Classes sociales et crises au Pays Basque Nord

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Mintegi eztabaida- “Sozialismoa XXI. mendeko Euskal Herrian” 1.go saioa, 2012ko urtarrilaren 21a EUROPAKO KRISI EKONOMIKOAREN ERAGINA EUSKAL HERRIAN Ipar Euskal Herriko ikuspuntua- Lontzi Amado

Classes sociales et crises au Pays Basque Nord 1.- Introduction 1.1 Le retour sur une réalité cachée : les classes sociales 1.2 Confusion historique entre classes sociales et corporations socio-professionnels 1.3 Classification des classes sociales : de quoi et de qui parle-t-on ? 1.4 Dynamiques des classes sociales et capitalisme 2.- Dualisation, éclatement, redéploiement des classes sociales 2.1 La nébuleuse des salariés : les transformations du capitalisme en Europe occidentale et la

tertiarisation de l’économie du Pays Basque nord

2.2. L’individualisation de sa condition sociale : chômage, précarité, déclassement 2.3 Féminisation du salariat, précarisation général de l’emploi des jeunes, immigration en

Pays Basque Nord

3.- Classes sociales et politique : représentation, intérêts, luttes 3.1 L’engagement traditionnel de la classe travailleuse : le syndicalisme 3.2 Conflits et défense de classe dans un rapport de domination social 3.3 Par-delà les nouveaux mouvements sociaux : des engagements populaires en Pays

Basque Nord

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1. Introduction

Longtemps, les classes sociales, ont été un concept total de la sociologie permettant de décrire, à la fois, la structure social, les identités collectives et les mouvements sociaux. C’est cette capacité analytique qui est défaite sous l’effet des mutations économiques, de culture de masse et des transformations politiques. Pour autant, il ne faut pas renoncer à la notion de classes sociales, à condition de lui réserver un usage analytique et critique, l’étude des rapports de domination tels qu’ils se manifestent dans l’expérience subjective des acteurs et dans la capacité de ces mêmes acteurs à prendre conscience de leur force collective lors des mobilisations sociales. Si la notion de classe a perdu une partie de son actualité, c’est sans doute en raison de mutations sociales profondes dans l’ordre des rapports de production, dans le domaine des identités où la culture de masse a érodé les cultures de classe, et dans le registre de l’action collective, les mouvements sociaux n’étant pas tous réductibles à des mouvements de classes. Ainsi, l’action collective aujourd’hui ne se réduit que très exceptionnellement à une action de classe.

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Il faut cependant continuer à défendre la notion de classe car, elle désigne la présence et la force de mécanisme de domination sociale. Dans ce sens, elle invite à voir de la domination là, où la pensée sociale ne voit que l’ordre banal des choses : celui du mérite dans les diplômes ; celui de l’anomie dans l’exclusion, celui de la compétence dans les rapports économiques… La notion de classe sociale est utile parce qu’elle permet de renverser l’évidence des choses et des problèmes sociaux ; cette notion est d’abord intellectuelle et politique. La sociologie du travail « critique », en France, s’est construite historiquement autour du découpage d’un objet de recherche : les conditions et l’organisation du travail, en abandonnant à l’économie l’étude des résultats et de l’efficacité de l’action du travail. Alors que le projet marxien est fondé, au contraire, sur une critique simultanée de la division capitaliste du travail et de la logique d’accumulation du capital.

1.1.

Le retour sur une réalité cachée : les classes sociales

On oppose souvent deux conceptions historiques des classes sociales, la marxienne et la wébérienne. En réalité, plus que s’opposer, elles se complètent. La définition marxiste des classes sociales se base sur des collectifs structurés par une position spécifique dans le système économique définie par la propriété des moyens de production (ou son absence), marqué par un conflit central (l’exploitation, ou la répartition conflictuelle de la plus-value), animé par la conscience collective de leur 1

être et de leur intérêt . Pour M. Weber les classes sociales sont des groupes d’individus semblables partageant une dynamique probable similaire, sans qu’ils soient nécessairement conscients. Ici la classe sociale est essentiellement un ensemble des individus que le sociologue décide de nommer selon ses propres 2

critères . La définition marxienne et marxiste la plus complète, et la plus claire, est sans aucun doute, la définition de Lénine.: « On appelle classe de vastes groupes d’hommes qui se distinguent par la place qu’ils occupent dans un système historiquement défini de 1

Cette perspective est qualifiée d’holiste parce que la totalité est plus que la somme des individus qui forme la classe, qui pré existe indépendamment et au-dessus de ses membres. 2 Cette approche est qualifier de nominaliste ou individualiste.

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production sociale, par leur rapport (la plupart du temps fixé et consacré par la loi) vis-à-vis des moyens de production, par leur rôle dans l’organisation sociale du travail, donc par les modes d’obtention et l’importance de la part de richesses sociales dont ils disposent. Les classes sont des groupes d’hommes dont l’un peut s’approprier le travail de l’autre, à cause de la place différente qu’il occupe dans une 3

structure déterminée, l’économie sociale » . Dans ce rapport de classe, l’Etat joue selon K. Marx un rôle majeur. Ainsi, l’Etat est un organisme de domination de classe, un organisme d’oppression d’une classe par une autre, c’est la création d’un ordre qui légalise et affermit cette oppression en modérant le conflit de classe. « C’est toujours dans le rapport immédiat entre le producteur direct (rapport dont les différents aspects correspondent naturellement à un degré défini du développement des méthodes de travail, donc à un certain degré de force productive sociale), qu’il faut chercher le secret le plus profond, le 4

fondement caché de tout l’édifice social » . Mais, si la propriété privée des moyens de production définit le contenu général des rapports de classes, ce contenu général se modèle ensuite en relations complémentaires incluant des déterminations sociales, culturelles et idéologiques propres à chaque classe. En France, le débat sur les classes sociales a longtemps été dominé par l’omniprésence de l’idéologie communiste du PCF (et par là de la CGT) et de ses intellectuels organiques. Dans ce sens, dans une publication des structures intellectuelles

du

parti

en

1971,

contrairement

aux

différentes

analyses

sociologiques, on affirmait qu’en France, « la classe ouvrière constitue le groupe le plus important parmi les salariés. Trois salariés sur cinq sont ouvriers. Le poids de la 5

classe ouvrière continue à grandir en valeur absolue comme en valeur relative » . Le but ici n’est pas de contester tel ou tel affirmation, mais de comprendre ce que chacun met derrière le concept de classes sociales, surtout du côté de la sociologie critique et des marxistes. Car, si la division des sociétés en classes n’est pas une découverte du marxisme et des marxiste force est de constater que c’est bien à Marx et Engels que revient le mérite d’avoir analysé, pour la première fois dans son 3

Lénine, cité in, Traité Marxiste d’économie politique, Le Capitalisme Monopoliste d’Etat, Tome 1, Editions Sociales, Paris, 1971, p.199 4 Marx K., Le capital, Tome III, Editions Sociales, Paris, p.172 5 Traité Marxiste d’économie politique, op.cit., 1971, p.193

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ensemble, le processus de développement de la société et mis en évidence les lois qui déterminent l’existence, les relations et l’évolution des classes sociales. Dès lors, qui suivre si l’on veut effectuer une analyse des classes sociales en Pays Basque Nord, la sociologie ou le marxisme (que nous différentions des analyses marxiennes, basée sur le cadre théorique de Marx mais n’adoptant pas les préceptes idéologiques et politiques) ? Pour les marxistes du PCF, il est nécessaire de partir « des conditions concrètes dans lesquelles s’effectue le processus de production [pour pouvoir] saisir les 6

rapports de classe, dans leur réalité et leur complexité » . D’ailleurs, c’est «avec l’essor du capitalisme monopoliste d’Etat, que la structure sociale subit des modifications dont les conséquences sont considérables : la différenciation des classes fondamentales s’accentue, l’importance des couches intermédiaires salariées s’accroit, tandis que la polarisation des rapports sociaux des deux classes 7

fondamentales se manifeste avec de plus en plus de force » . Pour Marx, la classe sociale n’est pleinement constituée qu’à partir du moment où apparait une réelle solidarité de classe dont l’existence suppose une prise de conscience de classe. La conscience de classe devient alors un élément objectif de l’histoire sociale. Pour l’analyse léniniste du marxisme, la prise de conscience doit se fonder sur une idéologie commune, en l’occurrence le communisme marxisteléniniste (PCF). Ainsi, « le rapport aux moyens de production contribue à a formation d’une conscience de classe, non seulement d’une manière directe, mais parce qu’il détermine le montant des revenus et la place dans l’organisation sociale du travail. Le montant des revenus influe lui-même sur la conscience de classe car il conditionne, dans une large mesure, les possibilités de développement personnel de 8

chaque individu, son genre de vie et son prestige social » . Pour les théoriciens du CMP et du PCF, prolétaire, ouvrier, prolétariat et classe ouvrière sont synonymes. « A la différence des autres membres d’autres couches ou catégories sociales de salariés, l’ouvrier est directement associé aux moyens de travail ; il les met en œuvre, dans le cadre de la production matérielle (…) il se trouve ainsi à l’origine de la plus-value que s’approprient ensuite les capitalistes. La classe 6

Ibidem, p.195 Ibidem, p.194 8 Ibidem, p.203 7

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ouvrière est donc constituée de l’ensemble des salariés qui, par leur action sur les 9

moyens matériels de production, créent pour les de la plus-value, du capital » . Ainsi, la majorité des salariés non-productif de matérialité, employés et intellectuels, même si certains participent directement à la production matérielle (les ingénieurs, agent de maitrise…) ne sont pas considérés comme ouvrier, ni d’ailleurs les chômeurs, étudiants, exclus sociaux, sans papiers, femmes au foyer. « On ne saurait parler pour autant d’une intégration de la grande masse des salariés dans la classe ouvrière, ou d’un identification de la classe ouvrière et du salariat. Une telle identification de la classe ouvrière dans un ensemble hétérogène –erronée dans les faits- affaiblirait la portée des luttes des classes et, du même coup, retarderait l’union sur des bases claires entre toutes les couches sociales exploitées par le 10

capitalisme » .

Dès lors, pour les adeptes de la théorie du Capitalisme Monopoliste d’Etat, « il n’y a pas de de classe moyenne mais un ensemble de couches sociales différenciées qui se situent dans une position intermédiaire. (…) L’évolution des rapports sociaux tend cependant à polariser autour de la classe ouvrière la plus grande partie des couches 11

intermédiaires » . L’intellectuel N. Poulantzas, proche du PCF et dans une tentative d’ouvrir la définition de classes sociales, à la fin des années 70 afin d’y intégrer les changements qui surviennent dans la société soutient que : « les classes sociales sont des ensembles d’agents sociaux déterminés principalement, mais non exclusivement, par leur place dans le procès de production, c’est dire dans la sphère économique. (…) Les classes sociales recouvrent des pratiques de classes, c’est-à-dire la lutte des classes, et ne sont posées que dans leurs opposition. La détermination des classes, tout en recouvrant des pratiques –lutes- des classes et s’étendant aux rapports politiques et idéologiques, désignes des places objectives occupées par les agents dans la division sociale du travail : places qui sont indépendantes de la volonté de ces 12

agents. » . 9

Ibidem, p.213 Ibidem, p.245 11 Ibidem, pp.204-205 12 Poulantzas N., Les classes sociales dans le capitalisme aujourd’hui, Seuil, Paris, 1974, p.10 10

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Quant à « la bourgeoisie, pour le PCF, elle se caractérise, en effet, comme la classe des moyens de production et d’échange ; la moyenne et la grande bourgeoisie qui constituent sa fraction capitaliste s’approprient, à ce titre, la plus-value, pour 13

l’essentiel, de l’exploitation du travail » . Mais, on peut cependant constater une scission de plus en plus grande entre une oligarchie financière, de plus en plus mondiale, et la petite et moyenne bourgeoisie locale. Le premier entrant de plus en plus en contradiction avec la seconde. Nous partageons l’idée que la perte de pertinence du concept de classes sociales vient du fait que la distinction centrale, entre classe capitaliste et classe ouvrière, ne parait plus en mesure de rendre compte du mouvement de tertiarisation de l’économie. Malgré tout, nous nous opposons fortement à l’idée que l’on serait dans une phase du capitalisme sans classe sociales tel qu’A. Giddens ou U. Beck ont pu 14

le soutenir dans les années 90 . Deux causes principales ont été avancées pour expliquer le recul des analyses en termes de classes sociales : d’une part, l’affaiblissement de la classe ouvrière qui a perdu à la fois son importance numérique dans le salariat, dépassé par la catégorie employé, mais surtout la perte de son statut de référence pour la société industrielle. D’autre part, la fragmentation du collectif avec l’augmentation de l’individualisation a participé à réduire la conscience de classe, surtout dans la classe ouvrière. Le déclassement et les nouvelles formes massives de déclassement attachées aux couches les plus fragiles, à présent les ouvriers et les employés ont fortement influé dans la diminution des mobilisations et des expressions de ces classes sociales. L’approche marxiste est très exigeante avec la grille de lecture en termes de classes sociales, puisque sa définition porte à penser que s’il n’existe plus de conflits radicaux en termes de classe il n’existe plus de classes sociales. D’autres part, pour les sociologues le métier et le revenu ne sauraient suffire, ni séparément, ni conjointement, à définir l’appartenance de classe au sein des sociétés modernes et occidentales. Afin de sortir des apories des courants traditionnels de la sociologie, nous postulerons que les classes sociales constituent des catégories qui sont d’une part 13

Traité Marxiste d’économie politique, op.cit., 1971, p.222 Beck U., The Risk of society, Sage, London, 1989; Giddens A., The third way. The renewal of social democracy, Cambridge Polity Press, Cambridge, 1998 14

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inégalement situées –et dotées- dans le système productif, et d’autre part marquées par une forte identité de classe basée sur trois piliers : l’identité temporelle (permanence

de

la

catégorie),

l’identité

culturelle

(partage

de

références

symboliques spécifiques) et l’identité collective (capacité d’action collective). Ainsi, nous donnons une définition plus large de la classe sociale qui ne se définit pas seulement par rapport à la taille du portefeuille mais également vis-à-vis d’éléments subjectifs, culturels et collectifs. D’autre part, les inégalités de classe ne se définissent plus seulement monétairement, sur la propriété des moyens de production à proprement dits, mais sur des qualifications individuelles et sur la maîtrise des processus de production, qui sont tout aussi essentielles à l’exploitation. Avec cette définition, nous nous opposons clairement à l’idée de Robert Nisbet de la fin des classes sociales, qui depuis les années 60 a souvent été repris par les partisans du capitalisme afin de justifier ce dernier. Ces postulats sur la disparition des classes sociales se basent sur l’idée que l’ensemble des catégories sociales ont à présent accès à un niveau égal à la sphère publique et politique, que le niveau d’éducation des classes les plus populaires et que leur accès à l’enseignement supérieur permet ainsi une meilleur égalité des chances et un nivellement général des opportunités de toute un chacun. De plus, la généralisation d’une culture globale commune participe de ce rapprochement entre différentes catégories sociales, ainsi que la baisse de la conflictualité sociale.

1.2.

