Mémoire de recherche 2022-23

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LE RETOUR À LA TERRE UN ÉLÉMENT NATUREL

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POUR UN ÉVEILMÉMOIRE 2022 23 À L’ENVIRONNEMENT EN SCÉNOGRAPHIE DE SPECTACLE VIVANT

FRANCK SENET


"Nous avons un besoin éperdu de faire l'expérience de la magie, de façon si directe que notre notion même de ce qui est essentiel puisse être transformée" Peter Brook1

1. L'espace vide, Ed. du Seuil, 1977, p.128

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My Land - Recirquel Photo © Recirquel (recirquel.com)


REMERCIEMENTS Merci aux enseignants du DPEA, et notamment à Henri Rouvière et Marie Reverdy pour nos échanges. Merci à Gabriel Soulard de la compagnie Mycélium et à Aurora dos Campos, scénographe pour Tom Na Fazenda, pour nos échanges. Merci à Benjamin pour la relecture et à Mathilde pour les encouragements.

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ABSTRACT Ce travail de mémoire veut questionner les moyens de la scénographie de spectacle vivant dans le contexte d’une prise de conscience écologique. Il est guidé par cette interrogation : comment la scénographie peut-elle accompagner le développement d’une attention à l’environnement ? Le choix est fait de se concentrer sur la terre comme élément de cet environnement pour aborder différents aspects du problème global. Nous supposons d’abord que c’est en amenant cette matière sur scène que la scénographie peut remplir un objectif de sensibilisation. nous observons alors la mise en place d’une scénographie active au même titre qu’un·e acteur·rice (qu’il soit comédien·ne, danseur·euse ou performeur·euse). Le spectacle vivant tend à mettre en avant les propriétés et les rapports qu’entretient cette matière à l’humain pour l’intégrer à son langage. Pensée comme poétique, la scénographie emploie des archétypes qui résonnent chez le•la spectateur•rice tels que les pense Gaston Bachelard. Les images peuvent être développées par la technique scénique et s’affranchir du réalisme. Elle peuvent également être véhiculées par l’acteur·rice s’appuyant elle·lui-même sur la scénographie qui y trouve donc une autre fonction.

My Land - Recirquel Photo © Recirquel (recirquel.com)

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Mais une différence apparait également quand c’est le spectacle qui vient chercher le sol naturel en s’installant notamment en espace public. Le lieu révèle dans cette configuration des caractéristiques difficilement reproductibles dans le cadre isolé de la boîte noire. La scénographie peut prendre la fonction de les révéler quitte à sembler s’effacer. Cela nous amène à conclure sur le rôle de la scénographie de chercher la dimension narrative présente dans les constituants de l’environnement naturel, leur histoire, afin d’y ancrer celle de l’humain, et à entrevoir les liens entre une pratique de plasticien et celle de la scénographie.


SOMMAIRE 1. INTRODUCTION 2. LA TERRE MISE EN SCÈNE 2.1 LA TERRE COMME PARTENAIRE DE JEU 2.2 AMENER UNE MATIÈRE BRUTE SUR SCÈNE 2.3 INSCRIRE LA TERRE DANS UN LANGAGE SCÉNOGRAPHIQUE

3. DÉVELOPPER L’IMAGINAIRE DE LA TERRE 3.1 LES ARCHÉTYPES ET L'IMAGINAIRE 3.2 ARCHÉTYPES EN SCÉNOGRAPHIE 3.2.1 Le rocher 3.2.2 Le minerai 3.2.3 La boue 3.3 TRANSPOSITION AU CORPS

4. ALLER À LA TERRE 4.1 ENTRE CIEL ET TERRE : SCÉNOGRAPHIES DE L'ESSENTIEL 4.2 RÉVÉLER ET HABITER LE LIEU

5. CONCLUSION

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« Penser un monde où l’idée de progrès n’est pas forcément liée à une échappée de sciencefiction vers Mars mais exige plutôt de reconsidérer notre rapport au terrestre en retrouvant l’émerveillement devant les forces qui s’y déploient. » Frédérique Aït-Touati2

Tom na fazenda Photos © Carol Beiriz, Guto Garrote, Jorge Etecheber, Lenise Pinheiro, Matheus José Maria et Victor Novaes, (lamanufacture.org) 2. Aménager une nouvelle façon de penser et d’habiter le monde, artcena.fr

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1. INTRODUCTION Les mises en scènes contemporaines impliquent parfois physiquement l’acteur·rice (comédien·ne, danseur·euse, etc.) en présence d’une matière amenée sur scène. Devenue moins figurative, celle-ci est pensée davantage dans sa confrontation à celle·lui qui nous la rend sensible. Le théâtre notamment semble ainsi répondre aux injonctions que lançait Antonin Arthaud dans Le théâtre et son double, qui encourageait à se libérer de la seule psychologie du texte pour retrouver une part d’émotion. Au vu du contexte écologique, la question se pose aussi pour le spectacle vivant de chercher d’une part à proposer des expériences qui connectent l’humain à son environnement et d’autre part de rendre désirable une sobriété nécessaire à l’économie des ressources. Le besoin de cette connexion semble même plaider en faveur du spectacle vivant, lieu d’une confrontation réelle face aux expériences virtuelles que constituent par exemple le cinéma et les jeux vidéos. La sobriété quant à elle peut aussi être vue comme passant par un retour aux éléments “naturels”, plutôt bruts que transformés, à l’instar des démarches de l’Arte Povera qui suggéraient ainsi une alternative au consumérisme. Le sol, élément premier qui accueille le spectacle, peut-être un bon angle d’attaque pour aborder ses questions. Le lien entre sol scénique et sol naturel est un champ d’exploration pour les scénographes. Aussi, je souhaite poser la question de la place de la terre, élément primaire et exemple de sol naturel, dans le lieu scénique. C’est-à-dire tant sa présence réelle lorsque elle est utilisée matériellement par la scénographie, que sa présence figurée lorsqu’elle fait l’objet de représentations. Je souhaite en fait tisser un lien entre ce qui se passe sur scène et la matière telle qu’elle se trouve à l’état naturel, pour comprendre celui qui s’établit entre le spectacle vivant et l’environnement. J'entends par environnement le non-humain, ce qui constitue notre cadre de vie dans sa dimension étrangère à notre intervention.

A travers l’exemple de la terre, je souhaite étudier les possibilités du·de la scénographe pour connecter l’espace scénique à l’espace sensible, à l’environnement connu des spectateurs•rices dans sa dimension émotionnelle. Le choix d’amener de la terre sur une scène ou de la figurer est associé à des questions esthétiques et pratiques qui servent le spectacle et permettent de développer aussi une pensée sur ce matériau.

Je souhaite tisser un lien entre ce qui se passe sur scène et la matière telle qu’elle se trouve à l’état naturel, pour comprendre celui qui s’établit entre le spectacle vivant et l’environnement. Le travail de mémoire s’est également développé avec l’envie d’aborder le thème de l’archaïque et des archétypes qui semble sous-tendre de nombreuses pratiques actuelles à travers différentes disciplines artistiques. Une première idée de sujet consistait d’ailleurs à aborder l’esthétique et les enjeux communs aux architectes qualifiés de “néo-brutalistes”, que sont par exemple les espagnols de Harquitectes et les français de BAST (Bureau d’architecture sans titre), et aux réponses semblables dans le champ de la scénographie, à l’image de la proposition de l’agence Berger & Berger pour l’exposition Face à Arcimboldo au Centre Pompidou-Metz en 2021. Leurs démarches semblent chercher à nous connecter à des émotions puissantes liées à des gestes ou des matières ramenées à leur état le plus simple. Le choix de centrer l’étude sur une matière s’est alors opéré comme l’occasion d’explorer les enjeux d’une telle esthétique, et qui plus est de s’éloigner des techniques d’assemblage et du dessin technique pour aller vers une façon de penser l’espace qui accompagne le passage de l’architecture à la scénographie.

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La lecture des ouvrages de Gaston Bachelard concernant la poésie en littérature, qu’il décline selon les quatre éléments, offre alors l’occasion de chercher à prélever des outils théoriques qui peuvent accompagner la mise en oeuvre de la matière. Ses deux ouvrages consacrés à la terre sont en effet l’occasion de développer sa théorie de l’imagination à travers un inventaire des images recensées chez les poètes dont il extrait de grandes catégories. Il sera intéressant de retrouver ces dernières dans le travail de scénographes. Cela permettra autant de penser la mise en forme d’un spectacle autour de ces thèmes que d’envisager leurs œuvres comme tissant des liens à l’art hors de leur seule discipline. A travers l’exemple de la terre, il s’agirait d’explorer les outils du·de la scénographe pour faire naitre une attention à un élément naturel. Comment l’évocation d’un phénomène naturel peut nourrir et se nourrir d’une scénographie ? Et ainsi, comment la scénographie peut-elle accompagner le développement d’une attention à l’environnement ?

Face à Arcimboldo - scénographes Berger & Berger Exposition au Centre Pompidou-Metz © Centre Pompidou-Metz. Photo: Marc Domage.

