Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique
ISSN 1424-4683 Volume LXI
Table des matières
Juillet - Septembre 2008
Dysfonctionnements familiaux et formation de la personnalité à risque déviant chez l’adolescent par Opadou Koudou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .259 Les paradoxes du manque de contrôle de soi: délinquants, joueurs compulsifs et étudiants par Frédéric Ouellet et Pierre Tremblay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .273 À propos des propositions d’application du droit humanitaire dans la lutte contre le terrorisme, notamment dans le cas de la Turquie par Emre Öktem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .287 Victimes de crimes de Droit international humanitaire et justice pénale internationale par Alexia Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .309 L’effet des programmes policiers sur la délinquance en milieu scolaire: une synthèse systématique des études évaluatives par Étienne Blais, PhD., Marie-Pier Gagné, BSc., Jasline Flores, MSc. et Pierre Maurice, M.D. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .321 La controverse autour des armes à impulsions électriques en usage dans la police: éléments médicaux et comportementaux d’appréciation autour de quelques incidents critiques par Pr. Pierre Thys (PhD) et Dr. Eric Lemaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .345 Revue des méthodes de datation de l’encre: est-il possible de déterminer l’âge d’un document en analysant l’encre? par Céline Weyermann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .359 Notes de police scientifique par Olivier Delémont et Pierre Margot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .377
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
257
Revue internationale de CRIMINOLOGIE et de POLICE technique et scientifique
ISSN 1424-4683 Volume LXI
Table of contents
July - September 2008
Family dysfunctions and the formation of deviant risky personalities by adolescents by Opadou Koudou . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .259 Paradoxes of Low Self-Control: Offenders, Compulsive Gamblers and Students by Frédéric Ouellet and Pierre Tremblay . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .273 Of some proposals of application of humanitarian law in the fight against terrorism, especially in the Turkish case by Emre Öktem . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .287 Victims of international humanitarian law crimes and international criminal law by Alexia Pierre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .309 The effect of police programs on school delinquency: a systematic review by Étienne Blais, PhD., Marie-Pier Gagné, BSc., Jasline Flores, MSc. and Pierre Maurice, M.D. . . . . . . . . . . . . . . . . . .321 The controversy on the Electric Less Lethal Weapons used by the police: some medical and behavioral considerations in relation to critical incidents by Pr. Pierre Thys (PhD) and Dr. Eric Lemaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . .345 Review of ink dating methods: Is it possible to determine the age of a document through ink analysis? by Céline Weyermann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .359 Notes in forensic sciences by Olivier Delémont and Pierre Margot . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .377
258
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
Revue des méthodes de datation de l’encre: est-il possible de déterminer l’âge d’un document en analysant l’encre? par Céline WEYERMANN* Résumé Déterminer l’âge d’un document reste une problématique majeure et très controversée de l’expertise en document. Trois approches principales ont été introduites: la datation statique, la datation dynamique absolue et la datation dynamique relative. La première se base sur la connaissance des dates d’introduction sur le marché d’un certain type de papier ou d’encre. Il faut donc disposer d’une banque de donnée exhaustive des produits présents sur le marché et de leur composition particulière. Les datations dynamiques se basent sur le vieillissement du document, qui n’est malheureusement pas uniquement influencé par le temps qui passe, mais également par les conditions de stockage et la composition du document. Les trois approches sont également complexes à mettre en place et se heurtent à quantité de problèmes qui ne sont pas négligeables. Cet article a pour but d’exposer les applications potentielles et les limitations des méthodes actuelles de datation de l’encre, afin que les experts forensiques puissent appréhender cette problématique de manière plus pertinente. Mots-clefs: Document; datation; vieillissement; encre; validation de méthodes. Summary The determination of the age of a document is still one of the most problematic and controversial issues of the examination of questioned documents. Three main approaches exist: static dating, absolute and relative dynamic dating. Static dating is based on the knowledge of the introduction date of a paper or ink type on the market. It is therefore necessary to have access to an exhaustive database of the products available on the market and their specific composition. Dynamic dating is based on the ageing of documents, which is unfortunately not only influenced by passing time, but also by storage conditions and document composition. The three approaches are equally complex to develop and encounter quantity of problems which are not negligible. This article aims to expose the potential applications and limitations of current ink dating methods, in order for the forensic experts to seize the issues in a more pertinent way. Key-words: Questioned documents; dating; aging; ink; method validation.
Introduction Lors d’une expertise en document, l’âge du document est souvent un critère important pour en déterminer l’authenticité. Ainsi les questions suivantes sont fréquemment posées à l’expert: est-ce qu’une quittance a bien été produite à la date mentionnée? Est-ce qu’un contrat a été signée par les deux intervenants en même temps? Est-ce qu’un paragraphe a été ajouté plusieurs années après l’établissement du contrat? Pour répondre à ces questions, il est nécessaire de déterminer la date à laquelle le document en question a été écrit. C’est pourquoi de nombreux scientifiques se sont penchés sur le problème de la datation des documents. La datation des encres a été plus particulièrement étudié et plusieurs méthodes ont été développées et publiées [Osborn, 1910; Locard, 1959; Brunelle, 1992; * Institut de Police Scientifique, Université de Lausanne, Suisse Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
359
Cantu, 1995; Cantu, 1996; Stewart et Fortunato, 1996]. Pourtant très peu de laboratoires forensiques appliquent ces méthodes à des cas pratiques et leur utilisation reste un sujet très controversé dans la communauté scientifique [Hicks, 1993; Hicks Champod et al., 1995; Margot et al., 1995; Aginsky, 1996 b; Aginsky, 1998; Andermann et Neri, 1998; Jahns, 2004; Lociciro et al, 2004; Weyermann et al., 2006; Weyermann et al. , 2007 a]. Il est donc difficile pour les enquêteurs et les experts en documents de connaître les possibilités réelles des méthodes proposées et leurs limitations. Le but de cet article est d’éclaircir la situation actuelle à l’aide d’un résumé des connaissances nécessaires pour que les scientifiques, les enquêteurs et les magistrats qui se trouvent confrontés à ce problème dans leur travail, puissent le traiter avec pertinence. Après un bref chapitre sur la composition de l’encre, les trois approches principales de la datation des encres sont présentées. Leurs limitations pratiques sont décrites, ainsi que plusieurs méthodes qui ont été appliquées dans des cas pratiques. L’article se termine par une discussion sur les critères de validation des méthodes et les problèmes d’interprétation des résultats.
