LECTURE
FAITS ET FOUTAISES DANS LE MANAGEMENT DE JEFFREY PFEFFER & ROBERT SUTTON
UN INVENTAIRE DES MAUVAISES PRATIQUES DÉCISIONNELLES Utiliser une logique ou une analyse insuffisantes S’appuyer sur un benchmarking trop superficiel. On copie souvent les pratiques les plus visibles, les plus évidentes mais pas les plus importantes. Les entreprises ont souvent une stratégie, un environnement concurrentiel, et un modèle économique bien à elles, d’où des méthodes de réussite qui leur sont propres. Ce qui est favorable à une organisation peut nuire à une autre. On cherche à reproduire ce qui a réussi (ou semble avoir réussi) dans le passé. Or, lorsque la nouvelle situation se révèle différente des précédentes, ce que l’on jugeait valable dans le passé ne l’est peut être plus ou, du moins, pas entièrement.
Suivre des idéologies profondément enracinées mais peut-être infondées L’idée que « les êtes humains agissent essentiellement pour accroître leur intérêt personnel ». Les auteurs montrent que l’égoïsme et l’altruisme sont des attitudes acquises. L’argent est roi car nous pensons que les autres sont intéressés par l’argent, même si nous ne le sommes pas. L’idée que le travail est et doit être fondamentalement différent du reste de la vie. Les auteurs défendent l’idée que les entreprises auraient intérêt à ne pas ignorer la personne qui est derrière chaque salarié, parce que les gens se comportent au travail comme ils se comportent dans la vie en général. Les risques de la compartimentation… L’idée que les meilleures organisations ont les meilleurs collaborateurs. Les auteurs dénoncent l’obsession de distinguer les « meilleurs » (et de rejeter les autres) et démontrent que les entreprises vraiment performantes sont celles qui savent l’être en fonctionnant avec des gens ordinaires. Les « meilleurs » représentent seulement 10% des effectifs, le talent n’est pas si facile à identifier et le talent (des individus et des organisations) n’est pas définitif : il est davantage une question d’efforts, d’accès à la bonne information et à la bonne technique, que de don naturel. Les performances des individus dépendent des ressources dont ils disposent, de l’aide de leurs collègues, et de l’infrastructure qui soutient leur travail. Les « stars » n’aident pas l’entreprise sur le long terme car elles n’y restent pas longtemps. L’idée que les incitations financières améliorent les performances de l’entreprise. Les auteurs contestent le recours systématique aux incitations financières en établissant leur effet pervers. L’idée que « La distribution d’actions ou de stock-options améliore les performances de l’entreprise » n’est corroborée que pour les start-up et les auteurs montrent les nombreuses dérives d’un système de gratification uniquement monétaire. L’idée que tout est dans la stratégie. Les auteurs raillent la foi dans les choix stratégiques comme garantie de la performance, au détriment de la recherche et de l’efficacité opérationnelle. D’autant plus que la stratégie elle-même n’est pas exempte d’idées reçues non étayée sur le plan scientique : « La première entreprise à pénétrer sur un marché ou dans un secteur d’activité possède un avantage sur ses concurrents », « la stratégie est le domaine de compétence des hauts dirigeants et du conseil d’administration ». Ils montrent que ce qui procure un avantage concurrentiel est qui est difficile à copier ce n’est pas tant de savoir ce qu’il faut faire – choisir la bonne stratégie – mais de pouvoir le faire. Autrement on est dans le The Knowing-Doing Gap ou « piège des beaux discours stériles ».
L’idée qu’il faut changer ou mourir. Ils critiquent la fascination des dirigeants pour le changement qui les conduit à lancer sans cesse de nouveaux projets à la pertinence douteuse alors qu’il y aurait tant à améliorer dans les pratiques existantes et les systèmes en place. Ils proposent même une nomenclature des changements organisationnels à risque : Fusions et acquisitions, Mise en œuvre d’un nouveau logiciel d’entreprise, Adoption de meilleures pratiques de ressources humaines, Efforts d’amélioration de la quality, Reegineering, Licenciements massifs. Néanmoins, ils conviennent que la seule chose qui soit plus dangereuse que le changement est l’absence de changement ce qui les conduit dans la seconde partie à s’interroger sur les conditions d’un changement réussi. L’idée que les grands leaders contribuent vraiment à la performance de l’entreprise. Les auteurs se moquent du mythe du grand leader (entretenu par les dirigeants pour justifier leurs rémunérations et par les chasseurs de tête pour justifier leurs honoraires) conduisant l’entreprise au succès et ils plaident pour une vision modeste du leadership. Les faits montrent que l’action des leaders explique rarement plus de 10% des différences de performance entre les meilleures organisations et les moins bonnes (les leaders ont peu d’influence sur les tendances macroéconomiques, leur sélection et formation sont homogènes et les rendent assez interchangeables).
