TERRE(S) INCONNUE(S) #1
ÉTE 2015
À Ced et Tom, mes frères de ciné…
TERRE(S) INCONNUE(S), mais qu’est-ce que c’est ? À l’origine, c’était un blog, créé en 2007 avec l’envie de retranscrire mon expérience du festival de Gérardmer, et tout simplement d’écrire sur le cinéma. Huit ans plus tard, le blog a disparu depuis belle lurette et j’ai migré sur les excellents sites internet www.abusdecine.com et www.freneticarts.com, deux entités distinctes mais ô combien complémentaires m’ayant permis d’affiner mon esprit d’analyse et mon écriture, et surtout de rencontrer des gens passionnants. Et puis, à mesure que la lassitude gagne du terrain, de même que l’idée d’écrire des critiques de films semble s’évanouir peu à peu, l’envie de ressusciter TERRE INCONNUE (oui, il n’y avait pas de « (s) » à l’époque) se fait de plus en plus prégnante. Mais sous quelle forme ? Un nouveau blog ? Une page Facebook ? Ou bien tout autre chose ? Cette autre chose, la voici devant vos yeux. Pas vraiment un magazine, pas vraiment un fanzine, mais juste TERRE(S) INCONNUE(S) : réceptacle d’une envie d’écrire retrouvée. Conçu dans l’urgence (un mois de (ré)écriture, de (re)lecture et de mise en page tâtonnante !), mais avec sincérité et passion, cette forme un peu bâtarde n’a pour but que de parler de cinéma. Et un peu de Batman aussi… Alors certes, à la lecture, ça vous paraîtra peut-être un peu bâclé, amateur, paresseux ou juste sans intérêt, mais là, maintenant, on s’en moque. Car TERRE(S) INCONNUE(S) #1 existe bel et bien, et arbore fièrement le grand David Fincher sur sa couverture. C’est bien tout ce qui compte non ? Bonne lecture, et à dans 6 mois ! Fred Wullsch
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SOMMAIRE Souvenirs, souvenirs… 4 Il était une fois… Jurassic Park de Steven Spielberg 6 Human After All – Cloud Atlas / The Tree of Life 9 Inédits vidéos 15 All the Boys Love Mandy Lane de Jonathan Levine 16 Red State de Kevin Smith 19 The Woman de Lucky McKee 21 Wolf Creek 2 de Greg McLean 23 St. Trinian’s – Pensionnat pour jeunes filles rebelles de Oliver Parker & Barnaby Thomson 24 En couverture : Inside David Fincher’s Films 26 Les films de David Fincher 28 Incipit : les génériques des films de David Fincher 39 Gone Girl 46 Old School 52 Vigilante – Justice sans sommation, de William Lustig 53 Batman le défi, de Tim Burton 56 La Batcave : Batman : Année un, de Frank Miller & David Mazucchelli 59 Cet étrange objet du désir : Amer, de Hélène Cattet & Bruno Forzani 61 Pin Up : Lindsay Lohan 64
« Certaines personnes disent qu’il y a des millions de façon de filmer une scène. Je ne pense pas. Il y a peut-être deux façons. Et la seconde est mauvaise. » David Fincher
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SOUVENIRS, SOUVENIRS…
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Je me souviens. m’affirma, le regard fiévreux que l’on y retournerait le lendemain. Et le surlendemain ! Trois visions, en trois jours, qui allaient m’ouvrir la porte de l’univers sans commune mesure de ce géant du cinéma qu’est Monsieur Steven Spielberg, dont je n’ai plus cessé d’explorer l’œuvre.
Octobre 1993. Mes parents étaient partis en voyage au Népal, me laissant à la maison avec mon grand-père, qui se demandait sûrement comment il allait m’occuper. Cet automne-là, un film enflammait la planète cinéma, rendait fous les plus jeunes et montrait aux plus âgés que désormais, tout était possible. Il faut savoir qu’à cette époque bénie de l’enfance et de l’innocence, ma culture ciné se limitait aux dessins animés Disney et à la vision exaltée (et exaltante) du survolté Robin des Bois, prince des voleurs, deux ans plus tôt. Qu’elle ne fut pas ma joie, donc, lorsque mon grand-père m’annonça que nous irions voir ce Jurassic Park tant attendu.
Parce que grâce à lui, à son talent pour l’Aventure dans ce qu’elle a de plus noble, à son amour d’un Art qu’il a su faire évoluer, je resterai à jamais ce petit homme excité vivant avec son aîné tant adoré le spectacle le plus puissant qui soit. On est bien peu de chose…
Il faut se mettre dans la tête d’un garçon de neuf ans, pour comprendre le choc que fut la découverte de ce spectacle plus grand que nature : une scène d’introduction intrigante, la présentation amusée des héros, l’arrivée sur l’île sur les accords de la somptueuse symphonie de John Williams, les premiers dinosaures, un voyage en voitures électriques, et, point d’orgue de ce prélude à une aventure grandiose, l’apparition électrisante d’un TRex furibard, émergeant d’une jungle battue par les vents !
Deux heures plus tard, la baffe était totale. Et le petit garçon que j’étais devait ne jamais s’en remettre. Ni mon grand-père, d’ailleurs, qui
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IL ÉTAIT UNE FOIS…
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IL ÉTAIT UNE FOIS… JURASSIC PARK de Steven Spielberg Steven Spielberg n’en était pas à son premier défi lorsqu’il réalisa ce qui allait devenir son film le plus célèbre. Mais en ressuscitant un genre tombé en désuétude, le plus adulé des cinéastes n’imaginait sans doute pas qu’il allait provoquer un tel engouement. Et donner au cinéma de divertissement un nouvel élan. Retour sur une œuvre majeure. BIENVENUE À JURASSIC PARK En 1992, Steven Spielberg sort du carton mondial de son adaptation controversée du mythe de Peter Pan, Hook, ou la revanche du Capitaine Crochet, succès incroyable boudé par la critique. Désirant s’affranchir d’un cinéma de divertissement qu’il maîtrise comme personne, mais qui ne le satisfaisait plus en tant que réalisateur, il lance le projet qui devrait lui apporter la reconnaissance de ses pairs et des journalistes, La Liste de Schindler. Seulement, Universal, en charge de la production, doute de la viabilité commerciale d’un film sur la Shoah, de plus de trois heures et en noir et blanc, et impose alors au cinéaste la mise en scène d’un pur blockbuster estival, apte à rassurer les financiers. Le choix de Steven Spielberg se porte alors sur l’adaptation d’un best-seller de l’écrivain Michael Crichton, idéal selon lui pour « retrouver [s]on âme d’enfant ». Roi du cinéma d’aventure, Steven Spielberg voit avant tout en Jurassic Park l’occasion de rendre hommage à tout un genre, l’aventure exotique, le King Kong originel et les films de Ray Harryhausen en tête. Retrouvant une pureté narrative héritée de son E.T. l’extra-terrestre, Spielberg ne s’emballe pas outre mesure, préférant une économie de personnages et de lieux pour mieux marquer le spectateur de quelques idées, scènes ou plans qui n’appartiennent qu’à lui. Se reposant sur un casting parfait, il prend le temps d’introduire son histoire, de présenter ses différents protagonistes et 6
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REVOLUTION DIGITALE Entouré d’une équipe technique parfaitement rodée (Williams, donc, mais aussi le directeur de la photographie Dean Cundey, le monteur Michael Khan et la productrice Kathleen Kennedy, entre autres), Steven Spielberg doit tout de même résoudre LE défi du film : donner à voir une faune préhistorique crédible et impressionnante, dont l’interaction avec le décor et les personnages humains ne doit jamais être remise en cause ou sujette à la moquerie. Supervisée par le spécialiste Dennis Muren (à l’œuvre sur les deux autres films ayant contribué à révolutionner les effets-spéciaux, Abyss et Terminator 2, tous deux de James Cameron), l’équipe de magiciens d’ILM parvient à combler les attentes du cinéaste, propulsant dès lors le cinéma de divertissement dans une nouvelle ère. Dix-huit ans après leur création, les images de synthèse photoréalistes de Jurassic Park n’ont rien perdu de leur puissance d’évocation, les spectateurs ayant toujours en tête des séquences aussi incroyables que l’attaque du T-Rex, la cavalcade des Gallimimus ou le final dans la cuisine avec les deux Raptors.
d’identifier les enjeux de son film. Une entrée en matière qui pourrait paraître un brin didactique et frustrante (surtout après plusieurs visions), mais que Spielberg conduit d’une main de maître, n’oubliant jamais son public. Pour preuve, si le film démarre vraiment à l’apparition du T-Rex furibard, lors d’une scène désormais culte, les premiers dinosaures pointent le bout de leur (long) museau au bout de vingt petites minutes, séquence magique soulignée par la flamboyante partition de John Williams.
Un travail de pionniers, et de titans, qui bien heureusement ne prend jamais la main sur le récit, à contrario des nombreux films qui s’engouffreront dans la brèche ouverte par Cameron et Spielberg. Car, quand on y repense, au-delà de l’aboutissement technologique, et au-delà de l’étalage de prouesses visuelles, ce qui reste de la vision de Jurassic Park tient à peu de chose : une foi inébranlable dans le médium cinématographique, un émerveillement constant face à l’impossible devenu possible et un regard d’enfant sur un passé fantasmé. S’il s’identifie évidemment au personnage de John Hammond, difficile de ne pas voir en Tim une version jeune du cinéaste, dont les yeux grands ouverts face au merveilleux ne peuvent que le personnifier découvrant King Kong ou Le Monde perdu. La gageur d’une émotion enfantine qu’il n’a peut-être jamais cessé de chercher, de
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E.T. à Jurassic Park, en passant par Rencontres du troisième type ou le méconnu Empire du Soleil.
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(photographie crépusculaire du nouveau venu Janusz Kaminski, plans séquences virtuoses et effets-spéciaux incroyablement réalistes), mais bâclée sur le plan de la narration et des personnages. Comme s’il avait été changé par l’expérience de son film sur la Shoah, Spielberg ne reviendra jamais vraiment à un cinéma du pur plaisir immédiat. Si ce n’est, dix-huit ans plus tard, avec Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne. Une autre révolution…
Réconforté par le succès massif du film, Universal ne se fera pas prier pour produire La Liste de Schindler… et lancer la production d’une suite, que l’ancien wonder-boy d’Hollywood réalisera, un peu à contrecœur, quatre ans plus tard. Une séquelle bien plus maîtrisée d’un point de vue formel
Jurassic Park. USA. 1993. Réal.: Steven Spielberg. Scén.: Michael Crichton et David Koepp, d’après Michael Crichton. Prod.: Kathleen Kennedy et Gerald R. Molen, pour Universal Picture et Amblin Entertainment. Int.: Sam Neill, Laura Dern, Jeff Goldblum, Richard Attenborough… Durée : 2h07. Sortie France le 20 octobre 1993 (disponible en DVD, Blu-ray et Blu-ray 3D chez Universal Pictures Vidéo).
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HUMAN AFTER ALL
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AU CŒUR DES FILMS QUI NOUS INTERESSENT ICI, C’EST L’HUMAIN, DANS TOUTE SA DIVERSITE, DANS TOUTE SA COMPLEXITE, QUI TIENT LE ROLE PRINCIPAL. DEUX VISIONS PRIMORDIALES, DEUX FRESQUES DE L’EPIQUE ET DE L’INTIME… IL ETAIT UNE FOIS L’HOMME.
devrait toujours être : une sublimation de ce truc étrange qu’on appelle la Vie. Loin des conventions narratives prisées lors de ce type de récit choral, croisant les destins selon un événement commun (comme dans Amours chiennes ou Collision), cette monumentale symphonie de l’Humain préfère jouer des ruptures de tons, des raccords formels et/ou thématiques, et des allers-retours temporels, pour mieux inscrire son propos dans un tout profondément humaniste. Car tout, absolument tout, dans le film nous ramène constamment à la condition humaine.
CLOUD ATLAS de Lana Wachowski & Tom Tykwer & Andy Wachowski
Difficile d’imaginer association plus étonnante que celle formée par la fratrie Wachowski et le cinéaste allemand Tom Tykwer. Pourtant, et c’est ce qui frappe à la vision de Cloud Atlas, la cohérence du film, son montage et son rythme, doivent tout à l’alliance délicate entre la virtuosité narrative des premiers et la direction d’acteurs du second. Et vice et versa.
Le projet était casse-gueule – suicidaire même – de raconter les destinées d’une vingtaine de personnages se découvrant, se croisant, s’aimant et se combattant, sur une trame temporelle allant du XIXe siècle à un futur post-apocalyptique. Mais c’était sans compter sur la foi absolue des trois cinéastes en leur Art, qui redevient ici ce qu’il
Il n’y a pas un film dans Cloud Atlas (magnifique titre signifiant « cartographie des nuages »…), mais bien six récits distincts, mais invariablement liés, dont les attachements à divers genres forment un tout d’une cohérence assez hallucinante. Aventure historique, romance, comédie, polar, anticipation, drame, science-fiction, et bien 10
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d’autres, sont autant de genres de cinéma évoqués par les époques et les personnages, empêchant dès lors le rangement du film dans une case étriquée. Et lorsqu’au sein d’une même ligne narrative/temporelle, lesdits genres se confondent et se répondent (l’histoire de la journaliste Luisa Rey, par exemple), l’effet en devient proprement vertigineux, créant une émotion palpable et une concordance des enjeux (il faut voir la façon dont sont gérées les nombreuses séquences spectaculaires), qui touchent autant au cœur qu’à la tête.
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lignée des obsessions et thématiques de ses trois réalisateurs/scénaristes (et compositeur pour Tom Tykwer, créateur musical de la symphonie qui donne son titre au long-métrage). Pervertissant une théorie du chaos (qui veut qu’un événement en entraîne un autre, qui en entraîne un autre, qui…) restrictive, les trois auteurs ne s’en remettent qu’aux actions et aux sentiments de leurs protagonistes, célébrant ce besoin inné chez l’homme de se dépasser, de sortir des carcans pour atteindre une forme de liberté et de vérité qui n’appartiendra qu’à lui, comme une révolution intime et complètement universelle. La notion de choix, telle qu’abordée dans la trilogie Matrix ou Cours, Lola, cours, se voit donc poussée à son extrême limite, l’accomplissement des cinéastes épousant celle des protagonistes.
