Le magazine de la petite Histoire de France LA FRANCE PITTORESQUE
UNE ENCYCLOPÉDIE DE LA VIE D’AUTREFOIS
La France
pittoresque WWW . FRANCE - PITTORESQUE . COM
L’ANTIMOINE U N É L IX
IR S U L F U R E U X
LUNE
Influence sur la gent féminine ?
FÊTE DES FOUS
Entre cavalcades et indécences
IMPÔT INEPTE
Portes et fenêtres contre déficit
MESUREURS
Gardiens d’un commerce loyal
SCHWILGUÉ
Vie rythmée par une horloge
N°35 - JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2010 - 6,90 R
Guerre et pigeons voyageurs - Pêche miraculeuse du hareng - 1786 ou la grève des gagne-deniers - Garoé arbre pourvoyeur d’eau - Entremets divertissants - Croix Numéro – La France pittoresqueécharpe... 1 cousues imposées aux hérétiques - Voltaire et chariot invincible - Foire des fées de Limes35 - Vertus de l’ostensible
DANS CE NUMÉRO
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petite Histoire grande AIDE À COMPRENDRE LA
2 CATÉGORIES / 1248 QUESTIONS / 8 THÈMES
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La France pittoresque – Numéro 35
La France
pittoresque
TRIMESTRIEL - N° 35 JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2010 Un magazine édité par LA FRANCE PITTORESQUE Directeur de la publication : Valéry VIGAN Comité éditorial : Valéry VIGAN, Gwenaël D’AVREY, Camille MESSINE, Louis-Jean THIBERVILLE, Clothilde BRASSAC, Florent BROSSARD Maquette, conception graphique : Aragorn Siège social : LA FRANCE PITTORESQUE 14 avenue de l’Opéra - 75001 PARIS ASSOCIATION LOI 1901 www.france-pittoresque.com redaction@france-pittoresque.com Rédaction, abonnements : LA FRANCE PITTORESQUE 46140 ALBAS N° I.S.S.N. : 1632-9457 N° Commission paritaire : 0211 G 81949 Dépôt légal : à date de parution Impression : 3ESSE s.r.l. (www.3esse.net) 70029 SANTERAMO IN COLLE (ITALIE) Illustration de couverture : d’après Charlatan et son assistant par Jan Miense Molenaer (vers 1630)
LA FRANCE PITTORESQUE c’est aussi un site Internet depuis 1999, consacré à la FRANCE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI www.france-pittoresque.com
A
Vouant une inébranlable confiance dans l’exercice de la liberté, l’économiste et homme politique bayonnais Frédéric Bastiat, trop conservateur pour les républicains, trop républicain pour les conservateurs, dépeint vers 1850 au fil de pamphlets pédagogiques confinant parfois à l’ingénieuse fable satirique, les sophismes contemporains et vices à venir d’un État-Providence dont il déplore l’interventionnisme s’accentuant, et qu’il regarde comme la « grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde ». Réformateur résolu, farouche partisan de l’assurance sociale, il annonce dans ses Harmonies économiques les effets pervers d’une centralisation étatique d’associations ouvrières pour l’heure libres et dont les membres exercent, avec succès, une surveillance vigilante mutuelle : « Supposez que le gouvernement intervienne. (...) Il nommera des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs. On verra des formalités sans nombre s’interposer entre le besoin et le secours. (...) Les ouvriers ne verront plus dans la caisse commune une propriété qu’ils administrent, qu’ils alimentent, et dont les limites bornent leurs droits. Peu à peu, ils s’accoutumeront à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d’un fonds limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la Société. Ils n’admettront par pour elle l’impossibilité de payer, et ne seront jamais contents des répartitions. L’État se verra contraint de demander sans cesse des subventions au budget ». Conséquence inéluctable, « les abus iront toujours croissant, et on en reculera le redressement chaque année, comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour de l’explosion. Mais alors on s’apercevra qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet, même la subsistance ». Condamné à prodiguer d’illusoires promesses, car d’une part accusé d’impuissance s’il refuse d’assouvir les exigences des citoyens, d’autre part fustigé lorsque pour s’aviser d’y répondre il frappe la population de taxes redoublées, l’État démocratique se trouve réduit à « user du crédit, c’est-à-dire dévorer l’avenir » – pis-aller éphémère évoquant selon Bastiat « le spectre de la banqueroute » – avant de lancer une ultime offensive pour se maintenir et prévenir une révolte qu’il sent sourdre : « il étouffe l’opinion, il a recours à l’arbitraire, (...) il déclare qu’on ne peut administrer qu’à la condition d’être impopulaire ». Un discours prémonitoire ?... Valéry VIGAN Directeur de la publication
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Le PANTÉLÉGRAPHE : véritable ancêtre du FAX moderne
Professeur de physique à l’université de Florence, l’abbé Giovanni Caselli fut tenté par la solution d’un problème physico-mécanique non complètement résolu, en dépit de quelques tentatives effectuées : la reproduction, par l’électricité, des signes de l’écriture à la main, des traits du dessin, et en général, de toute oeuvre de la main de l’homme. Dès 1843, l’horloger écossais Alexander Bain s’était occupé d’exécuter un télégraphe autographique, en d’autres termes un appareil reproduisant le fac-simile d’une écriture ou d’un dessin quelconque ; mais l’appareil n’avait pu donner dans la pratique aucun résultat avantageux, par suite de la difficulté de réaliser le synchronisme des deux plateaux situés l’un à la station de départ, et l’autre à celle d’arrivée, chacun communiquant un mouvement de va-et-vient à un style. En effet, il importait d’une part, qu’à chaque fois que le style portait sur un trait à l’encre, le courant fût interrompu, de façon que le style de la station opposée cessât de marquer sur le papier, d’autre part que les oscillations soient d’une amplitude parfaitement égale. En 1848, le mécanicien écossais Blackwell, remplaçant les plateaux par des cylindres, n’avait pas été plus heureux que son devancier. L’abbé Caselli ne crut pas néanmoins au-dessus des efforts de l’art contemporain la reproduction de l’écriture par l’électricité, et vint à Paris, installant chez le mécanicien et inventeur français Paul-Gustave Froment le pantélégraphe qu’il avait construit à Florence en 1856. Pendant six ans, il ne cessa pas un seul jour de se consacrer au perfectionnement de cet appareil : il s’agissait d’établir, à chacune des deux stations télégraphiques, deux pendules Le pantélégraphe Caselli dont les oscillations fussent exactement les mêmes en amplitude et en durée, c’est-à-dire d’installer, à 20 lieues de distance, deux pendules isochrones. Trouvant cette pierre philosophale de la télégraphie en 1860, il fut en mesure, trois ans plus tard, de proposer enfin un appareil donnant des résultats irréprochables et construit avec Froment. On pouvait, à l’aide de cet instrument, reproduire une dépêche d’une ville à l’autre, avec l’exacte fidélité de la photographie. Il transmettait l’écriture même, la signature même de l’expéditeur. Un dessin, un portrait, un plan, de la musique, une écriture étrangère, des traits confus et embrouillés, tout arrivait fidèlement et se reproduisait dans son intégrité d’une station à l’autre. Le gouvernement étant frappé des avantages et du côté brillant de l’invention du savant florentin, une loi fut votée en mai 1863 proclamant l’adoption du pantélégraphe Caselli par l’administration française et son établissement sur la ligne de Paris à Lyon. C’est seulement le 16 février 1865 que le public fut admis, pour la première fois, à transmettre des dépêches autographiques entre ces deux villes. D’APRÈS... Les merveilles de la science ou Description
populaire des inventions modernes (T. 2) paru en 1867
SOMMAIRE
...
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S
ÉDITORIAL
LÉGENDES/INSOLITE
4
La lune et la gent féminine. Action de la lune sur les naissances. Lune, maladies et médicaments.
LIEUX
7
Trompettes-Jongleurs à l’origine du sobriquet des habitants de Chauny et vacher Tout-le-monde
MOEURS/COUTUMES
8
Cavalcades de la fête des Fous. Extravagance à la mode provençale. Église contre « diacres saouls ».
ÉVÉNEMENTS
11
La grève des gagne-deniers contre la collusion. 1786 : une arrestation qui met le feu aux poudres.
FAUNE/FLORE
13
Les pigeons voyageurs sortent de l’ombre et enrayent le siège allemand de Paris en 1870
VOUS AVEZ DIT BIZARRE ?
14
Garoé ou arbre saint pourvoyeur d’eau. Foire des fées dans la cité de Limes. Fattura ou « mauvais-oeil ».
INVENTIONS/DÉCOUVERTES
15
L’antimoine : sulfureux métal faisant polémique. Guy Patin contre l’antimoine. Un élixir de jouvence ?
INSTITUTIONS
18
Impôt des portes et fenêtres pour pallier le déficit budgétaire. Impôt arbitraire et onéreux à percevoir.
BULLETIN D’ABONNEMENT en page 35
MOEURS/COUTUMES
entremets entre les services pour divertir 20 Des les convives. 1378 : entremets de haut vol.
LÉGENDES/INSOLITE
vin et sel étaient considérés comme 21 Quand nécessaires à la contruction des ponts et des routes.
MÉTIERS
pour veiller sur le commerce. Ethique des 22 Mesureurs mesureurs de sel. Contrôle des oignons et pommes.
LE SAVIEZ-VOUS ?
et chariot de guerre. Avoir l’air piteux ou 25 Voltaire « revenir de Pontoise ». Reine pour les annonciades.
ARTS/INDUSTRIES
pêche française s’éprend du hareng. Théâtres de 26 Laguerre et hareng. Renouveau des pêcheries picardes.
MODE/COSTUMES
écharpe déroule ses vertus. Royalistes 29 L’ostensible et Ligueurs s’écharpent par couleurs interposées.
PERSONNAGES
sauve l’horloge de Strasbourg. Son 31 Schwilgué calendrier mécanique. Les honneurs pour Schwilgué.
LÉGENDES/INSOLITE
siècle : la peine des croix cousues 34 XIII sur les vêtements imposée aux hérétiques e
Numéro 35 – La France pittoresque
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LÉGENDES/INSOLITE
(
De l’Antiquité au XXe siècle
)
GARE À L’ASTRE MAL LUNÉ
!
L’ÉNIGMATIQUE et PUISSANTE
lune GENT FÉMININE
influence de la sur la
D
SPÉCIMEN
De la conception à l’accouchement et en dépit de protestations scientifiques s’élevant dès le XVIe siècle, la lune passe, dans la croyance populaire et depuis Aristote jusqu’au début du XXe siècle, pour exercer une considérable influence sur diverses phases de la génération humaine, fixant notamment le sexe de l’enfant ou déterminant la facilité de sa mise au monde insensé, « parce que la lumière lunaire a dilaté et ouvert ses pores par l’humidité qu’elle a répandue par tout son corps ». Chez les écrivains de la Renaissance, et chez Antoine Mizauld en particulier, la lune « semble soutenir et représenter l’état de la femme dans la génération et la conservation des choses de ce bas monde », et les femmes ont avec la lune « une manifeste sympathie, un consentement, un accord, une harmonie ». Le même reconnaît que, dans cette liaison de l’astre et du sexe L’astre humide et le sexe féminin, l’humidité joue un grand rôle : « La féminin intimement liés ? Lune a certaine puissance, autorité et priPline, Plutarque et Macrobe ont prétendu vilège sur les femmes et surtout sur les que cet astre produisait de l’humidité et parties et membres d’icelles qui sont destiétait la cause active de la dé- La Lune (milieu du XVIe siècle) nez à la génération, formation, composition des corps, garde et nourriture de leur le dernier expliquant de fruit et enfants comme la la sorte la coutume des matrice ou amarris, les nourrices de couvrir tétins ou mamelles et les avec soin les enfants parties qu’on appelle qu’elles allaitaient lorshonteuses, naturellement qu’elles marchaient sous humides et subjectes à l’action des rayons luplusieurs défluxions, naires : elles craignaient escoulements et que, remplis de l’humivuidanges », écrit-il endité naturelle à leur âge, core dans les Secrets de ils n’en prennent davanla Lune en 1571. tage par l’influence de la De toutes les croyances lune, et que par cet acrelatives aux influences croissement d’humidité, lunaires, aucune n’était leurs membres ne se aussi générale que celle contournent. Celui qui tendant à leur attribuer dort longtemps au clair un rôle dans le phénode lune éprouve du mamène mystérieux de la laise et ressemble à un menstruation et dans les
ans l’Antiquité, la lune fut tantôt associée au soleil pour former un couple divin, tantôt opposée au roi du jour. Tenant, au témoignage d’Homère, la femme dans son étroite dépendance, elle préside au sexe féminin d’après Galien, cette liaison s’expliquant par l’humidité commune à la lune et à la femme pour les Anciens, leurs facultés génératrices découlant de cette humidité même.
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La France pittoresque – Numéro 35
actes organiques qui en dépendent. Aristote affirme que « les fins de mois sont froides à cause de la disparition de la lune ; et c’est là ce qui fait que les fins de mois sont généralement plus agitées et plus refroidies que leurs milieux. C’est à cette période que l’excrétion, qui s’est changée en sang, tend à produire les évacuations menstruelles ». Il ajoute : « Le flux auquel les femmes sont sujettes se produit chaque mois. Aussi dit-on, par manière de plaisanterie, que la lune est un astre femelle, parce que c’est à la même époque que les femmes ont leurs évacuations épuratives et que la lune a son décours ; et qu’après l’écoulement et le déclin, les femmes et la lune deviennent pleines de nouveau ». Si au XVIe siècle Mizauld reconnaît que toutes les femmes n’ont pas leurs règles à la même période, il ne rejette pourtant pas l’influence de la lune en la matière : « les jeunes, comme par un certain consent et accord, se purgent communément quand la lune est jeune, c’est-à-dire, quand elle croist en lumière ; et les autres, selon leur aage proportionné et rapporté à celuy de la lune. Toutefois, je sçay que cela n’a lieu en toutes, et ne peut estre universel, pour les particuliers empeschements qui y peuvent fournir, et différence des températures ». Le grave Ambroise Paré justifie cette interprétation : « La lune est une planète qui seigneurie et émue les corps : de là vient que pour la diversité du cours d’icelle, la mer s’enfle, flue et reflue, les os s’emplissent de moelle, et les planètes d’humidité ; parquoi les jeunes, qui ont beaucoup de sang et sont plus fortes et gaillardes, sont aisément émues, voire au premier quartier et croissant de la lune nouvelle ; mais les vieilles, de tant qu’elles ont moins de sang, requièrent une lune pus forte et vigoureuse ; parquoi ne sont émues à avoir leurs mois, sinon en pleine lune, ou décroissante, en laquelle le sang amassé par la plénitude et vigueur de la lune passée, est aisément incité à couler et fluer ».
Une lune participant du flux menstruel et du sexe de l’enfant ? Au XVIIIe siècle, Richard Mead, grand champion de l’influence de la lune, propose et défend, avec succès, la théorie des marées atmosphériques, et croit pouvoir expliquer ainsi en 1704 la périodicité des pertes menstruelles chez les femmes, rencontrant cependant de sérieux opposants, parmi lesquels Zimmermann qui écrit en 1774 dans son Traité de l’expérience en général et en particulier dans l’art de guérir : « Il ne se passe pas de jour sans que quelques femmes aient leurs règles. D’ailleurs, il faudrait que toutes les fem-
LÉGENDES/INSOLITE
SPÉCIMEN
Dans son 28e opuscule, après avoir invoqué Aristote, saint Thomas suppose que la lune possède la propriété d’exciter l’humeur séminale ; « par l’influence du soleil, elle communique la vie à la semence qui est en mouvement, et d’un autre côté, par l’influence de Vénus, elle donne à la faculté génératrice de la semence d’imprimer les formes convenables de l’embryon. De plus, la planète Mercure tirant un mélange de propriétés de ses évolutions autour des autres planètes, la lune acquiert cette faculté de ses connexions avec cet astre et, par son influence, produit le mélange de la semence de l’homme et de la femme. L’enracinement de cette croyance n’est pas démenti lorsqu’en 1574 Levin Lemne, dans Les Occultes merveilles et secrets de la nature, estime l’action de l’astre fâcheuse lorsque l’homme connaît sa femme « au défaut de la lune et le quatrième jour après qu’elle est nouvelle – qui est lorsque les menstrues coulent aux femmes ». On avait alors coutume de dire en son pays que c’était « pisser contre la lune ». Un autre médecin du même temps, Jean Liébault, l’un des meilleurs savants d’alors, affirme savoir quels sont les phases et les lieux de la lune favorables à la génération : « à savoir quand la Lune est en l’un de ces trois signes : Cancer, Scorpion et les Poissons ; et encore mieux si la Lune est en la cinquième, dixième ou onzième maison du ciel, en l’un de ces trois signes ; outre cela, quand Jupiter et Vénus se regardent d’un aspect trine ou sextile, qui sont aspects bénins ; les malheureux aspects sont ceux de Saturne et de Mars, les médecins ayant expérimenté que la Lune a puissance et gouvernement sur les corps humains, et que leurs humeurs sont conduites selon le mouvement et cours d’icelle, ont aussi observé que la conjonction du mari avec la femme est toujours infauste, néfaste et malheureuse au déclin de la Lune, ou à la conjonction d’icelle avec le Soleil, c’est-à-dire à la lune nouvelle, mais que ceux qui sont conçus en ce temps naissent, non seulement difformes, mutilés, chétifs, tortus, bossus, contrefaits et maladifs, mais aussi sont stupides, sots, lourdeaux, dépourvus de tous bénéfices et dots de nature, de tous sens et entendement, de tout conseil, sagesse et jugement ; en tout et par tout mutilés, inhabiles entièrement à entreprendre ou conduire quelque bonne affaire, bref si malheureux en toutes leurs actions et entreprises, que rien ne vient à prospère succès de ce qu’ils attendent ; de là, les Latins ont tiré leur proverbe Quarta luna natus, quand ils veulent décrire une personne disgraciée en toutes ses actions ». D’APRÈS... L’astrologie populaire étudiée spécialement dans les doctrines et les traditions relatives à l’influence de la lune paru en 1937
mes eussent leurs règles le même jour, si cette opinion était quelque chose de plus qu’une hypothèse », trouve dans les phases lunaires la cause de l’éruption menstruelle et de son retour périodique. Nos ancêtres estimaient en général que le sexe de l’enfant à venir dépendait avant tout de la qualité de la semence, la lune agissant puissamment sur celle-ci ; et nous voyons Salgues devoir combattre encore, au tout début du XIXe siècle, ce préjugé au nom de l’observation scientifique :
Influence de la lune sur la tête des femmes (estampe du XVIIe siècle)
« Qu’importe la position d’un astre, quand un homme se livre aux travaux mystérieux de Lucine ? Si le germe qui doit former le roi de l’univers est mâle, l’aspect de la lune changera-t-il sa nature ? Et s’il est femelle, le transformera-t-il en mâle ? Le savant chirurgien Mauriceau a réfuté victorieusement ce préjugé dans son Traité des Maladies des Femmes grosses. Il a remar-
qué que, de onze femmes qu’il avait accouchées le même jour à l’Hôtel-Dieu, cinq eurent des garçons, et les six autres eurent des filles. Or, toutes ces femmes étaient accouchées à terme ; elles avaient donc conçu dans le même temps, sous le même aspect, la même position de la lune : elles devaient donc mettre au monde onze rois ou autant de petites reines de l’univers. La lune reçut ici un furieux démenti ».
Durée cruciale d’une grossesse mesurée en mois lunaires Durant tout le XIXe et même durant le premier quart du XXe siècle, cette croyance persistait. A cette époque, dans les Vosges et la Gironde, on pense que si une femme conçoit en jeune lune, son enfant appartiendra au sexe fort, en vieille lune au sexe faible. En Beauce et dans le Bourbonnais, lorsqu’un enfant va naître dans les cornes du décours, on peut dire à l’avance que ce sera un garçon. Mais il y a mieux encore : on peut déterminer le sexe de l’enfant de la grossesse future, si l’on connaît la phase de la lune qui présidait à la naissance du dernier-né. En Cornouailles, si un enfant naît en lune décroissante, le suivant sera une fille. En Poitou, si la lune ne change pas dans les huit jours qui suivent un accouchement, l’enfant à venir sera du même sexe que celui qui vient de naître, à moins qu’il ne soit conçu en vieille lune. En Normandie, en Anjou et en Loire-Atlantique, il suffit que la lune ne change pas dans les trois derniers jours. Dans le Morbihan, « s’il n’y
a pas eu de changement de quartier dans les vingt-quatre heures qui ont précédé ou suivi l’heure de la dernière naissance, l’enfant consécutif sera du même sexe », rapporte le Dr Fouquet dans Légendes, Contes, Chansons populaires du Morbihan. A Saint-Pol (Pas-de-Calais), le distique a valeur de proverbe : « Quand les enfants
Saturne arrosant les fleurs du soleil et de la lune dans le jardin de l’amour
viennent en décours, / Le suivant est une fille tout cours ». Le Dr Duprat résume ainsi le fondement de cette croyance : « la Nouvelle Lune est considérée empiriquement comme ayant une influence attractive (dite ascensionnelle, hypertrophique, etc.) et elle déterminerait les mâles ; la Pleine Lune aurait au contraire une influence dépressive et serait génératrice de femelles ». On comptait jadis le temps de la grossesse en mois lunaires, et la viabilité de l’enfant dépendait surtout de notre satellite, opinion remontant aux plus anciens observateurs des phénomènes célestes, aux Chaldéens, à qui sans doute elle fut empruntée par Pythagore et son école. De là elle se propagea parmi les médecins grecs Polybe, Dioclès, etc., et plus tard chez les Arabes. Ainsi, l’enfant était considéré comme non viable avant le 7e mois ; les 8e et 10e étaient défavorables ; les 9e et 11e donnaient à l’enfant une grande viabilité. Pour Pline, « les enfants conçus à la veille ou le lendemain du jour de la pleine lune, ou pendant l’interlune, sont les seuls qui naissent au 7e mois ». Pour l’auteur des Erreurs populaires touchant la médecine (1601), « il y a plus de raison que la lune conduise ce compte [le nombre de mois de la grossesse], plutôt que les autres planètes puisqu’elle conduit les menstrues des femmes qui sont la règle de la conception, de la nourriture de l’enfant dedans et en dehors de la matrice, en un mot de tout son avancement. Dont aussi les Anciens ont toujours eu recours à la Lune qu’ils appelaient diversement Diane et Lucine ». Livret populaire qui eut plus de 250 éditions du XVIIe au XIXe siècle, le Grand Albert fait large part à l’influence des astres sur le
SPÉCIMEN
Être ATTENTIF à la lune pour assurer sa DESCENDANCE
Numéro 35 – La France pittoresque
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LÉGENDES/INSOLITE
Les Anciens croyaient en outre fermement à l’action de la lune sur le travail de l’accouchement. Plutarque écrit dans ses Symposiaques : « On dit que la lune facilite les accouchements quand elle est dans son plein, et que le relâchement qu’elle procure
De l’emprise de la lune sur les MALADIES et les MÉDICAMENTS
Les Anciens étaient si persuadés que l’épila lunaison, des plaintes continuelles, un lepsie et certaines aliénations dépendent léger délire et une agitation sans repos. d’une maligne influence de la lune, qu’ils Mead cite l’exemple d’une fillette de cinq appelaient lunatiques les malheureux qui ans, atteinte d’un accès de danse de Sainten étaient frappés. On cite ainsi un grand Guy si effroyable qu’elle resta comme nombre d’exemples d’accès épileptiques morte. La pleine lune survint quelques jours éclatant particulièrement à la pleine lune ; après, et les paroxysmes de la maladie « je me souviens, dit le médecin anglais suivirent si régulièrement les périodes de Mead, que pendant la dernière cet astre, qu’ils répondaient parfaiguerre avec la France, j’eus tement aux marées ; elle perà traiter de cette maladie dait toujours la parole et la plusieurs de nos jeuconnaissance le temps nes matelots qui du flux, ne revenant à avaient contracté le elle qu’à l’époque du mal dans la frayeur reflux, état singulier du combat ou de persistant 14 jours, la tempête. La jusqu’au temps de puissance de la la nouvelle lune. lune se faisait telLa guérison définilement sentir sur tive fut obtenue eux, qu’il m’était par un cautère et facile de prédire le des purgatifs. retour de leurs acLes anciens médecès aux approches cins étaient persuade la nouvelle ou de dés que l’administrala pleine lune ». Thotion d’un médicament mas Bartholin rapporte devait s’opérer au mole cas d’une jeune fille épiment opportun. Ainsi, pour leptique ayant sur le visage chasser le ver solitaire, ils addes taches dont la couleur et ministraient le remède au paLa lune par le graveur les dimensions augmentaient Claude Mellan (XVIIe siècle) tient pendant la lune décroisou diminuaient selon les diffésante, parce que le parasite rentes phases lunaires : « telle est l’étenest alors moins vorace et, conséquemment, due de notre correspondance avec les corps oppose moins de résistance. Pour traiter la céleste », ajoute notre observateur. gale, ils avaient soin de ne donner le soufre Selon Charles Pison, une jeune fille était qu’à la lune décroissante, alors que le sarprise, chaque printemps aux environs de la copte est doué de moins d’activité et de pleine lune, de symptômes hystériques si moins d’énergie. Aux goîtreux, ils faisaient opiniâtres, qu’ils persistaient durant tout le prendre l’éponge calcinée un peu avant le quartier ; après vingt-quatre heures de moupremier quartier de la lune, et obtenaient vements assez vifs, elle perdait la parole et de la sorte de meilleurs résultats. D’APRÈS... De la météorologie dans ses rapports avec la science de l’homme et restait deux jours entiers dans un état principalement avec la médecine et l’hygiène publique (T. 2) paru en 1854 soporeux ; c’était ensuite, jusqu’à la fin de ET Moeurs intimes du passé (11e série) paru en 1935
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La France pittoresque – Numéro 35
Phases de la lune (extrait d’un atlas de 1708)
gente et maîtresse de toutes humidités, pour autant qu’elle-même, pour lors, est empêchée et débilitée. Ce qu’on ne voit guère advenir environ le temps de la pleine Lune. Car, lors, elle est féconde en lumière, et par conséquent en force et vigueur, laquelle libéralement elle communique à son sexe féminin, avec un occulte éguillonnement de ses eaux et vidanges utérines. Le tout, par une sympathie et harmonie cachées dans le cabinet de dame Nature ». Au XVIIe siècle, Bacon ne semble pas attacher grande importance à ces sortes de propos, bien qu’il affirme « possible que les enfants et le jeune bétail qui naissent durant la pleine lune soient plus grands et plus vigoureux que ceux qui naissent durant son déclin ». Guy Patin, grand adversaire des astrologues rassure ainsi son ami, le médecin Charles Spon : « Un peu de soin que vous apporterez à l’éducation de votre petit nouveau-né le garantira des accidents dont vous craignez qu’il soit menacé pour être né dans la nouvelle lune ». D’après la tradition populaire, le temps le plus favorable est celui qui correspond à la lune silencieuse ou à l’interlune, à savoir les trois derniers jours et les trois premiers jours du mois lunaire. En Cornouailles, on estimait que l’enfant né entre la vieille et la nouvelle lune n’atteindrait pas la puberté, et l’on disait couramment : pas de lune, pas d’homme. Les paysans du Bourbonnais jugeaient quant à eux les accouchements plus faciles en lune croissante qu’en lune décroissante. Au début du XXe siècle encore, dans le Morbihan, le garçon né dans le décours ne vivrait pas ; sur le littoral des Côtes-d’Armor et en Basse-Bretagne, c’est la fille qui, en pareil cas, était exposée à mourir ; en Normandie, en Ille-et-Vilaine, l’enfant, quel que soit son sexe, serait de complexion faible et demeurerait ainsi sa vie durant, alors qu’il serait vigoureux pour peu qu’il fût né dans le croissant ; en Béarn, on disait d’une personne prospère qu’elle était née quand la lune montait.