Confusion historique entre classes sociales et corporations socio-professionnels

La spécificité française du syndicalisme et du parti communiste se base sur le choix du PCF de construire une identité de la « classe ouvrière » (communauté d’action, qualification salariale, pour mettre en cause la gestion de la classe capitaliste) et non d’une identité « prolétarienne » (communauté de souffrance, conscience défensive tournée vers elle-même), et donc ne peut échapper à la compétition et lutte d’efficacité symbolique face aux grandes régulations politiques (système républicain) et économiques (capitalisme). Alors qu’au milieu des années 70 la majorité des 8


salariés se définissait comme appartenant à la classe ouvrière, les sondages actuels montrent bien une désaffiliation des ouvriers à cette classe. Or la classe « en soi » ne peut être séparée de la classe « pour soi ». En fait, la multiplication des qualifications et des patronymes adjoints au sein des conventions collectives participent de ce brouillage collectif et de cette perte d’identification. Il y a une dynamique de classe qui s’est perdue et a été fortement remplacer par l’individualisme, la question est de savoir, pour quoi ce recul et ce remplacement, et pourquoi malgré tout, la réalité des classes sociales persiste. On aurait tort de confondre l’importance des classes en tant que rapport cognitif à la réalité sociale (qui est toujours un construit) et l’idéologisation des classes sociales. Ainsi, si l’on a souvent parlé de la bourgeoisie, force est de constater qu’il n’existe pas une classe bourgeoise mais des classes bourgeoises. Mais la classe ouvrière est également disparate aujourd’hui. Si, en 1936 la classe ouvrière était l’essentiel de la masse salariale et qu’elle était constituée essentiellement d’un bloc homogène, sa définition aujourd’hui parait bien plus difficile. Il est vrai qu’aujourd’hui encore ils sont les plus nombreux mais ils vont être rattrapés par les salariés, perdant ainsi la référence centrale qu’elle était dans la société industrielle. Comme le pensait K. Marx, il n’y a pas de classe sans conscience de classe. De ce point de vue, la classe est à la fois l’ordre du système et de l’ordre de l’action. Dans une certaine mesure, une société de classes doit se vivre comme société de classes et de conflits de classes. Les classes sociales sont à la fois, un ensemble objectif, un être social, et un mode de définition sociale. Raison pour laquelle le concept est autant idéologique et politique que social. Il n’y a de classes sociales pour autant qu’il existe des acteurs de classes, et c’est la première valeur ajoutée de cette notion à la simple sociographie des inégalités et au seul dénombrement statistique. Ainsi, les classes sociales ne désignent pas seulement la structure fonctionnelle et économique de la société capitaliste industrielle, elles définissent également des êtres de classe, des identités collectives ? La classe sociale construit le rapport à soi et aux autres, elle détermine les rapports à la culture, au corps, à l’espace, au territoire, à l’école… Ainsi, nous considérons comme toujours valable et d’un grand apport à la compréhension sociétale, la distinction marxienne entre « classe en soi » -le niveau objectif de l’existence d’une classe, lié à la position occupée dans les 9


rapports sociaux de production économique- et classe pour soi, dotée d’une conscience d’elle-même et agissant historiquement comme telle. Une classe n’existe véritablement que si elle est dotée de cette conscience, laquelle n’est mobilisée que dans la lutte qu’elle mène contre une autre classe.

1.3.

Classification des classes sociales : de quoi et de qui parlet-on ?

Après 1945 une conception de la société c’est imposée : une société est un ensemble de groupes socioprofessionnels dans le cadre d’un Etat-Nation. Cette société est bonne quand les relations entre les groupes qui la composent peuvent être justifiées par référence à un partage à peu près équitable des biens publics et, quand ils existent, des bénéfices d’une croissance calculée sur une base nationale. Il joue donc, un rôle prépondérant dans le système de régulation des relations industrielles, comme en témoigne par exemple le fait que les organisations économiques –syndicats et patronat- négocient au niveau national le plus souvent sous l’égide de l’Etat. La classification des catégories socioprofessionnelles est le résultat de la conjonction de trois courants d’idées politiques : le corporatisme, dont l’une des composantes est le catholicisme social, le mouvement syndical et le courant planificateur d’origine saint-simonien. Fruit d’une histoire sociale de la définition des critères de segmentation pertinents, la nomenclature est le fruit directement de l’apparition au cours de l’histoire de règles de segmentation des emplois utilisées par les entreprises, mais largement instituées par l’Etat. A partir des années 50, « une articulation entre, d’une part, une école ouverte à tous dispensant des formations certifiées par des diplômes et, d’autres part, des positions dans les structures de production mises en correspondance avec ces diplômes, vise à être la fois techniquement efficace et socialement juste. Cela permet en particulier 15

de justifier selon ces deux points de vue la hiérarchie des salaires » . Les thèmes de la démocratisation scolaire et de l’ascenseur social ont été des sujets fortement abordés jusqu’aux années 60 et 70 et répondait à une logique de justice sociale républicaine du capitalisme fordiste en France. La crise du fordisme et le 15

Desrosières A., Thévenot L., Les catégories socio-professionnelles, La Découverte, Paris, 2002, p.19

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dévoilement d’une réalité ne correspondant pas à cet idéal républicain, où le culturel et l’origine social conditionnaient autant que les diplômes le positionnement social ont fortement ébranlé cette perception et le cadre cognitif qui s’en dégagé. Dès lors, si dans la classification des CSP on distingue la qualification salariale et la qualification diplômante des individus. On constate aujourd’hui un décalage entre le niveau de qualification des travailleurs et leurs emplois, des emplois peu qualifiés peuvent être couvert par des personnes ayant une qualification et des diplômes souvent supérieurs au niveau exigé qu’ils occupent. D’autant plus, qu’« une classification socio-professionnelle ne peut être traitée comme n’importe quel outil statistique dont il s’agirait d’expliquer le fonctionnement. Elle est étroitement liée aux opérations de représentation d’une société : représentation statistique certes, obéissant à certaines contraintes techniques ; représentation politique, ensuite, puisque l’on parle aujourd’hui couramment des socioprofessionnels, pour des personnes ayant des mandat comparable à celui des autres élus ; représentation cognitive ordinaire, dont chacun dispose pour se repérer et faire des rapprochements 16

dans la vie en société, et qui a rapport avec la profession ou le milieu social » . Un autre des problèmes de la catégorisation en CSP est le fait que, si les ouvriers et les employés, c’est-à-dire les classes populaires sont biens représentés et objectivable, la bourgeoisie elle ne l’est que très difficilement, il est assez difficile de repérer ce 0,5 17

de la population qui emploie plus de la moitié de la population , ni même, d’ailleurs les exclus et les rentiers. Dans ce sens, la tendance générale ces dernières années a été d’intégrer de plus en plus les classements liés à la gestion de la main-d’œuvre, c’est-à-dire les classifications des conventions collectives, en s’en inspirant dès la rédaction des questionnaires des recensements et des enquêtes (ex : les qualifications ouvrières ; OS et OQ et les cadres ; moyens et supérieurs) des recensements et autres questionnaires de la sécurité sociale. Enfin, objectivement « contrairement à des affirmations surprenantes, le groupe ouvrier n’a pas disparu. Il a certes diminué (sous l’effet de la réduction du nombre des ouvriers agricoles, puis de la suppression du secteur primaire, de la disparition des manœuvres, de la mécanisation et de 16

Desrosières A., Thévenot L., Les catégories socio-professionnelles, La Découverte, Paris, 2002, p.5 Chauvel L., « Pouvons-nous (de nouveau) parler de classes sociales » in, Lojkine J., Les sociologies critiques du capitalisme, PUF-Actuel Marx, Paris, 2002, p.121 17

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l’intensification du travail). Sans entrer dans la discussion de la classification INSEE, rappelons que la nomenclature de 1954 plaçait les contremaîtres et agent de maîtrise parmi les ouvriers et que celle de 1982 a placé ces derniers parmi les 18

professions intermédiaires » . De plus, parmi les employés, sont comptabilisés des ouvriers dans la fonction publique (les ATOS) et dans les personnels des services directs aux particuliers. Les ouvriers ont toujours été un groupe social minoritaire dans la société du Pays Basque Nord, la différence est qu’avant la paysannerie représentait un groupe homogène et compacte face aux ouvriers et qu’aujourd’hui la majorité se situe du côté des salariés non ouvriers, fortement divisés. D’autre part, le droit du travail et la constitution de conventions collectives façonnent grandement les taxinomies des nomenclatures de catégories socio-professionnelles. Les conventions collectives instituent dans les entreprises des découpages catégoriels mis en relation avec des types de formation et des niveaux de salaires. Les conventions collectives ne couvrent pas tout à fait l’ensemble du salariat du secteur privé malgré les tentatives réitérées des pouvoirs publics d’en favoriser l’extension, ce qui peut poser problème à certaines catégories professionnelles lorsqu’elles doivent s’auto définir afin de s’organiser ou se mobiliser. « Dans l’entreprise, les nécessité de l’interaction entre salariés dans le procès de travail font que des communautés se créent, évoluent et disparaissent, dans une dialectique entre leur dynamique interne et celles des conditions sociales et économiques environnantes ; on les appellera des collectifs de travail. Ces collectifs sont donc, comme toute communauté susceptible d’acquérir une existence propre, relativement indépendante des individus qui les composent, dans la mesure où ils constituent eux-mêmes en partie ces individus en tant qu’être sociaux. Ils ont une culture propre, d’autant plus durable qu’ils se sont dotés de rites, de mythes, et qu’ils ont réussi à construire des institutions visant leur production, la transmission des valeurs et 19

identités constitutives du groupe » . Enfin, les comparaisons internationales, fréquemment effectuées à l’aide de tableaux statistiques, mettent artificiellement en relation des objets qui n’ont pas subi le travail 18

Mouriaux R., « Sortir de la dénégation » in, Cours-Salies P., Vakaloulis M., Les mobilisations collectives. Une controverse sociologique, PUF, Paris, 2003, p.27 19 Coutrot T., Contrôle, conflit et coopération dans l’entreprise : les régimes de mobilisation de la force du travail, Thèse de Doctorat, Université Paris I, 1996, p.92

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social d’unification et de mise en équivalence. Ainsi, le mot cadre en français revêt un sens particulier qui semble intraduisible, alors que professional en anglais semble à l’inverse intraduisible en français. Il nous faut donc faire attention lorsque l’on souhaite analysé le Pays Basque dans son ensemble, Nord et Sud, car de part et d’autre la frontière les classifications et nomenclatures peuvent nous induire en erreur ou du moins sur de des faux présupposés.

1.4.

Dynamiques des classes sociales et capitalisme

Paradoxe du concept et de sa symbolique politique, c’est lorsque le cadre d’analyse du conflit des classes sociales disparait des sciences humaines, que l’avènement du capitalisme libérale apparait que l’on voit réapparaitre en force les disparités et le retour en force des classes sociales. Mais alors qu’avant 1980, on utilise aisément les concepts de classes sociales, domination, hégémonie de classes, aujourd’hui on utilise plus que, stratification, rapports, CSP, mobilité… et on désidéologise totalement le concept de classe en n’en faisant plus référence qu’au travers de la nomenclature des CSP. Les ouvriers qui avaient pour eux la force du nombre, ont peu à peu cessé d’être craints par les dirigeants parce que leurs outils de luttes, partis et syndicat se sont soit affaiblis, soit convertis au capitalisme-parlementaire. Cela signifie « que les digues construites au fil du temps par le mouvement ouvrier pour s’opposer à l’exploitation, doter le groupe d’une conscience de classe et mieux résister à la domination symbolique et politique ont très largement cédé. Résultat : la morgue, l’arrogance et les diverses formes de mépris des dominants, longtemps bridées par l’existence d’une culture politique ouvrière (institutionnalisée), se sont libérées et 20

s’étalent parfois sans complexes » . Les salariés travaillent en situation de peur et de vulnérabilité objective et subjective. La menace du chômage et de la précarité pèse sur l’ensemble des salariés, et même si des catégories spécifiques, sanspapiers, femmes jeunes, ouvriers, sont touchées, l’ensemble des salariés redoute de perdre son emploi. La pression du chômage s’exerce sur ceux qui travaillent non 20

Béaud S., Pialoux M., Retour sur la condition ouvrière, Fayard, Paris, 1999, p.16

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seulement en transformant à la baisse leurs exigences à l’égard du travail, mais également en augmentant leur charge de travail. Ainsi, la mise à l’écart du concept de classes sociales marxiste-léniniste a également complétement effacé son corollaire, la lutte des classes, qui fut le moteur de la lutte politique pendant quasiment un siècle, et qui structura fortement l’ensemble des rapports sociaux, économiques et politiques de nos sociétés occidentales. Pour, Max Weber la notion de lutte est définit comme une « relation sociale pour autant que l’activité est orientée d’après l’intention de faire triompher sa 21

propre volonté contre la résistance du ou des partenaires » . Alors que pour R. Dahrendorf c’est, « toute relation entre des ensembles d’individus qui comprend une différence irréductible d’objectifs –par exemple, dans sa forme la plus générale, le désir des deux parties d’obtenir ce qui n’est accessible qu’à l’une, ou en partie à 22

l’une- sont, selon nous, des relations de conflits social » . Pour autant, c’est sans doute K. Marx, pour qui le conflit est un paradigme, c’est dire un schéma d’explication général des sociétés que la lutte des classes est plus fondamentale. La lutte, pour K. Marx, n’est pas qu’économique, elle est aussi sociale car ce qui est en jeu, ce sont les relations et les types de relations qui s’établissent dans et par la production, à savoir le rapport capital/travail, le rapport entre une bourgeoisie qui possède les moyens de production et le prolétariat qui n’a que sa force de travail pour vivre. Ainsi, pour qu’il y ait combat, lutte des classes effective, l’insatisfaction ou la conscientisation n’est pas suffisante, un certain nombre de conditions doivent être réunies : il doit exister un sentiment d’injustice assez partagé et répandu ; les acteurs du conflit doivent percevoir un adversaire commun ; partager des intérêts communs et en avoir conscience ; disposer d’une capacité d’organisation collective ; disposer 23

d’un savoir militant actif ; et, l’illusion d’une issue possible et positive du conflit . Si, certains sociologues confondent conflit et grève, on ne saurait confondre les deux. La grève donne lieu à une définition bien précise (cessation collective et concertée du travail en vue de la satisfaction de revendications professionnelles), le conflit est 21

Weber M., Economie et société, Pocket, Paris, 1995, p.74 Dahrendorf R., Classes et conflits de classes dans les sociétés industrielles, Mouton, La Haye, 1972, pp.136137 23 Kelly J., Rethinking industrial relations, Routledge, London, 1998 22

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souvent plus flou. D’autre part, la grève peut être à présent considérée comme la traduction institutionnelle et réglementaire du conflit. « De tous temps, il s’est agi de transformer la lutte en combat, de canaliser et la réglementer ; de l’institutionnaliser. Cette régulation du conflit dans les sociétés s’accompagne d’une centralisation et d’une monopolisation par l’Etat des moyens coercitifs. L’histoire politique de nos sociétés est ainsi l’histoire non d’une pacification des rapports sociaux, mais d’une 24

soumission et d’une dévolution, à l’Etat, de la réglementation de ces derniers » , dont les tribunaux des Prud’hommes en sont le lieu le plus abouti. D’ailleurs dans la Constitution française est écrit, « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui réglementent ». Autrement dit, seule la loi peut réglementer le droit de grève, or dans la réalité, mis à part dans le public, aucune règle ne régente (réglemente) le droit de grève, qui est un droit individuel même si il s’exerce traditionnellement de manière collective (il faut être encadré par un appel syndical). Ce passage ambigu du conflit à la grève est bien présent dans les statistiques officielles. Dans les statistiques officielles de la DARES, donc de niveau étatique, le Ministère de l’emploi dit comptabiliser les conflits du travail, mais en réalité en ne comptabilise que les arrêts de travail de plus de 24h. Or, si l’arrêt de travail est une preuve irréfragable de la grève, il n’en demeure pas moins qu’une forme de conflit de travail. En réalité, cette comptabilisation répond plus à une ruse du statisticien et du chercheur qu’à la retranscription d’une réalité conflictuelle qui peut également se traduire par des manifestations, des pétitions, des distributions de tracts…. Dont le répertoire d’action collective est beaucoup plus difficile à traduire statistiquement. Nous postulons comme hypothèse, que si les la baisse d’intensité du conflit industriel sur le plan statistique, d’arrêt de travail, a effectivement baisser et que le développement des valeurs post-matérialistes ont effectivement une grande importance dans les rapports sociaux et politiques, il n’en reste pas moins que le travail n’a pas tant disparus et qu’il ne s’est transformé, et que les relations et les conditions sociales se dégageant du travail restent les matrices sociales l’essentielles à la compréhension des antagonismes sociaux. Enfin, l’un des changements profond qu’a vécu la société industrielle est que dans les années 70, les catégories qui vont se mobiliser le plus souvent et qui vont 24

