solution.

La deuxième solution, moins techniciste que la précédente, va puiser

dans la possibilité de réinterroger la notion de «standard» dans la construc94

tion de réemploi11. Est-il bien nécessaire de disposer d’un avatar numérique aussi précis que dans le cadre de produits neufs ? Ne pourrions-nous pas imaginer des modèles 3D génériques, représentatifs des lots constitués par les plateformes de réemploi, et donc moins fidèles à l’objet réel ? Au point d’être imprécis, pourrions-nous objecter ? Uniquement en apparence, car ces modèles seraient faciles à doter de la surcouche d’informations propre au BIM. Ces modèles génériques, très rapidement paramétrables dans leurs dimensions, seraient enrichis des passeports techniques, eux spécifiques. Leur mise à jour serait réalisée à chaque passage du produit dans une plateforme de réemploi, ce qui rendrait envisageable la centralisation d'une base de donnée riche et actualisée des flux de matériaux de réemploi à l’échelle locale comme territoriale - avec une approche «big-data» donnant des éléments de compréhension de la filière. La modélisation générique perdrait en représentativité «visuelle» de la réalité, ce qui pousserait à percevoir le logiciel comme un outil de gestion de flux et du processus de construction plus que comme outil de représentation. Un juste retour à la raison d’être du

11 Lire "Quels standards pour le réemploi ?", page 74


Numériser la ressource

BIM qui s’est toujours défendu d’être un simple outil de représentation.

Quelle que soit la solution retenue, devra être abordée la question du mode de transmission du «modèle» entre les acteurs de la construction, mais surtout à travers le temps. Comment rendre disponible l'avatar et toutes les données qui lui sont associées, si l'on considère la difficulté de communication entre les différentes équipes ayant géré une ressource entre sa 1ère et sa 3ème mise en oeuvre, par exemple ? Des solutions qui pourraient sembler futuristes existent déjà bel et bien12, et semblent constituer un premier élément de réponse à la problématique de la transmission. Leurs potentiels restent à explorer, et d'autres technologies, à inventer.

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12 Telles la technologie des puces RFID qui pourraient être mises à jour à chaque passage en plateforme.


#5 Conlusion


L

a pratique du réemploi se voit limitée par un cadre législatif très contraignant

que seuls les MOA les plus pugnaces sachant s’entourer de partenaires porteurs de valeurs communes sauront détourner pour mener leur projet à bien. Ainsi, la production actuelle ne répond pas aux enjeux d’accumulation des déchets et de préservation des ressources que soulève pourtant la philosophie du réemploi. Elle est bridée par un corpus réglementaire et normatif qui limite l’innovation architecturale et empêche d’apporter des solutions fortes aux crises que rencontrent nos sociétés. Les effets de ce cadre trop rigide sont de caractériser une majeur partie de la production. Nous pouvons en effet constater une forme de standardisation de l’architecture du réemploi, dans ses acteurs, ses processus, et son écriture. L’architecture du réemploi, symbole de l’éthique des acteurs de sa construction, se voit et se montre. Elle est souvent identifiable par son esthétique alors qu’il serait souhaitable que l’application quotidienne du réemploi soit invisible, afin d’être ac-

97


Les potentiels du BIM

ceptée par le plus grand nombres de prescripteurs, de MOA et d’usagers.

Penser le réemploi, c’est étudier les modalités selon lesquelles

deux moments a priori distincts de la vie d’un bâtiment, sa destruction et sa construction, peuvent être réintégrés a un continuum commun. Le réemploi, en dépit du caractère incertain de l’approvisionnement en ressources, ne renferme pas en lui même des principes qui le rendraient incompatible avec un processus traditionnel de construction d’un édifice. Plutôt que d’inventer un modèle totalement spécifique, avec ses propres acteurs et logiques, il s’agit d’adapter le modèle existant en faisant évoluer les fonctions de chaque acteur. Le modèle méthodologique décrit dans ce mémoire propose une répartition des compétences nécessaires à l’exploitation d’un gisement entre plusieurs acteurs. Dans l’hypothèse où ce modèle serait instauré de manière durable, une forme d’«éco-système» comprenant des prescripteurs et des opérateurs compétents associés à une plateforme pourrait être établi. Ce dernier conduirait à envisager un scénario de réemploi comme une solution technique complète proposée à la MOA par le maître d’oeuvre. 98