L’encre Depuis que le papier et l’encre existent, les documents occupent une place majeure dans notre société. Ils jouent un rôle décisif dans les domaines de la communication, l’éducation, la culture, l’art, l’hygiène ou les emballages et il est presque impossible de s’imaginer vivre sans eux. Aujourd’hui, bien que l’échange d’information se fasse de manière privilégiée par voies informatiques, le papier reste un medium de choix dans beaucoup d’applications courantes: livres, prise de notes, contrats, testaments, quittances, échanges de courrier, billets de banque, etc. Dans la majorité des transactions, une signature est requise pour donner son consentement. Ainsi les fraudes liées à l’écriture, et l’encre dont elle est composée, ne sont pas rares et représentent un domaine important des sciences forensiques. Depuis sa première utilisation en Egypte pour écrire sur les papyrus, la composition de l’encre a continuellement évolué. Tout d’abord extraite des seiches et de substances organiques carbonisées, ou plus tard de la combinaison de tanins, noix de galle et sels ferreux (gallotanates de fer), l’encre est aujourd’hui essentiellement un mélange de colorants et pigments synthétiques à base aqueuse ou glycol [Levinson, 2001]. Introduits sur le marché en 1944 aux Etats-Unis, les stylos à bille sont depuis quelques années les instruments scripturants les plus couramment utilisés. Leur encre est constituée des composés majeurs suivants [Bügler et al., 2005; Weyermann, 2005]: - les colorants et les pigments (25%) confèrent à l’encre ses propriétés de coloration et devraient idéalement être stables afin de garantir la durabilité des textes écrits. - les solvants (50%) permettent la conservation de l’encre en solution dans la cartouche du stylo, son application fluide et un séchage rapide une fois sur le papier. Les solvants disparaissent donc rapidement du trait d’encre. 360
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
- les résines (25%) augmentent la substance de l’encre et diminuent ainsi les coûts de production. Elles favorisent entre autre la fixation de l’encre sur le papier. Afin d’améliorer les propriétés de l’encre et d’assurer une application fluide sur le papier, un nombres importants d’additifs sont également ajoutés au mélange (lubrifiants, biocides, surfactants, agents anti-corrosifs, émulsifiants, ajusteurs de pH, etc.) [Brunelle and Crawford, 2003]. Cela en fait un secret industriel soigneusement protégé. Certains fabricants produisent des encres, certains produisent des stylos, d’autres encore produisent les deux, ce qui complique un marché déjà dynamique et considérable. Le stylo à bille étant essentiellement un produit bon marché, la composition de son encre peut varier de lot de production en lot de production selon les offres ponctuelles du marché.
Les principes de datation des encres On peut définir et formaliser trois approches pour dater les encres sur un document (Figure 1):
Figure 1 – Trois possibilités de dater les documents par l’analyse de l’encre: (1) Composition de l’encre transférée sur le papier afin de remonter à la date de son introduction sur le marché, (2) mesure du vieillissement de l’encre déposée sur le papier pour en déterminer l’âge, (3) reconstruction de la séquence d’apposition (chronologie). Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
361
Composition de l’encre L’encre possède des propriétés, de par sa composition, qui sont en partie transférées de la mine du stylo à bille au papier lorsqu’un texte est manuscrit ou imprimé sur un document. Une estimation de l’âge d’une encre peut se baser sur l’analyse de composés stables transférés qui sont spécifiques à une période dans le temps. En effet, les caractéristiques de fabrication de l’encre évoluent et changent dans le temps en fonction de nouveaux développements et progrès. Ainsi, les stylos à bille sont apparus sur le marché dès 1944 et étaient caractérisés par une encre à base huileuse jusqu’en 1951 lorsque les solvants glycols ont été introduits. Les colorants phthalocyanine de cuivre ont été introduits en 1954 dans les encres bleues en raison de leur bonne résistance à la lumière. En 1963, les encres effaçables ont été inventées, puis les encres pressurisées en 1968 et les encres gel pens en 1986 [Buzzini et Mazzella, 2004]. Ces changements sont importants, relativement facile à mesurer et surviennent plutôt rarement. La plupart des évolutions de la composition des encres sont moins faciles à détecter, car elles demeurent des secrets bien gardés par l’industrie des encres. Pour mettre en évidence la date d’introduction d’une encre sur le marché par l’analyse de caractéristiques mineures, deux conditions principales doivent être respectées: (i) Premièrement la détermination de la composition de l’encre doit se baser sur des méthodes analytiques validées et reproductibles dans le temps afin d’assurer que les caractéristiques sélectionnées ne s’altèrent pas en fonction du temps (i.e. leur vieillissement est négligeable). (ii) Deuxièmement il est essentiel d’avoir accès à une base de données compréhensive regroupant les caractéristiques pertinentes de toutes les encres introduites sur le marché. Idéalement cela devrait couvrir une large période temporelle et spatiale. La fréquence des caractéristiques données dans la population d’encre est importante pour interpréter la capacité de l’indice à mettre en évidence une période particulière dans le temps. Cette approche permet la détermination de la première date possible d’existence pour une composition donnée d’encre et peut ainsi mettre en évidence des incohérences et des anachronismes, comme cela a été le cas dans le cadre de l’analyse du papier des faux cahiers d’Hitler [Grant, 1985]. Elle est généralement définie dans la littérature en tant que datation statique, puisque les paramètres mesurés sont invariables dans le temps. Depuis peu, les services secrets américains ont relancé leur programme de marqueurs fluorescents en collaboration avec les industries de fabrication de l’encre [LaPorte, 2004]. Il s’agit d’introduire dans les encres un marqueur différent chaque année qui est facilement analysable. Cela demande un suivi continu des marqueurs introduits (qui ne doivent jamais se répéter) et peut provoquer une augmentation non négligeable du coût de l’encre. Vieillissement de l’encre Une fois transférée sur le papier, l’encre sèche rapidement et commence à vieillir: les solvants migrent dans le document et s’évaporent, les colorants se dégradent et les résines polymérisent. Les processus de vieillissement suivent des chemins 362
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