Thuderoz C., Négociations. Essai de sociologie du lien social, PUF, Paris, 2000, pp.72-72

15


symboliser l’émancipation ne vont plus seulement se baser sur le travail et les conflits émanant de ce dernier, mais sur des valeurs symboliques et idéologiques qui tout en impliquant des changements et des transformations sociales les dépasses. On passe d’une lutte sociale essentiellement axée sur le travail, le matériel, à une lutte sociale axée sur le culturel et l’intellectuel, où la classe ouvrière n’est plus le moteur du changement mais la classe moyenne-intellectuelle. Cette tendance sociétale est forte en Pays Basque Nord où les dernières grandes manifestations et mobilisations collectives émanent de ce qu’aucuns appelleraient post-moderne, postmatérialiste ou de nouveaux mouvements sociaux, c’est-à-dire des actions collectives liées à des questions identitaires, environnementales, alter-mondialistes…

2. Dualisation, éclatement, redéploiement des classes sociales

L’idée selon laquelle la globalisation des échanges économiques et financiers remet en cause le pouvoir politique et l’Etat-nation, et surtout de l’Etat providence centralisé français, qui jusque-là jouait un rôle essentiel dans la protection des citoyens et des salariés, si elle est vraie, n’en demeure pas moins insuffisante à expliquer le recul des droits sociaux et salariés du Pays Basque Nord. La dépréciation des régulations politiques et sociales est apparue bien avant que les effets de la globalisation soient ceux que l’on constate aujourd’hui. D’une manière générale, la libéralisation et la déréglementation des relations du travail, en règle générale, viennent du milieu des années 70 (tant en France qu’en Espagne). L’autonomisation des questions salariales, des questions sociales et politiques, segmente

le

cadre

d’interprétation

et

d’actions

des

luttes

politiques. 16


L’institutionnalisation et la professionnalisation de la sociologie en France, à bien des égards a participé voir encouragé cette segmentation, et en a bien profité en fournissant des experts, constituant des groupes de travail de recherche… et bénéficiant d’allocations budgétaires, qui rétroactivement relégitimait leurs actions scientifiques. Cette segmentation génère un essor massif des corporatismes venus du monde du travail (développement de syndicats corporatistes ou redéploiement du syndicalisme confédéral sur des secteurs économiques spécifiques) mais aussi de particularisme relevant de la société (genre, sans-papiers, homosexuels…). Désormais, la traduction politique du conflit du travail, son action collective, est dans l’incapacité de produire de la subversion à un niveau global et de transformer en profondeur la société. Mais il en est de même des autres mobilisations collectives (novelles ou non) qui parcours la société. En un sens, le conflit s’est institutionnalisé pour l’ensemble des pratiques collectives et les actions collectives ne suffisent plus à créer le changement. Cela est patent en Pays Basque Nord, où la lutte sociale, essentiellement liée à un cadre d’action syndical marqué par la CGT et la CFDT, est encadré par l’agenda français et où LAB penne à inscrire un agenda politique et social local, pour ne pas dire un cadre d’action local, essentiellement du fait de l’ostracisme dont il est victime par les autres confédérations syndicales.

2.1.

La nébuleuse des salariés : les transformations du capitalisme en Europe occidentale et la tertiarisation de l’économie du Pays Basque nord

Globalement en France, les années 60 accompagnent le passage d’une bourgeoisie patrimoniale centrée sur l’entreprise personnelle à une bourgeoisie de dirigeants, salariés, diplômés, et intégrés à des grandes administrations publiques ou privées. Le projet des années 60 est orienté vers la libération des cadres et l’assouplissement de la bureaucratie issue de la centralisation et de l’intégration croissante d’entreprises de plus en plus grandes. Dans les 90, on passe des cadres aux managers, « les managers se distinguent en fait des cadres selon une opposition qui est celle de l’intuition créatrice versus la froide rationalité calculatrice et gestionnaire

17


(…). Le manager est l’homme des réseaux. Il a pour qualité première sa mobilité, sa 25

capacité à se laisser arrêter par les frontières » . Dans les années 60 les formes de mobilisation salariale au sein des entreprises tournent autour de l’excitation du progrès et de la sécurité des carrières, alors que les années 90 sont marquées par l’épanouissement personnel par la multitude de projet. « La notion clé dans cette conception de la vie de travail est celle d’employabilité qui désigne la capacité dont les personnes doivent être dotées pour 26

que l’on fasse appel à elles sur les projets » . On ne peut être frappé par le contraste entre la décennie 1968-1978 et la décennie 1985-1995. Dans la première période on a un mouvement social dominé par le paradigme de la lutte des classes mais qui déborde aisément les limites de la classe ouvrière avec : un syndicalisme très actif, des intellectuels qui développent des interprétations du monde social en termes de rapports de forces et voient de la violence partout ; un partage de la valeur ajouté qui s’infléchit favorablement aux salariés. La seconde période, voit un mouvement social caractérisé par des formes d’actions humanitaires, un syndicalisme désorienté, un quasi-effacement de la référence aux classes sociales (y compris dans les discours politiques et sociologiques), où certains vont même dire, qu’il n’existe plus de classes sociales, et que la classe ouvrière a disparu ! ; une disparité salariale, un partage favorable au capital de la valeur ajoutée. L’interprétation de Mai 68 que l’on fait, à l’instar de L. Boltanski et E. Chiapello, est moins celle d’une « révolution au sens où elle ne donne pas lieu à une prise du pouvoir politique, du moins d’une crise profonde qui met en péril le fonctionnement du capitalisme et qui, en tout cas, même si elle est interprété comme telle par les instances nationales (comme le CNPF) ou internationales (comme l’OCDE) chargées d’assurer la défense de celui-ci. Mais c’est aussi, d’autre part, en récupérant une partie des thèmes de contestation qui se sont exprimés au cours des évènements de mai, que le capitalisme désarmera la critique, reprendre l’initiative et trouvera un dynamisme nouveau. L’histoire des années post-68 fait une fois de plus la preuve que les relations de l’économique et du social – pour reprendre des catégories consacrées – ne se réduisent pas à la domination du premier sur le second, mais qu’à l’inverse le capitalisme est tenu de proposer des formes d’engagement 25 26

Boltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999, p.123 Ibidem, p.144

18


compatibles avec l’état du monde social dans lequel il est incorporé et avec les aspirations de ceux de ses membres qui parviennent à s’exprimer avec le plus de 27

forces » . La critique des années 70 va être encadrée par le patronat-syndicalismeEtat, ne donnant de réponse qu’à la partie salariale, afin de ne pas toucher à la partie culturelle de la critique : demande d’autonomie, horizontalisation des rapports au pouvoir, respect de la dignité des personnes…). Constatant que la critique et le désordre industrielle ne baisse pas, le patronat va cesser de négocier avec les syndicats, contourner son niveau de représentation et intégrer à sa gestion entrepreneuriale la critique sociale. Le patronat, la droite et les syndicalistes modernisateurs (essentiellement la CFDT qui a un grand poids en Pays Basque Nord) vont alors tenter de construire des syndicats puissant, mais raisonnables et contrôlant bien leur base, qui sans supprimer les conflits sociaux permettent l’institutionnalisation de la résolution des conflits salariaux afin d’obtenir paix sociale et progrès économique. Ainsi, par un retournement de politique, l’autonomie va être en quelque sorte échangée contre la sécurité, dans le monde salarial dans les années 70, mais la déréglementation des années 80 va abaisser la sécurité au travail, et sous couvert de modernité, patronat, intellectuels (souvent venant du gauchisme) et gauche parlementaire vont faire l’apologie de la nécessaire flexibilité du travail à la flexibilité du marché. L’individualisation des relations du travail vont déplacer les espace d’épreuve de force, du collectif à l’individuel et la baisse du syndicalisme ne va qu’accentuer le phénomène. Le syndicalisme français va perdre de son poids dans les épreuves de forces car fort au niveau national (central) et au sein des instances paritaires (grâce à une loi favorable à ce système), il est particulièrement faible au niveau local et en entreprise. Le déplacement de l’épreuve de force du national au local va fortement ébranler les centrales syndicale qui sont fortement centralisées et bureaucratisées. Le syndicalisme rentre alors dans une logique de défense du travail, de la sécurité de l’emploi et délaisse ses ambitions de transformation du monde du travail et de liberté au travail. D’autant plus que, le monopole du PCF et de la CGT dans l’animation critique sociale du capitalisme n’arrange pas les choses, puisque cette dernière reste 27

Boltanski L., Chiapello E., op.cit., 1999, p.243

19


hermétique à l’ensemble des critiques sociales apparaissant dans les années 60 et 70, et maintient un concept de lutte des classes axé sur un modèle soviétique en pleine déliquescence. La critique délaisse donc le front social et industriel et va se concentrer sur le front artistique et philosophique où la jonction entre la critique et le néo-libéralisme vont fusionner assez facilement sur une idée portée par deux courants idéologique pourtant si éloignée, la critique de l’Etat comme forme de contrôle et de domination. On voit apparaitre alors, à partir des années 80, une forme de capitalisme-libertaire, issus essentiellement de la critique gauchiste-libertaire, basée essentiellement contre les règles salariales stables considérées comme rigides. C’est alors que, la flexibilité va permettre de reporter sur le salarié, mais aussi sur les sous-traitants et autres prestataires de services, le poids de l’incertitude marchande. Ainsi, la flexibilisation de l’activité productive par l’externalisation de la main d’œuvre crée un voile sur la capacité d’identification de classes sociales, puisque 85% des emplois en intérim le sont pour des postes de travail ouvrier, mais ne sont comptés que dans les services. Dès lors, « les déplacement destinés à donner plus de flexibilité externe aux firmes ont eu en effet comme conséquence le développement pour toute un frange de la population d’une précarité liée soit à la nature de l’emploi (intérim, CDD, temps partiel ou variable), soit à sa position dans des entreprises sous-traitantes qui sont en première ligne pour subir les variations de conjonctures et 28

d’ailleurs fortement utilisatrices e travail précaire pour cette raison même » . Mais la précarisation n’est pas la seule conséquence à relever puisque la dualisation du salariat et la fragmentation du marché du travail : d’un côté une main d’œuvre stable, qualifiée, bénéficiant d’un niveau de salaire relativement élevé et le plus souvent syndiquée dans les grandes entreprises ; de l’autre une main d’ouvre instable, peu qualifiée, sous-payée et faiblement protégée dans les petites 29

entreprises dispensatrices de services annexes » . La sous-traitance en cascade conduit à la constitution d’une réserve de travailleurs voués à la précarité constante, à la sous-rémunération et à une grande flexibilité de l’emploi. La dualité sur le même lieu de travail de travailleurs statutaires et précaires, rajoute une discrimination envers le précaire, qui est exclu de toute légitimité au sein du lieu de travail. « Une 28 29

Boltanski L., Chiapello E., op.cit., 1999, p.301 Ibidem, p.308

20


partie du manque d’emploi actuel doit être ainsi être clairement attribuée aux pratiques qui ont évacué hors du temps travaillé payé tous le temps morts, comme une partie des profits des entreprises doit être reliée à l’extraction de plus de valeur 30

ajoutée du travail humain pour un salaire inchangé » . Ainsi, on constate un report sur l’Etat des coûts de la mise au travail des salariés d’une entreprise et de leur formation, un report sur le temps du salarié de son temps de pause... La croissance numérique des salariés du tertiaire en Pays Basque Nord est réelle, mais elle ne signifie pas une disparition des classes populaires au profit d’une vaste classe moyenne. En particulier, voir dans la croissance de la CSP « Employé » l’expression de l’expansion des classes moyennes ne contribue pas à la clarté de l’analyse d’autant plus que la catégorie est en l’occurrence très féminisée et que les 31

salariées ont souvent des conjoints ouvriers . L’analyse des situations des ouvriers et des employés, notamment pour les salariés, mais aussi pour tout un ensemble de critères, montre, que les employés sont d’un point de vue structurel des ouvriers des services, c’est-à-dire des travailleurs routiniers du tertiaire dont le travail est tout aussi peu valorisé (économiquement) que celui des ouvriers. Dès lors, en faisant la somme des employés et des ouvriers nous obtenons un part stable de ces catégories au sein de la population active. Autrement dit, les classes populaires forment encore une part majoritaire de la population du Pays Basque Nord. Si pour la France, « la fin des trente glorieuses a été marqué par une dynamique doublement favorablement à la classe ouvrière (et aux employés) : les écarts se réduisent dans un contexte d’enrichissement rapide et partagé. A partir du milieu de la décennie quatre-vingt, au contraire, la croissance ralentit et l’écart demeure ». Pour le Pays Basque Nord, la disparition progressive de l’industrie de la chaussure et le déclin de l’industrie métallurgique, tel que les Fonderies de l’Adour, réduisent considérablement, avant les années 80, la part de la population active ouvrière et les revenus de ces secteurs.

30

Ibidem, p.338 En France, dans les années 80 on parle de classe moyenne en y regroupant les employés, les professions intermédiaires et les cadres, depuis les années 90 on a regroupé sous l’appellation classes populaires, les ouvriers et employés, laissant la dénomination classes moyennes au seuls cadre et profession intermédiaires. 31

21


Evolution de l’emploi par secteur

1990

1999

EVOLUTION 1990-1999 Absolue

Relative

AGRICULTURE

7804

6282

-1522

-19,5%

INDUSTRIE

15140

14095

-1045

-6,9%

Industrie

agricoles

et

2672

2919

247

9,2%

biens

de

3524

2955

-569

-16,1%

Industries biens d’équipement

4788

3580

-1208

-25,2%

Industrie biens intermédiaires

3224

3840

656

19,1%

Energie CONSTRUCTION

932

801

-131

-14,1%

7612

6608

-1004

-13,2

Tertiaire

60780

71667

10987

17,9%

Commerce

12521

15117

2597

10,7%

Transports

3768

3865

97

2,6%

Activités financière

2420

2301

881

62%

Activités immobilières

280

1682

1402

500,7%

Services aux entreprises

2080

8557

3477

68,4%

Services aux particuliers

37712

11 037

2433

6,5%

7316

8%

alimentaires Industries consommation

Education, santé, action sociale

20080

Administration

9028

Total des secteurs d’emploi

91336

98652

Source : CDPB, Economie, emploi et ressource humaines en Pays Basque, Bayonne, Avril 2004, p.25

Répartition des salariés dans les entreprises de plus de 20 salariés Industrie

35%

Commerce

29%

Services

32%

Artisanat

5%

Source : CDPB, Economie, emploi et ressource humaines en Pays Basque, Bayonne, Avril 2004, p.39

22


Pour S. Mariluz l’augmentation du secteur tertiaire en Pays Basque Nord est essentiellement due à une croissance significative d’une part, de l’activité du tourisme et d’autre part, de la hausse de la présence personnes retraitées et de du vieillissement global de la population qui créé un nouveau secteur d’activité des services à la personne. Ces secteurs d’activités, s’ils ne sont pas forcément exigeant en terme de qualification, ils le sont en masse salarial.