Un tel travail d’écriture et de montage se devait d’être souligné. Mais au-delà de la virtuosité de la narration, de la fluidité des transitions, du travail incroyable des acteurs interprétant chacun une multitude de rôles, de la jouissance procurée par les scènes d’action (on se souviendra longtemps de l’évasion de Sonmi-451) et du plaisir simple de se faire raconter une belle histoire (comme le prologue et l’épilogue le montrent, ajoutant de facto le conte aux genres évoqués par le film), Cloud Atlas évolue dans la droite
Film-univers se vivant plus qu’il ne se raconte, Cloud Atlas est de ces chefs-d’œuvre absolus dont la richesse pourrait emplir des dizaines et des dizaines de pages. Mais s’il n’y avait finalement 11
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qu’une seule chose à retenir de ce monument cinématographique, ce serait une image : celle d’un vieil homme, assis sous les étoiles, se souvenant de tout ce qui a été, est, et sera. Tout est lié.
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l'humanité, Malick ne s'intéresse, lui, qu'à l'Humain et à ce qui Le constitue.
S'ouvrant là où se terminait le Kubrick, sur l'image d'un fœtus en gestation, The Tree of Life annonce d'emblée son sujet, par le biais d'une voix off féminine que l'on devinera plus tard être celle de la Mère. Un sujet d'une simplicité et d'une évidence même, que Malick, poète-imagier en perpétuel questionnement, choisit de prendre à bras le corps et d'en étreindre tous les possibles. Car de quoi parle The Tree of Life, si ce n'est de construction personnelle, de choix de vie et, in fine, d'acceptation de soi ? La voix de la Nature ou la voix de la Grâce. Celle du Père, ou celle de la Mère. Celle du carcan social, ou celle du libre-arbitre. Tiraillé entre ces deux options, le « héros » du film (fantomatique Sean Penn) revient sur les traces de son passé et tente de comprendre. Quitte à remonter à l'origine de tout. Quand le miracle fut possible. Quand du néant surgit la forme et la matière. Bien avant que les dinosaures ne dominent le monde. C'est là tout le génie – la folie diront certains – de Terrence Malick. Abandonnant son intrigue (mais peut-on vraiment parler d'intrigue ?) au bout de 20 minutes, le cinéaste préfère propulser son public au sein d'un
THE TREE OF LIFE – L’ARBRE DE VIE de Terrence Malick S'il semble entretenir de nombreux points communs avec 2001, l’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, The Tree of Life n'appartient pas au même genre de cinéma. Par son sujet, par sa mise en scène et par ses images, le poème métaphysique de Terrence Malick n'appelle pas la comparaison. Car là où Kubrick, sociologue misanthrope et pessimiste, s'attachait au passé et au futur de
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maelström d'images contrariées, reconstruction d'un Big Bang originel dont l'absolue finalité ne sera que la naissance d'un être humain. Effets-spéciaux hallucinants, musicalité totale des images et violence d'une terre en devenir, comme lors de la séquence des dinosaures, dirigés tels des acteurs de chair et d'os... Rarement introduction à un récit n'aura été aussi hypnotisante. Mais ce n'est finalement rien face au propos qui en découle, celui qui permettra à Malick de nous délivrer à nouveau un film dont lui seul a le secret.
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d'une oppressante mégalopole), Malick ne change pas ici son fusil d'épaule et préfère s'attarder sur le détail, l'intime, pour mieux y inscrire son sujet universel. Filmant ses personnages avec un mélange de pudeur et d'obstination, osant le mouvement permanent d'une caméra à même de retranscrire les soubresauts de la vie, le cinéaste fait du jeune Jack son parfait alter-ego.
On devine forcément une part autobiographique dans le portrait de ce jeune garçon à l'aube de la rebellion, perdu entre un Père autoritaire et soucieux (excellent Brad Pitt) et une Mère aimante et aimée (magnifique Jessica Chastain) ; entre la Nature et la Grâce, entre l'ordre sociétal et le chaos originel. C'est dans ces instants-là, où l'intimité d'une vie d'enfant se mêle à l'infiniment grand de l'Univers, que The Tree of Life touche au sublime. Bien plus que dans sa très casse-gueule conclusion, que dans sa spiritualité faussement new age – où certains ont cru voir un prosélytisme qui
Qu'il s'attaque à la chronique rurale, au film de guerre ou à l'aventure historique, Terrence Malick n'est pas cinéaste à s'accommoder des clichés et des codes en usage. Préférant suivre le vol d'un papillon sur un champ de bataille ou même le bruissement des herbes hautes du nouveau monde américain, Malick ne pouvait décemment pas se lancer dans le mélodrame sans en pervertir les facettes. Toujours à la recherche de l'image parfaite, de la lumière idéale (ce vol de milliers d'oiseaux capté à l'heure magique, entre chien et loup, au dessus 13
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n'a pourtant pas lieu d'être – et plus que dans sa célébration très panthéiste d'une déesse-terre sans qui rien ne serait possible, et à laquelle les hommes, ignorants des mystères de la vie, prêtent le nom de ''Dieu''. Selon Malick, peu importe d'où vous venez : seul compte votre choix. La Nature ou la Grâce. Et l'Amour, sans qui rien ne vaudrait d'être vécu. « Unless you love, your life will flash by. »
Cloud Atlas. Allemagne/USA/Hong Kong/Singapour. 2012. Réal. et scén.: Lana Wachowski & Tom Tykwer & Andy Wachowski, d’après David Mitchell. Prod.: Grant Hill, Stefan Arndt, Lana Wachowski, Tom Tykwer, Andy Wachowski, pour Cloud Atlas Productions, X-Filme Creative Pool et Anarchos Pictures. Int.: Tom Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Hugo Weaving… Durée : 2h52. Sortie France le 13 mars 2013 (disponible en DVD et Blu-ray chez Warner Home Vidéo France). The Tree of Life. USA. 2011. Réal. et scén.: Terrence Malick. Prod.: Sarah Green, Bill Pohlad, Brad Pitt, Dede Gardner et Grant Hill, pour River Road Entertainment, Cottonwood Pictures, Brace Cove Productions et Plan B Entertainment. Int.: Brad Pitt, Sean Penn, Jessica Chastain, Hunter McCracken… Durée : 2h19. Sortie France le 17 mai 2011 (disponible en DVD et Blu-ray chez Fox Pathé Europa).
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I N É D I T S
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Ils auraient amplement mérité de sortir au cinéma. Mais les distributeurs de films, vils taquins, en ont décidé autrement. Pour les découvrir, une seule solution : le marché de la vidéo. Qui sont-ils ? Ils sont les Inédits Vidéo ! ALL THE BOYS LOVE MANDY LANE de Jonathan Levine RED STATE de Kevin Smith THE WOMAN de Lucky McKee WOLF CREEK 2 de Greg McLean ST TRINIAN’S – PENSIONNAT POUR JEUNES REBELLES de Oliver Parker & Barnaby Thompson
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FILLES
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ALL THE BOYS LOVE MANDY LANE de Jonathan Levine Mandy Lane. Belle. Pure et innocente. Une reine lycéenne en attente d'être couronnée. Depuis le début de l'année scolaire, tous les garçons ont cherché à la conquérir. Certains ont même trouvé la mort dans leur quête désespérée de cet ange texan de 16 ans. All the Boys Love Mandy Lane est le premier film du réalisateur Jonathan Levine et du scénariste Jacob Forman. Catalogué comme film d’horreur du fait de son pitch, il s’éloigne dès ses premières minutes du schéma ultra balisé du slasher basique par un traitement des plus originaux. Ici point de tueur masqué poursuivant des bimbos pour les massacrer à la perceuse mais plutôt une approche sensitive et émotionnelle à cent lieues des clichés du genre.
La première scène, tétanisante, dévoile avec minutie et intelligence la note d’intention de Levine et Forman : s’il a la construction narrative d’un film d’horreur lambda, All the Boys Love Mandy Lane se pose avant tout comme une tentative d’illustration de l’éternelle thématique du passage – douloureux – à l’âge adulte. Un thème prisé par le cinéma indépendant 16
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Car là où Jonathan Levine fait preuve d’un certain génie, c’est qu’il n’oublie jamais qu’il évolue dans le cadre balisé du slasher movie, avec tout ce que cela inclut de mensonges, de révélations douloureuses et de meurtres. En formaliste talentueux, le jeune cinéaste parvient à mêler intrinsèquement les exigences du genre aux errances naturalistes de ces jeunes (anti)héros. Car l’adolescence est aussi une période de souffrance et de mal-être, et Levine le montre bien en s’attardant sur les réactions de ses protagonistes plutôt que sur les meurtres eux-mêmes. Souvent elliptiques, voir filmés en hors-champ (ce qui est plutôt agréable en ces temps de globalisation hardgore), ceux-ci servent alors à renverser les barrières sociales et morales qui régissent les relations entre les personnages. Très vite, les masques tombent, et les amis d’hier deviennent les ennemis de demain. En faisant de son tueur une silhouette plutôt qu’un véritable personnage, Levine retrouve quelque part le Carpenter du premier Halloween, et l’utilise tel un catalyseur des pulsions inavouables qui hantent la jeunesse dorée de l’Amérique triomphante. Victime de leur comportement, les personnages étouffent au sein même du cadre, pris au piège d’une toile qu’ils ont eux-même tissée : lâches, veules et parfois franchement antipathiques, ils finissent par quitter leur enveloppe humaine pour devenir ces cadavres en sursis qu’une caméra complice éclipse bien vite de l’image, trop occupée à envelopper de sa chaude intimité la douce et belle Mandy Lane.
américain (Larry Clark ou Gus Van Sant en sont les chantres), et qui trouve ici une résonance bien particulière. En s’attardant à décrire le comportement de ses adolescents finalement stéréotypés (les garçons travaillés par leurs hormones, la jolie blonde faussement salope), Levine touche à un point essentiel de cette dramaturgie : l’innocence et l’inconscience d’une jeunesse en perte de repère et soumise à toutes les tentations. En s’attardant sur des détails en apparence anodins (une hésitation, une caresse, un regard), le cinéaste parvient à s’immiscer dans le vécu immédiat de ces jeunes adultes en quête d’amour et de sensations, par un lyrisme inédit dans ce genre de film (on peut penser, toutes proportions gardées, au cinéma de Terrence Malick, ou encore au magnifique et méconnu L’Été où j’ai grandi de Gabriele Salvatores). Un spleen émouvant et empathique (la langueur apparente de la caméra et la justesse des gros plans y sont pour quelque chose) qui ne fait qu’accentuer la cruauté des évènements dépeints.
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Car il s’agit finalement bien d’elle, objet de tous les désirs, symbole d’un rêve doré inaccessible, qui reste au centre de l’histoire. Ange fantasmatique à la blondeur incandescente, bonne copine à l’oreille attentive, victime en puissance d’un tueur particulièrement revanchard, Mandy Lane (magnifique Amber Heard, toute en retenue et en élégance non feinte) traverse l’écran avec une nonchalance dévastatrice, sublimée par un emploi du format scope des plus judicieux, comme une réminiscence positive et inattendue de la Marilyn Burns du premier Massacre à la tronçonneuse (les champs de blés du Texas, magnifiés par l’emploi de couleurs chaudes, renvoient implicitement au chef-d’œuvre de Tobe Hooper). Qu’importe, finalement, que le twist final, assez convenu en regard de ce qui a précédé, s’amuse alors à brouiller les pistes : rarement les émois et les interrogations de l’adolescence ont été traités avec une telle fraîcheur, un tel aplomb stupéfiant, une telle absence de pudeur dans la recherche de l’émotion pure et, tout simplement, si vraie. Si tous les garçons aiment Mandy Lane, il ne tient qu’à nous d’accepter le coup de foudre…
All the Boys Love Mandy Lane. USA. 2006. Réal.: Jonathan Levine. Scén.: Jacob Forman. Prod.: Chad Feehan, Felipe Marino et Joe Naurauter, pour Occupant Films. Int.: Amber Heard, Anson Mount, Whitney Able, Michael Welch… Durée : 1h30. Sortie en DVD et Blu-ray le 03 août 2010, chez Wild Side Vidéo.
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RED STATE de Kevin Smith Trois adolescents vivant dans le Midwest américain répondent sur Internet à une annonce promettant des relations sexuelles. Ils sont loin de se douter qu'ils vont tomber entre les mains d'une secte d’extrémistes religieux aux intentions macabres. Quand un réalisateur reconnu ose sortir de son univers habituel, cela donne bien souvent un résultat explosif. S’investissant corps et biens, pour son dixième long-métrage dans un « petit » film indépendant aux allures de pamphlet sous acide, Kevin Smith est de ceux-là. Forcément inattendu, son Red State devient dès lors le film de tous les défis. Lorsqu’il réalise, en 2006, son chefd’œuvre Clerks II, Kevin Smith met fin à l’univers fictif View Askew, créé dès son premier film. La boucle étant désormais bouclée, le voilà donc libre de partir vers de nouveaux horizons. Entamée il y a sept ans avec le sympathique, mais mineur, Père et fille, la reconversion narrative et stylistique de Kevin Smith aura donné naissance à deux autres films d’inégale valeur : le très mauvais buddy-movie Top Cops et l’excellente comédie romantique Zack et Miri font un porno. Deux tentatives de cinéma ne laissant finalement rien augurer de la réussite culottée du Red State qui nous intéresse ici. Jusqu’au-boutiste, Red State l’est assurément. Annoncé par son réalisateur comme un film d’horreur extrême, le métrage se situe en fait à la croisée des genres, débutant comme une comédie pour ados, virant rapidement au survival pour se terminer en thriller subversif. Dialoguiste hors pair, Kevin 19
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Smith se permet ici d’introduire ses personnages en quelques plans bien sentis, le rythme étrange et saccadé de son intrigue ne permettant pas de grandes digressions. Et c’est bien là le talent de Smith, qui nous fait passer du rire gras au malaise, jusqu’à ce que le véritable propos du film se dévoile peu à peu. Le déjanté Dogma l’avait laissé entendre, Red State le confirme avec une agressivité salutaire : catholique convaincu, Kevin Smith n’en reste pas moins extrêmement méfiant envers la religion, et plus particulièrement envers ceux qui en utilisent les préceptes pour mieux les détourner. Présenté via un long monologue tétanisant de haine et de religiosité déviante, le pasteur Abin Cooper (excellent Michael Parks) est une caricature évidente de tous ces fanatiques utilisant la Bible comme une arme, tel le tristement célèbre Fred Phelps (dont les manifestations anti-gay sont ici reproduites). À ses côtés, une cohorte de marginaux faibles d’esprit et de raison, pour qui les paroles de ce fou de Dieu font figure d’évangile.
