Quand jouir fait souffrir

Page 1



Quand jouir fait souffrir La question de l’addiction sexuelle dans une société de consommation contemporaine.

Gentien Arnault DSAA Créateur — Concepteur mention Graphisme ENSAAMA Olivier de Serres Session 2014 — 2015



Sommaire

Préambule

7

Introduction

11

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

21

Le désir, un nouvel objet de consommation Le désir comme exutoire Le désir manipulé La libido marketisée Le désir sexuel, argument de vente historique Une industrie progressivement addictive Qui a changé de forme, mais pas de fond Le plus bel objet de consommation : le corps L’addiction : maladie culturelle Jouis et tais-toi

23 23 26 31 31 34 37 37 40 43

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

49

Plaisir et addiction, un automatisme ? L’addiction chimique L’addiction sociétale L’addiction psychologique Quand la jouissance implique-t-elle la souffrance ? Le plaisir sexuel compulsif Une quête sans fin et sans conséquences ? Réification

51 51 57 61 63 63 67 71

III. Jouissez sans entraves, mais sans excès

77

Par la prévention Par l’accompagnement Par la manifestation Prendre ses précautions

79 81 85 89

Conclusion

95

Sources

103

Remerciements

115

Iconographie

119


Terry Richardson, Open Now, American Apparel, 2012


« L’addiction sexuelle, c’est un sujet qui te touche personnellement ? »


a Marion Degeorges, Les chiffres du porno : le plus gros secret d’internet, [en ligne], 2013, www.slate.fr


Cette question, je l’ai entendue des dizaines de fois, comme si me pencher sur cette addiction si particulière ne pouvait être que parce que je la connais mieux que les autres à travers une expérience qui me serait propre. Je pense qu’il est plus que nécessaire de s’y intéresser, et pas seulement comme phénomène rare et curieux, mais bien au contraire comme un risque auquel chacun s’expose dans une société où capitalisme et plaisirs vont si bien ensemble. L’activité sexuelle (à plusieurs ou non), l’image pornographique, la stimulation sexuelle sont des sources de plaisir et d’excitation qui se sont démocratisées. Le plaisir sexuel qui était tabou est devenu un droit, l’image pornographique se substitue dans des cas de plus en plus nombreux à l’éducation sexuelle et devient si facile d’accès qu’elle représente 12 % de l’ensemble des sites internet 1. Lors de la mise à disposition d’un produit, il y a toujours une place pour l’abus : l’alcool, le tabac, les jeux vidéos, le chocolat, la morphine sont des produits autorisés qui peuvent malgré tout conduire à des usages abusifs entraînant une souffrance. La construction d’un individu se fait en évitant ces pratiques addictives, mais je pense que l’addiction sexuelle est une conduite que l’on sous-estime alors qu’elle constitue une des addictions majeures de notre époque, comme la cocaïne a pu l’être dans les années 90. D’où ma motivation de sensibiliser et d’informer en tant que designer graphique quant à cette addiction nouvelle, invisible et autonome. Aujourd’hui, j’ai envie d’attirer l’attention sur cette addiction, mais également sur les raisons de son apparition. Les campagnes de lutte contre les différentes addictions orchestrées par l’État fleurissent chaque année (phénomène que l’on pourrait comparer au green-washing de certaines entreprises) alors que ces addictions sont provoquées par cette même société. Je n’ai pas envie de m’inscrire dans une campagne de type I.N.P.E.S (Institut National Pour l’Éducation et la Santé) qui participe à cette opération de rachat d’image. J’ai envie de dénoncer les mécanismes qui induisent l’addiction : la recherche du profit, la jouissance à tout prix, la marchandisation de l’homme et des rapports humains. Sensibiliser quant à l’addiction sexuelle me permettra de montrer le lien si fort qui unit parfois addiction et société de consommation dans un État-providence.


Dior, Be Iconic, Dior addict, Dior, Printemps — Été 2012


Introduction


12 Introduction

a Florence Sandis et Jean-Benoît Dumonteix, Les Sex-Addicts : Quand le sexe devient une drogue dure, Pocket, 2013 b D’après C.M.S. Sandras, De la nymphomanie et du satyriasis, Traité pratique des maladies nerveuses, Germer-Baillère, Paris, 1851


13

« En France, on parle de dépendance sexuelle depuis peu de temps. Sans doute l’addiction sexuelle a-t-elle toujours existé. Néanmoins nos sociétés contemporaines, avides de performances, ont accéléré la tendance » constatent Jean-Benoît Dumonteix et Florence Sandis a. Don Juan, Sade ou encore Casanova sont de ces personnages reconnus pour leur hypersexualité parfois maladive. Ce sont ces mêmes personnages qui servent encore aujourd’hui de mythes auxquels se comparent non sans fierté ceux qui veulent se vanter d’un appétit sexuel décuplé et d’une liberté de mœurs très en vogue. Au-delà de ces figures romanesques, certains écrits font état très tôt de cas de sexualité compulsive différenciés par le genre (nymphomanie d’une part et satyriasis de l’autre). Le terme de nymphomanie impliquait une forme de moralisation : un appétit sexuel surdimensionné ne pouvait être socialement accepté à l’époque, c’était donc forcément le symptôme d’une maladie. Comment discréditer cette conduite « déviante » ? C’est alors qu’on associa ces troubles à une maladie, tout comme l’église les associa quelques siècles plus tôt à un péché mortel. Dans la définition de ces termes, le ou la patient(e) est atteint(e) d’un appétit sexuel démesuré, impossible à combler, auquel s’ajoute une séparation absolue de l’affect et du désir b. C’est d’ailleurs globalement tout ce que l’opinion publique retient de l’addiction sexuelle : une irrépressible envie de « baiser ». Dans cette vision très étriquée, l’addiction sexuelle est limitée à une quête de plaisir sans fin, mais la notion d’addiction est complètement mise de côté. Aujourd’hui, on se définit avec complaisance comme design-addict ou Dior-addict au point même que le marketing se saisit de ce terme. Mais qu’est-ce qu’une addiction ? Le sexe peut-il intégrer cette dimension addictive ? L’addiction ne s’évalue pas seulement selon des critères objectifs, car avant tout, c’est une pathologie subjective. Même s’il existe plusieurs théories quant aux raisons de l’addiction (l’hypersensibilité dopaminergique, l’automédication d’une blessure narcissique,


14 Introduction

a Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak, Le Désir Malade, JC Lattès, Paris, 2011 b Jean-Laurent Cassely, Sex@mour, une sociologie du plan cul, [en ligne], 2010, www.slate.fr


15

le besoin de stimulation grandissant), la caractéristique uniformément reconnue et parfaitement décrite par le docteur Fouquet est : « la perte de la liberté de s’abstenir a ». Ainsi, pour Marc Valleur, psychiatre à l’hôpital Marmottan, l’addiction apparaît quand il y a consommation compulsive confrontée au désir impuissant d’arrêter cette consommation. Autrement dit, un alcoolique ne peut être considéré en situation d’addiction que s’il consomme ce produit tout en ayant la volonté d’arrêter, mais n’y arrive pas. C’est à ce moment-là que la formule « C’est plus fort que moi » prend tout son sens. L’exemple pris par Marc Valleur est celui de l’alcoolique, mais l’addiction est-elle également envisageable en ce qui concerne un comportement qui n’engage pas de substance ? Comment rendre compte de l’addiction sexuelle en tant que symptôme de la jouissance obligatoire dans notre société contemporaine ? Confusion entre sexe et pornographie, désiromanie ambiante, recherche de la performance : et si notre rapport au sexe était tout simplement en train de changer ? La modification des comportements sexuels que décrit Jean Claude Koffmann dans Sex@mour b ne peut-elle pas entraîner une souffrance de la part des addicts, mais également de leur entourage proche ? Comment, en tant que designer graphique, puis-je tout d’abord alerter et informer quant à cette addiction, de quelle manière et pour qui ? Cette addiction à un domaine si particulier qu’est la sexualité ne soulève-t-elle pas d’autres questions que la lutte contre la souffrance ? Ne pouvons-nous pas déceler un encouragement à dépendre du plaisir dans la mesure où la jouissance permanente est l’adage d’une société de consommation moderne ? Nous étudierons l’ensemble de ces questions en première partie. À partir de quand Monsieur X est-il considéré comme sex-addict et n’est-il pas le meilleur expert quant à sa propre addiction ? Cette question fera l’objet de notre deuxième partie. Et enfin, si la quête du plaisir est le nouvel objectif de notre société, comment sensibiliser quant aux risques d’addiction sexuelle induits par des comportements excessifs ? Nous nous questionnerons sur ce sujet en fin de mémoire.


Joos Van Craesbeeck, La Tentation de SaintAntoine, 1650



Henri Cartier-Bresson, Boulevard de Vaugirard, Mai 68, 1968




I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?


22

Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?


23

Le désir, un nouvel objet de consommation

Le désir s’achète chez Sephora pour 60 €.

1

2

3

Le désir est une aspiration profonde de l’homme vers un objet qui répond à une attente. Cette définition du dictionnaire du Trésor de la Langue Française met bien l’accent sur le fait que le désir est un état de tension entre deux états. Situation similaire au pendule de la vie que Schopenhauer voit osciller entre souffrance et ennui. Le mouvement de ce pendule est dû au désir, c’est lui qui anime cette tension permanente entre objet de désir et possession de celui-ci. Puis revient le sentiment d’ennui avant de trouver un autre objet de désir qui sera à son tour possédé, etc. Selon ce même dictionnaire, le besoin exprime une situation de manque ou la prise de conscience d’un manque. Un être humain a des besoins qui engagent sa survie : si un besoin est ignoré, l’être humain ressent un manque (faim, soif, fatigue) qui peut mener à la mort. Si l’on répond convenablement à ceux-ci, la survie est alors possible. On nous apprend jeune à faire la différence entre besoins et désirs de cette manière : ne pas assouvir un désir n’est pas mortel, ne pas assouvir un besoin l’est. Cette frontière assez hermétique est pourtant discutable. En se concentrant sur la vision épicurienne, il apparaît différentes sortes de désirs : les désirs naturels et les désirs vains. Parmi les premiers, il faut différencier ceux qui sont nécessaires au bonheur, ceux qui le sont pour le bien-être du corps et ceux qui sont vitaux. Ce jugement du désir n’est permis que par la juste conception de leurs effets, mais Épicure nous apprend qu’il faut parfois renoncer à des plaisirs si nous savons qu’ils seront suivis par des douleurs plus grandes et, inversement, qu’il faut parfois accepter la douleur si elle mène à un plaisir qui la surpasse. En appelant à la tempérance du désir, Épicure nous rappelle que la convoitise du non nécessaire peut être mortelle. Et qu’il faut ainsi faire le tri de ses désirs afin d’atteindre le bonheur. A contrario pour Spinoza, le désir est l’essence même de l’Homme. C’est parce que les choses sont désirées qu’elles existent et qu’elles peuvent être jugées bonnes. Le désir fait donc partie de l’Homme et permettrait le bien-être, un plaisir éphémère ou une frustration. Est-il possible d’imaginer alors de refouler le désir et de ne se fier qu’aux besoins du corps et aux besoins vitaux sans créer de frustration ? Le désir comme exutoire ? L’enfouissement et le refoulement des désirs conscients ont été des éléments mis en cause dans les cas d’hystérie 3 selon Charcot et Freud. Or le désir est justement le mouvement qui entraîne l’Homme, qui le fait se mouvoir, poussé par la recherche du bonheur. Le plaisir était suspecté, dès la Grèce Antique, s’il n’était pas modéré par la raison, d’entraîner l’Homme dans une spirale de désir passionnelle et dévorante. L’exemple d’Ulysse 4 qui se fait attacher au mât de son


24

Les marins sont les premiers addicts sexuels de l’histoire, perdant la tête en écoutant le chant des sirènes, ils finissent dévorés par ces créatures.

4

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

navire par ses marins afin de pouvoir apprécier le chant des sirènes sans céder à la tentation grâce à cette entrave physique témoigne du besoin de modération des désirs par la raison. La libre expression des désirs ne pourrait permettre la cohabitation pacifique des êtres humains sur terre, l’Homme retournerait à l’état animal, animé par ses pulsions sans que la raison ne vienne interférer avec celles-ci. Pour ordonner la force de ses désirs, la sentence stoïcienne nous donne une piste « Limite-toi aux désirs que tu peux satisfaire ». La raison doit donc être un élément régulateur de ses désirs conscients, ce que Freud désigna plus tard en tant que libido. Les besoins sont quant à eux impossibles à contenir ni même à refouler. À un tel point que la notion de besoin a initialement englobé le vital, au lieu de concerner également l’historique. Au besoin naturel de dormir et de manger (entre autres) se sont ajoutés les besoins « historiques » qui sont par exemple la limitation de la durée du travail, l’apparition des congés payés, etc. Les sociétés ayant entraîné des modifications des conditions de vie, de nouvelles demandes sont apparues et par conséquent de nouveaux abus. Les besoins vitaux ont la fonction de préserver de la mort en étant considérés comme tels. Le besoin historique a la fonction de limiter les abus des sociétés nouvelles sur le citoyen. Il est donc sensé qu’un État-providence cherche à répondre aux besoins naturels de chacun tout comme aux besoins historiques qui apparaissent, à tel point qu’ils sont inscrits dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 :

Article 24 : Toute personne a droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques.

Article 25 : Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté.

Tous les droits inscrits dans ces deux articles correspondent aux besoins physiologiques ainsi qu’aux besoins de sécurité que Maslow fait figurer comme les deux premières bases de sa pyramide. Tous sauf la sexualité. La sexualité est donc considérée comme un besoin physiologique dans la pyramide des besoins qu’établit Maslow, comme un besoin non nécessaire selon Platon, mais aucunement comme un droit.


Le désir, un nouvel objet de consommation 25

Abraham Maslow, La hiérarchie des besoins, in A Theory of Human Motivation, Psychological Review, 1943, p. 370-396


26

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

L’acte sexuel se transforme en un ensemble de néons, le sex-shop deviendra le lieu d’accouplement entre consommation et plaisir.

Tout le débat de l’assistance sexuelle aux personnes handicapées résume assez bien la question du droit au plaisir pour tous. La séparation du désir et du besoin est donc quelque chose d’assez flou. C’est justement cette limite que Jean Zurfluh, dans Pour une psychanalyse de la publicité explique : les désirs naissent de l’interaction des besoins avec leur conditionnement culturel a. Nous avons vu que l’activité sexuelle était partagée entre désir et besoin. Le risque de cette manœuvre de « désirification » publicitaire massive dont le but est de créer de nouveaux besoins, ne risque-t-elle pas de faire passer l’activité sexuelle du côté du besoin ? Le designer de message ne se retrouve-t-il pas ainsi à participer à la construction d’une société où des besoins de plus en plus nombreux seraient montrés comme rigides et dont la satisfaction serait obligatoire et impossible à différer ? L’addiction sexuelle est-elle ainsi une conséquence de cette prolifération des besoins ?

5

Consommer devient hyperbolique : on en a jamais trop ni jamais assez.

6

7

a Jean Zurfluh, Pour une psychanalyse de la publicité, Les Cahiers de la publicité, Volume 15, 1965 p. 78 b Tiré du documentaire Après la gauche : les entretiens, Entretiens avec Bernard Stiegler, Jérémy Forni, La compagnie des phares et balises, 2013 c Ibid. d Dominique Méda, Qu’est-ce que la richesse ?, Champs Flammarion, Paris, 2000

Le désir manipulé ? Cette définition du désir est intéressante à prendre en compte et à mettre en commun avec cet extrait d’une interview de Bernard Stiegler sur la télécratie : « Votre nouveau capitalisme, il ne marchera que si vous êtes capable de faire consommer tous les produits que vous allez produire, dont les gens ne veulent pas. Et donc pour pouvoir leur faire consommer ce dont ils ne veulent pas, il va falloir les faire fantasmer, il va falloir s’adresser à leur inconscient, il va falloir capter leur énergie libidinale, il va falloir détourner leur libido des objets spontanés de cette libido qui sont les enfants, les parents, les proches, Dieu enfin tout ce que vous voulez… Toutes les formes très nombreuses et très complexes de ce que c’est que la libido, en particulier le savoir, l’art, la culture, le sport, etc. Il va falloir détourner tout ça vers les marchandises. Il va falloir que les marchandises deviennent les points de fixation du fantasme b ». C’est ainsi que Bernard Stiegler rapporte la grande invention du capitalisme consumériste : le marketing inauguré par Bernays et Ford juste avant la mise en service de la célèbre marque d’automobiles. Pour Stiegler, il y a deux capitalismes : le capitalisme productiviste (celui du XIXe siècle), et le capitalisme consumériste (celui du XXe siècle c). Le marketing a donc créé la publicité qui elle même crée du besoin sur le terrain du désir d. Par ce mécanisme de déplacement de la libido, la limite entre besoins physiologiques et psychologiques s’est considérablement réduite. Les besoins physiologiques (ceux dont la survie dépend) se sont retrouvés au même niveau que les besoins psychologiques (les désirs). Il est devenu aussi vital d’avoir un sac à main ou une belle voiture qu’un toit sous lequel vivre ou de quoi manger. Si le surendettement a un tel « succès », c’est qu’il est présenté comme une manière de dépasser les difficultés que le pouvoir d’achat de chacun peut rencontrer (selon Le Figaro, en 2013, 223 012 dossiers de surendettement ont été déposés à la Banque de France contre 165 000 en 2003. Neuf dossiers sur dix comprennent


Le désir, un nouvel objet de consommation 27

« Votre nouveau capitalisme il ne marchera que si vous êtes capable de faire consommer tous les produits que vous allez produire, dont les gens ne veulent pas. Et donc pour pouvoir leur faire consommer ce dont ils ne veulent pas, il va falloir les faire fantasmer, il va falloir s’adresser à leur inconscient, il va falloir capter leur énergie libidinale, il va falloir détourner leur libido des objets spontanés de cette libido qui sont les enfants, les parents, les proches, Dieu tout ce que vous voulez… Toutes les formes très nombreuses et très complexes de ce que c’est que la libido, en particulier toute la sublimation par exemple le savoir, l’art, la culture, le sport, etc. Il va falloir détourner tout ça vers les marchandises. Il va falloir faire que les marchandises deviennent les points de fixation du fantasme b. »

Terry Richardson, Sisley, Juillet 2006


28

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

À chaque époque, sa technologie et ses produits.

au moins un crédit à la consommation, pour un montant moyen de 23 927 euros a). Le crédit à la consommation permet de dépasser ses limites financières, le surendettement est une accumulation de crédit nourri par l’espoir de pouvoir transgresser celles-ci. L’addiction n’est-elle pas une conséquence induite par l’exigence de dépasser ses propres limites ?