Le réemploi est souvent perçu comme une discipline du low-

tech, en raison de la sobriété et de l’économie des matériaux qu’il prône. En réalité, l’outil numérique répond par bien des aspects aux freins qui limitent la généralisation du réemploi. Considérons comme une preuve de la compatibilité de ces deux univers la prolifération de services en lignes dont l’objectif annoncé est de servir le réemploi. Si la multiplication de ces plateformes nuit à la lisibilité de l’offre, les regrouper autour d'une infrastructure physique de reconditionnement permettrait de mailler efficacement le territoire, en mettant en place une communication presque instantanée de l’état de stocks. Conformément aux principes du "Big-Data", les informations récoltées apporteraient une vision d’ensemble de la filière aux entités politiques qui pourraient ainsi s’adapter aux fluctuations des gisements. Les plateformes, devenues de véritables «hub» du réemploi offriraient un support adapté à la transmission de conseils méthodologiques et techniques et seraient au centre de la recherche sur le réemploi.

Une réflexion (qu’il conviendrait de creuser) autour du BIM constitue

un prétexte pour impliquer l’ensemble des acteurs de la construction à l’effort de réemploi. Parfaitement cohérents dans leur processus avec le réemploi, il


Numériser la ressource

faudra cependant repenser légèrement les usages autour des logiciels BIM. La gestion des données, dans le cadre prospectif d’une économie circulaire, pose également la question (qui pourrait sembler anecdotique si n’étaient les ambitions du réemploi) de la transmission intergénérationnelle d’informations. Quel format de données serait le plus stable au cours du temps ? Comment s’assurer que la donnée produite aujourd’hui puisse être lue par les outils de demain ?

É

tudier le réemploi, c'est se projeter à très long terme, dans la perspective pessimiste mais lucide de la disparition d'un certain nombre de res-

sources. Nous avons abordé des principes qui participeraient, à moyen terme, à juguler leur sur-exploitation. Mais si l'on se projette quelques décennies de plus, dans un temps où le gisement sera constitué des édifices construits à notre époque, devra-t-on toujours se contenter de ces quelques mesures palliatives ? Ne devrions nous pas plutôt orienter dès aujourd'hui nos conceptions pour que les processus décrits dans ce mémoire en deviennent désuets, et que le réemploi parvienne à s'imposer comme une étape naturelle de la vie du matériau ? Pour les architectes, l'une des réflexions majeures à mener est justement de faciliter la tâche aux réemployeur de demain, en travaillant dès aujourd'hui le potentiel de réemployabilité de leurs projets. Car c'est évidement en phase de conception que se joue le réemploi, où il revient aux concepteurs de faire émerger des principes d'assemblage pertinents et de recourir à des matériaux au plus fort potentiel de réemployabilité, comme le Bois. Si l'on peine aujourd'hui à mettre en place une filière, c'est que nous avons hérité d'un patrimoine bâti inadapté à cette pratique, en raison, notamment, du succès du béton au XXe siècle. En ce début de XXIe siècle, que léguons à nos successeurs ? Notre approche toujours plus technique de la construction constitue-t-elle réellement une pratique à même de favoriser le réemploi de nos édifices ? Que peuvent nous apprendre les architectes du XXe siècle sur cette problématique ? Les structures modulaires et démontables de Jean Prouvé pourraient-elles être mises-à-jour ? Il est de la responsabilité des concepteurs de toute époque de penser à l'héritage transmis aux générations futures, et de choisir s'il doit d'agir d'un fardeau ou d'une richesse.■

99


#

Produit de réemploi prétexte Homologations pour la mise en circulation du produit Cycle de la matière

Document informatif sur la ressource/produit Acteurs

Downcycling

Recyclage

PRODUCTION

Schéma de synthèse

DEMOLITION

Enfouissement

DIAG RESSOURCES

DÉCONSTRUCTION

Prescriptions de valorisation, fiches ressources

Homologation de la chaine de production

CONTROLEUR

VALORISTE

Incinération


Nouvelle mise en oeuvre

MISE EN VENTE & actualisation du référencement Web

ARCHITECTE Logiciel BIM

AVATAR BIM + méta-données

ARTICLES DE CCTP Mise à disposition

RÉFÉRENCEMENT WEB Base de donnée

Plateforme de réemploi RECONDITIONNEMENT

Homologation de la chaine de reconditionnement

CONTROLEUR

«HABILLAGE»

Actualisation de la fiche ressource

OPÉRATEUR

NUMÉRISATION

ENTREPOSAGE

Choix des informations

Classement en «lots»

OPÉRATEUR

CONTROLEUR


#

4Dimensional design (Conception 4D) Principe de conception, en design, architecture et ingéniérie, qui envisage le projet dans la complexité de ses évolutions au cours du temps, ajoutant ainsi une quatrième dimension de conception en plus des trois dimensions spatiales : le temps.

