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SOCIÉTÉ
9 DÉCEMBRE 2012 WWW.SUDOUEST.FR
La Bourse prise de vitesse par les robots traders Décrié, le trading haute fréquence permet de vendre et d’acheter des actions… à la microseconde ! FINANCE
FRÉDÉRIC SALLET f.sallet@sudouest.fr
e 6 mai 2010 à 20 h 42 (heure française), un grand spasme secouelaplanètedelafinance. Le Dow Jones s’effondre de 1 000 points, et 1 000 milliards de dollarspartent–virtuellement–en fumée!Lacriseestgrave,maiselle nedurerapas:enmoinsdedixminutes,l’indicepharedel’économie mondiale retrouve son niveau initial, et les transactions de repartir comme si rien ne s’était vraiment passé…Lepremier«flashcrash»de l’histoires’estproduit,révélantaux yeuxdugrandpublicl’étrangepratiquedutradinghautefréquence. Ici, pas de Jérôme Kerviel ni d’armée de traders pour jouer avec le coursdesactions,maisdesalgorithmes informatiques écrits par des pointures des mathématiques, de laphysiqueoudesstatistiquesdont les talents s’arrachent à prix d’or. Programmés pour vendre et achetersurlesmarchésfinanciersinternationaux,lesordinateursopèrent désormaissanssupervisionimmédiatedel’homme,analysantàchaque instant l’ensemble des informations disponibles et adaptant leursstratégiesselonlesévolutions delaBourse.Letoutàunevitessede l’ordredelamicroseconde(voirnotreinfographieci-dessous) ! Objectif : prendre de vitesse la plupart des acteurs financiers traditionnelsafindeprofiterdelatendance à la hausse ou à la baisse de chaque transaction, et gagner ainsiquelquesdixièmesoucentièmes de centime par action… Tout en jouant sur des volumes faramineux ! En Europe, jusqu’à 90 % des ordres passés sur les marchés pro-
L
viendraient désormais d’algorithmes haute fréquence, mais avec seulement20à30 %desordresréellement exécutés in fine, selon la stratégiedechacunpourtirerprofit des déviations statistiques des cours.
Dopagetechnologique « La vitesse confère un avantage à certainsinvestisseurs,etletrading hautefréquenceleurpermetdedétecterlemeilleurprixenenvoyant defauxsignaux.Cettepratiquepeut être comparée à une forme de dopage technologique qui crée un marché à deux vitesses », détaille ChristopheFaugère,professeurseniordefinanceàBordeauxÉcolede management. « L’apparition du trading haute fréquence nous a forcés à nous adapter », reconnaît Laurent Fournier,responsabledesstatistiqueset de l’analyse métier à Nyse Euronext (1). « Son apparition est liée à une dynamique d’innovation technologique avec de nombreux acteurs spécialisés et à des évolutionsréglementaires.Onadûadapter nos systèmes informatiques et recruterdavantaged’ingénieursissus des plus grandes écoles pour mieuxcomprendreetsurveillerces pratiques. » Impossible,eneffet,d’avoiraccès aux algorithmes et aux stratégies réellesdecesopérateurstrèssecrets. Et humainement impossible de surveillerdesordrespassésàlamicroseconde,dontcertainspeuvent s’avérer frauduleux et déstabiliser le marché ou altérer la confiance desinvestisseurs.« EnEurope,nous avonsdesalertes,etnouspouvons interdireouannuleruneopération
Ultrasécurisés, les «data centers» hébergent les algorithmes des traders. PHOTO INTERXION
boursière s’il le faut. C’est une mesure rare et extrême, que nous avonsutiliséeilyasixmoispourla dernière fois », détaille Laurent Fournier.
Briderlavitesse Désormaismieuxconnu,letrading hautefréquenceestaussipluscritiquéparleséconomistesetlespolitiques,quiredoutentdenouveaux « flash crashes », voire un emballement total des machines pouvant déboucher sur une crise systémi-
que.Dansquelquesjours,laFrance s’apprête d’ailleurs à interdire la pratiqueàsesbanquesetàleursfiliales. À l’échelon européen, les régulateurs travaillent également à une harmonisation des règles et à denouveauxgarde-f ous:imposer un taux minimal d’exécution des ordres ou des pas de cotation plus importants. « On va essayer de brider la vitesse. Nous voulons un frein et des radars », esquisse Alexandra Givry, directrice de la divi-
sion chargée de la surveillance des marchés à l’AMF (2). « Sur la plupart des marchés européens, nous disposons de mécanismes de coupe-circuit pour éviter le flash crash, mais nous ne sommes pas totalement à l’abri d’un événement de ce type. » (1) Nyse Euronext opère sur la Bourse de Paris et de nombreux marchés. (2) Autorité des marchés financiers.
Au cœur des « data centers » HIGH-TECH Une course à la vitesse et à la puissance se joue dans les salles de données L’essordutradinghautefréquence n’aurait pu avoir lieu sans la puissance des processeurs informatiquesetl’accélérationdesdébitsde transmission de l’information numérique.Lecœurdecesystèmepalpiteaujourd’huidansles«datacenters », des salles de données où les opérateursdumondedelafinance viennent faire tourner leurs algorithmes sur des équipements de dernièregénération. Le groupe Interxion, leader du marché français, dispose à lui seul de32datacentersdecolocalisation dans 13 capitales, parmi lesquelles LondresetFrancfort,oùsetrouvent lesplacesboursièreslesplusactives
ducontinent.Desbâtimentsultrasécurisésavecdestechnologiesqui nedépareilleraientpasdansledernier « James Bond » et des normes de construction draconiennes pour résister aux catastrophes naturelles. Objectifs : garantir sécurité et confidentialité des données aux clients qui viennent déposer leursserveursdanscessalles,etleur assureruntauxdedisponibilitéde 99,999 % – soit moins de quarante secondesdepanneélectriquechaqueannée!
Desmonstresénergivores «Nousavonsunniveauderesponsabilité particulièrement élevé, reconnaîtFabriceCoquio,ledirecteur générald’InterxionFrance.Pourpareràtouteéventualité,nousdisposonsdedizainesdegénérateursautonomes et de cuves de fioul enterréesquigarantissentnotreau-
tonomieélectrique.»Desmesures qui ont un coût non négligeable : inauguréfinnovembre,ledernier «datacenter»d’Interxion,àLaCourneuve,acoûté132millionsd’euros, pour 10 000 mètres carrés. Et sa consommation électrique équivautàcelled’unevillede50 000habitants! Trop loin cependant de Londres pour les opérateurs du trading haute fréquence, qui préfèrent transmettreleursordresàlamicroseconde plutôt qu’à la milliseconde. C’est donc dans le quartier de la City que se trouvent les plus grandessallesdedonnéesfinancières. Des bunkers d’apparence discrète, au plus près des salles des marchés afin de gagner encore quelques microsecondes dans cet univers technologique où chaque centimètre de fibre optique en moinsfaitgagnerdesmillions.