8

9

10

a Martie Bartnik, De plus en plus de ménages surendettés, [en ligne], 2014, www.lefigaro.fr b Michela Marzano, Malaise dans la sexualité, le piège de la pornographie, JC Lattès, Paris, 2006 c Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès, la nouvelle culture du capitalisme, La Découverte Poche Essais, Paris, 2005 d Shimi Cohen, The Innovation of Loneliness, 2012 d’après Dr Yair Amichai-Hamburgers, The Invention of Being Lonely, 2012

Il est devenu presque obligatoire aujourd’hui d’être accompli sexuellement, d’être ouvert aux différentes pratiques sexuelles, de regarder du porno et parfois même d’avoir l’illusion d’en faire b. La croissance formidable rencontrée par le capitalisme productiviste a été permise par la création d’un volume de richesse extrêmement important. Aussi pour maintenir cette volonté de croissance, le volume de consommation doit-il être aussi important, voire même plus. En créant la tyrannie de la nécessité, la publicité offre une infinie possibilité de création de besoins, auxquels les consommateurs vont impérativement et même vitalement devoir répondre. Or aujourd’hui, dans une société où la baisse de croissance est considérée comme l’origine de tous les maux, n’est-il pas possible d’envisager comme remède l’intensification de la création de nouveaux besoins afin de remettre la machine « croissance » en route ? En créant de nouveaux besoins, le capitalisme ne doit-il pas proposer de nouveaux objets et peu à peu faire de l’Homme un objet de consommation ? Pour reprendre la vision en deux temps de Stiegler sur le capitalisme, y aura-t-il un capitalisme déshumanisant succédant au capitalisme consumériste ? Mon rôle de designer graphique est-il de composer avec ce capitalisme addictogène, de le contourner ou bien d’essayer de le démonter ? Pour créer de la croissance, il faut créer des marchandises. Seulement, le capitalisme épuise le champ des marchandises : chaque objet est déjà marchandisé et éphémère. C’est la théorie que défend Jeremy Rifkin : alors que l’économie industrielle se caractérisait par l’accumulation de capital matériel, la nouvelle économie se fonde davantage sur des formes de pouvoir immatériel, des faisceaux d’informations et de connaissances. En témoignent la réduction des espaces de bureau, la disparition des stocks, la politique des flux tendus, le déclin de l’épargne et l’essor de l’endettement personnel c. La marchandisation se concentre désormais sur les relations, sur l’immatériel, sur l’expérience de chacun. Vu que la société moderne répond déjà à nos besoins primaires, il devient nécessaire de créer de nouveaux besoins. La Croissance est permise grâce à l’apparition exponentielle de désirs nécessaires, qui se font le miroir de l’époque. Demain, ce seront les relations humaines qui deviendront des besoins, dans une société de plus en plus connectée où ses membres se sentent de plus en plus seuls d. Meetic, Attractive World, Glee Eden, Adopte-un-Mec sont déjà des vendeurs de rencontres. Selon Jean Baudrillard le désir de consommer est


Le désir, un nouvel objet de consommation 29 Ce qui était une fiction est devenu une application, chaque être socialement connecté sur les réseaux sociaux a une valeur.

11

12

e Jean Baudrillard, La société de consommation, Folio Essais, Paris, 1986 f Tiré du documentaire Love Me Tinder, France Ortelli et Thomas Bornot, 2014 g Kathleen Kingsbury, The Value of Human Life : $129,000, [en ligne], http://content.time.com

inépuisable, car il est lié à des signes, plus qu’à des choses. Avoir la chose ne suffit pas e. Ce qui importe dans le désir de consommer, ce n’est pas l’objet lui-même, mais ce qu’il est supposé représenter, c’est la dynamique qu’il induit. Aujourd’hui, c’est la relation entre différents êtres humains qui se retrouve considérée comme marchandise. C’est de cette manière que conclut le documentaire Love Me Tinder (sur l’application de rencontre du même nom) : « Vu qu’on devient nous-mêmes des produits, on subit les mêmes lois que les objets qu’on achète. Tout se remplace hyper vite, même nos histoires d’amour f » . L’Homme est transformé en objet à jouir, mais également en objet pour jouir 8. En voulant étendre le domaine de la marchandise, le capitalisme l’a fait déborder sur le domaine du sensible et de l’Humain. Le glissement de l’attention libidinale du marchand au pornographique a rendu la jouissance consommable. Et pour l’atteindre, chacun a dû devenir devenu un signe, un objet, avec une valeur et une date de péremption g. Les relations que chacun entretient peuvent-elles contribuer à faire fructifier ou non cette valeur 12 ? Si chaque expérience, relation agit comme un effet multiplicateur de la valeur, serait-il possible de donner le besoin d’aimer, de jouir ou de faire l’amour afin d’enrichir chaque être capitalisé ? La multiplication des relations sexuelles aurait ainsi un effet levier sur la valeur des échanges et des pratiques entre les individus ? Un addict sexuel serait-il donc un individu en souffrance, mais rentable ? L’addict (sexuel ou autre) serait-il un élément indispensable dans l’équilibre d’une société de consommation moderne ?


30

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?


31

La libido marketisée

À quel moment parle-t-on de pornographie ?

13

a Tiré de l’émission radiophonique, Concordance des temps, France Culture, 19 janvier 2013 b Balthazar Bekker, Onania or the Heinous Sin of Self-Pollution, and All Its Frightfull Consequences in Both Sexes, Londres, 1716 c Samuel-Auguste Tissot, Avis au peuple sur sa santé, P.F. Didot le jeune, Paris, 1761 d Marie Bonaparte, Letters to Wilhelm Fliess, drafts and notes : 1887-1902, Basic Books, New York, 1954 e Ruwen Ogien, Penser la Pornographie, PUF, Paris, 2008, p. 23 f Donald Van de Veer, “Pornography”, in Encyclopedia of Ethics, Lawrence C. Becker et Charlotte B. Becker, Garland Publishing Inc., New York, 1992 g John Cleland, Fanny Hill, Memoirs of a Woman of Pleasure, Londres, publié de Novembre 1748 à Février 1749

Le désir sexuel, argument de vente historique Le récent succès médiatique de cette addiction montre bien qu’il y a une fascination pour celle-ci. Depuis toujours, le sexe fait écho au divin, tout comme l’alcool et les drogues hallucinogènes. Dans notre société occidentale influencée par le catholicisme, le sexe est teinté de la couleur de la luxure, troisième péché capital après la l’orgueil et l’avarice, alors que celle-ci était célébrée durant l’Antiquité a. La médecine affubla ensuite la masturbation des pires maux imaginables dans des ouvrages comme Onania b publié en 1715, ou encore Avis au peuple sur sa santé c du docteur Tissot. Alors qu’aujourd’hui, le nouveau slogan hédoniste est de jouir tout le temps, avec tout le monde, n’importe où et sans entraves. Les marques en sont d’ailleurs les premiers ambassadeurs : « Ouvre un Coca-Cola, ouvre du bonheur ! » (Coca-Cola), « Chaque jour, du bonheur à tartiner » (Nutella), « Un café nommé désir » (Carte Noire), « Le plaisir de conduire » (BMW), « Et vos envies prennent vie » (Leroy Merlin), « Hurlez de plaisir » (Zalando). Ces slogans dirigent tous le consommateur vers un nouvel idéal : l’élimination de la frustration, le désir et le plaisir deviennent accessibles facilement et immédiatement. Freud considérait la masturbation comme l’addiction originelle que les autres addictions essayaient de combler difficilement d. Avec cette migration progressive du désir vers le désir sexuel puis vers le besoin sexuel on peut penser que les publicitaires ont bien lu Freud en exploitant cette addiction originelle comme argument principal de vente… Ruwen Ogien en se demandant pourquoi il est si difficile de définir la pornographie, cite dès le début de sa réflexion le juge Potter Stewart : « Je ne sais pas définir la pornographie, mais je sais la reconnaître e». La réflexion de Ruwen Ogien s’appuie sur la définition de Van de Veer qui établit qu’« une représentation sexuelle explicite est pornographique 13, s’il est raisonnable de supposer qu’elle est de nature à stimuler sexuellement le consommateur f ». Or, peut-on considérer les publicités où figurent des chaussures de femme comme pornographiques, car il existe des personnes pour qui les chaussures de femmes sont excitantes ? (L’objet chaussures de femme peut ici être remplacé par n’importe quel objet, la fétichisation comme pratique sexuelle n’est pas réservée aux talons aiguilles). La pornographie est, historiquement, une histoire de classe sociale, si l’on prend l’exemple de Fanny Hill, paru en 1748, qui ne fut interdit par le gouvernement britannique que cent ans plus tard g. On peut certes y voir un changement des mœurs suivant l’époque, mais surtout une audience bien différente. À son édition, seulement les cercles les plus cultivés avaient accès à la pornographie. Les livres étaient


32

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

Hurlez de plaisir ! Zalando

Jeff Koons, Ilona's Asshole, 1991


La libido marketisée 33

Le corps morcelé : Sade l’a raconté, Bellmer l’a sculpté, Pasolini l’a filmé, Ford l’a appliqué.

14

15

16

a Michel Foucault, Histoire de la sexualité Tome 1, la volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, p.12 b Xavier Deleu, Le consensus pornographique, Mango, Paris, 2012 c Patrick Vassort, Sade et l’esprit du néolibéralisme, [en ligne], 2014, www.monde-diplomatique.fr d Cy.talk Blog, Pornography industry is larger than the revenues of the top technology, [en ligne], 2010, http://blog.cytalk.com e Chloé Sculone, Grégory Dorcel porn again, [en ligne], 2013, http://next.liberation.fr

compliqués à reproduire et coûteux : ils étaient donc l’unique privilège des riches. Lorsque l’imprimerie arriva, la diffusion de cet ouvrage put s’élargir aux masses et c’est à partir de ce moment-là qu’il fut interdit. Plusieurs théories existent quant à l’interdiction à cette époque de la pornographie. Michel Foucault met cet évènement en tension avec l’apparition de la bourgeoisie et du capitalisme a. Ce dernier, afin de pouvoir s’accroître, avait besoin de toute la force de travail que pouvait fournir le prolétariat, la bourgeoisie ne pouvait risquer que celle-ci soit gaspillée par l’excitation sexuelle que provoque la pornographie. Ainsi la pornographie aurait occupé les mains des employés et ouvriers d’une manière moins productive et aurait mis en péril leurs perspectives de profit. L’autre théorie est également liée au profit et nous est présentée par Xavier Deleu b : à la suite de l’arrivée de l’imprimerie, la bourgeoisie n’a absolument rien contre la diffusion massive de pornographie, car ils pensent que c’est un « nouvel opium » aussi efficace pour endormir le peuple que le loto, le tiercé ou la bière fortement alcoolisée (et qu’elle produit autant de profits). Dans le cas de la pornographie, elle devient une économie souterraine où les bénéficiaires sont ceux qui l’ont interdite des années plus tôt. Sade avait déjà pressenti l’avènement d’une société productiviste, car il est l’auteur d’une forme d’économie politique de la production corporelle. Patrick Vassort écrit à propos de Salò ou les 120 journées de Sodome 15 : « La production taylorisée relève de cette même construction. La répétition des mêmes gestes, des mêmes procès de fabrication, avec ses rites, ses repos, ses reconstitutions de la force de travail 16, correspond à la philosophie productiviste proposée aussi par Sade. Au sein de la production capitaliste, le moment de la retraite n’est pas jugé comme une période méritée de repos, mais comme le ‹ temps du rebut › des corps épuisés, exténués. Chez Sade, point de retraite. La fin de la productivité conduit à la mort. Quant à la rationalisation des corps, elle devient réification, chosification. Les corps subissent une transformation imposée par les libertins. Apparition donc du corps en tant qu’appareil de production, pour répondre à des besoins à l’occasion totalitaires, et disparition du corps sensible c. » Le corps est devenu un moyen de production, comme il l’a été avec l’esclavagisme. En 2006 d, la pornographie représentait 12 % du nombre total de sites présents sur Internet avec 4,2 millions de sites, et quotidiennement 68 millions de recherches pornographiques. En 2012, l’entreprise Marc Dorcel a enregistré un bénéfice de 28 millions d’euros e. Autant dire que, dans tous les cas, la pornographie est aujourd’hui une entreprise rentable.


34

17

18

19

a Olivier Séguret, Le porno ne jouit plus, [en ligne], 2009, http://next.liberation.fr b Ibid. c Ivan Letessier, La taxe sur les spiritueux contestée, [en ligne], 2013, www.lefigaro.fr d Guillaume Guichard, Les taxes sur le tabac ont rapporté 11,2 milliards d’euros en 2013, plus que prévu, [en ligne], 2014, www.lefigaro.fr e Alcool Info Service, Le poids économique et culturel de l’alcool, [en ligne], 2011, www.alcool-info-service.fr f Philippe Fenoglio, Véronique Parel, Pierre Kopp, Le coût social de l’alcool, du tabac et des drogues licites en France en 2000, [en ligne], 2008, https://halshs.archivesouvertes.fr

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

Une industrie progressivement addictive L’industrie pornographique, tout comme celle de la téléphonie mobile ou du tabac, génère des milliards de bénéfices chaque année. L’explosion de ce marché doit beaucoup à l’arrivée massive d’internet, des smartphones, des écrans tactiles, et bientôt de la télévision en 3D ainsi que des masques de réalité augmentée (Oculus Rift 19). Chaque avancée technologique a été soutenue par l’industrie pornographique : c’est le cas pour le Blu-ray, comme ça l’a été pour le DVD ou pour l’arrivée du numérique a. D’un côté on a donc la pornographie qui s’ouvre à d’autres supports et peut ainsi créer de nouveaux besoins : désormais n’importe qui peut regarder du porno n’importe où (il lui suffit d’avoir un smartphone et un abonnement de téléphone portable 3G). Ce n’est que l’évolution logique du minitel et du 36 15 ULLA. Nous parlions plus tôt de la nécessité de la société de consommation de créer de nouveaux désirs/ besoins à assouvir, et donc un nouveau marché à créer. C’est pleinement ce dans quoi l’industrie pornographique s’est lancée. Pourrait-on donc imaginer que, comme ce fut le cas pour les technologies de communication par exemple, l’industrie pornographique ait recours à ce même système afin de générer de la croissance ? Et que, par conséquent, l’addiction sexuelle soit favorisée afin de permettre d’engranger des bénéfices très importants pour les entreprises fournisseuses des services concernés, mais également de l’État par le biais de la TVA ? Même s’il est vrai que l’industrie pornographique connaît depuis plusieurs années une concurrence de plus en plus forte avec les sites pornographiques gratuits, le gonzo amateur, le piratage, etc. (Par exemple, Hot Vidéo a divisé son tirage de moitié entre l’âge d’or des années 90 et aujourd’hui b). Mais à travers une approche cynique, l’alcoolique est un consommateur régulier, qui augmente sa consommation au fur et à mesure du temps, et qui ne cessera jamais son comportement s’il n’est pas aidé, idem pour le tabac. Il existe une taxe particulièrement élevée prélevée par l’état, 80 % pour le tabac, 84 % pour l’alcool fort c. Est-il si abject d’imaginer que l’État a intérêt à conserver ces consommateurs qui lui rapporteraient 11,3 milliards d’euros en 2013 pour le tabac d et 19,6 milliards d’euros pour l’alcool en 2011 e ? Même si les frais médicaux qu’entrainent ces produits ont également un coût (Tabac et Alcool confondus représentaient, en 2000, 37 030 millions d’euros f), ce n’est qu’une goutte d’eau face aux revenus énormes que leur consommation génère. On peut y voir des similitudes avec la gabelle au XVIIIe siècle. La taxe sur le sel représentait alors 6 % des revenus royaux et en même temps, ce produit était indispensable à la conservation des aliments. La pornographie et le marché du sexe ne bénéficient (pas encore) d’une taxation particulière si ce n’est la T.V.A. L’addiction serait-elle un mécanisme de fidélisation d’une clientèle à son fournisseur et de taxation plus discret que les impôts ? Dans la création du marketing qu’analyse Bernard Stiegler, il explique qu’elle a progressivement détruit la libido.


La libido marketisée 35 À quel moment cesse-t-on de parler de publicité ?

20

21

Un consommateur heureux est devenu un consommateur dépendant.