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Nous chercherons d’abord à comprendre comment les scénographies s’emparent de la terre et ce qu’elles en retiennent. Nous évoluerons ainsi entre la mise en œuvre de la matière et sa figuration. Cherchant à entrevoir ce que chacune de ces attitudes soulignent. Pourquoi montrer la terre ou préférer la figurer ? Il s’agit d’explorer de quelle façon le sol naturel et le sol scénique peuvent se nourrir l’un l’autre, être complémentaires. Et de se demander aussi quels choix sont écologiques en même temps qu’esthétiques. Se posera enfin la question d’aller chercher la terre par le choix d’une représentation en extérieur, positionnement qui implique encore une autre approche.


QU'EST-CE QUE LA TERRE ?

La terre est un matériau composite, organique et minéral. Sa composition minérale présente des proportions variables de plusieurs catégories de grains. On trouve par taille croissante les argiles, les silts, les sables, les graviers et les cailloux, dont les proportions varient d’une terre à l’autre. Les argiles sont de microscopiques grains plats qui jouent un rôle de liant pour les autres grains qui en sont l’ossature. La terre forme différentes strates au sol. La terre de surface est la terre végétale riche en matière organique. La proportion de graviers et cailloux augmentant ensuite en descendant, la terre devient propre à la construction puis s’apparente à une roche en décomposition. La terre est en fait la surface de contact et la couche d’usure d’une roche située en dessous. La terre est donc le sol solide et en même temps facilement manipulable dont peuvent émerger les roches. Mais la terre est aussi par extension la roche sous-jacente qui compose la croûte terrestre. La terre comprend aussi les déserts de sable qui en sont une situation extrême de composition. Malléable, la terre fascine aussi car à l’image du sable, elle se comporte tantôt comme un solide, tantôt comme un liquide. Rendue instable, elle s’écoule jusqu’à retrouver la forme d’un tas suffisamment résistant et structuré pour s’apparenter à un solide.

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Croûtes, célébration terreuse - Compagnie Mycélium Photo © Demi-sei Production

2. LA TERRE MISE EN SCÈNE

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2.1. LA TERRE COMME PARTENAIRE DE JEU

Croûtes, célébration terreuse - Compagnie Mycélium spectacle de rue créé en 2021 et joué au festival "Chalon dans la rue" en 2022 Photo © Demi-sei Production

“On ne peut plus faire du théâtre comme avant. Il s’agit alors d’imaginer des interactions entre la scénographie et la dramaturgie où le décor est aussi un acteur, un actant.” Frédérique Aït-Touati3 Le spectacle Croûtes de la compagnie Mycélium constitue selon ses auteurs “une fresque sensible et joyeuse en hommage au sol vivant”. Il s’agit d’un spectacle de rue dont la scénographie prend la forme d’une butte de terre. Elle symbolise à la fois ce sol vivant pratiqué par les taupes et les jardiniers qu’incarnent les acteurs•rices, et la surface terrestre conquise par le vivant en des 3. Aménager une nouvelle façon de penser et d’habiter le monde, artcena.fr

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temps primitifs ou aménagée par des politiciens à l’ère actuelle. Elle est donc le décor et l’objet de l’action. La butte constitue aussi une image forte et connue du public. Elle est la forme spontanée de l’entassement, du stockage d’un matériau granulaire comme la terre. De part cette forme, elle symbolise en même temps une île, qui isole et définit clairement un territoire administré, et une montagne qui se conquiert en s’escaladant. Techniquement, la butte est pensée comme une structure creuse recouverte pour économiser la matière et permettre d’y disparaitre et d’en ressortir via des trappes. Elle accueille aussi en son centre un bac de terreau qui permet d’être creusé par les comédiens•nes et est également propulsé à l’aide d’un explosif placé en-dessous.


Bien que se présentant d’emblée, l’idée d’utiliser de la terre naturelle en surface de la structure de la butte a toutefois été écartée comme me l’a indiqué Gabriel Soulard, membre de la compagnie. Il a été recherché un matériau qui en crée l’illusion tout en étant plus léger pour le transport et pouvant résister à l’humidité en cas de pluie, le spectacle se jouant en extérieur. En effet, la formation de boue aurait compromis la tenue de la butte. A l’inverse, le liège fumé qui a été choisi supporte la pluie et également d’être humidifié pour être alourdi en cas de vent. Le matériau terre s’efface donc devant la réalité des contraintes de la production du spectacle. Selon la compagnie, son usage apparait aussi non-écologique faute de pouvoir recycler facilement la terre ou la rendre saine à son milieu. A la façon d’un·e comédien·ne, un matériau endosse le rôle d’un autre. Bien qu’ici l’illusion parfaite pour le public se substitue à une convention. Le discours prédomine face à une recherche de réalité de la scénographie. L’ensemble de la pièce fera comprendre qu’il est question de la

terre sans que la connaissance du subterfuge n’invalide sa portée. Par ailleurs, les costumes des cinq comédien•ne•s cherchent à mettre en valeur cette terre figurée et sont blancs afin d’accumuler au cours du spectacle les traces de ce matériau volontairement salissant. Cela traduit une lutte acharnée face à cette matière. L’explosion accentue idée d’un décor vivant et combatif. Cela fait écho aux propos de la metteuse en scène et chercheuse Frédérique Aït-Touati : “On ne peut plus faire du théâtre comme avant. Il s’agit alors d’imaginer des interactions entre la scénographie et la dramaturgie où le décor est aussi un acteur, un actant.”4 La matière porte ici la parole d’un lieu, d’un environnement, qui ne peut plus être un simple réceptacle mais doit s’affirmer en sortant le théâtre d’une vision anthropocentrée à travers le•la comédien•ne.

4. Aménager une nouvelle façon de penser et d’habiter le monde, artcena.fr

Croûtes, célébration terreuse - Compagnie Mycélium Photo © Compagnie Mycélium

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Tom na fazenda Photos © Carol Beiriz, Guto Garrote, Jorge Etecheber, Lenise Pinheiro, Matheus José Maria et Victor Novaes, (lamanufacture.org)

La pièce Tom na fazenda est une adaptation brésilienne de la pièce Tom à la ferme écrite par Michel Marc Bouchard et traduite ici par Armando Babaioff qui incarne également Tom. Cette adaptation est mise en scène par Rodrigo Portella. L’histoire, également rendue célèbre par son adaptation au cinéma par Xavier Dolan, raconte la venue de Tom dans la ferme familiale de son amant pour les funérailles de ce dernier. Il y rencontre la mère qui ignore tout de leur relation homosexuelle et le frère violent qui dissimule ce secret. La scénographie imaginée par Aurora dos Campos est minimale : une bâche noire recouverte d’argile sèche occupe toute la surface de la scène, quelques seaux d’eau qui en feront de la boue tout en évoquant le travail agricole, une corde et une ampoule suspendue qui serviront le jeu tout en restant cohérents avec l’univers de la ferme. A nouveau, la terre se présente sous la forme d’un matériau qui représente un contexte plus vaste dont il aurait pu être isolé. Ce sol salissant est ce-

lui de la ferme et plus largement du monde rural mis en opposition au personnage urbain de Tom, à qui il est rendu hostile, à l’image des événements qui l’attendent. Car l’intrigue soulève cet aspect du monde rural, sa violence potentielle à l’encontre du citadin que la ville a extrait des préoccupations et des schémas propres à ce milieu. Le fait d’avoir retenu de cet environnement la boue tient aussi à la fonction métaphorique, à la possibilité de symboliser par la matière un état d’esprit. La boue qui tâche renvoie à l’idée d’une vérité qui dérange comme à celle d’un inconfort qui est autant psychologique que physique. La pièce marque notamment les esprits par la grande implication physique des comédien•ne•s. Rodrigo Portella évoque ainsi cet aspect de la mise en scène : « Pour moi, la physicalité au théâtre est importante. Je cherche toujours à traduire les drames et les conflits proposés par le texte dans le corps des acteurs. On a mis de la boue au sol pour que les acteurs se sentent instables. Tom ne sait pas trop ce qui va se passer à la ferme. »5 5. Festival Transamériques, Tom Na Fazenda, La boue du mensonge, plus.lapresse.com

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La boue joue donc un rôle dans la mise en mouvement des acteurs•rices et n’est donc pas une simple toile de fond mais bien un partenaire pour eux. Elle conditionne les acteurs•rices qui en éprouvent la présence. Cette terre qui peut être glissante et salissante est en cela “instable” comme l’évoque le metteur en scène, et rend donc la situation réellement plus imprévisible pour les acteurs, les rendant plus alertes et ainsi immergés dans les sentiments des personnages. La nature fait irruption comme un phénomène qui introduit le hasard, le risque. De plus un échange s’instaure également par la présence des seaux d’eau que les acteurs•rices manipulent pour changer l’argile sèche en boue. Cela forme une sorte de rituel où les comédien•ne•s entretiennent eux-mêmes le décor. Enfin, cette boue activée va bien sûr tacher les vêtements et les peaux. Elle est ainsi révélée au public qui perçoit sa nature par l’intermédiaire du corps des comédien•ne•s. On assiste finalement à une confrontation entre ces derniers et la scénographie qui relève d’une

performance évoluant parallèlement à la pièce proprement dite au sens de confinée dans l’illusion théâtrale. Le théâtre se fait donc le lieu d’une expérience sensuelle entre l’humain et la matière. Nous observons aussi que la scénographie peut isoler une propriété de la terre en comparaison à ce que celle-ci serait dans son contexte naturel. La bâche recouverte d’argile de la pièce Tom na fazenda, ne figure que la surface de contact de la terre, celle qui salit. Ainsi, si elle renvoie à une réalité plus vaste qui l’englobe, elle choisit aussi d’isoler un aspect, elle créé un langage simple qui attire l’attention sur la seule surface. Cela fait voir la surface salissante comme isolée et mise en valeur, portée à l’attention à la façon d’une oeuvre d’art. On isole ainsi la propriété vivante de la terre face à un sol dont une partie aurait pu être laissée inerte par la mise en scène. Cela relève bien sûr aussi d’une certaine efficacité qui parle d’un environnement en allant à l’économie de moyens, en appelant à la sobriété.