SPÉCIMEN
Pour un accouchement facile, une lune favorisant la moiteur
aux humeurs rend les douleurs moins vives », cependant qu’un autre passage du même auteur affirme que « de la lune nous viennent (...) les enfantements faciles ». Selon Varron, « les Latins semblent avoir donné à la lune le nom de Junon-Lucine parce que, depuis la conception jusqu’à l’accouchement, la lune aide au développement de l’enfant » ; et il ajoute : « Autrefois les femmes étaient dans l’usage de consacrer leurs sourcils à cette déesse, comme l’offrande la plus agréable pour elle, la partie du corps qui reçoit la lumière étant naturellement la plus digne de cette divinité ». Pour Mizauld, qui approuve les idées d’Aristote et de Plutarque, il y a risque si celles qui accouchent « se trouvent débilitées, faibles et en dangereuses peines qui proviennent le plus souvent (y exceptant les femmes maladives et la débilitation de leur fruit) par faute d’humidité ou moiteur requise en telle affaire. Laquelle ne peut être provoquée et avancée par la lune ré-
SPÉCIMEN
développement du foetus, et prétend que l’âme reçoit, des étoiles et des planètes, ses diverses qualités : « enfin la lune, qui est l’origine de toutes les vertus naturelles, la fortifie ». De son côté, le corps développe ses qualités propres sous les mêmes influences, chaque mois étant dominé par une planète ; « la lune achève le septième mois ce qui était commencé par les autres planètes ; car elle remplit de son humidité tous les vides qui se rencontrent dans la chair ». En Islande, si la femme enceinte commettait l’imprudence de regarder la lune en face, l’enfant qu’elle portait devenait lunatique.
D’APRÈS... > L’astrologie populaire étudiée spécialement dans les doctrines et les traditions relatives à l’influence de la lune paru en 1937 > Moeurs intimes du passé (11e série) paru en 1935 > De la météorologie dans ses rapports avec la science de l’homme et principalement avec la médecine et l’hygiène publique (T. 2) paru en 1854
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ne opinion assez généralement accréditée à Chauny, commune de l’Aisne, veut que le sobriquet de singes vienne de ce qu’un jour la municipalité, désirant peupler de cygnes les pièces d’eau de la ville, demanda à Paris un certain nombre de ces animaux. Or celui qui fut chargé de cette requête, soit par distraction, soit par ignorance, aurait écrit cynges au lieu de cygnes en mettant l’n avant le g, au lieu du g avant l’n, ce qui fit bien le mot cynges, comme on l’orthographiait alors. Les Parisiens envoyèrent donc une collection de sapajous, cet étrange quiproquo donnant naissance au sobriquet. Mais c’est une erreur, car au début du XVIIIe siècle, époque où cette aventure se serait produite, le dicton existait déjà depuis longtemps. Le Dit de l’Apostoile le cite au XIIIe siècle, et Rabelais, écrivant vers 1540, nous parle des « basteleurs, treiectaires [faiseurs de tours], et thériacleurs [vendeurs d’orviétan de patronale de Chauny, ils étaient tenus de thériaque, remède alors fort à la mode] », de revenir en cette ville et d’y donner un spec« leurs gestes, leurs ruses, leurs sobressaulx tacle de danse et de saults que le goût du et beau parler : singulièrement de ceulx de temps et un usage immémorial autoriChaunys en Picardie, car ilz sont de nature saient alors, nous révèlent les Causes du grands jaseurs et beaulx bailleurs de roi, bailliage de Chauny. Pasquier, dans baillivernes en manière de cinges verdz ». ses Recherches de la France, au chapitre Boileau de Maulaville en donne une autre des Chants royaux et Ballades, dit qu’en preuve en citant le quatrain suivant, cusa jeunesse il avait vu « les joingleurs se rieuse épigramme sur les singes de Chauny trouver à certain jour, tous les ans, en la qu’il a trouvée dans un manuscrit latin du ville de Chauny en Picardie, pour faire Moyen Age : « Calnia, dulce solum, cui monstre de leur mestier devant le monde à septem commoda vitae : / Poma, menus, qui mieux mieux », faisant ainsi allusion aux segetes, linum, pecus, herba, racemus ; / réjouissances annuelles du premier lundi Cujus et indigenis simii sunt propria septem : d’octobre qui se déroulaient à Chauny. / Fraus, amor, ira, jocus, levitas, imitatio, ricDes jongleurs gesticulant tus », qui se traduit par : « Chauny, riche et adeptes de singeries sol, qui possède ces sept biens de la vie : vergers, bois, moissons, lin, troupeaux, Ces jongleurs, précédés de violons, tambours, trompettes ou cornets, et autres insprairies et vignes, et dont les habitants postruments de musique bruyante, commensèdent ces sept attributs du singe : ruse, libertinage, colère, joyeuseté, légèreté, esçaient leur marche par la porte de Soissons, où ils sonnaient de la trompette, faiprit d’imitation, grimaces ». Ainsi, l’épithète de singes donnée aux Chauny en 1610 habitants de Chauny vient du goût prononcé qu’ils avaient pour les jeux publics, les jongleries, les singeries, et remonte au delà du XIIIe siècle. Dès cette époque, existait en effet à Chauny une corporation connue sous le nom de confrérie des Trompettes-Jongleurs, dont les membres avaient pour habitude de quitter leurs foyers pendant la belle saison pour aller chercher fortune dans d’autres lieux : ils conduisaient en laisse des sant de même à la porte des moulins, puis à singes et des chiens savants, et les faicelles des boucheries, d’où, après avoir parsaient danser sous les yeux du public, afin couru toute la ville, ils allaient se présenter d’en obtenir quelques pièces de monnaie. au lieutenant général du bailliage en chanTous les ans, le 1er octobre, jour de la fête
LES SEPT ATTRIBUTS DU SINGE
La confrérie des Trompettes-Jongleurs
de
CHAUNY SOBRIQUET à
Parmi les sobriquets donnés anciennement à plusieurs villes de Picardie, celui de Singes de Chauny a suscité plusieurs explications, la commune étant également connue pour son curieux vacher nommé Tout-le-monde tant, gesticulant, jouant, dansant et faisant faire des sauts et des gambades à un singe ou à un chien qu’ils avaient avec eux. Ils offraient à ce lieutenant une tarte ou un pâté de forme atypique, garni de marrons et de jaunes d’oeufs, surmonté de coqueluches ou cornets sur le couvercle de la tarte, et pour lequel ils percevaient cinq setiers de blé franc-moulu, sur les moulins de Chauny, et un muteau de boeuf sur les boucheries. Quant au proverbe Tout le monde, le Vacher de Chauny, il s’explique semble-t-il ainsi : il y eut jadis à Chauny un homme appelé Tout-le-monde, qui conserva longtemps la garde des vaches des habitants des faubourgs, cet emploi, peu remarquable ailleurs, étant sans doute plus important dans cette ville eu égard à la bonté des pâturages et à leur très grande étendue. Les enfants de Tout-le-monde lui ayant succédé dans ce même emploi, on était si accoutumé à nommer le vacher de Chauny Tout-le-monde, que les vachers qui suivirent jusqu’au XVIIIe siècle furent ainsi appelés. La légende lui prête une force et une taille monstrueuse ; on dit qu’il gardait les vaches à cheval et donnait du vin à boire dans son cornet d’argent à tous ceux qui le venaient voir par curiosité ; qu’il fut vacher soixante-dix ans, et vécut cent vingt ans ; qu’il ne perdit aucune bête, qu’il fut enterré dans la prairie de Sénicourt, l’un des faubourgs de Chauny, en un lieu appelé le SaintCamp ou le Camp-Solant ; que les bêtes n’y paissent pas par respect.
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L’ORIGINE d’un étrange
D’APRÈS... > Dictons et sobriquets populaires des départements de l’Aisne, de l’Oise et de la Somme paru en 1887 > Mémoires de l’Académie celtique paru en 1812
Numéro 35 – La France pittoresque
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DIACRES SAOULS DANS LES ÉGLISES
CAVALCADES et INDÉCENCES au menu de
la vivace
fête des FOUS
Devant semble-t-il son origine au penchant naturel des hommes pour les spectacles, la fête des Fous ou des diacres saouls se caractérise par l’élection d’un évêque donnant la bénédiction solennelle au peuple, et qui, assisté d’un clergé licencieux, devient le maître d’une extravagante cérémonie mêlant danses, chants et farces obscènes au grand dam de l’Eglise
L
es réjouissances marquant la fête des Fous et auxquelles les clercs, les diacres et les prêtres même s’adonnaient dans plusieurs églises pendant l’office divin, en certains jours, principalement depuis les fêtes de Noël jusqu’à l’Epiphanie – d’où l’appellation de fête des calendes –, donnaient lieu à des cérémonies singulières.
Travestissement et postures impudiques des fidèles On élisait dans les églises cathédrales un évêque ou un archevêque des fous, son élection étant confirmée par nombre de bouffonneries lui servant de sacre ; après quoi on le faisait officier pontificalement, jusqu’à donner la bénédiction publique et solennelle au peuple, devant lequel il portait la mitre, le concile de Paris tenu en 1212 mentionnant qu’un de ces fous prenait une crosse avec les autres ornements épiscopaux. Dans les églises exemptes ou qui relevaient immédiatement du Saint-Siège, on élisait un pape des fous à qui l’on donnait pareillement, et avec grande dérision, les ornements de la papauté, afin qu’il pût agir et officier comme le Saint-Père. Des pontifes et dignitaires de cette espèce étaient assistés d’un clergé aussi licencieux. Les prêtres étaient barbouillés de lie, masqués ou travestis de la manière la plus folle et la plus ridicule ; ils dansaient en entrant dans le choeur, et y chantaient des chansons obscènes ; les diacres et les sous-diacres mangeaient des saucisses sur
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l’autel, devant le célébrant, jouaient sous ses yeux aux cartes et aux dés, mettaient dans l’encensoir des morceaux de vieilles savates pour lui en faire respirer l’odeur. Après la messe, chacun courait, sautait et dansait par l’église, avec tant d’impudence que quelques-uns n’avaient pas honte de se porter à toutes sortes d’indécences, et de se dépouiller entièrement ; ensuite ils se faisaient traîner par les rues dans des tombereaux pleins d’ordures, d’où ils prenaient plaisir d’en jeter aux personnes qui s’assemblaient autour d’eux. Ils prenaient des postures lascives et faisaient des gestes impudiques, plusieurs monuments rappelant encore des farces impies, des crédences de stalles figurant des moines avec une marotte et des oreilles d’âne. À Vienne en Dauphiné, le 15 décembre, les plus jeunes clercs de l’église de SaintMaurice, que nous appelons novices, s’assemblaient après complies dans la sacristie ou dans le chapitre, pour choisir entre
Le roi des Fous à Notre-Dame de Paris
eux un évêque, qu’ils introduisaient ensuite dans le choeur avec la chape et la mitre, en chantant le Te Deum ; ils le faisaient asseoir sur le trône archiépiscopal, du côté droit, auprès du sanctuaire, et prenaient les places de ceux du haut choeur, qui descendaient aux stalles basses. Le lendemain, après dîner, on conduisait le jeune évêque en procession générale par toute la ville. L’archevêque de Vienne était tenu de donner à l’évêque des innocents trois florins, monnaie de Saint-Maurice, avec une mesure de vin et deux années de bois : il recevait aussi une charge de bois de chaque chanoine. Le jour de SaintEtienne, les diacres du bas choeur faisaient l’office, remplacés le jour de Saint-Jean l’évangéliste par les prêtres, auxquels succédaient le même jour les clercs et les novices. On faisait encore après vêpres une procession. La même coutume s’observait à Châlons-sur-Saône. Dans son Histoire de la métropole de Reims, dom Marlot présente la fête des Fous comme louable au commencement, mais à laquelle succédèrent ensuite des jeux si comiques et si bouffons, que l’on jugea à propos de l’abolir tout à fait, ajoutant qu’à Reims, la permission de faire ces sortes de fêtes avait été accordée par délibération du chapitre en 1479, ce dernier se chargeant des frais du festin, à la « condition que les cérémonies se feraient sans farce, sans bruit d’instruments, et sans cavalcade par la ville. (...) A la requête de Pierre Remy, grand archidiacre, il fut fait défense aux enfants de porter la mitre, la crosse et les autres ornements épiscopaux, suivant la pragmatique sanction renouvelée au concile de Bâle ».
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MOEURS/COUTUMES
Du IVe siècle au XVIIe siècle
Certaines contrées l’agrémentent du chant et de la prose de l’âne A Dijon, dans l’église de Saint-Etienne, on faisait une espèce de farce sur un théâtre devant cette église, où l’on récitait toutes sortes de sottises, et où l’on rasait la barbe du préchantre des fous. Les vicaires couraient par les rues, avec fifres, tambours, et autres instruments, portant des lanternes devant le préchantre. A Sens, la fête des Fous était célébrée avec la plus grande solennité. Au sein de l’office des fous, figure le triomphe de Bacchus, avec tous les accessoires de la vendange : le Dieu est debout, barbu, un peu âgé et nu ; près de lui, se trouve son ami Pan ; et son char, traîné par un centaure et une centauresse, semble sortir du sein des eaux sur lesquelles on voit les divinités de la mer. Vénus, Diane et d’autres dieux du paganisme, sont représentés dans les autres
MOEURS/COUTUMES rendait processionnellement à la porte principale de l’église, et deux chantres à grosse voix chantaient, dans le ton mineur, ces deux vers : « Lumière aujourd’hui, lumière de joie ! À mon avis, quiconque sera triste devra être éloigné de ces solennités ». Ils continuaient sur le même ton les vers suivants : « Que tous les sentiments d’envie soient bannis aujourd’hui ! Loin d’ici tout ce qui est triste ! Ceux qui célèbrent la fête de l’âne ne veulent que de la gaieté ». Deux chanoines, députés, se rendaient alors auprès de l’âne, pour le conduire à la table, qui était le lieu où le préchantre lisait l’ordre des cérémonies, et proclamait les noms de ceux qui devaient y prendre part. À Beauvais, le 14 janvier, l’âne portait sur son dos, jusqu’à la porte, une jeune fille, qui figurait la Vierge Marie tenant le petit Jésus entre ses bras. On couvrait le modeste animal d’une belle chape, et on le menait au lutrin.
La durée de l’office justifie d’abreuver âne et « convives » Les matines étaient séparées, ce jour-là, en trois nocturnes ou veilles : la longueur des nuits rendait la chose facile ; et d’ailleurs cet usage donnait un caractère plus singulier et plus particulier à cette fête. A chaque nocturne, on faisait une invitation. Du reste, l’office entier était une véritable rhapsodie de tout ce qui se chantait
L’extravagante FÊTE DES FOUS à la mode PROVENÇALE
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Ce n’était pas seulement dans les cathédrales et dans les collégiales que se déroulait la fête des Fous ; cette impiété passait jusque dans les monastères des moines et des religieuses. Dans une lettre de Mathurin de Neuré adressée en 1645 à son ami philosophe Gassendi, invective véhémente contre certaines pratiques de religion qu’il considère comme abusives et reproche aux Provençaux, le Chartreux s’exprime ainsi, à propos de la fête des Fous se déroulant à Antibes : « Jamais les païens n’ont solennisé avec tant d’extravagance leurs fêtes pleines de superstitions et d’erreurs, que l’on solennise la fête des Innocents à Antibes, chez les Cordeliers. Ni les religieux prêtres, ni les gardiens ne vont point au choeur ce jour-là ; les frères laïques, les frères coupe-choux, qui vont à la quête, ceux qui travaillent à la cuisine, les marmitons, ceux qui font le jardin, occupent leurs places dans l’église et disent qu’ils font l’office convenable à une telle fête lorsqu’ils font les fous et les furieux, et qu’ils le sont en effet ». Selon Neuré, les cérémonies avec lesquelles on célèbre cette fête sont aussi impertinentes et aussi folles qu’on faisait autrefois la cérémonie des faux dieux. Et de poursuivre : « Ils se revêtent d’ornements sacerdotaux, mais tout déchirés, s’ils en
trouvent, et tournés à l’envers ; ils tiennent dans leurs mains des livres renversés et à rebours, où ils font semblant de lire avec des lunettes dont ils ont ôté les verres, et auxquelles ils ont agencé des écorces d’orange, ce qui les rend si difformes et si épouvantables, qu’il faut l’avoir vu pour le croire, surtout après qu’ayant soufflé dans les encensoirs qu’ils tiennent en leurs mains et qu’ils remuent par dérision, ils se sont fait voler de la cendre au visage, et s’en sont couvert la tête les uns des autres. Dans cet équipage, ils ne chantent ni des hymnes, ni des psaumes, ni des messes à l’ordinaire, mais ils marmottent certains mots confus, et poussent des cris aussi fous, aussi désagréables et aussi discordants que ceux d’une troupe de pourceaux qui grondent ; de sorte que les bêtes brutes ne feraient pas moins bien qu’eux l’office de ce jour ; car il vaudrait mieux en effet amener des bêtes brutes dans l’église pour louer leur Créateur à leur manière, et ce serait assurément une plus sainte pratique d’en user ainsi, que d’y souffrir ces sortes de gens qui, se moquant de Dieu en voulant chanter ses louanges, sont plus fous et plus insensés que les animaux les plus insensés et les plus fous ». D’APRÈS... Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde (T. 8) paru en 1809
pendant le cours de l’année. On y retrouvait les pièces des autres offices, celles des fêtes des saints, des mystères, les chants de Pâques, ceux du carême, des fragments de psaumes : les morceaux tristes se mêlaient aux joyeux. L’office devait durer deux fois plus longtemps que ceux des plus grandes fêtes : il était bien nécessaire que chantres et assistants se désaltérassent ; aussi n’y manquaient-ils pas, ce rafraîchissement étant même indiqué par un article intitulé Conductus ad poculum. Dans les intervalles des leçons, on faisait manger et boire l’âne ; enfin, après les trois nocturnes, on le menait dans la nef, où tout le peuple, mêlé au clergé, dansait autour de lui, ou tâchait d’imiter son chant. La danse achevée, on le reconduisait au choeur, où le clergé terminait la fête. Pendant que l’on conduisait l’âne, on chantait le morceau suivant intitulé Conductus ad ludos, narrant la naissance de Jésus « qui efface les péchés du monde ». À Sens, après les premières vêpres et les complies, le préchantre conduisait alors dans les rues la bande joyeuse, précédée d’une énorme lanterne : on allait au grand théâtre dressé devant l’église ; on y répétait les farces les plus indécentes. Au chant et à la danse succédaient des seaux d’eau que l’on jetait sur la tête du préchantre. On rentrait pour les matines, où quelques hommes nus recevaient également plusieurs seaux d’eau sur le corps. Après vêpres on allait se mettre à table. Si ces fêtes se déroulaient initialement avec assez de simplicité, s’il ne s’y passait rien qui fût contre la bienséance, il s’y mêla bientôt beaucoup d’abus, principalement aux fêtes de la Circoncision et de l’Epiphanie. Outre les extravagances auxquelles on assistait ces deux jours-là, on prenait de force un homme, on le mettait sur un gril puis le portait ainsi dans les rues, en chantant des couplets obscènes et satiriques n’épargnant pas les ecclésiastiques. Si celui qui avait
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feuilles. L’office du jour de cette fête, dans laquelle on répétait cent fois cette exclamation consacrée dans les Bacchanales, Evohe ! Evohe ! renferme les prières les plus singulières et fut composé par Pierre de Corbeil, archevêque de Sens mort en 1222. Il commençait par quatre vers signifiant : « tous les ans la ville de Sens Fête des Fous dans une église célèbre, d’après les anciens usages, la fête des fous ; ce qui réjouit le préchantre ; cependant, tout l’honneur doit être pour le Christ, qui nous est et nous sera toujours favorable ». Le chant de la prose de l’âne était l’une des principales cérémonies de la fête des Fous ; elle avait lieu le jour de la Circoncision : son objet était d’honorer l’humble et utile animal qui avait assisté à la naissance du Christ, et l’avait porté sur son dos lors de son entrée dans Jérusalem. L’église de Sens était l’une de celles où cette solennité se faisait avec le plus d’appareil. Avant le commencement des vêpres, le clergé se
Réjouissances lors de la fête des Fous
été ainsi enlevé refusait de servir de jouet, il était injurié, battu, et contraint de payer une somme ou de fournir une justification pour se rédimer de cette vexation. L’Eglise
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MOEURS/COUTUMES
Assauts répétés de
de France en 1444, porte que dans le temps même de la « célébration de l’office divin », les ecclésiastiques y paraissaient les uns avec des masques d’une figure monstrueuse, les autres en habit de femmes, de gens insensés et d’hisTenu en 1404, le synode de Langres défend trions, et confirme qu’ils faisaient l’ofsous peine d’excommunication et de dix lifice et y assistaient en habits séculiers, vres tournois d’amende, non seulement aux ecclésiastiques, mais encore à tous les fidèqu’ils dansaient dans le choeur et y les, de jouer aux jeux déshonnêtes qu’on a chantaient des chansons dissolues, coutume de faire en certaines églises à la qu’ils y mangeaient jusque sur l’autel, y fête des Fous. Le concile de Bâle s’expliqua sur ces réjouissances par un décret de 1435 : couraient et dansaient sans aucune « Il y a un indigne abus qui se pratique dans honte. quelques églises, et qui est, qu’en certaines Les actes des conciles qui se tinrent à la fêtes de l’année, quelques-uns se revêtant d’habits pontificaux avec la mitre et la crosse, fin du XVe siècle ne parlent encore que des donnent la bénédiction, comme font les évêabus qu’il fallait en retrancher. Il y est stiques. D’autres s’habillent en rois et en ducs ; pulé que tous ceux à qui il est prescrit d’aset c’est ce qu’on appelle en quelques provinces, la Fête des Fous, des Innocents ou des sister à l’office de la Circoncision doivent Enfants. D’autres se masquent et représenêtre vêtus d’une manière convenable à leur tent des jeux de théâtre ; d’autres enfin, par dignité ecclésiastique, et chanter le plus des danses d’hommes et de femmes, attirent les spectateurs, et les portent à des ris mélodieusement qu’ils pourront, sans disdissolus ». Détestant ces désordres, ce consonance ; que chacun doit remplir son decile enjoignit, tant aux ordinaires qu’aux doyens voir sans être troublé et avec décence, suret aux recteurs des églises, sous peine de suspension de tous leurs revenus ecclésiastitout dans l’église ; qu’aux vêpres on ne ques durant trois mois, de ne plus permettre jettera sur le préchantre des fous que trois à l’avenir qu’on fasse ces jeux et ces badineseaux d’eau au plus ; qu’on ne doit point ries, ni dans l’église, qui doit être une maison de prière, ni dans le cimetière ; et de n’être conduire des hommes nus le lendemain de pas négligents à punir par les censures eccléNoël ; mais qu’il faut seulement les mener siastiques et par les autres peines du droit, au puits du cloître, et ne jeter sur eux qu’un ceux qui contreviendront à cette ordonnance. Le concile provincial de seau d’eau, sans Rouen tenu en 1445 stileur faire de mal ; pule : « Afin que le Créaque tous les conteur soit servi honnêtement et saintement, trevenants ence saint concile défend courront la peine de faire dans les églide suspension. Il ses ni dans les cimetières, les jeux vulgaireest cependant ment appelés des Fous, permis aux fous de où l’on porte des masfaire hors de ques, et où il se pratique quantité de choses l’église toutes les indécentes », les qualiautres cérémofiant de « contraires à nies d’usage, l’honnêteté cléricale ». En 1456, le concile propourvu qu’il n’en vincial de Reims tenu à arrive aucune inSoissons, « enjoint d’exjure ni aucun domterminer entièrement de toutes les églises et mage à personne. Manifestation contre l’abolition de tous les monastères de relide la fête des Fous de Nîmes En 1511, nous voyons engieux et religieuses de cette core un préchantre des fous, nommé Bissard, province, cet infâme abus qui s’y était introduit, et qui avait déjà été condamné par le se permettre de faire tondre la barbe et de concile de Bourges ; défend d’y faire des masjouer quelque personnage dans la fête de la carades, des jeux de théâtre, des danses, des Circoncision ; car cela lui avait été défendu, trafics, et autres choses qui troublent le service divin, ou qui blessent l’honneur des saints parlant à sa personne, et la fête des Fous lieux ». Quant au concile provincial de Sens tenu n’eut pas lieu cette année. Malgré la cenà Paris en 1528, il défend aux farceurs et aux sure de la Sorbonne, ces réjouissances bouffons d’entrer dans les églises pour y jouer du tambour, de la harpe, ou de quelque autre subsistèrent encore quelque temps, des instrument de musique ; et d’en jouer effecpermissions étant parfois accordées pour tivement, soit dans les églises, soit dans les leur tenue, avec des contraintes tendant lieux voisins des églises. Il défend ensuite de faire à l’avenir la fête des Fous. En vain, car le toujours à en diminuer l’indécence. Mais synode de Chartres de l’an 1575 doit renoucette fête ne cessa réellement pas avant la veler le décret du concile de Bâle « qui bannit e fin du XVI siècle. des églises les spectacles profanes, de crainte
L’EGLISE contre les
Réjouissances après l’office
n’approuva jamais cette fête qui, recevant des modifications dans les diverses contrées où elle était célébrée, prit différents noms en raison de quelques cérémonies bizarres qui y furent ajoutées ; ainsi on l’appelait la fête des Sous-diacres (fête des diacres saouls selon Ducange, par allusion à la débauche des diacres qui s’y abandonnaient aux excès du vin), des Cornards, des Innocents. Les évêques firent leur possible pour l’abolir, ordonnant des prières publiques, des processions et des jeûnes à cette occasion, ainsi qu’on peut le voir dans le concile de Tolède tenu en 633. Longtemps auparavant, saint Augustin avait commandé qu’on châtiât rigoureusement ceux qui seraient convaincus de cette impiété ; et depuis ce tempslà, les conciles, les papes et les évêques s’appliquèrent à détruire entièrement ces désordres.