22

23

g Ibid. h Michela Marzano, op. cit. i Bjorn Franke, Traces of an Imaginary Affair, [en ligne], 2006, www.bjornfranke.com j David Cronenberg, Shivers, 1975 k Saatchi & Saatchi, Addiction, Spot publicitaire Nike, [en ligne], 2011, www.youtube.com

Celle-ci est désignée comme l’énergie sexuelle par Freud et elle permet également de différer la satisfaction des pulsions. Cette captation du désir par des besoins industriels conduit à la destruction de la libido. Cette dernière permet de transformer les pulsions antisociales en objets sociaux. « La libido est un système à ne pas satisfaire la pulsion. Celle-ci peut se satisfaire dans des moments heureux, des moments de joie, par exemple l’accouplement sexuel sublimé par l’amour satisfait la libido ; mais un accouplement sexuel qui n’est pas sublimé par l’amour est une satisfaction de la pulsion sexuelle, mais pas de la libido g. » Le fantasme est donc central dans le principe de marketing. Et la pornographie n’est-elle pas le lieu d’expression et d’accomplissement de ces fantasmes ? De nos jours, n’est-elle pas devenue le marché du fantasme ? Le capitalisme a permis d’introduire la notion de consommateur libéré, qui peut acheter ce dont il a envie en toute liberté. Mais que se passe-t-il quand c’est l’envie qui démarche le consommateur et non l’inverse ? C’est le problème que pose Michela Marzano h : l’objet de désir devient objet de besoin par la pression de l’univers extérieur. Découvrir de nouveaux fantasmes est la preuve que vous êtes quelqu’un d’ouvert sur votre sexualité, acheter des sex-toys montre que vous êtes à l’aise avec le plaisir, etc. La pornographie, et par extension la sexualité, devient un objet de consommation ; le fantasme est présent au niveau sexuel, mais également au niveau de l’image qu’a le consommateur de lui-même. Aussi, si le marketing tel que l’a conçu Bernays est une migration de la libido vers les objets de consommation, assiste-t-on à une mécanique similaire pour d’autres domaines de consommation que celui du commerce d’images pornographiques ? On trouve des faux polos Lacoste ou Ralph Lauren sur certains marchés à des prix défiant toute concurrence, tout ceci dans le but de faire que celui qui porte ce faux polo soit en accord avec le fantasme d’en revêtir un vrai. Dans la même idée Bjorn Franke 21 i propose un kit : « Marques d’une aventure imaginaire ». Ce kit est composé de huit outils qui permettent d’imiter parfaitement les traces que peut laisser une partie de jambe en l’air débridée. Ce diktat du désir ne risque-t-il pas de transformer chaque regardeur de publicité en être conduit par ses désirs comme les personnages du film Shivers de David Cronenberg qui deviennent des êtres animés par un appétit sexuel infernal j ? L’exemple de Nike qui intitule l’un de ses spots publicitaires Addiction 23 k et qui traite de l’addiction au sport comme la seule étant bonne pour le corps est intéressante. La stimulation incessante de désir ne risque-t-elle pas de transformer le citoyen en addict permanent 22 au point de lui faire désirer l’addiction comme un état à envier ?


36

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?


37

Qui a changé de forme, mais pas de fond

De la femme consommatrice soumise à la femme rebelle, réelle progression ou illusion marketing ?

24

25

26

a Mona Chollet, Beauté Fatale, Zones, Paris, 2012, p16-17 b Mona Chollet, L’inventeur du marketing, [en ligne], 2007, www.monde-diplomatique.fr c Master 2 Communication et Contenus Numérique sous la direction de Benoît d’Aiguillon, promotion 2009-2011, L’évolution du statut de la femme, [en ligne], 2010, www.lapublicite.fr

Le plus bel objet de consommation : le corps Le sexe fait vendre, comme on a pu le voir précédemment et ce n’est pas un secret. Les débuts de la publicité furent justement l’utilisation à outrance du corps féminin pour faire fantasmer le consommateur moyen. Le sexisme affirmé (extrêmement bien documenté dans Mad Men, qui, selon les mots des réalisateurs fut conçu comme une série qui devait choquer les gens par le machisme ambiant, alors qu’au contraire celui-ci fut admiré et central dans plusieurs magazines de mode a) des publicités de l’époque ne pouvait durer que dans une société patriarcale où la femme n’intervient que peu dans le processus d’achat du produit. Même avec la libération de la femme (où finalement, le processus de marketisation fut l’un des arguments principaux, notamment l’épisode des Torches of Freedom b, toujours sous l’influence de Bernays), on aurait pu penser que ce phénomène aurait tendance à se taire voir à s’inverser. Au lieu de ça, le déplacement du fantasme sur l’objet s’est intensifié, mais s’est également transformé. Barbara Kruger a parfaitement illustré cette tendance : « I shop therefore I am » en 1987 24. Ce faux slogan publicitaire résumait toute l’intention de Bernays : s’accomplir à travers la consommation et le désir. Ce n’est plus seulement le corps féminin qui était utilisé, mais le corps féminin à travers l’acte sexuel. La publicité a montré la femme de cinq manières différentes entre 1960 et aujourd’hui. En 1960, la ménagère : accomplie grâce à l’entretien de sa maison. 1970, la militante : après Mai 68, elle se bat pour disposer de son corps et de ses droits. 1980, la superwoman 25 : la femme ayant obtenu ses droits, elle veut se montrer comme compétente sur tous les domaines. 1990, la recherche d’équilibre : les femmes aspirent à un équilibre viable entre les sexes. 2000, la femme sexy : femme souvent montrée dénudée et glamour. On parle même d’une vague « porno chic » arrivée à la fin des années 90 c qui se prolongerait toujours aujourd’hui. Dans la sexualisation progressive de l’image de la femme, ainsi que celle de l’homme, on assiste à l’épuisement du désir consacré à l’objet. Du sexe implicite, on passe au sexe explicite. Lorsque l’implicite était devenu un argument trop faible pour engendrer la transformation d’un désir en besoin, l’explicite a été utilisé. Cette tendance se détecte à la fin des Trente Glorieuses, ce qui correspond justement à une période d’opulence où il était difficile d’envisager de nouveaux marchés et où le capitalisme était synonyme de providence. Ayant épuisé tous les objets de désir, chaque être a dû devenir la source et l’objet de ce désir. Cette vague de sexualisation et d’esthétisation outrancière a poussé certains artistes à repousser les limites de l’icône sexuelle et à la faire passer du côté du monstrueux, à l’instar de Vermibus 26 qui, en s’attaquant à coups de dissolvant


38

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

principalement à des publicités de marques de haute couture ou de parfums, fait ressortir la monstruosité des modèles. Ce ne sont plus les icônes de beauté qui sont mises en avant, mais les membres d’un Freakshow gigantesque, comme pour faire deviner au regardeur la mise en scène et le spectacle orchestré derrière cette sexualisation à outrance.

27

28

29

30

a NSS Magazine, Fashion or Porn : The Game, [en ligne], 2013, www.nssmag.com b Tiré d’une émission télévisuelle, Canal Plus, Salut Les Terriens, 07 décembre 2014 c Quentin Girard, Monsieur Laurent Wauquiez, il y a mieux que Youporn, [en ligne], 2013, http://next.liberation.fr d Matus The First et Konstantin Minnich, The First Commercial, just for sex, [en ligne], 2014, http://vimeo.com

La tendance de porno chic et de la sexualisation du corps dans la publicité est assez bien explicitée par Fashion or Porn : The Game a. Le concept : le site propose à l’internaute des photographies issues de publications de mode ou pornographiques dont une grande partie est cachée. Le but du jeu : arriver à déterminer avec les indices laissés sur l’image, si celle-ci est pornographique ou issue de l’univers de la mode. Sur 40 points, arriver à 20 relève de l’impossible tant les codes repris sont similaires. Même s’il est vrai que les indices laissés à voir sont extrêmement petits, le jeu soulève le débat. La majorité de ces images proviennent de campagnes parues les quatre dernières années dans des magazines et parfois même en abribus ou affiches métro. Alors que, en toute ironie, Pornhub a lancé sa première affiche publicitaire sans montrer ne serait-ce qu’un petit morceau de téton ou de fesse 27. Autrement dit, les publicités pour des vêtements montrent des femmes 28 (et maintenant aussi des hommes 30) hyper sexualisées, dénudées et présentées comme post-coït, mais la pornographie en ligne est vendue avec humour et finesse : n’y a-t-il pas un paradoxe ? Les objets de consommation courante ont donc été sexualisés en étant présentés comme des instruments de plaisir charnel ou comme y participant fortement. Les publicités Tom Ford laissent très bien imaginer à quoi peut se substituer le parfum sur les photographies de sa campagne de publicité (et ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres). Fini le porno qui tâche, désormais c’est la pornographie lisse et branchée. Certains hommes politiques avouent même aller sur des sites pornos « comme tout le monde b ». « Peut-être même qu’en répondant YouPorn, « comme tout le monde », le député nous prouve que, dans le fond, il n’en regarde pas, mais que l’ambiance de l’émission et l’air du temps lui imposent de répondre positivement. » analyse finement Quentin Girard c. Le porno se démocratise tellement qu’il devient un objet de consommation banal, une tendance. Et le sexe devient même un produit dont certains tentent de faire la promotion à travers un spot publicitaire d. L’image devient tellement ambigüe, qu’en cachant certaines parties la confusion avec la pornographie apparaît très facilement. Mais au lieu d’être un défaut, c’est devenu un avantage marketing. Dois-je pour autant réemployer ces codes dans la dénonciation de l’addiction sexuelle sans risquer de faire partie de ce jeu ? Tous les objets de consommation peuvent-ils être détournés et devenir des objets d’addiction ? Le passage de la consommation à l’addiction s’est-il renforcé ?


Qui a changé de forme, mais pas de fond 39

NSS Mag, Fashion or Porn, The Game, 2013


40

La cocaïne : Médicament addictif mué en outil d’image de marque.

31

32

a Dr William Lowenstein in Pierre Ancery, La cocaïne, une passion moderne, [en ligne], 2012, www.slate.fr b Alain Ehrenberg in Ibid. c Personnage principal de American Psycho, Bret Easton Ellis, Vintage Books, New York, 1991

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?

L’addiction : une maladie culturelle S’étendre ici sur la place de la pornographie aujourd’hui ne vise pas à moraliser le débat mais à l’inscrire dans une chronologie relative à d’autres comportements. Dans la préface du rapport publié par l’O.F.D.T (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies), Cocaïnes, données essentielles, le Dr William Lowenstein écrit : « Elle (la cocaïne) s’est extraite des ghettos dorés initiaux pour s’introduire dans tous les milieux comme l’avaient fait, bien avant elle, le tabac, l’alcool et le cannabis a ». Le nombre d’utilisateurs occasionnels (une fois par an), toujours selon ce rapport, a triplé entre 2000 et 2010. Pourtant l’image de cette drogue s’est altérée avec les années : elle est perçue comme plus nocive, mais étend sa popularité. Comment expliquer cette augmentation ? Alain Ehrenberg, dans l’ouvrage Individus sous Influences, plaçait l’usage des drogues au cœur de la sensibilité contemporaine b. La cocaïne serait donc l’usage de drogue logique dans une société individualiste qui génère des angoisses de plus en plus nombreuses, angoisses régulées et en même temps aggravées par ce même usage. En prenant du recul sur ce constat, il y a tout d’abord un comportement d’usage de drogue festif initial (avant 1916, première loi française d’interdiction de la consommation de cocaïne en société), puis une absence de substance et donc du comportement, avec par la suite un retour massif de la consommation (à partir de 1980 avec Patrick Bateman c comme figure de proue) et enfin une confirmation de celle-ci dans les années 90 et 2000 32. La banalisation d’un comportement s’inscrit dans un premier temps par un comportement minime, mais qui, banalisé, et diffusé s’étend à d’autres sphères et d’autres individus. Assez basiquement, il est impossible d’empêcher de parler de cocaïne dans un film, comme il est impossible d’empêcher quelqu’un d’avoir envie de consommer de la cocaïne après avoir vu ce film. Il en est de même pour la pornographie. La pornographie s’est banalisée avant d’être acceptée, par la publicité, la fiction, etc. Une fois banalisée, son acceptation dans la société croît ainsi que le recours à celle-ci par les citoyens. Dès le moment où le recours est mis en place, un comportement abusif peut être perçu. L’image d’une drogue varie suivant les époques, tout comme les comportements sociaux. Aujourd’hui la pornographie est acceptée assez largement en France et s’étend déjà au domaine de la télé-réalité avec l’émission américaine The Sex Factor. Peut-être que dans cinq ans elle sera utilisée comme outil pédagogique en cours de S.V.T ou bien a contrario, rendue illégale. Peut-on pour autant dire que l’addiction sexuelle apparaît au terme d’un cycle comparable à celui de l’addiction à la cocaïne ? C’est-à-dire une prohibition du comportement puis une dédramatisation qui provoque la démocratisation d’un produit pouvant mener à des abus ?


Qui a changé de forme, mais pas de fond 41

33

d Arnaud Petre, Parts de marché contre parts de cerveaux, Revue Politique, no 58, Février 2009 e Communiqué de presse, Enquête IFOP pour Tukif.com, Enquête sur l’influence des films X, dans le rapport au corps et la vie, sexuelle des Français, [en ligne], 2014, www.ifop.com

Selon Arnaud Petre, nous sommes exposés à un nombre compris entre 1200 et 2200 publicités par jour en France d. Sur un tel nombre, peu sont intégralement mémorisées consciemment, mais une partie vient se nicher dans l’inconscient et ainsi influencer notre comportement de consommateur. Choisir telle marque, tel produit, etc. Mais qu’en est-il de l’influence du consommateur en tant que citoyen ? Une étude a par exemple montré que la pornographie pouvait avoir pour conséquence le complexe des jeunes garçons sur la taille de leur sexe 33, ainsi qu’un complexe sur la taille des poitrines des jeunes filles e. La sexualisation du marketing et de l’espace public par extension ne peut-elle pas conduire à une confusion libidinale dont a parlé Stiegler ?


42

Claude Levêque, Nous sommes heureux, 2013

I. Jouir à tout prix, un nouvel idéal ?


Qui a changé de forme, mais pas de fond 43

Jouis et tais-toi Dans une société où la quête et la déclaration du plaisir sont une affirmation de soi et où la libération sexuelle s’est imposée, la sexualisation de la marchandise et de la consommation n’est-elle pas qu’une modification logique de notre société ? La recherche du plaisir à travers le prisme du désir est un thème antique. Celui-ci a été humilié, vaincu puis libéré à travers l’histoire comme le résument assez bien Marc Valleur et Matysiak a. D’abord humilié au Moyen-Âge puis vaincu avec la médecine moderne, le désir s’est libéré sous l’impulsion de divers évènements. L’émancipation sexuelle, le capitalisme appliqué aux domaines du plaisir, le droit de disposer librement de son corps, l’avortement et la contraception ont participé à cette quête du droit au plaisir. À un tel point que le plaisir sexuel est devenu un impératif, « et toute faiblesse dans cette quête devient manque d’épanouissement, soupçonné d’être cause de malaise existentiel, de névrose, de maladie : la relation entre plaisir et normalité s’est tout simplement inversée b ». Le plaisir n’est plus devenu une quête, mais un impératif. N’importe qui doit y avoir accès ou alors c’est la société dans laquelle l’individu vit qui est défaillante, ou bien l’individu lui-même comme nous l’avons lu. Mais imposer le plaisir c’est en quelque sorte supprimer le désir et le remplacer par le besoin. Dans Junky de William Burroughs, le personnage explique justement qu’il n’aime pas l’héroïne qu’il consomme, même si elle lui procure du plaisir ou du moins, même si elle lui permet de conserver une sensation de normalité. Il est dégoûté par ce produit pour lequel il aurait vendu sa mère. Lorsqu’un consommateur n’apprécie plus ce qu’il consomme, que ce produit devient un besoin auquel il doit répondre, mais sans plaisir de sa part, doit-on parler d’addiction ou de dépendance ? Sommes-nous addicts au plaisir et par conséquent plaisiromanes ignorants ?

a Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak, op.cit. b Ibid. p.57


44

David Lachapelle, Angelina Jolie dans un champ de coquelicots, 2001


45


46

Ben Russel, TRYPPS #7 (BADLANDS), Capture d'écran, 2010


47



II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?


50

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?


51

Plaisir et addiction, un automatisme ?

34

a Florence Sandis et Jean-Benoît Dumonteix, op. cit., p.241 b André Seidenberg et Ueli Honegger, Méthadone, héroïne et autres opioïdes : la prescription des opioïdes en milieu ambulatoire, Éditions Médecine & Hygiène, Genève, 2001, p. 39

L’addiction chimique Il existe plusieurs approches de l’addiction : l’une d’elles est l’approche chimique, très bien expliquée par Marc Valleur : « Tout ce qui est addictif constitue une drogue au sens chimique du terme. Cela met en jeu les circuits cérébraux de la récompense et de la régulation des émotions. Ce sont l’adrénaline, la sérotonine et la dopamine qui sont les trois neuromédiateurs en question. Dans le cas de la sexualité, il y a en plus une mise en jeu des circuits hormonaux, avec chez les hommes l’intervention de la testostérone par exemple a ». Il existe également une approche plus sociétale où la dopamine n’est pas la seule explication à l’addiction et une approche psychologique traitant de l’addiction comme une autoguérison inconsciente. La consommation d’un produit (le chocolat par exemple) entraîne du plaisir. Ce plaisir est dû à la sécrétion par le cerveau de la dopamine qui est l’une des hormones qui permettent cette sensation. Un individu se souvient que l’ingestion de chocolat entraîne un plaisir et que par conséquent, s’il veut ressentir du plaisir, il peut manger du chocolat. La dépendance s’installe lorsque la recherche et l’obtention de bénéfices à court terme par la consommation de chocolat deviennent de plus en plus régulières. Son seul moyen d’éprouver du plaisir devient la consommation de chocolat, duquel il devient dépendant et dont l’abus a des effets négatifs sur sa santé. C’est ainsi que Charly Cungi décrit le processus d’installation d’une dépendance. Dans l’addiction chimique, c’est la sécrétion de dopamine qui est au cœur du phénomène. L’individu devient dépendant à cette substance qui est sécrétée par la consommation de chocolat, de M.D.M.A ou de musique. Ce cycle est appelé circuit de récompense. Une grande majorité des drogues (spécialement les excitants) ont une action sur le phénomène de sécrétion de dopamine. La M.D.M.A, par exemple, entraîne une production forte de dopamine par le cerveau, prodiguant au propriétaire de celui-ci un sentiment d’amour et de bien-être jamais connu auparavant. Le phénomène de descente qui suit le shoot s’explique par la faible production de dopamine du cerveau fatigué par cette sollicitation plus forte que la moyenne. L’accoutumance est la démonstration même du caractère exponentiel qu’emploie le plaisir et le désir à travers le mécanisme de récompense. A.Seidenberg et U.Honegger ont établi que l’effet diminuait en fonction de la tolérance, mais également, que cette tolérance augmentait avec la fréquence des prises b. En résumé, plus une drogue est consommée dans le temps, plus la dose doit être augmentée afin de produire les mêmes effets qu’à la première prise. Dans un mécanisme de consommation régulier, pour un même plaisir le stimulus doit être augmenté. Ce mécanisme est parfaitement exprimé par le visuel de la marguerite


52

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

Expérimentation Usage occasionnel (Interaction drogue-organisme)

-> -> Mémorisation -> ->

Facteurs socio-culturels et environnementaux

-> -> Récompense Plaisir, soulagement, réduction d’un stress, d’une tension

Comportement de prise de drogue -> -> Tolérance Syndrome de sevrage

↖↘ Conséquences négatives ↗ (physio., psycho., socio.)