complexes qui sont considérablement influencés par une quantité de facteurs en sus du temps, provoquant une accélération ou un retard du vieillissement. Ces facteurs d’influence peuvent être classés en trois groupes principaux (Figure 2): la composition initiale de l’encre (dans la cartouche), les propriétés physico-chimiques du substrat (porosité, finition, revêtement, etc.) et les conditions de stockage (température, lumière, courant d’air, humidité, etc.). En pratique, aucune information sur ces facteurs n’est généralement disponible. C’est pour cette raison que la détermination de l’âge absolu d’une encre demeure très difficile, voire impossible. L’objectif est donc la détermination d’un intervalle de temps plutôt que d’une date précise. L’échelle considérée peut varier considérablement selon les paramètres mesurés. Ainsi les solvants s’évaporent très rapidement une fois l’encre déposée sur le papier, alors que les colorants se dégradent habituellement très lentement durant de nombreuses années. Ces méthodes se regroupent sous la dénomination datation dynamique absolue. Les changements mesurés sont reportés en fonction du temps afin d’établir une courbe de vieillissement. Ils peuvent diminuer ou augmenter de manière linéaire dans le temps ou comme c’est généralement le cas de manière expo-
Figure 2 – Ce diagramme représente le vieillissement d’une encre en fonction du temps, influencé par trois groupes principaux de facteurs: les conditions de stockage, le type de papier et la composition initiale de l’encre. Le vieillissement provoque des changements dans la composition de l’encre qui peuvent être mesurés analytiquement. Le résultat des mesures donne une indication sur l’âge d’une entrée d’encre (par ex. une signature sur un contrat). Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
363
Figure 3 – Ce diagramme représente une courbe de vieillissement typique (décroissance exponentielle de premier ordre): une caractéristique de vieillissement de l’encre (par ex. la dégradation des colorants ou l’évaporation des solvants) est reportée en fonction du temps (par ex. secondes, en heures, en jours ou en années). nentielle (Figure 3). Ainsi les solvants disparaissent très rapidement du trait juste après sa déposition sur le papier. La diminution se poursuit alors à un rythme fortement réduit. Reconstruction de la séquence d’écriture de deux encres Lorsque les conditions de stockage ne sont pas connues, une datation dynamique relative peut être envisagée. En comparant les caractéristiques d’encres de même composition, déposée sur le même papier et stockée dans les mêmes conditions (par exemple dans un cahier), il est alors possible de déterminer laquelle est la plus âgée et donc de reconstruire leur séquence d’apposition sur le papier. Puisque la courbe de vieillissement n’est pas connue à priori, on considère uniquement les valeurs mesurées sur deux encres au moins, représentant les points de la courbe (Figure 4). Pour cela il faut tout de même connaître préalablement l’évolution dans le temps des caractéristiques de vieillissement sélectionnées. Si l’on s’attend à une diminution dans le temps, il faut s’assurer que les caractéristiques mesurées n’augmentent jamais quelques soient les conditions. 364
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
Figure 4 – Si la courbe de vieillissement est inconnue (en pointillée), les valeurs obtenues à partir des mesures sur deux encres peuvent être classées de manière chronologique. Aucune information ne peut être obtenue sur l’âge réel des encres, ni sur la différence d’âge. La tendance de la courbe (diminution ou augmentation régulière) doit impérativement être connue, l’erreur de mesure être prise en compte et les conditions de stockage, le type de papier et la composition des encres être identiques pour toutes les encres considérées. Lorsque deux lignes encrées se croisent sur un document, déterminer leur séquence d’apposition permet de mettre en évidence quelle ligne a été tirée en premier.
Les limitations de la datation des encres Une quantité de problèmes liés à la datation de l’encre ont été identifiés et adressés préalablement dans la littérature. Des solutions ont été proposées pour certains d’entre eux, d’autres sont considérés comme négligeables et finalement une partie d’entre eux sont généralement ignorés. Période de temps considérée Suivant les caractéristiques mesurées, la période de temps considérée n’est pas la même. Une méthode basée sur l’analyse des solvants peut uniquement Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
365
être appliquée dans le cas où on suspecte l’écriture en question d’avoir été apposée dans l’année précédente [Bügler, 2005; Aginsky, 1998; Weyermann et al., 2007 a]. Si la période considérée est éloignée dans le temps, il est alors inutile de tenter la datation de l’encre par l’analyse des solvants. Dans le cas des colorants, il a été démontré que leur vieillissement est très lent en l’absence de lumière (pour certaines encres pas de changements significatifs après plus de 3 ans [Weyermann, 2005]), il est donc inutile de tenter la datation de l’encre par l’analyse des colorants pour des intervalles de temps inférieurs. Il est utile de se renseigner préalablement sur les seuils temporels considérés par les méthodes de datation proposées. Conditions de stockage La lumière, la température, l’humidité, les flux et la composition de l’air (par ex. le taux de pollution) ont une influence non négligeable sur le vieillissement des encres [Weyermann, 2005]. Leur degré d’influence dans l’utilisation des méthodes de datation doit être évalué préalablement. La quantité de lumière incidente sur un document est très variable et donc complexe à déterminer, excepté pour les documents stockés dans le noir. Les colorants se dégradent particulièrement rapidement sous l’effet de la lumière [Weyermann et al., 2006]. Une augmentation de la température et du flux d’air accélère le séchage des solvants. C’est pourquoi la disparition des solvants de l’encre sur des documents stockés dans un contenant hermétique ou semi hermétique (tel qu’une chemise plastique) est considérablement ralentie [Weyermann et al., 2007a]. Les changements de conditions de stockage peuvent ainsi entraîner des résultats analytiques identiques pour des encres d’âge considérablement différents [Weyermann, 2005]. Leur influence, bien que admise, n’a pourtant été que peu étudiée et reste difficile à quantifier. Les conditions de stockages représentent donc une des problématiques les plus importantes de la datation des encres. On considère généralement que si elles sont inconnues, seule une comparaison d’encres stockées dans les mêmes conditions peut être effectuée. Type de papier Le type de papier, de par sa composition chimique (additifs acides ou basiques) et sa structure physique (porosité, épaisseur, densité), influence le vieillissement des colorants et des solvants. La solution généralement préconisée est de considérer deux papiers apparemment identiques comme ayant la même influence et ne pas comparer des encres se trouvant sur des papiers totalement différents (structure, épaisseur et grammage différents). Composition de l’encre L’encre est composée d’un mélange de colorants, de solvants, de résines et d’additifs qui influence significativement le vieillissement. La présence de plusieurs colorants et pigments implique une concurrence pour l’absorption de lumière et la dégradation s’en trouve alors ralentie [Weyermann, 2005]. Les quantités initiales de solvants varient considérablement d’une encre à l’autre, 366