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Une suppression de la fête qui se profile au fil des conciles
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DIACRES SAOULS
Selon Beleth, docteur en théologie de la faculté de Paris qui vivait à la fin du XIIe siècle et fait mention de quatre danses, il était des églises de certains diocèses où les évêques et archevêques, après la fête de Noël, jouaient aux dés, à la paume, à la boule et aux autres jeux ; dansaient et sautaient avec leur clergé, dans les monastères, dans les maisons épiscopales, et où ce divertissement s’appelait la liberté de décembre. Maurice, évêque de Paris, qui mourut vers 1196, avait travaillé à détruire ces folles superstitions ; mais il n’y put réussir, et un acte de 1245 tiré des archives du chapitre de Sens, nous apprend qu’à cette époque, Odon, évêque de cette église, prohiba les travestissements et réprima quelques-unes des dissolutions accompagnant toujours cette fête. Les désordres furent notamment prohibés en 1385 en vertu d’une bulle donnée par le pape Clément VI, sous peine d’excommunication encourue ipso facto et dont on ne pouvait être relevé qu’après une réparation suffisante de l’injure et du dommage. Cependant, une circulaire que l’université de Paris écrivit aux prélats et aux églises
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D’APRÈS... > Des comédiens et du clergé paru en 1825 > Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde (T. 8) paru en 1809 > Collection des meilleurs dissertations, notices et traités particuliers relatifs à l’Histoire de France (T. 9) paru en 1838 > La Revue philosophique, littéraire et politique paru en 1807
que Dieu ne soit offensé dans les lieux où l’on doit implorer sa miséricorde, et lui demander pardon des péchés que l’on a commis contre lui ». D’APRÈS... Cérémonies et coutumes religieuses de tous les peuples du monde (T. 8) paru en 1809
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I
ndispensables à la vie de la capitale et pourtant isolés, faibles, mal organisés car n’ayant ni apprentis, ni compagnons, ni maîtres, ni syndics, les gagne-deniers, dont l’existence légale avait été implicitement reconnue par nombre d’arrêts de police – dont l’ordonnance du 9 avril 1746 qui stipulait qu’ils devaient être inscrits aux bureaux de la police et porter à la boutonnière une plaque numérotée –, chargeaient et déchargeaient les voitures d’approvisionnement sur les ports et aux halles, s’occupaient aux déménagements, au transport des colis et lettres des particuliers dans l’intérieur de Paris, faisaient les commissions, aidaient au déplacement des lourds objets.
Les gagne-deniers s’insurgent avec violence contre la collusion
XVIe siècle XVIIe siècle XVIIIe siècle XIXe siècle
ÉVÉNEMENTS
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UN AVANT-GOÛT DE RÉVOLUTION
1786 : la contrariante GRÈVE des
GAGNE-DENIERS
muselée par le gouvernement
Éclatant suite au monopole accordé à une régie de transport détenue par des personnages liés au pouvoir, la grève des gagne-deniers remporte l’adhésion d’un peuple observant que dans le désarroi de la fortune de la France, celle des familles en faveur à la cour continue à s’affermir exigea l’intervention de deux escouades du guet de la garde de Paris. L’après-midi même, une foule de gagne-deniers manifestait ouvertement son intention de tirer son camarade des mains de la police, et pénétrait dans la cour du commissariat.
La police de Paris tente de ruiner la tentative de rassemblement En dépit de la sévérité de la justice que l’on pouvait redouter pour les fauteurs de trouble, on apprit le 5 janvier que ceux qui avaient été arrêtés lors de ce soulèvement général, « après interrogatoire, venaient d’obtenir le préau, ce qui semblait annoncer qu’ils ne seraient pas traités aussi rigoureusement qu’on l’avait appréhendé d’abord », nous révèle encore Hardy. Mais l’accalmie qui suivit cette nouvelle ne fut que très superficielle. Les gagne-deniers, décidés à lutter pour leur survie, se concertaient simplement. Le 10, dans la journée, un indicateur de police déguisé en maçon et qui flânait vers le marché Daguesseau, entendant un homme engager les gagnedeniers à se réunir le lendemain de grand matin à un endroit convenu pour porter un mémoire à Versailles, permit au lieutenant général de police Thiroux-Decrosne de déjouer le projet : le chevalier Dubois, commandant du guet à pied et à cheval, chargé d’endiguer l’émeute attendue, dépêcha place Louis XV (actuelle place de la Concorde) et dès six heures toute la police de Paris, assisté du guet. Mais si ces forces dispersèrent bien quelques rassemblements en route vers le rendez-vous, la foule devint de plus en plus dense, de plus en plus puis-
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Mais le 28 décembre 1785, on vit pour la première fois dans les rues de Paris circuler des petites voitures en forme de fourgon, peintes en rouge et conduites par deux hommes du plus pittoresque costume : veste verte à parements et collet rouge, curégime étaient réduites tant pour subsister lotte de matelot, grise, chapeau ciré et raque pour alimenter des favoris qui, par leur battu ; sur la poitrine, une plaque de métal cortège de luxe, donnaient encore une illuaux armes du roi. Le même jour parut une sion de solidité au gouvernement du roi. Il ordonnance, annexée au Journal de Paris, n’en fallait pas tant pour que la cause des expliquant que ces voitures étaient « destigagne-deniers suscitât immédiatement de nées à transporter toutes sortes de paquets l’intérêt : le public prit d’autant plus facilegros ou petits d’un quartier dans un autre, ment fait et cause pour eux que ces voitupourquoi elles faisaient leur ronde quatre res rouges qu’on voulait lui imposer faifois le jour dans chaque district ». Le mosaient double emploi avec la fonction des nopole de ce système gagne-deniers, sans ofLouis Le Tonnelier de Breteuil, de transport, dont on frir d’avantages nouministre de Paris (1783-1788) attendait de confortaveaux. De suite le bruit bles bénéfices, avait été courut que le gouverneaccordé à une puisment avait déjà touché sante compagnie reconsur l’entreprise 90 000 nue, installée par le goulivres, et on citait tout vernement et dans lahaut les noms de ceux quelle, on le devinait, de au profit de qui avait été grands personnages institué ce privilège : les avaient des intérêts. Polignac, « qui jouisProtestant immédiatesaient à la cour dans le ment, les gagne-demoment actuel du plus niers non seulement grand crédit, M. le baattaquèrent les conron de Breteuil, ministre ducteurs des voitures du département de Pade la nouvelle régie qui ris, etc. », écrit Siméonne purent plus circuler Prosper Hardy dans qu’escortés de plusieurs soldats de la Mes loisirs ou Journal d’événements tels garde de Paris, mais déclarèrent dans le qu’ils parviennent à ma connaissance. même temps la grève, cessant, ce qui était Les choses se seraient peut-être bornées fort gênant pour l’alimentation de Paris, à quelques chansons, quelques parades de charger et décharger sur les ports et et une désertion du travail relativement aux halles comme de livrer la marchandise. calme, lorsqu’au matin du 2 janvier 1786, Mais pour des sujets accablés d’impôts et un gagne-denier nommé Maréchal, avide livrés à tous les hasards d’une administrad’en découdre avec le premier conducteur tion d’aventures, cette révolte mettait à nu de la nouvelle régie qu’il rencontrerait, fut les expédients auxquels les finances du arrêté suite à la bagarre qu’il initia et qui
Numéro 35 – La France pittoresque
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ÉVÉNEMENTS
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On pouvait croire, après l’arrestation de Maréchal le 2 janvier 1786, que le mouvement de grogne avait vécu, quand soudain vers trois heures, la rue des Noyers, sur un mot d’ordre parti d’on ne sait où, est envahie par une foule de gagne-deniers qui bientôt, dans un tumulte effrayant de chants violents, de cris exaspérés, de vociférations menaçantes, pénètrent dans la cour du commissariat en vue de libérer leur confrère. Ils sont d’abord 200 manifestants ; une voiture de bois passe, ils l’arrêtent, la pillent et à coups de bûches attaquent le poste qui n’est pas en nombre. L’un d’eux même, armé de ses crochets professionnels, frappe un soldat à la tête. Cependant, le nombre des émeutiers s’augmente de tout un peuple descendu du faubourg Saint-Marcel et qui presse de plus en plus la garde du poste. Railleries et coups tombent à la fois sur les soldats qu’on essaye de désarmer. Quelques fusils sont cassés à coups de bâton. Une escouade de 200 hommes du guet, baïonnette au fusil, arrive en courant et, maltraitant les grévistes, les repousse hors de la rue des Noyers qu’elle occupe, ne laissant plus passer que les voitures. Cinq des manifestants sont restés aux mains de la police. Vers quatre heures et demie du soir, Pierre Clément, âgé de 33 ans, caissier du sieur Germain, receveur des impositions royales, sort de son bureau, rue Saint-Jacques, et veut entrer dans la rue des Noyers. Pris pour un commis de la nouvelle régie, il est immédiatement assailli par un groupe de gagne-deniers armés de bâtons et ne doit son salut qu’à « une femme herboriste qui tient une petite boutique au coin de la rue des Noyers » et lui donne retraite, mentionnent les archives du commissaires Dupuy. Vers six heures et demie, on décide d’écrouer les mutins au Châtelet, sans omettre de prendre de grandes précautions. On barre complètement la rue des Noyers, on ne laisse plus passer que les personnes « bien vêtues », celles qui peuvent justifier qu’elles y demeurent ou y ont des affaires. Puis les coupables sortent du commissariat, liés, garrottés, escortés chacun de trois soldats de front, entourés d’une brigade du guet à cheval, d’un fort piquet de soldats à pied, baïonnette au canon. Des cavaliers ouvrent le cortège et font arrêter les voitures, et ce sont ainsi 200 hommes qui accompagnent les prisonniers. Tandis que les grévistes arrêtés sont conduits au Châtelet, 500 de leurs camarades se portent vers le quai et le pont de la Tournelle, pensant que l’on dirige les captifs sur la Force. Lorsqu’ils prennent conscience de leur erreur, ils se dirigent vers la rue des Noyers, un infernal tapage se prolongeant assez tard dans la soirée. D’APRÈS... Revue historique paru en 1910
sante. Tous les faubourgs déversaient leur chemin de Paris qu’une seconde colonne peuple de miséreux vers le centre, les gagneplus nombreuse et plus excitée se rue sur deniers tentant de détourner les porteurs la maréchaussée et la déborde. La troupe d’eau et de les entraîner à leur suite. est forcée de se retirer et ouvre la route du L’impressionnant déploiement de troupes palais. fut vain ; les gagne-deniers, au nombre de Un pouvoir « organisant » la sept à huit cents, se mirent en route pour sédition pour mieux l’endiguer Versailles, en vue d’en appeler au roi Cependant, quelques cavaliers gagnent comme à un arbitre équitable et à un souVersailles et donnent l’alarme. Les gardes verain tutélaire. Les chroniques du temps françaises et suisses prennent immédiatenous apprennent que bientôt les premiers ment position dans les avenues. Les gaarrivent à Sèvres, près de la grille du parc gne-deniers arrivent, et on parlemente de de Saint-Cloud, courant à perdre haleine, nouveau ; les officiers, « du ton le plus comme poursuivis, stupéfaits, peut-être, imposant, quoiqu’en même de leur hardiesse, une foule La duchesse de Polignac, temps le plus modéré et énorme marchant assez personnage influent de la cour le plus honnête, étaient loin derrière eux. Les ofparvenus à leur persuaficiers de la maréchausder qu’ils ne pourraient sée, qui s’avancent et voir le roi ni parler à Sa parlementent avec eux, Majesté qui était à la ont reçu des ordres préchasse, d’où elle ne recis leur recommandant viendrait pas de sitôt ». la douceur, la modéraOn décide alors d’un tion, de tout faire et tout commun accord que 24 supporter pour éviter gagne-deniers seront adune effusion de sang. mis à la grille du château, Ils décident les gagne12 à la première cour, jusdeniers à députer 12 qu’à la deuxième grille, et d’entre eux à Versailles 6 seulement, porteurs avec le placet qu’ils veud’un mémoire, seront adlent remettre au roi. Mais mis dans la galerie. Ces à peine cette première derniers attendent trois bande calmée et conheures et, quand ils sont vaincue a-t-elle repris le
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La France pittoresque – Numéro 35
convaincus que le roi est absent, se décident à laisser leur placet entre les mains d’un officier des gardes du corps, qui le remettra au premier gentilhomme de la chambre, lequel le fera passer sous les yeux du roi. La foule reprend la route de Paris en promettant de revenir si satisfaction n’est Place Louis XV au XVIIIe siècle
pas obtenue le mercredi 18. La police opéra quelques arrestations, et le 19 janvier, vers midi, en vertu d’un arrêt rendu en chambre criminelle du Parlement, Blaise Chancel, gagne-denier de la place Cambrai, Jean Taillaud, brocanteur de la Montagne-Sainte-Geneviève, « sont conduits avec la plus nombreuse escorte de soldats de la compagnie de robe courte, soutenus de plusieurs brigades du guet à cheval, (...) ayant chacun un écriteau devant et derrière portant ces mots : Violent et rebelle envers la garde », rapporte Hardy, pour demeurer attachés place Maubert au carcan depuis midi jusqu’à deux heures à des poteaux qu’on avait eu la précaution d’y faire planter dès sept heures du matin. Le vendredi, ils subirent une nouvelle exposition « dans la place des hale » et le samedi place de Grève. Ils furent ensuite bannis pour neuf ans de la ville, prévôté et vicomté de Paris, interdits de séjour et condamnés chacun à 3 livres d’amende. L’opinion publique ne les abandonna point ; pendant qu’ils étaient exposés au carcan, la foule, émue, fit une collecte en leur faveur. Le premier jour, place Maubert, on recueillit 48 livres, 236 le troisième jour, sur la place de Grève. Quant aux premiers acteurs du mouvement, Antoine Clément, dit Maréchal, François Chassaint et Jacques Cissac, les gagne-deniers qui avaient parié d’insulter les « suppôts de la nouvelle régie », ils furent mandés dans la chambre pour y être admonestés, « étant debout derrière le barreau », et condamnés chacun à 3 livres d’amende. Les petites voitures rouges continuèrent à circuler, sous escorte, pendant quelque temps. Pratiquement, la grève des gagnedeniers n’avait eu aucun résultat.
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L’ARRESTATION d’un gagne-deniers signe le début des HOSTILITÉS
D’APRÈS... > Revue historique paru en 1910
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FAUNE/FLORE
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LA DÉFENSE FRANÇAISE JOUE À PIGEON VOLE Le siège
de Paris révèle
les précieuses aptitudes des
PIGEONS voyageurs Déjà employé par les Egyptiens, le pigeon voyageur messager tarde à s’imposer en Europe, et connaît son heure de gloire lorsque Paris, assiégée par les Allemands, peut ainsi communiquer avec le reste du pays en 1870 l’extérieur, mais encore celle d’en recevoir de la province, assurant la communication permanente de la capitale avec l’intérieur du pays en dépit de l’investissement allemand, de la destruction des voies ferrées et des lignes télégraphiques.
Une façon très efficace de rétablir les communications Au commencement du siège, 800 pigeons provenant de diverses villes du Nord étaient déjà internés dans Paris ; cependant, soit oubli, soit inadvertance, on n’avait pas réquisitionné les oiseaux appartenant aux Sociétés colombophiles de la capitale, de sorte que la moitié seulement du programme des colombophiles put être rempli : Paris fut bien en état de donner de ses nouvelles à la province, mais il lui fut impossible ou difficile d’en recevoir
Plumes de pigeons voyageurs portant les timbres du point de départ
de l’extérieur. Le 23 septembre 1870 se présenta l’occasion de combler cette lacune, lorsqu’un certain Van Roosebecke, viceprésident de la Société colombophile l’Espérance, eut l’idée, en voyant l’aérostat le Neptune s’élever à Paris pour se diriger au delà des lignes allemandes, d’utiliser
un ballon emportant un sac de dépêches pour y glisser également une cage contenant quelques pigeons voyageurs nés dans les colombiers de la capitale : où que tombât l’aéronaute, pourvu que ce fût en dehors des lignes ennemis, il lui serait facile de faire passer ces pigeons au siège du gouvernement de la Défense, et là, on n’aurait plus qu’à les conserver pour les lâcher suivant les besoins. Le premier essai eut lieu le 25 septembre, le ballon la Ville-de-Florence emportant trois pigeons ; six heures plus tard, Paris savait que l’aéronaute Mangin avait atterri à Vernouillet et partait pour Tours avec les dépêches officielles. D’autres tentatives, pourtant fructueuses, ne donnèrent pas satisfaction à Van Roosebecke, qui estimait qu’à l’aide d’un lâcher des pigeons correctement effectué, Paris pouvait être journellement au courant de ce qui se passait en province. Plusieurs colombophiles partageant cet avis, s’associèrent à lui pour obtenir du gouvernement l’autorisation de convoyer en personne leurs pigeons en province : du 12 octobre au 18 novembre, ils quittèrent eux-mêmes la capitale en ballon, emportant chacun un nombre suffisant de messagers pour donner à la correspondance le caractère de continuité et de régularité qui lui manquait. Grâce aux pigeons voyageurs, Paris assiégée put recevoir 115 000 dépêches officielles et 1 million de dépêches privées ou de mandats-poste photo-microscopiques, c’est-àdire en moyenne de quatre à cinq lettres par famille pour la période du siège.
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S
i les princes de la IVe dynastie égyptienne (2500 ans av. J.-C.) utilisaient des pigeons messagers pour leur correspondance, cet oiseau paraît n’avoir été possédé par les Grecs qu’un peu après la période d’Homère (fin du VIIIe siècle av. J.-C.), et les Hellènes n’avaient pas vu d’individus à plumage blanc jusqu’au Ve siècle avant notre ère ; ces individus blancs venant vraisemblablement de Perse. Le même pays passe pour avoir donné le pigeon à l’Egypte, mais à une époque plus reculée, car dès le temps d’Aristote (IVe siècle av. J.-C.) l’animal était devenu un des oiseaux les plus communément et les plus habilement cultivés dans la plaine du Nil. En 1125, les Vénitiens ayant mis le siège devant Tyr, avaient eu connaissance de la poste par pigeons voyageurs et avaient su retourner contre leurs adversaires le système de correspondance usité par ces derniers, en capturant l’un de ces oiseaux et en substituant le message dont il était porteur par un autre. En 1167, le sultan Nour-Eddin réorganisa le service des pigeons messagers et unit ainsi Bagdad aux principales villes de son empire, et le calife Achmed étendait l’organisation jusqu’à la Syrie ; le réseau fonctionnait pleinement en 1249 quand le roi Saint-Louis débarqua devant Damiette, et Joinville rapporte que l’arrivée du roi de France fut annoncée « par trois foys, par coulons messagiers ». Pourtant, à cette date encore, le pigeon voyageur paraît avoir été complètement ignoré en Europe ; cependant qu’au siècle suivant, on le voit communément employé pour les usages de la guerre. Mais en dépit des services rendus, on ne les voit utilisés dans aucune guerre des XVIIe et XVIIIe siècles. L’oiseau messager connut de nouveau son heure de gloire en France durant le siège de Paris. Fin août 1870, diverses personnes adonnées à la colombophilie, informées par les journaux de la marche des armées allemandes sur la capitale et de la possibilité d’un siège, informèrent le ministre de la Guerre des services qu’on pouvait attendre des pigeons voyageurs, et arguant de son usage pour la poste en Belgique, prônèrent les mesures suivantes : 1° Réquisitionner, moyennant indemnité, tous les pigeons voyageurs détenus par les Sociétés colombophiles de la capitale ; 2° Faire sortir de Paris ces messagers avant l’arrivée des Allemands ; 3° Réquisitionner à Lille et à Roubaix tous les pigeons des Sociétés colombophiles de ces deux villes ; 4° Transporter ces oiseaux à Paris avant l’arrivée des Allemands. Ainsi, on se donnerait non seulement la possibilité pour Paris d’envoyer de ses nouvelles à
De l’Antiquité au XIXe siècle
D’APRÈS... > Le Mois littéraire et pittoresque paru en 1909
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V OUS AVEZ DIT BIZARRE ? pourvoyeur d’EAU
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Attirant spécialement l’attention des savants, l’île de Fer (Canaries) fut longtemps le point d’où les géographes comptèrent la longitude, Louis XIII érigeant en 1634 cette coutume en loi, laquelle fut suivie par l’Europe jusqu’au début du XIXe siècle. La plus ancienne description de cette île fut consignée par Jean de Béthencourt en 1402 : « Le païs est haut et assez plein, garny de grands bocages de pins et de lauriers portant meures si grosses et si longues que merveilles, et sont les terres bonnes pour labourer bled, vin et toutes autres choses. On y trouve maints autres arbres portant fruicts de diverses conditions ». Il existait au sein de cette île avant qu’il ne fût détruit par un ouragan en 1625, un arbre appelé garoé ou encore arbre saint, que plusieurs écrivains mal informés ont traité de « fabuleux ». Selon Abreu Galindo, historien des Canaries, son tronc avait 6 mètres de hauteur, et sa tête, ronde, près de 60 mètres de circonférence ; le feuillage en était fort touffu, consistant, poli, ne tombant point, et toujours vert, comme celui du laurier, mais plus grand. Du côté du nord, on avait élevé deux grands bassins, de 40 mètres de surface et de 6 mètres de profondeur, afin que l’eau tombant de l’arbre y fût retenue. Le même historien, écrivant au début du XVIIe siècle, explique qu’ « il arrive souvent, et sur le matin, qu’il s’élève de la terre, non loin de la vallée, des vapeurs et des nuages, qui sont portés par les vents d’est, fréquents en ces parages, contre les grands rochers qui semblent destinés à les arrêter ; ces vapeurs s’amoncellent sur l’arbre et s’y résolvent en gouttes sur ses feuilles polies. La grande ronce, les hêtres et les buissons du voisinage, les condensent de la même manière. Plus les vents d’est ont régné, plus la récolte d’eau est abondante ; les réservoirs s’en remplissant, on en récolte plus de vingt outres pleines ».
Le garoé Pour l’humaniste hollandais Olfert Dapper, qui écrit dans la deuxième moitié du XVIIe siècle, ce garoé était unique dans l’île de Fer, et « les nuages qui en couvrent la cime, excepté pendant les fortes chaleurs du jour, y répandent une rosée si abondante qu’on en voit conti-
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nuellement couler de l’eau, et qu’il en tombe chaque jour vingt tonneaux dans des citernes de pierre, profondes de seize pieds et larges de vingt ».
Enceinte de la cité de Limes
Linschoten et beaucoup d’autres voyageurs rapportent la même chose, à cela près que plusieurs ne parlent pas de citernes, et prétendent que les habitants viennent recevoir l’eau dans des vases. Richard Hawkins, voyageur anglais, se rapproche de la vérité en attribuant à plusieurs arbres ce que les autres attribuent à un seul : « Il y a, dans une vallée, un arbre d’une hauteur immense, entouré d’une forêt épaisse de grands pins qui, étant défendus contre les ardeurs du soleil par les montages voisines, reçoivent sur leurs feuilles les vapeurs qui s’exhalent de la vallée, et retombent ensuite sur la terre, après s’être condensées en nuages ».
D’APRÈS... Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses paru en 1868 ET Voyage pittoresque à l’Ile-de-France, etc. (T. 1) paru en 1812
Conjurer LA
La foire des FÉES dans la cité de LIMES
A une demi-lieue au nord-est de Dieppe, près du village de Puys, on trouve, au sommet d’une côte, un plateau entouré de tous côtés de grands retranchements, excepté du côté de la mer, où la falaise le rend inaccessible. Ces retranchements forment une enceinte de plus de 1800 toises de tour, si on y joint la partie de falaise qui la borde. Cette vaste enceinte porte, dans de vieux titres, le nom de Cité de Limes, et, dans les dénominations modernes, le nom de Camp de César, et de Catel ou Castel. On disait que les fées avaient coutume d’y tenir une foire ; là elles excitaient la convoitise des assistants par l’offre des marchandises merveilleuses que recèlent leurs trésors magiques : c’étaient des plantes surnaturelles, guérissant les maladies de l’âme aussi bien que les blessures du corps ; des parfums qui rendent la jeunesse immortelle ; des fleurs qui chantent pour charmer les ennuis du coeur ; des pierres précieuses, dont chacune est douée d’une vertu particulière ; le grenat, qui fait braver tous les dangers et préserve de tous les malheurs ; le saphir, qui rend chaste et pur ; l’onyx, qui donne santé et beauté, et fait revoir, en songe, l’ami absent ; puis, des pierres antiques qu’une main inconnue a gravées, et dont chaque image est un talisman de bonheur et de gloire ; des armes invincibles, des miroirs magiques où se lit l’avenir, où se dévoilent les plus intimes secrets de l’âme ; des oiseaux devins, comme le Caladrius, qui s’empare de la maladie avec un regard, mais qui détourne sa vue de ceux qu’il ne peut guérir et dont la mort est proche ; de beaux oiseaux parleurs enseignant aux hommes une philosophie simple et persuasive. Ajoutez à ces précieuses merveilles tout le léger bagage des toilettes féeriques : de magnifiques écrins, où brillent, au lieu de diamants et avec des feux mille fois plus étincelants et plus limpides, des gouttes de rosée que l’art des fées a su cristalliser ; une collection de petites ailes de fées, souples et flexibles, parées d’une mosaïque à mille couleurs, pour laquelle ont été dépouillés les plus jolis insectes de la création ; des tuniques aériennes, tissées de ces filandres cotonneuses qui voltigent dans les airs ; de mignonnes aigrettes, formées de ces globes duveteux qu’un souffle éparpille ; de folâtres écharpes que l’arc-en-ciel a teintes. Mais, hélas, il semble que toujours l’homme soit sacrilège en se saisissant du plus fragile bonheur. Fasciné ou vaincu, quelqu’un des assistants avançait-il la main pour s’emparer de l’objet désiré, le perfide courroux des fées ne faisait point attendre sa vengeance : elles précipitaient du haut de la falaise le malheureux qu’elles avaient séduit. D’APRÈS... La Normandie romanesque et merveilleuse paru en 1845
FATTURA ou « mauvais-oeil »
Au nombre des superstitions corses ayant encore cours au XIXe siècle, on comptait la fattura, c’està-dire le mauvais-oeil. On ne désigne alors jamais personne comme possédant cet esprit malfaisant ; mais si quelqu’un s’approche d’un enfant et lui dit qu’il est beau, sage, etc., il faut qu’il y joigne : Que Dieu le bénisse, autrement la mère, ou la personne qui tient l’enfant, lui fait des reproches. Lorsqu’une femme craint que son fils soit innochiato, frappé du mauvais-oeil, elle s’empresse d’appeler la femme qui sache le charmer. Cette femme, qui jouit de la réputation de guérir les enfants atteints de cette maladie, arrive, regarde l’enfant, et puis elle se fait apprêter une lampe de cuisine en fer, qu’elle allume ; elle fait ensuite verser de l’eau dans une assiette qu’elle confie à une personne qui se trouve dans la maison ; tout cela fait, elle commence par se signer trois fois de la croix et récite en secret des prières. Lorsqu’elle a fini, elle recommence le signe de la croix, et faisant apporter l’assiette qui contient l’eau, au-dessus de la tête de l’enfant, elle plonge deux de ses doigts dans l’huile de la lampe et laisse tomber quelques gouttes dans l’assiette : c’est d’après les formes que ces gouttes d’huile
La France pittoresque – Numéro 35
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LE GAROÉ ou arbre saint
prennent en tombant dans l’eau qu’elle prononce les oracles. Si les gouttes d’huile ne donnent pas à la femme une assurance complète que l’enfant soit atteint par le mauvais-oeil , alors elle renouvelle le charme pour le mal des vers, dont les enfants sont souvent exposés à être tourmentés. Pour procéder à cette opération, elle prend une balle de plomb, qu’elle met dans une lampe en fer sans huile ; elle place cette lampe sur les charbons ardents ; lorsque le plomb est fondu, elle prend une assiette où l’on a versé de l’eau, et après s’être signée encore trois fois du signe de la croix et avoir dit des mots en secret, elle verse le plomb fondu dans l’assiette. Si le métal, en touchant l’eau, se sépare en lignes se dirigeant d’un côté et d’autre, alors le malade est vraiment atteint par les vers ; mais si le plomb forme une masse, elle prononce ses oracles et affirme que le mal des vers n’y est pour rien. Enfin, si dans le mauvais-oeil, comme dans le mal des vers, les signes se montrent apparents par l’effet que produit le charme sur le malade, la femme prononce la guérison complète et instantanée de l’enfant. A l’époque dont nous parlons, curés et prêtres n’avaient pu obtenir de ces femmes de renoncer à leurs enchantements, ni même d’y croire.
