aventure
Texte Gavin Mc Clurg. Photos Jody Mc Donald, Gavin Mc Clurg et Matt Beechinor.
Confessions d’un XC junkie Le 15 juillet 2013, Gavin Mc Clurg a battu le record américain - décollage à pied - avec 387 km réalisés au départ de Sun Valley, Idaho. Il nous en a envoyé un récit coloré, dans lequel pas mal de monde se reconnaîtra sûrement... Attention, le parapente, c’est addictif. 58 Parapente+
mai-juin 2014
Photo Jody Mc Donald
Gavin Mc Clurg a battu le record de distance nordaméricain avec sa Niviuk Icepeak 6. Ici en vol sur la Big Lost Range après départ de Sun Valley. On est en bordure sud du désert de l’Idaho.
Les vols de Gavin, en une semaine. Il peut être content !
A
mis, famille, sponsors, partenaires commerciaux, et vous tous sur Facebook avec qui je suis « ami » mais sans avoir aucune idée de qui vous êtes, j’ai un problème... Une dépendance. C’est vraiment très grave et il est temps de ne plus me cacher la vérité. Je dois l’admettre, cette dépendance est hors de contrôle dans ma vie. Mes envies, mes ambitions sont si puissantes (voir note 1) que je sais que je ne pourrai jamais les atteindre. Plus j’essaie de les réduire, plus cela devient difficile à gérer : je pense que cela ira en causant des dommages psychologiques à long terme. Je continue donc « vers le high ». Je ne peux pas penser à autre chose pendant que je suis éveillé, et je ne peux pas rêver d’autre chose quand je suis endormi. Je suis en profond déséquilibre et j’ai besoin d’aide. Mon addiction pourrait me tuer. Elle provoque des problèmes dans mon travail et avec ma femme. Je lui dis qu’elle est toujours la chose la plus importante dans ma vie, mais nous savons tous les deux que je mens. Oui, ça va mal ! C’est pourtant elle qui m’a amené dans cette voie à sens unique vers la folie... En 2006 (alors qu’elle était ma petite amie), elle m’a mis un parapente entre les mains et m’a appris à tirer sur les poignées. Jusqu’à ce moment, j’avais eu une vie de skieur alpin avec ce qu’il fallait d’adrénaline, qui a été suivie par l’escalade des grandes parois du Yosemite, le kayak de classe VI (c’est-à-dire « non-exécutable »), des expéditions de kite-surf, ou jouer le skipper sur des yachts à voile, avec deux tours du monde réussis et passages du cap Horn et de BonneEspérance. Mais tout cela m’est devenu fade. Au début 2012, j’ai laissé tomber mon travail de capitaine pour laisser ma « dépendance » prendre toute sa dimension. Après quelques semaines de SIV et d’acro en Turquie, j’ai débarqué dans les Alpes européennes, j’ai acheté un camping-car que j’ai appelé le « Niviuk mobile » - je volais alors avec une Artik 3 -, que j’ai parfois garé très longtemps en attente du potentiel météo promis... Les kilomètres et les heures de vol ont commencé à s’ajouter, j’ai découvert les « chocolate bar » de XC-contest, qui pointe un chocolat pour chaque vol de 100 km réalisé (ndlr : médailles en chocolat ?). J’ai étudié les récits de cross et les analyses météo comme un joueur de poker professionnel étudie les visages de ses adversaires. En début de saison, 100 km me semblaient être un gros morceau... Mais en juin, en comparant mes vols de 100 km et de longues études de ce qu’avaient fait d’autres pilotes les mêmes jours, j’ai commencé à grogner... Donc retour US, un peu dépité. Quelle direction ?