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crescendo jusqu’à un dénouement en forme de pied de nez sarcastique et ô combien subversif. Osant quelques idées de mise en scène inédite dans son cinéma (si l’on excepte la scène de danse de Clerks II, Smith n’a jamais vraiment brillé par ses choix formels), préférant se jeter dans la bataille avec une hargne toute jubilatoire, le créateur de Jay et Silent Bob se joue de tout politiquement correct, et apporte un nouveau souffle à une carrière qui en avait finalement bien besoin. Pas le meilleur film de son auteur, donc, mais la preuve que le trublion du New Jersey n’a pas fini de nous surprendre.
À peine a-t-on le temps de se familiariser avec ces dangereux apôtres de l’intolérance meurtrière, et d’en oublier les trois « protagonistes » supposés, que Kevin Smith s’attaque à une autre entité, selon lui toute aussi dangereuse et incompétente : les forces d’action gouvernementales. En recréant, à une échelle certes moindre, l’assaut de la secte de Waco, et le carnage qui en résulta, Smith pointe du doigt l’incapacité du gouvernement et des forces de l’ordre à faire face à ce genre d’individus. S’écoulant en une longue et meurtrière fusillade, cette dernière partie n’épargne personne, pas même les personnages les plus innocents (la fin expéditive de l’un des trois « héros »), en une succession d’actes idiots et irresponsables, qui iront
Red State. USA. 2011. Réal.et scén.: Kevin Smith. Prod.: Jonathan Gordon, pour The Harvey Boys et NVSH Productions. Int.: John Goodman, Kyle Gallner, Michael Parks, Melissa Leo… Durée : 1h28. Sortie en DVD et Blu-ray le 26 juin 2012, chez Aventi Distributin.
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THE WOMAN de Lucky McKee Quand un avocat capture et tente de « civiliser » une femme qui jusque là vivait dans les bois, rescapée d’un clan violent qui a parcouru la côte nord-est des États-Unis pendant des décennies, il met la vie de sa famille en danger. Révélé dès son premier film, le dérangeant May, Lucky McKee s’est très vite forgé une réputation de jeune prodige de l’horreur. Une réputation flatteuse renforcée par sa participation à la première saison de la série Masters of Horror, qui lui aura également permis d’affiner ses obsessions et thématiques, au point d’être rapidement reconnu comme le chantre d’un cinéma horrifique au féminin. Les combats menés contre les producteurs de ses films suivants, le très bancal The Woods et le totalement inédit Red (dont il quitta le tournage au bout de quelques semaines) auront pourtant laissé le cinéaste épuisé. Il aura fallut toute la clairvoyance de l’écrivain et scénariste Jack Ketchum pour que Lucky McKee revienne avec insolence à son meilleur. Déjà adapté au cinéma (The Lost de Chris Sivertson), le sulfureux Ketchum offre donc à McKee un scénario original des plus audacieux, permettant au cinéaste de revenir à ses thématiques préférées. Fausse suite d’un navet heureusement inédit (le très mauvais The Offspring), The Woman s’inscrit dans la veine dérangée de son premier film. Etablissant un contraste violent et sardonique entre la Femme, entité créatrice, et l’Homme, entité destructrice, McKee penche vers un réalisme formel
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détourné, en adéquation parfaite avec la caractérisation de personnagesclichés soumis aux affres de la rancœur, de la haine et de la folie. Seul protagoniste ironiquement crédible de tout le film, la Femme agit comme catalyseur des pulsions odieuses d’un père de famille tyrannique et de son fils psychopathe, subissant tortures et humiliations sous le regard mort d’une mère soumise et dépassée par les évènements (éternelle Angela Bettis, muse du cinéaste). Rien d’étonnant, dès lors, que tout converge vers un attendu dénouement cataclysmique, dont nous tairons la nature exacte pour en préserver la surprise. Profondément subversif, incroyablement violent et totalement dérangeant, The Woman n’est donc pas un film à mettre devant tous les yeux. Mais tenter l’expérience, aussi éprouvante soit-elle, n’en est rien moins que galvanisant : Lucky McKee n’était donc pas mort, et il a encore la rage, le bougre ! The Woman. USA. 2011. Réal.: Lucky McKee. Scén.: Jack Ketchum et Lucky McKee. Prod.: Robert Tonino et Andrew van den Houten, pour Modernciné. Int.: Pollyanna McIntosh, Sean Bridgers, Angela Bettis, Lauren Ashley Carter… Durée : 1h41. Sortie en DVD et Blu-ray le 01 mars 2012, chez Emylia.
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WOLF CREEK 2 de Greg McLean Comme le montre l’hilarante scène d’introduction, le héros du film est cette fois bel et bien le monstrueux Mick Taylor, que John Jarrat s’amuse toujours autant à personnifier. Croquemitaine increvable, chasseur rancunier, redneck raciste et prédateur omniscient, Taylor est tout cela à la fois, au centre d’une intrigue qui préfère la surenchère à la suggestion, dans l’esprit de ce que fut Mad Max 2 pour Mad Max. Qu’il s’acharne sur un couple de touristes allemands, qu’il défonce des kangourous numériques avec un semi-remorque (une scène totalement folle) ou qu’il torture avec le sourire un jeune homme après l’avoir poursuivi durant presque une heure, Taylor est véritablement la figure centrale de Wolf Creek 2, et s’impose comme l’un des personnages les plus marquants du cinéma d’horreur contemporain.
Un jeune couple de touristes allemands, Katarina Schmidt et Rutger Enqvist, font la traversée de l’Australie en auto-stop. Ils visitent le site du cratère de Wolfe Creek. N’ayant pas réussi à trouver de voiture pour les emmener ils décident de dormir sur place dans leur tente. Ils sont réveillés par Mick Taylor, un bushman qui leur propose de les déposer au camping le plus proche. Annoncée dès la sortie du premier film, la suite du traumatisant Wolf Creek aura mis pas moins de huit ans à voir le jour. Huit ans pendant lesquels Greg McLean aura pris le temps de peaufiner son script et d’ajuster sa mise en scène, tout en livrant en 2008 l’excellent Solitaire, film d’aventure et de crocodile géant aussi efficace que roublard. Une attente longue mais qui, à la vision du film, permet de dire que ça valait vraiment le coup ! Là où Wolf Creek, premier du nom, prenait son temps, construisant ses personnages et son contexte durant pas moins de 45 longues minutes, avant de jeter ses victimes dans la gueule du loup, sa séquelle tardive ne se perd pas en conjoncture inutile, préférant un démarrage pied au plancher qui ne relâchera jamais la tension. Moins survival étouffant et ultra-violent, que démente course-poursuite survitaminée, Wolf Creek 2 se permet une écriture en totale liberté, le film enchaînant les ruptures de ton, les passages obligés de différents genres (survival donc, mais aussi slasher, road movie, comédie gore ou encore film de torture) se succédant avec une jubilation qui force le respect.
Alors certes, une fois la méga-poursuite terminée, le film devient un peu moins excitant, retrouvant les rails bien connus du torture porn sadique, mais la liberté de ton totale du récit, alliée à une mise en scène énergique et toujours inventive, permet de mesurer le talent réel d’un cinéaste en pleine possession de ses moyens, ce que laissait déjà entrevoir Solitaire. Une certaine idée d’un cinéma de genre décomplexé et sans fioriture que l’on espère voir perdurer dans les films à venir de ce trublion génial de Greg McLean. C’est dire si l’on attend son prochain projet, le thriller 6 Miranda Drive (avec Radha Mitchell et Kevin Bacon), avec une vraie impatience ! Wolf Creek 2. Australie. 2013. Réal.: Greg McLean. Scén.: Greg McLean et Aaron Sterns. Prod.: Helen Leake, Greg McLean et Steve Topic, pour Duo Art Productions et Emu Creek Pictures. Int.: John Jarratt, Ryan Corr, Shannon Ashlyn, Philippe Klaus… Durée : 1h46. Sortie en DVD et Blu-ray le 07 avril 2015, chez Factoris Films.
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ST TRINIAN’S – PENSIONNAT POUR JEUNES REBELLES de Oliver Parker & Barnaby Thompson
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FILLES
St Trinian's, la fameuse école pour jeunes filles, doit faire face à la crise financière. La banque menace la directrice, Camilla Fritton, de fermeture. Sa doctrine peu orthodoxe de la liberté d'expression et d'émancipation est menacée par le nouveau ministre de l'éducation, Geoffrey Thwaites, déterminé à apporter l'ordre et la discipline à l'école anarchique. Les filles de St Trinian's sont prêtes à trouver de l'argent par tous les moyens possibles pour sauver leur école... Quand un spécialiste d’Oscar Wilde se lance dans une comédie adaptant une série de dessins satyriques, on est en droit de craindre le pire. Mais c’était sans compter sur l’apport d’un coréalisateur à la carrière bien remplie, et d’un casting déchaîné. Bienvenue à St Trinian’s, digne vitrine d’une certaine idée du chaos, somme toute très… british ! Bien que très élégantes formellement, appliquées dans leur retranscription des écrits du dandy décadent, les adaptations d’Oscar Wilde faites par le cinéaste Oliver Parker ne laissaient aucunement présager d’une telle réussite dans le pétage de plomb. Il serait dès lors un peu aisé d’attribuer le succès de ce St Trinian’s à ses illustres collaborateurs. Un peu trop facile, n’est-il pas ? Créé en 1941 par le cartooniste Ronald Searle, l’univers fictif du pensionnat de St Trinian’s consistait alors en une série de vignettes au ton caustique et au dessin volontiers caricatural, vision déformée – dégénérée, dirons-nous même – 24
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l’époque – inconnues (Talulah Riley, aperçue dans Inception, Lily Cole, ou encore l’étrange Juno Temple) et de valeurs sûres (Lena Headey, Caterina Munro, Colin Firth, Russell Brand). Reine parmi les reines, Rupert Everett compose quand à lui un savoureux double rôle haut en couleur, cerise alcoolisée d’un pudding chaotique, mais ô combien digeste. Alors même si le deuxième acte accuse un certain coup de mou, il serait dommage de ne pas profiter comme il se doit de cette ode exubérante à l’anarchie dans ce qu’elle a de plus joyeux, d’autant qu’un second opus lorgnant férocement vers la chasse au trésor chère au Goonies a depuis vu le jour… St Trinian’s, Defenders of Anarchy !
des valeurs si chères au système éducatif anglais, proposant cours de torture ou de fabrication d’alcool, et autres fêtes anarchiques fortement arrosées. L’humour caustique, la satire, le coréalisateur Barnaby Thompson connaît très bien, pour avoir produit dans les années 80 la cultissime série des Wayne’s World qui révéla le talent du fou furieux Mike Myers. Un sens de la réplique hilarante, du gag poussif et du cabotinage d’acteur que l’on retrouve dans cette adaptation délirante, son penchant habituel pour la comédie se trouvant ici combiné au timing parfait et à l’absurde déstabilisant de l’humour anglais. Un peu comme si le tempo comique très bédé d’un Men in Black (un plan/une case, une réplique/une bulle) se trouvait parasité par l’intrusion de dialogues montypythonesques (« We've got double chemistry tomorrow, we'll work on the explosives then. »). Sans aucun temps mort, St Trinian’s dévoile donc l’envers du décor de ces écoles pour jeunes filles, où les termes « liberté d’expression » trouvent leur plein aboutissement. Car ici, peu importe que l’on soit nerd, émo ou bimbo, seuls comptent l’épanouissement personnel et le respect d’une doctrine anarchique, à même de rendre fou les adeptes d’une éducation standardisée et politiquement correct.
St. Trinian’s. Royaume-Uni. 2007. Réal.: Oliver Parker & Barnaby Thompson. Scén.: Piers Ashworth, Nick Moorcroft, Jamie Minoprio et Jonathan M. Stern, d’après Ronald Searle. Prod.: Oliver Parker et Barnaby Thompson, pour Ealing Studios, Entertainment Films Distributors, Fragile Films et UK Film Council. Int.: Gemma Arterton, Colin Forth, Rupert Everett, Lena Heady… Durée : 1h40. Sortie en DVD et Blu-ray le 22 février 2011, chez Free Dolphin Entertainment.
Menées par la so sexy Gemma Aterton, dont les tenues d’écolière coquine en retourneront plus d’un, les filles de St Trinian’s ne reculent devant rien pour arriver à leur fin (foutre une raclée à une école adverse lors d’un match de hockey sur gazon ou sauver leur établissement de la banqueroute), à l’image d’un casting déchaîné composé de jeunes – à 25
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Dix films en vingt-deux ans de carrière. Voilà où en est aujourd’hui cet immense cinéaste qu’est David Fincher. Dix films de genre aussi différents que complémentaires, et dont le facteur commun le plus évident reste cette faculté incroyable à scruter avec acuité les aspects les plus sombres et les plus tourmentés de l’âme humaine. Tout en jouant habilement et avec virtuosité avec les outils du médium cinématographie. Une esthétique et des thématiques, voilà ce qu’est, pour schématiser, le cinéma de David Fincher. Pour ce premier numéro de TERRE(S) INCONNUE(S), il semblait évident de se plonger dans l’œuvre d’un visionnaire qui n’a définitivement pas fini de se tailler la part du lion dans une industrie de plus en frileuse. Bienvenue chez David Fincher.