Tom na fazenda Photos © Carol Beiriz, Guto Garrote, Jorge Etecheber, Lenise Pinheiro, Matheus José Maria et Victor Novaes, (lamanufacture.org)

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“Je cherche toujours à traduire les drames et les conflits proposés par le texte dans le corps des acteurs. On a mis de la boue au sol pour que les acteurs se sentent instables." Rodrigo Portella6

Tom na fazenda Photos © Carol Beiriz, Guto Garrote, Jorge Etecheber, Lenise Pinheiro, Matheus José Maria et Victor Novaes, (lamanufacture.org) 6. Festival Transamériques, Tom Na Fazenda, La boue du mensonge, plus.lapresse.com

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2.2. AMENER UNE MATIÈRE BRUTE SUR SCÈNE Dans chacun des spectacles évoqués, un matériau est au coeur de la scénographie dans un état brut au sens de «naturel», qui serait produit par l’environnement et non du fait de l’humain, ou de non-traité par le•la scénographe, mais accepté en son état antérieur à sa participation à la scénographie. Nous pouvons aussi reprendre les définitions données par Victoria Hinton pour son mémoire «L’impact empathique de la matière brute sur scène» réalisé avec l’école d’architecture de Paris-Belleville et l’école Camondo, et dont j’ai pu assister à la soutenance : “Matière brute : - Toute matière élémentaire qui retient son essence sur scène ou toute matière non-manipulée par le scénographe pour ressembler à autre chose qu’elle-même. - Tout matériel perçu et compris par les spectateurs comme un matériel connu et présent dans leur vie quotidienne, matériaux avec ses propres qualités inhérentes et indépendantes de son rôle sur scène, et sa propre temporalité qui n’obéit pas aux règles du théâtre.”7 Ainsi, en étudiant les liens entre la matière et l’émotion, elle trace une limite entre ce qui se trouve préparé pour la scène et ce qui y est placé et à la fois étranger, la matière brute. Le fait d’amener cette matière sur scène est donc déjà porteur d’un discours.

comme simplement minimaliste par sa pauvreté comme l’indique Germano Celant8, commissaire d’exposition et critique d’art qui théorise le mouvement, cité par Anne Roqueplo9 : “La pauvreté des matériaux révèle une position théorique qui témoigne de ce qui est négatif et rejeté, et qui s’oppose à l’image positive et utopique d’un art rigide et monolithique, c’est-à-dire à l’art minimal.” Ce même théoricien parle d’effacer “la séparation entre l’art et la vie” en “épous[ant] l’incohérence et l’instabilité de la réalité en devenir” et “en mettant en crise toute certitude, en détruisant la fixité des valeurs et des structures de la société bourgeoise.”10 La démarche de l’Arte Povera semble donc révéler que la présence de la matière brute peut amener une part de hasard propre à l’environnement naturel. Cela rappelle les propos du metteur en scène Rodrigo Portella à propos de la scénographie de Tom na fazenda, pensée comme amenant de l’instabilité sur scène. La présence de la nature sur scène semble s’opposer à une culture qui s’en isole et s’en protège par souci de sécurité, d’hygiène.

La présence de la nature sur scène semble s'opposer à une culture qui s'en isole par souci de sécurité, d'hygiène.

Un paralèlle peut être fait avec les arts plastiques. La notion de ready-made questionne par exemple la capacité d’un objet quotidien a devenir oeuvre d’art par sa seule présentation par un artiste. Un urinoir peut ainsi être basculé, signé et mis sur un socle et devenir une intervention percutante et par là touchante.

L’Arte Povera invite aussi à la sobriété par son rapport à la matière première. Les artistes font le choix de mettre en présence les matériaux par la composition sans opérer de traitement, hormis exceptionnellement des traitements “naturels” comme l’oxydation par exemple.

Dans un rapport plus direct à la matière, les artistes affiliés au mouvement de l’Arte Povera semblent développer une démarche similaire pour les matériaux bruts. Ce mouvement artistique, parfois traduit en français par “art pauvre”, est apparu en Italie dans les années 60. La démarche de ces artistes ne doit pas être perçue

Giuseppe Penone, l’un des derniers artistes à être apparentés au mouvement, suit une démarche un peu différente, en intervenant mais selon sa compréhension de l’essence du matériau : «j’essaye de travailler en suivant le matériau, pas contre lui. Donc je ne veux pas changer le matériel ; Je veux suivre son exemple.»11 C’est ainsi qu’il “dénude”

7. youtube.com/@EcoleCamondoTV 8. Germano Celant, Mario Merz, l'artiste nomade, Art Press, n°48, mai, p.14, 9. Anne Roqueplo, Figures archétypales de l'habiter dans l'art, in L'archaïque et ses possibles, p.140, dir. Stéphane Bonzani,

MétisPresses, 2020 10. Wikipédia, Arte Povera 11. Robert Enright, Entretien avec Giuseppe Penone, La perfection de l’arbre et autres préoccupations matérielles, Border Crossings, no 128, 2013

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en quelque sorte des poteaux en bois, retirant les couches les plus jeunes et tenant compte des noeuds, témoins d’anciennes branches recouvertes, pour faire réapparaître la forme de l’arbre. Le théâtre contemporain, lorsqu’il s’est éloigné de la représentation mimétique, donne toujours à voir l’oeuvre en train de se faire et mêle en cela la performance à la représentation12. La matière brute peut quant à elle constituer le meilleur choix de mimétisme dans une composition strictement figurative, mais, du point de vue de sa confrontation à l’acteur•rice, elle peut plutôt relever de la performance, de l’irruption du réel qui nous détache de ce qu’on nous demande d’imaginer, nous détache du seul récit pour faire de la scène le lieu d’un rituel partagé de contact de la matière. Cela semble conditionné par le fait qu’elle doit alors jouer un rôle actif, pour que sa nature nous apparaisse. Il faut pour cela l’isoler visuellement d’un décor inerte ou rendre ses propriétés lisibles du public par le biais de l’acteur•rice. On note aussi que la réalité qui fait irruption est celle d’un rapport au matériau terre dans les spectacles étudiés, que ce matériau soit réel (Tom na fazenda) ou feint (Croûtes).

Il faut [isoler la matière] visuellement d’un décor inerte ou rendre ses propriétés lisibles du public par le biais de l’acteur•rice. Pour faire de cette performance une célébration de la matière brute naturelle, les questions écologiques doivent en même temps être traitées avec cohérence par la scénographie. Il faut noter que la terre est souvent refusée en déchetterie. Lorsqu’elle est acceptée, l’argile sèche pouvant par exemple être jetée comme gravats, elle est souvent traitée comme déchet inerte, non valorisé. Aujourd’hui, la terre et les matériaux meubles non pollués représentent d’ailleurs une part importante des déchets inertes du secteur de la construction. Les filières de réemploi qui se mettent en place, lorsqu’elles sont tournées vers un approvisionnement de chantiers de construction, cherchent à garantir une matière homogène, ce qui peut être rendu difficile par la diversité des provenances et peut tendre à l’exclure. Dans ce contexte, la quantité de terre utilisée à la simple échelle d’un spectacle peut peiner à trouver un réemploi.

12. Marie Reverdy, Et beh 2015 ça promet, Offshore-revue

Tom na fazenda Photos © Carol Beiriz, Guto Garrote, Jorge Etecheber, Lenise Pinheiro, Matheus José Maria et Victor Novaes, (lamanufacture.org)

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2.3. INSCRIRE LA TERRE DANS UN LANGAGE SCÉNOGRAPHIQUE La scénographie peut avoir une approche performative, confrontant le•la spectateur•rice à une expérience sensuelle qui fait du lieu scénique un lieu d’expérimentation concrète d’un rapport humain-non-humain. La scénographie peut au contraire fonctionner comme un langage et son espace renvoyer à quelque chose d’absent, présent dans l’esprit du public. Pour Luc Boucris13, elle peut ainsi évoluer entre quatre principales fonctions : la représentation mimétique, la représentation métonymique, la représentation métaphorique (ces deux représentations constituant les figures de styles les plus importantes) et l’abstraction. La représentation mimétique consiste à imiter fidèlement le lieu qu’aurait l’action si elle avait réellement lieu hors du contexte de la représentation du spectacle. Elle renvoie donc à ce lieu. La métonymie consiste à “utiliser un mot pour un autre par proximité”. La métaphore à “utiliser un mot pour un autre par déplacement”. Ainsi, ces deux figures de style consistent pour la scénographie à évoquer autre chose que ce qui est montré sur scène par une association que fait le•la spectateur•rice. Enfin, l’abstraction consiste à ne plus faire référence mais à choisir les composants (formes, couleurs, etc...) pour leurs qualités plastiques détachées de toute signification à priori. Le langage de la scénographie la place entre ces quatre situations extrêmes.