BEPOS (Bâtiment à Énergie POSitive) Label

récompensant

les

performances

énergétiques

d'un

édifice.

Le projet doit au préalable être conforme à la réglementation thermique

Glossaire

2012, et faire montre de faibles émissions de CO2 et d'une consomation énergétique inférieure à sa production (moyenné à l'année).

BIM (Building Information Modeling) «Processus d'intégration, de production, de gestion et de visualisation de données ; un modèle unique du bâtiment ou d'un ouvrage bâti (pouvant tenir dans un fichier numérique, lequel comprend toute l'information technique nécessaire à sa construction, son entretien, ses réparations, d'éventuelles modifications ou agrandissements et sa déconstruction). Le fichier n'est pas qu'un catalogue d'objets positionnés dans l'espace ; il comprend aussi une description des relations entre objets et de leurs propriétés" (wikipédia.fr)

Ici, le BIM sera étudié en tant que processus de conception considérant les différentes étapes de la vie d’un édifice, autant que comme logiciel de conception et de représentation. Son usage croissant dans le


domaine de la construction fait de cet outil un incontournable pour les architectes, et réfléchir à quelque évolution du secteur que ce soit implique d'en passer par une réflexion sur Le cad,

fonctionnement Revit,

Allplan,

des

solutions

Vectorworks...)

BIM

sa capacité d'adaptation. les

plus

reposent

courantes

sur

la

(Archi-

collaboration

entre les différentes entreprises gravitant autour d'un projet, qui vont enrichir un modèle commun de leurs propres informations. Souvent décrié pour sa rigidité, le BIM s'adapte mal aux situations complexes que sont les projets d'intervention sur l'existant.

Cradle2Cradle (C2C) (Du berceau au berceau) Ce concept d'éco-conception repose sur la mise en place d'une logique de revalorisation systématique des déchets produits par un processus de production. Cette approche, qui sera considérée par extrême par certains, prône une politique du 0 déchet / 0 pollution. Le C2C s'oppose au Cradle to Grave (du berceau au cerceuil) , principe dominant notre système de production qui veut qu'une ressource, après son utilisation, soit définitivement ecartée du marché pour être incinérée ou enfouie, en dépit de l'interet que pourrait présenter sa revalorisation. Son impact est mondial, notament grace aux publications de son concepteur, le Professeur Michael Braungart, et à son implication dans une grande variété de colloques et conférences.

CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) Le CSTB est un établissement français, placé sous une tutelle transministérielle, qui établi un cadre destiné à garantir la sécurité et la qualité dans le secteur du bâtiment. En plus de ses prérogatives liées à la certification de produits, matériaux, procédés ou équipements liés à la construction (en délivrant


le marquage CE), il impulse une dynamique d'innovation dans le secteur à travers la mise en place de différents outils, tels les ATEx, et la recherche.

DownCycling (Décyclage en français, terme moins utilisé) L'un des effets pervers du recyclage, qui est pourtant une méthode devalorisation des déchets, est qu'il entraine généralement une perte de certaines caractéristiques du produit, qu'elles soient physiques, mécaniques, chimiques, ou encore esthétique. C'est ce que l'on appel le downcycling, ou décyclage. Nous comprenons bien que multiplier le nombre de recyclage d'une ressource le conduit inévitablement vers son exutoire final. Des principes de développement alternatifs entendent lutter contre cet état de fait (Voir C2C).