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Inside David Fincher’s Films
« J’ai toujours voulu donner une conférence dans une école de cinéma. Tu t’y rends, tu vois tous ces jeunes visages, et tu balances : "Toi ! Lève-toi et raconte-moi ton histoire. Dis-moi de quoi parlera ton film." Et alors qu’ils commencent à parler, tu leur dis : "Ferme ta gueule et assis toi !" Et s’ils le font, tu leurs dis : "Tu n’es pas prêt." Parce que l’industrie du cinéma est pleine de ferme-ta-gueule-et-assis-toi. Il faut être capable de raconter son histoire en dépit des ferme-ta-gueule-et-assis-toi. Si tu laisses un truc comme ça te décontenancer, comment veux-tu espérer t’en sortir face à cadres et des exécutifs. » David Fincher1
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Fincher Fanatic, “You Better Be F-ing Serious: David Fincher on Directing”, from FincherFanatic.com (2012), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 204. Traduction de Fred Wullsch
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David Fincher est né le 26 août 1962 à Denver, Colorado, fils de Claire Mae et Howard Kelly Fincher. Alors qu’il est agé de 2 ans, sa famille part s’installer à San Anselmo, en Californie. Inspiré par la découverte, à 8 ans, du classique de George Roy Hill Butch Cassidy et le Kid, Fincher s’empare de la caméra 8mm de la famille pour tourner ses premiers films amateurs. En 1972, un certain George Lucas devient son voisin. C’est en le voyant partir travailler chaque jour (pour tourner son premier film, American Graffiti) que le jeune David commence à entrevoir sérieusement l’idée de faire du cinéma son métier. Ayant déménagé en 1976 à Ashland, Oregon, Fincher est diplomé de l’Ashland High School. Il arrêtera ses études à ce moment précis pour devenir assistant de production auprès de John Korty, réalisateur/scénariste/producteur/monteur/chef opérateur méconnu en France, dont le travail le plus notable reste sans doute le téléfilm L’Aventure des Ewoks, réalisé en 1984. En 1981, David Fincher est embauché par Industrial Light and Magic (ILM), la société d’effets-spéciaux créée par George Lucas. Durant trois ans, il y a travaillera sur les effets-spéciaux de plusieurs films célèbres comme Star Wars Épisode VI : Le Retour du Jedi, Indiana Jones et le Temple maudit ou L’Histoire sans fin. Un apprentissage selon lui indispensable pour apprendre tout ce qu’il y avait à savoir pour faire des films : « Les trucs les plus cools à apprendre sur la fabrication d’un film – comme peindre, sculpter et fabriquer des maquettes ou des créatures de latex – le meilleur endroit pour acquérir ce genre d’expérience, ce fut chez ILM. »2
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Mark Salisury, “Seventh Hell”, from Empire 80 (février 1996), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 31. Traduction de Fred Wullsch
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En 1984, David Fincher quitte ILM et réalise son premier spot publicitaire, Smoking Fetus, pour l’American Cancer Company, ainsi que ses premiers clips pour l’artiste Rick Springfield. Sa carrière dans la pub et le clip est désormais lancée et c’est en 1987 qu’il fonde la société de production Propaganda Films, aux côtés de Steve Golin, Joni Sightvatsson, Nigel Dick, Greg Cold et Dominic Sena (futur réalisateur de 60 secondes chrono). Rapidement, Propaganda deviendra l’une des entreprises majeures de l’industrie du film publicitaire ou musical, et verra débuter en son sein pléthore de futurs grands noms du cinéma, tels que Michael Bay (Transformers), Antoine Fuqua (Training Day), Spike Jonze (Her), Alex Proyas (The Crow), Zack Snyder (Man of Steel), Gore Verbinski (Pirates des Caraïbes) ou le français Michel Gondry (Eternal Sunshine of the Spotless Mind). Jusqu’en 1991, date où il prend en main la réalisation du troisième volet de la saga Alien, David Fincher va réaliser pas moins de 39 clips (pour Neneh Cherry, Ry Cooder, Paula Abdul, Aerosmith – Janie’s Git a Gun – Billy Idol, les Gipsy Kings, Sting, George Michael – Freedom ’90 – et bien sûr Madonna, avec les célèbres Express Yourself, Oh Father et Vogue) et des dizaines de spots publicitaires (pour Nike, Levi’s, Converse, Coca-Coca ou Chanel). Il devient ainsi l’un des plus talentueux et demandés réalisateurs du secteur.
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LES FILMS DE DAVID FINCHER Outre ses innombrables publicités et autres clips musicaux, David Fincher aura réalisé 10 films en l’espace de 22 ans, de Alien³ en 1992 à Gone Girl en 2014. Il aura également produit deux longs-métrages, Les Seigneurs de Dogtown de Catherine Hardwicke (2004) et Love et ses petits désastres d’Alek Keshishian (2005), ainsi que les séries House of Cards (trois saisons depuis 2013) et Videosyncrasy (à venir en 2016), dont il réalise également les deux premiers épisodes. En attendant de voir où son parcours de cinéaste le mènera dans le futur (la série Utopia ? la suite de Millénium ? un projet original ?), voici sa filmographie. ALIEN³ (États-Unis – 1992) Seule survivante d'un carnage sur une planète lointaine, Ripley s'échoue sur Fiorina 161, planète oubliée de l'univers, balayée par des vents puissants. Une communauté d'une vingtaine d'hommes y vit. Violeurs, assassins, infanticides, ce sont les plus dangereux détenus de droits communs de l'univers. L'arrivée de Ripley va les confronter à un danger qui sera plus fort qu'eux.
En 1991, après des années de development hell, le projet Alien³ parvient enfin à se débloquer, lorsque la Fox propose la réalisation du film à David Fincher, 29 ans, considéré comme un petit génie de la publicité et du clip. Malgré les avertissements d’un ami, qui lui déconseille d’en faire son premier film, Fincher accepte la commande : « Je ne sais pas, il y a un truc. Ça peut être cool. Tu ne crois pas que ça peut être cool ? »3
Réalisation : David Fincher. Scénario : David Giler, Walter Hill et Larry Ferguson, d’après une histoire de Vincent Ward et des personages de Dan O’Bannon et Ronald Shusett. Producteurs : Gordon Carroll, David Giler, Walter Hill et Sigourney Weaver, pour Brandywine Productions et 20th Century Fox. Producteur exécutif : Ezra Swerdlow. Directeur de la
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John Richardson, “Mother from Another Planet”, from Premiere 5 (mai 1992), repris dans David Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 8. Traduction de Fred Wullsch
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l’espace. C’était un film énorme, très complexe et politisé. Il y aurait eu trois Lance Henriksen dans le film, Paul McGann aurait été un tueur en série, et à la fin du film il y aurait eu l’Alien qui foutait le boxon ainsi que 3000 Storm Troopers en approche. Ça aurait été massif et étrange, et l’histoire était géniale. Je me suis dit : "Ils m’ont filé le boulot, donc ils vont me laisser faire mon film." Mais ce fut plutôt "On ne peut pas faire ça, on ne peut avoir que 18 gars qui se pointent à la fin. On ne peut pas payer pour plus." À un certain moment, ils ont laissé tomber le truc. »4
photographie : Alex Thomson. Musique : Elliot Goldenthal. Montage : Terry Rawlings. Décors : Norman Reynolds. Costumes : Bob Ringwood et David Perry. Superviseur des effets visuels : Richard Edlund. Effets spéciaux de l’Alien : Alex Gillis et Tom Woodruff, Jr. Création de l’Alien : H.R. Giger. Interprétation : Sigourney Weaver, Charles S. Dutton, Charles Dance, Paul McGann, Brian Glover, Ralph Brown, Danny Webb, Christopher John Fields, Holt McCallany, Lance Henriksen, Chris Fairbank, Carl Chase, Leon Herbert, Vincenzo Nicoli, Pete Postlethwaite… Durée : 1h54 / 2h25 (version de travail restaurée). Sortie France : 26 août 1992. Distributeur : 20th Century Fox. Disponible en DVD et Blu-ray chez 20th Century Fox.
SEVEN / SE7EN (États-Unis – 1995) Le fraîchement transféré David Mills fait équipe avec William Somerset, un officier de police judiciaire affecté aux homicides très proche de la retraite. Ils sont en charge d'une enquête sur un tueur sadique qui planifie méthodiquement ses meurtres en fonction des sept péchés capitaux : la gourmandise, l'avarice, la paresse, la luxure, l'orgueil, l'envie, et la colère. Réalisation : David Fincher. Scénario : Andrew Kevin Walker. Producteurs : Phyllis Carlyle et Arnold Kopelson, pour New Line Cinema. Directeur de la photographie : Darius Kondhji. Musique : Howard Shore. Montage : Richard Francis-Bruce. Décors : Arthur Max. Costumes : Michael Kaplan. Conception du générique :
Face à la Bête…
David Fincher : « L’histoire que je leur ai proposé, celle qui m’a valu le boulot, était cool. C’était un putain de film de David Lean. Ce n’était pas à propos de gros durs dans l’espace, c’était à propos de pédophiles dans
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Mark Salisury, “Seventh Hell”, from Empire 80 (février 1996), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 30. Traduction de Fred Wullsch
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confronté à des choses qu’il ne peut contrôler. Comme quand vous nagez, qu’il y a un requin et que vous ne pouvez nager plus vite, ou que vous êtes dans un vaisseau spatiale et qu’il y a un putain de monstre qui tourne autour et vous empêche de sortir. »5
Kyle Cooper. Interprétation : Brad Pitt, Morgan Freeman, Gwyneth Paltrow, R. Lee Ermey, Richard Roundtree, Julie Araskog, Richard Portnow, Reg E. Cathey, Richard Schiff, John C. McGinley, Michael Massee, Leland Orser, Mark Boone Junior, Emily Wagner, Kevin Spacey… Durée : 2h07. Sortie France : 31 janvier 1996. Distributeur : New Line Cinema. Disponible en DVD et Blu-ray chez Metropolitan Vidéo.
THE GAME (États-Unis – 1997) Nicholas Van Orton, homme d'affaires avisé, reçoit le jour de son anniversaire un étrange cadeau que lui offre son frère Conrad. Il s'agit d'un jeu. Nicholas découvre peu à peu que les enjeux en sont très élevés, bien qu'il ne soit certain ni des règles, ni même de l'objectif réel. Il prend peu à peu conscience qu'il est manipulé jusque dans sa propre maison par des conspirateurs inconnus qui semblent vouloir faire voler sa vie en éclats. Réalisation : David Fincher. Scénario : John Brancato & Michael Ferris. Producteurs : Steve Golin et Ceán Chaffin, pour Polygram Filmed Entertainment et Propaganda Films. Producteur exécutif : Jonathan Mostow. Directeur de la photographie : Harry Savides. Musique : Howard Shore. Montage : James Haygood. Décors : Jeffrey Beecroft. Costumes : Michael Kaplan. Interprétation : Michael Douglas, Sean Penn, Deborah Kara Unger, James Rebhorn, Peter Donat, Carroll Baker,
Avec Morgan Freeman et Mark Boone Junior (en arrière plan)
David Fincher : « Je voulais que ce soit dur. D’abord, vous croyez que ça va être un film de policiers, puis vous vous dites que ce sera un thriller, et à la fin c’est un vrai film d’horreur. C’est ce putain d’Exorciste, vous n’avez aucun contrôle sur ce qui se passe, vous ne pouvez que subir. À partir du moment où Morgan [Freemand] ouvre cette putain de boîte et revient en courant vers Brad [Pitt] et le tueur, c’est comme s’il réalise que la fin de l’histoire a déjà été écrite, et qu’il n’a plus aucune prise sur ce qui se passe. Tout d’un coup, ça devient un film d’horreur, et il se retrouve
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Mark Salisury, “Seventh Hell”, from Empire 80 (février 1996), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 27. Traduction de Fred Wullsch
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Anna Katarina, Armin Mueller-Stahl, Charles Martinet, Scott Hunter McGuire, Florentine Mocanu, Elizabeth Dennehy, Caroline Barclay, Daniel Schorr, John Aprea… Durée : 2h09. Sortie France : 05 novembre 1997. Distributeur : Polygram Filmed Entertainment. Disponible en DVD et Blu-ray chez Universal Pictures Vidéo.
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sens, The Game parle des films, et de comment les films doivent distribuer leurs informations. »6 FIGHT CLUB (États-Unis – 1999) Un banal employé de bureau insomniaque à la recherche d’un grand changement dans sa vie fait la connaissance d’un séduisant et mystérieux fabriquant de savon, qui va lui ouvrir les portes d’un univers insoupçonné… Réalisation : David Fincher. Scénario : Jim Uhls, d’après le roman de Chuck Palahniuk. Producteurs : Art Linson, Ceán Chaffin et Ross Grayson Bell, pour Fox 2000 Pictures, Regency Enterprises et Linson Films. Producteur exécutif : Arnon Milchan. Directeur de la photographie : Jeff Cronenweth. Musique : The Dust Brothers. Montage : James Haygood. Décors : Alex McDowell. Costumes : Michael Kaplan. Maquillages : Rob Bottin et Julie Pearce. Interprétation : Edward Norton, Brad Pitt, Helena Bonham Carter, Meat Loaf Aday, Zach Grenier, Jared Leto, Eion Bailey, Peter Iacangelo, Thom Gossom Jr., Holt McCallany, David Andrews, David Lee Smith, Richmond Arquette, Paul Dillon, Robert J. Stephenson… Durée : 2h19. Sortie France : 10 novembre 1999. Distributeur : UGC Fox Distribution. Disponible en DVD et Blu-ray chez 20th Century Fox.
Avec Michael Douglas.