UN INVENTAIRE DES BONNES PRATIQUES DÉCISIONNELLES Reconsidérer l’importance de la stratégie et le rôle de l’équipe dirigeante Le rôle majeur de l’équipe dirigeante. Etre l’architecture de la culture d’entreprise et des systèmes de management au sein desquels la stratégie est élaborée et mise en œuvre. Une stratégie doit pouvoir s’énoncer en 1 ou 2 phrases. Un dirigeant efficace. Le leadership s’apprend par l’expérience. Devenir un dirigeant efficace réclame une connaissance approfondie du secteur, de l’organisation, des salariés et des taches qui sont les leurs. Appliquer le secret de la réussite : écoutez vos clients et leurs attentes et soyez attentifs à la qualité de l’environnement de vos salariés, ce qui vous permet de privilégier le développement de leurs compétences de base tout en réagissant aux changements du contexte économique et de la situation du marché. Autre définition du rôle de l’équipe dirigeante : Se focaliser sur ce qui compte, les clients et, pour les servir au mieux, le talent intellectuel et la culture organisationnelle s’adapter à de nouveaux défis et opportunités. Garder à l’esprit les changements organisationnels à risque. Fusions et acquisitions Mise en œuvre d’un nouveau logiciel d’entreprise (ERP notamment) Adoption de meilleures pratiques de ressources humaines Efforts d’amélioration de la quality Reegineering Licenciements massifs Gérer le changement factuellement. Apprendre en cours de route en passant le moins de temps possible sur l’analyse stratégique. Ne pas confondre problèmes de stratégie et problèmes de mise en œuvre.
Reconnaître et traiter les besoins de l’individu dans sa globalité Une approche plus efficace. Sans chercher à rendre les individus différents de ce qu’ils sont, les meilleurs dirigeants leur font part des objectifs de l’entreprise et des moyens dont ils disposent pour les atteindre puis dans la mesure du possible, les aident à trouver, façonner et jouer des rôle capables de faire progresser l’entreprise vers ces objectifs. Satisfaire les besoins professionnels des salariés, ne pas autoriser sur le lieu de travail des comportements qu’on ne tolèrerait pas ailleurs, peut se révéler plus efficace pour : Développer l’engagement Recruter famille et amis (comme clients et/ou comme collaborateurs) Economiser l’énergie des individus qui ne sont pas obligés d’être différents au travail de ce qu’ils sont dans la vie, et favoriser leur créativité Renforcer l’adhésion grace à un leadership plus authentique o Ne pas céder à l’obsession des « meilleurs ». Considérer le talent comme accessible à la grande majorité des individus et non comme réservé à une élite. Considérer que la loi des systèmes foireux qui génère le syndrome de la fuite de l’intelligence, est plus forte que la loi des nazes. Considérer que la sagesse est le talent n°1.
Encourager les individus à parler librement. Parler des problèmes que vous avez résolus, des erreurs commises par d’autres afin que tout le monde puisse en tirer des enseignements, admettre vos propres erreurs et ne jamais cesser de contester ce qui est fait et de la façon de le faire encore mieux. Reconnaître les profils propices à l’apprentissage organisationnel. Les râleurs : résoudre immédiatement les problèmes mais ensuite faire savoir à tous les intéressés que le système s’est révélé défaillant. Les emmerdeurs : dénoncer systématiquement les erreurs des autres mais pour contribuer à l’apprentissage organisationnel et non pour désigner des boucs émissaires. Les gaffeurs consciencieux : parler de ses propres erreurs à ses supérieurs et à ses collègues afin d’éviter qu’ils ne commettent les mêmes. Avouer ses erreurs signifie que l’on a pour objectif d’apprendre et non de faire bonne impression. Les empêcheurs de penser en rond : ne pas penser que le mieux est l’ennemi du bien. Demander constamment pourquoi l’on procède ainsi. Pourrait-on procéder autrement pour améliorer les choses ? Accorder l’estime des dirigeants au plus grand nombre. Et éviter les écarts de récompense et de prestige trop importants, sans essayer de tout régler par les incitations financières.