104

Filière «Ensemble des phases d'un processus de production qui permettent de passer de la matière première au produit fini vendu sur le marché. Elle englobe toutes les étapes de transformation depuis l'amont jusqu'à l'aval pour obtenir une famille de produits. Par exemple, la filière bois ou textile." (Larousse.fr)

Appliqué au réemploi, la mise en place d’une filière du réemploi ne concernera pas tant la production d’un produit que les transformations qu’il subira, qu’elles soient d’usage, de formes ou autre. La filière du réemploi désignera également les étapes de repérage et récupération des matériaux, d’évaluation de leurs qualités (mécaniques, esthétiques, etc…), de leur reconditionnement et enfin de leur mise en vente. La notion de filière soulève la problématique de la création d’emplois et de fonctions nouvelles associées aux pratiques du réemploi. D’après une étude réalisée par l’Observatoire régional des déchets d’île de France, pour 10000 tonnes de déchets du bâtiment, trente-et-un emplois (non délocalisables


!) peuvent concourir à leur revalorisation. A titre de comparaison, seul un emploi est nécessaire pour procéder à leur enfouissement, et trois emplois pour leur incinération.Au delà de l'intérêt écologique du réemploi, apparaît donc la pertinence sociale d’une telle pratique.

Gisement «Lieu où un matériel géologique donné s'est accumulé et que l'on peut exploiter en totalité ou en partie.« (Larousse.fr)

Pour nos sociétés, le gisement constitue un lieu d'interêt, qui devra être exploité pour en extraire la ressource. Dans le cadre de ce mémoire, seront perçus comme des gisements tous les bâtiments ou édifices construits pouvant faire l’objet d’une déconstruction maîtrisée en vue d’en récupérer les matériaux. Comme tout gisement, celui d’éléments de remploi ne devra pas être considéré comme infini. Se pose alors la question de la rareté des ressources d’un tel gisement, et, par voie de conséquence, de son accaparement potentiel par quelques-uns. On touche là du doigt les dangers d’une mise en place d’une filière «institutionnalisée« qui tendrait à plonger les mécanismes vertueux du réemploi dans les logiques inéquitables d’un capitalisme non maîtrisé.

105


HQE (Haute Qualité Environnementale) Certification environnementale et sanitaire répondant à une norme décrite par. Gage d'une démarche globale "éco-logique", la certification HQE est très largement décriée. D'abord en raison de l'implication des industriels dans le processus de définition de la norme, et ensuite pour la trop grande complexité des critères qui permettent son obtention, et qui tendent à remplacer une conception éco-logique par la complétion d'une feuille de calcul.

Méthode «Ensemble ordonné de manière logique de principes, de règles, d'étapes, qui constitue un moyen pour parvenir à un résultat« (Larousse.fr) 106

«Manière de mener, selon une démarche raisonnée, une action, un travail, une activité ; technique« (Larousse.fr)

A la première définition nous préférerons la seconde, plus flexible. Il s’agira dans ce mémoire de se questionner sur ce qui peut faire méthode dans un projet d’architecture. Devant l’immense variabilité des facteurs à prendre en compte, est-il réellement possible de définir une méthode qui, amenant le concepteur à emprunter une succession d’étape, conduirait immanquablement à un résultat : le projet ? Si la réponse semble évidemment négative, nous pourrons tout de même considérer que le cadre des phases de projet peut se rapprocher de la définition d’une méthode. Il s’agit en effet de réfléchir graduellement, suivant une logique d’échelle, afin de s’assurer que tous les aspects du projet seront traités. L’un des enjeux sous-jacents au respect d’une méthode est l’efficacité. Cela évite de «réinventer l’eau chaude« à chaque projet, et permet de se concentrer sur l’essentiel : le concept, les matériaux, l’espace.


Réemploi Glossaire “augmenté” «Mise en les œuvre, dansnoune construction, d'éléments, de matériaux provenant Afin d'introduire différentes ons qui serviront de support à la réflexion portée par ce mémoire, faire le tri entre toutes leurs défini ons sera l’occasion d’esquisser les premiers enjeux soulevés par (Larousse.fr) leurs d'une interacconstruction ons. A traversantérieure.« ce glossaire augmenté et orienté qui ne fait pas par e intégrante du développement du mémoire, nous pourrons discerner ce qui en cons tuera le squele e : Si Réemploi cette définition correspond à l’angle choisi pour ce mémoire, on en en œuvre, dans aux une différents construction, degrés d'éléments, matériauxétablis provenant d'une précisera“Mise les enjeux grâce de de réemploi dans le construction antérieure.” (Larousse.fr)

tableau ci-dessous (mis en place par Niklaus Kolher):