David Fincher : « Il y a deux-trois astuces dans The Game. On passe les trente premières pages du script à établir à quel point ce type est riche. Et là il se dit : "Pourquoi me font-ils tout ça ?" Ouais. Et là, il y a beaucoup d’embrouilles, que le cerveau met de côté assez naturellement, parce qu’il ne sait pas ce qui est pertinent ou non. En général, les films ont un contrat avec le public, qui dit : nous allons la jouer réglo, ce que nous vous montrons va vous aider à comprendre. Mais là, on ne fait pas ça. En ce
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Ryan Gilbey, “Precocious Prankster Who Gets a Thrill from Tripping People Up”, from the Independant (10 octobre 1997), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 39. Traduction de Fred Wullsch
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d’impuissance, a dit : "Je connais ça". Ce fut comme un appel aux armes. »7 PANIC ROOM (États-Unis – 2002) Meg Altman, récemment séparée d'un époux ayant fait fortune dans l'industrie pharmaceutique, et sa fille Sarah, diabétique, arrivent à New York et emménagent dans une grande maison équipée d'une aux allures d'abri antiatomique, destinée à servir de refuge aux occupants en cas d'agressions extérieures. Mais dès la première nuit, trois malfrats pénètrent dans la maisonnée endormie. Réalisation : David Fincher. Scénario : David Koepp. Producteurs : Gavin Polone, Judy Hofflund, David Koepp et Ceán Chaffin, pour Columbia Pictures et Indelible Pictures. Directeur de la photographie : Conrad W. Hall et Darius Kondhji. Musique : Howard Shore. Montage : James Haygood et Angus Wall. Décors : Arthur Max. Costumes : Michael Kaplan et Linda Matthews. Interprétation : Jodie Foster, Kristen Stewart, Forest Whitaker, Dwight Yoakam, Jared Leto, Patrick Bauchau, Ann Magnuson, Ian Buchanan, Andrew Kevin Walker, Paul Schulze, Mel Rodriguez… Durée : 1h52. Sortie France : 24 avril 2002. Distributeur : Columbia Pictures. Disponible en DVD chez Sony Pictures.
Avec Edward Norton et Brad Pitt.
David Fincher : « À certains moments, dans ma vie, j’ai du me dire "Si je pouvais dépenser l’argent qu’il me reste, j’achèterais ce canapé, et j’aurais réglé ce truc du canapé." Je lisais le livre [de Chuck Palahniuk] et je me suis mis à rougir et à me sentir mal à l’aise. Comment ce mec pouvait savoir ce que tout le monde pensait ? C’est marrant chacun peut se sentir proche de ce livre, mais de façon totalement différente. Edward [Norton], qui avait 29 ans quand il l’a lu, la ressenti comme un truc de sa génération – pas des fainéants, mais des jeunes perdus et confus avec toute une vraie rage refoulée. Art Linson, l’un des producteurs de Fight Club, qui a débuté dans le métier en 1972, a dit qu’il ressentait lui-aussi toutes ces choses. Et Brad [Pitt], que vous n’associeriez pas à ce sentiment
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Amy Taubin, “Twenty-First Century Boys”, from Village Voice (19 octobre 1999), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 61. Traduction de Fred Wullsch
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ZODIAC (États-Unis – 2007) À San Francisco, un tueur en série est responsable de la mort de 37 personnes de 1966 à 1978. Pour mettre un terme à ses agissements, un policier, un journaliste et un dessinateur de presse vont tenter de l’identifier et de le mettre entre les mains de la justice. Réalisation : David Fincher. Scénario : James Vanderbilt, d’après le livre de Robert Graysmith. Producteurs : Mike Medavoy, Arnold W. Messer, Bradley J. Fischer, James Vanderbilt et Ceán Chaffin, pour Warner Bros. Pictures, Paramount Pictures et Phoenix Pictures. Producteur exécutif : Louis Phillips. Directeur de la photographie : Harry Savides. Musique : David Shire. Montage : Angus Wall. Décors : Donald Graham Burt. Costumes : Casey Storm. Interprétation : Jake Gyllenhaal, Robert Downey Jr., Mark Ruffalo, Anthony Edwards, Brian Cox, John Carroll Lynch, Chloë Sevigny, Ed Satrakian, John Getz, John Terry, Candy Clark, Elias Koteas, Dermot Mulroney, Donal Logue, Philip Baker Hall… Durée : 2h37 / 2h42 (Director’s cut). Sortie France : 17 mai 2007. Distributeur : Warner Bros. Disponible en DVD et Blu-ray chez Warner Bros.
Avec Jodie Foster et Kristen Stewart.
David Fincher : « Je crois qu’il faut sans cesse chercher un équilibre entre subjectivité [des personnages] et omniscience [de la caméra]. C’est un équilibre que l’on recherche sans cesse. Dans ce film, durant les deux ou trois premiers actes, on a essayé au mieux de garder une certaine distance. La caméra n’a aucune limite, alors que les personnages sont entravés. Ils courent, frappent un mur et retombent en arrière. Ils ne peuvent pas passer au travers du mur, et là, la caméra va justement traverser ce mur. Je crois que ça indique au public "Vous pouvez criez autant que vous le pouvez, personne ne vous entend. Vous pouvez juste regarder." »8 8
Daniel Robert Epstein, “Inside Panic Room: David Fincher, the Roundtable Interview”, from DavidFincher.net (2002), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, pp. 75-76. Traduction de Fred Wullsch
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L’ÉTRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON / THE CURIOUS CASE OF BENJAMIN BUTTON (États-Unis – 2008) « Curieux destin que le mien... » Ainsi commence l'étrange histoire de Benjamin Button, cet homme qui naquit à 80 ans et vécut sa vie à l'envers, sans pouvoir arrêter le cours du temps. Réalisation : David Fincher. Scénario : Eric Roth et Robin Swicord, d’après la nouvelle de F. Scott Fitzgerald. Producteurs : Kathleen Kennedy, Frank Marshall et Ceán Chaffin, pour Warner Bros. Pictures et Paramount Pictures. Directeur de la photographie : Claudio Miranda. Musique : Alexandre Desplat. Montage : Kirk Baxter et Angus Wall. Décors : Donald Graham Burt. Costumes : Jacqueline West. Interprétation : Brad Pitt, Cate Blanchett, Julia Ormond, Taraji P. Henson, Jason Flemyng, Tilda Swinton, Rampai Mohadi, Faune Chambers, Elias Koteas, Josh Stewart, Adrian Armas, Mahershalalhashbaz Ali, Donna Duplantier, Jared Harris… Durée : 2h46. Sortie France : 04 février 2009. Distributeur : Warner Bros. Disponible en DVD et Blu-ray chez Warner Bros.
Avec Jake Gyllenhaal et Chloë Sevigny.
David Fincher : « Vous savez, on n’aurez pu faire ce film sans interroger quelques personnes [liées à l’affaire du Zodiac], et nous ne voulions pas le faire. Nous voulions la vraie histoire, et nous voulions qu’ils sachent que nous n’allions pas juste retranscrire leur calvaire de manière anonyme, genre « Victime n°4 ». Nous voulions savoir ce qui c’était réellement passé et les conséquences de tout ça. Il en va de ma responsabilité. Quand vous illustrez la vie de vrais gens, vous leur devez d’être responsable et de vous tenir à ce que vous leur avez dit que vous feriez de leur histoire. Malgré ce qu’on peut penser de moi, je n’ai absolument aucune envie d’offenser qui que ce soit. Et surtout pas des gens qui ont déjà souffert. »9
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Shawn Levy, “David Fincher of Zodiac”, from the Oregonian (02 mars 2007), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 116. Traduction de Fred Wullsch
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suis rien sans toi, je ne suis qu’une moitié d’être." Et donc j’adore le fait qu’on ait ici deux personnages qui ont vécu leur vie, avec d’autres personnes et en d’autres lieux, et lorsqu’ils ont bien vécu, et ont acquis de l’expérience et de la vie, et bien ils se retrouvent, et ont cette vraie lune de miel. Et en tant que public, tu te dis... Ah, enfin ! »10 THE SOCIAL NETWORK (États-Unis – 2010) Une soirée bien arrosée d'octobre 2003, Mark Zuckerberg, un étudiant qui vient de se faire plaquer par sa petite amie, pirate le système informatique de l'Université de Harvard pour créer un site, une base de données de toutes les filles du campus. Il affiche côte à côte deux photos et demande à l'utilisateur de voter pour la plus canon. Il baptise le site Facemash.
Avec Brad Pitt.
David Fincher : « Je ne suis pas spécialement attiré par le travail de [F. Scott] Fitzgerald. Ironiquement, je n’ai lu la nouvelle qu’après avoir lu le traitement écrit par Eric Roth, et je me suis dit, "Euh, c’est deux trucs n’ont rien en commun !" Étrangement, je respecte ça encore plus. J’imagine que son point de départ était : "J’aime le concept de base, le drame de quelqu’un qui rajeunit…" – parce qu’on pense tous, bien sûr, que les jeunes ne savent que faire de leur jeunesse – "… alors qu’est-ce qu’on peut bien faire de ça ?" Alors il a trouvé le moyen d’en faire quelque chose. Et ce que je trouve de magnifique dans le récit, et qui me parle vraiment – qui ne me parlait d’ailleurs pas vraiment la première fois que je l’ai lu – c’est qu’il s’agit de deux personnages qui ne sont maudits que lorsqu’ils sont ensembles. Souvent, les romances, c’est comme dans Romeo and Juliet, c’est de l’amour complètement interdépendant : "Je ne
Réalisation : David Fincher. Scénario : Aaron Sorkin, d’après le livre The Accidental Billionaires de Ben Mezrich. Producteurs : Scott Rudin, Dana Brunetti, Michael De Luca et Ceán Chaffin, pour Columbia Pictures, Relativity Media et Trigger Street. Producteur exécutif : Kevin Spacey. Directeur de la photographie : Jeff Cronenweth. Musique : Trent Reznor & Atticus Ross. Montage : Kirk Baxter et Angus Wall. Décors : Donal Graham Burt. Costumes : Jacqueline West. Interprétation : Jesse Eisenberg, Andrew Garfield, Justin Timberlake, Joseph Mazzello, Armie 10
Nev Pierce, “In Conversation with David Fincher”, from Empire 235 (janvier 2009), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 132. Traduction de Fred Wullsch
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faire que ce que l’on sait savoir faire. Pour accomplir ce qu’il a accompli, il faut non seulement avoir un vrai but, mais aussi une inébranlable, et étrange, confiance en soi. »11
Hammer, Josh Pence, Max Minghella, Rooney Mara, Brenda Song, Patrick Mapel, Bryan Barter, Wallace Langham, Steve Sires, Douglas Urbanski, Malese Jow… Durée : 2h00. Sortie France : 13 octobre 2010. Distributeur : Sony Pictures. Disponible en DVD et Blu-ray chez Sony Pictures.
MILLÉNIUM – LES HOMMES QUI N’AIMAIENT PAS LES FEMMES / THE GIRL WITH THE DRAGON TATTOO (États-Unis/Suède/Norvège – 2011) Mikael Blomkvist, brillant journaliste d’investigation, est engagé par un des plus puissants industriels de Suède pour enquêter sur la disparition de sa nièce, Harriet, survenue des années auparavant. Vanger est convaincu qu’elle a été assassinée par un membre de sa propre famille. Lisbeth Salander, jeune femme rebelle mais enquêtrice exceptionnelle, est chargée de se renseigner sur Blomkvist, ce qui va finalement la conduire à travailler avec lui. Réalisation : David Fincher. Scénario : Steven Zaillian, d’après le roman Män som hatar kvinnor de Stieg Larsson. Producteurs : Scott Rudin, Ole Søndberg, Søren Stærmose et Ceán Chaffin, pour Columbia Pictures, MGM et Yellow Bird. Producteurs exécutifs : Anni Faurbye Fernandez, Mikael Wallen et Steven Zaillian. Directeur de la photographie : Jeff Cronenweth. Musique : Trent Reznor & Atticus Ross. Montage : Kirk
Sur le tournage.
David Fincher : Vous savez, ça n’était pas mon intention de crucifier Mark Zuckerberg. Mark Zuckerberg est un gars qui a accompli quelque chose de colossal à un très, très jeune âge. Et moi, pas de la même façon, ni dans le même monde, je sais ce que ça fait d’avoir 21 ans et d’essayer de réaliser un film à 60 millions de dollars et d’être assis dans une pièce pleine d’adultes qui pense qu’on est trop mignon, mais qui ne vous donneront aucun contrôle sur rien. C’este juste "Génial, regardez comme il est passionné !" Je connais la colère qui monte quand on veut juste pouvoir
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Mark Harris, “The Vulture Transcript: An In-Depth Chat with David Fincher about The Social Network”, from New York Magazine (21 septembre 2010), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, pp. 182-183. Traduction de Fred Wullsch
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Baxter et Angus Wall. Décors : Donald Graham Burt. Costumes : Trish Summerville. Interprétation : Daniel Craig, Rooney Mara, Christopher Plummer, Stellan Skarsgård, Steven Berkoff, Robin Wright, Yorick van Wageningen, Joely Richardson, Geraldine James, Goran Visnjic, Donald Sumpter, Julian Sands, Ulf Friberg, Bengt C.W. Carlsson, Tony Way… Durée : 2h38. Sortie France : 18 janvier 2012. Distributeur : Sony Pictures. Disponible en DVD et Blu-ray chez Sony Pictures.
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GONE GIRL (États-Unis – 2014) À l’occasion de son cinquième anniversaire de mariage, Nick Dunne signale la disparition de sa femme, Amy. Sous la pression de la police et l’affolement des médias, l’image du couple modèle commence à s’effriter. Très vite, les mensonges de Nick et son étrange comportement amènent tout le monde à se poser la même question : a-t-il tué sa femme ? Réalisation : David Fincher. Scénario : Gillian Flynn, d’après son roman. Producteurs : Aaron Milchan, Joshua Donen, Reese Witherspoon et Ceán Chaffin, pour 20th Century Fox et Regency Enterprises. Producteur exécutif : Leslie Dixon et Bruna Papandrea. Directeur de la photographie : Jeff Cronenweth. Musique : Trent Reznor & Atticus Ross. Montage : Kirk Baxter. Décors : Donald Graham Burt. Costumes : Trish Summerville. Interprétation : Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris, Tyler Perry, Carrie Coon, Kim Dickens, Patrick Fugit, David Clennon, Lisa Banes, Missi Pyle, Emily Ratajkowski, Casey Wilson, Lola Kirke, Boyd Holbrook, Sela Ward… Durée : 2h29. Sortie France : 08 octobre 2014. Distributeur : 20th Century Fox. Disponible en DVD et Blu-ray chez 20th Century Fox.
Cadrant un plan de Daniel Craig.
David Fincher : « Il y a beaucoup trop de viol anal dans le film pour qu’il obtienne une nomination aux Oscars. On est tranquille à ce niveau ! »12
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Rob Brunner, “Dragon Tattoo director David Fincher talks Oscar complaining and his new film’s chances”, from Entertainment Weekly (14 novembre 2011). Traduction de Fred Wullsch
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En 2011, David Fincher propose au magasine Empire la liste de ses 26 films préférés, sans ordre particuliers…
Avec Ben Affleck.