Auparavant, j’avais été en mer pendant 13 ans et quand ma copine (donc ma femme) m’a demandé de commencer à chercher un endroit pour vivre, j’ai demandé à Nick Greece, pilote de haut rang aux États-Unis, où étaient les meilleurs endroits pour voler. Il m’avait répondu Owens Valley en Californie (pas vivable), Jackson Hole dans le Wyoming qui est sa ville natale, et Sun Valley, Idaho. Jody et moi avons passé une matinée à mai-juin 2014
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Confessions d’un XC Junkie
Sun Valley, ça n’a pas été plus loin. Mais peu de temps après, fin juin, Matt Beechinor pulvérise le record américain - avec décollage à pied - par un vol de 309 km (193 miles), révolutionnaire... L’histoire se déplace à la vitesse de la lumière à travers la communauté volante et tout le monde se met sur les rangs. Je suis impressionné, je ne pensais pas que des vols de cette distance soient possibles en montagnes. Je m’inscris pour ma première compétition à Chelan, dans l’état de Washington, où je prends une telle fessée que cela amène ma frustration à son maximum... Mais ma dépendance est en pleine floraison maintenant. Quelques semaines plus tard, le record nord-américain est à nouveau battu de Sun Valley. Nate Scales vole un remarquable 319 km (199 miles), s’enfonçant loin dans le Montana. Une semaine plus tard, le monde du para-
pente est collectivement étonné quand Nick Greece réalise 328 km (204 miles) en partant de Jackson Hole via le désert de Red Rocks, une région incroyablement isolée du Wyoming. Et la ligne ainsi que le centre d’intérêt de tout le monde sont déplacés à nouveau ! Inspiration
Pour moi, ces trois records font partie de mes moments de sport les plus inspirants. Pourtant, j’avais goûté à tous les éléments, comme surfer la grande vague, tenter le ski extrême et même tâté du base-jump. Mais la distance parapente demande des heures et des heures de concentration et d’habileté alors que beaucoup d’autres sports ne durent que quelques secondes ! Je commence à me demander ce qui me serait nécessaire pour aller si loin et je pense à Laird Hamilton, qui a passé des années et des années à s’entraîner, à regarder l’océan et à tirer des chariots de journaux sur la plage avant de tenter d’affronter Jaws les plus énormes jours (ndlr : Laird Hamilton est le surfeur mythique des vagues extrêmes et Jaws - les dents - est la vague la plus ultime qui soit). Je vois le dévouement qu’ont décidé de demander les dieux des autres sports extrêmes. Ma maison
Je reçois une wildcard-joker pour participer à une PWC en août à Sun Valley et après un appel téléphonique désespéré chez Niviuk, ils m’envoient une Icepeak 6. Je n’ai jamais volé une EN D et encore moins une aile de compétition. Quelques jours avant la manifestation, je fais mon premier vol à Sun Valley, et le premier en Icepeak 6. Nate Scales, qui est un des trois seuls pilotes de cross réguliers de la région est mon seul compagnon ce jour-là et nous montons bien au-dessus de ce qui est Toujours magnifiquement photographié par Jody Mc Donald, Gavin en funambule entre ombre et lumière.
Gavin tout petit à gauche de l’arête... Les espaces de l’Idaho et du Montana sont infinis.
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mai-juin 2014
normalement légalement autorisé (2)... Mon ballast gèle et pour la première fois, je tète un réservoir à oxygène d’appoint. Nous réalisons un triangle de 102 km FAI et j’atterris dans un état de béatitude qui ne s’évaporera pas pendant plusieurs jours. C’est décidé, Sun Valley sera désormais ma maison. Pendant la compétition, je vole juste assez bien pour me qualifier pour la Superfinale suivante en Colombie où je me fais « corriger » à nouveau. Le dur apprentissage continue mais il est comme une courbe en cloche qui monterait de plus en plus droit. Verticalement... Et plus j’en ai, plus j’en veux ! Toujours et toujours plus. Et m... ! Euh pardon... Zut. La compétition et surtout la coupe du Monde deviennent donc le deuxième terrain où je deviens une éponge. Le jeu des stratégies et des compétences va plus vite que mon cerveau ne peut traiter tout ce qui se passe mais il est de plus en plus friand de ce nouveau médicament. Et dans notre petite vallée où, dans les bons jours, il y a deux pilotes au déco, il y en a maintenant 130 d’un seul coup et ce sont les meilleurs du monde. Allez les gars, montrez-moi le chemin !
mémorables entre les averses. Mon partenaire de vol, Bruce Marks, enregistre près de 500 heures à la fin de juillet. J’ai aussi battu mon record personnel à Fiesch, en Suisse : un triangle FAI de 202 km qui m’a demandé 10 heures et 14 minutes pour le réaliser... Un nouveau monde commence à s’ouvrir, comme une huître cuite lentement, révélant des trésors que je n’avais même pas imaginés. Mais je garde mes yeux rivés sur Sun Valley. L’Europe n’est que le terrain d’entraînement pour ce qui me semble être plus radical... Nous n’avons pas de trains ou de bus, très peu de routes, et encore moins de personnes voyageant dessus ! Les conditions sont fortes et les montagnes énormes.