Si ce e défini on correspond à l’angle choisi pour ce mémoire, on en précisera les enjeux grâce aux différents degrés de réemploi établis dans le tableau ci-dessous (mis en place par Niklaus Kolher): Réemploi

Bilan

Niveau 1

Con nuer à u liser l’élément à sa place

On récupère l’énergie et les matériaux, et on main ent une bonne par e de l’informa on

Niveau 2

Con nuer à u liser l’élément dans une autre situa on, mais avec la même fonc on

On perd beaucoup d’informa on

Niveau 3

U liser l’élément dans une autre situa on et pour une autre fonc on

On perd des matériaux, de l’énergie et de l’informa on, mais on peut en recons tuer une part (au prix d’efforts importants)

Niveau 4

Changer la forme (l’état du matériel) pour une autre u lisa on: par exemple, réduire un élément en béton à ses composantes de base (sable/gravier et ciment) et réu liser le sable/gravier pour un nouveau béton

Downcycling, on perd tout et défini vement – une par e de l’énergie peut éventuellement être récupérée (brûler le bois)

Niveau 5

Décharge, dissolu on, décomposi on, combus on

Dépôt dans une décharge

107

On remarquera que le principe de la réu lisa on est désignée comme étant le niveau 2 du réemploi. Dans ce mémoire, par mesure simplificatrice, il sera désigné sous le terme général de réemploi. OnEnnotera le principe dece lae classifica réutilisation est désignée comme étant le revanche,que les niveaux 1, 4 et 5 de on seront exclus de la réflexion : Le niveau 1 propose une vision trop restric ve du réemploi, et ne semble pas adapté aux réalités du niveau réemploi. Dans ce 4mémoire, pardesmesure il sera marché2dedu la construc on. Les niveaux et 5 recouvrent pra quessimplificatrice, destruc ves, qui ne vont pas

désigné également sous le terme général de réemploi.

5

En revanche, les niveaux 4 et 5 de cette classification seront exclus de la réflexion : ils recouvrent des pratiques destructives, qui ne vont pas dans le sens d’une revalorisation-matériaux ou d’une revalorisation-objet.


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Éléments de contexte et généralités sur le réemploi Livres •

HUYGEN, Jean-Marc. La poubelle et l’architecte, vers le réemploi des matériaux. Arles : Actes sud Beaux Arts, Juillet 2008, 184 p. (L’Impensé)

VAN HINTE, Ed ; PEREEN, Césare ; JONGERT, Jan. Superuse : Constructing New Architecture by Shortcutting Material Flows. Rotterdam : 010, 2017.

Bibliographie

DVD •

CHOPPIN, Julien ; DELON Nicola. Une Diagonale, conversation avec Patrick Bouchain, [DVD] Paris : Encore Heureux, 2017, (163 min).

DELESTRAC, Denis. Le sable : enquête sur une disparition, [DVD]. ARTE France, Rappi Productions, La Compagnie des Taxi-Brousse, Informaction, 2013, (74min).

Ressources en ligne •

ADEME. Chiffres clefs du bâtiment 2016, [en ligne]. Disponible sur : http://www. ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/dechets_chiffres-cles2016_8813.pdf, consulté le 22.01.2018

ADEME, L’épuisement des métaux et minéraux : faut-il s’inquiéter ?, [En ligne], 2017, Disponible sur : http://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/epuisement-metaux-mineraux-fiche-technique.pdf, Consulté le 01.01.2018

GIELEN, Marteen. Conférence : Rotor, Tristan Boniver, Lionel Devlieger et Maarten Gielen, membres fondateurs, Bruxelles, Belgique. 2015. Cité de l’architecture et du patrimoine, [En ligne] Disponible sur : https://www.dailymotion.com/video/ x2u4syi_rotor-tristan-boniver-lionel-devlieger-et-maarten-gielen-membres-fondateurs-bruxelles-belgique_creation. 57 minutes, consulté le 09.09.2017

PLOURDE, Marie-Claude. Collectif, 2016, Qu’est-ce que le développement durable pour les architectes ? Paris, Archibooks et Sautereau Éditeur, Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 7, n°1 | Avril 2016, Disponible sur : http://developpementdurable.revues.org/11262. Consulté le 26 mai 2017

VICARI, Alessandro. Éco-design. Processus et hypothèses de travail, [En ligne] Multitudes 2013/2 (n° 53), p. 185-190. DOI 10.3917/mult.053.018, consulté le 07.01.2018

Thèses et Mémoires •

BERTIN Ingrid, Réemploi et Préfabrication : En quoi la préfabrication engendre-t-elle un potentiel et une source de réemploi en architecture ? Mémoire de Master, Marnela-Vallée : École d’architecture de la ville & des territoires, sous la dir. de Florence Lipsky et Jean-Marc Weill, 2016, 148 p.