Il s'agit d’intégrer cette matière à un discours, et pour cela d’en aiguiser la perception de certaines propriétés

Ainsi, la scénographie peut par exemple évoquer un autre espace, proche de ou plus vaste que (on parle de synecdoque) ce qu’elle montre, de façon métonymique, mais également un sentiment ou une idée associée de la même façon. Elle peut alors s’éloigner de la représentation mimétique même partielle en définissant un espace pour sa relation au sous-texte de la pièce plutôt qu’à son contexte. On peut également faire un parallèle avec les trois fonctions du signe selon Charles Sanders Peirce qui sont l’icône, le signe renvoyant à l’objet par ressemblance, l’indice, le signe renvoyant à l’objet dont il est la conséquence, et le symbole, le signe renvoyant à l’objet par convention. Il est intéressant de relever la part mimétique et iconique de la scénographie en s’interrogeant déjà sur le choix qu’elle représente. Il est intéressant d’observer les représentations métonymiques comme extraites d’un contexte plus large dont elles sont la conséquence et donc l’indice, à l’image de la terre de Tom na fazenda qui résulte de l’espace rural. Toutefois, la figure de la métonymie présentée par Luc Boucris, on l’a vu, touche en même temps à l’indice et au symbole (il donne l’exemple d’une scénographie faites de cannes symbolisant l’aveuglement d’Oedipe). La métaphore quant à elle semble se réserver au symbolique et nous pouvons alors nous demander qu’elle convention elle met en jeu. Ces différentes représentations ont été observées dans les scénographies des spectacles déjà étudiés. La question de leur mise en œuvre nous a amené à voir que le choix de la matière est soumis aux objectifs principaux du spectacle dans son questionnement de la relation à l’environnement. Il s’agit d’intégrer cette matière à un discours, et pour cela d’en aiguiser la perception de certaines propriétés.

13. Introduction - Qu'est-ce que la scénographie ?, cours DPEA 2022-23

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Concernant le rôle de symbole des métaphores, nous pouvons entendre symbole au sens proposé par Nelson Goodman pour qui il s’agit de “toute sorte de chose (lettre, mot, texte, image, diagramme, carte, modèle, etc.) qui fait référence” selon Dominique Chateau.14 L’auteur voit aussi avec Nelson Goodman le rôle qu’ont les symbôles de décrire le monde : “Décrire le monde est une activité créatrice qui établit un système de représentation d’un monde ; la version du monde que donne un tel système ne renvoie pas à la question du monde en soi, mais à la question de la correction de la version considérée et la correction n’est pas l’adéquation de la description à un monde en soi, puisque « tout ce que nous apprenons du monde est contenu dans les versions correctes élaborées à son sujet ». Ainsi, en composant un monde à l’aide de métaphores formant des symboles, l’art et le spectacle vivant semblent porteurs d’une vision du monde connu des spectateurs•rices, qui est lui-même constitué d’une accumulation de symboles qui peuvent être questionnés. Pour Anne Ubersfeld, “ce qui est représenté sur une scène [...] n’est jamais un lieu dans le monde, mais un élément repensé, reconstruit selon les structures et les codes d’une société. Ce qui est donné dans l’espace théâtral, ce n’est jamais une image du monde, c’est l’image d’une image.”15

14. Dominique Chateau, L'art comme symbole, in La question de la question de l'art, books.openedition.org 15. Anne Ubersfeld, Les termes clés de l'analyse du théâtre, Editions du Seuil, 1996

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Ce que les scénographes vont offrir aux spectateurs•rices peut donc relever plus d’un questionnement sur les conceptions et les à-prioris de ces derniers que d’une immersion à travers la perception d’une réalité rapportée sur scène. Conscients de cela ils•elles peuvent plus facilement prétendre apporter une expérience de vie plus riche que la seule durée du spectacle, pouvoir toucher et questionner leur audience. La notion d'image prend de l'importance. Pour le poète Pierre Reverdy, l'image est, comme pour Dominique Chateau, un moyen pour l'humain de se saisir du monde extérieur, d'entrer en relation avec lui16. L'image est une représentation qui est faite du monde par une organisation des rapports entre plusieurs de ses éléments fruit d'une conscience humaine. Ainsi, les rapports établis par la scénographie forment des images qui ne sont pas que visuelles et qui constituent déjà une appropriation de l'espace. Elles apportent à la dramaturgie ou à la chorégraphie une présence humaine dans l'agencement des rapports des intervenants au lieu scènique qui peut renforcer le regard déjà véhiculé par ces derniers.

16. Isabelle Chol et Anne Reverseau, La poésie comme une "image". Emplois et valeurs du mot dans le discours critique des poètes français, Tangence n°124, journals.openedition.org


Iphigénie - mise en scène Anne Théron, scénographie Barbara Kraft Photo © barbara-kraft.info

3. DÉVELOPPER L'IMAGINAIRE DE LA TERRE

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3.1. IMAGINAIRE ET ARCHÉTYPES

Des différents types de représentation évoqués, la représentation métaphorique nous intéresse particulièrement, en cela qu’elle n’est pas une simple substitution mais une analogie entre deux objets génératrice d’une image poétique. La définition du terme de poésie par le dictionnaire Larousse y voit d’abord l’”Art d’évoquer et de suggérer les sensations, les impression, les émotions les plus vives par l’union intense des sons, des rythmes, des harmonies”, mais donne également une définition littéraire qui la lie donc au sens des mots et de leur syntaxe : “Caractère de ce qui parle particulièrement à l’imagination, à la sensibilité”. Sans aller plus loin dans l’étude des parallèles entre un langage qui devient poétique et ses équivalents formels en scénographie, nous souhaitons nous pencher sur la question de l’imaginaire. La seconde partie s’intéressera en effet aux scénographies cherchant à figurer le sol naturel pour développer sa fonction évocatrice. Pour développer son potentiel d’images poétiques au sens de Gaston Bachelard qui voit dans cette matière de nombreux prolongements qu’en fait l’imagination sous la forme d’association entre les propriétés physiques réelles et des propriétés empruntés à d’autres phénomènes qui leurs sont étrangers. Pouvant pour cela exclure la matière brute ou la mêler aux simulations et aux techniques de machinerie et de lumière. Nous tâcherons donc de comprendre le discours lui-même poétique qui sous-tend ces scénographies dans lesquelles nous reconnaissons les images littéraires relevées par Gaston Bachelard. Dans l’ouvrage La terre et les rêveries de la volonté17, le philosophe établit des traits communs aux images poétiques de la terre en littérature pour les ramener à des images primitives qui consolident sa théorie d’une imagination qui précède la perception et constitue un bagage commun aux écrivains, aux poètes et à leurs

17. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Editions Corti, 1947 18. larousse.fr

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lecteurs. En cela, il s’intéresse à l’existence et l’exploitation d’archétypes. Deux définitions du terme par le dictionnaire Larousse18 retiennent notre attention comme résumant bien sa posture : Archétype (n.m.) 1. Modèle original ou idéal sur lequel est fait un ouvrage, une œuvre. 4. Chez C. G. Jung, structure universelle issue de l’inconscient collectif qui apparaît dans les mythes, les contes et toutes les productions imaginaires du sujet sain, névrosé ou psychotique. La production architecturale contemporaine semble traversée par la question des archétypes comme l’observe Stéphane Bonzani en ouverture de l’ouvrage L’archaïque et ses possibles19 issu d’un colloque organisé à la Cité de l’architecture et du patrimoine. On observe en effet chez des agences stars comme Herzog & de Meuron ou OMA, comme chez les architectes travaillant au contact des populations plus défavorisées, un rejet de la “sophistication compositionnelle” au profit du recours à un geste simple de manipulations de blocs (empilés, percés, mais souvent monolithiques), à une esthétique du bricolage et de l’abri précaire. A cela s’ajoute des démarches comme celles de Peter Zumthor qui font primer l’expérience sensorielle vécue dans le bâtiment sur toute recherche du beau dessin. Pour l’auteur, cela marque un souhait de “réappropriation du geste archaïque de construire”. Ainsi les architectes cherchent-ils un langage qui puisse toucher chacun en mettant leur savoir technique au service d’une esthétique qui rappelle une expérience commune car première chez l’homme. Non comme un retour dans le passé, mais plutôt selon une analogie à chercher du côté de la science où le microscopique s’exprime toujours à travers le macroscopique.