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
ce qui altère les courbes du vieillissement [Weyermann et al., 2007 a]. Les additifs et résines accélèrent ou ralentissent le séchage de l’encre [Bügler et al., 2005]. La solution préconisée est de déterminer des seuils qui englobent tous les types de composition connus. Epaisseur du trait d’encre La pression appliquée, la grosseur de la bille ou de la pointe du stylo déterminent l’épaisseur du trait d’encre déposé sur le papier. Cela pose deux problèmes principaux. D’une part, lorsqu’il s’agit de faire une mesure quantitative de l’encre déposée sur le papier, l’épaisseur du trait influence grandement les résultats. La solution généralement proposée est de calculer un rapport indépendant de la masse d’encre extraite (voir ci-dessous) [Aginsky, 1996; Bügler, 2005]. D’autre part, les quantités de colorants et solvants déposés influencent le vieillissement. Plus il y a de colorants ou de solvants dans un trait (trait épais et large), plus le vieillissement sera ralenti [Weyermann, 2005]. Cette problématique n’a pourtant pas été prise en compte lors du développement de méthodes de datation. La datation de l’encre serait ainsi possible uniquement si l’erreur de mesure engendrée par des épaisseurs différentes de traits d’encre se révèle raisonnable. Cette question requiert donc également une étude plus approfondie.
Les méthodes de datation des encres Comme cela a été expliqué plus haut, le vieillissement de la matrice encre sur la surface non régulière du papier suit des processus physico-chimiques très complexes qui sont influencés par de nombreux facteurs. Un nombre important de publications propose des pistes et des méthodes pour dater les encres, bien qu’à ce jour aucune n’aie apparemment été validée. Seul un nombre limité de scientifiques se risquent à les utiliser devant un tribunal. Pourtant toute méthode utilisée dans le cadre d’affaires judiciaires devrait être préalablement validée et testée par d’autres laboratoires. Historiquement, la décoloration des encres gallotannates due à l’oxydation du fer [Osborne, 1910] et la rapidité de dissolution des encres dans différents acides étaient observées [Locard, 1959]. Parallèlement, Metzger et al. [1933], proposaient la mesure de migration des ions chlorides et sulfates dans le papier. L’introduction de nouvelles compositions d’encres a cependant engendré le développement de méthodes de datation plus adaptées aux processus de vieillissements des mélanges modernes. Les méthodes de datation décrites dans ce chapitre se basent principalement sur les principes de datation dynamique. Elles reposent sur le vieillissement des colorants, la disparition des solvants, le durcissement des résines ou la séquence de croisement de traits et sont ou ont été utilisées dans des cas pratiques. Leurs limitations sont également discutées ci-dessous. Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
367
Décoloration de l’encre La décoloration des encres est un phénomène visible à l’œil nu. C’est pourquoi, beaucoup de méthodes ont été développées pour mesurer la dégradation des colorants en fonction du temps. Les techniques proposées incluent la chromatographie sur couche mince [Sen and Gosh, 1971], la microspectrophotométrie [Aginsky, 1994 a], la chromatographie liquide à haute performance [Andrasko, 2001] ou la spectrométrie de masse [Grim et al., 2001; Weyermann et al., 2006]. Malheureusement pour l’expert en document, les colorants sont instables en présence de lumière et se dégradent très rapidement s’ils sont exposés plusieurs jours au soleil ou à un éclairage artificiel tel qu’un néon (par exemple si le document est laissé sur la surface d’un bureau). Au contraire les colorants ne se dégradent pas ou très lentement en l’absence de lumière (par exemple dans le tiroir d’un bureau). Il est donc impossible de déduire l’âge d’une encre en fonction du taux de dégradation de ses colorants si la durée et l’intensité d’exposition au soleil et aux lampes d’intérieur sont inconnues. D’autres facteurs, tels que la température, l’humidité, l’épaisseur du trait, le type de papier ou la composition de l’encre, influencent également les résultats. C’est pourquoi les méthodes de datation basées sur la dégradation des colorants sont uniquement utilisées dans la comparaison d’encres provenant du même instrument scripturant sur le même papier et stockées dans les mêmes conditions (par ex. un agenda). Il n’est par contre pas possible de conclure sur l’absence de différence entre deux entrées d’encres tel que reporté par Hofer [2004]. Si les compositions en colorants de deux encres sont indifférentiables, celles-ci peuvent soit être contemporaines, soit avoir été stockées en l’absence de lumière pendant un nombre d’années qui peut être considérablement différent [Weyermann, 2005]. Aujourd’hui, il est généralement admis que les méthodes de datation basées sur la dégradation des colorants ne sont pas fiables et ne devraient pas être utilisés dans des cas pratiques [Aginsky, 1998; Weyermann et al., 2006]. Séchage de l’encre Une fois déposée sur le papier, l’encre sèche rapidement. Les solvants diffusent dans le papier et s’évaporent simultanément. Ainsi les premières minutes après l’écriture, près de 90% des solvants disparaissent du trait d’encre [Lociciro et al, 2004; Weyermann et al., 2007 a]. L’encre continue alors de sécher lentement pendant plusieurs années, bien que les quantités retrouvées au-delà d’une année soient infimes (ordre de grandeur du nanogramme). Récemment, l’intérêt a été ravivé pour une méthode proposée par Stewart en 1985 pour quantifier les produits volatiles dans l’encre par chromatographie en phase gazeuse [Stewart, 1985]. Afin d’éviter une longue préparation de l’échantillon, la microextraction en phase solide [Andrasko, 2003; Brazeau et al., 2007] et la thermodesorption [Bügler et al., 2005] ont été proposées. La seconde technique est employée pour dater l’encre selon une méthode de thermodesorption séquentielle d’une même entrée d’encre (0.5 cm) à deux 368
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
températures différentes [Bügler, 2005]. Les solvants sont désorbés et quantifiés à basse température (70°C) puis à haute température (200°C). Un rapport (V) est calculé en divisant la quantité de solvants desorbés à basse température (T1) par la quantité totale (T1+T2): V (%) = 100 • (T1) / (T1+T2)
(Eq. 1)
Ce rapport diminue avec le temps pour toutes les encres de stylo à bille analysées. Cette méthode a été utilisée dans le cadre d’expertises et des directives sont proposées pour l’interprétation des résultats [Bügler, 2006]. Elles sont valides quelque soit l’encre analysée (Figure 5): -
Si Si Si Si
V>20%: V>15%: V>10%: V<10%:
l’encre investiguée est âgée de moins de 3 mois. l’encre investiguée est moins âgée que 9 mois. l’encre investiguée est moins âgée que 15 mois. pas de conclusion, la méthode n’est pas applicable dans ce cas.