À moi les grands espaces ! Entre Idaho et Montana, Gavin Mc Clurg photographie la route. Devant, les Beaverheads.
« Grounded » (posé), l’aventure continue... Les nuages nous disent pourtant que ça doit monter très fort...
Révélation
mai-juin 2014
Photo Matt Beechinor
Suit un autre printemps en Europe. Je réalise que la chasse à la distance est encore plus difficile que je ne l’aurais imaginé pour toute personne raisonnable. Et je ne suis pas arrogant. De plus, ce printemps était comme Armageddon dans les Alpes et la seule façon de se mettre en l’air était de se déplacer sans cesse. Cela aurait pu être mieux mais nous parvenons à arracher quelques vols Parapente+ 61
Confessions d’un XC Junkie
Photo Nate Scales
Photo Andy Mc Rae
aventure
Les pilotes volent souvent avec de l’oxygène. Les plafonds à plus de 6000 mètres ne sont pas rares.
Gavin Mc Clurg anime aussi OffshoreOdysseys, kite-boarding et yachting. Ambiance, ambiance... à gauche les Pioneers. Et à droite, la voie toujours non tracée vers Jackson Hole, Wyoming.
Nous arrivons à la maison à 3 h 30 bien usés. Les 8 heures passées en voiture sur les routes sombres où s’attardent les grands animaux exigent un maximum de vigilance. Je m’effondre sur le lit d’un ami pendant quelques heures et je suis littéralement conduit à la maison pour plus de sommeil quand à 10 heures du matin, je reçois un appel de Matt Beechinor qui est au déco. Cela semble encore meilleur que la veille, dit-il. Ce n’est pas le moment de dormir ! Je cours au magasin pour acheter de la nourriture, mon ami me prête une bouteille d’oxygène et je me dirige vers le haut de la colline. Mon décollage tardif sera chanceux, mais mouvementé et il va préfigurer ce qui marquera ce jour-là... Les conditions sont beaucoup plus fortes que tout ce que j’ai connu avant. Quand je suis en haut, tout est glorieux mais en bas, c’est terrifiant... Les surdéveloppements me poursuivent toute la journée le long de la Divide et je vole en moyenne à 52 km/h. Je pose à 18 h 20 au bord du canyon Lake Ferry, près de la ville de Helena dans le Montana, où j’avais encore en théorie près de deux heures de vol. Quelques minutes avant, j’étais à 18 000 pieds et j’ai pensé que je pourrais aller chercher les 500 km ! Mais les surdéveloppements m’ont finalement rattrapé et je n’avais nulle part où aller. Trop de vent pour aller vers le nord, de fortes pluies dans le sud et un lac géant devant... Mon Flytec dit que j’ai fait 387 km. J’ai battu le record américain de 59 km (36 miles). Matt m’a poursuivi toute la journée à 100 mph et ne m’a jamais rattrapé. Quand c’est fait, nous partageons le long, très long chemin de retour à parler de notre passion commune. De notre dépendance partagée. Et nous avons tous deux décidé de ne pas nous faire soigner. l
Photo Andy Mc Rae
Photo David Ohlidal
Le 9 juillet, avec Nate Scales, nous nous lançons hors de Bald Mountain et Sun Valley vers l’Est. Le vol était magnifique et alors que la journée tirait à sa fin, nous nous sommes retrouvés en cruising sur la Continental Divide, la chaîne de montagnes nord-sud qui commence à la pointe sud de l’Amérique du Sud et se termine au bout de l’Alaska. J’ai volé 256 kilomètres ce jour-là (159 miles), soit 50 km de plus que mon précédent record. J’ai terminé près du parc national du Yellowstone dans une terre si déserte de présence humaine que j’aurais probablement marché deux jours si un ami n’avait pas passé une journée à nous chercher. Cinq jours plus tard, le 14 juillet, le temps semble bon et, avec Nate, nous nous dirigeons à nouveau vers l’Est mais cette fois sur un parcours plus au Nord dans le Montana, en surfant les chaînes qui montent abruptement du désert... Les Big Lost, les Lemhis’s, les Pioneers, les Beaverheads, les Divide... Chaque glide demande 20 miles au moins, les distances et les paysages sont incroyablement grands. Nous atteignons souvent des altitudes de 18 000 pieds et même avec de l’oxygène supplémentaire, je réalise ma première grosse faute en vol suite à une hypoxie. Vers la fin de la journée, je tente en direction de Bozeman et je me demande si je peux battre le record américain. Mais la fin se termine à lutter contre un vent de face et je me pose sur les rives de la Madison river, après 311 km, à quelques miles du record. Loin d’être découragé, je suis en extase... J’ai battu mon record personnel de 55 km, j’ai fait des erreurs, et atterri tôt... Tout ce dont j’ai besoin, c’est le bon jour.