19. L'archaïque et ses possibles, dir. Stéphane Bonzani, MétisPresses, 2020


Final Wooden House - Sou Fujimoto Architects Métaphore de la grotte et structure en empilement, exemple d'architecture relevant d'une démarche archaïque Photos © Archdaily

Le texte nous invite à voir chez eux un recommencement, comme si tout nouveau courant artistique naissait plus d’une origine qui rayonnerait que d’une réaction à la suite de celui qui l’a précédé. Ce besoin de créer de la nouveauté nous rappelle en même temps la part éternelle qui compose le beau de même que sa part circonstancielle selon Charles Baudelaire dans Le peintre de la vie moderne. Cette radicalité qui met en avant le geste et la matière dans la composition spatiale, nous pouvons également l’observer en scénographie. Les spectacles autour desquels s’articule ce mémoire en sont les témoins. Il a pu être montré que la représentation progressive des paysages en peinture avait précédé et guidé leur appréciation esthétique qui a mené au regard protecteur qu’on peut aujourd’hui leur porter. De la même façon les tendances archaïques actuelles peuvent être vues comme porteuses d’une attention renouvelée à ce qui est essentiel en écartant l’excès consumériste. A l’articulation d’une écriture scénographique pensée comme poétique et de l’observation des démarches archaïques qui nous questionnent, il nous semble que les écrits de Gaston Bachelard apportent une matière à réflexion et à connaissance intéressante. En effet, ils semblent faire échos aux spectacles étudiés et sont même directement cités par la chorégraphe Odile Duboc.

Le philosophe pense l’existence d’archétypes ancrés en nous et qui précèdent notre perception. Ainsi, notre imagination ne se contente pas de puiser dans notre expérience vécue mais nous connecte à une sensibilité déjà en nous et réagissant au spectacle de la matière qui nous entoure et à laquelle elle nous lie. Sensibilité qu’il décline selon les quatre éléments. Pour lui, l’imagination est «la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images»20. L’image formée avec l'aide de la scénographie peut alors être pensée comme un simple moyen de connexion du·de la spectateur·rice à son propre bagage d’images. Gaston Bachelard nous invite à «rêver en restant fidèle à l’onirisme des archétypes qui sont enracinés dans l’inconscient humain»21. Aussi, nous cherchons avec les archétypes que Gaston Bachelard extrait des images littéraires une inspiration pour la scénographie qui la ramène à l’émotion primitive de la matière.

L'image formée avec l'aide de la scénographie peut alors être pensée comme un simple moyen de connexion du·de la spectateur·rice à son propre bagage d’images

20. Gaston Bachelard, L'air et les songes, Editions Corti, 1968, p.7 21. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Editions Corti, 1947, p.9

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3.2. ARCHÉTYPES EN SCÉNOGRAPHIE

Iphigénie - mise en scène Anne Théron, scénographie Barbara Kraft Photo © barbara-kraft.info

3.2.1. LE ROCHER “Un grand songeur voit le ciel sur la terre, un ciel livide, un ciel écroulé. L’amas des roches a toutes les menaces d’un ciel d’orage. Dans le monde le plus stable, le rêveur se demande alors : que va-t-il arriver ?” Gaston Bachelard22

22. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Editions Corti, 1947, p.176

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Iphigénie de Tiago Rodrigues a été mise en scène par Anne Théron en 2022 à l’occasion du festival d’Avignon. La pièce reprend la tragédie grecque selon laquelle la déesse Artémis réclame au roi Agamemnon le sacrifice de sa fille Iphigénie pour permettre au vent de se lever et de conduire sa flotte en direction de Troie. Le texte introduit toutefois une nouveauté. Les personnages “se souviennent” et sont conscients de la tragédie à l’oeuvre. Ils·Ellles luttent avec la possibilité de l’empêcher. Iphigénie ira jusqu’à accepter sa mort pour se la réapproprier, demandant à être oubliée pour que son sacrifice ne devienne pas un souvenir qui justifierait d’autres barbaries dans le futur.


La scénographie de Barbara Kraft pour Iphigénie remplie une fonction de contextualisation, permettant de situer l’action sur un rivage matérialisé par la présence de rochers et de l’horizon marin projeté. Les blocs rocheux créent déjà des supports de jeux intéressants. Les comédien•ne•s peuvent y monter et dominer physiquement ceux restés au sol de la scène. Ils peuvent également s’y asseoir, assumant une fatigue sans trop s’abaisser.

C’est cet imaginaire que convoque la scénographie d’Iphigénie. Les roches se déplacent et sont légèrement détachées du sol par un joint creux. La référence au ciel orageux et aux nuages prend vie lorsque ce détachement est accentué par la lumière qui provient de la sous-face de ces praticables et qui baigne l’ensemble en faisant ressortir les volumes assombris en contre-jour. L’effet s’accompagne alors aussi d’une fumée qui cite l’élément gazeux.

Mais la scénographie dépasse cette représentation fidèle d’un paysage en s’animant. Les rochers forment en fait un socle qui se démantèle progressivement, faisant apparaitre des failles. Ce mouvement a une connotation tragique qui va donc accompagner et souligner la progression de l’intrigue. Son traitement fait de plus écho aux images littéraires relevées par Gaston Bachelard concernant les rochers. Ce dernier constate que ceux-ci sont souvent comparés à des nuages, comme des êtres figés dans un mouvement lent et imperceptible mais que l’imagination relève. Aussi les formations rocheuses, expressions de la force terrestre, deviennent des ciels orageux.

Iphigénie - mise en scène Anne Théron, scénographie Barbara Kraft Photo © barbara-kraft.info

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3.2.2. LE MINERAI Le spectacle My Land de la compagnie Recirquel, fondée en Hongrie et mêlant des artistes d’Europe de l’est, évolue entre cirque et danse. Sans suivre une narration complètement explicite, il propose une suite de tableaux évoquant des échanges et des luttes, des états différents des corps et des groupes qui se forment, dont l’enchaînement évoque un condensé de l’histoire d’un peuple sur une terre matérialisée par la scénographie. La compagnie décrit cette pièce comme “explorant les racines de l’homme, l’héritage éternel de l’humanité et de la terre”23.

My Land - Recirquel Photo © Recirquel (recirquel.com)

23. recirquel.com

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Le dispositif scénique consiste en un plateau lumineux commandé sur lequel est répandu un sable de grains moyen. Le sol est formé d’un Plexiglas diffusant la lumière des modules leds intercalés dans une trame en quadrillage formée par une structure métallique qui répartit les efforts supportés. Le principal effet est alors de permettre aux danseurs de dégager les sources lumineuses en déplaçant le sable. L’ajout de fumée intensifie par moments l’effet en donnant à voir les faisceaux de lumière. La scénographie se réfère ainsi à un autre aspect du sol naturel, celui du minerai, du métal enfoui. Métal qui se


retrouve aussi dans les sons de percussions du sol frappé par les danseurs qui l’encerclent en s’asseyant, et qui fait aussi une apparition plus explicite sous la forme d’un miroir formé d’une tôle métallique qui ondule et renvoie une image floue souvent déformée. “Aucun des trois règnes n’échappe aux rythmes de toute vie. L’animal, c’est la vie quotidienne. Le végétal, la vie annuelle. Le minéral, la vie séculaire, la vie qui compte par millénaires. Aussitôt qu’on rêve à la vie millénaire du métal, la rêverie cosmique entre en action. S’impose alors une sorte d’espace-temps de la rêverie métallique qui fait joindre à l’idée de la mine lointainement profonde, l’idée d’un passé démesuré.”24 Gaston Bachelard voit dans les images liées au minerai enfoui le songe d’une vie ancienne dont la durée dépasse celle de l’homme. Le spectacle My Land y trouve ainsi l’occasion d’évoquer l’histoire attachée à une terre qui est à la fois terre nourricière et patrie, qui voit se succéder les

générations interagissant avec elle, dépendant d’elle. My Land évoque aussi l’idée du travail de la terre qui nourrit, qui fait grandir le végétal. Les danseurs manipulent le sable et le répandent avec des gestes de semeurs. Les faisceaux lumineux des lumières ponctuelles donnent aussi à voir quelque chose qui perce la surface de la terre pour s’élever. Dans la suite de son étude, Gaston Bachelard lie justement au métal les rêveries de la germination. Les costumes sommaires des danseurs évoquent eux aussi cette idée d’un passé lointain et toute à la fois l’idée de naissance en laissant les corps souvent presque nus. Le sable offre une sensualité qui accueille cette naissance ou ce repli des corps. Il raconte l’accueil de la vie car c’est en même temps un sol où on laisse une trace, à l’image des sillons que dessinent les danseurs. Mais dans un temps large extrait du quotidien et du trivial, comme le souligne par moments l’éclairage en contre-plongée qui donne une dimension inhabituelle, surnaturelle.

24. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Editions Corti, 1947, p.228

My Land - Recirquel Images © Arte (arte.tv)

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My Land - Recirquel Photo © Recirquel (recirquel.com)

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Ainsi, le spectacle semble tisser des liens entre l’existence humaine et l’existence minérale du sable et des pierres précieuses. En mettant les deux en présence, il initie une rêverie sur ce que peut être leur relation. Le jeu aléatoire des lumières de la trame peut évoquer aussi un ciel étoilé comme reflété, menant là-aussi à songer à un temps étendu au-delà des vies humaines. La “rêverie cosmique” de Gaston Bachelard peut s’entendre comme un rapport établi entre les étoiles lointaines témoins de l’âge infini de l’univers qui les éloigne de nous en continuant de s’étendre selon la théorie scientifique et la matière lumineuse qui jaillit de notre propre sol, préservée par une couverture de sédiments accumulés par les années. L’humain est mis en scène dans sa position entre ciel et terre, et au sein de l’univers. L’histoire humaine s’inscrit dans la matière et ainsi dans l’environnement global.