D’APRÈS... Histoire illustrée de la Corse, contenant environ trois cents dessins représentant divers sujets de géographie et d’histoire naturelle, les costumes anciens et modernes, les usages, etc. paru en 1863
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Paracelse prête à l’antimoine de merveilleuses vertus Dioscoride le décrit comme « un excellent médicament pour raffermir les chairs et les consolider, cicatriser les ulcères et les brûlures, sécher les ulcérations des yeux, arrêter les hémorragies provenant des méninges », propriétés également signalées par Pline, qui nous donne même le moyen de préparer le médicament à base de sulfure d’antimoine natif, tel que l’extraction minière le livrait à nos ancêtres : « On le brûle dans une tourtière, après l’avoir entouré de fumier de boeuf ; puis on l’éteint avec du lait de femme et on le broie dans un mortier avec de l’eau de pluie ». Mais les Grecs et les Romains, loin de soupçonner les plus importantes propriétés de ce métalloïde, le réservèrent exclusivement pour l’usage externe, son introduction dans la thérapeutique interne le devant aux alchimistes, qui vers la fin du Moyen Age le travaillèrent à l’envi et conçurent ainsi : le régule d’antimoine, régule signifiant petit roi, l’antimoine étant supposé l’un des éléments de l’or ; les oxysulfures d’antimoine, sous les noms de safran des métaux (ou crocus metallorum) et de verre d’antimoine ; l’antimoine diaphorétique ; le vin antimonié ou émétique, qui s’obtenait par macération de vins blancs sur le safran des métaux ou sur le verre d’antimoine. Les premiers documents positifs à l’égard de cet usage interne se trouvent dans l’oeuvre de Paracelse, né en 1493 et hardi promoteur des remèdes énergiques empruntés à la chimie minérale, qui recommande l’antimoine contre plusieurs maladies, lui prête de merveilleuses vertus, entre autres celles de restaurer et de renou-
) INVENTIONS/DÉCOUVERTES
SULFUREUX MÉTAL TRIOMPHANT DE L’OPPROBRE Une GUERRE de 100
ANS
DIVISE LES MÉDECINS sur l’usage
antimoine
de l’
Réservé originellement à l’usage externe avant d’être suggéré comme remède interne par les alchimistes puis proscrit en 1566 par le parlement et la Faculté de Paris, l’antimoine et sa préparation le vin émétique, vanté avec une exagération que la persécution pouvait seule justifier, alimente de vifs débats agitant le corps médical durant un siècle veler toutes les forces et facultés du corps. Toutefois, il ne s’attribue pas la priorité de son emploi, et cite Avicennes comme en ayant fait le remède du mal caduc ou épilepsie. Peu après la mort de l’alchimiste, survenue en 1541, parut en 1564 un autre ouvrage sur le même thème, de Louis de Launay, médecin de La Rochelle. Sous l’influence de ce livre et de la pratique de son auteur, les remèdes antimoniaux commencèrent à se généraliser en France, et une lutte ardente s’ouvrit entre les partisans et adversaires de cette substance. La Faculté Paracelse
de médecine de Paris intervint dès le 3 août 1566, en proscrivant par décret l’antimoine comme poison, et sollicita un arrêt conforme du parlement, lequel fit défense à quiconque d’employer des préparations de cette substance. L’année suivante, le médecin de Clermont-en-Beauvaisis, Jacques Grévin, l’accusa dans un Discours contre l’antimoine d’être un violent poison dans l’état où on le donnait alors, affirmant avoir failli
lui-même en être la victime et concluant qu’il convenait de l’abandonner complètement ou bien de chercher une meilleure préparation ne contenant plus de partie vénéneuse.
Médecins parfois farouchement hostiles au vin antimonié Mais cette fronde officielle eut pour conséquence la poursuite des expérimentations dont ce métal était la base et l’essor de son emploi. Paulmier, médecin de Caen, s’attira en 1591 la censure de l’Ecole pour avoir vanté les bienfaisantes propriétés de l’antimoine et pour avoir voulu faire aux apothicaires et aux médecins un cours de chimie. Riolan père (1600) était acharné contre les antimoniens, simplement parce qu’Aristote n’avait pas parlé de ce médicament. En 1604, l’attention fut vivement attirée sur ce métal, ses préparations et ses applications, par la première édition de l’apologie emphatique Triumphwagen des Antimonii (Char triomphal de l’antimoine), officiellement l’oeuvre d’un certain Basile Valentin – présenté comme un moine bénédictin ayant vécu au XVe siècle –, en réalité rédigée par l’éditeur lui-même, Johann Thölde qui, s’il appelle l’antimoine « une des sept merveilles du monde » en promettant richesse et santé avec cette substance, en signale cependant avec insistance les « propriétés vénéneuses » et indique le vin émétique, employé comme vomi-purgatif. Dans son Traité des minéraux, le même Basile Valentin est encore plus explicite : « Les fleurs d’anti-
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ntrant dans la composition d’un fard utilisé par les Egyptiens et appelé Stem, l’antimoine tirerait son nom de ce dernier, Stem donnant naissance à Ithmid chez les Arabes puis à Athmond, d’où les Latins auraient fait Antimonium. L’emploi thérapeutique de l’antimoine date de l’antiquité : si l’on prétend qu’Hippocrate l’utilisa sous le nom de tétragone, plus connu sous celui de fusain, mentionné par Théophraste et dont les feuilles et les fruits quadrangulaires sont purgatifs et un peu vomitifs, son usage est en réalité certain à compter de Dioscoride (Ier siècle), médecin de Cléopâtre et d’Antoine, qui l’appelait Stimmi, expliquant l’autre appellation stibium de l’antimoine ; dernière désignation restée jusque dans la nomenclature moderne, en dépit de celle d’antimoine fabriquée vers la Renaissance.
De l’Antiquité au XVIIe siècle
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I NVENTIONS /D ÉCOUVERTES
GUY PATIN s’insurge avec verve
contre le recours à l’antimoine
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Vers 1640, Guy Patin, docteur-régent de la Faculté ayant beaucoup d’esprit et aux leçons duquel on allait admirer son beau latin et ses bons mots, prenait part à la querelle opposant partisans et détracteurs de l’antimoine. Il déclarait n’avoir aucune confiance dans les découvertes de la chimie moderne et se prononça hautement contre cette substance, ayant même dressé un gros registre des malades qui, selon lui, étaient morts victimes de ce remède, et qu’il appelait le Martyrologe de l’Antimoine. Il ne meurt personne à Paris sans qu’il aille demander si le malade a pris ou non de l’antimoine ; s’il en a pris, il devient de suite un martyr. Patin s’exprime notamment ainsi : « L’Antimoine, duquel on ne parle plus guère ici qu’avec détestation, reçut hier un vilain coup de pied chez un conseiller de la Cour, M. de Villemontel, dont la fille mourut, âgée de quatorze ans, d’une double dose de ce remède. (...) Il court ici une pièce fort secrète touchant le mérite de quelques-uns de nos docteurs qui ont, par la cabale de Guénaut, signé que l’antimoine est un excellent remède. A vous dire vrai, tous ces maîtres et seigneurs sont le fretin et la racaille de l’Ecole ». Patin n’hésite pas à accuser Guénaut d’avoir empoisonné sa femme, sa fille, son neveu et ses deux gendres. Sans nul doute, c’est d’après cette belle réputation que Boileau écrivait : « Il compterait plutôt combien, dans un printemps, / Guénaut et l’antimoine ont fait mourir de gens ».
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Et Patin d’écrire encore : « Oui ! Les chimistes, les apothicaires et les charlatans sont les démons du genre humain en leur sorte, principalement quand ils servent de l’antimoine ». Il bombardait les pauvres apothicaires de suaves et douces épithètes, dont celles de triacleurs, d’empoisonneurs, de quiproquoqueurs, pharmacopoles, n’étaient que les plus tendres. Patin écrit encore : « Il a eu raison, Renaudot, d’intituler son livre : L’Antimoine triomphant ; car, pour triompher, il fallait avoir tué au moins 6000 hommes. Il en a tué plus que le roi de Suède en Allemagne. Asclépiade pensait que le devoir de l’excellent médecin était de guérir ses malades tuto, celeriter et jucunde ; nos antimoniens nous envoient dans l’autre tuto et monde celeriter ». Le mot stibium, sous sa plume, devenait par malice stygium, Patin tenant l’antimoine pour aussi funeste que les eaux du Styx dont il lui semblait venu. D’APRÈS... Bulletin de la Société libre d’émulation du commerce et de l’industrie de la Seine-Inférieure paru en 1904 ET La pharmacie à travers les siècles : Antiquité, Moyen Age, Temps modernes paru en 1886
cine seuls de se servir de l’antimoine, et en particulier du vin émétique, d’écrire sur ses propriétés, de les discuter, défendant à toute autre personne d’en faire usage sans un avis ou une ordonnance de médecin. Nous retrouvons la description du vin émétique dans un Codex medicamentarius que Hardoin de Saint-Jacques fit imprimer en 1638.
Echange musclé d’invectives entre hommes de science Mais la querelle au sujet de l’antimoine redoubla lorsque l’esprit le plus mordant et le plus caustique de l’époque, Guy Patin, se prit à diriger ses sarcasmes les plus acérés contre ce métal et ses partisans. Dénigrant systématiquement un remède qu’il avoue lui-même n’avoir jamais expérimenté, il s’emploie à dresser un martyrologe puéril de l’antimoine au lieu de déterminer consciencieusement les cas où, par des vices d’application, par inopportunité, par témérité même, cette substance pouvait nuire, et ceux en revanche où il se montrait réellement utile. Dès 1652 parurent de nouvelles diatribes contre l’antimoine, à l’image de celle de Claude Germain intitulée Orthodoxe, ou de l’abus de l’antimoine, sorte de dialogue écrit à la façon de Platon et destiné à établir le syllogisme suivant : « Le vomitif est d’un périlleux usage ès-fièvres continues, et nullement nécessaire aux intermittentes. Or estil que le vomitif d’antimoine est violent. Donc le vomitif d’antimoine est d’un périlleux usage ès-fièvres continues et nullement nécessaire aux intermittentes ». L’année suivante, Eusèbe Renaudot, frère du célèbre Théophraste, répondit à Germain et recommanda le tartre stirbié sous le nom de poudre émétique dans L’Antimoine justifié et l’Antimoine triomphant : « Vous appelez la chimie une nouvelle médecine. Vous faites à la servante l’honneur de la prendre pour la maîtresse. (...) La chimie n’a d’autre ambition que de rentrer dans la thérapeutique où elle tranchera le noeud gordien de la maGuy Patin ladie ». Il s’étendait longuement sur le principe vénéneux prêté aux préparations antimoniales : « Evidemment, c’est un remède violent. Où serait son mérite s’il n’avait pas cette qualité ? Si c’est un poison, s’il est la quintessence de tous les venins et le plus grand en malice, comme
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ment conduire à la découverte du tartre moine [?] purgent avec nausée et incomstirbié. Peu après en effet, en 1631, sa prépamodité du corps. (...) Si l’antimoine est diration fut décrite par l’alchigéré un certain temps avec miste allemand Adrien de l’esprit de tartre et le sel Mynsich dans son Thesauammoniac, il s’en fait un rus et armamentarium sublimé, lequel, par la medico-chimicum. Un vertu du fer, passe en merauteur comme Hoefer lui cure coulant, qui a été reconteste cette découverte, cherché de plusieurs et arguant que le tartrate de trouvé de peu ». potasse et d’antimoine deEn 1620, Cornachinus, provait être depuis longtemps fesseur à Pise, fit connaître connu des médecins chila composition d’une poumistes, qui employaient déjà dre à l’aide de laquelle Dules fleurs d’antimoine et faidley, comte de Warwick, saient si souvent entrer le avait opéré des cures mertartre dans leurs préparaveilleuses en Italie. Compotions. Quoi qu’il en soit, sée de scammonée, d’antic’est seulement à partir de moine diaphorétique et de Mynsich que l’usage du crème de tartre, cette poutartre stirbié ou poudre dre fut bientôt connue émétique en médecine se sous le nom de poudre répandit, et la Faculté de cornachine. Il devait s’efmédecine de Paris, qui avait fectuer dans ce mélange une réaction qui le transformait Frontispice du Char déclaré l’antimoine poison, détriomphal de l’antimoine cida de mettre le vin émétique partiellement en émétique ; au rang des remèdes purgatifs en 1637. Sur soupçonnant cette réaction, ou constatant son avis, le parlement rendit un arrêt par une activité exceptionnelle d’effets théralequel il était permis aux docteurs en médepeutiques, l’observation allait nécessaire-
I NVENTIONS /D ÉCOUVERTES
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La guérison de Louis XIV asseoit la réputation de l’antimoine La réhabilitation du remède si longtemps honni le dut au jeune Louis XIV qui, pendant la campagne de 1658 et alors qu’il n’avait que 20 ans, tomba gravement malade à Mardick, d’une maladie qu’on peut affirmer, d’après les symptômes complaisamment détaillés par les premiers médecins du roi dans le Journal de sa santé, avoir été une fièvre typhoïde des mieux caractérisées. En dépit ou peut-être à cause de tous les traitements infligés à l’auguste patient, le mal ne faisait qu’empirer, et pour mettre d’accord les médecins de la Cour, on eut recours aux lumières d’un médicastre d’Ab-
L’impérissable ANTIMOINE pour
« se gendarmer contre l’hyver »
En 1683, Michel de Saint-Martin affirme dans son ouvrage intitulé Moyens faciles et éprouvés, dont M. de Lorme s’est servi pour vivre près de cent ans : « La chimie, qui est une des colonnes de la médecine, recuit l’antimoine, le raffine et réduit en un estre très-molle ou vraie quintessence : alors il est dénué de ses prétendues mauvaises qualitez ; c’est un remède en la composition duquel il entre du tartre et du salpêtre ; M. de Lorme le tenoit pour le meilleur de tous les remèdes, et pour estre aussi naturel à l’homme que le meilleur pain de froment ; il estimoit qu’il est fort bon pour purger la bile qui cause mille maux aux hommes. Les principaux effets de l’antimoine sont de renouveler le corps, reverdir la jeunesse, mondifier la peau, transmuer le sang infect en un sang pur et net, si bien qu’il est admirable pour la conservation et pour la prolongation de la vie. Il ne laisse aucune impuretez dans le corps ; on en peut prendre en toutes saisons et même pendant la canicule. La prise ordinaire pour un homme est de 40 grains et de 30 pour une femme. Jamais ce remède ne peut nuire quoy que mal préparé, et il se peut conserver mille ans ». Plus loin, Saint-Martin écrit : « Un des ennemis de l’antimoine m’ayant dit qu’il brûloit le corps des hommes, j’en ai parlé à M. de Lorme pour en sçavoir son sentiment : il me dist pour response que si on vouloit obtenir d’un juge qu’il luy baillast un criminel condamné à la mort, il luy en feroit prendre six prises en même temps, et que s’il en mouroit, il se soumettoit de mettre sa tête en sa place. Ce discours, joint à la connoissance que j’avois de sa longue vie et de ses malades, l’éloquent Balzac, qui en estoit un, ayant vescu jusques à quatre-vingt-quatorze ans, bien qu’il ne l’eust connu qu’après avoir esté longtemps travaillé de la goutte et de la gravelle, et M. le mareschal d’Estrées, qui se fist tailler par son ordre à l’âge de quatre-vingt-quinze ans, vescut encore par ses remèdes jusques à cent trois ans, m’empeschoient de douter de sa suffisance extraordinaire. Et si M. de Maisons, second président au parlement de Paris, avec qui il avoit l’honneur de demeurer, est mort à l’âge de 84 ans après avoir esté taillé, cela n’est arrivé que pour avoir préféré l’avis d’un opérateur à celuy de M. de Lorme, qui estoit absent ». De Lorme faisait prendre l’antimoine, soit dans du pain à chanter, soit mêlé à une certaine quantité de vin, et préconisait également le mercure de vie qu’il associait volontiers à l’antimoine, dans la proportion de 20 grains d’antimoine sur 3 grains de mercure. Il aimait en prescrire une dose vers le 20 septembre, comme moyen prophylactique pour se gendarmer contre l’hyver, selon sa propre expression. D’APRÈS... L’art de prolonger la vie et de conserver la santé paru en 1852
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le prétend Germain, où sont les marques de cette malignité étrange ? Pour détruire les charlatans, employons bien les remèdes dont ils se servent mal ». Ce à quoi Jacques Perreau riposta par le Rabat-joie de l’Antimoine : « Renaudot est un traître et un fils de traître (...) Ne pactisons pas avec l’insurrection (...) Il faut rejeter Basile Valentin ces nouveautés, autant dangereuses en notre art qu’elles le sont en religion ». La légende veut que le supposé moine Basile Valentin, dans le couvent d’Erfurth, ayant jeté dans la cour de son laboratoire le caput mortuum d’une préparation contenant une petite quantité d’antimoine, observa que des cochons qui l’avaient avalé ne tardèrent pas à ressentir l’effet émético-purgatif de ce mélange, et maigrirent pendant quelques jours avant d’engraisser considérablement. Perreau prétendit que Valentin voulant purger les autres moines de son couvent avec la même préparation, leur administra dans leurs mets un peu du nouveau remède ; il ne réussit qu’à les empoisonner tous, d’où le nom d’anti-moine donné dorénavant à l’antique stibium. Ces discussions thérapeutiques inspirèrent même la verve poétique et reconnaissante d’un célestin, Carneau, qui composa en 1656 la Stimmimachie ou le Grand combat des médecins modernes touchant l’usage de l’antimoine, poème historico-comique d’environ 2000 vers de huit syllabes : « Je dis donc que je vais décrire / Un grand combat à faire rire... / C’est un combat de médecins, / Dont les tambours sont des bassins ; / Les syringues y sont bombardes, / Les bastons de casse hallebardes ; / Les lancettes y sont poignards, / Les feuilles de sené pétards ».
beville, nommé du Saussoy, qui, au dire de minières métalliques » ; en outre, il « ne plusieurs contemporains, conseilla d’adparlait des vertus de l’antimoine qu’avec ministrer au roi de l’émétique. D’autres préde grands transports, disant lui avoir vu tendent qu’une grande consultation eut faire cent et cent cures miraculeuses ; qu’il lieu, sous la présidence de Mazarin, et que n’était jamais sorti meilleur remède de la le cardinal ayant opiné le premier pour l’anboutique d’un apothicaire ; qu’on ne sautimoine, il fut résolu qu’on donnerait ce médicament – version donnée notamment par Guy Patin dans sa lettre du 20 juillet 1658. Il suffit d’une once du précieux remède pour que le roi fût purgé vingt-deux fois. Des Te Deum furent chantés ; ce fut une allégresse sans pareille, excepté pour Patin, qui expliquait : « Ce n’est pas la peine de dire que c’est le vin émétique qui a sauvé le roi, vu qu’il en a pris si peu qu’il ne se peut moins. Ce qui a sauvé le roi a été son innocence, son âge fort et robuste, neuf bonnes saignées et les prièCalcination solaire de l’antimoine res de gens de bien comme nous ». La fortune de l’antimoine était faite, et Charrait enfin en payer la valeur ». les de Lorme, dont les grands recherchaient Le 29 mars 1666, la Faculté de médecine de la société, qui fut médecin de Louis XIII, Paris se réunit par ordre du Parlement, et qui conseilla le premier médecin de Henri IV sur 102 docteurs présents, 92 se prononcèau sujet de cas épineux et initia d’Aquin, rent pour l’antimoine, le parlement rendant médecin de Louis XIV, à la médecine, proun arrêt permettant à tous docteurs régents mut la miraculeuse substance qu’il fit ende se servir du vin émétique. Un seul, Frantrer dans la composition de son bouillon çois Blondel, ancien doyen, protesta avec rouge. Il préconisait l’antimoine à tout veopiniâtreté, plaida contre la Faculté, connant, même sans voir le malade, ayant coutre le doyen, fut condamné, refusa de payer tume de dire que, s’il ne faisait pas de bien, et vit vendre ses meubles. D’APRÈS... il ne ferait point de mal. Selon Saint-Martin, > Bulletin de la Société libre d’émulation du commerce et de l’industrie de la Seine-Inférieure paru en 1904 son panégyriste, « M. de Lorme remerciait > Bibliothèque du médecin praticien (T. 14) paru en 1850 > Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales (T. 5) paru en 1866 souvent la bonté divine d’avoir donné un > La pharmacie à travers les siècles : Antiquité, Moyen Age, Temps modernes paru en 1886 si excellent remède aux hommes et à bon > Remèdes d’autrefois (T. 1) paru en 1910 marché, et qui se trouve dans toutes les > L’ancienne Faculté de médecine de Paris paru en 1877
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DE L’ART DE VENDRE L’AIR
1798 : l’Etat DÉFICITAIRE
IMPÔT portes fenêtres
instaure l’ des
et
En 1798, le Conseil des Cinq-Cents accouche d’une loi instaurant la contribution des portes et fenêtres, présentée comme temporaire et motivée par un impérieux besoin d’argent, ses détracteurs en dénonçant le caractère attentatoire à l’hygiène et à la santé populaire, de même que l’iniquité
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inclair a retrouvé dans les annales de l’Empire byzantin les traces d’un impôt sur les cheminées établi sous la dynastie des Comnène (XIIe siècle), cite aussi une taxe sur les foyers, levée par Marguerite, reine du Danemark et de la Norvège (XVe siècle), et rappelle celle qui fut instaurée au XVIIe siècle et perçue sur le même objet en Angleterre.
Une contribution inspirée de la « window-tax » anglaise Cet impôt y était devenu fort impopulaire, le collecteur devant entrer dans toutes les pièces de l’habitation pour vérifier la matière imposable. Si Guillaume III, peu après son entrée en Grande-Bretagne (lors de la Glorieuse Révolution en 1688) s’empressa de l’abolir, il la remplaça cependant sept ans plus tard par une autre, chaque maison anglaise devant s’acquitter de 2 shillings par an, la taxe s’élevant à 6 shillings pour les habitations comportant plus de neuf fenêtres, 8 shillings pour celles qui en avaient plus de dixneuf, sachant que « le nombre des fenêtres pouvait être compté du dehors, et, dans tous les cas, sans qu’on fût obligé d’entrer dans toutes les chambres des habitations », rapporte Adam Smith ; nouvelle taxe qui céda elle-même la place en 1766 à une autre forme d’imposition : l’impôt des fenêtres (window-tax). En France, l’impôt des portes et fenêtres, de quotité dans un premier temps – taux déterminé à l’avance et indépendant du budget s’avérant nécessaire par la suite –, fut établi par la loi du 4 frimaire an VII (24 novembre
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1798) au terme d’un vif débat entre les députés. Considéré par ses détracteurs comme prélevé sur la pureté de l’air et la clarté du jour qui ont été données à l’homme sans les lui mesurer, ainsi que nuisible à la vie et à la santé, il ne convainc pas Laussat, député des Basses-Pyrénées au Conseil des Anciens – organe concourant, avec le Conseil des Cinq-Cents, à la confection et la ratification des lois sous le Directoire – qui s’exprime ainsi peu avant l’adoption de cette taxe : « Je la regarde comme un nouvel embarras ajouté à la triste position où des négociants se trouvent réduits par l’effet des circonstances ; comme une surtaxe ruineuse pour les manufacturiers, dont les ateliers ont besoin d’être extrêmement éclairés et aérés, et qui languissent
Séance du Conseil des Anciens
depuis longtemps », ajoutant « qu’elle ne serait, dans tout état de cause, admissible que comme base d’une contribution directe sagement modérée sur les maisons ; qu’en conséquence, avant de l’adopter, il
faudrait les décharger de la partie de contribution de cette espèce qu’elle supporte déjà sous d’autres dénominations ». Le même présente ensuite cette mesure comme désastreuse et injuste : « Le revenu des maisons est maintenant comme perdu dans toute la France, et a besoin de quelques années de paix pour s’y relever. Ce genre de propriété est même devenu très onéreux à ses possesseurs : n’en jugez point par les beaux quartiers de Paris, mais parcourez les villes notables des départements, et vous en resterez convaincus. Avez-vous songé à l’effet infaillible que produirait à la longue, sur les foyers, cet impôt, pour peu qu’il durât ? La concurrence augmentant sur les petits loyers, ils hausseraient de prix ; cette même concurrence diminuant sur les loyers considérables, il arriverait que les riches locataires resteraient magnifiquement logés à meilleur marché. Vous vouliez frapper l’opulent, et vous frapperiez le nécessiteux. Cet impôt n’est pas assis sur la base d’une véritable égalité. Le nombre des fenêtres n’a, le plus ordinairement, aucun rapport avec les facultés de l’habitant ; ici il tient au goût régnant de l’architecture ; là, à la commodité des distributions ; ailleurs, à des accidents de localité, comme l’obscurité d’une rue ou la symétrie commandée d’une place, bien souvent à la quantité d’individus composant une famille. Le nombre des fenêtres dépend aussi beaucoup du climat et des moeurs ».
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INSTITUTIONS
XVIIe siècle XVIIIe siècle XIXe siècle XXe siècle
Un impôt gradué très égalitaire aux yeux de certains Mais l’impôt, qui demeura plus d’un siècle, eut ses partisans, à l’image de Thibault Lefevre, avocat à la cour de Paris qui, en 1843, considèrera infondé le reproche d’inégalité : « L’impôt assis sur les portes et fenêtres est gradué d’après l’aisance de chacun ; le riche prend un appartement éclairé et vaste, le pauvre, rétréci et obscur. L’impôt porte ainsi sur tout le monde ; mais sévissant sur le riche, il ménage le pauvre. (...) Il est perçu à raison du nombre des portes et fenêtres donnant sur les rues, cours ou jardins, d’après un tarif qui varie suivant la nature, le nombre, la position des ouvertures, et la population du lieu où la maison est bâtie ; de telle sorte que moins la population est forte, moins le tarif est élevé ; plus l’ouverture peut être employée à des usages différents, plus élevé est le tarif, telles sont les portes cochères, et plus l’ouverture est placée à un étage inférieur, plus elle paie cher ». N’étaient pas imposables les portes et les fenêtres servant à éclairer ou à aérer les
INSTITUTIONS
Pierre-Clément de Laussat
blics, civils, religieux ou militaires, d’éducation ou d’hospices, ils n’étaient pas assujettis non plus à l’impôt.