David Fincher : « J’étais très intéressé par l’idée du narcissisme comme moyen de maintenir deux personnes ensembles. Ainsi que par le fait que l’on ne montre la meilleure version de nous même que dans le but de séduire quelqu’un qu’on imagine parfait pour notre personne, et pour l’image que l’on se fait de notre personne. Et puis, au bout de trois ans de vie commune, l’autre personne dit "Je ne peux plus faire semblant. Je ne suis pas ton âme sœur. Je n’ai jamais été cette personne, et j’en ai marre." J’adore la colère que ça peut engendrer. »13
Butch Cassidy et le Kid (George Roy Hill, 1969) / Les Hommes du président (Alan K. Pakula, 1976) Chinatown (Roman Polanski, 1974) / Huit et demi (Federico Fellini, 1963) Docteur Folamour (Stanley Kubrick, 1964) / Citizen Kane (Orson Welles, 1941) Le Parrain – 2ème partie (Francis Ford Coppola, 1974) / Les Moissons du ciel (Terrence Malick, 1978) Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976) / American College (John Landis, 1977) Bienvenue Mister Chance (Hal Ashby, 1979) / Mad Max 2 : Le défi (George Miller, 1981) Que le spectacle commence ! (Bob Fosse, 1979) / L’Année de tous les dangers (Peter Weir, 1982) Alien, le 8ème passager (Ridley Scott, 1979) / American Graffiti (George Lucas, 1973) Fenêtre sur cour (Alfred Hitchcock, 1954) / Terminator (James Cameron, 1984) Zelig (Woody Allen, 1983) / Monty Python : Sacré Graal ! (Terry Gilliam & Terry Jones, 1975) Cabaret (Bob Fosse, 1972) / L’Exorciste (William Friedkin, 1973) La Barbe à papa (Peter Bogdanovich, 1973) /Le Lauréat (Mike Nichols, 1967) Les Dents de la mer (Steven Spielberg, 1975) Lawrence d’Arabie (David Lean, 1962)
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Ryan Lattanzio, “David Fincher Reveal Gone Girl Secrets and Whose Side He’s Really On (Q & A)”, from Thompson on Hollywood (09 octobre 2014). Traduction de Fred Wullsch
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Paramount) en les réinventant à l’aide de centaines de boutons (buttons en anglais) de couleur.
INCIPIT : LES GÉNÉRIQUES DES FILMS DE DAVID FINCHER Parfois simple apparition du titre, parfois simple liste de noms, le générique prend parfois des allures de véritables « film avant le film », servant dès lors à introduire les spectateurs dans l’univers du récit qui va leur être conté. Formaliste de génie, David Fincher est de ces cinéastes pour qui le générique fait souvent office de note d’intention, voire de manifeste esthétique et thématique. Retour sur un art de l’incipit cinématographique à nul autre pareil.
PERDU DANS L’ESPACE Premier long-métrage de David Fincher et œuvre de commande de la 20th Century Fox, Alien³ n’appartient pas pleinement à l’œuvre du cinéaste, ce dernier ayant en partie renié le film. Le générique se situe donc à la fois dans la lignée des deux précédents opus de la saga, mais également en opposition au second film. À l’instar des films de Ridley Scott et de James Cameron, le générique qui suit le logo de la Fox se fait donc sur fond d’espace étoilé, alors que les crédits apparaissent successivement sur la musique d’Elliott Goldenthal. À la différence.d’Alien, le 8ème passager et d’Aliens, le retour, le titre complet apparaît ici dès les débuts du générique. De plus, l’ouverture d’Alien³ inclut de brefs flashs d’images montrant l’accident à l’intérieur du vaisseau, comme pour rayer « d’un trait souverain les personnages élaborés par Cameron »14. Même sur un film qu’il ne considère pas comme le sien, David Fincher marque sa différence.
Des dix longs-métrages réalisés par Fincher, seuls deux ne comportent aucun générique de début, les crédits du film étant relégués en toute fin. Mais il faut tout de même noter que sur ces deux films, l’apparition du titre bénéficie d’un soin particulier, chacun étant conçu en accord avec le sujet ou le ressenti du film. Ainsi, The Game, aussi ludique et « cinématographique » soit-il, se contente d’afficher son titre sous forme de pièces de puzzle se détachant les unes des autres, avant d’ouvrir son récit sur des extraits de vieux films familiaux. L’ouverture de L’Étrange histoire de Benjamin Button, quant à elle, ne contient même pas le titre, mais s’amuse avec les logos des deux maisons de production (Warner et
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Guillaume Orignac, David Fincher ou l’heure numérique, Capricci, 2014 (édition augmentée), p. 15.
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de film se distingue assurément des habitudes en la matière. Car comme l’affirme David Fincher dans le commentaire audio du film : « Pourquoi éviter que ce soit trouble ? N’est-ce pas de cette façon étrange que John Doe voit le monde ? Trouble ? N’est-il pas censé être déséquilibré et déjanté ? »
L’UNIVERS DU TUEUR Premier film authentiquement « fincherien », Seven contient en lui presque tout ce qui fera l’œuvre du réalisateur, à commencer par un générique de début devenu plus culte encore que le film lui-même. Passé une courte séquence introduisant les deux protagonistes (une autre marque de fabrique de Fincher), le générique démarre avec en fond sonore un remix expérimental de la chanson Closer de Nine Inch Nails, qui marque donc la rencontre – indirecte – de Fincher avec le musicien Trent Reznor. Créée par le designer Kyle Cooper (qui travaillera plus tard sur les superbes génériques de Spider-Man 2 ou de la série American Horror Story), l’ouverture de Seven nous plonge directement dans l’esprit perturbé du vilain de l’histoire, le tueur en série John Doe. On y découvre un fétichisme méticuleux, particulièrement malsain et pervers, constitué par « des collages, des photomontages, des biffures et des lignes d’écriture miniature »15, qui sont autant de points d’entrée dans la tête du tueur. Conçu dans un style volontairement artisanal et griffonné, grâce à l’emploi de la pellicule Kodalith, ce véritable coup de maître dans l’art du générique
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DANS LA TÊTE DE « JACK » Récit d’une schizophrénie aux conséquences sociétales et intimes dévastatrices, Fight Club est l’adaptation du roman de Chuck Palahniuk et s’ouvre sur un générique ultra-speedé, rythmé par la musique du groupe The Dust Brothers, offrant au spectateur un voyage en mode macro dans le cerveau de « Jack », narrateur et protagoniste principal de l’histoire. Comme le montre les bonus disponibles dans les différentes éditions vidéo du film, le long travelling arrière fut entièrement dessiné avant sa conception, afin d’être le plus biologiquement réaliste possible : il part des dendrites pour remonter jusqu’au lobes frontaux, traverser le crâne et ressortir par un pore de la peau jusqu’au canon d’un flingue glissé dans la
Guillaume Orignac, David Fincher ou l’heure numérique, Capricci, 2014 (édition augmentée), p. 34.
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bouche de « Jack ». Comme l’affirme le cinéaste, il souhaitait « suivre le processus de la pensée […] du moment où l’impulsion de la peur démarre jusqu’à ce que le mec se dise "Oh merde, je suis baisé, comme en suis-je arrivé là ?" »16 Électrisant, le générique impose le tempo survolté du film, donnant au spectateur l’impression d’être, comme le souhaite Fincher dans le commentaire audio, « comme dans une éventuelle attraction Fight Club au parc Universal ». Toujours aussi redoutable et efficace, même 13 ans après la sortie du film.
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avant le tournage. Le réalisateur en profite également pour livrer un hommage appuyé aux travaux de Saul Bass (célèbre pour ses génériques des films d’Alfred Hitchcock, comme celui de La Mort aux trousses) tout en jouant habilement avec la verticalité de l’architecture urbaine newyorkaise, comme un amusant pied-de-nez au huis clos à venir. Ici, les crédits du générique s’affichent en lettres immenses sur les imposants immeubles et buildings en verre de la Grosse Pomme, et donnent aux spectateurs un effet immédiat de hauteur vertigineuse, qui contrastera fortement avec l’atmosphère anxiogène du récit à venir. Comme si le cinéaste voulait signifier à son public « voilà, vous savez où le film se situe, à quel endroit précis de la planète ; à présent, je vais vous raconter une histoire terrible, insoupçonnable derrière les fenêtres de ces beaux immeubles. »17
HOMMAGE À SAUL BASS Nouvelle œuvre de commande pour David Fincher, après trois films éminemment personnels, Panic Room est souvent considéré comme le parent pauvre de la filmographie du cinéaste, quand bien même il s’avère a posteriori être un véritable film de transition pour Fincher. Celui-ci profite ici d’un script simple et roublard pour expérimenter comme rarement, le film étant le premier de l’histoire à avoir été entièrement « prévisualisé »
SAN FRANCISCO, 1969 Pour son retour au cinéma après cinq ans d’absence, David Fincher livre Zodiac, basé sur les meurtres commis à San Francisco au croisement des années 60 et 70 et sur les investigations menées par un dessinateur de
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Gavin Smith, “Inside Out”, from Film Comment 35 (septembre/octobre 1999), repris dans Fincher: Interviews (Edited by Laurence F. Knapp), University Press of Mississipi, 2014, p. 53. Traduction de Fred Wullsch
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Dominique Legrand, David Fincher, explorateur de nos angoisses, Cerf-Colet, 2009, p. 60.
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presse, un journaliste et un policier. Film-enquête minutieux dans sa reconstitution d’une époque révolue, le sixième long-métrage de Fincher s’ouvre, une fois n’est pas coutume, sur une première séquence, figurant le premier meurtre du Zodiaque, avant de laisser son générique lancer véritablement la narration du film. Pour la première fois de sa carrière le cinéaste place les crédits du film, non pas au sein d’un « mini-film » singulier, mais bien à l’intérieur même de la séquence, puisque l’on peut voir, alors que les noms défilent simplement, le quotidien du protagoniste incarné par Jake Gyllenhaal. S’ouvrant sur un travelling aérien découvrant le San Francisco de l’époque, ce générique embrasse l’aspect « factuel » du métrage, en se contentant d’une visite réaliste de la ville – permise par un tournage entièrement numérique (avec la VIPER de Thomson). À l’image d’un film aussi précis qu’ambitieux, cette ouverture évite la surenchère et l’esbroufe, loin d’un Seven ou d’un Fight Club.
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construire tout son film à venir en une succession de champs/contrechamps dialogués à la perfection, avant d’envoyer son « héros » à la rencontre de son destin de génie asocial. Dès le départ de Zuckerberg du bar dans lequel il vient de se faire larguer, le générique « scrute une infinité de groupes sociaux rassemblés dans la nuit tandis que [le] futur père de Facebook traverse seul le campus »18. À l’origine, la séquence devait être accompagnée de la chanson Beyond Belief d’Elvis Costello, mais Fincher finira par la remplacer par le morceau Hand Covers Bruise composés par Trent Reznor et Atticus Ross, qui « souligne l’effet [de solitude] en juxtaposant des mouvements de cordes indépendants les uns des autres, que longe une mélodie solitaire au piano »19
LE CAUCHEMAR DE LISBETH SALANDER Neuvième film de Fincher, Millénium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes est l’adaptation américaine du best-seller de Stieg Larsson Les hommes qui n’aimaient pas les femmes. Le film est surtout marqué par la
RÉSEAU ASOCIAL Pour l’auteur de ces lignes, le film suivant de David Fincher est sans aucun doute son meilleur. Celui où la mise en scène minutieuse et millimétrée se marie le mieux aux thématiques soulevées. Démarrant par une séquence d’introduction dont il a le secret, The Social Network se paye le luxe de 42
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Alexandre Poncet, critique du film, in Impact 7, 2009, p. 90
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présence d’un personnage fort – comme il les affectionne : la hackeuse gothique Lisbeth Salander. Passé une très courte scène d’introduction, le générique démarre sur les chapeaux de roues, illustration musicale et visuelle de ce que serait, selon le cinéaste, un cauchemar de Lisbeth. Portées par une reprise flamboyante et électrisante du classique Immigrant Song de Led Zeppelin, par Reznor, Ross et la chanteuse Karen O (« C’était tout à fait le miroir de ce que j’imaginais de Lisbeth », en dira Fincher dans le commentaire audio du film), les images sombres créées par Tim Miller (technicien des effets-spéciaux de la compagnie Blur) illustrent toute la complexité du personnage par le biais de scénettes provocantes, violentes, ou simplement puissamment évocatrices (le phénix flamboyant sur fond de pétrole), que le réalisateur aura décrit au concepteur comme « un générique de James Bond avec une héroïne bisexuelle de 20 ans ». Un véritable « film avant le film » qui s’impose sans problème comme le générique le plus incroyable et efficace vu sur un écran depuis celui de… Seven, seize ans plus tôt.
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réalisé en 1987. Ainsi, l’inévitable courte séquence d’intro lance les hostilités (« Quand je pense à ma femme, je pense toujours à l’arrière de son crâne, que je m’imagine détruire, pour révéler son cerveau et essayer d’obtenir des réponses. » affirme le personnage de Ben Affleck en voixoff) avant que le générique ne démarre vraiment, alignant à un rythme soutenu des images de la ville imaginaire de North Carthage dans le Missouri, lieu du drame à venir. Des images d’Épinal d’une petite ville américaine comme il en existe des milliers, au lever du jour, qui semblent cacher sous leur apparente banalité de lourds secrets. Un sentiment renforcé par la musique de Trent Reznor et Atticus Ross et l’apparition finale de Ben Affleck, observant son monde qui s’apprête à voler en éclat. Une entrée en matière au classicisme mensonger, à l’image d’un film ne ressemblant à aucun autre.