"Aussitôt qu’on rêve à la vie millénaire du métal, la rêverie cosmique entre en action. S’impose alors une sorte d’espacetemps de la rêverie métallique qui fait joindre à l’idée de la mine lointainement profonde, l’idée d’un passé démesuré." Gaston Bachelard25

My Land - Recirquel Photo © Recirquel (recirquel.com) 25. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Editions Corti, 1947, p.228

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3.2.3. LA BOUE La pièce Tom na fazenda déjà étudiée peut elle aussi s’inscrire dans un rapport à l’un des archétypes de l’ouvrage La terre et les rêveries de la volonté. L’auteur y note : “En s’exprimant par des images matérielles, par des images terrestres, il semble que les peines humaines deviennent plus lourdes, plus noires, plus dures, plus troubles, bref, plus réelles. Le réalisme terrestre est alors surcharge.”26 Ainsi, la présence d’une terre comme résiduelle et chaotique, soulignée par le noir qui est fait autour d’elle, entraine les sentiments des spectateurs•rices vers la noirceur de ceux qui habitent les personnages.

Tom et Francis, le frère, s’embourbent dans le mensonge face à la mère et dans les travers de leur rivalité comme la main qui “au contact du visqueux, [...] peut alors suivre des régressions, connaître le masochisme des ventouses”27. La boue qui se forme témoigne pour Gaston Bachelard d’une dialectique entre misère et colère : “contre la misère d’être englué s’éveille la colère qui libère”.28

26. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Editions Corti, 1947, p.125 27. p.114 28. p.116

Tom na fazenda Photos © Carol Beiriz, Guto Garrote, Jorge Etecheber, Lenise Pinheiro, Matheus José Maria et Victor Novaes, (lamanufacture.org)

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3.3. TRANSPOSITION AU CORPS

Projet de la Matière - Chorégraphe Odile Duboc Photo museedeladanse.org

Le spectacle Projet de la Matière d’Odile Duboc met en scène des danseurs dans une chorégraphie inspirée notamment par la lecture de Gaston Bachelard et ses ouvrages sur la poétique de la matière. La scénographie de Yves Le Jeune accueille les corps et propose des jeux de matière qui leur répondent. Elle est faite de supports qui permettent de voir les corps comme couler sur les surfaces, par un plan proche de la verticale qui permettra un équilibre prolongé, par une estrade d’où pendra le bras et la jambe d’un corps allongé, mais aussi de “baleines”, formes molles faites d’une toile enveloppant un matériau granulaire, qui seront pénétrées par les corps des danseurs. “Odile Duboc imagine alors un environnement ludique car transformable et transformé par la danse ; des accessoires, des éléments du décor mettraient les interprètes en mouvement. La danse serait née de ces mécanismes extérieurs.”29 Il s’agit donc là aussi dans l’esprit de

la chorégraphe d’un décor-acteur. Mais c’est surtout par la chorégraphie qu’Odile Duboc travaille la matière et la met au coeur du projet. Au cours d’un processus fait de doutes et d’expérimentations en compagnie des danseurs, elle cherche à transmettre aux corps quelque chose de la poésie des éléments qui l’inspire. Elle s’associe à la plasticienne Marie-José Pillet qui développe pour la pièce des sortes d’agrès inspirés des quatre éléments sur lesquels s’exercent les danseurs. Des plaques de tôle ondulée sur ressorts figurent le feu. Un grand ballon gonflable l’air, auquel s’ajoute un plateau sur chambre à air. On trouve des matelas remplis d’eau et les “baleines” qui existent également en petit format manipulables et évoque les images de la pâte décrites dans les ouvrages de Bachelard dédiées à la terre. Images que l’on retrouve ailleurs dans les répétitions : “La plupart des exercices à deux proposés par la chorégraphe reposaient sur la métaphore du

29. Julie Perrin, Projet de la matière - Odile Duboc, Les presses du réel, Dijon, Centre national de la danse, Pantin, 2007, p.63

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modelage : pétrir, modifier, déplacer, éprouver l’élasticité du corps de l’autre, ou encore se mêler à lui.”30 Mais une surprise survient lorsque la chorégraphe choisit de retirer ces agrès du spectacle qui prend forme, pour n’en conserver que la mémoire. Les danseurs ne peuvent alors que s’appuyer sur leurs souvenirs des sensations éprouvées à leur contact pour guider leur danse sur une scène standard qu’ils retrouvent avec une nouvelle approche. Comme nous l’évoquions

Les danseurs ne peuvent alors que s'appuyer sur leurs souvenirs des sensations éprouvées [au contact des agrès] pour guider leur danse sur une scène standard qu'ils retrouvent avec une nouvelle approche. 30. Julie Perrin, Projet de la matière - Odile Duboc, Les presses du réel, Dijon, Centre national de la danse, Pantin, 2007, p.125

Projet de la Matière - Chorégraphe Odile Duboc Photo © Jean Gros-Abadie (odileduboc.com)

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pour Tom na fazenda, on peut noter là l’intention de prélever quelque chose de la situation réelle pour l’isoler sur scène et ainsi l’étudier en soi comme un objet de rêverie. «Projet de la matière invente une nouvelle façon d’envisager la figure, entendue ici comme découpe ou graphisme : le dessin dans l’espace est pensé depuis la matière. [...] La pièce [...] tente d’annuler [l’opposition] entre forme et matière, forme et informe. Projet de la matière oscille sans cesse entre une danse de la masse, du compact, de matières fusionnées qui se modèlent, et le jet, la figure fugitive, le dessin d’une jambe, la sortie inattendue d’un bras que l’on distingue clairement. La plasticité de la figure relève de cette capacité de la matière à donner et à recevoir la forme, à faire surgir la forme, mais aussi à tendre vers son anéantissement”31 En même temps qu’elle cherche à faire fusionner forme et matière, cette danse tend à fondre les danseurs dans le décor. La chorégraphe est décrite comme ne cherchant pas à faire émerger l’individu derrière le danseur. 31. idem


Projet de la Matière - Chorégraphe Odile Duboc Photos © Samuel Carnovali (odileduboc.com)

“Ce trouble entre l’apparaitre et le disparaitre provoque une incertitude de l’image ; il favorise, pour le public, le déploiement d’un travail de la perception et de l’imaginaire. [...] L’alternance entre deux modalités du visible, leur fusion, la mêlée de la forme et de la matière stimulent la faculté de se libérer de l’image première et le jeu de passage incessant entre l’image présente et l’image absente”32. La rencontre d’images développées par la chorégraphe avec les aspects physiques concrets de la danse est à l’origine d’un dialogue qui rend palpable au•à la spectateur•rice son imaginaire et son regard sur la matière des corps et de la pesanteur, ou du moins place ce•cette dernier•ère dans la situation d’imaginer elle•lui-même, de rêver à la matière. La relation au phénomène s’observe aussi dans la réception qu’en fait l’acteur•rice qui peut même pousser à faire disparaitre cet élément. Insister sur sa réception devient le propos, la façon d’en parler. Dans L’acteur rusé, le comédien Yoshi Oida évoque aussi l’imagination de l’acteur•rice comme pouvant influer sur le jeu. Il peut ainsi selon lui devenir plus lourd à porter par un autre comédien s’il invoque en lui l’idée et la sensation d’être effectivement plus lourd qu’il n’y parait.

32. p.128

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Uneo uplusi eurstragé dies Photo © Olivier Monge (festival-automne.com)

4. ALLER À LA TERRE

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4.1. ENTRE CIEL ET TERRE : SCÉNOGRAPHIES DE L'ESSENTIEL “Je veux transmettre une capacité d’engagement, une détermination, une forme de courage à douter et à faire du théâtre à partir de ce qui reste, une fois qu’on a tout brûlé. [...] Le théâtre qui délivrerait un message est une décadence. Le théâtre n’est pas un média, c’est une expérience du monde qui passe effectivement par cette chose élémentaire : parler, danser, chanter.”33

une troupe de comédien·ne·s qui alternent rôles principaux et secondaires, et présence dans le choeur. Chaque comédien•ne qui endosse un rôle sans présupposé de genre, incarne en même temps le rôle du·de la conjoint·e. Sans doute là aussi une occasion de balayer les habitudes pour tâcher d’extraire l’essentiel des situations traversées.

Ces mots du metteur en scène Gwenaël Morin nous invitent à prendre connaissance du monde par l’expérience plutôt que par la réception de théories. Son spectacle Uneo uplusi eurstragé dies, dont l’intégrale se joue en extérieur, peut-il ainsi nous faire éprouver l’environnement, le rendre présent à nos sens et à notre conscience ?

Le metteur en scène cherche une forme de théâtre brut ou le dépouillement oblige à puiser davantage en soi-même, le.la comédien.ne mais aussi le.la spectateur•rice. Mais il ne se débarrasse pas pour autant de la question de la scénographie. Il y a d’une part un décor minimaliste qui parle de l’état d’urgence qu’il veut donner à sa pratique du théâtre : un cercle tracé au sol, un morceau de carton comme paravent formant coulisse, un mat pour hisser un drapeau qui ne sera utilisé qu’une seule fois. Il y a d’autre part le choix du contexte.