MOINET, Morgan. Vers une filière du réemploi des matériaux de construction, Mémoire de Master, Rennes : ENSAB, Sous la dir. de Mme Rozenn Boucheron-Kervella, 2015, 62 p.

Études et rapports de référence sur le réemploi •

ADEME. Prévention Déchets du bâtiment : OPTIGEDE [en ligne]. Disponible sur : <http://optigede.ademe.fr/dechets-batiment-prevention> consulté le 06.01.2018

ADEME, Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction – 149 pages.

De la durée de vie d’un bâtiment : conception, construction et gestion, 9 novembre 2014. http://bati2030.blogspot.com/2014/09/de-la-duree-de-vie-dun-batiment. html.« donsoc06zu.pdf «. Consulté le 17 novembre 2016. http://www.insee.fr/fr/ffc/ docs_ffc/donsoc06zu.pdf.

GOBBO, Émilie. Déchets de construction, matière à conception, [En ligne] Conférence at Architecture UCL, Brussels Studies. 2015. Disponible sur : https://vimeo. com/118223629, consulté le 15.04.2017

HUYGEN, Jean-Marc. La poubelle et l’architecte: vers le réemploi des matériaux. Arles. France: Actes sud, 2008.

Le rôle des déchets dans l’histoire. Entretien avec François Jarrige et Thomas Le Roux, Mouvements 2016/3 (n° 87), p. 59-68. DOI 10.3917/mouv.087.0059

Le patrimoine bâti : un gigantesque stock de matériaux recyclables - Matériaux et équipements, 7 juin 2013. http://www.lemoniteur.fr/article/le-patrimoine-bati-un-gigantesque-stock-de-materiaux-recyclables-21452333.

NOBLE, Grégoire. « La traçabilité des déchets de chantier, clé de la valorisation «. Batiactu, 19 mai 2015. http://www.batiactu.com/edito/la-tracabilite-des-dechets-dechantier-cle-de-la-v-41104.

Soutenabilité | BIM, TIC & Logiciels, 15 novembre 2016. https://msbim.estp.fr/?tag=soutenabilite.

TRACHTE, Sophie. Matériau, matière d’architecture soutenable: Choix responsable des matériaux de construction, pour une conception globale de l’architecture soutenable. Presses univ. de Louvain, 2012.

Articles de lois : •

Code de l’environnement, Article L541-1-1. Ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine des déchets. Journal Officiel n°0293 du 18 décembre 2010, p. 22301

Code des assurances, Annexe à l'article A243-1. Modifié par Arrêté du 19 novembre 2009 portant sur les clauses-types applicables aux contrats d'assurance et de responsabilité décennale, Journal Officiel n°0275 du 27 novembre 2009, p. 20428

Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives. Journal Officiel de l'Union Européenne L312.

Ministère de la culture, Article 88 de la Loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la

109


liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, Journal Officiel n°0158 du 8 juillet 2016 •

Règlement n° 305/2011 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2011 établissant les conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction et abrogeant la directive 89|106|CEE du Conseil, Journal officiel de l’Union européenne, 4 avril 2011, pp. L88/5-L88/43

Méthodologie du réemploi Livre •

CHOPPIN Julien ; DELON Nicola. Matière grise, Matériau, Réemploi, Architecture. Paris : Editions du Pavillon de l’Arsenal, Octobre 2014, 370 p.

MCDONOUGH, William ; BRAUNGART Michael. Cradle to cradle : Créer et recycler à l’infini. Paris : Editions Alternatives, février 2011, 240 p.