On l’aura compris, le générique du film (et la courte séquence qui le précède souvent) est autant un moyen pour David Fincher d’introduire son récit que de donner des indices sur la teneur visuelle, dramatique ou tonale de son œuvre, tout en jouant habilement des conventions. On pourrait ajouter à cet étalage exhaustif de virtuosité, le générique de la série télévisée House of Cards, produite par Fincher (il en réalise également les
NORTH CARTHAGE, MISSOURI Dernier film en date de David Fincher, Gone Girl appartient en apparence au genre du thriller domestique. Il est donc logique que son ouverture évoque un quotidien et un environnement à la banalité confondante, assez proche de l’univers décrit par David Lynch dans le très tordu Blue Velvet 43
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Trois exemples de l’art du générique selon David Fincher : Seven, Panic Room et Millénium – les hommes qui n’aimaient pas les femmes.
deux premiers épisodes) et située dans les coulisses du pouvoir de l’administration américaine. Dans cet enchaînement en images accélérées des principaux bâtiments du pouvoir et de la ville de Washington, jusqu’à l’apparition du titre sur une vue de la Maison Blanche, lieu symbolique de cette quête de pouvoir menée par Kevin Spacey, difficile de ne pas déceler la patte de David Fincher.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur David Fincher et l’art du générique de film, il existe une excellente interview du cinéaste, malheureusement uniquement disponible en anglais, à l’adresse suivante : http://www.artofthetitle.com/feature/david-fincher-a-film-titleretrospective.
Les cahiers intimes du tueur en série de Seven, comme reflets d’un esprit dérangé et assassin…
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Les noms des acteurs et de l’équipe de Panic Room envahissent la ligne d’horizon de New York.
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Dans Millénium, les cauchemars de Lisbeth sont noyés sous un goudron prêt à s’enflammer.
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GONE GIRL : la femme qui n’aimait pas les hommes C’est peu dire que la surprise est grande, à mesure que Gone Girl égrène ses minutes et ses rebondissements, de voir que le film n’est en rien le thriller domestique attendu, celui vendu par la bande-annonce et le résumé officiel. Car il y a bien deux films, si ce n’est plus, dans ce qui s’apparente, après vision, à un récit aussi insolent que pervers, véritable manifeste d’un cinéma manipulateur, dans ses idées comme dans ses effets. Mais difficile d’en dévoiler plus sans déflorer ce qui fait vraiment la sève de ce que l’on peut dors et déjà considérer comme une œuvre majeure dans la filmographie – pourtant riche en la matière – de cet immense cinéaste qu’est David Fincher.
Le premier film, celui que tous les spectateurs sont venus voir, est peut-être le plus évident, tout du moins le plus facilement abordable. Décrivant, avec 46
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une minutie d’orfèvre et une science de la mise en scène, le calvaire éprouvé par Nick Dunne (superbe Ben Affleck) après la disparition de sa femme Amy, Fincher poursuit une thématique proche de celle de son monumental The Social Network, et de la fin de son précédent Millénium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes, en montrant la destruction de la sphère privée, et donc de l’intime, par le pouvoir tout puissant de la sphère médiatique. Ici, le revirement est quasi-instantané, Dunne passe du pauvre mari endeuillé au sociopathe meurtrier par le simple biais d’un geste (un sourire ou une gratitude mal placée) aussitôt interprété et analysé par les médias et ceux qui les suivent aveuglément. Fin manipulateur, Fincher joue même avec son public, en mettant en parallèle l’enquête menée par une inspectrice à l’instinct aiguisé (excellente Kim Dickens) et les révélations contenues dans le journal intime de la disparue, qui laissent à penser que le mari n’est peut-être pas si innocent que ça.
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C’est bien là qu’est tout le génie du réalisateur de Seven, de souffler le chaud et le froid sur son protagoniste, tout en maintenant un élégant suspense basé sur une chasse au trésor des plus retors. Mais au-delà des apparences, on sent bien que quelque chose cloche. Peut-être est-ce l’attitude nonchalante de Nick Dunne... En tout cas, lorsque le second film commence, après cette première heure et demie pleine de sous-entendus et de faux semblants, le choc est total. Car non content de sa charge politique contre l’irresponsabilité du tout-média et ses conséquences, Fincher va dorénavant s’attaquer à une autre sacro-sainte institution de la société occidentale : le mariage.
Il y aurait sans doute beaucoup à écrire sur le rôle de la Femme dans l’œuvre de David Fincher. Ici c’est elle qui est au centre même du projet insidieux, et disons le tout net complètement barré, du cinéaste qui non content d’offrir à Rosamund Pike le rôle de sa vie, parvient à créer un authentique personnage de femme fatale psychotique comme le cinéma en voit rarement et qui porte en lui toute la symbolique lié au mariage et à ses aspects les plus sombres. Desperate housewife en rupture de magie 47
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amoureuse, Amy Dunne n’est finalement qu’une façade, celle que l’on se crée lors d’une vie de couple forcément pleine de compromis et de renoncement, et qui empêche la perversion et les démons intérieurs de s’incarner dans la lumière.
Bon, en dire plus sur l’intrigue tortueuse de ce tétanisant Gone Girl serait criminel, tant les rebondissements – et ils sont nombreux – en viennent régulièrement à forcer le spectateur à revoir ses acquis, à questionner tout ce qui a précédé, jusqu’à l’ultime image du film, miroir inversé (parce que maintenant, on sait !) de celle qui débuta le long-métrage. En osant porter son film jusque dans ces ultimes retranchements narratifs (oh, de l’humour !) et visuels (oh, du gore !), David Fincher réalise peut-être ici l’un des films les plus hallucinants jamais vu sur les affres du couple et sur la manipulation – privée ou médiatique. Et ajoute donc un nouveau chefd’œuvre, férocement pervers et malicieux, à son œuvre. 48
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Et si on puisait dans la mallette à oldies pour y ressortir deux bons vieux classiques de chez classiques ?
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VIGILANTE – JUSTICE SANS SOMMATION de William Lustig
BATMAN, LE DÉFI de Tim Burton
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VIGILANTE – JUSTICE SANS SOMMATION de William Lustig Genre polémique s’il en est, le film de « justice personnelle », ou vigilante flick, a toujours fait les choux gras de la presse cinéma, sa nature-même étant bien sûr sujette à caution. Extrêmiste, fasciste, nauséeux… Voilà pour les adjectifs employés pour qualifier un sous-genre ayant tout de même produit de nombreuses réussites. Série B dopée à l’action, Vigilante en est l’un des plus fameux exemples, et méritait bien que l’on s’y attarde.
Réalisé en 1982, Vigilante est le second film du newyorkais William Lustig (si l’on oublie les deux films pornographiques réalisés au début de sa carrière), tout juste deux ans après le célèbre Maniac, plongée étouffante et ultra-violente dans l’esprit d’un terrifiant serial killer. Plus tard reconnu pour sa trilogie des Maniac Cop, Lustig est dès ses débuts l’un des cinéastes ayant marqué le genre, par son approche frontale des univers abordés, mais aussi, et surtout, par sa manière de filmer une ville qu’il connait comme sa poche. Loin du Little Italy cher à Scorsese ou du Manhattan bobo de Woody Allen, Lustig se penche sur les quartiers mal famés de la Grosse Pomme, filmant au ras du bitume et avec une accuité quasi-naturaliste, ces endroits que l’on ne voit jamais au cinéma : quartiers 53
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résidentiels de la classe moyenne et autres taudis où s’entassent les rebus d’une société pas encore nettoyée au karcher par la politique de Rudolph Giuliani.
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L’incroyable monologue d’ouverture ne ment pas sur le sujet du film. Pas question ici de dénoncer les dérives miliciennes de citoyens en rupture de justice sociale. Bien au contraire. Mais loin d’être un « film de droite à message », comme ont pu le dénoncer certaines critiques de l’époque, Vigilante reste un film d’exploitation pur et dur, où la violence n’oublie jamais d’être cinématographique, quand bien même elle y atteint un degré de représentation rarement vu alors. En effet, difficile de faire plus explicite et dérangeante que la scène du meurtre de l’enfant du « héros », assassiné à bout portant au fusil à pompe, et véritable déclencheur du drame qui s’en suivra. On n’est pas loin de l’âpreté du premier Justicier dans la ville, malgré quelques détails particulièrement bis (Fred Williamson qui fait du kung-fu en jean serré) apte à ravire les fans du genre.
Capté dans un Cinémascope aux cadrages millimétrés, le New York de Vigilante fait peur. Ses ruelles parcourues de déchets, ses immeubles squattés par des zonards, son palais de justice pathétique… Tout participe à un sentiment de corruption et d’aliénation qui étouffe, rendant palpable la détresse de citoyens sans histoire, doublement victimes d’une ville qui ne veut pas d’eux : victimes de gangs particulièrement violents ou d’une justice aveugle obsédée par l’appat du gain. Rien d’étonnant, dès lors, qu’un quidam en vienne aux armes pour retrouver un semblant de dignité, quitte à se confondre avec ceux qu’il tente de combattre. Car le sang appelle le sang, et le pauvre Eddie en fera l’amère découverte.
Empoignade virile dans les douches d’une prison, nudité féminine gratuite, course poursuite à pieds ou en voiture, exécutions sommaires… Des éléments inhérents au cinéma de série B, que William Lustig dynamite par la seule grâce de son talent. Montage serré, direction d’acteurs parfaite, musique entêtante de Jay Chattaway (également auteur de la partition de Maniac, et indissociable du travail de Lustig) et intrigue simple mais forte, 54
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tels sont les éléments qui font de Vigilante une totale réussite. Transcendant son sujet par sa seule mise en scène, William Lustig évite le piège de l’apologie simpliste et donne à voir les questionnements et les errances de son protagoniste qui, de pion utilisé par une milice aux agissements douteux, deviendra in fine ce justicier dans la ville qu’il redoutait tant.
De tous les films de William Lustig, Vigilante est sans aucun doute le plus ouvert à la redécouverte. Moins viscéral que Maniac, moins ludique que les deux premiers Maniac Cop, il en est pourtant une sorte de synthèse, reprenant au premier le portrait sans concession d’une ville en pleine déliquescence et anticipant les seconds par son aspect purement fun. Désormais retiré de la réalisation, William Lustig n’en reste pas moins l’un de ces cinéastes aux obsessions et au style immédiatement reconnaissable. Et ce n’est pas Vigilante qui viendra contredire cet état de fait. Vigilante. États-Unis. 1983. Réal.: William Lustig. Scén.: Richard Vetere. Prod.: Andrew Garroni et William Lustig, pour Magnum Motion Pictures Inc. Int.: Robert Forster, Fred Williamson, Richard Bright, Rutanya Alda… Durée : 1h30. Sortie France le 12 janvier 1983. Disponible en DVD chez Seven7. Disponible en Blu-ray chez Blue Underground.
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BATMAN, LE DÉFI de Tim Burton
Il est de coutume, aujourd’hui, d’affirmer que Guillermo Del Toro est LE cinéaste des freaks, grand amoureux des monstres devant l'éternel. Et ce n'est pas faux. Mais ce serait réducteur. Et oublier qu'il y a 24 ans, un homme aux cheveux hirsutes balançait à la face du monde une ode à la monstruosité, un poème à l'anormalité, que dis-je, une péninsule d'amour branque et glauque dans un monde trop normal et formalisé.
Tim Burton n'était pas un inconnu lorsqu'il réalise son plus beau film. Après des débuts en forme de manifeste (Pee Wee's Big Adventures et son humour loufoque, Beetlejuice et sa vision farfelue de la mort), un blockbuster et un film d'auteur comme palimpseste psychologique (Batman et ses « héros » pas « normaux », Edward aux mains d'argent et son romantisme gothique), l'homme nous jette au visage ce monument d'animalité assumée et d'humanisme contrarié qu’est Batman, le défi. Qu'on ne 56
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s'y méprenne pas : le Batman n'est pas le héros de ce film horsnorme. Il n'est qu'un personnage parmi les autres, freaks parmi les freaks, dont la dualité homme-animal peine à se matérialiser autrement que dans un costume (f)rigide et monolithique. Une anomalie psycho-sociétale dont l'existence n'est assurée que par ses semblables (sublime scène de début où, tel un automate, il attend le bat-signal pour se mettre en marche), fussent-ils des monstres véritables (le Pingouin) ou fantasmés (Catwoman).
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possible devenir monstre d'un Batman en pleine perdition psychologique. Il n'est dès lors pas anodin que lui et Selina soient les seuls non-masqués à un bal masqué, après que le justicier ait fait preuve de bêtise et de naïveté (il sourit !) lors de sa précédente incartade avec la Femme-Chat. Drag-queen embarrassé chez Joel Schumacher, justicier furieux chez Christopher Nolan, Batman n'est chez Burton que ce marginal benêt qui s'habille en cuir et frappe les méchants, laissant dès lors la place à un trio de vilains comme le cinéma en a peu vu dans sa courte histoire.
Homme-bête comme le cinéma fantastique aime à en créer à intervalle régulier, le Pingouin joue admirablement de cette dualité chère à Burton, administrant les faux-semblants comme un apôtre et assumant, in fine, sa part animale comme seule véritable condition de son existence. Homme d'affaire vénal et meurtrier, Max Shrek symbolise, lui, tout ce que le cinéaste déteste le plus chez l'humain : monument de misogynie, de veulerie, de machisme et de démagogie. Un homme finalement plus monstrueux que les monstres eux-
Détective aguerri et figure de la justice, le Batman n'est, pour Burton, qu'un schizophrène en quête de reconnaissance, trouvant chez ses ennemis un semblant de compréhension quant à sa propre identité. Si le Joker faisait figure de sociopathe anarchique dans un premier volet ambitieux (souvent) mais raté (parfois), le Pingouin, Catwoman et Max Shrek ne sont ici que les images mentales du 57
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mêmes.
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Dave McKean en une seule et même conjoncture), et vous n'aurez qu'une vague idée de la puissance phénoménale de ce film-monstre qu'est Batman, le défi.
Et Catwoman dans tout ça ? Métaphore ultra-sexuée d'un féminisme hardcore, visage double d'un Batman à la ramasse, performance d'actrice d'une intensité sans faille, fantasme de toute une génération d’adolescent... Elle est tout ça à la fois, figure héroïque agressive, justicière féminine de cuir vêtue (le Spectre Soyeux des Watchmen peut aller se rhabiller) et expression assumée de tout ce que le héros de Gotham ne pourra jamais être.
Et s'il est arrivé au cinéaste de faire presque aussi bien par la suite (si l'on excepte l'exécrable Big Fish, film – trop ? – personnel complètement foiré), jamais Burton n'aura atteint un tel niveau d'excellence. Mais peut-il encore y prétendre ? C’est là un tout autre débat… Imaginez, dès lors, ces personnages plongés au cœur d'une intrigue dantesque où se côtoient la politique, l'action, le fantasme et la folie, alors que retentit la musique flamboyante d'un Danny Elfman plus en forme que jamais, dans un maelström d'images burtoniennes où se croisent les influences de l'expressionnisme allemand (l'architecture de Gotham, le maquillage du Pingouin, Max Schrek), du gothique hammerien (les jeux d'ombres du Pingouin et de Catwoman) et du comic book radical (Frank Miller, Alan Moore et
Batman Returns. États-Unis. 1992. Réal.: Tim Burton. Scén.: Daniel Waters, d’après une histoire de Daniel Waters et Sam Hamm basée sur les personnages créés par Bob Kane et Bill Finger publiés par DC Comics. Prod.: Denise Di Novi et Tim Burton, pour Warner Bros. Pictures. Int.: Michael Keaton, Danny DeVito, Michelle Pfeiffer, Christopher Walken… Durée : 2h06. Sortie France le 15 juillet 1992. Disponible en DVD et Blu-ray chez Warner Bros.
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LA BATCAVE
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Et si l’on quittait un instant le monde merveilleux du cinéma pour revenir aux sources du personnage du Batman, le comic book ? Pour cette première plongée dans la Batcave, retour sur les débuts difficiles d’en justicier en devenir. BATMAN : ANNÉE UN de Frank Miller & David Mazucchelli (1987) (Disponible chez Urban Comics) Sorti un an auparavant, le titanesque The Dark Knight Returns avait fait l’effet d’une bombe dans l’industrie du comic book. Histoire désenchantée et crépusculaire d’un Bruce Wayne vieillissant reprenant la cape et le masque pour sauver sa ville condamnée, le chef-d’œuvre de Frank Miller propulsait le Batman dans ses derniers retranchements, le temps d’un baroud d’honneur en forme de manifeste esthétique et narratif. Bien décidé à ne pas en rester là et à imposer définitivement sa vision du justicier de Gotham, Miller remet le couvert, retrouvant son complice de Daredevil : Renaissance, le talentueux David Mazzucchelli et se penche sur les débuts du Batman. Pour ce faire, il investit le terrain du polar urbain, genre idéal pour écrire sur ce héros, et fait de Bruce Wayne et James Gordon, alors simple lieutenant, les protagonistes de son histoire. Car en grand fan de récit policier, Miller délaisse un temps les combats super-héroïques et les super-vilains, préférant une intrigue faite de corruption, de mafieux et d’intégrité. La principale réussite de cette Année un réside là, dans son refus de l’héroïsme à tout prix (la première sortie de Bruce Wayne dans l’East End de Gotham), dans son humanité prégnante (les déboires privés de Gordon) et dans sa description minutieuse d’une ville en attente d’un grand nettoyage. Le récit aurait tout aussi bien pu s’appeler Gordon: Année un, car en racontant en parallèle les destinées de Wayne et du futur commissaire, Miller ne néglige aucun des deux personnages, leur accordant le même 59
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temps de présence, et insistant sur la complémentarité de leurs histoires respectives (Wayne se réappropriant sa ville, pendant que Gordon essaye de se faire une place dans la police). Il parvient même à intégrer Harvey Dent et Selina Kyle à son exemplaire scénario, anticipant avec brio les aventures à venir du Batman. Adepte d’un dessin expressionniste aux couleurs discrètes et aux noirs profonds, David Mazzucchelli s’applique avec talent à retranscrire l’univers de série noire décrit par Miller, jouant sur le dynamisme de ses personnages et l’atmosphère de la ville pour mieux immerger le lecteur eu sein de cette histoire sombre et humaine. À l’occasion de trois images désormais cultes, il parvient même à réinventer les archétypes batmaniens avec un culot sidérant : l’arrivée de la chauvesouris dans la bibliothèque, la première apparition du Batman lors d’un diner entre édiles corrompus, et la dernière image de Jim Gordon, annonciatrice des évènements à venir. Aussi marquant que sur Daredevil, son trait de crayon fait ici des merveilles, en adéquation totale avec son scénariste, pour une œuvre tout simplement indispensable à tout amateur de bande dessinée qui se respecte.
Les précédentes éditions françaises de Batman : Année un, chez Comics USA, Delcourt et Panini.
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CET OBSCUR OBJET DU DÉSIR…
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AMER de Hélène Cattet & Bruno Forzani Crée par Mario Bava dans les années soixantes, le giallo fut considéré dès le séminal La Fille qui en savait trop comme un détournement typiquement latin du thriller hitchcockien. Intrigue policière prétexte, meurtres fétichistes, assassins masqués et gantés de cuir, victimes féminines martyrisées... C'est tout un attirail qui fut usé jusqu'à la corde par les innombrables artisans de l'âge d'or du cinéma de genre italien : portés par les expérimentations baroques de Dario Argento (la trilogie animale, Les Frissons de l'angoisse), les Umberto Lenzi, Sergio Martino et autres Massimo Dallamano rivalisèrent d'audace et de perversion dans l'art de représenter le meurtre au cinéma. Disparu des écrans depuis la mort du cinéma populaire de la péninsule, le giallo aura ces derniers temps connu un léger regain d'intérêt, certains des nouveaux maîtres du genre lui rendant régulièrement hommage dans leur filmographie : le très violent Martyrs de Pascal Laugier ou l'inédit I Know Who Killed Me de Chris Sivertson ont ainsi su utiliser avec audace les codes formels et narratifs du giallo.
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Il est nécessaire d'avoir ceci en tête pour bien comprendre la logique d'un film comme Amer. Car s'il entretient une filiation évidente avec les deux films cités, c'est une toute autre expérience qui vous attend ici. Point d'intrigue, policière ou non, dans ce film sensuel et expérimental à nul autre pareil. Plutôt que de suivre à la lettre les traces de leurs aînés, Hélène Cattet et Bruno Forzani préfèrent puiser dans leur imagination tordue et leur personnalité profonde pour construire un poème cinématographique total, abscons et hypnotique, plus proche d'une tentative surréaliste que du thriller morbide attendu. Tout n'est ici que symbolique et fétichisme.
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regard d'un enfant sur son corps naissant, le frôlement d'une branche sur sa peau, la voix d'un chauffeur de taxi) pour mieux impliquer le spectateur dans une destructrice quête de(s) sens. Une forme d'écriture automatique fonctionnant par association d'idées (des éléments des trois actes se répondent les uns aux autres, offrant de nouvelles pistes d'exploration à l’héroïne), pour un résultat qui rappelle parfois le très abstrait Inferno de Dario Argento.
Citant avec parcimonie les meilleurs films du genre (Suspiria – Argento, toujours lui ! – principalement dans sa première partie, La Longue nuit de l'exorcisme de Lucio Fulci – étouffant giallo rural – ou encore le très ésotérique La Mort a pondu un oeuf de Giulo Questi) en s'appropriant certaines de leurs idées, de leurs musiques (du Ennio Morricone, du Bruno Nicolai...), Amer n'est pas film à se laisser pénétrer facilement, et il convient de se laisser porter par une narration chaotique et déstructurée, pleine de bruits et d'images troublants, pour en découvrir tous les secrets. Osé, miraculeux, rêveur, le premier long-métrage d'Hélène Cattet et Bruno Forzani ressemble en définitive à un giallo écrit par Edgar Allan Poe. Ce
En usant des stigmates les plus évidents du giallo (jeune femme tentatrice et/ou victime, gros plans charnels, cuir grinçant, lame de rasoir scintillante) comme d'une panoplie visuelle et sonore pour explorer l'éveil au corps et à la sensualité d'une jeune femme, Amer s'approprie totalement les couleurs et l'abstraction propre au genre, ses codes immuables, pour épouser une très fragile construction en trois actes. Enfance. Adolescence. Âge adulte. Voilà pour les trois étapes scrutées avec attention par un duo de cinéaste préférant le ressenti et le sensitif à l'explicatif et à l'intellectuel, s'approchant au plus près de leur personnage-clé, s'attardant sur des détails en apparence anodins (le vent soulevant sa robe et caressant ses cuisses, le 62
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dernier n'affirmait-il pas que « la mort d'une jeune femme est le plus beau des sujets »... France/Belgique. 2010. Réal. et scén.: Hélène Cattet & Bruno Forzani. Prod.: François Cognard et Eve Commenge, pour Anonyme Films, Canal+ et Tobina Film. Int.: Cassandra Forêt, Charlotte Eugène Guibeaud, Marie Bos, Bianca Maria D’Amato… Durée : 1h30. Sortie France le 03 mars 2010. Disponible en DVD chez Wild Side.
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LINDSAY LOHAN Bête noire des tabloïds américains à cause de son comportement autodestructeur et de sa passion pour les soirées arrosées et enfumées, la belle Lindsay Lohan n'a été jusqu'à maintenant jamais reconnue à sa juste valeur pour ses véritables talents d'actrice. Une injustice que l'on se devait de réparer. Donc acte. Née le 2 juillet 1986 à New York, Lindsay Lohan ne pouvait décemment pas ne pas entrer dans le milieu du showbiz. Fille aînée d'une mère danseuse et actrice et d'un père également acteur, elle entame sa carrière dès l'âge de trois ans, enchaînant les spots publicitaires divers et variés. Sa bouille malicieuse et ses talents la font rapidement repérer par l'écurie familiale de l'empire Disney, puisqu'elle se retrouve dès 1998 à l'affiche du sympathique À nous quatre dans lequel elle interprète le double-rôle de jumelles caractérielles, de l'inoffensif La Coccinelle revient et de l'excellent Freaky Friday - Dans la peau de ma mère. Dans ce dernier, elle se retrouve à échanger son corps avec sa génitrice interprétée par la non moins excellente Jamie Lee Curtis. Un succès public et critique qui lui permet de porter sur ses frêles (et néanmoins jolies) épaules l'épatante comédie Lolita malgré moi, satire méchante et hilarante de la jeunesse américaine. Sa voix au timbre si particulier, de même que sa silhouette grandissante à la poitrine généreuse font merveille, portant tous les regards sur cette jeune et talentueuse actrice. Malheureusement, la jeune femme va vite tomber dans les pièges de la starification précoce, devenant la proie des paparazzis avides de chair fraîche, plus passionnés par les déboires alcoolisés et opiacés de Lindsay que part son travail d'actrice. Si on peut la repérer dans le plutôt bon Mèrefille, mode d'emploi avec Felicity Huffman et Jane Fonda, le testamentaire The Last Show, dernier film du grand Robert Altman (elle y est la fille de Meryl Streep), ainsi que dans le médiocre Chapitre 27 où elle excelle aux côtés d'un Jared Leto méconnaissable campant l'assassin de John Lennon, 64
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ses frasques personnelles l'empêchent d'accéder aux grands rôles auxquels elle aspire. Inédit un peu partout dans le monde entier, l'extraordinaire I Know Who Killed Me ne viendra pas changer la donne. Dans ce magnifique hommage aux gialli italiens, elle irradie l'écran de sa beauté insolente, créant un double rôle exigeant, sexy et fou qui marque les esprits et la rétine comme rarement.
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de même Elizabeth Taylor dans le téléfilm Liz & Dick, avant que le revenant Paul Schrader (scénariste – entre autres – de Taxi Driver, Raging Bull et La Dernière tentation du Christ de Martin Scorsese) et le romancier Bret Easton Ellis ne lui offrent le rôle féminin principale de leur micro-budget The Canyons. Malheureusement, malgré tous ses efforts (et elle en fait, la pauvre, en montrant ses seins à l’acteur porno James Deen), le film est un ratage embarrassant, ni fait, ni à faire.
Malheureusement, le film est un bide colossal aux États-Unis, et Lindsay Lohan récolte même le Razzy Award de la pire actrice de l'année (le film en ramasse huit, dont ceux du pire film et du pire réalisateur). De quoi être dégoutée du métier, d'autant plus qu’aucun producteur ni réalisateur ne semble vouloir lui donner sa chance. Sans doute la peur du scandale, car la jeune femme n'est plus en odeur de sainteté à Hollywood. Il faudra toute la persévérance (et la lucidité !) du texan Robert Rodriguez pour que Lindsay retrouve un rôle à la hauteur de son charisme. La voix caverneuse et le corps provocateur, elle intègre le casting jouissif de son Machete foutraque et réjouissant, dans le rôle forcément culte de The Sister : toute nue ou costumée en nonne, armée d'un pistolet mitrailleur, elle y fait une nouvelle fois des étincelles.
Difficile d’imaginer que Lindsay Lohan puisse un jour retrouver un rôle à la hauteur de son méconnu talent, mais un tel gâchis ne donne envie que d'une chose : s'armer d'une webcam et hurler en cœur « Leave Lindsay Alone ! »
Un rôle en or, bien que trop court, pour cette jeune comédienne déjà rodé au milieu du cinéma, qui la prédestinait tout justement au film de sa vie : le rôle principal de Inferno, biographie sulfureuse de l'ex-porn star et accidentée de la vie Linda Lovelace (vedette de Gorge profonde), dont la vie en forme de chemin de croix pouvait convenir parfaitement à la belle Lindsay. Las, ses déboires judiciaires et son addiction extrême aux drogues auront eu raison de sa carrière : condamnée à la prison et à la désintoxication, Lindsay Lohan se voit évincé du projet. Le film finira par sortir, en 2013, avec l’actrice Amanda Seyfried sous le titre plus passepartout de Lovelace. Depuis Machete, la belle Lindsay aura peu brillé sur les écrans, apparaissant dans diverses productions (les séries Glee, Kenny Powers et 2 Broke Girls ou le film inédit InAPPropriate Comedy), interprétant tout 65
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Au prochain numéro, on sort les flingues !!!!
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Alors, ça vous a plu ? Promis, on fera encore mieux la prochaine fois ! TERRE(S) INCONNUE(S) #1 Été 2015 Rédaction/mise en page : Fred Wullsch Relecture/correction/mise en page : Élodie Legrand Remerciements : Élodie Legrand, tous les collègues d’Abusdecine.com et tous les collègues de Freneticarts.com Les images sont la propriété de leurs auteurs. Crédits images, tous droits réservés.
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