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(1) Gavin utilise en fait les termes suivants : « L’appel du « high » - expression de junkie - est si puissant que je sais que je ne pourrai jamais l’atteindre. Et la « redescente » - toujours un terme de junkie - est chaque fois plus difficile à gérer ». Bon, tout ça, c’est le quotidien et les motivations de beaucoup de parapentistes... Donc à méditer ! Allez, petite enquête PP+ : qu’est-ce que c’est pour vous que être « high » en parapente ? Les meilleures réponses seront publiées. (2) La hauteur limite légale de vol aux US est à 5 300 m -16 000 pieds (3 450 m ou 11 500 pieds en France).
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n Sun Valley pratique Situé à l’extrémité sud de la chaîne des Smoky Mountains, Bald Mountain est niché sur le bord du désert sud de l’Idaho et du complexe montagneux au centre de l’Idaho. Du décollage, vous pouvez voir quatre chaînes de montagnes séparées. Les Smokys (« Fumeuses »), les Pioneers, les Boulders (« Rochers ») et les Sawtooths (« Dents de Scie »). Une fois en l’air, d’autres deviennent visibles. Au nord, les White Clouds (« Nuages Blancs ») et les White Knobs (« Boutons Blancs »). À l’Est, les Big Lost où se trouve le célèbre site de King Mountain et plus loin, les Lemhi’s, Bitterroots, et le parc national de Yellowstone... Nous essayons toujours de trouver le chemin vers Jackson Hole, Wyoming, à 180 miles. Le terrain est sans limites et de nombreuses aventures épiques vous attendent à Sun Valley ! La plupart des locaux vous diront que nous avons à peine exploité le potentiel de notre région... Voulez-vous venir nous aider à essayer ? En plus de vols fantastiques, la région est réputée pour d’impressionnantes possibilités de mountainbike, randonnée, pêche, rafting, patin à glace (à la station), faire du shopping, manger... Et plus ! Pour beaucoup, l’été est la meilleure période pour ses innombrables activités et la météo parfaite, chaude le jour et fraîche la nuit. Un super endroit pour amener de la famille et des amis, il y a beaucoup à faire pour tous les âges et capacités.
Comment y aller Vol avion jusqu’à Boise puis conduire 2 heures et demie (un aller simple en voiture de location est recommandé). Ou vol jusqu’à Hailey qui est à 12 miles seulement de la ville proche de Ketchum. Le déco est perché 3 000 pieds au-dessus de la vallée, au sommet de la station de ski (Bald Mountain). Accessible par véhicule 4 x 4 (10 $ participation trajet) ou en télécabine (15 $).
Meilleur moment Plusieurs records de distance des deux dernières saisons ont été faits de Bald Mountain, tous fin juin ou juillet. Mais les pilotes locaux disent que les vols les plus cohérents sont toujours faits en août et début septembre. Les conditions de Sun Valley restent aussi fortes que possible mais être sous les jet-streams est souvent un bon facteur pour avoir des conditions un peu plus réglées. Le printemps peut être fantastique mais très peu fiable. L’automne est beau avec du vol cohérent, mais les journées plus courtes rendent la grande distance difficile.
Photos Chuck Smith
Sun Valley et Bald Mountain, ou Mount Baldy. La navette arrive au décollage de Bald Mountain. Biplace touristique depuis la station de Sun Valley. En bas, à gauche : ambiance pionniers après un vol de Sun Valley, au pied des reliefs de l’Idaho.
Contact Gavin Mc Clurg : mail@offshoreodysseys.com
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