Afin d’augmenter les recettes l’impôt devient « de répartition »
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granges, bergeries, étables, laiteries, chalets, serres et orangeries, de même que celles des locaux servant exclusivement à l’agriculture. Les remises ne donnant pas accès à des locaux d’habitation ou de commerce, les caves non considérées comme magasins ou comme tout ou partie d’habitation, les pressoirs particuliers, les greniers ne servant pas de magasins pour le commerce étaient également exonérés du paiement de l’impôt suivant la loi du 4 frimaire. Il en était de même pour les embrasures pratiquées dans un mur de clôture n’éclairant pas de locaux habitables, les portes communiquant intérieurement d’une cour dans une autre cour, une porte conduisant à un jardin où il n’y avait pas de logement habitable, les vitraux placés au-dessus des portes, l’oeil de boeuf n’éclairant pas de locaux habitables. Quant aux portes et fenêtres des bâtiments pu-
Le faible produit de cet impôt décida le gouvernement à le transformer en impôt de répartition par la loi du 13 floréal an X (3 mai 1802) : on fixa des contingents aux départements ; ces contingents furent répartis par les préfets entre les arrondissements, et les contingents des arrondissements furent distribués entre les communes par les sous-préfets. Ces fonctionnaires opéraient, soit d’après le produit de l’ancien impôt, soit d’après leurs connaissances locales, soit d’après les renseignements qui leur étaient donnés sur le nombre exact ou probable des ouvertures de chaque commune. Dans tous les cas, la somme assignée à chaque commune était répartie entre ses habitants d’après le nombre de leurs portes. La loi du 25 mars 1803 exempta de cet impôt les grands établissements industriels appelés manufactures, mais on maintint à une contribution les magasins, boutiques, ateliers et petites usines. Les choses restèrent ainsi jusqu’en 1831 ; les dépenses occasionnées par la Révolution de 1830 ayant exigé que l’Etat augmentât ses ressources, et le nombre des ouvertures s’étant beaucoup accru par suite des nouvelles constructions depuis 1802, une loi rétablit la contribution des portes et fenêtres sous forme
d’impôt de quotité, avec les tarifs de l’an X, l’application des ces tarifs au nombre d’ouvertures existant alors triplant presque la contribution. Les réclamations qui s’ensuivirent contraignirent le gouvernement à rétablir la répartition le 21 avril 1832. La taxe des maisons à cinq, à quatre, à trois, à deux et à une ouverture, fut progressivement abaissée en raison inverse du nombre des ouvertures ; mais les contribuables que l’on dégrevait, c’est-à-dire les propriétaires de maisons ayant peu d’ouvertures, n’étaient pas ceux qui réclamaient, même avant ce dégrèvement ; ceux qui se plaignaient étaient généralement des ouvriers qui occupent des ateliers percés d’un grand nombre de fenêtres, et on ne les avait pas dégrevés. Dans son Mémoire sur la situation des populations rurales de la France, Auguste Blanqui, membre de l’Institut, s’indigne de voir qu’en 1835, « trois millions de logements dans les villages, où ne saurait manquer l’espace forcément restreint dans les villes, sont privées d’air et de lumière pour échapper à la taxe des portes et fenêtres ! C’est là pourtant que vivent d’une vie trop souvent commune avec les bestiaux qui les nourrissent, plusieurs millions d’hommes, ceux-là même dont les modestes cotes foncières composent la plus sûre partie du revenu national ». Après avoir épuisé toutes les combinaisons, après avoir réformé, modifié les tarifs, remanié, changé
Un impôt arbitraire PRODUISANT PEU et fort ONÉREUX À PERCEVOIR
Dans un rapport présenté au Conseil des Cinq-Cents peu avant l’adoption de la loi sur la contribution des portes et fenêtres, le député de la Seine au Conseil des Anciens Théodore-François Huguet affirme « qu’on aurait pu trouver un impôt moins odieux » que celui proposé « sur le jour et sur l’air », le revenu attendu dans toute la République ayant été calculé sur la base de celui que produirait Paris. Expliquant avoir été pendant trois ans administrateur de la capitale et livrant sa méthode de calcul, Huguet aboutit à une recette de 300 000 francs pour Paris, et poursuit : « Paris fait la vingtième partie de la République, surtout par rapport aux portes et fenêtres, car un grand nombre des maisons qu’il renferme ont 5, 6 ou 7 étages, tandis que celles des autres départements ont au plus 3 étages. Mais supposer que Paris ne fasse que la trentième partie de la république, il en résultera que l’impôt produira en totalité neuf millions, desquels il faudra déduire au moins un million pour les frais de perception. Et c’est pour un si modique produit qu’on crée un impôt si odieux ! » En 1886, Armand Malaval, dans Le conseiller des contribuables et des consommateurs, dénonce quant à lui les lacunes dans la perception de l’impôt : « Que l’on fasse opérer le recensement d’une vaste maison par cent agents de l’Administration, en comparant les résultats obtenus par chacun on ne trouvera jamais le même nombre d’ouvertures. (...) Ici l’arbitraire règne en maître. Tel estime qu’une ouverture est imposable, tel autre le nie. Tel compte pour trois ouvertures une baie divisée par deux meneaux, tel autre ne comptera qu’une seule ouverture ». Un autre motif de sa suppression est selon lui « le temps que les agents du Trésor sont obligés d’employer à la constatation de cette matière imposable et aux divers travaux qui en sont la conséquence. J’estime qu’un agent consacre le quart de son temps à cette partie de son service. Le nombre des contrôleurs pourrait donc être diminué dans la même proportion, si cet impôt était aboli, et la diminution du personnel permettrait d’améliorer la position si digne d’intérêt des agents d’une administration qui a été constamment tenue en défaveur (...). Il y a d’autres motifs à invoquer. En supprimant la taxe des portes et fenêtres, il serait possible de réduire environ de moitié la dimension des avertissements de contributions d’où une économie notable de papier. Les rôles des percepteurs seraient aussi moins volumineux. Enfin, on économiserait les frais de calculs et d’écritures qui atteignent un chiffre assez élevé ». D’APRÈS... Questions de mon temps 1836 à 1856. Questions financières (T. 11) paru en 1858 ET Le conseiller des contribuables et des consommateurs paru en 1886
Les portes et fenêtres étaient murées par leur propriétaire pour réduire l’impôt
la loi primitive, après avoir abandonné l’impôt de quotité pour l’impôt de répartition, l’impôt de répartition pour l’impôt de quotité, le gouvernement imagina de confier aux communes le soin d’introduire dans cette matière des améliorations qu’il n’avait pu réaliser lui-même. Cet impôt ne fut supprimé qu’en 1926. D’APRÈS... > Traité des impôts considérés sous le rapport historique économique et politique, en France et à l’étranger (T. 2) paru en 1866 > Constitution et pouvoirs des Conseils généraux et des Conseils d’arrondissement ou Législation complète, etc. paru en 1843 > Questions de mon temps 1836 à 1856. Questions financières (T. 11) paru en 1858 > Les impôts en France. Traité à l’usage des contribuables et des aspirants à la perception paru en 1869
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MOEURS/COUTUMES
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Du XIIIe siècle au XVIIe siècle
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ALLIER LE PLAISIR DU PALAIS ET CELUI DES YEUX Des SPECTACLES à MACHINES
ou
entremets services entre les
des
FESTINS
Dès le XIIIe siècle et dans la plupart des circonstances solennelles telles que mariages des princes et entrevues politiques, on occupait, durant le repas, l’assemblée, de différents spectacles propres à l’émouvoir ou à l’intéresser
Une véritable représentation théâtrale pour hauts dignitaires C’était assez ordinairement une sorte de représentation théâtrale, accompagnée de machines, où l’on voyait des hommes et des animaux accomplir une action quelconque, ou figurer quelque trait connu de l’histoire ou de la fable. Elles avaient lieu quelquefois autour de la table même du festin,
Banquet avec entremets de Charles V donné pour l’empereur d’Allemagne
mais souvent aussi sur un échafaudage dressé à l’une des extrémités de la salle, que séparait des spectateurs un grand rideau, ou courtine, derrière lequel se préparaient les personnes et les décorations
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de la scène qui devait être représentée. L’usage de ces entremets était connu en France dès le XIIIe siècle, sous le règne même du roi Saint-Louis. Au commencement du siècle suivant, Philippe le Bel en fit célébrer plusieurs assez remarquables à Saint-Denis, lorsqu’il conféra la chevalerie à ses trois fils (1313). Ce fut aussi dans une sorte d’entremets qu’eut lieu en 1338, à l’instigation de Robert d’Artois, le célèbre Voeu du Héron, qui décida, dit-on, Edouard III, roi d’Angleterre, à déclarer la guerre à Philippe de Valois. En 1453, le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, se servit d’un semblable
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L
es scènes de distraction de l’assemblée au cours d’un banquet, presque toujours muettes, et dont les sujets variaient à l’infini, recevaient le nom d’entremets, parce qu’elles s’exécutaient le plus souvent dans l’intervalle du service d’un mets à un autre.
moyen pour engager une nouvelle croisade contre les Turcs Ottomans, qui venaient de s’emparer de Constantinople, en proposant à la noblesse française qu’il avait réunie à Lille, sous prétexte d’une fête, de prendre les armes de la religion. Rien n’avait été négligé : on avait élevé à l’une des extrémités de l’immense salle du festin, construite, tapissée et décorée avec un luxe plus que royal, un vaste échafaudage, caché d’abord par un rideau, sur lequel fut représentée, comme entremets, en plusieurs scènes, la conquête de la Toison d’or par Jason. Les longues tables autour desquelles avait pris place l’illustre assemblée, étaient ornées de plusieurs pièces représentant des châteaux, des navires, des forêts, des animaux, et enfin des personnages assis sur des rochers, d’où coulaient des sources d’eau-rose ou d’hypocras.
Des entremets grandioses gagnant bientôt en sobriété Mais rien ne surpassait une église avec ses vitraux coloriés, placée sur l’une des tables, dont la cloche faisait entendre ses tintements, et où quatre chantres vivants entonnaient de temps à autre des motets ou airs appropriés à la circonstance ; tandis que sur une seconde table, figurait un immense pâté renfermant tout un orchestre de vingt-huit musiciens, pourvus de leurs instruments, qu’ils faisaient résonner aux oreilles de l’assemblée, chaque fois que le rideau s’abaissait sur l’un des exploits fabuleux de l’héroïque Jason combattant tour à tour et domp-
1378 : des ENTREMETS notoires retraçant la conquête de Jérusalem
Le 6 janvier 1378, la visite de l’empereur Charles IV qui, accompagné de son fils, rencontra le roi de France Charles V, fut l’occasion de fêtes splendides et d’un banquet avec entremets se proposant de retracer la conquête de Jérusalem par Godefroi de Bouillon : « Au bas bout de la salle du palais, qui étoit fermé de rideaux tellement qu’on ne pouvoit rien voir par dehors, il y avoit une nef bien façonnée, dans la forme d’un vaisseau de mer, garnie de voiles et de mâts, château devant et derrière, sans oublier rien des agrès qui appartiennent à nef pour aller en mer. De plus, elle étoit joliment peinte, et pavoisée plus richement qu’on ne sauroit dire, et garnie par dedans de gens très bien armés, avec cottes d’armes, écus et bannières des armes de Jérusalem que Godefroy de Bouillon portoit. Et étoient jusqu’à douze, comme dit est, armés des armes des notables capitaines qui furent à la dite conquête de Jérusalem. (...) Et fut la dite nef poussée en avant par gens qui étoient cachés dedans, et fut menée très facilement par le côté gauche de la salle du palais, et si légèrement tournée qu’il sembloit que ce fût une nef flottant sur l’eau ». La chronique se poursuit ainsi : « sortit de derrière les rideaux, à côté de la place d’où la nef étoit sortie, un autre entremets fait à la façon et ressemblance de la cité de Jérusalem. Et y étoit le temple bien imité, et aussi une tour haute assise auprès du temple, ainsi comme les Sarrasins ont coutume d’en avoir, pour de là crier leur loi. Là étoit un homme vêtu très exactement en habit de Sarrasin, et qui, en langue arabique, crioit la loi en la manière que font les Sarrasins. Et étoit la dite tour si haute, que celui qui étoit dessus joignoit bien près des lambris de la dite salle. Et le bas, tout autour de la dite cité, où il y avoit forme de créneaux, et de murs, et de tours, étoit garni de Sarrasins armés à leur manière et ordonnés à combattre pour défendre la cité. Ainsi fut amené à force de gens, qui étoient dedans si bien cachés qu’on ne les pouvoit voir, jusque devant le dit grand dais, au côté droit. Et lors se mirent les deux entremets l’un contre l’autre ; et descendirent ceux de la nef, et par belle et bonne ordonnance vinrent donner l’assaut à la dite cité, et longuement l’assaillirent, et y eut bon ébattement de ceux qui montoient à l’assaut par les échelles. Finalement montèrent dessus ceux de la nef et conquirent la dite cité, et jetoient hors ceux qui étoient en habits de Sarrasins, en élevant les bannières de Godefroy et des autres. Et mieux et plus proprement fut fait et vu que en écrit ne se peut mettre. Et quand l’ébattement fut achevé, les dits entremets furent ramenés en leur place première ». D’APRÈS... Le Magasin pittoresque paru en 1846
LÉGENDES/INSOLITE
D’APRÈS... > L’histoire des moeurs et coutumes des Français, racontée à la jeunesse paru en 1845 > Dictionnaire encyclopédique de l’Histoire de France (T. 7) paru en 1842
EN ROUTE POUR DES SIÈCLES
Vin et sel INDISPENSABLES à la
construction des SPÉCIMEN
PONTS et ROUTES
La construction d’une route ou d’un pont s’accompagnait, notamment en Bretagne, de rituels, enfouissements ou sacrifices, visant à se préserver de l’action de mauvais esprits et à garantir la pérennité de l’ouvrage Jadis en Haute-Bretagne, avant de commencer une route, on creusait un trou dans le sol, avant d’y verser du vin et des liqueurs, offrande aux esprits de la terre. Si durant la construction ne se produisait aucun éboulement, on jugeait que les esprits avaient trouvé à leur goût les boissons offertes ; s’il survenait quelque accident, on estimait leur avoir donné trop à boire et que, s’étant saoulés, ils étaient devenus méchants. On mettait aussi parfois dans ces trous de l’huile et des oeufs, afin que les esprits devinssent doux comme les objets qu’on leur offrait, et l’on assurait qu’en ce cas il n’arrivait presque jamais d’accident. Lorsque les travaux étaient terminés et qu’un chemin allait être livré à la circulation, il y avait probablement quelques cérémonies, surtout aux époques où la construction des routes était difficile et coûteuse. Dans la partie centrale des Côtes-d’Armor, la première femme qui passait sur une route en cours d’achèvement, devait se laisser embrasser par un des terrassiers. On raconte aux environs de Dinan que lorsque les Romains avaient achevé un chemin, ils immolaient un homme et offraient son sang aux esprits de la terre, afin d’assurer la durée de leur oeuvre. Le sang était recueilli et répandu goutte à goutte sur la voie nouvelle. Reflet d’une époque où la solidité d’un pont n’était assurée que si une créature vivante était ensevelie sous ses fondements, une légende bretonne a trait aux ponts de Rosporden qui ne duraient guère. Ayant été successivement détruits, on consulta une sorcière qui répondit : « Si les gens de Rosporden veulent avoir un pont qui ne fasse plus la culbute, ils devront enterrer vivant sous les fondations un petit garçon de quatre ans. On placera l’enfant dans une futaille défoncée, tout nu, et il tiendra d’une main une chandelle bénite, de l’autre un morceau de pain ». On trouva une mère qui livra son enfant ; une grande fête fut célébrée, et l’innocente créature fut murée. Le pont s’éleva alors comme par enchantement, et depuis des centaines d’années il a résisté à toutes les charges et à toutes les inondations. Mais, ajoute la légende, on a entendu maintes fois dans la nuit l’enfant appeler sa mère, pleurer, se lamenter, comme au premier jour, répétant sans cesse : « Ma chandelle est morte, ma mère, / Et de pain il ne me reste miette ». En Haute-Bretagne, quand on construisait jadis un pont, on mélangeait du sel avec le mortier employé à la maçonnerie des piles, afin d’empêcher fées et sorciers de hanter l’ouvrage après son achèvement ; et on prétendait que les pièces d’argent qu’il était
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SPÉCIMEN
tant, au moyen des charmes que lui avait confiés la magicienne Médée, les monstres mythologiques chargés de défendre la précieuse Toison. Parfois les entremets étaient conçus pour tenir occupée l’attention des convives pendant tout le banquet. Aux noces de Charles le Téméraire avec Marguerite d’York, célébrées en 1468 et dont les Festin donné par Charles V au XIVe siècle fêtes, tournois et banquets, ne durèrent pas moins de dix jours, on représenta en plusieurs séances, les douze travaux d’Hercule, scènes suivies de l’apparition d’une baleine monstrueuse, apportée dans la salle même par deux géants armés de bâtons, au son des trompettes et des clairons, et dont la gueule béante livra passage à deux Sirènes et à douze Dieux marins, désignés par le chroniqueur sous le nom de « Chevaliers de Mer », qui exécutèrent un ballet au bruit d’un tambourin caché dans le corps même du vaste cétacé. Au XVIe siècle, le goût s’épurant, on proscrivit dans les entremets toutes ces pompes disparates et confuses. On donna à ces spectacles une harmonie plus galante, plus noble. Il y a loin des fêtes données par Philippe le Bon aux entremets ordonnés par Catherine de Médicis, pendant le festin par lequel elle célébra, à Bayonne, en 1565, son entrevue et celle de son fils avec le duc d’Albe et Isabelle de France, femme de Philippe II d’Espagne. Là, ce furent des tables dressées dans une salle de verdure, des musiciens vêtus en dieux marins, en satyres ; des bergères habillées de toiles d’or et de satin, servant le repas ; des nymphes assises sur un rocher artificiel, puis dansant un ballet. Au XVIIe siècle, on s’ingéniait encore à composer à Versailles, à Chantilly, de brillants entremets. Lors des fêtes appelées les plaisirs de l’île enchantée données par Louis XIV en 1664, on vit entrer dans la salle du festin les 4 saisons, chevauchant un coursier espagnol, un éléphant, un chameau et un ours ; puis Diane et Pan, pour offrir leurs tributs, descendirent d’une grande machine représentant une montagne couverte d’arbres. On admira encore les ballets des 12 heures et des 12 signes du zodiaque ; les services empressés des Ris, des Jeux et des Plaisirs, apportant les mets sous la conduite de la Propreté, de l’Abondance, de la Bonne chère et de la Joie.
d’usage de mettre sous la pile des ponts étaient une offrande au génie de la rivière, pour le conjurer de ne pas démolir la construction faite sur son cours. Cette coutume était regardée comme nécessaire, et dans cet esprit, lors de la pose de la première pierre du pont de Conflans, sur la Seine, effectuée en 1890 sous la présidence d’Yves Guyot, ministre des travaux publics, au moment où l’on allait sceller dans la maçonnerie la boîte contenant le procès-verbal de l’opération, quelqu’un fit observer qu’on avait oublié de mettre dans celleci les pièces de monnaie d’usage : personne
Visite d’un chantier de bâtisseurs au Moyen Age n’ayant de monnaie au millésime de l’année, on alla, sur les instances des maçons et de quelques assistants, dans le voisinage quérir des pièces au millésime de 1890, qui furent placées dans la boîte en dépit du retard que cela occasionna. La tradition populaire prête à certains ponts le fait de reposer sur des objets assez inattendus. Ainsi, en Loire-Atlantique, on prétend, à propos du Pont d’Os et du Pont d’Armes, sur le trait de Mesquer, qu’il s’y livra jadis de grandes batailles et que l’un d’eux a été construit sur les os, l’autre sur les armes des vaincus. Le Pont du Diable, sur le Lignon, était considéré comme un lieu redouté, et devait son nom au fait qu’un seigneur, attaqué traîtreusement par un de ses rivaux qui s’était recommandé aux fayettes et au démon, avait fait voeu, en cas de victoire, de bâtir un pont. D’APRÈS... Revue des traditions populaires paru en 1891
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DES HOMMES QUI VEILLENT AU GRAIN
Indispensables et assermentés
MESUREURS garants de la
loyauté commerciale
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Constituant une des nombreuses précautions prises par l’autorité pour assurer la loyauté des transactions commerciales, la communauté des mesureurs, jaugeurs et auneurs, fonctionnaires assermentés, a pour mission de mesurer un nombre croissant de denrées, « service public » lui valant d’être exemptée de contraintes auxquelles sont assujettis d’autres métiers lement pour l’exactitude des mesures et du mesurage, mais encore pour le prix et la qualité. Le Livre des métiers nous le confirme, ainsi que l’ordonnance du 4 février 1567 qui punit du fouet et de 20 livres d’amende tout mesureur juré qui « voudroit user de contrainte sur les vendeurs ou les acheteurs ». Si quelques charges de mesureurs sont antérieures au XIIIe siècle, d’autres ne furent créées que beaucoup plus tard, et on finit par préposer des mesureurs à la vente de presque toutes Chargés de veiller sur l’échange les denrées, grains, charbon, ail, oignons, de grains, sel, étoffes, etc. noix, pommes, nèfles, châtaignes, chaux, À tort ou à raison, l’Etat paraissait conguède, huile, sel, plâtre, draps, toiles, etc. vaincu que tout fabriQuelques-uns porcant, tout vendeur taient des noms spéchercheraient infaillicifiques, tels les moublement à tromper leurs de bois et les jaul’acheteur. Bien que le geurs de vin, notammarchand eût en génément. ral le droit de mesurer Dès le XIIIe siècle, les lui-même sa marchanmesureurs étaient dise quand il ne s’agisexempts du service du sait que d’une vente guet « en considérasans grande importion des services qu’ils tance, un boisseau ou rendaient, et qu’on reun setier par exemple, au gardait comme servidelà, le mesureur interces publics », écrit venait, sauf si les deux Lecaron dans ses Mécontractants s’étaient moires de la Société entendus à l’amiable et Mesureur de grains de l’Histoire de Pane réclamaient pas son ris ; mais le Livre des ministère. Ce fait était rare, surtout entre marmétiers déclare expressément qu’ils dechands et bourgeois, car le mesureur, intervaient ce privilège à la modicité de leur médiaire désintéressé et à qui le commerce salaire : « Nus mesureur ne doit point de était défendu, servait de garantie, non seugueit, quar ce sont une manière de gaignea prévôté des marchands, pouvoir établi à l’Hôtel de Ville de Paris, avait obtenu du roi l’administration directe de divers corps de gens de métier comme les mesureurs de grains, plus spécialement occupés à servir d’intermédiaire entre les forains et les marchands de la ville. Leur situation n’est pas celle des autres métiers ; ils sont agents de l’administration et n’ont ni apprentis, ni compagnons, ni réceptions à la maîtrise.
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maille ». La grande ordonnance de février 1415 nous montre en outre qu’ils étaient à la nomination du prévôt des marchands, chef de la municipalité. Celui-ci devait choisir pour ces fonctions « homme qui, par information deüment faite, sera trouvé estre de bonne vie, renommée et honneste conversation, sans aucun blasme ou reproche, suffisant et idoine pour iceluy office exercer ». Avant d’entrer en charge, le mesureur jurait « que justement et loyaument il exercera iceluy office en sa personne, et gardera le droit du vendeur et de l’acheteur ; qu’il ne prendra ny demandera plus grand salaire que celuy qui est ordonné pour ledit office exercer, (...) et que s’il sçait chose qui soit faite au préjudice des privilèges et franchises de la Ville, incontinent il le fera sçavoir au prévost ». Certains mesureurs versaient une caution ; d’autres offraient un past ou repas de bienvenue à leurs collègues. Les mesureurs de grains existaient dès le XIIIe siècle, car leurs statuts figurent dans le Livre des métiers. La mesure dont ils se servaient, « mine ou minot », devait être « seigniée au seing le Roi » ; si elle s’endommageait par l’usage, il fallait la porter « au parloir aux Bourgeois » (Hôtel de Ville) pour la faire contrôler, et dans le cas où elle était reconnue inexacte on la brisait, ne rendant au mesureur que les cercles de fer : l’examen coûtait quatre deniers, et le mesureur devait se procurer à ses frais une nouvelle mesure. L’ordonnance de janvier 1350 limita à 54 le nombre des mesureurs de grains sur Paris : 24 pour les Halles, 18 pour la place de Grève, 12 pour la place de la Juiverie. Celle de février 1415 le réduisit à 50, et fixa à 10 livres parisis la caution qu’ils devaient verser. Le mesurage de la farine était payé deux fois plus cher que celui des grains. Nous trouvons dans l’ordonnance du prévôt de Paris du 12 juillet 1438, renouvelée notamment en 1471 et en 1546, l’origine de nos mercuriales officielles. Les mesureurs de grains étaient tenus de faire connaître, après chaque marché, « au greffier de la police ou clerc de la prévôté le prix que aura valu iceluy jour le blé froment, le seigle et l’orge ». En 1556, on retrouve ces mesureurs demandant une augmentation de salaire en se basant sur les renchérissements de toute nature. Ils disent également qu’ils doivent fournir les comptes et les prix des grains, comme éléments de statistique. L’édit de février 1633 porta à 63 le nombre des mesureurs de grains.