Répartition de la population active du troisième secteur Education, santé, action social

28%

Commerce

21,1%

Services aux particuliers

15,4%

Administration

12,6

Services aux entreprises

11,9%

Transports

5,4%

Finances

3,3%

Immobilier

2,3%

Source : Mariluz X., « Ipar Euskal Herriko egoera sozioekonomikoa azken 20 urte hauetan »in, Jubeto Y., Mariluz S., Zurbano M., Euskal Herriko Ekonomia. Eraldaketa sozioekonomikoak Europako Batasuneko integrazio-prozesuan, UEU, Bilbo, 2002, pp.59-108

Le rapport du CDPB, Economie, emploi et ressources humaines en Pays Basque, relève dès sa première page « le peu de lisibilité des enjeux et des dynamiques liés à l’emploi et 32

à l’économie en Pays Basque » . Ce manque de lisibilité de politiques économiques et d’emploi local se fait fortement sentir non seulement par la léthargie générale qui touche globalement les acteurs économiques locaux (dont la CCI est le principal responsable) mais également le manque d’un cadre institutionnel pouvant instaurer un politique local clair et définie qui n’existe pas pour l’instant. De 1990 à 1999 l’emploi industriel est resté relativement stable, on constate une baisse significative des emplois liés à l’agriculture et la construction, alors que les services et le 33

commerces ont fortement augmentés . De plus, « la population active ne se répartie 32 33

CDPB, Economie, emploi et ressource humaines en Pays Basque, Bayonne, Avril 2004, p.1 Ibidem, p.25

23


pas de façon identique dans les trois provinces. Le Labourd, par exemple, à un fort taux d’employés et de profession intermédiaires et peu d’agriculteurs » contrairement 34

au reste du territoire . L’un des paradoxes du Pays Basque Nord et que, s’il n’attire pas d’investissements directs français ou étrangers, il a une forte capacité d’attraction sociale comme le démontre sa dynamique démographique. Ainsi, le rapport du CDPB rend compte d’une « évolution favorable de la population active et du nombre d’emplois au cours des années 1990 (augmentation de 8%, du nombre d’emploi pour une augmentation 35

de la population de 5,1%) » . Le Pays Basque Nord crée plus d’emploi qu’il n’intègre de population allogène, cependant la création d’emploi est fortement lie à des secteurs d’activités à faible création de Valeur Ajouté et très peu qualifiés, tel que le Tourisme, les Services à la personne… Cette croissance s’est d’ailleurs développée sur la zone littorale entre 1990 et 1999 et a gagné plus de 9% d’emploi, soit 76,9% de l’emploi et elle concentre, à elle seule, 80% des emplois tertiaires. Les secteurs d’emplois créateurs sont : les activités immobilières, services aux entreprises, 36

activités financières et du commerce . La sur représentation de l’économie résidentielle renforce de manière préoccupante « la spéculation immobilière et foncière en zone littorale qui obère la capacité d’implantation d’activités productive tout en rendant les prix inaccessible aux personnes travaillant dans cette zone, les amenant à s’installer dans les Landes ou à l’intérieur du Pays Basque, ce qui engendre coût économique et écologique supplémentaire. Enfin, si les variations des revenus salariaux sont certainement très importantes pour comprendre l’évolution de la société, plus de la moitié des individus du Pays Basque Nord vit sans salaire direct (agriculteurs, artisans, retraités, chômeurs, jeunes, femmes au foyer…). D’autre part, rappelons que depuis 30 ans, le revenu salarial n’a guère varié, alors que le prix des actifs patrimoniaux a connu une envolée. En Pays Basque Nord, la stagnation des salaires et la progression des revenus financiers et immobiliers font de l’accès au patrimoine un enjeu stratégique des ménages, mais parfaitement inégalitaire et aléatoire tant au niveau social (disparités des possibilités 34

Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.19 Ibidem, p.7 36 Ibidem, p.24 35

24


d’accès un logement digne suivant les classes sociales) qu’au niveau géographique (les prix sont disparates entre la côté et l’intérieur du Pays Basque Nord).

2.2.

L’individualisation de sa condition sociale : chômage, précarité, déclassement

Le discours porteur de l’idée que nous vivons dans une société sans classe, outre le fait qu’il retire aux plus démunis tout lieu positif d’appartenance collective, produit la déstabilisation des constructions de classe qui avait marqué le milieu du XXe siècle : en retirant aux exclus de l’individualisation valorisée (qui semble rester une valeur sélective pour membres des classes aisées) la capacité à exprimer leur expérience collective, il renvoie les perdants du jeu social à l’intériorisation de leur propre échec. Il disqualifie ainsi les membres des classes populaires pour en faire les acteurs de 37

leur singulière médiocrité . De même, on assiste à une remise en cause de la cohérence du droit du travail, dans la mesure où une même situation de travail, la configuration de la flexibilité du marché est couverte par une pluralité de statuts, CDI, CDD, intérim… Les politiques libérales depuis les années 90 en appellent à aligner le contrat CDI, celui qui reste encore d’après le code du Travail, la norme générale, sur les contrats atypiques afin d’ajuster la flexibilité du marché sur la seule variable du travail. Or, il est à présent prouvé par des économistes et des sociologues que le développement de ces contrats, dans un contexte de globalisation et de forte concurrence sont sources de précarisation des situations salariales. Rappelons que le CDI en construisant un rapport de travail sur deux piliers, le salaire et la rupture, constitue le point d’appui pour d’éventuelles actions en justice, dans notre cas devant le conseil des Prud’hommes. Or plus le contrat est précaire nous dit S. Paugam, moins le salariés est intégrés et a recours à cette institution paritaire. D’une part, parce que le taux de syndicalisation chez les précaire est faible, et d’autre part parce que la volatilité et le turn over des salariés est tel qu’au sein des entreprises se distinguent 38

deux classes de salariés, les fixes (syndiqués) et les précaires (non syndiqués) . 37 38

Chauvel L., op.cit., 2002, p.131 Paugam S., Le salarié de la précarité, PUF, Paris, 2001

25


Finalement, la précarité correspond moins à la disqualification d’une partie de la population active, sur le marché du travail, qu’à une transformation du monde de gestion des entreprises qui fait du travail un coût susceptible à tout moment d’être réduit et non plus une force. La rémunération du travail ne peut être considérée comme juste si elle est évaluée uniquement par référence au temps de travail accompli sans prendre en compte également la formation et la production de la force du travail. En Pays Basque Nord, les jeunes et les femmes sont majoritairement victimes de la multiplication des CDD et CDI à temps partiel, cette inadéquation entre l’offre et la demande du travail stable et pérenne créé « une réelle difficulté d’accès 39

au logement par défaut de l’offre sur l’ensemble du territoire » , conduisant ainsi tant les jeunes que les femmes isolées à l’impossibilité d’accès à un logement. Soulignons que l’on a un chômage féminin élevé (52,1% en 2003), une précarisation grandissante de l’emploi féminisé, dont un effectif important de femmes chômeurs de longue durée en Pays Basque intérieur, peu qualifiées et difficilement employable au 40

vue du tissu économique local .

Emplois salariés

Emplois salariés

Part

Evolution des

en CDI

précaires

précaires/salarié

emplois

s

précaires

Zone littorale

2 958

9 292

14,9%

55,9%

Zone

8 035

1 801

18,3%

129,7%

Intermédiaire 39 40

CDPB, op.cit., p.10 Ibidem, p.9

26


Zone Intérieure Pays Basque

6 955 67 948

1 672 12 765

19,4% 15,8%

161,3% 72%

Pyrénées

161 286

29 643

15,5%

65,9%

9 127

1668

15,4%

125,4%

789 270

153 289

16,3%

-

17 098 266

3 095 376

15,3%

_

Atlantiques Sud Landes Aquitaine France

Source : CDPB, Economie, emploi et ressource humaines en Pays Basque, Bayonne, Avril 2004, p.10

Aujourd’hui plus que jamais, la dualité sociale intérieure et extérieure (in/out) se superpose au rapport d’exploitation capitaliste classique, ou connu. L’existence de personnes « non indispensables », qui n’ont même plus la fonction d’une armée de réserve industrielle, a des retombés structurantes sur la zone d’exploitation régulée. Les chômeurs et les exclus peuvent merveilleusement être utilisés pour attaquer, le droit du travail des « propriétaires d’emplois ». Dans ce sens, l’exclusion sociale à bien une fonction dans le rapport de l’accumulation flexible du système économique et social. Les différentes réformes de retour à l’emploi mises en places par les différents gouvernements ne font que confirmer cette tendance, et ce, malgré des victoires non négligeable sur les tentatives de mises en places de contrats de travail spécifique pour l’entré sur le marché du travail des jeunes comme le CPE. Particularité du Pays Basque Nord, la hausse du chômage incite les jeunes demandeurs d’emploi à accepter des emplois pour lesquels ils se sentent souvent 41

surqualifiés comme le souligne le rapport de Gaindegia . Ce phénomène de déclassement peut à son tour avoir un effet délétère sur les relations sociales locales, pour vivre sur son lieu d’origine on accepte des conditions d’emplois souvent délétères dont les conséquences ne sont pas que de court terme ou conjoncturelle mais bien structurante et de long terme. Conscient de ce mécanisme social, beaucoup d’entreprises locales, dans la mesure où le chômage local persiste, n’ont pas besoin d’améliorer les conditions de travail pour garder leurs employés ou pour 42

en attirer de nouveaux , l’attractivité du territoire se suffit à compenser la médiocrité 41

Gaindegia, op.cit., 2010 Philippon T., Le capitalisme des héritiers, la crise française du travail, Seuil-La République des Idées, Paris, 2007, p.83 42

27


des conditions salariales et de la qualité des emplois. Soulignons d’autres part, comme le montre le tableau du CDPB plus haut, que l’augmentation de la précarité n’est pas qu’un phénomène urbain et qu’il touche de plus en plus et de manière encore plus violemment l’intérieur du Pays Basque et la zone intermédiaire, avec une majorité de CDD et de salariés précaires. Compte tenu du manque d’infrastructures sociales, d’aménagement de transports en commun et de services publics locaux, on ne peut qu’émettre l’hypothèse d’une augmentation sensible d’une pauvreté et d’une exclusion sociale d’une certaine frange de la population dont l’activité des Restos du Cœur ne fait que confirmer.

Il semble bien que, la période entre 1945 et 1975 soit une période d’exception, où la stabilité salariale a primé sur la précarité. La question fondamentale est devenue de savoir qui, du patronat ou du salariat, contrôle cette stabilité/mobilité

43

des emplois et

des outils de production. En Pays Basque Nord, on constate que de grandes entreprises une fois avoir engloutie l’ensemble des aides et avoir tiré profit au maximum des avantages comparatifs locaux (salaires, aides financières sous formes diverses –subventions, exonérations d’impôts…), elles ont soit fermé leurs sites industrielles (Chupa-Chups) ou délocalisé leur production (Sony, RUWEL). La menace préalable de la délocalisation ayant joué au préalable un rôle non négligeable dans la modération salariale. D’autre part à un niveau micro, on peut mentionner les travailleurs

à

domiciles,

qui

subissent

fortement

la

déréglementation

et

l’individualisation de leur statut salarié, ce qui les conduit à une forte mobilité au cours de l’activité professionnelle non choisie, subie, et dont le coût économique et temporel est à la charge du travailleur. Force est de constater que le syndicalisme français et basque pèche dans la défense et l’organisation des salariés précaires, tel que les aides à domicile du Pays Basque Nord. Conscient des difficultés que cela implique dans ses cadres d’action collectives, il semble que ce soit plus le cadre d’interprétation, sur le rôle historique de cette classe et le sentiment sur son niveau de conscientisation qui éloigne le syndicalisme traditionnel de ce secteur, contrairement aux Etats-Unis et à Angleterre. 43

Béroud S., Bouffartigue P., « Introduction » in, Béroud S., Bouffartigue P., Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ?, La Dispute, Paris, 2009, p.15

28


Alors qu’une étude approfondie des luttes collectives dans des secteurs aussi précaires que Mc Donald’s, les femmes de ménages, l’intérim… en France, montre comment les personnalités des acteurs engagés est beaucoup plus importante que l’action planifiée d’une organisation syndicale traditionnelle au sein des structures économiques traditionnelles. D’autant plus, que les centrales syndicales même au sein de secteurs économiques aussi organisé que la métallurgie semblent bien désemparées devant la cascade de la sous-traitance, de la flexibilité et de la menace 44

de la délocalisation . Le défi lancé aux syndicalisme porte sur sa capacité à organiser la défense des acquis, au risque de paraitre ne se soucier que des salariés protégés, sans avoir à construire des solidarités minimales et des identités corporatives dans les nouveaux territoires du salariat, et à garder le contact avec les chômeurs, à retrouver et à inventer à la fois des nouvelles formes d’interventions, à élaborer des revendications qui, adaptées à des attentes diversifiées, conservent une cohérence d’ensemble. Il serait intéressant d’avoir un retour critique sur l’organisation de métiers tel que les dockers ou les travailleurs du bois, que rien ne prédisposait à s’ériger en contrepouvoir syndical dans un premier temps si l’on en croit les hypothèses sur le cours de l’histoire classique des thèses marxistes, afin d’affiner les stratégies syndicales 45

dans ces secteurs précaires qu’il peine à intégrer . Force est de constater que si le cœur des garanties salariales s’est d’abord forgé (hormis la sphère particulière des services publics) dans les bastions syndicaux des grandes entreprises industrielles, c’est sur leurs marges, domaine par excellence de précarités dérogatoires que se 44

Dans le secteur du nettoyage et des services à la personne, l’individualisation des relations salariales conduit souvent les travailleurs (en fait, on quasiment à faire qu’à de travailleuses) soit à une résignation forcée, compte tenu que l’exercice de cette activité résulte souvent, pour un nombre important d’entre eux, d’un choix par défaut, voir un choix de survie, et n’ont même pas la possibilité de l’exit, soit des modes de résistances elles-mêmes de type individuel (recours essentiellement aux Prud’hommes, suivi d’un syndicat ou pas). Plusieurs enquêtes sociologiques montrent bien que, l’appartenance à un grand groupe de nettoyage ne fournit pas forcément les ressources nécessaires pour l’engagement dans l’action syndicale, car les groupes peuvent être filialisés, les travailleurs exercer leurs tâches individuellement, de manière disparate géographiquement, faiblement localisé… 45 Prenons pour exemple les métiers de l’agriculture et du bois en Pays Basque Nord, le salariat y est fréquemment disparate, soit très jeune soit proche de la retraite, célibataire ou veufs, étranger au village, voire de plus en plus à la région (voire au pays), ils sont moins à mêmes que d’autres à exploiter les ressources des solidarités familiales et de voisinage. Solitaire sous l’effet de la relégation sociale ou en attente à l’accession à la propriété, ce salariat semble être plus conduit par des dynamiques individualisé de conflits que par un cadre de perception et d’action collective. Journaliers, métayers ou domestiques, ils sont embauchés au grès des saisons, des besoins de la production et malgré une raréfaction de la main d’œuvre dans ce secteur d’activité, les conditions de travails et sociales (logement, nourriture…) ne semblent guère évoluer.