Figure 5 - Représentation théorique des cas de figures proposés par Bügler [2005]. Si le rapport V obtenu est inférieur à 10%, aucune conclusion ne peut être donnée. Deux exemples de courbes de vieillissement sont représentés en gris: la courbe du bas représente une encre pour laquelle la méthode n’est pas applicable au-delà de 2 mois, alors que la courbe du haut représente une encre pour laquelle une datation est possible jusqu’à 5 mois. Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
369
Cette méthode est indépendante de la masse et l’influence du type de papier est considérée comme négligeable. Il est aussi précisé que la moitié des encres investiguées n’étaient pas adéquates pour être datées par cette méthode, car les solvants contenus n’étaient pas retenus suffisamment longtemps dans l’encre. En effet, il est uniquement possible de déterminer si une encre est très jeune (quantité encore élevée de solvants dans le trait d’encre) et non pas si une encre est âgée (car une faible quantité de solvant peut aussi être due à la rapidité du processus pour l’encre en question). Il est important de prendre en compte la possibilité de contamination d’une encre âgée par une encre fraîche. Si une feuille de papier sur laquelle se trouve de l’encre fraîchement écrite est placée sur une autre feuille (par exemple sur une pile), les solvants migrent d’une feuille à l’autre [Andrasko, 2003; Weyermann, 2005] et peuvent potentiellement contaminer une encre plus âgée qui se trouve sur une feuille adjacente. Il a également été démontré qu’une encre placée dans un contenant hermétique vieillit plus lentement [Weyermann, 2005]. Ainsi l’encre sur une feuille placée dans une chemise plastique (contenant semi-hermétique) vieillira plus lentement qu’une feuille à l’air libre. Il est donc envisageable qu’une encre moins jeune puisse contenir une quantité non négligeable de solvants. Finalement si l’écriture est dense sur une feuille de papier, la diffusion des solvants sera ralentie par interférences avec les autres écritures. Ces facteurs devraient donc minutieusement être étudiés. Durcissement des résines Lorsque l’encre sèche, les résines polymérisent, induisant la fixation de l’encre sur le papier. Les résines sont des composés dont le poids moléculaire est généralement élevé et qui sont présents en faible quantité dans le trait d’encre. Elles sont donc difficiles à analyser. Un moyen indirect pour évaluer le durcissement des résines vient des mesures de solubilité de l’encre dans divers solvants en fonction du temps. Les observations ont montré que plus l’encre vieillit, plus elle durcit et moins elle est facile à extraire du papier. Afin d’éliminer la dépendance de l’encre extraite à la masse, les méthodes proposent des rapports d’extractions séquentielles. Deux extractions de l’encre sont effectuées consécutivement, en premier lieu dans un solvant dit faible, puis dans un solvant dit fort. A la suite de quoi, les extraits sont analysés afin de quantifier soit les colorants, soit les solvants dans le but de calculer un pourcentage d’extraction (P). La quantité extraite dans le solvant faible (M1) est divisée par la quantité totale extraite dans les deux solvants (M1+M2) pour obtenir le rapport suivant: P (%) = 100 • (M1) / (M1+M2)
(Eq. 2)
L’hypothèse sur laquelle se basent ces méthodes est la suivante: un solvant st la suivante: un solvant faible n’extrait que la partie de l’encre qui est encore fraîche, alors qu’un solvant fort permet d’extraire l’entièreté des colorants et 370
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
solvants de l’encre. Ainsi un pourcentage d’extraction (P) élevé signifie que l’encre est encore fraîche, alors qu’un pourcentage bas indique une encre âgée. Extraction séquentielle des colorants Certains auteurs ont mesurés l’extraction séquentielle des colorants dans divers solvants [Kuranz, 1986, Brunelle et al., 1987, Cantu and Prough, 1987; Aginsky, 1994 a; Brunelle and Speckin, 1998]. La quantité de colorants mesurée dans un trait d’encre est entre autre dépendante de la capacité d’un solvant à les extraire, mais aussi du taux de dégradation des colorants et de leur quantité initiale dans l’encre. Depuis lors, de nombreux auteurs ont donc reporté que les mesures n’étaient pas reproductibles, en partie car chaque encre requiert des solvants d’extraction différents et il en résulte des courbes de vieillissement qui divergent significativement. [Hicks, 1993; Hicks Champod et al., 1995; Aginsky, 1996; Aginsky, 1998; Andermann and Neri, 1998; Jahns, 2004]. Certaines encres ont même montré une inversion des valeurs en fonction de leur âge: une valeur élevé étaient obtenues pour des traits plus âgés [Brunelle and Speckin, 1998; Fortini, 2000]. Extraction séquentielle des solvants Aginsky [1996] propose une méthode, acceptée lors de nombreux cas pratiques investigués en Russie et basée sur l’extraction séquentielle des solvants, qui fait en plus usage du vieillissement artificiel pour calculer une portion de courbe de vieillissement. Un premier trait d’encre est analysé pour obtenir un pourcentage d’extraction (P) calculé selon l’équation 2 (ci-dessus). Puis un second trait est chauffé modérément et analysé de la même manière afin d’obtenir un second pourcentage d’extraction (PT). D caractérise alors la distance entre les deux pourcentages d’extraction et représente une portion de la courbe de vieillissement: D (%) = P – PT