: Prédisposition génétique

: Facteurs individuels troubles psychopathologiques, tempérament, vulnérabilité, stress

Rencontre avec le produit --> --> --> Effets bénéfiques à court terme --> --> --> --> Consommation de plus en plus régulière

Dépendance --> -->

A.Seidenberg, U.Honegger, Méthadone, héroïne, et autres opioïdes, Éditions Médecine & Hygiène, Genève, 2001, p39

--> -->

Daniel Bailly, De l’utilisation de drogues à la dépendance aux drogues, Addiction quels soins ?, Compte-rendu du congrès de Nantes, Elsevier-Masson, Paris, 1997, p. 267-71

Charly Cungi, Processus d’installation d’une dépendance, 2000

Effets nocifs à long terme


Plaisir et addiction, un automatisme ? 53

Cerveau non-addict -> ->

-> ->

Raison

Motivation

---> ---> --->

Action

Récompense -> -> Motivation

---> ---> --->

Action

-> ->

Récompense -> ->

-> ->

-> ->

Mémoire

Cerveau addict -> ->

-> ->

Raison

-> ->

-> ->

-> ->

Mémoire

> >> >>

>>

>>>>>>>>>> >>>

>>

> >>

>

>

>

> >> >>>

Stanton Peele et Archie Brodsky, Théorie de l’assuétude, Love and Addiction, Broadrow Publications, 1982

Réduction de l’anxiété

>> >>

Nora Volkow, Schéma du cerveau addict et non-addict, Inveat 2003 in Dominique Cupa, Michel Reynaud, Vladimir Marinov, Entre Corps et psyché, les addictions, EDK Éditions, 2010, p.38

Action psycho-active

>> > > >> > > >> >

Diminution de l’effet

>>> >>

Retour à la tension

>>

>>

>

>

>

Anxiété

Élimination de la douleur (physique, morale)

Bien-Être

Euphorie


54

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

35

tiré de la campagne Playing is fun if you don’t push it too far  35. Le jeu d’argent peut devenir addictif dans sa quête hyperbolique du gain et de la chance inespérée, mais est-il possible de rechercher automatiquement cela lorsque le plaisir est sollicité, et par conséquent est-il possible de développer une addiction à tout ce qui nous procure du plaisir ? La distinction entre consommation sans addiction et consommation addictogène est établie par Nora Volkow a. Selon eux c’est le recours à la raison qui différencie les deux types de consommation. Un « cerveau » addict effectue un choix en prenant en compte plusieurs éléments. Tout d’abord, la mémoire : Que produit ce choix ou cette action ? La motivation : Que mettre en œuvre pour réaliser ce choix ? La raison : Dois-je réaliser cette action ? Une fois ces trois facteurs étudiés, l’action devant entraîner une récompense a lieu ou non. Pour un cerveau « addict », la raison n’est pas prise en compte. La récompense est seulement questionnée par la motivation et par la mémoire : Que mettre en œuvre ? Que produit cette action ? Les moyens d’action sont connus ainsi que les résultats, le cerveau n’a donc aucune motivation valable (si ce n’est la raison) que de passer à l’acte afin d’accéder au plaisir. Comme l’explique Mathilde Saïet à travers la vision de John McDougall :

« L’objet d’addiction est investi de qualités bénéfiques, voire d’amour, perçu parfois comme ce qui donne sens à la vie, offrant l’illusion de pallier les difficultés, il est saisi à chaque instant pour soigner et atténuer les états affectifs douloureux, intolérables pour le sujet. Les petites ‹ addictions du quotidien ›, multiples qui existent chez tout un chacun, ne deviennent pathologiques que lorsqu’elles s’organisent en une solution unique dont le sujet dispose b ».

a Nora Volkow, Inveat 2003 in Dominique Cupa, Michel Reynaud, Vladimir Marinov, Entre Corps et psyché, les addictions, EDK Éditions, 2010, p.38 b Mathilde Saïet, Les addictions, PUF, Paris, 2011 c Otto Fénichel, La théorie psychanalytique des névroses, PUF, Paris, 1987 d Stanton Peele et Archie Brodsky, Love and Addiction, Broadrow Publications, 1982

La décision se prend par soumission à cette unique solution pour échapper à la douleur mentale. Solution choisie par le sujet en fonction de différents facteurs. En écartant la raison de l’équation, le cerveau se rue sur la récompense en toutes circonstances, peu importe les moyens que cela doit engager. Jouir à tout va, à tout prix, tout le temps et partout. En sachant cela, une addiction est-elle propre à un produit ? Vu que l’addiction sexuelle engage un comportement, peut-on parler d’addiction ? C’est en 1945 qu’Otto Fenichel, à travers son étude des névroses, expose une théorie des addictions avec drogues et sans drogues, persuadé que l’humain possède en lui ses propres drogues potentielles et utilise le terme de « toxicomanies sans drogues » au sein de la qualification du trouble du contrôle des impulsions c. Stanton Peele démontrera quant à lui en 1975 les équivalences et liens entre l’addiction physique et l’addiction psychologique en mettant l’accent sur l’enjeu de l’addiction en tant que satisfaction provisoire venant pallier un sentiment d’incompétence personnelle ou sociale dont a découlé sa théorie de l’assuétude d. Le terme d’assuétude (qui est un anglicisme) est aujourd’hui défini par le dictionnaire Collins


Plaisir et addiction, un automatisme ? 55

Ivan Pavlov, Pavlovian Conditioning, 1902 Schéma réalisé avec : Gerd Arntz, ISOTYPE, 1930-1945

L’expérience du chien de Pavlov explique parfaitement le fonctionnement du système de récompense que sollicite une addiction.


56

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

de cette manière : « the state of being familiar with or used to something » où le fait d’être familier ou habitué à quelque chose. La théorie de l’assuétude dans un comportement de prise de drogue a été élaborée en 1982 e. Elle repose sur l’interrelation entre les facteurs physiques, psychologiques et sociaux de la personne et le rôle que la substance (ou le comportement) occupe dans la vie de celui-ci. Quatre éléments majeurs s’en dégagent : • L’assuétude est un cercle vicieux ; • Elle détourne la personne de tous ses autres centres d’intérêt ; • Elle n’est pas une expérience agréable étant donné que la consommation se fait seulement dans le but de soulager une souffrance et non plus de ressentir du plaisir ; • Le concept d’assuétude exprime l’incapacité de choisir quelque chose. L’activité sexuelle est donc une addiction au sens chimique du terme à travers la quête du plaisir, du « shoot ». L’activité sexuelle permet la libération de dopamine, hormone du plaisir, tout comme la consommation de drogues, de chocolat ou de musique. Il peut donc se développer une forme d’accoutumance et de dépendance à cette hormone. Pourtant, l’addict sexuel n’est pas dépendant de la dopamine, mais de la dopamine sécrétée par une activité sexuelle, sinon il n’y aurait qu’une seule et unique dépendance si le moyen de ressentir du plaisir n’importait pas. Le moyen utilisé a donc une importance conséquente dans le phénomène d’addiction. L’activité sexuelle peut-elle par conséquent se présenter comme un remède contre les sentiments négatifs au point de devenir une réponse systématique ? L’addiction sexuelle engage-t-elle finalement autre chose qu’une quête de plaisir effrénée ?

a Stanton Peele, The addiction experience, Hazelden, [en ligne], 1980, www.peele.net


Plaisir et addiction, un automatisme ? 57

36

b Source : Enquête Santé CSA /SMEREP juin 2009. En Île-de-France, 12 070 étudiants ont répondu à l’enquête. c Étienne Wasmer, La France, championne du stress en entreprise, [en ligne], 2012, www.lemonde.fr d Jean-Luc Venisse, Daniel Bailly, Addiction quels soins ? Compte-rendu du congrès de Nantes, Elsevier-Masson, Paris, 1997, p 267-71 e Collectif, Compte-rendu des Journées Grand Public sur le Thème des Addictions 2013, [en ligne], www.frc.asso.fr f Laurent Sacco, Une possible liaison entre génétique et dépendance aux drogues, [en ligne], 2008, www.futura-sciences.com

L’addiction sociétale La différenciation établie par Volkow permet de mettre en lumière une autre dimension de l’addiction : la dimension pathologique. Dans cette approche de l’addiction, la barrière au comportement compulsif et cyclique est la raison. C’est la raison qui limiterait l’action dans le système de récompense, or celle-ci n’est pas un facteur physique, mais psychologique. Qu’est-ce qui pousse alors la raison a être ignorée dans la recherche de récompense ? En revenant au concept d’assuétude, Stanton pose l’anxiété comme élément déclencheur du cycle. Or en France en 2009, 35,4 % des étudiants déclarent avoir des difficultés à gérer leur stress, 11,2 % avoir une vision négative de l’avenir et 8,6 % déclarent avoir eu des pensées suicidaires b. Dans un autre domaine, selon une enquête de 2005, 70 % des travailleurs déclarent que leur travail a une incidence sur leur santé à cause du stress, alors que les travailleurs français se placent parmi ceux qui travaillent le moins d’heures en Europe c. Selon le concept de l’assuétude, l’anxiété est à la source du cercle vicieux, si 70 % des travailleurs déclarent que leur travail est source de stress, peut-on définir le travail comme l’une des causes de l’assuétude et donc de l’addiction ? Cette population est-elle dans son intégralité addict à quelque chose ? Comme l’explique très bien Bailly dans son modèle « de l’utilisation des drogues à la dépendance des drogues d », la consommation et la dépendance n’interviennent que lorsque trois facteurs sont réunis : • Le facteur sociologique : L’accès simplifié à une substance, le rapport culturel à cette substance. • Le facteur psychologique : troubles psychologiques, vulnérabilité, stress. • Le facteur génétique : la prédisposition à l’addiction. Selon Claude Olievenstein, le risque de dépendance dépend de la rencontre entre un individu, un produit et un environnement. Il le définit selon l’équation e : Risque R = V x P x E V = facteur de Vulnérabilité, P = caractéristiques liées au Produit, E = facteur d’Exposition L’idée d’une prédisposition génétique à l’addiction a été soulevée par Charlotte Boettiger, dans une expérience datant de 2008. 24 personnes ont été soumises à un test sous I.R.M : ils pouvaient soit obtenir 18 $ tout de suite, ou attendre un mois pour en obtenir 20 $ f. « Les images ont montré que chez les personnes ne désirant pas attendre, l’activité du cortex orbitofrontal était moins importante. Surtout, la décision de prendre immédiatement les 18 $ était prise trois fois plus souvent chez les personnes sortant de cure que chez les autres 36. Or, il se trouve en plus que, toujours d’après cette étude, les personnes ayant subi des dommages au


58

37

a C.R, L’homme du futur, à quoi ressemblera l’homme de demain ?, [en ligne], 2012, www.hominides.com

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

niveau du cortex orbitofrontal agissent impulsivement et ont du mal à gérer leur argent. Cela suggère donc un lien possible entre un fonctionnement anormal de cette partie du cerveau et des comportements addictifs. En complément des analyses IRM, les chercheurs ont découvert, grâce à des analyses génétiques, que les personnes ayant une tendance marquée à ne pas attendre lors du test possèdent deux copies d’une variante d’un gène appelé COMT. Cette caractéristique provoque une diminution de la quantité moyenne de dopamine, un neurotransmetteur bien connu du cerveau, et dont on sait qu’il est impliqué dans la dépendance à la cocaïne et à la nicotine. » Le facteur génétique a donc un lien direct avec l’approche « chimique » de l’addiction, c’est la mutation d’un gène qui a pour conséquence des prédispositions addictives. À quoi est due cette mutation ? Il est utile de rappeler que les mutations génétiques sont souvent dues à l’environnement que rencontre l’être vivant, comme l’explique le généticien Chris Tyler Smith a à propos de la mutation ∆32 augmentant la résistance au virus H.I.V. « S’il n’y a pas d’avancée significative dans le traitement du sida et que les hommes continuent de mourir, nous pouvons prévoir que la pression sélective va augmenter la fréquence de la mutation ∆32 dans les populations les plus touchées. » Les populations touchées par le HIV vont muter afin de se protéger de cette maladie. L’environnement a donc un lien direct avec ces mutations, l’apparition de cette mutation du gène COMT peut être mise en relation avec l’environnement que l’homme moderne connaît. Qu’en est-il cependant du facteur socioculturel ? Ce facteur constitue le rapport installé entre un produit, un comportement et un être humain. Il est plus simple d’inaugurer une dépendance à l’héroïne s’il est facile d’en obtenir et d’en consommer. À chaque produit addictif son environnement et ses caractéristiques. La M.D.M.A est la drogue de l’amour, le G.H.B la drogue du viol, la cocaïne la drogue des workingmen, etc. Autant dire que l’approche socioculturelle du sexe est très variable suivant les foyers, parfois considérée comme une mauvaise chose ou tout son contraire. Mais un comportement de consommation de drogue se fait dans l’attente d’effets demandés par l’environnement. La demande d’efficacité croissante que l’on exige de n’importe quel travailleur peut lui demander de devoir outrepasser ses limites d’efficacité. Dans certains cas, le travailleur peut avoir recours à une aide extérieure afin de renforcer sa valeur en tant que travailleur. Les cures de vitamine C, d’homéopathie, de fer, de calcium sont une forme d’aide extérieure, tout comme la cocaïne peut l’être également 37. Chaque drogue est consommée dans un but précis, elle devient donc une aide à un trouble plus ou moins identifié par le consommateur. En plus d’avoir des effets « bénéfiques », la substance entraîne une sécrétion de dopamine (et donc un plaisir). Ainsi, le recours à une substance extérieure pour régler un trouble peut devenir automatique vu qu’il permet de résoudre ce problème


Plaisir et addiction, un automatisme ? 59

Illegal Magazine, Quatrième de couverture du no 5, Londres, 2014


60

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

(but initialement recherché), mais procure en plus du plaisir. Pour ce qui est de l’addiction sexuelle, comme nous l’avons vu en première partie, les images que nous voyons chaque jour nous font exiger la performance dans la jouissance. Chacun doit être performant en tant qu’employé, fils / fille, sœur / frère, parent, citoyen, mais également en tant que mari / femme, amant ou maîtresse. Le culte dela taille du pénis ou de la taille de la poitrine en est une caractéristique. À la différence de la cocaïne ou d’autres substances, chaque être est pourvu d’un sexe, et la majorité possède une connexion internet qui peut être privée. Le contenu pornographique n’est pas censé être accessible aux mineurs, mais il est très simple de contourner cette limite, bien plus facile que pour l’alcool ou le tabac. Assez radicalement, ne serait-ce pas comme si, dans chaque foyer il y avait un accès libre à des seringues hypodermiques, un caillou d’héroïne, une petite cuiller et un briquet ? Cependant, dans le cas de l’héroïne, avec l’interdiction de cette substance par l’État en la déclarant illégale, celui-ci estime que ses citoyens ne sont pas à même de pouvoir modérer eux-mêmes leur consommation. L’État se substitue à la raison de ses citoyens, car sans lui, tous seraient addictés à l’héroïne. Mais serait-ce bien vrai ? L’exemple des Pays-Bas est intéressant à prendre en compte : la consommation de cannabis est légale et seulement 5,9 % de la population des 15-24 ans ont consommé du cannabis sur au moins un mois en 2011. La France est le troisième pays plus gros consommateur de cannabis en Europe, où cette part passe à 12,7 %, alors que c’est le pays où la répression quant à ce domaine est la plus forte a. L’interdiction d’une pratique ou d’un produit n’est pas la solution. Celle-ci ne peut pas pallier une raison addictogène. Même si tel était le cas, cela serait vain, car la raison n’est pas le seul élément décisif dans l’apparition d’un comportement addictif. N’y a-t-il pas une cause en amont qui pousse les 15-24 ans en France à consommer plus facilement du cannabis que les jeunes hollandais ? La dopamine est bien évidemment un facteur à prendre en compte dans l’apparition des addictions, mais n’y a-t-il pas une forme de pathologie psychologique (similaire aux Troubles Obsessionnels Compulsifs) dans ce phénomène obsessionnel de consommation d’un produit ou d’un comportement particulier ?

a Résumé analytique du rapport de l’UNODC sur l’évolution mondiale de la consommation, de la production et du trafic illicite de drogues, [en ligne], 2011, www.unodc.org


Plaisir et addiction, un automatisme ? 61

38

39

b Thierry Brugvin, Les causes sociopsychologiques de l’addiction dans une société capitaliste, Pensée Plurielle, no 23, 2010 c Ibid. d Christian Bucher, Addiction au jeu, in Collectif, Jeux de hasard et d’argent : Contextes et addictions, INSERM, 2008, p.391-401 e Sigmund Freud, Lasexualité dans l’étiologie des névroses, 1898, in Résultats, Idées, Problèmes, Tome 1, 1890-1920, PUF, 1998 f Vincent Estellon, Les Sex Addicts, PUF, Paris, 2014, p.49

L’addiction psychologique L’addiction psychologique a plusieurs facettes. L’une d’entre elles est celle de l’addiction au pouvoir que Castoriadis caractérise comme la recherche inconsciente des individus du sentiment de toute-puissance de leur enfance. Ce besoin de puissance viserait à compenser un sentiment d’infériorité éprouvé par tout être névrosé, ce que Nietzsche considère au contraire comme naturel, sain et nécessaire au développement de chacun. « Il existe en réalité une relation dialectique entre le besoin psychologique du pouvoir et les structures de domination politique et économique qui nuisent à la démocratie b ». Cette addiction au pouvoir ne pourrait-elle pas s’expliquer par une addiction à la reconnaissance ? Celle-ci serait due à l’impact qu’a le système capitaliste sur notre psychisme. Pour Christopher Lasch, le capitalisme libéral valorisant la réussite individuelle, le mérite, la compétition entre les individus, le fait de consommer plus que les autres ou de pouvoir acheter des biens et des services très onéreux permet d’afficher de manière ostentatoire sa réussite sociale 38. La différenciation par la réussite permettrait d’apporter des qualités personnelles à la société c. Le manque d’amour et le manque de pouvoir sont deux composantes importantes des deux facettes de l’addiction psychologique présentée ici. Ces deux éléments définissent l’addiction originelle qui est présente entre le nourrisson et la mère. L’addiction serait une recherche de cet état de dépendance à la mère nourricière, une forme de régression à la dépendance. Cette régression est telle que la privation de l’objet-mère peut conduire à la mort 39, un alcoolique peut véritablement mourir de privation d’alcool. Même si l’objet mère vient pallier une situation de dépendance primaire, cet objet est également l’outil d’une entreprise d’autodestruction. En s’attaquant au corps ou au psychisme, l’addict se met en péril dans le cas d’une jouissance masochiste qui impose le « châtiment de soi-même d » venant répondre à un besoin de punition. Comment la sexualité peut-elle devenir une souffrance masochiste ? Est-ce par contraste avec une société qui promeut à outrance le plaisir ? « La masturbation est la seule grande habitude, le ‹ besoin primitif ›, et les autres appétits tels que le besoin d’alcool, de morphine, de tabac, n’en sont que des substitutifs, des produits de remplacement », peut-on lire dans La sexualité dans l’étiologie des névroses e. Il existe une association de soutien aux addicts sexuels en France, les D.A.S.A : Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes. Leur nom évoque bien l’ambivalence de cette dépendance : pour Vincent Estellon f, la dépendance sexuelle est la trace consciente d’une dépendance affective inconsciente. La blessure que cherche à réparer un addict sexuel serait-elle la même que celle d’un addict à l’alcool, àsavoir psychologique ?