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MÉTIERS
Du XIIIe siècle au XVIIIe siècle
Des transactions de bois également très encadrées Le bois à brûler était quant à lui mesuré autrefois au moule ou à la corde. Toutes
MÉTIERS
Le port au blé de Paris au XVIIe siècle
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anneau de fer de six pieds et demi de diamètre marqué d’une fleur de lys – l’étalon étant conservé à l’Hôtel de Ville –, servait à mesurer les bûches ayant au moins 17 pouces (environ 50cm) de grosseur. En général, il entrait environ 16 bûches par moule, et trois moules auxquels on ajoutait 12 bûches faisaient la charge d’une charrette. Aussi appelait-on le gros bois bois de moule ou bois de compte, et le nom de Compteurs de bûches était souvent donné aux mouleurs. Les bûches d’une grosseur inférieure à 17 pouces se mesuraient à la corde, composée de quatre pieux fichés en terre et formant un quadrilatère de huit pieds (2m64) sur quatre. C’est en 1641 seulement que, par ordre de la municipalité, fut construit l’étalon de cette mesure, membrure en charpente à laquelle on ne donna que quatre pieds en tous sens. Elle contenait environ 96 bûches. Delamarre, auteur du Traité de la police, pense qu’il existait des mouleurs de bois dès 1170 ; on les trouve mentionnés pour la première fois dans la Taille de 1292, qui en cite quatre. L’ordonnance de 1350 veut qu’il y ait à Paris « cinquante mesureurs de busches tant seulement », et celle de 1415 fixe leur nombre à quarante « jurez compteurs et mouleurs de busche ». Après avoir prêté serment, les mouleurs devaient bailler au clerc de la ville 5 sous, et verser 6 livres dans la caisse de la confrérie. Ils étaient tenus de « faire continuelle résidence à jours ouvriers » sur les ports de la Grève, de l’école Saint-Germain et de la Bûcherie, « afin que le peuple en soit diligemment servy ». En cas de maladie, la corporation fournissait à celui de ses membres qui était incapable de travailler quatre sous par semaine. Le nombre des mouleurs de bois fut porté à 51 par l’édit de 1633, 100 par celui de 1644, 160 par celui de 1646. Louis XIV créa en outre des offices de Contrôleurs de la bûche, qui furent rachetés par les mouleurs, et ceux-ci purent alors prendre le titre un peu prétentieux de jurés
Les MESUREURS
DE SEL tenus de se conformer à une rigoureuse ÉTHIQUE
L’existence des mesureurs de sel parisiens, que l’on trouve aussi nommés amineurs et qui avaient encore le titre de Compteurs de saline et celui d’Etalonneurs et Visiteurs des mesures, paraît antérieure à 1200, l’ordonnance de février 1415 fixant leur nombre à 24. Comme Compteurs de saline, ils étaient chargés de compter les poissons salés et le beurre qui arrivaient à Paris par bateaux. Comme Etalonneurs et Visiteurs, ils devaient « adjuster les estalons de cuyvre qui sont à l’Hostel de ville » et poinçonner après examen les mesures destinées au commerce du sel et à celui des grains : minots, boisseaux, picotins, etc. Ils faisaient chaque année une visite chez les marchands qui se servaient de ces mesures, s’assuraient qu’elles étaient en bon état, et signalaient au besoin les contraventions. Toute fraude non révélée les exposait à une amende de 60 sous. L’ordonnance de décembre 1672 statue que l’armoire de l’Hôtel de Ville, renfermant les étalons des mesures employées par les marchands de grains et par les marchands de sel, sera fermée à deux clefs, dont l’une restera entre les mains du plus ancien des mesureurs de sel, l’autre entre les mains du dernier nommé. Les statuts des mesureurs de sel de la ville de Rouen nous révèlent certaines formalités prescrites pour la sûreté du travail. Aucun bac à porter du sel ne devait rester entre les mains de deux hommes de peine étrangers au corps. Lorsqu’un maître juré employait un journalier, le maître devait toujours tenir le poste de derrière dans le portage du bac afin de surveiller les sacs. Si un porteur avait mal fermé son sac par négligence ou par fraude, afin de donner lieu aux regrattières de ramasser le sel dont ils partageaient ensuite clandestinement les profits, on le condamnait à une amende de 10 sols pour la première fois et, en cas de récidive, à une interdiction de ses fonctions pendant huit jours. Il était expressément défendu de se livrer à aucun jeu dans les magasins. « Le service de la trémuie à mesurer le sel, se fera ainsi, disent les statuts, sçavoir, deux mesureurs à débouter le minot, deux autres au chapiteau de la trémuie pour avoir soin des grilles et le tire-minot au trou pour vuider le coffre ». D’APRÈS... La vie privée d’autrefois : la cuisine paru en 1888
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les bûches devaient avoir trois pieds et demi (environ 1m15) de longueur. Le moule,
ET Histoire des anciennes corporations d’arts et métiers et des confréries religieuses de la capitale de la Normandie paru en 1850
mouleurs-compteurs-cordeurs-mesureurs et visiteurs de toutes sortes de bois, à brûler, à bâtir et d’ouvrages. Ils se faisaient suppléer par les Aides à mouleurs de bois, dont l’ordonnance de 1672 stipule qu’ils sont « tenus de mettre les bois par le milieu dans les membrures, et les ranger de sorte que la mesure s’y trouve bonne et loyale, sans y souffrir aucuns bois courts ou si tortus que la mesure en soit diminuée » ; il doivent de surcroît ne travailler qu’en présence des jurés-mouleurs.
Des jaugeurs versés dans l’art de mesurer les boissons Les jaugeurs, dont les statuts figurent dans le Livre des métiers, étaient chargés de déterminer la contenance des tonneaux employés par les marchands de vin, de vinaigre, d’huile et de miel. Leur intervention était facultative ; mais si vendeur ou acheteur la requéraient, ils ne pouvaient refuser leur ministère. Ils exerçaient « par tout dedenz la prevosté de Paris » ; aussi, quand la distance à parcourir exigeait l’emploi de plusieurs heures, celui qui les appelait devait payer les frais de dé- Mouleurs de bois placement et leur four-
nir un cheval, « cil qui le maine doit livrer cheval et leurs despens ». Ils touchaient deux deniers par tonneau jaugé, le double pour un tonneau de miel. Si un jaugeur était embarrassé pour déterminer la contenance d’un vaisseau, il devait appeler à son aide un de ses confrères, et s’ils ne pouvaient s’entendre, un troisième venait encore se joindre à eux. Les jaugeurs étaient alors au nombre de 10, la Taille de 1292 n’en mentionnant néanmoins que 3. L’ordonnance de février 1415 déclare que ces fonctionnaires sont établis pour jauger « toutes liqueurs qui se vendent en gros, comme bières, cidres, vinaigres, verjus, huilles, graisses, etc. » Charles VI en fixe alors le nombre à 12, à savoir 6 maîtres et 6 apprentis, ces derniers devant servir pendant une année au moins sous la direction d’un jaugeur avant d’être reconnus aptes à mesurer. En outre, il est prévu que « nul jaugeur ne jaugera seul ». En 1596, Henri IV érigea leur maîtrise en titre d’office, avec attribution de 12 deniers pour chaque muid. Le roi Louis XIII porta à 8 le nombre de leurs offices, mais n’accorda qu’aux six plus anciens un apprenti destiné à
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Oignons ou pommes
chands drapiers et merleur succéder. Louis XIV ciers pouvaient choisir fixa le nombre des jauet nommer à leur guise geurs à 13, et leur ac12 auneurs, qui ne font corda 5 sous par muid aucune visite sur les marou demi-queue de vin, chandises, mais qui les cidre, bière, eau-de-vie, L’ordonnance de 1415 fixe le nombre des aunent sous la halle aux verjus, vinaigre et mesureurs d’aulx et d’oignons à 2, et les draps ou dans les magaautres liqueurs entrant nomme mesureurs et revisiteurs d’aulx et d’oignons. Outre ces deux légumes, ils mesusins et boutiques des à Paris, tant par eau que rent encore les noix, noisettes, châtaignes, et marchands, lorsqu’ils en par terre. En 1703, il y eut autres fruits. Après avoir prêté serment, ils sont requis par eux, par une nouvelle création payaient deux sous au sergent de la prévôté qui les installait, et fournissaient une caution les forains ou leurs comde 52 jaugeurs, sous le Jaugeurs de vin de 10 livres parisis. Les marchands pouvaient missionnaires. Un règletitre d’Essayeurs et eux-mêmes mesurer les petites quantités, les ment d’août 1669 défendait d’auner aucun Contrôleurs d’eau-de-vie, qui, avec les 32 mesureurs jurés n’intervenant que si la vente atteignait au moins un minot. Ils devaient ainsi ouvrage, qu’il ne fût marqué du lieu de la de la création de décembre 1689 et les 50 opérer : « L’un sera à genoux et embrassera le fabrique, et que le nom de l’ouvrier ne fût de 1690, portait le nombre total de jaugeurs minot par les bords de dessus ; et l’autre sur le chef et le premier bout de la pièce, à à 150. Mais par l’édit de septembre 1719, mettra les oignons dedans le minot, et l’emplira tant que les bras de l’autre seront tous peine de 50 livres d’amende, et d’interdicLouis XV les supprima, et chargea les précombles. Et quand il sera ainsi plein, ledit tion des fonctions d’auneur en cas de révôts des marchands et échevins de commesureur ostera ses bras, et adonc les oignons cidive ; il fixait en outre que toutes les marmettre quelqu’un à leur place, pour la jauge du comble qui cherront à terre appartiendront au marchand vendeur, et ceux qui demeurechandises de laine devaient être aunées et l’essai des vins et eaux-de-vie, en leur ront au minot seront à l’achepteur ». Leur sa« bois à bois, parfaitement et sans évent », payant des droits qu’il fixa par un tarif bien laire était fixé à 6 sous parisis pour chaque à peine de 100 livres d’amende pour chainférieur à ceux auparavant exigés. Ces muid d’oignons mesuré, et 6 deniers parisis pour chaque setier. Ces mesureurs visitaient que contravention des auneurs. Cette prescommis furent fixés par l’arrêt du conseil chaque jour l’ail et les oignons arrivant soit cription visait une habitude remontant du 12 septembre 1719 au nombre de 24 ; par eau, soit par terre, et devaient détruire e pour le moins au XIII siècle : il était mais les officiers jaugeurs furent rétablis tous ceux qui n’étaient pas trouvés « bons, loyaux et marchands », les statuts mentionpar l’édit de juin 1730. d’usage, quand on mesurait des draps ou nant qu’ « ilz seront ars et gectez en tel lieu des toiles, de placer le pouce au bout de que jamais personne ne s’en puisse aidier, Les adroits auneurs jettent l’aune et d’augmenter ainsi la mesure. pource que se on les gettoit aux champs, aucuun pouce expert sur les étoffes Au commencement du XVIIe siècle, le roi nes simples gens les pourroient recueillir et en user, ou par aventure les pourroient reLes auneurs-visiteurs de toiles sont eux se substitua à la Ville pour la nomination vendre en aucuns lieux, parquoy plusieurs aussi mentionnés dans le Livre des méde l’ensemble des mesureurs, et Louis XIV inconveniens s’en pourroient ensuir ; et pour ce, lesdits mesureurs seront songneux de les tiers, au nombre de 2 – les statuts des augmenta à plusieurs reprises le nombre revisiter, sur paine d’amende arbitraire ». Tous chanevaciers prouvent qu’en 1393 ils des charges, qui furent dès lors vendues les ans se tenait à Paris, au mois de septemn’étaient pas plus nombreux –, l’aune de par l’Etat, et devinrent la propriété des acbre et d’abord au parvis Notre-Dame puis, vers la fin du XVII e Paris mesurant environ 1m19. Les statuts quéreurs. Aussi, siècle sur le accordés aux lingères en 1645 interdisent malgré les édits, les quai Bourbon, aux auneurs d’ « aller boire ni manger avec ordonnances et les une foire aux oignons, où les les marchands forains, ni leur dire ce que règlements, les titubourgeois vevaut la marchandise » ; ils ne devaient non laires de ces charges naient faire plus « loger ni retirer les forains en leurs se bornaient à touleur provision pour l’hiver. maisons ». L’arrêt du conseil du 3 octobre cher les intérêts de La même or1689 accorda à l’acheteur le choix de faire leur office, et le faidonnance fixait auner toutes les pièces des marchandises, saient exercer par des encore à 2 le nombre de tant par la lisière que par le dos ou le faîte, aides. C’est ainsi que mesureurs de et d’en payer le prix sur le pied du moindre Philippe Caffieri, père noix, pommes aunage qu’elles contiennent. Cette commude l’artiste à qui l’on et autre fruit, la caution exigée nauté, dont le nombre avait alors été porté à doit les beaux bustes s’élevant à 50, prêtait serment devant le lieutenant gédu Théâtre-Français, 2 0 l i v r e s e Les plaisirs de la taverne (XV siècle) parisis, l’insnéral de police : il lui est attribué pour droits put, dans son acte de trument de mesure étant également le minot, 12 deniers par aune sur toutes sortes de décès, être qualifié de « sculpteur du roy et leur salaire étant fixé à 4 sous parisis pour toiles, tant fines que grossières, étrangères et mouleur de bois ». Presque toutes les chaque muid de marchandise, 4 deniers pour ou du royaume ; canevas, coutils, treillis, chaque setier, et un denier parisis pour chacharges de mesureurs jurés furent supprique minot. Pour mesurer noisettes et châtaicrépons, bougrans, serviettes, mousselines, mées par l’édit de 1719, qui confia ces foncgnes « qui se mesurent à une petite mesure batistes, futaines, basins, toiles de coton et tions à de simples commis nommés par le appelée le comble, dont les trois font le boisde lin, et autres ouvrages de fil, qui sont seau, pour chascun comble, un denier. Il y prévôt des marchands. avait encore dans la capitale trois mesureurs amenés et vendus à la ville et faubourgs de D’APRÈS... de guède (pastel), sachant que ceux-ci doiParis. Les auneurs possédaient deux bu> Les métiers et corporations de la ville de Paris vent avoir « une mesure et une pelle et (XIVe - XVIIIe siècle). Ordonnances générales, ratouere pour ycellui office exercer ». Pour reaux où ils exerçaient leurs fonctions et métiers de l’alimentation paru en 1886 > La vie privée d’autrefois : la cuisine paru en 1888 chaque muid de guède mesuré, ils percevaient percevaient leurs droits : l’un à l’Hôtel des > Encyclopédie méthodique. Arts et métiers mécaniques (T. 8) paru en 1791 24 sous parisis, et pour chaque setier 2 sous > Dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés Fermes, l’autre à la Halle aux toiles. parisis. dans Paris depuis le XIIIe siècle paru en 1906 > Encyclopédie méthodique. Jurisprudence, dédiée et présentée à monseigneur La déclaration du 10 septembre 1704 stiD’APRÈS... La vie privée d’autrefois : la cuisine paru en 1888 Hue de Miromesnil, Garde des Sceaux de France (T. 1) paru en 1782 ET Recueil général des anciennes lois françaises depuis l’an 420 pula que les maîtres et gardes des mar> Dictionnaire raisonné universel des arts et métiers (T. 1) paru en 1801 jusqu’à la Révolution de 1789 (T. 4) paru en 1825
doivent être SOUMIS
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aux MESUREURS
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LE SAVIEZ -VOUS ?
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Dans une lettre du 18 juin 1757, Voltaire vante au duc de Richelieu les mérites d’un chariot de guerre dont il avait pris l’idée dans la Bible : « Donnez-vous le plaisir, je vous en prie, de vous faire rendre compte par Florian de la machine dont je lui ai confié le dessin. Il l’a exécutée ; il est convaincu qu’avec six cents hommes et six cents chevaux on détruirait en plaine une armée de dix mille hommes. Je lui dis mon secret au voyage qu’il fit aux Délices, l’année passée. Il en parla à M. d’Argenson, qui fit sur-le-champ exécuter le modèle. (...) Si un moine, avec du charbon, du soufre et du salpêtre, a changé l’art de la guerre dans tout ce vilain globe, pourquoi un barbouilleur de papier comme moi ne pourrait-il pas rendre quelque petit service incognito ? Je m’imagine que Florian vous a déjà communiqué cette nouvelle cuisine. J’en ai parlé à un excellent officier qui se meurt, et qui ne sera pas, par conséquent, à portée d’en faire usage. Il ne doute pas du succès ; il dit qu’il n’y a que cinquante canons, tirés bien juste, qui puissent empêcher l’effet de ma petite drôlerie (...). Enfin, j’ai dans la tête que cent mille Romains et cent mille Prussiens ne résisteraient pas. Le malheur est que ma machine n’est bonne que pour une campagne, et que, le secret connu, devient inutile ; mais quel plaisir de renverser à coup sûr ce qu’on rencontre dans une campagne ! Sérieusement, je crois que c’est la seule ressource contre les Vandales victorieux. Essayez, pour voir seulement, deux de ces machines contre un bataillon ou un escadron. J’engage ma vie qu’ils ne tiendront pas ».
Religieuse annonciade Le philosophe renonça avec un vif regret à son invention : « J’aurais souhaité, pour vous et pour la France, dit-il
ailleurs à Florian, que mon petit char eût été employé : cela ne coûte presque point de frais ; il faut peu d’hommes, peu de chevaux ; le mauvais succès ne
Voltaire
peut mettre le désordre dans une ligne ; quand le canon ennemi fracasserait tous vos chariots, ce qui est bien difficile, qu’arriverait-il ? Ils vous serviraient de rempart, ils embarrasseraient la marche de l’ennemi qui viendrait à vous », ajoutant qu’il regarde cette machine, « après l’invention de la poudre, comme l’instrument le plus sûr de la victoire ». Le 18 juillet suivant, Voltaire écrivait à Mme de Fontaine : « Jamais aucun général n’osera s’en servir, de peur du ridicule en cas de mauvais succès. Il faudrait un homme absolu, qui ne craignît point le ridicule, qui fût un peu machiniste et qui aimât l’histoire ancienne ». D’APRÈS... Curiosités militaires paru en 1855
UN HOMME à l’air piteux semble revenir de PONTOISE
Au temps jadis, lorsque les châteaux avaient de hauts donjons, des tours crénelées et à mâchicoulis, vivait en la ville de Pontoise un seigneur grincheux, grand coupeur de bourses, et par conséquent fort curieux de connaître la valeur des gens qui passaient sur son territoire. Si cette valeur se chiffrait bien, il gardait le voyageur prisonnier, jusqu’à ce qu’il payât une bonne rançon. Etait-elle nulle au contraire, il renvoyait le pauvre diable à grands coups de hampe de pertuisane, le menaçant de le faire brancher haut et court au premier arbre de la forêt, s’il s’avisait de vouloir traverser son territoire une seconde fois, en si piètre équipage et aussi peu monté en argent qu’un crapaud en plumes. Ces coups et ces menaces ne laissaient pas que d’effrayer ces malheureux, surtout si, pour les besoins de leur trafic, il leur fallait absolument voyager sur les terres dudit seigneur de Pontoise. C’était là matière à de pénibles réflexions. Aussi, aux portes de Paris, reconnaissait-on aisément à leur mine contristée tous ceux qui revenaient de Pontoise, et de là l’habitude de dire de tout homme à l’air piteux : Il revient de Pontoise ! Cette légende paraît inventée, car du seigneur de Pontoise, on ne nous dit ni le nom ni la naissance. Aussi certains font-ils remonter l’expression à la prise de Pontoise par les Anglais, le 29 juillet 1419 : les habitants de cette ville arrivèrent si mal en point sous les murs de Paris, que les Parisiens, quoique manquant de vivres, les accueillirent aussitôt. D’autres l’attribuent aux différentes circonstances qui obligèrent le Parlement de Paris à se réfugier à Pontoise. En effet, de 1652 à 1753, le Parlement de Paris y fut transféré trois fois. La première fois (31 juillet 1652) en partie seulement. Sous la régence du duc d’Orléans, s’étant permis de faire des remontrances au sujet de la compagnie des Indes et de la banque Law, il fut une seconde fois exilé à Pontoise le 21 juillet 1720. Le troisième exil ne dura pas moins de seize mois. Outre qu’il fut accompagné des mêmes circonstances qui avaient signalé l’exil de 1720, dit Nisard, que les voyageurs étaient assiégés d’une multitude d’hommes turbulents et avides de nouvelles, que plus on pressait ceux-là de parler, plus ils mettaient de mystérieux et d’importance dans leurs récits, qu’enfin les versions sur le Parlement et ses actes étaient si diverses, si embrouillées, si contradictoires, que les auditeurs n’y pouvaient rien comprendre, les magistrats exilés avaient pu craindre de n’être plus que la cour du Parlement de Pontoise et de n’en revenir jamais. Ils en revinrent pourtant et lorsqu’ils ne s’y attendaient pas. C’est à la naissance du duc de Berry (23 août 1754), futur Louis XVI, qu’ils durent ce retour le 30 août suivant. Ils en furent assez surpris pour en laisser voir quelque chose et pour avoir eux-mêmes l’air de revenir de Pontoise. D’APRÈS... Journal de la jeunesse. Nouveau recueil hebdomadaire illustré paru en 1885
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Voltaire et son invincible CHARIOT de GUERRE
Une reine de France institue les ANNONCIADES Les religieuses de l’ordre de l’Annonciation ou annonciades, eurent pour fondatrice une reine de France, Jeanne de Valois, femme de Louis XII née en 1464 et fille d’un Louis XI qui, pour l’empêcher de se faire religieuse, l’avait mariée, cependant qu’elle était âgée de 12 ans, au duc d’Orléans, futur roi de France. En dépit du dégoût que lui inspirait Jeanne, ce dernier n’osa s’y opposer, et on dit que la veille du jour fixé pour cette union, en 1476, l’évêque d’Orléans ayant été envoyé au prince pour savoir sa dernière volonté sur cette alliance, le duc lui répondit : « Hélas ! Monseigneur d’Orléans, mon ami, que ferai-je ? Je ne saurais résister ; il vaudrait autant être mort que de faillir, car vous savez à qui j’ai affaire. – Mais enfin, Monseigneur, lui dit le prélat, quel est votre dernier mot ? – Il m’est bien force, répondit le prince, et il n’y a remède ». Mais ce dernier, accédant au trône après la mort de son frère Charles VIII en 1498, fit annuler un mariage qui n’avait jamais été de son goût et au motif qu’il n’avait jamais été consommé, Jeanne se retirant à Bourges dotée d’un revenu considérable et où elle fit une entrée des plus magnifiques. Concevant alors le projet de fonder un ordre religieux en l’honneur des vertus de la sainte Vierge, elle voulut que cet ordre portât le nom du plus grand des mystères de la religion, c’est-à-dire
de l’Annonciation. Puis, obtenant la permission royale de bâtir un couvent à Bourges, elle y plaça en 1501 douze jeunes filles qu’elle avait formées elle-même à tous les exercices religieux, en leur donnant une règle approuvée en 1502 par le pape Alexandre VI, pour que, « sur la terre, chacune de nous, bien consciente de ses propres déficiences, devienne cependant conforme à la vie de la Vierge Marie pour l’honneur de Dieu et le salut du monde ». Les religieuses de l’ordre portaient un voile noir, un manteau blanc, un scapulaire rouge, une robe brune, une croix et une corde qui leur servait de ceinture. La supérieure avait le nom d’ancelle, du latin ancilla (servante). La reine Jeanne fit les mêmes voeux que ses religieuses, mais n’en prit pas l’habit. Elle crut devoir toujours habiter son palais, pour être plus à portée de soutenir l’oeuvre qu’elle avait commencée. Au moyen d’une porte de communication de ses appartements dans le couvent, elle allait passer les heures les plus agréables de sa vie au milieu des saintes filles qu’elle y avait réunies. Elle y mourut en 1505, âgé de 40 ans, et fut enterrée, ainsi qu’elle le souhaitait, en habit de religieuse. Les huguenots brûlèrent ses reliques en 1562, l’un d’eux lui enfonçant son épée dans le coeur, avant qu’on jetât son cadavre au feu. Elle fut canonisée par le pape Clément XII, en 1738. D’APRÈS... Histoire et costumes des ordres religieux, civils et militaires (T. 2) paru en 1845
Numéro 35 – La France pittoresque
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QUAND LA PÊCHE DEVIENT MIRACULEUSE
Le
HARENG sort la
pêche française
de sa longue TORPEUR Déjà mentionnée au XIe siècle, la pêche du hareng en France prend rapidement le caractère d’une industrie considérable, eu égard au prix modique d’un aliment particulièrement indiqué en période d’abstinence et de jours maigres, ainsi qu’aux droits perçus par les abbés et seigneurs puis par l’Etat sur ce poisson en dépit des révoltes qui parfois grondent
A
ucun des écrivains de la Grèce ou de Rome n’a parlé du hareng. Vivant sur les bords de la Méditerranée et n’observant guère que les productions de cette mer, ils n’ont pu connaître cet hôte de l’Océan septentrional, et il faut arriver au Moyen Age pour trouver des renseignements historiques sur ces poissons que l’industrie moderne répandit dans le monde entier.
Une dîme acquittée en harengs et un commerce réglementé
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Sorti des forêts de la Germanie, le peuple franc n’était pas un peuple pêcheur, et pendant longtemps les rois de France n’apprécièrent pas l’utilité des hommes de mer. Les premiers documents que l’on trouve sur la pêche du hareng en France remontant à l’an 1030 : la charte de fondation de l’abbaye de SainteCatherine, près de Rouen, établit l’existence dans la vallée de Dieppe de cinq salines et cinq habitations, ou, selon l’expression du temps, cinq masures, dont la redevance annuelle était de 5000 harengs. En 1070, une donation de ces poissons fut effectuée à l’abbaye de SaintAmand de Rouen, et il existe un autre titre, de 1088, par lequel Robert, duc de Normandie, accorde à l’abbaye de la SainteTrinité de Fécamp une foire qui doit être ouverte pendant tout le temps de la harengeaison ou pêche du hareng. Dans le siècle suivant, les avantages que les ports compris entre la Seine et la Brêle retiraient de cette pêche ne se bornèrent pas à
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La France pittoresque – Numéro 35
la consommation locale : le commerce du poisson, et notamment celui du hareng salé, commença à prendre de l’extension. En 1141, une véritable compagnie, dans l’acception industrielle donnée de nos jours à ce mot, formée à Paris semble-t-il en 1070 sous le titre de Confrérie des marchands de l’eau, composée des plus riches bourgeois de la cité et qui avait pour objet le commerce sur la Seine et la police de la navigation, acheta la place de Grève. Y établissant un port de décharge, elle reçut de nombreux privilèges : entre autres droits Départ des pêcheurs de harengs
établis par elle, nous voyons qu’elle percevait un cent de harengs sur chaque bateau chargé de salaisons. Paris et les villes voisines tiraient en effet de la Normandie, par la Seine, des épiceries, du sel, du poisson salé, etc. Un diplôme de Louis VII, donné en 1179 à la ville d’Etampes, porte défense d’acheter aucune denrée dans cette ville pour l’y revendre ensuite, excepté le ha-
reng et le maquereau salés. Le commerce du hareng devint bientôt plus protégé par les ordonnances de Philippe-Auguste. Fécamp par sa pêche, Rouen par sa position sur la Seine, Dieppe avec ses salines, faisaient la plus grande partie du commerce de ce poisson. En 1181, le roi défendit de faire monter par la Seine aucun bateau depuis Mantes jusqu’à Paris, s’il n’était affilié à la société des marchands de cette ville ; en 1187, il confirma, par lettres patentes, un accord passé entre cette société et Gathon de Poissy, pour le péage de Maisons-sur-Seine. Là furent réglés les droits que paieraient à l’avenir les bateaux chargés de hareng, de sel et de vin montant la Seine, pour se rendre à Paris. L’importance du commerce de ce poisson ne fait alors aucun doute, le hareng étant au coeur de concessions et de privilèges parfois vivement disputés. Il en arrivait à Rouen de tous les ports de Normandie, l’Angleterre et la Flandre concurrençant cet arrivage. Un acte de 1170 fait mention de cette pêche au Tréport, dans la concession de droit obtenu par l’abbaye de la ville d’Eu, d’acheter tous les ans 20 000 harengs frais ou salés exemptés de tout droit. Un autre acte établit également que la pêche de ce poisson avait déjà lieu à Calais. Nous y apprenons que Simon II, abbé de Saint-Bertin, revenait de Rome muni de plusieurs bulles favorables qu’il avait reçues d’Alexandre III ; une entre autres, accordait à son abbaye la dîme de la pêche des harengs sur toute la côte maritime du Calaisis.