Ressource en ligne

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ADEME. REPAR, Reemploi comme Passerelle entre Architecture et industrie. ADEME, 2012-2014. [En ligne ] Téléchargeable sur : http://www.ademe.fr/repar-reemploi-comme-passerelle-entre-architecture-industrie, consulté le 21.12.2017

BELLASTOCK. Guide Maitrise d'oeuvre, La Fabrique du Clos. Mars 2014, consulté le 22.11.2017

CIFFUL. Guide pratique sur le réemploi / réutilisation des matériaux de construction. Liège : Éditions de l’Université de Liège, 2013, 48p. Disponible sur : <http://www.cifful.ulg.ac.be/images/stories/Guide_reemploi_materiaux_lecture_2013.pdf> consulté le 18.05.2017

CSTB, Demander une ATEx, [En ligne] Disponible sur : http://evaluation.cstb.fr/fr/ appreciation-technique-expertise-atex/demander/. Consulté le 02.01.2018

LEFAUCONNIER, Bruno. Témoignage d'un expert réemploi/recyclage dans le BTP, [En ligne] Disponible sur http://www.matabase.fr/blog/temoignage-dun-expert-reemploirecyclage-dans-le-btp-bruno-lefauconnier, Consulté le 10.10.2017.

POSSOZ, Jean-Philippe. Formation Bâtiments Durables : Réemploi de matériaux et éléments de construction. [En ligne] Bruxelle Environnement, Disponible sur http://www.environnement.brussels/sites/default/files/user_files/pres_20151127_ reem_1_3_mp_fr_vf.pdf, consulté le 09.08.2017

RODGERS, Caroline. Marc Charbonneau, valoriste. [En ligne] Disponible sur : http://affaires.lapresse.ca/cv/environnement/201105/24/01-4402246-marc-charbonneau-valoriste.php, publié le 24.05.2011, consulté le 10/09/2017

ROTOR ASBL, Vade Mecum pour le réemploi hors-site, Bruxelles. Septembre 2015. [En ligne] Disponible sur : http://www.environnement.brussels/sites/default/files/ user_files/pres_20151127_reem_1_5_vadem_fr_vf2.pdf. Consulté le 06.01.2018

ROTOR ASBL, Rapport final, Vade Mecum : analyse juridique, Bruxelles. Décembre 2015. [En ligne] Disponible sur : http://assets.opalis.be/vademecum/Vade-mecum_ analyse_juridique%20%28Rotor%29.pdf. Consulté le 06.01.2018


ROTOR ASBL, Rapport final, Vade Mecum : recommandations, Bruxelles. Décembre 2015. [En ligne] Disponible sur : http://assets.opalis.be/vademecum/ Vade-mecum_recommandations%20%28Rotor%29.pdf. Consulté le 06.01.2018

ROTOR ASBL. Rapport final, Projet d’activation des filières de réemploi des matériaux de construction en région de Bruxelles-Capitale, Opalis. [En ligne], Novembre 2012, Disponible sur <http://document.environnement.brussels/opac_css/elecfile/ Etude_dechets_Rotor_OPALIS_FR.PDF> , consulté le 17.12.2017

Thèses et Mémoires •

GHYOOT Michael. (2014) Le concepteur et les matériaux de construction, Thèse de doctorat sous la dir. de Jean-Louis GENARD, Faculté d’architecture de la Cambre Horta, Bruxelles.

Article de loi •

LOI n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, Journal officiel n°0160 du 13 juillet 2010, p. 12905

Digitalisation du réemploi Ressource en ligne •

AZOU, Célia. #Startup Re.Source : des matériaux de qualité à prix cassés ! , [En ligne] Incubateur Jean-Moulin, Lyon. Mis en ligne le 07.09.2017, disponible sur : http://entreprendre.univ-lyon3.fr/startup-resource/, consulté le 08.01.2018

Les plateformes d’économie circulaire dans le BTP, [En ligne] Disponible sur : https://medium.com/@MakeSenseorg/les-plateformes-d%C3%A9conomie-circulaire-dans-le-btp-82a19789d251, Consulté le 09.01.2018

Materials Passports, [En ligne] Disponible sur http://www.bamb2020.eu/topics/materials-passports/transparency/, consulté le 10.01.2018

SOUBRA, Souheil. Le boom du BIM chamboule le secteur de la construction, [En ligne] Disponible sur :http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/11/07/le-boomdu-bim-chamboule-le-secteur-de-la-construction_5211108_3234.html#L8lqK6pbReWxM0zd.99, consulté le 11.01.2018