62

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?


63

Quand la jouissance implique-t-elle la souffrance ?

le plaisir sexuel compulsif À travers les témoignages recueillis dans le livre de Jean-Benoit Dumonteix et Florence Sandis a, il apparaît que la quasi-totalité des addicts cités a connu un épisode traumatique. Certains ont été sexuellement abusés plus jeunes (Stéphane), d’autres ressentent l’envie de plonger corps et âme dans ce qui leur était impossible auparavant (Céline, Samir). Chaque addict a un élément déclencheur. Dans ce même livre, Jean-Benoit Dumonteix explique à ce propos que : « Parmi les déclencheurs de la crise addictive ou ceux qui favorisent l’installation d’une addiction dans la vie d’un individu, on retrouve très régulièrement : • Un état dépressif (la personne cherche à relancer la machine du désir en passant par la sexualité) ; • Des émotions désagréables (comme la frustration) ; • Un choc psychologique (un deuil, une séparation, etc.) ; • Un stress important, notamment au travail. »

40

41

a Florence Sandis et JeanBenoît Dumonteix, op.cit. b Ibid., p.226

Mais également qu’il n’y a pas d’âge ni même de sexe spécifique à cette addiction. Même si 95 % des personnes qui se rendent à l’Hôpital Marmottan sont des hommes, il est fort probable que ce déséquilibre soit dû à la non-acceptation de ce trouble par les femmes. Même si, toujours selon Jean-Benoit Dumonteix : « Un phénomène majeur caractérise toutefois l’addiction sexuelle aujourd’hui : la cyberdépendance, c’est-à-dire la consommation régulière et abusive de vidéos pornographiques 41 sur Internet, par un public de plus en plus jeune. Plus grave encore, la pornographie sur Internet est devenue le premier moyen d’éducation sexuelle des enfants et des adolescents. À 13 ans, la plupart d’entre eux ont déjà vu des images à caractère pornographique, avec les risques que cela engendre pour la construction de leur sexualité future. Une fois devenus adultes, certains deviennent incapables d’avoir une relation sexuelle « incarnée » tant ils sont dépendants du monde virtuel. Lorsqu’ils ont des relations sexuelles, elles sont dénuées d’émotions : ils ont appris à travers les films pornographiques que l’acte sexuel était un acte de performance dans lequel l’autre n’est qu’un objet b ». Il faut tout de même relativiser et ne pas considérer la pornographie comme cause principale de l’addiction sexuelle. La surexposition à une image pornographique introduit à l’idée du corps comme produit de consommation. Idée qui pourrait permettre ensuite de développer une addiction après de multiples étapes. Ce type de dépendance se divise en plusieurs temps, décrits pour la première fois par Patrick Carnes dans le premier livre traitant de l’addiction sexuelle a. Ce cycle est assez similaire à celui que décrit


64

42

43

44

a Patrick Carnes, Out of the Shadow : Understanding Sexual Addiction, Hazelden, Center City, 2001 b Tiré du documentaire diffusé sur Arte, La route de l’Opium, 2010, VCF, Peter Findlay c Florence Sandis et JeanBenoît Dumonteix, op.cit., p.88 d Vincent Estellon, op. cit., p.62 e André Green, Pourqui les pulsions de destruction ou de mort ?, Éditions de l’Ithaque, Paris, 2010 f Ibid., p.258-259

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

Stanton dans le concept d’assuétude. Elle sera favorisée par les trois facteurs précédemment évoqués : le facteur socioculturel, psychologique et génétique. Le documentaire La Route de l’Opium b proposé par Arte montre justement que les utilisateurs d’héroïne sont souvent devenus consommateurs puis addicts après la mort d’un proche, la perte d’un emploi, mais aussi en réponse à une angoisse grandissante. Les différents témoignages issus du livre de Jean-Benoit Dumonteix et Florence Sandis proposent un portrait assez large des « causes de l’addiction ». Certains comme Céline, mère et épouse de 48 ans, confessent eux-mêmes que : « Si je suis devenue addict, c’est qu’il y avait un ensemble de choses qui n’allaient pas. Quand on tombe dans une drogue, c’est parce que cela ne va pas, il ne faut pas se voiler la face c ». L’angoisse qu’elle a fini par identifier était celle d’une personne qui avait peur de l’âge 42, et qui se sentait comme n’ayant jamais été autonome ni dans sa vie ni dans ses désirs. Vincent Estellon nous rapporte lui l’exemple de Martin d, qui après une relation amoureuse idyllique de deux ans se fait insulter, humilier et quitter. S’ensuit une profonde période de tristesse qu’il ponctue de relations sexuelles furtives et anonymes, une « sorte de zapping relationnel ». Progressivement, il se construit une carapace affective défensive que rien ne peut traverser, ni la maladie de son père, ni l’attachement que lui porte une jeune fille pendant plusieurs mois. Jeune fille que Martin quittera violemment quelques mois plus tard, la poussant tellement à bout qu’elle essaiera de mettre fin à ses jours. Il ne faut cependant pas généraliser et conclure hâtivement que tout enfant, adolescent ou adulte traumatisé sera forcément addict. Quelques hypothèses quant aux origines de l’addiction sexuelle sont discernables parmi les psychanalystes, psychologues et psychiatres. Le psychanalyste André Green en 1983 e, propose une autre cause possible de l’addiction sexuelle : c’est le passage soudain de la mère de l’enfant d’un objet chaleureux, excitant, source de vitalité à un objet froid, éteint, comme mort 43. L’abandon (affectif, physique ou matériel) de l’enfant, la présence morte de la mère peut faire développer à l’enfant deux types de réponses défensives : • Le désinvestissement de l’objet maternel et l’identification inconsciente à la mère morte. L’objet est ainsi désinvesti sans haine. Et par mimétisme, l’enfant pourra développer cette capacité à s’abstraire de la réalité affective ambiante de façon soudaine et inexpliquée. • La perte du sens. L’enfant confronté à l’impuissance construit des interprétations erronées dans lesquelles il s’attribue la responsabilité de ce changement. Il devient « interdit d’être » pour reprendre les termes de Green f. Cependant, chaque produit/comportement correspond à une recherche de la part de l’addict, la recherche du plaisir n’est pas la seule motivation : il y a également le moyen


Quand la jouissance implique-t-elle la souffrance ? 65

La préparation (la pulsion et ce que l’on met en place pour y répondre et la provoquer) ↘

Le passage à l’acte �

↗ Le retour à la préparation

Le soulagement �

La fuite ↖

Patrick Carnes, Cycle de la dépendance sexuelle, in Out of the Shadow : Understanding Sexual Addiction, Hazelden, Center City, 2001

g Joyce MacDougall, Éros aux mille et un visages, Gallimard, 1996, Paris

L’arrivée des émotions négatives, culpabilité, honte,… L’état dépressif

d’atteindre ce shoot. Ce moyen exprime une demande psychique/psychologique de la part d’un addict envers un produit particulier. Mais quelle est la demande émanant de l’addiction sexuelle ? Quelle doit-être la stimulation que le patient recherche pour que le sexe devienne un objet d’addiction ? Chaque être humain est doté d’un appareil génital, il est donc très simple d’en obtenir un certain plaisir par la masturbation ou par la relation sexuelle (à condition de l’accord d’un autre porteur d’appareil génital). Ceci étant, cela ne doit pas résumer l’addiction sexuelle au moyen le plus simple d’avoir du plaisir. Quels sont les autres facteurs en jeu ? L’un d’entre eux est le passé affectif des sujets, il est généralement douloureux ou susceptible d’entraîner un stress. Pour se protéger de ce stress lié à la sphère affective, ou à de futures situations similaires pouvant entraîner un stress, un processus de « désaffection » a alors lieu. Un endroit désaffecté est un endroit sans vie et laissé à l’abandon. Sur le plan psychique « un sujet désaffecté se vit comme séparé de ses propres affects, de ses émotions g ». C’est l’hypothèse qu’émet Joyce McDougall qui estime que « ces sujets ont fait précocement l’expérience d’émotions intenses qui menaçaient leur sentiment d’intégrité et d’identité et il leur a fallu, pour survivre psychiquement, ériger un système très solide pour prévenir un retour de leur vécu traumatique porteur d’anéantissement ». Cette désaffection permet ainsi de se protéger d’une blessure


66

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

pouvant raviver de vieilles cicatrices. De cette désaffection découle « la dispersion et l’atomisation des affects ». Les affects sont tout d’abord interdits puis pulvérisés sous forme d’actions diverses, à travers une forme de jouissance dans la destruction 45. Le corps tout entier devient ainsi un lieu de conflit. L’addiction sexuelle est une guérison, une fuite en avant de ce corps en perpétuel conflit. Ce conflit s’illustre par une quête compulsive dans laquelle McDougall repère trois défis : « Le défi de l’objet maternel interne (vécu comme absent ou incapable d’apporter un soulagement) ; le défi contre le père interne (jugé comme ayant failli à sa fonction paternelle et donc à le désavouer), défi projeté contre la société en entier ; le défi contre la mort avec deux formes, d’abord une position de toute-puissance, puis lorsque cette défense grandiose commence à s’effriter et qu’un sentiment de mort interne ne peut plus être nié, il y a une tendance à baisser les bras devant les pulsions de mort a ». Le sexe devient un objet d’addiction, car il est à portée de main (si j’ose dire) et qu’une détresse préalable est présente, poussant l’addict à chercher un réconfort dans une pratique, une substance permettant la sensation de plaisir. L’addiction à l’héroïne, à l’alcool ou même au tabac a des conséquences sur la santé de l’addict, mais quelles sont-elles sur un addict sexuel ? Y en a-t-il ?

45

a Ibid.


Quand la jouissance implique-t-elle la souffrance ? 67

une quête sans fin et sans conséquences ? Tout comportement addictif a des conséquences sur un addict, qu’elles soient sanitaires ou psychologiques. Quelles sont les conséquences inhérentes à l’addiction sexuelle ?

46

47

48

b Jeffrey T. Parson, Christian Grov, et David S. Bimbi, Sexual compulsivity and sexual risk in gay and bisexual men, Brooklyn College of the City University of New York, New York, 2010 c Tiré du téléfilm diffusé sur Arte, L'Abécédaire, Gilles Deleuze, 1996 d Vincent Estellon, op. cit., p. 49

Les conséquences sanitaires : L’activité sexuelle compulsive peut exiger la prise de drogues cherchant à améliorer les performances ou la sensibilité au plaisir comme le poppers, le G.H.B, le G.B.L, la cocaïne, le cristal, le viagra. L’étude de Jeffrey T. Parson tend à mettre en évidence les liens entre sexualité compulsive et prise de drogue b. Ces différentes drogues provoquent un panel d’effets pouvant favoriser l’activité sexuelle, allant de l’euphorie à la désinhibition sexuelle la plus totale en passant par l’hyperactivité physique ou la surdose de désir. La recherche de performance dans l’acte sexuel pousse donc à la consommation de drogues qui peuvent remettre en cause le port du préservatif ou toute autre protection contre M.S.T et I.S.T. Cette prise de risque peut également mettre en danger le co-addict (partenaire amoureux, mari, femme, amant, maîtresse). L’utilisation de ces drogues peut entraîner un sentiment d’euphorie, vertiges, mais également des états de coma potentiellement mortels. La recherche de sensations de plus en plus fortes est ce qui sous-tend les conséquences sur la santé par le recours aux drogues. Mais une stimulation plus forte peut également être générée par une prise de risque et une mise en danger de soi de plus en plus importante à travers l’acte sexuel (le barebacking, le fist-fucking, Near Death Experience Sexuality,…). Les conséquences psychologiques : L’addiction se résume assez globalement en une phrase : « C’est plus fort que moi ! ». En disant cela, c’est le Moi qui est rabaissé. Dans le cas de l’addiction sexuelle, il y a une recherche de désir à laquelle est liée sa non-satisfaction. Le corps entier de l’addict et toutes ses capacités sont mobilisés vers l’accomplissement de ce désir déjà impossible à assouvir. Le temps s’immobilise à travers cette compulsion de répétition. Elle agit certes comme élément qui annihile stress et anxiété, mais également qui essaye de répondre justement à cette recherche de désir. Selon l’Abécédaire de Gilles Deleuze c : « L’alcoolique est celui qui tend vers l’avant dernier verre avant de ne plus pouvoir en supporter plus, car le dernier verre est celui qui excède le pouvoir de l’alcoolique, en le dépassant il s’écroulerait ivre mort ». L’addict sexuel n’est-il pas dans une recherche perpétuelle de l’avant-dernier orgasme afin de pallier le précédent toujours décevant ? Or comme l’écrit Vincent Estellon d : « Cette frénésie sexuelle masque souvent une forte carence affective 47 : ce qui est recherché inconsciemment n’est pas tant le sexe qu’une situation de séduction où s’entremêlent des enjeux de passivité et d’activité ».La confusion de la demande inconsciente et de la demande consciente amène


68

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?

l’addict à être en recherche de sensations, transformant l’injonction « aime-moi » en « baise-moi ». Vincent Estellon propose également d’autres modalités de fonctionnement psychiques comme a : • La décharge immédiate de la tension pulsionnelle sans possibilité de la différer

• Les dépressions masquées et le processus mélancolique

• La difficile intériorisation psychique du désir concomittant du recours à l’agir

• Les difficultés techniques relevant de la prise en charge thérapeutique de ces fonctionnements pathologiques

• La compulsion de répétition, la répétitivité mortifère, le masochisme moral

• La destructivité

• Les solutions de désobjectalisation et de désexualisation

• La dimension mélancolique autosacrificielle

a Ibid., p.50 b Florence Sandis et Jean-Benoît Dumonteix, op. cit., p.235 c Patrick Carnes, op. cit., p.14-15

Les modalités que Vincent Estellon repère ne sont-elles pas proches du modèle marketing ? La décharge immédiate de la tension pulsionnelle ainsi que la prévalence de l’agir sur le désir font partie des caractéristiques marketing que conseille Bernays. La compulsion de répétition, la dimension mélancolique autosacrificielle ainsi que le processus mélancolique s’apparentent au schéma addictif. L’addiction sexuelle opère un changement en profondeur de l’addict, en plus de ces modifications psychologiques, des modifications sociales apparaissent. L’addiction sexuelle cumule les conséquences sanitaires, psychologiques, mais également sociétales. Irène Codina explique d’ailleurs que les addicts sexuels dans leur volonté d’affranchissement « … sont souvent poussés par un proche, mais ils peuvent aussi avoir pris eux-mêmes cette décision pour des raisons morales, sociétales, familiales, religieuses ou financières. Ils se sont parfois ruinés sur les sites pornographiques payants ou en consommation de prostituées. D’autres fois, ils sont à bout, car leur addiction est complètement chronophage b ». Ceci dit, les poids les plus lourds à porter pour un addict sexuel sont la honte et le mensonge qui touchent tous les deux à la sphère sociale. Ces deux poids les poussent d’ailleurs à se constituer une double vie, quitte à ce que « Their secret lives become more real than their public lives. What other people know is a false identity. Only the individual addict knows the shame of living a double life - the real world and the addict’s world c » / Leur vie secrète devient plus concrète que leur vie publique. Ce que les autres connaissent d’eux est faux. Seul un addict connaît vraiment la honte de vivre une double vie — la vraie, et celle de l’addict. Quand le sexe devient plus important que tout, l’addict se retrouve esseulé et honteux. C’est l’un des freins les plus importants que je vais rencontrer en tant que designer graphique : le tabou représenté par le sexe et l’idée même d’addiction à ce dernier. Mais il ne faut pas oublier que la souffrance s’étend également aux co-addicts, partenaires amoureux ou sexuels qui subissent bien souvent l’addiction secrète de leur conjoint.