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ARTS/I NDUSTRIES
Du XIe siècle au XVIIe siècle
Une pêche menée des côtes calaisiennes aux côtes bretonnes L’exécution y occasionna une révolte : tous les pêcheurs s’étaient unis pour en refuser le paiement. Quoique ce droit fût confirmé par le comte de Flandre et par Philippe-Auguste, et que la dîme fût demandée par le seigneur du territoire, elle fut constamment refusée. Il semble qu’un vieux matelot donna seul son adhésion à payer cette dîme à son curé, en lui observant que cet impôt devait être levé dans champ ; que celui où il moissonnait et où il faisait sa récolte était la mer, et qu’il aurait soin d’y laisser le dixième de sa pêche. Les annales de Calais nous montrent que les querelles liées à cette dîme ont duré entre l’abbaye et les Calaisiens jusqu’à ce que l’évêque Lambert II y eût mis fin par une transaction. Cette même charge suscita plus tard d’âpres contestations entre l’abbaye de Sainte-Walburge, en Flandre, et les pêcheurs de Dunkerque et ceux de Nieuport, mais dans lesquelles les pêcheurs finirent par succomber.
ARTS/INDUSTRIES
Quand LE
par les vexations que les marchands éprouvaient, tant de la part des principaux habitants des villes, que de celle des garnisons des places fortes et des pourvoyeurs des grandes maisons, qui arrêtaient le poisson destiné à la capitale. Pour surveiller la vente du poisson de mer, on créa des jurés-vendeurs dans la plupart des grandes villes, telles que Paris, Rouen, Langres, Laon, etc., et on régla la quantité de harengs qu’il serait permis d’acheter, et en plusieurs endroits les officiers du roi furent chargés d’en fixer le prix. Le marchand forain était libre de vendre lui-même son hareng le jour du vendredi. Le droit de vente, qui appartenait aux vendeurs publics pour tous les autres jours, était assez considérable, puisqu’en 1369 il s’élevait à 12 deniers par livre. En 1350 et 1351, Jean II accorda aux voituriers des lettres patentes portant peine de confiscation, d’amende et de privation d’offices, contre ceux qui entraveraient à l’avenir la liberté du commerce des poissons de mer. Dans une ordonnance publiée en 1320, les harengs y sont distingués en poissons saurs, blancs et frais, et ils doivent être vendus de plusieurs manières : 1° en meze, messe ou maise, sorte de mesure qui devait contenir 1020 harengs saurs ou 816
HARENG s’invite sur les théâtres de GUERRE
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Au cours du XIIe siècle, plusieurs donations de harengs, faites à des maisons religieuses, portent à croire que la pêche de ce poisson se pratiquait entre la Seine et l’Orne, Le hareng car les donations s’acquittaient à Pontchands forains et des voituriers de poisAudemer ; il est également certain qu’il y sons de mer ; les harengs y sont distingués avait dans le même temps une pêche de en poissons frais, salés ou secs. L’ordonhareng près des îles de Jersey et de Guernance de 1258 et celle édictée en 1326 sous nesey, puisque le roi d’Angleterre Henri II Charles IV, défendirent de mêler ensemble relate dans les privilèges de la ville de des harengs de deux mors, c’est-à-dire de Pontorson, les droits à percevoir sur les deux marées. Cette distinction fut conserharengs frais et salés qui passaient de là vée sous la dénomination de harengs de en Normandie. Le poisson de cette pêche la nuit et de harengs de deux nuits. est désigné dans les ordonnances postérieures sous le nom de hareng de Garnisy. Des droits pléthoriques incitant On pense aussi que cette pêche avait lieu Louis IX à y mettre bon ordre sur les côtes de Bretagne, entre la Vilaine Il n’y eut pas de roi de France ayant rendu et la Loire, et le nom du village appelé en plus d’ordonnances ou fait plus de règlebas-breton Penharing, ce qui signifie tête ments en faveur du commerce du hareng de hareng, dérive nécessairement de quelque Louis IX. Nombreux furent les obstaque circonstance remarquable de la pêche cles qu’il fallut surmonter pour vivifier ce de ce poisson. Quant à celle qui se praticommerce entravé par la prétention des quait au midi de la Loire, elle est établie par seigneurs, des évêques et des abbés, qui différents actes ; il en est question dans l’avaient chargé d’une foule de droits, conles coutumes de la mer, autrement dites loi nus sous les noms de prise, de transit, de d’Oléron, datant de 1152 et publiées par barage, de tonlieu, de rive, de chaussée, Eléonore de Guienne quand Louis le Jeune de travers et de truage, par les fournitures l’eût répudiée à son retour de la Palestine de poissons à des conditions arbitraires – la date de 1266 parfois rencontrée est en que s’octroyaient quelques abbayes, et réalité celle d’une seconde publication. Remarquons cependant qu’il s’agit plus probablement ici des très grandes sardines ou des pilchards que l’on confond souvent avec le hareng quand elles atteignent leur plus grande taille. Les guerres du XIVe siècle entre la France et Le commerce des ports de mer avec Paris l’Angleterre nuirent à la pêche du hareng. Les obtint de plus grands accroissements lorsAnglais s’étant rendus maîtres de Calais, proque Philippe-Auguste eut réuni à la coufitèrent de cet avantage pour prescrire des limites à la pêche française, et le malheur du ronne la Normandie et la Picardie, d’où la temps imposa la dure obligation de les rescapitale et les principales villes du royaume pecter. Si les Dieppois, abandonnés à leurs tirèrent dès lors leurs provisions en poispropres forces, s’opposèrent seuls aux agressions de l’ennemi en armant en 1383 deux son de mer. Si un nouveau port de décharge grosses barges et un bargot pour tenter de pour les marchandises remontant la Seine pêcher à leur guise, ils échouèrent ; car on fut établi, le roi octroyant de nouveaux voit, deux ans plus tard, Charles VI permettre aux pêcheurs de Dieppe et de Boulogne de droits à la société des marchands de l’eau, prendre du gouverneur anglais de Calais un c’est pourtant seulement sous Louis IX, sauf-conduit pour la avec les ordonnances Journée des harengs pêche, avec la clause de ne la faire qu’entre « la de 1250, 1254 et 1258, Seine et la Somme, et que le commerce des jusqu’à Noël seulepoissons de mer acment », et aux offres d’en accorder de paquit l’importance qu’il reils aux pêcheurs anméritait, la seconde glais et calaisiens. surtout, constituant Il y était également stipulé que si, par la viodes encouragements lence ou la contrariété indirects sans précédes vents, ou pour évident que reçut la pêter la poursuite de quelque pirate, les pêche du hareng. Elle cheurs français se établit l’ordre et la povoyaient forcés d’enlice de la vente à obtrer dans un des ports de la côte de France ocserver à Paris ; il y est cupés par les Anglais, fait mention pour la ils y trouveraient bon première fois des maraccueil, sûreté, et s’y
fourniraient de vivres et de tous les autres objets dont ils auraient besoin. Le roi d’Angleterre Henri IV sentait en effet la nécessité de se concilier la bienveillance des Français, et surtout de se rendre favorables les provinces maritimes, dont il convoitait la possession. Au commencement du XVe siècle, la pêche et le commerce français des harengs passèrent un temps entre les mains de nos ennemis, ces derniers occupant presque tout le Nord de notre pays. L’année 1429 assiste à la journée des harengs, combat lors duquel le duc de Bourbon fut défait en voulant s’emparer d’un convoi composé en grande partie de ces poissons salés destinés comme provision de carême à l’armée anglaise qui faisait le siège d’Orléans. Les guerres fréquentes qu armèrent l’une contre l’autre la France et l’Angleterre, rendirent notre pêche lointaine fort difficile ; aussi, vers le milieu du XVII e siècle, les Dieppois abandonnèrent-ils les grands drogueurs qu’ils y employaient, et équipèrent des bateaux plus petits pour pêcher sur les fonds de la Manche. La France étant alors en guerre avec l’Espagne, les corsaires flamands poursuivirent nos pêcheurs sur toute la mer du Nord. Pour les mettre à l’abri de leurs attaques, on eut l’idée d’embarquer des soldats et d’armer les bateaux de petits canons. Devant l’insuffisance de ce stratagème, le gouvernement dut cependant armer deux frégates pour donner la chasse aux corsaires, Dieppe abandonnant les expéditions de pêche à la hauteur des Shetland. D’APRÈS... Histoire naturelle des poissons (T. 20) paru en 1847
ET Traité général des eaux et forêts, chasses et pêches. Quatrième partie : dictionnaire des pêches paru en 1827
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ARTS/INDUSTRIES
Retour des pêcheurs de harengs
sur les PÊCHERIES de PICARDIE
L’invasion franque ayant détruit les pêcheries, les riverains de la mer ne purent se livrer à aucune opération sérieuse de pêche pendant près de deux siècles ; mais bientôt, l’observation rigoureuse du carême nécessitant de remplacer la viande dont les commandements ecclésiastiques prohibaient l’usage, des bateaux furent armés pour traquer les poissons de passage, harengs et maquereaux qui pénétraient à certaines époques dans les parages du Boulonnais et de la Somme. Les filets et les engins reçurent des améliorations enseignées par la pratique ; puis on s’appliqua dans l’art de conserver le poisson ; des salines furent établies sur les côtes, dans le voisinage de tous les ports de pêche : il y en eut autour de Saint-Valery, à Sallenelle, à Saigneville, à Noyelles, à Rue, à Waben, à Saint-Josse, à Boulogne. Des charretées de poissons salés étaient journellement expédiées sur tous les établissements de charité et de prières, et même pour la nourriture des armées pendant le carême. Un grand débit de harengs se faisait dans toutes les villes de Picardie. Au XIVe siècle, un cent de harengs saurets valait 5 sols. En 1389, il en fut vendu, sur le port de Boulogne, 10 000 pour l’hôtel de la reine Blanche, au prix de 51 livres 13 sous parisis. Les barques de pêches dont on se servait sur les côtes picardes pour prendre le hareng et le maquereau, étaient des espèces de petites caravelles nommées hirondelles, allant à la voile et à la rame, et dont la contenance pour les plus importantes étaient à peine de quinze tonneaux. Les établissements de pêches tels que Saint-Valery, Etaples, Boulogne, Calais, durent à cette consommation considérable de poissons une importance non seulement commerciale, mais politique : la population de ces villes s’accrut ; l’industrie y apporta les capitaux ; les pêcheurs s’aguerrirent au rude métier de la mer et formèrent cette pépinière de valeureux marins qui, plus tard, devaient tenir tête aux Espagnols, aux Hollandais et aux Anglais, et préparer la grandeur de la marine française. Un rapport adressé à Colbert par le chevalier de Clerville au XVIIe siècle nous montre la réputation alors acquise par Saint-Valery : « les pescheurs de ce lieu sçavent accommoder le poisson avec une industrie qui est si fort au-dessus de celle des austres pescheurs de la coste de Picardie et de Normandie, que les harengs dont les barils sont marqués à la marque de Saint-Valery, se vendent par préférence quarante sols par baril plus que les austres ». En 1697, ce port et celui de Boulogne faisaient annuellement pour plus de 400 000 livres en harengs et maquereaux qui étaient distribués en Flandre, en Artois et à Paris. D’APRÈS... La Picardie, revue littéraire et scientifique paru en 1857
les autres ports de France. Venaient ensuite les barges, sorte de bâtiments plus petits que les drogueurs, et qu’on employait à la pêche d’Yarmouth, et à celle qui s’effectuait le long de la Manche. On équipait également des bargots ou petites barges et des tourets, qui paraissent avoir été des demi-barges. L’exportation annuelle de tant de milliers de tonneaux de harengs que produisait chaque saison la pêche, alimentait, au Moyen Age, la navigation d’une incroyable quantité de bâtiments de toutes grandeurs. Le bas prix de ce poisson en assurait partout le débouché, la France, l’Angleterre et la Flandre répondant aux besoins des provinces du midi. Les souverains s’appliquaient à attirer dans leurs Etats un commerce qui augmentait leurs revenus par les droits de tonlieu, d’estaple, etc. La grande consommation de hareng, et plus largement de tout poisson de mer, était la sévère abstinence qu’observaient toutes les classes de citoyens, et même les armées, pendant le carême et les jours maigres, et la règle de la plupart des monastères. La pêche française du hareng se faisait alors sur toutes les côtes de la Manche : dans la baie de Saint-Michel, sur les côtes de Bayeux, sur celles de Caen et de Honfleur jusqu’à la Seine, aussi librement que sur les
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core, avec celle de 1350, que l’on saurissait le hareng à Paris même. On distinguait aussi les harengs indigènes ou étrangers par un nombre assez considérable de noms qui prouvent, par conséquent, que ce poisson était déjà l’objet de l’attention générale. Ainsi, l’on disait les harengs de Garnisy, de Saffore, Saffaire, de Serne, d’Escone, de Frainclais ou Franchès, etc. L’ordonnance de 1320 fait mention de harengs poudrés, expression qui désignerait le hareng salé en vrac ou en grenier. Un acte de 1326 nous révèle que la ville de Caen recevait de l’étranger les harengs appelés milliers, et qui y étaient apportés en caques ou en rondelles. Il en venait dans la saison quatre à cinq cents last et plus, qui se distribuaient non seulement dans la ville, mais encore dans les pays du Maine, d’Alençon et d’Anjou.
Le hareng souffle un vent de renouveau
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harengs blancs (celle d’Irlande n’en contenait que 500) ; 2° en tresonel ou tressoumel ; 3° en pignon, qui équivalait à un millier de harengs ; 4° en caque, tonnel ou quecce (caisse). Elle nous apprend en-
Les côtes fourmillent de navires contenant jusqu’à 200 tonneaux L’importation et l’exportation du hareng devenaient alors un objet de commerce important. Les villes du nord envoyaient à Dieppe et à Rouen le hareng salé de leur pêche, qui était ensuite réexporté dans le Levant. Les bateaux employés à la pêche de ce poisson dans les différents ports de la Manche, variaient pour la grandeur et étaient distingués par des noms particuliers. Les plus grands paraissent avoir été les drogueurs ou dragueurs, soit que ce nom leur vînt du commerce de droguerie que les Dieppois faisaient dans les échelles du Levant, soit qu’ils l’eussent tiré du filet appelé drague, dont ils se servaient pour d’autres pêches. Le port de ces drogueurs était ordinairement de 200 tonneaux ; ils servaient pour les pêches dans les mers du Nord, des Orcades et des côtes d’Ecosse, et ensuite à transporter, après la pêche, le hareng salé en caques ou tonnels dans les pays étrangers, ou dans
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côtes de Haute-Normandie. La pêche était libre, et n’avait d’autre époque de clôture que celle de la disparition du poisson, quand Chariot pour le transport du hareng
les premières chaleurs du printemps le forcent à abandonner les côtes et à regagner les grandes eaux ; et s’il y eut quelques limitations, ce ne fut que dans des circonstances extraordinaires, et seulement pour quelques années. En temps de paix, les relations entre les Français et les Anglais étaient telles, que les deux nations n’avaient qu’un même système de police sur la pêche, l’une d’elles ne pouvant s’en écarter dans nuire à ses propres intérêts. D’APRÈS... > Histoire naturelle des poissons (T. 20) paru en 1847 > Traité général des eaux et forêts, chasses et pêches. Quatrième partie : dictionnaire des pêches paru en 1827 > Revue des deux mondes paru en 1849
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Q
uelques auteurs prétendent que l’usage de porter l’écharpe aurait succédé aux croix blanches dont les drapeaux français étaient armoriés depuis Clovis : il semble que ce soit à tort. Si les chevaliers du Moyen Age ont généralement porté des bandes, des lambrequins, des écharpes avant les croisades, celles-ci n’étaient qu’un objet de mode, de coquetterie, ou d’utilité personnelle ; elles n’avaient rien de national, rien qui fût militairement nécessaire.
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MODE /COSTUMES
UNE LÉGÈRE ÉTOFFE LOURDE DE SIGNIFICATION
Signe ou insigne ostensible
l’ÉCHARPE déroule
ses VERTUS au fil des siècles
Suaire puis façon d’afficher la livrée d’une maîtresse
En vogue au sein des chevaliers du Moyen Age qui y ont semble-t-il d’abord recours comme objet d’utilité personnelle puis plus certainement comme marque d’une faveur féminine, l’écharpe devient pour les croisés un signe distinctif nécessaire, ensuite adopté par le monde militaire et les factions nua de le faire jusqu’au XVIIe siècle ; c’est ciers – ce qui paraît différer des usages admis sous Louis IX. même de cette position oblique de l’écharpe qu’est venue la locution prenÀ l’écharpe et au bourdon, dre en écharpe, pour dire prendre on reconnaît un pèlerin obliquement. Elle était blanche sous Au XIIIe siècle, l’écharpe et le bourdon Louis IX, quoique ce ne fût pas la couleur étaient si bien la marque distinctive du nationale, mais bien la couleur anglaise, pèlerin, que les rois partant en croisade car alors la couleur française était le pourestimaient devoir prendre solennellement pre de l’oriflamme. Si une association de ces deux objets des mains des évêques ou chevaliers chrétiens porta l’écharpe blanabbés : « Quant li rois ot atourné sa voie, che en Orient, ce ne fut donc pas comme si prist s’eskerpe et son bourdon à Notrecouleur nationale, mais comme emblème Dame à Paris ; et li canta la messe li de chevalerie, comme couleur d’alliance evesques », mentionne La Chronique de entre chevaliers de diverses provinces ; voilà pourquoi alliance et Chevalier croisé, avec Reims. Ces écharpes auxquelles écharpe ont été synonyl’écharpe et le bourdon était suspendue la sacoche ou l’escarcelle du pèlerin mes. Sous Philippe le Bel, n’étaient qu’une courroie. elle était encore blanche Déjà en 1190, le roi Phipour nous en souvenir des lippe-Auguste prenait croisades, puisque selon « l’escherpe et le bourGuillaume Guyart, en 1304, don » à la basilique Saintles Français dans une baDenis. Quand le sire de taille navale contre les FlaJoinville, se préparant au mands, « Ont entr’eus touz voyage de l’Orient avec sus leur atours, / Et les Louis IX, quitte en 1248 son granz gens et les menues, domaine pour s’embarquer Escherpettes blanches à Marseille, il envoie quérir cousues / (...) Li l’abbé de Cheminon : « Cis malveuillant s’entreconabbes de Cheminon si me noissent / Par le saing des donna m’escharpe et mon escherpes blanches / (...) bourdon ». Dans le Roman Qu’il soit seigniez de Renart, composé de 1175 d’escherpe blanche / Pour à 1250, le goupil se déguise estre au férir conneuz ». On en pèlerin : « Or voit Renart la mettait alors soit en ceinfere l’estuet, / Escrepe et ture, soit en baudrier, et elle bordon prent, si muet, / Si servait aussi bien aux simest entrez en son chemin, / ples soldats qu’aux offi-
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Nous pouvons supposer que des hommes emprisonnés dans des vêtements de fer aient tenu à avoir extérieurement, faute de poches, un morceau d’étoffe, un suaire, pour essuyer, au besoin, la sueur de leur front, ou étancher le sang d’une blessure. Bientôt la mode, la vanité, la galanterie, s’emparèrent de ce signe extérieur : l’écharpe ne fut plus un simple mouchoir, une visière, une bande à pansements ; ce fut un tissu reçu des mains de quelque haute châtelaine, ou une faveur octroyée à un chevalier par la dame de ses pensées. Chaque guerrier ayant, ou voulant passer pour avoir une maîtresse adorée, porta ce qu’il appelait ses couleurs, ses livrées, chiffons que les femmes livraient en s’en dépouillant. Souvent l’objet donné était blanc, parce que c’était la nuance la plus générale, celle des tissus de lin, celle de l’habillement des vierges. Mais une autre cause donna de la vogue à l’écharpe blanche : l’Eglise, qui avait affecté cette couleur à la reine des cieux, fit revêtir aux chevaliers néophytes les couleurs de l’innocence, de la pureté, le jour de leur baptême d’initiation. Lorsque les chevaliers commencèrent à servir par grandes masses, on reconnut qu’il manquait aux armures de fer une marque qui pût, un jour d’action, constituer un signe national de ralliement, et on recourut ainsi à une écharpe d’une couleur convenue. Dès la première croisade, et notamment en 1097 affirme Michaud, « sur la cotte d’armes de chaque écuyer, flottait une écharpe bleue, rouge, verte ou blanche ». Ce que dit Joinville de l’écharpe des croisés la montre comme prenant une importance qui ressemble à celle que la ceinture militaire avait eu plus anciennement à titre d’armement d’honneur. En croisant la cotte d’armes désignative de l’individu, l’écharpe devient elle-même désignative de la nation ou de la confédération de plusieurs nations. Aux croisades, les guerriers la portaient en sautoir, comme on conti-
Du Xe siècle au XVIIIe siècle
Numéro 35 – La France pittoresque
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MODE/COSTUMES sante, dangereuse même dre l’écharpe aux compadans la mêlée. Il n’en fut gnies d’ordonnance, elles plus question lors de la en eurent alors deux ; celle guerre de 1701, comme le que leur donna le roi croiprouvent les ordonnances sait de droite à gauche sur des troupes françaises, en l’écharpe aux couleurs du 1695 ; et en 1703 l’entière capitaine, et elle remplaça, abolition des écharpes eut comme signe distinctif, les lieu dans l’infantecasaques d’armes ; cette rie, comme consémode eut peu de durée. quence de l’adoption géCharles IX et Henri III pornérale du fusil. tèrent l’écharpe rouge, par Il ne resta de l’écharpe que opposition aux huguenots la cravate des drapeaux et leurs chefs qui la porfrançais, cravate qui origitaient blanche, comme nellement n’était autre nous l’apprend d’Aubigné, chose que l’écharpe, ou, avant que ce dernier sousi l’on veut, le lien, la briverain n’adoptât, en signe de réconciliation, de nou- Colonel-général de l’Infanterie cole du porte-enseigne ; sous Henri IV d’une extrémité, il l’attachait veau la couleur blanche, de au fer de la lance du drapeau ou de la cormême que son successeur Henri IV. nette ; de l’autre, il s’en faisait une ceinChaque nation avait alors de même sa couture ; c’était le moyen d’empêcher que le leur : l’écharpe des Anglais et des Savent ou l’ennemi n’emportât cette volumivoyards était bleue ; celle des Espagnols, neuse enseigne. Cette manière de lier l’une rouge ; celle des Hollandais, orange ; celle à l’autre l’enseigne vivante et l’enseigne des Autrichiens, noire et jaune, etc. d’étoffe dura jusqu’à la moitié du XVIIIe L’usage survécut peu en France aux derniers tournois, et l’écharpe fut abandonsiècle. D’APRÈS... née quand l’uniformité des habits militai> Dictionnaire de la conversation et de la lecture (T. 8) paru en 1854 > Histoire du drapeau, des couleurs et des insignes res s’établit. Après la paix de Ryswick de la monarchie française, précédée de l’histoire des enseignes militaires chez les anciens (T. 2) paru en 1837 (1697), on reconnut qu’elle était une déco> Dictionnaire raisonné du mobilier français de l’époque ration sans objet, coûteuse, embarrascarolingienne à la Renaissance (T. 3) paru entre 1858 et 1875
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Moult resemble bien pelerin, / Et bien li sist l’escrepe au col ». Après que les temps de pèlerinage et de croisades furent passés, l’écharpe perdit insensiblement l’escarcelle qu’elle portait suspendue, prit en place une frange ou un gland, mais se maintint et devint un attribut, une distinction, voire un effet d’uniforme, quand l’armure plate commença à devenir d’un usage général : ainsi, c’est de 1330 à 1600 que l’écharpe accompagne le costume de fer et constitue une marque purement militaire. Sous le règne de Charles VI, elle cessa d’être blanche, parce qu’elle n’était plus alors un signe d’alliance entre des chevaliers, et que la gendarmerie du monarque commençait à l’emporter sur la chevalerie : elle se portait en bandoulière, sur les vêtements d’étoffe et de cour. Les écharpes exerçaient pourtant une grande influence, plutôt comme marques de factions que comme insignes de la monarchie : les Armagnacs seuls conservèrent alors la couleur blanche, et les Mémoires de Pierre de Fenin nous apprennent qu’ « en ce tems [1408], les gens du duc d’Orléans et du comte d’Armignac estoient logez par delà Paris ; et alors on commença fort à parler des gens au comte d’Armignac, pour ce qu’ils estoient habillez d’escharpes blanches, car on estoit encores peu vuille [on avait encore peu vu] au pays de France et de Picardie de telles escharpes », de Barante écrivant qu’en 1413 « on était aussi mal venu à ne pas l’avoir qu’on l’eût été à ne pas avoir l’écharpe de Bourgogne un an auparavant ».
ROYALISTES et LIGUEURS catholiques
s’écharpent par couleurs interposées
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La couleur de l’écharpe ne doit rien au hasard
Les huguenots ayant conservé le blanc, le roi Charles IX crut devoir adopter l’écharpe rouge, et à la bataille de Dreux, en 1562, lorsque la guerre éclata entre le parti protestant et le parti catholique, « le combat avoit déjà duré plus de cinq heures, et à peine pouvoit-on plus discerner des officiers les écharpes blanches que portoit l’amiral [Gaspard de Coligny, chef des troupes protestantes] d’avec l’écharpe rouge de ses ennemis », raconte La Popelinière. Henri III continua de porter l’écharpe rouge, mais quand en mai 1589, le duc de Mayenne, général de la Ligue catholique, après s’être avancé jusqu’à Tours où le monarque et le roi de Navarre – futur Henri IV – étaient réunis, fut contraint de battre en retraite par les troupes protestantes, Henri III, « pour honorer leur valeur, prit l’écharpe blanche, ce qui fâcha à plusieurs des siens, ne pouvant honorer de bon coeur la marque contre laquelle ils avoient eu et avoient encore tant de passion », rapporte d’Aubigné. Ce que la Ligue ne put obtenir à force ouverte en Touraine, elle l’obtint le 1er août suivant du poignard de Jacques Clément, la duchesse de Montpensier se vantant d’avoir commandité cet acte et faisant « par une fureur insolente et ostentation enragée, distribuer à tous les conjurés des écharpes vertes, disant : Je ne suis marrie que d’une chose, c’est qu’il n’a sceu, devant que de mourir, que c’estoit moi qui l’avois fait faire ». Le duc de Mayenne et ses partisans quittèrent l’écharpe noire qu’ils portaient depuis la mort des Guises, et prirent la verte en signe de réjouissance. Cependant, cette frénésie et ces excès, qui valurent bientôt à la Ligue de voir les villes se détacher peu à peu d’elle, n’empêchèrent pas l’imprescriptible couleur de remonter sur le trône avec Henri IV. En 1592, après l’abjuration du roi, Villars, commandant de la ville de Rouen, répondit à Rosny, chargé de mener les pourparlers : « Je ne connais plus qu’une Ligue, celle de tous les bons Français pour aimer et servir leur roi ! ». A ces mots, Rosny lui jeta au cou l’écharpe blanche, et le peuple cria : Vive le roi Henri, témoigne Millin. Le 27 décembre 1593, L’Hospital Vitry, commandant de Meaux pour la Ligue, fit savoir au duc de Mayenne qu’il voulait rentrer au service du roi devenu catholique, et prit l’écharpe blanche, avant de la faire prendre à toute la ville aux cris de Vive le roi ! Le 12 février 1594, à Lyon, « on commença à prendre des panaches blancs, et peu de temps après des écharpes blanches ; et à dix heures du matin ne se trouvoit plus de tafetas ni de crespe blanc dans la ville, tant fut grande l’affluence de ceux, et jusques aux enfans, qui Arquebusier protestant, en voulurent porter les marques du roy ». D’APRÈS... Histoire du drapeau, des couleurs
Faisant partie de l’uniforme des compagnies d’ordonnance sous Charles VII, elle était blanche sous Louis XI. Il n’en fut plus fait usage sous les princes qu’on range parmi les plus chevaleresques, sous Louis XII ni sous François Ier ; du moins les bas-reliefs de leurs tombeaux n’en montrent aucune. Ceci tient sans doute à ce que depuis l’invention des armes à feu, les écharpes étaient devenues embarrassantes ; les arquebusiers n’en portaient pas, et sous les règnes suivants, les seuls piquiers de l’infanterie française les conservèrent, au témoignage de Gheyn. Si Henri II fit repren- costume blanc, sous Henri III
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et des insignes de la monarchie française, précédée de l’histoire des enseignes militaires chez les anciens (T. 2) paru en 1837
(
N
é à Strasbourg le 18 décembre 1776, Jean-Baptiste Schwilgué perdit sa mère à l’âge de six ans, et montra dès ses plus tendres années un goût si décidé pour tout ce qui se rattachait aux arts mécaniques qu’il parvint, sans autre guide que son intelligence et son adresse manuelle, à confectionner, seul, les outils nécessaires à l’établissement d’un petit atelier. Son plus grand bonheur était en effet d’imiter, en petit, les machines qu’il avait l’occasion de voir, et de façonner des instruments à l’usage de la physique expérimentale, ses camarades et les amis de sa famille le qualifiant ainsi de petit sorcier.