29


sont construits les contre-pouvoirs syndicaux les plus audacieux de ces dernières années et les plus originaux de l’histoire sociale. Or, on voit se dessiner la double menace qui pèse sur le syndicalisme du Pays Basque Nord à travers le développement des diverses formes de précarisation. Les salariés qui se situent au cœur de la construction syndicale sont ceux qui bénéficient, des effets de la sécurisation de l’emploi et de ses avantages collatéraux mais ils risquent de se trouver isolés, s’ils ne peuvent plus arguer de leur rôle de promoteurs des effets positifs et de l’universalisation de leurs actions syndicales. Privé de son rôle moteur l’égard des salariés plus ou moins précarisés, ils vont se trouver dans une situation de privilégiés (ce qui est déjà le cas devant la majorité de l’opinion 46

public ). Insensiblement le syndicalisme va perdre non seulement des adhérents mais également des zones d’influence, et surtout voir transformer profondément sa nature sociale. D’autre part, les syndicats risquent de voir leur rôle se restreindre à la sphère du travail. Privés de leur fonction d’assimilation des différentes fractions du salariat, ils risquent de ne plus pouvoir se réclamer d’une fonction englobante de ses intérêts et de ses différents statuts. « Cette limitation du rôle syndical n’est pas contradictoire avec le fait que, entre-temps, les éléments de statut salarial pour lesquels les syndicats sont intervenus au long des décennies antérieures soient devenus des biens communs, naturalisés dans leurs pays de développement, 47

identifiants des régimes sociaux et des équilibres politiques de ces derniers » . D’autre part, contrairement aux zones industrielles plus classiques comme celles du Pays Basque Sud, l’importance du nombre d’entreprises sur le Pays Basque Nord, 48

estimé à peu près à 25 000, compte 97% de TPE . Cette structuration du tissu économique amène l’ensemble des salariés de ces entreprises à vivre sans une convention collective d’entreprise, sans protection régie par un représentant salarial et syndical et sans la possibilité structurante de voir un développement d’une conscience de classe ou du moins d’un esprit de groupe qui pourrait être corporatif. Cette atomicité des salariés basque au sein des TPE amène les salariés de ces entreprises à n’avoir comme recours d’action à l’encontre de leur employeur qu’une 46

Nous sommes conscients du rôle que jouent les médias et la doxa en règle générale dans ce rôle de stigmatisation. 47 Dufour C., Hege A., « Les syndicats face au processus d’insécurisation des statuts d’emploi » in, Béroud S., Bouffartigue P., Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ?, La Dispute, Paris, 2009, p.83 48 CDPB, op.cit., Avril 2004, p.7

30


action individuelle, souvent juridique (au sein des prud’hommes), pour les plus courageux, ou à des départs sous formes de démission. Souvent, aucune action constructive ou de résolution de conflit n’est envisageable dans ce cadre conflictuel au sein des TPE.

Evolution du nombre d’entreprises selon la taille et l’effectif en PAYS BASQUE 1995

2001

Différence

%

0 Salarié

1 0236

15 570

5 334

52,1%

1 à 9 salariés

7 999

8 807

808

10,1%

572

661

89

15,6%

18 807

25 038

6 231

33,1%

20 à 49 salariés

359

417

58

16,2%

50

148

173

25

16,9%

5

6

1

20%

19 319

25 634

6 315

32,7%

19 913

26 643

6730

33,8%

10 à 19 salariés Total TPE à

499

salariés >500 salariés Ensembles Ensembles

+

non classées Source : CDPB, Economie, emploi et ressource humaines en Pays Basque, Bayonne, Avril 2004, p.30

Pour D. Brochard, «les entreprises de moins de 50 salariés, dont la conflictualité est particulièrement faible (avec une proportion d’établissements conflictuels égal à 12,4%) sont en effet à 84% des mono-établissements et relèvent en matière de régulation sociale du modèle paternaliste : le petit nombre de salariés et leurs liens 49

étroits avec le patron font obstacle à toute organisation collective » . Dans ces entreprises, ce sont les arrangements interpersonnels qui structurent les relations sociales et si collectif de travail il y a, celui-ci reste le plus souvent subordonné au projet entrepreneurial du dirigeant. La résolution des conflits non atteignable par un compromis personnel s’opère en règle générale aux Prud’hommes. Les échanges salariaux bilatéraux, patron/collectif salarié sont peu nombreux et ils sont remplacé 49

Brochard D., « Conflits du travail : une analyse statistique » in, Denis J.M., Le conflit en grève, La Dispute, Paris, 2005, p.111

31


par des échanges patron/multiplicité des salariés. « L’augmentation de la taille de l’entreprise, la régulation sociale tend à s’institutionnaliser de plus en plus et s’accroit 50

conjointement la possibilité de constitution de collectifs de travail autonome » . D’autre part, nous notons que, l’atomisation des entreprises, notamment du secteur industriel du Pays Basque Nord, d’après les commentaires du Conseil de Développement du Pays Basque (CDPB) « se heurte à l’individualisme très fort de la 51

plupart des entrepreneurs qui n’ont de leur entreprise qu’une vision patrimoniale » , d’autant plus que la plupart des entreprises sont essentiellement des très petites entreprises (TPE). « Ces mêmes sociétés sont en outre souvent handicapées par un déficit en compétences de type ingénieurs ou techniciens supérieurs dans les fonctions techniques mais aussi en cadres ou techniciens de gestion ou commerciaux : en effet, corollaire du point précédent, le chef d’entreprise est l’homme d’orchestre qui fait tout et décide tout, au risque de ne pas savoir ni pouvoir 52

anticiper les évolutions du marché et de son entreprise » . Un suivit des affaires aux Prud’hommes d’autre part, montre bien comment beaucoup de chef d’entreprises méconnaissent (et pour certains méprisent) totalement les règles du Droit de Travail, ce qui ne fait que compliquer les possibilités de règlement à l’amiable de conflits salariaux. Les nouvelles lois sur la représentativité des syndicats et sur la représentation des salariés au sein des TPE, semble ouvrir certaines possibilités. Cela dit, localement, en Pays Basque Nord, la territorialisation d’une telle représentation donnant la possibilité à des syndicats souples et innovateurs, tel que LAB, ne semble pas 53

acquise de prime abord .

2.3.

Féminisation du salariat, précarisation général de l’emploi des jeunes, immigration en Pays Basque Nord

50

Ibidem, p.111 CDPB, op.cit., Avril 2004, p.9 52 Ibidem, p.9 53 Le syndicat lui-même n’a d’ailleurs toujours pas donné un avis sur une telle opportunité d’action syndicale. 51

32


Les femmes et les jeunes sont surreprésentés dans les statistiques du chômage en 54

Pays Basque Nord , et celui des étrangers est de 19,4%. Entre 2007 et 2008 le taux de chômage du Pays Basque Nord a augmenté de 17,4% et entre 2008 et 2009 de 28,2%. La moitié des emplois sont des employés qualifiés, 48%. « Les femmes éprouves encore des difficultés à s’unir pour constituer des collectifs de travail autonomes et actifs, ou encore des difficultés à constituer des collectifs homogènes 55

avec la population masculine » . De façon parallèle on peut s’interroger sur les incidences de la précarisation de l’emploi, essentiellement féminin sur certains secteurs d’activités. Car en Pays Basque Nord, les femmes sont deux fois plus concernées par les CDD et les emplois aidés, alors que les hommes sont plus 56

exposés au travail en intérim ou aux apprentissages et autres stages .

STATUT ET CONDITIONS D’EMPLOIS EN PAYS BASQUE NORD Hommes

%

Femmes

%

Ensembles

60 637

100

53 394

100

Salariés

47 282

78

46 641

87

Fonction

40 578

66,9

39 324

73,6

CDD

3 428

5,7

5 335

10

Intérim

1 596

2,6

622

1,2

Emplois Aidés

390

0,6

656

1,2

Apprentissage,

1 290

2,1

704

1,3

Non-salariés

13 355

22

6 753

12,6

Indépendant

7 058

11,6

3 939

7,4

Employeurs

6 142

10,1

2 348

4,4

Aides familiaux

155

0,3

466

0,9

Publique et CDI

Stage

Source : Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.23

54

Gaindegia, op.cit., 2010, p.20 Brochard D., op.cit., 2005, p.114 56 Gaindegia, op.cit., 2010, p.23 55

33


On peut se poser la question si le développement des emplois de services à la personne, sont au fond créateurs d’emplois ou producteurs de travaux serviles ? Ainsi, pour certains (la plupart des partis de droites) mettent en avant le gisement d’emplois potentiels de ce secteur d’activités de services, « les futurs emplois », d’autres dénoncent ces prestations qui ne sont que des travaux de serviteurs. Le problème du développement des services à la personne qui jusque-là étaient considérés comme des travaux relevant de la sphère domestique, pose le problème politique de définition sociale de ce qui est un emploi et un travail. Car, la marchandisation

de

travaux

domestique

n’est-il

pas

une

nouvelle

forme

d’asservissement social compte tenu de la précarité de ces emplois et de la redivision du travail d’une manière sexuée ? Mais de même, il pose le problème beaucoup plus ample de ce qui est un travail. Est-ce seulement ce qui est marchand et donc monnayable par sa quantification heure/travail ? Auquel cas, cela fait des siècles que les femmes, fournissent un travail qui créé une valeur ajouté, une richesse sans que ce dernier soit rémunérer, ni par la famille, ni par la société. Ou/et doit-on commencer à prendre en compte que certaine fonction sociale sont intrinsèquement créatrice de richesse sociale et que la communauté, dans notre cas l’Etat doit s’assurer d’une juste rétribution, puisqu’il en économise le coût financier ?

Age

Temps partiel selon le sexe et l’âge Hommes Femmes

15-24

15,1

34

25-54

5

32,1

55-64

10,3

39,7

Total

6,6

33

Sources : Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.24

34


Force est de constater que les débuts de carrière professionnel se font essentiellement au travers des chemins de la précarité pour l’ensemble des jeunes. Ainsi, le travail temporaire ressemble souvent à une période d’essai fortement dépendante de la conjoncture où, tant l’environnement économique que les qualités du jeune salarié feront qu’il soit embauché ou non. De même, le mythe du travail partiel arrangeant les femmes-mères au foyer montre grandement qu’elles en deviennent prisonnières ne pouvant souvent n’aspirer qu’à des emplois faiblement qualifiés et foncièrement écartelés dans le temps. Le travail en caisse, les assistantes scolaires, aides à domiciles, un travail où les cadences de travail sont fortes mais concentrés sur des courtes périodes de la journée est exclusivement dirigé à des femmes, ne prenant aucunement en compte le coût personnel et social d’une telle précarité et division du travail. Cette externalisation du coût et du temps à la charge des salariées est d’autant plus choquant que les grandes surfaces commerciales par exemple ont des marges bénéficiaires croissantes d’année en année. Le syndicalisme et l’action collective pèche ici, à rééquilibrer le rapport de force et de la répartition de la création de richesse et des externalités des coûts au travers de la négociation collective .

SEXE

Répartition de l’emploi par sexe Hommes Femmes

Agriculture

70,3

29,5

Industrie

69,7

30,3

Construction

91,5

8,5

Tertiaire :

44,2

55,8

Commerce 50,7

49,3

Services aux entreprises 58,5

41,5

Services aux particuliers 38,4

61,5

Ensemble

52,3

47,7

Source : Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.24

57

57

Dans le tableau original fourni par Gaindegia une erreur semble s’être insérée dans ce tableau, une inversion des colonnes hommes femmes que nous avons corrigé pour cette communication.

35


Salaire net horaire moyen selon contrat, CSP et Ensemble

Temps

Temps

complets

partiels

Temps complets par sexe Femmes

Hommes

Cadres

22,4

22,6

20,5

18,4

24,1

Professions

12,5

12,5

11,9

11,7

13,2

Employés

8,7

8,8

8,2

8,7

9,2

Ouvriers

9

9

8,7

7,9

9,2

Ensemble

11

11,2

9,9

10,1

11,8

Intermédiaires

Source : Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.24

Comme le montre le tableau le salaire net des hommes en Pays Basque Nord reste supérieur d’1,7€ sur les femmes. Si cet écart est plus faible que pour le reste du Pays Basque, d’après les commentaires de Gaindegia, il n’en reste pas moins que les écarts sont plus importants dans les catégories des cadres (où les salaires sont plus

subjectifs

et

individualisés)

que

dans

les

autres

catégories

socio-

professionnelles (qui sont beaucoup plus encadrés par les convention collectives des salariés). De plus on a assisté ces derniers 30 ans à un déplacement des catégories et des concepts, on est passé des classes sociales et de l’exploitation, à l’exclusion et

aux

catégories

diffuses

comme

les

chômeurs,

précaires…

on

s’est

progressivement éloigné de la sphère du travail et socialisé l’ensemble des 36


particularités groupales. Dès lors, « contrairement au modèle de classes sociales, dans lequel l’explication de la misère du prolétariat reposait sur la désignation d’une classe (la bourgeoisie, les détenteurs des moyens de production) responsable de son exploitation, le modèle d’exclusion permet de désigner une négativité sans passer par l’accusation. Cela dit, cette négativité reste stérile, et cantonnée à un traitement de la question sociale de manière humanitaire si, à terme, elle ne rend pas compte d’une théorie de l’exploitation. Ainsi, « la transformation du thème de l’exclusion en théorie de l’exploitation pourrait permettre d’identifier des causes nouvelles de l’exclusion, autres que le manque de qualification qui est pour le 58

moment le plus souvent avancée » . La baisse du sentiment de classe, en tout cas de l’omnipotence explicative social de l’exploitation de classe en baissant a permis de voir qu’il existé d’autres groupes sociaux, exploités et dominés, que le marxisme-léninisme du PCF négligé. Force est de constater d’ailleurs, que le modèle défendu et soutenu par la CGT et le PCF a eu du mal à absorber les postures critiques de protection des minorités. Malgré tout, le traitement et les analyses en termes d’exclusions pèchent à fournir un cadre d’analyse cohérent de lutte politique. Car l’exclusion se présente comme un destin, contre lequel il faut lutter, et non comme le résultat d’une asymétrie sociale dont certains hommes tireraient profit au détriment d’autres hommes. L’exclusion ignore l’exploitation, ramenant sans cesse l’explication de la situation aux seules qualités 59

individuels des exclus . Dans ce sens, Stéphane Béaud, dans une analyse sur les aspirations ouvrières, indique les enfants d’ouvriers risquent fort de monter plus haut dans l’échelle des illusions, lorsqu’on leur fait croire que l’obtention du baccalauréat permet de sortir de la condition ouvrière. D’autant plus, que la société française a toujours favorisé l’école comme pôle central de l’intégration et de l’ascension sociales, alors qu’elle n’offre plus les places correspondant au niveau scolaire atteint. D’autre la structure de domination sociale scolaire décrite par Pierre Bourdieu montre, au combien, le système républicaine au-delà du discours égalitaire et méritocratique injuste et reproducteur. 58

Boltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999, p.435 Doit-on conclure que la notion n’est qu’une idéologie –au sens marxiste- voilant la réalité des fondements de la société, l’exploitation ? 59

37


Conscient des lacunes du système éducatif, le gouvernement va montrer la volonté à maintes reprise, 1994, 2003, 2007, d’instaurer un contrat spécifiquement aux jeunes. Sachant qu’ils sont pour la plupart diplômés du BAC voir d’in BAC +2, cette tentative est une réelle tentative de dévalorisation du diplôme et un déclassement social en règle, au-delà de son aspect d’exploitation social de la misère étudiante et jeune. D’autre part, « même si la population du Pays Basque Nord est assez jeune, l’offre de l’enseignement supérieur reste faible. Certes les effectifs d’étudiants dans l’enseignement supérieur au Pays Basque ont augmenté de 40% ces dernières années, mais il n’en reste pas moins qu’il y a un manque de cohérence dans l’offre 60

de formation et peu de master » . Ainsi, les jeunes étudiants partent le majoritairement à Pau, Bordeaux, Toulouse et Paris, et assez peu aux universités du Pays Basque Sud. Cette fuite de cerveau et futur cadre et travailleurs qualifiés est assez difficile à quantifier en flux de départ et de retour, mais compte tenu du tissu économique du territoire, deux hypothèse s’ouvrent à nous : la première est qu’une grande partie d’entre eux s’ils retournent au Pays Basque ne travaillent pas dans à leurs niveaux de qualification et acceptent de fait un déclassement socioprofessionnel ; la seconde est qu’ils ne rentrent pas, travaillent essentiellement dans les villes où ils ont effectué leurs études (ou autres) et sont remplacé numériquement par des nouveaux arrivants de nationalité française à qualification ou profession plus adaptés au tissu industriel local. Notons enfin, que s’il n’y pas de statistiques claires sur les mouvements de population extra territoriaux, certains chiffres ont été donnés par Gaindegia lors de son dernier rapport. Ainsi, « la proportion des étrangers est plus importante sur la côte qu’à l’intérieur du Pays Basque. En effet, 82% des étrangers y vivent, contre 61

18% dans la zone intermédiaire ou à l’intérieur » . La proportion totale est de 4,3% alors qu’en Pays Basque Sud elle est de 5,6%. Rappelons que l’INSEE considère comme étranger toute personne qui réside au sein territoire français et qui ne possède pas la nationalité française, dès lors tout individu de nationalité espagnole vivant et résidant au Pays Basque Nord se considérant comme basque et/ou originaire du Pays Basque Sud est considéré comme étranger. 60 61

Gaindegia, op.cit., 2010, p.15 Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.9

38


Nous postulons comme hypothèse, et d’après les commentaires des recensements rapportés sur les bulletins municipaux d’Hendaye, qui est avec le BAB la ville ayant le plus habitants « étrangers », que ces derniers sont des habitants originaires majoritairement du Sud de la Bidassoa, contrairement à ceux installés sur le BAB.