Adopter les principes d’un management factuel Remplacer les idées reçues par des preuves. S’engager à prendre des décisions sur des faits avérés (l’importance des études, tests, expériences terrains sur un échantillon). Elargir l’angle du benchmarking. En étudiant les entreprises actuellement performantes mais aussi celles qui ont échoué et pour certaines qui ont disparu. Garder à l’esprit que les données objectives changent la dynamique du pouvoir. La vérité est souvent difficile à entendre, que le marché des idées managériales est lui-même confus, manque de preuve, est souvent inefficace1. Faire preuve de sagesse par-dessus tout. Compenser son savoir limité en s’appuyant sur des idées anciennes et vraies, à rejoindre des communautés de gens intelligents au lieu de se fier uniquement à ses propres idées.
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Pratiques courantes
Management factuel
Faire passer de vieilles idées pour des idées neuves
Traitez les vieilles idées comme de vieilles idées
Glorifiez, célébrez et appliquez des idées et des études innovantes
Méfiez-vous des études innovantes, elles ne sont presque jamais concrétisées.
Célébrez des individus brillants, gourous du management, grands penseurs et stars de la performance.
Célébrez des communautés d’individus intelligents et l’intelligence collective et non les génies ou les gourous solitaires. Rester assis à écouter un gourou aussi génial soit il ne permet pas aux individus de se sentir propriétaires des idées et motivés pour développer une solution
Ne vantez que les mérites des méthodes de recherche et des pratiques managériales que vous
Soulignez les avantages ET les inconvénients de vos méthodes de recherche et de vos pratiques (et vos
Les auteurs conseillent aux dirigeants de demander aux sociétés de conseil des preuves que leurs conseils ou leurs méthodes marchent.
utilisez. Ne mentionnez pas leurs inconvénients ou vos doutes.
doutes).
Utilisez les réussites et les échecs d’entreprises, d’équipes et d’individus pour identifier les meilleures pratiques et les pires.
Nous nous rappelons de choses très différemment selon que nous soyons gagnants ou perdants. Utilisez les réussites et les échecs à partir d’histoires vraies, pour illustrer des pratiques fondées et pas nécessairement comme une méthode de recherche à part entière.
Utilisez les idéologies et les théories populaires pour générer et justifier des pratiques managériales. Ignorez ou rejetez tous les faits qui viennent les contrarier (aussi forte que soit l’évidence des faits).
Adoptez une approche neutre à l’égard des idéologies et des théories. Fondez vos pratiques managériales sur les observations les plus certaines et non sur les idées ou pratiques en vogue.
Absence de sagesse
Sagesse
Agir sans savoir ou sans douter de ses connaissances. Ne pas agir et analyser interminablement la situation ou pire, ne faire aucun effort pour apprendre à mieux agir.
Agir en fonction de l’état actuel de son savoir (tout en doutant de ses connaissances).
Agir comme si l’on savait tout, ne pas sembler comprendre, accepter ou reconnaître les limites de son savoir.
Comprendre et reconnaître les limites de son savoir.
Sur-estimer ou sous-estimer son savoir.
Se montrer humble vis-à-vis de son savoir.
NE pas demander ou refuser l’aide des autres.
Demander et accepter l’aide des autres.
Ne pas aider les autres même s’ils en ont clairement besoin.
Aider les autres.
Manquer de curiosité vis-à-vis des êtres, des choses et des idées. Se contenter de répondre aux questions et ne parler que pour mieux étaler son savoir sans chercher à apprendre de ses interlocuteurs.
Etre curieux : poser des questions, écouter, s’efforcer d’acquérir sans cesse de nouvelles connaissances, à partir des évènements, des informations, de l’entourage.
Adopter des principes dans la conduite du changement Se demander si le changement en vaut la peine. 8 questions à se poser avant d’opérer un changement organisationnel majeur ? Question
Recherche de la bonne réponse
La pratique envisagée est-elle meilleur que ce que vous faites actuellement ?
Est-ce que vous l’utilisez déjà sous une autre appellation ? Quel est son taux de réussite ailleurs ? Pouvez-vous la tester au préalable dans votre entreprise ?
Le changement mérite-t-il vraiment le temps passé, l’argent dépensé et la désorganisation occasionnée ?
Votre délai et votre budget sont-ils réalistes si vous considérez ce qui se passe réellement dans d’autres entreprises ? Les individus qui vous vendent cette solution ont-il intérêt à sous-estimer son coût ?