Quand la jouissance implique-t-elle la souffrance ? 69


70

Mademoiselle Scarlett, Dorcel Store pour la coupe du monde au Brésil, 2014

II. Tous plaisiromanes sans le savoir ?


Quand la jouissance implique-t-elle la souffrance ? 71

Réification Les addicts sexuels n’ont en effet pas besoin d’une exposition médiatique comme celle que leur a offerte, malgré lui, l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Les dérives d’une telle exposition sont celles qui favorisent l’amalgamme entre l’idée d’addiction sexuelle et celle de la perversité. Quelle est la manière d’aborder le sujet aujourd’hui ? Dans une société qui pousse à l’addiction, comment cela peut-il être vu de s’exprimer sur une addiction qui apparaît comme étant le témoin de l’extrémisation du marketing capitaliste ? Ce mécanisme de marchandisation de tout ce qui existe ne doit-il pas être autant montré que la souffrance de ceux qui en sont prisonniers ? Ne dois-je pas me positionner en tant que designer graphique de ce que j’ai pu analyser : la surconsommation moteur de croissance et d’addiction afin de questionner et d’alerter ?


Bloom, RadioNova, Seriously Addictive Music, Dublin, 2012



Grey Milan, Playing is fun if you don't push it too far, Gioca il Giusto, 2009




III. Jouissez sans entraves, mais sans excès


78

III. Jouissez sans entraves, mais sans excès


79

Par la prévention

49

50

51

a IFAC, Les dépendances sexuelles et affectives, [en ligne], 2014 www.ifac-addictions.fr b Marie-Amélie Lombard, L’addiction sexuelle concerne 5 à 10 % de la population, [en ligne], 2012, http://sante.lefigaro.fr c Thierry Brugvin, Remarques et questions du sociologue, Pensée Plurielle, no 23, 2010 d Ibid. e Jean Baudrillard, op. cit., p.123

Aux États-Unis, cette addiction concernerait entre 3 et 6 % de la population avec comme critère principal un comportement sexuel compulsif a. En France, selon Jean-Benoit Dumonteix cette part de la population varie entre 5 et 10 % b. Il précise également que les sollicitations deviennent de plus en plus nombreuses et que comme cette addiction permet une consommation rapide et discrète dès le moment où un isolement est possible (le corps même de l’addict est toujours disponible, et aucun curseur de tolérance n’est inscrit dans son comportement), cette addiction a toutes les chances de se développer. La cible principale serait les nouvelles sphères de citoyens consommateurs, connectés et plongés dès le plus jeune âge dans un système où l’accès au plaisir est immédiat et facilité. Patrick Pharo remarque deux caractéristiques de l’addiction contemporaine. « Le premier est l’extrêmisation des pratiques de consommation au travers de la purification et du caractère de plus en plus actif des produits disponibles c ». Cela se constate en effet dans l’augmentation en concentration du taux de substances actives dans les opiacés, le cannabis, l’héroïne, les boissons survitaminées, etc. En un siècle, l’opium est devenu héroïne, la feuille de coca est devenue métamphétamine, le cannabis est de plus en plus concentré en T.H.C, les exemples sont nombreux à ce titre. Pour ce qui est du marché du sexe, la démocratisation du plaisir sexuel a également permis de varier les plaisirs. Atteindre le plaisir ultime s’est complexifié au point d’être promis par des machines de plus en plus complexes, sophistiquées et onéreuses afin de pallier une sexualité partagée où l’orgasme n’est pas systématique. La deuxième caractéristique est celle de la logique du marché 49, qui permet de rendre universellement accessibles tous les produits et préparations découvertes depuis des millénaires d. C’est la qualité primordiale d’une société de consommation moderne que de proposer tous les produits qui peuvent engendrer un plaisir et donc avoir une valeur. « Le système de besoin est le produit du système de production », explique simplement Jean Baudrillard e. La société actuelle met à disposition ces produits illégaux ou non, sexuels ou non. La demande de plaisir est présente, aussi une réponse est proposée. Pour toute consommation il existe un risque d’abus 50 et d’addiction, devrais-je prévenir quant à son existence, sa possibilité et ses risques ? L’institut Fédératif des Addictions Comportementales se positionne déjà sur les addictions sans substances comme le sexe, mais également le jeu d’argent, les jeux vidéos, etc. Le site internet de l’I.F.A.C ainsi que quelques brochures permettent d’informer et d’orienter vers une plateforme d’aide aux addicts sexuels (conscients de leur addiction), ou de se poser la question de son addiction sexuelle. Mais aucune


80

a INPES, La santé de l’Homme, no 396, [en ligne], juillet-août 2008, www.inpes.sante.fr b Lucie de la Héronnière, Lutte contre l’obésité : des stratégies de prévention pas toujours efficaces, [en ligne], 2012, http://blog.slate.fr c S.O.S Addictions, Le mot du président, [en ligne], 2014, http://sos-addictions.org d Thierry Brugvin, Les causes psychosociologiques de l’addiction dans une société capitaliste, Pensée Plurielle, no 23, 2010

III. Jouissez sans entraves, mais sans excès

initiative étatique ou associative n’a jusqu’alors vu le jour. L’I.N.P.E.S se garde bien de s’exprimer quant à cette addiction, le terme d’addiction sexuelle n’apparaît que dans un magazine publié durant l’été 2008. Elle est citée comme nouvelle addiction sans prise de conscience particulière à ce propos a. Pour prendre l’exemple des campagnes de prévention quant à la malbouffe et à l’obésité, Caroline Werle a observé que l’argument santé n’était pas efficace, contrairement à l’argument social b. Elle conseille ainsi d’avoir recours à des slogans de ce style : « repas déséquilibrés, moqueries assurées », car le facteur social pour un adolescent en pleine construction se place au centre de son attention. Des associations comme S.O.S Addictions ont une approche protectionniste sur l’addiction : « Les objectifs de S.O.S Addictions sont, avant tout, d’apporter une parole moderne et lisible par tous sur la problématique des addictions. Il y a aujourd’hui des solutions de prévention, de réduction des risques ou de soins. C’est le premier objectif de S.O.S Addictions de diffuser ces possibilités-là. On peut faire beaucoup mieux dans le champ des addictions, beaucoup plus protecteur c ». Comment pourrais-je m’inscrire dans l’idée de reculer l’âge de la première prise (Thème 2014 de l’association S.O.S Addictions) en parlant de l’addiction sexuelle ? Puisque tout comportement de consommation induit une possibilité d’addiction, n’estce pas rétrograde de considérer la prise d’un produit comme le premier pas vers une addiction certaine ? Thierry Brugvin nous explique que « la préservation des biens ne peut se limiter à des lois relevant de l’hétéronomie, c.-à-d. des lois extérieures à l’être humain, elle suppose une éthique de l’autolimitation individuelle (Castoriadis, 1996), une autolimitation fondée sur le principe de la sobriété heureuse (Pierre Rabhi) ou de la simplicité volontaire (Burch, 2003) s’inscrivant dans le registre de l’autonomie d ». C’est s’exprimer au même plan que la publicité que de vouloir prévenir les risques de la surconsommation, les marques sont déjà nombreuses à s’exprimer sur les risques que leurs produits peuvent engendrer pour la santé lorsque l’état le leur impose. Dois-je lier mon travail au leur ? Ne dois-je pas justement éviter toute moralisation et prévention quant à un comportement (dans notre cas l’activité sexuelle), mais une forme de prévention quant au phénomène d’addiction ? Accompagner les addicts vers un soutien dans leur souffrance serait-elle une meilleure hypothèse de projet ?


81

Par l’accompagnement

En ce qui concerne l’addiction sexuelle, une association existe en France : D.A.S.A (Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes), adaptation francophone du mouvement S.L.A.A (Sex And Love Addict) lui-même inspiré des Alcooliques Anonymes. Ces groupes passent par un programme en 12 étapes, similaire à celui des alcooliques anonymes, que Patrick Carnes considérait comme pouvant aider n’importe quel addict (toutes substances et comportements confondus) à s’en sortir. Voici ces douze étapes e : 1 – Nous avons admis que nous étions impuissants devant notre dépendance affective et sexuelle, que nous avions perdu la maîtrise de nos vies. 2 – Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance Supérieure à nousmêmes pouvait nous rendre la raison. 3 – Nous avons décidé de confier notre volonté et nos vies aux soins de Dieu tel que nous Le concevions. 4 – Nous avons courageusement procédé à un inventaire moral et minutieux de nous-mêmes. 5 – Nous avons admis à Dieu, à nousmêmes et à un autre être humain la nature exacte de nos torts. 6 – Nous avons pleinement consenti à ce que Dieu éliminât tous ces défauts de caractère. 7 – Nous Lui avons humblement demandé de faire disparaître nos déficiences.

e Dépendants Affectifs etSexuels Anonymes, Les 12 Étapes de DASA, [en ligne], http://dasafrance.free.fr

8 – Nous avons dressé une liste de toutes les personnes que nous avions lésées et nous avons résolu de leur faire amende honorable. 9 – Nous avons réparé nos torts directement envers ces personnes, partout où c’était possible, sauf lorsqu’en ce faisant nous pouvions leur nuire ou faire tort à d’autres. 10 – Nous avons poursuivi notre inventaire personnel et admis nos torts dès que nous nous en sommes aperçus. 11 – Nous avons cherché par la prière et la méditation à améliorer notre contact conscient avec Dieu, tel que nous Le concevions, Le priant seulement de nous faire connaître Sa volonté à notre égard et de nous donner la force de l’exécuter. 12 – Ayant connu un réveil spirituel comme résultat de ces étapes, nous avons alors essayé de transmettre ce message aux autres dépendants affectifs et sexuels et de mettre en pratique ces principes dans tous les domaines de notre vie.

Ces douze étapes sont également accompagnées des douze caractéristiques, et des douze traditions D.A.S.A. La sublimation est le meilleur moyen de vaincre une addiction, en dérivant la pulsion de consommation vers un objet ne faisant plus partie de l’addiction, la pulsion de répétition est peu à peu mise à mal et court-circuitée. Mais cette étape n’est possible qu’après la reconnaissance de l’addiction par soi, qu’après avoir dépassé la honte et être prêt à se remettre en question. Ce processus est favorisé par les groupes de paroles, qui reviennent à de nombreuses reprises dans les témoignages du livre de JeanBenoît Dumonteix et Florence Sandis comme des éléments


82

III. Jouissez sans entraves, mais sans excès

positifs dans la rémission des addicts. Les douze étapes me posent un problème quant à ce processus de sublimation déplacé ici sur l’existence d’un Dieu, d’un être supérieur. L’accompagnement doit exister pour permettre à l’addict d’entreprendre des démarches personnelles afin d’enrayer ce processus addictif nocif. Mais je ne veux pas m’exprimer avec un point de vue moralisateur sur un sujet comme le sexe ni aiguiller les addicts vers une association qui fait appel à une puissance supérieure. Même si l’idée de puissance supérieure anonyme permet la projection du moi idéal : « Mais il semble bien que c’est précisément cette dimension religieuse qui constitue le cœur de l’efficacité de ces traitements : des tentatives ont été faites pour construire des groupes fondés sur le programme de type ‹ douze étapes ›, mais sans succès réel. C’est cette dimension spirituelle, quête d’élévation plus que d’interprétation, qui peut, ici, devenir une réanimation du désir mourant a ».

a Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak, op. cit., p.226 b CNAP, La Commande de Design Graphique, [en ligne], 2014, www.cnap.fr c Marie-José Mondzain in Jean-Baptiste Raynal, Le Graphisme engagé est-il encore d’actualité ?, Mémoire de fin d’études, examen du D.N.S.E.P Session 2008, Département de communication graphique de l’école supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, sous la direction de Guy Meyer, 2008

D’autre part, après avoir contacté l’association D.A.S.A, la réponse que j’ai reçue m’a confirmé que mon projet ne devait pas s’engager dans l’accompagnement, vu que D.A.S.A, d’après mes recherches, s’avère être la seule association de soutien aux dépendants sexuels et affectifs en France. Or, comme l’exprime très clairement la publication du C.N.A.P intitulée la commande de design graphique : « Faire appel à un designer graphique externe à son organisation, c’est s’ouvrir à des conceptions et créations nouvelles et s’adjoindre les compétences d’un professionnel en mesure d’apporter une vision différente et distanciée, en mettant en œuvre des aptitudes et des savoir-faire bien spécifiques b ». Aucune demande n’émane de cette association qui me paraît être l’élément central de l’accompagnement en France, aussi ma place de designer n’est pas celle-ci. Même si la demande était belle et bien présente, l’addiction sexuelle soulève d’autres problématiques que la souffrance des addicts. Cette addiction ne constitue-t-elle pas le symptôme principal d’une société gangrénée par une consommation débridée où tout ce qui la compose est produit ? Mon rôle de designer n’est-il pas justement de révéler ce système qui mène à l’addiction ? Les addicts ont besoin de reconnaissance et d’assistance, mais le problème ne vient pas d’eux. Comme nous l’avons vu précédemment, l’addiction dépend de plusieurs facteurs. Et je pense que le facteur social est aujourd’hui décisif dans l’apparition de cette addiction. Ce sont les conditions d’apparition de cette addiction dans la sphère publique que je veux exposer. Je veux pousser à la réflexion quant à l’apparition de cette addiction, je veux faire réfléchir sur ce qu’est l’addiction sexuelle, sur ce que sont les addicts sexuels, sur le lien qui existe entre une société garantissant l’accès au bonheur et l’apparition croissante d’addictions. Le rôle du graphiste n’est-il pas celui que défini Marie-José Mondzain : « produire des énigmes visuelles qui mobilisent la pensée et convoquent la parole, seule voie pour que le graphisme participe à la constitution d’un espace public c » ?


Par l’accompagnement 83

« Ce n’est pas le propos de D.A.S.A de participer à l’évolution de la connaissance au sein de la société de notre mal ni de s’intéresser à l’opinion publique sur le sujet. Ce n’est pas à D.A.S.A non plus de s’occuper de la façon dont le corps médical fonctionne et reconnaît ou traite ces troubles. Ce qui nous concerne c’est notre rétablissement et notre programme qui fonctionne pour nous. Nous ne recherchons de plus aucune publicité et n’avons pas de projet de communication particulier, nous créons nos propres documents et nous les déposons aux endroits que nous considérons opportuns. Enfin, ce n’est pas « la situation » qui demande de l’anonymat, c’est que l’anonymat tel que nous l’entendons à D.A.S.A est très important parmi les principes mis en œuvre dans notre fonctionnement et notre rétablissement. Ce n’est pas le secret ou la honte, c’est bien autre chose. L’anonymat est pour nous un puissant outil et pas une fermeture qui nous pousse à l’ombre. Bien à vous, Dominique du C.I.P de D.A.S.A » Extrait tiré d’une correspondance numérique, réponse de Dominique, 12 octobre 2014


84

III. Jouissez sans entraves, mais sans excès


85

Par la manifestation

52

53

54

a Jean-Baptiste Raynal, op. cit. b Rick Poynor, La Loi du plus fort, Pyramyd, Paris, 2002 c A.T.T.A.C, T.A.F.T.A, le Grand Marché transatlantique, [en ligne], https://france.attac.org

Le graphisme politique actuel, dénonciateur au sein de la sphère publique, prend ses sources dans l’école polonaise apparue après la Seconde Guerre Mondiale. Des graphistes comme Roman Cieslewicz 52, Henryk Tomaszewski 53 ou Julian Palka joueront un rôle majeur dans le développement et la diffusion de la dénonciation graphique, de la poésie militante en opposition au pouvoir soviétique mis en place à ce moment-là. Cette esthétique si particulière, influencée ni par le Bahaus ni par le Constructivisme, sera transmise par l’intermédiaire de l’université de Varsovie à des graphistes français comme Alain Le Quernec 54 ou Pierre Bernard qui le vulgariseront par la suite en France. C’est Mai 68 qui fit de l’affiche le support de prédilection de contestation et de transmission de messages politiques dont découlèrent Grapus, Nous Travaillons Ensemble, puis plus récemment Vincent Perrottet, Michel Quarez ou encore David Poullard. Pourtant, la dénonciation politique, le graphisme d’utilité sociale et de l’engagement, Jean-Baptiste Raynal l’envisage comme « un déclin français contemporain a ». Il l’explique par une évolution des valeurs sociétales, faisant migrer l’intérêt public vers l’intérêt commercial. Il expose également l’apparition de l’égo-graphisme comme une mise en avant de la forme au détriment de la fonction et ce, à cause du cumul imposé des rôles du graphiste par le commanditaire soucieux d’économiser le plus possible. Dans la mesure où le problème central de mon sujet, ainsi que du graphisme aujourd’hui est la quête de la rentabilité à tout prix, n’est-il pas pertinent de m’exprimer quant à cette question ? Et ainsi de porter la société de consommation au milieu d’un débat de santé public ? Rick Poynor pose très justement cette question qui, je pense, va influencer mon projet : « Si un activiste amateur muni d’un marqueur, d’un pot de colle et de compétences graphiques rudimentaires, pouvait donner à réfléchir, que pourrait accomplir une forme d’activisme graphique plus professionnelle b ? ». Protestez, mais avec qui ? La question d’une réforme de la société a déjà été posée à travers différentes orientations par l’association A.T.T.A.C (Association pour la Taxation des Transactions financières et pour l’Action Citoyenne), qui tour à tour a voulu créer le débat sur l’austérité, le climat ou la réforme des retraites à un niveau national. Cette association propose un guide suivant les combats dans lesquels les sympathisants / adhérents veulent s’inscrire, avec, par exemple, le cas du traité T.A.F.T.A (Transatlantic Free Trade Area c),mais également des outils de lutte pour dénoncer


86

55

56

57

a ATTAC, Les requins, [en ligne], http://www.lesrequins.org b Yes Men, Latest Hijicks, [en ligne], http://theyesmen.org c Les Casseurs de Pub, Info, [en ligne], www.casseursdepub.org d Adbusters, [en ligne], www.adbusters.org e Cities Next, The Great Schlep, [en ligne], 2008, http://citiesnext.com f Dan Rowinski, The majority of porn in the United States is ciewed on smartphones, the era of ubiquitous computing is truly upon us, [en ligne], 2013, http://readwrite.com