39


3. Classes sociales et politique : représentation, intérêts, luttes

La crise des trente glorieuses venait d’une baisse de la rentabilité du capital face à des salaires qui augmentaient proportionnellement plus vite que la productivité. Force est de constater que la dérèglementation du travail, la baisse de son coût global et de sa part dans la réparation de la plus-value n’a pas diminué la satiété du capital, et surtout du capital financier ces 30 dernières années. « Dévalorisation du travail ouvrier, affaiblissement de la résistance collective, affrontement de génération à l’usine et dans les familles, crise du militantisme syndical et politique, montée des tensions raciste sur fond de chômage de masse et vulnérabilité croissante : un certain groupe ouvrier a vécu, celui des ouvriers d’industrie, organisé syndicalement 62

et constitué politiquement » , héritiers en quelque sorte, d’une génération singulière de 1936 et de l’après-guerre, voire de 1968. Les ouvriers du temps de la classe ouvrière disposaient d’un capital politique accumulé (partis, syndicats…), d’un ensemble de ressources culturelles (association se référant au mot ouvrier sans honte) et symbolique (la fierté d’appartenir à une classe) qui permettait d’adhérer et de défendre collectivement le groupe. En Pays Basque Nord, la faible industrialisation et la forte présence d’une paysannerie conservatrice n’en demeura pas moins influencée par cette structure économico-sociale française, comme le montre les mouvements sociaux qui vont sévir sur la Côte Basque où l’on trouve 62

Béaud S., Pialoux M., op.cit., 1999, p.417

40


certaines industrie métallurgique ou encore à l’intérieur du Pays Basque, comme à Hasparren, où les conflits entre syndicalistes « rouges » de la Côte et employés 63

« jaunes » locaux sont très forts . Malgré tout, le déclin du conflit industriel ne signifie pas le déclin de la conflictualité générale, y compris au sein de la sphère productive. L’évolution de la nature et de la forme du salariat, de l’activité du travail, des liens de coopération tissés entre les salariés, des modes de management… peuvent laisser penser un changement correspondant des formes de revendication et de contestation. Comme tout phénomène social, le conflit évolue et se transforme sous l’effet conjoint de paramètres aussi divers que la nature de la structure sociale, le type de régime politique et le montant des droits (politiques, économiques et sociaux) qu’il accorde, le mode de production, la conjoncture économique etc. A chaque période de l’histoire correspond des processus particuliers de mobilisations et d’actions collectives. Dès lors, si l’hégémonie de l’action ouvrière a reposé sur une division du travail implicite entre la sphère sociale, réservé à l’action syndicale (centrée essentiellement sur les salaires), la sphère économique (réservée à la gestion patronale) et la sphère politique (réservée au parti censé représenter la classe ouvrière). Cette conception est datée historiquement de 1945 à 1975 et donne aujourd’hui à de nouvelles formes d’action liées au travail mais qui peinent à se structurer et organiser collectivement de manière durable. Notons par exemple la tentative de la Deuxième Gauche et de la CFDT de faire de l’autogestion et de l’autonomie sa forme essentielle de gestion de la cité, et l’échec voire a trahison de son programme social, politique et économique 30 ans après. A présent, le constat de l’éclatement de la « classe ouvrière est teinté de regret et de nostalgie, ce n’est pas parce qu’il obligerait à faire le deuil de la classe ouvrière –il faut d’ailleurs dire que son évaluation au rang de mythe, y compris par certains sociologues, a longtemps constitué un obstacle majeur à la compréhension sociologique des transformations qui affectaient le monde ouvrier- mais parce que la pérennité de la culture ouvrière se trouve fortement menacé. Or c’est cette culture ancienne, profondément politisée, construite à travers les luttes, qui permettrait de conserver et d’affirmer un minimum d’estime de soi » pourrait être réactivée 63

41


seulement et seulement si, l’on accepte d’ouvrir, non seulement le cadre d’action collectif à de nouveaux secteurs sociaux (précaire, travailleurs immigrés, collectifs surexploités du lumpen prolétariat), mais également le cadre de perception aux nouvelles formes d’aliénation et d’émancipation possible (sexuelles, religieuses, 64

exclusions…) . Et ce même si, malgré l’effondrement de la classe ouvrière en soi, le monde ouvrier, en tant que tel, n’a pas disparu. Si, la condition ouvrière s’est profondément transformée au cours de ces 30 dernières années et qu’elle a perdu son assise industrielle. Elle s’est par contre, fortement développé au travers la prolétarisation des emplois du tertiaire, des services et de l’externalisation de services et unités de production. « Le juste à temps

est

un

mode

d’organisation

de

la

production

peut-être

efficace

économiquement mais humainement très coûteux dans la mesure où il génère en permanence de la tension : entre donneur d’ordre et sous-traitant, entre chef et ouvrier, et finalement, entre les ouvriers eux-mêmes, sur lesquels pèse une partie 65

des contradictions non résolues du système de production » . La sociabilité ouvrière est impossible dans ces univers professionnels atomisés où tout semble organisé pour que les travailleurs et les opérateurs ne se rencontrent pas. Cette précarité institutionnalisée compromet en outre toute forme d’enracinement usinier et empêche la transmission de la culture de travail. Ainsi, un tour rapide des grandes unités de production industrielles du Pays Basque que Nord, comme Dassault ou Turbomeca montre bien le lien, sinon inexistant, du moins faible entre employés de l’entreprise et intérimaires. Enfin, les situations hors du travail sont de plus en plus connues par les entreprises, officiellement pour des raisons d’organisation, mais les directions tendent à les utiliser les difficultés sociales contre les salariés afin de mieux imposer des conditions de travail déplorables. On peut se demander si les fragilités structurelles du nouveau capitalisme français en Pays Basque Nord ne tiennent pas au fort affaiblissement à l’éclatement du statut d’ouvrier, au contraire de l’Allemagne ou du Pays Basque Nord, où le système industriel repose sur une forte professionnalisation ouvrière à l’usine et sur le lieu de travail. Il en va de même, pour la plupart des centres hospitalier, où les liens entre équipes de nuits de jours, entre statutaires et 64 65

Béaud S., Pialoux M., op.cit., 1999, p.419 Ibidem, p.419

42


non statuaires n’aident pas à la création de sentiments et dynamiques collectives liées au travail.

3.1.

L’engagement traditionnel de la classe travailleuse : le syndicalisme

Les formes traditionnelles de la critique du capitalisme, le mouvement syndical et la critique sociale vont entrer en crise dès le début des années 80. L’institution de la protestation salariale, le syndicalisme, entre dans une phase de recul et perte de repère idéologique et phénomène de désyndicalisation apparait à la fois comme un symptôme et une cause de la crise de la critique sociale. Il est indéniable que la moindre implantation des syndicats dans les entreprises et la réduction de leur audience auprès des travailleurs ont joué un rôle déterminant dans la diminution du niveau de critique auquel a été soumis le processus capitaliste à partir du début des années 80. La loi n’obligeant pas la comptabilisation des élections syndicales et la faible capacité d’information et de moyen des syndicats laisse au seul patronat la possibilité de comptabilisation de la représentation syndicale. D’autant plus que, l’implantation syndicale, c’est-à-dire le développement de sections syndicales est encore vu par la majorité du patronat comme une déclaration de guerre qui remet en question la paix sociale instauré par sa bonne volonté. Cela dit, l’avancé de l’individualisme, la perte de confiance dans la capacité de l’action politique et la peur du chômage explique également le recul de la désyndicalisation et reste des terrains non abordés par les syndicats qui se restreignent de plus en plus au corporatisme le plus strict. La désyndicalisation participe également de la désinformation des droits et de la minimisation de la critique sociale au sein de l’entreprise. Ainsi, le tissu industriel du Pays Basque Nord où les PME et surtout les TPE sont fortement représentés, les salariés n’y bénéficient que d’une faible représentation syndicale. De plus, la précarité de l’emploi et le turn-over limite également l’enracinement et la structuration de long terme au sein d’un syndicat. Quant au grandes et moyens entreprises, 43


l’implication des personnes au travail, l’expression de groupes de travailleurs (ex : groupe de qualité) et l’individualisation de rapports salariaux (primes, abondements et intéressement), ne font que participer au contournement des syndicats par le néo management. Particularité du système de représentation syndical français est que l’on considère comme représentatifs des syndicats de salariés sur leur simple inscription au code du travail et un patronat sur sa bonne foi, puisqu’aucune comptabilisation et statistique sur le degré de représentation n’existe en France, ni en Pays Basque Nord. D’autant plus que, le patronat tire fortement parti de ce flou de représentativité lorsqu’elle met en place des stratégies de négociation collective. Dans les années 60 est la plutôt favoriser les négociations de branche afin que les entreprises fortement syndiqués ne représentent un exemple et un moteur revendicatif, alors qu’à partir des années 80 elle va privilégier l’entreprise comme mode de négociation collective afin de profiter de la baisse substantiel de la syndicalisation. Enfin, l’aspect réglementaire de l’Etat en matière de droit du travail et de sécurité social, n’incite pas à la rélégitimation des syndicats qui se voit discrédité en efficience d’obtention de nouveaux droits et de protection des anciens. Convenant également que le manque d’adaptation à une situation locale de syndicats fortement ancrés dans une culture politique franco-national et fermés aux différentes évolutions du système capitaliste comme la CGT et FO marque également une des raisons qui fait que le syndicalisme soit si faible en Pays Basque Nord. L’autre raison de la faible implantation et culture syndicale réside dans le caractère historiquement conservateur des classes populaires de l’intérieur du Pays Basque et de la faiblesse d’un tissu industriel favorable au développement d’une conscience de classe ouvrière. La mauvaise qualité des relations sociales en France et en Pays Basque Nord est une caractéristique qui ressorts des enquêtes disponibles au niveau de l’Etat et ce de manière durable. En effet, nous nous trouvons devant un capitalisme paternaliste et héritier, ainsi qu’un management conservateur et rigide. Pour Thomas Philippon, « les pays où le développement syndical au XIXe siècle a été faible et tardif sont précisément ceux qui souffrent aujourd’hui d’un manque de confiance dans les relations du travail. Réciproquement, les pays où les syndicats se sont implantés

44


66

rapidement sont ceux qui ont aujourd’hui des relations sociales constructives » . Gérard Noirel définit le paternalisme comme une étape intermédiaire entre le 67

patronage et le management . Cette culture entrepreneuriale est d’autant plus ancrées en Pays Basque Nord que, comme on la dit précédemment, la majorité des employés travail au sein de TPE ou de PME, de type ou ayant commencé leur vie d’entreprise comme des entreprises artisanales. Dès lors, la précarisation des formes d’emploi et la culture paternaliste du mode de gestion de l’entreprise réduisent logiquement la possibilité de collectifs de travail autonomes au sein de l’établissement. Or, nous savons la proportion d’établissements conflictuels augmente continument avec le taux de syndicalisation et la représentation salariale part les syndicats. « La présence de délégués syndicaux et le taux de syndicalisation sont autant d’indicateurs de l’existence d’un collectif de travail autonome, constitué en contre-pouvoir. D’ailleurs, la probabilité de conflit est majorée de façon plus importante par la présence d’un délégué syndical dans l’établissement que par la 68

présence d’un délégué syndical dans l’entreprise » . T. Philippon soutien que « le capitalisme familial permet d’éviter les conflits en diminuant le rôle des syndicats et, de ce point de vue, il a pu fonctionner historiquement comme une réponse à l’hostilité des relations sociales. Mais il va aussi de pair avec des pratiques paternalistes qui limitent l’émancipation des travailleurs et qui figent les rapports de classe au sein de la société ; de ce point de 69

vue, il reste un facteur déterminant des mauvaise relations sociales à long terme » . Nous pouvons souligner que cette analyse est fortement transposable à la tradition industrielle du Pays Basque Nord où, de l’industrie de la chaussure à l’industrie laitière, tant les récits salariaux que ceux des paysans producteurs de laits n’ont fait que dénoncer ce rapport paternaliste et ascendant. Ainsi, une simple revendication déclarée dans une grande entreprise peut constituer un motif suffisant pour entrainer un licenciement dans une petite entreprise, car cet acte peut être considéré comme une entorse à l’autorité du patron. Dans les petites entreprises, le droit du travail n’est pas une ressource pour l’action, il n’est pas 66

Ibidem, p.33 Noirel G., « Du patronage au paternalisme : la restructuration des formes de domination de la main-d’œuvre ouvrière dans l’industrie métallurgique française », Le mouvement social, n°144, 1988 68 Brochard D., op.cit., 2005, p.112 69 Philippon T., op.cit., 2007, p.62 67

45


mobilisé ni formalisé. Il ne constitue donc pas la référence sur laquelle on pourra objectiver les motifs du conflit. A la logique du droit est substitué la logique de la morale et du don. Cette relation de droit divin est souvent la règle chez bon nombre de petits patrons qui n’ont jamais reçu de formation et information juridique qui base souvent leur cadre d’interprétation et d’action sur leur propre vécu. D’autant plus que dans les Très Petites Entreprises les rapports et les normes domestiques s’alimentent d’une certaine proximité sociale entre le patron et les salariés. Dès lors, les Prud’hommes constituent la seule voie de recours pour beaucoup de salariés des TPE qui ne bénéficient pas dans leurs entreprises de recours judiciaire contre leurs employeurs en cours d’exécution de contrat de travail, alors que ceux des grandes entreprises peuvent user, au moins dans un premier temps, de l’intervention d’agents d’intermédiation social (syndicats, DP, CE et CHSCT). En France, « selon le secteur d’activité, on constate que la proportion d’établissement conflictuels se différencie plus ou moins nettement de la moyenne. Les secteurs des biens d’équipements, des biens intermédiaires, des activités financières et des administrations ont une proportion d’établissements conflictuels nettement supérieur à la moyenne ; à l’inverse les secteurs de la construction, du commerce, des activités immobilières et des services aux particuliers ont une 70

proportion d’établissement conflictuels nettement inférieure à la moyenne » . C’est dans ces derniers secteurs que la syndicalisation est la plus faible et dont la structure organisationnelle et la disparité individuelle géographiquement est la plus grande. Ce sont également des secteurs faiblement valorisé socialement et dont les personnes ont une faible identité professionnelle et estime de soi. Contrairement aux secteurs industriels, banquiers ou administratif qui ont une forte tradition revendicative se sont des secteurs où l’on constate l’absence d’histoire revendicative et d’actions collectives. Cependant, en Pays Basque Nord, si l’on excepte les grandes mobilisations à l’appel des grandes centrales syndicales à l’encontre des réformes gouvernementales, c’est dans le secteur du commerce que l’on a vu ces dernières années les mobilisations salariales les plus importantes. Que ce soit, la lutte revendicative sur les augmentations de salaires des employés de Castorama, menée essentiellement par 70