Des changements symboliques sont-ils préférables à
Est-ce un changement fondamental qui va nuire à la
des changements profonds ?
performance de votre entreprise ? Des groupes de pression à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise réclament-ils ce changement ? Si vous ne réalisez aucun changement, cela va-t-il nuire à la réputation de votre entreprise et à vos principaux partenaires ?
Ce changement est-il bon pour vous mais mauvais pour l’entreprise ?
Va-t-il améliorer votre réputation, votre prestige ou votre salaire ? Si vous l’effectuez, une personne influente aura-t-elle une dette envers vous ? Va-t-il faciliter votre travail et compliquer celui des autres ?
Avez-vous les moyens de concrétiser ce changement ?
Avez-vous suffisamment de soutien et de ressources dans votre entreprise ? Vos alliés ont-il suffisamment de poids ? Avez-vous une stratégie pour renforcer l’influence de vos alliés et affaiblir vos opposants ?
Vos collaborateurs sont-ils déjà submergés par les changements ?
Vos collaborateurs pensent-ils que ce changement est durable ou qu’il n’est qu’un effet de mode ? Sont-ils en train de se remettre du dernier grand changement ? Sont-ils toujours en plein processus ou si épuisés qu’ils ne sont pas prêts à en accueillir un nouveau ? Trop de changements à gérer en même temps ne risque-t-il pas de rendre vos collaborateurs incapables de tous les mener à bien ?
Vos collaborateurs sont-ils capables d’apprendre et d’actualiser les informations sur le projet en cours de route ?
Considèrent-ils ce changement comme abouti et définitif ou comme un prototype qu’il faut modifier, voire transformer pour répondre à l’émergence de nouvelles données ? Votre équipe montre-t-elle qu’elle est capable d’apprendre et d’améliorer le projet de changement face aux résistances, aux critiques et aux suggestions ou rejette-t-elle toutes ces inquiétudes les prenant pour des idées stupides provenant de gens stupides ?
Serez-vous capables de stopper net le project de changement ?
Comment saurez-vous que c’est un échec ? Comment saurez-vous qu’il faut arrêter ? Qui jugera que c’est un échec et décidera d’arrêter net le projet de changement ?
Se demander si toutes les conditions de succès sont réunies. Question
Recherche de la bonne réponse
Les individus sont insatisfaits de la situation actuelle
Si cette condition n’existe pas, créez-la !
La direction dans laquelle ils doivent agir est claire et ils restent concentrés sur cette direction
N’hésitez pas à communiquer un maximum autour de ce changement, à expliquer le plus clairement possible en quoi il consiste, pourquoi il est nécessaire et ce que vous attendez dès à présent de vos collaborateurs. Si vous ne rabâchez pas le même message par oral pour par écrit, il ne restera pas gravé dans leur esprit.
On montre que l’on a confiance dans ses chances de réussite (tout en se remettant régulièrement en
Affichez une confiance insolente sur les chances de réussite de ce changement, pour montrer qu’il
cause et en actualisant son savoir)
mérite les efforts, le temps et l’argent que vous et vos collaborateurs allez lui consacrer. Créer une prédiction auto réalisatrice est un moyen puissant d’augmenter vos chances de succès, indépendamment du taux de réussite des autres entreprises. Ne donnez pas à penser que le changement sera long car vous le rendrez inévitablement long. Toutefois, pour éviter les risques d’une confiance aveugle, réunissez régulièrement vos collaborateurs afin qu’ils expriment leurs doutes et leurs incertitudes et intègrent les nouvelles données disponibles à leurs connaissances et leurs pratiques existantes.
On accepte que le changement soit un processus difficile marqué par des moments de confusion et d’inquiétude qu’il faut supporter.
Acceptez les erreurs, contretemps, malentendus, énervements, rumeurs effrayantes. Considérez les pépins comme inévitables, tirez-en des enseignements. Partez du principe que tout le monde a les meilleures intentions et attachez-vous à essayer de résoudre les problèmes au lieu de chercher des boucs émissaires.
Le leader dans le changement Agir comme s’il contrôlait la situation, donner confiance, parler de l’avenir, tout en reconnaissant les réalités organisationnelles et ses propres limites Eviter le piège de la surestimation de soi, renforcée par l’adulation dont il fait l’objet, pour garder le sens de la mesure Apprendre quand et comment s’effacer derrière ses collaborateurs et les laisser apporter leur contribution à l’organisation Participer à l’instauration de systèmes, d’équipes et de cultures organisationnelles plutôt qu’à tout concentrer au sein d’un petit noyau d’individus puissants et ultra-compétents.