La pièce consiste en trois tragédies de Sophocle (Ajax, Antigone et Héraklès (également nommée Les Trachiniennes)) qui sont jouées à la suite par 33. Dossier de presse Festival d'automne

Uneo uplusi eurstragé dies Photo © Martin Argyroglo (unfauteuilpourlorchestre.com)

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Uneo uplusi eurstragé dies, jardin de l'Institut Goethe, Nancy, Mai 2022 Photo personnelle

Le spectacle, dans sa version intégrale dont les autres représentations limitées à une tragédie peuvent sembler être des répétitions, se passe en extérieur sur une pelouse (qui peut être publique ou privée comme dans le cas du jardin de l’Institut Goethe à Nancy). Le lieu implique aussi le choix d’un moment de la journée et d’un rapport à l’éclairage naturel, les projecteurs étant écartés.

Il y a d'une part un décor minimaliste qui parle de l'état d'urgence qu'il veut donner à sa pratique du théâtre. [...] Il y a d'autre part le choix du contexte.

Les trois tragédies s’enchainent donc entre 5 et 10h du matin (ou 6 et 11h selon la saison). Ainsi la lumière naturelle joue un rôle déterminant. La première tragédie correspond au lever du soleil et les comédien•ne•s sont longtemps visuellement presque indistincts. On vit donc un matin et c’est un cadre qu’on associe à un réveil et donc à la transmission d’une énergie. On peut aussi y voir l’idée d’un commencement, du rôle fondateur des textes qui nous sont délivrés qui résonnent encore aujourd’hui.

trigues des tragédies et qui sont invoqués dans le texte.

Le rapport au paysage dans sa brutalité - la pièce continue en cas d'intempéries - et son ampleur est aussi le rapport aux dieux à l'origine des in-

Le public partage aussi le rapport au sol, du fait de l’absence de sièges fixes et de l’invitation à s’asseoir au sol, et du fait que ce sol est continu à l’espace scénique dont le cercle tracé marque plus le centre que la limite. Le théâtre devient comme une occasion d'habiter un espace extérieur et le moment de l'aube. Ceux-ci deviennent l'espace-temps de la représentation qui est aussi l'occasion de les célébrer.

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“La dynamique d'identification du spectateur se joue dans le rapport à l'espace” Philippe Quesne Quant il est question d’inclure le public dans l’expérience qui est faite de l’environnement, la carrière de Boulbon est en soi un lieu enveloppant. Une falaise en constitue la toile de fond qui domine l’assemblée. Le simple fait de s’extraire d’Avignon pour aller en ce lieu écarté bordé de nature éveille déjà les sens et l’attention des spectateurs•rices. il s’agit aussi d’un lieu marqué par l’homme et même par son avidité à exploiter les ressources naturelles, comme le souligne le metteur en scène Philippe Quesne34 qui y présente en 2023 son spectacle Le jardin des délices. La pièce raconte l’arrivée d’un groupe de femmes et d’hommes dans ce lieu qui apparait alors comme un refuge ou une impasse où ils

décident d’arrêter leur bus. Ils·Elles semblent ainsi s’être échappé·e·s d’une société frappée par une catastrophe ou avoir été guidé·e·s par une illumination qui les fédère. Comme souvent avec ce metteur en scène, ils·elles vont avoir à s’établir, à fonder quelque chose de neuf dans ce lieu par leurs actions. Les différentes tentatives des personnages en ce sens vont néanmoins jouer à la façons de saynètes dont la relative indépendance entre elles a pour effet de suspendre le temps. “La dynamique d’identification du spectateur se joue dans le rapport à l’espace. Le pacte que je propose au public repose sur un environnement fantasmatique dans lequel il aimerait lui-même être immergé.”35 Pour Philippe Quesne, le lieu est primordial, l’attention doit être détournée du caractère des personnages pour donner à voir le non-humain. L’action est-elle même diluée par sa multiplication en plusieurs petites scènes qui coexistent parfois et vont ainsi souligner d’autant plus l’espace en mettant en mouvement l’oeil du·de la spectateur·rice.

34. lemonde.fr, 5 juillet 2023

Le jardin des délices - Mise en scène et scénographie Philippe Quesne Photo © Martin Argyroglo (mc93.com)

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35. Philippe Quesne. Espèces d'espaces, artcena.fr


Le jardin des délices - Mise en scène et scénographie Philippe Quesne Photo © Martin Argyroglo (festival-automne.com)

Ces deux scénographies nous placent en situation d’attente et de désir face au lieu qui les accueille. Du point de vue de la dramaturgie, toutes deux en font un cadre expressionniste où résonne l’héroïsme des personnages tragiques ou la tendance à tourner en rond d'une communauté dans l'impasse. toutes deux en font aussi un cadre romantique où l’humain semble écrasé par le paysage. A la façon dont la scénographie peut se nourrir des archétypes de l’imagination pour former les images qui porteront sa vision, elle peut aussi puiser dans le lieu. Elle y recherche la dimension narrative, ce que raconte le paysage et en quoi cela peut faire écho à l’oeuvre.

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4.2. RÉVÉLER ET HABITER LE LIEU Dans L’Espace vide, Peter Brook aborde à son tour la notion d’image. Il préfère à la distinction entre réel et illusion, l’idée que tout est illusion puisque “l’échange d’impressions au moyen d’images sert de base à notre langage»36. Il fait ainsi du théâtre le lieu de la formation de nouvelles images éphémères qui surgiront du travail du•de la metteur•e en scène et des comédien•ne•s. Il fait également une distinction entre «image figée» et «image mouvante» détachant ainsi la représentation mimétique qu’il qualifie d’«illusion morte»37 de la représentation qui devient langage poétique en cela qu’elle reste ouverte, à la façon dont les images se renouvellent autour des archétypes de Gaston Bachelard. L’espace vide que décrit Peter Brook apparait comme propice à éveiller l’imagination, à la façon dont un livre apparaitrait plus stimulant qu’un film. Le public ne peut se reposer sur des choses connues mais doit faire l’expérience du vide qu’il comble mentalement. Aussi, la scène nue qui est révélée comme scène est un outil de distanciation qui, plutôt que de viser à donner la distance de la réflexion à la façon de Bertolt Brecht, peut placer l’action dans le domaine de l’imaginaire. Evider l’espace est aussi un moyen de limiter les références et symboles propres à l’époque pour se rapprocher d’une image intemporelle et pure. Un premier enjeu pour le spectacle en extérieur va être de sélectionner ce qui apparait dans le "cadre" au sens de champ de vision des spectateurs•rices, en écartant donc, si le spectacle semble l'exiger, les éléments qui renvoient ceux•celles-ci à aujourd'hui.

Évider l’espace est aussi un moyen de limiter les références et symboles propres à l’époque pour se rapprocher d’une image intemporelle et pure. 36. Peter Brook, L'espace vide, Ed. du Seuil, 1977, pp.105-106 37. p.107 38. Nicolas Bourriaud, Les magiciens de Babel, Art Press, n°136, mai 1989, p.41, in Anne Roqueplo, Figures archétypales de l'habiter dans l'art, in L'archaïque et ses possibles, p.140, dir.

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Si l’on substitue à la scène le sol naturel formé par la terre, le placement dans le domaine de l'imaginaire s'opère alors que parallèlement on quitte la boîte noire qui isole la représentation pour venir s'inscrire entre ciel et terre. On s'approche alors du land art dans le constat de Nicolas Bourriaud : “le land art ou le body art, dans lesquels on perçoit des échos du primitivisme, dénient l’appartenance de l’art au monde des objets pour le rattacher à celui de la cérémonie ou des espaces sacrés”38. De la même façon qu'avec la matière brute, le spectacle devient le lieu d'une sorte de rituel de connexion au monde et à l'environnement. "J’aime à imaginer qu’un spectacle, c’est un ensemble d’acteurs qui se réunissent pour adresser quelque chose aux dieux" précise Gwenaël Morin39. "Le secret de toute expérience esthétique résiderait ainsi dans un traitement attentionnel non contraint par une tâche spécifique – elle n’a pas de but, au sens fort du terme, fixé en amont – qui permettrait à la cible de l’attention d’être définie par, et au cours de l’exploration visuelle ellemême. En conséquence, le premier symptôme de l’attention orientée esthétiquement que souligne l’auteur est le phénomène de saturation attentionnelle, qui se manifeste lorsqu’un nombre indéterminé de propriétés environnementales sont pertinentes."40 Le choix de placer le spectacle en extérieur dans un paysage visible suffisamment vaste, mais dont la perception peut aussi être prolongée spatialement par le son, amène une quantité importante d'informations qui s'ajoutent à celles conçues par le•la metteur•e en scène. Celles-ci fonctionnent un peu à la manière des petites scènes évoquées chez Philippe Quesne, qui ont lieu simultanément. Elles ont pour effet d'élargir l'attention du spectateur à un champ plus vaste dont on distingue mal les limites. Lors de la représentation de Uneo uplusi eurstragé dies, je peux ainsi entendre un train passer ou un voisin se plaindre, sans les situer précisément. La citation de Jean-Marie Schaeffer souligne Stéphane Bonzani, MétisPresses, 2020 39. Dossier de presse, theatre-manufacture.fr 40. Jean-Marie Schaeffer, L'expérience esthétique, Paris, Gallimard, 2015 - journals.openedition.org


Uneo uplusi eurstragé dies Photo © Emile Zeizig (blog.culture31.com)

aussi que les éléments amenés de façon désintéressée dans le champ de la perception vont ainsi pouvoir être abordés librement sans être considérés comme faisant nécessairement partie de la représentation, mais laissés à l'appréciation du•de la spectateur•rice. Nous oscillons alors entre regard focalisant et regard périphérique, pour reprendre la distinction faite par Germana Civera, alternance qui enrichit notre état de présence à ce qui est en train de se passer. L'action de la représentation qui focalise principalement l'attention rayonne sur l'environnement périphérique qui à son tour peut être présenté comme digne d'une attention, d'un regard esthétisant.