III. Jouissez sans entraves, mais sans excès

les abus de la finance par exemple 55, a. Une telle association serait en mesure de vouloir porter le message que mon projet commence à dessiner. Même si le problème qui s’esquisse ici est l’absence de participation des membres dénonciateurs, la prise de conscience est idéologique et l’action est politique. Je pense que pour que mon projet prenne une ampleur qui permette d’avoir un impact autant sur l’opinion publique quant à la réflexion sur la consommation, que sur l’addiction sexuelle, il faut que l’action soit forte et franche. Je ne peux m’empêcher de penser aux Yes Men, qui, à de nombreuses reprises et par des actions simples mais frappantes, ont réussi à susciter le débat quant au système du marché libre et ses conséquences sanitaires et sociales b. Il est important que ce projet prenne place dans un contexte apolitique, où la motivation est la quête du bien public. L’association Casseurs de pub me paraît également être une piste intéressante à envisager quand on peut lire que leur description est : « Crée en 1999, Casseurs de pub est une association loi de 1901 dont l’objectif est de promouvoir la création graphique et artistique basée sur la critique de la société de consommation et la promotion d’alternatives. Dans ce sens, l’association diffuse une revue annuelle Casseurs de pub et un journal mensuel La Décroissance 56 tirés tous les deux à 45 000 exemplaires, disponibles sur abonnement et en kiosques c » et revendique également leur parenté avec Adbusters 57 d. Au sein de mon enquête, je relève ces trois pistes potentielles dont le ton polémique et engagé convient à la nature de mon message que sont A.T.T.A.C, Les Casseurs de pub et Adbusters. Crise financière / crise sanitaire  L’un des principaux freins est l’association entre sexe, addiction et surconsommation, mais aussi le fait que je m’adresse à des consommateurs embrigadés dans ce système depuis leur naissance. En effet mon projet s’appuie sur l’addiction sexuelle pour la placer comme élément révélateur des excès de la société de consommation. Ce sont les néo / primo consommateurs de sexe qui peuvent le mieux permettre une mobilisation et un questionnement sur ce problème. Cette stratégie a été payante avec l’opération The Great Schlep (conçue par l’agence Droga5 de New York) qui a permis la réélection de Barack Obama. Cette opération encourageait les jeunes juifs à aller voir leurs aïeux partis en Floride, et à en profiter pour les encourager à voter Obama e. Ces 18-30 ans, les primo/néo votants sont constamment sollicités par l’image publicitaire, pornographique et par le multimédia en général (P.C, smartphones, tablettes). L’addiction sexuelle apparaît comme étant favorisée par les nouveaux médias, avec en 2013 aux États-Unis, une fréquentation du site internet Pornhub plus importante sur smartphone (52 %), que depuis un P.C (38 %), le reste des connexions étant effectué depuis une tablette f. Une action sur les nouveaux médias, de l’ordre du spam ou du pop-up serait un bon premier temps. Vu que le SPAM / pop-up pornographique s’immisce dans


Par la manifestation 87

58

la vie de chacun sans que l’on sache vraiment comment (mais en vérité, à travers la consultation de sites pornographiques, soyons sincères), s’en servir me semble une idée à creuser. Un exemple de la sorte (mais sous forme d’autocollant sur les boites aux lettres, l’ancêtre du pop-up) avait été réalisé dans les années 80 afin d’encourager les clients à mettre leurs piles usagées dans les boîtes aux lettres. Ce faux communiqué avait été diffusé dans le but de faire pression sur le ministère fédéral des postes en raison des liens suspects qu’il avait tissé avec une entreprise de recyclage de piles g. Une campagne d’affichage de style guérilla marketing pourra dans un second temps réaffirmer le propos. Un ton engagé doit être utilisé, mais ne pas effrayer. Le but est de dénoncer et de proposer un débat, de questionner l’actuel et de le remettre en cause. L’addiction sexuelle présentée comme conséquence sanitaire d’une société de consommation en crise mobilise une articulation des arguments qui peut être assez opaque, la publication d’un manifeste pourrait ainsi permettre d’aller dans le détail du projet et de faire participer sociologues, chercheurs et autres et de les amener à réfléchir sur le sujet. Ce manifeste pourrait également accompagner une exposition qui résumerait l’action engagée, les supports créés, et proposer des conférences sur ce thème.

« Étant donné que nul ne peut se passer des effets psychoactifs liés aux drogues aussi bien qu’aux aliments et à beaucoup d’autres activités potentiellement addictives comme l’amour, la religion ou le travail, la seule question vraiment pertinente est de savoir comment gérer au mieux la recherche de ces effets, ce qui est une question à la fois de rationalité pratique et de liberté morale h ».

g Autonome a.f.r.i.k.agruppe, Luther Blissett, Sonja Brünzels, Manuel de communication Guérilla, traduit et adapté de l’allemand par Olivier Cyran, Zones, Paris, 2011 h Patrick Pharo, Introduction, Pensée Plurielle, no23, 2010, p.12 i Max Daly, Le magazine Illegal ! vous apprend à mieux consommer votre drogue, [en ligne], 2014, www.vice.com

Afin de briser le tabou de cette addiction, la remise en cause du capitalisme comme raison principale pourrait ainsi côtoyer des groupes de paroles et faire tomber la honte qui pèse sur cette addiction. Ce projet pourrait devenir une base solide pour une réflexion sur l’addiction sexuelle et l’addiction consumériste. Et faire comprendre que si chaque produit peut être addictogène, alors il faut accompagner chacun dans la consommation de celui-ci pour éviter qu’il ne tombe dans ce piège. C’est ce que tente de faire le magazine Illegal 58 à Londres concernant la consommation de diverses drogues dures : « La recherche a démontré que plus les jeunes en savaient sur les réalités du sexe, moins ils avaient de chances de choper une MST. C’est la même chose avec la drogue. Plus les gens sont informés, moins ils ont de chance de se nuire i ». Sans moraliser, mais en amenant le débat, ce magazine a pour vocation de faire évoluer les mentalités, ce qui est une des ambitions de mon projet.


88

CLM BBDO, The Ultimate Attraction, BMW, 2002

III. Jouissez sans entraves, mais sans excès


Par la manifestation 89

Prendre ses précautions L’écueil dans lequel mon projet ne doit surtout pas tomber est celui de la moralisation de la sexualité. L’addiction sexuelle me sert de prétexte à m’exprimer sur un sujet plus vaste, mais je ne dois pas non plus cantonner cette cause à un prétexte. Il faut que je puisse m’appuyer sur la sensibilisation quant à l’addiction sexuelle comme déclic public dû aux dérives consuméristes.


F*ck Art, Museum of Sex, New York, 2012



Natasha Dow Schüll, Addiction by Design : Machine Gambling in Las Vegas, 2014, Princeton University Press


Conclusion


94 Conclusion

a Vincent Estellon, op. cit., p. 9 b Platon, Le Protagoras, Poche, 1997


95

Le sexe, le chocolat, le tabac, l’héroïne, la télévision, le sucre, le travail procurent du plaisir, et par conséquent peuvent entraîner des comportements addictifs. Ce n’est pas la dangerosité du produit qui fait son caractère addictogène, mais la capacité de chacun à pouvoir se soustraire à un comportement addictif face à une source de plaisir. L’addiction sexuelle a pourtant ceci de différent qu’elle touche à un domaine bien particulier de l’Homme : sa sexualité. Un sujet tabou et intime, où chaque débat de santé public est complexe. Le SIDA et le préservatif sont un débat de santé public depuis plus de 20 ans, l’addiction sexuelle va peut-être le devenir pour les prochaines années. Pourtant, cette addiction, qui a été découverte dans le même temps que le SIDA a, n’a rien d’une maladie, c’est le produit de différents facteurs. Celui de l’exposition au produit, de la caractéristique du produit et de la vulnérabilité de l’individu. Un individu se retrouve vulnérable face à un comportement de prise de drogue lors d’un stress, d’un évènement traumatique. Ce stress résulte de la non-protection des citoyens par l’État, qui se retrouvent en proie à la crise économique, au chômage, au stress, à la dépression. Faisant de ces individus des consommateurs addicts pressés de trouver du plaisir dans ce qui leur reste : leur sexe. La stimulation sexuelle est de plus en plus simple à percevoir dans une société où l’image « prostitue le produit ». L’individu devient addict seulement quand il a la pleine conscience du dérèglement de l’akrasia. C’est un concept qui me semble intéressant à noter ici : le fait qu’un agent choisisse de faire une action x plutôt que y, alors que y lui paraît préférable à x. Aristote l’explique par la mise en suspense du meilleur jugement au profit de la perception immédiate du plaisir b. Toute l’addiction repose sur ce concept ainsi que sur celui de l’assuétude. Mon hypothèse d’intervention en tant que designer me paraît être celle du citoyen graphiste possédant les outils pour engager un débat et sensibiliser à la question qu’il soulève. Car même si l’addiction sexuelle fait souffrir, il ne faut pas la moraliser. Je ne peux pas donc m’exprimer de but en blanc sur celle-ci quand on a pu voir ô combien elle est subjective. Mais il me faut, je pense, réussir à lier le débat


96

a Thierry Brugvin, op. cit.


97

entre surconsommation, surbaise et addiction. Là est tout l’enjeu de mon projet. « L’addiction sexuelle, c’est un sujet qui te touche personnellement ? ». Après avoir écrit ce mémoire, je peux dire que oui. Chacun est concerné par cette addiction, dans la mesure où une part croissante d’entre nous sera née dans un système qui prône l’accès au plaisir immédiat et facile. L’addiction sexuelle nous prouve déjà que le désir est en danger, que cette étape qui sépare le manque du plaisir est en train de se réduire, au point que certains d’entre nous ne veulent plus quitter cet état : la consommation est (devenue) l’opium du peuple a, et par conséquent le désir aussi.





Sources


102 Sources

Bibliographie Dr Yair Amichai-Hamburgers, The Invention of Being Lonely, 2012 Autonome a.f.r.i.k.a-gruppe, Luther Blissett, Sonja Brünzels, Manuel de communication Guerilla, traduit et adapté de l’allemand par Olivier Cyran, Zones, Paris, 2011 Daniel Bailly, De l’utilisation de drogues à la dépendance aux drogues, Addiction quels soins ?, Compte-rendu du congrès de Nantes, Elsevier-Masson, Paris, 1997 Jean Baudrillard, La société de consommation, Folio, Paris, 1986 Lawrence C. Becker et Charlotte B. Becker, Encyclopedia of Ethics, Garland Publishing Inc., New York, 1992 Balthazar Bekker, Onania or the Heinous Sin of Self-Pollution, and All Its Frightfull Consequences in Both Sexes, Londres, 1716, réedité par Books Group, 2012 Marie Bonaparte, The origins of psychoanalysis. Letters to Wilhelm Fliess, drafts and notes: 1887-1902, New York, Basic Books, 1954 Patrick Carnes, Out of the Shadow : Understanding Sexual Addiction, Hazelden, Center City, 2001 Christian Bucher, Addiction au jeu, in Collectif, Jeux de hasard et d’argent : Contextes et addictions, INSERM Mona Chollet, Beauté Fatale, Zones, Paris, 2012 John Cleland, Fanny Hill, Memoirs of a Woman of Pleasure, Londres, publié deNovembre 1748 à Février 1749 Dominique Cupa, Michel Reynaud, Vladimir Marinov, Entre Corps et psyché, les addictions, EDK Éditions, 2010 Xavier Deleu, Le consensus pornographique, Mango, Paris, 2012 Bret Easton Ellis, American Psycho, Vintage Books, New York, 1991 Vincent Estellon, Les Sex Addicts, Puf, Paris, 2014 Otto Fénichel, La théorie psychanalytique des névroses, PUF, Paris, 1987 Michel Foucault, Histoire de la sexualité Tome 1, La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976 Sigmund Freud, La sexualité dans l’étiologie des névroses, 1898, in Résultats, Idées, Problèmes, Tome 1, 1890-1920, PUF, 1998


103

André Green, Pourqui les pulsions de destruction ou de mort ?, Éditions de l’Ithaque, 2010, Paris Joyce MacDougall, Éros aux mille et un visages, Gallimard, 1996, Paris Michela Marzano, Malaise dans la sexualité, le piège de la pornographie, JC Lattès, Paris, 2006 Abraham Maslow, A Theory of Human Motivation, Psychological Review, 1943 Dominique Méda, Qu’est ce que la richesse ?, Champs Flammarion, Paris, 2000 Ruwen Ogien, Penser la Pornographie, Puf, Paris, 2008 Jeffrey T. Parson, Christian Grov, et David S. Bimbi, Sexual compulsivity and sexual risk in gay and bisexual men, Brooklyn College of the City University of New York, New York, 2010 Stanton Peele, The addiction experience, Hazelden, 1980 Stanton Peele with Archie Brodsky, Love and Addiction, Broadrow Publications, 1982 Rick Poynor, La Loi du plus fort, Pyramyd, Paris, 2002 Jeremy Rifkin, L’âge de l’accès, la nouvelle culture du capitalisme, La Découverte Poche / Essais, Paris, 2005 Mathilde Saïet, Les addictions, PUF, Paris, 2011 Florence Sandis et Jean-Benoît Dumonteix, Les Sex-Addicts : Quand le sexe devient une drogue dure, Pocket, 2013, Paris C.M.S. Sandras, De la nymphomanie et du satyriasis, Traité pratique des maladies nerveuses, Germer-Baillère, Paris, 1851 André Seidenberg et Ueli Honegger, Méthadone, héroïne et autres opioïdes : la prescription des opioïdes en milieu ambulatoire, Éditions Médecine & hygiène, Genève, 2001 Samuel-Auguste Tissot, Avis au peuple sur sa santé, Lausanne, 1761 Marc Valleur et Jean-Claude Matysiak, Le Désir Malade, J.C Lattès, 2011, Paris Jean-Luc Venisse, Daniel Bailly, Addiction quels soins ?, Compte-rendu du congrès de Nantes, Elsevier-Masson, Paris, 1997


104 Sources

Webographie Adbusters, www.adbusters.org, [en ligne], consulté le 20/11/2014 Master 2 Communication et Contenus Numérique sous la direction de Benoît d’Aiguillon, promotion 2010-2011, L’évolution du statut de la femme, www.lapublicite.fr/lapublicite-et-les-femmes/levolution-du-statut-de-la-femme. html, [en ligne], École de Journalisme et de Communication, Marseille, créé en 2009, consulté le 01.10.2014 Alcool info Service, Le poids économique et culturel de l’alcool, www.alcool-info-service.fr/alcool/consommationalcool-france/culture-alcool-consommation-vin#.VJr5ccADA [en ligne], créé en 2011, consulté le 27.10.2014 Pierre Ancery, La cocaïne, une passion moderne, www.slate.fr/story/52883/cocaine, [en ligne], créé le 12.04.2012, consulté le 07.10.2014 ATTAC, TAFTA, le Grand Marché transatlantique, https://france.attac.org/se-mobiliser/le-grand-marchetransatlantique, [en ligne], consulté le 12/11/2014 ATTAC, Une opération de communication et d’action citoyenne inédite et de grande ampleur, www.lesrequins.org/pourquoi, [en ligne], consulté le 12/11/2014 Martie Bartnik, De plus en plus de ménages surendettés, www.lefigaro.fr/conso/2014/02/27/0500720140227ARTFIG00216-de-plus-en-plus-de-menagessurendettes.php, créé le 27.02.14, consulté le 11.11.2014 Pascale Boudeville et Fabien Magnenou, Où va l’argent des taxes sur les cigarettes ?, www.francetvinfo.fr/sante/ lutte-contre-le-tabagisme/ou-va-l-argent-des-taxes-surles-cigarettes_355602.html, [en ligne], créé le 01.07.2013, consulté le 22.09.2014 Jean-Laurent Cassely, Sex@mour, une sociologie du plan cul, [en ligne], www.slate.fr/story/24099/sexamour-unesociologie-du-plan-cul, créé le 06.07.2010, mis à jour le 28.08.2012, consulté le 11.09.2014 Mona Chollet, L’inventeur du marketing, www.monde-diplomatique.fr/mav/96/CHOLLET/16549, [en ligne], créé le 12.2007, consulté le 10.09.2014 Cities Next, The Great Schlep, http://citiesnext.com/project/ the-great-schlep, [en ligne], consulté le 08/10/2014


105

CNAP, La Commande de Design Graphique, www.graphismeenfrance.fr/sites/default/files/ commandedesigngraphique_web.pdf, [en ligne], créé en 2014, consulté le 08/12/2014 C.R, L’homme du futur, à quoi ressemblera l’homme de demain ?, www.hominides.com/html/dossiers/hommede-demain-homme-du-futur-homo-futuris.php, [en ligne], consulté le 10/08/2014 Cy.talk Blog, Pornography industry is larger than the revenues of the top technology, http://blog.cytalk.com/2010/01/ web-porn-revenue/, [en ligne], créé le 01.01.2010, consulté le 19.10.2014 D.A.S.A, Dépendants Affectifs et Sexuels Anonymes, http://dasafrance.free.fr, [en ligne], consulté le 18/10/2014 Max Daly, Le magazine Illegal ! vous apprend à mieux consommer votre drogue, http://www.vice.com/fr/read/ le-magazine-illegal-vous-apprend-mieux-consommer-votredrogue-983, créé le 04/12/2014, consulté le 05/12/2014 Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, www.textes.justice.gouv.fr/textes-fondamentaux-10086/droitsde-lhomme-et-libertes-fondamentales-10087/declarationuniverselle-des-droits-de-lhomme-de-1948-11038.html, [en ligne], créé le 01.08.2001, consulté le 21.09.2014 Marion Degeorges, Les chiffres du porno : le plus gros secret d’internet, [en ligne], www.slate.fr/monde/72615/chiffres-pornosecret-internet, créé le 17.05.2013, consulté le 20.10.2014 Dictionnaire du Trésor de la Langue Française Informatisé, [en ligne], http://atilf.atilf.fr Bjorn Franke, Traces of an Imaginary Affair, www.bjornfranke. com/objects/2006_traces_of_an_imaginary_affair.htm, [en ligne], créé en 2006, consulté le 10.10.2014 Philippe Fenoglio, Véronique Parel, Pierre Kopp, Le coût social de l’alcool, du tabac et des drogues licites en France en 2000, https://halshs.archives-ouvertes.fr/file/index/ docid/263399/filename/Cout_social_4_avril.pdf, [en ligne], créé le 12.03.2008, consulté le 09.09.2014 Quentin Girard, Monsieur Laurent Wauquiez, il y a mieux que Youporn, http://next.liberation.fr/sexe/2013/12/09/ monsieur-laurent-wauquiez-il-y-a-mieux-queyouporn_965231, [en ligne], créé le 2 décembre 2013, consulté le 08/09/2014