Brochard D., op.cit., 2005, p.107

46


une section CGT (et depuis peu par LAB), la lutte de LAB sur le Champion d’Hendaye, ou la mobilisation globale des salariés du commerce de grande surface de la Côte Basque, montrent que des actions et mobilisations locales sont faisable à condition que les intersyndicales s’y attèlent et laissent de côté leur concurrence et préjugés politiques. Finalement, ce n’est pas tant, ni le secteur ni le territoire qui peuvent paraitre comme indépassable au cadre d’action collectif à la concrétisation d’accords et l’obtention de gains effectifs favorables au salariés à un niveau local, mais les cadres de perceptions qui structurent l’action des syndicats au niveau local. La construction du conflit des trente glorieuses s’est modifiée durant les années de crise dans l’entreprise privée. « L’idéal type du conflit fordien connaissait à peu près la séquence suivante : création d’un espace public autour de la revendication (mobilisation, pétitions, agitation syndicale…), débrayage d’avertissement suivis de grève formaient un halo autour de celle-ci, elles l’accompagnaient en amont ou entre des phases de grèves franches. Depuis [la crise] (…) les formes conflictuelle autre que la grève ne constituent plus une forme d’accompagnent ou de préparation à la 71

grève mais un substitut à celle-ci » . Le débrayage, la manifestation, y compris la manifestation hors entreprise, ne jouent pas seulement un rôle de recherche de soutiens extérieurs, elles sont aussi un substitut à la grève, du moins dans un nombre raisonnable de cas. De plus, les conflits généralisables diminuent fortement au profit de conflits plus localisés et spécifiques. On constate très peu de grèves sectorielles dans le privé de rang national et ce même dans le secteur public (comme à l’Hôpital). La non indexation du salaire à la négociation collective divise la lutte syndicale en deux et oblige, compte tenu du rapport de force sur le partage de la Valeur Ajouté, les syndicats à n’agir essentiellement qu’en faveur du pouvoir d’achat, délaissant complétement la révision des conventions collectives qui à défaut d’être obsolète en deviennent parfois anachroniques. Enfin, dans ce domaine, rappelons que si rien dans la loi n’empêche les partenaires sociaux de signer des conventions collectives locales, tant qu’elles sont plus favorables au salarié, en Pays Basque, tant le patronat allergique à toute réglementation, que les confédérations française de par 71

Pernot J-M., « Conflits du public, conflits du privés » in, Denis J.M., Le conflit en grève, La Dispute, Paris, 2005, p.157

47


leur culture syndicale centraliste et corporatistes, n’ont fait aucun pas dans ce sens, et LAB n’a pour l’instant pas assez de rapport de force pour changer cela. D’autre part, le MEDEF développe de manière récurrente un argumentaire selon lequel l’entreprise devrait devenir le lieu primordial de la négociation, primant donc la branche. La dimension collective de droits et des propriétés (équipements sociaux, logements aidés…) est abattu en brèche par cette volonté patronale de remettre en cause le fondement même du progrès social qui est d’assurer par la solidarité, la protection de l’individu qui ne dispose que de sa force de travail. Ce processus d’individuation remet en cause les questions des appartenances collectives des individus. Quant au clivage traditionnel privé/public, il recouvre aujourd’hui une certaine réalité plurielle de la conflictualité salariale. Certes, le statut de la main-d’œuvre, son appartenance à un secteur protégé et les ressources symboliques qu’il mobilise favorisent, au sein des établissements relevant du secteur public, l’émergence et la pérennisation de collectifs de travail relativement autonomes, dont la forte présence syndicale dans ce secteur est le meilleur indicateur. Mais ce niveau élevé de conflictualité est aussi lié à un effet de taille des établissements et à restructuration drastique ses dernières années de leur organisation et objectifs. « Plus la taille de l’établissement augmente, plus la proportion d’établissements n’ayant connu aucun conflit diminue et plus celle des établissements ayant connu un ; deux ou plus de 72

types de conflit augmente » . Pour ce qui est du Pays Basque Nord, notons que les mobilisations au sein des grandes entreprises sont essentiellement de deux ordres : mobilisation à caractère salarial (rémunération) et mobilisation pour suppression de postes (quasi exclusivement lors des annonces de fermetures et délocalisations).

Principaux employeurs privés du Pays Basque Entreprises 72

Employés pour l’année 2001

Employés pour l’année 2010

Brochard D., op.cit., 2005, p.110

48


Dassault aviation SA

1 174

970

Bonnet Névé

550

388

Quicksilver

450

734

Ruwell

450

Fermé

Signature SA

366

292

Sagem Communication

300

300

ADA

260

228

Sokoa SA

218

230

Lyonnaise des Eaux-Suez

208

NC

SAFAM

207

Restructurée

en

phase

de

délocalisation

B. Braun Médical

200

210

Plastitube SA

180

168

Lur Berri

142

150

Laboratoire Renaudin SA

NC

183

Groupe Lauak

NC

220

Groupe Artzainak

NC

180

Elaboration propre d’après : Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.28 et Mariluz X., « Ipar Euskal Herriko egoera sozioekonomikoa azken 20 urte hauetan »in, Jubeto Y., Mariluz S., Zurbano M., Euskal Herriko Ekonomia. Eraldaketa sozioekonomikoak Europako Batasuneko integrazio-prozesuan, UEU, Bilbo, 2002, pp.59-108

Enfin, notons que la représentation collective n’est pas un donné, mais un construit historique, elle nécessite être dite et incarnée dans des figures concrètes qui permettent d’éclairer le travail militant qui contribues à le faire exister. « Or celui-ci sert aussi à tracer les frontières, à en faire d’autres, à les faire bouger : c’est dans ce sens qu’il peut s’avérer excluant ou, à l’inverse, servir de vecteur à une reconfiguration du rapport qu’entretient l’organisation syndicale avec la base sociale 73

qu’elle entend représenter » . De fait, cette dimension pose également le problème des formes de représentation internes et démocratiques des organisations syndicales (qui bénéficient des permanents, des heures de délégation, des mandats, de locaux, du capital économique, social et culturel…), mais également d’écarts de 73

Béroud S., « Introduction de la seconde partie » in, Béroud S., Bouffartigue P., Quand le travail se précarise, quelles résistances collectives ?, La Dispute, Paris, 2009, p.95

49


représentation entre la volonté salariale et la capacité militante. Ainsi, on peut effectivement n’avoir qu’une section syndicale au sein d’une entreprise, alors même que la majorité des salariés penche pour d’autres organisations salariales. Ou encore, étant donné la configuration légale de la représentation syndicale française, avoir une majorité de salariés sympathisants, voir militants, d’une organisation syndicale non confédérale au niveau nationale français comme LAB, ou minoritaire comme la CNT ou Solidaire dans certains secteurs d’activité, et une section syndicale de la CGT ou de la CFDT agissant seule dans l’entreprise. Ainsi, LAB est la troisième force syndicale territoriale en Pays Basque Nord, mais elle ne représente pas grand-chose en termes de représentation salariale dans les entreprises locales.

Résultats des élections Prud’homales de 2008 en Pays Basque Nord L.A.B C.G.T C.F.D.T F.O. C.G.C C.F.T.C U.N.S.A SOLIDAIRE

voix / bozka / 5364 6432 3594 890 1108 91 /

% / 29,24 35,07 19,59 4,85 6,04 0,5 /

hautetsi / élu-e-s

/ / / / / / / /

voix / bozka % 1947 8,85 5781 26,38 7305 33,33 3696 16,86 913 6,12 1334 4,17 939 4,29 / /

hautetsi / élu-e-s

1 7 11 5 1 0 0 /

Xiberuan lehen aldikotz presentatzen ginen / Nous nous présentions pour la première fois en soule( rattachée au Conseil des Prud'hommes de Pau)

voix / bozka 2746 6308 5292 2763 867 1048 953 424

% 13,46 30,92 25,94 13,54 4,25 5,14 4,67 2,08

hautetsi / élu-e-s

111

14,66

0

4 9 9 2 1 0 0 0

Source : élaboration propre

Contrairement à une idée reçue, nous émettons comme hypothèse que, la forte pluralité des organisations syndicales en Pays Basque Nord participe du maintien du taux de syndicalisation, face à l’ouvriérisme de la CGT, qui par la disparition de ses bastions ouvriers et par sa symbolique n’aurait jamais réussie seule à syndiquer des pans entiers du salariat (enseignants, salarié du tertiaire, santé…) et d’une CFDT dont le projet social et politique s’apparente de plus en plus à celui du patronat. D’autant plus, que le syndicalisme corporatiste à la française rend difficile un maintien constant et suivi d’une conscience de classe solide dans la société salariale 50


compte tenu de sa culture politique fermée et réduite liée historiquement au PCF

74

et

ce malgré son revirement depuis son entré au sein de la Confédération Européenne Syndicale depuis la deuxième moitié des années 90. Ainsi, contrairement à 1995, la CGT en 2003 a adopté une posture de négociation. Le mouvement s’est déroulé, malgré la détermination des enseignants, dans la confusion démobilisatrice d’une triple attente : celle d’une grève générale à laquelle n’entendait pas appeler la CGT et la CFDT; celle du blocage total des transports auquel ses fédérations se sont refusées (essentiellement la CGT Cheminots et la CFDT Transport Routier), ne voulant transformer ces secteurs en fer de lance incontournables de la contestation sociale ; celle d’un secteur privé miné par la délocalisation, la sous-traitance et les formes atypiques d’emplois. Rajoutons à cela le compromis consentis par la CGT pour la libéralisation du secteur de l’électricité et la négociation du statut du CE d’EDF.

3.2.

Conflits et défense de classe dans un rapport de domination social

La société salariale impose une redistribution de la conflictualité qui n’est plus cristallisée entre deux blocs antagonistes, ouvriers et bourgeois. Mais qui se distribue sur l’échelle du salariat et se joue pour une bonne partie entre la concurrence des différentes strates du salariat. D’où le fort corporatisme régnant dans les syndicats de salariés et la grande désaffiliation et méfiance des plus précaires des formes d’action collective et de défense des intérêts salariaux. Cet éclatement de la classe ouvrière est fortement représenter lors des grandes mobilisations syndicales où l’on ne retrouve plus, à vrai dire, que les salariés de la fonction publique et des grandes entreprises, essentiellement des salariés en CDI protégés par de grandes sections syndicales. Alors que les mouvements organisés des précaires se constituent souvent à la marge des formations syndicales classiques et prennent l’apparence de coordinations et collectifs autonomes. 74

Voir l’exemple de l’action solidaire des dockers de Bayonne début des années 80 avec les marins des bateaux à pavillon de complaisance et les contre manifestations des paysans à Pau sous le slogan, « la terre au paysan et les quais aux dockers ».

51


A « la différence des groupes subordonnés de la société industrielle, exploités mais indispensables, Robert Castel nous explique que, les chômeurs ne peuvent peser 75

sur le cours des choses » . C’est là, laisser peu de chances aux divers modes par lesquels les dominés pourraient à travers leurs revendications, mettre en acte l’égalité de leurs droits au nom de la justice. A l’inverse, nous pensons que « la mythologie des exclus opposés aux salariés inclus (tous ceux qui ont un statut et sont dans les normes du droit du travail) fait totalement l’impasse sur l’origine même de l’exclusion sociale : l’exclusion sociale n’est que le stade du processus d’exploitation capitaliste, de sa pompe aspirante et refoulante qui attire et rejette la force de travail en fonction de ses besoins, sans préserver qui que ce soit de la menace du chômage, notamment les jeunes diplômés condamnés aux petits76

boulots » . Dès lors, le maintien d’un chômage de masse sur trois décennies et le développement continu de la précarité de l’emploi ne peuvent être considéré comme des erreurs économiques ou une incapacité politique, mais une des conditions 77

nécessaires au maintien de la rentabilité des capitaux . La frontière entre précaires et non-précaires est pour ainsi dire de moins en moins évidente, la division in/out n’est plus si évidente que ça, surtout à une époque où la mondialisation menace tous les jours de délocalisation et ou l’entré sur le marché du travail se fait essentiellement au travers de mode de contractualisation précaires. Prenons l’exemple des enseignants qui, jusqu’à aujourd’hui, à égalité de diplôme gagnaient moins que les cadres du privés. Ils ne prennent conscience de leur dévalorisation de leur travail, non pas parce qu’ils gagnent moins, mais parce qu’ils sont considérés comme des salariés comme les autres. « Extérieurs à la bourgeoisie, les enseignants ne sont plus, dans leur masse, des cadres supérieurs, ni même des cadres (des salariés qui encadrent d’autres salariés), comme persiste à 78

l’affirmer l’INSEE » . La capacité de mobilisation des enseignants est moins structurée sur ses revenus disponibles que sur la frustration d’un métier dévalorisé socialement et d’une fonction symbolique devenue ordinaire, celle de professeur.

75

Castel R., Les métamorphoses de la question sociales, Fayard, 1995, p.441 Lojkine J., L’adieu à la classe moyenne, La Dispute, Paris, 2004, pp.75-76 77 Coutrot T., Démocratie contre capitalisme, La Dispute, Paris, 2005, p.22 78 Lojkine J., op.cit., 2004, pp.57-58 76

52


Dans ce sens, les classes sociales sont une réalité tangible, mais vidé par l’histoire récente de contenu subjectif (de sens) et posées hors des représentations collectives. Les rapports sociaux, les plus violents sont souvent les plus silencieux, ceux devant lesquels il n’existe pas de représentations constituées ni de discours 79

organisés . Tant que les employés et les ouvriers, la somme des classes populaires n’auront pas (re)créé une identité collective, moteur de l’action collective de masse, il semble difficile de voir un renversement de la structuration sociale et une dynamique d’émancipation sociale. Pour autant, la difficulté actuelle est dans la nouvelle structure objective de classe qui émerge, plus que par le passé, les catégories sociales en situation de maîtriser la production des représentations collectives sont de plus en plus éloignés des masses et proche des dominants, ce qui n’aide pas à l’objectivation et à la prise de conscience. Nous avons ainsi vue tout du long des années 80 et 90 la prophétie autodestructrice de la fin des classes sociales : l’éclatement de la classe ouvrière, l’apologie de la 80

classe moyenne, comme fin du conflit de classe . Ce qui justifiait la fin du compromis fordiste et début de la compromission partenariale remettant ainsi en cause l’ensemble de la structure protectrice de l’Etat du bien être afin de le privatiser et de donner de nouveaux espaces de profit aux grande multinationales (privatisation de la santé, du risque individuel, de la sécurité, du risque social et salarial…). En même temps, la décatégorisation des classes sociales à travers la mise à mal de la réglementation conventionnelle (le droit du travail et ses formes contractuelles) et du cadre d’interprétation de la société, la grille des CSP, vont désinstitutionnaliser les épreuves liées au travail (sélection, promotion, d’appariement de postes et personnes, détermination des rémunérations…). La détermination du salaire et du statut du salarié passe par un rapport de force déséquilibré entre un salarié individualisé ayant un besoin de travailler pour vivre et une entreprise fortement structurée et à même de saisir les opportunités de la déréglementation du droit du travail en sa faveur. On passe de grands ensembles sociaux cohérents et structurés à des multiples divisés et concurrents alors que les structures de productions sontelles de plus en plus structurées verticalement, que ce soit de manière 79