L'action de la représentation rayonne sur l'environnement périphérique qui à son tour peut être présenté comme digne d'une attention.

Cela accentue la capacité de l'espace à nous inclure dont peut jouer la scénographie. Nous habitons l'espace et, pour reprendre Gaston Bachelard (La poétique de l’espace), le souvenir d’y avoir rêvé nous y attache.

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"Celui qui aime les substances, en les désignant, déjà il les travaille." Gaston Bachelard41

La vitrine, installation de Thibault Lucas (Photo prise en cours de montage)

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41. Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Editions Corti, 1947, p.58


5. CONCLUSION "La vase, la matière sur scène, elle est évidemment tout à fait hasardeuse, elle n'est pas rassurante pour les acteurs, elle les met eux-mêmes dans une situation où ils sont chaque jour, chaque soir, vraiment dans la nécessité de réimproviser, de devoir être réemerveillés par elle et puis surtout être très attentifs à tout ce qu'elle va proposer puisque chaque soir évidemment elle n'agit pas de la même façon. [...] La seule directrice d'acteur sur les spectacles c'est la matière, c'est elle qui leur demande d'être dans cette état de présence qui l'égale elle, puisque elle n'est jamais dans une répétition. [...] C'est à la fois un spectacle mais c'est aussi un vrai moment de partage [...] avec les spectateurs. Parce qu'on ne peut pas tricher avec cette matière là."42 Ces propos de Marguerite Bordat, scénographe du spectacle La Vase avec la compagnie de La Belle Meunière rappellent l'intérêt d'accueillir la part de hasard, d'imprévu, que peut apporter la matière brute comme l'ont fait Aurora dos Campos et Rodrigo Portella pour Tom na fazenda. Ils me rappellent aussi surtout qu'à travers les différentes possibilités de connexion à la matière naturelle évoquées dans ce mémoire, l'important est de déceler le discours qui semble déjà se trouver dans cette matière, d'être à l'écoute de celle-ci, des rapports qu'elle établit. Ainsi, elle viendra amplifier l'oeuvre par la propre symbolique ou narration qu'on lui prête. Tisser des liens entre le discours d'une oeuvre et notre propre compréhension d'un phénomène naturel, c'est l'occasion de rendre humaine la nature, de la manifester comme porteuse de notre existence. Si le choix est fait d'amener la matière sur scène, on s'aperçoit qu'elle n'est déjà plus tout à fait elle-même, mais sa réalité peut exacerber l'idée d'une performance confrontant un être humain à l'élément naturel qu'il nous rend perceptible. La matérialité joue en même temps le rôle d'amener du réel dans le spectacle selon une conception contemporaine qui vise à mettre en avant cette capacité qu'à le spectacle vivant face aux autres médias.

Nous avons observé toutefois que la scénographie par le propos qu'elle porte sur l'espace, peut nous donner à voir la terre différemment. Quittant la question du réel, elle peut convoquer l'imagination. En cela, elle appartient tout autant au spectacle vivant, car elle seule peut mêler l'illusion à une réalité spatiale ressentie comme telle. S'ouvre alors la question de l'immersion tout aussi passionnante, lorsque nos sens sont utilisés pour nous amener à imaginer. Pour penser cet imaginaire, le•la scénographe peut se raccrocher à des archétypes, en cherchant la source des images qui ont pu être déjà développées. La scénographie est par définition le réceptacle d'une action. Mais elle est aussi elle-même geste. Elle dirige le regard, isole une propriété. Mais peut-être faut-il penser la scénographie comme un discours qui oriente le regard et aussi comme l'occasion de placer le•la spectateur•rice face à un environnement diffus et qui suit ses propres règles. Il ressort pour moi qu'amener la matière sur scène sous quelque forme que ce soit nécessite de s'y confronter. La scénographie me semble indissociable d'un travail de plasticien et d'un travail de terrain, d'expérimentation du réel. Un des enjeux de ce mémoire était aussi de questionner un matériau dont la présence est encore minoritaire dans l'enseignement que l'on reçoit de l'architecture et qui dans sa mise en œuvre la plus élémentaire s'éloigne nettement d'un aspect architectural. Je souhaitais donc revenir à la matière, dans la liberté que lui donne la scénographie.

Amener la matière sur scène sous quelque forme que ce soit nécessite de s'y confronter. La scénographie me semble indissociable d'un travail de plasticien et d'un travail de terrain.

42. Marguerite Bordat et Pierre Meunier, Matières premières, Une saison au théâtre, France Culture

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Le sens que je veux donner à mon choix de l'architecture puis de la scénographie est la possibilité d'une reconnexion à une intelligence de la main qui touche. A un savoir qui nous connecte à la réalité matérielle du monde et non à une profusion d'informations purement visuelles qui nous en écartent et deviennent anxiogènes. Il me semble qu'aujourd'hui je dois rester vigilant face à l'encouragement à maîtriser plus d'outils numériques, amplifié par mon propre goût prononcé pour le dessin. Cela conforte mon envie de rejoindre un bureau d'études de théâtre ou d'opéra, ou au sein d'un atelier privé, pour évoluer dans le domaine de la scénographie et au contact de la construction. Mon stage avec l'artiste Thibault Lucas a été l'occasion de questionner la frontière entre scénographie et art plastique, ses œuvres cherchant toujours à questionner le lieu qui les accueille. Ça a été aussi l'occasion de retrouver le plaisir du bricolage et de l'intervention manuelle au contact du lieu - construction ou terrain vague et des matériaux.

Thibault Lucas durant l'installation de La vitrine, Paris avril 2023 (photo personnelle)

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BIBLIOGRAPHIE / MÉDIAGRAPHIE LIVRES Lætitia Fontaine et Romain Anger, Bâtir en terre, Éditions Belin / Cité des sciences et de l'industrie, 2009 Stéphane Bonzani (dir.), L'archaïque et ses possibles, Architecture et philosophie, Métis Presses, 2020 Anne Roqueplo, Figures archétypales de l'habiter dans l'art, in L'archaïque et ses possibles, p.140, dir. Stéphane Bonzani, MétisPresses, 2020 Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, Éditions Corti, 1947 Gaston Bachelard, L'air et les songes, Editions Corti, 1968 Anne Ubersfeld, Les termes clés de l'analyse du théâtre, Éditions du Seuil, 1996 Julie Perrin, Projet de la matière - Odile Duboc, Centre national de la danse, Pantin, et les Presses du réel, Dijon, 2007 Odile Duboc, Les mots de la matière, établi sous la direction de Françoise Michel et Julie Perrin, Éditions Les solitaires intempestifs, 2012 Yoshi Oida, L'acteur rusé, Actes Sud, 2008 Peter Brook, L'espace vide, Éditions du Seuil, 1977 Dominique Chateau, L'art comme symbole, in La question de la question de l'art, books.openedition.org Jean-Marie Schaeffer, L'expérience esthétique, Paris, Gallimard, 2015 - journals.openedition.org

ARTICLES Frédérique Aït-Touati, Aménager une nouvelle façon de penser et d’habiter le monde, artcena.fr Festival Transamériques, Tom Na Fazenda, La boue du mensonge, plus.lapresse.com Germano Celant, Mario Merz, l'artiste nomade, Art Press, n°48, mai, p.14, Wikipédia, Arte Povera Robert Enright, Entretien avec Giuseppe Penone, La perfection de l’arbre et autres préoccupations matérielles, Border Crossings, no 128, 2013 Marie Reverdy, Et beh 2015 ça promet, Offshore-revue Isabelle Chol et Anne Reverseau, La poésie comme une "image". Emplois et valeurs du mot dans le discours critique des poètes français, Tangence n°124, journals.openedition.org

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Larousse.fr, Archétype Philippe Quesne (entretien avec Fabienne Darge), Philippe Quesne au Festival d’Avignon : « La Carrière de Boulbon est un site incroyable, qui sera le personnage principal du spectacle », lemonde.fr, 5 juillet 2023 Philippe Quesne (entretien avec Stéphane Malfettes). Espèces d'espaces, artcena.fr

AUTRES Victoria Hinton, L’impact empathique de la matière brute sur scène, soutenance de mémoire de recherche, youtube.com/@EcoleCamondoTV Luc Boucris, Introduction - Qu'est-ce que la scénographie ?, cours DPEA 2022-23, ENSA Montpellier Recirquel.com Uneo uplusi eurstragé dies, Dossier de presse, Festival d'automne Uneo uplusi eurstragé dies, Dossier de presse, Théâtre de la Manufacture, Nancy Marguerite Bordat et Pierre Meunier, Matières premières, Une saison au théâtre, France Culture

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LE RETOUR À LA TERRE UN ÉLÉMENT NATUREL POUR UN ÉVEIL À L'ENVIRONNEMENT EN SCÉNOGRAPHIE DE SPECTACLE VIVANT FRANCK SENET


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