106 Sources

Webographie Guillaume Guichard, Les taxes sur le tabac ont rapporté 11,2 milliards d’euros en 2013, plus que prévu, www.lefigaro. fr/conjoncture/2014/06/22/20002-20140622ARTFIG00126les-taxes-sur-le-tabac-ont-rapporte-112milliards-d-eurosen-2013-plus-que-prevu.php Lucie de la Héronnière, Lutte contre l’obésité : des stratégies de prévention pas toujours efficaces, http://blog.slate. fr/bien-manger/2012/04/17/lutte-contre-obesitestrategies-prevention-pas-toujours-efficaces, [en ligne], créé le 17/04/2012, consulté le 04/09/2014 IFAC, Les dépendances sexuelles et affectives, www.ifac-addictions.fr/les-dependances-sexuelles.html, [en ligne], consulté le 02/09/2014 Kathleen Kingsbury, The Value of Human Life : $129,000, http://content.time.com/time/health/ article/0,8599,1808049,00.html, [en ligne], créé le 20.05.2008, consulté le 07.10.2014 Ivan Letessier, La taxe sur les spiritueux contestée, www.lefigaro.fr/societes/2013/02/25/2000520130225ARTFIG00296-la-taxe-sur-les-spiritueux-contestee. php, [en ligne], créé le 25.02.2013, consulté le 22.09.2014 Marie-Amélie Lombard, L’addiction sexuelle concerne 5 à 10 % de la population, http://sante.lefigaro. fr/actualite/2012/06/12/18365-laddiction-sexuelleconcerne-5-10-population, [en ligne], créé le 12/06/2012, consulté le 06/11/2014 NSS Magazine, Fashion or Porn : The Game, www.nssmag.com/ fashion-or-porn, créé le 16.12.2013, consulté le 18.12.2013 Jean-Baptiste Raynal, Le Graphisme engagé est-il encore d’actualité ?, Mémoire de fin d’études, examen du DNSEP Session 2008, Département de communication graphique de l’école supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, sous la direction de Guy Meyer, http://graphism.fr/jbraynal_memoire_textes.pdf, [en ligne], consulté le 08/11/2014 Dan Rowinski, The majority of porn in the United States is ciewed on smartphones, the era of ubiquitous computing is truly upon us, http://readwrite.com/2013/12/23/ most-porn-in-the-united-states-viewed-on-mobiledevices#awesm=~or71to0C4xsd9u, [en ligne], créé le 23/12/2013, consulté le 20/11/2014


107

Laurent Sacco, Une possible liaison entre génétique et dépendance aux drogues, www.futura-sciences.com/ magazines/sante/infos/actu/d/genetique-possibleliaison-genetique-dependance-drogues-14124/, [en ligne], créé le 07/01/2008, consulté le 06/10/2014 http://psychanalyse-paris.com/980-De-la-nymphomanieet-du.html, texte établi par Psychanalyse-Paris.com, [en ligne], créé le 19.05.2007, consulté le 12.09.2014 ; d’après C.M.S. Sandras, De la nymphomanie et du satyriasis, Traité pratique des maladies nerveuses, Germer-Baillère, Paris, 1851, pp. 215-237 Chloé Sculone, Grégory Dorcel porn again, http://next.liberation.fr/sexe/2013/03/03/gregorydorcel-porn-again_885966, [en ligne], créé le 03.03.2013, consulté le 22.11.2014 Olivier Séguret, Le porno ne jouit plus, http://next.liberation. fr/cinema/2009/10/21/le-porno-ne-jouit-plus_588948, [en ligne], créé le 21/10/2009, consulté le 22.11.2014The Sex Factor, www.sxfactor.com, [en ligne], consulté le 09.09.2014 SOS Addictions, le mot du président, http://sos-addictions. org/l-association/le-mot-du-president, [en ligne], consulté le 20/10/2014 Patrick Vassort, Sade et l’esprit du néolibéralisme, www.monde-diplomatique.fr/2007/08/VASSORT/15004#nb2, [en ligne], créé en 08.2014, consulté le 22.11.2014 Vermibus, www.vermibus.com, [en ligne] Étienne Wasmer, La France, championne du stress en entreprise, www.lemonde.fr/economie/ article/2012/06/12/la-france-championne-dustress-en-entreprise_1716934_3234.html, [en ligne], créé le 12/06/2012, mis à jour le 01/10/2012, consulté le 10/10/2014 Yes Men, Latest Hijicks, http://theyesmen.org/hijinks, [en ligne], consulté le 02/11/2014


108 Sources

Revues Revue La santé de l’Homme, no 396, juillet 2008, www.inpes.sante.fr/SLH/pdf/sante-homme-396.pdf, [en ligne], créé en 07/2008, consulté le 20/08/2014 Revue Les Cahiers de la publicité, Jean Zurfluh, Pour une psychanalyse de la publicité, no 15, p.78, [en ligne], www.persee.fr/web/revues/home/prescript/ article/colan_1268-7251_1965_num_15_1_4984, consulté le 22/11/2014 Revue Pensée Plurielle, no 23, Les conduites addictives : un débat complexe, 2010 Revue Politique, Arnaud Petre, Parts de marché contre parts de cerveaux, no 58, Février 2009

Enquêtes / Rapports Enquête Santé CSA /SMEREP juin 2009, en Île-de-France, 12 070 étudiants ont répondu à l’enquête. Mutuelles étudiantes régionales ayant participé à l’enquête : SMENO (Nord-ouest), MEP (Sud-est), MGEL (Est), SMEBA, www.mgel.fr/sante/rsc/enquete_sante_etudiants_2009.pdf, [en ligne], créé en 2009, consulté le 01.10.2014 Communiqué de presse, Enquête Ifop pour Tukif.com, Enquête sur l’influence des films X, dans le rapport au corps et la vie, sexuelle des Français, www.ifop.com/media/poll/2609-1-annexe_file.pdf, [en ligne], créé en avril 2014, consulté le 12.11.2014 Résumé analytique du rapport de l’UNODC sur l’évolution mondiale de la consommation, de la production et du trafic illicite de drogues, www.unodc.org/documents/data-andanalysis/WDR2011/ExSum-translations/WDR_2011_-_FR.pdf, [en ligne], créé en 2011, consulté le 06.11.2014


109

Compte-rendu Collectif, Compte-rendu des Journées Grand Public sur le Thème des Addictions 2013, [en ligne], www.frc.asso.fr Jean-Luc Venisse, Daniel Bailly, Addiction quels soins ?, Compterendu du congrès de Nantes, Elsevier-Masson, Paris, 1997

Vidéos Matus The First et Konstantin Minnich, The First Commercial, just for sex, http://vimeo.com/96532640, [en ligne], crééle 17.05.2014, consulté le 18.09.2014 Saatchi & Saatchi, Addiction, Spot publicitaire Nike, www.youtube.com/watch?v=XPTpEkdceic, [en ligne], créé le 20.08.2011, consulté le 02.10.2014 Shimi Cohen, The Innovation of Loneliness, www.youtube.com/watch?v=c6Bkr_udado [en ligne], consulté le 7.11.2014 based on Dr Yair Amichai-Hamburgers, « The Invention of Being Lonely », 2012

Films David Cronenberg, Shivers, 1975


110 Sources

Documentaire / Téléfilm La route de l’Opium, 2010, VCF, Peter Findlay Après la gauche les entretiens, La compagnie des phares et balises, Entretiens avec Bernard Stiegler, Jérémy Forni, www.youtube.com/watch?v=WgCbaLQahQg, [en ligne] L’Abécédaire, 1996, Arte, Michel Pamart Love Me Tinder, 17.11.2014, reportage, France 4, 35 minutes, 2014, France Ortelli et Thomas Bornot

Émissions Concordance des temps, 19 janvier 2013, France Culture Salut Les Terriens, 07 décembre 2014, Canal +


111

Remerciements Sachant que les remerciements sont souvent la partie la plus lue d’un mémoire, je vais tâcher d’être à la hauteur. Je voudrais tout d’abord remercier Marie-José Mascioni, ancienne directrice de l’E.N.S.A.A.M.A Olivier de Serres, ainsi que toute l’équipe pédagogique de la session 2013-14 (Jean-Christophe Chauzy, Étienne Minet, pour ne citer qu’eux) qui m’ont laissé prendre une année de césure au moment où j’en avais le plus besoin. Ce sans quoi je n’aurai pas pu continuer mon D.S.A.A. Je tiens également à remercier Frédéric Bortolotti et Frédérique Stietel du studio Lords of Design® qui m’ont appris tant de choses précieuses pendant cette année de césure. Ces mêmes choses précieuses que j’enrichis constamment depuis. Je voudrais également remercier mes deux tuteurs de mémoire, Paul Benoit (pour m’avoir aiguillé sur Bernard Stiegler, entre autres) et Bruno Sussi pour leur présence, leur suivi indéfectible ainsi que leur soutien pendant ces mois de rédaction et de recherche. Laurence Hétier, pour ses questions toujours justes qui m’ont permis de faire avancer ma réflexion bien au-delà de ce que j’avais estimé au départ. Dans ces remerciements j’aimerai citer tous ceux qui se sont questionnés sur des sujets reliés au mien. Leurs recherches m’ont permis d’enrichir mes recherches et de voir l’addiction autrement. Sans oublier aussi l’imprimerie Launay (Yann, Alain, Valérie, Jamel, Marie, Éric), en qui je fais confiance depuis de nombreuses années et qui m’ont également énormément appris avant de m’accepter parmi les leurs. Tous ces remerciements seraient vains sans citer les personnes qui font tout autant partie de ma vie que de ce mémoire. Je pense à mes amis, Paul, Clément, Sarah, Jacqueline, Peter, Aubérie, le Bezoule et tous ceux que je ne cite pas mais qui, j’espère, se sentiront visés en lisant ces lignes. Je ne pouvais évidemment pas oublier de remercier du plus profond de mon cœur le Lu de lutien, le œ de keur. Qui m’a tant aidé et m’aime autant que je l’ai aidée et que je l’aime. Et le plus important, même si ça fait un peu cliché, je voudrais remercier ma mère, qui n’a jamais arrêté de croire en moi, qui a tout fait pour que je sois là où j’en suis aujourd’hui, et que j’ai envie de rendre chaque jour aussi fière et heureuse de m’avoir comme fils que moi de l’avoir comme mère. Je remercie tous ces gens, et les lecteurs qui ont traversé cette page pleine d’émotions. J’espère pouvoir écrire d’autre choses pour pouvoir remercier les gens qui m’aident et les gens que j’aime. On ne dit jamais assez ô combien on aime les gens précieux, alors autant l’écrire à la fin d’un mémoire, ça fait toujours plus classe, même si ça ne change rien. (Je pense avoir été à la hauteur.)



Iconographie


114 Iconographie

1

2

1 Dolce & Gabbana, Desire, Publicité pour le parfum Desire, Février 2013

2 Maurizio Cattelan et Pierpaolo Ferrari, Toilet Paper no 1, Première de couverture du magazine Juin 2010


115

3

4

5

3

4

Paul Richer, Croquis issus de l’ouvrage Études cliniques sur l’hystéroépilepsie ou grande hystérie, 1881

Ulysse et les Sirènes, Stamnos attique à figures rouges, vers 480-470 av. J.-C 5 5 Paul Nauman, Seven Figures, 1984


116 Iconographie

6

7

6 Duane Hanson, Supermarket Lady, 1970 7 Andy Warhol, Campbells Soup, 1962


117

8.a

8.b

8.c

8.d

8.e

8.f

9

10

8

9

Logos d’application de rencontres géolocalisées

Publicité pour un téléviseur Motorola, Daily News, 1950

8.a Tinder

8.d Hornet

8.b Scruff

8.e Brenda

8.c Grindr

8.f 3nder

10 Vincent Perrotet, Pauvre Consommateur, tiré de la série Travaille d’abord tu t’amuseras ensuite, 2009


118 Iconographie

11

12

11

12

Dvd de la première saison de The Six Million Dollar Man, édition 2011

Screenshot du site internet Klout, qui prend en compte l’activité sur les réseaux sociaux pour classer ses utilisateurs en fonction de leur influence sociale. Le site attribue à chaque utilisateur un score qui varie entre 1 et 100.


119

13

13 Pierre Guérin, Narcisse, Morphée et Iris (1811) — CamGirls Project, (2013), http://camgirlproject. tumblr.com, 2013 14 Hans Bellmer, La Poupée, 1936

14


120 Iconographie

16

15

15 Affiche pour Salo, o le 120 giornate di Sodoma, Pier Paolo Pasolini, 1975 16 Ligne d’assemblage Ford, Detroit, 1913


121

17

17 Alfons Mucha, Publicité pour le papier à cigarette JOB, 1896 18 Cassandre, Dubo-DubonDubonnet, publicité pour l’apéritif Dubonnet, 1932

18


122 Iconographie

20

19

19

20

Oculus Porn, Tattoo Dance, Capture d’écran du Trailer, 2014

Publicis Montréal, On est heureux de vous mettre l’eau à la bouche depuis 18 ans, Publicité pour le guide Restos Voir du Québec, 2013


123

21

22

23

21

23

Björn Franke, Scratch, Kit of an imaginary affair, 2006

Capture d’écran du spot publicitaire réalisé par Saatchi & Saatchi, Addiction, Nike, 2011

22 Olivier Trillon pour le magazine Ponytail, 2010


124 Iconographie

24

24 Barbara Kruger, I shop therefore I am, 1987


125

26

24

25

26

Gerry Conway et Jose Luis Garcia Lopez, Superman vs. Wonderwoman, 1978

Vermibus, London, 2012


126 Iconographie

26

28

27

28

Nuri Guliver pour Pornhub, All you need is hand, 2013

Tom Ford, Tom Ford for Men, Publicité pour le parfum Tom Ford, 2009


127

29

30

29

30

Capture d'écran du spot publicitaire réalisé par Step Cousins, Touch the Rainbow, Taste the Rainbow, Skittles, 2011

Mariano Vivianco, Dolce & Gabbana, Annonce Presse, Dolce & Gabbana, 2013


128 Iconographie

33

31

32

31

33

Publicité pour de la cocaïne médicinale, Boston, Mc Clure, 1896

Penis Enlargment Drug Ad, SPAM, 2011

32 Zoo Publicité, Fashioin Junkie, Sisley, 2012


129

35

34

36

34

35

Photo tirĂŠe du compte Instagram Ghiyath Hadla, Just tattoed famous burger addict sticker we all love, 2010

Grey Milan, Playing is fun if you don't push it too far, Gioca il Giusto, 2009 36 Nirvana, Nevermind, Pochette d’album, 1991


130 Iconographie

37

38

37

38

CPB, You're up !, Vitamin Water, 2011

Linder, Untitled, 1978

39


131

39

40

39

40

Philippe Halsman, Portrait de Dali, 1951

Capture d’écran du jeu GTA V, 2013


132 Iconographie

41

42

41

42

Jean-Yves Lemoigne, Pixxxel, Amusement Magazine, 2012

Edouard de Pazzi, Memento Mori, Eros et Thanatos, 2005


133

43

44

45

43

45

Louise Bourgeois, Maman, Bilbao, 1999

David Cronenberg, Crash, 1996

44 Michel Journiac, Hommage Ă Freud, 1972


134 Iconographie

46

47

46

47

Andrzej Pagowski, AIDS, 1990

Affiche du film de Tim Burton, Edward aux mains d’argent, 1990


135

48

49

48

49

Capture d’écran du jeu vidéo Second Life, 2013

Miami Ad School, The thing you want when you order salad, Berlin, 2013


136 Iconographie

50

51

50

51

Burger King, Real Big Burgers, 2007

Capture d’Êcran de la page Facebook Durex UK, Facebook


137

52

52 Amnesty International, Roman Cieslewicz, 1976 53 Hamlet, Henryk Tomaszewski, 1969

53


138 Iconographie

55

54

56

54

56

Alain Le Quernec, ETA ETC, Exposition Outdoor, Varsovie, 2013

Les Casseurs de pub, Hors-série : Vite la décroissance !, Les Casseurs de pub, 2012

55 A.T.T.A.C, Photo du kit anti-requins, 2013


139

57

58

57

58

Ad Busters, Economic Poster, Kick it over campaign, 2013

Illegal Magazine no 5, Première de couverture, 2014


140 Iconographie


141


142 Iconographie


143


144 Iconographie


145


146 Iconographie


147


148 Iconographie


149


150 Iconographie


151


152 Iconographie


153


154 Iconographie


155


156 Iconographie


157


158 Iconographie


159

Ce mémoire a été achevé d’imprimer le 28 Janvier 2015 en 18 exemplaires sur les presses de l’imprimerie Launay, 45 Rue Linné, 75005 Paris. La partie noir et blanc est imprimée sur du ArcoPrint Milk 85gr, le cahier iconographique sur du Symbol Tatami 115gr du papetier Fedrigoni. La couverture a été sérigraphiée chez Antoine Beauvois à Maisons-Lafitte avec l’aide de Charlie Acker, Antoine Beauvois, Lisa Bonnion, Élise Botrel, Hugo Calonnec, Marie Champagnac, Colette Ducamp, Domitille d’Ersu, sur du Sirio Color Cherry du papetier Fedrigoni. Il est composé en Maax, alphabet conçu par Damien Gautier pour les Éditions Deux-Cent-Cinq. Gentien Arnault DSAA Créateur-Concepteur Mention Design Graphique Session 2015 ENSAAMA Olivier de Serres, 63, rue Olivier de Serres, 75015 Paris


160 Iconographie


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.