(Eq. 3)
Les courbes de vieillissement obtenues décroissent généralement en fonction du temps et s’aplanissent avec le temps. La valeur D indique si l’encre vieillit fortement (encre fraîche) ou si le vieillissement a considérablement ralenti (encre âgée). Trois cas de figures ont été différenciés par Aginsky (Figure 6): - D > 15%: l’encre en question est encore fraîche (moins de 8 mois). - D < 10%: l’encre en question est vieille (plus de 2 mois). - Zone grise entre 10% et 15%: plus d’analyses sont nécessaire pour évaluer si la moyenne est plus proche de 10% ou de 15% (l’interprétation doit rester prudente). La quantité de solvants dans le trait d’encre est dépendante de la capacité d’un solvant à les extraire, mais aussi de la quantité initiale des solvants dans le trait d’encre. C’est pourquoi les courbes de vieillissement peuvent être signiRevue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
371
Figure 6 – Représentation théorique des trois cas de figures proposés par Aginsky [1998] pour les encres fraîches et âgées. Dans la zone grise (entre 2 et 8 mois), l’interprétation doit rester prudente. ficativement différentes et qu’il n’est donc pas possible d’être plus précis. De plus le document en question doit avoir été stocké dans des conditions environnementales normales. A l’inverse de Bügler [2005] qui ne donne pas de conclusion pour les encres âgés car il a observé que certaines encres vieillissent trop rapidement, Aginsky [1996 a] suggère qu’il est possible de déterminer si l’âge d’une encre est supérieur à 2 mois.
Séquence des croisements de traits Lorsque deux lignes encrées se superposent, il est utile de déterminer laquelle a été déposée avant l’autre [Poulin, 1996]. La microscopie est généralement utilisée en premier lieu et permet dans certains cas de déterminer la séquence des traits au croisement. Pourtant, des méthodes de visualisation de la surface, tel que la microscopie à balayage électronique ou à force atomique offrent une plus grande résolution et ne sont pas tributaires des interactions de la lumière avec l’encre [Kasas et al., 2001]. De nouvelles méthodes tels que l’imagerie chimique [Weyermann, 2005] ou la visualisation 3D du croisement [Schirripa Spagnolo, 2006] ont été proposées dernièrement, mais n’ont pas encore été validées. 372
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
Les critères de validation des méthodes analytiques Développer une méthode de datation des encres demande un investissement en temps et des ressources considérables. Il ne faut pourtant pas négliger d’assurer sa validité scientifique avant de l’implémenter dans le traitement de cas pratiques. Les aspects importants de fiabilité pour une méthode analytique ont été énoncés par Horwitz [1982]: reproductibilité (précision entre laboratoires), répétabilité (précision au sein d’un laboratoire), erreur ou biais systématique (exactitude), sélectivité et limite de détection. Il est intéressant de noter que les taux d’erreur et la répétabilité sont rarement mentionnés dans la littérature et ne sont pas représentés sur les graphiques. Il est pourtant essentiel de s’assurer que les différences provoquées par le vieillissement sont véritablement plus grandes que l’erreur systématique. Cela d’autant plus que l’encre disponible dans les cas pratiques est rarement suffisante pour effectuer plusieurs analyses, obtenir une moyenne et une déviation standard. Le développement de méthodes de datation est effectué à l’aide d’échantillons d’encre préparés et stockés dans des conditions contrôlées. C’est pourquoi, durant la procédure de validation, il faut impérativement accomplir des tests à l’aveugle sur des échantillons réalistes, dont la date est inconnue de l’opérateur. Lorsque les quantités analysées sont faibles, comme c’est le cas pour les solvants dans un trait d’encre, les limites de détection et de quantification jouent un rôle particulièrement important afin de déterminer le seuil pour lequel la méthode n’est plus applicable. L’un des aspects les plus difficiles, et sollicitant un investissement très important, est la validation inter-laboratoire. A ce jour, une méthode de datation dynamique donnée n’est encore utilisée que par le laboratoire qui l’a développée. Seules des méthodes pour déterminer la séquence des croisements de traits font exception à cette règle. Dans l’optique d’appliquer la datation de l’encre en sciences forensiques, les experts devraient donc déployer leur effort tout particulièrement dans la validation adéquate de leurs méthodes. Les méthodes analytiques applicables à l’analyse des encres sont en constant développement et il n’est donc pas impossible que des améliorations apparaissent dans le futur. Actuellement, ce sont les méthodes de datation basées sur l’analyse des solvants qui semblent les plus prometteuses. Elles sont investiguées par de nombreux chercheurs [Aginsky, 1998; Bügler et al., 2006; Brazeau et al., 2007]. Pourtant les limites de ces méthodes se situent peut-être dans les quantités infimes [Weyermann, 2005] qui sont induites par la diminution rapide des solvants de l’encre et qui entraînent une augmentation considérable de l’erreur de mesure [Horwitz,1982].