XVIIe siècle XVIIIe siècle XIXe siècle XXe siècle
PERSONNAGES
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LA TÊTE DANS LES ÉTOILES Quand LE
RÊVE D’ENFANT de
Schwilgué PROGRÈS scientifique
devient
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Le destin de Schwilgué lié à celui de l’horloge dès ses 15 ans C’est vers l’âge de 15 ans, toute la famille s’étant établie à Sélestat après les événements de 1789, qu’il conçut la première idée de restaurer l’horloge astronomique de Strasbourg, construite par Dasypodius en 1574 et ayant cessé de fonctionner en 1790. Cette dernière remplaçait elle-même celle qui, achevée en 1352 par les mécaniciens et astronomes les plus habiles du temps, est à brandit de nouveau en 1793, cette fois l’origine d’une étrange légende : les chanoicomme « monnaie d’échange » devant un nes du chapitre de Strasbourg délibérant sur citoyen commissaire indifférent, en vue la récompense à donner à l’artiste, convind’obtenir la libération de son père emprirent de lui crever les yeux afin qu’il ne fût pas sonné pour cause d’opinions modérées. en mesure, fort de son expérience, de consS’il savait indispensable l’étude des hautruire pour une autre ville une horloge plus tes mathématiques et principalement celmerveilleuse encore ; mais apprenant la railes de l’astronomie pour rendre à cette horson du traitement barbare à lui infligé, le malloge son antique splendeur, il dut cepenheureux s’écria « Insensés ! Qu’avez-vous dant patienter avant de s’y atteler, en raifait ? Cette horloge n’est point achevée ; elle son d’un service militaire qu’il effectua va s’arrêter si je n’y ajoute la pièce qui y comme canonnier sédentaire de la manque, et dont moi seul connais la garde nationale de Sélestat, et place ». Conduit au chef-d’oeuvre, il dont il ne fut définitivement libéré en brisa les rouages, personne que le 20 mars 1801, alors qu’il ne s’avérant capable de était marié depuis cinq ans la réparer. à une Mlle Hihn renLe jeune Alsacien, contrée lors d’un bal ne manquant jaauquel il avait mais les dimanété prié d’asches vers sister en sa l’heure de midi, qualité d’officier de se rendre à la de la garde nacathédrale pour tionale, et était contempler celle de déjà père de trois Dasypodius bien enfants. Chaque qu’elle fût devenue naissance – il eut huit inactive et que personne enfants – était pour lui ne savait non plus réparer, l’occasion de se rendre à Schwilgué s’écria un jour de- Jean-Baptiste-Schwilgué Strasbourg et d’acheter à la livant une assemblée à laquelle le sacristain brairie Levrault un nouvel ouvrage de mavenait de narrer la légende de sa constructhématiques qu’il lisait chaque soir, son tion : « Eh bien ! moi, je la ferai marcher ! » ; travail journalier achevé, étudiant fort avant de s’exclamer : « Je jure ici devant avant dans la nuit. Dieu qui m’entend, qu’avec le secours de Plus de douze ans après la loi constitutive sa divine protection, je ferai marcher cette du système métrique décimal, édictée par horloge et chanter le coq », promesse qu’il la Convention nationale le 7 avril 1795, le
Manifestant très tôt un goût prononcé pour la mécanique et les mathématiques, l’autodidacte Schwilgué, menant de front études, carrière dans l’enseignement et dans l’horlogerie, poursuit des travaux scientifiques visant à tenir le serment de ses 15 ans : conférer l’ « immortalité » à une horloge astronomique de Strasbourg au passé chaotique
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gouvernement entreprit de convaincre une population rétive à cet usage au moyen d’hommes capables de le bien comprendre pour pouvoir ensuite le bien expliquer, et fit ainsi appel comme vérificateur des poids et mesures de l’arrondissement de Sélestat entre 1808 et 1825, à Schwilgué, qui déjà s’était déjà distingué par un travail important relatif au rapport existant entre cette échelle uniforme et l’ancien système alsacien. Jean-Baptiste n’eut pas plus de maîtres pour les sciences qu’il étudia, qu’il n’en avait eu pour l’horlogerie qu’il pratiquait alors : sa méthode consistait à appliquer, après l’avoir approfondie, la théorie à la pratique, en rendant sensible et en quelque sorte palpable à l’oeil par le secours du dessin, tout ce qui était possible d’être reproduit ; et ce fut ainsi qu’il apprit la géométrie descriptive, avant de se douter que le savant Monge eut rassemblé depuis longtemps en un corps d’ouvrage imprimé, les ingénieuses applications de cette branche importante des mathématiques. De tels succès n’ayant pas tardé à être connus, on songea à Schwilgué pour occuper dès 1808 le poste de professeur suppléant à la chaire de mathématiques du collège de Sélestat, quoiqu’il ne possédât encore aucun diplôme.
Persévérance et détermination enfantent le calendrier perpétuel Fin 1815, songeant plus que jamais à la reconstruction de l’horloge astronomique de Strasbourg, il eut l’idée de remplacer par un calendrier mécanique et mobile l’ancien calendrier de cette horloge qui n’indi-
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quait qu’en peinture, sur son disque de bascules d’une portée de 125 tonnes jadis sous le nom de vergure, des régulateurs bois et seulement pour l’espace d’un sièà l’usage des ponts et chaussées. pour métier à tisser, etc. », mentionnant cle, les jours de Pâques de chaque année que toutes les pièces sont de son invenPassé maître dans l’art de créer tion et ont été perfectionnées par lui. En ainsi que quelques-unes des principales des appareils de précision fêtes mobiles. A cet effet, et en dépit d’un 1827, il prit la direction technique de l’étaUn compte-rendu qu’il élabora en 1826 à entourage pour la plupart dubitatif l’engablissement de son ami Rollé avec lequel il la demande expresse de geant à renoncer, il parvint et en six semais’associa et qui l’avait Charles Dupin, membre nes de temps à créer un mécanisme de trois engagé à s’établir à Strasde l’Académie des sciencents pièces dont il avait voulu que les bourg, où Jean-Baptiste ces le sollicitant dans le indications fussent perpétuelles, et qui reput dès lors se livrer tout cadre de la rédaction d’un produisait également celles des années à son aise à son génie inouvrage sur « l’imporécoulées depuis la réformation du calenventif. tance et le caractère des drier grégorien, intervenue en 1582. Six ans La même année, dans la principaux établisseplus tard, fin septembre 1821, animé du désir prévision que l’horloge ments d’industrie qui font de faire connaître au monde savant son astronomique de la cahonneur à notre patrie », comput ecclésiastique et muni de son préthédrale de sa ville natale nous montre que cieux mécanisme portatif – mesurant 20 cm serait tôt ou tard réparée Schwilgué fabriquait de haut sur 15 de large et 10 d’épaisseur –, et même reconstruite enalors « des horloges puil mit à profit l’époque où les élèves étaient tièrement, il adressa à bliques d’un nouveau en vacances pour se rendre dans la capil’administration municigenre, des machines à tale où il ne connaissait personne sinon pale de Strasbourg un fendre perfectionnées et son fils aîné, mais décidé à soumettre son mémoire dans lequel il des outils servant à la travail tant à l’Académie des sciences qu’à proposait trois modes confection de pièces méLouis XVIII. Respectant scrupuleusement d’exécution : 1° remettre caniques qui exigent une une étiquette à laquelle le roi tenait partil’horloge dans son état certaine précision », mais culièrement, Schwilgué fut admis un mois primitif, c’est-à-dire telle encore « des appareils plus tard à lui présenter lors d’une audience qu’elle avait été consHorloge astronomique de Dasypodius construite en 1574 utiles à la vérification des particulière de plus d’une demi-heure son truite à l’origine ; 2° la poids et mesures, des machines pour la invention, avant de quitter Paris pour reperfectionner et la compléter ; 3° la reconsfabrication des toiles métalliques, connues gagner Sélestat en vue de la rentrée des truire entièrement sur un plan tout nouclasses du collège. La notoriété de Jean-Baptiste ne se démentit pas. En 1824, il fut chargé par le conseil municipal d’établir dans la tour de l’église Saint-Georges la grande horloge qui devait attirer l’attention des connaisseurs et Lorsque Jean-Baptiste Schwilgué parvint à mettre au point ce comput ecclésiastique permarqua un progrès sensible dans la conspétuel qu’il crut un moment irréalisable au point d’envisager d’être contraint de prouver cette impossibilité par de nouveaux calculs, il s’empressa d’en faire part à son fils aîné, truction des grandes horloges publiques. dans une lettre datée du 14 décembre 1815 à neuf heures du soir : « Les dimanches L’année suivante, la grande bascule à pont précédents je me suis occupé du Quantième perpétuel de M. Kunckel [un des amis les plus dont on se servait alors à Sélestat étant intimes de Jean-Baptiste], qui est maintenant fini ; il fonctionne avec tant de précision que devenue hors de service en raison de déj’en suis on ne peut plus satisfait. Dimanche dernier, il y aura quinze jours, je lui montrai comment cela s’organisait. M. Kleitz [autre ami, professeur au collège gradations successives, Comput ecclésiastique de Sélestat] se trouvait chez lui : tous deux en ont été étonnés. Je leur ai il supervisa les réparade Schwilgué dit que depuis longtemps je cherchais à inventer un autre objet, mais tions qu’elle exigeait en que je croyais impossible de trouver, à cause des trop grandes complisa qualité de vérificateur cations de calculs que cet objet nécessiterait. M. Kunckel m’a répondu que quelque difficile que cela puisse être, il ne doutait pas que si je des poids et mesures, et m’en occupais sérieusement, je parviendrais à le découvrir (c’est d’inen profita pour faire sudiquer mécaniquement les fêtes mobiles). Dès ce jour je m’y suis livré, bir à l’instrument tant et le mercredi jour de saint Nicolas, à dix heures du matin, je l’ai d’innovations et de perheureusement trouvé. Aussi pendant les trois nuits précédentes je n’avais fectionnements que, pu fermer l’oeil, tant cela m’avait occupé l’esprit ; il m’a fallu pour réussir, combiner mes calculs et mon mécanisme d’une manière si exd’une vieille machine en traordinaire, que je m’étonne encore d’y être parvenu ». tout point défectueuse, Schwilgué poursuit : « J’en ai fait part plus tard au maire de Sélestat, en il en fit une nouvelle serlui disant que je venais d’inventer une pendule à calendrier perpétuel vant de modèle pour mécanique où les fêtes mobiles étaient représentées ; qu’elles se transportaient d’elles-mêmes sur les jours et les mois qui leur correspontoutes celles qui depuis daient pour chaque année, ainsi que le comput ecclésiastique qui y furent construites. On répondait (...) ; je lui ai dit également que (...) j’étais parvenu à rendre se contentait autrefois le mouvement des aiguilles indépendant du rouage de la mesure du dans l’opération du petemps, pour celles dont les cadrans sont éloignés du corps de l’horloge, sage, d’une exactitude et cela sans rouages intermédiaires ou auxiliaires (...). Comme le maire se trouve en ce moment à Strasbourg, je pense qu’il est assez lié avec variant de 25 à 50 kg, son collègue de cette ville pour lui faire part de ma nouvelle découprise sur la charge toverte. Peut-être aussi cela pourra-t-il me servir à quelque chose, lorstale d’une voiture ; la précision fut portée qu’on aura les moyens de réparer l’horloge astronomique de la cathédrale ». à un demi-kilogramme, même à l’égard des D’APRÈS... Notice sur la vie, les travaux, les ouvrages de mon père, J.-B. Schwilgué, etc. paru en 1858
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Calendrier PERPÉTUEL MÉCANIQUE : étape CRUCIALE du rêve de Schwilgué
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L’horloge astronomique
des pièces qui existaient dans l’ancienne ; quand même l’aurait-il voulu que cela lui eût été impossible. On ne conserva de l’ancienne horloge que le cabinet, dont les peintures et les ornements asiatiques avaient été habilement restaurés auparaLe 31 octobre 1853, le prince impérial Napovant ; mais c’est précisément en raison du léon, cousin de l’empereur Napoléon III, rerespect pour la première disposition de venant de Stuttgart, arriva le soir à Strasbourg et descendit à la Préfecture. Le lendemain, cette cage, que l’inventeur alsacien dut jour de la Toussaint, il se rendit à la cathédrale vaincre d’immenses difficultés, tant pour pendant l’office, et s’arrêta devant l’oeuvre coordonner et placer le mécanisme entier de Schwilgué, avant de s’enquérir de l’origine et du nouveau mécanisme de celle-ci, puis dans un espace ne s’y prêtant que médiode se rendre chez lui, désireux de lui expricrement, que pour en harmoniser les foncmer de vive voix le plaisir qu’il avait éprouvé tions avec les indications anciennes. Il à voir fonctionner son horloge. L’Alsacien s’empressa de montrer au prince quelques-uns des consigna la description complète de son instruments de précision et de calcul qu’il oeuvre au sein de 40 cahiers manuscrits, avait inventés et exécutés : celui-ci les exaavec plans et dessins. mina les uns après les autres en connaisseur, et les observations précises et multipliées Entamée le 24 juin 1838, la construction qu’il fit sur l’emploi de ces instruments dénécessita quatre années de labeur, counotèrent, chez lui, un appréciateur compéronnées par la mise en route de la nouvelle tent. Après avoir adressé à Schwilgué des paroles de félicitation et d’encouragement, le horloge le dimanche 2 octobre 1842, à l’ocprince le quitta, devant parvenir à Paris le e casion du 10 congrès scientifique tenu même jour. alors à Strasbourg. Les journaux de la loS’il voulait garder un strict incognito et avait à dessein voyagé sous le nom de comte de calité avaient annoncé que le chefMeudon, le bruit se répandit bientôt dans la d’oeuvre de Dasypodius, qu’on avait cru ville, que le cousin de l’empereur avait daigné visiter l’inventeur dans sa modeste habimort pour toujours, allait revivre et qu’ainsi tation ; de sorte qu’en se dirigeant vers l’eml’antique basilique verrait renaître son plus barcadère du chemin de fer de Paris, il renbel ornement ; « ce miracle, disait-on, decontra sur son passage une foule de personnes venues le saluer. Schwilgué, absorbé par vait s’opérer à midi précis ». Peu avant les calculs auxquels midi, Schwilgué s’avança seul l’astreignait son vers son horloge qu’il mit en grand ouvrage sur les engrenages, ne mouvement, et bientôt l’un songeait déjà plus des petits génies tenant un à cette visite, lorssceptre frappa le timbre qui qu’il reçut une lettre du prince datée annonça le premier des quadu 11 novembre tre quarts précédant l’heure, suivant et ainsi dont les douze coups se firent conçue : « Monsieur, je m’empresse de entendre. Aussitôt les apôtres vous faire savoir vinrent s’incliner devant leur que j’ai été assez divin maître, puis le coq agita heureux pour appeler l’attention de ses ailes, fit entendre son l’empereur sur vos chant et apprit ainsi à la popuremarquables tralation qui se pressait au devaux qui méritent d’être mieux conhors comme au dedans de la nus, et que j’espère cathédrale que le miracle était voir figurer à la accompli. grande exposition où la France doit Jean-Baptiste, qui poursuivit être dignement redepuis ses travaux scientifip r é s e n t é e . ques et effectua d’incessanJ’éprouve un vérites recherches sur les engrena- Détail de l’horloge astronomique table plaisir à vous annoncer que S.M. a de Schwilgué à Strasbourg ges et les machines de précision, donné l’ordre, au miperdit son épouse en 1851, deux ans avant nistre de l’instruction publique, de lui proposer un décret qui vous nomme officier de la de recevoir la visite du cousin de l’EmpeLégion d’Honneur ». Il avait ajouté de sa main, reur qui avait vu fonctionner la nouvelle en forme de post-scriptum : « J’ai conservé horloge astronomique, et de se voir déun vif souvenir de ma visite à l’horloge de Strasbourg et dans vos ateliers ». Dans le Mocoré de la Légion d’Honneur. Une santé niteur du 13 novembre était publié un décret déclinante le priva de l’Exposition univerimpérial confirmant cette décoration, et le selle de 1855 tenue à Paris, peu avant sa rédacteur en chef du Courrier du Bas-Rhin faisait suivre la même annonce des réflexions mort survenue le 15 décembre 1856.
Horloge de l’église Saint-Georges à Sélestat, conçue par Schwilgué
veau et de façon à ce qu’elle pût réunir tout ce que l’art mécanique et les connaissances astronomiques pouvaient offrir de plus exact et de plus complet. Deux ans plus tôt, il avait pu pénétrer dans la cage de l’horloge et en visiter le mécanisme, constatant alors « que la plupart des ouvrages étaient démontés ; que presque toutes les figures mouvantes qui servaient, tant à la sonnerie qu’à d’autres fonctions, étaient mutilées, que ses diverses pièces étaient d’une construction vicieuse et par trop matérielle ; que presque toutes étaient construites en fer, un très petit nombre en acier, et qu’il n’en existe pas une seule qui soit en cuivre ; que le frottement avait grandement altéré quelques-unes d’elles, mais qu’il n’avait mis hors de service que celles dont le mouvement était le plus continuel ou qui agissaient avec le plus de vitesse ; enfin, que l’oxydation, je veux dire la rouille, n’avait presque pas mordu sur l’ensemble des rouages ».
L’homme d’un projet titanesque exigeant un savoir-faire hors pair
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Il avait été plusieurs fois question d’une réparation complète ; mais, sous le Premier Empire et la Restauration, l’autorité municipale de Strasbourg avait reculé devant la dépense qu’un semblable travail eût nécessitée, et si ce fut dans sa séance du 24 septembre 1833 que le conseil de la ville s’occupa pour la première fois et sérieusement de la résurrection de l’horloge astronomique, trois années supplémentaires s’écoulèrent avant que l’exécution des travaux de réhabilitation fût confiée à Schwilgué. Il lui fallut d’abord se livrer aux calculs les plus ardus ; puis, inventer une foule d’instruments et d’outils qui pussent donner aux rouages du nouveau mécanisme qu’il voulait créer, une précision que jusqu’alors la main de l’homme n’avait jamais atteinte, et enfin former un nombre d’ouvriers qui fussent capables de bien comprendre les détails de cette grande conception ; ceci en respectant un budget imposé par l’administration. Le traité le liant à son collègue Rollé expirant en 1837, Jean-Baptiste quitta l’association pour s’occuper exclusivement de la construction de la nouvelle horloge astronomique, pour laquelle il n’employa aucune
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de SCHWILGUÉ lui vaut la visite d’un PRINCE
D’APRÈS... > Notice sur la vie, les travaux, les ouvrages de mon père, J.-B. Schwilgué, ingénieur (...), créateur de l’horloge astronomique de la cathédrale de Strasbourg paru en 1858 > Le Génie industriel paru en 1857 > Le cabinet de l’amateur et de l’antiquaire paru en 1842
suivantes : « Jamais distinction plus méritée n’est venue trouver, dans sa retraite, un savant plus digne, plus honorable et plus honoré que M. Schwilgué père ». D’APRÈS... Notice sur la vie, les travaux, les ouvrages de mon père, J.-B. Schwilgué, etc. paru en 1858
Numéro 35 – La France pittoresque
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LÉGENDES/INSOLITE
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XIe siècle XIIIe siècle XIVe siècle XVe siècle
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que, de s’être réconciliés avec l’Eglise, les peines les plus sévères étant édictées contre les délinquants ; tantôt la confiscation est prononcée, tantôt l’interdit est lancé ; c’est la flagellation qui fut prescrite par le concile de Narbonne, de 1235, comme complément du port de la croix. C’est ce qui arriva à un certain Ulysse, de Cabaret, qui obtint le 6 octobre 1251 de l’évêque de Carcassonne la permission de déposer jusqu’à Noël les croix, qu’il devait reprendre sans attendre l’ordre de l’évêque ou de tout autre. S’étant gardé de le faire, les inquisiteurs le condamnèrent le 26 janvier 1652 à venir à Carcassonne, le dimanche de la Septuagésime, pour visiter toutes les églises du bourg, en allant de l’une à l’autre, nu-pieds, en chemise et en braies, avec une poignée de verges dans la main, et à e en faire autant le premier dimanche de chaque mois, jusqu’au moment où il s’embarquerait pour le voyage d’outre-mer. Enfin l’emmuration – enfermement dans l est fait, pour la première fois, officielpublique, à en juger par la prohibition de un cachot qu’on murait ensuite – était enlement mention du signe des hérétiles tourner en dérision. core une des peines imposées à ceux qui ques dans le concile de Toulouse de cessaient de porter des croix ou les dissiLa dispense exige réconciliation mulaient. Elle fut notamment infligée à Ar1229, le statut 10 prescrivant qu’ils deet une attestation de l’évêque vront, pour témoigner qu’ils ont renoncé à naud de Savinhac, de Tarascon de l’Ariège, Leurs intérêts matériels s’en trouvant en leurs anciennes erreurs, porter deux croix qui, cité pour ce fait devant les inquisioutre lésés, certains usaient de différents sur la poitrine, l’une à droite, l’autre à gauteurs, le 14 mai 1323, eut beau infirmer qu’il moyens pour s’en débarrasser : ainsi de che, et de couleur différente de leurs vêteles portait, les jours de fête, sur son manGuillemette Bonet, qui donne trois oies à ments, la même prescription étant renouveteau et que, les autres jours, il les déposait Bérengère, épouse de P.-G. Morlana, careslée par les conciles de Béziers de 1233, et de lorsqu’il était à son travail, mais qu’il les sant l’espoir de voir cette dernière la faire Tarragone, de 1242. Celui qui était marqué reprenait en revenant ; il avouait cepenexempter par l’évêque de Carcassonne du de la croix était dit crucesignatus. dant être allé à Tarascon sans ses croix. port des croix ; de Raimonde Manifacier, Ces premières mesures étant semble-t-il Pour les relaps, pour ceux qui rejetaient arguant, pour se justifier de comparaître peu efficaces, la matière, la couleur, la place leurs croix sans autorisation, les inquisisans ses croix devant l’inquisiteur, que et les dimensions du signe ne tardèrent teurs avaient imaginé une peine tout à fait celles-ci étaient usées et qu’elle n’avait pas pas à être déterminées rigoureusement : raffinée. Puisqu’ils ne savaient pas se conles croix furent d’abord au nombre de tenter de deux croix, ils en porteraient deux ; elles devaient être de feutre jaune, quatre. Ainsi, Gaillard Vassal, par senl’une sur la poitrine, l’autre derrière le dos, tence du 2 mars 1253, fut condamné à entre les épaules. Elles devaient être couporter, outre les croix ordinaires qu’il sues sur tous les vêtements des hérétiétait tenu d’avoir sur ses vêtements, ques, excepté la chemise, et être toujours d’avoir sur son chaperon deux autres bien apparentes. Les dimensions impocroix, chacune d’une palme, et avec orsées étaient : pour le grand bras, de deux dre de porter ce chaperon chez lui palmes et demi de long ; pour le bras comme à l’extérieur. De plus, chaque ditransversal, de deux palmes ; de trois manche du carême de cette année, il dedoigts de largeur pour chacun. Les hérévait visiter toutes les églises du bourg, tiques étaient tenus de porter ces croix c’est-à-dire de la ville basse de Carcasaussi bien chez eux qu’au dehors, de les sonne, en chemise et en braies, les pieds réparer et de les remplacer lorsqu’elles nus, avec des verges dans la main et Scène de l’Inquisition : L’Agitateur du Languedoc coiffé du chaperon. Le concile de Béétaient déchirées ou usées. Peinture de Jean-Paul Laurens Le concile de Béziers, de 1246, fixa le nomziers, de 1246, enjoignait aux relaps ou à les moyens d’en acheter de nouvelles, bre de ces croix à trois pour les hérétiques ceux qui auraient poussé les autres à requ’elle en avait sur sa cape, cependant que condamnés ; la troisième devait être égaletomber dans l’hérésie, de mettre au-dessa maîtresse lui avait défendu de porter ment de couleur jaune et de grandeur sufsus des deux croix qu’ils portaient déjà sur cette cape et lui avait ordonné d’en porter fisante. Les hommes la portaient à leur la poitrine et derrière les épaules, un bras une autre dépourvue de croix. Le concile chaperon et les femmes à leur voile. Cette transversal de la largeur d’un palme et de de Toulouse, de 1229, ne dispensait, en peine constituait non seulement la plus la même étoffe. D’APRÈS... principe, du port de la croix que ceux qui humiliante qui pût être infligée, mais en> Les signes d’infamie au Moyen Age : juifs, sarrasins, pourraient justifier, par lettre de leur évêcore devait exposer les porteurs à la risée hérétiques, lépreux, cagots et filles publiques paru en 1891
MARQUÉ DE LA CROIX OU CRUCESIGNATUS
L’humiliante peine des
CROIX HÉRÉTIQUES
imposée aux
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La France pittoresque – Numéro 35
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Au XIII siècle, l’Eglise prend l’initiative d’imposer le signe aux hérétiques, enjoints de porter deux croix sur la poitrine, peine humiliante dont certains tentent de s’affranchir au risque d’être flagellés ou emmurés
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