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Illustrations

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IMAGES DE PRÉSENTATION

Première de couverture. Lara Almarcegui, Biennale de Venise, 2013 Avant-Propos. Rue de l'ENSAL Introduction. Décharge de Claye-Souilly Première Partie. Le pavillion circulaire, Paris

© Encore Heureux

Deuxième Partie. Revendeur de matériaux d'occasion

© Rotor

Troisième Partie. La logique BIM Conclusion. Le wa-pan, technique ancestrale du réemploi, par Shigeru Ban

© Clement Guillaume


FIGURES D'ILLUSTRATION

Figure 1.  L'Earth Overshoot Day

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Source : phys.org © AFP Figure 2.  Une multiplicité d'initiatives, quelles actions ?

20

Sources : greenpeace.fr; www.colibrislemouvement.org ; un.org ; millenaire3.com ; areneidf.org Figure 3.  L'"habillage" d'un produit

38

Sources : Illustration personelle © Foucault Archambeaud / ENSAL Figure 4.  L'ATEx ou la complexité d'une procédure

42

Sources : http://evaluation.cstb.fr Figure 5.  Siège du conseil, Bruxelles

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Sources : lemonde.fr © Thierry Henrard. Ph. Samyn and Partners Figure 6.  Le Pavillon Circulaire, Paris

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Source : amc-archi.com © Cyrus Cornut/Matignon Figure 7.  Une cartographie de ressources

54

Source : http://superuse-studios.com © SuperUse Studio Figure 8.  L'académie Fratellini, Saint-Denis

56

Source : amc-archi.com © Philippe Ruault Figure 9.  Extrait d'un formulaire de diagnostic

62

Source : formulaires.modernisation.gouv.fr Figure 10.  Le Actlab de Bellastock, Ile-Saint-Denis

70

Source : bellastock.com © Bellastock Figure 12.  Organisation spatiale du Actlab

74

Source : bellastock.com © Bellastock Figure 13.  Un contrôle non destructif

80

Source : http://www.g2metric.com Figure 14.  Un outil du digital : la cartographie en ligne

Source : Oogstkaart.org © SuperStudio

94



© Foucault Archambeaud / ENSAL




Un constat croisé sur la disparition des ressources et la problématique de l’accumulation des déchets nous conduit à nous interroger sur le système linéaire actuel extraire – produire – consommer – jeter. Pour anticiper ces problématiques, le réemploi propose d’inclure le bilan « matière « de l’architecture dans une temporalité plus large que la simple vie du bâtiment et conduit à percevoir un édifice comme un important gisement de ressources, plus que comme le lieu de l’accomplissement du matériau. Dresser une tableau général de la pratique actuelle du réemploi, à travers ses formes architecturales et ses processus de conception permettra de comprendre ce qui détermine, limite ou autorise l’architecture du réemploi aujourd’hui et les leviers à actionner pour tendre vers sa systématisation. Pour pouvoir espérer cette généralisation du réemploi, il convient de s’interroger sur les moyens à mettre en oeuvre pour modifier les logiciels présidant à la réalisation d’un édifice. De quelle manière une démarche du réemploi peut-elle être répartie entre les différents acteurs de la construction ? Comment susciter l'intérêt de ces différents acteurs, et structurer une méthodologie qui permettrait au réemploi de prendre sa place dans (ou en parallèle de) la filière classique du bâtiment ?

A cross-examination of the disappearance of resources and the problem of waste accumulation leads us to question the current linear system: to extract - to produce - to consume - to discard. To anticipate these problems, reuse proposes to include the "material" balance sheet of architecture in a wider temporality than the simple life of the building and leads to perceiving a building as an important source of resources, rather than as a place for the fulfillment of the material. To draw a general picture of the current practice, through its architectural forms and its design processes will make it possible to understand what determines, limits or authorizes the architecture of reuse today and the levers to be actuated to tend towards its systematization.To be able to hope for this generalization of reuse, it is necessary to question the means to be implemented to modify the logics presiding over the construction of a building. How can a re-employment approach be shared among the various construction actors? How to arouse the interest of these different actors, and structure a methodology that would allow re-employment to take its place in (or in parallel with) the traditional sector of the building?

Mots-clefs : Valorisation / Filière / Ressource / Réemploi Keywords : Waste repurposing / Process / Ressource / Reuse


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