Voir à ce sujet les études par exemple de, Béaud S., Pialoux M., Retour sur la condition ouvrière, Fayard, Paris, 1999 ou Bourdieu P. (dir.), La misère du Monde, Seuil, Paris, 1993 80 Nisbet R.A., La tradition sociologique, PUF, Paris, 1984

53


organisationnelle (les firmes multinationales) ou de sectorielle (subordination économique entre donneur d’ordre et sous-traitant). Dans ces liens structurants, comme le soulignent Luc Boltanski et Eve Chiapello, « il n’existe plus que des 81

épreuves de force » . Ces épreuves de forces entre salariés et dirigeants ou entre classes populaires et classes dirigeantes ne se produisent pas seulement dans les territoires de l’économique, on note également des épreuves de forces au sein des 82

luttes sociales et politiques qui ne se montrent comme tel de prime abord . Ainsi, si la classe bourgeoise est le produit, non pas d’une accumulation de biens, mais bien de rapports sociaux qui transcendent les inégalités et qu’une classe est une construction sociale des agents sociaux eux-mêmes, qui travaillent sans cesse à définir leur groupe. La bourgeoisie existe en soi et pour soi, et n’existe que si elle combine c’est deux manières d’être. Nous pouvons postuler avec, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot que dans les sociétés occidentales, la seule classe digne de ce nom à développer de telles pratiques collectives, se soit la bourgeoisie dans sa 83

capacité à défendre collectivement ses privilèges communs et ses intérêts . La grande bourgeoisie est une classe, assumant collectivement ses alliances, ses manières de vivre, l’éducation des futurs héritiers et qui exprime cette collectivité, et la gère, à travers une sociabilité de tous les instants. Ce collectivisme pratique, que la bourgeoisie met en œuvre à chaque instant dans son existence propre, va de pair avec un individualisme théorique, que le groupe se garde bien de s’appliquer à luimême, mais qu’il présente comme la panacée des problèmes sociaux et comme l’apothéose de la société libérale. La bourgeoisie en Pays Basque Nord présente le paradoxe d’inégalités sociales considérables en son sein, alors même que ses richesses, malgré leur extrême dispersion, fondent l’existence objective d’une classe. La richesse économique est toujours présente, mais ses variations sont telles qu’on peut se poser la question de l’unité d’une classe sociale aux ressources aussi inégales. Il en va de même pour les

81

Boltanski L., Chiapello E., Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Paris, 1999, p.401 Le changement des épreuves dans le monde du travail s’apparente à une désorganisation générale des anciennes épreuves instituées et à une dé-institutionnalisation suivant les trois axes de spécification et contrôle, réflexivité et stabilité. Dès lors, déplacement et décatégorisation participe du passage de l’épreuve de grandeur à l’épreuve de force 83 Pinçon M., Pinçon-Charlot M., Sociologie de la bourgeoisie, La Découverte, Paris, 2000 82

54


autres formes de capitaux, culturel, social et symbolique, qui positionnent objectivement les groupes dans l’espace social. En Pays Basque Nord on pourrait différencier une bourgeoisie provinciale, locale, et une hyper-bourgeoisie dont la résidence principale ou secondaire est en Pays Basque, mais dont l’activité professionnelle est soit à Paris, soit à l’étranger. Sans la mythifier, il convient, cependant, de la prendre en compte lorsqu’on parle des classes sociales en PBN, car si elle ne conditionne pas directement le jeu politique, économique et social local, elle a une grande influence localement. Ainsi, tant les sports qu’elle pratique (golf, tennis, voile…) que les transports qu’elle utilise (avion, TGV, autoroute…), que les loisirs (restaurants, bars…) influencent grandement les planifications d’infrastructures et les modalités de leurs accès. Cette hyperbourgeoisie se distingue de la bourgeoisie locale également par son appartenance à une super classe de niveau national français, où l’on retrouve noblesse d’Etat (les hauts fonctionnaires), les capitaines d’industries et financiers, alors que la bourgeoisie locale est historiquement notabiliaire. Si, la locale peut avoir pour référence la première, voir souhaiterait y appartenir, elle est consciente de sa petitesse et sait qu’elle n’a aucune chance de l’intégrer à long terme, même s’il lui arrive de la côtoyer localement lors des loisirs au sein de différents clubs.

Evolution du nombre de logement par catégorie 1968 Résidence s

6334

1975

1982 83 967

76,6

1990 95709

81,1

72

77,5

8

%

630

%

9421

12,1

13

14,6

%

717

%

6,8%

7

7,9%

7845

7,2%

8234

6 ;5%

8888

100%

109610

100%

127222

100%

146659

%

75,2

1999 110755

%

75,2

2006 124275

%

75,5 %

principales Résidence s

17780

16,2

23279

%

18,3

27016

%

18,4

34793

21%

6,1%

6553

4%

100%

165621

100%

%

secondaire s Logements

5283

372

vacants Total

78122

100%

93 719

Source : Gaindegia, Portrait démographique et social du Pays Basque Nord, Gaindegia, Andoain, 2010, p.32

55


La présence de cette super bourgeoisie est fortement concentrée sur la Côte Basque, où la multiplication des résidences secondaires en est le symptôme le plus évident. Cette forte présence de résidences secondaires ne fait qu’augmenter le prix du mètre carré habitable et tendre le marché de l’immobilier. Il créé également une tension géographique quotidienne entre une zone intermédiaire du Pays Basque où une grande partie de la population ayant eu accès à la propriété foncière, d’une maison individuelle, va travailler sur la côte, alors que le parc immobilier de la Côte lui, ne se rempli qu’en période estival, laissant vide des logements, en zone urbaine, où le travail se concentre. Les plus forts taux de résidences secondaires sont recensés à Ciboure (41%), Saint Jean de Luz (43%), Guéthary (44%) et Bidart 84

(47%) . Cela dit, le problème des résidences secondaires n’est pas que l’apanage de la grande bourgeoisie française. Une grande majorité des résidences secondaire du sud Labourd appartient essentiellement à des habitants du Pays Basque Sud, qui pour la plupart ne sont pas de grands bourgeois mais plutôt des membres de la classe moyenne ayant pu acheter un second bien grâce à un système bancaire favorable. De même rappelons, que la hausse sensibles des prix de l’immobilier sur des communes comme Hendaye et Urrugne est essentiellement le fruit d’acquisition de citoyens du Pays Basque Sud pouvant emmètre des crédits à moyen terme, de type 30, 40 et 50 ans (voire plus).

3.3.

Par-delà les nouveaux mouvements sociaux : des engagements populaires en Pays Basque Nord

Certains, à l’instar d’André Gorz ont pu à la fin du cycle de contestation des années 70, compte tenu de nouvelles subjectivités sociales et politiques dire Adieu au prolétariat85, le Pays Basque Nord, s’il n’a véritablement jamais dit bonjour aux ouvriers, il n’a pas non plus connu ce prolétariat si prometteur de changement social (s’il on s’en tient aux définitions marxistes de ces concepts). Malgré tout, force est de constater que le Pays Basque Nord, sans avoir été un terre de lutte de classe 84 85

Gaindegia, op.cit., 2010, p.33 Gorz A., Adieu au prolétariat, Seuil, Paris, 1980

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opposant ouvrier et bourgeois n’en reste pas moins un terre de contestation ; contestation identitaire, paysanne, sociale et politique… La diversité des acteurs sociaux, le caractère parfois composite de coalitions multipolaires n’empêche pas l’émergence d’un salariat diversifié, allié parfois à certaines professions libérales (artistes, médecins, avocats, agriculteurs), qui tentent aujourd’hui, chacun à sa façon, de s’opposer aux fractions dominantes du capitalisme financier et de la technocratie d’Etat. Ainsi, si une grande partie des marxistes français pensaient que les paysans ne pouvaient en Europe Occidental être une force de transformation sociale, car trop ancrée culturellement dans la réaction, force est de constater que les luttes d’ELB et de Laborantza Ganbara leur donnent tort. La lutte pour la survie et la pérennité économique d’une agriculture soutenable à échelle humaine s’inscrit totalement dans la contestation et la critique du système capitaliste et de ses intérêts financiers. Fortement ancré dans le mouvement social contestataire du Pays Basque Nord, ELB a réussi, avec l’aide d’une grande partie de la société basque à s’inscrire non seulement comme un fer de lance de la contestation au système, mais également comme une alternative possible et crédible. Dans ce sens le rôle et l’appui de syndicats de salariés tel que ELA, LAB et la CFDT ont sans doute joué un grand rôle dans le soutien et la popularité du projet de la Laborantza Ganbera décloisonnant ainsi, le corporatisme souvent lié aux différents secteurs d’activités économique. Ce cadre de coalition de cause (Advocacy Coalition Framwork) arrive assez facilement à se répéter tant au niveau culturel que politique sur des questions aussi importantes que l’officialisation de la langue ou la revendication d’un cadre institutionnel propre pour le Pays Basque Nord, mais peine grandement à se réaliser sur des questions sociales ou sociétales. L’échec d’un mouvement comme Agir Contre le Chômage ! (AC!), la faible action en faveur des travailleurs immigrés ou l’incapacité d’inscrire sur le long terme et de manière durable le mouvement social contestataire, Oldartu, qui se voulait LA coalition de causes du Pays Basque Nord, montre à quel point les actions collectives sur des questions sociales de solidarité peinent à pénétrer les habitants du Pays Basque Nord. 57


Ainsi, après avoir vu les forts mouvements sociaux de la Guadeloupe et de Martinique, un groupe de militants du Pays Basque Nord, sous couverts d’organisations syndicales et politiques ont tenté de reproduire le phénomène. La venue de militants et porte-paroles antillais expliquant que le secret de la mobilisation résidait dans le Cadre d’une Coalition de Cause réunissant un fort mouvement de contestation aussi ouvert que divers (contestation culturelles, sociale, économique, politique, citoyenne…), n’a apparemment pas motivé les centrales syndicales et mouvement politiques de gauche à tenter de créer un cadre d’accumulation des mécontentements. D’autre part, la création d’un mouvement tel qu’Oldartu, par des organisations politiques aussi marginales que le NPA, CNT, des militants abertzale ou le syndicat LAB, avec des secteurs de solidaires n’augurait rien de consistant, puisqu’ils oubliaient le principal, la coalition n’était pas le but mais un aboutissement d’une contestation générale et d’une accumulation donnée. Le mouvement social devant faire face à la crise en 2008 était mort-né et se marginalisé face à une population qui ne voit pas comparable la situation d’insularité et d’un territoire continu au sein de l’hexagone ! D’autre part, pour ce qui est de l’aspect purement syndical, alors que l’ensemble des syndicats lors des congrès internes qui les réunissent soulignent l’importance de lutter contre la précarité et d’aller mener les luttes syndicales dur les espaces sociaux les plus précaires de la société, force et de constater que le vide perdure encore, et qu’il s’agrandit de jour en jour. Conscient de leur faiblesse et du défi que suppose la globalisation et à présent la crise, il n’en demeure pas qu’il manque en Europe Occidental des plans d’actions et un investissement réel sur ce domaine à l’instar de ce qui se passe aux Etats-Unis et en Grande Bretagne depuis les années 80. Aux Etats-Unis par exemple, le Service Employee’s International Union (SEIU), va inventer l’organizing model of unionism qui en rupture avec le syndicalisme traditionnel, entend consacrer une part importante de ses efforts et de ses moyens, non pas à ses adhérents, mais à des champs restés jusque-là hors de la syndicalisation. Cherchant à se débarrasser des lourdeurs bureaucratiques pour renouer avec la contestation, avec la base, et transformer les organisations syndicales en structures favorisant la mobilisation, la militance et la solidarité, le syndicat va faire appel à la formation en management et leadership. Le nouveau modèle syndical met l’accent 58


sur la participation des travailleurs, dont il encourage les initiatives et favorise un répertoire d’actions agressif et innovant (théâtre de rue, rituels de la honte, boycotts…), susceptibles de prendre l’employeur au dépourvu. Enfin, le nouveau modèle pousse l’organisation syndicale à établir de nouvelles alliances avec des organisations de la société civiles afin de s’assurer un soutien de l’opinion publique le plus large possible. Le succès du modèle aux Etats Unis et en Grande Bretagne apporte la preuve qu’une syndicalisation des travailleurs précaires est possible dans 86

un milieu hostile à la syndicalisation et qu’un renouveau syndical est en cours . Renouveau qui, malgré une nouvelle loi de représentativité syndicale ne viendra sans doute pas, puisque tant la CGT et la CFDT empruntent d’un commun accord, le chemin d’un syndicalisme partenarial et non pas de contestation. Les sujets aussi importants que l’intégration des jeunes dans le marché du travail, le respect des droits des travailleurs immigrés ainsi que le changement de paradigme acceptant la féminisation et les droits des femmes ne semblent pas entreprendre un chemin de la contestation et de l’obtention de droit en Pays Basque Nord et en France. A l’opposé, des questions aussi importante mais émanent d’une autre logique, telle que la construction de la 2X2, l’agrandissement des aéroports ou du TGV mobilisent grandement, et pas simplement sur des cadres d’action collective basés sur le NIMBY (not in my back yard). En effet, ces infrastructures ne mobilisent pas seulement sur leur seul impact écologique mais également, sur l’impact de la symbolique sociale de ces projets. Au moment historique où l’on assiste à une exploitation des immobiles (la classe travailleuse et les exclus) par les mobiles (les marchés financier et leur classe social, la superbourgeoisie mondiale) la construction et le financement de projets tel que les ports sportifs, TGV et agrandissement d’aéroports deviennent des moments de luttes des classes essentielles. Car, si les privilégiés du capitalisme paraissent pouvoir être aussi mobiles que leurs capitaux, les précaires de l’intérieur du Pays Basque Nord eux, ne peuvent faute de transport en commun rejoindre Hazparne à Donostia ou Garazi à Irunea de manière convenable, en transport en commun (évidemment ni en avion ou voilier). 86

Le recrutement des permanents syndicaux passe par des campagnes successives au sein de secteurs précaires. Le syndicat tente de repérer les éléments les plus dynamiques et les plus jeunes afin de les formés et les embauché. Le permanent doit absolument être au plus proche de travailleurs. Le syndicat offre directement à chaque élément motivé une formation sur les différents sujets salariaux : fiche de paye, retraites, congés, droits syndicaux…)

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Dès lors, pour les représentants et les membres de la bourgeoisie, afin de voyager, il convient de voyager léger. « L’important mouvement d’externalisation et de mondialisation auquel nous avons assisté peut ainsi être interpréter, au moins en 87

partie, comme le résultat de la volonté d’être léger pour se déplacer plus vite » . La mobilité de l’exploiteur a pour contrepartie la flexibilité de l’exploité. « Cantonnée dans une précarité angoissante qui ne lui donne pas la liberté d’être mobile et ne lui permet pas de développer sa capacité à l’être quand elle ne la détruit pas, le travailleur flexible est candidat l’exclusion au prochain déplacement du plus fort (à la fin de son contrat d’intérim) tout comme le sont les salariés qui, pour des raisons de 88

santé par exemple, ne peuvent plus suivre le rythme endiablé qu’on leur impose » . L’impératif de mobilité est si bien ancré dans les mœurs qu’une entreprise qui se déplace de 500 km et qui propose à sa masse salariale de suivre, peut se réclamer de la fermeture d’un site mais sans licenciement, reposant ainsi la charge de la négation sur les salariés eux-mêmes. Cet impératif de la mobilité s’ajoute à un second handicap des classes populaires, de plus en plus prolétarisées, c’est que les luttes ouvrières n’arrivent plus à s’inscrire dans les arènes médiatiques et politiques, à la différence des luttes d’enseignants, de soignants, ou des intermittents du spectacle, qui grâce à leur bagage culturel maîtrise les codes culturels d’accès à ces arènes.

87 88

Boltanski L., Chiapello E., op.cit., 1999, p.455 Ibidem, 1999, p.456

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