Interprétation L’interprétation des résultats, comme dans les autres domaines forensiques, joue un rôle essentiel dans la datation de l’encre. Il est important lorsqu’on obtient un résultat de considérer toutes les sources possibles (hypothèses alternatives). Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
373
Par exemple, lorsque les colorants quantifiés dans deux lignes d’encres donnent un résultat identique, les explications suivantes doivent être envisagées [Weyermann, 2005]: - les deux encres ont le même âge; - les deux encres n’ont pas été déposées en même temps mais ont été stockées dans le noir (pas de vieillissement des colorants dans un laps si court pour ces deux encres); - l’une des encres est plus âgée mais contenait une quantité initiale de colorants plus élevée et a été vieillie plus longtemps que la première, entraînant ainsi fortuitement la même quantité de colorants dans les deux encres au moment de l’analyse; - Considérer une seule hypothèse ne permet pas une interprétation balancée de l’indice encre, puisque l’on risque de conclure faussement en considérant une seule des possibilités énoncées ci-dessus [Weyermann et al., 2007 b].
Conclusion Depuis ses débuts, le domaine des documents en sciences forensiques est concerné par la datation des encres. Les méthodes proposées se basent sur des processus complexes et les divergences d’opinions sur la faisabilité des méthodes proposées sont soulevées mondialement au sein de la communauté scientifique concernée. Toute méthode de datation des encres, dont le but est d’être appliquée dans des cas pratiques, doit remplir un certain nombre de critères de validation. Sa fiabilité doit être testée par les indicateurs de reproductibilité, des réponses valides dans les tests à l’aveugle et des erreurs de mesures plus faibles que les variations prédictibles. L’influence des différents facteurs sur le vieillissement des encres dans le temps doit être évaluée et considérée. Finalement, la question de l’âge d’une encre se situe autant dans l’inférence des sources que dans les développements technologiques. Ainsi tant qu’un même résultat analytique peut être obtenu pour des encres d’âges considérablement différents, la faisabilité reste clairement discutable. La nature des échantillons (quantités très faibles et matrice encre-papier complexe), ainsi que l’influence des conditions de stockage peuvent potentiellement induire des changements plus important dans l’encre que ceux provoqués par le temps. Dans ces circonstances, même le résultat le plus précis ne donnerait pas d’indication sur l’âge réel de l’encre. La datation des documents par l’analyse de l’encre ne peut être considérée admissible que si ces méthodes respectent les critères de validations énoncés ci-dessus.
Remerciements L’auteur tient à remercier les collaborateurs de l’Institut de Chimie Analytique et Inorganique de l’Université de Giessen en Allemagne et de l’Institut de Police Scientifique de Lausanne en Suisse qui ont contribués indirectement à ce travail. 374
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
Bibliographie Aginsky V. N., “A New Version of the Internal Standard Method In Quantitative Thin Layer Chromatography”, Journal of Planar Chromatography, 1994 a, 7: 309-314. Aginsky V. N., “Determination of the Age of Ballpoint Pen Ink by Gas and Densitometric Thin-layer Chromatography”, Journal of Chromatography A, 1994 b, 678: 119-125. Aginsky V. N., “Accelerated Aging – Its Use in Methods for Dating Ink”, International Journal of Forensic Document Examiners, 1996 a, 2 (3): 179-181. Aginsky V. N., “Dating and Characterizing Writing, Stamp Pad and Jet Printer Inks by Gas Chromatography/Mass Spectrometry”, International Journal of Forensic Document Examiners, 1996 b, 2 (2): 103-116. Aginsky V. N., “Measuring Ink Extractability as a Function of Age – Why the Relative Aging Approach Is Unreliable And Why It Is More Correct to Measure Ink Volatile Components than Dyes”, International Journal of Forensic Document Examiners, 1998, 4 (3): 214-230. Andermann T., Neri R., “Solvent Extraction Techniques – Possibilities For Dating Ball Point Pen Inks“, Journal of Forensic Sciences, 1998, 4 (3): 231-239. Andrasko J., “HPLC Analysis of Ballpoint Pen Inks Stored at Different Light Conditions”, Journal of Forensic Sciences, 2001, 46 (1): 21-30. Andrasko J., “Changes in Composition of Ballpoint Pen Inks on Aging in Darkness”, Journal of Forensic Sciences, 2001, 47 (2): 324-327. Andrasko J., “A Simple Method for Distinguishing between Fresh and Old Ballpoint Pen Ink Entries”, Abstract, Forensic Science International, 2003, 136 (1): 80-81 Brazeau L., Gaudreau M., “Ballpoint Pen Inks: The Quantitative Analysis of Ink Solvents on Paper by SolidPhase Microextraction”, Journal of Forensic Sciences, 2007, 52 (1): 209-215. Brunelle R. L., Breedlove C. H., Midkiff C. R., “Determining the Relative Age of Ballpoint Inks Using a Single-Solvent Extraction Technique“, Journal of Forensic Sciences, 1987, 32 (6): 1511-1521. Brunelle R. L., “Ink Dating-The State of the Art“, Journal of Forensic Sciences, 1992, 37 (1): 113-114. Brunelle R. L., Speckin E. J. “Technical Report with Case Studies on the Accelerated Aging of Ball-Point Inks”, International Journal of Forensic Document Examiners, 1998, 4 (3): 240-254. Brunelle R. L., Crawford K. R., “Advances in the Forensic Analysis and Dating of Writing Ink”, Charles C Thomas Publisher Ltd., Springfield, Illinois, 2003. Bügler J., Buchner H., Dallmayer A., “Differenzierung von Kugelschreiberpasten durch Thermodesorption und Gaschromatographie - Massenspektrometrie“, Archiv für Kriminologie, 2005, 214: 141-148. Bügler J., Buchner H., Dallmayer A. Dating of Ballpoint Pen Inks by Thermal Desorption and Gas Chromatography-Mass Spectrometry. Meeting of ASQDE, August 2005, Montreal, Canada. Bügler J., Buchner H., Dallmayer A. Age Determination of Ballpoint Pen Inks. 4th Conference of the European Document Experts, European Document Experts Working Group, La Haye, 2006. Cantu A. A., Prough R. S., “On the Relative Aging of Ink – The Solvent Extraction Technique”, Journal of Forensic Sciences, 1987, 32 (5): 1151-1174. Cantu A. A., “A Sketch of Analytical Methods for Document Dating Part I. The Static Approach: Determining Age Independent Analytical Profiles”, International Journal of Forensic Documents Examiners, 1995, 1 (1): 40-51 Cantu A. A., “A Sketch of Analytical Methods for Document Dating Part II. The Dynamic Approach: Determining Age Dependent Analytical Profiles”, International Journal of Forensic Documents Examiners, 1996, 2 (3): 192-208. Fortini A. “Tester la reproductibilité des mesures de l’une des méthodes de datation des encres d’Aginsky (GC/MS)”, séminaire de 4ème année, Institut de Police Scientifique et de Criminologie, Université de Lausanne, 2000. Grant J., “The Diaries of Adolf Hitler”, Journal of the Forensic Science Society, 1985, 25: 189. Grim D. M., Siegel J., Allison J. “Evaluation of Desorption/Ionization Mass Spectrometric Methods in the Forensic Applications of the Analysis of Inks on Paper” Journal of Forensic Sciences, 2001, 46(6):1411-1420. Hicks T., “Détermination de l’âge des encres – Possibilités de standardisation”, séminaire de 4ème année, Institut de Police Scientifique, Université de Lausanne et de Criminologie, 1993. Hicks Champod T., Khanmy A., Margot P., “Ink Aging: Perspectives on Standardization”, Advances in
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique
3/08
375
Forensic Sciences 3, Forensic Criminalistics 1, Proceedings of the 13th Meeting of the International Association of Forensic Sciences, Düsseldorf, 1993, Jacob B., Bonte W., Huckenbeck W. and Pieper P. Editors, Verlag Dr. Köster, Berlin, 1995, 304-309. Hofer R., “Dating of Ballpoint Pen Ink – Case Report”, Journal of Forensic Sciences, 2004, 49 (6): 1-5. Horwitz, W. “Evaluation of Analytical Methods for Regulation of Foods and Drugs”, Analytical Chemistry, 1982, 52: 67A-76A. Jahns K., “Altersbestimmung von Schreibmitteln durch chemische Analysverfahren“, Mannheimer Hefte Für Schriftvergleichung, Peter E. Baier, Universität Mannheim, Schmidt / Römhild, 29. Jahrgang, 3/04. Kasas S., Khanmy-Vital A., Dietler G., “Examination of line crossings by atomic force microscopy”, Forensic Science International, 2001, 119: 290 - 298. Kuranz R. L., “Technique for Transferring Ink from a Written Line to a Thin-Layer Chromatography Sheet”, Journal of Forensic Sciences, 1986, 31 (2): 655-657. LaPorte G. M., Wilson J. D., Cantu A. A., Mancke S. A., Fortunato S. L., “ The Identification of 2Phenoxyethanol in Ballpoint Inks Using Gas Chromatography / Mass Spectrometry – Relevance to Ink Dating”, Journal of Forensic Sciences, 2004, 49: 155-159. Levinson J., “Questioned Documents – A Lawyer’s Handbook“, Academic Press, London and California, 2001. Locard E., “Les faux en écriture et leur expertise“, Bibliothèque Scientifique, Payot, Paris, 1959. Lociciro S., Mazzella W., Dujourdy L., Lock E., Margot P., “Dynamic of the Aging of Ballpoint Pen Ink“, Science & Justice, 2004, Volume 44 (3): 165-171. Margot P., Hicks Champod T., Khanmy A., ”Ink Dating Up-Dated and Up-Ended – Correspondance of Prof. Starrs”, International Journal of Forensic Document Examiners, 1995, 1 (1): 2 - 5. Mazzella W. D., Buzzini P., “Raman spectroscopy of blue gel pen inks”, Forensic Science International, 2005, 152 (2-3): 241-247. Metzger, Rall, Heess W., “Ein neues verfahren, Identität und Alter von Tintenschriften festzustellen“, Archiv für Kriminologie, 1933, 92: 105-113. Osborn A. S., “Questioned Documents“, The Lawyers’ Co-operative Publishing co., Rochester, New York, 1910. Poulin G., “Establishinh the sequence of strokes: the state of the art”, International Journal of the Forensic Document Examiners 1996, 2: 16-32. Sen N. K., Ghosh P. C., “Dating Iron-Base Ink Writings on Documents”, Journal of Forensic Sciences, 1971, 16 (4):511-520. Schirripa Spagnolo G., “Potentiality of 3D laser profilometry to determine the sequence of homogenous crossing lines on questioned documents”, Forensic Science International, 2006, 164, (2-3): 102-109. Starrs J. E., “Review: The many use of the Forensic Sciences - Document Examination”, The Scientific Sleuthing Newsletter, 2000, 24 (1): 12, 17. Stewart L. F., “Ballpoint Ink Age Determination by Volatile Component Comparison - A Preliminary Study”, Journal of Forensic Sciences, 1985, 30 (2): 405-411. Stewart L. F., Guertin S. L., “Current Status of Ink Age Determination”, International Criminal Police Review, 1991, March-April: 9-12. Stewart L. F., Fortunato S. L., “Distinguishing Between Relative Ink Age Determinations and the Accelerated Aging Techniques”, International Journal of Forensic Document Examiners, 1996, 2 (1): 10-15. Weyermann C., “Mass Spectometric Investigation of the Aging Processes of Ballpoint Ink for the Examination of Questioned Documents”, PhD Thesis, Justus-Liebig-University; Giessen, 2005. http://geb.uni-giessen.de/geb/volltexte/2006/3044/ dernier accès: 15.10.2007. Weyermann C., Kirsch D., Costa Vera C., Spengler B. “Forensic Investigation of Ageing and Degradation of Ballpoint Dyes on Paper by LDI- and MALDI-MS Analysis”. Journal of the American Society for Mass Spectrometry 2006 (17): 297-306. Weyermann C., Kirsch D., Costa Vera C., Spengler B., “A Study of The Drying of Ballpoint Pen Ink on Paper by GC/MS”, Forensic Science International, 2007 a, Vol.168, (2-3): 119-127. Weyermann C., Schiffer B., Margot P. A logical approach to ballpoint ink dating. Submitted to Science & Justice, June 2007 b, accepted October 2007.
376
3/08
Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique