Thèse Grégory Morisseau

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE DE GEOGRAPHIE DE PARIS Laboratoire de recherche ENEC UMR 8185

THÈSE

pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline/ Spécialité : Géographie Présentée et soutenue par :

Grégory MORISSEAU le : 08 février 2013

MER COMBATTUE, MER ACCEPTÉE : UN PROJET DE PAYSAGES ET SES PROBLÉMATIQUES Bas-Champs (Picardie, France) et Camargue (PACA, France)

Sous la direction de : Mr Jean-Paul AMAT

JURY : Mr Richard LAGANIER rapporteur Mr Philippe DEBOUDT rapporteur Mr Paul ALLARD examinateur Mme Sylvie SERVAIN examinateur Mr Jean-Paul AMAT examinateur Mr Bernard CAVALIE examinateur

Professeur de géographie, Université Paris IV

Professeur de géographie, Université Paris VII, Maître de conférences HDR en géographie, Univ. Lille1, Professeur d’histoire, Université de la Méditerranée, Maître de conférences en géographie, ENSNP, Professeur de géographie, Université Paris IV, Paysagiste, Directeur de l’Atelier de l’Ile Paris,



Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques Bas-Champs (Picardie, France) et Camargue (PACA, France)

grégory Morisseau sous la direction de jean-paul amat



Ă Manon



Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

RemeRciements

J

’adresse mes plus vifs remerciements à tous ceux qui m’ont apporté leur concours.

Ma reconnaissance va tout particulièrement à jean-paul amat qui a accepté de diriger cette thèse et avec qui j’ai eu plaisir à partager de passionnantes et nombreuses discussions. Je remercie tout aussi chaleureusement Bernard Cavalié, directeur de l’atelier de l’Île, pour l’intérêt qu’il a porté à cet exercice et la compréhension dont il a fait preuve en me laissant ponctuellement organiser mon temps de travail en faveur de la thèse. Ma gratitude s’adresse également à sylvie servain, maître de conférence en géographie à l’ecole nationale supérieure de la nature et du paysage, pour ses conseils et ses encouragements. J’adresse mes remerciements aux acteurs scientifiques de Camargue rencontrés sur le terrain parmi lesquels : Mireille provansal, professeur de géographie physique à l’université d’aix-Marseille, Bernard picon, directeur de recherche en sociologie à l’université d’aixMarseille, eric Coulet, directeur de la réserve nationale de camargue et régis Vianet, directeur adjoint du parc naturel régional de camargue. Je remercie sylvie servain, richard Laganier, paul allard, philippe deboudt, Bernard Cavalié et jean-paul amat, membres du jury, qui ont accepté d’évaluer ce travail. Enfin, j’aimerais exprimer ma plus profonde reconnaissance à ma famille, mes parents et mon frère, pour leur soutien infaillible et en particulier à delphine pour sa patience, son écoute et son aide quotidiennes.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

note aux lecteuRs

1- les termes marqués d’une astérisque (*) - à leur première occurence - renvoient au glossaire. 2- Les illustrations, distinguant photos, cartes et figures, sont répertoriées en tables en fin de thèse. Le terme « figure » regroupe schémas, plans, coupes, tableaux, axonométries, photomontages, diagrammes, histogrammes, frises et autres. 3- les sigles et les acronymes utilisés sont rassemblés et explicités dans le répertoire suivant.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

siGles et acRonYmes

aDeme amaP aot asa BRGm caue cePRi ceReGe ceRtu cetemF cnml csme DDaF DDe DDtm DPm DReal Dta DuP eaRl ensnP FFsa Gaec GFs Giec GiZc HVe insee meDaD meDDtl

agence De l’environnement et de la Maîtrise de l’energie association pour le Maintien de l’agriculture paysanne autorisation d’occupation temporaire association syndicale autorisée bureau des recherches Géologiques et Minières conseil en architecture, urbanisme et environnement centre européen de prévention du risque d’inondation centre européen de recherche et d’enseignement sur les Géosciences de l’environnement centre d’etudes sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques centre d’etudes techniques Maritimes et Fluviales conseil national de la Mer et des littoraux compagnie des salins du Midi et des salines de l’est Direction Départementale de l’agriculture et de la Forêt Direction Départementale de l’equipement Direction Départementale des territoires et de la Mer Domaine public Maritime Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Directive territoriale d’aménagement Déclaration d’utilité publique exploitation agricole à responsabilité limitée ecole nationale supérieure de la nature et du paysage Fédération Française des sociétés d’assurance Groupement agricole d’exploitation en commun Global Forecast system Groupement d’experts intergouvernemental sur l’evolution du climat Gestion intégrée des Zones côtières Haute Valeur environnementale institut national de la statistique et des etudes economiques Ministère de l’ecologie, du Développement et de l’aménagement Durable Ministère de l’ecologie, du Développement Durable, des transports et du logement 9


sigles et acronymes

meeDDm

Ministère de l’ecologie, de l’energie, du Développement Durable et de la Mer nRa national river authorities nGF nivellement Géographique Français oGs opération Grand site oneRc observatoire national sur les effets du réchauffement climatique onF Office National des Forêts PaDD projet d’aménagement et de Développement Durable Pam port autonome de Marseille PaPi programme d’actions et de prévention des inondations PeR plan d’exposition aux risques PiG projet d’intérêt Général PlGn plan loire Grandeur nature Plu plan local d’urbanisme PnRc parc naturel régional de camargue Pnu parc naturel urbain Pos plan d’occupation des sols PPR plan de prévention des risques PPRi plan de prévention des risques d’inondation PPRl plan de prévention des risques littoraux PPRn plan de prévention des risques naturels RGa recensement Général agricole RsPB royal society for protection of birds saGe schéma d’aménagement et de Gestion des eaux sau surface agricole utile scea société civile d’exploitation agricole scot schéma de cohérence territoriale sDaGe schéma Directeur d’aménagement et de Gestion des eaux sePnB société d’etude et de protection de la nature en bretagne sHom service Hydrographique et océanographique de la Marine smacoPi syndicat Mixte pour l’aménagement de la cÔte picarde sYmaDRemsYndicat Mixte d’aménagement des Digues du rhône et de la Mer tDens taxe Départementale des espaces naturels sensibles tFe travail de Fin d’etudes tRi territoires à risques d’inondations importants tVB trame Verte et bleue unesco United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization WRF Weather research and Forecasting ZaD Zone d’aménagement Différé ZnieFF Zone naturelle d’intérêt ecologique, Faunistique et Floristique ZPPauP Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager ZuP Zone d’urbanisation prioritaire

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

sommaiRe intRoDuction GénéRale

17

cHaPitRe liminaiRe - Plaidoyer pour une thèse

21

a. la thèse et son contexte

23

i. le regard particulier de l’ingénieur paysagiste ii. entre recherche et application professionnelle iii. une thèse en géographie B. la dépoldérisation des Bas-champs Picards : exploiter une expérience théorique de projet de paysage à l’origine de la thèse 29 i. « en somme, rendre la terre à la mer » : démarche, réflexions, questions, réponses ii. Des expériences professionnelles : de nouvelles questions soulevées iii. les objectifs multidirectionnels de la thèse C. Plan et déroulé de la réflexion

56

PaRtie 1 – le PRoJet De PaYsaGe, un outil De 59 RéDuction De la VulnéRaBilité cHaPitRe 1 - méthodologie

63

a. etat des lieux de la recherche

65

i. la gestion du trait de côte : évolution des approches ii. la camargue, un territoire de recherche III. Les demandes sociales et scientifiques et la nécessité de réponses B. le prisme du paysage, objet de projet : l’approche du paysagiste

72

i. tout est paysage ii. le paysagiste face à l’évolution des littoraux iii. les outils d’appréhension, de compréhension et de projection : entre rétrospective et prospective 11


sommaire

cHaPitRe 2 - inadaptation des stratégies et augmentation des vulnérabilités 77 a. les orientations récentes d’une stratégie nationale de gestion du littoral : entre fixisme et mobilisme, la place du paysage 80 i. la stratégie nationale de gestion du trait de côte, une stratégie en faveur du mobilisme : un gage de durabilité ? ii. le Grenelle de la mer : une carence de prise en compte du paysage dans les nouvelles visions du littoral B. la tempête xynthia et la préconisation réactive de certaines stratégies 88 i. les effets d’une tempête sur des paysages vulnérables ii. une fausse culture du risque de l’inondation : une résilience défaillante iii. les mesures et les stratégies post-tempête c. D’une résilience défaillante à une résilience limitée : les pistes d’une 108 résilience proactive i. la désorganisation du repli ou les résultantes paysagères d’un territoire décousu ii. Xynthia : l’opportunité d’une nouvelle approche de l’aménagement littoral et d’une révision globale des paysages du risque d’inondation

cHaPitRe 3 - Dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience 121 proactive et adaptation a. le laisser-faire, une stratégie de mitigation paysagère du risque de submersion 124 i. la dépoldérisation naturelle ou accidentelle : l’abandon ii. la dépoldérisation volontaire : un projet stratégique de territoire et de paysage B. le recul stratégique des enjeux et émergence d’un cycle adaptatif

142

i. les prairies st Martin à rennes, une intégration croissante du risque d’inondation dans le projet d’aménagement ii. le déversoir de la bouillie à blois iii. nouvelle étape de l’adaptation : questions à l’échelle du grand paysage

cHaPitRe 4 - Projet de paysage et développement local : les nouveaux paysages du risque 161 a. une expérience de prospective paysagère

165

i. une étude prospective sur le devenir du site de la bouillie à blois ii. la démarche de prospective paysagère : un ajustement à l’intercommunalité et au territoire iii. les scenarios de réaménagement d’un espace périurbain au service de la ville B. le renouvellement paysager : pour une nouvelle culture du risque

179

i. lecture et analyse du projet : coévolution d’une dynamique naturelle et d’une

12


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

production de paysage II. Réappropriation du territoire et émergence d’un « parc spécialisé » : vers une nouvelle culture sociétale du risque iii. Vers une nouvelle culture réglementaire des territoires du risque d’inondation

PaRtie 2 - la camaRGue : teRRitoiRe D’aJustement 199 stRatéGiQue PeRmanent cHaPitRe 5 - mobilité versus fixité : les fortes identités d’un espace 205 artificialisé a. Fixité perçue mais mobilité réelle du littoral

207

i. une mobilité littorale sous le contrôle du transit sédimentaire II. Les causes et conséquences d’un bilan sédimentaire déficitaire B. Dimension paléogéographique du delta

214

I. Formation deltaïque du Tertiaire à la transgression flandrienne ii. le stockage holocène et la libre divagation du rhône 219

c. Genèse du contrôle sociétal i. Du nomadisme de l’interface terre/eau … ii. … au bilan séculaire d’un territoire poldérisé

229

D. ajustements identitaires

i. l’invention d’une culture et la conscience du paysage camarguais : le romantisme militant, une volonté de figer la nature ii. les Cabanes de Beauduc : une forme récente d’ethnicisation iii. D’autres marqueurs de mobilité

cHaPitRe 6 vulnérabilités

-

une

multifonctionnalité

entre

mutations

a. la maîtrise permanente du territoire et ses résultantes paysagères

et 243 245

i. la gestion de l’eau, un corollaire au paysage et ses usages II. L’artificialisation des paysages iii. protections et mesures réglementaires B. L’illusion du fixisme : entre ressources et production, relégitimer la nature 261 et les paysages i. Dynamique des mutations territoriales et paysagères en cours ii. les mutations liées aux impacts du changement climatique iii. les inondations, inadéquations territoriales ou nouvelles opportunités ? iV. légitimité et pertinence des mesures de protection réglementaire dans un territoire soumis à mutations

13


sommaire

cHaPitRe 7 - sens et légitimité d’un combat contre la mer A. Perspectives d’aménagement

d’évolution

d’un

littoral

rigidifié

par

279 des

choix 281

I. Entre érosion et déficit sédimentaire, les traits constitutifs de la fragilité littorale ii. scénario d’évolution et artefacts de nouveaux paysages B. le littoral camarguais, une gestion intégrée entre durabilité et dynamique 293 globale I. Définition et acteurs ii. GiZc et hausse eustatique : reposer les bases d’une démarche c. Blocage dans l’ajustement continu, indices d’ajustabilité

297

i. les racines du blocage ii. la camargue peut-elle s’ajuster ? a partir de quelles références ?

PaRtie 3 - le RENOUVELLEMENT LITTORAL, une solution PouR la camaRGue ? 309 cHaPitRe 8 - Insuffisance des perspectives d’ajustement

315

a. le contrat de delta, la Camargue 2015

317

i. rappel des objectifs ii. les mesures phares B. la charte du Parc naturel Régional, la Camargue 2022

320

i. les ambitions générales ii. traductions spatiales, territoriales et paysagères

cHaPitRe 9 - Des expériences de géoprospective

333

a. Des scénarios de développement thématiques et dynamiques

335

I. L’intensification de l’activité touristique et de la pression urbaine ii. un territoire de transit iii. l’augmentation de la pression agricole iV. un territoire d’éco production industrialisée V. un espace qui retourne à la nature sous l’effet, entre autres, du réchauffement climatique B. le littoral camarguais face au changement climatique dans le Grand sud343 est I. Cadre et finalités d’une étude prospective de territorialisation du changement climatique ii. scénarios et hypothèses d’évolution du littoral languedocien et catalan

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

iii. Matrice de scénarios de mitigation paysagère en camargue

cHaPitRe 10 - Le renouvellement littoral : ajustement des dynamiques 355 sociétales au changement climatique a. Camargue 2030 ou « une écologie future » du delta du Rhône

358

I. Le PNRZH et le projet « prospective » ii. une camargue de rupture : vers un parc spécialisé B. Camargue 2040 et au-delà..., proposition de scénarios et futuribles 365 paysagers i. la camargue, dôme rural méditerranéen ii. la camargue, spot mondial du changement climatique iii. la mangrove camarguaise, le delta de tous les possibles c. le renouvellement littoral : principes et acteurs

377

i. regard rétrospectif sur les choix de gestion actuels du littoral camarguais ii. les principes du renouvellement littoral iii. acteurs et application en camargue

cHaPitRe 11 - De la recherche à l’action

389

a. une approche pluridisciplinaire

392

i. rappels et contexte de l’étude II. Le paysage comme stratégie : axe premier de la réflexion B. les Bas-champs du Vimeu, territoire d’expérimentation du renouvellement 395 littoral i. Géoprospective et futuribles paysagers ii. prospective socio-économique et technique iii. elaboration d’un plan programme d’aménagement et des conditions de sa mise en œuvre conclusion GénéRale

411

GlossaiRe

415

BiBlioGRaPHie alPHaBetiQue

419

taBle Des FiGuRes taBle Des caRtes taBle Des PHotoGRaPHies taBle Des matièRes

437 440 442 444

annexes

455 15



Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

intRoDuction GénéRale

i

ngénieur paysagiste de formation, je me suis très tôt passionné pour l’eau, ses excès et ses effets sur la variabilité des paysages. alors que les études et la

conception de projets de paysages sont devenues mon quotidien depuis plus de six années, la succession d’évènements climatiques aux conséquences souvent dramatiques renforce mes interrogations et mon désir d’apporter des réponses s’inscrivant dans la continuité de mes travaux de fin d’études consacrés à l’avenir des espaces littoraux notamment estuariens et deltaïques. Depuis une dizaine d’années, la France est touchée par une série de tempêtes meurtrières. après celles de 1999 et 2009, Xynthia continue sa course dans la nuit du 27 au 28 février 2010 en dévastant une partie des côtes atlantiques françaises. pourtant moins violente que les précédentes, comment expliquer le nombre des victimes et l’ampleur des dommages en charente-Maritime et en Vendée ? toutes proportions gardées, on peut comparer cet évènement à la catastrophe Katrina de la nouvelle-orléans car, dans les deux cas récents, les effets de la tempête ont été renforcés par la présence de polders. en charente-Maritime, ces espaces longuement et péniblement conquis par l’homme ont été repris en quelques heures par l’océan. entre une presqu’île et un estuaire, au pied de bas-plateaux et de buttes calcaires, les hommes ont conquis dès le Moyen-Âge le marais poitevin. au 17e siècle, les Hollandais spécialistes dans l’art de la poldérisation ont participé à conquérir le marais desséché réservé à l’agriculture. Jusqu’au 20e siècle, en construisant digue après digue, l’homme a conquis le pourtour de la baie de l’aiguillon. la conjonction de facteurs de divers ordres a produit une surcote de 2 mètres de hauteur à laquelle s’ajouta une houle comprise entre 4 et 5 mètres. sous cet assaut, les digues n’ont pu résister et ce sont plus de 50 000 ha de terre, dont l’altitude ne dépasse pas 2 à 3 mètres, qui ont été submergés. Fortement médiatisée pendant plusieurs semaines, cette tempête meurtrière devait livrer les secrets de ses excès. immédiatement, les digues furent les premières pointées du doigt. etaient-elles trop fragiles ? Mal entretenues ? puis, ce sont les constructions en zones inondables qui firent l’objet d’une remise en cause et d’une forte polémique. La réactivité étatique ne s’est pas fait attendre. un mois et demi après le passage de la tempête,

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introduction générale

le gouvernement présenta une cartographie des zones à risques et dévoila des secteurs à déconstruire. ces actions prises à la hâte sont lourdes de sens et de conséquences sur la gestion de l’espace et sur le paysage. l’appréhension réactive de cette crise ne peut que nous interpeler. en tant que paysagistes (ingénieurs ou architectes), nous nous devons de prendre part au débat sur la gestion des zones inondables1 ou submersibles2 et faire reconnaître que le paysage est une composante essentielle à la résolution des problèmes de risques d’inondation et de submersion. sur ces questions de digues et de déconstruction, Xynthia - et sa médiatisation ont remis en lumière des territoires qui font référence depuis quelques années en termes de problématique ou de réponse. ainsi, la question des digues a notamment été illustrée par la gestion problématique du cordon de galets à cayeux-sur-Mer, dans les bas-champs picards. la déconstruction urbaine a trouvé illustration à blois, dans le déversoir de la bouillie. un autre territoire revient en boucle dans les discours et les interrogations, la camargue. ce géosystème immuable et éminemment mobile est, d’un point de vue géomorphologique, un des exemples français les plus démonstratifs en matière de mutations territoriales. Depuis une vingtaine d’années, la mer a amplifié sa pression sur ses rivages. cette région de plus en plus vulnérable perd ses plages et, partant, une composante essentielle de son caractère. en plus de l’érosion du littoral, la camargue3 doit affronter le risque de submersion, voire la perspective d’ennoiement, des saintes-Maries-de-la-Mer (provansal, 2002 ; sabatier, 2002 ; picon, 2002) consécutivement à la hausse eustatique, une manifestation du changement climatique (lequel pourra avoir d’autres impacts sur le paysage). enrochée de tous côtés, cette ville (qui compte 2 500 habitants et 40 000 l’été) est une presqu’île en état de siège. il est dit que les saintois pourraient devenir les premiers réfugiés climatiques de l’Hexagone avant la fin du siècle. Lors de la tempête de 1997, 60 centimètres d’eau ont été mesurés dans les rues des saintes-Maries et la mer est entrée sur plusieurs kilomètres en camargue (provansal, 2009). la précédente tempête avait eu lieu en 1982. Doit-on anticiper le fait que l’eau pourrait atteindre annuellement ces niveaux dans quelques décennies ? (sabatier, 2009). tout le littoral camarguais ou presque est protégé par une immense muraille artificielle. Entre terre et mer, cette digue de rochers tente de protéger les rivages du golfe de Beauduc. Elle a figé un territoire mobile depuis des siècles, un delta mouvant, autrefois 1 selon le ministère de l’ecologie et du Développement Durable (2012), 17 millions d’habitants sont exposés au risque d’inondation (avec 9 millions d’emplois directs) et 1,4 million au risque de submersion marine (avec 850 000 emplois directs). selon la même source, en 2008, “seulement“ 5,1 millions de Français, soit 16 134 communes, étaient estimés être concernés par le risque d’inondation. quant à la submersion marine, phénomène particulier dans ses causes comme dans ses manifestations, elle demeurait moins connue que la crue ou l’inondation fluviale et ne disposait encore d’aucun chiffre sauf celui de 1 000 communes littorales présentant un risque d’intrusion d’eau. 2 en 2007, l’institut Français de l’environnement (iFen, 2007) indiquait ainsi que 25 % du trait de côte reculaient, contre seulement 10 % qui engraissaient. 25,9 % des côtes érodées étaient des zones urbanisées, commerciales ou artificialisées, 9,7 % étaient des terres labourées et 17,4 % des plages et des dunes. 3 la camargue est l’un des territoires les plus menacés par le risque de submersion. en raison de sa forte exposition à l’érosion, elle a été classée 3 sur une échelle de 4 par le programme européen eurosion.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

soumis aux inondations de la mer et du rhône. Deux cent quarante kilomètres de digues et d’épis ceinturent un assemblage fragile de salins, de terres agricoles, d’étangs sauvages. D’un point de vue sociétal, les paysages camarguais portent une multiplicité d’usages reposant sur un dénominateur commun, la nature ressource. ainsi, on distingue des activités agricoles (élevage de chevaux, de taureaux, riziculture), des activités salicoles et des activités touristiques. il s’agit alors de s’interroger, dans une dimension de constante mouvance, sur les variations du dénominateur commun sur ces activités. si la nature change, que deviennent ces activités ? inversement, si ces activités se déplacent ou disparaissent (comme c’est progressivement le cas de la culture du sel) – marché économique mondial, délocalisation, concurrence – quel sera l’avenir des écosystèmes présents déjà fragiles ? les constats, à l’heure de l’application des principes de Gestion intégrée des Zones côtières (GiZc) et de durabilité littorale, impliquent d’anticiper et de se positionner à court terme, au risque de devoir intervenir massivement plus tard et à des échelles réclamant des moyens lourds, dans un temps restreint. Cette thèse vise à identifier et proposer des réponses pertinentes sur l’avenir des sociétés, des territoires et des paysages littoraux soumis à des risques naturels de mieux en mieux identifiés (tempêtes, submersion, érosion) et croissants, entre autres causes sous les effets du réchauffement climatique, dont les manifestations, pas seulement eustatiques1, auront d’autres conséquences sur les paysages. La réflexion s’inscrit dans un contexte national (déclinaison d’une dynamique mondiale) de croissance démographique sur les côtes atlantique et méditerranéenne (avec plus de 3 millions d’habitants estimés en plus en 2030 dans les départements littoraux français). l’objectif est de montrer qu’il est possible de s’adapter à ces changements par la prise en compte des paysages et par la pratique d’une gestion plus douce et raisonnée des aménagements côtiers. comment, dans une logique de laisser-faire anticipé ou contrôlé, tirer parti des modifications de paysages tout en limitant, contrôlant, voire corrigeant les dérives induites par la hausse du niveau marin sur les littoraux ? la notion de projet d’ajustement nous permettra d’analyser les paysages qui en résultent et d’appréhender le rôle de médiateur et d’aide à la décision du paysagiste.

1

l’eustatisme est une variation du niveau marin moyen par rapport aux continents supposés stables.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

cHapitre liMinaire

plaidoyer pour une thèse

«

donner au paysage un sens qui nous motive et nous engage dans le monde.

»

augustin Berque, 1994

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

a

vant d’entrer au cœur de la réflexion, ce chapitre liminaire entend donner au lecteur quelques éclaircissements sur le contexte de cette thèse, l’origine de ses

questionnements, ses objectifs et son déroulé.

a. la thèse et son contexte commencée en 2006 après un diplôme d’ingénieur paysagiste obtenu à l’ecole nationale supérieure de la nature et du paysage (ensnp), cette thèse en géographie a progressivement puisé son inspiration dans la pratique professionnelle engagée à la même date à l’atelier de l’Île, agence d’architecture et de paysage. aussi, il convient de rappeler quelques liens d’union entre paysage*, géographie et projet.

i. le regard particulier de l’ingénieur paysagiste 1. Définition et brève genèse d’un métier nouveau « L’ingénieur du paysage est […] un négociateur entre le donné du réel et le rêve d’un possible, c’est là où se placent son projet, son œuvre et son destin. »1 Héritier de l’ingénieur de l’ecole royale des ponts et chaussées, l’ingénieur de l’ecole nationale supérieure de la nature et de paysage (ensnp) appartient à une deuxième génération d’ingénieurs du paysage. les études historiques (Desportes et picon, 1999) des origines de l’aménagement du territoire illustrent l’étroite parenté entre les ingénieurs du 18e siècle et ces nouveaux paysagistes (eveno, 2007). un idéal d’embellissement d’une nation pensée et dessinée dans les moindres détails par les ingénieurs a aujourd’hui conduit 1 eVeno c., 2007, la chocolaterie, une école nationale d’ingénieurs du paysage, Les Cahiers de l’ecole de Blois, portes ouvertes, n°5, Mars 2007, pp 22-29.

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CHAPITRE LIMINAIRE - PLAIdoyER PouR uNE THèsE

au « jardin planétaire » (Clément, 1999), perspective vers laquelle se tourne le regard du paysagiste contemporain acteur d’une société devenue elle-même paysagiste (Donadieu, 2002). plus qu’une simple nostalgie du paradis perdu et parce que l’idée du paysage désiré s’impose de plus en plus à notre société, chacun d’entre nous exprime la volonté forte d’écrire ou de construire ses particularités dans un espace de vie devenu planétaire ; aussi, comme le déclarait l’ingénieur sir ove arup, « la conquête de la terre par l’ingénieur est terminée ; il faut maintenant la redessiner » (Boiscuillé, 2003). en outre, en créant l’ensnp en 1995, son fondateur avait la volonté de former non des ingénieurs artistes ni même des architectes ingénieurs, mais des ingénieurs en architecture du paysage qui accompagnent la nature (naturellement artificialisée ou « surnaturelle » selon l’acception que Baudelaire donnait au mot paysage) en usant d’outils scientifiques et techniques, des ingénieurs qui interviennent sur le paysage avec créativité et humanité.

2. une formation plurielle… Géographe, historien, pédologue, sociologue ou encore écologue1, le professionnel du paysage qu’est l’ingénieur paysagiste fait appel à des méthodes scientifiques éprouvées pour construire un nouveau socle cognitif indispensable à sa discipline. cette approche pluridisciplinaire induite par la richesse d’une formation plurielle, augmentée d’une culture de la conscience par la connaissance inquiète de l’état présent des choses et par la connaissance politique de ce qui y a conduit, permet à l’ingénieur paysagiste d’appréhender les dynamiques environnementales et paysagères d’un territoire (dimensions biophysique et anthropique, relations et interactions entre espaces et sociétés) et de les réinvestir dans le projet de paysage ; bien que tous les ingénieurs paysagistes diplômés n’en usent pas systématiquement dans leur pratique professionnelle2.

3. … aux fins du projet de paysage pour l’ingénieur paysagiste, le paysage est un concept opératoire orienté vers le projet relevant à la fois d’une subjectivité personnelle et d’une sensibilité collective partagée par une pluralité d’acteurs. si la notion de projet de paysage* renvoie à une longue liste de cadrages différents (boutinet, 2001), nous entendrons ici qu’elle sous-tend la mise en œuvre d’une démarche engageant un processus de transformation d’un lieu, d’un espace ou d’un territoire dont la situation et l’état ne seraient pas jugés satisfaisants sinon problématiques, impliquant notamment des actions de transformation spatiale. nous reviendrons plus longuement sur ce processus qu’est le projet de paysage mais aussi le projet de territoire* qui lui est intimement lié.

1 ou encore acousticien, éclairagiste, botaniste, infographiste… 2 certains auront fait le choix d’exercer leur expertise en tant que technicien, ingénieur de la fonction publique, scientifique ou artiste.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

ii. entre recherche et application professionnelle la thèse s’inscrit dans un parcours professionnel d’ingénieur paysagiste où l’une et l’autre tissent une dualité constructive.

1. l’apport du parcours professionnel à la thèse la pratique professionnelle en tant que chef de projets et chargé d’études dans une agence du secteur privé offre un matériau riche et nécessaire pour nourrir et conduire une réflexion critique. Aussi, le parcours professionnel légitime le regard porté sur le sujet et, d’une certaine manière, sur les propositions que nous émettrons au fil de la réflexion. Enfin, les échanges permanents avec d’autres praticiens permettent de faire émerger les questionnements ou les idées reçues de professionnels en quête de réponses méthodologiques ou théoriques.

2. l ‘apport de la thèse au parcours professionnel Le temps de réflexion qu’est la thèse permet de prendre un recul mesuré sur la conception du projet, d’analyser les réponses apportées et d’approfondir des démarches qui ne seraient pas ou peu mises en œuvre dans le cadre classique des études (par appel à d’autres disciplines notamment). la thèse est l’opportunité de dresser un bilan/état des réponses apportées par le projet de paysage à la problématique du risque d’inondabilité (lorsque le projet abordé le permet), dans une perspective de changement global (perspective trop souvent contrainte, voire absente). en outre, la présence d’un doctorant (ou d’un docteur) peut participer à fonder ou préciser la philosophie d’une agence, notamment engagée, depuis un certain temps, dans des questions relatives à la gestion de l’eau dans l’espace public et dans l’étude du Grand Paysage. Cette réflexion est le signe d’une double volonté : renforcer ses compétences sur une approche du grand paysage dans sa dimension géographique et élargir son regard en amendant et renouvelant sa méthodologie. la recherche doctorale établit aussi un pont entre chercheurs et professionnels. la thèse propose de tirer parti de certains travaux produits et des expériences menées afin d’avancer dans la réflexion pratique et théorique. Elle offre une occasion concrète de mettre en application (à plus grande échelle) des principes et des notions qui s’avèrent pertinents et innovants pour répondre aux problèmes posés.

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CHAPITRE LIMINAIRE - PLAIdoyER PouR uNE THèsE

iii. une thèse en géographie 1. une thèse en plein débat sur la création d’un doctorat en paysage il n’existe pas en France, pour l’instant du moins, de doctorat en paysage à proprement parler. en effet, l’architecture du paysage1 (contrairement à l’architecture et à l’urbanisme) n’est pas une discipline reconnue par les universités, ce qui n’est pas le cas des universités du nord de l’europe (Donadieu et santini, 2008) ou encore du québec. alors que les écoles nationales supérieures de paysage ont pour mission fondamentale d’assurer la formation des professionnels du paysage et de développer la recherche dans le domaine du paysage et du projet de paysage, la constitution d’un domaine des sciences du paysage est aujourd’hui à l’étude. l’objectif est d’ouvrir plus largement l’accès des professionnels du paysage à une formation doctorale. ce doctorat en paysage entend se construire sur une recherche pluridimensionnelle dans le champ du paysage, sur le modèle et en partenariat avec l’université qui construit ses masters et ses doctorats autour de domaines et de spécialités. L’objectif est d’explorer la réalité des pratiques scientifiques et professionnelles et d’offrir l’état le plus récent des connaissances dans le domaine du paysage et du projet de paysage. une convention a ainsi été signée en 2004 entre l’ensnp et l’université sorbonne Paris IV afin de répondre notamment à la réforme LMD (Licence, Master, Doctorat).

2. la géographie, la science du paysage ? si le paysage possède toute sa légitimité en tant que discipline doctorale (comme en témoignent les journées doctorales en paysage), il semble opportun de rappeler les rapports noués et entretenus entre géographie et paysage. le concept de paysage a longtemps été jugé fondamental en géographie au point de définir celle-ci comme « science des paysages » constitutive d’une véritable culture géographique paysagère (levy et lussault, 2003). Déjà en 1913, sorre écrivait «nous dirions volontiers que toute la géographie est dans l’analyse des paysages ». Les représentants de cette géographie classique ont cru trouver dans le paysage le concept central de la géographie : une notion synthétique et idiographique des formes visibles de l’espace vécu (charvet, 2000). Dans les années 1960-70, de nombreuses critiques s’élèvent contre la place abusive qu’occupait l’analyse des paysages dans la production géographique. le paysage ne pouvait plus représenter la référence unique, initiale ou ultime, de la géographie. cependant, depuis les années 1980, les géographes s’y sont de nouveau intéressés en tant que produit d’une société qui aménage son espace selon son héritage fonctionnel, culturel, esthétique, politique constamment modifié et réorganisé par l’évolution de la société, et en tant qu’une des composantes des systèmes spatiaux (pitte, 1983 ; brunet, 1 l’expression « sciences et architecture du paysage » pour désigner une spécialité de doctorat n’est utilisée que par l’école doctorale abies d’agroparistech.

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1992 ; amat et Grataloup, 1992). le paysage demeure ainsi encore et toujours une catégorie majeure de la géographie (Granier) en tant qu’objet et outil (Manoukian, 2002).

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sud de la Baie de somme à marée haute (photo Morisseau, novembre 2005)

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B. la dépoldérisation des Bas-champs Picards : exploiter une expérience théorique de projet de paysage à l’origine de la thèse i. « En Somme, rendre la terre à la mer » : démarche, réflexions, questions, réponses 1. le cadre institutionnel, le travail de Fin d’etudes a l’ecole nationale supérieure de la nature et du paysage, le travail de Fin d’etudes (tFe) est l’un des travaux les plus importants pour les étudiants : c’est la dernière fois qu’il est possible de formuler un projet iconoclaste en relativisant des contingences politiques, juridiques, économiques et sociales du moment. en d’autres termes, il est possible d’inventer. ce travail est scindé en deux parties interdépendantes : le mémoire, qui analyse et développe la problématique d’un site et d’un programme, et le projet de fin d’étude, sa transcription géométrique et matérielle. il s’agit de poser et de développer une problématique par des recherches comparatives pour discerner ce qui est spécifique, voire innovant, dans le territoire et de présenter le territoire sur lequel s’appliquera la résolution. il convient ainsi de pouvoir lire et comprendre le site choisi dans son histoire, son présent et son futur. sur ces bases, l’objectif est de développer une prise de parti au travers des potentialités du territoire et d’établir un programme ou à analyser de manière critique le programme d’une maîtrise d’ouvrage, s’il existe. Enfin le projet expose et détermine le concept et les orientations développés dans le mémoire. il est l’ultime réponse à la problématique de départ. Certaines problématiques (contemporaines ou « d’actualité ») mettent en œuvre l’interdisciplinarité et ouvrent la voie à d’autres réflexions plus approfondies. De ce fait, le travail « en somme, rendre la terre à la mer » s’est illustré comme une base riche de questionnements tant dans sa problématique que dans les réponses formulées. ce travail a révélé la portée des enjeux et l’expression d’un vif engouement du jury, notamment de Jérôme bignon, président du sMacopi (syndicat Mixte pour l’aménagement de la cote picarde) à l’époque, député de la somme, et depuis président du conservatoire du littoral et président du conseil de la Mer et par la présence de Vincent bawedin, docteur en géographie, spécialiste de la Gestion intégrée des Zones côtières et de ses modes de gouvernance.

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2. Problématique d’un polder en sursis 2.1 contexte général en 2005, paysagiste en devenir, à la recherche d’un sujet de diplôme, ma volonté était de me confronter au contexte de la crise climatique et surtout à sa prise de conscience. prise de conscience de l’état futur de certains territoires et avant tout, de l’état existant, déjà problématique. la mutation des territoires et des paysages sous-tendue par cette perspective n’était que passionnante à mes yeux. la rencontre et mes discussions avec roland paskoff et Fernand Verger m’ont très vite amené sur le littoral et notamment en baie de somme… sur le littoral picard, les stratégies d’aménagement ne sont qu’affrontements : la baie de somme se comble inexorablement et les pouvoirs publics investissent pour le maintien de son caractère maritime tandis que la digue de galets des bas-champs de cayeux est consolidée à grands coûts alors que la mer est, depuis le 18e siècle, naturellement amenée à les réoccuper. Depuis près de trois siècles en effet, l’Homme tente de soustraire définitivement ces polders à l’élément marin. Une inondation importante, survenue au cours de l’hiver 1990, a incité à poursuivre ardemment dans cette voie alors que s’offrait une occasion de « dépoldérisation1 accidentelle ». Dépoldériser, c’est rendre la terre la mer. ce retour à un état initial résonne comme une évidence sur certains littoraux. la raréfaction des prés-salés, liée à la création de polders, a appauvri la faune et la flore des rivages et réduit les défenses du littoral face à la mer (Verger, 2005a). la hausse du niveau de la mer incite à une révision totale de notre gestion du littoral, en particulier dans les zones situées sous le niveau moyen de la mer. Dans ces secteurs, les prés-salés constituent une défense souple contre la fureur de la houle. Menace que l’élévation supposée du niveau de la mer ne fera qu’accentuer au cours des prochaines décennies. conjuguée à la hausse eustatique, la surfréquence des tempêtes liée au changement climatique induirait des problèmes de surcotes. les conséquences directes de ces combinaisons se traduiront par une accélération de l’érosion des falaises, des digues et des fonds marins et par le recul des plages et des dunes. 2.2 les questionnements Dès lors, il s’agit de savoir/définir/comprendre comment s’ajuster à ces changements en adaptant notre littoral et nos infrastructures. Faut-il continuer à lutter, à protéger ? Protéger quoi ? à quel prix et pour combien de temps ? Quelles stratégies de « protection » privilégier alors que les ouvrages se multiplient (digues, épis, brise-lames) et envahissent

1 sur l’emploi de ce néologisme : GoelDner-Gianella l., VerGer F., 2009, Du polder à la dépoldérisation ?, L’espace géographique, n° 4, p. 376-377

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le paysage, sans discernement, avec la vigueur et la bonne conscience de l’investissement « utile » parce que nécessaire. Comment habiter la « menace » dans un contexte où chacun prend des risques individuels les plus fous (sports extrêmes, vitesse…) et n’accepte pas ou plus le risque collectif ? (lamunière, 2006). rassemblant une palette de problématiques, les polders picards sont un site de réflexion et d’actions des plus pertinents. les bas-champs de cayeux-sur-Mer, à distance égale de Dieppe (seine Maritime) et du touquet (pas-de-calais), appartiennent à la plaine maritime picarde. ils forment sur 16 kilomètres environ l’interface entre le plateau du Vimeu et la Manche. D’une surface de 4 500 hectares, ils se situent à une altitude moyenne de 5 m nGF et par conséquent à 2,5 m sous le niveau des plus hautes eaux. Ces polders sont « protégés » de la mer par un cordon de galets (figure 1). A la suite d’une succession de ruptures, cette digue naturelle s’est progressivement semi-artificialisée. Depuis la dernière intrusion marine, elle est soumise à une concession d’endigage dont la durée ne sera limitée que par la capacité des ressources, matérielles et financières. En 2006, les stocks de rechargement laissaient entrevoir une perspective ne dépassant pas les années 2015-2017. la question paraît donc aisée à formuler : protégés des eaux aujourd’hui, que seront-ils demain ? continuer à croire que les bas-champs resteront terrestres semble illusoire.

Cordon de galets

Le Hourdel

Bas-Champs Ault

Cap Hornu

Falaises calcaires

Figure 1 : Bloc-diagramme de la Baie de somme et des Bas-champs du Vimeu (réalisation Morisseau, 2006)

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ainsi se pose un véritable problème de paysage qui réinterroge la pérennité de l’existant : la ville de cayeux, des villages, des hameaux, des fermes isolées, des espaces de cultures, des pâtures, un territoire de chasse, des marais… en somme, une anthropisation littorale aux profils diversifiés et aux enjeux multiples : Comment continuer à habiter et à vivre dans les bas-champs après 2017 ? selon quels nouveaux paysages ? selon quelle gestion de ces paysages ? quelle nouvelle organisation de l’espace ? pour le maintien de quelle originalité paysagère ? quelle conciliation et quel rapport entre terre et mer ? quel avenir proposer à l’agriculture, au tourisme et plus largement à l’économie locale ? Dans le tFe « en somme, rendre la terre à la mer », ces questions furent le moteur de la réflexion. Appuyé d’une analyse systémique, d’un diagnostic paysager, de scénarios d’évolution du territoire, du développement d’un scénario, le projet de paysage final tente de formuler des réponses inscrites dans une logique de durabilité et de gestion intégrée des zones côtières (GIZC).

3. une méthodologie au service du projet de paysage ces questions posées, commence une véritable enquête de terrain soutenue par une recherche bibliographique qui devait nourrir mon parti pris, lequel avait très vite été formulé : le retour de la mer est inévitable, mieux, il est souhaitable. Comment justifier une telle position alors que l’environnement local se présente aux antipodes de ces considérations ? 3.1 analyse et diagnostic 3.1.1 lecture sensible : la géographie sentimentale pour un ingénieur paysagiste, la compréhension d’un territoire passe au préalable par une lecture sensible des paysages. celle-ci lui permet de s’imprégner de l’espace en question et de s’interroger sur son propre ressenti. les paysages des bas-champs laissent une empreinte profonde dans l’esprit de celui qui les traverse. ayant arpenté cet espace pendant de longues semaines, je n’ai pu manqué l’occasion de partager ces moments de géographie sentimentale1 par et pour laquelle l’écriture, la poésie ou l’illustration trouvent inspiration. 3.1.2 lecture des paysages littoraux et dynamique littorale : le recours à la géographie physique la bonne compréhension de la constitution et de l’évolution des paysages littoraux rend obligatoire le détour par la géographie physique. en effet, il est nécessaire de prendre en compte la sédimentologie et la courantologie, compléments indispensables à la lecture des dynamiques paysagères. 1

Formule empruntée à alexandre arnoud, auteur de « Rhône mon fleuve » et repris par Bernard Clavel.

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Dans les bas-champs, le cordon de galets fonde le territoire. il est l’objet de toutes les attentions. toute l’histoire repose sur ce tas de cailloux… et encore plus son avenir. c’est un tapis roulant de millions de galets qui se forme le long de 90 km de côtes. léchées et constamment attaquées par la mer, minées par les eaux d’infiltration, les falaises s’éboulent par pans. la dissolution de la craie libère des nodules de silex intraformationnels sous forme, de gros cailloux anguleux que a houle roule au gré des marées et entraîne lentement par un courant de sud-ouest/nord-est ; c’est la dérive littorale. l’émoussé marin produit des galets, ronds et lisses. a ault (racine du cordon), les galets sont projetés à marée haute vers le sommet du rivage par les vagues orientées nord-est, puis redescendent vers la mer. ce mouvement prolonge leur déplacement vers le nord en créant des crochets successifs. ils sont finalement arrêtés à la pointe du Hourdel par le courant de la Somme où ils s’entassent au sud de l’estuaire, formant un poulier dont la pointe est dirigée vers l’intérieur de la baie. l’apport de galet y a été estimé entre 20 000 et 30 000 m3/an (Dolique, 1991 ; costa, 1998). l’histoire géomorphologique montre que les accumulations successives de galets se sont progressivement écartées du rivage alors formé par une falaise joignant onival au cap Hornu (aujourd’hui paléorivage à falaise morte). l’accumulation de galets a formé une digue naturelle de 16 km de long reliant ault au Hourdel. c’est l’un des plus grands cordons de galets en europe. il atteint par endroits 7 à 8 mètres de hauteur et jusqu’à 800 mètres de largeur. Depuis plus de deux siècles, les actions anthropiques ont fortement perturbé cette dynamique naturelle. cinq jetées portuaires1 importantes ont bloqué le transit naturel des galets, constituant en amont de la dérive des accumulations dénommées « stock mort ». Des extractions de galets effectuées sur le cordon ont également affaibli considérablement la défense. ces perturbations anthropiques du transit littoral naturel ont eu pour effet d’inverser la dynamique du cordon de galets des bas-champs. les apports en galets sur le cordon sont passés de 30 000 à 2 000-3 000 m3/an. Le déficit est sévère. Le cordon passe d’une côte en progradation à une côte en partielle érosion. les galets poursuivent leur accumulation naturelle au Hourdel mais la carence entre ault et cayeux induit une érosion, donc un amaigrissement, du cordon a) « Sisyphe-sur-Mer » ou le chantier contre l’océan… Depuis plus de 20 ans, Cayeux-sur-Mer se sait menacée par les flots : bloqués au sud ou exploités industriellement, les galets qui s’échouaient sur sa côte n’y jouent plus leur rôle de digue naturelle. Face à la « catastrophe annoncée », la défense s’organise. aussi coûteuse que titanesque. Dans les bas-champs, on a toujours combattu la mer, et l’addition est salée. on a installé sur plus de 12 km des épis constitués de ferraille et de béton construits en travers du cordon de galets. cela représente 3 600 tonnes d’acier, 7 500 1

il s’agit des jetées portuaires de Fécamp, st Valéry en caux, Dieppe, penly, le tréport et antifer.

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tonnes de béton, 500 000 tonnes de galets pour un ouvrage qui s’arrête juste avant cayeux et ne protège pas les habitations. a l’amer sud de cayeux, lieu-dit où se trouve le dernier épi, les galets sont bloqués. au-delà, la mer creuse le rivage sans protection naturelle. il faut lui apporter régulièrement des galets de complément. pour ce faire, on prélève les galets en accumulation au Hourdel pour les réacheminer par la route sur les portions de cordon en déficit, entre Ault et Cayeux (planche photographique 1). Tout le monde est unanime : « c’est shadockien ». D’un point de vue local, cette « protection littorale » s’apparente à du « développement durable ». Or, il faut rénover les épis terminés il y a cinq ans car la houle les a rongés, et ils sombrent peu à peu dans la mer.

Planche photographique 1 : cordon de galets des Bas-champs ; entre ouvrages et rechargement en matériaux (photos Morisseau, 2006)

l’histoire géomorphologique montre que les relations entre la terre et la mer n’ont pas toujours été conflictuelles (du moins jusqu’à sa poldérisation, c’est-à-dire l’apparition des enjeux sociétaux, enjeux qui engendrent la vulnérabilité et une boucle de rétroaction positive) et qu’au contraire, elles ont contribué à faire émerger un milieu (pas encore territorialisé par les sociétés) en ajustement naturel permanent aux effets sédimentaire et eustatique (figure 2). b) l’origine double d’un ancien espace maritime bien avant d’être cette entité paysagère conquise sur la mer, les bas-champs de Cayeux étaient recouverts par les flots. Ils ont ensuite formé une vaste zone humide largement en contact avec la mer et parsemée de quelques îlots de galets qui entouraient les localités de cayeux, Hurt et Wathiéhurt, les plus anciens villages de la côte (cayeux existe depuis le 8e siècle). a l’époque romaine, la mer léchait encore le pied de l’actuelle falaise morte. la véritable conquête de cet espace maritime commence au 14e siècle avec la mise en place de digues successives.

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une origine naturelle : formation de la plaine maritime picarde à l’échelle géologique (d’après Demangeon, 1905 ; briquet, 1930 et beun, 1973). l’aspect actuel des côtes de la Manche de la normandie au boulonnais montre un -3000

plateau flanqué de falaises sur sa tranche littorale, avec en son centre une zone basse : la plaine maritime picarde. suite au réchauffement climatique commencé au pré-boréal (10 000 b.p.) et jusqu’au sub-boréal (3500 b.p.), l’ensemble de la plaine maritime est inondé au moins en période de pleine mer, sauf les parties les plus élevées. le début du sub-boréal, qui marque

-500

une période plus froide, amorce une légère régression marine. alors le cordon de galets se détache des falaises au niveau d’onival pour progresser vers le nord-ouest. il se crée un espace anguleux entre ce cordon et la falaise en arrière de celui-ci qui ne sera plus façonnée par la mer étant donné le dépôt de sédiments qui fait obstacle. progressivement, cette zone s’exonde.

1600

trois d’importance

phases inégale

transgressives ont

suivi

:

les

transgressions dunkerquienne i (2 000 ans B.P.), assez limitée et, plus récentes, dunkerquiennes ii et iii qui s’étalent du 4e au 11e siècles. si toutes trois caractérisent une période de réchauffement appelée sub-atlantique, ce sont surtout les deux dernières qui amènent, à quelques mètres près, le niveau de la mer à l’ « actuel »1. les 1800 Figure 2 : Formation de la plaine maritime picarde (réalisation Morisseau, 2006)

formations de galets issus des falaises et remaniées en cordons par les transgressions datent de l’Holocène. au 17e siècle, la

1 Peut-on encore parler du niveau actuel, fluctuant ? On entendra de préférence « le niveau 0.00 NGF ».

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dynamique anthropique contribue, par l’édification des premières digues, à façonner un paysage proche de l’actuel. l’estuaire de la somme fut ensuite amputé des deux tiers de sa superficie par l’édification d’une digue de chemin de fer (20e siècle) après que le Hâble d’ault eut été fermé à la mer au 18e siècle. une origine humaine : premières conquêtes, premières digues et fixation du trait de côte. sans la main de l’homme, même si son rôle ne date que de quelques siècles, cet espace n’aurait pas l’aspect qu’il présente aujourd’hui. Des premières habitations subsiste une topographie originale qui illustre une première forme d’adaptation anthropique. une bande ancienne de galets s‘est constituée sur une ligne cayeux, Hurt, Wathiérhurt (Demangeon, 1905). les légers reliefs sur lesquels sont installés les actuels villages d’Hurt et Wathiérhurt pourraient être les vestiges d’anciennes buttes artificielles, comparables aux terps de Zélande et de Frise (Verger, 2005). il y aurait là une forme primitive de conquête, antérieur à la renclôture1 et plus précaire qu’elle. Les premiers travaux de « renclôture » ont véritablement commencé au 14e siècle. Faire une renclôture, c’est protéger un terrain par une digue, laquelle le rend clos - le renclôt. les espaces ainsi protégés étaient des terres vierges qui s’offraient à la culture et aux pâturages. les toutes premières digues furent construites à des dates non connues précisément, vraisemblablement vers la fin du 16e siècle. La grande période d’édification des digues s’étala du milieu du 17e siècle à la fin du 18e siècle (document 6 in Verger, 2005a). la plupart d’entre elles s’appuient sur le cordon de galets et (ou) les anciens pouliers à l’ouest, et sur la falaise morte à l’est. s’ensuivirent d’autres initiatives qui contribuèrent à l’aspect actuel du site : le « grand barrement » (1750), qui clôt définitivement l’accès de la mer au Hâble d’Ault et le dessèchement des bas-champs qui fut dès lors considéré d’intérêt public, au même titre que la lutte contre la mer. Des chenaux de drainage sont alors créés. Enfin, la mise en place des premiers épis : dès 1768, l’assemblée Générale des propriétaires terriens des bas-champs évoque cette nécessité pour remédier au problème d’érosion du trait de côte. Ces épis ont pour rôle de ralentir les galets dans leur transit, de les «emprisonner » dans le casier qu’ils forment lorsqu’ils sont disposés à faible distance les uns des autres, et donc de consolider le cordon naturel. trois furent installés en 1773, montrant la fragilité historique de cet espace. pour l’entretien des épis, chenaux et digues, les intendants (18e siècle) puis les préfets (19e siècle) créent une structure collective, qui est à l’origine de l’actuelle association syndicale autorisée des bas-champs (asa des bas-champs). ainsi, la dynamique littorale et les phénomènes géomorphologiques ont aidé l’homme dans sa tâche de poldérisation des bas-champs ; c’est pourquoi nous pouvons parler, en ce qui les concerne, d’origine double. aujourd’hui, les digues correspondent aux chemins vicinaux 1

Polder picard (Que l’on « rend clos »).

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des bas-champs. le recul du rivage et les phénomènes d’érosion de la digue naturelle de galets se font de plus en plus sentir ; et ce dès 1884. Déjà, en 1792, la mer passait pardessus toutes les digues, tous les terrains renclôts furent inondés (bawedin, 2000). la mer s’engouffra de nouveau dans les Bas-Champs à la fin du 18e siècle, et après, de façon plus régulière. ainsi, en 1899, 1912, 1914 et 1924… et 1990. c) l’inondation de 1990 : une opportunité manquée ? la rupture de la digue des bas-champs de cayeux en février 1990 s’explique par la concomitance de plusieurs facteurs : conditions météorologiques exceptionnelles, marées de vives eaux à forts coefficients… et cordon fragilisé par le déficit sédimentaire (Bawedin, 2007a). elle est restée dans de nombreuses mémoires même si aucune victime ne fut dénombrée. le chef de l’etat s’est néanmoins déplacé sur les lieux et les agriculteurs ont pu bénéficier du plan « catastrophes naturelles ». par la suite, la digue de galets entre ault et cayeux a été consolidée de manière à empêcher un renouvellement de l’« évènement » de 1990. Cela entraîna un coût financier qui n’a pas laissé indifférents certains élus. ce retour de la mer sur un espace qu’elle occupait il y a moins de dix mille ans ne peut-il pas être considéré comme une dépoldérisation naturelle, spontanée sinon accidentelle ? A l’heure où la hausse eustatique préoccupe certains scientifiques, la gestion à long terme d’un espace menacé par l’érosion marine paraît devoir être à l’ordre du jour. l’eau de mer reste une menace pour cet espace. Mais ne peut-elle pas au contraire être un atout ? ainsi, tenter de faire d’une menace une opportunité ne serait-il pas un bel exemple de gestion intégrée dans une perspective de développement durable ? 3.2 Prospective et élaboration de scénarios 3.2.1 l’inondation de 1990, modèle de dépoldérisation pour le 21e siècle ? la dépoldérisation temporaire de 1990 est un véritable modèle sur lequel des hypothèses ont été formulées. tout l’enjeu a été de comprendre les effets et les impacts de cet événement sur le territoire, en particulier leur traduction en terme de paysage et de perception du paysage. lors de la tempête, le marnage dépassa les 10 m nGF alors que la cote du cordon s’abaissait localement à 8,00 m nGF (et en contrebas, les bas-champs, à 4-5 m nGF). les vagues le submergèrent et l’arasèrent sur 1 km de long à la hauteur du Hâble d’ault ; dans la brèche ainsi formée s’engouffrèrent les marées de vives eaux suivantes, dont la plus importante atteignit un coefficient de 113. Ce sont près de 3 000 ha qui furent inondés. la hauteur moyenne était de 90 centimètres (regrain, 1992) mais l’eau pouvait atteindre 1,60 m (Morisseau, 2006) dans quelques fermes à proximité du Hâble. l’eau s’est écoulée durant trois semaines via le système hydrographique des courses et des canaux, jusqu’au 37


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Hourdel, l’exutoire. l’enquête de terrain et l’interview de certains habitants ont permis d’identifier des secteurs au cœur des bas-champs qui ne furent pas touchés par l’inondation. il s’agit des villages sur buttes de Hurt et Wathiérhurt, précédemment évoqués. leur topographie particulière permit de les isoler, le système hydrographique, de drainer les eaux et d’empêcher son étalement. par ailleurs, les bas-champs prirent une autre dimension. quelques articles de presse montrent que le regard porté à leur égard avait changé. eloge d’un paysage soudain : « arrêt sur image. au point le plus haut de la falaise morte qui longe la route départementale 940, on a un panorama formidable. Ils sont tous là, bardés d’appareil photos, de caméras. on observe, on essaye de repérer un endroit. d’ici, on voit tous les bas-champs inondés. C’est que malgré tout, on ne peut s’empêcher de penser à la beauté du paysage qui paraît serein. […] Les bas-champs ressemblent à un immense miroir d’eau, un grand gâteau glacé. Brutelles est devenu un lieu touristique. […] des centaines de gens viennent voir ce spectacle impressionnant » (courrier picard, Mars 1990).

Planche photographique 2 : comparaison diachronique des Bas-champs sud - inondation de 1990 (anonyme) et 2006 (Morisseau, 2006)

beauté du paysage, lieu touristique, spectacle… cette nouvelle perception révéla la nouvelle attractivité du territoire des bas-champs. il m’a donc paru intéressant de considérer cet événement comme matrice d’un modèle pertinent de retour de la mer dans ces polders. L’absence de PPRI au moment du TFE m’encouragea à réaliser une carte des zones inondables en fonction des données de terrain relatives à l’inondation de 1990. cette carte se fonde sur 3 modalités de l’aléa inondation (faible, moyen, fort), que complète une quatrième modalité, celle d’un niveau prospectif dans la perspective d’une hausse du niveau de la mer. ainsi, des secteurs non impactés en 1990 se voient caractériser par le risque « inondable ». Il s’agit notamment des villages de Hurt et de Wathiérhurt. Sur la base de ce zonage, ont été superposées les caractéristiques de fonctionnement hydraulique de l’inondation de 1990 (intrusions d’eau, surface et hauteurs d’eau, évacuation, exutoire). 38


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aléa a : Zone très sensible aux intrusions marines aléa B : Zone sensible aléa c : Zone peu sensible aléa D : Zone non impactée en 1990 (cet alea tient compte de la hausse supposée du niveau de la mer)

carte 1 : Zones à risques dans les Bas-champs - élaborée sur le modèle des inondations de 1990 par enquête de terrain (réalisation Morisseau, 2006)

a ce stade, l’hypothèse de retour de la mer induit de nombreux enjeux, qu’il fut nécessaire de cartographier en tenant à la fois compte de l’existant et de la nouvelle appréhension du territoire induite par un retour de la mer (carte 1). cette carte se superpose à celle des zones à risques et à celle du fonctionnement hydraulique. 3.2.2 les enjeux et les objectifs d’un retour de la mer commençait à se dessiner une nouvelle appréhension du territoire dans laquelle l’eau jouait un rôle fondamental. certains exemples européens illustraient une nouvelle manière d’appréhender le risque d’inondation. la nécessité de dépasser le contexte francofrançais n’a fait que renforcer l’hypothèse de dépoldérisation. Des recherches menées aux pays-bas ont consolidé ces premières orientations et révélé les enjeux d’une nation construite sur la mer.

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a) la question de l’eau aux pays-bas les pays-bas sont un des pays les plus densément peuplés d’europe. les 4/5 du territoire se situant sous le niveau des plus hautes mers, se pose le problème de la pérennité de certaines zones bâties. Quelles conciliations donc entre l’eau et l’habitat ? entre escaut maritime et escaut occidental, espace deltaïque, quelles formes de protection et d’adaptation sont les plus efficaces et durables ? Barrages anti-tempêtes en haute mer, zones d’expansion des crues, arrêt des constructions en zones inondables, adaptation de l’habitat et du territoire à l’eau…? les pays-bas souhaitent, pour l’eau, maintenir le niveau de sécurité du pays, sa viabilité et son intérêt au cours du siècle à venir, pour les habitants comme pour les investisseurs. Dans cette perspective, un changement est nécessaire dans la politique de l’eau comme dans la manière de penser l’eau. il s’agira dans cette région de donner de l’espace à l’eau, au lieu de l’en priver, si l’on veut enrayer la hausse de l’aléa des catastrophes causées par les inondations et limiter les embarras d’eau. De l’espace, non en hauteur entre des digues toujours plus hautes, ni dans des dépressions de canaux toujours plus profonds, mais bien de l’espace dans le sens de la largeur. cela aura certes un prix : … de l’espace, mais s’agit-il pour autant d’une perte sur un plan environnemental, voire social et économique ? la gestion des risques doit désormais intervenir d’une autre manière dans l’approche de l’aménagement du territoire. n’est-ce pas en donnant de l’espace à l’eau que nous nous prémunirons de risques à venir ? la politique de l’eau aux pays-bas envisage ainsi d’anticiper davantage sur les futurs développements en matière de climat, de sol, de population et de valeur économique, au lieu de réagir en fonction des incidents. cette politique tient compte du long terme et fait intervenir le facteur temps. ainsi, la réduction des risques passe par l’innovation technique et la recherche de compromis entre usages, espaces, écologie et « art de vivre ». l’exemple de Maasbommel (décrit page 49) s’ajoute aux autres exemples de retour programmé de la mer qui ont eu lieu aux pays-bas, comme la destruction d’une digue à l’île de tingemeten (baron-Yellès et Goeldner, 2001). ces expériences sont d’autant plus intéressantes qu’elles concernent un pays dont toute l’histoire est basée sur la lutte contre l’élément marin – beaucoup ont en mémoire la catastrophe de 1953. les cas de dépoldérisation ou l’exemple de Maasbommel montrent que cette lutte perdure, mais avec une approche nouvelle, davantage soucieuse de développement durable et tenant différemment compte des dynamiques naturelles : les projets ne les affrontent plus, ils les accompagnent. une application de certains principes néerlandais serait-elle envisageable sur d’autres littoraux ?

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b) l’eau, une alliée dans les bas-champs il est de plus en plus admis que le combat entrepris depuis des siècles (et renforcé depuis quelques années) contre la mer semble perdu. tôt ou tard, la mer reprendra sa ligne de rivage de la période précédant les édifications de digues. Considérant que la lutte contre la mer est devenue insensée, l’idée de repli semble plus répandue, y compris sur l’espace des bas-champs de cayeux. la dépoldérisation ne sonne pas la défaite, ni la capitulation ; au contraire, elle introduit l’entente…, la gestion intégrée. De la même manière qu’aux pays-bas, tout l’enjeu est de donner de l’espace à l’eau ; l’espace qu’elle convoite. Donner à l’eau les moyens de fixer ces limites, telle est la meilleure façon d’affirmer tout en conciliant le risque d’inondation ; le faire apparaître pour le maîtriser. la réponse formulée dans le tFe s’inscrit dans la recherche de co-habitation et de co-vivre avec l’eau. le raisonnement de protection contre la mer est ainsi évacué au profit d’un raisonnement en faveur d’une coalition. a partir de là et loin de tout catastrophisme, l’enjeu est de révéler les multiples intérêts soulevés par cette nouvelle posture. en effet, vivre avec l’eau peut engendrer de tout autres dynamiques de territoire, qu’elles soient celle d’habiter, celle de vivre, celle de se déplacer ou celle de percevoir. la présence de l’eau deviendrait une force dans la recomposition d’un territoire. au cœur des bas-champs, le retour de la mer proposerait une nouvelle organisation de l’espace, redonnerait un souffle à l’équilibre territorial et aux paysages qui progressivement se banalisent et pourrait aussi devenir le support de nouvelles activités économiques. c) les enjeux liés à l’existant dans les bas-champs les principaux enjeux d’« en somme, rendre la terre à la mer » visaient les zones habitées, la ville de cayeux, les villages de Hurt et Wathiérhurt, le hameau du Marais et les villages-rues de la falaise morte. la carte des risques présentait cayeux comme une presqu’île, voire une île. la partie sud de la ville est la plus vulnérable face aux inondations. au vu de sa situation sur le fulcrum (ou point d’appui), il semblait légitime et envisageable d’en vouloir protéger le patrimoine et la densité bâtie. la lutte contre l’élément marin ne peut être menée partout. la protection doit se limiter aux secteurs où les enjeux socioéconomiques le justifient (Paskoff, 1998). Et Cayeux justifie de ces enjeux. quant aux villages de Hurt et de Wathiérhurt, et du hameau du Marais, il s’agissait de s’interroger sur leur pérennité. la volonté était de conserver l’identité des bas-champs en maintenant le caractère bâti. les questions étaient alors nombreuses : comment continuer à faire coexister ces villages et la mer, dans de nouveaux paysages ? Comment y définir le chemin de l’eau ? Enfin, comment la reconquête de la mer sur ces terres modifiera-t-elle le rapport entre la falaise morte et les bas-champs ? quelle sera la nouvelle dynamique engendrée par le glissement du trait de côte ? ainsi, c’est sur la base de ce schéma (superposant les modalités de l’aléa d’inondation, le fonctionnement hydraulique et les enjeux) qu’ont été construits des scénarios prospectifs. 41


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3.2.3 Des scénarios de retour de la mer et leurs implications paysagères Quatre scénarios furent proposés (figure 3). Trois illustrent une dépoldérisation anticipée, un autre soulève le poids d’une nouvelle dépoldérisation accidentelle. ces scénarios reposent sur l’expression d’une évolution des principaux systèmes (bâti, boisement, agriculture).

scénario 1

scénario 3

scénario 2

scénario 4

Figure 3 : scénarios prospectifs d’évolution des Bas-champs (réalisation Morisseau, 2006)

scénario 1 : Ce scénario est construit sur la tendance protectionniste et fixatrice du trait de côte. il illustre une forme de développement des bas-champs derrière une digue de béton. l’ouvrage encourage le sentiment sécuritaire et tend à faire oublier le risque d’inondation. les implications paysagères sont multiples : développement résidentiel à cayeux, urbanisation croissante et mitage dans les villages et hameaux, fermeture de la

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falaise morte par le bâti et perte du rapport terre-mer, fermeture progressive du paysage des bas-champs par déprise agricole au profit des peupleraies et d’autres boisements. cette évolution conduit à une banalisation des paysages littoraux et à une perte profonde de l’identité des polders. c’est un scénario catastrophe en terme de paysage et bien plus encore dans la perspective d’une rupture de cordon. le sentiment de sécurité serait plus fort que la sécurité elle-même. les trois scénarios de dépoldérisation suivants se construisent les uns par rapport aux autres. scénario 2 : les enjeux socio-économiques de cayeux sont déplacés sur la falaise morte et dans le secteur de saint-Valery-sur-somme, au sud de la baie. en d’autres termes, Cayeux n’existe plus. Ce scénario « tranché » met en avant la vulnérabilité de la ville face à la mer. seulement, comme nous l’avons précisé plus haut, le potentiel de développement et de valorisation de la ville doivent être considérés. cette hypothèse se rapprochait de celle du directeur du SMACOPI à l’époque de cette réflexion. scénario 3 : Cayeux est fortifiée. La ville s’affirme et se développe en tant qu’île ou presqu’île. la proximité de la mer encourage le développement urbain de la falaise morte. au sud des bas-champs, d’anciennes renclôtures sont réhabilitées pour accueillir des marais aquacoles (ostréiculture, mytiliculture, pisciculture). ce scénario est la base de nombreux possibles inscrits dans de nouvelles dynamiques (écologiques, économiques, paysagères). en revanche, ce scénario tient peu compte de l’existant paysager relatif au secteur le plus remarquable (les marais en pied de falaise morte). on voit par ce scénario que la dépoldérisation peut apporter une certaine valeur aux bas-champs sinon davantage. Mais la diversité peut être encore plus grande en associant l’identité existante du polder à une nouvelle dynamique maritime. scénario 4 : outre un certain intérêt économique, il peut se révéler pertinent de considérer le paysage pour des raisons patrimoniales, afin de conserver des éléments de la structure des polders agricoles, qui sont la marque de mille ans d’histoire (GoeldnerGianella, 2008). Il s’agit là, selon les définitions de la Convention européenne du paysage, de combiner à une vaste opération d’ « aménagement du paysage1 » quelques mesures de « protection » de ce paysage, à savoir la conservation de ses aspects caractéristiques pour leur valeur patrimoniale. ainsi, sur la base du scénario 3, la surélévation de digues et la fermeture de certaines renclôtures participent à la conservation des marais situés en pied de falaise morte, espaces et paysages authentiques des polders. ce scénario concilie espaces maritimes et terrestres. par cette combinaison, de nouvelles activités sont possibles. c’est ce dernier scénario qui fut retenu comme support du schéma directeur.

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convention européenne du paysage, 20-10-2000, Florence, article 1.

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3.3 elaboration du schéma directeur : le paysage dépoldérisé à l’échelle du territoire avant d’aller plus loin dans le développement du scénario retenu, il semblait important de faire un point sur la question des digues. 3.3.1 les digues, lignes de force du paysage Dépoldériser ne prend sens que par la réduction de la vulnérabilité à l’arrière du cordon. Ainsi, la confiance accordée aux digues doit être relativisée. Celles-ci peuvent jouer un rôle dans la réduction du marnage au cœur des bas-champs, mais il serait contraire au principe de durabilité de les considérer comme infaillible. la digue ne fait référence à aucune notion de durabilité et de GiZc. elle peut contribuer à limiter la propagation des eaux mais en aucun cas subir la pression des eaux. La digue doit être perméable afin de laisser pénétrer les eaux lorsque celles-ci atteignent un certain niveau. Dans les baschamps, une série de bassins peut exprimer le principe des vases communicants. a chaque bassin, une modalité de l’aléa et une fonction dans la régulation du chemin de l’eau et l’ensemble est organisé selon des séquences paysagères. Enfin, les digues, véritables lignes de force du paysage, pérennisent des axes de communication et se déclinent selon les secteurs : ponts, passerelles, goix, routes, chemins, sentiers… 3.3.2 une nouvelle géographie du risque au service des bas-champs La recomposition du territoire selon les bassins ainsi décrits permet de zoner trois entités mettant en scène trois aléas d’inondabilité. a ces aléas correspondent trois fonctions et par extensions, trois séquences paysagères : séquence 1 – secteur du Hâble d’ault : aléa fort ; fonction : retenir la mer ; paysage de slikke et de schorre, marais maritime et marais aquacoles. séquence 2 – secteur de Hurt et du Marais : aléa moyen ; fonction : contenir l’eau ; paysage de haut schorre, de prairies, de mares, de roselières séquence 3 – secteur des bas-champs nord : aléa faible ; fonction : évacuer l’eau ; paysage agricole. 3.3.3 anticipation des nouveaux paysages et retour à la géographie physique le retour de la mer s’accompagnera d’une accumulation sédimentaire qui exhaussera progressivement les terres, contribuant à la protection de certains terrains. Cette sédimentation s’accompagnera d’une conquête végétale spécifique donnant naissance aux prés-salés (mollières), seconde forme de protection naturelle contre la marée (effet dissipatif de l’énergie de la houle). on voit comment la démarche de projet permet de mettre le risque en scène en suscitant des paysages au service d’une certaine protection, au service d’une atténuation 44


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du risque. l’expression de cette transformation peut être cartographiée sous la forme d’un schéma directeur des nouvelles entités paysagères. 3.3.4 le schéma directeur, expression d’une nouvelle organisation spatiale et illustration de nouveaux paysages il s’agit d’une expression plus réaliste du précédent schéma directeur. les ambiances paysagères peuvent être interprétées comme sur une photo aérienne. la lecture et la compréhension en sont rendues beaucoup plus fines. Ce schéma (carte 2) intègre l’hypothèse d’un cordon de galets percé de plusieurs brèches, dans le secteur du Hâble d’ault ; lequel se verrait quotidiennement submerger par la mer. a la renaissance d’un paysage de vasières et de quelques prés salés devrait succéder, un peu plus à l’intérieur des terres, une plus vaste surface de prés salés. ce deuxième paysage, plus occasionnellement submergé, serait alors celui d’un schorre, auquel succéderait progressivement et plus en retrait un troisième paysage de prairies et de roselières, lui-même séparé d’un quatrième

carte 2 : schéma directeur des entités paysagères des Bas-champs projetées dans le cadre du projet «En Somme, rendre la terre à la mer» (réalisation Morisseau, 2006)

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paysage, celui des polders agricoles maintenus dans la partie nord des bas-champs. outre cette progression des rythmes de submersion et donc des milieux végétaux, le projet tient aussi au maintien de l’habitat rural en plein cœur des paysages de schorre et de prairies humides mais également à la gestion des ces nouveaux paysages.

4. la traduction fonctionnelle du projet 4.1 nouveaux paysages, nouvelles activités, nouvelle gestion l’écriture de ces nouveaux paysages implique de les interroger en tant que support potentiel à de nouvelles activités qui permettront de les gérer et de les réinscrire dans un contexte socio-économique. 4.1.1 paysages de l’élevage Confronté à des insuffisances en infrastructures (bergeries notamment) et en points d’eau douce en baie de somme, qui limitent d’autant les effectifs, l’élevage de moutons de prés-salés pourrait trouver des compléments dans les prés-salés des bas-champs. la proximité du hameau du Marais pourrait offrir des opportunités à l’installation de bergeries. Par ailleurs, la « réestuarisation » de certaines sources de plateau répondrait au problème d’approvisionnement en eau. Déjà exploités en picardie maritime, les Highland cattle, ces bovins rustiques, résistants et adaptés aux milieux humides, sont présents, été comme hiver, sur les pâtures1. ce type d’élevage répond aux problèmes de gestion des pâtures les plus humides et les plus basses tout en participant à leur valorisation. 4.1.2 paysages de la culture de salicorne comme la betterave, la salicorne appartient à la famille des chénopodiacées. cette famille végétale est utilisée dans la production d’éthanol nécessaire à la fabrication de biocarburants. cet aspect a été évoqué dans le but de poser la question des nouveaux paysages de l’énergie. la dépoldérisation peut être une occasion de renouveler les ressources et les principes de production en s’appuyant sur les spécificités locales à l’instar de la salicorne dont la cueillette pour condiment fait tradition en baie de somme. 4.2 Habiter autrement 4.2.1 la mobilité sédimentaire, gage de protection autonome pour la presqu’île de cayeux si l’on souhaite protéger cayeux dans le cadre d’une gestion intégrée à dimension durable, il est nécessaire d’intégrer la dynamique côtière dans le système de protection de la ville. la réponse formulée met en œuvre les galets et leur mobilité, selon le principe 1

http://fr.wikipedia.org/wiki/Highland_(race_bovine)

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suivant : de l’amer sud au front de mer, la plantation d’une forêt de pieux en bois (semblables à ceux utilisés pour les bouchots) dans une fondation en gabions (cages de galets) piègerait les galets tout en ralentissant leur migration vers le Hourdel (figure 4). Cet ouvrage tend à fixer les galets tout en ménageant leur mobilité.

Figure 4 : Plan et coupe du réaménagement du front de mer de cayeux - Projet « En Somme, rendre la terre à la mer » (réalisation Morisseau, 2006)

Dans le cadre de cette dépoldérisation, et à certaines périodes, cayeux (re)deviendrait l’île ou la presqu’île qu’elle fut quelques siècles auparavant, reliée au continent par le “tombolo du Hourdel“. L’île, en tant que figure géographique, a de tout temps fasciné les hommes. cependant, aujourd’hui, il s’agit d’autre chose que d’une curiosité pour un espace peu ordinaire isolé par les eaux qui ferait vaguement rêver au paradis perdu ou d’une simple recherche de nature océane exprimée ici, dans une plus grande pureté que sur le continent. S’exprime aujourd’hui dans la société toute entière, un véritable « désir d’île » (Joubert, 2010), un intérêt profond pour ces petits espaces insulaires, qui n’ont jamais été aussi fréquentés, admirés, décrits (et achetés) que ces dernières années. Le bénéfice de cet isolement pourrait se traduire à cayeux par une relance de son développement nourri de l’engouement pour la nouvelle dynamique paysagère (figure 5).

Figure 5 : Vue en perspective du front de mer de cayeux - Projet « En Somme, rendre la terre à la mer » (réalisation Morisseau, 2006)

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4.2.2 Hurt, un village « filtré » par la mer lors des précédentes inondations, Hurt, sur une butte, fut en partie épargné des eaux grâce au système hydrographique. sur ce constat, le projet s’est concentré sur la trame hydrographique à l’échelle du village dans l’objectif d’optimiser la capacité de celui-ci à être traversé par les eaux (figure 6). Il s’agissait de revoir le réseau d’eau dans son ensemble, en recalibrant chaque fossé, chaque course. l’intérêt est double. en plus d’améliorer la gestion de l’eau dans le village, la refonte de la trame de l’eau participe à requalifier le parcellaire en déclinant une typologie de la limite foncière, à valoriser le village en déclinant les ambiances de paysages liés à l’eau, et à renforcer les possibilités de maillage piétonnier.

Figure 6 : coupe de principe de réaménagement du réseau hydrographique de Hurt - Projet « En Somme, rendre la terre à la mer » (réalisation Morisseau, 2006)

4.2.3 Le Marais, un village flottant a) Des huttes et des maisons flottantes la dépoldérisation des bas-champs placerait le hameau du Marais au cœur d’un vaste marais maritime, à l’interface entre prés-salés et roselières, entre mer et falaise morte, entre cayeux et lanchères. le hameau deviendrait une véritable centralité dans ce nouveau paysage, opportunité pour de nouvelles activités (agricoles, aquacoles, touristiques) nécessitant des infrastructures. l’inadaptation de la forme bâtie existante convoque à réimaginer le hameau. en baie de somme, alors que la chasse se pratique traditionnellement dans des huttes flottantes, pourrait-on imaginer vivre dans une maison flottante ? Seraitce le principe d’adaptation aux variations de niveau d’eau le plus pertinent ? c’est l’option qui avait le plus de sens dans ces paysages picards. Par sa mobilité, l’habitat flottant joue avec la variabilité des paysages. amarrées à un système de renclôtures perméables (pérennisant les axes de communication), les maisons flottantes, accompagnées de leurs jardins flottants, participent à définir une nouvelle ambiance rurale (figures 7 & 8).

Figure 7 : Vues en perspective du village flottant du Marais - Projet « En Somme, rendre la terre à la mer » (réalisation Morisseau, 2006)

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Figure 8 : Plan et coupes du village flottant du Marais - Projet « En Somm e, rendre la terre à la mer » (réalisation Morisseau, 2006)

b) Un exemple de maisons flottantes aux Pays-Bas « Ca n’a aucun sens de lutter contre l’eau. on doit s’efforcer de vivre avec»1. a Maasbommel aux Pays-Bas, l’exemple de maisons flottantes illustre bien cette vision novatrice. « Le ciel et la terre se fondent en une masse grise. Une pluie torrentielle tombe sans discontinuer et la météo ne dit rien qui vaille. Une habitante, souvent sinistrée par les inondations, devrait être inquiète : elle habite sur un bras de la Meuse. Mais elle attend sereinement la crue. Si le fleuve monte, elle ne risque rien ; sa maison flotte, elle peut s’élever de 5 mètres ! »2. Vues de l’extérieur, les 37 maisons alignées sur le fleuve n’ont rien de particulier. ce sont pourtant les premiers logements amphibies des pays-bas. en cas de besoin, ils s’élèvent avec la marée en coulissant sur deux poteaux d’acier enfoncés dans le sol. ces poteaux résisteraient à des courants de haute mer. comme les bateaux, ces maisons ont une base creuse qui fait office de coque de flottaison. les services gouvernementaux ont lancé un concours appelant ingénieurs, architectes et urbanistes à concevoir des serres, des maisons, des usines et des parkings flottants. Une ville flottante de 12 000 habitants pourrait voir le jour près de Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam, et même une tour flottante de 100 mètres de haut. Certes, les pays-bas, pays d’europe le plus densément peuplé et dont 26 % du territoire sont situés en dessous du niveau de mer, doivent impérativement revoir leurs systèmes de construction. seule leur caractéristique géographique (polders) reste comparable avec celle des bas1 2

sybilla Dekker, Ministre à l’aménagement du territoire aux pays-bas, de 2002 à 2006. et maintenant des logements amphibies !, Courrier International, 17-11-2005

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champs picards, beaucoup moins peuplés. raison de plus pour avoir une politique audacieuse les concernant. 4.2.4 Fédérer les paysages le projet de dépoldérisation avait également pour but de fédérer les paysages en s’appuyant sur la proposition d’un réseau de liaisons piétonnes et cyclables. un maillage de liaisons douces se superpose au réseau hydrographique, reliant fermes et villages, via passerelles, pontons, digues et desservant ponctuellement des espaces plus particuliers : observatoires, placettes, espaces didactiques… l’ensemble participe à lier la diversité des espaces et à la cohésion globale du paysage. 4.2.5 calendrier sommaire du projet En fin de réflexion, un phasage hypothétique sur 50 ans a été imaginé : 2007-2017 : achat et préparation des terrains, fortification de Cayeux, surélévation des digues perméables, construction des infrastructures flottantes, recalibrage du réseau hydrographique dans les villages sur buttes ; 2017 : arrêt de la concession d’endigage ; 2017-2020 : hypothèse de brèches par tempête et ouverture durable du cordon ; 2023 : apparition des premières mollières, mise en place du pâturage et des marais aquacoles ; 2035 : Hausse ressentie du niveau de la mer (hypothèse), élargissement des brèches dans le cordon par surfréquence des tempêtes, extension des mollières et des surfaces pâturées ; 2050 : la baie de somme est totalement ensablée. l’attractivité de la picardie maritime se situe dans la baie des bas-champs.

5. « En somme, rendre la terre à la mer » : bilan d’une réflexion et d’un projet toujours « d’actualité » Cette réflexion invite ou force à se projeter dans un avenir incertain rappelant que rien n’est jamais acquis à l’homme, ni ses intérêts, ni la protection de ses biens, ni même la pérennité de ses possessions. Aussi les paysages sont-ils appelés à se modifier inlassablement alors que nos regards à courte vue nous rendent aveugles. il devient nécessaire et urgent de changer notre façon d’agir. comment faire, sinon s’adapter aux données et aux conditions du milieu, rompre avec les ambitions démesurées qui ont prévalu dans le sillage de la révolution industrielle, quand rien ne semblait impossible ? Dans les bas-champs, il a été démontré que le maintien de ces polders, gagnés à grand-peine sur la mer il y a peu, obligeait à d’importantes dépenses d’énergie. la poldérisation, s’appuyant sur une phase de stabilisation relative du littoral, a correspondu à une vision économique conquérante, liée à une phase historique révolue. cet épisode illustre bien l’équilibre instable qui façonne les littoraux, une image de la fragilité, de l’éphémère géomorphologique. « en somme, rendre la terre à la mer » propose de restituer ces polders à la mer aujourd’hui, quand le climat change et le littoral évolue, quand l’économie agricole n’est plus gérée que par la pac (politique agricole commune) et que la donne a changé. 50


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l’analyse géographique doit, non seulement accompagner le mouvement inéluctable, mais aussi l’anticiper. l’ingénieur paysagiste comme l’aménageur ont le devoir de se saisir de cette vision pour construire l’avenir. le développement durable ne peut pas, dans ce sens, n’être que le prolongement de nos situations et désirs actuels. le projet de paysage ne peut pas non plus se satisfaire de la seule projection de ces constantes illusoires opposées de fait aux concours de circonstances naturelles et artificielles (Boutin, 2007). Depuis 2006, « en somme, rendre la terre à la mer » a fait l’objet de communications et fait référence notamment dans les médias1, dans une thèse2, dans diverses publications3 et dans certains cahiers des charges4. il semblerait que ces références illustrent le besoin d’une autre posture intellectuelle : non plus imposer ses vues et dompter la nature dans un rêve paranoïaque, sortir d’un état crispé sur un moment donné et immédiat, mais adapter ses gestes et ses envies aux conditions majeures, développer une autre culture du risque et du principe de précaution, négocier le « contrat naturel » pour le bien et le respect des deux contractants – la nature et l’homme (boutin, 2007). au-delà de cette philosophie mobiliste et des propositions d’aménagement, il semblerait aussi que ce soit la traduction du changement par le paysage qui convoque autant d’intérêts. l’échelle de la dépoldérisation, les mutations profondes des paysages et la variété imagée des possibles n’expriment plus une peur de l’incertain mais un désir d’autrement. les bas-champs aujourd’hui : une perspective sérieuse vers la dépoldérisation ? le coût élevé des travaux prévus pour maintenir et consolider la digue tout en respectant le caractère naturel du cordon et les problèmes qui se poseront en terme de disponibilité de galets amènent les «décideurs » à se poser de plus en plus de questions sur le devenir de cet espace. D’autant plus que les solutions de rétablissement d’un apport naturel n’en sont qu’au stade de l’ébauche. il semblait néanmoins que ce choix d’aménagement, « protéger à n’importe quel prix », était le seul retenu, si l’on excepte quelques travaux (Sogreah, 1991 ; bawedin, 2000 ; Hermel, 2001 ; Morisseau, 2006 ; bawedin et Hoeblich, 2006 ; Bawedin 2007a ; Morisseau & Bawedin, 2007 ; Bawedin, 2009a, 2009b) dans lesquels l’interrogation sur cette gestion était contestée. c’est peut-être pourquoi, aujourd’hui, des questionnements, voire des mises en doute des solutions retenues jusqu’ici, sont de plus en plus clairement exprimés, y compris par les pouvoirs publics (Roy & Lepape, 2005 ; Bastide et al., 2005). quels facteurs pourraient expliquer cette nouvelle approche dans la gestion 1 Reportage de l’émission « Thalassa » coordonné par C. Monfajon et intitulé «Marée haute sur la France» consacré à la gestion du trait de côte et aux conditions météorologiques exceptionnelles, édition du 5 mars 2010 : après la tempête. Production Via Découverte ; Reportage de l’émission « Thalassa » coordonné par C. Monfajon & intitulé «Marée haute sur la France» consacré aux Bas-Champs de Cayeux (Somme), éditions du 13 novembre 2009 : Après nous, le déluge ? Production Via Découverte. 2 baWeDin V., 2009, La gestion Intégrée des Zones Côtières (gIZC) confrontée aux dynamiques territoriales dans le bassin d’arcachon et sur la côte picarde, thèse de doctorat, sous la direction d’a. Miossec, université de nantes, 532 p. 3 notamment GoelDner-Gianella l., 2008, Polders du XXIe siècle : des paysages diversifiés et mouvants, dans un contexte de changement climatique et d’évolution sociale, in Des défis climatiques, Les carnets du paysage, actes sud et l’ecole nationale supérieure du paysage, n°17, 180 p. 4 sMbsGlp, 2010, etude de faisabilité – dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas-Champs du Vimeu : la recherche d’un avenir sur un territoire pérenne, Maîtrise d’ouvrage syndicat Mixte baie de somme-Grand littoral picard, cahier des clauses techniques particulières, août 2010, 41p.

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de ce trait de côte ? s’agit-il d’une meilleure prise en compte des dynamiques naturelles, des enjeux nouveaux qui concernent les bas-champs de cayeux, ou de la politique récente de gestion intégrée des zones côtières mise en place sur d’autres territoires ? Peut-être les trois à la fois. Les mentalités des « décideurs » semblent donc changer. On paraît davantage prêt à considérer la mer non plus comme un danger mais comme une opportunité à la création de paysages (ou un retour à une situation antérieure - Cf. figure 9) dans laquelle on s’efforce de favoriser tout autant la diversité naturelle que la conservation culturelle et de permettre la découverte des paysages et des milieux sans nuire à la nature.

Figure 9 : Frise illustrant l’alternance séculaire entre mobilisme et fixisme dans les Bas-Champs Picards (réalisation Morisseau, 2011)

6. et d’autres questions… 6.1 …Relatives au parti pris développé… 6.1.1 le déplacement des enjeux conforter cayeux et ses villages satellites fut l’option retenue et développée dans « en somme, rendre la terre à la mer ». Dans l’hypothèse où la reconnaissance du risque engendre la protection des enjeux socio-économiques, n’y a-t-il pas lieu de penser que le risque devienne de fait lui-même un frein aux intérêts socio-économiques ? et par conséquent, que le déplacement des enjeux s’avérerait plus pertinent que leur protection ? ainsi le scénario de déplacement de la ville de cayeux aurait pu être développé, ouvrant un autre champ de questions. quelle reconquête globale d’un polder dépoldérisé et désurbanisé ? D’une manière générale, il s’agirait de s’interroger sur la traduction d’une telle option en terme de paysage ? il s’agirait d’explorer les conséquences spatiales et paysagères d’une déconstruction progressive de la ville. quel sens donner à un territoire privé de sa ville ? quelle méthodologie permettrait de reconstituer une dynamique de territoire dans 52


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les bas-champs en l’absence de cayeux ? quel devenir proposer aux terrains déconstruits ? comment traiter et gérer la mise en délaissé progressive ? De nouveaux usages peuvent-il recoloniser le secteur ? 6.1.2 Vers de nouveaux usages ? Dans la recherche de nouveaux usages compatibles avec le risque d’inondation, le champ de la réflexion s’ouvre aux nouveaux paysages de l’énergie et de l’agriculture. Les polders, ces territoires artificiels, d’origine nourricière, peuvent-ils porter d’autres usages ? peuvent-ils devenir une complémentarité spatiale aux systèmes urbains périphériques et en particulier à la ville reconstruite ? n’ayant pas pour seule conséquence la hausse du niveau de la mer, le changement climatique pourrait avoir d’autres effets, qui doivent être ajoutés à la réflexion globale sur les mutations paysagères. Là encore s’ouvre un champ de réflexion, complémentaire des précédents. Certains effets pourraient-ils produire des scénarios, utopiques aujourd’hui, et contribuer à faire émerger d’autres projets de paysages ? 6.2 … Projetées sur un autre territoire La réflexion conduite sur les Bas-Champs et la Baie de Somme s’est ouverte au territoire camarguais soumis au risque de submersion. pourquoi comparer la camargue aux bas-champs quand l’un est un delta et l’autre un estuaire ? en fait, ces deux territoires ont de nombreux traits communs : 1) ils ont des identités fortes et historiques où la place de l’homme est fortement ancrée, 2) ils sont sous le niveau de la mer, avec deux villes en sursis (cayeux et les saintes-Maries) qui pourraient devenir des presqu’îles ou même des îles, 3) ils accueillent des industries sur le déclin (les galets pour l’un, le sel pour l’autre), 4) ils sont emblématiques du tourisme de nature ,et 5) ils s’inscrivent dans une même logique de mobilité littorale légitimant la mise en œuvre du concept de recul stratégique. ainsi, laisser la mer reconquérir certains terrains du littoral camarguais en vue de se protéger (en redonnant l’espace convoité par la mer pour ses tempêtes, ses surcotes, ses élans imprévisibles et incertains) est-il un projet envisageable ou transposable en Camargue ? Affirmer la ville des Saintes-Maries en tant qu’île serait-il source d’une nouvelle dynamique locale ? cette ville-île peut-elle exister ? ou bien doit-elle faire l’objet d’une délocalisation de ses enjeux ? quels sens prendraient les nouveaux territoires redonnés à la mer ? 6.3 …et plus largement sur la démarche de projet de paysage en quoi et comment le projet de paysage peut-il devenir un outil de réduction de la vulnérabilité des territoire ? Quels sont ses mécanismes dans la définition de nouvelles stratégies d’aménagement ? en quoi la prospective peut-elle être pertinente dans l’élaboration d’un projet de paysage ? comment peut-elle s’associer à un projet de paysage relatif au réaménagement d’espaces soumis au risque ? considérant la multiplicité 53


CHAPITRE LIMINAIRE - PLAIdoyER PouR uNE THèsE

d’usages et les complémentarités spatiales que peuvent offrir ces territoires de projets, à quelles échelles doit-on mener la réflexion et la définition du projet de paysage ?

ii. expériences professionnelles et nouvelles questions soulevées a toutes ces questions, l’exercice de mes fonctions d’ingénieur paysagiste en agence privée me permet d’apporter des réponses. etudes et projets ayant trait à la question du risque d’inondation sont un matériel pertinent pour la présente thèse. Deux études, pour lesquelles j’ai été chef de projet et chargé d’étude, ont particulièrement alimenté ma réflexion, notamment sur la question de la reconquête des espaces consécutive d’une délocalisation des enjeux : l’étude de réaménagement des Prairies saint-martin à rennes et l’étude prospective sur le devenir du site de la Bouillie à blois. la première étude paysagère (pour laquelle le programme initial n’envisageait pas de réinterroger la dynamique et la fonctionnalité d’un espace inondable) a identifié le rôle de champ d’expansion des crues de l’ille et a permis de concevoir un projet de paysage faisant la part de l’eau et du risque d’inondation. La seconde s’est concentrée autour de la définition d’un projet urbain et périurbain lié à la réduction du risque d’inondation par suppression de la vulnérabilité et déplacement des enjeux (notamment bâtis). le projet proposé s’est attaché à dépasser le seul rétablissement d’une dynamique hydraulique mais aussi à superposer à celle-ci un projet de territoire. Pour ces deux études, comment la réflexion prospective a-t-elle été conduite ? En rassemblant quels acteurs autour de quels outils ? en quoi était-elle pertinente en tant que support de projet(s) de paysage ? quelles réponses le projet a-t-il apporté dans la reconquête du territoire soumis au risque d’inondation ? en quoi ses propositions sontelles compatibles avec le risque d’inondation ? quelles ont été les limites du projet et les freins à son dépassement ? Nota : ces études n’ont pas trait au contexte littoral à l’instar des Bas-Champs picards mais, par leurs problématiques de risque d’inondation, de délocalisation d’enjeux et de reconquête spatiale, observent dans un cadre méthodologique, d’étroites similitudes, et se confondent d’un point de vue de l’exercice intellectuel et des notions utilisées.

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iii. les objectifs multidirectionnels de la thèse Le paysage au cœur de la réflexion, la thèse s’adresse à une palette d’acteurs pour lesquels les apports sont multiples :

1. Pour la communauté scientifique la thèse ouvre sur une méthodologie relative à la gestion des risques par l’introduction et la prise en compte du paysage dans sa dimension heuristique et holistique et sur des pistes de recherche à approfondir.

2. Pour la communauté paysagiste la thèse éclaire sur la nécessité de prise en compte de la dynamique des changements globaux à intégrer au processus d’élaboration du projet de paysage en accompagnement des dynamiques territoriales. elle permet de faire un point sur l’apport de la prospective paysagère* conjuguée à des scénarios d’évolution climatique. elle est l’occasion de proposer aux paysagistes concepteurs de nouvelles notions issues d’autres disciplines et transposables au projet de paysage. Enfin, elle tente d’enrichir les potentialités du projet de paysage en proposant une démarche construite sur une dualité : la réduction du risque et la construction de nouveaux paysages.

3. Pour les collectivités la thèse vise à démontrer l’intérêt d’une méthodologie qui place le projet de paysage comme réponse à une crise de l’aménagement et de la gestion des territoires, dépassant ainsi la seule vision techniciste encore trop prépondérante. elle souhaite faire prendre conscience de la nécessaire présence d’un paysagiste référent dans une réflexion menée par une équipe pluridisciplinaire au nombre indéfini d’acteurs.

4. Pour la société Enfin, la thèse vise à suggérer à et pour notre société de nouveaux cadres de vie qui proposent de nouveaux paysages et usages répondant aux exigences de notre siècle (alimentation, santé, énergie, sécurité, économie, loisirs, culture, tourisme…) - et notamment celle de l’adaptation au changement climatique - convoquant à une nouvelle manière de (se) penser (dans) la crise de l’aménagement par la crise climatique.

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CHAPITRE LIMINAIRE - PLAIdoyER PouR uNE THèsE

C. Plan et déroulé de la réflexion Afin de répondre à tous les objectifs énoncés, la réflexion s’organise en trois parties. la première partie établit un bilan argumenté sur la prise en compte du paysage dans les stratégies aujourd’hui mises en œuvre pour réduire la vulnérabilité des espaces inondables ou submersibles dans un contexte de crises environnementales multiples. la réflexion reposera sur la notion d’adaptation* du territoire par sa société puis, à la lumière d’expériences faisant la part du paysage, nous observerons les valeurs ajoutées au territoire dans une démarche d’adaptation de la société à son territoire. nous évaluerons comment et en quoi le projet de paysage, processus holistique de conception et de partage de visions à long terme, peut être un outil de réduction de la vulnérabilité du territoire et de sa société, leur permettant de se réinventer l’un et (sur et avec) l’autre. Dans la seconde partie, le raisonnement en termes d’ajustement* et d’interaction entre territoire et société porte tout particulièrement sur la camargue, territoire deltaïque emblématique dont les processus naturels et sociaux ont permis d’inventer une société et des paysages créateurs de richesses dans un équilibre dynamique face aux risques permanents d’inondation et de submersion. cependant, avec, entre autres causes, celle du changement climatique, cet équilibre dynamique et stratégique est remis en question et nécessite d’élaborer les hypothèses d’une autre camargue. Dans une dimension exploratoire et applicative, la troisième partie propose une illustration argumentée de nouveaux modèles de développement et d’ajustement du système camarguais. en nous intéressant à la double prise en compte du paysage et du changement climatique, nous bâtirons une réflexion en faveur d’une politique de renouvellement littoral* en tant que réponse aux problèmes des territoires côtiers d’aujourd’hui et plus encore de demain. Enfin, un dernier chapitre met en parallèle de cette réflexion théorique les premiers résultats de l’étude de dépoldérisation partielle des bas-champs picards, effectuée simultanément dans le cadre professionnel et pour la rédaction de cette thèse.

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partie

1

le projet de paysage, un outil de réduction de la vulnérabilité

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Plage de Sainte-Anne, La Tranche-sur-Mer (Photo Morisseau, 2011)


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c

onfrontés à un contexte de crises environnementales (climatique, hydrologique, écologique) exacerbées et à une vulnérabilité des territoires (Wisner, o’Keefe et

Westgate, 1976) accrue par l’augmentation des enjeux, urbanistes, architectes, concepteurs sont souvent pointés du doigt, responsables (entre autres) des désordres récents. l’imbrication de ces crises convoque à des typologies de réponses (ou stratégies) variées qui engagent l’adaptation du territoire à sa société (selon ses besoins, ses intérêts et son acceptabilité) ; le paysage en est la traduction ; traduction trop souvent désastreuse et incohérente associée à des réponses inadaptées aux dynamiques de ce territoire. ainsi, au registre des crises environnementales, nous pourrons ajouter “crise paysagère“. Lipietz1 définit la crise comme une situation dans laquelle il n’est plus possible de poursuivre comme avant, mais pour laquelle la solution reste à inventer. ainsi, comment et en quoi l’ingénieur paysagiste, encore méconnu dans la strate sociétale, peut-il apporter des réponses durables et innovantes à ces crises ? cette première partie tente de comprendre en quoi le projet de paysage peut être considéré comme un outil pertinent de réduction de la vulnérabilité des territoires tout en leur conférant une résilience* efficace et durable. a travers la récente crise de la tempête Xynthia, l’interrogation portera sur la vulnérabilité des territoires touchés et sur les défaillances des stratégies de prévention comme de protection pourtant mises en œuvre pour réduire le risque d’inondation et de submersion. aussi, nous évaluerons la pertinence des mesures du Grenelle de la mer mises en œuvre post-tempête, à l’instar du repli stratégique des enjeux et la déconstruction du bâti sur certaines zones littorales. Ces mesures de réduction de la vulnérabilité face au risque d’inondation et de submersion n’engendrent-elles pas d’autres vulnérabilités imposant une révision de leur mise en œuvre ? a la lumière de nombreuses expériences, nous proposerons une démarche de réflexion qui fait la part du paysage en tant qu’outil d’évaluation des vulnérabilités et des potentialités territoriales. puis nous explorerons les processus méthodologiques de construction d’un projet de paysage au service de la réduction des vulnérabilités d’un territoire et de sa société. Enfin, nous nous interrogerons sur les mécanismes générateurs d’une nouvelle culture du risque. 1

lipietZ a., 1999, Qu’est-ce que l’écologie politique ? paris, la découverte.

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1 Méthodologie cHapitre

«

Le plus simple et le plus banal des paysages est à la fois social et naturel, subjectif et objectif, spatial et temporel, production matérielle et culturelle, réel et symbolique. Le paysage est un système qui chevauche le naturel et le social.

»

Georges Bertrand1

1 bertranD G., 1978, le paysage entre la nature et la société, revue géographique des pyrénées et du sudouest, t. 49, fasc. 2.

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D

ans ce chapitre, nous nous proposons d’établir un bref état des lieux de la recherche sur la gestion littorale et plus particulièrement sur la recherche diligentée sur le

territoire camarguais, site qui servira de support à une réflexion rétrospective (partie 2) et prospective (partie 3). puis nous exposerons la méthodologie de notre recherche.

a. etat des lieux de la recherche i. la gestion du trait de côte : évolution des approches sur de nombreuses portions du littoral français, les tendances historiques de l’évolution (notamment régressive) du trait de côte et les causes de cette évolution ont été décrites, analysées et expliquées par les géographes et les géomorphologues (costa et al., 2003 ; Sabatier et Suanez, 2003 ; Sabatier et al., 2009). Le non renouvellement du stock sédimentaire depuis la remontée postglaciaire et l’élévation contemporaine du niveau de la mer (+ 15 cm depuis 1880) expliquent cette tendance au recul du rivage (paskoff, 2004). par ailleurs, les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’evolution du climat (Giec, 2001 ; MeeDDat, onerc, 2008) ont analysé et précisé les effets du changement climatique sur les territoires littoraux. selon les scénarios du Giec, l’élévation du niveau de la mer estimée d’ici à 2100 varie entre + 9 cm et + 85 cm (Giec, 2001), soit une élévation moyenne d’environ 47 cm, trois fois supérieure à celle du siècle précédent. De nombreux facteurs anthropiques ont contribué à la dynamique de recul (Miossec, 1998, 2004 ; paskoff, 1993, 1998). selon les résultats du programme de recherche européen eurosion sur la mesure de l’érosion des côtes européennes (commission européenne, 2004), le quart des côtes françaises métropolitaines est concerné par l’érosion du littoral (iFen, 2006, 2007).

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CHAPITRE 1 - MÉTHODOLOGIE

la confrontation entre le recul du trait de côte (parfois associé à des submersions marines) et la concentration croissante d’enjeux humains et économiques dans la frange côtière des communes littorales, déterminent la construction d’un espace de danger potentiel ou un territoire à risques (Meur-Férec, 2002, 2006 ; Meur-Férec et al., 2008 ; Meur-Férec et Morel, 2004). en raison de la mobilité intrinsèque des systèmes naturels côtiers et des formes littorales, le choc entre ces deux dynamiques (Deboudt, 2010) s’est manifesté à partir du milieu du 19e siècle par la sédentarisation de populations, d’habitations ou d’équipements en bord de mer (balnéarisation). Depuis, trois facteurs ont compliqué la gestion de ces interactions (paskoff, 1998) : - à la gestion de l’évolution du trait de côte maîtrisée par la construction d’ouvrages de défense côtière s’est ajoutée, dans les années 1990, la gestion de la pénurie sédimentaire sur les plages ; - dans les années 1990, l’état a changé de stratégie dans la gestion des risques naturels, en privilégiant la prévention au détriment de la maîtrise de l’aléa ; - les conséquences du changement climatique sur l’élévation potentielle du niveau de la mer accroît la pression d’exposition aux aléas d’érosion et de submersion exercée sur les territoires côtiers (Vinchon et al., 2009). l’approche techniciste s’est illustrée par la construction de lourds ouvrages souvent coûteux réduisant le littoral au « trait de côte » et figeant peu à peu les paysages. Les tempêtes de la fin du 20e siècle ont montré les limites de cette approche dans laquelle l’action des ouvrages modifie les dynamiques de fonctionnement du milieu et aggrave l’érosion côtière. Depuis les années 1990, une approche ”environnementale” propose de gérer non plus les effets mais les causes de l’érosion. elle s’accompagne de nouveaux modes d’intervention, comme le rechargement ou le drainage de plage, l’accompagnement de la mobilité des dunes… bien qu’ ”environnementale” sous sa forme plus douce et peu impactante sur le paysage, cette approche (se superposant le plus souvent aux ouvrages) tente de corriger ou de limiter les dynamiques par rééquilibrage des stocks sédimentaires. par ses effets avérés sur le ralentissement de l’érosion, elle reste une déclinaison héritière du fixisme et ne s’inscrit pas dans une quelconque durabilité spatio-temporelle (comme l’illustre l’exemple du cordon de galets à cayeux-sur-Mer). une troisième démarche est apparue, la gestion intégrée des zones côtières (GiZc). complémentaire à la précédente, elle considère que : « les politiques en faveur de la protection du littoral doivent répondre tout autant aux enjeux de protection des espaces urbains ou industriels, des ports et des lieux touristiques, qu’à ceux des espaces à haute valeur patrimoniale, en intégrant leur évolution et les probables impacts du changement climatique. La prise en compte globale des paramètres 66


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

humains, économiques, urbanistiques et environnementaux devient ainsi un gage de réussite des politiques publiques en faveur du littoral»1. avec cette nouvelle approche apparaît une nouvelle échelle, celle du littoral, espace vivant et évolutif. l’approche systémique requise par la GiZc prend en compte la complexité du littoral, tant sur le plan physique (interface terre-mer) que sur le plan de la gestion et de la gouvernance. Ces principes généraux, définis pour l’élaboration d’une nouvelle politique d’aménagement des territoires littoraux en France, ont des conséquences sur la politique de gestion des risques naturels littoraux. Dans le respect des principes généraux énoncés en 2002 pour la politique de l’état en matière de gestion des risques naturels, l’émergence de stratégies régionales de gestion des risques naturels littoraux est contemporaine de l’élaboration des projets de GiZc. en 2004, l’union européenne a aussi formulé dans le programme eurosion (commission européenne, 2004 ; Ferreira, 2006) des propositions sur l’élaboration de stratégies de gestion des risques naturels côtiers dans la perspective de l’élévation du niveau de la mer : d’après ce programme, il s’agirait de renforcer la résistance côtière en restaurant le bilan sédimentaire tout en prenant en compte le coût de l’érosion côtière dans les décisions d’aménagement et d’investissement, ceci afin de limiter la responsabilité publique en cas d’évènements et de dommages et en anticipant l’érosion côtière en planifiant des solutions pour y remédier à long terme et non plus au coup par coup. pour cela il est apparu nécessaire de consolider la base des connaissances en matière de gestion et de planification de l’érosion côtière. l’élévation attendue du niveau des océans, quelle que soit sa valeur, a des implications sociales considérables, nonobstant les mutations écologiques et paysagères qu’elle entraînera. Des solutions d’ordre technique et politique existent et l’on doit considérer que les deux aspects sont étroitement mêlés. on dispose et des moyens techniques pour « lutter » contre le recul des littoraux et d’une expérience séculaire, amendée par les erreurs du passé. ils autorisent les trois stratégies de réponse qui sont la résistance sur place, le recul planifié et même la contre-attaque, en gagnant de l’espace au détriment de la mer. tout est affaire de choix, qui dépend de l’acceptation par les sociétés littorales de la solution envisagée et du coût financier des opérations. Cela ne dispense pas de mettre en place des politiques et des stratégies spécifiques d’adaptation. ainsi, des programmes de recherche2 (exploratoire) sont menés plus particulièrement sur l’avenir des territoires littoraux : - le projet straricc (recul stratégique de la ligne du rivage face au changement climatique) lancé en 2008 dont l’objectif était d’estimer la position future du rivage (en particulier en Méditerranée), d’analyser et d’évaluer la cohérence des outils 1 Ministère de l’écologie, de l’énergie, du Développement durable et de la Mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, 2010, La gestion du trait de côte, ed. quae, 352p. 2 http://www.gisclimat.fr/seminaires-acc-etat-des-lieux

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CHAPITRE 1 - MÉTHODOLOGIE

réglementaires pour les adapter par intégration du risque de submersion. - le projet theseus1 (coordonné par l’université de Bologne) qui s’achèvera fin 2013, dont l’objectif est d’établir des propositions réalistes d’adaptation des littoraux face au changement climatique afin de réduire les risques d’inondation et d’atténuer les impacts de l’érosion côtière. les travaux portent sur tous les aspects, depuis l’évaluation des conditions climatiques et hydrologiques actuelles et l’identification des enjeux du territoire jusqu’à la proposition de solutions techniques de protection mais aussi sur l’évacuation des populations. ce programme s’applique sur huit sites pilotes en europe, dont l’estuaire de la Gironde, et aboutiront à un logiciel expert d’aide à la décision pour l’aménagement et la protection des littoraux. par ailleurs, les recherches en climatologie et en modélisation permettent aujourd’hui des représentations climatiques futures affinées à l’échelle régionale (identification de la nature des impacts mais peu de leur ampleur). toutefois, l’intégration des modèles dans l’élaboration de politiques d’adaptation n’est pas totalement satisfaisante (Dessai et al., 2009), notamment parce qu’elle ne prend pas suffisamment en compte les connaissances produites à d’autres échelles, par différentes disciplines et selon d’autres méthodologies (Koch et al., 2007). ces lacunes ont favorisé l’émergence d’une approche fondée sur la vulnérabilité du territoire face aux changements climatiques (Füssel, 2007), à l’instar de la camargue, alors que d’autres approches sont possibles (voire souhaitables).

ii. la camargue, un territoire de recherche 1. en géographie physique En quinze années de recherche intensive, les scientifiques ont montré que la camargue devait se préparer à la hausse du niveau marin. ils ont également démontré à quel point elle souffrait lourdement de la gestion humaine du delta2. Certains auteurs (Suanez, 1997) se sont concentrés sur les bilans géomorphologiques des flux sédimentaires, cellules par cellules. D’autres se sont posés la question de l’impact des tempêtes (Bruzzi, 1998) et du bilan sédimentaire en intégrant la partie immergée sur un siècle à l’échelle du delta du rhône (sabatier, 2001). les études (soGreaH et aquascop, 1995 ; cete/sMnlr, 2002) et les experts (Suanez et Bruzzi, 1999, Sabatier et Suanez, 2003) ont confirmé que, compte tenu de l’ampleur du recul du trait de côte, le système de protection mis en place (épis, digues, brise-lames) ne permet pas de lutter durablement contre les phénomènes d’érosion et les risques de submersion. En outre, protéger l’ensemble du littoral en le figeant par une artificialisation du trait de côte est irréalisable tant d’un point de vue technique que financier (Heurtefeux et al., 2007). 1 http://www.info.expoprotection.com/site/Fr/projet_europeen_theseus_sur_les_risques_cotiers__un_questionnaire_sur_les_bonnes_pratiques,i1311,Zoomid-297564,Frompage-.htm 2 la mer monte au rythme moyen de 2 mm par an depuis 6 000 ans.

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2. en sociologie Des études (Sfez et Cauquelin, 2006) ont montré la réalité sociologique du territoire camarguais et notamment aux saintes-Maries-de-la-Mer et à salin-de-Giraud où prédomine la dénégation des effets du changement climatique. aux saintes-Maries, on évacue la question, «lubie scientifique» et propos alarmistes qui freinent l’arrivée des touristes. a salin-de-Giraud, on dit ne craindre que le rhône « tant les aménagements côtiers des Salins du Midi sont efficaces ». C’est aussi le mythe de la « bonne » culture du risque, fondée sur une mémoire inexistante et aux contours flous. l’étude « attitudes face à l’adaptation au changement climatique – Le cas de la Camargue » (Sfez et Cauquelin, 2006, pour le compte de l’Ademe) a pourtant montré que l’imagination en matière d’adaptation faisait défaut. l’image de la camargue, telle qu’elle est pensée par la population, semble engloutir toute velléité de penser autrement cette région et de se penser autrement que dans cette région. pourtant, il faut rappeler que la Camargue, avec ses gardians, ses chevaux, ses taureaux, ses flamants, sa biodiversité, ses paysages, est une invention du marquis Folco de baroncelli (début du 20e siècle), aristocrate d’origine italienne, amoureux de grands espaces et de solitude… ayant de la sympathie pour toutes les formes de marginalité et de marginaux (Sfez, 2006). L’imagination, dans ce cas, fut le moteur de l’adaptation ; non de l’adaptation du style de vie singulier d’un groupe de personnes à une région, mais de l’adaptation de cette région à un style de vie qui la transforma complètement. aujourd’hui, pour les camarguais, l’enjeu serait d’adapter leur territoire tout en transformant leur manière de le penser.

3. mais pas ou peu de recherche en paysage Hormis une recherche orientée sur les paléopaysages camarguais (travaux de t. rey notamment, sur l’évolution du paysage de la petite camargue du néolithique à l’antiquité) dans le cadre de recherches archéologiques, le paysage n’a pas fait l’objet de recherche (par l’entrée du paysage) bien qu’il soit parfois traité par d’autres disciplines (écologie, géographie physique et humaine et sociologie notamment). la réalité du risque de submersion s’est jusqu’à aujourd’hui illustrée par des modélisations de submersion qui tiennent peu compte de la réalité du site (les zones urbanisées, les ouvrages, les milieux naturels) et encore moins du paysage, lequel est le plus souvent perçu (lorsqu’il l’est) comme une composante nécessairement impactée. cette carence de prise en compte du paysage s’illustre plus ou moins dans « l’étude de définition des enjeux de protection du littoral sableux » réalisée par le Parc Naturel Régional de camargue (2007). cette étude a démontré une certaine volonté de métamorphoser les principes de gestion du trait de côte, de moderniser la pensée de la protection littorale et de transformer le rapport au risque de la société camarguaise. toutefois, nous démontrerons que les choix de gestion proposés ne s’accompagnent pas d’une vision à long terme dans laquelle le paysage jouerait un rôle moteur et définirait les orientations d’un projet de territoire. cette carence traduit certainement la méconnaissance du paysage et de sa 69


CHAPITRE 1 - MÉTHODOLOGIE

dimension projectuelle (le projet de paysage) maîtrisée par le paysagiste (lui-même encore très méconnu). cependant, la perspective du changement climatique interroge les paysagistes qui s’intéressent aux paysages et à leur transformation ou qui tentent de les aménager (luginbühl, 2009). cette interrogation est formulée en terme d’impact du changement climatique sur les paysages. quels effets pourra avoir ce changement sur les paysages littoraux, sur les polders par exemple, aujourd’hui en sursis puisque situés sous le niveau de la mer, en raison de l’élévation prévue du niveau marin ? par ailleurs, en France, la pratique des paysagistes a été encore très peu questionnée et théorisée. il n’existe pas de champ académique constitué autour de la pratique spécifique des professionnels du paysage et plus précisément autour des processus du projet de paysage. celui-ci est encore perçu comme une « boîte noire » (Davodeau, 2007) car son enseignement est assuré par des professionnels paysagistes qui ne cherchent pas à le théoriser, préférant adopter une pédagogie « par la pratique » et privilégiant l’apprentissage d’un savoir-faire (Davodeau, 2008). Mais certains auteurs (concepteurs, géographes…) dans la communauté paysagiste ont contribué à façonner un corpus bibliographique sur les questions du paysage et du projet de paysage (Kandjee et Ferformis, 2009 ; Delbaere, 2008 ; luginbühl et al., 2007 ; blanchon, 2006 ; tiberghien, 2005 ; besse, 2001 ; corajoud, 2000 ; boutinet, 2001, 1990 ; Mosbach et claramunt, 1998 ; Donadieu, 1994, 1993). pourtant, l’outil qu’est le projet de paysage est susceptible de répondre aux demandes sociales et scientifiques relatives à l’avenir des zones côtières et à leurs risques associés.

III. Les demandes sociales et scientifiques et la nécessité de réponses Les zones côtières figurent parmi les lieux les plus dynamiques de la planète. Elles concentrent près des deux tiers de la population mondiale, leur niveau d’occupation est cinq fois plus élevé que la densité moyenne des terres habitées et elles comptent huit des dix plus grandes agglomérations du globe. D’ici 30 ans, on estime que les trois quarts de l’humanité vivront dans des zones proches du rivage (avec 3,4 millions d’habitants en plus dans les départements littoraux français)1. actuellement, en France, ce sont 785 communes littorales et plus de 6 millions de résidents2. Ces quelques chiffres suffisent à montrer la place centrale qu’occupe aujourd’hui l’espace littoral au sein des activités humaines, comme lieu d’échange, de production, d’urbanité et d’innovation. c’est pourquoi, partout dans le monde, les grandes nations maritimes sont engagées dans des politiques à long terme d’aménagement et de mise en valeur de leurs espaces littoraux. il s’agit à la fois de préparer l’accueil de populations nouvelles, de renouveler et de moderniser les activités, et de préserver l’usage d’un espace de plus en plus fragile et convoité. en France, le littoral est

1 2

Datar, 2004, Construire ensemble un développement équilibré du littoral, la Documentation Française, paris observatoire du littoral, 2006 ; eurosion, 2004 ; Ministère du Développement durable, 2009

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l’une des parties du territoire qui connaît les plus rapides évolutions, avec une attraction résidentielle, touristique et économique qui ne se dément pas. ces évolutions soulignent le rôle croissant de cet espace comme moteur économique de nombreuses régions, les fonctions multiples qu’il assume ou assurera pour le territoire national (transport maritime, production d’énergies renouvelables…), mais aussi l’important investissement affectif et symbolique dont ce géosystème est l’objet. le littoral est un espace de liberté qui incarne cette fonction de plaisir et de ressourcement dont témoigne sa fréquentation estivale et l’attrait croissant des populations touristiques. ce sentiment de liberté partagée est construit sur la reconnaissance de la diversité et de la variabilité des paysages. les travaux de recherche sur les dynamiques d’évolution qui organiseront et structureront l’avenir des territoires côtiers, aboutissent aujourd’hui à un scénario tendanciel de saturation des littoraux semblable à celui esquissé par le rapport piquard en 1973 ; et les évolutions climatiques ne feront qu’accentuer la vulnérabilité, renforçant la nécessité d’agir. c’est pourquoi les chercheurs (géographes, économistes…) appellent à une prospective plus audacieuse, qui tienne compte à la fois des mutations sociales possibles et des mutations spatiales et paysagères liées au changement climatique, et pour renouveler ou construire des visions de littoraux futurs avec les valeurs que la société leur accorde : un littoral menaçant mais attractif, un patrimoine hérité et un bien commun dont il faut préserver les potentialités pour le futur. autrement dit, il s’agit de répondre à une demande sécuritaire associée à une demande sociale de paysage. Quelles stratégies de « protection » privilégier alors que les ouvrages se multiplient (digues, épis, brise-lames) et envahissent le paysage sans discernement, avec la vigueur et la bonne conscience de l’investissement “utile“ parce que “nécessaire“. c’est sur cette nécessité qu’il conviendra de s’interroger : nécessaire à quoi ? au service de quelle durabilité ? La communauté scientifique a besoin de réponses à l’adaptation (et à ses stratégies) formulées sous forme de scénarios : un besoin de représentation pour faire réagir et convaincre, indigner ou séduire puis pour dépasser la barrière des mots, des slogans… et enfin caractériser ce que peut être l’adaptation. Il est ainsi devenu nécessaire de fédérer les recherches au service d’une vision commune et partagée, c’est pourquoi nous avons choisi les notions de paysage et de projet pour traiter de l’avenir des sociétés et des territoires littoraux.

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CHAPITRE 1 - MÉTHODOLOGIE

B. le prisme du paysage, objet de projet : l’approche du paysagiste

e

n plaçant le paysage au cœur de la réflexion nous avons cherché à dépasser l’appréhension esthétisante du « beau paysage » et à nous écarter d’une vision

paysagère réduite aux seuls espaces naturels ; approche récurrente lorsqu’on traite des espaces littoraux. Ainsi, nous considérerons que « tout est paysage » (Kroll, 2001) ou que tout “fait“ paysage. l’ensemble des dynamiques de territoire (sans pour autant être exhaustif) devra ainsi être analysé mobilisant une palette d’outils commune au géographe et au paysagiste et, dans une dimension plus exploratoire, d’outils adaptés à l’usage du concepteur (scénarios…).

i. tout est paysage le paysage constitue aujourd’hui une entrée particulièrement pertinente dans l’appréhension des crises environnementales. par sa dimension sensible, contrairement à des thématiques ou approches plus techniques ou réglementaires habituellement préemptées par des experts, le paysage offre un terrain ouvert à l’expression de chacun sur sa vision du territoire, de ses attentes et de ses priorités. cette ouverture constitue un solide atout pour partager un vocabulaire commun avec les habitants et les acteurs d’un territoire, voire offrir un apprentissage collectif de la concertation et la coopération entre eux, nécessaire à la construction d’une vision ou à l’élaboration d’un projet partagé et pérenne. Face à la forte banalisation des paysages et des territoires, traiter du paysage offre l’opportunité d’une réflexion sur les spécificités des territoires et plus précisément sur ce qui fait leur valeur, leur identité et sur l’attachement des sociétés à cette identité. expression symptomatique des pratiques humaines d’occupation et d’aménagement du territoire et de leurs rapports avec les facteurs naturels et physiques, le paysage apparaît partout et comme facteur favorable au développement d’une approche transversale. celleci permet d’ouvrir la réflexion sur les différentes dimensions de son aménagement et de son développement. ainsi, l’approche à travers le paysage permet de tisser des liens avec les questions d’aménagement (urbanisme, transports…), d’environnement (espaces naturels, trames vertes et bleues, biodiversité…), de développement économique (tourisme, énergie, agriculture…), et des problématiques sociales et culturelles (identité, emploi, cadre de vie…). ce qui place également (et théoriquement) le paysagiste au cœur des problématiques…

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

ii. le paysagiste face à l’évolution des littoraux souvent associé aux projets de réaménagement des fronts de mer, le paysagiste participe à définir des stratégies de gestion du littoral. Mais ces projets s’inscrivent trop souvent dans une logique (méthodologie) urbaine, fixiste et parfois dépourvue voire contraire à toute stratégie d’adaptation ou de gestion d’une évolution génératrice de nouveaux paysages. c’est parce qu’il s’agit de distinguer l’adaptation et la capacité à s’adapter. celle-ci pose de vraies questions d’aménagement, de paysage et de politique publique dans laquelle le paysagiste, interventionniste et créateur d’espace, doit (s’) être intégré. le paysagiste peut, et se doit de, contribuer au débat public et à la recherche sur l’adaptation en soulignant différents obstacles : - celui de l’idéologie technicienne et aménagiste héritée du 19e siècle, elle-même héritée de Descartes qui considérait que l’homme était «comme maître et possesseur de la nature». On sort peu à peu de ce schéma de pensée, comme l’atteste le nouvel intérêt porté aux «méthodes douces» de défense du littoral. On ne lutte plus contre les éléments naturels, on compose avec. les évènements climatiques récents ont forcé les politiques publiques à progresser en ce sens. il en sera d’ailleurs question dans le chapitre 2 en évoquant le Grenelle de la mer puis la tempête Xynthia. - celui de considérer les espaces menacés par les changements climatiques comme des entités éternelles, soudainement menacées par la hausse eustatique. Les zones côtières sont par nature des espaces mouvants, muables et c’est à partir de cela qu’il faut raisonner. D’où la pertinence d’une approche en termes de géographie des territoires. - celui de réduire le problème sociétal du niveau marin aux coûts économiques. Certains acteurs prétendent qu’il faut protéger les zones importantes en terme d’activités humaines et économiques et qu’il faut envisager d’être plus souple pour les autres. Mais le problème est que l’on raisonne à l’aune de nos conceptions économiques contemporaines, et que ce qui n’a pas de valeur aujourd’hui peut en avoir demain ; écueil auquel se heurtent économistes et sociologues qui tentent de modéliser les impacts des changements climatiques sur la croissance économique (picon, 2005). le littoral doit donc être pensé en terme de réversibilité, leitmotiv alimentant toute démarche relative à l’adaptation. il conviendra ainsi de comprendre et de faire le lien entre projet d’adaptation et projet de paysage et de percevoir les leviers d’actions aboutissant à de nouvelles stratégies littorales.

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CHAPITRE 1 - MÉTHODOLOGIE

iii. les outils d’appréhension, de compréhension et de projection : entre rétrospective et prospective 1. etudes et retours d’expériences professionnelles parallèlement à l’écriture de la thèse et à nos recherches sur la camargue, nous avons mené des études dans le cadre professionnel (cf. chapitre liminaire) qui ont nourri la réflexion et l’approche méthodologique (notamment sur la construction de scénarios prospectifs). les études sur le quartier de la bouillie à blois et des prairies st-Martin à rennes nous ont permis de nous confronter à la question du risque d’inondation et de concevoir des projets en lien avec celui-ci, suite à une stratégie de repli stratégique des enjeux bâtis. ces expériences ont été de véritables laboratoires à partir desquels nous avons pu proposer des stratégies d’adaptation (spatiale et paysagère) au risque d’inondation fluviale, théoriser notre démarche en nous rapprochant de la communauté scientifique et approfondir les notions de résilience, de vulnérabilité et de mitigation (atténuation) des risques en appliquant à la notion de projet de paysage.

2. travail de terrain et recherches bibliographiques outre le nécessaire arpentage du site camarguais utile à l’émergence des ressentis (approche sensible) et à la lecture paysagère, le travail de terrain mené en camargue (deux fois 10 jours) nous a permis de rencontrer les principaux acteurs locaux (gestionnaires, scientifiques, politiques, habitants, touristes) et de les interroger sur leur vision du littoral et sur son avenir confronté à la hausse eustatique. Les recherches bibliographiques ont été utiles pour vérifier, affiner et compléter nos observations de terrain et pour analyser rétrospectivement la trajectoire paysagère du delta du Rhône, fluctuant entre fixisme et mobilisme au cours de son histoire et caractériser une éventuelle mémoire du risque d’inondation et de submersion. D’autres recherches bibliographiques ont été menées afin de nourrir la réflexion prospective construite dans la troisième partie.

3. analyse systémique et prospective une analyse systémique a permis d’étudier le territoire camarguais, de comprendre les interactions à l’œuvre et d’évaluer les mutations en cours et à venir. cette analyse s’apparente à une approche basée sur l’analyse de l’anthroposystème* (lévêque et al., 2003). Cette analyse est souvent utilisée par le paysagiste afin d’isoler les dynamiques paysagères en cours et d’identifier les agents sur lesquels agir dans le cadre du projet de paysage. les temporalités étudiées peuvent concerner une période très étendue, de l’étude des évolutions passées (analyse rétrospective) à celle du fonctionnement présent et à l’analyse des développements futurs possibles (prospective). c’est ainsi que nous avons cherché à caractériser la démarche de prospective appliquée au risque et à la recherche de stratégies d’adaptation. nous avons trouvé dans

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la prospective (souvent intéressée à la démographie, à l’économie, à l’emploi… mais très rarement au socio-culturel et au paysage) une démarche méthodologique similaire à celle du projet de paysage et nous avons jugé pertinent d’explorer les principes d’une prospective paysagère et de tester son application à la camargue, territoire expérimental depuis longtemps de toutes formes de gestion. la problématique du changement climatique et de la hausse eustatique convoquent à une attitude pré-active (se préparer à un changement anticipé), voire même pro-active (provoquer un changement souhaitable), ce qui exige de bâtir de la connaissance pour l’action (le projet) et de préfigurer différentes options afin d’offrir différents choix stratégiques. nous avons ainsi exploré de nombreux scénarios imaginés par les acteurs locaux puis construit nos propres visions à très long terme : des futurs paysages possibles, des “ futuribles* paysagers* “.

l

’ouverture de certaines disciplines ou milieux académiques et la nécessité d’engager la pratique dans des approches réflexives et prospectives (notamment liées

au changement climatique et à la hausse eustatique) offrent aujourd’hui de nouvelles opportunités et appellent au développement de la recherche en paysage. celle-ci est ici conduite selon une vision paysagiste sans cesse animée par et pour le projet (de paysage), en s’appuyant sur ses propres outils (communs à d’autres disciplines) ou en s’associant à d’autre à l’instar de la prospective.

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2 inadaptation des stratégies et cHapitre

augmentation des vulnérabilités

«

Vous auriez voulu (et qui n’eût pas voulu de même ?) que le tremblement de terre se fut fait au fond d’un désert plutôt qu’à Lisbonne. peut-on douter qu’il s’en forme aussi dans les déserts ? Mais nous n’en parlons point parce qu’ils ne font aucun mal aux messieurs des villes, les seuls hommes dont nous tenions compte ; ils en font peu aux animaux et aux sauvages qui habitent épars dans des lieux retirés, et qui ne craignent ni la chute des toits, ni l’embrasement des maisons. Mais que signifie un pareil privilège ? serait-ce donc à dire que l’ordre du monde doit changer selon nos caprices, que la nature doit être soumise à nos lois, et que, pour lui interdire un tremblement de terre en quelque lieu, nous n’avons qu’à y bâtir une ville ?

»

J.-J. Rousseau, lettre à m. de Voltaire, 18 août 1756 77



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l

e Grenelle de la mer a permis d’apporter des compléments aux engagements du Grenelle de l’environnement en couvrant un champ thématique élargi au littoral et au

développement d’activités durables. ce fut l’occasion de proposer de nouvelles stratégies de gestion côtière. Dans ce chapitre, on se propose d’analyser les stratégies proposées pour une gestion durable du « trait de côte ». S’agit-il de stratégies adaptées ou inadaptées aux sociétés et territoires littoraux contemporains et futurs ? leur mise en œuvre contribue-t-elle à réduire la vulnérabilité du littoral face au risque d’inondation et de submersion ? engendre-t-elle d’autres vulnérabilités imposant une réflexion plus profonde ? après s’être interrogé sur le caractère durable de ces stratégies et la vision globale qu’elles construisent, nous les confronterons à l’événement Xynthia survenu quelques mois après leur médiatisation et pour lequel certaines d’entre-elles ont été préconisées (le repli stratégique notamment) de manière réactive. nous ferons plus largement le point sur les stratégies mises en œuvre pour permettre la résilience du territoire puis nous essayerons de la caractériser. Enfin, à la lumière des défaillances perçues et des propositions établies après la tempête, nous tenterons d’entrevoir les pistes d’une résilience augmentée des territoires littoraux.

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CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

a. les orientations récentes d’une stratégie nationale de gestion du littoral : entre fixisme et mobilisme, la place du paysage

u

ne analyse du contenu du Grenelle de la mer (juillet 2009) s’avère pertinente dans le cadre de cette réflexion dans la mesure où il s’agit d’engagements politiques récents,

basés sur une expertise scientifique, dont le paysagiste devra à l’avenir tenir compte au sein de nouveaux projets littoraux. quels sont les aspects novateurs de ces nouvelles orientations ? traduisent-elles des stratégies d’aménagement et de gestion durables des littoraux ? comment le paysage y est-il appréhendé ?

i. la stratégie nationale de gestion du trait de côte, une stratégie en faveur du mobilisme : un gage de durabilité ? lors du Grenelle de la mer (2009), l’état français à énoncé les orientations d’une stratégie nationale de gestion du trait de côte (MeeDDM, 2009, 2010) et a proposé différentes options envisageables pour élaborer une stratégie à l’échelle locale ou régionale : « Face au risque résiduel d’érosion ou de submersion marine sur le territoire concerné, quatre stratégies de gestion du trait de côte ont été identifiées grâce aux expériences menées par les collectivités locales françaises. Ces stratégies peuvent se combiner sur un même territoire : - suivre l’évolution naturelle là où les enjeux ne justifient pas une action (gestion du trait de côte au droit d’une propriété du Conservatoire du Littoral) ; - intervenir de façon limitée en accompagnant les processus naturels (gestion du trait de côte au droit des dunes gérées par l’oNF en gironde) ; - organiser le repli1 des constructions derrière une nouvelle ligne de défense naturelle ou aménagée (procédure d’expropriation, commune de Crielsur-Mer, seine Maritime ; réaménagement du lido de sète à Marseillan, Languedoc roussillon) ; - maintenir le trait de côte (rechargement de la plage, Châtelaillon-plage, Charente Maritime) ». 1 stratégie également recommandée dans le cadre de la « stratégie Nationale d’adaptation au réchauffement climatique », ONERC

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ces stratégies inscrivent-elles dans la durabilité ? « Suivre l’évolution naturelle là où les enjeux ne justifient pas une action » Cette stratégie de « laisser-faire » amène à considérer les fluctuations de la côte comme un phénomène naturel et avec lequel il faut composer plutôt que tenter de s’opposer. ce fut en partie la stratégie développée dans « en somme, rendre la terre à la mer » (Morisseau, 2006) et nous avions pu démontrer en quoi la mobilité était gage de durabilité. « Intervenir de façon limitée en accompagnant les processus naturels » Cette stratégie vise à une modeste intervention afin de réduire ou de ralentir l’érosion. il s’agit le plus souvent de techniques dites de génie écologique, ou génie végétal, destinées à contrer les effets du vent sur une plage ou sur une dune. cette stratégie permet également de réduire, voire de gommer, les impacts anthropiques (liés au tourisme ou aux loisirs notamment) sur les milieux dunaires. Légèrement plus fixiste, cette stratégie de restauration écologique vise avant tout le maintien d’un écosystème naturel défensif tout en permettant sa mobilité ; elle s’inscrit dans la durabilité. « Organiser le repli des constructions derrière une nouvelle ligne de défense naturelle ou aménagée » il s’agit d’un repli stratégique envisagé lorsque des installations humaines, trop proches du rivage, sont soumises à un risque d’érosion marine. ce repli se traduit par la déconstruction des infrastructures et une restauration du milieu littoral. cette stratégie avait été abordée dans un des scenarios d’ « en somme, rendre la terre à la mer » (Morisseau, 2006). Deux mobilités illustrent cette stratégie : la mobilité retrouvée des échanges terremer induisant la variabilité des paysages littoraux et la mobilité anthropique relative au déplacement des enjeux. cette stratégie vise donc deux objectifs : réduire la vulnérabilité et réinventer l’espace terre-mer. le consensus basé sur la mobilité anthropique au service de la mobilité littorale s’inscrit pleinement dans la durabilité. « Maintenir le trait de côte » cette stratégie fait référence à l’approche environnementale décrite plus haut. la mise en œuvre de méthodes douces (rechargement des plages, systèmes de drainage) est à envisager lorsque des enjeux touristiques ou immobiliers entrent en considération. cette stratégie, étroitement liée à la disponibilité des matériaux (Pupier-Dauchez, 2008), ne peut être que temporaire malgré la durabilité que l’on voudrait lui prêter. l’exemple de la tempête Xynthia en charente-Maritime, sur lequel nous reviendrons, en est l’illustration. 81


CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

a châtelaillon-plage, les rechargements avaient permis de reconstituer la plage disparue sous l’effet des ouvrages en dur. la reconquête touristique témoignait du succès de cette stratégie. En revanche, Xynthia a définitivement prouvé les limites de cette action menée depuis 20 ans sur un linéaire de 1 800 m et estimée à 6 millions d’euros. cette stratégie ne peut être que temporaire sinon transitoire d’une stratégie de repli par exemple. et bien qu’elle agisse au service de la mobilité, elle ne peut s’inscrire dans une quelconque durabilité. D’autant plus que l’impact sur les gisements des matériaux sources ne saurait être négligeable pour certaines opérations1. Au final, ces stratégies illustrent la volonté de rétablir une certaine mobilité littorale en dépit de quelques stratégies fixistes (mais “douces“). Elles montrent également qu’une évolution des mentalités s’est opérée, marquant une rupture dans les relations hommenature. cependant, même si certaines mesures marquent une rupture en faveur de la mobilité, le fixisme reste bien présent dans les objectifs du Grenelle de la mer sous le vocable plus générique de « défense contre la mer »2 laissant entrevoir une prépondérance du regard technique. Ainsi, nous nous proposons d’identifier plus précisément les mesures préconisées par le Grenelle de la mer.

ii. le Grenelle de la mer : une carence de prise en compte du paysage dans les nouvelles visions du littoral comment s’établit le choix de ces stratégies de gestion du littoral et sur quelle expertise s’appuie-t-il ?

1. Etapes de définition du choix des stratégies Dans le cadre de sa stratégie nationale de gestion du trait de côte, l’etat propose une méthodologie préalable aux choix de gestion : « La mise en œuvre de toute solution de gestion du trait de côte doit être accompagnée par des études permettant d’évaluer la pertinence d’un aménagement et son impact sur l’environnement ». Quelles sont les étapes de ces études ? il s’agit dans un premier temps de déterminer l’estimation du taux de rentabilité économique de l’aménagement existant par des « évaluations économiques des projets d’aménagement ». S’ensuivent des « études préliminaires afin de fournir une synthèse régionale sur la connaissance du secteur et la détection des zones vulnérables, de proposer un diagnostic à une échelle locale et d’indiquer la faisabilité technique et 1 cf. le cas de cayeux-sur-Mer : rechargement du cordon par prélèvement de galets au sud du Hourdel et dégradation de l’écosystème (présence du chou marin notamment). a cela s’ajoute le transport et les nombreux transits nécessaires. 2 livre bleu des engagements du Grenelle de la mer, volet « aménagement et gestion intégrée du littoral dans une perspective de développement durable », Mesure 74f, « anticiper et prévenir les risques naturels (…) : développer une méthodologie et une stratégie nationale (collectivités et etat) pour la gestion du trait de côte, pour le recul stratégique et la défense contre la mer. »

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économique des solutions envisagées ». Sur la base d’un diagnostic sommaire (portant sur les caractéristiques et dynamiques sédimentaires, la morphologie sous-marine…), une première proposition d’aménagement à réaliser est formulée. Enfin, « l’étude technique, porte sur la description des phénomènes au niveau régional pour donner une vue d’ensemble de l’environnement naturel et du contexte du projet ». L’étude comprend une analyse détaillée des mécanismes hydrosédimentaires conduisant à un diagnostic des dysfonctionnements qui doit permettre l’ébauche de solutions. Enfin, la définition du suivi du dispositif préconisé est intégrée à la présentation de la solution retenue dans l’étude technique.

2. une nouvelle vision techniciste ? le renouvellement des approches renouvelle la méthodologie d’étude des dynamiques littorales. La définition de nouvelles stratégies de gestion repose sur l’évaluation physique et quantitative du littoral afin de déterminer les possibilités de protection. Ce nouveau cahier des charges répond-t-il aux nouveaux enjeux sous-tendus par les problématiques globales de durabilité et de GiZc ? sémantiquement, la notion de ”gestion du trait de côte” impose une certaine limite dans les choix possibles de réaménagement du littoral. D’une part, parce que la notion de ”trait de côte” est maintenue alors qu’est prônée une autre échelle, celle des enjeux littoraux – l’échelle régionale, dépassant largement la bande côtière. D’autre part, parce que la notion de ”gestion” ne saurait être une solution préalable. avant de déterminer toute solution de gestion, il serait plutôt question de définition ou de redéfinition de l’espace littoral, réinterrogeant le sens et les usages qu’on souhaite lui donner. or, dans cette conception méthodologique, la géographie physique est mise au service premier du choix de gestion, nous renvoyant aux dérives du paradigme du déterminisme naturel (les activités humaines sont déterminées par le milieu physique). alors qu’il y a lieu de penser que cette géographie puisse servir une réflexion plus globale au service de toutes les dynamiques territoriales et en particulier des dynamiques paysagères s’appuyant sur le paradigme du milieu géographique dont le paysage est l’expression visible : une interface, une combinaison, entre faits naturels et sociaux. l’appréhension et la gestion du risque doivent alors s’inscrire dans la réduction de la vulnérabilité des enjeux et non pas uniquement dans la définition de leur protection. Dès lors, il s’agit de dépasser l’inventaire des stratégies techniques qui réduirait l’avenir du littoral à un choix de catalogue. bien qu’essentielle dans l’évaluation des enjeux, l’expertise technique ne peut être un unique préalable. or elle doit servir une évaluation globale du territoire littoral qui réinterroge également et préalablement l’aménagement du territoire et plus profondément le paysage. pourquoi cette lacune ? s’agit-il d’une absence de considération de la notion de paysage ou d’une considération restreinte et donc restrictive ? 83


CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

3. Quelle prise en compte du paysage dans le Grenelle de la mer ? le livre bleu des engagements du Grenelle de la mer est le fruit d’une concertation pluriacteurs dans laquelle l’interdisciplinarité a permis de faire émerger les lignes directrices d’une approche renouvelée de la politique littorale. cette concertation a mis en évidence la nécessité de s’appuyer sur les notions d’interactions, d’interdépendances terre/ mer (écologiques, économiques, sociales, culturelles), de décloisonnement des approches et des acteurs, de dépassement des échelles traditionnelles, de gouvernance partagée, etc. bref, c’est avec un regard holistique que le littoral a été disséqué. l’a-t-il été à travers une notion elle-même holistique à l’instar du paysage ? De quelle manière ? parmi les 18 volets du livre bleu, il s’avère qu’aucun ne soit consacré au paysage proprement dit. on pourra supposer qu’il est admis que le paysage est partout, dans toutes les thématiques (regard holistique) et qu’il n’est ni nécessaire ni pertinent de le traiter à part ou considérer de fait qu’il est absent ou peu présent et devient alors une donnée ordinaire parmi d’autres. cette deuxième hypothèse semble plus exacte dans la mesure où seuls 4 des 18 volets abordent le paysage (non exclusivement) avec 9 occurrences du terme relevées dans l’ensemble du document. alors que le littoral s’exporte et se distingue aujourd’hui avant tout pour l’attractivité de ses paysages, quelles sont les mesures qui lui ont trait ? parmi les 40 mesures que compte le volet « aménagement et gestion intégrée du littoral dans une perspective de développement durable », seules 2 mesures font référence au paysage (ce qui paraît surprenant à la lecture d’un tel intitulé). le paysage n’y est ainsi abordé qu’à partir de la 68e mesure1 qui explicite la nécessité, certes légitime, de considérer et de valoriser le paysage existant, sans pour autant évoquer son évaluation et admettre sa remise en cause. cet aspect révèle une certaine focalisation sur la prise en compte des paysages d’aujourd’hui plutôt que des paysages de demain. cette dimension conservatrice entrave la possibilité d’un autre littoral, celui de demain. or, tout choix de gestion aura, d’une quelconque manière, ses traductions paysagères, lesquelles doivent être anticipées et lesquelles doivent servir à déterminer la pertinence de ces choix. l’autre mesure2 aborde le paysage comme une finalité et non comme un objectif. Celle-ci place les activités économiques comme facteurs d’aménagement impactant nécessairement les paysages. bien qu’une volonté de réduction des effets négatifs sur le paysage soit formulée, il n’y apparaît aucune volonté d’associer économie et paysage. Dans le volet « L’éducation à la mer doit devenir une priorité », là encore3, il est 1 Mesure 68 : « prendre en compte et valoriser l’existant […], prendre en compte le paysage littoral et marin ; valoriser la construction d’un paysage littoral et marin vivant, c’est-à-dire en accordant une attention au patrimoine naturel, culturel et économique qu’il représente, tout autant qu’aux enjeux attachés aux activités humaines (agriculture, transports maritime et terrestre, tourisme, logement…). » 2 Mesure 73 : « en matière économique […], renforcer la place des activités primaires (agriculture, pêche et conchyliculture) sur le littoral, par des dispositifs permettant tout à la fois la création d’emplois permanents, le rééquilibrage des activités primaires, tertiaires et secondaires et la maîtrise de la pression foncière, en veillant à la réduction des effets négatifs sur les écosystèmes, les paysages et la consommation d’espaces. » 3 Mesure 101 : « Conserver et valoriser le patrimoine maritime […] ; préserver et valoriser le patrimoine littoral

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question de conservation, de valorisation et de protection (dont les ouvrages de défense) qui concourent à inscrire le paysage dans une vision patrimoniale figée alors que ces mêmes paysages sont amenés à évoluer sous les effets du changement climatique. les mutations premières des écosystèmes auront des répercussions sur les activités. au-delà des Zppaup dont la création est encouragée, ce sont les atlas de paysages qui doivent intégrer les mutations paysagères pressenties relatives au changement climatique. c’est donc l’ensemble des paysages qui, bien que protégés, doivent faire l’objet d’une évaluation afin d’assurer la cohérence de leurs outils juridiques (Atelier de l’île, 2007). par ailleurs, la préservation et la valorisation des ouvrages de défense contre la mer demandent à être nuancées. si l’on se réfère à la « stratégie nationale de gestion du trait de côte », le bien fondé de ces ouvrages s’établit par un diagnostic technique d’évaluation des impacts (souvent négatifs) sur la mobilité sédimentaire et leur effet sur l’érosion littorale. ainsi, le seul aspect patrimonial ne saurait être déterminant dans l’évaluation de ces modes de protection littorale et contradictoire avec les perspectives de hausse eustatique. Dans ce cas, la volonté première de conservation du paysage peut être un facteur de vulnérabilité. Dans le volet « Un abyssal besoin de connaissances », une mesure1 décrit une fois de plus le paysage comme nécessairement contraint, lequel doit être pris en compte pour minimiser l’impact des activités sur lui. Dans le cas des énergies renouvelables, cette mesure soulève deux questions. si l’on prend l’exemple des éoliennes, comment doit-on poser la question de leur légitimité ? : “quels impacts l’implantation d’éoliennes produirat-elle sur le paysage ?“ c’est l’objet de cette mesure. ou plutôt, “est-il pertinent d’implanter des éoliennes dans ce paysage ?“ cette question place le paysage comme un préalable et non comme une résultante. Enfin, dans le volet « des activités agricoles préservées et respectueuses de l’environnement en zone littorale », une autre mesure2 place le paysage comme un élément contraint, sur lequel des impacts, nécessairement négatifs, sont à prendre en compte. ainsi, l’on voit que la prise en compte du paysage dans le Grenelle de la mer est somme toute relative. le paysage y est considéré comme une résultante de l’expression d’autres enjeux alors que le paysage est lui-même un enjeu. le paysage est réduit à son aspect visible, auquel on tente de limiter les impacts (souvent négatifs). et maritime : les ouvrages d’art portuaires et de défense contre la mer, l’architecture rurale et urbaine à usages domestique, public, agricole, artisanal et industriel, le paysage littoral et marin, le patrimoine archéologique. […] Mettre en œuvre les dispositions prévues par les lois sur les protections des éléments patrimoniaux et les paysages (encouragement à la création des ZppaUp en zones littorales). » 1 Mesure 128 : « développer les études d’impact environnementales, sociales […] au titre du développement durable. […] Mener des études avant l’implantation sur le littoral d’installations productrices d’énergie, notamment pour prendre en compte l’impact paysager et environnemental. » 2 Mesure 64d : encourager les démarches de qualité et la promotion des productions littorales dans des espaces aussi fragiles, que l’agriculture doit contribuer à préserver et à entretenir : […] - examiner l’opportunité et la faisabilité, compte tenu de la multiplicité des « signes » existants, de lancer une politique spécifique « agriculture littorale durable » labellisée, répondant à des critères de maîtrise et de suivi des différents effets négatifs sur l’environnement et les paysages, notamment par mise en place accélérée de la certification haute valeur environnementale (HVE) sur le littoral. »

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le paysage n’est pas perçu comme un objectif (au sens projectuel) permettant d’évaluer la cohérence des autres mesures. cette carence de prise en compte révèle une absence de projet global du littoral limitant fortement le sens à donner aux paysages que l’on souhaite conserver, préserver et valoriser. on notera également que malgré la prise de conscience du changement climatique, ces quelques mesures participent au maintien d’un regard fixiste sur les paysages contemporains. Et malgré la conscience des pressions actuelles et futures, ce Grenelle ne semble pas tenir compte d’un renouvellement possible des paysages. Comment expliquer ces insuffisances dans la prise en compte du paysage ? le paysage est-il occulté par une autre notion ? parallèlement aux 9 occurrences du terme ”paysage”, le livre bleu offre jusqu’à 100 occurrences du terme ”environnement”, ce qui semble logique si l’on considère le Grenelle de la mer comme une composante du Grenelle de l’environnement. cependant, l’importance accordée à la notion d’environnement n’appose-t-elle pas une limite aux possibles des mesures proposées ? est-elle une notion si holistique pour toutes les fédérer ? contrairement à la nature ou au paysage, l’environnement est une notion délibérément plus « opératoire » que culturelle ou philosophique (Lévy, 1999). L’environnement a été défini par opposition au paysage : « Le paysage n’est pas l’environnement. L’environnement, c’est le côté factuel d’un milieu (i.e. de la relation d’une société à l’espace et à la nature), le paysage, c’est le côté sensible de cette relation. » (Berque, 1991). Ainsi, l’environnement n’aurait qu’une dimension factuelle, « froide », matérielle, peu définie, alors que le paysage serait au contraire une notion qui incorporerait une conception, une perception, une sensibilité, des moyens de représentations affinés (Lévy, 1999). en formulant ainsi les objectifs d’une nouvelle vision du littoral français, le Grenelle de la mer se trouve confronté aux limites de la notion d’environnement lesquelles révèlent l’absence d’un fil conducteur qui fédèrerait chaque mesure au service d’un projet global. Idéalement, ce fil conducteur réunirait l’ensemble des approches et des stratégies pour concourir à l’établissement d’une vision partagée. Et si l’on se réfère à la définition allemande1 du paysage « Landschaft » qui désigne « une terre créée par l’Homme », la notion de paysage saurait être ce fil conducteur et fédérateur. Il évoque un territoire aménagé, à l’identité définie, un concept holistique où chaque élément prend du sens par sa place dans le tout (antrop, 2008).

1

Les langues scandinaves retiennent également cette signification (Antrop, 2008)

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es innovations du Grenelle de la mer se caractérisent par la volonté de mettre en œuvre des stratégies de gestion en faveur de la mobilité littorale s’inscrivant pour certaines

dans une durabilité relative. Cette réflexion pluridisciplinaire a permis de formuler de nombreuses mesures privilégiant la notion d’environnement à celle de paysage. Masqué par le spectre techniciste de la vision littorale, le paysage y est davantage appréhendé (lorsqu’il l’est) plutôt comme un objet nécessairement contraint que comme un préalable réfléchi et souhaité. Il en résulte une lecture difficile due à l’absence d’un fil conducteur reliant chaque mesure au service d’un projet global et par conséquent une vision restrictive pour l’élaboration d’une gestion intégrée des zones côtières. la mise en lumière de cette lacune pourrait paraître anecdotique froissant esseulement la communauté paysagiste. sauf que neuf mois après le Grenelle de la mer, la tempête Xynthia s’abattait sur le littoral modifiant profondément les paysages des côtes vendéennes et charentaises en laissant transparaître les défaillances de certaines stratégies et l’absence de vision transversale du territoire et reposait le problème de l’aménagement de l’espace littoral.

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B. la tempête xynthia et la préconisation réactive de certaines stratégies

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e 28 février 2010, neuf mois après le Grenelle de la mer, la tempête Xynthia traversait la France et frappait plus particulièrement les départements de Vendée et de charente-

Maritime provoquant la mort de 53 personnes. la question des digues fut immédiatement pointée du doigt puis très rapidement ce fut au tour des enjeux, récemment apparus dans ces secteurs, qu’elles protégeaient. ainsi, nous verrons ce qui, au delà des digues et du caractère exceptionnel de la tempête, constituait la véritable vulnérabilité de ces zones submergées et qualifiées après coup d’extrême danger. aussi, nous tenterons de comprendre les défaillances des stratégies de prévention du risque d’inondation et de submersion malgré l’arsenal de mesures et d’outils laissant croire en une culture nationale du risque. Enfin, nous évoquerons les stratégies préconisées puis mises en œuvre après cet événement afin de permettre la résilience des secteurs touchés.

i. les effets d’une tempête sur des paysages vulnérables 1. la conjonction exceptionnelle de phénomènes naturels le creusement de cette dépression a été considéré comme classique pour une dépression hivernale et moins rapide que celui des tempêtes lothar et Martin de décembre 1999 et Klaus de janvier 2009. Xynthia n’a, par conséquent, pas été qualifiée de « tempête explosive »1. en revanche, selon Météo France, son caractère exceptionnel est dû à la concomitance : - de la « surcote » produite par la tempête elle-même (élévation des eaux marines à une latitude anormalement basse, pour remonter vers le sud-ouest, puis le nord-ouest de l’europe en quelques heures seulement) ; - du coefficient de la marée (102, pour un maximum de 120 pour les plus hautes marées astronomiques). cette concomitance a en partie conditionné l’ampleur du phénomène : le paroxysme de la surcote météorologique s’est superposé au maximum de la marée prédite en période de pleine mer, conduisant à des hauteurs d’eau de niveau exceptionnel. l’analyse des enregistrements des marégraphes du service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) confirme que la hauteur d’eau résultante a dépassé les niveaux statistiques de retour centennal sur le littoral de Vendée et de charente-Maritime, atteignant la cote de 4,506 mètres nGF2. 1 Météo France, 05/03/10, la tempête Xynthia des 27-28 février 2010, http://france.meteofrance.com/france/ actu/actu?document_id=22089&portlet_id=50150 2 anZiani a., rapport d’information au nom de la mission commune d’information (1) sur les conséquences de la

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2. Des paysages vulnérables 2.1 une mobilité naturelle accrue par des actions anthropiques il est désormais admis que la mobilité naturelle1 du trait de côte se trouve accentuée par des actions anthropiques dont les conséquences s’expriment par la modification des courants marins résultant d’aménagements côtiers, par la destruction des laisses des mers provenant du nettoyage des plages, par l’érosion des falaises (ou « falaisage ») dû aux pompages et drainages, par le creusement de gravières sous-marines (parfois liées au rechargement des plages), par l’assèchement de marais entraînant le tassement des polders ainsi créés, comme par le changement climatique (hausse du niveau de la mer, surfréquence des tempêtes). la fragilisation des barrières naturelles protégeant le littoral a un lien direct avec les phénomènes de submersion marine. ainsi, la submersion de la Faute-sur-Mer dans le secteur de la belle Henriette s’explique en partie par la rupture du cordon dunaire l’abritant de l’océan atlantique2. les vagues qui s’engouffraient par la brèche ainsi créée retrouvaient le cours du Lay, petit fleuve côtier, et prenaient en étau les maisons situées sur la langue de terre située entre l’océan et ledit cours d’eau.

Photo 1 : Vue aérienne de la Faute-sur-mer et l’aiguillon-sur-mer, en Vendée, après le passage de la tempête xynthia. © MaXppp. source http://www.lafautesurmer.net/ tempête Xynthia (rapport d’étape), sénat, session ordinaire de 2009-2010, n°554, enregistré à la présidence du sénat le 10 juin 2010 1 La mobilité naturelle du trait de côte se définit comme la laisse des plus hautes mers astronomiques de coefficient 120, avec des conditions météorologiques normales 2 anZiani, op. Cit., la mission a noté que le cordon dunaire a joué un rôle important de protection pendant la tempête Xynthia, qui l’a d’ailleurs fragilisé, puisque le bureau de recherches géologiques et minières (brGM) a enregistré un recul des dunes (falaisage) jusqu’à 22 mètres.

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2.2 la Faute-sur-mer et l’aiguillon : un urbanisme aveugle et une instrumentalisation du paysage

carte 3 : le marais Poitevin et ses marges maritimes. cartographie : raymond Ghirardi ; conception : Fernand Verger. source : VerGer F., 2009, Les zones humides du littoral français, belin, p.160

carte 4 : suivi des inondations consécutives au passage de xynthia dans la Baie de l’aiguillon, surfaces inondées détectées sur une image spot 4 (10m) acquise le 2 mars 2010 et sur une image enVisat asar (12.5m) acquise le 4 mars 2010. réalisation sertit, 2010 90


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Figure 10 : images sPot de comparaison avant et après xynthia dans la Baie de l’aiguillon, 2010

Sur la carte 3 (ci-contre), la zone bleutée striée de rouge représente les polders et leurs digues. comme le montre de façon saisissante la comparaison entre les deux images satellitaires prises par Spot Image (carte 4 et figure 10), elle correspond très précisément au territoire inondé par Xynthia dans la nuit du 27 au 28 février 2010.beaucoup semblaient découvrir la vulnérabilité de la région de l’aiguillon-sur-Mer. c’est sans doute l’effet d’un extraordinaire pouvoir d’oubli de la situation géographique de ce territoire soumis depuis des siècles aux inondations et aux destructions. le village lui-même de l’aiguillon a dû être déplacé1 et reconstruit à plusieurs reprises sous l’effet de l’érosion marine (Verger, 2010a). la situation géographique de la Faute-sur-Mer sur une langue sablonneuse de quelques kilomètres carrés, baignée dans une cuvette, sous le niveau de la mer par l’océan atlantique à l’ouest et par l’embouchure du lay (estuaire) à l’est, rend le village particulièrement vulnérable aux inondations et à la submersion. l’urbanisation galopante de la Faute et de l’aiguillon, communes les plus touchées par Xynthia, a commencée dans les années 1960 et s’est poursuivie à un rythme effréné jusque dans les années 1990. quel sens avaient les paysages de ces deux bourgs ruraux entourés de terres agricoles avant les trente glorieuses ? D’après le géographe Jean renard, « Il y a cinquante ans, ces terrains servaient de communal, du nom de ces sols alloués aux agriculteurs, qui, moyennant une petite rétribution, y menaient paître leurs bêtes »2. ces terres agricoles, régulièrement inondées, abritaient aussi des « conches », champs creusés dans le sable. 1 l’aiguillon-sur-Mer était à l’origine une île. l’île de l’aiguillon était formée à l’est par la « grande rade », au sud par la mer, à l’ouest par le Grand lay, au nord par le chenal de la raque qui communiquait du lay à l’intérieur de la rade. la partie nord-ouest de ce chenal ayant été rapidement comblée par les sables et le cinglage et par les vases des hautes marées, cette île se retrouve réunie au continent. c’est entre le 5e et le 12e siècle que s’édifia le massif dunaire sur lequel est bâti le bourg de l’aiguillon. au 18e siècle, la mer submerge une grande partie de la commune, depuis la pointe de l’aiguillon à plus d’1 km de large jusqu’à 2 km sur la commune. le vieux bourg ayant disparu sous les eaux, ses habitants cherchèrent un refuge en amont. ils s’établirent là où est le bourg actuel (http://www.laiguillonsurmer.fr) 2 renarD J., in perucca b., le Monde, 03/03/10, planète, p. 4.

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une petite paysannerie « y cultivait des pommes de terre, des fleurs ou encore de la vigne »1. l’expérience et une véritable culture de l’inondation (et donc du risque) amenait cette société à ne construire « que sur des îlots surélevés comme celui du vieux bourg de l’aiguillon ou encore l’îlot de la dive, qui ont d’ailleurs été épargnés par les eaux »2. aussi « Les paysans craignaient beaucoup les raz de marée qui survenaient tous les dix, quinze ou vingt ans »3. En effet, au-delà même de la mémoire humaine, ces zones littorales étaient soumises à de brusques arrivées d’eau de mer (Garnier, 2010), les vimers, conjugaison de très fortes marées et de tempêtes engendrant des surcotes de marées de plus de 1,50 m, comparables à celles de Xynthia. a partir des années 1960, l’essor de l’urbanisation a brutalement effacé cette vie rurale adaptée aux excès naturels. après la guerre, le développement du tourisme a conduit à transformer les terres agricoles proches du littoral en zones constructibles. Une véritable opportunité financière pour les propriétaires fonciers, « puisque ces terrains valaient cent fois plus »4. « Les municipalités, souvent dirigées par des artisans et des commerçants, ont transformé ces terres agricoles en terrains à bâtir et n’ont pas su fixer les limites à la pression des particuliers et des promoteurs »5. cette urbanisation6 du littoral a été encouragée par l’évolution sociologique des élus locaux. « Les municipalités étaient autrefois dirigées par des paysans qui défendaient leurs terres. Ils ont été remplacés par des commerçants, des artisans, des promoteurs fonciers ou des propriétaires qui avaient d’autres intérêts». Ainsi, L’Aiguillon et les communes alentours7 ont été quadrillées de parcelles de 400 à 500 m2 sur lesquelles ont été construites des maisons propres à satisfaire la demande d’un tourisme8 de masse. la vulnérabilité s’est accrue par l’implantation de maisons de plain-pied (conseillées dans les documents d’urbanisme afin de respecter le style vendéen). par ailleurs, ce développement résidentiel s’est appuyé sur la géomorphologie du lieu ; une côte instable qui présente une dynamique d’engraissement sédimentaire : « toute la basse vallée du Lay » sur laquelle se trouvent les deux communes les plus touchées par Xynthia, « constitue un littoral très dynamique qui ne cesse d’avancer » produisant des terrains supplémentaires disponibles pour l’élevage puis pour l’habitat.

1 renarD J., op. Cit. 2 renarD J., Ibid. 3 renarD J., in paGneuX F., 2010, L’urbanisation de L’aiguillon et de la Faute-sur-Mer est mise en accusation, nantes, la-croix.com, 08/03/10 4 renarD J., op. Cit. 5 renarD J., in perucca b., le Monde, 03/03/10, planète, p. 4 6 D’après l’observatoire du littoral, en 2006, 35 % des sols de la Faute-sur-Mer étaient « artificialisés », c’est-àdire construits, contre 5 % en moyenne pour l’ensemble des départements littoraux. les terres agricoles ne représentaient que 12,4 % du territoire contre 58,6 % en moyenne ailleurs. De son côté, l’aiguillon-sur-Mer possédait 21,7 % de terres «artificialisées» et 55,7 % de terres agricoles. La part des résidences secondaires dans ces deux communes est bien plus élevée que la moyenne: 76,9 % à la Faute-sur-Mer et 36,2 % à l’aiguillon en 2005, contre 5,3 % au niveau national. l’hiver, on dénombre respectivement 1 200 et 2 500 habitants à la Faute et à l’aiguillon contre 40 000 et 10 000 durant l’été. 7 les stations balnéaires de Jard-sur-Mer, st-Vincent-sur-Jard, la tranche-sur-Mer, la Faute-sur-Mer, l’aiguillonsur-Mer, dont l’urbanisation a progressivement «consommé» l’espace littoral, étaient constituées de forêts, de dunes ou d’espaces sablonneux consacrés à l’activité maraîchère. 8 Dans son interview in paGneuX F., 2010, L’urbanisation de L’aiguillon et de la Faute-sur-Mer est mise en accusation, nantes, la-croix.com, 08/03/10, le géographe Jean renard décrit des « gens qui ont découvert le site en vacances, qui sont ensuite venus avec leurs enfants en camping et qui ont acheté un terrain pour construire une maison au moment de leur retraite ». Cette mutation de la population locale n’a pas permis la transmission de la mémoire du lieu et du risque.

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ainsi, « La commune de la Faute-sur-Mer a grandi de plusieurs dizaines d’hectares au cours des deux derniers siècles »1. il est également intéressant de voir comment le paysage a été instrumentalisé au profit de cette urbanisation. En effet, les enquêtes publiques pour l’urbanisation de certains quartiers de la Faute (quartiers des Doris et des Voiliers) révèlent le constat de « dents creuses inesthétiques ». Pour les Voiliers2, l’enquête a eu lieu en mars 2005. le commissaire enquêteur a donné un avis favorable car, malgré «un niveau de risques d’inondation réels, […] le lotissement, une fois habité, viendra relier deux autres lotissements et comblera de fait une dent creuse, inesthétique»3. cependant, il suggère que «des mises en garde soient faites aux propriétaires quant à l’emplacement des installations électriques privatives». soulignant le «parfait état des digues», il conclut que, «vis-à-vis des inondations, le lotissement est sécurisé». Toutefois, le commissaire conseille que «les constructions restantes soient rehaussées d’un étage [...] afin que les habitants puissent s’y réfugier en cas de crue catastrophique». Aux Doris et aux Voiliers, les maisons à étage sont rares. En 2006, un habitant des Doris, a demandé un permis d’agrandissement, pour construire une chambre et un étage en plus. sa demande fut refusée au motif suivant : « l’étage aurait nui à l’esthétique de l’ensemble » (Nouvel Obs, 08/04/10). ces exemples témoignent d’une prise en compte du paysage. Mais il s’agit d’une considération détournée et contradictoire, une instrumentalisation sans fondement où le paysage est pris en otage, légitimant une ”esthétique” favorable au plein et défavorable au vide. le plein ne pouvant être que le lotissement, le vide… un paysage qu’on ne saurait définir. Autrement dit, n’y avait-t-il que le « pâté résidentiel » à l’habitat inadapté qui puisse faire l’esthétique paysagère de cette frange littorale ? ce bref résumé des mutations urbaines et paysagères montre comment l’on est rapidement passé d’un espace de productions agricoles et maraîchères, à la vulnérabilité somme toute relative, à un espace résidentiel à la vulnérabilité beaucoup plus profonde notamment par une instrumentalisation du paysage.

1 renard J., op. Cit. 2 l’enquête pour le lotissement plus ancien des Doris n’a eu lieu qu’en juin 2006, soit sept ans après les autorisations de construire. par ailleurs, le commissaire constate que «le lotissement est déjà réalisé à 90 %». Vigilant, il a appelé de son propre chef la direction des affaires maritimes, qui a estimé le dossier recevable, et la DDe, au sujet du ppri (le plan de prévention des risques d’inondation). aucun n’a été formulé (nouvel obs., 08/04/10). 3 rapport d’enquête publique du 10/06/06, angles. l’enquête publique a été diligentée sur les deux lotissements. Il s’agissait de vérifier la conformité à la loi sur l’eau, qui s’intéresse entre autres aux problèmes d’évacuation des eaux.

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3. De multiples ruptures de digues 3.1 Retour à d’anciennes situations et émergence de nouveaux paysages la submersion et la rupture (érosion, brèches) des ouvrages de défense contre la mer se sont produites en de multiples points du littoral vendéen et charentais. De nombreux territoires se sont trouvés dans une situation antérieure à la création des digues. ainsi, sur l’île de ré, Xynthia a créé des brèches dans la digue du Martray et de saint-clément, laissant la mer submerger les terres et couper ars, saint-clément et les portes des communes du sud1. en crevant les digues, la mer a coupé l’île de ré en trois, lui redonnant le profil qu’elle avait au Moyen-Age, neuf siècles auparavant2, dans le golfe des pictons. la sédimentation les avait progressivement relié l’une à l’autre pour former l’île de ré. au nord de la rochelle, c’est le village de charron qui s’est temporairement transformé en île. Une fois franchies, les digues ont constitué un obstacle lors du reflux. Plusieurs communes ont été prises dans une situation de cuvette avec, d’un côté, la digue construite le long de la mer, de l’autre une surélévation naturelle ou un remblai d’infrastructure. Dans le marais poitevin, seuls les habitats médiévaux, à l’abri sur les anciens chicots rocheux disséminés dans la zone basse, ont été épargnés3. Dans les autres secteurs, la tempête n’a pas submergé les « anciennes îles », tout en endommageant plus ou moins fortement des constructions plus récentes, quasiment limitrophes de leurs anciennes côtes. De même, elle a épargné les constructions anciennes des centres urbains historiques avec, semble-til, une exception à la rochelle, où l’eau a pénétré dans des rues du vieux port et est restée dans les points bas. 3.2 un important linéaire en question et des dégâts matériels considérables De nombreuses infrastructures ont été touchées. il s’agit par ailleurs des ouvrages de défense contre la mer. au total, ce sont 200 km de digues4 qui ont été endommagées en Vendée et en Charente-Maritime sur les 327 que comptent ces départements (Anziani, 2010). la tempête Xynthia a également causé de graves dégâts matériels. lors de la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia, la Fédération Française des sociétés d’assurance (FFsa) a évalué le montant couvert par les assurances à 1,5 milliard d’euros. au-delà des dommages subis par les particuliers, des secteurs de l’économie locale ont été touchés. À cet égard, le principal secteur victime de la tempête est certainement l’agriculture : plus de 500 exploitations (dont 192 en Vendée, correspondant à 12 000 hectares, et 350 en charente-Maritime, couvrant plus de 40 000 hectares) ont été 1 Journal du sud-ouest, 01/03/2010. 2 France info, 02/03/2010, «L’île de ré retrouve son visage... d’il y a neuf siècles». 3 staron G., 07/03/2010, chronique 768 : tempête Xynthia : analyse climatique et hydrologique, Gesta : le journal du climat et de la géographie libres. 4 Anziani, op. Cit., « 75 kilomètres de digues sont à reconstruire en Vendée et 120 kilomètres de digues en charente-Maritime. le département de la Vendée compte 103 kilomètres de digues. on en recense 224 kilomètres en CharenteMaritime ».

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inondées lors de la submersion marine (palleau J-p, 2010). le montant total des dégâts directement provoqués par la tempête Xynthia a été évalué à plus de 2,5 milliards d’euros (Anziani, 2010). en dépit du caractère exceptionnel de l’événement, comment peut-on expliquer une telle défaillance dans l’appréhension du risque d’inondation et de submersion alors qu’une batterie de mesures est aujourd’hui mise à disposition pour réduire la vulnérabilité des territoires ?

ii. une fausse culture du risque de l’inondation : une résilience défaillante quels étaient les moyens et les mesures préconisés pour faciliter la résilience ? on se propose d’analyser ici l’arsenal de mesures et de moyens théoriquement préconisé afin d’accroître la résilience en cas d’événement majeur. ce dispositif comprend cinq domaines. il s’agira de comprendre si la défaillance constatée met en cause les mesures d’anticipation du risque malgré les moyens croissants de prévisions et de préventions ?

1. une prévision tardive et limitée selon la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia, les prévisions des services de météorologie nationale ont été jugées « partiellement satisfaisantes » : « satisfaisantes », par la globalité des prévisions, « partiellement », par les lacunes des prévisions des risques à terre notamment, ayant entrainé de lourdes conséquences. quelles sont ces lacunes ? la tempête a fait l’objet d’un suivi par Météo-France depuis sa formation au Maroc, dès le milieu de la semaine du 22 février, mais malgré les incertitudes liées à la prévision des échéances supérieures à trois jours, il a été attendu le 27 février pour publier un bulletin de vigilance1. cette date peut-être jugée bien tardive si l’on se réfère aux modélisations de Météo-France ou bien aux prévisions d’autres modèles tels que GFs et WrF2 consultables par la population civile.

1 il y est fait état d’une « tempête d’une ampleur et d’une intensité peu communes qui nécessite une vigilance particulière, même si cette tempête devrait être moins forte que celles de décembre 1999 ». 2 Modèles numériques météorologiques américains.

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Planche cartographique 1 : Prévision des vents sur la France, 4 jours avant la tempête xynthia selon les modèles météorologiques WrF (à gauche) et GFs (à droite), 24/02/2010, source forums.infoclimat.fr

les cartes de vent (planche photographique 1) datées du 24 février (soit 4 jours avant la tempête) illustrent un événement d’une ampleur exceptionnelle dont la récurrence jour après jour renforçait la crédibilité des modélisations. a celles-ci peuvent s’ajouter les analyses et prévisions réalisées sur le forum de météorologie amateur http://forums. infoclimat.fr/ qui évoquait la tempête dès le début de la semaine. parallèlement à ses prévisions ayant pour objet la météorologie générale et l’intensité des vents à la veille de la tempête, Météo-France a anticipé les hauteurs de vagues et le niveau des surcotes prévues au large à l’aide de ses modèles basés sur les champs de pression et de vent de surface (sénat, 2010). ainsi, la prévision des risques en mer s’était avérée satisfaisante en prévoyant au large de la côte vendéenne des hauteurs de vagues maximum de l’ordre de 7 à 8 m et des surcotes de l’ordre du mètre sur le littoral atlantique. En revanche, si le profil général de la tempête et ses conséquences en mer ont bien été anticipés, tel n’a pas été le cas de ses implications sur le continent (sénat, 2010). en effet, comme l’ont indiqué le sHoM (service Hydrographique et océanographique de la Marine) et Météo-France dans un document tirant l’expérience de la tempête Xynthia : « La prévision ne permet [...] pas de reproduire le comportement des vagues et des surcotes à la rencontre des aménagements côtiers. elle permet bien de prévoir l’aléa au large, dans ses grandes lignes, et de signaler les phénomènes potentiellement dangereux à grande échelle, mais ne constitue pas une prévision directe de l’aléa local, ni, a fortiori des conséquences à attendre en termes de submersion des zones littorales, qui sont liées aux vulnérabilités spécifiques locales ». ainsi, le risque même de submersion marine n’a pas été énoncé en raison des limites techniques de la prévision1 liée aux spécificités géographiques locales. Il est intéressant 1 la formulation des bulletins de vigilance nationale, sud-ouest et ouest du 27 février à 16 h 00 illustre ce manque de connaissance quant à l’impact de la tempête sur les côtes les plus exposées. ni les conséquences de la tempête en termes de montée des eaux, ni l’adaptation des comportements qu’elle aurait dû induire, ne sont décrites avec précision (sénat,

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de voir ici comment le paysage littoral peut ainsi devenir un obstacle à la prévision des submersions marines. Ces difficultés de modélisation témoignent de la complexité relevant des ouvrages de protection et plus largement de la difficile lisibilité des paysages littoraux. cependant, la simple question du bon sens ne peut être évacuée : pourquoi faire de l’attentisme la réponse à l’absence de modélisation ? alors que la présence d’ouvrages de protection illustre la vulnérabilité des paysages d’arrière-côte et leur submersion potentielle, l’hypothèse du risque d’inondation aurait du être formulée. le silence et l’inaction ont été privilégiés alors que les cartes de prévisions de vents exceptionnels permettaient d’anticiper les risques à terre. sous couvert de notre intelligence sur la nature, la modélisation numérique a semblé prévaloir face à l’expérience et au bon sens.

2. une vigilance très peu opérationnelle sinon paradoxale De ces lacunes dans les prévisions des risques à terre (risque de submersion notamment) a découlé le manque d’anticipation du risque d’inondation. ainsi, dans les bulletins d’alerte, le risque ”inondation” n’est évoqué qu’accessoirement, parmi d’autres risques potentiels, alors qu’il s’est révélé être le principal risque. De la même manière, les conseils de comportement n’ont pas semblé être adaptés au degré exceptionnel de l’événement. Des précautions fondamentales, notamment d’évacuation, n’ont pas été évoquées. au contraire, l’on a pu lire des conseils paradoxaux, comme « restez chez vous », ce qui s’est révélé dramatique dans certains cas.

3. une prévention pourtant élaborée si la prévision et la vigilance s’inscrivent dans l’anticipation à court-terme d’un événement (sinon en temps réel), la prévention illustre une volonté d’anticipation à long terme qui passe par la reconnaissance de certains risques. quels moyens la prévention a-t-elle mis en œuvre pour faciliter la résilience ? De quelle reconnaissance juridique témoignaient ces territoires à risque ? 3.1 une carence en PPRi si la France est dotée d’un corpus doctrinal élaboré et globalement approprié, la mise en œuvre des règles et principes au plan local révèle certaines anomalies. la prévention du risque ”inondation” relève d’un régime juridique large, celui de la prévention des risques naturels en général. ainsi, la mission interministérielle sur la tempête Xynthia a pu dresser le constat de « sérieuses carences sur le plan local de la politique nationale de prévention des risques naturels », avec des « zones où le risque a été nié et n’a pas été pris en compte, ce qui a entraîné non seulement des dégâts aux biens, mais par-dessus tout des pertes de vies humaines »1.

2010). 1

anZiani, 2010, op. Cit.

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sur le plan national, il peut être fait état d’une couverture trop partielle du territoire en ppr inondation (sénat, 2010). ainsi, sur 10 102 ppri, seuls 6 5951 ont été adoptés. S’agissant du risque « submersion marine », les communes littorales sont très marginalement dotées de tels plans : seuls 46 ppr ont été approuvés sur les 864 communes concernées2. aucune des communes des côtes atlantiques frappées par Xynthia n’est dotée de ppri. seules la Faute-sur-Mer et l’aiguillon-sur-Mer sont concernées par un projet de ppri (sénat, 2010), lequel le maire de la Faute a refusé d’approuver en 2001. en revanche, un rapport3 de la préfecture de charente-Maritime indique que depuis 1996, des études relatives aux plans de prévention des risques littoraux (pprl) ont été lancées en charente-Maritime couvrant les îles de ré et d’oléron depuis 2002 et 2004, soulignant que le retour d’expérience Xynthia permettrait de justifier une reprise de ces documents. D’autres secteurs, parmi les plus touchés (Yves, port des barques, Fouras, aix…), font l’objet d’études de pprl depuis 2008, mais aucune application anticipée n’a été mise en place avant Xynthia. sur 90 communes littorales soumises à la submersion marine, seulement 21 font l’objet d’un pprl approuvé. en outre, en l’absence de ppr, aucun pcs (plan communal de sauvegarde) ne peut exister et par conséquent aucun plan d’évacuation ne pouvait être envisagé. comment expliquer ce dysfonctionnement général dans la prévention du risque ? Du fait de la pluralité des phases à respecter (études, consultations, enquêtes préalables, approbation administrative…), l’adoption (et la révision éventuelle) des ppr est longue et complexe et des situations de blocage doivent malheureusement être constatées dans un certain nombre de communes4. il apparaît que ces blocages, fréquents en France, résultent d’une absence de mémoire ou de conscience du risque (sénat, 2010) voire de négation de la vulnérabilité. cependant, quand bien même des pprn auraient été opérationnels avant Xynthia, il est intéressant de s’arrêter sur leur contenu. 3.2 Des PPRn au contenu hétérogène et peu rétroactif le pprn est composé de trois documents : - un rapport de présentation qui expose les études entreprises, les résultats et les justifications des délimitations des zones et réglementations inscrites dans le règlement et celles rendues obligatoires. - Un plan de zonage, issu du croisement des aléas (fréquence et intensité des phénomènes) et des enjeux identifiant des zones inconstructibles, constructibles 1 selon la direction générale de la prévention des risques du ministère de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer. 2 chiffres rapportés par la ministre c. Jouanno lors de son audition par la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia (2010). et ce alors que 800 de ces communes sont classées par la Fédération française des sociétés d’assurance (FFSA) dans des zones dites à risque de submersion marine lors de marées exceptionnelles, à un niveau situé entre 0 et 2 mètres au-dessus du niveau de la mer, et que 235 000 maisons y sont construites (FFsa, 2010) (http://www.ffsa.fr/ffsa/jcms/c_55335/inondations-marines-plus-de-1-400-communes-seraient-menacees?cc=fn_7360). 3 préfecture de charente-Maritime, « trois mois après la tempête Xynthia : bilan de l’action de l’etat, 25/05/10, la rochelle, 22 p. 4 prescrit en 2001 mais pas encore adopté en 2010, le ppr de l’aiguillon-sur-Mer est appliqué depuis juin 2007 par arrêté préfectoral (sénat, 2010).

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sous réserve d’aménagements particuliers ou constructibles ; - un règlement décrivant les contraintes constructives et (ou) d’urbanisme à respecter dans chaque zone. une analyse du contenu des pprn, réalisée en 2003-2004 par le ministère de l’ecologie, de l’energie, du Développement durable et de la Mer, a fait ressortir une hétérogénéité des documents due à la diversité des contextes et la multiplicité des services instructeurs selon les régions. par ailleurs, on peut remarquer que les règlements sont principalement orientés vers les conditions de réalisation des projets nouveaux, ne concernant que très faiblement les biens existants : « Le pprN déterminera par exemple la hauteur du premier plancher d’une habitation nouvelle en zone inondable par rapport au niveau des plus hautes eaux connues […]». Ainsi, les mesures générales de prévention, de protection et de sauvegarde imposées aux collectivités ou aux particuliers sont souvent insuffisantes laissant entrevoir un manque de pédagogie, de lisibilité et d’arguments. 3.3 une minoration de l’aléa : entre modèle numérique et lecture paysagère De la même manière, la prise en compte de l’aléa dans le plan de zonage révèle des insuffisances, voire des incohérences. Dans les PPRI, les niveaux d’aléa sont définis en fonction des hauteurs d’eau qui peuvent être atteints sur le terrain par une crue exceptionnelle. « La jurisprudence administrative considère ainsi que la détermination de l’aléa de référence en matière d’inondation doit nécessairement reposer sur le critère des plus hautes eaux connues ou, à défaut, sur celui de la crue centennale»1. or, au regard de l’ampleur d’une tempête comme Xynthia, cette référence n’a pas semblé suffisamment exigeante. Ainsi, le rapport interministériel de mai 20102 sur la tempête Xynthia indique que les statistiques des cotes extrêmes le long des côtes françaises, prises en compte pour définir le niveau de référence, « minorent l’aléa » ; aléa qui n’aurait pas évolué depuis 1990 (le Figaro, 2010). il souligne par ailleurs que « l’application locale des directives ministérielles a été fort variable, voire incorrecte, et que les aléas pris en compte pour l’élaboration des documents ont été sous-estimés, tant pour définir les zones inondables que pour établir les PPR ». Souvent le résultat de projection numérique, la définition de l’aléa tient peu compte des évènements passés3 et souvent nombreux. ainsi, la commission interministérielle recommande de « fixer les cotes des aléas de référence sur les bases des événements paroxystiques du passé et non plus seulement sur les résultats de modèles mathématiques voire de leur interpolation spatiale et temporelle ». Ce qui nous renvoie à effectuer une lecture du risque par une lecture du paysage et plus globalement à la mémoire du risque. 1 Ministère de l’ecologie et du Développement durable, 2006, actualité de la jurisprudence relative aux ppr, 1er mars 2006, 10 p. 2 rapport interministériel, mai 2010, tempête Xynthia, retour d’expérience, évaluation et proposition d’action, tome 1, 191p. 3 rapport interministériel, op. Cit. le rapport souligne la récurrence d’aléas paroxystiques sur le littoral vendéen dans un passé récent : 1877, 1924, 1937, 1940/1941, 1946, 1972, 1979, 1982, 1999

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3.4 Une cohérence insuffisante entre les documents d’urbanisme l’intégration des ppri dans les documents d’urbanisme est théoriquement prévue par la loi. cependant, en pratique, l’annexion du ppr au document d’urbanisme, plu principalement, n’entraîne pas une nécessaire cohérence entre les deux (Anziani, 2010). il revient donc systématiquement aux services compétents de s’assurer de la compatibilité entre les deux, les dispositions du ppr approuvé prévalent sur le document d’urbanisme en cas de divergence. le rapport ministériel indique que les risques de submersion marine n’ont pas été clairement identifiés dans les documents d’urbanisme (PLU ou POS). À cet égard, on peut souligner que les ppr ne sont pas les seuls documents permettant de tenir compte des risques naturels ; le zonage instauré par les PLU peut, et même doit, lui aussi être utilisé dans une perspective de protection des populations. les documents locaux d’urbanisme auraient ainsi pu limiter l’occupation des sols dans les zones à risque, soit en les déclarant inconstructibles, soit en accompagnant les permis délivrés dans ces secteurs de prescriptions spécifiques.

4. une occupation des sols exposant aux risques d’inondation et de submersion on voit que l’absence de prise en compte du risque de submersion à la fois dans les documents et dans le bon sens commun n’a permis de fixer et d’appliquer des modalités d’occupation des sols compatibles avec le risque et protégeant les populations (carte 5). en outre, indépendamment d’une prise en compte du risque, on notera que les préfectures ont fréquemment toléré le maintien d’habitations édifiées sans permis, alors qu’elles auraient pu en demander la destruction par voie juridictionnelle. ainsi, dans la commune de l’aiguillon-sur-Mer, 150 habitations (soit les ¾ des maisons) situées dans le secteur de la pointe, dévasté par Xynthia, avaient été construites sans autorisation préalable et sur le domaine public maritime de l’etat. la mission commune d’information sur les conséquences de Xynthia a constaté qu’aucun des acteurs n’avait pris la juste mesure du risque de submersion, responsabilisant ainsi une multiplicité d’acteurs dans la délivrance des autorisations d’urbanisme et notamment les services préfectoraux (et plus précisément les anciennes DDe devenues DDtM) ou la commission départementale des sites. or le risque de submersion marine était connu depuis plusieurs années par les services de l’etat et par les élus locaux. un rapport1 de la direction départementale de l’equipement (DDe) de Vendée, rendu public en octobre 2008, appelait à « raviver la mémoire du risque dans les consciences collectives » sur les zones de marais asséchés gagnées sur la mer : « La conjonction de deux phénomènes, de crue dans l’estuaire du Lay […] et de submersion marine, pourrait avoir un impact très important sur les zones densifiées à l’arrière d’un réseau de digues vieillissant. »

1 raison s., 2008, le classement des digues littorales au titre de la sécurité civile : un exemple de mise en œuvre en Vendée, Xèmes journées nationales génie côtiers – génie civil, 14-16 octobre 2008, sophia antipolis, 9p.

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carte 5 : Zones inondables et bâties des communes de l’aiguillon-sur-mer et de la Fautesur-mer. source : www.lafautesurmer.net

l’auteur du rapport estimait que plus de 3 000 maisons auraient été construites dans les années 1980 derrière une digue en terre créée après de précédentes tempêtes en 1926 et 1929 : « elle a été entretenue dans le temps par apport de matériaux divers, sans contrôle de leur qualité ni de leur provenance. Cet ouvrage n’a jamais fait l’objet d’un diagnostic approfondi de la part du maître d’ouvrage. La rupture des digues sur ce secteur engendrerait des dégâts majeurs aux biens et aux personnes en regard de la carte des aléas. » L’association locale « Les Echos Fautais », pointait également du doigt et depuis de longues années le risque de rupture de la digue notamment au droit du camping. la non prise en compte de ces remarques renforce les incompréhensibles aréactivités administratives interrogeant par ailleurs la passivité des personnes les plus exposées au risque et plonge l’ensemble des acteurs du territoire dans une « nébuleuse d’irresponsabilité collective1 ». a la Faute-sur-Mer, le refus de signature du ppri en 2001 par son maire s’est ensuivi de centaines de constructions en zone inondable. Une décentralisation des pouvoirs du maire associée à des intérêts personnels au sein du conseil municipal2 ont pu conduire à cette urbanisation galopante et déraisonnée.

1 expression employée par t. Demaegt, président de l’association de sinistrés de charron, lors de son entretien avec la mission intermisnistérielle le 14/04/10 2 le maire de la Faute-sur-mer dirige une entreprise de transport de matériaux de remblaiement, le maire-adjoint à l’urbanisme est responsable d’une entreprise de construction immobilière (promoteur) tandis que le fils de la secrétaire de mairie est agent immobilier.

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pourtant, ce ne sont pas les outils juridiques qui font défaut. pour permettre à l’état de contrôler les actions des communes compétentes en matière d’urbanisme (c’est-à-dire qui délivrent elles-mêmes les autorisations individuelles d’urbanisme) et de faire obstacle à la délivrance d’autorisations d’urbanisme illégales ou portant atteinte à la sécurité et à la salubrité publiques, le code de l’urbanisme dote le préfet de nombreux pouvoirs. le représentant de l’état peut notamment : - utiliser l’article r. 111-2 du code, aux termes duquel « le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte […] à la sécurité publique ». Cette disposition permet notamment au préfet de marquer son opposition à la délivrance d’un permis de construire qui ne tiendrait qu’insuffisamment compte des risques naturels ; - déférer l’autorisation litigieuse au juge administratif. l’exercice du déféré préfectoral en matière d’urbanisme est d’ailleurs facilité par la transmission obligatoire des actes d’urbanisme à la préfecture (article l. 424-7 du code) ; - assortir ce déféré d’un référé-suspension. Cet outil est particulièrement efficace: en matière d’urbanisme, la demande de référé-suspension sur déféré entraîne la suspension immédiate de l’acte litigieux si elle a été formée dans un délai de dix jours à compter de la réception dudit acte par la préfecture. le préfet peut donc aisément faire échec à l’exécution du permis de construire en cas de doute sérieux sur la légalité de celui-ci. ce manquement répété traduit une véritable défaillance administrative. Enfin, il est intéressant de se pencher sur la question de la défense littorale et de son statut. comment expliquer la défaillance du système de protection ?

5. Gestion des ouvrages de protection : un problème de gouvernance en application de l’article 33 de la loi du 16 septembre 1807 relative au dessèchement des marais, la responsabilité de la protection contre les inondations relève des propriétaires riverains. la responsabilité du maintien et du contrôle de la bonne sécurité des digues relève du propriétaire de la digue. il revient donc à chaque riverain de se protéger contre les inondations, sans pour autant reporter sur autrui toute aggravation de la situation. la loi de 1807 qui a établi ce principe est toujours d’actualité et ni l’etat, ni aucune collectivité territoriale n’a l’obligation de protéger les riverains qui viendraient à s’exposer aux inondations (cepri, centre européen de prévention du risque d’inondation). cependant, l’etat a en charge le contrôle de la bonne exécution par le propriétaire de ses obligations en matière de gestion et d’entretien des digues (visites techniques, rapports de surveillance). ces obligations se sont progressivement renforcées, imposant la conduite d’audits (aux frais du propriétaire), afin d’établir les risques que les digues font courir aux populations ou aux installations publiques et industrielles. cependant, en 102


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réalité, plusieurs problèmes se posent : - la complexité structurelle de la propriété des digues, avec une multiplicité d’acteurs (propriétaires privés, collectivités territoriales, associations, etat) ; - l’absence de moyens financiers, voire de volonté, de la part des propriétaires pour l’entretien des digues dont les enjeux dépassent la protection de leurs biens ; - l’etat et les collectivités territoriales sont amenés à se substituer aux propriétaires, mais sans mettre en œuvre des moyens financiers suffisamment conséquents. l’ensemble de ces réalités pointe un problème de gouvernance relatif à la multiplicité des intervenants et à un manque de vision d’ensemble des ouvrages de protection contre la mer.

6. le bon sens individuel en réponse à l’oubli du risque Xynthia rappelle les lourds enjeux qui s’attachent à la fois à la fixation au bon niveau de l’aléa de référence et à l’insertion dans des ppr de règles, souvent de bon sens qui, si elles avaient été correctement appliquées, auraient fortement limité les dommages aux personnes et aux biens. Parmi les règles de bon sens, il faut citer celle qui figure parmi les dispositions de la loi du 28 mai 1858 relative à l’exécution des travaux destinés à mettre les villes à l’abri des inondations et qui précise que « dans les vallées protégées par des digues, sont considérées comme submersibles les surfaces qui seraient atteintes par les eaux si les levées venaient à être rompues ou supprimées ». Cette disposition de la loi (abrogée) du 28 mai 1858 n’a pas été reprise dans la loi du 13 juillet 1982 instituant les plans d’exposition aux risques (per), ni dans celle du 2 février 1995 leur substituant les ppr, ni dans les suivantes. elle est cependant prise en compte dans l’élaboration de certains ppr, ce qui les fragilise juridiquement. en effet, les digues et plus généralement les ouvrages hydrauliques de protection contre les inondations doivent être considérés non seulement comme des dispositifs de réduction de la vulnérabilité, mais aussi comme un facteur de risque qui s’ajoute aux risques d’inondation en cas de rupture des ouvrages en période de crise. la culture du risque pose la question de l’individualisme. on a vu plus haut comment le risque avait pu glisser dans l’oubli par la transgression des précautions prises par les générations précédentes, qui partageaient l’expérience acquise par la lecture du paysage. aujourd’hui, les batteries d’outils administratifs, juridiques, préventifs… donnent l’impression que l’etat ou la collectivité veillent et sur lesquels chacun peut se reposer. posture historique par laquelle l’etat s’occupe du citoyen et où le citoyen n’a pas besoin de s’occuper de lui-même. cependant, du seul point de vue de l’information à la population, il s’agit d’une profonde lacune. on peut d’ailleurs noter qu’avant Xynthia, la France était le seul pays européen à ne pas proposer un site internet public1 qui décrive la vision de 1 après la succession de Xynthia et des inondations du Var notamment, survenues début 2010, le gouvernement français a souhaité améliorer la sensibilisation de la population à la prévention des risques et développer la culture individuelle du risque en inaugurant le 06 juillet 2010 un nouveau portail interministériel de prévention des risques majeurs vi-

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l’etat sur les risques, les dangers majeurs et les comportements à tenir. cette lacune a profondément handicapé la compréhension, la prévention et l’implication de la population. or, une crise comme Xynthia montre comment on passe du risque pris collectivement à la catastrophe individuelle. l’individu doit donc être replacé au cœur de la gestion du risque et surtout doit pouvoir s’en faire une représentation, source du bon sens. Face aux catastrophes naturelles et aux aléas climatiques, il existe aux etats-unis le concept des « seventy-two hours », c’est-à-dire « soyez autonomes pendant 72 heures ». ce concept préventif permet une implication individuelle et responsable face au risque. en angleterre, il existe deux systèmes : un site internet national, traduit en 17 langues, pour tous les risques, et au plan régional, des forums de résilience, réunissant les secteurs privé et public et les grandes associations. Dans ces forums, il n’est pas seulement question de la préparation au risque, de l’alerte et de l’information, mais aussi du niveau postérieur, la post crise. ce cycle complet permet une compréhension globale des phénomènes du risque, de gestion de crise et de résilience nécessaire, sans ralentir le redémarrage économique. or, en France, celui-ci se fait plus ou moins dans le chaos, aucun plan orsec post crise n’existant. cependant, la post crise Xynthia donna immédiatement lieu à des mesures relativement nouvelles en France qui tentent de réinterroger les stratégies d’aménagement du territoire et rompent avec la traditionnelle volonté de reconstruire à l’identique un territoire auquel on s’efforce d’effacer les traces d’un traumatisme.

iii. les mesures et les stratégies post tempête L’après tempête a confirmé l’ampleur de la catastrophe et plus exactement de la “catastrophe nationale”. Mais il s’agit également d’une catastrophe survenue dans un pays qui a constitutionnalisé le principe de précaution. ainsi, en France, une catastrophe ne pourra plus désormais être qualifiée de ”naturelle”, même si l’expression existe encore dans le vocable administratif. Si une catastrophe survient c’est, par définition, que tout n’aurait pas été mis en œuvre pour la prévenir ; et donc que le principe de précaution n’aurait pas été mis en œuvre tel qu’il aurait dû l’être. ainsi, au nom du principe de précaution (ou peut-être, pour certains, du bon sens), des mesures évoquées quelques mois plus tôt lors du Grenelle de la mer ont été proposées, s’inscrivant dans la continuité de la « stratégie nationale pour la gestion du trait de côte, le recul stratégique et la défense contre la mer ». Dès juillet 2010, la proposition d’un plan de prévention des submersions Marines et des crues rapides, initialement appelé ”plan digues” a été présentée par le MeeDeM.

sant directement le grand public et recensant les risques potentiels auxquels la population est exposée : www.risques.gouv. fr

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il s’agit d’un plan1 à long terme (15-20 ans) dont l’architecture s’articule autour de 6 axes, parmi lesquels sont développés la réduction de la vulnérabilité dans les zones menacées (maîtrise de l’urbanisation, projets d’aménagement intégrant les risques, travail sur le bâti existant) et le renforcement des digues et systèmes de protection. pour autant, la question du recul stratégique n’est pas clairement énoncée. or, des dispositions dans ce sens ont été entreprises dès les premiers constats de la catastrophe : Les zones urbanisées situées trop près des côtes ont été pointées du doigt. Ainsi, Bernard Gérard, directeur adjoint du conservatoire du littoral conseille qu’ « il faut accepter et gérer le repli stratégique face à la mer »2.

1. un zonage en faveur d’une organisation du repli 1.1 une cartographie des zones à risque un mois et demi après le passage de la tempête, les autorités dévoilent la cartographie des zones à risques concernées par la destruction de logements. Sur les 17 communes concernées, environ 1 500 habitations ont été déclarées inhabitables dans des zones exposées à un danger mortel, c’est à dire un risque naturel tel qu’il n’est pas possible d’y mettre en place une protection efficace de la population. Plusieurs zones ont été identifiées : - les ”zones noires”, dites aussi « zones d’acquisition amiable » ou « zones de solidarité » dans lesquelles le « risque de mort » est avéré. Elles doivent être totalement rasées et les habitants relogés, - les ”zones jaunes”, qui présentent un risque pouvant être « maîtrisé par des prescriptions complémentaires ». Elles doivent faire l’objet d’un programme de protection sur la base de systèmes d’alerte et d’évacuation, de prescriptions techniques sur les bâtiments ou de protections collectives, - les ”zones oranges” qui ont nécessité une expertise complémentaire avant d’être classées noires ou jaunes. 1.2 les zones d’acquisition amiable pour ces secteurs, l’etat a ouvert un droit pour les propriétaires qui souhaitent vendre leur maison selon une procédure d’acquisition amiable. Ainsi, de telles zones visent à garantir une indemnisation rapide, dans des conditions favorables (selon la valeur vénale des biens antérieure à la catastrophe3 et sans tenir compte de la vétusté), aux propriétaires qui veulent quitter rapidement les lieux. après la phase d’acquisition amiable, en cas de refus par le sinistré de la proposition d’indemnisation (via le fond barnier), l’etat devrait 1 ce plan est coordonné avec le nouveau processus de labellisation des plans d’actions de prévention des inondations (papi), qui comprend désormais un volet « programme de prévention des risques de submersion marine et d’érosion littorale » ainsi qu’un volet « prévention des risques ruissellement et crues soudaines ». 2 interview de b. Gérard par Joël cossardeaux, in les echos, 02/03/10 3 le quatrième alinéa de l’article l. 561-1 du code de l’environnement précise, en effet, que « pour la détermination du montant des indemnités qui doit permettre le remplacement des biens expropriés, il n’est pas tenu compte de l’existence du risque ».

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procéder à des expropriations ou poursuivre les acquisitions amiables après le passage à la phase d’expropriation, au moins jusqu’à la déclaration d’utilité publique (DUP) (Anziani, 2010). la procédure d’acquisition s’est mise en place avec une rapidité relative, si l’on considère les 6 mois d’attente avant que les premières indemnisations soient effectives. En d’autres termes, on ne peut que constater la difficile mise en place de la résilience ; en revanche, cela démontre une réactivité ”efficace” de l’Etat dès lors que la maison brûle. Or, à la connaissance des pouvoirs publics, nombre de cas sont en sursis depuis des dizaines d’années, dont (entre autres) les bas-champs picards.

2. un plan de renforcement des digues et des systèmes de protection le plan de renforcement des digues et des systèmes de protection a permis de dresser un bilan des travaux de consolidation des côtes françaises. ce plan de modernisation des digues et des systèmes de protection vise en priorité à renforcer les digues et autres systèmes de protection importants pour la sécurité des populations. il entend reposer sur l’identification d’une liste de zones inondables à risque important déclarées prioritaires en préfiguration de la liste future des territoires à risques importants d’inondations (TRI). Seront aussi bien concernées les zones de submersions marines que les zones d’inondations fluviales. Concernant les digues et les systèmes de protection, 3 types d’opérations sont distingués : la réparation des ouvrages suite à la tempête Xynthia (localisation limitée), la mise en sécurité des ouvrages fluviaux et maritimes existants et l’augmentation des niveaux de protection. par ces mesures, la tempête Xynthia et ses conséquences ont relancé le débat de la protection et de la fixité littorale par des ouvrages en se référant au savoir-faire néerlandais. cependant, en supposant que la comparaison soit pertinente en dépit de l’échelle des territoires et des enjeux, cette comparaison est, depuis quelques années déjà, devenue obsolète. en effet, si les néerlandais présentent une nette avance sur les techniques de protection littorale, celle-ci n’est pas tant dans les stratégies fixistes mais bien dans la compréhension et l’intégration de la mobilité littorale au service de la réduction des vulnérabilités. ainsi, le recul stratégique est devenu pour les pays-bas une réalité qu’il convient de mentionner lorsqu’il est fait référence au savoir-faire néerlandais.

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s

i la tempête Xynthia fut la résultante d’une conjonction exceptionnelle de phénomènes naturels (vents, marée, pression atmosphérique), elle n’a pas été décrite comme

une tempête explosive malgré les conséquences désastreuses qu’elle a engendrées et la vulnérabilité des enjeux littoraux qu’elle a éclairée. en effet, à la lumière des mutations urbaines et paysagères récentes, on a pu démontrer comment ces secteurs littoraux sont, en quelques années, passés d’espaces de productions agricoles et maraîchères, à la vulnérabilité relative, à des espaces résidentiels à la vulnérabilité beaucoup plus profonde notamment par une instrumentalisation du paysage. le risque a ainsi glissé dans

l’oubli par la transgression des précautions prises par les générations précédentes, qui partageaient une expérience acquise par la lecture des paysages ; paysages anciens que Xynthia a fait ré-émerger sur certains secteurs par un retour à une géographie littorale antérieure. cette brève analyse de la tempête Xynthia souligne, sans prétention d’exhaustivité, qu’il existe en France un arsenal d’outils et de moyens pour conduire à une résilience satisfaisante mais qui suppose au préalable une certaine culture du risque. or, Xynthia a démontré qu’à tous les niveaux de la gestion du risque (prévision, vigilance, prévention, occupation des sols, gestion des ouvrages) les défaillances étaient présentes, révélant l’absence, ou la disparition, de cette culture. pourtant, le risque était évoqué (sans pour autant être pris en compte) laissant plutôt supposer une fausse culture du risque entraînant une résilience défaillante. certaines mesures évoquées quelques mois plus tôt dans le cadre du Grenelle de la mer, et notamment celle du repli stratégique, ont été mises en œuvre post-crise au nom du principe de précaution ou du seul bon sens.

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c. D’une résilience défaillante à une résilience limitée : les pistes d’une résilience proactive

l

a déconstruction des zones « noires » se veut être l’illustration du repli stratégique préconisé dans la stratégie nationale de gestion du trait de côte. cependant dans le

cadre de l’expérience Xynthia, peut-on parler d’un repli « stratégique », réducteur de

vulnérabilté, susceptible d’augmenter la résilience lors d’un autre événement du même type ? aussi, la carence de prise en compte du paysage relevée préalablement dans le livre bleu du Grenelle de la mer transparaît-elle dans la mise en oeuvre de cette stratégie ?

i. la désorganisation du repli ou les résultantes paysagères d’un territoire décousu Même si une certaine cohérence justifie le zonage établi par les services de l’Etat, certaines lacunes ont conduit à des choix peu pertinents amputant les potentialités de construire un autre littoral.

1. unilatéralité du regard technique : une vulnérabilité contre une autre 1.1 une mise en délaissé initiée par le risque Afin d’être classées “noires“, les zones devaient répondre à deux critères, au moins, parmi les suivants1 : « - la hauteur d’eau constatée sur le terrain lors de la tempête devait être supérieure à un mètre ; - la zone devait se situer à moins de 110 mètres d’une digue, et donc être exposée à des effets de vague violents en cas de rupture ou de submersion de la digue ; - les phénomènes hydrauliques caractérisant la vague devaient induire une forte vitesse de montée des eaux ; - les habitations situées dans la zone devaient être très endommagées, si bien qu’elles ne pourraient que difficilement être reconstruites avec un refuge ; - la zone devait former un ensemble cohérent et homogène : il s’agissait de garantir que la délimitation des « zones noires » ne crée pas de mitage urbain, 1 La décision de sanctuariser les zones exposées à un « danger mortel » a été formalisée par une circulaire du 18 mars 2010, qui demandait aux préfets de Vendée et de charente-Maritime de procéder, en lien étroit avec les cabinets ministériels compétents et avec l’aide d’experts nationaux à la délimitation de « zones d’extrêmes dangers ». Ces experts appartiennent au département « environnement, littoral et cours d’eau » du Centre d’études techniques maritimes et fluviales (ceteMF), au service « risques naturels et ouvrages hydrauliques » de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) de Midi-Pyrénées, et au service « hydrométrie, prévision des étiages et des crues » de la Dreal du centre.

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puisque le maintien de propriétés éparses augmenterait leur vulnérabilité et rendrait leur évacuation plus hasardeuse en cas de sinistre. »1 ces critères reposent sur la double lecture de l’aléa et du sinistre. pour les 3 premiers critères, l’aléa est retenu comme arbitrage. la prise en compte de l’évènement renvoie à considérer le territoire submergé lors de la tempête Xynthia comme état de référence. seulement, il peut paraître regrettable de ne pas avoir considéré la possibilité d’un aléa supérieur correspondant à une hausse du niveau de la mer relative au changement climatique. Ainsi des zones submergées n’ont pas fait l’objet d’un zonage noir alors qu’une prochaine tempête pourra les inonder de plus d’un mètre. pour les 2 autres critères, c’est l’aspect sécuritaire qui prévaut.

carte 6 : Zone d’acquisition amiable (ou zone noire) de la commune de la Faute-sur-mer, quartier d’arçay. source : préfecture de Vendée, 2010

toutefois, la cartographie établie (carte 6) ignore la géomorphologie, notamment dans la zone noire de la commune de La Faute-sur-Mer où la délimitation s’affranchit des caractères originaux de la Pointe d’Arçay, flèche littorale à crochets multiples (Verger, 2010a). en effet, des maisons construites sur des crochets dunaires (dont la topographie les a largement mises hors d’atteinte de la submersion) sont incluses dans la zone où toutes les maisons doivent être détruites (figure 11). A l’inverse, des habitations situées dans les

1 selon ouest-France du 13/04/10, à ces critères s’ajoute, en Vendée, la prise en compte de l’histoire, avec la cartographie de trois inondations provoquées par des tempêtes en 1877, 1940 et 1941. la crue du lay, rivière qui sépare la Faute-sur-Mer et l’aiguillon-sur-Mer a également été jugée comme risque supplémentaire, tout comme l’usure des dunes qui protègent la Faute-sur-Mer. Le niveau de marée exceptionnelle entrait également en compte dans le tracé des zones.

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CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

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Figure 11 : Zonage de la zone d’acquisition amiable de la Faute-sur-mer. D’après photographie © MaXppp. source http://www.lafautesurmer.net/

dépressions inter-dunaires, à l’ouest de la rue de la pointe d’arçay ont été exclues de la zone noire alors qu’elles paraissent plus vulnérables que les précédentes. cet arbitrage a généré des incompréhensions tout en se révélant injuste aux yeux de certains sinistrés. la cartographie semble également ignorer le paysage même si certains critères s’en rapprochent indirectement. la question du mitage urbain n’est ainsi évoquée que dans l’intérêt sécuritaire. Or, en terme de paysage, ces zonages ont un impact fort. Ils participent à créer ou à renforcer par endroits des discontinuités paysagères isolant par exemple des campings (non concernés par le zonage) d’entités urbaines. Ces zonages induisent le passage d’un paysage construit à un paysage déconstruit, sans transition aucune. l’exemple de la Faute-sur-Mer illustre ce contraste. Si le zonage s’est concentré sur le secteur ”noir”, il semble avoir ignoré ce qui subsiste à l’instar du quartier situé dans les dunes. quel sens donner à ce quartier amputé et finalement constitué de maisons éparses ? Ainsi, d’un point de vue du paysage, il semble que la question du mitage interquartier reste un point à traiter. par ailleurs, la réduction de la vulnérabilité par la déconstruction va brutalement laisser place à une autre vulnérabilité, la vulnérabilité paysagère, produite par la constitution de deux délaissés, un délaissé construit et un délaissé déconstruit, les restes d’une division qui ne tombe pas juste, les chutes du découpage ”mathématique” de l’espace. ainsi, au nom des quelques critères retenus pour classer ces zones, ces espaces deviennent, au nom du paysage, inclassables. ainsi l’on voit comment le risque et sa gestion deviennent responsables de la mise en délaissé (Morisseau, 2009), engendré par une mise en faillite de l’espace (Bouchain, 2009) au nom d’un impératif rationnel d’efficacité et de sécurité. 110


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cependant, de ce point de vue, les délaissés les plus vulnérables ne sont peut-être pas ceux des zones noires (photos ci-dessous), comme nous pourrions le penser au premier abord.

Planche photographique 3 : lotissement des Voiliers de la Faute-sur-mer après déconstruction du bâti. photos Morisseau, 2011

ceux-là deviennent une réponse, sans doute transitoire, à la mutation nécessaire des zones littorales contemporaines tout en redonnant une portée significative à la notion de risque. Pourtant, Il s’agira de clarifier le statut définitif des « zones d’acquisition amiable » (noires), de ces espaces désaménagés devenus publics, dont il est crucial d’affirmer qu’ils n’ont pas vocation à devenir des déserts laissés à l’abandon. Dans ce cadre, il conviendra de déterminer comment (et par quels acteurs) une stratégie de reconversion à long terme de ces zones pourrait être définie et mise en œuvre (Anziani, 2010). les plus vulnérables resteront les délaissés bâtis, pour lesquels aucune adaptation n’est envisagée (sauf peut-être jusqu’à un nouvel événement exceptionnel) et sur lesquels continue de planer un sursis. 1.2 un triple traumatisme Par ce zonage, de nombreux sinistrés ont eu le sentiment d’être condamnés à une « double peine » après le passage de la tempête (Anziani, 2010) marquant une difficile mise en place de la résilience. pourtant, le livre blanc relatif à la défense nationale met en avant le concept de résilience (Mallet, 2008). La résilience y est définie comme « la volonté et la capacité d’un pays, de la société et des pouvoirs publics à résister aux conséquences

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CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

d’événements graves, puis à rétablir rapidement leur fonctionnement normal, […] dans des conditions socialement acceptables ». Le constat du double traumatisme (marqué par la constitution d’associations locales) peine à prononcer une mise en place de cette résilience. a cette double peine, il convient d’ajouter la déconstruction et l’apparition brutale des délaissés. ces espaces, le temps de leur reconversion, s’illustreront comme un rappel lancinant de la catastrophe, un vide qui ne s’oubliera pas, constituant un troisième traumatisme pour les sinistrés des quartiers conservés. On voit combien cette résilience est loin d’être immédiate et efficace. Génératrice de nouvelles vulnérabilités (psychologique, paysagère, urbaine), c’est une résilience vulnérabiliaire par laquelle les stigmates de la catastrophe resteront gravés un temps indéfini et exprimés par le paysage.

2. l’absence d’un projet de territoire et de paysages : la réduction des possibles 2.1 une évaluation inexistante du paysage Si la prise en compte du paysage lors du zonage s’avère largement insuffisante voire insignifiante, c’est qu’aucune évaluation du paysage pendant la crise n’a été effectuée, traduisant l’absence profonde de politique paysagère1. on entendra par “évaluation“ la dimension qualitative et partagée du paysage mais également le sens géographique accordé au paysage. ainsi, au lendemain du sinistre, on a pu constater, les transformations, parfois profondes, du paysage. Une analyse et une évaluation de ces « nouveaux » paysages aurait constitué une base pertinente à la préparation de l’après-crise ainsi qu’à l’élaboration du zonage. Il apparaît comme dommageable, voire préjudiciable, qu’une réflexion portée sur les paysages de la crise n’ait pas été menée en accompagnement du zonage, entre géographie physique et analyse sensible. en outre, on a pu lire ou même constater quel pouvoir avait eu la submersion (même temporaire) sur les paysages littoraux : « des chemins où je me promenais souvent, il y avait des champs et maintenant il se trouve entre deux mers et un peu plus loin, on ne passe plus ; un paysage hallucinant ; impressionnant »2. il s’agit le plus souvent du changement d’échelle soudain engendré par la métamorphose de la terre en eau et pour lequel le traumatisme est remplacé par l’émerveillement, sinon une illustration réelle des paysages devenus légende des anciens : « autrefois le rocher de la dive était une île et aujourd’hui, la mer a repris ses terres »3. seules l’inondation ou la submersion imposent ou proposent un tel renouvellement du paysage. aucun autre

1 « L’évaluation du paysage se caractérise comme le premier acte des politiques paysagères » (Davodeau, 2009 ; labat, 2008). 2 blog de D. sachot, http://doque.over-blog.com/article-la-tempete-xynthia-45921262-comments.html 3 blog de D. sachot, op. Cit.

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événement « naturel » n’apporte plus de valeur ajoutée au paysage. Cette situation nous renvoie à la description des paysages inondés des bas-champs picards en 1990 (Morisseau, 2006) ou à la dépoldérisation accidentelle et rendue définitive du polder de Mortagne sur Gironde que nous évoquerons dans le chapitre suivant. or, paradoxalement à cet engouement suscité, l’on a procédé à l’effacement de ces grandes surfaces inondées. Majoritairement agricoles, on peut comprendre qu’à l’avènement brutal d’un paysage nouveau et incertain on ait préféré recouvrer l’usage et la valeur économique pour lesquels la résilience devait s’effectuer. ainsi les travaux de première urgence ont été réalisés sur des digues marines (photo 2) dès le mois de mars pour combler les brèches, réparer les ruines ponctuelles, reconstituer des parapets, reprendre des cordons dunaires, etc.

Photo 2 : Digue de l’Île de Ré restaurée... à la hâte après le passage de la tempête xynthia. photo Morisseau, 2011

cependant, cette « résilience réactive » (Dovers et Handmer, 1992) résonne davantage comme une remise en état1, un retour à la situation d’avant-crise jugée comme l’état d’équilibre. Mais le profil de ces paysages inondés n’exprime-il pas un état de stabilité face au risque ? le gommage de ces paysages temporaires n’est-il pas lui-même temporaire ? l’effacement de ces paysages ne réduit-il pas la possibilité de considérer l’espace littoral autrement ? Aussi, afin d’intégrer le risque dans une vision dynamique des paysages (mutation progressive ou brutale, définitive ou temporaire), leur zonage pourrait s’intégrer à une mise à jour des atlas de paysages.

2.2 un défaut de projet global Le zonage proposé a préconisé la conservation des zones pour lesquelles seront prescrites des spécificités d’adaptation (zones situées le plus souvent en bordure littorale) et la déconstruction des zones répondant à deux critères relatifs à l’aléa et/ou à l’aspect sécuritaire tout en les classant définitivement inconstructibles. Ces zones ont, d’une 1 lors de son audition du 09/06/10 par la mission d’information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia, r. léost, pilote du réseau juridique de France nature environnement, indique que des reconstructions dans des zones frappées par la tempête étaient entreprises en Vendée en Juin 2010.

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CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

manière générale, connu la submersion. Mais, au-delà des simples critères retenus, on ne s’est pas interrogé sur la pertinence qu’avaient ces secteurs à accueillir de l’urbanisation. est-il, par exemple, d’un point de vue géographique (au sens large englobant une expertise urbaine et paysagère) pertinent de conserver une partie du quartier amputé par le zonage de la Faute-sur-Mer ? Et inversement : est-il pertinent de classer inconstructible la zone noire ? La vulnérabilité de ces zones se justifiait par leur caractéristique architecturale alors qu’une autre typologie de bâti, adaptée à une hausse soudaine de l’eau (pilotis, flottant), les aurait rendu potentiellement moins vulnérables. aussi, la reconstruction des digues en lieu et place existants, alors que “plus beaucoup d’enjeux“ ne le justifient, ne traduit-elle pas cette incohérence témoignant d’une stratégie de repli plus qu’incomplète ? si l’on conjugue l’effacement des paysages de la crise, le zonage stricte et définitif et la reconstruction des digues, on aboutit à une réduction forte des possibilités d’aménagement et de paysages. cette prise en compte des légitimités et potentialités spatiales et paysagères (paysageoutil) aurait permis de réinscrire le diagnostic établi par les services de l’etat dans une réflexion plus large (paysage-projet). Mais cette carence dans la réflexion démontre surtout une mise en œuvre incomplète des stratégies post-crise et plus exactement de stratégies incomplètes et inadaptées. la déconstruction des habitations illustre concrètement l’idée du repli, du recul. Mais s’agit-il d’un repli « stratégique » alors qu’a sonné la capitulation ? En d’autres termes, au-delà de l’analogie militaire, cette préconisation « réactive » de repli peut-elle être qualifiée de « stratégique » ? La stratégie s’apparente à «l’art de coordonner des actions pour atteindre un but» (larousse) qui serait ici celui de réduire la vulnérabilité (voire de la supprimer). cependant, le concept de recul peut à lui seul conduire à la réduction de la vulnérabilité relative au risque d’inondation mais ne favoriserait qu’une résilience limitée (laissant apparaître d’autres vulnérabilités). une mise en œuvre complète de la stratégie de repli impliquerait de définir l’après recul afin d’améliorer la contre-attaque. Cette stratégie implique de définir un projet et nécessite donc de l’anticipation. or, on a montré qu’au moment de la définition des zones de repli aucun projet de reconversion n’était entrevu. cette absence de projet sur des espaces présentant de nouvelles vulnérabilités conduit ainsi à limiter la résilience globale du territoire. ainsi, le repli dit « stratégique » serait davantage une démarche qui impose une attitude proactive et qui constitue des pistes vers une résilience augmentée des territoires. avant de nous intéresser plus particulièrement au recul stratégique dans le chapitre suivant, nous nous proposons d’identifier en quoi Xynthia a permis d’entrevoir une révision des règles d’aménagement des zones à risques. En effet, quelques mois après le Grenelle de la mer, Xynthia fut l’opportunité de rouvrir le débat national sur la problématique des zones inondables, de reconnaître que le risque de submersion marine était jusque là très largement ignoré (tant dans les dispositifs législatifs et réglementaires que dans les mesures 114


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mises en place au niveau local pour la protection des populations) et de faire émerger de nouvelles propositions relatives à l’aménagement de l’espace littoral.

ii. xynthia : l’opportunité d’une nouvelle approche de l’aménagement littoral et d’une révision globale des paysages du risque d’inondation la mission commune d’information sur les conséquences de la tempête Xynthia a formulé un certain nombre de propositions afin de promouvoir une approche globale du risque de submersion marine qui permette d’intégrer les différents volets de sa gestion (prévision, prévention et protection) et de développer une véritable culture du risque. parmi les propositions de la mission commune d’information, nous nous focaliserons sur celles prônant une conciliation de la gestion du risque et de l’aménagement de l’espace littoral, ces deux exigences ne pouvant être dissociées (Anziani, 2010).

1. un schéma d’aménagement des zones littorales à risque : la stratégie du repli stratégique une des premières propositions en matière d’aménagement de l’espace littoral est celle de la création d’un schéma d’aménagement des zones littorales à risque intégrant la problématique de protection des populations et la mise en place d’un développement économique adapté aux risques naturels afin de préparer la reconversion des zones inadaptées à la présence humaine et d’éviter, par conséquent qu’elles ne soient laissées à l’abandon. ainsi, les secteurs exposés à un risque de submersion marine ne doivent pas être abandonnés, mais reconvertis : « La conscience du risque ne doit pas être synonyme de désertification : elle doit au contraire pousser à une réorganisation de l’espace respectueuse à la fois des risques naturels, de l’environnement et des besoins des populations locales. »1 Ce schéma d’aménagement des zones littorales à risque entend également promouvoir l’instauration d’un équilibre global entre les zones qui doivent être rendues à la nature, celles qui peuvent accueillir des activités économiques et celles, enfin, qui sont destinées à une occupation humaine. impliquant à la fois les seules « zones d’extrême danger » et toutes les zones incluses dans le bassin de vie concerné, il doit convoquer à la mise en place d’une réflexion urbanistique globale. Dans ce document, quatre zones littorales à risque seraient alors distinguées : - les zones qui doivent être laissées ou rendues à leur état naturel ; - les zones qui, bien que dangereuses, peuvent recevoir des activités économiques, touristiques ou culturelles diurnes ; 1 anZiani, a., rapport d’information au nom de la mission commune d’information (1) sur les conséquences de la tempête Xynthia (rapport d’étape), sénat, session ordinaire de 2009-2010, n°554, enregistré à la présidence du sénat le 10 juin 2010

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CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

- les zones dans lesquelles l’occupation humaine est acceptée mais de manière limitée et sous condition ; - les zones soumises à un risque limité et où l’occupation humaine est autorisée sans restrictions particulières. Par cette planification, ce schéma d’aménagement laisse entrevoir les déclinaisons du recul anticipé par l’intégration holistique des dynamiques des territoires littoraux et la prise en compte d’enjeux paysagers. une autre proposition en faveur du repli stratégique a été formulée.

2. un droit de délaissement sur le modèle du droit de délaissement prévu dans le cadre des ppr technologiques1, la mission d’information suggéré de créer un droit de délaissement pour les zones exposées à un risque naturel majeur. ce droit vise à « renverser la logique des zones noires »2 offrant aux particuliers la possibilité de faire appel, individuellement et volontairement, à l’etat pour obtenir le rachat de leur bien. ce droit constituerait pour les citoyens une occasion de démontrer eux-mêmes, et plus seulement l’etat, l’existence d’un risque insupportable.

3. Une modification de la loi « Littoral » Aujourd’hui, les dispositions de la loi du 3 janvier 1986, dite « Littoral », permettent de limiter l’urbanisation des zones littorales en conciliant l’impératif de préservation de l’environnement et l’objectif de développement économique, « à l’exclusion de toute considération relative à la protection des populations »3. il a donc été proposé de modifier la loi « Littoral » pour créer un continuum entre la préservation de l’environnement, la protection des vies humaines et l’aménagement du territoire. plus précisément, cette proposition vise à mettre au service de la prévention des risques naturels les dispositifs de limitation de l’urbanisation mis en place par la loi « Littoral ». Par exemples, « les espaces naturels présentant le caractère d’une coupure d’urbanisation »4 pourraient être caractérisés selon leur rôle de tampon face au risque d’inondation, les capacités d’accueil des espaces urbanisés ou à urbaniser pourraient être définies en tenant compte entre autres5 des risques naturels, ou encore, l’extension de la bande de cent mètres pourrait être pertinente face aux risques de submersion marine.ces propositions innovantes auraient d’autant plus de portée que la loi « Littoral » est directement opposable aux documents et autorisations d’urbanisme… et à condition qu’elle soit ajustée à chaque cas.

1 article l. 515-16 du code de l’environnement. 2 anZiani, a., op. Cit. 3 anZiani, a., Ibid. 4 Extrait de la loi « Littoral » codifiée aux articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme. 5 préservation des espaces naturels et fragiles, maintien ou développement des activités agricoles, forestières et maritimes, et garantie du libre accès au rivage pour le public.

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4. Le pilotage efficace d’une gestion intégrée du littoral Enfin, face à la dispersion des outils et des structures en matière de submersion marine, la mission d’information a promu une nouvelle gouvernance du littoral par l’élargissement des compétences du conseil national de la mer et des littoraux1 (cnMl), qui a en charge la gestion intégrée des zones côtières, et du secrétariat général de la mer, afin de leur confier la triple mission de prévention des risques d’inondation par submersion, de protection des espaces fragiles et d’aménagement du territoire (Anziani, 2010).

l

’ensemble de ces propositions illustre une approche renouvelée de l’aménagement des littoraux en donnant en particulier un crédit significatif au recul stratégique et à la

construction d’espaces d’absorption du risque de submersion marine. il prône également une planification des enjeux proactive et globale et ouvre le champ de la réflexion à la conception d’une stratégie (plurielle) du repli intégrant une logique de reconversion spatiale en cohérence avec les dynamiques territoriales afin de réduire, par anticipation, les nouvelles vulnérabilités générées par la déconstruction. cette reconversion impose en filigrane une évaluation et une révision des paysages littoraux.

1 créé par la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, le cnMl a un rôle de proposition auprès du Gouvernement, qui peut le saisir pour avis de tout sujet relatif au littoral. il contribue à la coordination des actions publiques dans les territoires littoraux. Il définit les objectifs qu’il juge nécessaires pour l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dans une perspective de gestion intégrée des zones côtières. Présidé par le Premier ministre ou, par délégation, par le ministre en charge de l’aménagement du territoire, il doit traiter, parmi les trois grands axes de travail assignés lors de sa création, de « l’anticipation des risques naturels pour les populations des zones littorales en lien avec les conséquences des changements climatiques ».

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CHAPITRE 2 - InAdAPTATIon dEs sTRATégIEs ET AugmEnTATIon dEs vulnéRAbIlITés

M

algré de regrettables conséquences, Xynthia fut une source de questionnements pertinents, d’enseignement et de remises en cause qui ont notamment permis de

constater l’absence de prise en compte (et même son existence) du risque de submersion dans les dispositifs juridiques et autres documents d’urbanisme. les stratégies existantes de prévention et de protection ont abouti à une résilience défaillante. cependant, une rupture dans la gestion post-crise habituelle s’est opérée par l’usage de stratégies préconisées quelques mois plus tôt lors du Grenelle de la mer. en effet, des choix de changements profonds de notre manière d’habiter le littoral ont conduit à mettre en place une stratégie de repli afin de réduire la vulnérabilité des enjeux face au risque de submersion. Cependant, cette gestion réactive de la crise s’est accompagnée d’une absence de prise en compte du paysage entrainant l’apparition de nouvelles vulnérabilités (urbaines, paysagères, psychologiques). ainsi, d’une résilience défaillante (pendant la crise), nous sommes passés à une résilience vulnérabiliaire et limitée (après la crise) parce que réactive, illustrant une mise en œuvre inadaptée des stratégies. néanmoins, les enquêtes parlementaires ont pu faire émerger des propositions dans le but d’augmenter la résilience. celles-ci prônent une planification spatiale et territoriale qui n’hésite plus à confier au recul anticipé une stratégie d’absorption du risque au service de la gestion intégrée des zones côtières. Cette réflexion impose un regard holistique proposé par le paysage et sur lequel construire une nouvelle culture du risque. aussi, le renforcement des politiques de prévention et de réduction des risques d’inondation et de submersion diversifie et accroît les enjeux de l’évaluation et de la prise en compte du paysage (avant, pendant et après la crise). certaines expériences de recul anticipé et stratégique le démontrent.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

cHapitre

3

Dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

«

Celui qui excelle à résoudre les difficultés les résout avant qu’elles ne surgissent. Celui qui excelle à vaincre ses ennemis triomphe avant que les menaces de ceux-ci ne se concrétisent.

»

sun tzu1

1 philosophe chinois (début du 5e siècle av. J.-c.) célèbre pour son ouvrage de stratégie militaire « L’art de la guerre » dans lequel le fil conducteur repose sur l’idée que l’objectif de la guerre est de forcer l’ennemi à capituler mais sans combat, grâce à l’espionnage, l’analyse et la mobilité. les batailles se gagnent lorsqu’on s’adapte aux stratégies de l’adversaire.

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a

lors que le repli « stratégique » post-crise (ou réactif) génère nombre d’écueils (notamment liés au paysage) et s’établit comme facteur de résilience limitée,

une autre posture stratégique de réduction du risque s’impose : l’anticipation en tant que démarche proactive. cette démarche projectuelle permet-elle d’augmenter la résilience des territoires face au risque d’inondation et de submersion ? Par définition, la résilience dite « proactive » (Dovers and Handmer, 1993) est une résilience dotée de la capacité à anticiper, apprendre, s’adapter, faire face et se remettre d’un événement. l’adjectif ”proactif” indique l’idée d’une projection dans la crise, au sens “projet“. ainsi, nous tenterons d’explorer des concepts et des projets qui mettent en œuvre ce processus de résilience, tel que le laisser-faire et davantage encore la dépoldérisation. par ces expériences, nous nous focaliserons sur la part faite au paysage et aux opportunités générées ou proposées par ses dynamiques. l’analyse des dynamiques de recomposition spatiales et paysagères, nous permettra de nous interroger sur l’émergence d’un cycle adaptatif dont l’enchainement des étapes conduit à définir un projet stratégique de mitigation paysagère*.

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chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

a. le laisser-faire, une stratégie de mitigation paysagère du risque de submersion

n

ous entendrons par mitigation paysagère (ou mitigation des paysages) la réduction de la vulnérabilité par la construction de paysages. cette construction repose sur

l’accompagnement des mutations de paysages. la stratégie de mitigation paysagère est donc l’élaboration de projets d’accompagnement des mutations de paysages visant la réduction de la vulnérabilité d’un territoire et de sa société afin d’atténuer le risque d’inondation ou de submersion, et dans certains cas mêmes d’en tirer parti. ainsi, par la mutation des paysages littoraux, la dépoldérisation, telle que nous l’avons présentée dans le chapitre liminaire relatif aux bas-champs picards, est une mitigation paysagère. cette mutation, passage de la poldérisation à la dépoldérisation, possède un socle naturel en partie lié au changement climatique auquel s’ajoutent des fondements culturels (demande sociale de nature et de paysages notamment). a la lumière de différents cas de dépoldérisation ou plus largement de recul stratégique, nous tenterons de comprendre par quelle(s) résilience(s) peut s’effectuer cette mitigation paysagère ? s’agit-il d’une suppression ou plus précisément d’une transformation de la vulnérabilité ? nous nous interrogerons également sur l’intérêt porté par la société aux « nouveaux » paysages littoraux et tenterons de comprendre les mécanismes opérateurs de cette adaptation des territoires.

i. l’abandon des polders et la dépoldérisation naturelle ou accidentelle 1. Résilience et compensations certains territoires anciennement conquis sur la mer font, depuis la seconde moitié du 20e siècle, l’objet d’abandon relatif à l’arrêt des pratiques agricoles ou aquacoles qui avaient justifié leur création. Ainsi par exemple, en Bretagne du sud, on assiste à un renouveau économique tourné vers le tourisme de nature dans les polders du cosquer et de Kérity où la friche s’est substituée aux parcelles agricoles et dans les polders de combrit et de Mousterlin, où une gestion dite « plus écologique des milieux » s’est développée : on parle alors de polders en friche et de polders de nature, marquant une récente diversification paysagère (Goeldner, 2008). a terme, les polders abandonnés par l’agriculture peuvent faire un retour vers leur vocation d’origine : celle de zones humides (Marre, 2010). Ainsi certains polders à fort degré d’abandon sont envahis par la mer suite à l’ouverture de brèches accidentelles lors de tempêtes. on parle de dépoldérisation accidentelle.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

1.1 l’exemple du polder de Graveyron a audenge, sur la rive orientale du bassin d’arcachon, au nord du delta de la leyre, le domaine de Graveyron est un polder de 135 ha anciennement caractérisé par sa diversité d’usages et de paysages. Depuis le 18e siècle, pâture de prairies, pisciculture en bassins (labourg, 1985) et céréaliculture étaient associées au polder. a partir de 1960, le déclin de l’aquaculture s’est emparé du bassin d’arcachon générant des friches aquacoles. Dans le polder de Graveyron, le paysage s’est fermé par l’embroussaillement du milieu, les digues se sont détériorées ; des individus et des populations d’espèces végétales et animales nouvelles ont colonisé le site en instaurant une large diversité d’habitats (anonyme, 2002, in Marcadet et Goeldner, 2005) : prairies humides, phragmitaies, jonçaies et anciens réservoirs à poissons, constituent des milieux favorables au nourrissage de la faune. cette richesse écologique reconnue (ZNIEFF 1) bénéficie d’un certain nombre de protections (Site Inscrit, site Natura 2000, zone ND du POS, propriété du Conservatoire du Littoral depuis décembre 1998). en décembre 1996, une tempête a produit une brèche dans la digue de mer fragilisée par l’absence de gestion et a permis la reconstitution d’un schorre sur une dizaine d’hectares (à « La Pointe », secteur ouest de Graveyron). Cette réouverture accidentelle du polder à la mer a opéré une mutation du lieu diversifiant les entités paysagères, entre marais doux et marais salé. D’un point de vue écologique, cette dépoldérisation partielle accroît la richesse du bassin d’arcachon ; elle permet la progression de prés-salés et favorise la colonisation d’une faune et d’une flore exceptionnelle dont certaines espèces sont protégées (comme le triglochin barrelieri). il a également été remarqué que l’alternance et la succession des marées a permis d’éradiquer le séneçon en arbre (Bacharis halimifolia), espèce invasive qui participe à la fermeture des paysages et à la banalisation des espaces naturels (Marcadet et Goeldner, 2005). De plus, la constitution du schorre réduit les volumes et surfaces d’eaux stagnantes et par conséquent la présence des moustiques pour laquelle des campagnes de démoustication sont habituellement réalisées par l’entente interdépartementale de Démoustication (EID). Enfin, le site, ouvert au public, est fréquenté par les touristes et la population locale. 1.2 un processus de résilience autonome cette dépoldérisation accidentelle est marquée par l’absence d’intervention humaine pendant et après la submersion d’où l’autonomie de la résilience. la perte du caractère poldérisé engendre des compensations multiples, tant écologiques que paysagères. cette capacité d’adaptation, dans laquelle le laisser-faire est à l’œuvre, définit le processus de résilience autonome. Ainsi, on assiste à une modification profonde du système poldérisé et des caractéristiques premières du paysage par transformation du fonctionnement hydrographique. les effets de la marée et les apports sédimentaires progressifs favorisent à plus ou moins long terme le développement d’une couverture végétale adaptée aux 125


chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

Photo 3 : Polder de Graveyron accidentellement rendu à la mer. source : Google earth

nouvelles conditions édaphiques : végétation naturelle de marais saumâtre à salé spartines, salicornes, obione, roseaux, carex… (photo 3). Dès lors, ces mutations contribuent à l’enrichissement du palimpseste, qui superpose les traces d’une anthropisation antérieure : tronçons de digues, empreintes d’un réseau de drainage, marais doux… la résilience indique également la capacité du système à faire face à l’occurrence d’un évènement semblable. Dans le cas de la dépoldérisation, l’apport sédimentaire freine la pénétration de la mer en contribuant à l’accumulation des sédiments, ce qui entraîne un exhaussement topographique. la reconstitution de l’étagement typique des marais maritimes1, riches en accumulation sédimentaire, influe sur le ralentissement de l’emprise marine (bawedin, 2004 ; 2007a ; 2007b) et renforce l’autonomie de la résilience. un processus d’autoprotection s’enclenche.

2. l’expression d’une vulnérabilité positive* ? la vulnérabilité est dite «positive» (Gallopin, 2003) quand le changement apporte une transformation bénéfique. La dépoldérisation peut ainsi engendrer deux types de vulnérabilités positives : la vulnérabilité liée à l’abandon d’un site et la vulnérabilité liée à la défaillance du système de protection contre la mer.

1 il s’agit d’une végétation halophile dense et épaisse, composée d’obione (Halimione portulacoides), d’armoise maritime (artemisia maritima), de lilas de mer (Limonium vulgare) et de Graminées diverses (puccinellia maritima, etc.).

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2.1 l’abandon : un facteur de vulnérabilité positive et l’émergence de nouveaux espaces l’exemple de Graveyron montre que l’abandon du polder et l’émergence d’une friche a produit le terreau d’un renouveau écologique et économique. l’absence de gestion a favorisé la poursuite du cycle climacique du marais caractérisé par des paysages naturels et variables jouant un rôle écologique d’épurateur des eaux de plateau. en outre, par leurs nouveaux paysages, les polders de nature sont une nouvelle donne au tourisme vert. parfois, l’abandon n’est qu’une transition et une nouvelle gestion des paysages s’impose : lorsqu’à l’agriculture de polder se substitue une activité de gestion écologique de zone humide (type marais), dans une perspective de gestion des milieux, le pâturage extensif ou le fauchage peuvent être pérennisés. on assiste alors au développement d’un cycle adaptatif (parfois complexe) que l’on décrira plus loin. par ailleurs, le polder, que l’on croyait vulnérable, puisque abandonné, peut devenir l’objet de protection réglementaire. ainsi, le polder du carmel (baie des Veys, France), s’est vu protégé par le conservatoire du littoral afin d’y mener une gestion spécifique visant à favoriser l’accueil de peuplements ornithologiques. 2.2 la défaillance de la digue : un facteur de vulnérabilité positive et la mutation du système défensif Dans le cadre de la dépoldérisation, la vulnérabilité du système défensif (digues) peut apporter un ensemble de compensations positives. lors de tempêtes, la vulnérabilité de la digue entraîne la formation de brèches et l’envahissement du polder par la mer. le rehaussement progressif des terres caractérisant la résilience autonome du nouveau marais maritime définit alors un nouveau système autodéfensif plus durable, support de valeurs ajoutées (paysages, écologie, gestion, économie…). ainsi, le polder de Mortagne-sur-Gironde, autrefois uniquement dévolu à la céréaliculture, est devenu, après la tempête de 1999, propriété du conservatoire du littoral, alors qu’il était envahi par la mer (photo 4 page suivante). le conservatoire a décidé de ne pas obstruer les brèches et de laisser opérer les marées. cette expérience, suivie par le Cemagref, a permis de montrer que la dépoldérisation était bénéfique sur le plan de l’écologie littorale. en effet, le polder a favorisé l’installation d’une nourricerie d’alevins de soles et de gobies, et de nombreux poissons s’y développent. ainsi envahi par la mer, le polder devient producteur de matières organiques et, soumis à la marée, il exporte cette matière (Verger, 2005b). par la constitution de prés salés, le polder devient un véritable réservoir de biodiversité qui, comme l’a montré l’expérience de Graveyron, tend parfois à effacer les faiblesses des anciens paysages comme l’éradication de plantes invasives ou la démoustication naturelle. Enfin, selon l’échelle de la dépoldérisation, la vulnérabilité positive offre à la planification spatiale une redéfinition de la ligne de côte permettant d’apposer un frein à l’urbanisation littorale (en réinterrogeant notamment la bande des 100 mètres). 127


chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

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a dépoldérisation est source de nombreuses valeurs ajoutées issues de la vulnérabilité du système défensif : on parle de vulnérabilité positive. a partir de ce

constat, différents projets de dépoldérisation ont été planifiés et réalisés et pour lesquels la résilience autonome est devenue gage de mitigation paysagère.

Photo 4 : lagune de mortagne en Gironde. photo Goulevant c.

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ii. la dépoldérisation volontaire : un projet stratégique de territoire et de paysage

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a dépoldérisation met en œuvre un processus de résilience autonome. projetée ou programmée, la dépoldérisation enclenche un processus de résilience proactive*. les

exemples de projet de dépoldérisation sont nombreux : on en compte une cinquantaine en europe occidentale et quelques-uns aux états-unis. le phénomène d’ouverture à la mer d’anciens espaces gagnés sur celle-ci est à l’ordre du jour depuis les années 1980 en europe du nord-ouest1. il demeure, en revanche, plus rare en France, même si quelques cas ont vu le jour (normandie, bretagne). le fait que le terme de « dépoldérisation » soit souvent considéré dans le sens d’une « déconstruction de l’œuvre domesticatoire » (Lizet, 1999) en est peut-être l’une des raisons, surtout dans un pays où les corps d’ingénieurs ont une conception anthropocentrique de l’aménagement des espaces côtiers (bawedin, 2004). si toutes les dépoldérisations ne visent pas nécessairement à accompagner les effets de la hausse eustatique, elles y contribuent souvent. a l’échelle européenne, ces réalisations répondent à différentes motivations. si elles se présentent davantage comme environnementales ou socio-économiques en allemagne, aux pays-bas et en France, elles sont qualifiées de défensives en Grande-Bretagne, où une trentaine de polders ont déjà fait l’objet d’une rétrocession à la mer (Goeldner, 2008). bien entendu, ces motivations ne sont pas incompatibles. ainsi, dans une logique de proaction (anticipation) et de prévention liée au changement climatique, la Grande-bretagne dispose d’exemples de dépoldérisation pertinents.

1. Des expériences anglo-saxonnes de résilience proactive : la dépoldérisation désirée 1.1 le polder de tollesbury l’exemple anglais de tollesbury (essex), se présente comme une dépoldérisation réussie pour « lutter » contre la mer. Ce polder a été remis en contact avec la mer en 1995, par la création d’une brèche, large de quelques mètres (planche photographique 4). néanmoins, une digue, haute seulement de deux à trois mètres, a été édifiée en arrière afin de protéger les terres agricoles de l’arrière pays. ainsi, à l’endroit de l’ancienne portion de digue retirée et à l’avant de la nouvelle, édifiée en retrait, s’est développé, grâce à l’accumulation de sédiments marins, un haut schorre (ou marais salé). Des études effectuées par la national river authorities (nra) en angleterre, dans l’essex, montrent qu’en l’absence de schorre, la digue, pour être efficace, doit avoir une hauteur de 12 mètres ; ce qui entraînerait un coût de 5 000 livres par mètre linéaire. en revanche, avec un schorre, la hauteur de la digue peut s’abaisser de six mètres (pour un schorre large de six mètres) à trois mètres (pour un schorre

1 on dénombre 5 000 ha, soit moins de 1% de la surface initialement poldérisée en europe du nord-ouest et une cinquantaine de dépoldérisations achevées ou en cours (Goeldner, 2008).

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de 80 mètres), pour des coûts respectifs de 1 500 et 400 livres par mètre linéaire (nra Goeldner, 1999 ; bawedin, 2004). cela revient à réaliser jusqu’à dix fois plus d’économie. le schorre protège plus de 66 % des côtes de l’essex. il a été jugé opportun de le protéger afin de l’utiliser comme moyen de défense contre la mer. Cette technique est peu coûteuse et, de surcroît, écologique (Goeldner, 1999). Des plantes pionnières caractéristiques de la slikke, telles la salicorne (salicornia obscura) - espèce de la flore anglaise - ont également recolonisé le polder, deux ans seulement après sa réouverture. cela traduit la renaissance d’un marais maritime complet. le but ici était double : favoriser le retour du schorre, en voie de raréfaction en angleterre étant données les poldérisations nombreuses qui ont eu cours, et expérimenter un retrait contrôlé pour évaluer les potentialités des prés salés à défendre les côtes contre l’élévation de la mer.

Planche photographique 4 : Polder de tollesbury. photo aérienne : source Google earth ; photo G. spivy, Google earth

ce programme a été co-lancé par english nature et le ministère de l’agriculture en 1993 afin de repenser les techniques de défense « contre » la mer. Cette technique de retrait est maîtrisée et contrôlée par les aménageurs, d’où son nom de « retrait contrôlé » (Goeldner, 1999) ou encore retrait planifié (Bawedin, 2004). cet exemple anglais traduit l’attention portée par les pouvoirs publics au phénomène d’élévation du niveau de la mer tout en s’inscrivant dans une logique de projet d’aménagement, dont l’objectif est d’accroître la résilience des littoraux face aux enjeux de l’eustatisme. 1.2 Freiston shore Dans le lincolnshire, sur la Wash coast, le site de Freiston shore a fait l’objet d’une dépoldérisation en 2002, par l’ouverture dans la digue de trois brèches larges de 50 mètres (photo 5). Ici aussi, la dépoldérisation est employée à des fins de protection contre la mer par la volonté de gains d’herbus caractérisant le schorre. située dans un site classé en réserve ornithologique de la rspb (royal society for protection of birds), cette dépoldérisation présente aussi l’avantage d’accroître les capacités d’accueil de l’avifaune migratrice sur le site. l’intérêt écologique, biologique et psychologique (protection contre la mer) du projet est aujourd’hui reconnu par l’ensemble des acteurs locaux même si, initialement, des réticences émanaient des agriculteurs (bawedin, 2004).

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l’intérêt économique est tout aussi perceptible puisque des milliers de visiteurs fréquentent la réserve ornithologique chaque année. la dépoldérisation est devenue un ”principe actif”, motif de visite (à l’instar de tollesburry) suscité par la curiosité face à de nouveaux paysages. ceci a bien évidemment des retombées économiques non négligeables, notamment dans les “pubs“ locaux où les guides de la rspb sont chargés d’une mission de communication et de pédagogie.

Photo 5 : Vue aérienne du Polder de Freiston schore, percé de trois brèches. source Google earth

ces deux exemples anglais montrent l’attention portée par les pouvoirs publics à une lutte contre l’élévation du niveau de la mer qui réponde aux enjeux de protection de l’environnement et de valorisation des paysages, l’ensemble étant ici complémentaire. cela traduit leur anticipation à long terme dont ces travaux sont la résultante, fait relativement rare quand il s’agit de gestion du littoral. Cet aspect permet de qualifier une telle politique, pensée collectivement et pour le long terme, discutée en partenariat et expliquée de façon pédagogique par la suite, comme étant en adéquation avec le concept de développement durable. les résultats apparaissent positifs tant d’un point de vue stratégique qu’écologique et économique. De plus, tous les acteurs (agriculteurs, ornithologues, chasseurs, riverains et commerçants), intégrés à la prise de décision, semblent «s’approprier» l’initiative. c’est, en quelque sorte, un véritable processus de gouvernance qui a consisté à mettre en place des instruments, certes davantage techniques que normatifs, qui, au final, intègrent l’environnement et inscrit le territoire dans la Gestion intégrée des Zones côtières (bawedin, 2004). ces exemples soulignent aussi la différence entre la politique britannique de nature volontariste qui prévoit des mesures préventives et proactives pour la défense du littoral et la politique française d’acceptation qui se limite parfois à ne pas obstruer les brèches ouvertes par les tempêtes. ainsi, lorsque les tempêtes créent les conditions « favorables », cette politique est appliquée en France, mais l’initiative en revient généralement à la mer et peu souvent à une réelle volonté politique (Verger, 2010b).

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la dépoldérisation anglo-saxonne, désirée, s’inscrit ainsi en tant que projet. il s’agit bien d’une stratégie d’aménagement et de planification dans laquelle la résilience proactive est à l’œuvre. tout est ainsi mis en place pour limiter au maximum les effets d’une prochaine crise (tempête, hausse eustatique). La planification, le projet de territoire et plus particulièrement de paysage(s) nous intéresseront dans la poursuite de notre réflexion ; le paysage comme leitmotiv de projet littoral dont les enjeux varient selon l’échelle de la dépoldérisation.

2. l’évolution sociale et le contexte du changement climatique : la mitigation paysagère et ses différentes échelles en réponse à une demande de nature et de paysage l’intérêt prononcé et croissant de la société pour le paysage (et sa reconnaissance en tant que ressource économique) a permis d’observer que la mutation récente de la vocation et de la configuration des polders agricoles s’est effectuée en portant une attention particulière au paysage (Goeldner, 2008). cet intérêt et cette attention conduisent à dépoldériser tout en proposant et en réalisant des projets de mitigation paysagère. Deux échelles de dépoldérisation sont à distinguer : celle du polder lui-même et celle du système poldérisé (comme les bas-champs picards par exemple). initialement, le polder, dans sa vocation agricole, s’identifie comme un espace géométrique, aux limites strictes, ancrées, presque immuables. une fois dépoldérisé, il devient un espace aux dimensions et aux contours beaucoup plus flous. Le nouveau paysage, né de la résilience autonome du polder rendu à la mer, tend à générer des accroches proches et lointaines avec le paysage environnant (la mer, la falaise morte, les polders voisins). Dès lors, il apparaît un périmètre de réflexion et d’action potentielle à géométrie variable. 2.1 Le paysage à l’échelle du site dépoldérisé, entre monospécificité et diversité végétale comme le souligne lydie Goeldner (Goeldner, 2008), une grande attention est aujourd’hui portée au paysage que l’on souhaite créer dans le cadre d’une dépoldérisation. ce paysage dépend, en partie, de la recolonisation végétale, variable selon les sites puisque soumis à différents facteurs. ainsi, l’on pourra distinguer des facteurs internes au site (dimension du polder, topographie, altimétrie terre/mer, nature pédologique, végétation existante, salinité, typologie de dépoldérisation, gestion par pâturage ou par fauche, absence de gestion, etc.) et des facteurs externes (dynamique et typologie sédimentaire, prisme tidal, salinité des eaux entrantes, etc.). Dans le cas d’une dépoldérisation projetée, l’ensemble de ces facteurs peut être influencé ou faire l’objet de « calage » afin de répondre à des intentions ou des objectifs paysagers. ainsi, au sud de la baie de somme et au nord des bas-champs, le polder agricole 132


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de la Ferme de la caroline fait l’objet d’un projet de dépoldérisation « expérimentale » pilotée par le conseil général de la somme. si des compensations écologiques sont attendues de cette dépoldérisation, les compensations paysagères le sont plus encore. les enjeux de cette opération sont la reconstitution des paysages des bas-champs et le maintien des paysages maritimes d’une baie de somme qui s’ensable. ces ambitions de conservation de paysages répondent notamment aux objectifs d’aménagement préconisés au droit de la pointe du Hourdel, pour l’opération Grand site1 réalisée par le cabinet de paysagistes atelier de l’Île en 2005. Dans le cadre du projet de la caroline, la présence d’un cabinet de paysagistes (ah-ah paysagistes) dans le groupement d’étude confirme la volonté de « maîtrise » et l’intérêt porté au paysage. Dès lors, la dépoldérisation n’est plus une « simple » opération de technique et de génie civil mais bien un projet où le sensible et la perception peuvent prévaloir. le projet propose un aménagement doux, construit sur les mouvements de la mer et la dynamique végétale naturelle. a partir de ce principe, différents scénarios de temporalité sont déclinés, du long terme au très long terme. Cette dépoldérisation, réalisée par le percement d’une brèche (figure 12), s’accompagnera d’un traitement fin du nivellement interne du site devant favoriser la reprise et la diversité végétale. cette différence altimétrique, constituée de subtiles gradines (ou paliers) et d’une pente intérieure adoucie devra faciliter la mise en place et l’étagement d’une palette végétale halophile diversifiée : Ainsi, on vise à encourager le développement d’un tapis de plantes pionnières (salicornes, spartines) entre 2.50 m et 3.80 m, puis de prairies halophiles (composées d’atropis et d’obione) , entre 3.80 m et 5.70 m et enfin, de prairies halo-nitrophiles à partir de 5.70 m. (sogreah et ah-ah, 2007 ; Goeldner, 2008). au sein des renclôtures conservées, il est ainsi attendu la mise en place d’un paysage de marais maritime.

Figure 12 : modélisation du projet de dépoldérisation de la Ferme de la caroline. sogreah et ahah, 2007

1 les opérations Grand site sont des démarches de projet, proposées par le MeDaD, en réponse aux problèmes liés à la surfréquentation touristique de sites majeurs sur le plan du paysage. Leur finalité est de permettre un développement touristique durable.

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Figure 13 : scénario à très long terme d’une dépoldérisation totale de la Ferme de la caroline. sogreah et ah-ah, 2007

aussi, le volet « gestion » du site est abordé sous l’angle « productif » du paysage. il est évoqué la culture expérimentale de salicorne en écho au passé cultural du polder ou le pacage ovin renouvelant ainsi les « champs de production » (Figure 13). le paysage ouvre donc une porte à la dépoldérisation. Mais, au regard d’autres facteurs propres à la dépoldérisation, le projet de la caroline peut s’avérer discutable. en effet, le contexte sédimentaire des estuaires de la Manche (en érosion au nord et en accumulation au sud), ne légitime pas l’aspect défensif de l’opération car, situé au sud de l’estuaire, le polder de la caroline ne présente pas de vulnérabilité érosive. les digues de cette renclôture sont par ailleurs en très bon état. en revanche, le moteur de cette opération est bien l’aspect socio-économique, issu du paysage. nous sommes au cœur d’une stratégie paysagère liée au tourisme. en d’autres termes, il s’agit de l’économie du paysage dépoldérisé. cette économie s’articulerait autour du maintien de l’activité plaisance et pêche au Hourdel et s’appuierait sur les structures d’accueil existantes (Maison de l’oiseau, hébergements labellisés…) et sur le développement de circuits « nature » ou de séjours thématiques (sogreah et ah-ah, 2007). En terme de méthodologie de projet et de planification territoriale, on est bien dans la dynamique progressive d’une stratégie d’expérimentation qui vise à renouveler, à plus long terme et en fonction des résultats et de la réussite du projet, des opérations de plus grande échelle, dans un intérêt, cette fois-ci, défensif. l’opération de la caroline illustre davantage une stratégie sociologique visant à préparer la population locale à une dépoldérisation plus importante (celle des bas-champs sud notamment). cette stratégie présente des enjeux de communication qui doivent être intégrés dans l’étude amont. en parallèle des schémas et des modèles numériques réalisés par le bureau d’étude technique, les paysagistes ont illustrés leurs intentions par des modélisations paysagères (cartes, vues axonométriques et photomontages) afin de se superposer aux

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contraintes techniques. les réticences à la dépoldérisation étant souvent issues d’une méconnaissance du terrain et de la problématique (Goeldner et imbert, 2005), il est primordial de proposer une rigoureuse représentation du projet futur. la représentation du nouveau paysage devient alors un outil pertinent qui permet de susciter des réactions, de faire appel au vécu et de permettre à la population locale de se projeter tout en relativisant l’impact de l’opération. ainsi, on voit dans ce projet combien les enjeux paysagers pèsent aussi lourdement que les contraintes techniques et physiques de la dépoldérisation. on constate également que la seule reconstitution d’un paysage monospécifique de marais maritime sur 20 ha peut présenter de multiples intérêts. Enfin, il est intéressant d’observer qu’une dépoldérisation à l’échelle du site peut être une phase préliminaire à une dépoldérisation plus importante. 2.2 enjeux de diversité des paysages restitués à la mer à l’échelle des territoires les exemples de dépoldérisation suivants s’inscrivent à l’échelle d’une entité géomorphologique (île ou territoire entièrement poldérisé). La diversité paysagère qualifiant ces territoires, des enjeux de conservation de l’existant apparaissent parallèlement à la hausse eustatique et à la nécessité de dépoldériser. 2.2.1 Graveyron et la hausse du niveau de la mer : vers une uniformité des paysages ? pour le Domaine de Graveyron, accidentellement dépoldérisé de moitié en 1996, le conservatoire du littoral a commandé une étude topographique et biogéographique (Anselme et al, 2003) afin de connaître les conséquences d’une remontée probable1 du niveau marin d’ici la fin du 21e siècle et d’en déduire les zones les plus vulnérables ainsi que les actions prioritaires à mener pour gérer le site à plus long terme. aujourd’hui caractérisé par la juxtaposition de marais salés (à la pointe) et de marais doux (composés de prairies hygrophiles et méso-hygrophiles dans le reste du polder), le Domaine présente des enjeux liés à l’élévation du niveau de la mer (anselme et al, 2008). outre les enjeux économique2 et écologique3, l’étude a montré qu’une plus large dépoldérisation (par submersion totale) du domaine de Graveyron diminuerait la diversité paysagère engendrée par la généralisation du marais salé. en d’autres termes, il s’agirait d’une « homogénéisation » ou d’une banalisation du paysage naturel littoral existant induisant une diminution du potentiel culturel et touristique du site. il est également supposé que la monotonie engendrée par la généralisation du marais salé, produise des répercussions paysagères à l’échelle plus globale du bassin. 1 D’après les estimations faites par l’ipcc (intergovernmental panel on climate change). 2 pour lesquels le laisser-faire favoriserait une résilience autonome (par défense douce) réduisant les coûts d’une défense lourde. 3 risque de perte des rares marais doux du bassin d’arcachon, écotones d’une grande richesse écologique, d’où une réduction de la fonction épurative des eaux du bassin (anselme et al, 2008) et, par conséquence, perte de la faune inféodée

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ainsi, dans le cadre de projet de dépoldérisation, la volonté de conservation du paysage peut complexifier la mitigation paysagère mais peut également participer à enrichir et nourrir un projet de paysage. c’est le cas du projet de tiengemeten. 2.2.2 l’île de tiengemeten : la mise en valeur d’un palimpseste Tiengemeten est une île fluviale située dans la commune de Korendijk en Hollande méridionale, dans le Haringvliet, un des bras du delta de la Meuse et de l’escaut (photo 5). elle s’étend sur 10,5 km² (7 000 x 1 500 m) et compte 11 habitants. simple banc de sable au 17e siècle, elle a été poldérisée entre 1750 et 1860. après les inondations de 1953, de nombreuses digues ont disparu. en 1990, tiengemeten a été classée par le ministère de l’agriculture, de l’Aménagement du territoire et de la Pêche zone naturelle protégée, obligeant six fermes à disparaître. A la fin des années 1990, l’île de Tiengemeten a donc changé de vocation : une mutation paysagère radicale s’est opérée par la conversion de ses 700 ha de polders agricoles et des 6 exploitations en espaces naturels. les agriculteurs ont cessé toute activité1 et l’île a été rachetée par l’association néerlandaise de préservation de la nature (Vereniging natuurmonumenten). en activité depuis plusieurs siècles, les fermes ont été abandonnées et partiellement déconstruites, des peupleraies ont été abattues, de nouveaux chenaux de marée ont été creusés et une brèche a été percée dans la digue sud en 2007. Malgré ces transformations qui tendent à effacer les traces de l’anthropisation, le réaménagement de l’île ne fut ni uniforme ni homogène. la volonté a été de limiter les atteintes au paysage traditionnel de polder tout en y apportant une certaine diversité. De grands principes ont été définis par le tiengemeten nature Development steering committee parmi lesquels on peut citer : la mise en valeur des processus naturels d’un système fluvial, la résistance du projet à la probable hausse eustatique, une priorité donnée au caractère insulaire, le maintien de la présence de l’homme et de ses traces, le maintien de l’accessibilité (visiteurs et secours en toutes circonstances) et enfin, le maintien de la qualité et du niveau des digues. Ces principes ont été appliqués en fonction des opportunités et des contraintes du site mais également des ambitions du comité de pilotage.

Photo 6 : ile de tiengemeten (Hollande). source http://pd04isle.webklik.nl 1

Des fermes de remplacement ont été trouvées aux agriculteurs sur des terres moins exposées aux inondations.

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Différentes options déclinant la typologie des paysages de l’eau ont été proposées par l’équipe de maîtrise d’œuvre composée de paysagistes, d’écologues, d’hydrologues et d’agronomes : une première option allait dans le sens d’un retour franc à la nature, dépourvue de bâti et de chemin, par l’ouverture de brèches dans les digues, laissant l’île sous l’influence du Haringvliet. Une deuxième option proposait de tirer partie des polders existants afin de constituer des bassins de retenue d’eau (par arrêt du drainage notamment) nécessaire au développement de milieux humides à l’intérieur des digues (inversion du système de poldérisation) tout en permettant des assèchements. une troisième option suggérait de connecter par chenaux certains polders au Haringvliet, laissant une incertitude quant aux surfaces inondées. La deuxième option, favorable à un paysage naturel diversifié et variable, en phase avec l’historique du lieu et la possibilité de création de plans d’eau permanents a été retenue ; elle permettait aussi de répondre à trois orientations définies par le tiengemeten nature Development steering committee : la nature, l’histoire culturelle du lieu et l’aspect attractif et récréatif. en 20061, l’île a commencé à être remodelée : les routes en asphalte ont été détruites et remplacées par des ruisseaux, des arbres ont été abattus, d’autres, plantés, et de vieilles digues ont laissé place à de nouvelles. spatialement et plus globalement, l’île a été divisée en trois séquences paysagères (carte 7). ainsi, l’on peut distinguer Weemoed, « zone de la nostalgie », Weelde, « zone de richesse naturelle » et Wildernis2 « zone sauvage ». Dans la première (à l’est), un polder est devenu le palimpseste du site, superposition de traces, de l’état naturel d’origine à la poldérisation agricole. Dans la deuxième (partie centrale), les polders agricoles ont évolués après intervention humaine en polders de nature. Dans la troisième (au sud), les polders agricoles se sont spontanément transformés en marais maritimes par le percement d’une brèche dans la digue et par l’instauration d’un marnage de 30 cm.

Richesse des milieux

Nostalgie

Ancienne digue

Nature sauvage

²ce triptyque paysager illustre les enjeux et ambitions écologiques, socioculturels et carte 7 : séquences paysagères de l’Île de tiengemeten. source www.natuurmonumenten.nl 1 10 années ont été nécessaires pour réunir les subventions et définir le projet (sur plans). 2 ou « Wilderness », en anglais, qui désigne en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis le caractère sauvage de la Nature et, par extension, certains sites protégés (wilderness areas), mais également un rapport de l’homme à la nature ; une co-naissance nature-société (Joliet, 2006).

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paysagers. si initialement le projet ne laissait aucune place au paysage agricole, les intentions du comité de pilotage marquent une réelle volonté de conservation de l’héritage local afin d’accroître la richesse et l’attractivité du lieu. Ainsi, même la gestion de l’île, caractérisée par l’introduction de Highland cattle pour le pâturage, renvoie au passé agricole du lieu tout en participant à la diversité et la variabilité des paysages (planche photographique 5). par ailleurs, par la conservation de certains éléments, on assiste à un détournement des usages : les digues deviennent des sentiers1 de découverte (une quinzaine de kilomètres), agrémentés de postes d’observations et les cottages des ouvriers agricoles sont peu à peu réhabilités en résidences de courts séjours (gîtes), en restaurant et en centre d’information23. par cette programmation paysagère conservatrice et progressive, « ce pays insulaire […] ne passera pas du statut de territoire agricole à celui d’espace de nature, mais restera un territoire mixte, à la fois culturel et naturel, que les populations locales et les visiteurs pourront s’approprier d’une nouvelle manière »4.

Planche photographique 5 : Diversité des ambiances paysagères de l’Île de tiengemeten. source Google earth, 2010

tiengemeten illustre la dualité de la mitigation paysagère : la réduction de la vulnérabilité et les avantages attendus de cette réduction. Mais des projets de mitigation paysagère peuvent s’avérer encore plus complexes s’ils associent la volonté de conservation de diversité des milieux et des paysages et la future hausse eustatique. 2.2.3 l’ile de Wallasea : les enjeux de conservation d’une future diversité paysagère en angleterre, la politique de « managed realignment » a conduit le gouvernement britannique5 à dépoldériser 115 ha de Wallasea island en 2006 (photo 6). la gestion a été 1 A l’exception de la Wildernis, zone la plus sauvage, restée inaccessible au public afin de préserver la tranquillité du site et pour des raisons de sécurité. 2 les projections tablent sur une capacité d’accueil de 30 à 40 000 visiteurs par an. 3 proposant les activités du site, notamment des ateliers d’art lié au paysage. 4 GoelDner-Gianella L., 2008, Polders du XXIe siècle : des paysages diversifiés et mouvants, dans un contexte de changement climatique et d’évolution sociale, in Des défis climatiques, Les carnets du paysage, actes sud et l’ecole nationale supérieure du paysage, n°17, 180p. 5 L’opération a été confiée au Defra (Department of Environment, Food and Rural Affairs).

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confiée à la RSPB (Royal Society for the Protection of Birds) qui a acquis la totalité de l’ancienne île en 2008. Depuis, elle envisage de convertir d’ici à 2019 les anciens polders agricoles en milieux naturels afin de participer à l’adaptation de la côte de l’Essex1 au changement climatique. tout l’enjeu est de créer un espace riche et durable, aussi bien pour les milieux naturels que pour la population locale et les visiteurs. la perspective du changement climatique a obligé la rspb à évaluer les impacts potentiels2 de la hausse eustatique, à identifier les vulnérabilités et à définir des priorités d’action. Dans une logique de conservation des nouveaux milieux naturels (vasières, marais salés, lagunes saumâtres), de nombreuses planifications et consultations ont conclu à la nécessité de surélever le niveau de l’île. en 2008, crossrail3 a proposé à la rspb de valoriser les terres4 issues d’une nouvelle voie ferrée sous londres. Encouragé financièrement par l’Agence de l’Environnement, ce projet, d’échelle unique en angleterre et en europe, devra permettre la régénération de nouveaux paysages et le maintien de la biodiversité dans un estuaire très vulnérable au changement climatique (érosion des côtes). il s’agit donc d’un projet de compensations économiques, écologiques et paysagères de crossrail. pour la rspb, cette opération s’inscrit dans un projet à plus large échelle dans la vallée de la tamise. en passe de devenir un site d’intérêt international, l’aspect touristique est également privilégié. Wallasea island project vise à offrir un site attractif au tourisme de nature littoral. Quinze kilomètres de nouveaux chemins sur la rive permettront l’accès à la majeure partie de la nouvelle côte sauvage et à des observatoires (figure 14). Dans sa perspective de durabilité et de conservation de diversité(s), le projet de Wallasea peut être une réponse au site de Graveyron évoqué plus haut.

Photo 7 : vue aérienne de la future Wallasea island et des premiers travaux. source rspb

Figure 14 : Plan du projet d’aménagement de Wallasea island. source rspb

2.3 Rôle et typologie du paysage dans l’acceptation de la dépoldérisation Dans sa dimension compensatoire, le paysage joue un rôle primordial dans l’acceptation des projets de retour de la mer dans les terres. Mais cette acceptation est dépendante du type de paysage généré. Des projets tels que tiengemeten et des enquêtes

1 2 3 4

en 400 ans, les côtes de l’essex ont perdu 91% des surfaces en schorre. Des études hydrodynamiques ont été menées pendant 2 ans par la rspb. crossrail est un réseau ferroviaire qui desservira le Grand londres à partir de 2017. remblais de 700 ha environ, composés d’argile, de craie et de graviers.

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réalisées1 auprès de populations littorales concernées par des projets de dépoldérisation en France et en angleterre ont montré l’importance que la société attache à la conservation des traces de l’histoire, de l’occupation humaine et de la maîtrise agricole. aussi, il semble que le degré d’acceptation de la dépoldérisation soit plus élevé lorsque que celle-ci est projetée (proactive) et que le paysage produit reste « encore très anthropisé, avec intervention humaine et contrôle de la nature »2, contrairement aux dépoldérisations accidentelles assimilables à un abandon face à la nature. selon l. Goeldner-Gianella, l’acceptabilité des projets est favorisée par la « visibilité » de l’intervention et de la maîtrise que l’homme continue à appliquer sur les éléments : les dépoldérisations partielles, caractérisées par le contrôle des entrées d’eaux marines à travers des ouvrages gérés, la conservation de digues et la préservation de traces de la conquête agricole seraient alors plébiscitées devant les dépoldérisations par brèches (absence de contrôle) et les dépoldérisations totales par démantèlement de digue (suppression des traces historiques). on pourra également supposer que le développement de nouveaux usages liés aux nouveaux paysages joue, par ses dimensions économique, sociale et ludique (attractivité), un rôle essentiel dans l’acceptabilité des projets de recul stratégique. Enfin, il est probable que les effets du changement climatique augmentent l’acceptabilité de ces projets. si Wallasea island vise à la conservation des paysages futurs, l’objectif préalable de la démarche repose sur l’assurance de la compréhension du projet par le public. pour la rspb, il était primordial de persuader la population de l’inéluctabilité du changement climatique et de la nécessité d’une action immédiate sur l’île afin de prévenir les risques de submersion relative à la hausse eustatique. cette étape a consisté à construire une connaissance de la problématique et du site, une prise de conscience des enjeux et une communication sur l’émergence de nouveaux paysages. Ce travail a permis d’identifier les différentes parties prenantes du projet et d’établir de nombreux partenariats afin de considérer l’ensemble des intérêts de chacun des acteurs3. en ce sens, l’acceptation et la compréhension du projet participent à l’élaboration d’une mitigation paysagère réussie. Les retours d’expériences conduisent à engager de nouvelles réflexions sur d’autres territoires et à d’autres échelles. c’est le cas notamment des bas-champs picards, où une étude de dépoldérisation a été lancée en 2011 par le conseil Général de la somme et le Syndicat Mixte Baie de Somme – Grand Littoral Picard et financée par l’Etat. Nous reviendrons plus en détails sur ce cas à la fin de cette thèse.

1 GoelDner-Gianella, 2007, perceptions and attitudes toward de-polderisation in europe : a comparison of five opinion surveys, journal of Coastal research, n°5, p. 1218-1230 2 GoelDner-Gianella, op.cit. 3 institutions, autorités portuaires, coopératives de pêche, coopératives agricoles, associations locales, propriétaires, entreprises locales, résidents, associations, ornithologues, promeneurs…

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c

es expériences montrent que dans le cadre du recul stratégique face à la mer, la mitigation paysagère se révèle être une source de valeur ajoutée, une trace

supplémentaire au palimpseste spatial, territorial et social issu du caractère partiel et conservatoire des dépoldérisations dans lesquelles le paysage joue un rôle primordial (acceptation, attractivité, didactique…). aussi, si la dépoldérisation partielle pose la question de la conservation de certains enjeux, d’autres opérations de recul stratégique nécessitent d’aller plus loin. Dans le cadre de territoires inondables occupés par du bâti par exemple (zones humides fluviales urbaines), certaines collectivités se sont emparées de la question du déplacement et de la suppression des enjeux.

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B. le recul stratégique des enjeux et émergence d’un cycle adaptatif

l

a population exposée à une inondation de modalité d’aléa fort voire très fort s’est fortement accrue en France, passant de 120 000 en 1950 à 300 000 en 2000 (Dégardin,

2002), imposant aux services de l’etat et des communes de limiter voire d’interrompre l’urbanisation galopante des zones inondables. la pression foncière engendrant des aménagements importants et anciens, les zones humides fluviales urbaines constituent un cas particulier (travaux d’historiens et de géographes1). les approches historiques ont montré que des logiques différentes se sont succédées (travaux du certu) aboutissant dans les années 1970 au « déclassement et l’oubli » de l’eau (travaux de Sajaloli B.). cette négation de la présence de l’eau correspond à la vision et la pratique technicistes censées contrôler les inondations, aménager les grands cours d’eau et plus généralement maîtriser la nature. Dans les années 1990, l’évolution de la réglementation des zones inondables et la prise en compte des risques et des extrêmes hydrologiques ont permis d’envisager d’autres types de projets qui expriment la fonctionnalité écologique des cours d’eau, la valorisation des zones inondables et intègrent de nouvelles fonctionnalités, notamment liées à des pratiques de loisirs. on assiste dès lors, du moins dans les discours, à une prise en compte du paysage, de la biodiversité et plus généralement du développement durable (Scarwell & Laganier, 2004). Certains projets en zone inondable sont d’ailleurs formulés en terme de reconquête plus qu’en terme de reconversion. Depuis l’apparition des ppr, on observe que certains projets de mitigation (réduction des risques) s’affranchissent d’enjeux, parfois lourds, comme le bâti. Des outils juridiques sont mis en œuvre par les collectivités, dans le cadre de déconstruction de quartiers, afin de reconquérir les zones inondables. La gestion de ce risque peut-elle engendrer une autre forme de vulnérabilité complexifiant la résilience proactive ? Par ailleurs, à la lumière de projets usant du risque d’inondation comme composante paysagère particulière, nous identifierons les étapes menant à l’adaptation des territoires inondables.

1 259p.

Dont GuillerMe a., 1983, Les temps de l’eau ; la cité, l’eau et les techniques, ed. champ Vallon, coll. Milieux,

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i. les Prairies st martin à Rennes, une intégration croissante du risque d’inondation dans le projet de réaménagement

a

800 mètres du centre de rennes, ce site de 28 ha est l’un des espaces de nature les plus vastes de la ville. ceinturées par le canal st Martin1 et l’ille, les prairies st Martin

sont une sorte d’île dans le lit majeur de la rivière (photo 8). ce secteur inondable joue un rôle majeur dans la gestion des crues à l’échelle de la ville. la juxtaposition de prairies semi-sèches (sur la frange est du canal) et de prairies humides (en fond de val) fait de cet espace un écosystème unique en milieu urbain. la biodiversité observée témoigne du rôle fort de corridor écologique de cette enclave verte entre ville et campagne. cette diversité écologique s’appuie sur une palette de pratiques, d’usagers et de motifs paysagers dont l’organisation est remise en cause depuis la fin des années 1990.

Photo 8 : Vue aérienne de la ville de Rennes et périmètre des Prairies st martin. source Google earth

1. la valorisation d’un corridor écologique en cœur de ville Dans le cadre d’un projet municipal de construction d’une pénétrante reliant la route du Mont-saint-Michel au cœur de rennes qui aurait traversé le site, les associations environnementales ont attiré l’attention de la population et des pouvoirs publics sur le caractère exceptionnel des prairies. une étude réalisée par la sepnb (société d’etude et de protection de la nature en bretagne) démontra la richesse du site. parallèlement à des actions de sensibilisation qui contribuèrent à faire connaître le lieu aux rennais, une nouvelle politique des transports émergeait et le projet de pénétrante jusqu’au centre-ville, déjà saturé de véhicules, perdait de son intérêt.

1 le canal st Martin n’est autre que l’ille canalisée. il a été réalisé sur la presque totalité de son parcours à partir du lit naturel de l’ille. en certains endroits, le canal s’en sépare lorsque la pente est trop forte ou lorsque le lit naturel de l’ille effectue un méandre trop prononcé : c’est le cas des prairies st Martin.

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En 1994, le conseil municipal décida de préserver les Prairies St Martin et de définir un programme de valorisation de cet espace composé de prairies, de bocage, de jardins, d’un lotissement dégradé, de rues et de ruelles ; une diversité écologique malgré un caractère multiforme résultant pour partie d’un statut mal défini et dont l’enjeu consistait à mettre en valeur ce grand espace paysager exceptionnel et à identifier l’ensemble des pratiques humaines qui le font vivre au milieu d’une urbanisation dense. cette prise de conscience entra en résonnance en 1995 avec la naissance des ppr et leur anticipation par le biais des piG (projet d’intérêt Général) alors que dans le même temps nombre de villes projetait d’urbaniser leurs zones inondables. Les Prairies St Martin doivent leur existence à la vallée de l’Ille qui a rendu difficile leur urbanisation. le plan de 1791 (plan levé et dessiné par Gotrot, ingénieur géographe) montre que les bords de l’ille étaient constitués de prés et de prairies traversés par de nombreux bras certainement utiles au drainage. un bras parallèle à l’ille, l’illet, est supposé avoir été creusé pour évacuer l’eau en période de crue (banéat, 1972). arrêtées par le coteau de l’Ille, les constructions effleuraient les prairies au sud mais ne s’étendaient pas au-delà. Le canal St Martin, reliant Rennes à la Rance, est creusé à la fin du 19e siècle. Dans les années 1930, entre le canal (photo 10) et le bras de l’ille, les premières maisons du futur quartier raoul-anthony furent construites sans autorisation, par les habitants eux-mêmes. les inondations régulières obligèrent les nouveaux habitants à surélever le terrain pour construire leur résidence (banéat, 1972). Dans les années 1960, l’urbanisation se densifia autour des Prairies. Au nord, l’installation d’une zone industrielle (le Trublet) en pleine zone inondable s’accompagna du remblaiement du secteur, du comblement des fossés et de la rupture de communication entre l’ille et son bras principal. le lotissement raoul-anthony fut entièrement construit, réduisant encore la surface des prairies humides (photo 9). Des jardins familiaux se développèrent progressivement entre l’ille et son bras parallèle. plus tard, d’importants remblais hétérogènes (issus de la construction du nouveau quartier de la Motte brulon) réduisirent encore la surface inondable (dans la prairie sud notamment). cependant, malgré tous les rehaussements topographiques réalisés, lorsque les pluies sont très abondantes, la crue de l’ille inonde jusqu’au canal (hivers 1981,1995, 2000, 2001).

Photo 9 : le quartier Raoul-anthony au coeur des Prairies saint-martin, Rennes. photo atelier de l’Île, 2008 144


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Photo 10 : le canal st martin au droit des Prairies saint-martin. photo atelier de l’Île, 2008

Dans ce contexte, la municipalité a souhaité associer problématique de l’inondabilité et réflexion plus globale portée sur l’avenir des Prairies St Martin. Le projet entend répondre à deux objectifs : d’une part améliorer la capacité du champ d’expansion des crues de l’ille, d’autre part, valoriser, puis proposer aux rennais un espace naturel attractif en milieu urbain. Entre 1997 et 2001, la ville de Rennes confia au cabinet de paysagistes Atelier ruelle l’étude paysagère des prairies st Martin. la réalisation d’un schéma directeur a fait émerger les potentialités puis les premiers scénarios de valorisation et de réaménagement du site. Puis, en 2006, la ville réengagea une réflexion avec un autre cabinet de paysagistes, l’atelier de l’Île.

2. la gestion du risque par la Déclaration d’utilité Publique : entre déconstruction et valorisation Sur la base du premier schéma directeur (Atelier Ruelle Paysage, 2001) (figure 15), la ville engagea en 2006 une procédure de Déclaration d’Utilité Publique afin de maîtriser le foncier et de réaliser les opérations préconisées par l’étude paysagère, notamment en matière de gestion des inondations. 2.1 une prise en compte limitée et localisée du risque d’inondation le premier objectif du projet présenté dans le dossier soumis à enquête publique est l’aménagement du champ d’expansion des crues afin d’atténuer le risque d’inondation des quartiers situés aux abords de l’ille. ces orientations consistent à réduire la vulnérabilité du site en supprimant la zone d’habitat spontané du secteur Raoul Anthony (remplacé par une végétalisation type prairie) et à accroître la capacité de stockage de la crue par la restauration du lit majeur de la rivière (par le creusement de l’ancienne zone industrielle du trublet1, fortement remblayée, et par la suppression des obstacles potentiels). Des mesures structurelles complètent ces aménagements par la réalisation d’ouvrages de protection2 du quartier nord (Motte-brûlon) contre les crues. l’ensemble de ces mesures vise à compenser les remblaiements envisagés pour la construction de la Zone d’aménagement concertée (Zac) armorique3 (au nord de la ZI du Trublet), pour laquelle des pistes de réflexion relatives à la récupération et à la gestion des eaux pluviales ont été proposées.

1 2 3

soit près de 60 000 m3 de terre à évacuer, correspondant à un décaissement de surface de 1,20 m. protection par palplanches. 550 logements, 1 700 m2 de bureaux, 1 500 m2 de commerces, équipements publics…

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chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

le deuxième objectif vise à réaliser un aménagement qui participe à la renaissance du quartier : valorisation des entités paysagères caractéristiques, de la prairie humide, des haies bocagères des jardins familiaux et de l’étang créé par décaissement au nord… maintien de la biodiversité (iDea, 2005). il s’inscrit également dans la volonté de préserver un couloir écologique, de la coulée de verte de Patton à la Prévalaye. Enfin, le projet prévoit, outre la création d’un parc à caractère naturel, le développement de loisirs, d’activités culturelles et la création de liaisons inter-quartiers.

Figure 15 : Premier schéma directeur du réaménagement des Prairies st martin. atelier ruelle, 2001 146


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ce premier schéma directeur a montré les potentialités du site et les opportunités d’aménagement tant en terme de gestion de l’inondabilité qu’en terme de paysages et d’écologie urbaine. cependant, si au quartier raoul anthony, situé au cœur du champ d’expansion des crues, se substituerait une végétalisation superficielle des remblais (reconquête des prairies), les mesures de gestion du risque d’inondation se limitent géographiquement au nord du site au réaménagement partiel du lit majeur de l’ille. 2.2 une mise en scène de l’inondabilité par une prise en compte plus globale du champ d’expansion des crues entre 2006 et 2008, la Ville de rennes1 a engagé une nouvelle réflexion sur le devenir du site, qu’elle a confiée à l’Atelier de l’Île, dans le cadre de sa mission de conseil en architecture et paysage. initialement, l’étude commandée consistait à réaliser un schéma d’organisation spatiale et à définir quelques principes d’aménagement de surface. Cependant, le cabinet de paysagistes a mené une réflexion de fond sur le fonctionnement global de cet espace le conduisant à réinterroger la problématique de l’inondabilité. en effet, pour le bureau d’étude, l’ensemble des prairies st Martin constitue le champs d’expansion de l’ille (lit majeur). par conséquent, la présence de remblais observés sur une large partie des prairies s’avérait incompatible avec la fonction de stockage et d’expansion des crues (atelier de l’Île, 2008) : « aujourd’hui remblayé, le site des prairies st Martin ne joue plus son rôle de régulateur des crues, sa capacité de stockage ayant été fortement réduite »2. a ce constat s’ajoute l’analyse paysagère. celle-ci met en évidence l’absence de perception du chemin de l’eau et de son caractère inondable principalement liée au profil trop homogène des prairies, à l’effacement du réseau de drainage, à l’aspect dissimulé de l’illet et, d’une manière générale, au manque de relation entre le site et l’eau, élément pourtant fondateur du lieu. a partir du postulat « demain, libérées des constructions faisant obstacle à l’écoulement des eaux », quel devenir accorder aux parcelles déconstruites ? A cette problématique de reconquête, le bureau d’étude a associé la volonté de construire un paysage démonstratif du risque d’inondation en redonnant à l’eau sa fonction d’organisation du paysage, de réservoir de biodiversité et de support d’agrément. S’agissant de retrouver la fonction d’expansion des crues puis de l’affirmer, il a été proposé d’évacuer par décapage les remblais existants3 afin de favoriser l’installation de prairies humides, paysage caractéristique des milieux naturels inondables. Dépendantes du niveau de la nappe souterraine et de sa géométrie d’affleurement, les prairies présenteraient un faciès variable selon la saison. Un travail de nivellement fin a été préconisé afin de redécouvrir les traces hydromorphologiques du passé (les fossés notamment), d’encourager la mise en place de mares temporaires et de favoriser le drainage. 1 service parcs et jardins. 2 atelier De l’Île, 2008, Les prairies st Martin, vers un parc naturel urbain en cœur de ville, schéma d’organisation, principes d’aménagement et plan guide, cavalié b, Morisseau G, brard D., Ville de rennes, pp.31 3 terrassement compris entre 0,50 et 2,00 m de profondeur sur l’ensemble des emprises nécessaires correspondant à environ 70 000 m3 de déblais.

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chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

Figure 16 : Deuxième schéma directeur du réaménagement des Prairies st martin. atelier de l’Île, 2008 (réalisation Morisseau)

A une échelle plus large, le schéma directeur (figure 16) propose une nouvelle organisation de l’espace selon une succession de séquences paysagères qui mettent en scène un gradient de prairies semi-sèches à humides selon les modelés topographiques (entre canal, fossés, prairies, jardins et ille). Enfin, les prairies deviennent fédératrices d’espaces et d’usages diversifiés : espaces de découverte et d’observation des prairies humides et de leur écosystème, espaces de grandes manifestations festives et sportives, support de sentiers d’interprétation thématiques (prairies humides, prairies sèches, jardins, canal).

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ce projet, validé1 par les élus en 2008, marque une étape supplémentaire de l’intégration du risque dans la politique d’aménagement de ce site inondable. il manifeste plus encore l’intérêt porté par les pouvoirs publics au paysage du risque d’inondation en tant qu’ « atout de promotion d’un autre aménagement du territoire » (Beucher et Rode, 2009) et par les opportunités de valorisation multiforme qu’il fait naître. D’autres projets traduisent cet intérêt mobilisant d’autres outils de déconstruction à une échelle plus élargie et visent des opportunités de valorisation plus nombreuses. c’est le cas notamment du quartier de la bouillie à blois.

ii. le déversoir de la Bouillie à Blois

D

ans l’agglomération blésoise, certaines zones, surtout de rive gauche, entre les communes de Montlivault et candé-sur-beuvron, sont classées au plan de

prévention des risques d’inondation en aléas de niveau fort, voire très fort, c’est-à-dire des zones dangereuses qui, en cas d’inondation, représenteraient un enjeu de sécurité civile particulièrement important. pourtant, au-delà même d’une crue possible de la loire dans le Val de blois, ce sont les moyens mis en œuvre pour éviter la catastrophe qui sont surtout remis en cause.

1. la Bouillie, un quartier au cœur d’un ouvrage de régulation des crues ligériennes D’une longueur de 25 km pour une largeur moyenne de 1,5 km, le Val de blois (3 800 ha) possède deux déversoirs : - sur sa partie amont, le déversoir de Montlivault, d’une longueur de 560 m, réalisé à l’emplacement d’une brèche de la crue de 1856 ; - à mi-hauteur, le déversoir de la bouillie, d’une longueur de 450 m, beaucoup plus ancien2 et dont le bras de décharge, appelé parfois la boire, est l’ancien canal de blois (person, 2001). la protection du quartier entièrement endigué3 de blois-Vienne4 (3 300 habitants) et le rétrécissement du lit de la Loire au droit du Pont Jacques Gabriel ont justifié l’existence du déversoir de la bouillie, ouvrage de gestion des crues par l’espace (anciennement appelé déchargeoir). ainsi, pour une crue moyenne de la loire (légèrement supérieure à la crue cinquantennale), le fonctionnement du déversoir et la mise en eau du bras de décharge permettent d’éviter la mise en charge du pont Gabriel et de réduire sensiblement le risque de rupture des levées de loire. pour une crue de retour de 70 ans, le déversoir fonctionne 1 cette validation s’est traduite en septembre 2011 par le lancement d’un concours de maîtrise d’œuvre publique pour l’aménagement d’un « parc naturel urbain ». 2 première présence attestée en 1584. 3 levées de la loire en rive gauche et levées intérieures. 4 en terme de concentration d’enjeux, le quartier de Vienne apparaît comme le secteur stratégique du val de blois. pourtant, ce quartier a connu de nombreuses inondations par remontées de nappes mais également par rupture des levées intérieures.

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chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

durant plus de deux jours avec un débit de 300 m3/s (equipe pluridisciplinaire plGn, 2004). pour une crue de retour de 170 ans, le déversoir de Montlivault entre en fonctionnement un jour après celui de la bouillie. celui-ci fonctionne alors durant 3,5 jours avec un débit de 500 m3/s (Doussin, 2009). une hauteur d’eau de 3 à 4 m est observable dans certains secteurs étroits du bras de décharge (Minéa, 2000) ; lequel a fonctionné lors des trois grandes crues du 19e siècles (1846, 1856 et 1866) et lors des crues de 1907 et 1924.

actuellement, le problème majeur se situe au niveau du déversoir de la bouillie. en effet, ce déversoir est un des systèmes de défense de la ville de blois puisqu’il doit limiter le débit dans le lit endigué. cependant, sur les communes de blois, saintGervais-la-Forêt

et

dans

une

moindre mesure Vineuil (figure Figure 17 : Périmètre du val ligérien blésois entre coteau et ville endiguée. réalisation Morisseau.

17), des maisons (entre 135 et 150 habitations pour 400 habitants),

des locaux d’activités (20 entreprises), des jardins familiaux, une aire de grand passage des gens du voyage et de nombreuses installations précaires sont implantés dans le déversoir. ainsi, dans l’éventualité où le déversoir se mettrait en fonctionnement, les maisons de la zone constitueraient un véritable barrage et feraient obstacle au libre écoulement des eaux (photo 11 et figure 18). Le risque serait alors grand de voir la crue refouler sur le quartier de Vienne et la rive droite puisqu’il faut un exutoire à l’eau. De plus, si le quartier de la bouillie compte beaucoup moins d’enjeux que celui de Vienne, il reste soumis à un aléa important et surtout direct. De ce fait, la prise en compte du risque à l’intérieur du déversoir de la bouillie, compte tenu de la présence de vies humaines et d’activités économiques, constitue un enjeu majeur de sécurité civile. l’urbanisation du quartier de la bouillie s’est opérée au début du 20e siècle à la faveur d’un « relâchement »1 administratif alors que l’interdiction de construction était jusque là forte (person, op. cit.). cette urbanisation s’était renforcée depuis les années 1970 par le déplacement de familles issues d’autres quartiers populaires de blois (Zup nord notamment). a l’instar du quartier r. anthony de rennes, de nombreuses constructions ont été bâties directement par leurs propriétaires. avec le temps, cette urbanisation a gommé des lignes fortes, parfois historiques, du paysage (ancienne ligne de tramway, voie romaine…). 1 Doussin n., 2009, Mise en œuvre locale d’une stratégie globale de prévention du risque d’inondation : le cas de la Loire Moyenne, thèse de Doctorat, université de cergy-pontoise, 485 p.

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Photo 11 : Quartier et déversoir de la Bouillie aux franges du quartier endigué de Blois-Vienne, 2006. source agglopolys, photo lavallart p.

Figure 18 : Périmètre de la Zone d’aménagement Différé de la Bouillie. réalisation Morisseau 151


chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

le 25 mai 1998, un ppr est prescrit1 sur le Val de blois ; en juillet 1999 il classe le bras de décharge et le secteur de la Bouillie en zone A4 et confirme par là même l’arrêt de l’extension urbaine2 dans le val de blois. en 2000, la remise en état de fonctionnement du bras de décharge de la bouillie est classée parmi les opérations prioritaires du second plan loire. le déversoir étant un ouvrage aréolaire (surfacique), sa gestion et son bon fonctionnement résident dans la nature et l’organisation de l’espace. La préfecture confie alors une étude d’aménagement du site à un groupement de bureaux d’études3 composé notamment de paysagistes. Cette réflexion a permis de souligner différents enjeux : - redonner une identité paysagère au lieu, en tant que bras sec de la loire ; - définir de nouvelles vocations au site, à l’échelle de l’agglomération (vocation touristique notamment, par la création d’un plan d’eau) sans construction pérenne (hormis quelques constructions flottantes) ; - tenir compte de la spécificité sociale du quartier, composé d’une population modeste souvent âgée, à l’attachement profond au lieu et ignorante du risque auquel elle est exposée. si cette étude a formulé les premières orientations de réaménagement du site tournées vers la renaturation du chemin de l’eau et quelques pistes axées sur les loisirs, elle a surtout préconisé l’utilisation de l’outil Zone d’Aménagement Différé (ZAD) (figure 18) sous la conduite de l’intercommunalité pour une stratégie progressive de rachat des propriétés en parallèle d’une politique de communication et d’une démarche de concertation avec les habitants et les usagers du site. Afin d’identifier d’autres alternatives à la ZAD, une nouvelle étude a été confiée par la DDe d’indre-et-loire au bureau d’étude sogreah. celui-ci a conclu qu’aucune autre solution structurelle visant à protéger une partie ou la totalité du site de la bouillie n’était pertinente.

2. la ZaD, outil de désurbanisation : première étape de l’adaptation du territoire Le dispositif Zone d’Aménagement Différé (ZAD) est définitivement retenu par les services de l’etat comme étant le meilleur outil pour conduire une opération de désurbanisation sur un temps assez long et pour intégrer plus globalement le bras de décharge dans la dynamique territoriale de l’agglomération en tant qu’espace alluvial. a la demande de l’etat, la communauté d’agglomération de blois a donc mis en 1 la préparation est dirigée par les services de la DDe d’indre-et-loire ainsi que par les services des Dre et Diren. 2 En 1997, un projet urbain de rééquilibrage territorial centré autour du fleuve a conduit la ville de Blois à définir un projet de révision du pos sous-entendant 2 000 à 3 000 personnes de plus dans le quartier blois-Vienne. en 1998, ce projet a reçu un avis défavorable du préfet, par application anticipée du ppr. 3 equipe Minéa, urbanisme et communication, composée de J-p Ferrand, conseil en environnement, bochet a. et Gérard l., paysagistes, Hydratec, bureau d’étude technique en hydrologie et economie et Humanisme, sociologues.

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place une Zone d’aménagement Différé dans le déversoir. cet outil juridique, arrêté par le préfet de loir-et-cher le 6 octobre 2003 et exécutoire depuis février 2004, crée un droit de préemption qui positionne la communauté d’agglomération comme acquéreur prioritaire dans toutes les transactions immobilières du secteur avant d’en programmer leur démolition. 2.1 Les spécificités de l’outil ZAD le dispositif ZaD est un outil foncier créé en 1962 pour l’exercice du droit de préemption destiné à la réalisation d’actions ou d’opérations d’aménagement telles qu’ « un projet urbain, une politique locale d’habitat, la réalisation d’équipements collectifs, l’organisation d’activités économiques, le développement des loisirs et du tourisme, la lutte contre l’insalubrité, le renouvellement urbain, la sauvegarde ou la valorisation du patrimoine bâti ou non bâti, ou la constitution de réserves foncières »1… dans un temps limité à 14 ans. la jurisprudence a précisé que si l’objectif de la lutte contre la spéculation immobilière ne figurait pas dans cette liste, cet « objectif constitue le fondement même de l’édiction des dispositions législatives et réglementaires relatives aux zones d’aménagements différés »2. 2.2 la ZaD et son application sur le quartier de la Bouillie la ZaD permet donc à la communauté d’agglomération d’acquérir par préemption les biens existants dans le périmètre de la zone avant d’en programmer la destruction. Mais l’outil ZaD n’a pas été créé dans le seul objectif de préserver l’occupation du sol et moins encore pour prévenir du risque d’inondation ; l’objet officiel (tel qu’il est défini dans l’article 210-1 du code de l’urbanisme) de la ZaD de la bouillie est le « réaménagement du chenal de décharge et [la] sauvegarde du patrimoine bâti du quartier Vienne », respectant ainsi les principes d’une ZaD en tant qu’outil d’urbanisme. cependant, au regard de l’information sur le caractère inondable imposé aux acquéreurs potentiels et de l’inconstructibilité relative au ppri, la ZaD de la bouillie ne peut s’appliquer comme une ZaD traditionnelle. ainsi, les propositions d’achats disparaissant, la communauté d’agglomération est devenue le seul acquéreur et déclencheur des intentions de vente. a la différence de l’expropriation (comme dans le cas des prairies st Martin), les propriétaires ne sont pas contraints réglementairement de céder leur bien obligeant la collectivité à s’investir dans un dialogue avec les habitants. pour les concepteurs, le choix de la ZaD permettait un démarrage plus rapide qu’une expropriation pour cause d’utilité publique, impliquant une enquête puis une Déclaration d’utilité publique (Dup) ; l’obtention du droit d’expropriation au titre de la loi barnier3 n’étant de plus pas garantie (Doussin, 2009).

1 article l. 210-1 du code de l’urbanisme 2 conseil d’état, 8 juin 1994, arrêt n°126 486, commune de Mitry Mory 3 Expropriation destinée en particulier à la prévention des crues torrentielles dites « éclairs », ce qui n’est pas le cas dans le déversoir de la bouillie.

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chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

2.3 les écueils de la ZaD de la Bouillie l’étude Minea, instigatrice de la ZaD, avait émis quelques avertissements et préconisations quant à l’utilisation de cet outil : l’aspect potentiellement conflictuel de la démarche, les difficultés de relogement du fait de la raréfaction de l’offre foncière sur l’agglomération ou encore le risque de paupérisation du quartier le temps de la procédure. et en effet, la ZaD de la bouillie a dû faire face à de nombreux obstacles (mis en lumière et développés dans la thèse de Doussin), parmi lesquels nous citerons : les difficultés liées au montage financier et à l’estimation des biens, le manque de communications entre la collectivité et les habitants1, l’absence d’une véritable transmission du projet entre les services de l’etat et l’intercommunalité, l’absence de collaboration entre les services de la ville de blois et ceux de l’agglomération sur le dossier2 et, surtout, la disparition progressive, jusqu’en 20063, de la réflexion sur le devenir du site au profit de la seule destruction des enjeux bâtis.

3. evaluation d’une opération innovante Malgré les difficultés rencontrées, les objectifs de cette opération pilote n’ont jamais varié : remise en état d’un ouvrage hydraulique pour diminuer le risque de ruptures des levées et réduction de la vulnérabilité territoriale par délocalisation des enjeux. ainsi, l’utilité du bras de décharge de la bouillie dans un système de protection global a été maintenue et réaffirmée. Un autre point fort du projet réside dans l’implication forte d’une collectivité locale, dans l’esprit du plan loire ii mais aussi des nouvelles politiques de prévention du risque d’inondation (Doussin, 2009). cependant, si l’opération semble être un succès en terme d’enjeux rachetés, elle n’est pas présentée par les acteurs du plan loire iii comme un projet exemplaire au regard du climat social qu’elle a généré (Doussin, 2009). la seule désurbanisation n’a (pour l’instant) permis de réinscrire ce site périurbain dans une approche globale et durable du développement d’un territoire en zone inondable, qui mettrait en œuvre une gestion intégrée du risque d’inondation (beucher et rode, 2009). Cette opération pilote devant prendre fin en 2018, à la fin du délai de ZAD, des questions restent en suspens quant à la poursuite du projet. certes, la délocalisation des enjeux est une étape dans la résilience proactive du val ligérien blésois mais ne suffit pas à définir un projet de mitigation paysagère. La suppression du bâti engendrerait-elle une autre vulnérabilité imposant une autre stratégie de gestion ? participe-t-elle d’un cycle adaptatif utile à la définition d’un projet de mitigation paysagère ?

1 a partir de 2005, la poursuite du projet a montré la nécessité d’un portage politique et pas uniquement technique de la communication. 2 la prise en charge du dossier ZaD par l’intercommunalité s’est accompagnée d’un désengagement par les services de la ville de la politique locale de prévention des risques d’inondation marqué par l’absence de d’échange ou de transmission de connaissances entre techniciens. 3 Date de relance de la réflexion menée par les étudiants de l’Ecole du Paysage de Blois sur le devenir du déversoir de la bouillie.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

iii. nouvelle étape de l’adaptation : des questions à l’échelle du grand paysage 1. la constitution de délaissés périurbains il est pertinent de constater comment le risque et son appréhension transforment un territoire et l’isolent du reste de la ville. Ainsi, depuis 2004, au fil des acquisitions foncières, les parcelles se démantèlent, les dents creuses se multiplient, le vide envahit le quartier où seuls subsistent quelques grands arbres, témoins du passé habité (planche photographique 6).

Planche photographique 6 : Formation de délaissés périurbains dans le quartier la Bouillie, Blois. photos Morisseau, 2009.

Dans les discours relatifs à la ZaD, on remarque que la notion de “démolition“ est davantage traduite par le terme de “déconstruction“1. plutôt qu’une idée de destruction ou de ruine, celui-ci évoque l’idée de valorisation par désassemblage et un retour à un état antérieur, plus stable. la notion de “désurbanisation“ (agglopolys, 2008), également usitée, évoque, elle, le retour à un paysage moins “construit“, moins “urbain“ ; est-ce à dire plus rural ? la désurbanisation est plus exactement « une doctrine politique visant à développer l’espace rural par le désengorgement des villes (implantation d’activités économiques, création d’emplois)2 ». La singularité ici est la double dynamique caractérisée par l’opération sur le bâti (dans une dimension urbaine) et la recherche de développement 1 « Démontage sélectif d’installations techniques ou de certains éléments d’une construction, afin de valoriser les déchets et de réduire les mises à la décharge » (Larousse, 2005). 2 Dictionnaire larousse

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chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

par le réaménagement (dans une dimension périurbaine, voire rurale). autrement dit, il s’agit dans ce cas d’une désurbanisation de la ville sur elle-même. ainsi se superposent deux objectifs inscrits dans un cycle adaptatif : celui d’un retour à un nouvel état de stabilité (face au risque d’inondation) et celui d’une revitalisation de l’espace rural du val ligérien blésois.

2. cycle adaptatif et apparition d’une nouvelle vulnérabilité l’opération ZaD décrit un cycle adaptatif caractérisant la résilience du système face au risque d’inondation. ce type de résilience systémique a été modélisé par plusieurs approches complémentaires, dont le modèle du cycle adaptatif1 (figure 19) et le modèle de panarchy (Gunderson et Holling, 2001) dont nous ferons plus bas la description. Le modèle du cycle adaptatif identifie quatre phases par lesquelles transitent une société et son territoire pour passer d’un état d’équilibre à un autre. chacun des stades est une phase distincte, avec sa dynamique propre et sa valeur de résilience. la résilience globale du système mesure la capacité d’un système à transiter par ces différentes phases, passant ainsi d’un état de stabilité à un autre. Dans le cadre de la Bouille, on identifie :

• r : phase où le système n’est pas encore urbanisé (résilience forte). • k : phase où le système est urbanisé, le déversoir est obstrué (résilience faible). • Ω : phase de la ZAD et de la désurbanisation (résilience faible face à un autre type de risque). • α : phase de formation des délaissés périurbains et bifurcation du système Figure 19 : modèle du cycle adaptatif (d'après résilience alliance, 2002)

cette bifurcation potentielle est admise par le changement de statut du système. en effet, on observe que la phase de réorganisation soumet le système à une autre vulnérabilité, indépendante du risque d’inondation mais relative à la désurbanisation et à l’absence de projet immédiat. celle-ci est inhérente au risque de banalisation du paysage par lequel un territoire est abandonné puis se transforme en no man’s land ou bien se laisse réapproprier à des fins et usages non maîtrisés. Il s’agit plus exactement de la vulnérabilité paysagère (précédemment évoquée dans le chapitre 2 relatif aux “zones noires“ consécutives de la tempête Xynthia). ainsi, un système trop adapté à un risque précis peut être vulnérable à

1 resilience alliance, 2002, (Groupe de recherche multidisciplinaire. il étudie les dynamiques des systèmes complexes adaptatifs. il a fait évoluer ce concept.)

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

un autre1. par le caractère périurbain et le statut d’entrée de ville du site, cette vulnérabilité paysagère sous-tend des problèmes de gestion et de sécurité. Dès lors, cette question oblige la communauté d’agglomération à réduire cette vulnérabilité. cet objectif s’est traduit par le lancement en 2009 de l’étude prospective sur le devenir du site, illustrant la recherche d’une autre résilience2 et engageant par là même un nouveau cycle adaptatif. ce processus démontre : - le caractère positif de la vulnérabilité (Gallopin, 2006), par la relance de la réflexion sur le réaménagement du site, un temps abandonnée au profit des acquisitions/démolitions. - la résilience3 n’est pas toujours un concept “positif“ (tout système étant soumis à une vulnérabilité, quelle qu’elle soit). ce double constat ouvre le champ sémantique et intellectuel à la notion de « vulnérabilité résiliençaire* » (Provitolo, 2009).

3. la vulnérabilité résiliençaire et le cycle de Panarchy cette notion permet d’imbriquer des cycles adaptatifs (caractérisés par des échelles spatio-temporelles différentes) comme l’illustre le modèle multiscalaire de panarchy (figure 20), schématisé sur 2 cycles connectés entre eux. Deux connexions apparaissent : - la connexion “révolte“ : des évènements rapides dans le cycle adaptatif d’un système perturbent des processus lents dans le cycle adaptatif d’un méta-système ; la formation de délaissés dans le quartier de la bouillie induit des enjeux (développés infra) à l’échelle du Val. - la connexion “mémoire“ : le

renouvellement

du

cycle

du système est organisé par la phase K du cycle du métasystème. s’appuie écologique,

ce

renouvellement sur

l’héritage

institutionnel/social

et économique (fondement du Figure 20 : modèle du cycle de Panarchy (d’après Gunderson et Holling, 2001)

développement durable).

1 « L’adaptabilité du système pour un choc bien précis peut entraîner la décroissance d’une résilience générale face à des chocs inconnus ou extrêmes » (Provitolo, 2009) 2 la résilience est un concept systémique : la résilience d’un territoire passe par la transversalité. l’aspect systémique ne doit pas être négligé car c’est là que réside la force de ce concept. il permet de s’intéresser aux fonctionnements et aux interactions. 3 résilience = résistance (faible vulnérabilité) + adaptation (capacité de transformation)

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chapitre 3 - dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation

cette approche implique que la disparition du sous-système “bâti“ révèle la capacité de résilience du méta-système (le Val blésois). c’est ainsi que la ZaD et la déconstruction ouvrent la voie à la définition d’un projet de mitigation paysagère dont les fondements s’appuieraient sur les ressources écologiques, sociales et économiques du tissu local appréhendé sous différentes échelles1. en effet, le passage d’une vulnérabilité (relative au risque d’inondation) à une autre (paysagère) implique le passage d’une échelle à une autre superposant des enjeux. par sa situation périurbaine, à l’interface entre pôles urbains, milieux naturels et agricoles et par sa fonction d’entrée de ville, le site de la bouillie présente une multitude d’enjeux (atelier de l’Île, 2010) parmi lesquels nous citerons : Des enjeux de paysages et de territoire (détourner la contrainte inondable pour donner une valeur ajoutée au territoire, fédérer la diversité écologique et paysagère, construire un projet appuyé sur le cosson, ouvrir le paysage pour renforcer sa lisibilité entre ville et coteau) ; des enjeux d’usages (exploiter les proximités potentielles par des complémentarités d’usages) ; des enjeux d’image (conforter l’image touristique du complexe blois/cheverny/chambord en tant qu’image “exceptionnelle“ des paysages classés à l’unesco2 dans la catégorie des Paysages culturels vivants, requalifier les entrées de ville de Blois et les articulations avec le coteau, diversifier les accessibilités du site ; et enfin des enjeux sociaux (recréer un espace public lisible et appropriable). L’interconnexion de ces enjeux préfigure les multiples trajectoires par lesquelles le système “Bouillie“ peut transiter. La définition d’un projet de mitigation paysagère répondant à ces enjeux nécessite de construire une réflexion à l’échelle globale du val, de la ville mais également de l’agglomération soit à l’échelle dite du “grand paysage“. cette mitigation paysagère doit s’attacher d’une part à réduire la vulnérabilité paysagère et, d’autre part, à maintenir un niveau de vulnérabilité réduite face au risque d’inondation tout en apportant une valeur ajoutée au territoire.

l

es exemples des prairies st Martin à rennes et du déversoir de la bouillie à blois

montrent que les collectivités n’hésitent pas, dans une logique de délocalisation des

enjeux bâtis, à mettre en œuvre des outils d’expropriation ou de préemption afin de soustraire certains espaces au risque d’inondation caractérisant ainsi une première étape du repli stratégique. Toutefois, le seul usage de l’outil réglementaire ne saurait être suffisant dans la mesure où il engendre, à l’instar du cas blésois, une vulnérabilité paysagère consécutive des délaissés progressivement générés par la désurbanisation. la résilience du système est alors relative. néanmoins, la nouvelle vulnérabilité perçue contraint la collectivité à mener une réflexion plus globale à l’échelle du val blésois afin de répondre à d’autres enjeux de territoire et peut donc, en ce sens, être qualifiée de vulnérabilité résiliençaire.

1 « C’est l’interaction entre les phénomènes à différentes échelles qui doit retenir notre attention. » leVin siMon a. 1992, the problem of pattern and scale in ecology : the robert H. Macarthur award lecture. ecology, Vol. 73, no. 6 (Dec., 1992), pp. 1943-1967. 2 United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

l

es réductions successives des vulnérabilités décrivent un cycle adaptatif dans lequel le système passe d’une modalité de résilience à une autre et dans lequel une phase de

bifurcation lui permet de définir ses trajectoires. Dans le cas blésois, deux cycles adaptatifs s’imbriquent : l’un est inhérent à la réduction du risque d’inondation à l’échelle du quartier de la bouillie, l’autre est inhérent à la réduction de la vulnérabilité paysagère à l’échelle du val blésois. cette imbrication induit un cycle global (cycle de panarchy) duquel peut émerger un projet de mitigation paysagère ; projet qui superposera les enjeux de maintien d’une vulnérabilité faible face au risque d’inondation et les enjeux d’une reconversion paysagère du val. les expériences de dépoldérisation abordées au début de ce chapitre ont montré que la mitigation paysagère se révélait être une source de valeur ajoutée aux territoires. cependant, au-delà des aménités du paysage, la mitigation paysagère peut-elle proposer d’autres fonctions au paysage ? l’étude prospective lancée en 2009 par la communauté d’agglomération a permis d’explorer différentes trajectoires du système et d’approfondir un projet de réaménagement. comment ce projet intègre-t-il le risque d’inondation ? sous quelles formes paysagères, sociales et économiques ? En quoi peut-il être qualifié de projet de mitigation paysagère ?

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

cHapitre

4

projet de paysage et développement local : les nouveaux paysages du risque

«

Nous avons à vivre non point dans un monde nouveau dont il serait possible au moins de faire la description, mais dans un monde mobile, c’est-à-dire que le concept d’adaptation doit être généralisé pour rester applicable à nos sociétés en accélération.

»

Gaston Berger1

1

extrait d’ « education et prospective ».

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

l

e cycle adaptatif décrit précédemment identifie une phase de bifurcation possible du système ; dans quelles directions le système peut-il transiter. cette étape détermine

les choix de réorganisation et de réaménagement du territoire. ces choix conduisent à la définition (partagée par les acteurs) de nouveaux paysages. Dans le cadre de l’étude sur le Val blésois, il a été fait usage de la méthode prospective afin d’étudier différents choix de recomposition paysagère et spatiale. Ainsi nous présenterons d’abord cette démarche prospective sur le devenir du site de la bouillie ajustée au développement local (acteurs, échelle, tendances, signaux faibles…), en mettant en perspective la réflexion paysagiste et les scénarios d’aménagement conduisant à définir un nouvel espace au service de la ville. puis nous présenterons le scénario retenu par les acteurs et l’analyserons de manière systémique afin de comprendre les processus de fonctionnement et de recomposition territoriale. nous tenterons de comprendre en quoi le projet proposé se révèle être un projet de mitigation paysagère, source de valeur ajoutée par la constitution d’un parc spécialisé. Enfin, ce renouvellement paysager, initiateur de nouveaux espaces, lieux et usages, traduit-il l’émergence d’une culture plurielle du risque d’inondation ?

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CHAPITRE 4 - PRojET dE PAys PA AgE ET dévEloPPEmEnT loCAl : lEs nouvEAux PAys PA AgEs du RIsquE

Quartier de la Bouillie et quartier Blois-Vienne, 2009. source agglopolys, photo lavallart p.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

a. une expérience de prospective paysagère

l

a prospective est avant tout une façon de réfléchir et une démarche (Jouvenel, 2004 ; Godet, 2007), voire une attitude (berger, 1958 ; berger, 1964). Des méthodes

ont été construites pour l’organiser. quant aux outils, ils visent à faciliter certaines étapes de cette démarche. il n’y a donc pas une méthode de prospective unique qui permettrait de produire automatiquement des résultats probants. la méthode ici retenue, développée aux etats-unis par Herman Kahn dans les années 1950, consiste à construire des scénarios pour explorer les futurs d’un territoire à moyen-long terme. largement employée dans des domaines variés, cette démarche aboutit à la présentation de différentes histoires de futurs possibles1. il s’agit de comprendre et d’analyser, par l’exemple de la bouillie, en quoi cette expérience de prospective, appliquée ici au paysage (et encore trop rare par ailleurs), s’avère pertinente dans l’appréhension du risque et de la vulnérabilité paysagère. comment et par quels acteurs permet-elle d’accompagner pro-activement les changements de paysage et de développer une nouvelle didactique du territoire et du risque d’inondation ? aussi, il convient de préciser qu’il ne s’agissait pas de prospective « exploratoire » ou « tendancielle » (que peut-il advenir ?) mais bien de prospective dite « stratégique » ou «normative» (que voulons-nous ? quel futur est-il souhaitable ?).

i. une étude prospective sur le devenir du site de la Bouillie à Blois 1. une orientation sur le paysage 1.1 une maîtrise d’ouvrage sensibilisée a blois, la notion de paysage détient, dans le discours, une légitimité particulière issue du terreau intellectuel local. l’implantation de l’ecole nationale supérieure de la nature et du paysage (ensnp) dans la ville n’y est pas étrangère. Multipliant les conventions d’études avec les collectivités locales, l’école est devenue un véritable outil d’ouverture et de sensibilisation des élus et des acteurs locaux au paysage. la présence d’élus (conseiller général, conseiller municipal) en tant qu’enseignant à l’ensnp témoigne de cette relation forte ; l’exemple le plus caractéristique étant celui du président de la communauté d’agglomération, ancien directeur de cabinet de Jack lang (à l’initiative de la création de l’école du paysage à blois), enseignant la décentralisation et la politique territoriale dans l’établissement. en 2009, le lancement par la communauté d’agglomération de l’étude prospective sur le devenir du site de la Bouillie reflète par son contenu et ses objectifs cette conscience du paysage et de ses opportunités. 1

ou « futuribles » : néologisme créé par Bertrand de Jouvenel

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CHAPITRE 4 - PRojET dE PAys PA AgE ET dévEloPPEmEnT loCAl : lEs nouvEAux PAys PA AgEs du RIsquE

1.2 cahier des charges de l’étude prospective sur le devenir du site de la Bouillie l’étude précédente (Minéa, 2000) et celle réalisée par les étudiants de l’ensnp pour le compte de la communauté d’agglomération en 2005, avaient préalablement démontré l’importance de considérer le paysage et de définir une échelle pertinente de réflexion du projet. ces études ont également conduit à produire une conscience des potentialités du site en terme de reconversion. l’approche de l’ensnp a servi de modèle méthodologique à l’étude lancée en 2009. chaque proposition d’étudiant étant autant de visions et de scénarios d’évolution du territoire, la démarche prospective s’est imposée avec pertinence dans le cahier des charges de l’étude. ainsi, suite à un diagnostic du site, le prestataire devait proposer plusieurs scénarios d’aménagement (dont le programme et les contraintes seront décrits plus loin). les propositions devaient être mises en perspective avec les projets en cours dans le quartier de Vienne, élargissant ainsi l’échelle de réflexion sur la totalité du déversoir de la Bouillie. Des zooms pouvaient être réalisés de manière plus particulière sur les secteurs à enjeux. chaque proposition devait donner lieu à une illustration graphique (plan et vue en perspective). Dans un second temps, en fonction de la ou des propositions que les élus ont retenu, il a été demandé au prestataire de développer un scenario en soumettant une méthode à la communauté d’agglomération de blois pour mettre en œuvre le projet : faisabilité, calendrier, coût global pour la collectivité, stratégie, partenariats éventuels à nouer, références de projets mis en œuvre à travers l’europe, etc. Le cahier des charges évoquait la définition d’un «projet d’aménagement» mais pas de “projet de paysage“. cependant, l’équipe lauréate s’est constituée autour d’une agence de paysage. 1.3 une équipe pluridisciplinaire l’équipe lauréate fut un groupement pluridisciplinaire composé d’un cabinet de paysagistes1 (mandataire), d’un cabinet d’urbanistes programmistes2 et d’une géographe3 spécialiste du territoire ligérien. Dans sa note méthodologique, l’équipe a fait part de son ambition de construire une réflexion fondée sur le paysage afin de considérer le territoire dans toutes ses dimensions, sa complexité et ses richesses : « en matière d’aménagement, il semble que le paysage soit une bonne entrée dans la mesure où il nous invite (nous contraint) à une approche globale d’un territoire et des processus qui y sont à l’œuvre. »

1 l’atelier de l’Île composé de b. cavalié, directeur d’étude et de G. Morisseau, chargé d’étude. 2 Gérau conseil, J. cescau. 3 s. servain-courant, Maître de conférences à l’université François rabelais de tours - laboratoire : citeres uMr cnrs 6173.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

2. Programme de la maîtrise d’ouvrage les orientations formulées par les élus lors de la réunion de démarrage de l’étude témoignaient à la fois d’une véritable compréhension du site, de son fonctionnement, de ses enjeux, et d’attentes fortes en terme de propositions. ainsi, les élus ont insisté sur le nécessaire élargissement de la réflexion (dépasser les limites du périmètre de la ZAD) afin de définir un projet en lien avec le quartier endigué de Vienne. Ils ont également suggéré des orientations sur les vocations possibles et proposé de s’appuyer sur les lignes fortes et historiques du site. 2.1 les objectifs il s’agissait de proposer, à moyen-long terme, « une ou des vocations au site compatible(s) avec le risque d’inondation ». Cette formule sous-entend deux aspects : - L’aspect réglementaire : définir un projet qui satisfasse aux contraintes du PPRI. - l’aspect physique : construire un projet dont la ou les activités seront peu ou pas perturbées par l’occurrence d’une inondation, donc doté d’un niveau de résilience élevé. cet aspect implique d’intégrer le risque dans le projet et de composer avec (on verra si celui-ci apporte une valeur ajoutée au site au moment même où l’événement se produit). l’inondabilité et son occurrence potentielle deviennent ainsi un repère fondamental dans la programmation. a cette recherche de compatibilité se sont ajoutés deux objectifs superposant les deux temporalités de la ZaD et du projet de réaménagement : - Occuper l’espace en requalifiant les friches par « un projet de transition » afin de réduire la vulnérabilité paysagère ; - accompagner la déconstruction du bâti et la libération des parcelles par la réalisation progressive du projet retenu afin que l’opération de réaménagement s’achève à la fin de la ZAD, en 2018. il s’agissait aussi de proposer rapidement un projet qui expose à la population le devenir du quartier afin d’apaiser les esprits et de rendre compréhensible l’opération de déconstruction. il était important pour les élus de démontrer l’absence d’instrumentalisation du risque d’inondation au service d’un autre projet d’urbanisation ou de toute autre spéculation. Ainsi, une volonté forte était de définir un projet qui expose visuellement le risque impliquant de réfléchir sur le chemin de l’eau, notamment sur sa nature et sa fonction. par ailleurs, les élus se sont fait l’écho de la population qui souhaitait laisser une trace de leur vie à la bouillie et voir conserver certains éléments identitaires de leur quartier en tant que témoins du passé habité (petit patrimoine et sujets végétaux remarquables).

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CHAPITRE 4 - PRojET dE PAys PA AgE ET dévEloPPEmEnT loCAl : lEs nouvEAux PAys PA AgEs du RIsquE

2.2 une contrainte économique Devenant progressivement propriétaire de 60 ha d’espaces périurbains à gérer, la communauté d’agglomération souhaitait disposer d’un projet dont le coût de gestion imposé serait nul, ce qui introduisait l’opportunité et la volonté de rendre productif ce nouveau foncier public. aussi, les services de l’etat (Dreal1 centre), membres du comité technique, ont indiqué encourager la définition d’un projet « intelligent » ; c’est à dire un projet qui, malgré les restrictions liées au ppri, apporte une source de développement et une valeur ajoutée au territoire. ceci impliquait au préalable d’établir et de partager, avec les acteurs locaux, un diagnostic global de l’état du territoire existant afin de préfigurer une ou des visions à moyen-long terme du val ligérien blésois ; autrement dit, un exercice de prospective.

ii. la démarche de prospective paysagère : un ajustement à l’intercommunalité et au territoire si la prospective a pour objectifs de se pencher sur le futur, elle s’intéresse aussi au passé et à l’existant ; d’où la nécessité d’établir un état des lieux et un diagnostic du territoire. aussi, la prospective (contrairement à la prévision) s’intéresse aux faits générateurs de ruptures, aux mutations, à ce qui n’est pas prévisible en fonction des seules tendances du passé. c’est un inventaire du champ des possibles, des futurs possibles (aussi appelés « futuribles ») conduisant à tenir compte de la capacité de réaction, d’adaptation et (ou) de changement de système devant une situation donnée. ceci n’est pas sans rappeler le processus des cycles adaptatifs analysé dans le chapitre précédent. Ainsi, la prospective intrique deux échelles spatio-temporelles celle de la réflexion et celle du projet. en d’autres termes, comment donner du sens et une identité à du “vide“ qui se constitue peu à peu ? l’approche retenue par les paysagistes de l’atelier de l’Île a d’interrogé l’enveloppe du “vide“. puisqu’il s’agissait d’anticiper dès 2009 la désurbanisation totale du quartier, la réflexion prospective sur son devenir n’avait de sens qu’en le considérant à l’échelle globale de l’agglomération, à l’échelle du grand paysage. la recherche de vocation(s) allait ainsi dépasser les limites propres du délaissé devenues progressivement floues, se confondant par endroits avec le paysage alluvial du val du Cosson. Tout l’enjeu de la réflexion a donc été de réinscrire le secteur de la Bouillie dans son contexte global, à l’échelle du val du cosson et du lit majeur de la loire.

1

Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

1. Diagnostic1 commun et lecture partagée du territoire : un préalable à l’exercice de prospective cette première étape visait à démontrer la richesse et à suggérer les potentialités paysagères du site, souvent perçu comme homogène et uniforme (atelier de l’île, 2010).

1.1 Des séquences paysagères variées le val se caractérise par une diversité de paysages2 lisibles sous forme de séquences (figure 21) et dans lesquelles l’eau s’identifie selon une palette de motifs paysagers variés (cours d’eau du Cosson, mares temporaires ou permanentes, affleurements de nappes, fossés…).

Figure 21 : schéma des séquences paysagères du val ligérien blésois. source atelier de l'Île, 2010. réalisation Morisseau.

l’analyse paysagère a souligné le rôle de frange et d’articulation de cet espace entre la ville endiguée et le coteau sud blésois, le qualifiant d’antichambre verte, naturelle, d’espace tampon et d’écotone. 1.2 les principaux usages avant d’émettre des propositions de vocations au site, le diagnostic a permis de s’interroger sur la nature, le sens, la forme et la localisation des usages existants caractérisés par une identité paysagère forte : les jardins familiaux, le parc des expositions, le centre équestre, l’aire de grand passage... A ce stade de la réflexion, la légitimité actuelle de ces entités n’était pas avérée mais pouvait représenter des opportunités d’accroches spatiales à de futures vocations.

1 Le diagnostic permet d’identifier les atouts à préserver et à valoriser ainsi que les contraintes et les dysfonctionnements d’un territoire. 2 paysages agricoles, périurbains ou bocagers.

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1.3 les traces historiques l’analyse a permis de rappeler que ce qui est aujourd’hui le déversoir de la bouillie était au 17e siècle le chenal d’écoulement d’un canal (le canal de blois) qui entretenait une communication régulière avec la loire : un espace caractérisé par une variabilité paysagère. il a également été rappelé l’existence au 19e siècle d’un parcellaire marqué par l’eau et de jardins en entrée de ville (porte Wilson), à hauteur de l’actuel quartier de la bouillie, ainsi qu’en pied de coteau au droit de st Gervais. notre site d’étude était donc un espace productif organisé par une trame hydrographique. Enfin, des lignes fortes historiques maillent le site. il s’agit des ponts chartrains, des ponts st Michel ou encore de l’ancienne ligne de tramway1 sur lesquelles devra s’appuyer le projet de réaménagement. 1.4 Une autre échelle de réflexion si l’analyse paysagère et le diagnostic ont principalement été réalisés à l’échelle “physique“ du val (entre digue et coteau), une échelle parallèle a guidé la réflexion, l’échelle “programmatique“, qui élargit la première et sous-tend des accroches potentielles ou des points d’appui au site d’étude. il a ainsi été établi l’inventaire des mutations locales en cours ou à venir, sur la base des projets de développement émergents. Dans la ville endiguée de blois-Vienne : - constitution d’un pôle sportif à partir du projet de centre aquatique, de la délocalisation consécutive à la ZaD des terrains de tennis de l’aaJb et des terrains de sports situés à l’entrée du déversoir, - projet d’installation de jardins familiaux en tissu urbain, - Développement d’un pôle horticole, composé du lycée Horticole de blois, des Jardins de cocagne (jardins maraîchers biologiques à vocation d’insertion sociale et professionnelle) et des serres municipales. et dans le val amont : réaménagement de l’ancien site du lac de loire2. l’analyse et le diagnostic multiscalaire ont révélé l’existence d’un espace périurbain aux ambiances paysagères multiples et stratégiques à l’échelle de l’agglomération. considérant la rupture engendrée par la ZaD et les ambitions de réaménagement du site de la bouillie, cette première étape a conduit à formuler de nombreux enjeux3 de paysages, de territoire, d’usages et d’images (cf. chapitre 3.b.iii.3) partagés et validés par l’ensemble des acteurs composant les comités technique et de pilotage.

1 ligne qui reliait blois aux bas de st Gervais. 2 ancien centre nautique fermé consécutivement au démantèlement du barrage en 2009 qui visait à rendre son caractère sauvage au fleuve. 3 « Problématique identifiée qui porte en elle un potentiel de changements, positifs (opportunités) ou négatifs (menaces) et qu’il est nécessaire de prendre en compte pour construire une prospective et déterminer une stratégie. L’enjeu est ce qui, sur le terrain [...] peut être perdu ou gagné. Un des rôles de la prospective consiste à identifier des enjeux futurs, imaginables, et, surtout de long terme». (Jouvenel, 2009)

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2. les acteurs de l’étude prospective Dès la définition de la ZAD, il était apparu aux concepteurs de la démarche (les services de l’etat) que l’intercommunalité était l’acteur le plus à même de porter l’opération en tant que maîtrise d’ouvrage, parce que le bras de décharge s’étend sur trois communes de l’intercommunalité et parce que l’etat estime ne pas avoir vocation à porter des opérations locales relatives à l’urbanisme et à la réduction de la vulnérabilité (gestion décentralisée du risque). sur ce point, le plan loire ii insiste sur l’implication des collectivités locales1. alors que la transmission de l’opération ZaD à la communauté d’agglomération a été marquée en 2002 par un désengagement des services municipaux (Doussin, 2009), la nouvelle étude prospective a réuni l’ensemble des services de la ville de blois et de la communauté d’agglomération concernés. Cette “réunification“ est conséquente de la fusion en 2006 des services de la ville et de l’agglomération. le comité technique fut ainsi composé d’un large panel de services (aménagement de l’espace, urbanisme, habitat/gens du voyage, culture/tourisme/loisirs, cadre de vie, mission risques, mission relogement, développement territorial et économique) renforçant l’intérêt de l’étude. la prospective, méthode pluridisciplinaire, a ainsi été reconnue et de nombreux acteurs se la sont approprié (Jouvenel, 2009). en effet, la prospective s’intéresse aux ruptures possibles décelables par l’observation des tendances lourdes et des phénomènes émergents porteurs d’avenir et par l’écoute des signaux faibles. le bureau d’étude a donc mené de nombreux entretiens avec les acteurs du comité technique et bien d’autres2 afin que chacun s’exprime sur sa vision, ses attentes et le sens du paysage ligérien blésois. ainsi, aux acteurs initialement concernés se sont ajoutés de nouveaux3, liés aux tendances et aux signaux faibles perçus durant la phase diagnostic. ces nouveaux acteurs ont permis de faire émerger des germes de changement et de préfigurer des propositions de vocations.

3. les tendances4 Des acteurs ont fait référence à des vocations proches de certaines tendances actuelles de notre société. ainsi, au regard des contraintes et de l’historique du site, des élus ont rapidement confié leur ambition de développer une activité de maraîchage biologique dont la tendance nationale s’illustre par le « mode de consommation bio » renforcée par les objectifs du Grenelle de l’environnement (2007) : développement d’une agriculture biologique avec 6 % des surfaces en bio en 2012 (soit un triplement de la surface actuelle), et 20 % de produits bio dans la restauration collective en 2012. D’autres discours se partageaient entre les loisirs et le tourisme de nature. Enfin, un discours plus minoritaire évoquait la tendance aux énergies renouvelables et notamment la bioénergie. 1 l’utilisation des crédits du plan loire ii doit permettre de ne faire porter que faiblement le coût de la démarche à l’intercommunalité et faciliter ainsi son engagement. 2 elus, techniciens, ingénieurs, associations, conservatoire des sites, observatoire loire, chambre de l’agriculture, lycée horticole… 3 il pourra être regretté l’absence d’habitant ou d’usager dans ce large panel d’acteurs. 4 une tendance est une transformation mesurable ou observable au sein d’un système donné et dont l’évolution est prévisible dans le temps (Jouvenel, 2009).

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aussi, par la dimension stratégique de cet exercice de prospective, il convenait de déterminer les signes porteurs d’avenir à l’échelle de l’agglomération à partir desquels développer les tendances précitées.

4. les signaux faibles du développement local les signaux faibles1 sont des variables qui peuvent constituer les tendances de demain. ainsi, le contexte local s’illustre par : - L’émergence d’une « couveuse d’entreprises »2 en maraîchage biologique ; - l’essor des Jardins de cocagne (production et vente de paniers de légumes bio). le développement local témoigne d’une activité croissante des structures existantes. c’est le cas d’une association de 26 producteurs en région centre qui propose à la vente des paniers de fruits et légumes. elle a connu un décuplement de son chiffre d’affaire en 4 ans, d’où une réelle demande locale en produit bio. Mais la production actuelle reste inférieure à la demande (faute de foncier) d’où une crainte de ne pouvoir prochainement satisfaire la demande. et en loir-et-cher, trois structures agricoles (ca413, adasea4, Gablec5) ont été sollicitées en 2009 par 28 candidats à l’installation maraîchère dont certains sont en recherche de foncier. D’autres projets émergent : - l’installation de jardins familiaux en tissu urbain, - la création d’un écopôle touristique sur l’ancien site du lac de loire par la délocalisation notamment de l’observatoire loire de blois (actuellement situé en centre-ville), - la construction d’une chaufferie biomasse à blois. ces signaux s’inscrivent au cœur d’une ambition politique de développement d’une « green Valley » à l’échelle régionale, profitant du classement Unesco de la Loire, de l’image touristique de la région (châteaux de blois et cheverny), de l’enseignement et de la recherche, du développement des métiers “verts“ et du rayonnement international du festival des jardins de chaumont6.

1 les signaux faibles n’ont aucune incidence au moment où ils apparaissent mais peuvent avoir des conséquences fortes plus tard. 2 il s’agit d’un système d’aide à l’installation d’entrepreneurs désireux de produire en maraîchage biologique et à la recherche de terrains disponibles. 3 chambre d’agriculture du loir-et-cher. 4 association Départementale pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles. 5 Groupement des agriculteurs biologiques du loir-et-cher. 6 interview de c. Degruelle, président d’agglopolys, 01/12/09, emission twideco tV, 1ère business Week en loir-etcher

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5. les premières orientations et le dégagement de thématiques la synthèse du diagnostic paysager, des tendances et des signaux faibles locaux a concouru à entrevoir l’opportunité de concevoir un espace périurbain « au service » de la ville ; une antichambre productive, source de biodiversité où la ville puise ses ressources, un lieu de ressource qui absorbe l’agitation urbaine (Morisseau, 2009), un espace qui puisse « nourrir », « chauffer », « valoriser » et « divertir » la ville (atelier de l’Île, 2010). Ces orientations exprimées sous forme infinitive se sont ouvertes sur les thèmes de l’agriculture périurbaine, de la bioénergie, de la renaturation et de la valorisation écologique et patrimoniale du site, des loisirs, du tourisme et du culturel. Afin de préfigurer les scénarios, ces thèmes ont été distingués selon leur rapport au paysage. Ainsi, ont été différenciés les thèmes qui « fabriquent un paysage » (l’agriculture périurbaine, la bioénergie, la restauration…), des thèmes qui en « tire partie » (les loisirs, le tourisme…). Le bureau d’étude a également fait émerger un thème « conducteur », fondé sur l’eau en tant qu’élément fédérateur du paysage, du territoire et de ses usages (développés par les autres thèmes). cette dernière thématique vise à réinscrire la problématique de l’inondabilité dans la réflexion et à ne pas perdre de vue les enjeux liés au chemin de l’eau.

iii. les scénarios de réaménagement d’un espace périurbain au service de la ville 1. Définitions les scénarios1 sont dits « normatifs »2 quand leur but est d’explorer, par l’expression de thèmes volontairement différents, le spectre des futurs souhaitables et réalisables. ils ont été construits à partir d’une même base appelée « les invariants » issus des éléments de composition dont le sens et la portée se justifient par la nature et le fonctionnement du territoire. leur rôle est d’établir, quelle que soit la vocation retenue, une stratégie générale de composition et d’organisation du territoire.

2. Définition d’invariants paysagers et spatiaux en prospective, un invariant est un facteur dont on n’attend aucune évolution à l’horizon du temps considéré (Jouvenel, 2004). En prospective paysagère, on considérera qu’il s’agit d’un élément spatial et (ou) paysager présentant un intérêt et un sens dans tous scénario. ainsi les éléments de composition du site que sont les polarités et accroches urbaines, les traces et lignes structurantes, le sens et la singularité paysagère de l’entrée du déversoir, le maillage viaire, les points d’appui de proximité ou encore le chemin de l’eau sont autant de critères à partir desquels ont été identifiés les invariants. 1 scénario : « ensemble formé par la description d’une situation future et du cheminement des évènements qui permettent de passer de la situation d’origine à la situation future » (Bluet et Zemor, 1970). 2 ou encore « stratégiques », « contrastés », « d’anticipation », « back casting ».

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Aussi, les scénarios reposent sur un schéma des vocations spatiales définies par la typologie paysagère (figure 22).

Figure 22 : Schéma des invariants paysagers (matrice) défini dans l’étude prospective du quartier de la Bouillie, Blois. source atelier de l'Île, 2010. réalisation Morisseau

on distingue 2 objectifs : - conforter le statut du cosson en lui redonnant un véritable caractère alluvial (reméandrer le cours d’eau par endroits, valoriser la ripisylve, encourager la mise en place de milieux naturels associés à l’écosystème rivière (prairies humides notamment), raccrocher au Cosson les paysages les plus « naturels », les moins structurés (les prairies alluviales) ; - Développer les paysages structurés (jardins familiaux, maraîchage…) sur les secteurs en marge du val. ces secteurs sont en frottement avec les polarités urbaines existantes (Vienne, Vineuil, st Gervais) et se caractérisent par leur accessibilité et leur visibilité.

3. les scénarios proposés a partir de cette « matrice » et des thématiques, quatre scénarios ont été élaborés de manière non exclusive les uns des autres. chaque scenario vise à démontrer la capacité du territoire à accueillir différents types d’activité. 3.1 nourrir la ville ce scenario est fondé sur le thème de l’agriculture périurbaine dont les formes de production sont diversifiées : jardins familiaux, entreprises agricoles, activités intermédiaires (Jardins de Cocagne…). Il identifie et organise un territoire nourricier aux portes de la ville en s’appuyant sur l’activité maraîchère historiquement reconnue dans le val. le maraîchage répond à une demande locale forte (décrite supra) et s’inscrit

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dans un contexte national de valorisation de l’agriculture de proximité. ce scénario vise à offrir de nouveaux espaces cultivables aux structures préexistantes (Jardins de cocagne, couveuse d’entreprises) ou à d’autres types d’exploitations. Dans ce scenario, l’agriculture périurbaine est également un outil de gestion des prairies alluviales déclinées en prairies de fauches et en pâtures. la gestion par l’animal d’un tel territoire apparaît compatible et pertinente (à l’instar du centre équestre). ainsi, certains types de pâturage (moutons) peuvent éventuellement être développés afin de maintenir une gestion permanente ou cyclique de ces espaces. 3.2 Valoriser la ville il s’agit d’un scénario « naturaliste » fondé sur le thème de la renaturation et de la valorisation environnementale et patrimoniale du territoire. il illustre le confortement du caractère alluvial du val et le renforcement du rôle de corridor écologique du site entre la forêt de russy, la Forêt de blois, le cosson et la loire. les milieux identitaires du val (cosson, ripisylve, prairies) deviennent le support d’un projet exemplaire de restauration de lit majeur ligérien. ce scénario intègre le projet d’écopôle, structure d’information et de sensibilisation à l’environnement assurant également des activités concourant à la prise en compte des pratiques environnementales du site. en terme de paysage, ce scénario s’appuie principalement sur les prairies alluviales. l’ambition est de développer une palette typologique, des prairies semi-sèches aux prairies semi-humides à humides, impliquant de décaper certaines couches superficielles pour faire apparaître le substrat alluvial et recréer des espaces de prairies naturelles à l’image d’enclaves relictuelles subsistant dans le secteur de la boire. certaines prairies deviennent support de pâturage et apportent une valeur ajoutée au paysage (variabilité, attractivité) tout en participant à sa gestion. en terme de lecture du paysage, ce scénario explore le passage très contrasté du vide (le val) au plein (la ville) et participe, de fait, à la compréhension du fonctionnement du site. De même, la valorisation de l’entrée du déversoir en prairie alluviale affirme la singularité du lieu avant tout lié à l’eau. 3.3 chauffer la ville Ce scénario fondé sur la bioénergie a permis de vérifier une hypothèse explorée par les étudiants de l’ensnp (boiscuillé et servain, 2007) qui consistait à développer la plantation de végétaux (saules, peupliers, miscanthus) dont la biomasse est valorisable pour la production d’énergie. au-delà de l’intérêt prospectif local en lien avec le projet de chaufferie, ce thème a fait l’objet de réserves : incompatibilité des boisements avec le fonctionnement hydraulique (et le ppri) ainsi que certaines contradictions paysagères (quelle légitimité pour les boisements monospécifiques dans les paysages classés UNESCO ?). La production de miscanthus (en prairies) a révélé une production difficilement envisageable (récolte hivernale incompatible avec la nature très humide des terrains). Malgré ces réserves, ce scénario, qui reste pertinent en tant que réponse à d’autres reconversions périurbaines, a été exploré à titre pédagogique. 175


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3.4 Fédérer par l’eau ce scénario est construit sur le thème de l’eau, fondatrice de l’identité paysagère du site. Il vise à maintenir la problématique du risque d’inondation dans la réflexion et à construire un paysage périurbain qui en témoigne. La mise en scène de l’eau « comme fil conducteur » du val redonne un sens au territoire en fédérant ses paysages et ses usages. Les objectifs sont multiples : montrer le chemin de l’eau, diversifier ses motifs paysagers, illustrer la mémoire du lieu, exprimer une culture du risque d’inondation. Enfin, précisons qu’au sein de chacun des scénarios, des micro-scénarios ont été explorés afin d’étudier les potentialités et les compensations paysagères d’un déplacement du parc expo et de l’aire de grand passage.

4. une véritable appropriation des scénarios les scénarios sont accompagnés de “visuels“ (ou vues en perspectives) pour permettre à chacun des acteurs une meilleure projection dans l’avenir, de comparer les visions proposées avec l’état actuel et de confronter les scénarios entre eux (figure 23). A ce stade de la réflexion, ces images peuvent être perçues caricaturales ou exagérées. Toutefois, ces représentations permettent de faire réagir les acteurs afin d’opposer des choix ou bien de séduire, de donner envie d’un futur possible et/ou souhaitable. De nombreuses présentations des scénarios ont été réalisées dans le cadre de conseils multiples (technique, pilotage, municipal) et d’un colloque organisé par le caue du loir-et-cher (« Les délaissés temporaires »). Au fil du temps, les acteurs ont eux-mêmes remarqué leur appropriation des scénarios facilitée par la dénomination de chacune des visions. ainsi, dans les discussions, l’ensemble des acteurs ne se surprenait plus à parler des fonctions du val sous forme infinitive en lui associant le rôle de « nourrir », « valoriser », « chauffer » ou « fédérer » la ville. si ces visions ont largement été partagées et discutées avec les élus, on regrettera une indiscutable lacune de la démarche prospective, l’absence de la population dans la réflexion (les outils de communication ne manquant pourtant pas… notamment grâce à internet) apparaissant de ce fait comme contradictoire avec l’un des objectifs de la démarche à savoir celui de rassurer la population sur la non instrumentalisation du risque à des fins spéculatives. Néanmoins, le panel des acteurs impliqués dans la réflexion a confirmé l’intérêt de la prospective notamment par le partage d’un diagnostic paysager approfondi, d’une lecture des tendances sociétales locales dans un contexte national, et de certains signaux faibles. Ce travail préalable a conduit à déterminer des thématiques et à préfigurer des futurs possibles. 176


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Figure 23 : Photomontages des différents futuribles du quartier de la Bouillie. source atelier de l'Île, 2010. réalisation G. Morisseau.

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c

ette étude confirme qu’il est primordial que les élus et acteurs locaux possèdent une connaissance fine de leur territoire et qu’ils puissent, dans le meilleur des cas, s’être

forgé au préalable une ou des visions possibles, dont le paysagiste vérifie le sens, la portée et les potentialités. par la formalisation de certaines visions, la méthode prospective oblige une certaine remise en question des cadres habituels de référence. elle permet d’ancrer une utopie dans un cadre concret en construisant des scénarios iconoclastes qui proposent de nouveaux modèles de fonctionnement et de développement. en ce sens, la prospective appliquée au paysage est une méthode pertinente d’appréhension des bifurcations (ou ruptures) dans un système et des mutations paysagères inhérentes s’ouvrant vers une nouvelle didactique du paysage à explorer. ainsi, investi de nouvelles fonctions au service de la ville, le val blésois porte l’ambition de se muer en une infrastructure d’interface entre ville et périurbain. Afin d’avancer dans la réflexion, un scénario, synthèse de certaines visions retenues et désirée, a été développé et illustré jusqu’à un niveau d’esquisse d’avant-projet. sur quel programme ce projet repose-t-il ? permet-il d’instaurer une nouvelle culture du risque ?

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B. le renouvellement paysager : pour une nouvelle culture du risque

l

a synthèse des avis recueillis lors des différents comités a conduit à approfondir et à croiser les scénarios « Nourrir la ville » et « Fédérer par l’eau ». L’activité agricole, le

maintien du paysage ligérien et de la biodiversité associée sont les éléments fondamentaux qui ont conduit le comité de pilotage à retenir ces deux visions. ainsi, un ultime scenario de parc agricole urbain fut développé dans le cadre d’un plan-guide détaillé, dernière étape de l’étude prospective. nous nous pencherons d’abord sur les concepts et processus de recomposition choisie du territoire et des réponses proposées en terme de programmation conduisant au renouvellement paysager du val blésois. puis, nous nous interrogerons sur l’émergence d’une nouvelle culture du risque relative à la réappropriation du territoire et aux spécificités du parc agricole urbain. Enfin, l’évolution de certains outils de prévention du risque d’inondation participe-t-elle de cette nouvelle culture du risque ? parmi les outils existants, dans quel cadre réglementaire inscrire le plan-guide du scénario développé à la suite de l’étude ? une harmonisation des outils paraît-elle pertinente ?

i. lecture et analyse du projet retenu : coévolution d’une dynamique naturelle et d’une production de paysage On se propose d’effectuer ici une lecture du scénario final selon le concept de trame verte et bleue (tVB) désigné comme un des grands projets nationaux français issus du Grenelle de l’environnement (2007) inscrit dans la stratégie nationale pour la biodiversité (2011-2020) et décliné dans certains agendas 211. Dans son glossaire, cette stratégie décrit la tVb comme « démarche structurante qui consiste à inscrire la préservation et la restauration des continuités écologiques dans les décisions d’aménagement du territoire. elle inclut une composante verte qui fait référence aux milieux naturels et semi-naturels terrestres et une composante bleue qui fait référence au réseau aquatique et humide (fleuves, rivières, zones humides...) »2. l’enjeu de la constitution d’une trame verte et bleue s’inscrit bien au-delà de la simple préservation d’espaces naturels isolés et de la protection d’espèces en danger. il s’agit d’une part de (re)constituer un réseau écologique cohérent qui permette aux espèces de circuler et d’interagir, d’autre part de contribuer à la protection, à la gestion et à l’aménagement des paysages (habitats des structures paysagères) afin qu’ils continuent à rendre à l’homme leurs multiples services (cf. convention européenne du paysage).

1 2

en cours d’élaboration en loir-et-cher. MeeDDtl, 2011, stratégie nationale pour la biodiversité 2011-2020, mai 2011, pp. 58-61.

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1. trames verte et bleue, une superposition de l’hydrosystème et du sociosystème

Figure 24 : schéma de renouvellement du val ligérien blésois et du quartier de la Bouillie. source atelier de l'Île, 2010. réalisation Morisseau

1.1 la trame bleue ou le chemin de l’eau, l’expression de la vulnérabilité résiliençaire La vision finale (figure 24) de l’étude illustre un projet dans lequel l’eau reconquiert, de manière plus ou moins étendue1 (figure 25) et selon une palette de motifs paysagers variés et restaurés, le val entre loire et cosson en s’appuyant sur les traces du passé : ancien canal de blois, nouveau réseau de fossés et de mares, gravière... les usages terrains de sport, aire de grand passage, parc exposition, jardins familiaux, maraîchage - se structurent autour de ce chemin où l’eau organise un parcellaire évoquant l’histoire construite du lieu et suggérant d’autres potentialités d’usages (loisirs notamment). Dans les prairies, le chemin de l’eau prend une forme plus souple, moins structurée et s’y décline sous forme de noues, de mares et d’affleurements de nappe.

Figure 25 : chemin de l’eau entre loire et cosson. extrait du plan guide. source atelier de l'Île, 2010. réalisation Morisseau 1 sage..

il a été proposé deux schémas dans lesquels les surfaces en eau varient en fonction de la saisonnalité du pay-

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par ailleurs, rappelons que l’un des objectifs du projet est bien celui de montrer le risque par une présence marquée du chemin de l’eau. ainsi, la trame bleue, caractérisée par la réactivation du canal de blois et la réintroduction de l’eau (via des annexes hydrauliques), devient la nouvelle expression de la vulnérabilité du territoire mais vulnérabilité résiliençaire puisqu’évocatrice du risque d’une part et productrice (et fédératrice) d’espaces et d’usages d’autre part (figure 26).

Figure 26 : schéma d’implantation des usages du val ligérien blésois proposée dans le cadre de l’étude prospective du quartier de la Bouillie. source atelier de l'Île, 2010. réalisation Morisseau

1.2 la trame verte, des fonctions de production aux abords du chemin de l’eau, la trame verte se décline selon des motifs paysagers, prairies naturelles, prairies de pâture (agropastoralisme), jardins familiaux et maraîchage. l’agriculture maraîchère est répartie en trois entités selon le contexte géographique et les potentialités paysagères du site. elle se distingue par la création de « quartiers maraîchers » en lieu et place des anciens secteurs habités, quartiers du Glacis (5 ha), de la Fouleraie (11 ha) et des parcs (20 ha). le maraîchage s’y décline en une typologie de circuits courts identifiés avec les partenaires locaux (jardins de Cocagne, lycée horticole, Val bio centre1, chambre d’agriculture 41) et pour lesquels la communauté d’agglomération mettrait à disposition des baux (fixation d’une contrepartie financière et (ou) d’une demande de prestations de gestion ou d’aménagement selon un cahier des charges) : l’après-couveuse d’entreprise (ou « crèche d’entreprise »), les Jardins de Cocagne, des

1 centre.

association loi 1901, Val bio centre regroupe des adhérents maraîchers et arboriculteurs biologiques de la région

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exploitants indépendants et autonomes, des jardins partagés, un verger public ou encore une self-cueillette1 maraîchère. ainsi déclinée, la trame verte devient multi-productive : paysages, biodiversité, biomasse, économie et emplois.

2. un nouvel anthroposystème Dans ce contexte, le couple trame verte et trame bleue voit émerger un nouveau sociosystème (lapierre, 1992) superposé et fédéré à son écosystème. cette superposition de l’écosystème et du sociosystème nous amène à considérer la régénération du géosystème et plus exactement le renouvellement de l’anthroposystème2. Du géosystème, cette notion reprend l’idée de l’occupation, de l’usage et de la transformation de l’espace naturel par les sociétés. Cependant, elle s’en distingue notamment par sa définition qui met en perspective l’évolution temporelle du système et qui insiste sur l’aspect coévolutif des systèmes naturels et sociaux associés sur un territoire soumis à des transformations d’origine interne et externe (lévêque et al, 2003). elle met donc l’accent sur l’aspect sociétal dans une dimension de projet de territoire. ainsi, les systèmes sociaux d’un anthroposystème, occupant un espace donné, exploitent les ressources naturelles et utilisent les écosystèmes qui s’inscrivent dans ce territoire. ils restructurent ces systèmes naturels et les transforment en productions sociales dont les dynamiques s’affranchissent des seules lois bio-physico-chimiques, et dont le paysage en est la traduction et l’expression la plus littérale. autrement dit, le projet proposé illustre la coévolution d’une dynamique naturelle et d’une production de paysage instaurant le renouvellement paysager. ainsi, il ne s’agit pas d’un seul continuum écologique mais également d’un continuum social inscrit au sein d’un système d’intelligence de projets : l’anthroposystème ; lesquels nous amènent à appréhender le nouveau territoire sous l’angle de la réappropriation sociétale.

ii. Réappropriation du territoire et émergence d’un « parc spécialisé » : vers une nouvelle culture sociétale du risque 1. Reconversion spatiale et reconquête territoriale au cours des années 1990, l’avènement de la notion de développement durable a fortement influencé les relations homme-nature, généralisant la prise en compte de la dimension environnementale dans la plupart des politiques d’aménagement du territoire. cette évolution se traduit par un élargissement de la notion d’environnement qui intègre 1 concept né en angleterre dans les années 1970. 2 « L’anthroposystème peut être défini comme une entité structurelle et fonctionnelle prenant en compte les interactions sociétés-milieux, et intégrant sur un même espace un ou des sous-systèmes naturels et un ou des sous-systèmes sociaux, l’ensemble co-évoluant dans la longue durée. Selon l’objet de recherche choisi et les problématiques définies de manière interdisciplinaire, l’anthroposystème peut se décliner à différents niveaux d’organisation spatio-temporels, allant du local, au régional et au global et du passé (analyse rétrospective), au présent (étude et modélisation du fonctionnement actuel) ou encore au futur (scénarios prospectifs des évolutions possibles) ». (léVêque cH., MuXart t., abbaDie l., Weil a., Van Der leeuW s., 2003, «L’anthroposystème : entité structurelle et fonctionnelle des interactions sociétés milieux», In léVêque cH., Van Der leeuW s. (éds), Quelles natures voulons-nous ?, elsevier, paris, pp. 110-129.)

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dans l’approche écologique des préoccupations économiques et sociales. Dans cette perspective, on assiste par exemple à une évolution du parc urbain traditionnel auquel on cherche aujourd’hui à confier de nouvelles fonctions en le (re)qualifiant de « parc naturel urbain » (PNU). Ainsi, nombreuses sont les villes à développer des projets de PNU. Pour n’en citer que quelques-unes : strasbourg et les quartiers de Koenigshoffen, toulouse, pau, rueil-Malmaison, agen, nancy, brive, Montpellier, nîmes… ou rennes et les prairies st Martin. ces projets révèlent le dépassement des fonctions traditionnelles (promenade, isolement de la ville et de son agitation, loisirs, sports, repos…) du parc urbain en considérant la nature comme une infrastructure de la ville (au service de la ville) et non plus comme un seul “cadre“ ou un “décorum“. ces nouveaux équipements urbains, d’échelle généralement plus grande que les parcs classiques, s’appuient au départ et pour la plupart sur la reconversion d’un espace inondable préconisée par un ppri. puis, la cohérence recherchée dans les projets induit une reconquête plus globale du champ d’expansion des crues accompagnée d’objectifs ou d’opportunités urbaines et paysagères (couture urbaine, maillage viaire, continuités des trames, traitement des franges…) ; on passe ainsi d’une reconversion spatiale (nouveaux espaces) à une reconquête territoriale (nouveaux lieux). si ces nouveaux parcs naturels urbains conservent des fonctions classiques du parc urbain, ils en intègrent d’autres (observation de la faune et de la flore notamment) illustrant la transformation de l’écologisation des pratiques aménagistes. celle-ci se caractérise par la reconstitution ou recomposition de milieux naturels en lien direct avec la dynamique alluviale (champ de l’écologie du paysage) et par la valorisation des compensations paysagères (propositions de nouveaux usages) relatives à l’inondabilité. cette évolution implique elle-même une transformation des processus de gestion de l’espace et traduit le plus souvent la recherche d’une gestion intégrée. ainsi, par exemple, outre l’aménagement de sentiers piétonniers, d’aires de jeux, d’espaces ouverts aux manifestations sportives et culturelles dans le champ d’expansion des crues de l’ille reconquis, le projet du futur parc naturel urbain des prairies st Martin à rennes, intégrera une gestion agropastorale (troupeaux de vaches, chevaux, ânes) renvoyant vers des déterminismes ruraux. De nouvelles coalitions territoriales multiscalaires semblent ainsi s’inventer à la charnière de deux mondes ; des hybrides territoriaux émergent autour de politiques publiques inter-territoriales capables de combiner plusieurs objectifs du développement durable et de répondre à des besoins collectifs jusqu’ici indépendants afin de permettre une nouvelle réappropriation de ces territoires reconquis. cependant, cette hybridité, de plus en plus répandue, n’est-elle pas dans ces nouveaux parcs naturels urbains un spectre par lequel l’évènementiel prévaut pour divertir l’urbain ? ou encore la mise en exposition d’une connotation rurale où la gestion territoriale souhaitée ne serait pas si intégrée (car ne correspondant pas à la réalité économique locale), relativisant de fait le principe de réappropriation sociétale ? un autre type de parc 183


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urbain hybride, le parc agricole urbain, propose une meilleure appropriation sociétale. il s’agit d’un parc naturel urbain qui aurait d’abord caractérisé et rendu spécifique son mode de gestion afin de mieux l’intégrer dans un nouvel espace socio-économique.

2. Vers un parc agricole urbain à Blois si le projet de parc agricole urbain de blois développé dans l’étude prospective entend proposer les fonctions d’un parc naturel urbain, d’autres fonctions de réappropriation sociétale lui sont attribuées. l’exemple le plus démonstratif de cette réappropriation serait les espaces consacrés à une activité de self-cueillette. Dans ce commerce de plein air, la brouette se substitue au caddy et le visiteur cueilleur devient autonome et actif dans son mode de consommation. l’espace de production s’appuie sur l’organisation du lieu (canaux, fossés, allées plantées, bosquets...) associant à l’aspect commercial le caractère ludique d’une (re)découverte du paysage périurbain. ce concept traduit parfaitement les opportunités de loisirs d’un parc agricole urbain auxquelles s’ajouteraient des « agriloisirs », des «écoloisirs» et des « extra-quatiques » (loisirs complémentaires du centre aquatique). en tout cela, la self-cueillette semble répondre à la question de l’appropriation de l’espace public par l’ensemble de la collectivité. le plan guide fait référence aux jardins de Gally (50 ha) situés en région parisienne (planche photographique 7).

Planche photographique 7 : les jardins de Gally, Bailly (78). photos Morisseau (2010)

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3. la pluralité des démarches du parc agricole urbain l’exemple du quartier périurbain de la bouillie montre un ensemble de potentialités admises par le développement de ce parc spécialisé. l’agriculture maraîchère de proximité intègre des démarches de divers ordres : - une démarche ressourciste, le parc nourricier ; - une démarche agraire progressive : l’agriculture support d’une activité économique, créatrice d’emplois ; - une démarche agraire sensible : l’espace agricole (re)donne au citadin le sens du territoire et du temps rural. il propose un cadre de vie, un espace de loisir et de sociabilité permettant à chacun de se recréer ou de recréer (prost, 1994 ; bacchialoni, 2001) ; - une démarche écologiste : l’agriculture comme espace de nature qui préserve la biodiversité et qui en tire partie (échanges biologiques) ; - une démarche agro-urbaine : l’agriculture comme une infrastructure urbaine (Fleury et Donadieu, 1997) au service de la ville ; - une démarche paysagère : l’agriculture gestionnaire de l’espace périurbain (Morisseau, 2011) ; - une démarche résiliençaire : l’agriculture, une réponse à l’intégration des risques par le renouvellement paysager (Morisseau, op. cit.). ainsi, pour répondre à l’une des questions initiales de ce chapitre, ce projet de parc agricole urbain pourrait se définir1 comme un projet de mitigation paysagère dans la mesure où il participe à la réduction de la vulnérabilité paysagère (conséquente à la ZaD) tout en maintenant un faible niveau de vulnérabilité face au risque d’inondation. il tire aussi partie de l’intégration du risque par de nouvelles formes de productions paysagères. plus qu’une reconversion spatiale, il s’agit d’une reconquête du territoire périurbain (figure 26 page suivante) où le renouvellement paysager s’accompagne d’une réappropriation sociétale. par ces nouveaux paysages du risque, ce projet traduit l’émergence d’une nouvelle culture sociétale du risque d’inondation ; culture d’une société qui aurait rendu le risque visible et plus acceptable parce que producteur de nouveaux paysages, de nouveaux espaces et de nouveaux usages. Enfin, il semble que cette nouvelle culture du risque s’illustre par une évolution du cadre réglementaire relatif au risque d’inondation. 1 Du point de vue de la programmation, si cette étude prospective a prédéfini un projet compatible (en terme d’occupation du sol) avec le risque et en lien avec les potentialités locales, elle n’est que le point de départ d’une réflexion à approfondir en termes d’objectifs techniques et productivistes. au-delà des images séduisantes issues de cette première étape, il conviendrait de vérifier, d’une part, la faisabilité technique des propositions liées au chemin de l’eau (annexes hydrauliques, surfaces et hauteurs d’eau...), d’autre part, d’un point de vue de la programmation, de mesurer précisément et peut-être plus prudemment la réalité économique des circuits courts locaux du maraîchage biologique. Ainsi, on s’interrogera pour savoir si les signaux perçus comme « faibles » par les acteurs locaux ne sont pas parfois des signaux forts (car médiatiquement amplifiés) auxquels ne correspondent pas de réelles tendances ; en opposition notamment avec la récente tendance au hard discount (prix concurrentiels) mise en évidence dans les études du credoc et dont les parts de marché sont bien supérieures à celles des Amap. Ainsi, dans l’objectif de « nourrir la ville », le statut et l’échelle même des entreprises maraîchères devraient faire l’objet d’une analyse fine pour déterminer les objectifs de clientèles, de productivité et de distribution comparés à leur bilan environnemental afin de ne pas réaliser, au final et au-delà des potentialités spatiales et paysagères, un projet en contradiction avec les ambitions initiales d’un parc agricole urbain.

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Figure 27 : Vue axonométrique du projet de parc agricole urbain de la Bouillie. source atelier de l'Île, 2010. réalisation Morisseau

Photo 12 : Vue oblique du quartier et du déversoir de la Bouillie. source agglopolys, lavallart (2009).

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iii. Vers une nouvelle culture réglementaire des territoires du risque d’inondation La vision finale du projet de parc agricole urbain a fait l’objet d’une description rétrospective sous forme de schéma directeur et de plan guide. parmi les outils de programmation et de conception existants, il s’agit ici de contextualiser l’outil qu’est le plan guide afin de le situer, de faire reconnaître sa démarche et de valoriser sa méthodologie et ses potentialités.

1. un projet limité par les contraintes du Plan de Prévention du Risque d’inondation (PPRi) pour rappel, le ppri, document réalisé par l’état, réglemente l’utilisation des sols à l’échelle communale, en fonction des risques d’inondation auxquels ils sont soumis. cette réglementation va de l’interdiction à la conditionnalité de construire. Dans le cadre du projet de parc agricole urbain à blois, le ppri contraint l’agriculture maraîchère envisagée. en effet, en raison du caractère inconstructible du secteur, cette activité doit disposer de la proximité d’une installation agricole (bureau, stockage), hors secteur d’aléa de niveau fort, obligeant à localiser son bâti en marge du val ou dans la ville endiguée (dites « annexes agricoles ») entraînant des difficultés d’accessibilité aux parcelles. cette contrainte s’oppose aux ambitions de projet intelligent initialement souhaité par la Dreal mais compréhensible en l’état actuel des choses (évolution lente des mentalités, succession d’évènements marquants…) sans pour autant entrevoir une flexibilité possible du ppri. il s’agit également de l’écueil relatif à l’absence de statut réglementaire d’un bâti adapté au risque d’inondation (pilotis, flottant…). La législation ne fait aujourd’hui aucune distinction typologique dans la manière de construire alors que l’urbanisation en zone inondable avec un bâti adapté a pu être encouragée – avant Xynthia – notamment par le président de la république : « Quel est le problème ? C’est la réglementation. Il faut libérer l’offre. pour le coup, il faut déréglementer. [...] Il faut rendre constructible les zones inondables, mais par des bâtiments adaptés à l’environnement et au risque [...]. Il faut changer notre façon de concevoir les choses, sortir du respect passif d’une réglementation de plus en plus pesante. Il ne s’agit nullement de laisser le champ libre au marché, mais il faut que la ville vive, respire, évolue, se développe en respectant des règles fortes, compréhensibles, efficaces, écologiques [...]. »1 Pourquoi pas. La construction en zone inondable serait alors considérée en 1

Nicolas Sarkozy, le 29 avril 2009, lors de l’inauguration de l’exposition sur le Grand Paris.

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fonction du projet que l’on souhaite mettre en place. Mais elle ne doit pas être réfléchie sous l’angle unique du ppri. cet outil, qui ne saurait être un outil de projet en tant que tel, devrait s’accompagner d’un projet au même titre qu’à un plan local d’urbanisme (plu) est associé un projet d’aménagement et de Développement Durable (paDD). inscrit dans une réflexion plus large, le Programme d’actions de Prévention des inondations correspond-il à un projet global d’intégration du risque ? Est-ce suffisant ?

2. Programme d’actions de Prévention des inondations et plan-guide : une mise en cohérence 2.1 Définition et objectifs du PAPI les papi sont des projets lancés en 2002 par l’état avec les collectivités territoriales autour d’une politique de gestion des inondations. si le ppri a pour objectif de réduire les risques en fixant les règles relatives à l’occupation des sols et à la construction des futurs biens, le papi vise à mettre en place un cadre global, structuré et cohérent pour une gestion intégrée des inondations à l’échelle d’un bassin versant. l’objectif est de développer de nouvelles formes de prévention des inondations en intégrant des mesures de réduction de l’aléa et de la vulnérabilité, des mesures réglementaires (dont le ppri notamment) et d’autres incitatives, en intervenant à différentes échelles du territoire (MeDDtl, 2011). les propositions du papi peuvent, par exemple, se focaliser sur la régulation du débit en amont grâce à la création ou à la restauration des champs d’expansion des crues, la réduction de la vulnérabilité des constructions établies en zone inondable (à l’échelle d’un quartier par exemple) et la désignation de maîtres d’ouvrages locaux agissant à l’échelle de bassins versants. cet outil récent prend en compte la problématique de l’inondabilité sous un angle global encore peu répandu jusqu’alors. plus que réglementaire, il s’inscrit dans une dimension de projet (« d’actions ») afin de répondre à des objectifs d’adaptation1 de l’existant. en ce sens, il entend : - promouvoir et être associé à une politique de gestion intégrée du risque d’inondation en vue de réduire ses conséquences dommageables sur la santé humaine, les biens, les activités économiques et l’environnement ; - intégrer sa démarche avec les autres politiques, en particulier de préservation de l’environnement et d’aménagement du territoire, constituant ainsi un axe privilégié d’intervention trop souvent négligé dans le passé ; - jouer un rôle fédérateur et dynamisant pour les acteurs à l’échelle du bassin versant, permettant une meilleure prise en compte du risque d’inondation au sein des différents dispositifs de gestion de l’eau et des milieux aquatiques (saGe, contrats de rivière…) et d’aménagement du territoire.

1 Même si bon nombre des papi propose encore de nombreux projets de mesures structurelles (réduction de l’aléa plutôt que de la vulnérabilité).

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cependant, considérant l’échelle spatio-temporelle de l’outil et ses opportunités fédératrices, il semble manquer, du moins dans les textes, de la dimension prospective nécessaire à la définition de projets cohérents de gestion intégrée territoriale (quant au paysage, il y est inexistant). a ces différents titres, le bassin versant blésois et le projet de reconversion du déversoir de la bouillie auraient pu (ou pourraient) faire l’objet d’un papi. Deux hypothèses peuvent aujourd’hui étayer cette absence. la première serait celle du recouvrement des actions du papi par le plan loire Grandeur nature1 (plGn) bien que la prescription de papi2 soit récemment devenue une des actions préconisées par le plGn. Ainsi, le volet Grand Projet « Prévention des inondations » du PLGN est lui-même décrit sous la forme de plans d’actions3 au sein desquelles on retrouve entre autres : - la réalisation d’études globales par secteurs homogènes de connaissance du risque et définitions d’actions de prévention et de gestion du risque ; - la mise en œuvre des mesures de réduction de la vulnérabilité par des actions sur les enjeux (à l’instar de la ZaD de la bouillie) ; - la protection des personnes et des biens : restauration des cours d’eau, préservation et restauration de zones d’expansion de crues. la deuxième hypothèse serait celle de l’échelle restreinte du territoire, le quartier de la bouillie ne correspondant pas à l’échelle globale d’un papi traditionnel. cependant, depuis 2011, une nouvelle démarche de papi propose notamment différentes échelles de papi. 2.2 les différentes échelles de PaPi la nouvelle démarche de papi concerne des territoires à enjeux (humains, socioéconomiques, culturels, environnementaux, etc.) d’importance avérée ou particulière au regard du bassin de vie considéré. aussi, pour tenir compte de la diversité des problématiques, de l’échelle des projets et de leur degré de maturité, 3 types de papi ont été distingués : le papi complet, le papi d’intention et le petit papi. Des projets de moindre envergure mais proposant des démarches particulièrement exemplaires en matière de prévention et de gestion des inondations peuvent être étudiés. Afin de ne pas pénaliser les projets concernant des bassins de risque de taille modeste mais procédant de ce type de démarche, le dispositif « petit PAPI », adapté et labellisé au niveau local, est prévu pour des projets au volume financier limité4. Dans ce cadre, le plan-guide relatif au réaménagement du val blésois se situerait au niveau réglementaire d’un petit papi.

1 qui comprenait déjà dans sa version première (1994) une grande prise en compte du paysage. 2 papi de la loire amont, Furan, Maine, initiation des papi sèvre nantaise, cens bionne). 3 il s’agit de plans d’actions cohérents à une échelle territoriale pertinente mais également de plans d’actions expérimentaux, innovants, reproductibles et transposables. 4 inférieur à 3 millions d’euros (correspondant par exemple au volet inondation d’un contrat de rivière ou d’un saGe).

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2.3 le plan-guide ou « petit PaPi » : la description programmatique, spatiale et temporelle d’un projet local de gestion intégrée globale du risque d’inondation ? Le plan-guide issu de la réflexion prospective sur le devenir du site de la Bouillie est la traduction détaillée (au niveau de l’esquisse), illustrée et décomposée du scénario retenu par les acteurs de l’étude. Il est organisé en fiches sectorielles et une arborescence systémique décrit la (re)constitution de chacune des trames bleue, verte et viaire. il expose les actions-clés à mener en terme d’aménagement (préconisations spatiales et paysagères), de fonctionnement (organisation, usages, accès), d’évolution du statut foncier (acquisitions…), d’études complémentaires à réaliser (techniques, hydrologiques, pédologiques…), de partenariats à envisager (tant dans la réalisation du projet que dans sa gestion ultérieure), de choix de maîtrise d’ouvrage et d’usage de dispositifs juridiques. le plan-guide s’accompagne également d’une estimation détaillée des travaux et d’un planning1 (court-moyen-long terme) décrivant les étapes-clés du projet. Cette description assez complète du projet présente des avantages et des inconvénients. son contenu détaillé et illustré permet de mieux se projeter, d’exposer les possibles paysagers, de saisir concrètement les potentialités des lieux et de donner envie de l’avenir. les ambitions illustrées relativisent certaines étapes-clés du projet potentiellement difficiles à mener. En revanche, le caractère détaillé soulève souvent d’autres questions (généralement techniques) qui dépassent l’échelle de la réflexion en s’inscrivant dans une étape ultérieure du projet. ainsi l’on voit que le plan-guide tend à se confondre par endroits avec le papi puisqu’il s’agit dans les deux cas de la description d’un projet de gestion intégrée du risque d’inondation. il s’en distingue par sa démarche prospective liminaire qui vise à l’intégration du risque d’inondation dans le cadre d’un projet de gestion intégrée plus globale (dans toutes les dimensions du territoire). toutefois, le plan-guide présente lui aussi certaines lacunes (absence de description de la gestion de crise notamment). par ce comparatif émerge l’intérêt d’une fusion des outils plan-guide et programme d’actions en un “plan d’actions de prévention des inondations“. celui-ci permettrait d’élaborer un outil de projet complet comprenant un diagnostic approfondi de la situation initiale s’ouvrant sur une réflexion prospective partagée, la définition d’une stratégie locale, la réalisation d’un schéma directeur de la vision retenue, puis la mise en œuvre d’un programme d’actions détaillées (multi-critères) (figure 28, cicontre).

1

s’étalant jusqu’en 2022.

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> Analyse des dispositifs existants

> Recensement et analyse des ouvrages de protection existants

> Définition des priorités locales

> Analyse des tendances

> Approche historique

> Approche sensible

> Approche sociologique

> Compréhension des dynamiques à l’oeuvre

> Analyse systèmique et paysagère détaillée du territoire

ANALYSE ET DIAGNOSTIC PARTAGÉS

> Micro-scénarios

> Méthode back-casting

SCÉNARIOS PROSPECTIFS

> Schéma d’organisation générale

> Projet dans son contexte géographqiue

SCHÉMA DIRECTEUR

CONTENU D’UN PLAN-GUIDE

VERS DES PLAN D’ACTIONS DE PRÉVENTION DES INONDATIONS ?

DÉMARCHE PROSPECTIVE

ANALYSE COÛT BÉNÉFICE (ACB)

> Axe 1 : L’amélioration de la connaissance et de la conscience du risque > Axe 2 : La surveillance, la prévision des crues et des inondations > Axe 3 : L’alerte et la gestion de crise > Axe 4 : La prise en compte du risque dans l’urbanisme > Axe 5 : Les actions de réduction de la vulnérabilité des personnes et des biens > Axe 6 : Le ralentissement des écoulements > Axe 7 : La gestion des ouvrages de protection hydrauliques

> Mise en cohérence et adaptation aux problématiques identifiées dans le diagnostic

> Caractérisation de l’aléa inondation

> Recensement des enjeux exposés aux inondations

MISE EN OEUVRE D’UN PROGRAMME D’ACTIONS

DÉfINITION D’UNE STRATÉGIE LOCALE

DIAGNOSTIC APPROfONDI DE LA SITUATION INITIALE

CONTENU D’UN DOSSIER DE PROGRAMME D’ACTIONS DE PRÉVENTION DES INONDATIONS

> Phasage

> Dispositifs juridiques

> Estimation

> Acteurs/partenariats

> Décomposition systèmique

FICHES-ACTIONS

Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

Figure 28 : tableau schématique de fusion du Programme d’actions de Prévention des inondations (PaPi) et du plan-guide. réalisation Morisseau

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3. le “Plan d’actions de Prévention des inondations“ : la prospective conjuguée à tous les temps du projet après son élaboration, les concepteurs du plan-guide ont admis certaines réserves quant à la définition de certaines vocations spatiales. En ce sens, il leur est apparu que le schéma directeur du plan-guide ne devait pas être une fin en soi cristallisée par son image. Ainsi, le plan d’actions aurait pour objectif la poursuite et/ou la conjugaison de la réflexion prospective à tous les temps du projet (avant, pendant, après). Ceci permettrait d’identifier des secteurs à vocation « indéfinie » et dont la qualification s’établirait à mesure que le projet se construit (études complémentaires, phase de travaux…) et selon l’écoute de nouveaux signaux faibles tout en intégrant un nouveau collège d’acteurs au processus du projet. la conduite de ce cycle prospectif ferait l’objet de missions (assistance, conseil…) confiées au paysagiste, lequel pratiquerait une évaluation permanente de la résilience globale (relative au risque comme au paysage) du projet consécutive de ses adaptations ou plus exactement de ses ajustements.

l

e renouvellement paysager, illustré par le projet de parc agricole urbain, convoque à une nouvelle culture plurielle du risque, qui pose ses fondements sur la

réappropriation du territoire reconquis par un parc urbain spécialisé et sur l’évolution des outils réglementaires de prévention et de planification. De ce point de vue, la nouvelle génération de papi traduit une évolution de la culture du risque en proposant des stratégies de réduction multiscalaire de la vulnérabilité. par ailleurs, l’hypothèse de faire évoluer les programmes d’action de prévention des risques (papi) en “plan d’actions de prévention des inondations“ ouvre le champ de la réflexion sur la perspective de construire des projets d’ajustement permanent, dépassant la seule adaptation du territoire au risque d’inondation et renforçant potentiellement plus encore la culture du risque.

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p

ar l’exemple du déversoir de la bouillie et du val blésois, on voit que la prospective appliquée au paysage s’inscrit dans une quadruple combinaison, à l’interaction du

savoir et du pouvoir, du représenter et du construire, par laquelle, élus, techniciens et paysagiste élaborent les visions du territoire futur et souhaité (ou souhaitable) sous la forme de scénarios cartographiés et illustrés. Le projet de parc agricole urbain, fruit de cette réflexion, concourt à réduire la vulnérabilité paysagère du site en cours de déconstruction tout en permettant de maintenir un niveau de vulnérabilité faible face au risque d’inondation. en cela, il se révèle être un

véritable projet de mitigation paysagère qui tire partie de l’intégration du risque par de nouvelles formes de productions paysagères. plus qu’une reconversion spatiale, il s’agit d’une reconquête du territoire périurbain où le renouvellement paysager s’accompagne d’une réappropriation sociétale. ce projet traduit l’émergence d’une nouvelle culture sociétale du risque d’inondation, celle d’une société qui aurait rendu le risque visible et plus acceptable parce que producteur de nouveaux paysages, de nouveaux espaces et de nouveaux usages.

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c

ette première partie a montré que le projet de paysage était un outil de réduction de la vulnérabilité - ou plutôt des vulnérabilités - pouvant conduire à une résilience efficace

des territoires. l’analyse des conséquences de la tempête Xynthia a démontré la défaillance de la résilience par les stratégies de prévention et de protection employées. en outre, la gestion réactive de cette crise par l’usage de stratégies préconisées quelques mois plus tôt lors du Grenelle de la mer, à l’instar du repli dit « stratégique », s’est accompagnée d’une absence de prise en compte du paysage entraînant de nouvelles vulnérabilités (urbaines, paysagères, psychologiques). Le constat d’une résilience défaillante a finalement laissé place à la notion d’une résilience vulnérabiliaire et limitée (après la crise) illustrant une mise en œuvre inadaptée des stratégies. cependant, cet événement a fait émerger de nouvelles propositions concernant une résilience augmentée des territoires littoraux. il fut entendu que celle-ci doit s’appuyer sur une planification globale et anticipée des enjeux et sur la reconversion spatiale de certains secteurs visés par la stratégie de repli. a ce stade de la réflexion, nous nous sommes employés à mesurer la prise en compte du paysage à tous les stades de la gestion de la crise. il s’est avéré que le paysage (lorsqu’il est considéré) est plus perçu comme résultante nécessairement impactée (cf. mesures du Grenelle de la mer notamment) que contrainte instrumentalisée (choix d’urbaniser ou de déconstruire). pour autant, à la lumière de nombreuses expériences de repli stratégique, notamment de dépoldérisation, nous avons pu démontrer l’importance d’une prise en compte du paysage dans la stratégie de délocalisation des enjeux et les bénéfices de sa valeur ajoutée pour les sociétés et les territoires littoraux. Dès lors, il ne fut plus question de projet de paysage mais de projet de mitigation paysagère1. 1 Mitigation paysagère (ou mitigation des paysages) : réduction de la vulnérabilité par la construction de paysages. cette construction accompagne les mutations. la stratégie de mitigation paysagère est donc l’élaboration de projets d’accompagnement des mutations de paysages visant la réduction de la vulnérabilité d’un territoire et de sa société afin d’atténuer le risque d’inondation ou de submersion et, dans certains cas même, d’en tirer parti.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : probléMatique du projet de paysages

en analysant d’autres exemples, blois et la déconstruction du quartier inondable de la bouillie notamment, on a caractérisé la nature des vulnérabilités se succédant sur un territoire et le cycle adaptatif, induit par leur réduction progressive, duquel peut émerger un projet de mitigation paysagère. Afin de comprendre les étapes d’un tel projet, nous nous sommes intéressés à la prospective paysagère telle qu’elle fut mobilisée par le paysagiste en charge de l’étude sur le devenir du site de la bouillie. avec l’ensemble des acteurs, l’équipe paysagiste détermina les différentes trajectoires par lequel le système pouvait transiter afin d’élaborer les visions du territoire futur et souhaité (ou souhaitable). ainsi, on a montré comment le projet de parc agricole urbain, fruit de cette réflexion prospective, tirait partie de l’intégration du risque d’inondation en proposant de nouvelles formes de productions paysagères, sociales et économiques. D’une reconversion spatiale à la reconquête du territoire, nous avons décelé comment la mitigation paysagère ferait émerger une nouvelle culture sociétale du risque ; culture plurielle dont les fondements reposeraient tant sur la réappropriation du territoire reconquis que sur l’évolution des outils réglementaires de prévention et de planification. Enfin, l’hypothèse de faire évoluer les programmes d’action de prévention des risques en “plan d’actions de prévention des inondations“ ouvre le champ de la réflexion sur la perspective de projets d’ajustement permanent (par une réflexion prospective continue), qui dépasseraient la seule notion d’adaptation des territoires au risque d’inondation en intégrant les mutations globales liées au changement climatique. en effet, les sociétés observent les changements (dus à des facteurs naturels et à des facteurs sociaux) et se construisent à partir d’eux des représentations sociales des paysages, c’est-à-dire des manières de les penser. avec ces représentations, les pratiques sociétales évoluent et modifient ou infléchissent les processus de transformation des paysages. Yves luginbühl1 indique qu’à partir de là, le raisonnement n’est plus seulement une pensée en termes d’impact, d’effets et d’adaptation, comme nous l’avons constaté dans cette première partie, mais principalement en terme d’interaction. Ce vocable signifie que les effets des transformations ne se produisent pas dans le seul sens des sociétés vers les paysages, comme le laisse entendre le terme d’« impact ». Les processus agissent bien des sociétés vers les paysages et des paysages vers les sociétés. ainsi, les transformations ellesmêmes agissent sur les sociétés qui s’y ajustent en évoluant elles aussi, en s’organisant autrement pour retrouver un équilibre de développement ou poursuivre leur trajectoire. Les définitions du Larousse pour les termes « adapter » et « ajuster » expriment cette nuance. si le verbe « adapter »2 tend à confondre les deux notions, sa forme pronominale, « s’adapter »3 illustre le maintien d’une position unilatérale par rapport aux circonstances d’un changement : on s’y adapte sans en changer la donne. en revanche, le sens du terme « ajuster »4 recouvre l’idée de parfaire, la volonté de s’adapter au même niveau de définition 1 luGinbüHl Y., 2009, biodiversité, changement climatique et paysage, pp. 153-168, in Humanité et biodiversité, Manifeste pour une nouvelle alliance, 2009, Ligue Roc, Descartes & Cie, 232p. 2 adapter : « appliquer, ajuster ; mettre en accord ; approprier ». 3 s’adapter « se mettre en harmonie avec ; se plier, se conformer à. s’adapter aux circonstances ». 4 ajuster : « adapter parfaitement une chose à une autre ; façonner, faire quelque chose de façon à réaliser un

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et d’équilibre. il y a adéquation et plus exactement interaction. en outre, le paysage en tant que résultante d’interactions renforce cette distinction. comme l’a précisé Yves luginbühl, la notion d’ajustement implique des transformations politiques, économiques et sociales en réponse à des problèmes perçus par les sociétés face à une question de gestion de la nature dont l’expression perceptible (et pas seulement visible) est le paysage, dans sa dimension biophysique et dans ses dimensions sociale et culturelle. alors que la notion d’adaptation focalise sur l’unique dimension naturelle – positionnement « écocentré »1 de l’adaptation (les sociétés s’adaptent aux modifications des milieux) -, la notion d’ajustement laisse entendre que les mutations sociales accompagnent les mutations écologiques à un même niveau. Dès lors, il ne s’agit plus de passer d’une culture de l’adaptation du territoire à sa société ni même de l’adaptation d’une société à son territoire : il est plus approprié et pertinent de raisonner plutôt en termes d’interactions et d’ajustements. aussi la notion d’interaction renvoie-t-elle à la notion d’anthroposystème évoquée au cours du chapitre 4 à propos de la coévolution des dynamiques naturelles et de la production de paysages sur un même territoire. a cette coévolution des systèmes naturels et sociaux correspond une trajectoire combinant des temporalités cycliques (avec parfois des ruptures) incluses dans un cheminement temporel global du passé au futur et comprenant des ajustements, voire des mutations de l’anthroposystème (Muxart, 2006). ainsi, la seconde partie de cette thèse se propose d’étudier un anthroposystème très particulier, la camargue, qui subit des ajustements permanents depuis son anthropisation et en témoigne avec force alors que se précisent de lourdes menaces.

assemblage parfait ». 1 luGinbüHl Y., 2009, op. Cit.

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partie

2

la camargue : territoire d’ajustement stratégique permanent

199


200


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l

a camargue1 constitue un système deltaïque que l’homme a progressivement

artificialisé pour compenser des contraintes climatiques2 et atténuer des risques

d’inondation et de submersion. ce processus de transformation fondé sur une extraordinaire interaction des dynamiques naturelles et sociales a permis d’inventer une société et des paysages multifonctionnels, créateurs de richesses et, dans le même temps, d’inventer et de développer une profonde mitigation paysagère. cependant, face aux nombreuses mutations actuelles et futures (et notamment le changement climatique), la camargue s’apprête à renégocier sa trajectoire. par une analyse rétrospective, on se propose d’analyser les trajectoires historique et contemporaine de construction du territoire afin de comprendre les processus hérités et encore à l’œuvre, de repérer les périodes de crises et d’observer les processus de transformation du territoire et de sa société. il s’agira de comprendre à quoi et comment la société camarguaise s’est ajustée, par son organisation et sa technicité. aussi, après avoir esquissé les nouvelles perspectives du territoire camarguais, nous analyserons les stratégies, aujourd’hui mises en œuvre pour pérenniser la mitigation paysagère camarguaise, et

leur pertinence dans un contexte de mutations et de crise littorales.

1 Delta du rhône à son embouchure dans la mer Méditerranée, la plaine de camargue couvre environ 1 600 km2, dont 320 km2 maritimes, sur deux régions du sud de la France : Provence-Alpes-Côte d’Azur (département des Bouches-durhône) et languedoc roussillon (département du Gard) pour un total de 9 communes. la camargue forme un triangle qui a pour sommet arles et pour base le littoral depuis le golfe de Fos jusqu’à aigues-Mortes. si cet ensemble correspond au delta géologique, il convient, toutefois, de distinguer la Grande camargue ou île de camargue entre les deux bras du rhône qui couvre 750 km2, la petite camargue à l’ouest du petit rhône et le plan du bourg à l’est du Grand rhône. 2 le climat de la camargue est typiquement méditerranéen, chaud et sec, entrecoupé de violents épisodes pluvieux. le mistral, vent dominant (200 jours/an) descend en camargue par le couloir rhodanien. les précipitations moyennes sont de 600 mm et présentent une forte variabilité inter et intra-annuelle (dues notamment aux orages). les vents de secteur nord sont largement dominants, surtout en hiver. Violents, froids et secs, ils engendrent une baisse des températures et de l’hygrométrie. les chaleurs estivales dépassent annuellement les 30°c. avec des températures élevées et des vents violents, l’évaporation est très forte en camargue, atteignant 1 200 mm sur les plans d’eau. cette évaporation des plans d’eau ajoutée à l’évapotranspiration par les végétaux produit une lame d’eau moyenne annuelle de 900 à 1 000 mm rendue à l’atmosphère. Le déficit hydrique est de l’ordre de 400 mm en moyenne annuelle (brl, 2004).

Page ci-contre : le delta du Rhône, son embouchure et le Golfe de Beauduc. anonyme. source Javade.com

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carte 8 : les différents territoires du Delta du Rhône. source pnrc/sMcG

Nota : différents territoires composent le delta du rhône (la Camargue gardoise, le plan du Bourg, le Vigueirat et les Marais d’arles et la grande Camargue) (carte 8). pour cette thèse, nous avons choisi d’étudier plus particulièrement le territoire de la grande Camargue en tant qu’unité géographique et paysagère. toutefois, nos analyses et nos propositions dépassent les limites fluviales de ce territoire.

202




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cHapitre

«

5

Mobilité versus fixité : les fortes identités d’un espace artificialisé

tout en nous et hors de nous, tend à l’enveloppe la plus simple, au trajet le plus court. Tout système abandonné à lui-même tend à se simplifier, comme la goutte d’eau se met en boule, jusqu’à pouvoir être défini, comme la sphère, par un seul caractère. Le mouvement, la vie, la conscience ne peuvent venir que de l’interférence de systèmes étrangers. La civilisation est un énorme effort de coordination. La nature sauvage et spontanée est, par définition ce qui est étranger à la civilisation. La nature, non plus subie mais aimée, peut seule empêcher la civilisation d’être un retour aux déterminations les plus sommaires, un processus de dégradation de la vie. Robert Hainard1

1 paris

HainarD r., 1972, expansion et Nature. Une morale à la mesure de notre puissance, ed le courrier du livre,

» 205



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l

a construction du géosystème camarguais repose sur la mobilité de ses constituants et de forçages externes que les sociétés successives ont ajusté, tant par des attitudes

fixistes que mobilistes. au cours des étapes d’ajustements aux périodes de crises, quels furent les liens entre mobilité et fixité dans la construction du complexe deltaïque ? S’il devait exister un état d’équilibre stable du système reconnu dans l’histoire ancienne et contemporaine, cet état serait-il plutôt fondé sur une idéologie conservative ? la perception de la nature et des paysages a-t-elle induit des ajustements sociétaux et identitaires ?

a. Fixité perçue mais mobilité réelle du littoral

a

la lumière de la dynamique et du transit sédimentaire qui caractérisent la mobilité du littoral camarguais, nous analyserons les compensations locales fixistes mises en

oeuvre face au déficit sédimentaire. Quels effets sur la mobilité littorale ont-elles engendré ?

Un état de référence (ou de stabilité) du profil littoral camarguais peut-il être défini entre fixisme et mobilisme ?

i. une mobilité littorale sous le contrôle du transit sédimentaire le milieu littoral est naturellement mobile à des échelles spatio-temporelles qui interfèrent. non perçue ou non mémorisée à l’échelle de quelques générations, la mobilité plurimillénaire à pluriséculaire n’en joue pas moins un rôle déterminant dans l’évolution littorale (Vella, 1999). elle traduit les réajustements du système deltaïque à trois principales contraintes externes : le ralentissement de la montée du niveau marin depuis 6 000 ans, qui a permis l’avancée du trait de côte de 10 à 20 km ; le déplacement des embouchures et (ou)

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

leur multiplication, qui détermine la localisation temporaire des apports sédimentaires au littoral, puis leur abandon et leur redistribution. la bathymétrie traduit et marque encore à ce jour, la présence des anciens et actuel cônes sédimentaires deltaïques (pnrc, 2006) ; enfin, les variations de l’abondance hydrologique du bassin-versant (carte 9), qui favorisent, selon les secteurs, des avancées rapides, la stabilisation ou le recul du trait de côte. a l’échelle séculaire et décennale, la mobilité littorale concerne

la régularisation

du trait de côte par la dérive littorale (influencée par le régime des vents, les courants marins et le niveau moyen de la mer). cette tendance naturelle est liée à la recherche d’un profil d’équilibre : le littoral s’ajuste à la répartition de l’énergie des houles (picon & Provansal, 2002). Sur les 60 km de rivage entre la flèche de la Gracieuse à l’est et la pointe de l’espiguette à l’ouest (Cf. figure 29 et carte 10), la dynamique littorale est forte et bien perceptible. Des secteurs côtiers progradent en mer, carte 9 : Bassin versant du Rhône. source Wikipédia

d’autres subissent des reculs importants (de 10 mètres

par an en moyenne) (Heurtefeux & Lanzellotti, 2008). Ce fonctionnement longitudinal (érosion-transport-dépôt) implique des unités spatiales fonctionnelles ou cellules hydrosédimentaires, dont les limites sont stables à l’échelle du siècle (Suanez, 1997 ; Sabatier, 2001) et explique l’origine des évolutions rapides de la position du trait de côte sur certains secteurs. la saisonnalité, caractérisée par les phénomènes météorologiques et marins (vents, houles, surcotes), influe également sur la variabilité littorale à court terme. Les plages “maigrissent“ naturellement en hiver au profit des barres sableuses infralittorales qui les “engraissent“ en retour en été. cet échange, signe de “bonne santé“ du système, exige un espace de mobilité (de battement latéral) suffisant, estimé en Camargue à 100 m, entre la mer et la dune, afin d’amortir efficacement les houles hivernales, faute de quoi le système, déséquilibré, subit une évolution régressive (provansal, 2003). sur les

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aRles

Pointe de l’espiguette stes-mariesde-la-mer

Pointe de Beauduc Flèche de la Gracieuse Figure 29 : Delta du Rhône et littoral camarguais. source Google earth

carte 10 : la Grande camargue. réalisation Morisseau

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

secteurs bien alimentés en sable, la cicatrisation spontanée intervient au cours des mois suivants (Bruzzi, 1999). En revanche, sur les secteurs enrochés (car déjà déficitaires), les équipements de “protection“ aggravent le plus souvent l’impact des fortes houles. un grand nombre de travaux récents de recherche montre que la dynamique est de plus en plus influencée par l’homme, directement (construction d’ouvrages de défense) ou indirectement (aménagement du Rhône), expliquant les causes du déficit sédimentaire observé sur le littoral du delta camarguais depuis plus d’un siècle.

ii. les causes et conséquences d’un bilan sédimentaire déficitaire Dans ces fluctuations à long terme, le 20e siècle occupe une position particulière, marquée par un déficit sédimentaire dû à la réduction des apports fluviaux dès les années 1920, donc antérieur aux aménagements hydro-électriques et aux prélèvements dans le rhône (figure 30) ; mais il bénéficie jusqu’à aujourd’hui de l’héritage sédimentaire du petit Âge Glaciaire (16e-19e siècles) encore en cours de démantèlement (arnaud-Fassetta, 2000). La formation d’un delta exige en particulier que le fleuve soit suffisamment important pour charrier de grandes quantités de matériaux. on estime qu’avant les grands travaux d’aménagement de son cours, le rhône transportait de l’ordre de 40 millions de tonnes de sédiments chaque année, aujourd’hui réduits à 8 à 10 millions de tonnes (Fruget, 2003 ; Sabatier, 2001 ; Sogreah, 1995 ; Suanez, 1997). Dès la fin du 19e siècle, le changement climatique naturel et l’abandon des terres agricoles en montagne ont réduit la fréquence des fortes crues et l’érosion dans les bassins versants. Le reboisement des versants sud-alpins a été une des causes du déficit sédimentaire (arnaud-Fassetta, 2000). le reboisement a limité l’ablation, alors que les pentes nues fournissaient à la Durance des matériaux alluvionnaires (cailloux, pierres…) que rien ne stoppait. Depuis la seconde guerre mondiale, les barrages hydroélectriques, les extractions de granulats et les dérivations agricoles ont en outre privé le rhône d’une nouvelle part de sa charge solide (Miramont et al., 1998). Enfin, les mesures bathymétriques montrent une importante rétention sédimentaire à l’embouchure du Grand rhône (2 millions de tonnes de sables par an), au détriment de l’alimentation des plages (Sabatier & Provansal, 2002). Avec un déficit de 700 000 m3 par an, le bilan sédimentaire du système littoral s’avère négatif depuis 60 ans, induisant un recul moyen de 4 m par an du linéaire côtier (Picon & Provansal, 2002). cette chute des apports sédimentaires expliquerait jusqu’à 75 % du recul du rivage (Verdier, 2009).

210


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Figure 30 : Graphique de l’évolution des apports solides du Rhône (histogrammes en rouge pour les apports totaux, en vert pour les seuls apports de matières en suspension) et du nombre de barrages sur le Rhône et ses principaux affluents. sources : Fruger 2003, sabatier 2001, soGreaH 1995, Suanez 1997.

l’effet des interventions humaines, non remarquables au premier abord, apparaît donc nettement sur le système “naturel“ du delta. elles montrent à quel point la présence ou l’absence de sable sur les plages du littoral est imputable autant à des facteurs situés très en amont sur le fleuve qu’à la mer (Antonelli & Provansal, 2003). En outre, malgré la présence d’ouvrages pour fixer le littoral, les côtes sableuses de Camargue restent mobiles : l’apport de sédiments les fait avancer sur la mer alors que l’érosion marine et éolienne les fait reculer. ces phénomènes combinés entrainent une dynamique importante du trait de côte, mesurée par le cereGe1, lequel a constaté des zones d’érosion, d’accumulation mais aussi de stabilité (carte 11).

carte 11 : evolution du littoral camarguais de 2000 à 2004. source pnrc/sMcG 2006 1

centre européen de recherche et d’enseignement sur les Géosciences de l’environnement.

211


CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

trois secteurs sont en recul : l’essentiel de la petite camargue, les abords des saintesMaries-de-la-Mer et la côte de Faraman à la hauteur du phare de Faraman1 (sud-ouest de salin de Giraud). entre 1895 et 2000, la régression a par exemple été de 1 km à l’embouchure du petit Rhône. Par endroit, cette érosion est significative et inquiétante puisque le trait de côte recule jusqu’à 9 mètres par an, notamment à l’est des saintes-Maries-de-la-Mer (Sabatier et Suanez, 2003). Ces secteurs en recul subissent de plein fouet les tempêtes de sud/sud-est, peu fréquentes (10 % du temps) mais très puissantes. trois autres secteurs sont en progression, la Flèche de l’Espiguette, la flèche de Beauduc et l’embouchure du grand rhône2 (Flèche de la Gracieuse). ces secteurs subissent les mutations les plus fortes, de l’ordre de 15 à 18 m par an (Aufray & Perennou). Cette progression a atteint plus de 2,5 km à l’embouchure du grand rhône entre 1895 et 2000. D’autres secteurs sont stables et s’intercalent entre zones en érosion et zones en progression. la surface des terres perdues par ces processus entre 1895 et 2000 (inégalement dans le temps) a été estimée à 450 ha (sabatier, 2001).

l

a mobilité caractérise bien le mode de fonctionnement spontané de l’espace littoral camarguais. cet espace, qui permet un état d’équilibre dynamique dans lequel

la mobilité s’inscrit, est comparable à l’espace de mobilité ou de “liberté“ des fleuves et des rivières (lit majeur), aujourd’hui admis et reconnu par les gestionnaires des cours d’eau. Sur les littoraux, son maintien suppose nécessairement l’existence de zones de stockage temporaire (dunes, barres) et le maintien de la continuité des flux transversaux et longitudinaux. Ainsi, et en dépit d’ouvrages laissant supposer une stabilité figée du littoral, définir un état actuel de référence semble impossible, dans la mesure où les conditions aux limites du système ne sont elles-mêmes pas stables. Faut-il chercher dans l’histoire paléogéographique du delta camarguais un état d’équilibre qui serait la référence ?

1 construit en 1836 à 700m du trait de côte, le phare de Faraman a été englouti par la mer en 1905 puis reconstruit plus en arrière. 2 la tour saint-louis construite en 1737 à l’embouchure du grand rhône se trouve actuellement à 8 km de la mer.

212



CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

B. Dimension paléogéographique du delta

l

’histoire de la formation du delta camarguais est construite sur une succession de forçages. la genèse paléogéographique indique-t-elle un état de référence

démontrant une stabilité géomorphologique et paysagère ?

i. Formation deltaïque du tertiaire à la transgression flandrienne la formation du delta résulte de l’effet conjugué de la mer Méditerranée et du rhône sur l’agencement et la répartition de la charge sédimentaire transportée depuis le bassin versant du Massif central et des alpes à la mer par le sillon rhodanien. les grandes étapes de cette formation sont résumées ci-après (Roché & Aubry, 2009 ; Picon, 1988 ; Heurteaux, 1969 ; Gautier-Descottes, 1877).

1. Fin tertiaire début quaternaire (entre -10 millions et -5 millions d’années)

A la fin de Miocène, la mer dite « Mer Miocène » (10 millions d’années) remontait largement à l’intérieur de l’actuelle vallée du rhône. A la fin du Pliocène, la régression

marine

provoque

l’émergence de terres formant le fond d’un golfe s’étendant jusqu’au site actuel de lyon. la mer s’étant progressivement retirée jusqu’à un niveau inférieur à l’actuel (- 30 m), le rivage se situe très en retrait de celui que nous connaissons.

aRles

carte 12 : la mer de la période miocène au niveau du bas Rhône. D’après congrès national archéologique d’arles, 1877. 214


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2. Début quaternaire (périodes glaciaires et interglaciaires) une série de glaciations et de réchauffements (qui dura près de 2 millions d’années) entraîne une oscillation d’une centaine de mètres du niveau de la mer. a cette époque, le Rhône et la Durance sont les deux grands fleuves qui sillonnent la plaine deltaïque. Ces fleuves puissants déposent d’importantes quantités de sédiments formant une couche de galets encore apparents de nos jours en crau et sur les costières. progressivement, les deltas gagnent du terrain sur la mer.

3. Transgression flandrienne (entre -50 000 et – 6 000 ans) A la fin de la dernière grande glaciation (Würm, -70 000 ans), le niveau de la mer est beaucoup plus bas que le niveau actuel (- 50 m). la fonte des glaciers ne cesse de faire monter le niveau marin ; plus de 60 m dans le golfe du Lion (Roché & Aubry, 2009). Le rhône construit d’abord son delta grâce à un cours unique (saint-Ferréol) qui accumule ses alluvions, provenant des alpes et du Massif central, au large des saintes-Maries-de-laMer. le delta s’engraisse mais la mer continuant de monter, il reste submergé.

carte 13 : anciennes embouchures du Rhône et anciens rivages camarguais. D’après p. Véran, 1806. la ligne rouge délimite l’avancée ultime maximale de la mer lors de la transgression flandrienne. 215


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ii. le stockage holocène et la libre divagation du Rhône Après la transgression flandrienne, le Rhône commence l’édification de son delta il y a 7 000 ans ; 7 000 ans pour gagner 175 000 ha sur la mer et devenir le second grand delta en Méditerranée. 6 000 ans avant notre ère, le niveau marin se stabilise avec un rivage situé une dizaine de kilomètres en retrait de l’actuel. La transgression flandrienne installe ainsi le rivage au niveau de l’actuelle rive nord de l’étang de Vaccarès. Depuis cette époque, l’extension supplémentaire du delta est due uniquement aux dépôts alluviaux apportés par le rhône et remaniés par la mer. le rhône de saint-Ferréol s’avance alors de 5 kilomètres au droit des Saintes-Maries-de-la-Mer. A ce fleuve correspond en partie aujourd’hui le petit rhône, qui rejoint la mer au grau d’orgon, à l’ouest des saintes-Maries-de-la-Mer (Michel, 2008). Au nord du rivage flandrien, la sédimentation est continentale, dite encore « fluviolacustre d’origine rhodanienne »1. Le Rhône charrie des sables fins, des limons et des vases qu’il dépose lors de ses crues et de ses divagations.

Photo 13 : Illustration du paléopaysage du nord du rivage flandrien. photo Morisseau 2006.

au sud, la sédimentation, d’abord marine, devient « laguno-lacustre »2. il s’agit de formations dites deltaïques, c’est à dire “gagnées“ sur la mer par accumulation sédimentaire aux embouchures du fleuve. Les éléments les plus fins sont dispersés par les courants marins alors que les autres, sous l’action conjuguée du fleuve et de la mer forme une barre qui évolue en un îlot triangulaire appelé « they », dont la base tournée vers la mer s’accroît en un cordon littoral.

1 HeurteauX p., 1969, recherches sur les rapports des eaux souterraines avec les eaux de surface (étangs, marais, rizières), les sols halomorphes et la végétation en Camargue, faculté de Montpellier, thèse de Doctorat en sciences naturelles, 226p. 2 HeurteauX p., 1969, op. Cit.

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Photo 14 : Illustration du paléopaysage du sud du rivage flandrien. photo Morisseau 2006.

ce cordon en expansion se soude au continent, isolant le système lagunaire peu à peu comblé par les apports marins et éoliens, et par limonages au cours des crues : « on conçoit aisément que le sous-sol de la moyenne et de la basse Camargue, récemment conquises sur la mer, regorge de sel, et que celui de la tête de Camargue, formée essentiellement d’alluvions fluviatiles, en renferme peu. » 1 par la faible pente de son lit entre arles et la mer (quelques centimètres par kilomètre), le rhône (non encore endigué) décrit des méandres en s’appuyant sur son bourrelet alluvial (picon, 1988). en période de crues, les eaux rompent parfois les berges et s’approprient un nouveau lit. les cartes historiques distinguent à l’ouest, le rhône d’albaron dont le prolongement vers aigues-mortes prend le nom de rhône de peccais et à l’est, le rhône d’ulmet. entre les deux, le bras principal (rhône de st Ferréol), saturé de sédiments, perd la force d’alimenter sa flèche deltaïque que les courants marins finissent par démanteler. Au Moyen-Âge, le bras est prend de plus en plus d’importance, préfigurant le cours principal actuel du Rhône (Cf. cartes 14 & 15 page suivante) a ces multiples remaniements sédimentaires s’ajoutent les alignements dunaires résultant de l’activité du fleuve et des courants marins. L’édification progressive du delta se poursuit par la régression du they central au profit de deux autres flèches, toujours existantes, celle de beauduc à l’est, celle de l’espiguette à l’ouest. leur croissance au début de notre ère est sans doute favorisée par l’une des « crises hydrologiques » que connaît le delta, succession de crues violentes et débordantes, qui dura 200 ans (100 av. J.-c. à 100 apr. J.-C. (Roché & Aubry, 2009). Durant le millénaire suivant, le rhône divague sans entrave, malgré une nouvelle crise hydrologique, du 5e au 7e siècle. les anciens bras du rhône, qui forment la trame des

1

HeurteauX p., 1969, Ibid.

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

meilleurs terres agricoles du delta, composés d’alluvions fins, sont peu atteints par le sel du fait de leur altitude et de leur texture sablo-limoneuse favorisant le lessivage naturel par les pluies.

carte 14 : evolution paléogéographique de la plaine deltaïque de camargue depuis le néolithique ancien jusqu’à l’antiquité. D’après t. rey, 2007.

a

insi, l’édification du socle camarguais

et

l’incessante

variabilité

géomorphologique

et

paysagère

induite

de

résultent

multiples forçages notamment d’ordres eustatique et fluvial, qui démontrent

de

l’extraordinaire

mobilité de l’entité deltaïque ; et par

conséquent

l’impossible

définition d’un état d’équilibre de référence au cours de sa paléohistoire.

carte 15 : Rivages camarguais superposés au rivage actuel. D’après Heurteaux, 1975 et Kruit, 1955

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c. Genèse du contrôle sociétal « La Camargue et le delta de nos provinces Méridionales ; sa surface est un amas confus de petites îles de sable et de marais ; son fond est un ancien lit de mer sablonneux qui a retenu une grande quantité de sel. Quand des siècles accumulés auront éloigné la mer Méditerranée ; lorsque le rhône dépouillant nos montagnes aura agrandi le continent dans ces cantons, & changé les bords de la mer en terres, & qu’enfin la mer ellemême sera descendue par l’abaissement de son niveau ; alors la Camargue sera une espèce de mine de sel ; elle attestera aux Naturalistes de cet âge, l’ancienne station de la mer en ce lieu, comme nos pétrifications marines attestent, qu’elle a couvert nos plus hautes montagnes coquillières : la Camargue ainsi formée des déblais de nos montagnes, augmentera sans cesse, à moins que l’industrie humaine ne donne au fleuve un lit factice qui arrête ses ravages. »1

Z

ones humides parmi les plus productives du monde, les deltas sont les supports du développement de communautés urbaines et rurales, d’entreprises productrices de

sel, de poissons, de réserves naturelles et d’activités touristiques. ils abritent des sites historiques et archéologiques qui permettent de s’interroger sur les positions géographiques des premières implantations et colonisations humaines. le delta du rhône2 illustre les interactions entre les sociétés antiques et un

milieu réputé répulsif, voire hostile et d’une certaine manière une mitigation paysagère progressive. a partir de quelles interactions la camargue est-elle devenue un territoire productif ? Selon quels paysages peut-on identifier l’anthropisation camarguaise ?

i. Du nomadisme de l’interface terre/eau … 1. la période préromaine et les premières constructions humaines a l’époque préromaine en Gaule, la région humide et boisée qui s’étendait des alpilles à la mer constituait un terrain idéal pour le développement d’une économie de chasse, de pêche et de cueillette. les tribus ligures qui s’accrochaient aux quelques émergences rocheuses situées au nord de cette zone (Montmajour, Gordes, Le Castellet, arles) se contentaient de prélever dans le delta ce qui était indispensable à leur survie : taureaux, chevaux, sangliers, cerfs étaient chassés et consommés. les paysages devaient 1 GirauD-soulaVie J-l., 1784, Histoire naturelle de la France méridionale, ed J.F. quillau, Mérigot l’aîné, belin 2 Les origines du nom du Rhône sont connues : Rhodanus grec ou Rhodanus romain. En revanche, il est difficile d’établir l’origine gauloise du nom ; plusieurs hypothèses sont avancées : le celtique « roth », soulignant la violence, l’impétuosité, le celtique « rod » (rapide) et « awn » (eau). Le radical Rot/Rod, présent en Europe occidentale, se retrouve dans les noms actuels du rhône suisse alémanique : rote ou rotten. le rhône a longtemps porté le nom d’eridan, appliqué à de nombreux fleuves européens, dont l’Elbe, le Rhin, le Pô. Ce nom générique rappelait l’allure torrentielle des eaux.

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être relativement boisés. l’activité de pêche était tout aussi répandue dans cette plaine lacustre où l’on se déplaçait essentiellement en bateau (picon, 1998). environ 600 ans av. J.c., phéniciens et phocéens installèrent quelques petits établissements le long des bras du rhône. participant de l’économie marchande qui s’organisait dans le bassin méditerranéen, la camargue présentait pour les Grecs deux types d’avantages : les grandes forêts développées sur les alluvions du rhône permettaient de construire et de réparer les bateaux ; ils semblaient être les premiers à avoir perçu la valeur marchande de la production1 des étangs de basse camargue (picon, 1998). Dans l’antiquité, les négociants grecs et romains fréquentèrent la camargue. certains auteurs évoquent la présence d’ateliers, d’arsenaux, d’entrepôts dont les ruines ont été retrouvés sous la vase des marais, de la banlieue arlésienne au littoral méditerranéen : d’innombrables débris céramiques et métalliques, des pavés de maisons, des assises maçonnées, des fûts et des colonnes ont été découverts sur les berges du Vaccarès, les gisements de la Capelière et de Carrelet (George & Hugues, 1933). De ces vestiges grecs et gallo-romains on peut qualifier la typologie du bâti : élaborée, ancrée dans le sol et amplement construite.

carte 16 : Position du Rhône et du rivage de la méditerranée à l’époque antique. réalisation Morisseau

a cette époque qui fît la splendeur d’arles, la croissance démographique urbaine exigeait des ressources nouvelles. De ces besoins économiques naquirent des agglomérations camarguaises. ainsi, des docks avec leurs quais colonisaient toute la périphérie du Vaccarès à l’instar des étangs du Fournelet et d’ulmet, en communication directe avec la mer (George & Hugues, 1933). Les deux bras du Rhône d’Albaron et de Saint-Ferréol (aujourd’hui asséchés et comblés) étaient jalonnés d’établissements commerciaux (Mas d’agon, Mas neuf à cabassol, pont de rousty, Mourrefresche). la libre circulation des eaux et les niveaux d’eau hauts des étangs mettaient à l’abri des fièvres paludéennes. par ailleurs, les scories de fer retrouvées sur les habitats gallo-romains laissent supposer 1

sel et poissons.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

l’existence de fonderies, qui devaient être alimentées en bois de combustible prélevé sur place (George & Hugues, 1933). La Camargue était donc moins marécageuse et beaucoup plus boisée qu’aujourd’hui.

2. la période gallo-romaine, le temps de la colonisation agricole (de -52 av. J.c. à 450) les premières tentatives de colonisation agricole datent de la fondation d’arles par Jules césar en 46 avant J.-c. ; elles ont été localisées sur les bourrelets alluviaux de la Camargue fluvio-lacustre (Haute Camargue) ainsi que sur les rives nord du Vaccarès. les terres du delta, plus élevées qu’aujourd’hui par rapport au niveau marin (donc moins salées), permettaient la culture céréalière dans de très bonnes conditions : « Il est connu que César donnait des terres à exploiter à ses légionnaires démobilisés. »1 soumise aux débordements naturels du fleuve, l’agriculture était précaire et peu élaborée. Elle consistait à semer du blé sur les alluvions déposées par le rhône au cours de ses crues hivernales et à le récolter avant les sécheresses estivales (picon, 1988). Jusque là, le fleuve, le climat et la mer sont les uniques facteurs naturels qui modifient la Camargue : « Les populations qui s’y aventurent n’y pratiquent qu’une économie de prélèvement ou une agriculture peu dégagée des contraintes naturelles »2. les invasions sarrasines provoquèrent la régression de cette activité agricole pionnière, en rompant toute l’économie régionale. les établissements gallo-romains disparurent. la camargue devint un lieu de refuge des pourchassés (picon, 1988). Jusqu’au Moyen-Âge, en haute et moyenne camargue, les eaux douces des divagations du rhône et les crues d’hiver lessivaient les sols, compensant aisément les effets de la nappe salée. La forêt qui recouvrait ces terres était le signe de l’influence fertile du rhône. cependant, en restant soumise aux variabilités capricieuses du rhône qui submergeait régulièrement la haute camargue et celle de la mer qui, par fortes tempêtes, s’appropriait la basse camargue, la vie dans le delta n’était pas pérenne (picon, 1988).

carte 17 : Position du Rhône et du rivage de la méditerranée au moyen-age. réalisation Morisseau 1 2

picon b., 1998, L’espace et le temps en Camargue, Arles, Actes Sud, 231 p., cartes et figures. picon b., op. Cit.

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

ii. … au bilan séculaire d’un territoire poldérisé 1. le moyen-Âge et les premières digues (476-1492) a partir du 12e siècle, les embarcadères du Vaccarès furent abandonnés. saintGilles devint le port principal des marchands et des pèlerins en transit vers l’orient ou en revenant ; il succomba lui aussi à l’ensablement faute d’entretien du chenal lors des guerres albigeoises (George & Hugues, 1933). Le centre économique de la Camargue se déplaça vers aigues-Mortes, prospère sous saint-louis, mais qui, ensablé à son tour, céda le premier rang à Marseille. puis, avec le retour de la paix et le développement général des monastères médiévaux, le delta camarguais fut soumis à une nouvelle pression colonisatrice d’une toute autre ampleur. pour la première fois, les établissements humains cherchèrent à modifier le milieu naturel dans une optique productiviste (George & Hugues, 1933). Les moines défricheurs trouvèrent un territoire relativement vierge, boisé au nord et lagunaire au sud, dont ils allaient améliorer la productivité agricole. au 12e siècle, les cisterciens bâtirent deux puissantes abbayes : Sylvéréal, en Camargue fluvio-lacustre, sur le bourrelet alluvial du petit rhône, ulmet (en 1157) en camargue laguno-marine, mais au bord d’un bras du rhône. ce bras changeant fréquemment de cours, les moines furent contraints d’abandonner ce site, et se replièrent (en 1194, soit quarante ans plus tard) sur sylvéréal (picon, 1988). On observe, dès cette époque, une logique de recul face au fleuve. première tentative de colonisation et de peuplement de la camargue laguno-marine, l’échec de l’abbaye d’ulmet ne serait pas le dernier (picon, 1988) mais il illustre bien les limites à l’anthropisation du delta. a partir de cet échec des cisterciens d’ulmet et jusqu’à la moitié du 19e siècle, la camargue laguno-marine fut marginalisée parce qu’improductive en terme d’agriculture. Entre temps, des aménagements partiels et d’une modeste efficacité pour assurer une meilleure productivité agricole commençaient à modifier sensiblement l’écologie du delta: déboisement des bourrelets alluviaux, assèchement des dépressions fluvio-lacustres, protection du rhône par un système de digues, introduction contrôlée d’eau douce par un réseau d’irrigation (picon, 1988). cette marginalisation économique de la camargue est également marquée par des aménagements de défense contre la mer. il s’agit de travaux de protection isolés et peu organisés entre le bras de fer (ancien cours du Grand rhône) et le sud-est des étangs inférieurs. entre la mer et le Vaccarès, « la seule défense consistait à essayer de fermer les « graus » ou passages ouverts du côté de la mer. »1 un processus de “ poldérisation “ est dès lors amorcé. Cette logique fixiste perdure avec le progrès technique et les opportunités foncières et administratives. cette poldérisation, destinée à modifier le milieu naturel de la Camargue fluvio-lacustre dans une 1

encyclopédie des bouches-du-rhône, t. iii, chapitre ii.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

perspective agricole, fut qualifiée de « mise en valeur » du delta (au sens économique du terme). parallèlement aux essais de drainage et d’assainissement effectués par les grands propriétaires (seigneurs locaux), le besoin d’introduire de l’eau douce dans le delta se fit ressentir. en effet, au fur et à mesure de l’isolement progressif du rhône par endiguement, les incursions naturelles des eaux de crue se raréfiaient et il devint nécessaire sinon essentiel de pallier ce manque par des moyens artificiels : « La nappe étant salée ou saumâtre, seule l’eau du fleuve peut […] satisfaire les besoins en boisson des hommes et des animaux. de plus, l’absence de lessivage des sols par les crues provoque des remontées de sel contre lesquelles on ne peut lutter que par irrigation. en effet, l’assèchement des parties les plus hautes des marais devient inutile si l’impossibilité de cultiver par excès d’eau est remplacée par un excès de sel. » 1

2. le 17e siècle et l’émergence d’une agriculture de conquête aux 17e et 18e siècles, sous l’impulsion de l’ordre de Malte, la camargue devint une terre vouée à une agriculture spéculative (Gangneux, 1967). une profonde avancée agricole provoqua une nouvelle forme d’anthropisation avec l’installation de propriétaires extérieurs – d’avignon notamment. l’ingénieur Van ens importa en 1642 l’expérience hollandaise d’assèchement des marais (Allard & Leveau, 2002). Mais les aménagements, en particulier les travaux de protection, n’empêchèrent pas les crues. a partir de 1647, la camargue connut une période de crise hydroclimatique caractérisée par de grands déluges, dont 27 grandes crues de 1651 à 1700 ; après 1700, les crues continuelles (et en toute saison) pouvaient entièrement recouvrir la camargue (avec + 5 m d’eau à arles) (pichard, 2006). Des « reculats », éloignement des digues ruinées du lit mineur, furent entrepris (Gangneux, 1973). on notera aussi qu’en 1755 un tremblement de terre rompit toutes les digues et la camargue se retrouva à nouveau sous l’eau (picon, 1988). la rotation biennale jachère-céréales sur les terres hautes labourables et les cultures fourragères sur les terres basses irrigables constituaient l’essentiel de l’agriculture. la mise en valeur s’étendit progressivement vers le sud. au 17e siècle, de nombreux mas s’implantèrent le long du fleuve. Ils appartenaient à de grands domaines dont la plupart des propriétaires habitaient arles (clébert, 1970). pourquoi de vastes mas s’établirent-ils principalement en bordure des bras du rhône ? pourquoi les propriétaires n’habitent-ils pas sur place ? pourquoi la naissance d’une agriculture relativement élaborée ne s’est-elle pas accompagnée d’une société paysanne ou de communautés villageoises ? ces questions trouvent réponses dans les contraintes, voire 1

picon b., Ibid.

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

les impossibilités, d’ajustement entre le territoire et sa société.

carte 18 : Position du Rhône et du rivage de la méditerranée au 18e siècle. réalisation Morisseau

2.1 l’implantation et l’ajustement du foncier aux contraintes physiques suite à la vente en 1600 par la municipalité arlésienne de son domaine foncier (l’est du delta) aux bourgeois de la ville, une véritable conquête agricole soumise aux aléas de la forte résistance du milieu physique fut entreprise. Dépourvue d’un réseau routier prohibé par les inondations toujours fréquentes et la carence en matériaux de construction, la camargue ne laissait que peu de choix à l’implantation des mas. ceux-ci s’installèrent donc le long des bras du rhône, seul axe de transport fonctionnel. l’implantation sur les levées alluviales est aussi un ajustement à la fréquence des inondations comme en témoignent encore les mas de rousty, de la capellière et de bélugue. les cabanes camarguaises illustrent également ce principe1. l’onéreuse conquête agricole ne pouvait s’exercer sans un apport massif de capitaux extérieurs nécessaires à la transformation des milieux. l’improductivité agricole du sol imposait la grande propriété, donc l’écartement des mas, et ne favorisait pas les contacts déjà rendus difficiles par l’absence de réseau routier. Les premiers propriétaires ne pouvaient être des agriculteurs. cette forme sociale particulière qu’est l’appropriation du sol, sous forme de structure latifundiaire, s’explique par les caractéristiques naturelles du delta (picon, 1988). cette répartition foncière met en relation la taille des exploitations avec le taux de salinité. trois tailles de propriétés sont très exactement proportionnelles aux trois zones de salinité : à salinité importante, propriétés importantes (plus de 400 ha), à salinité moyenne, propriétés moyennes (entre 200 et 400 ha), à salinité faible, propriétés de moins de 200 ha. 1 Héritière des premiers types d’habitat, la cabane camarguaise est une architecture sommaire, particulièrement adaptée aux conditions climatique et pédologique, construite sur les montilles (dunes de sable) à l’aide des seuls matériaux disponibles localement. elle abritait pêcheurs, bergers, agriculteurs, vanniers, saliniers ou gardians. son toit à très forte pente permettait un rapide écoulement des pluies, rares mais violentes. une unique porte, ouverte au sud sur le mur pignon, et un enduit de mortier à la chaux, protégeait ces habitants de la chaleur. une abside (ou croupe) orientée au nord offrait une moindre prise au mistral. a cette extrémité du toit, une travée de la charpente traversait la couverture et portait une croix ou une corne de taureau destinée à éloigner la foudre ou amarrer la cabane par vent fort.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

2.2 le maintien continu d’une mobilité anthropique Bien que mieux fixée, endiguée, la Camargue restait inhospitalière. Cette hostilité, dont font état de nombreux ouvrages, empêcha durablement l’émergence de communautés (picon, 1988). la rudesse des vents, les fortes chaleurs estivales et les moustiques facilitaient le développement des maladies dont l’isolement empêchait tout traitement : « il n’y a aucunes autres maisons que telles métairies, pas un seul artisan ny marchand ny vendeur ny un seul pauvre homme, il n’y a que les serviteurs et domestiques des métairies… ainsi… personne n’habite l’Isle qui n’ait maison à arles »1. par ailleurs, la disparition de certains bras du rhône et un endiguement plus performant augmentèrent les surfaces en eau stagnante et l’insalubrité résultante (allard & Leveau, 2002). Cette hostilité contribua, encore au 19e siècle, à maintenir la camargue à l’écart de tout peuplement rural de type communautaire : « Le bourg des saintesMaries-de-la-Mer échappe lui-même à la forte socialisation caractéristique des villages provençaux du début du 19e siècle »2, impliquant une société mobile et détachée : « Quand il s’agit de naître, de mourir, ou même de se marier, les Camarguais vont faire à arles leurs petites affaires… […] »3. cette relation continue entre hostilité du milieu, structure foncière latifundiaire et absence de communautés rurales s’est perpétuée du fait de l’absence de société « traditionnelle » anéantissant tout frein au développement d’une agriculture industrielle et renforçant dans le même temps l’impossible émersion d’une société paysanne.

3. le 19e siècle et les grands projets de conquête source de paludisme, les marais devaient disparaître ; l’homme devait être tenu pour responsable du manque à gagner qu’ils représentaient en dépit des moyens techniques dont il disposait pour y remédier (Allard & Leveau, 2002). Ainsi, tout le 19e siècle fut dominé par la vision d’une « Camargue de conquête ». La nature devait être dominée et aménagée : « Messieurs, la même main qui a vaincu les hommes veut combattre les éléments et rétablir l’ordre dans la nature comme il a été rétabli dans la société »4. ce discours, prononcé le 16 septembre 1807 par Carrion Nizas, orateur du Tribunat5, à propos de la loi sur le dessèchement des marais, entre en résonnance avec l’idéologie technicienne et aménagiste héritée de Descartes, qui considérait l’homme comme maître et possesseur de la nature. les ingénieurs qui aménagèrent la camargue dans la continuité de cette philosophie saint-simonienne furent les héritiers d’une politique ancienne de lutte contre l’eau (Derex, 2003). « La mission romantique »6 de conquête de la nature confiée à l’ingénieur moderne fut justifiée et encouragée par cette idéologie de progrès. La science propose et permet de 1 courrier du pnr de camargue, n°10 mars 1977 2 beGot D., 1976, La Camargue dans la première moitié du XIXe siècle, thèse, université de provence 3 arenate J., 1982, les curés de camargues, L’aïoli, 29 janvier 1982 4 In allarD p., leVeau ph., 2002, l’histoire de la camargue au péril des reconstitutions identitaires, savoirs faire, n°2, octobre 2002, 17-24 5 le tribunat était l’une des quatre assemblées, avec le conseil d’état, le corps législatif et le sénat conservateur instituées par la constitution de l’an Viii (source Wikipedia). 6 allarD p., leVeau ph., op. Cit.

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

construire une société nouvelle qui bénéficie de l’accroissement des richesses. Ainsi, au début du 19e siècle, alors que le besoin de terres agricoles se faisait sentir, l’administration commença à se préoccuper de la mise en valeur agricole de l’île camarguaise. les pouvoirs publics encouragèrent les propriétaires à entreprendre des travaux. les ingénieurs des ponts et chaussées produisirent de nombreux plans d’aménagement orientés sur la maîtrise des eaux. l’idée était de développer irrigation gravitaire (ou par pompes à vapeur) et drainage afin de compenser l’évaporation et améliorer l’évacuation des eaux. L’ingénieur poulle étudia un plan d’aménagement de la camargue. il écrivait en 1827 : « La Camargue, garantie des inondations du rhône par des chaussées qui élèvent les berges du fleuve au-dessus des plus hautes eaux, n’aurait pas fourni à l’homme les avantages qu’il espérait de sa conquête, si d’autres travaux industrieux n’eussent pas fait circuler l’eau douce dans les parties qui méritaient d’être exploitées. des « roubines », ou petits canaux garnis d’un vannage à leur tête, ont été ouvertes, en différents sens pour saigner les deux branches du fleuve […]. où l’eau vive, quand elle y peut être répandue, dissout, entraîne une partie du sel et, augmentant la pureté de l’humus, elle assure successivement au propriétaire, des récoltes plus abondantes. »1 en 1848, certains auteurs et ingénieurs décrivaient une camargue toujours sousexploitée par l’homme et qu’il faut conquérir. les inondations du milieu du 19e siècle accélérèrent les interventions des pouvoirs publics. celles notamment de 1840, 1841 et 1843 contraignirent les propriétaires à s’allier dans une seule association de défense. L’inondation de mai 1856 les encouragea à financer l’exhaussement les digues de protection à une hauteur suffisante pour assurer une protection contre les crues les plus hautes (Allard & Leveau, 2002). Ainsi, les deux seuls bras actifs du Rhône furent enfermés entre des digues sur la totalité de leur cours. A partir de ce moment, « plus une goutte d’eau » ne devait pénétrer (en principe) entre les bras du Rhône sans le contrôle de l’homme. Enfin, en 1859, une digue protégeant des invasions de la mer (« la digue à la mer ») fut construite. Dès lors, l’ensemble du bassin versant est orienté vers l’étang central du Vaccarès. la camargue devient un espace totalement poldérisé et entièrement artificialisé.

4. le 20e siècle et la fixation littorale pour lutter contre l’érosion et la perte du littoral, les pouvoirs publics ont mis en place depuis les années 1960 divers aménagements2. Digues, brise-lames, épis furent principalement réalisés afin de retenir les sédiments côtiers et de diminuer la force érosive de la mer sur le littoral. Des aménagements complémentaires furent depuis réalisés, notamment aux saintes-Maries-de-la-Mer.

1 2

poulle, 1827, etude de la Camargue ou statistique du delta du rhône, arles, 62p. l’historique de l’implantation de ces aménagements a été résumé en cartes détaillées par sabatier (2001).

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Figure 31 : evaluation quantitative sommaire des équipements littoraux de Grande et Petite camargue. source pnrc, 2006 (d’après sabatier 2001).

De 1856 à 1980, seuls quelques épis ont été construits au droit des saintes-Mariesde-la-Mer et de salin de Giraud. ce n’est que suite à la tempête de 1982 que d’importantes séries d’épis ont été mises en place, notamment à l’ouest de la ville. D’autres endiguements de premier rang vinrent renforcer la protection littorale contre les entrées marines et s’ajouter par endroit à l’actuelle digue à la mer, à l’instar de certaines digues frontales construites pour protéger les secteurs d’habitations et d’activités économiques les plus exposés aux aléas de la mer (secteurs des saintes-Maries-de-la-Mer, des salins et des stations balnéaires) (figure 31). on dénombre aujourd’hui plus de 200 ouvrages en enrochement entre la pointe de l’espiguette et le rhône, occupant 85 % du linéaire côtier (sabatier, 2001). la géographie du delta est en partie fixée par l’endiguement. L’objectif est d’affranchir les activités humaines du rhône et de la Méditerranée et de conserver le territoire en les soustrayant aux « velléités » de récupération par le fleuve et la mer. Malgré cette apparente stabilisation de ses limites physiques par la poldérisation, le delta évolue toujours dans sa marge inférieure, comme nous l’avons décrit dans le souschapitre précédent.

c

e bref historique invite à considérer les rapides et profondes mutations des paysages du delta camarguais illustrant les interactions permanentes entre le territoire et

sa société. ces interactions ajustent un territoire constamment soumis aux inondations et à l’ensablement et des sociétés qui n’ont cessé de promouvoir des stratégies de colonisation. la succession des crises (notamment hydroclimatiques) n’a fait que renforcer la volonté de conquête et de mise en valeur économique du delta et traduit par là même une mitigation paysagère permanente. la lecture des ajustements a permis de repérer les étapes d’une transformation contrastée d’une camargue antique boisée au nord avec des docks accompagnés de constructions élaborées autour du Vaccarès en un désert agricole ou salé au bâti sporadique au 19e siècle. cette genèse du contrôle sociétal illustre un ajustement rémanent à la 227


CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

mobilité du delta par la mobilité anthropique interne caractérisée par des périodes de recul (du bâti et des digues) face aux éléments de forçage. une autre mobilité anthropique, vers l’extérieur, a également caractérisé la camargue, longtemps perçue comme répulsive, en tant qu’infrastructure satellitaire productive d’arles. si au 19e siècle l’émergence de communautés rurales n’était pas envisageable en raison du développement industriel de l’agriculture et d’un milieu encore hostile, le 20e siècle s’est caractérisé par l’apparition de nouvelles idéologies favorisant des constructions et des ajustements identitaires.

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D. ajustements identitaires

a

u 20e siècle, la camargue est devenue une terre emblématique dont le sentiment

identitaire est fondé sur une image de nature préservée contre une agriculture

productiviste, une industrie agressive et plus récemment un tourisme de masse. a partir de quels ajustements (sociétaux et paysagers) cette image emblématique a-t-elle participé à la protection des paysages camarguais ?

i. l’invention d’une culture et la conscience du paysage camarguais : le romantisme militant, une volonté de figer la nature la camargue, sa nature sauvage, ses chevaux, ses taureaux, ses flamands roses… (figure 32). Cette image de carte postale semble aujourd’hui constituer le pilier de l’identité camarguaise. pour le plus grand nombre, locaux ou touristes, ce triptyque animalier évoque la camargue. l’aspect humain Figure 32 : carte postale de la camargue

(gardians, saliniers…) n‘est évoqué qu’en second lieu, voire occulté (claeys-

Mekdade, 2000). l’histoire de la constitution identitaire de la camargue vient en fait sans cesse au secours du mythe fondateur, même si, paradoxalement, ce sont essentiellement des éléments extérieurs qui ont contribué à le créer. A la fin du 19e siècle, des aristocrates et des bourgeois quittèrent leurs riches bastides provençales ou leurs palais d’avignon pour s’installer dans de modestes demeures camarguaises. très vite, ils chargèrent la camargue d’une valeur symbolique fondée sur l’idée de la nature agressée par le progrès et menacée, à l’image de la provence qui perdait sa langue et ses traditions. la camargue apparut alors comme le dernier vestige d’une nature vierge, mais aussi des traditions, que le marquis de baroncelli-Javon1 fixa de manière quasi définitive. Le combat opposant les tenants de la mise en valeur agricole et les tenants de la préservation s’illustre dans le discours de baroncelli, tenu en 1922 aux saintes-Maries-dela-Mer : « en Camargue, il faut bien se le dire, deux ennemis acharnés sont aux prises : d’un côté, ce que l’on veut appeler les progrès avec son cortège de machines et de destructions, ses nivellements, ses défrichements, ses digues, ses soldats (les riches qui se sont emparés du sol ; de l’autre la Nature, la terre vierge, mère des taureaux et des chevaux sauvages, des 1

Aussi appelé « lou Marques ».

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flamants, des mirages, des légendes, de la poésie avec ses soldats aussi (moins riches d’argents, mais plus riches de cœur et de mémoire), les poètes, les savants, les gardians, les pêcheurs, les gitans »1. pour baroncelli, la cause était juste et défendait une certaine idée de la liberté : « en Camargue, pas de politique : on se bat pour la vie sans entraves, la chasse, la pêche, le gardianage, les étangs, la mer entrant et sortant à son gré, la liberté ! ou bien pour les vignes, les routes, l’encerclement, les procès-verbaux, l’esclavage »2. Fondateur du mythe de la Camargue « naturelle », Baroncelli appartenait au mouvement du félibrige qui entendait plaider pour les authentiques valeurs engendrées par des rapports vrais à la nature. accompagné d’autres poètes (aubanel, d’arbaud…), les Félibres désignèrent la camargue comme le symbole territorial de résistance à un monde extérieur perçu comme dangereux. Ils défendaient les humbles, leur redonnaient leur fierté en créant la « nation gardianne » et en dotant les cavaliers gardiens de troupeaux d’un uniforme (le costume de gardian) (picon, 1994). avec l’idéologie de la protection de la nature et de la défense culturelle naquit la conscience du paysage camarguais et le désir de sa conservation. la nature camarguaise est décrite dans les écrits comme symbole d’humilité et le paysage, comme angélique : « ses grands horizons tristes, ses broussailles rabougries, sa monotonie silencieuse […] et jusqu’à ses mirages, aussi fréquents peut-être que dans le désert qui, au-dessus de cette désolation, font flotter de féeriques paysages, indécis comme un rêve et s’évanouissent comme une illusion »3. le romantisme naturaliste qu’exprimait le mouvement félibre était militant. il a donné naissance au paysage camarguais et plus précisément à sa prise de conscience. l’invention d’une culture fondée sur l’idéologie protectionniste de la nature, mère des paysages et des ambiances singulières d’un espace artificiel, amplifia la mythification du paysage (picon, 1994). ainsi, par le désir de protection et de célébration d’une nature engendrée par l’ennemie, la conquête agricole et industrielle, naquit le paradoxe camarguais. ce mythe protestataire, base de l’ethnicisation de la camargue, inventa l’identité camarguaise (Hôte, 1996), ses fêtes d’apparat censées incarner la « vraie » provençalité. Pour ces « nouveaux » Camarguais, peu importait la question de l’authenticité d’une improbable camargue originelle, l’identité camarguaise représentait une part de rêve et de merveilleux. cette identité incarne l’imaginaire, l’irréel, l’incertain, le surnaturel ou le maléfique… autant de motifs ressassés pour « dire » la Camargue (Claeys-Mekdade & al., 2002). cette personnification (saumade, 1994) a fortement participé (et continue 1 Marquis de baroncelli-Javon, préface de la camargue Guardianne d’elly, 1938, in D. le Fur, 1994, expériences de paysages en Camargue, Mémoire de Dea, eHess, paris, in picon b., le faste et le Merveilleux, l’humilité et la mélancolie, strates, numéro 8, 1994-1995, la question de l’environnement : recherches parallèles en espagne et en France. 2 Marquis de baroncelli-Javon, op. Cit. 3 a. de la Mothe, le proscrit de camargue, 1877, in picon b., le faste et le Merveilleux, l’humilité et la mélancolie, strates, numéro 8, 1994-1995, la question de l’environnement : recherches parallèles en espagne et en France.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

toujours) à figer ce territoire en usant sans cesse d’un sentimentalisme affectif déraisonné, occultant et délégitimant la main de l’homme. Ce fixisme se traduisit par un véritable repli identitaire, une fermeture, un isolement qui symbolisa du même coup la garantie même de la préservation de ce territoire. une autre forme d’isolement culturel et identitaire, fondé sur l’idée d’une nature vierge, s’est développée au cours du 20e siècle, traduisant un mode d’habiter et de vivre atypique au sein de paysages considérés comme sauvages.

ii.

les

cabanes

de

Beauduc,

une

forme

récente

d’ethnicisation les Cabanes de Beauduc sont un grand site original de 100 ha, entre nature et culture, entre illégalité et notoriété, dont l’ancienneté de l’occupation est attestée depuis le 17e siècle (cabanes de pêcheurs). beauduc se caractérise par ses paysages éphémères et saisonniers, liés à un milieu Cabanes de Beauduc

laguno-marin aux très fréquentes variations du niveau de la mer. le relief est sans cesse remodelé ; une micro-topographie, faite de cuvettes inondées et de monticules sableux,

carte 19 : localisation des cabanes de Beauduc réalisation Morisseau

entre slikke, schorre et dunes (photo 16, page suivante). la très puissante dynamique

éolienne remanie en permanence les matériaux disponibles et forme à la périphérie des plages un cordon dunaire unique en provence, culminant à 7 mètres d’altitude. cette topographie particulière encouragea l’installation progressive de cabanes. Dûment interdites par la loi parce que construites, sans droits ni titres, pour une partie sur le domaine public maritime, ces cabanes1 perpétuent un mode d’habitat typique et une culture populaire caractéristique, et en ce sens, un patrimoine maritime lagunaire original (photo 15).

Photo 15 : Vue aérienne des cabanes de Beauduc, anonyme 1

Le terme « cabane » recouvre ici tous les différents types d’occupation.

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

Photo 16 : Vue panoramique de la plage de Beauduc. photo M. Zwingli

1. a population variée, mode d’occupation atypique Dans ce lieu singulier, d’accès difficile, une population variée, constituée d’habitués de la région mais aussi d’originaux voire de marginaux de l’europe entière (Minvielle, 2005), trouve une autre manière de vivre pendant quelques jours, quelques semaines ou pour certains quelques mois, loin des masses de juilletistes ou d’aoûtiens hébergés de façon conventionnelle en camping ou en résidences. la richesse halieutique des fonds du golfe de beauduc attire les pécheurs amateurs et professionnels. Longtemps restée confidentielle, l’occupation du site s’est accélérée dans les années 1950 par une population de villégiateurs balnéaires. une des raisons de ce développement est l’essor des loisirs (lié aux congés payés) où la pratique classique du cabanon en Méditerranée trouva à beauduc un lieu privilégié de croissance. employés des salins, retraités arlésiens, fonctionnaires de la sncF… s’ajoutent aux pécheurs. cette population d’origine locale et populaire a trouvé à beauduc un contexte humain agréable et la possibilité de passer le temps d’un congé en bord de mer peu coûteux (Minvielle, 2005). Le territoire de Beauduc se structure, au fil des décennies, en trois unités progressivement constituées (figure 33). Ainsi, on distingue : - les sablons, noyau principal apparu entre 1952 et 1970 (Minvielle, 2005), situé légèrement dans l’intérieur des terres, sur la propriété de la compagnie des salins du Midi ; - beauduc nord, à l’entrée du site et développé à partir des années 1970 ; - Beauduc plage, “quartier“ récemment identifié en front de mer, “les pieds dans l’eau“.

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en 2005, entre 400 et 500 installations sont dénombrées. Une dizaine de familles y vivent toute l’année malgré l’absence de réseaux (eau, assainissement et électricité) (Minvielle, 2005). cependant, cette ethnicisation cabanière relève d’une pratique culturelle très ancrée dans la société locale refusant les normes traditionnelles d’habitabilité. Figure 33 : Plan du site de Beauduc. source Minvielle, 2005

2. la culture cabanière, un ajustement aux contraintes du milieu ? cette anthropisation s’est effectuée dans un secteur isolé en accumulation sédimentaire et soumis aux aléas marins. au début, l’habitat était composé de cabanes de pêcheurs et de postes de douaniers, édifiés de bois, d’argile et de roseaux, parfois de maçonnerie en pierre pour la façade. Des piquets d’ormeau entrelacés de branches de saule ou de tamaris formaient les parois latérales tandis que la sagne (roseau des marais) était employée pour la couverture. les cabanes étaient enduites d’un mortier généralement blanchi à la chaux. Au fil du temps, l’habitat est devenu plus hétérogène. L’analyse paysagère (anselme, 2003) des cabanons de beauduc montre une très large gamme de constructions, de la cabane en dur, maçonnée, telle une petite villa, à des cabanes en bois au profil soigné, en passant par un vocabulaire architectural rudimentaire principalement fondé sur la récupération, en particulier de caravanes, wagons et autres mobile home transformés pour une meilleure sédentarisation.

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« […] de l'architecture spontanée, sans architectes, forme d'art brut en somme qui éblouit, choque ou surprend. tout est utilisé, tout est utilisable et certaines constructions font l'effet d'un miroir grossissant et déformant de notre société industrielle et de consommation. Mélange d'objets et de matériaux prélevés dans le milieu – bois flottés, coquillages, végétaux, engins de pêche – ou récupérés sur les chantiers, dans les usines, etc. L'habitat ainsi constitué forme le support et l'expression du rapport des hommes à leur milieu d'origine – le plus souvent industriel et urbain – au milieu qu'ils font leur et dont la figure centrale et emblématique est celle du pêcheur. »1 l’étude paysagère met en évidence une typologie par hameau : les sablons sont constitués d’une majorité de cabanes en dur, beauduc nord, de cabanes en bois et beauduc plage, de caravanes transformées. l’anthropologue laurence nicolas ose la comparaison avec le conte des trois petits cochons : « […] La caravane laissée à demeure représente le premier degré de l’habitat, le premier petit cochon, promis à la fureur du grand méchant vent et à la férocité de la corrosion. Lorsqu’elle repart, en fin de saison, elle peut, au contraire, représenter le plus avisé des établissements. La caravane qui ne stationne qu’en été représente, à mon sens, la forme la plus parcimonieuse de l’appropriation de l’espace. Le deuxième petit cochon peut aisément se comparer à la caravane cabanon, à l’abri sommaire dressé à la hâte et laissé sur place, tandis que le cabanon du village, parfois en dur, est sans nul doute, à l’échelle du lieu, le troisième des larrons. Cette différenciation typologique du bâti rejoint celle spatiale que forment les trois quartiers, non seulement du point de vue de l’habitat mais aussi, comme dans le conte, des risques encourus, humains ou non humains (vols quasi systématiques, destruction, tempêtes […] ). » contrairement au conte, la construction à l’ossature la plus légère et la moins ancrée est la plus appropriée au site : sa mobilité est gage de pérennité. le nomadisme premier, attaché à l’habitat temporaire, est la réponse la plus efficace et certainement la plus pertinente à l’installation littorale. ici, la caravane, qui devient un temps objet architectural échoué, n’a de charme que dans sa fonction provisoire.

1 nicolas l, 2008, Beauduc, l’utopie des gratte-plage – étude ethnologique d’une communauté de cabaniers sur le littoral camarguais, images en Manœuvre editions, Marseille, 400p.

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un

quatrième

type

de

cabanes, bien plus minoritaire, doit être relevé. sa prégnance dans le paysage est plus forte que beaucoup d’autres constructions, traduisant une certaine singularité mais aussi une réelle adaptation au milieu. il s’agit d’un poste de Photo 17 : cabane de Beauduc sur pilotis («Cabane de l’Indien»). photo Mivielle, 2005

sauvetage informel, construit sur pilotis en rondins de bois (photo 17), ou encore d’une cabane radeau (photo 18).

Photo 18 : Cabane flottante dans le Golfe de Beauduc. photo s. la curave, 2009

3. un ajustement au contexte social et réglementaire La forme d’organisation sociale qu’abrite et que reflète cet habitat présente une singularité originale. il s’agit d’une forme sociale particulière qu’a peu à peu adoptée la communauté des cabaniers de beauduc, la « communitas »1. il s’agit d’une société en marge dont les propriétés sont renforcées par la dimension hors-la-loi de sa présence sur ce site. 3.1 Entre conflit et incompatibilité réglementaire Pour stopper la forte expansion de cette villégiature balnéaire qui s’est édifiée, sans permis et sans autorisation, en ignorant la légalité sur un espace interdit de toute construction, les services maritimes, la préfecture, la municipalité d’arles et « les Cabaniers du sablon » - association constituée en 1967 – ont conclu un protocole d’accord stipulant le maintien en nombre et en volume des cabanons existants, ceux-ci devant être rasés à la mort de leur propriétaire (ni cession, ni transmission). en 1972, deux nouveaux quartiers se créèrent, beauduc-nord et beauduc-plage, ainsi que deux nouvelles associations, dont une des principales revendications devint l’occupation saisonnière des lieux, entre mai et octobre (nicolas, 2005). l’application de la loi littoral instaurée en 1986 ordonna en 1993 la délimitation du Domaine public Maritime (DpM) et sa séparation avec la propriété des salins du Midi où seulement 77 cabanes étaient 1 au sens développé par l’anthropologue anglais Victor turner dans son étude sur le phénomène rituel : the ritual process: structure and anti-structure (1969) (le phénomène rituel. structure et contre structure, puF, 1990)

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

implantées. En 1995 est fondée l’« Association de Sauvegarde du Patrimoine de Beauduc ». son intention est conforme à la notion invoquée : pouvoir conserver et transmettre l’héritage d’un groupe, d’une collectivité. en 1996, les services de l’etat dénoncent une forte pression touristique, jugée dommageable pour l’écosystème. en faisant respecter les lois en vigueur, notamment relatives au camping sauvage et aux occupations sans droits ni titres, l’etat entend enrayer la dégradation et la privatisation du littoral au droit des plages de beauduc. En 2004, afin d’exécuter la série de jugements prononcés par le tribunal administratif depuis 19951, la préfecture des bouches-du-rhône ordonne la destruction de 17 cabanes, construites sur le Domaine public Maritime. l’opération est menée par le préfet qui déclare à la presse : « Ce village est un cloaque à ciel ouvert, une insulte à l’environnement… dans le tiers-monde, on appelle ça un bidonville.» Lors d’une deuxième opération de destruction menée en 2005, 3 nouveaux cabanons sont rasés et, sous la pression des autorités, une dizaine est détruite par les habitants eux-mêmes. Depuis, la préfecture a proposé aux habitants de beauduc d’instaurer pour la période estivale des autorisations d’occupation temporaire (aot). 3.2 une gestion informelle du site par ses résidents Dans l’attente de l’application des décisions de justice, les « Beauducois » entreprirent de gérer la fréquentation des cabanons afin de montrer leur capacité à vivre ensemble et leur sens des responsabilités. rassemblés en associations, ils ont privilégié la prise de conscience sur les enjeux d’une bonne gestion du lieu. ainsi, ils établirent une charte invitant à respecter quelques règles essentielles et notamment le respect des dunes et la gestion des déchets ou encore la prévention des départs d’incendies. 3.3 une forme de développement touristique durable ? au-delà du caractère illégal de ce village improvisé, un développement touristique dicté par la mobilité est-il durable ? les acteurs locaux ont longtemps considéré que la pression sur l’environnement n’était pas excessive. le nombre de visiteurs journaliers en période estivale est estimé à 2 500 personnes, ne constituant pas une densité exceptionnelle pour un site d’une centaine d’hectare (Minvielle, 2005). les dunes ne sont pas non plus menacées dans la mesure où ce secteur est une zone d’engraissement du cordon littoral (sabatier, arnaud-Fasseta, 1999). toutefois, on doit constater que les effets, bien que modestes, de la présence humaine sur l’environnement de la pointe de beauduc sont réels. il s’agit notamment de perturbations subies par la faune avicole pendant la période de nidification dans les dunes et les atteintes à la flore, fragile et rare, colonisant les milieux accidentels, de dégradations paysagères ou encore de pollutions2 et d’atteintes au cordon dunaire et aux plages3 (Minvielle, 2005). 1 2 3 duc.

Confirmés par le Conseil d’Etat. Liées à l’absence de réseaux d’évacuation des eaux usées, de gestion efficace des déchets. relatives à la circulation automobile et au camping sauvage, souvent détaché et indépendant du village de beau-

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cependant, la destruction de certains secteurs limités du village beauducois montre la “ légèreté “ du bâti et la réversibilité paysagère que celle-ci engendre. cette légèreté de construction, absente de réseau et de fondation, permet une résilience rapide, voire instantanée, du milieu littoral et la disparition d’un éphémère paysage anthropisé. Malgré la réversibilité d’un tel type de village, les procédures lancées par les pouvoirs publics se sont achevées par des destructions totales de quelques dizaines de cabanes de résidents ancrés sur leur parcelle et pourtant attachés à leur bien. Doit-on considérer que les beauducois se sont progressivement “ensablés“ dans une logique fixiste ? Et doit-on penser que seule la mer reste (ou peut rester) garante de leur mobilité ? il y a fort à parier que si ce secteur venait à s’éroder puis à disparaître, la population beauducoise migrerait vers un autre secteur sécurisé par l’accumulation sédimentaire. la légèreté des installations permet leur mobilité et autorise ainsi cette forme de nomadisme contrainte par la variabilité des éléments naturels, déjà connu et avéré en camargue au Moyen-Âge et même avant, avec l’exemple de l’abbaye d’ulmet. comme le souligne paul Minvielle, le patrimoine beauducois est peut-être plus fragile que le patrimoine naturel. alors oui, l’ethnicisation beauducoise, ajustée à la mobilité littorale, décrit une forme de développement touristique durable. en camargue, d’autres groupes sociétaux ont fait de la mobilité leur identité.

iii. D’autres marqueurs de mobilité 1. Piémenson et le tourisme nomade au sud-est du golfe de beauduc, favorisée par un accès plus facile, la plage de piémanson, aussi appelée plage d’arles, fait l’objet durant quatre mois et ce depuis plus de 30 ans, d’une fréquentation plus importante et d’une autre nature (carte 20 et photo 19).

Plage de Piémenson

carte 20 : localisation de la plage de Piémenson. réalisation Morisseau

Photo 19 : Vue aérienne des salins et la de la plage de Piémenson. photographie anonyme. source http:// www.treakearth.com/

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bien que les pouvoirs publics aient décidé de faire l’impasse sur l’application de loi littoral et que l’équilibre sédimentaire soit stable, l’occupation de cette plage est beaucoup plus éphémère qu’à beauduc. c’est un espace de non droit où des milliers de personnes viennent chaque année planter leur tente, amarrer leur caravane, ou même bâtir des habitats légers de villégiature aux allures de résidences secondaires. ce désordre organisé s’illustre par la densité des installations1 où jusqu’à 15 000 “touristes migrateurs“ peuvent se compter au plus fort de la saison. La plage ressemble à un village avec ses «quartiers» ses noms de rues, ses codes.

Photo 1

Photo 2

Photo 3

Photo 4

Planche photographique 8 : Plage de Piémenson photo 1 : plage de piémenson transformée en aire de stationnement. photo c. cachera. source arles-info.fr Photo 2 : Cabane en bois flotté. Anonyme. Source http://avignon-in-photos.blogspot.fr Photo 3 : «La forteresse éphémère» Photo P. Otlinghaus photo 4 : Village improvisé sur la plage de piémenson. photo l. lucien source http://lariphotos.free.fr

cette occupation illégale du littoral, au plus près de la mer et caractérisée par une organisation sociale communautaire, est devenue le symbole des vacances libres et gratuites fondées sur les retrouvailles et l’attachement au lieu et aux paysages. cependant, derrière cette image idyllique, pointent les problèmes de gestion de déchets et d’assainissement engendrés par une telle anthropisation, aussi éphémère qu’elle soit ; problèmes décriés par 1

en août 2005, il a été dénombré jusqu’à 1950 caravanes, camping-car et tentes sur la plage (pnrc).

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l’association de défense du patrimoine naturel culturel camarguais notamment, qui mène des actions et des campagnes d’information en faveur d’une limitation des impacts sur le milieu.

2. les Gitans des saintes-maries-de-la-mer lieu de pèlerinage1 depuis 1935, la ville des saintes-Maries-de-la-Mer accueille chaque printemps des milliers de Gitans qui font procession après des heures de prière dans la crypte qui leur est réservée dans l’église. toutes les ethnies sont représentées et, si les gitans du Midi sont les plus nombreux, certains arrivent du monde entier. comme chacun sait, leur mode de vivre et d’habiter repose sur la caravane, un marqueur de mobilité encore différent de ceux observés précédemment.

a

insi, à l’exception des Gitans, toutes les formes d’appropriation de la camargue se sont construites à partir du romantisme naturaliste apparu à la fin du 19e

siècle et décliné par la balnéarisation littorale du 20e siècle. ce romantisme militant, né

du mouvement félibre, a inventé une culture de l’idéologie protectionniste de la nature, fondatrice des paysages et des ambiances singulières d’un espace artificiel, mythifiant et personnifiant le paysage victime d’une agriculture productiviste et d’une industrie agressive. Mais cette construction identitaire qui revendiquait la liberté des éléments naturels reposait sur une contradiction, la volonté de figer la nature et les paysages, et traduisait d’une certaine manière une rébellion contre la mitigation paysagère qui pourtant les a produits. cependant, sans ce repli identitaire stratégique aucune conservation de cette nature n’aurait été possible. a l’origine d’un tourisme de masse, cet attachement aux paysages camarguais s’est traduit par des ajustements sociétaux au territoire sous une forme plurielle de nomadisme dont les expressions paysagères traduisent une véritable ethnicisation. la lecture et la compréhension du paysage et de ses dynamiques ont permis cet ajustement sociétal et la construction d’identité paysagère souvent à l’encontre des règlements et des lois (cabanes de beauduc, plage de piémenson). cependant, la mobilité de cette ethnicisation garantit la réversibilité (constructions légères) et permet toute forme de réajustement. la lutte contre les dérives et impacts de ces modes d’appropriation participe à pérenniser l’idéologie du romantisme militant mais aussi son fixisme sentimental, à l’instar de l’idéologie félibriste. Enfin, les typologies paysagères produites par ces ajustements identitaires traduisent la capacité contemporaine à pérenniser et réinventer un imaginaire social.

1 les saintes-Maries-de-la-Mer, ainsi appelé depuis 1838, tire leur nom d’une légende. peu de temps après la mort du christ. Marie Jacobé, soeur de la sainte Vierge, Marie salomé et leur servante sarah furent abandonnées sans vivres dans une barque sans voile et sans pilote sur la côte de Judée. le miracle voulut que l’embarcation conduisît ses passagères saines et sauves sur le rivage du delta. le lieu devint vite un centre de pèlerinage. Depuis le XVe siècle il se déroule aux deux anniversaires des Maries, le 25 mai et le 22 octobre. Une barque avec leur effigie est portée sur les épaules des fidèles, de l’église à la plage où ont lieu l’immersion des reliques et la bénédiction de la mer. les gitans ont reconnu en sarah leur patronne. Depuis 1935 son culte est associé à celui des saintes.

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CHAPITRE 5 - mobIlITé versus fIxITé : lEs foRTEs IdEnTITés d’un EsPACE ARTIfICIAlIsé

l

’histoire ancienne, moderne et contemporaine du delta du rhône illustre des rapports très étroits entre mobilité et fixité, qui gèlent toute possibilité de définir un état

d’équilibre ou de stabilité de l’anthroposystème camarguais mais qui caractérisent la coévolution de ses systèmes naturels et sociaux. la construction de la camargue résulte d’une mobilité plurielle et externe, géomorphologique et anthropique, constitutive d’un équilibre dynamique qui a favorisé de multiples ajustements entre les sociétés camarguaises et leur territoire longtemps soumis aux inondations et à l’ensablement. si certaines crises se sont soldées par l’ajustement à la mobilité du territoire par la mobilité anthropique, les sociétés camarguaises postérieures au 12e siècle n’ont eu de cesse de concevoir des stratégies fixistes en faveur de la conquête et de la valorisation économique du territoire conduisant à artificialiser le fonctionnement des milieux deltaïques. la valeur (écologique, paysagère…) produite par cette mitigation paysagère fit émerger une société militante d’un romantisme naturaliste, les félibres, qui décria l’agriculture productiviste qui en fut pourtant la matrice. bien que fondé sur ce paradoxe, cet ajustement identitaire permit l’invention de la culture camarguaise, la prise de conscience du paysage et, du même coup, la garantie de leur préservation. par ce protectionnisme, il décréta d’une certaine manière sa vision d’un état d’équilibre du territoire, un état vierge de toute référence, un paradis à ne pas perdre. Mais cet équilibre dynamique mobiliste favorise aujourd’hui une sédentarisation de populations nomades (beauduc, piémenson), héritières de cette idéologie naturaliste, dont les expressions paysagères résultent d’ajustements entre nature et groupes identitaires et traduisent des formes d’ethnicisation. quels ajustements visent à maintenir l’écocomplexe1 camarguais actuel en tant que paradis à préserver en dépit des mutations internes et externes au delta qui le rendent vulnérable ? 1 Désigne un système d’écosystèmes interdépendants dans un territoire, représentant le résultat d’une histoire naturelle et d’une histoire humaine imbriquées.

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6 une multifonctionnalité entre cHapitre

mutations et vulnérabilités

«

»

Ce que le temps apporte d’expérience ne vaut pas ce qu’il emporte d’illusions

Jules Petit-senn

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Canal d’irrigation entre Rhône et Vaccarès. Photo Morisseau, 2008


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a

u cours du 20e siècle, la camargue est devenue un « haut lieu de nature »1 aujourd’hui considéré comme le succès de l’ajustement homme-nature, chef-d’œuvre qu’il s’agit

de conserver, au risque de le figer… pour que rien ne bouge. Cette Camargue est l’expression d’un ajustement optimal à défaut d’être idéal. optimal parce que multifonctionnel, non idéal parce que générateur de conflits et de vulnérabilités face à de nombreuses mutations qui imposent aux acteurs camarguais de développer d’autres stratégies de protection, d’usages et d’aménagement, au risque de se noyer dans l’illusion de la conservation.

a. la maîtrise permanente du territoire et ses résultantes paysagères

a

ménagements hydrauliques, conquête salinière, mutations agricoles… la camargue a connu de nombreuses transformations qui ont et continuent de modifier les transits

d’eau dans le delta, dont le principal effet est aujourd’hui paysager (Tamisier & Grillas, 1994 ; Dervieux & Picon, 2000, Aznar et al, 2000).

i. la gestion de l’eau, un corollaire au paysage et ses usages en camargue, la gestion de l’eau (par les canaux de drainage, d’irrigation et les endiguements) conjuguée aux contraintes naturelles (géomorphologie, salinité, climat) produit des paysages variés dans un système complexe, nommé « système Vaccarès ».

1

MicouD a., (Dir.), 1991, des hauts lieux, la construction sociale de l’exemplarité, paris, editions du cnrs.

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CHAPITRE 6 - unE mulTI mul fonCTIonnAlITé EnTRE muTATIons ET vulnéRAbIlITés

1. le système Vaccarès et son fonctionnement De l’évolution historique du système hydraulique résulte un ensemble de bassins hydrauliques collectifs (carte 21) visant à gérer les eaux d’écoulement pour les renvoyer vers le fleuve, les étangs centraux et la mer : c’est le système Vaccarès (figure 34). Ce dense réseau d’irrigation est indispensable à la riziculture dont le développement est lié à celui des techniques de pompage. Dans les grands marais périphériques, l’artificialisation du fonctionnement hydrologique varie selon les vocations d’usage (chasse, conservation de la biodiversité…). Dans les étangs centraux, la gestion de l’eau est réactive : il n’y a pas d’alimentation directe en eau douce ; les étangs « héritent » des écoulements agricoles ou pluviaux en provenance des bassins versants et les échanges avec la mer conditionnent les niveaux et la salinité des étangs.

Figure 34 : schéma du système Vaccarès. réalisation a. Dervieux, 2005

Planche photographique 9 : Pompage et irrigation des eaux du Rhône. photos Morisseau, 2007

carte 21 : sous-bassins versants de la camargue endiguée. réalisation pnrc/la, 2002. source pnrc

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2. occupation du sol, typologies paysagères et usages répartis entre eau et topographie : une organisation fine de l’espace l’espace deltaïque a une pente moyenne vers la mer est très faible, de l’ordre de 10 à 15 cm pour mille depuis les 4 m d’altitude moyens de la tête de camargue (Dervieux et al, 2002) soit une pente de 0.17%. Sa morphologie (carte 22) reflète les multiples remaniements sédimentaires (variation des cours anciens et nouveaux du rhône) qui sont à l’origine d’une microtopographie conditionnant, pour partie, la répartition des masses d’eau et de végétation (carte 23 page suivante).

carte 22 : Géomorphologie du delta du Rhône. réalisation pnrc. source pnrc/DesMiD

Au nord, en Camargue fluvio-lacustre1, les sols culminent entre 1 et 4.5 m au-dessus du niveau moyen de la mer avec des niveaux inférieurs au zéro NGF dans les dépressions occupées par les marais. au sud, en camargue laguno-marine, l’altitude est proche du niveau moyen de la mer avec des parties hautes s’élevant entre 3 et 6 mètres caractérisés par les massifs dunaires littoraux de beauduc et de l’espiguette. les points les plus bas enregistrés atteignent une valeur inférieure à 1.80 m pour le fond de l’étang de Vaccarès.

1 située au nord des étangs centraux de Grande camargue, des bourrelets dunaires fossiles de la camargue gardoise et des anciens salins du caban dans le plan du bourg.

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CHAPITRE 6 - unE mulTI mul fonCTIonnAlITé EnTRE muTATIons ET vulnéRAbIlITés

Limite entre Camargue fluvio-lacustre (nord) et camargue laguno-marine (sud)

carte 23 : carte morphopaysagère du delta du Rhône. D’après pnrc. source scp-inra

carte 24 : salinité du delta du Rhône. réalisation pnrc. source pnrc

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

l’ensemble pédologique camarguais repose sur une nappe phréatique salée dont la profondeur dépend du nivellement. ces variations altimétriques s’accompagnent d’une diversification et d’une succession de milieux et de motifs paysagers : étangs, marais et sols halomorphes occupent les grandes dépressions ; les rizières et les autres cultures céréalières caractérisent les terrains surélevés, à l’instar des bourrelets alluviaux. ainsi décomposée en deux sous-unités paysagères, la Camargue fluviolacustre (haute camargue) et la camargue laguno-marine (basse camargue), la Grande camargue se décline selon quatre entités paysagères déterminées et disposées en fonction des variations topographiques et salines (cartes 23 & 24), lesquelles caractérisent l’occupation du sol (carte 25) et la répartition géographique des activités (carte 26 page suivante).

carte 25 : occupation du sol en camargue en 2006. réalisation pnrc. source pnrc (carte pleine page, annexe 1)

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CHAPITRE 6 - unE mulTI mul fonCTIonnAlITé EnTRE muTATIons ET vulnéRAbIlITés

carte 26 : les principaux usages en camargue. réalisation pnrc. source pnrc/sMcG

2.1 Les paysages et usages de la Camargue fluvio-lacustre D’origine fluviatile, la Camargue fluvio-lacustre est la moins marquée par le sel et se caractérise en grande partie par les paysages de rizières, de grands marais1, de bocage et de roselières. 2.1.1 les paysages agricoles des bourrelets alluviaux actuels et anciens la conjonction locale de la topographie, de la salinité et des sols conditionne le choix des productions agricoles. l’empreinte du sel est forte dans une grande partie du delta, spécialement les terres basses, d’où une préférence accordée aux cultures inondées propres à les dessaler. Avec plus 20 000 ha environ, le riz est la production dominante, élément essentiel de régulation de l’agrosystème (photo 20). l’irrigation lessive le sel et permet d’introduire d’autres espèces dans la rotation. Dans les zones basses, l’hydromorphie n’autorise que la monoculture rizicole alors que sur les parcelles de niveau supérieur à 1 m, des systèmes plus diversifiés se développent. On y observe notamment les cultures de céréales (blé dur), de fourrage (luzerne) ou d’oléaprotéagineux (soja et tournesol) (Mouret, 2004). Pivot de l’agrosystème camarguais, le riz est une culture adaptée qui en permet d’autres et offre un ajustement pertinent face à la stérilisation des terres par le sel.

1

Marais de la Grand Mar, Marais du complexe scamandre/charnier et Marais du Vigueirat.

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Photo 20 : Paysage de rizière en haute-camargue. photo Morisseau, 2006

Dans ce contexte a-forestier (à cause des contraintes naturelles), c’est le réseau de canaux qui valorise le paysage en permettant le développement de boisements. Même si ces peuplements rivulaires n’ont pas toujours une forte valeur écologique, ils introduisent une verticalité structurante dans le paysage camarguais, marqué par l’absence de relief. a l’ouest du delta, sur les sols plus sableux de petite camargue, la vigne et la culture de l’asperge dominent. au nord et le long du grand rhône, se développent le maraîchage1 et une arboriculture2 irriguée. les terres cultivées couvrent aujourd’hui un tiers du delta soit environ 50 000 ha, dont 25 000 entre les deux bras du rhône (pnrc, 2003). ponctués de ripisylves (ou forêts-galeries) et de boisements isolés (chênes et peupliers blancs), les paysages non agricoles ouverts se composent de pelouses hautes et de prairies. Enfin, de ces paysages émergent de nombreux mas dont les entrées sont marquées (pour la plupart) par de remarquables alignements de platanes, pins ou cyprès. 2.1.2 les paysages de marais les marais d’eau douce à légèrement salée3 constituent la frange paysagère des étangs de la basse-camargue et des secteurs agricoles de la haute camargue (photo 21). inondés de manière temporaire ou permanente, ils sont principalement composés de roselières, biotope d’oiseaux de grande valeur patrimoniale (butor étoilé, héron pourpré). en fonction de la salinité, émerge des formations végétales de type jonchaie ou scirpaie.

1 La production de cultures légumières totalise plus de 530 ha. Les productions spécifiques en Camargue sont la fraise, le melon et l’asperge. 2 environ 700 ha de pommiers, poiriers, abricotier, pêchers, pruniers, cerisiers et même kiwi (très restreint). 3 les marais ont une salinité qui dépasse rarement les 5 g/litre. les étangs ont quant à eux, une salinité variable qui peut atteindre 10 g/litre.

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sur leurs franges, tamaris et olivier de bohême se développent en corridor facilitant la lecture de leurs limites. la forte productivité de ces marais et la biomasse constituée permettent des activités de chasse, de pêche, de récolte du roseau (sagne) et d’élevage.

Photo 21 : Paysage de marais (traversé par une roubine), frange entre basse et haute-camargue. photo Morisseau, 2006

2.2 les paysages et usages de la camargue laguno-marine cette unité paysagère dominée par des milieux salés se caractérise par des paysages de sansouïres, de vasières, d’étangs et de lagunes. 2.2.1 les paysages des étangs centraux et des lagunes salées les lagunes salées (salins et étangs inférieurs – Vaccarès, launes, impériaux…) constituent des milieux saumâtres à hypersalés, parfois asséchées en été1, où nichent des espèces caractéristiques, notamment les sternes, les avocettes, l’huîtrier pie et les flamants roses. Ce paysage ouvert (photo 22), où aucune géométrie ne trahit l’influence anthropique, ne se découvre que de l’extérieur en empruntant des routes connexes qui renforcent son caractère singulier. L’horizon est ponctué d’îlots boisés (bois des Rièges notamment), de haies de peupliers et de mas accompagnés de leurs boisements.

1

Mettant, dans ce cas, en danger, la population piscicole qu’elles abritent.

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Photo 22 : Paysage de lagune salée camarguaise. photo Morisseau, 2007

en périphérie des lagunes dominent marais salés temporaires et sansouïres (photo 23). image patrimoniale de la camargue mythique et de ses traditions taurines, les sansouïres constituent le paysage camarguais “typique“. D’une faible richesse floristique (principalement composée de salicorne), leur paysage varie selon les saisons : l’hiver, la végétation est contrainte par de longues inondations successives et par une sécheresse et une remontée du sel dans le sol l’été. De rares tamaris arbustifs ponctuent ces immenses surfaces rases. l’élevage extensif se développe sur les sansouïres et les prés salés des grands espaces et des grèves sableuses des lagunes.

Photo 23 : Paysage de marais salé et de sansouïre camarguaise. photo Morisseau, 2007 253


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ces paysages se caractérisent aussi par la production salinière qui gère plus de 10 000 ha de lagune à taux de salinité variable. le caractère industriel fait de ces lagunes striées de digues, des îlots émergés, des radeaux et des camelles (montagnes de sel) (photo 24), une sous-unité paysagère de la basse camargue amplement marquée par les teintes roses à rouges produites par l’algue dunaliella salina (base alimentaire des flamands roses), de crevettes ou encore de bactéries (stichoccus).

Photo 24 : Paysage de tables saunantes et de camelles. photo Morisseau, 2006

2.2.2 les cordons sableux, le rivage et la ville des saintes-Maries-de-la-Mer sur le proche littoral du delta, les cordons sableux hébergent une végétation adaptée à un sol perméable (photo 25). sècheresse estivale, embruns salés, lentilles d’eau douce conditionnent l’implantation de formations végétales diversifiées : la « steppe » à oyat notamment colonise ces milieux sableux ; arbustes (filaire, genévrier…) et arbres (pin pignon, pin d’alep) recouvrent les anciennes dunes en formant des boisements sur les cordons fossiles, plus particulièrement présents et visibles en petite camargue. sur les anciens cordons sableux situés à l’intérieur des terres se développe la culture de la vigne et de l’asperge. a l’extrême sud, la frange littorale (comprenant la bande sableuse de l’estran et les cordons de dunes vives jusqu’à la digue à la mer) est étroite en bordure du littoral de petite camargue et s’élargit pour englober les dunes de beauduc et le domaine de la palissade (à l’embouchure du grand Rhône) ouverts aux influences de la mer. Bien que préservée de l’urbanisation (à l’exception des saintes-Maries-de-la-Mer), cette frange paysagère, 254


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soumise aux forçages marins, abrite de nombreux ouvrages de protection et de gestion (digue à la mer, épis, brise-lames, enrochements, ganivelles…) entraînant là aussi une artificialisation des milieux et du paysage (photo 25 & planche photographique 10).

Photo 25 : Paysage de cordon littoral sableux stabilisé par des ganivelles. photo Morisseau, 2006

les saintes-Maries-de-la-Mer, dont l’église s’érige comme un amer dans le paysage camarguais, n’échappent pas à ce traitement qui traduit autant la vulnérabilité géodynamique face à la dynamique littorale que la vulnérabilité paysagère importante dans une ville qui repose en partie sur le tourisme balnéaire. Mais la mer n’est qu’une face de cette ville qui en compte deux. les saintes-Maries-de-la-Mer sont également tournées vers l’intérieur du delta, sur l’étang des launes notamment, renforçant le caractère insulaire de la ville (photo 26, page suivante).

Planche photographique 10 : Paysage du front de mer des saintes-maries-de-la-mer. photos Morisseau, 2006

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Photo 26 : Paysage des saintes-maries-de-la-mer vue depuis l’étang des launes. photo Morisseau, 2006

l’espace littoral de la camargue laguno-marine suscite un intérêt légitime pour les milieux et les paysages qu’elle offre aux activités économiques et au développement urbain et pour ce qu’elle représente de richesse biologique et de potentialités touristiques. S’y ajoute une image de milieu « sauvage » légitimée par une « demande sociale de nature », dont le tourisme fait son profit, mais qui relève aussi du « désir de nature » porté par le courant écologiste de la fin du 20e siècle. la gradation nord-sud progressive des paysages s’établit sur la base d’une mosaïque de milieux diversifiés dont la forte interdépendance a été démontrée dans de nombreux travaux (pirot et al., 1984 ; Dehorter et tamisier, 1996). la gestion globale de ces paysages est consécutive de leurs usages lesquels reposent sur la gestion de l’eau ; mais une gestion parfois conflictuelle…

II. L’artificialisation des paysages en camargue, le constat « tout y est gagné sur les éléments et protégé de ces mêmes éléments »1 caractérise une mitigation paysagère interne que les acteurs du territoire stabilisent en permanence afin de pérenniser chacun des usages du delta au risque de pénaliser leur rentabilité. comment se caractérise cette mitigation paysagère ? engendret-elle des confits d’usages ?

1 sFeZ l., cauquelin a., 2006, attitudes face à l’adaptation au changement climatique. Le cas de la Camargue, onerc, 168p.

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1. une stabilisation anthropique de la variabilité naturelle le réseau hydraulique et la disponibilité en eau pendant la période sèche offrent l’opportunité aux exploitants et gestionnaires d’utiliser, en aval des cultures, une eau douce facilement accessible pour modifier le rythme naturel d’assèchement et de salinisation estival des milieux humides. ce réseau permet également d’évacuer l’eau en excès des pluies hivernales et d’échapper au risque d’inondation. le maintien en eau pérennise ces milieux en toute saison et permet le séjour de la faune avicole, variable selon les besoins cynégétiques, patrimoniaux ou touristiques ; ce fonctionnement, forme de mitigation paysagère interne, remet totalement en question la saisonnalité hiver humide/été sec, caractéristique des zones humides méditerranéennes. En outre, limitant les assèchements, ces ajustements permanents tendent à l’adoucissement des milieux et à l’introduction d’espèces non endémiques et (ou) envahissantes (Tamisier & Grillas, 1994) induisant localement des paysages non spécifiques à la Méditerranée (et leur banalisation) et une perte de biodiversité. Ainsi artificialisés et stabilisés, paysages et milieux sont beaucoup moins naturels qu’ils paraissent ; on parlera de paysages et de milieux naturels anthropisés. Cette artificialisation ne relève pas seulement des propriétaires, des riziculteurs, des chasseurs, des éleveurs ou des protecteurs de l’environnement. Fondés également sur les représentations des touristes, des scientifiques et des administrations, ces paysages sont à fondements scientifiques, technico-économiques et socioculturels (Mathevet, 2004) qui sont sources de conflits.

2. Une mitigation paysagère interne conflictuelle La définition des niveaux d’eau et de salinité des étangs centraux de Camargue concerne de nombreux usagers et traduit une mitigation paysagère riche mais complexe, les valeurs souhaitées par les uns et les autres étant parfois antagonistes : les pêcheurs souhaitent un niveau haut et un milieu saumâtre alors que les agriculteurs recherchent un niveau bas qui permette le rejet des eaux de drainage ; les gestionnaires d’aires protégés, eux, souhaitent une variabilité des niveaux d’eau et de salinité réinstaurée selon des rythmes naturels. ainsi, activités de chasse, d’élevage, de pêche ou encore de sagne (coupe du roseau) se superposent aux milieux naturels anthropisés subordonnant des objectifs de gestion de l’eau et de développement de la couverture végétale selon l’intérêt (le plus souvent économique) des propriétaires. Mais l’exploitation des ressources naturelles a des impacts spatio-temporels produits par la négligence, voire l’abandon, des rythmes écologiques au profit des impératifs économiques à court-terme ; cela se traduit par la simplification des écosystèmes camarguais et par la spécialisation locale des modes de gestion de l’espace complexifiant les interdépendances à l’échelle globale (Mathevet et al., 2002a). Cette situation engendre des conflits entre les usagers (éleveurs, chasseurs, sagneurs) dont les paramètres de gestion diffèrent. aussi, l’opposition des objectifs de 257


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développement et des objectifs de conservation de la nature se traduit par des conflits entre les usagers, les protecteurs de la nature et les scientifiques qui souhaitent davantage un fonctionnement “naturel“ et une limitation de l’intensification des activités humaines bouleversant le milieu associé (Mathevet et al, op. cit.). le parc naturel régional de camargue va ainsi dans le sens d’une gestion concertée de l’eau entre toutes les parties prenantes, agriculteurs, éleveurs, chasseurs, pêcheurs et protecteurs de la nature. pour gérer l’hydraulique au mieux des intérêts et besoins de tous, il existe depuis quelques années une commission exécutive de l’eau, une charte de l’eau et un contrat de delta (sur lequel nous reviendrons). Enfin, les conflits sont aussi portés par des mythes identitaires, celui des résidents locaux, celui des gardiens de la nature, celui des scientifiques garants de la protection des sites, celui du développement local respectueux des écosystèmes (Mathevet, 2004). la régulation progressive de ces conflits par la stabilisation des dynamiques a donné lieu à une politique protectionniste.

iii. Protections et mesures réglementaires Des usages conflictuels mais également patrimoniaux ont engendré un arsenal de mesures qui a permis de préserver et de valoriser les paysages et les écosystèmes camarguais. la superposition des statuts et des outils a-t-elle fait passer la camargue d’un territoire protégé à un territoire surprotégé ?

1. constitution progressive des mesures protectionnistes les premières mesures protectionnistes prises en camargue résultent d’usages conflictuels de l’eau entre les saliniers et les agriculteurs (Picon, 1988) s’opposant par une gestion contradictoire de l’eau du Vaccarès, propriété des Salins mais zone de drainage agricole engendrant l’adoucissement des eaux. Ce conflit fut résolu en 1927 par la création de la « réserve nationale de Camargue » sur cette zone d’étangs devenue saumâtre du fait de cette gestion contradictoire de l’eau. a la structure pionnière qu’est la réserve naturelle de camargue se sont succédées, sur le territoire, les formes historiques de protection de la nature. les mesures protectionnistes prises depuis le début du 20e siècle se sont appuyées sur l’argumentaire naturaliste visant à protéger la nature contre un homme nécessairement destructeur (barthélémy et Jacqué, 2002) en promouvant l’image d’une nature sauvage préservée de l’ingérence humaine. cette période est marquée par la prédominance de la production scientifique qui trouvait sur ce lieu des idéaux-types à l’étude des écosystèmes. À partir de 1960, la politique d’aménagement du territoire a désigné la camargue comme « coupure verte » entre les aménagements touristiques du Languedoc-Roussillon à l’Ouest et la zone industrialo- portuaire de Fos-sur-Mer à l’Est. Puis, à la fin des années 258


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1980, s’est développée une autre manière de penser la protection de la nature (barthélémy et Jacqué, op. cit.) : celle de la production et de la gestion de la nature qui repose sur une représentation de l’homme qui n’est plus perçu comme forcément négatif mais comme intégré à son environnement (Fabiani, 1995 ; picon, 1998). cette forme de protection est légitimée par la notion de patrimoine arguant d’une gestion collective des biens naturels. les nouvelles politiques gestionnaires s’appuient ainsi sur la construction d’un rapport harmonieux entre “l’homme” et la “nature”. pas moins de 14 statuts de protection (ou de reconnaissance) se superposent partiellement sur le périmètre de l’écosystème camargue réserve de biosphère : les sites ramsar de camargue et de petite camargue, le parc naturel régional, la réserve nationale de camargue, la réserve naturelle régionale, les sites natura 2000, les terrains du conservatoire du littoral et de la Fondation tour du Valat, les espaces naturels sensibles du cG 13, la réserve de chasse marine, les arrêtés de biotope… cinq autres titres internationaux reconnaissent le statut unique de la camargue : diplôme européen et réserve biogénétique du conseil de l’europe, aire protégée au titre des conventions de barcelone, de bonn et de berne.

carte 27 : espaces naturels protégés, unités de gestion et statuts fonciers du delta du Rhône. source pnrc/sMcG

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2. un arsenal de statuts et d’outils réglementaires : la protection d’une composante naturelle survalorisée ? la camargue est incontestablement devenue un territoire de référence en terme de protection de l’environnement. son espace a servi d’expérimentation à presque toutes les mesures réglementaires : la réserve nationale de camargue dès 1927, aujourd’hui réserve des impériaux, le site classé de l’étang de Vaccarès en 1942, puis les différents zonages environnementaux (site classé, site inscrit, zone de protection spéciale, arrêté de protection des biotopes...). les terres agricoles sont également soumises à des mesures agri-environnementales dans le cadre de la charte du parc naturel régional de camargue, mesures auxquelles il faut ajouter le site d’intérêt communautaire dit « delta de Camargue » depuis juillet 2003, avec l’application de la Directive Européenne Habitats. c’est ainsi un arsenal juridique complet qui vise notamment et légitimement à maintenir le territoire en l’état (ses écosystèmes, ses paysages) et à le préserver notamment d’une urbanisation irréversible mais qui, d’une certaine manière, le fige en le plaçant sous cloche, en privilégiant la protection à l’usage. Mais n’est-ce pas en partie l’usage qui fabrique ces paysages ? alors qu’elle fut très fortement anthropisée au moins depuis l’époque romaine, canalisée, corsetée, drainée, rizicultivée, la Camargue fait figure aujourd’hui, dans les représentations spatiales les plus répandues, d’un vaste espace naturel au même titre que les calanques ou la montagne sainte-Victoire : un espace naturel qu’il faut protéger, contrôler, gérer, codifier (Minvielle, 2005). Cette nature codifiée, défendue par les services de l’État, semble (re)conquérir le territoire en gagnant du terrain à beauduc face à la cabanisation (Minvielle, op. Cit.) mais aussi au cœur du delta sur les terres rizicoles rachetées par les sociétés de chasse, qui transforment en marais d’anciens casiers rizicoles.

a

travers cette survalorisation de la composante naturelle transparaît la volonté de constituer un “ paradis “ (que l’on a cru perdu alors qu’il n’a jamais existé !), une

muséographie paysagère. Mais c’est aussi la mise en oeuvre d’une volonté de conserver une biodiversité dont on pressent le caractère éphémère face à de futures pressions et mutations...

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B. L’illusion du fixisme : entre ressources et production, relégitimer la nature et les paysages Depuis quelques décennies, la perte quantitative de milieux naturels s’est stabilisée à un faible taux mais la perte qualitative (liée aux pollutions notamment), moins mesurable, s’est très probablement poursuivie (tour du Valat, 2009) ; signe de changements en cours plus profonds ? la camargue est à la veille d’une nouvelle phase de transformation écologique et paysagère liée à l’agriculture, l’industrie, le tourisme… bien que concentrées sur quelques pôles, ces mutations auront des retombées directes ou indirectes sur l’ensemble du delta dont l’avenir repose aussi sur les incertitudes du changement climatique et sur les nouvelles stratégies de gestion du risque d’inondation. la lecture des dynamiques paysagères et l’expression de quelques signaux faibles permettent d’identifier les tendances d’une Camargue qui se cherche et s’interroge sur son devenir, justifiant la pertinence de réflexions proactives engagées au profit de la nature et des paysages. Mais il s’agit aussi de se demander si la prise en compte de la mutabilité de la camargue sous l’angle du paysage n’imposerait pas une remise en cause du cadre protectionniste qui la corsète.

i. Dynamique des mutations territoriales et paysagères en cours la commune d’arles est, avec 758,9 km², la première commune de France métropolitaine, les saintes-Maries-de-la-Mer, avec 375 km², la seconde, constituant un espace de faible densité : 7 350 habitants répartis de manière assez homogène sur le territoire camarguais. la population a légèrement augmenté entre 1990 et 1999 (notamment aux saintes-Maries-de-la-Mer) mais stagne, voire diminue, depuis le début du 21e siècle. a l’inverse, la population urbaine d’Arles augmente depuis une dizaine d’années (attractivité urbaine et proximité du littoral). sous l’effet de certaines mutations, cette tendance démographique n’est peut-être que temporaire ou bien le signal faible d’une réorganisation plus profonde.

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1. Des mutations industrielles 1.1 la relance de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-mer Dans le secteur de Fos-sur-Mer / port-saint-louis du-rhône, de nouvelles consommations d’espaces naturels sont prévues dans un futur proche, sous l’effet de politiques visant à donner au port autonome de Marseille (paM) une dimension européenne majeure. les projets1 totalisent aujourd’hui quelques centaines d’hectares, mais pourrait atteindre à plus long terme 2 000 à 3 000 hectares avec des impacts forts (retombées de pollutions, accueil de nouvelles populations2, augmentation du trafic de marchandises) susceptibles de modifier certains écosystèmes. 1.2 le déclin de l’industrie du sel L’activité salinière a connu bien des fluctuations. Ainsi, en 1790, alors que la révolution supprime la gabelle, de nombreuses salines en faillite ferment leurs portes. une des conséquences territoriales et paysagères fut l’ensablement du canal du Japon que l’etat n’entretint plus car non rentable pour les douanes (picon, 1988). aujourd’hui, l’activité de la compagnie des salins du Midi et des salines de l’est (csMe) a décliné à nouveau depuis la perte, en 2007, de son principal client (arkema) qui achetait un tiers de la production. conséquences indirectes de l’arrêt de l’industrie salinière : pour les flamants roses, l’étang du Fangassier où se reproduisent les échassiers chaque printemps n’a pas été mis en eau faute de pompage à la mer et, pour la première fois depuis très longtemps, il n’y a pas eu de reproduction de l’espèce en Camargue, confirmant les craintes d’une association locale : « si les salins s’arrêtaient, le système d’entrées et de sorties d’eaux, salées et douces, qui constitue le fonctionnement très complexe et très entretenu de la Camargue serait profondément perturbé »3. l’arrêt d’une activité économique impactant la gestion de l’eau, a eu un effet négatif sur le plus célèbre symbole d’une camargue dite « naturelle ». Il est certain que si la riziculture connaissait le même sort, l’avifaune inféodée aux milieux doux serait elle aussi sérieusement menacée (bravard & Clemens, 2008). Même s’il ne s’agit peut-être que d’un arrêt temporaire (d’une dizaine d’années) de l’activité salinière, la csMe (groupe solvay) investit et prépare une reconversion de la production de sel en production de principes actifs pour la pharmacie, la chimie organique, mais également en production de biocarburants. au nord de port saint louis, la cessation de l’activité salinière offre aujourd’hui un paysage à l’abandon, écrasé par la présence du complexe industrialo-portuaire en arrière-plan.

1 Dont le projet Fos 2Xl, sur les bassins ouest du port autonome de Marseille (paM), qui consiste en la création de deux nouveaux terminaux (a et b) à conteneurs ; ce projet représente 1.200 mètres linéaires de quai supplémentaires, doublant la capacité actuelle du port qui passerait à 1 500 000 conteneurs par an – et 14 000 emplois dans les 10 ans à venir. 2 autour de port st louis et de salin de Giraud notamment. 3 G. Hémery, association nature et citoyenneté en crau et camargue (nacicca), in « L’écosystème de la Camargue fragilisé par les mutations de l’activité humaine », Le Monde, 30/06/07.

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1.3 Des projets de parcs photovoltaïques plus avancés mais beaucoup décriés, des projets de centrales photovoltaïques (environ 500 ha) font partie des programmes de reconversion des tables salantes à salin de Giraud, nécessitant des extensions immédiates de la zone urbanisée (et donc des modifications du POS d’Arles). Mais certains de ces projets se heurtent, pour le moment, au refus du préfet (un projet gênerait l’emprise du pont envisagé sur le rhône par le cG13), à la loi « Littoral », à Natura 2000, à la charte du PNRC et à l’opposition des associations locales (dans le cadre du maintien de la biodiversité).

2. Des mutations agricoles la dynamique actuelle est à la diminution des exploitations agricoles (-36 % entre 1988 et 2000) au profit des regroupements en sociétés agricoles (GAEC1, earl2, scea3) et de l’augmentation de la sau4 moyenne (rGa, 2000). cette nouvelle organisation résulte de la baisse du résultat courant des exploitations, observée depuis plus de 20 ans (edater, 2006). Dans une activité agricole qui contribue fortement au développement économique du delta, la riziculture prédomine, plus d’ailleurs par la superficie (50 % des surfaces cultivées du pnrc) que par les retombées économiques5. 2.1 une riziculture dépendante du marché mondial pour rappel, l’endiguement progressif et total provoqua la rapide salinisation des sols (fin du lessivage par les crues du fleuve). L’irrigation artificielle à partir des eaux du rhône devint indispensable pour dessaler les terres et les investissements consentis furent alors rentabilisés par la culture du riz. a partir de 1860, la modernisation du réseau d’irrigation et de drainage fut également motivée par l’introduction de la vigne à la suite du phylloxéra contre lequel on peut lutter en inondant les vignes en hiver. Le riz, présent en Italie et en Espagne depuis le 16e siècle, fut alors introduit en camargue comme plante pionnière pour rentabiliser l’introduction de l’eau douce nécessaire au développement d’autres cultures économiquement plus intéressantes. La surface rizicultivée atteignait 1 000 ha en 1890 (Mouret, 2004). Lors de la Seconde Guerre mondiale, la culture du riz devint stratégique pour couvrir les besoins alimentaires français. Entre 1945 et 1962, les incitations financières du plan Marshall d’abord, les primes attribuées pour l’arrachage de la vigne ensuite, entraînèrent l’essor de la culture du riz, qui attint un maximum de 33 000 ha en 1962 (Mouret, 2004). en 1963, la mise en place du marché commun agricole engendra une baisse du prix du riz à la production. Avec des coûts de production plus élevés et des rendements plus 1 Groupement agricole d’exploitation en commun 2 exploitation agricole à responsabilité limitée 3 société civile d’exploitation agricole 4 surface agricole utile 5 plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaire annuel en 2005 (DDaF des bouches du rhône, agriculture, élevage et environnement dans le delta du rhône, Juin 2005).

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faibles que leurs homologues italiens, les riziculteurs français virent leurs revenus chuter. Une réduction progressive des surfaces rizicoles s’ensuivit, n’atteignant plus que 4 400 ha en 1981 (Mouret, 2004) ; la ressalinisation des terres menaçait peu à peu « l’équilibre écologique » camarguais. en 1990, un plan de relance est mis en place. 24 000 ha sont cultivés en 1994 (Mouret, 2004). Depuis 1995, une nouvelle crise affecte la riziculture camarguaise : facteurs économiques (baisse du prix du riz paddy payé aux producteurs et augmentation régulière des coûts de production), techniques (stagnation des rendements, maîtrise difficile de l’enherbement et du riz adventice) et impact négatif pour la conservation et la production de l’environnement. pour limiter la baisse de leur revenu, les exploitants s’orientent vers des cultures sèches telles que le blé dur qui, depuis 1996, bénéficie d’une aide à la production et assure de meilleurs profits. Si la culture du blé dur est adaptée au climat méditerranéen et sa production, maîtrisée, son développement en camargue est limité par un quota départemental et surtout par la salinité des sols (Mathevet et al, 2002). Aujourd’hui, la surface rizicole cultivée atteint 20 000 ha et la concurrence1 est plus féroce que jamais. le paysage des grandes cultures a ainsi connu une forte évolution au cours des dernières décennies. avec les opérations de remembrement, la taille du parcellaire tendit à augmenter. ce phénomène a entraîné la disparition progressive des haies2 le long des canaux principaux, compliquant la lecture de la structure des paysages du nord camarguais. les extensions de fermes liées à la demande croissante d’agrotourisme pourraient également modifier le paysage et aboutir à un paysage agricole plus construit. 2.2 les autres secteurs agricoles très spécialisées, les exploitations agricoles camarguaises apparaissent fragiles visà-vis des crises des prix potentielles. c’est pourquoi, les exploitations disposant de grandes unités foncières encore diversifiées se sont engagées dans la pluri-activité en développant l’élevage extensif3, la chasse ou encore l’agrotourisme et la vente directe (Mathevet et al, 2002b). 2.3 une demande d’énergie alternative Dans le cadre de la diversification agricole, certaines cultures énergétiques (colza, tournesol) pourraient être intégrées dans l’assolement biennal riz-blé afin de répondre à l’augmentation de la demande mondiale en céréales pour la consommation des pays émergents mais également pour les agro-carburants ou bio-carburants. outre le fait que 1 La France est cinquième en Europe, (France-Soir, « Camargue - “Notre riz est le meilleur du monde ! ” » 17/02/09). 2 renforcée par la graphiose de l’orme. 3 Tendance à l’intensification de l’élevage avec le développement des cultures fourragères et potentiellement d’autres modifications découlant de la nouvelle politique agricole commune de l’Union Européenne, après 2013. Après l’effondrement du cheptel ovin en 30 ans - passant de 100 000 têtes en 1968 (Morel, 1968) à 20 000 en 2000 (edater, 2006) - en raison d’une importante baisse du prix de la laine, on note sur la même période une augmentation des cheptels bovins et équins (auffray et perennou, 2007 ; Mathevet, 2004).

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ces pratiques confortent l’image du pnrc (préservation de l’environnement, mise en place de culture « innovante »), le développement des biocarburants constitue une des priorités de l’union européenne1 ; mais priorité qui banalise trop souvent les paysages par l’uniformisation des sources de production et qui risque à terme de gommer les spécificités paysagères et écologiques de l’agrosystème camarguais.

3. mutations touristique et résidentielle 3.1 l’essor d’un tourisme varié avec une fréquentation estimée à plusieurs centaines de milliers de visiteurs par an, le tourisme camarguais2 se décline selon les entités du territoire. ainsi, on distingue quatre types de tourisme : -

Le tourisme balnéaire « classique », principalement organisé dans le secteur des saintes-Maries-de-la-Mer ;

-

Le tourisme balnéaire « sauvage », développé dans les secteurs de Beauduc et de piémanson ;

-

le tourisme de nature, encouragé par la création de circuits et de pôles de découverte ;

-

le tourisme de tradition, proposé par de nombreux acteurs locaux (exploitants agricoles, restaurateurs) et articulé autour des chevaux et des taureaux (promenades, courses camarguaises, ferrades). ce tourisme se caractérise par une offre hôtelière de moyenne gamme principalement

localisée aux saintes-Maries-de-la-Mer où se concentrent 90 % des établissements de restauration3, confirmant la recherche de littoralité (finalement rare ou difficile d’accès sur le littoral camarguais). Vers un écotourisme de masse ? l’ouverture aux touristes des exploitations agricoles (une conséquence de la diversification agricole) et le développement d’un tourisme de nature (et de loisirs) engendrent une surfréquentation des espaces protégés avec un impact paysager aux abords des lagunes et étangs salés (observation des flamants roses) d’où l’importance d’une canalisation des flux par des pôles d’attractivité. D’ailleurs, la fréquentation des pôles de découverte et d’observation de la nature camarguaise semble témoigner de leur succès et conforter le profil naturaliste du tourisme camarguais : 100 000 visiteurs au parc ornithologique du pont de Gau, 15 000 visiteurs au site de la capelière (site d’accueil de la réserve nationale), 10 000 visiteurs au domaine de la palissade et 20 000 visiteurs au marais du Vigueirat, qui fait notamment l’objet d’un projet ambitieux de pôle d’attractivité écotouristique (dans la limite de la fragilité du site) dans ce secteur encore vierge de tourisme et détaché des axes de découverte traditionnels. l’objectif est de 1 2 3

Depuis 2003, une prime de 45€/ha a été introduite par la réforme de la pac. notamment fondé sur l’héliotropisme. Selon le fichier SIRENE.

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développer le territoire proche, Mas-thibert et Grand plan du bourg, hameaux connexes à l’île de camargue, avec une cible de 50 à 100 000 visiteurs par an1. toutefois, cette attractivité croissante est confrontée à l’ambivalence entre l’image de liberté véhiculée et la réalité : une camargue constituée de nombreux espaces fermés et une offre de découverte réduite et confinée à quelques sites au réseau d’itinéraires de randonnées insuffisants2. un partenariat dans les échanges entre industriels et pnrc pourrait aussi faire émerger de nouvelles filières comme un (éco)tourisme industriel (MEDDTL, 2011) ; ou encore, selon d’autres partenariats, un écotourisme fluvial (bras du Rhône) encore pas ou peu exploité. cette attractivité touristique croissante est susceptible d’engendrer une attractivité résidentielle3 (arrivée de nouvelles populations) et économique (implantation d’entreprises) (MeDDtl, 2011) imposant un arbitrage (conciliateur ?) entre tourisme « vert » et tourisme de masse. 3.2 une urbanisation croissante 3.2.1 Dynamique actuelle perçue les extensions urbaines récentes et leur corollaire, les entrées de villes ou hameaux (saintes-Maries-de-la-Mer, salin-de-Giraud, le sambuc…), produisent de nouveaux motifs paysagers facteurs de banalisation paysagère. l’organisation paysagère traditionnelle et les formes initiales du tissu bâti, dispersé en domaines et hameaux peu étendus, s’effacent au profit d’un développement pavillonnaire diffus4 (hôtels, restaurants, manèges équestres), d’abords de voies dégradés, de la multiplication des giratoires, d’un envahissement de la signalétique… (atlas des paysages, 2007). l’absence de scot5 (en cours d’élaboration) empêche d’identifier une stratégie précise de développement qui fédèrerait les nombreux projets (urbains et touristiques) de salin-de-Giraud et l’expansion immobilière des saintes-Maries-de-la-Mer ou d’aiguesMortes. seule la Dta6 des Bouches-du-Rhône, datée de mai 2007, définit les enjeux d’encadrement du développement camarguais : « il importe sur ce territoire de protéger les milieux, gérer la fréquentation et maîtriser l’extension de l’urbanisation ». Cependant, germent dans le paysage des panneaux d’information préfigurant d’importants projets d’urbanisation (planche photographique 11).

1 www.marais-vigueirat.reserves-naturelles.org/pages/page6.htm 2 cf. evaluation de l’offre de touristique du parc naturel régional de camargue et des activités induites par le tourisme, étude réalisée par le cabinet tec. 3 Et une intensification de la démoustication ? 4 perception d’un mitage important au nord du delta même si la pression résidentielle n’y est pas aussi importante qu’aux marges de l’agglomération arlésienne. paradoxalement, l’abandon de certains mas constitue un risque fort de dévalorisation du territoire. 5 schéma de cohérence territoriale 6 Directive territoriale d’aménagement

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Planche photographique 11 : Projets de lotissements à salin-de-Giraud. photos Morisseau, 2007

3.2.2 Des projets de développement urbains et territoriaux la reconversion des sites de la compagnie des salins du Midi (csM) a conduit à la signature en 2008 d’une convention de revitalisation entre le groupe salinier et l’etat ; son objectif est d’éviter ou de limiter les licenciements1, ce que confirme la diversification recherchée par la CSM et la déclinaison de projets qui tirent partie des spécificités paysagères locales : construction d’une cité lacustre à salin-de-Giraud, parc résidentiel de loisir (à vocation équestre notamment) susceptible de créer à terme 3 000 emplois, réhabilitation touristique du hameau de Faraman ou encore projet de centre de thalassothérapie axé sur les vertus du sel à aigues-Mortes2.

Figure 35 : Projet immobilier à salin-deGiraud. le nouveau concept : « l’immobilier écologique et responsable. Résidence de tourisme 4 étoiles du T2 au T4 entre plage de sable fin et réserve naturelle, une éco-construction au cœur du Parc Naturel Régional de Camargue ». source www.residence-secondaire.be

3.2.3 la revitalisation désirée mais incertaine de salin-de-Giraud Devenu cité dortoir depuis la réduction de l’activité salinière, ce hameau de corons bénéficie aujourd’hui d’une situation favorable à un positionnement de pôle touristique (à l’image du projet de complexe touristique évoqué supra). cet aspect est renforcé par l’ambition du pnrc qui souhaite « accompagner la reconversion du site de salin-degiraud par un projet de développement exemplaire »3 ; projet global définissant les activités économiques, les potentialités de développement urbain (logique de densification et de (re)construction de la ville sur elle-même), la valorisation des espaces naturels et des 1 68 emplois ont déjà été supprimés en 2008. 2 ce projet, classé par la région parmi les 10 projets d’avenir, représente un montant d’investissement estimé à quelques 30 millions d’euros. 3 pnrc, 2011, charte du parc naturel régional de camargue.

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ressources locales (sel, aquaculture, tourisme de nature et de découverte…). Les dispositions récentes relatives aux zones inondables imposées par le PPRI anticipé (et approuvé en février 2012) risquent de contrecarrer ou de restreindre certains de ces projets. Le zonage prescrit ne permet qu’une urbanisation (très) limitée « aux franges de salin-de-giraud et de Mas thibert sur la commune d’arles, sur le centre ville des saintes-Maries-de-la-Mer et du hameau de pioch Badet ». Toute construction est interdite ailleurs, à l’exception des zones agricoles placées en aléa modéré. Ces mesures, qui apparaissent contradictoires avec les ambitions de revitalisation de salin-de-Giraud, imposent en filigrane une réflexion sur les typologies bâties (réflexion déjà développée par la csM sous le vocable de cité « lacustre »). par ailleurs, le symadrem1 a approuvé en décembre 2010 son « programme de sécurisation des ouvrages de protection contre les crues du rhône du barrage de Vallabrèges à la Mer » qui envisage de créer une digue de protection rapprochée au sud de Salin-de-Giraud, digue de second front afin de protéger le centre urbain du hameau de l’aléa de la crue de 1856. Mais ce programme n’intègre ni les nouvelles contraintes du ppri anticipé ni les perspectives de hausse eustatique nourrissant ainsi de nombreuses incertitudes sur l’avenir du hameau2. outre ces projets endogènes, d’autres sont susceptibles d’impacter le territoire camarguais, à l’instar du contournement autoroutier d’arles par l’allongement de l’a54 (projet qui vise à assurer la continuité d’un itinéraire autoroutier structurant de l’arc méditerranéen entre l’espagne et l’italie) ou du projet de pont sur le rhône entre portsaint-louis et salin-de-Giraud en remplacement du bac de barcarin. a d’autres échelles, le changement climatique constitue aussi une source d’incertitude et de mutations potentiellement profondes.

ii. les mutations liées aux impacts du changement climatique en augmentant les risques, le changement climatique révèle et révèlera les faiblesses (mais aussi des opportunités3) des territoires. Mais il faut se garder d’attribuer au climat ce qui, en fait, est d’abord un problème de gestion. le rapport sédimentaire déséquilibré entre mer et rhône traduit plus un problème environnemental que climatique (arnaudFassetta & Provansal, 2003). Seule la hausse du niveau de la mer et des températures et, pour certains auteurs4, la recrudescence des pluies à l’automne (générées par la différence 1 syndicat mixte interrégional d’aménagement des digues du delta du rhône et de la mer. 2 en dépit de l’arrêté préfectoral de refus de détachement de la commune d’arles en décembre 2007, de nombreux débats animés par l’association salin commune pérennisent l’ambition d’ériger le hameau en commune autonome. 3 quelques exemples : nouvelle distribution géographique de la viticulture, de l’héliotropisme… 4 « analyse des attitudes face à l’adaptation au changement climatique : le cas de la Camargue » par Sfez L. et cauquelin a., creDap et creDatic, 2006, 168p, etude réalisé pour l’aDeMe, pp. 39-40

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de température entre la mer et le continent) peuvent être attribuées au changement climatique. les enjeux humains, matériels et culturels soulèvent ainsi la question de leur vulnérabilité et de leur pérennité face aux risques d’érosion, de submersion marines, d’inondations fluviales ou encore de modification de la biodiversité.

1. la hausse des températures et la redistribution des espèces d’interface les espaces d’interface que sont les littoraux sont porteurs de richesse, de diversité, de variété et de complexité. l’espace d’interface terre/mer présente ainsi une biodiversité supérieure à celle des espaces uniquement terrestres ou marins (chapelon et emsellem, 2008). la camargue constitue à l’échelle de l’europe (et même du paléarctique occidental) une étape essentielle pour de nombreuses espèces d’oiseaux migrateurs et une zone majeure d’hivernage comme de nidification. Avec un glissement vers le nord des aires de répartition de certaines espèces d’oiseaux caractérisant la réserve de biosphère1 ou la montée en altitude des plantes alpines, le changement climatique mettra en situation d’interface des espèces qui ne cohabitaient pas ; compétition et concurrence entre espèces sont susceptibles de créer ou de fermer des niches écologiques. la hausse des températures associée à des pluies plus fréquentes favoriseront l’éclosion de larves de moustiques et l’émergence de maladies nouvelles dans certaines régions, comme la dengue sur la Cote d’Azur (Lampin et al., 2010). au registre des retombées positives, on évoquera la redistribution de la production arboricole et maraîchère. en effet, alors que la camargue est déjà bien valorisée grâce aux conditions climatiques favorables permettant aux producteurs de jouer la précocité et de capter les marchés au moment où les cours sont les plus élevés, le réchauffement climatique sera peut-être un atout intéressant, notamment pour concurrencer l’espagne (qui n’aura su compenser les périodes de sécheresse et réduire ou stopper ses activités maraîchères).

2. la hausse du niveau de la mer et le risque de submersion basses terres entre les deux branches du delta du rhône, la camargue est menacée d’incursions, voire d’envahissement par la mer ; la montée du niveau marin n’est toutefois qu’un facteur aggravant. le niveau de la mer2 monte en moyenne de 2 mm par an en Camargue depuis un siècle environ - soit une hausse moyenne de 22 cm - (Suanez, 1997 ; ullman et al., 2007) sous les effets probables du changement climatique combinés à la subsidence du delta résultant de la compaction des sédiments non consolidés (Aufray & Perennou, 2007) (figure 36). Le niveau maximal annuel s’est aussi élevé sur la même période, à un rythme deux fois plus élevé que le niveau moyen de la mer, soit + 4 mm par an (ullmann et al., 2007). cette augmentation est engendrée par une hausse des surcotes 1 actuellement, 26 habitats naturels d’intérêt communautaire constituent la réserve de biosphère qui accueille 5 700 espèces recensées soit 1/5 de la flore, les ¾ des espèces d’oiseaux mais la moitié des espèces de libellules et de poissons d’eau douce recensés en France. 2 le niveau marin est mesuré depuis 1905 au marégraphe des salins du Midi, au Grau de la Dent, à 15 km à l’ouest de l’embouchure du Grand rhône.

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marines, qui se manifeste notamment lors de tempêtes, conjuguée à l’élévation moyenne du niveau (Aufray & Perennou, 2007). La plupart des modèles (Pirazzoli, 2001) prévoient une accélération de ce phénomène dans les décennies à venir.

Figure 36 : evolution du niveau moyen de la mer au Grau de la Dent de 1905 à 2005 (niveau nGF, en cm). source ulman et al., 2007

la hausse progressive du niveau marin a engendré un recul de 4 mètres par an en moyenne (10 à 15 m par endroit) entre 1930 et 1980, date à laquelle des aménagements de défense ont commencé à être construits (Sabatier & Provansal, 2002). Aujourd’hui, ce retrait « menace » de plus en plus les activités humaines et les écosystèmes. La moitié sud du delta risque la submersion, 30 % de sa surface étant à une altitude inférieure à 50 cm sous le niveau moyen de la mer1. ainsi, le village des saintes-Maries-de-la-Mer pourrait progressivement être encerclé par la mer (Sabatier & Provansal, 2002). par ailleurs, la remontée de la nappe d’eau salée depuis quelques années atteint les étangs méridionaux, affectant des milieux à forte valeur écologique et certains sites de production du sel. on constate déjà une remontée des salicornes vers le nord du delta ainsi que le dépérissement, sur l’Île du bois des rièges - réserve nationale, de genévriers bicentenaires. A plus long terme, la nappe salée pourrait atteindre la Camargue rizicole (Sabatier & Provansal, 2002) engendrant des changements d’usages et de paysages importants.

3. un risque accru des crues du Rhône Dans le contexte de pénurie sédimentaire et de mobilité naturelle, le ralentissement de l’évacuation des eaux de crues aux embouchures des deux bras du rhône est un impact prévisible de la hausse eustatique. les simulations montrent que le niveau des crues décennales augmentera et menacera les saintes-Maries-de-la-Mer et port-saint-louis-durhône (Guillaumin et al., 2000).

1 « a l’horizon 2100, le jeu différentiel de la dynamique des vagues et de la dérive littorale, combiné avec le relèvement escompté du niveau marin n’affectera pas les secteurs les mieux nourris en sédiments alors que des reculs semblent inéluctables sur les secteurs faibles » in betHeMont J., 2000, le delta du rhône et l’élévation du niveau de la mer, Le changement climatique et les espaces côtiers. actes du colloque d’arles, octobre 2000

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iii. les inondations, inadéquations territoriales ou nouvelles opportunités ? Dans l’île de camargue, environ 400 millions de mètres cubes d’eau du rhône sont pompés annuellement d’avril à octobre pour l’irrigation de la riziculture (Heurteaux, 1994). Cependant, le Vaccarès et les étangs inférieurs n’ont pas la capacité suffisante pour drainer la totalité de ce volume d’eau sans risquer des inondations en cas de fortes pluies automnales. c’est pourquoi 55 % de la surface de l’île de camargue est poldérisé, c’est-àdire que l’eau de drainage retourne au rhône par pompage (chauvelon, 1998). Mais la camargue est avant tout une plaine d’inondation deltaïque. Malgré son endiguement (hétérogène), le risque d’inondation du delta par submersion des digues ou formation de brèches demeure. les inondations de 1856, 1993, 1994, plus récemment de décembre 2003, l’ont démontré (Picon & al, 2006) (planche photographique 2).

Planche cartographique 2 : surfaces inondées lors des principales crues du Rhône depuis 1856. réalisation pnrc. source pnrc/Diren paca

après le programme national contre les crues lancé par napoléon iii qui se concrétisa par la construction de la digue à la mer et par le rehaussement des digues des deux rhône, le risque d’inondation semblait évacué du delta. Mais, en croyant maîtriser le risque, les camarguais ont contribué à augmenter leur vulnérabilité (rivière Honegger, 2007). en octobre 1993, une crue d’importance centennale creusa des brèches dans les digues et recouvrit d’un mètre d’eau en moyenne plus de 24 000 ha de Haute camargue. Deux mois plus tard, en janvier 1994, les digues du petit rhône se rompirent à nouveau lors

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d’une crue qui submergea environ 7 000 ha. Jusque là assumé par le monde agricole local à travers un système associatif (associations syndicales autorisées), le risque d’inondation, affectant les autres (nouvelles) activités économiques, se vit supporté également par les pouvoirs publics. l’événement de 2003 est survenu après plusieurs épisodes pluvieux sur la vallée du rhône et l’ensemble de ses bassins versants provoquant des ruptures de digues et l’inondation de la camargue gardoise et des quartiers nord d’arles notamment. De « milieu naturel menacé de risques humains, le delta a basculé dans la représentation d’un milieu humain menacé de risques naturels »1, déclenchant en 2005 un « plan rhône » (similaire au plan Loire) afin d’élaborer une stratégie globale de prévention des inondations qui ne privilégie ni le rehaussement des digues ni le dragage des fonds du rhône mais faisant davantage la part de l’eau (telle que nous l’avons abordé dans la première partie). certains projets abordent la restauration de la trame bleue et la création de connexions hydrobiologiques fleuve/delta afin de permettre des échanges biologiques et de constituer des zones d’expansion des crues. Ce « décorsetage »2 du rhône est l’opportunité de création de nouveaux paysages alluviaux (en lien avec un futur tourisme fluvial ?). Cette stratégie de réduction de la vulnérabilité par la mitigation paysagère illustre le passage d’inadéquations territoriales (corsetage du rhône notamment) à des opportunités de renouvellement spatial et territorial (figure 37).

Figure 37 : Projets en cours (décosetage, confortement de digues, quais...) sur les rives du Rhône. réalisation sYMaDreM. source sYMaDreM 1 Picon b., 2008, L’espace et le temps en Camargue, actes sud. 2 il se caractérise de différentes manières : mise en place de digues résistantes à la surverse (évitent les brèches et permet de créer des déversoirs) ou recul des digues (décorsetage limité).

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ainsi, nombreuses sont les mutations potentielles et parfois profondes que la camargue s’apprête à connaître. les considérer d’une manière globale (n’ayant pas les mêmes échelles spatio-temporelles) nous invite à nous interroger sur la pertinence des dispositifs aujourd’hui mis en œuvre pour la maintenir sensiblement telle que nous la connaissons.

iV. légitimité et pertinence des protections réglementaires dans un territoire soumis à mutations 1. statuts de protection et de conservation, handicap à l’ajustement ? Les écosystèmes camarguais rendent très influente la moindre variation1 d’un ou plusieurs des paramètres qui les composent. la plupart des espèces sont menacées par la modification du milieu naturel auquel l’évolution les a adaptées. Les activités humaines dans le delta entretiennent et augmentent par leur variation même la vulnérabilité des écosystèmes. L’artificialisation des processus de gestion, conduisant parfois à la banalisation des milieux, voire à la baisse de leur valeur écologique, est aussi ambiguë que problématique dans un espace règlementé par de nombreux statuts de conservation et de préservation de la nature. plus encore, le changement climatique et ses conséquences, potentiellement plus importantes qu’aucune autre mutation, posent la question de la légitimité et de la pertinence de ces protections réglementaires. l’espace camarguais est un lieu d’importants débats entre les acteurs de sa gestion. le pnrc et les représentants du MeDDtl (réserve nationale, conservatoire du littoral) ne partagent pas nécessairement les positions des entreprises (csM…) et des élus (communes des saintes-Maries-de-la-Mer et d’arles) sur les pistes d’ajustement aux futures mutations et notamment sur les choix de gestion et solutions techniques à adopter devant un fait reconnu, le recul du trait de côte. sans remettre en cause leur bien fondé, les protections et les statuts, dont la légitimité est assurément justifiée par la richesse et la fragilité des milieux et des paysages, ne risquent-ils pas, dans un contexte de changements sous-jacents, d’annihiler ou de ralentir la dynamique de recomposition et de réajustement nécessaire, réinterrogeant par là même leur pertinence ? le risque étant de s’inscrire dans une surprotection handicapante face aux dynamiques de changement. l’exemple de la mutation engagée des salins montre que la richesse naturelle ne suffit pas à garantir le maintien durable d’exploitation économique et est susceptible de remettre en question le classement par la convention de ramsar2. 1 par exemple, l’étang de Vaccarès connaît de grandes variations de son degré de salinité : il était de 5g/litre entre 1970 et 1980 (et jugé trop doux par les scientifiques de l’époque), de plus de 30 g/litre en 1984 (donc presque équivalent à la mer) pour s’établir à 15 g/litre entre 2000 et 2004. cette variation conditionne les peuplements halieutiques, les surfaces de roselières et la faune avicole inféodée. 2 La France a adhéré en 1986 à la Convention relative aux zones humides d’importance internationale dite Convention de ramsar et ainsi classé 85 000 ha en camargue. les critères de classement sont liés à l’importance de ces sites pour la conservation d’espèces en danger ou d’une proportion significative de population d’une espèce (d’oiseaux principalement) ou encore pour le rôle que jouent ces zones pour le maintien d’activités économiques durables pour les populations locales.

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par ailleurs, à défaut d’amendement relatif aux stratégies nationales de gestion du trait de côte et d’adaptation au changement climatique, la Loi « Littoral » préconise « la préservation du milieu marin et littoral » et le « maintien des équilibres écologiques » confortant la mise “sous cloche“ des espaces concernés ; disposition également inscrite dans la convention de Florence (2000) et relative à la « protection des paysages » ; toutefois, deux autres dispositions de la convention européenne du paysage permettent de dépasser le stade de la “surprotection“ : - la « gestion des paysages », qui comprend les actions visant, dans une perspective de développement durable, à entretenir le paysage afin de guider et d’harmoniser les transformations induites par les évolutions sociales, économiques et environnementales. par cette disposition, il est entendu qu’une gestion durable des paysages doit intégrer l’appréhension des dynamiques territoriales et que l’accompagnement des mutations environnementales (changement climatique) et socio-économiques peut se traduire par une transformation ou une évolution du paysage. - l’ « aménagement des paysages », qui comprend les actions à caractère prospectif affirmé visant la mise en valeur, la restauration ou la création de paysages. cette disposition réunit les deux premières (valorisation, conservation, transformation) tout en convoquant à une anticipation des dynamiques paysagères ; laquelle peut aboutir à la « création de paysages ». ainsi, l’appréhension des mutations territoriales par le paysage semble être une clé pour se détacher de la surprotection handicapante imposée par les statuts réglementaires. Dans une perspective proactive de protection et de valorisation, des acquisitions foncières sont réalisées. intègrent-elles toutes les potentialités de changement ?

2. un discernement lacunaire dans les acquisitions foncières les communes, le département et le conservatoire du littoral ont compétence pour acquérir des terrains afin d’assurer une conservation durable du patrimoine qu’ils représentent. les communes ont ainsi acquis des terrains sur lesquels sont maintenues des activités liées à l’exploitation des ressources naturelles. le département procède à l’acquisition de domaines1 afin de les soustraire à toute spéculation foncière et a acquis plus de 3 500 ha en pleine propriété (dont les étangs de consécanière et des impériaux). le conservatoire du littoral a dans ses missions la protection des milieux littoraux (contre le risque d’urbanisation, de parcellarisation ou d’artificialisation) par l’acquisition foncière de 1

par la taxe Départementale des espaces naturels sensibles (tDens), soit 4M€/an (MeDDtl, 2011).

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territoires puis leur réhabilitation et leur ouverture maîtrisée au public. ainsi, les espaces les plus proches du littoral comme les lagunes font l’objet depuis une dizaine d’années d’une politique d’acquisitions, qui atteignent environ 30 000 ha, avec notamment l’étang de Vaccarès (13 118 ha). Le rythme de ces acquisitions s’est accéléré à la fin des années 2000 lorsque des terrains appartenant à la compagnie des salins du Midi ont été mis en vente. Le Conservatoire a ainsi acquis plus de 5 000 ha entre 2007 et 2011 de zones soumises au risque de submersion et déjà protégées au titre de nombreuses réglementations affectant lourdement son budget jusqu’en 2014 (grevant de ce fait ses capacités d’intervention sur des zones littorales plus menacées ou plus intéressantes au plan écologique) malgré les aides financières du ministère de l’Ecologie, de l’agence de l’eau Rhône-Méditerranéecorse et du département des bouches-du-rhône (500 ha restaient à acquérir en 2011) (MeDDtl, 2011). Dans la perspective de nouvelles cessions (notamment agricoles) et de la montée du niveau de la mer, l’etat a recommandé en 2011 d’adopter une attitude prudente pour d’éventuelles acquisitions de zones submersibles ou inondables. Cela est pertinent mais il ne faut oublier que ce qui n’a pas de valeur aujourd’hui peut en avoir demain… l’acquisition est actuellement perçue comme l’outil d’opposition aux projets de développement menaçant la valeur écologique des terrains. certes, mais la camargue est l’illustration même d’une conciliation riche entre production, développement et biodiversité. ces acquisitions devraient s’inscrire dans une approche stratégique ; celle de la prospective qui permettrait des interventions prudentes et parcimonieuses justifiées par des impacts irréversibles ou encore de déterminer des secteurs de latitude éventuellement utile pour s’ajuster aux mutations (nouveaux usages, recul contrôlé...).

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e

n camargue, la diversité des paysages et des usages s’est construite à partir des éléments (eau, sel…) et s’est protégée de ces mêmes éléments, caractérisant une

(autre) mitigation paysagère que les acteurs du territoire stabilisent en permanence afin de pérenniser chacun des usages du delta au risque de pénaliser leur rentabilité. cependant, si elle confère une multifonctionnalité au delta, cette mitigation paysagère conduit à l’artificialisation des milieux et engendre des conflits entre usagers, scientifiques et protecteurs de la nature. longtemps dévolue aux agriculteurs et aux saliniers, la gestion de l’eau est désormais confiée aux structures protectionnistes (PNRC, Réserve Nationale…). L’objectif n’est plus seulement de protéger des milieux qui seraient agressés par les activités productives mais de les maintenir à travers la maîtrise de la gestion de l’eau. la camargue se veut ainsi le lieu de démonstration d’une exemplarité gestionnaire quant à la production de milieux

écologiquement riches. cependant, si la représentation de la nature portée par ces nouvelles pratiques gestionnaires repose sur l’idée d’une relation positive entre l’homme et la nature, elle entretient la prévisibilité des dynamiques écologiques et paysagères et en même temps une attitude fixiste conservative et protectionniste illusoire. en effet, de nombreuses mutations, endogènes comme exogènes, impactent aujourd’hui la camargue tandis que d’autres, non déclarées mais néanmoins perceptibles, la rendent incertaine. ces mutations, en cours ou pressenties, pourraient avoir des effets radicaux sur la gestion de l’eau dans le delta, le morcellement des terres agricoles, la réorientation de leur production… et, in fine, sur l’ensemble du « système sociohydraulique »1. D’autres modifications d’ordre plus qualitatif risquent de se poursuivre ou de s’amplifier : extension de la démoustication, banalisation de la gestion hydraulique inversée par rapport aux saisons, retombées de pollutions atmosphériques, pollution des eaux, fréquentation touristique croissante2… et d’une manière générale des mutations paysagères, justifiant la pertinence des réflexions proactives engagées qui relégitiment la nature et les paysages. certains projets (touristiques, agricoles…) se préoccupent du maintien d’une production de la nature (ressource) et d’une authenticité des paysages. autrement dit, ils donnent à la nature et aux paysages les moyens de se recréer. ces germes de changement, perçus au travers des projets et des dynamiques paysagères, donnent les grandes tendances de demain et traduisent l’émergence d’une camargue nouvelle mais continûment multifonctionnelle (touristique, industrielle, agricole…). l’enjeu de la camargue de demain n’est pas de conserver une activité à un endroit donné, pas plus qu’il n’est de conserver telle espèce ou tel habitat naturel. l’enjeu majeur consiste à conserver un potentiel d’évolution, d’ajustement continu du milieu et des communautés (végétales, animales et humaines) face au(x) changement(s), 1 expression employée in picon b., allarD p., claeYs-MeKDaDe c., Killian s., 2006, gestion du risque inondation et changement social dans le delta du Rhône. Les catastrophes de 1856 et 1993-1994, cemagref, éd. quae, 122 p. qui met en valeur les interprétations complexes entre technique (et technicité), nature et société. 2 Entre Gênes et Barcelone, la Camargue est la seule zone humide qui échappe encore au tourisme de masse, d’où des enjeux vitaux…

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notamment climatiques (hausse eustatique) ; d’où des enjeux de stratégies de reconversion spatiale et de valorisation foncière à long terme via un discernement des dynamiques plurielles (actuelles et futures) dans le cadre des acquisitions réalisées notamment par le conservatoire du littoral. Pour certains acteurs, il semble impératif de définir de nouvelles activités, notamment dans les marais littoraux : « il faut qu’on puisse valoriser ces zones avec la pisciculture, l’algoculture, les coquillages […] sinon, ni l’etat ni les communes n’auront les moyens d’entretenir ces digues à la mer, fragilisées par la montée des eaux, et qui contribuent grandement à conserver le delta en son état »1. ceci implique de s’interroger sur le sens et la pertinence du combat engagé contre la mer.

1 G. Hémery, association nature et citoyenneté en crau et camargue (nacicca), in « L’écosystème de la Camargue fragilisé par les mutations de l’activité humaine », Le Monde, 30/06/07.

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cHapitre

7

sens et légitimité d’un combat contre la mer

«

Il ne s’agit pas d’opposer à ce catastrophisme permanent, un angélisme béat et naïf, mais de sortir de l’alternative stérile entre attitude « pessimiste » ou «optimiste» face à l’avenir, et de la remplacer par une approche réaliste, lucide, pragmatique et constructive. Car des faits positifs existent, en masse, dans la vie quotidienne du monde : découvertes déterminantes pour le futur, créations collectives, solidarités, générosités, bénévolat, liens transculturels, etc. Il faut aussi savoir les mettre en avant. La mémoire n’est pas seulement mémoire de survie, elle est aussi mémoire de création. Les faits positifs, reliés entre eux, nous aident à avoir l’envie de construire demain.

»

Joël de Rosnay

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l

e combat d’envergure engagé contre la mer depuis des décennies ne cesse d’exiger la mobilisation de nouvelles stratégies de défenses, souvent lourdes, coûteuses et

impactantes. ce combat, dont il convient de mesurer le sens et la légitimité, se niche-t-il au sein d’une démarche de gestion intégrée des zones côtières permettant de poursuivre l’ajustement mutuel du territoire et de sa société aux diverses mutations (et notamment climatique) ?

A. Perspectives d’évolution d’un littoral rigidifié par des choix d’aménagement

l

a mobilité sédimentaire, l’inégale érosion littorale et les mouvements dynamiques de l’ensemble deltaïque, sources d’inquiétude pour les riverains du rhône et du

littoral méditerranéen, expliquent l’attitude fixiste (défensive) et l’ingéniosité technicienne développées au cours de l’histoire : des digues pour contenir les crues du rhône, des barrages pour utiliser la force hydraulique, des digues sur la mer pour contenir les fureurs marines… tout un arsenal qui, aux yeux du plus grand nombre, apparaît intimement mêlé au paysage camarguais, jusqu’à devenir un composant du système « naturel » du delta ; mais qui, dans le même temps, le fragilise.

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CHAPITRE 7 - sEns ET légITImITé d’un CombAT ConTRE lA A mER

la carte des aménagements (carte 28) illustre la « surenchère de défense côtière à laquelle est soumis le littoral »1 même si la tendance n’est aujourd’hui plus à la construction mais à l’entretien des digues existantes (Sfez & Cauquelin, 2008).

carte 28 : ouvrages de protection du littoral camarguais (2002). réalisation pnrc/la. source pnrc/contrat de Delta

I. Entre érosion et déficit sédimentaire : les traits constitutifs de la fragilité littorale 1. lecture des paysages du risque les méthodes de protection utilisées jusqu’ici ont privilégié les enrochements artificiels (épis, digues, brise-lames) transformant certains secteurs, autrefois sableux, en « côtes rocheuses » d’un nouveau type. Le Grand Radeau (à l’ouest des Saintes-Maries) est un exemple qui illustre bien ce paradoxe : les grandes plages sableuses, qui reculaient et se reconstituaient progressivement en arrière de leur position initiale, ont été remplacées par des côtes rocheuses censées les protéger. Cette transformation est encore plus flagrante aux Saintes-Maries-de-la-Mer dont les plages (photos 27 & 28), aux formes généreuses sur la toile de Van Gogh (figure 38), sont cernées et compartimentées par une batterie d’ouvrages. Dans un tel paradoxe, l’image de nature sauvage et de ville emblématique ne s’applique guère à la façade saintoise. Dès lors, la conservation des paysages et des écosystèmes littoraux est-elle

1 sFeZ l., cauquelin a., 2006, analyse des attitudes face à l’adaptation au changement climatique : le cas de la Camargue, etude réalisée pour l’aDeMe, 168p.

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Photo 27 : Photo aérienne des saintes-maries-de-la-mer. source Google earth.

Figure 38 : « Barques aux saintes-maries ». Vincent Van Gogh (1888). Huile sur toile. Photo 28 : Vue aérienne du littoral des saintes-maries-dela-mer. photo p. Devanne. source photosparamoteur.fr

compatible avec la protection « dure » des espaces bâtis et des activités ? La fixation du trait de côte par la mise en place d’ouvrages induit la disparition de milieux naturels liés au système littoral1. L’abaissement du profil d’avant côte et des lames sableuses au droit des ouvrages lourds signifie la disparition des biotopes par modification de la profondeur, de la luminosité, de la turbidité, de la température, de l’oxygénation, des courants… et des conséquences sur les espèces inféodées et sur les espaces d’arrière-côte.

ainsi,

outre leurs effets contre-productifs, les approches traditionnelles de défense lourde ont des conséquences environnementales et paysagères d’autant plus graves qu’aucune 1 sur les plages larges, bien alimentées en sable, une cicatrisation spontanée intervient après les tempêtes, alors que les plages étroites, éventuellement occupées par des enrochements artificiels, subissent des pertes durables, qui amorcent leur disparition et le recul de la côte (Bruzzi & Provansal, 1996). Dans le delta du Rhône, on estime à 100 mètres la largeur minimale nécessaire, entre la mer et la dune, pour amortir efficacement les houles hivernales (Sabatier & Provansal, 2002).

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CHAPITRE 7 - sEns ET légITImITé d’un CombAT ConTRE lA A mER

compensation n’est véritablement promue, notamment en terme de superposition d’usage ou de fabrique de l’espace public. seule la Digue à la Mer hybride des fonctions de protection, d’axe de communication et de promenade (par différents modes de découverte). Enfin, si par endroits le nombre et la répétitivité des ouvrages créent un rythme dans le paysage, ceux-ci renforcent la fragilité perçue surtout en l’absence d’enjeux humains visibles. Ainsi, protéger ou maintenir (cela revient au même), c’est figer la mobilité naturelle dont on a montré dans le chapitre 5 qu’elle était la condition même d’un bon fonctionnement du milieu. A terme, c’est détruire ce que l’on voudrait conserver (Picon & Provansal, 2002) et notamment le patrimoine naturel et paysager.

2. les ouvrages de protection, une solution spatio-temporelle ponctuelle la digue est une défense qui semble tout indiquée pour arrêter les assauts des vagues ; à condition qu’elle soit placée en tenant compte des courants marins et des vents dominants1. la protection consiste également à empêcher la mer d’emporter le sable au large pour ne pas désarmer le littoral et priver la dynamique tidale de son espace de liberté. il est donc important que les digues piègent le sable en même temps qu’elles stoppent l’intrusion de la mer. ces différents objectifs ne peuvent être remplis par une seule digue frontale. les digues doivent se compléter dans la mesure où elles résistent à des mouvements le plus souvent contrariés. 2.1 les digues frontales les digues frontales n’ont pas pour objectif de lutter contre l’érosion des plages mais de fixer le trait de côte. Elles sont néanmoins soumises à l’érosion même si celle-ci semble cantonnée à la partie aérienne des ouvrages. leur implantation en haut de plage conduit, à terme et dans les secteurs en érosion, à une disparition complète de la plage, puis à des affouillements du pied des ouvrages et enfin à leur démantèlement en l’absence d’entretien (Oliveros & Lambert, 2004). A court et moyen terme, les digues frontales atteignent leur objectif mais elles ne peuvent assurer leur fonction à long terme qu’au prix d’un entretien lourd (tant physique que financier), comme l’illustre la digue à la mer (photo 30) disparue au droit des saintes-Maries-de-la-Mer (photo 29), face aux arènes, remplacée temporairement par des épis en bois. 2.2 les épis perpendiculaires au rivage contrairement aux digues frontales, ils visent à lutter contre l’érosion par la reconstitution de la plage. leur avancée en mer intercepte les courants littoraux et permet de stocker les sédiments en transit en amont des ouvrages. lors de conditions sédimentaires défavorables, des recharges périodiques sont effectuées. les 1

le plus dangereux étant le vent de sud, porteur de houles

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Photo 29 : les saintes-maries-de-la-mer anciennement protégées par la digue à la mer. photo revellin, 1932. source : chassain, 2010

Photo 30 : Digue à la mer, à proximité du phare de la Gacholle. photo Morisseau, 2006

premiers épis, construits en enrochement au droit des saintes-Maries entre 1940 et 1950, n’ont pu enrayer le recul du trait de côte et encore moins capturer le transit littoral (oliveros & Lambert, 2004). Dans les années 1980, on ajouta de nouveaux épis, notamment en Petite camargue (Grand radeau). a l’époque, cette expérience a été jugée concluante compte tenu de la résistance des ouvrages (61 épis de 75 m de long, espacés de 200 m) et de la protection apportée lors de la tempête de 1982. plus tard, on constata que les épis ne permettaient pas de stopper le recul du trait de côte puisqu’à partir de 1989, ils commencèrent à être contournés par la mer côté plage (Oliveros & Lambert, op. Cit.). 285


CHAPITRE 7 - sEns ET légITImITé d’un CombAT ConTRE lA A mER

Photo 31 : epis en béton et en enrochements sur la plage des saintes-maries-de-la-mer. photo Morisseau, 2006

Bien qu’elle soit par endroit spectaculaire, l’action des épis n’est bénéfique que très localement, l’interception de matériaux augmentant le déficit en un autre point (Paskoff, 2003). par ailleurs, à court et moyen terme, on constate une reprise du recul du trait de côte ainsi que l’enfoncement et le déracinement des ouvrages (sabatier, 2001 ; eurosion, 2004). 2.3 les brise-lames situés en mer parallèlement à la côte, les brise-lames sont des ouvrages en enrochement associés ou non à un épi. ils assurent une protection directe du rivage par réduction de l’énergie de la houle (par réflexion ou absorption de celle-ci), formant un tombolo derrière le brise-lame (sabatier, 2001). ils assurent ainsi la constitution d’un stock de sable mobilisable lors de tempêtes. ces ouvrages sont surtout présents en front de mer des Saintes-Maries-de-la-Mer et sur le littoral de Faraman. Leur efficacité varie avec les saisons mais les effets négatifs engendrés rejoignent ceux liés aux épis. Malgré leurs impacts sur le paysage et leur pérennité, certains ouvrages de défense installés depuis 20 ans ont prouvé leur efficacité puisqu’ils ont localement arrêté ou ralenti le recul du rivage ; à Faraman et aux saintes-Maries-de-la-Mer, ils ont stoppé le recul et protègent les terres depuis plusieurs décennies (sabatier, 2001). s’ils venaient à rompre, on estime néanmoins qu’ils auraient rempli leur fonction (Picon & Provansal, 2002).

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Planche photographique 12 : Brise-lames en enrochements sur la plage des saintes-maries-dela-mer. photo Morisseau, 2006 287


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aujourd’hui, avec plus de 20 ans de recul, les spécialistes s’accordent à dire que ces types d’ouvrages ne sont pas viables à long terme. Avec une « durée de vie » (variable selon les méthodes de construction) estimée entre 3 et 10 ans, ils n’apportent pas de réponse au problème de déficit sédimentaire et ne limitent que ponctuellement le recul du trait de côte. cependant, considérant la capacité de réajustement naturel1 des plages, il faut relativiser le rôle de la hausse eustatique dans le risque qui pèse réellement sur les côtes du delta. Il n’est menaçant que dans le contexte de déficit sédimentaire du 20e siècle, les difficultés de prévisions dépendant de la mobilité longitudinale qui redistribue les sables en s’ajustant constamment aux houles : « dans quelques décennies, le tracé de la côte ne sera certainement pas positionné sur l’actuelle courbe de niveau à 30 ou 50 cm au-dessus du niveau moyen de la mer, mais reflètera la répartition spatiale de l’inégale fragilité des plages »2.

ii. scénario d’évolution et artefacts de nouveaux paysages la tendance n’est aujourd’hui plus à la construction d’ouvrages induisant des interrogations sur l’évolution du profil littoral camarguais.

1. l’hypothèse du scénario du Giec a partir des acquis sur l’évolution séculaire du trait de côte, la thèse de sabatier (2001) a permis d’estimer la position du rivage jusqu’en 2100 en l’absence d’ouvrages et de réaliser une simulation de sa position potentielle en 2000 en l’absence d’ouvrage, afin d’évaluer l’efficacité des protections face au recul du trait de côte (figure 39 & carte 29) : celleci varie d’un secteur à l’autre en fonction des dynamiques locales, des types d’ouvrages et de leur dimensionnement. les meilleurs résultats de stabilisation du rivage ont été mesurés dans les secteurs où les enrochements sont les plus importants, à l’instar des saintesMaries-de-la-Mer (carte 30). les projections à 2030 montrent que les tendances actuelles d’érosion et d’accrétion seraient prolongées et qu’il sera par conséquent difficile de maintenir la totalité de la camargue dans ses limites actuelles. ces perspectives semblent correspondre au scénario du Giec qui prévoit une hausse eustatique proche de 50 cm.

1 le système côtier a une capacité de réajustement naturel relatif aux déséquilibres survenus au cours du 20e siècle. On peut constater qu’après un recul rapide et un bilan sédimentaire déficitaire jusqu’à la fin des années 60, le littoral s’approche d’un nouveau profil d’équilibre de défense côtière au début des années 1980. Ce qui lui confère un bilan global proche de l’équilibre au cours des années 90 (Picon & Provansal, 2002). Les phénomènes physiques globaux se caractérisent donc par un rythme long qui serait à reconsidéré dans les projets de défense côtière, en faisant valoir l’intérêt d’un recul lent contrôlé, encore difficile à accepter dans un contexte de sécurité immédiate. 2 sabatier F., proVansal M., 2002, la camargue sera-t-elle submergée ?, La recherche, juillet-août 2002, 72-73

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Figure 39 : evolution du trait de côte du delta du Rhône depuis 1895 et estimation jusqu’en 2100. réalisation sabatier, 2001

carte 29 : estimation de l’évolution du trait de côte du delta du Rhône en 2030 et 2100. réalisation Morisseau, d’après sabatier 2001

carte 30 : evolution du trait de côte au droit des saintes-maries-de-la-mer depuis 1895 et estimation jusqu’en 2030. réalisation sabatier, 2001

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2. les nouveaux contours de l’île camarguaise l’évolution du trait de côte devrait se traduire, dans les secteurs en érosion, par un recul de plusieurs centaines de mètres des plages du nord du Golfe de beauduc, menaçant la stabilité de la Digue à la Mer et favorisant des intrusions marines dans l’étang de Vaccarès et une submersion des milieux de sansouïres d’arrière dune ; cette submersion serait renforcée par le risque de rupture de cordons dunaires (carte 31) et la surfréquence des tempêtes1 (également liée au changement climatique). le recul de la côte entraînerait la remontée du coin salé, pouvant notamment rendre l’eau pompée dans le rhône impropre à une utilisation agricole. Enfin, l’allongement des flèches, nourries par l’érosion des secteurs non protégés, pourrait tendre à combler ou transformer en lagune le Golfe de beauduc et menacer d’ensablement port-camargue.

carte 31 : Risque de submersion par rupture de cordons dunaires en camargue. réalisation Morisseau. D’après eucc 2008. 1 les études récentes réalisées par les géomorphologues du cereGe concluent que la hausse du niveau marin moyen au cours des dernières décennies ne contribue qu’à moins de 3 % au recul du rivage sur le littoral camarguais ; l’essentiel du processus érosif est dû à l’impact des tempêtes, en particulier la répétition de tempêtes moyennes à intervalles de temps plus rapprochés (chauvelon, 2008).

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

3. les saintes-maries-de-la-mer, avenir et enjeux d’une ville guettée par l’insularité et la submersion secteur à enjeux majeurs, la ville des saintes-Maries-de-la-Mer pourrait être isolée par des lagunes permanentes puis menacée de submersion permanente au terme de quelques décennies (figures 40 & 41), nécessitant un renforcement et/ou une multiplication des ouvrages pour résister.

trait de côte en 2030 Risque d’isolement de la ville par insularité

Figure 40 : Risque d’isolement par des lagunes et de submersion des saintes-maries-de-la-mer. réalisation Morisseau. D’après sabatier 2001.

Figure 41 : Façade nord (lagunaire) des saintes-maries-de-la-mer et trait de côte en 2030 (d’après sabatier 2001). source photo : www.vol-a-vue.com

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Faut-il continuer de protéger les côtes menacées ou accepter leur recul ? Même si le fonctionnement du delta doit être considéré dans sa globalité, il n’y a de réponse au risque que locale. Les réponses résident dans une réflexion à mener sur la nécessité (légitime ou non) de « protection » des hommes et des biens. Pour certains (Paskoff, notamment), on ne pourra pas tout protéger et élever des digues sur l’ensemble des littoraux. ainsi, la protection pourrait se limiter aux secteurs à enjeux, comme les saintes-Maries (et port saint-louis), qui, pour certains, ne peuvent être laissés sans défense (sabatier et provansal, 2002). Jusqu’à maintenant, le bilan entre les coûts et les avantages de la défense du littoral était en général peu discuté en europe ; d’où des dépenses inacceptables à long terme pour la société si on les compare aux avantages obtenus. c’est ainsi que 60 millions d’euros ont été dépensés en 10 ans (1993 - 2003) aux saintes-Maries pour la défense lourde (et éphémère) et la régénération des dunes (eurosion, 2004)1. la valeur du bâti de cayeuxsur-Mer étant estimée à 470 millions d’€ pour 2 886 habitants et 3 8602 logements (insee, 2008), on peut supposer une valeur estimée du bâti des saintes-Maries (2 294 habitants et 2 9223 logements (insee, 2008)) autour de 355 millions d’€, soit 60 années de protection lourde. autrement dit, le coût de la protection atteindra la valeur bâtie de la ville d’ici 2050. D’autres comparaisons sur une décennie : les dépenses des habitants dans la commune s’élèvent à 26 millions d’€ et le chiffre d’affaires des entreprises tertiaires marchandes atteint 31 millions d’€4 ; soit des chiffres bien inférieurs au coût de protection. Les enjeux économiques peinent ainsi à justifier les 60 millions d’euros injectés dans le maintien du trait de côte à la différence certaine d’enjeux sociaux et psychologiques qui traduisent davantage des enjeux de conservation.

s

i les ouvrages ont prouvé leur efficacité durant les dernières décennies, leur légitimité reste relative au regard des impacts sur le paysage littoral et les milieux associés. et

si résister est une évidence pour beaucoup, le repli de la ville devra également constituer une option sérieuse au regard des coûts de protection, sauf si d’autres enjeux viennent les justifier (puisqu’encore une fois, ce qui n’a pas ou peu de valeur aujourd’hui peut en avoir demain…). Enfin, la gestion intégrée désirée et proclamée par de nombreux acteurs camarguais devra, au-delà des techniques douces et alternatives, prendre en compte ces aspects économiques.

1 contrairement au chiffre de 15 millions d’euros (sans source) qu’on peut lire dans chassain r., 2010, « pour une plan de gestion du littoral camarguais », rapport de mission, 39 p. 2 Dont 62 % de résidences secondaires. 3 Dont 60 % de résidences secondaires. 4 estimation calculée à partir des données annuelles de la cci du pays d’arles.

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B. le littoral camarguais : une gestion intégrée entre durabilité et dynamique globale

D

epuis environ 30 ans, par la mise en place d’une gestion globale et la promotion de techniques alternatives de lutte contre l’érosion, le parc naturel régional s’est inscrit,

longtemps sans le savoir, dans une démarche de Gestion intégrée des Zones côtières

(GiZc). ce processus, revendiquant la durabilité de ses stratégies, est-il exemplaire en camargue ?

I. Définition et acteurs la Gestion intégrée des Zones côtières est un « processus dynamique de gestion et d’utilisation durable des zones côtières prenant en compte simultanément la fragilité des écosystèmes et des paysages côtiers, la diversité des activités et des usages, leurs interactions, la vocation maritime de certains d’entre eux, ainsi que leurs impacts à la fois sur la partie maritime et la partie terrestre »1. ce processus illustre la recherche d’un équilibre interactif, dynamique et durable entre les paysages, les milieux, les activités et les usages, tant maritimes que terrestres. Pour permettre la mise en place d’une réflexion transversale, la GIZC rassemble l’ensemble des acteurs du territoire camarguais : l’etat, garant de la politique de prévention des risques et responsable du domaine public maritime, les collectivités territoriales (communes, départements, régions), le syndicat Mixte d’aménagement des digues du rhône et de la Mer (sYMaDreM), le parc naturel régional et l’association syndicale libre Forestière. cette approche conjointe et globale des problématiques facilite l’articulation des outils réglementaires et la concordance des périmètres (notamment des sDaGe et scot en cours d’élaboration en camargue) mais peine jusqu’à maintenant à se traduire à l’échelle des dynamiques.

ii. GiZc et hausse eustatique : reposer les bases d’une démarche 1. les techniques mises en œuvre 1.1 le rechargement de matériaux les solutions dites « douces » de maintien du trait de côte ou de ralentissement de sa mobilité sont actuellement pratiquées sur le littoral camarguais sous forme d’apports artificiels de sable et (ou) de galets afin de compenser le déficit sédimentaire. En dépit du manque de durabilité de cette technique, ces apports extérieurs participent au même titre que l’eau (pompée dans le Rhône) à l’artificialisation et à la fragilisation du littoral 1 Projet de protocole sur la gestion intégrée des zones côtières méditerranéennes, programme des Nations Unies pour l’environnement, 2005.

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CHAPITRE 7 - sEns ET légITImITé d’un CombAT ConTRE lA A mER

camarguais. Le rechargement s’inscrit par endroit dans un processus « shadockien », comme l’illustre le port des saintes-Maries-de-la-Mer : « Le rhône ensable l’entrée du port, alors on drague et on recharge le sable à l’autre bout de la plage, là où il manque »1. 1.2 La fixation dunaire parallèlement à la construction des ouvrages lourds, de nombreux aménagements légers ont été mis en place depuis les années 80 par le parc naturel régional de camargue, la réserve, les communes et l’association syndicale libre forestière « les radeaux de petite Camargue ». Ces aménagements ont consisté en la pose de ganivelles2 dont la fonction est double : - l’interception du transport éolien de sable, provoquant son dépôt sur la dune, - la préservation des dunes contre le piétinement afin d’encourager l’implantation et le développement d’un couvert végétal qui favorise la fixation du sable et limite les déperditions en mer ou en terre du système dunaire. Sur certains secteurs, ce système est accompagné, ou remplacé, par le « fascinage ». Cette méthode fonctionne sur le même principe de « piège à sable ». Des bois morts transportés par la mer et échoués sur les plages sont placés dans des brèches du cordon dunaire dans lesquelles s’engouffre le vent. les brèches colmatées, le sable peut alors se déposer et renforcer le cordon dunaire. en constituant une protection naturelle contre les incursions marines et un réservoir de sédiments participant et en accompagnant la dynamique du littoral sableux, cette solution de restauration du fonctionnement naturel présente une valeur paysagère et biologique certaine. Ces stratégies, réfléchies au niveau local, ne répondent néanmoins que partiellement aux principes de GiZc.

2. la prise en compte du paysage, entre carence et nécessité : les enjeux paysagers la prise en compte du paysage dans l’avenir du territoire camarguais et dans la définition des stratégies de gestion semble faire défaut dans les études réalisées. La réalité du risque de submersion s’est jusqu’à aujourd’hui illustrée par des modélisations qui interrogent peu ou pas la composition du littoral à savoir les zones urbanisées, les milieux naturels et d’une manière globale le paysage et son évolution ; écueils et lacunes déjà évoqués à propos de Xynthia et du Grenelle de la Mer (chapitre 2). l’«étude de définition des enjeux de protection du littoral sableux » réalisée par le pnrc en 2007 témoigne de cette carence. toutefois, elle démontre une réelle volonté de se détacher des principes de protection lourde du trait de côte, de moderniser la pensée de la gestion littorale et de transformer le rapport au risque de la société camarguaise. elle

1 Propos du Capitaine du Port et Directeur de l’Office de tourisme des Saintes-Maries-de-la-Mer in sFeZ l., cauquelin a., 2006, analyse des attitudes face à l’adaptation au changement climatique : le cas de la Camargue, etude réalisée pour l’aDeMe, 168p. 2 palissades en bois de châtaigner disposées en casiers sur les dunes.

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définit et hiérarchise les enjeux environnementaux et socio-économiques en mettant en évidence les vulnérabilités des composantes littorales. cette étude a proposé des modes de gestion adaptés, sous forme de scénarios, appliqués à des secteurs identifiés en fonction de leurs enjeux actuels. les trois principes stratégiques énoncés dans cette étude (repli stratégique, restauration du fonctionnement naturel, gestion non-active) vont (passivement ou activement) engendrer des mutations plus ou moins profondes des paysages. l’application de ces types de gestion se traduira par un recul ou une avancée des plages, la restauration de paysages dunaires, le retour de la mer sur certains terrains, la recréation de zones de sansouïres, le renforcement des digues accentuant l’insularité des saintes-Maries… D’une manière générale, les paysages et leurs mutations seront les premières résultantes de ces nouveaux modes de gestion et c’est bien cette transformation qu’il s’agit de prendre en compte. au fond, c’est davantage les paysages de demain que ceux d’aujourd’hui qu’il s’agit d’évaluer afin de déterminer le mode de gestion qui y conduit... et ce, à l’échelle du fonctionnement global du delta.

3. Vers une prise en compte du fonctionnement global du delta… rappelons que le delta s’est construit dans un contexte d’apport massif de sédiments charriés par le fleuve. Avec le déclin des apports naturels, l’endiguement du fleuve, la multiplication des barrages et l’extraction massive de matériaux dans le lit des rivières du bassin-versant ont largement contribué au déficit sédimentaire. Ce déficit est également responsable de l’enfoncement constaté du sol de la camargue : « Seule la mobilité du fleuve permet à un delta de grandir. Le fleuve dépose les sédiments à son embouchure et ce n’est que lorsque son bras change de lit à l’occasion d’une grande crue que le volumineux tas de sable accumulé à l’ancienne embouchure est alors dispersé au gré des courants le long des plages. C’est ce mouvement de balancier qui permet d’engraisser le delta en différents endroits »1. Les embouchures aujourd’hui figées n’alimentent définitivement plus les plages, à la seule exception des pointes de beauduc et de l’espiguette, qui gagnent sur la mer. les scientifiques camarguais sont unanimes : il faut redonner de la mobilité et de la liberté au littoral et à la plaine fluviale (ce sont également les conclusions de l’étude Eurosion2). c’est pourquoi de futurs travaux sont envisagés afin de décorseter le Rhône, de réhabiliter des bras anciens du fleuve, de desserrer l’étau des digues fluviales et de redynamiser les flux sédimentaires ; d’où une prise en compte élargie du fonctionnement deltaïque. 1 Vella c., in VerDier M., 2009, Face à la mer, la camargue organise son repli stratégique, la-croix.com 2 cette étude recommande de rétablir l’équilibre sédimentaire et de procurer l’espace pour les processus côtiers en privilégiant une approche plus stratégique et proactive de l’érosion côtière pour le développement durables des zones côtières vulnérables et la conservation de la biodiversité côtière.

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CHAPITRE 7 - sEns ET légITImITé d’un CombAT ConTRE lA A mER

4. … et une véritable GiZc en camargue ? avec la concertation multi-acteurs qui existe au plan rhône comme au pnrc, une véritable démarche de Gestion intégrée des Zones côtières pourrait s’amorcer avec d’autant plus de pertinence que le protocole relatif à la GiZc de la convention de barcelone est entré en vigueur le 24 mars 20111. la France est désormais tenue de mettre en œuvre ce protocole, premier outil de droit international exclusivement et entièrement consacré à la GiZc. la camargue apparaît comme un terrain idéal d’application des principes généraux de la GiZc. en effet, avec une gouvernance basée sur la participation au processus de décision des populations (art. 6.d) et la coordination des administrations sur les zones côtières (art. 6.e) prônées par le protocole, l’objectif est de « prendre en compte la richesse biologique, la dynamique et le fonctionnement naturels de la zone intertidal ainsi que la complémentarité et l’interdépendance entre la partie marine et la partie terrestre formant une entité unique » (art. 6.a) tout en intégrant les différents systèmes (hydrauliques, écologiques, socio-économiques, culturels…). l’objectif inhérent à la mise en place de cette démarche en camargue doit s’illustrer par l’évolution des règles de gouvernance et par la prise de conscience des acteurs et de la population des perspectives d’évolution du système camarguais, notamment soumis à l’érosion côtière pour laquelle « les parties prenantes de la gIZC s’engagent à adopter les mesures nécessaires pour maintenir ou restaurer la capacité naturelle de la côte à s’adapter aux changements, y compris ceux provoqués par l’élévation du niveau de la mer » (art. 23). ceci doit passer par une prise en compte absolue des paysages : « Les parties, reconnaissant la valeur esthétique, naturelle et culturelle particulière des paysages côtiers, indépendamment de leur classement en aires protégées, adoptent des mesures pour assurer la protection des paysages côtiers par le biais de la législation, de la planification et de la gestion » (art. 11).

a

insi, le croisement de l’adaptation aux changements (art. 23) et de la planification (art. 11) conduira éventuellement à une révision des paysages

littoraux, faisant écho à la convention européenne du paysage2. ce croisement ouvre des

perspectives d’ajustement entre la société et le territoire camarguais face aux changements. cependant, certains blocages existent et remettent en cause la capacité d’ajustement de la société camarguaise.

1 Suite à la ratification de 6 de ses 15 signataires dont la France. 2 la convention européenne du paysage - appelée également la convention de Florence - a pour objet de promouvoir la protection, la gestion et l’aménagement des paysages européens, comprenant des actions au caractère prospectif affirmé visant notamment l’harmonisation l’accompagnement des mutations environnementales et économiques et la création de paysages.

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c. Blocage dans d’ajustabilité

D

l’ajustement

continu,

indices

ans le cadre des stratégies nationales de gestion intégrée des zones côtières, « les parties élaborent des politiques de prévention des aléas naturels. À cette fin, ils

entreprennent, pour les zones côtières, des évaluations de la vulnérabilité et des aléas, et prennent des mesures de prévention, d’atténuation et d’adaptation pour faire face aux effets des catastrophes naturelles et, en particulier, des changements climatiques » (art.

22). il convient de distinguer l’adaptation du processus qui y conduit, l’ajustement1. on a montré que cet ajustement a fonctionné au long de l’histoire de la construction du territoire camarguais et fonctionne toujours, même si les situations varient selon les secteurs : arles est menacé par le rhône, salin-de-Giraud et les saintes-Maries-de-laMer, par le rhône et la mer. chaque lieu entraîne un ajustement particulier et suppose de percevoir les changements du milieu et de la société elle-même ; ce qui n’est pas toujours le cas en camargue, notamment au sujet des conséquences du changement climatique, et constitue un blocage dans l’ajustement continu entre le delta et sa société.

i. les racines du blocage 1. une perception relative, sinon virtuelle, du changement climatique et de ses effets l’enquête sociologique2 réalisée en 2006 auprès de très nombreux acteurs3 du territoire a dressé un portrait varié et nuancé des perceptions du changement climatique en camargue. si à salin-de-Giraud et à arles le changement climatique était reconnu, deux discours s’opposaient aux saintes-Maries-de-la-Mer sur son existence et ses effets : -

le discours de la mairie, qui niait tout changement, minimisait les dangers et s’inquiétait seulement de la pérennité de l’activité touristique ;

-

le discours plus ouvert, plus prospectif et sensible au changement actuel et futur, d’habitants impliqués au sein d’association de défense du patrimoine ou de l’environnement. Depuis 2006, le maire, roland chassain, semble avoir fait évoluer (sensiblement)

sa position. Une mission sur la gestion du trait de côté lui fut confiée par Chantal Jouanno, secrétaire d’etat chargée de l’écologie et Hubert Falco, secrétaire d’etat chargé de l’aménagement du territoire. raillant les études sur l’évolution du littoral camarguais qui « remplissent des placards », c’est à partir de celles-ci qu’il rédigea son rapport de mission. Si l’éloge des ouvrages reste une constante chez l’élu des Saintes-Maries-de-la-Mer, son 1 la notion d’adaptation focalise aussi sur l’unique dimension naturelle alors que la notion d’ajustement laisse entendre que les mutations sociales accompagnent les mutations écologiques à un même niveau. 2 sFeZ l., cauquelin a., 2006, analyse des attitudes face à l’adaptation au changement climatique : le cas de la Camargue, etude réalisée pour l’aDeMe, 168p. 3 elus, spécialistes, techniciens, gestionnaires, exploitants, retraités…

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discours s’est élargi aux techniques alternatives, notamment celles de repli stratégique, mais aussi à l’expérimentation et à l’anticipation. Dans les salins, deux discours étaient également tenus : -

le discours politiquement correct de la direction qui, affirmant qu’il n’y a pas tant de changement qu’on le prétend, défendait les aménagements, les digues et les épis protecteurs des salins ;

-

le discours plus nuancé qui faisait état de changement, qui récusait la fiabilité des digues mais qui reconnaissait les salins comme créateurs de richesse faunistique et floristique. Cette difficulté de perception du changement climatique réside dans l’évaluation de

ses enjeux : régime hydrique, hausse du niveau de la mer et fréquence des tempêtes. ainsi, même si des effets sont perçus, nul ne s’accorde à les associer au changement climatique. la conscience du changement climatique tient plus à une connaissance médiatisée qu’à une perception directe (Sfez & Cauquelin, 2006).

2. une conscience variable de la vulnérabilité l’ajustement aux conséquences d’un nouvel état climatique semblerait davantage lié à la conscience de la vulnérabilité induite par ce nouvel état. pour naître, cette conscience doit avoir été précédée de la perception d’un changement de l’état des choses. perception du changement et conscience de la vulnérabilité sont donc étroitement liées, voire dépendantes. De cette prise de conscience du changement peut résulter l’ajustement. cependant, cette conscience diffère selon les lieux ou les objets sur lesquels elle porte. Dans leur enquête sociologique, Sfez et Cauquelin ont distingué différents niveaux de conscience: 1er niveau : la conscience de la réalité scientifique La recherche scientifique constate la vulnérabilité littorale et établit un zonage par degré de vulnérabilité (oliveros, 2003). les instances administratives camarguaises ont connaissance des résultats et s’y réfèrent. Mais les habitants ne semblent pas en avoir connaissance1 au même titre que la combinaison dynamique des effets de la mer et du fleuve : les habitants de la Camargue fluvio-lacustre sont conscients des menaces fluviales, ceux de la Camargue laguno-marine, des menaces marines (Heurtefeux et Lanzellotti, 2008). A salin-de-Giraud, les craintes sont inexistantes ; la population se sent bien protégée de la mer par les aménagements des salins et a oublié les dangers. par ces méconnaissances, la conscience de la réalité scientifique existe difficilement. 2ème niveau : la réalité effective de la menace ou la vulnérabilité ressentie Les menaces d’inondations fluviales ont été vécues ; la conscience fondée sur la mémoire est donc réelle. en revanche, s’il s’agit de la hausse eustatique, les observations sont fluctuantes (Picon et Allard, 2005) et la conscience de la vulnérabilité devient négligeable 1 une part de responsabilité de certains élus peut être retenue. le Maire des saintes-Maries a par exemple refusé de répondre aux chercheurs du brGM qui étaient venus lui présenter leur rapport. cette attitude illustre un véritable refus d’accéder à la connaissance et interdit ainsi toute forme de pédagogie directe envers ses concitoyens.

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même si elle existe chez certains et se manifeste par une peur diffuse de ce qu’il pourrait advenir. 3ème niveau : la conscience des sacrifices il s’agit du niveau de conscience le plus élevé, celui qui pousse à réagir face au risque et à s’ajuster à lui. peu d’habitants y songent. Mais certains acceptent d’être inondés. cette acceptation peut donc s’accompagner de véritables compromis relatifs à une forte conscience de la situation. Les sacrifices évoqués par certains peuvent aller jusqu’au surélèvement de la maison, au recul ou au déplacement plus lointain. pour les élus, cette conscience ne s’inscrit pas dans leur temps d’action, le long terme nécessaire au processus d’ajustement. Ces trois niveaux de conscience se rassemblent autour de l’idéologie fixiste de la nature et d’une attitude immobiliste face au changement (constaté ou non). ce conservatisme passif est une forme d’adaptation au risque par son acceptation, mais pas uniquement. en effet, différents types d’adaptation existent (cuénot, 1925) et caractérisent par bien des endroits la population camarguaise : son accommodation au milieu, son acclimatation durable et sa naturalisation définitive ; cette « naturalisation », qui a fondé la culture et l’identité camarguaise actuelle, pose le problème de l’ajustement.

3. l’adaptation, un handicap à l’ajustement ? chaque groupe d’habitants semble adapté1 à son milieu et c’est ce qui fait blocage dans le processus d’adaptation au changement. comme l’illustre en biologie la loi de Dollo2, « une très grande adaptation à un milieu précis rend impossible le processus d’adaptation à un autre milieu ». L’espèce inféodée à un milieu se trouve dépourvue à la survenue d’un changement. très adaptée, elle devient inajustable. «Être «fort» dans un milieu donné c’est être «faible» dans un milieu différent »3. l’adaptation à un contexte donné induit l’efficacité. La contrepartie est la dépendance à ce contexte et donc la vulnérabilité en cas de changement. n’étant pas dans l’analyse d’un processus d’adaptation animale régi par un code génétique, le rapprochement avec le domaine biologique doit être nuancé. Même si les notions de milieux internes et externes trouvent sens dans la logique qui nous concerne, nous sommes bien dans l’analyse d’une dynamique anthropique régie par d’autres codes qui lui sont propres. en camargue, l’adaptation se caractérise par une attitude passive et conservative empêchant tout accession à un processus d’ajustement. néanmoins, des indices d’ajustabilité existent et laissent entrevoir les perspectives d’un ajustement aux dynamiques de changement. ces indices transparaissent à travers la culture, l’observation et l’expérience.

1 il en va de même pour les milieux. les particularités des écosystèmes camarguais induisent leur propre précarité, en rendant très influente la moindre variation des différents paramètres. La plupart des espèces (végétales et animales) sont surtout menacées par la modification du milieu naturel auquel l’évolution les a adaptées. 2 loi formulée vers 1890 par louis Dollo, sur la nature irréversible de l’évolution, selon laquelle une structure ou un organe perdu ou abandonné au cours de l’évolution ne saurait réapparaître au sein d’une même lignée d’organismes 3 http://www.volodalen.com/12entrainement/adaptation0.htm

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CHAPITRE 7 - sEns ET légITImITé d’un CombAT ConTRE lA A mER

ii. la camargue peut-elle s’ajuster ? a partir de quelles références ? 1. la culture du risque, la production de références Le terme «culture»1 renvoie à la notion d’héritage, de transmission, de savoir, de comportement, d’attitude, de coutume… la camargue témoigne d’une histoire de la culture des risques naturels, d’inondations et de tempêtes qui permettait d’en éviter ou d’en atténuer les effets. les générations précédentes construisaient leurs mas et leurs fermes sur les bourrelets du rhône et, ainsi surélevés, se plaçaient hors de portée des inondations. La connaissance du fleuve avait habitué les Camarguais à se prémunir des caprices de celui-ci. cette culture se matérialisait par les modes de construction, les matériaux utilisés, les techniques de valorisation des terres et définissait ainsi une manière de vivre et d’habiter ce territoire mouvant. ce sont ces modalités qui sont transmises sous la forme d’un ensemble : la “culture“. cette culture était orientée autour d’une préoccupation permanente relative à la variabilité et dictait les conduites à adopter : la préoccupation du danger possible, la présence permanente des risques encourus. aujourd’hui, c’est à la tradition rurale latifundiaire que se réfèrent les partisans d’un retour vers une culture du risque et vers un retour à une nature moins anthropique, qui s’adapterait au changement climatique (Sfez & Cauquelin, 2006). Malgré l’évolution permanente du delta camarguais et l’absence d’un état de référence qui justifierait l’existence d’un équilibre entre nature et société, la culture du risque dispose, elle, d’un état de références, celui de la (re)connaissance du risque par et avec laquelle la société s’ajuste.

2. la vulnérabilité résiliençaire, le risque aménagé on sait que la question de l’inondabilité ne peut se résoudre par une logique verticale (chenaliser l’eau) mais bien par une logique horizontale (étaler la nappe d’eau). en camargue, la récurrence des évènements a permis de démontrer la dimension réelle et fonctionnelle du fleuve. Il n’y a pas seulement un lit mineur, contenu entre deux digues, mais bien un lit majeur, champ d’expansion des crues. c’est ainsi que différents acteurs, dont des habitants, partagent la conviction de créer des zones inondables par déversoir afin d’inonder en cas de crue plusieurs secteurs de camargue. certains parlent de contraintes relevant de la nature des lieux (Sfez & Cauquelin, op. Cit.) et vont jusqu’à évoquer des ajustements profonds tel que le recul stratégique ou le recul des habitations, voire souhaiter un sinistre positif, comptant sur la vulnérabilité résiliençaire2 qui réactiverait une mémoire du risque et une conscience des enjeux.

1 Le terme “culture“ définit « l’ensemble des usages, des coutumes […] qui définissent et distinguent un groupe, une société ; mais aussi l’ensemble des traditions […] de savoir-faire […] et l’ensemble des connaissances acquises dans un ou plusieurs domaines. » (Le Petit Larousse Illustré, Ed. 2005) 2 Vulnérabilité engendrant un cycle adaptatif visant une meilleure résilience.

300


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3. l’expérience et l’observation de sites références en camargue quelques

sites

camarguais

se

caractérisent par une mitigation paysagère et s’offrent ainsi comme références d’ajustement à plus grande échelle. il s’agit des Marais du Vigueirat, du site de beauduc et du Domaine de Marais du Vigueirat

la palissade. 3.1 le Domaine de la Palissade situé hors des digues qui isolent la

Cabanes de Beauduc

camargue des eaux du rhône et de la mer Domaine de la Palissade

carte 32 : localisation des sites du Vigueirat, de Beauduc et de la Palissade. réalisation Morisseau

et ainsi soumis aux crues du fleuve et aux invasions marines, le Domaine de la palissade (planche photographique 13) témoigne du fonctionnement originel de la basse camargue.

la confrontation violente et continuelle des éléments façonne un paysage de type lagunaire en constante mutation. en été, ces 700 ha du conservatoire du littoral se déclinent en une multitude d’unités et d’ambiances paysagères : des lieux désertiques, comme les fonds secs et salés des sansouïres, aux espaces les plus exubérants de végétation, comme les roselières

Planche photographique 13 : le Domaine de la Palissade et la diversité des ambiances paysagères. photos Morisseau, 2007

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CHAPITRE 7 - sEns ET légITImITé d’un CombAT ConTRE lA A mER

ou les bois de la ripisylve. les micro-reliefs caractérisant le Domaine sont constitués soit par le bourrelet alluvial, soit par des dunes fossiles, témoins d’anciens rivages côtiers. aussi, inondé en moyenne une fois par an, le Domaine de la palissade s’enfonce beaucoup moins que le reste de la camargue grâce à l’apport de sédiments. 3.2 les marais du Vigueirat par l’acquisition des marais du Vigueirat1 dans les années 1980, le conservatoire du Littoral mit en place un plan de gestion définissant 2 orientations : -

le respect du site et de son équilibre écologique (conserver les habitats, augmenter et maintenir la diversité biologique, renforcer l’aspect naturel du paysage) ;

-

la prise en compte des activités humaines au travers d’activités telles que l’ouverture au public, la recherche appliquée sur le fonctionnement des zones humides et leur gestion, l’intégration du site dans le tissu socio-économique local.

cette gestion favorise le retour à un fonctionnement proche des conditions naturelles initiales, en s’appuyant sur : -

la conformité avec le cycle climatique méditerranéen ;

-

l’utilisation du pâturage (taureaux et chevaux) pour l’entretien des milieux. l’emploi raisonné de ces deux outils de gestion influe sur les facteurs écologiques au profit du maintien de la diversité biologique du site.

3.3 les cabanes de Beauduc evoqué au cours du chapitre 5, le site des cabanes de beauduc est une autre référence car il illustre des processus d’ajustement aux dynamiques de ce secteur littoral et se caractérise notamment par sa réversibilité. La spécificité de l’organisation sociale du site témoigne aussi du processus d’ajustement. par leur processus d’ajustement et leur mitigation paysagère, ces trois sites ont fondé leur identité propre et sont devenus des sites touristiques emblématiques de la camargue.

a

insi, une perception virtuelle du changement climatique et une conscience variable de la vulnérabilité conjuguées à une forte adaptation sociétale freinent ou bloquent

temporairement le processus d’ajustement aux changements et aux dynamiques. cependant,

certains indices témoignent d’une ajustabilité et sont références d’ajustement : la culture ancienne du risque, la vulnérabilité résiliençaire et la mitigation paysagère de quelques sites pilotes.

1

http://www.marais-vigueirat.reserves-naturelles.org/

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p

ar l’entremise des ouvrages de protection, le combat mené contre la mer a démontré sa légitimité, qui doit être relativisée au regard des impacts sur les paysages littoraux

et les milieux associés. cet aspect remet en cause le sens de ce combat notamment au regard de la fragile durabilité des ouvrages de protection et des objectifs de gestion intégrée de la zone côtière de Camargue. Réfléchies au niveau local, sans l’appui d’une réflexion menée à l’échelle des paysages, du fonctionnement global du delta et des mutations futures, les stratégies aujourd’hui mises en œuvre ne répondent que partiellement aux principes de GiZc et participent à bloquer le processus d’ajustement aux changements et aux dynamiques en cours. il est primordial que la mise en place de la GiZc s’exprime par l’évolution des règles de gouvernance mais aussi par la prise de conscience des acteurs et de la population des perspectives d’évolution du système camarguais. quelques sites pilotes

(Vigueirat, palissade…) illustrent cette nouvelle gestion. Devenus lieux touristiques et emblématiques de camargue, ils sont les indices d’une ajustabilité plus globale aujourd’hui voilée par une trop forte adaptation et par une perception virtuelle des changements et de la vulnérabilité.

303



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l

a camargue ou l’incertitude d’un « fascinant mensonge »1…

territoire récent en constante évolution, la camargue porte les marques d’actions

vigoureuses de la mer et des crues du fleuve : avancée ponctuelle du rivage, recul ailleurs, divagation des bras du Rhône. L’influence conjuguée des eaux douces et des eaux salées sous un climat méditerranéen a façonné un milieu très contrasté auquel les hommes ont cherché à s’ajuster en mettant en œuvre des stratégies mobilistes (nomadisme) puis fixistes (ouvrages). l’isolement du delta par endiguement a obligé la mise en place d’aménagements hydrauliques pour rendre productif et attractif un milieu qui ne l’était pas. la grande île de camargue est progressivement devenue un champ clos, poldérisé, où la gestion hydraulique contrôle la dynamique des milieux et en modifie l’évolution. L’homme modifie aussi le paysage camarguais par ses modes d’exploitation du territoire. l’industrie salinière et la riziculture ont notamment contribué à produire milieux et paysages. Ces transformations ont participé à réduire les risques d’inondation et de submersion tout en produisant des paysages multifonctionnels qui caractérisent une mitigation paysagère particulièrement riche et complexe. La valeur écologique et paysagère produite par celle-ci fit émerger une société militante d’un romantisme naturaliste. constituée de sel et d’eau, la camargue en est également protégée et accentue du même coup la mitigation paysagère. Celle-ci conduit à artificialiser les milieux et engendre des conflits entre usagers, scientifiques et protecteurs de la nature dont les consensus entretiennent la prévisibilité des dynamiques écologiques et paysagères. en voulant démontrer une exemplarité en terme de gestion de milieux écologiquement riches, les acteurs, notamment les structures protectionnistes, s’inscrivent dans une attitude fixiste conservative, illusoire au regard de nombreuses mutations endogènes et exogènes. perçues au filtre des dynamiques paysagères actuelles, ces mutations constituent des germes de changement et donnent les grandes tendances d’une camargue autre mais continûment 1

brunel s., 2011, géographie amoureuse du monde, editions Jc lattès, 279p.

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multifonctionnelle. l’enjeu majeur est de conserver un potentiel d’ajustement stratégique continu face aux changements, notamment climatiques, remettant en cause le combat engagé contre la mer dont la durabilité et l’impact sur les paysages et les milieux doivent faire relativiser le sens et la légitimité. cependant, les stratégies actuellement mises en oeuvre ne répondent que partiellement aux ambitions de GiZc et bloquent le processus d’ajustement aux changements et à la crise littorale. Toutefois, si les rapports historiques et contemporains entre mobilité et fixité empêchent de reconnaître l’existence d’un état d’équilibre stable de l’anthroposystème camarguais, cet état de référence1 semblable à un paradis perdu qu’il conviendrait de recréer, de restaurer ou même d’atteindre, l’hydrosystème anthropisé dispose de références culturelles et géographiques mobilisables pour définir les nouvelles trajectoires de la camargue de demain… au risque de perdre ce que l’on a voulu maintenir… Des visions d’une autre Camargue ont été explorées et préfigurent pour certaines de nouveaux modèles de développement et d’ajustement. peuvent-elles initier un “renouvellement littoral“ susceptible d’assurer un avenir pérenne à l’écocomplexe deltaïque ?

1

Dit aussi « pristine »

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Mer coMbattue, Mer acceptĂŠe : un projet de paysages et ses problĂŠMatiques

partie

3

le renouvellement littoral, une solution pour la camargue?

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

e

n dépit d’un arsenal juridique complet1, le milieu littoral et marin reste un espace naturel fragile soumis à la pression anthropique. l’exemple camarguais montre qu’il

est nécessaire de revenir à une vision globale du système étudié, dans une perspective à long terme. la nécessité de la prospective s’inscrit dans une problématique territoriale dont les questionnements dépassent le « trait de côte » et la définition des « modes de gestion » de celui-ci : en tirant partie des spécificités spatiales et territoriales, quelles activités et paysages voulons-nous demain dans nos communes littorales ? cette question renvoie au paradigme « organisation et différenciation de l’espace » qui s’est substitué à celui de « relations homme-nature » (Brunet, 2004). la camargue est à la croisée de ces deux paradigmes et l’expérience de GiZc, défendue et souhaitée par le pnrc, se veut une étape décisive pour que les camarguais s’approprient un nouveau modèle de fonctionnement, de nouvelles façons de penser l’aménagement de leur territoire, et l’acceptation parfois de ne pas avoir systématiquement recours à l’endiguement. Il s’agit alors de s’appuyer sur la planification pour réorganiser les paysages et leur affecter leurs meilleures valeurs d’usage (et définir leurs critères de protection). la proximité de la mer, et son accessibilité, doivent devenir un critère essentiel sinon discriminant pour la localisation de certaines activités sociétales et des écosystèmes. les projets de territoire doivent également être élaborés à l’échelle élargie aux arrière-pays en s’appuyant sur leurs identités et leurs modes de fonctionnement propres (rey-Valette et al., 2006). c’est en ces termes que pourraient naître de nouveaux modèles de développement et d’ajustement préfigurant un “renouvellement littoral“. en effet, à l’instar du renouvellement urbain qui a pour vocation de reconstruire la ville sur elle-même afin de résorber des dysfonctionnements sociaux, économiques, urbanistiques, paysagers, architecturaux tout 1 Directive territoriale d’aménagement (Dta), schéma de Mise en Valeur de la Mer (sMVM), plan local d’urbanisme (plu), Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (Zppaup), plan de prévention des risques d’inondation (ppri), schéma Directeur d’aménagement et de Gestion des eaux (sDaGe)...

311


en expérimentant de nouveaux dispositifs (résidentialisation, gestion alternative des eaux pluviales, gestion différenciée, agriculture de proximité, etc.), la notion de renouvellement littoral doit pouvoir proposer une recomposition de l’espace littoral. ainsi, à partir des stratégies d’orientation du pnrc et d’études prospectives, nous analyserons les perspectives et les trajectoires possibles du système camarguais à courtmoyen terme. puis, en se rapprochant d’autres expériences prospectives (notamment celles de la Datar), nous bâtirons nos propres scénarios en les sous-tendant par le paysage dans un contexte de changement climatique et nous en servirons pour traiter de la question du renouvellement littoral et de sa mise en œuvre. en outre, dans le contexte actuel et futur, il conviendra de déterminer ce que peut apporter le renouvellement littoral à la camargue.

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8 Insuffisance des cHapitre

perspectives d’ajustement

«

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tache est peut-être plus grande. elle consiste à empêcher que le monde se défasse.

»

albert camus, Discours de suède1 1957

1 ce discours a été prononcé le 10 décembre 1957, à l’Hôtel de Ville de stockholm, en clôture des cérémonies de l’attribution des prix nobel.

315



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D

ans le contexte actuel, empli d’incertitudes, de doutes mais aussi d’indices fiables témoignant de changements en cours, les acteurs camarguais usent d’outils de

projection afin d’anticiper l’avenir de leur territoire. Le contrat de delta et la charte du pnrc, “programme-outils“ construits à partir de démarches participatives collectives, proposent des photographies de la camargue à court-moyen terme ou, autrement dit,

définissent les cadres de la Camargue 2015 et de la Camargue 2022. Les axes phares de ces visions et leurs traductions paysagères, géographiques, sociales, etc., permettront-ils de construire une camargue nouvelle qui réponde aux enjeux futurs ?

a. le contrat de delta, la Camargue 2015 i. Rappel des objectifs relancé en 2009, le contrat de delta (carte 33) est un outil de gestion concerté des eaux et des milieux aquatiques. son programme est doté de projets et d’actions ambitieux qui répondent aux exigences du sDaGe1 bassin rhône-Méditerranée tout en mettant en œuvre ses grandes orientations. cet outil doit aussi permettre de répondre à deux enjeux de niveau européen : -

la qualité écologique et chimique des eaux d’ici 2015 (échéance reprise par la directive cadre sur l’eau du 23 octobre 2000) ;

-

1

la préservation de la biodiversité et des activités humaines.

schéma Directeur d’aménagement et de Gestion des eaux.

317


CHAPITRE 8 - InsuffIsAnCE dEs PERsPECTIvEs d’AjusTEmEnT

carte 33 : contrat de delta camargue (2002). réalisation pnrc. source pnrc. 318


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ii. les mesures phares le programme d’actions comprend plus de 80 mesures, parmi lesquelles on citera : -

le renouvellement des pratiques culturales par la mise en œuvre d’un système de “semis à sec enterré“, déjà utilisé en Camargue par de grands propriétaires rizicoles, qui réduit de moitié l’utilisation de l’eau et des pesticides ; la mise en eau s’effectue à une période où le riz est assez grand pour supporter la concurrence des plantes adventices ;

-

une nouvelle gestion hydraulique des salins (rachetés par le conservatoire du Littoral) en faveur de la biodiversité. Des études doivent définir les orientations de cette gestion garantissant des échanges hydrobiologiques jusqu’à la mer, favorisant le rôle de frayère des étangs ;

-

l’expérimentation d’une chasse pilote raisonnée (au droit des Grandes-cabanes-duVaccarès) ;

-

la réhabilitation du littoral de piémenson ;

-

la création d’une réserve marine protégée dans le golf de beauduc. ces mesures traduisent l’émergence d’une camargue soucieuse du maintien

et localement du rétablissement de son équilibre ; elles témoignent d’une intelligence collective des consensus à maintenir, améliorer ou construire sur un territoire partagé. cependant, elles ne produisent qu’une vision à très court terme de ce territoire.

e

n intégrant les orientations fondamentales et expérimentales d’une gestion raisonnée de la ressource en eau, le contrat de delta initie des ambitions plus globales et

transversales inscrites dans la charte du pnrc. ce document propose une vision de la Camargue à une douzaine d’années.

319


CHAPITRE 8 - InsuffIsAnCE dEs PERsPECTIvEs d’AjusTEmEnT

B. la charte du Parc naturel Régional, la Camargue 2022

r

enouvelée en 2010 pour 12 ans, la charte du parc naturel régional de camargue (pnrc) entend créer les conditions d’un développement social et humain exemplaire

qui ne se fasse pas au détriment des ressources naturelles. elle tente d’affranchir la Camargue du risque de muséification et d’une recherche éperdue de l’équilibre stable et idéal. elle expose les nouveaux échanges et les ouvertures par lesquels la camargue dite “insulaire“ pourra garantir son originalité : ouverture sur le bassin du rhône à travers le plan rhône et la gestion du risque d’inondation, ouverture sur le milieu marin qui impose une gestion renouvelée de la zone côtière, dépassement de l’insularité du PNRC et nécessité écologique de son élargissement à l’ensemble du système delta, entre plan du bourg et camargue gardoise, et ouverture aux stratégies d’adaptation aux variabilités naturelles, notamment imposées par le changement climatique. Cette charte est le fruit d’une réflexion systémique imposée par les pollutions de l’eau et de l’air (apportées par le Rhône et les vents d’est), par le déficit sédimentaire du fleuve et la hausse eustatique, par l’emprise croissante des réseaux de transports et les inéluctables risques de saturation de l’espace… elle entend initier de nouvelles possibilités de développement garantissant une vie sociale et économique compatible avec la préservation des écosystèmes, à l’instar du projet de reconversion de salin-de-Giraud. quelle vision et quelle photographie de la camargue la charte propose-t-elle d’ici à 2022 ?

i. les ambitions générales la charte exprime des choix de positionnement illustrés à travers quatre grandes ambitions, exposées ci-après, qui visent à répondre aux exigences environnementales et écologiques, à l’évolution des activités et de la biodiversité, au cadre de vie des habitants et à la coopération méditerranéenne.

1. Gérer le complexe deltaïque en intégrant les impacts du changement climatique Comme les effets du changement climatique modifient ou accentuent la variabilité spatio-temporelle de l’eau, sa qualité et sa quantité, c’est toute la dynamique de la camargue, dans ses dimensions paysagère, économique et sociale que la charte souhaite aborder. De nouvelles orientations de gestion sont donc nécessaires pour accompagner une évolution des processus hydrologiques et écologiques afin de maintenir les usages et d’adapter les pratiques du territoire, dans une perspective de gestion des risques d’inondation et de submersion. les enjeux et les objectifs principaux sont de : -

protéger les biens et les personnes en mettant en place des outils de contrôle des

320


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

niveaux d’eau du système ; -

conserver les milieux emblématiques, la flore et la faune des zones de protection centrales par le respect de leurs capacités d’adaptation ;

-

maintenir et intégrer des usages évolutifs (agriculture, pêche, conservation, etc.).

cette première ambition fait de l’eau, élément fondamental, le facteur de pérennité de la relation homme-nature dans le delta du rhône.

2. Orienter les évolutions des activités au bénéfice de la biodiversité la protection du patrimoine naturel camarguais repose sur la conscience collective des habitants, des exploitants, des touristes…, de la valeur exceptionnelle de cette zone humide. les enjeux et les objectifs principaux sont : -

conserver les espaces naturels remarquables et leurs interconnexions (création de réserves nationales, régionales et marines, d’espaces boisés classés, acquisitions foncières, etc.) ;

-

restaurer les milieux naturels et les corridors écologiques dégradés (replantation des dunes littorales, requalification des salins désaffectés, plantation de haies vives le long des canaux etc.) ;

-

conserver les habitats et les espèces prioritaires d’intérêt communautaire (dont la cistude d’europe, le Grand rhinolophe, le Flamant rose…) ;

-

gérer les espèces envahissantes (y compris la coordination des luttes antimoustiques) ;

-

pérenniser les activités favorables à la biodiversité (élevage extensif, exploitation des roselières, chasse durable, pêche responsable, etc.) ;

-

améliorer les pratiques agricoles et promouvoir des pratiques culturales plus favorables à l’environnement ;

-

développer un tourisme durable et faire respecter les espaces naturels sensibles.

la deuxième ambition est de renforcer le niveau de conscience de la valeur du territoire pour que l’orientation et le développement des activités prennent en compte la protection du patrimoine biologique et écologique.

3. Renforcer la solidarité territoriale, la cohésion sociale et améliorer le cadre de vie l’identité paysagère du territoire, le patrimoine bâti, les traditions vivantes, la conscience des risques naturels participent à construire un cadre de vie (désiré ou subi). les enjeux et les objectifs principaux sont : -

promouvoir la diversité culturelle ;

-

renforcer la participation des habitants à la gouvernance du parc ;

-

renforcer la qualité paysagère et le cadre de vie (accompagner notamment la reconversion du site des salins de Giraud en un projet de développement exemplaire). 321


CHAPITRE 8 - InsuffIsAnCE dEs PERsPECTIvEs d’AjusTEmEnT

-

la troisième ambition est ainsi de dynamiser l’action et l’animation du bien culturel collectif.

4. Partager la connaissance méditerranéennes

et

ouvrir

sur

les

coopérations

Enfin, la Camargue se veut être un « territoire expert », une référence en matière d’adaptation au changement climatique, de gestion des risques, de gouvernance et de gestion participative (pnrc, 2009a). les enjeux et les objectifs principaux sont de faire de l’observatoire de camargue l’outil de référence du delta et d’améliorer la cohérence des politiques publiques à l’échelle du delta biogéographique. cette quatrième ambition de la nouvelle charte est d’impulser une dynamique d’ouverture aux territoires voisins du delta du rhône1 et vers les territoires méditerranéens2, voire plus lointains, qui possèdent de grandes zones humides3. signes d’une compréhension des dynamiques en cours et de leurs enjeux, ces quatre grandes ambitions sont totalement louables. Mais les traductions spatiales, territoriales et paysagères préconisées sont-elles à la hauteur des enjeux et des potentialités de la camargue ?

ii. traductions spatiales, territoriales et paysagères pour répondre à ces grandes ambitions, la charte s’appuie sur un programme d’actions cartographiées selon un schéma directeur (appelé plan de parc), qui propose une photographie de la camargue en 2022 (carte 34). Vers quelle camargue le territoire va-t-il évoluer ?

1 a l’instar des salins du caban (port-saint-louis-du-rhône), du canal st antoine mais aussi des institutions comme le syndicat Mixte de la camargue gardoise, les communautés d’agglomération (arles crau camargue Montagnette, agglopole provence, ouest de l’etang de berre, s.a.n. ouest provence, nîmes Métropole) et les pays connexes (pays Garrigues et costières de nîmes, pays autour de la petite camargue, pays d’arles). 2 lido de sète à Marseillan (France), Delta de l’ebre (espagne) par exemple. 3 parc national de Doñana (espagne), Delta du pô (italie), Delta du Mississipi (usa) par exemple.

322


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

carte 34 : schéma directeur du Parc naturel Régional de camargue (2009). source et réalisation pnrc.

323


CHAPITRE 8 - InsuffIsAnCE dEs PERsPECTIvEs d’AjusTEmEnT

1. Gestion de l’eau et des risques associés : la reconnaissance des espaces d’interface et des interconnexions l’objectif est de réintégrer les dynamiques deltaïques du rhône et du littoral et les risques d’inondation et de submersion dans l’aménagement et la gestion du territoire. 1.1 Vers un nouveau profil côtier les vocations des espaces littoraux camarguais sont nombreuses : coupure verte d’urbanisation entre les aménagements balnéaires du Languedoc-Roussillon et la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, zone d’expérimentation pour un tourisme côtier durable et modéré, site témoin du changement climatique et d’expérimentation de stratégies d’adaptations à ses effets, interface de prise en compte du risque de submersion et espace d’échanges entre mer et lagunes. Face aux dynamiques d’érosion en cours en dépit des ouvrages, la charte reconnaît inéluctable le recul du littoral et entend appliquer les principes de la GiZc1, qui distinguent les enjeux humains, économiques et environnementaux. trois stratégies seront développées selon les secteurs : -

la défense lourde sera localisée au droit de l’embouchure du petit rhône, des saintes-Maries-de-la-Mer sur un linéaire2 de 5 km (du Grand radeau au pertuis de la Fourcade) ;

-

le maintien ou la restauration du fonctionnement naturel sera privilégié dans les zones stables ou en accrétion à faibles enjeux socio-économiques sur un linéaire total de 44 km en deux secteurs : du pertuis de la Fourcade à la pointe de beauduc (comprenant la plage est des saintes-Maries, la plage de la réserve naturelle et la plage de Beauduc), et de la plage de Piémanson à la flèche de la Gracieuse ;

-

le repli stratégique est préconisé dans les secteurs affectés par l’érosion et/ou la submersion pour lesquels des enjeux forts et peu nombreux sont déplaçables à l’instar du littoral de la camargue saintoise (du rhône Vif au Grand radeau) et de la pointe de beauduc au Grau de la Dent. la charte prévoit de privilégier sur le littoral des activités d’aquaculture à caractère

extensif, de tourisme et de loisirs raisonnés. elle proscrit le développement de champs photovoltaïques mais rend possible l’installation d’équipements micro éoliens (< 24 m de hauteur) en site isolé. en dehors de l’aquaculture, peu d’usages nouveaux tirant notamment partie du recul stratégique, sont proposés. 1 ces principes sont : aborder le système littoral global et dans ses dimensions longitudinale et transversale, admettre l’évolution du rivage (accepter autant le recul par érosion que le gain par engraissement sédimentaire) et préserver un espace de liberté à la mer pour le maintien d’un équilibre naturel, privilégier les moyens de défense préventifs et les techniques de protection évolutives et réversibles du littoral et combiner entre elles les différentes techniques de protection de la côte, tester en Camargue de nouvelles techniques de maintien du rivage de façon expérimentale et sur des zones test, réduire la vulnérabilité des zones littorales face au risques de submersion pour continuer à privilégier la sécurité des biens et des personnes et ne pas créer de nouveaux enjeux dans les zones à risques. 2 Linéaire qui entend donner une garantie suffisante afin d’éviter la construction d’un contournement de la ville.

324


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

1.2 un usage assoupli des digues la prise en compte de la dimension deltaïque et du rôle d’interface bassin rhodanienmer du delta a été formalisée par des volets du plan rhône (culture rhodanienne, inondation, qualité et biodiversité, énergie, transport, tourisme) et repris dans la charte du pnrc. si les digues1 du delta conditionnent le maintien des activités dans le delta, la charte et le plan rhône encouragent la stratégie de réduction de la vulnérabilité. Dans le cadre du volet inondation, deux grandes orientations d’aménagement ont été retenues : -

éloigner, par une opération de décorsetage (limitée à certains tronçons), les digues trop proches du lit mineur et trop sollicitées en période de crue ;

-

renforcer la protection par la restauration des digues et la mise en place de digues résistantes à la surverse (création de déversoir). il est à noter que la carte associée à la charte n’intègre pas les données de la carte

des travaux du symadrem (cf. chapitre 6), bien qu’elles soient fondamentales dans la gestion spatiale et foncière et qu’une attention particulière puisse être portée aux espaces de liberté créés par le décorsetage. la charte encourage les acquisitions foncières (par le sYMaDreM, le conservatoire du littoral, le conseil Général) sur les espaces les plus vulnérables aux risques d’inondation en fonction des vocations des terrains et des enjeux hydrauliques ou écologiques. par ailleurs, dans le respect de la doctrine plan rhône et des PPRI, le Parc entend participer, avec les communes et l’Etat, à la définition de zones d’urbanisation future au sein de périmètres urbains existants, qui pourraient faire l’objet d’une démarche expérimentale d’urbanisme adapté au caractère inondable de ces secteurs. Enfin, à ces préconisations s’ajoute celle d’une restauration de la trame bleue par le renforcement de connexions hydrobiologiques Rhône/delta/mer afin de maintenir et d’accroître les échanges, et d’augmenter la capacité d’évacuation des eaux en cas de crue (notamment au droit des graus2).

2. entre conservation et reconversion 2.1 Préservation et valorisation de sites remarquables un autre objectif de la charte est de protéger les espaces naturels, de préserver les continuités éco-logiques des trames verte et bleue et notamment des zones de reconstitution de l’espace rivulaire et des ripisylves tout au long des deux bras du rhône, mais aussi des zones de protection prioritaire, à l’instar des Réserves naturelles, des marais du Vigueirat3 et du domaine de la Palissade. S’ajoutent d’autres zones humides majeures situées en périphérie de ces espaces naturels protégés. ce sont des marais, des sansouïres et des 1 les acteurs de la charte ont reconnu que les digues créaient une rupture physique, paysagère, écologique et culturelle entre le territoire et son fleuve et qu’elles devaient être intégrées à un processus de réappropriation et de redécouverte du rhône et plus largement du delta. 2 un grau (« estuaire » ou « chenal » en occitan, du latin « gradus » signifiant « passage ») marque la communication entre les eaux de la mer et les eaux intérieures. un grau s’ouvre au point le plus faible du cordon littoral, à l’occasion d’une crue ou d’une tempête (source : Wikipedia). les graus sont souvent mobiles. 3 projet de réserve naturelle nationale.

325


CHAPITRE 8 - InsuffIsAnCE dEs PERsPECTIvEs d’AjusTEmEnT

mares temporaires constituant un ensemble de grande valeur biologique que la charte vise à maintenir dans un bon état de conservation au même titre que les massifs forestiers et ensembles boisés (pnrc, 2009b). tous ces espaces, qui représentent plus de la moitié de la camargue (carte 35), ont en commun leur vocation de protection et de gestion conservatoire des milieux naturels, de recherche scientifique, de corridors biologiques, de maintien de la biodiversité… En termes d’usages face à ces enjeux de préservation, la charte, très peu permissive, s’attache principalement à encadrer les activités déjà pratiquées.

carte 35 : sites remarquables de camargue. réalisation pnrc. source charte du parc, 2009

2.2 Reconversion de zones agricoles et salicoles La charte zone les espaces agricoles distinguant, entre conservation et reconversion, ceux d’intérêt paysager majeur1, à vocation agricole dominante2, à potentiel écologique ou encore les milieux salicoles d’intérêts paysager majeur. si les vocations d’usage des deux premières zones s’inscrivent dans la continuité de l’existant, les deux autres proposent d’autres perspectives. Les zones agricoles à potentiel écologique font référence à des terrains ou espaces en devenir (friches anciennes) et à des ensembles d’habitats naturels de petites surfaces organisés en mosaïque avec l’espace cultivé. les friches anciennes3 sont des milieux 1 Zones d’interface entre zones humides majeures et zones à vocation agricole dominante, on y trouve des activités agricoles extensives, élevage et exploitation des roselières. 2 situées en haute et moyenne camargue, elles abritent des productions agricoles variées (céréales, fruits, légumes, vigne, élevage…). 3 situées en lisière des ensembles de marais en périphérie de l’étang du Vaccarès (Grand-Mar, sigoulette), en lisière des zones humides relictuelles de tête de Camargue (marais de Julian et du Grenouillet), en interface avec les milieux naturels situés au nord de salin-de-Giraud (Marquises, Vedeau), à proximité des marais du Vigueirat et sur les bourrelets alluviaux du Grand et du petit rhône.

326


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

abandonnés par l’agriculture intensive depuis plusieurs années dont l’évolution conduit à un espace naturel ou à des terrains voués à l’élevage extensif, à l’activité cynégétique, à l’exploitation des roselières, à l’aquaculture et à l’agrotourisme. les constructions nouvelles seront limitées par les plu et les ppri aux bâtiments liés à l’exploitation agricole implantés dans le périmètre du bâti des hameaux ou à proximité directe des mas existants. De la même manière, par la restructuration du salin de Giraud, les milieux salicoles dit « à potentiel écologique » offrent, pour les terrains sortis du circuit de production du sel, des opportunités de retour à un espace naturel, d’aquaculture ou encore d’hébergement (la possibilité de constructions nouvelles se limitant uniquement aux bâtiments liés à l’exploitation du sel ou à l’aquaculture). aussi, les champs photovoltaïques peuvent éventuellement être envisagés dans ces secteurs de friches et sur des milieux stériles.

3. maitrise et développement d’un habitat de faible densité : un terrain d’expérimentations 3.1 Extension et densification des polarités urbaines la charte vise à permettre une évolution urbaine qui limitera l’étalement urbain en densifiant les tissus existants, en compatibilité avec la doctrine du Plan Rhône et les PPRI (réduction de la vulnérabilité face au risque d’inondation) et dans un souci de qualité de traitement et de rationalisation de l’espace public. ainsi, aux saintes-Maries-de-la-Mer et à salin-de-Giraud, principaux centres urbains, d’activités et de vie, les aménagements et les constructions tiendront compte des préconisations de la charte paysagère et d’urbanisme1 (étude lancée en 2012) en cours d’élaboration par le PNRC afin d’encadrer et de définir les évolutions urbaines. la charte du parc (2009) précise que les trames agricoles d’origine seront conservées pour lotir, que les lotissements devront constituer de véritables projets urbains et non de simples découpages fonciers, et que les extensions urbaines, en lien avec le bâti existant, ne devront pas rejoindre les mas afin de conserver la lecture de ces entités paysagères caractéristiques. l’histoire et le contexte industriel de salin-de-Giraud en font un cas particulier défini dans la charte comme « site de revitalisation économique et de développement touristique potentiel » et dont la reconversion se veut exemplaire en mettant en œuvre : -

le concept de densité urbaine ;

-

la prise en compte (en amont du projet) de l’efficacité énergétique et de l’accès aux énergies renouvelables collectives ;

-

la conservation de l’identité paysagère du village par la préservation de ses trames structurantes (hydraulique et végétale) et notamment ses jardins ouvriers ;

1 elle constituera un volet détaillé de la charte globale et portera sur les structures paysagères à préserver, les éléments identitaires à valoriser, les formes d’organisation à privilégier dans l’évolution urbaine et déclinera les grands principes de qualité et d’identité du bâti individuel et des extensions urbaines.

327


CHAPITRE 8 - InsuffIsAnCE dEs PERsPECTIvEs d’AjusTEmEnT

-

une recherche d’éco efficience maximale1 ;

-

des flux de transit compatibles avec les infrastructures de transports existants ;

-

une continuité et une qualité de cheminements doux inter, intra et extra quartiers. rassemblant ces enjeux, la charte recommande une expérimentation architecturale

face au risque d’inondation2en secteur déjà construit (ou constructible) et proche du rhône et de la mer, à l’instar de salin-de-Giraud et de port-saint-louis-du-rhône. si un niveau refuge est exigé pour toute nouvelle construction, d’autres typologies architecturales adaptées aux aléas sont citées, comme les maisons sur pilotis ou les maisons flottantes. Des opérations pilotes3 sont préconisées à l’échelle de quartier ou de lotissement. 3.2 confortement des hameaux Dans le même esprit que pour les centres urbains (doctrine plan rhône et ppri, qualité d’espaces publics…), la charte indique que le développement des hameaux devra se faire à l’intérieur du périmètre du tissu existant et devra proposer des services de proximité afin d’en renforcer la centralité. Huit hameaux4 sont bien identifiés et participent à pérenniser des noyaux de vie structurant le territoire et les paysages camarguais. en revanche, quatre hameaux5 « de très faible densité » (regroupant chacun quelques dizaines de familles) n’ont pas vocation à se développer. sans dynamique de développement, ils sont structurés autour d’un bâti dont l’histoire est liée à l’activité agricole. Enfin, au titre des « zones pilotes d’intégration de l’habitat », deux sites ont été retenus pour des opérations expérimentales de type « éco hameau » : le hameau des sablons regroupant les cabanes de beauduc et le hameau de Faraman au nord de salin-deGiraud. l’objectif n’est pas d’augmenter leur capacité d’accueil mais de les réhabiliter en terme de salubrité, de sécurité, d’énergie, d’accessibilité ou encore de circulation interne. En les requalifiant en « éco hameau », la charte semble légitimer les cabanes de Beauduc longtemps décriée et “ hors la loi “ ; signe d’une évolution dans la perception de cette typologie bâtie (décrite et analysée dans le chapitre 5) ?

4. camargue 2022 : un consensus pour une camargue devenue trop sage ? en dépit de la mise en œuvre de démarches innovantes, les applications proposées pour la camargue de 2022 ne semblent pas à la hauteur du programme exprimé par les quatre ambitions majeures. Si des stratégies nouvelles comme le repli « stratégique » ou le décorsetage ponctuel du rhône sont plébiscitées, la charte ne mentionne pas la conduite 1 pour une réduction de la production des déchets et des rejets polluants. 2 Mais pas de submersion (ce qui explique certainement pourquoi les saintes-Maries-de-la-Mer ne sont pas concernées par cette mesure). 3 aussi appelées dans la charte du pnrc : « zones pilotes d’intégration de l’habitat » 4 cabanes de cambon, pioch-badet et astouin (commune des saintes-Maries-de-la-Mer), albaron, Gagron, saliers et le sambuc (commune d’arles – rive droite du Grand rhône) et Mas thibert (commune d’arles – rive gauche du Grand rhône). 5 pin Fourcat et Méjanes (commune des saintes-Maries-de-la-Mer), le paty-de-la-trinité et Villeneuve (commune d’arles).

328


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

d’une réflexion plus approfondie (réactive comme proactive) sur le renouvellement des pratiques agricoles (comme la conversion de la céréaliculture en maraîchage par exemple) et littorales1. par ailleurs, elle n’évoque pas la délocalisation éventuelle (et ponctuelle) d’enjeux bâtis qui seraient soumis aux risques d’inondation ou de submersion ; au contraire, malgré une constructibilité réduite aux périmètres existants, elle n’interdit pas le développement d’enjeux en zones inondables ou submersibles. Si la charte préconise de conforter les hameaux isolés (par densification, services de proximité, etc.), elle ne le fait pas en cohérence avec sa première ambition2, celle qui imposerait de réfléchir en terme de délocalisation d’enjeux (notamment aux saintes-Maries) vers certains hameaux plus septentrionaux. en outre, aucun développement n’est préconisé pour les hameaux de faible densité : une volonté de préservation certes, mais ces polarités ne représentent-elles pas justement des accroches potentielles à une relocalisation d’enjeux bâtis consécutives d’une politique de repli stratégique d’enjeux bâtis ? en recourant principalement à la préservation et au confortement d’activités et d’usages existants, la camargue 2022 s’inscrit davantage dans le maintien, certes exemplaire, des milieux et de leurs paysages associés, que dans la construction de nouveaux paysages. Mais c’est oublier que la camargue est un territoire qui a régulièrement (ré) inventé ses paysages et ses cultures (sociétales) par l’innovation et l’expérimentation3 et parfois même par le conflit4. expérimenter une conservation exemplaire peut, pour la douzaine d’années à venir, être une réponse pertinente dans le contexte géographique du littoral méditerranéen (coupure verte, interface interrégional…) mais pas forcément dans le contexte temporel qui impose une préparation au(x) changement(s) par une prise en compte de l’évolution des paysages. seulement, le paysage est, dans la charte, pris en compte comme un élément parmi d’autres, réduit au vocable d’ « aspects paysagers » et ne véhicule aucune vision phare et motrice qui définirait un projet de territoire… ce qu’un plan de paysage permettrait en l’occurrence. En mai 2012 a été lancée une mission afin de réaliser une charte plus spécifique, la Charte de Paysage du Parc. Celle-ci a pour but de « traiter les points noirs paysagers », confirmant là encore une perception réductrice de la notion.

a

vouloir devenir exemplaire et consensuelle, la camargue risque de perdre les audaces qui ont fait sa renommée et son originalité et de finir par refuser l’innovation de peur de s’écarter

de ses objectifs de conservation. si quelques cadres (relatifs aux stratégies de gestion littorale et fluviale) ont été rompus, les acteurs locaux ne semblent pas s’inscrire dans la conception d’une camargue nouvellement surprenante ; une attitude sage, signe d’une incertitude des changements encore très forte conjuguée à une perspective temporelle trop courte ?

1 2 3 nement. 4

a l’exception de l’aquaculture extensive mais sans pour autant établir un lien avec le repli stratégique. ambition 1 : Gérer le complexe deltaïque en intégrant les impacts du changement climatique. les parcs naturels régionaux étant considérés comme des territoires d’expérimentation par le code de l’environCréation de la Réserve naturelle consécutive au conflit opposant agriculteurs et saliniers (notamment).

329


CHAPITRE 8 - InsuffIsAnCE dEs PERsPECTIvEs d’AjusTEmEnT

l

e contrat de delta et la charte du pnrc expriment des visions de la camargue respectivement à court (2015) et moyen-terme (2022) qui intégrent des propositions

pertinentes en faveur du maintien ou du rétablissement d’une qualité biologique, écologique, paysagère, etc. mettant en œuvre localement des stratégies nouvelles de gestion littorale et fluviale et intégrant le changement climatique ; lequel est évoqué surtout sous l’angle de la hausse eustatique dont les effets ne sont que contraignants, sans aucune perspective de valeur ajoutée (si ce n’est celle de développer des stratégies de protection littorales et fluviales plus souples). esquissant une volonté d’exemplarité de gestion et de préservation, pertinente géographiquement mais insuffisante temporellement, ces deux programmeoutils amorcent l’écriture d’une camargue de l’expérimentation de la conservation et beaucoup moins de l’ajustement à certains changements, notamment climatiques ; un écueil du mirage de l’équilibre mobiliste et probablement une gageure. ainsi, la camargue 2022 ignore d’importants changements par rapport à la camargue actuelle et l’on peut regretter l’émergence d’une camargue consensuelle dont la sagesse rompt avec un passé atypique, parfois hors norme, qui fut créateur de paysages. alors que la charte n’apparaît que comme un encadrement de pratiques en limitant leurs effets et leurs impacts, la camargue exigerait, elle, un programme de développement stratégique à long terme (ce qu’un plan de paysage permettrait) soulevant des hypothèses et explorant un champ élargi de possibles. Des expériences de géoprospective* ont été menées dans ce sens…

330




Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

cHapitre

9

Des expériences de géoprospective

«

pas une carte au monde n’est digne d’un regard si le pays de l’Utopie n’y figure pas. oscar Wilde

»

333



Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

e

n quelques années, différents exercices prospectifs ont été conduits sur la camargue… signe probable d’une incertitude inquiétante. rassemblant de nombreux acteurs

locaux, ils ont fait émerger des visions à long terme du territoire et de la société camarguaise, fondées sur les tendances actuelles ou en rupture avec l’existant, et ont permis d’en déduire des choix de développement et de gestion stratégique. après avoir présenté et analysé une première approche mettant en œuvre des scénarios de développement du territoire selon des thématiques spécifiques, nous observerons d’autres expériences qui placent le changement climatique au cœur de la réflexion. Les nombreux scénarios proposés par toutes ces expériences, permettent-ils de dégager des orientations paysagères en relation avec les tendances et la gouvernance actuellement observées en camargue et de concevoir une matrice paysagère ouvrant à d’autres scénarios ?

a. Des scénarios de développement thématiques et dynamiques

p

réalablement à la rédaction de la nouvelle charte du pnrc, un exercice de prospective réunissant plus de 70 participants avait permis de développer une approche

complémentaire de la concertation pour confronter les attentes des acteurs et passer d’une « Camargue désirée à des Camargue possibles » (Edater, 2008). La construction de cinq scénarios « au fil de l’eau » ou tendanciels avait ainsi conduit au sixième scénario, “camargue 2022“, celui de la charte analysée dans le chapitre précédent. a partir de thèmes porteurs de changements et initiateurs de dynamiques (le tourisme, le transport, l’agriculture, l’énergie ou encore le changement climatique), quels sont les futurs possibles et ceux pour lesquels les participants se sont dits favorables ou non et pourquoi ?

335


CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

I. L’intensification de l’activité touristique et de la pression urbaine

carte 36 : scénario 1 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du PnRc. réalisation edater. source pnrc

1. entre pression démographique et dispersion résidentielle le premier scénario (carte 36) illustre une dispersion résidentielle sur le territoire camarguais, sous la pression démographique, économique et socio-culturelle des grandes métropoles proches (Marseille, Montpellier, avignon, nîmes), accentuée par la reconversion touristique et immobilière du site des salins du midi (avec complexe touristique et loisirs nautiques), par le développement du tourisme littoral et balnéaire (sur les plages de beauduc, piémanson et napoléon) et par l’extension des quartiers urbains et périurbains d’arles, de saintes-Maries-de-la-Mer et de port-saint-louis-du-rhône ainsi que de certains hameaux (salin-de-Giraud, sambuc, Mas thibert…). cette dynamique engendre une pression foncière forte et une spéculation sur l’économie touristique (avec un développement du tourisme périurbain), créatrice de nombreux emplois, d’où croissance démographique et intensification des conflits d’usage, notamment en zones littorales et en zones humides. Enfin, selon ce scénario la mise en scène, voire la caricature paysagère et la théâtralisation, de la nature sont encouragées.

2. un scénario crédible jugé défavorable cette vision s’appuie sur un tourisme perçu comme essentiel pour pérenniser économiquement le territoire, à la condition de maîtriser son développement (maitrise du foncier, conservation du fonctionnement deltaïque, des zones inondables et de la culture camarguaise) et ses typologies (privilégier le tourisme de nature, non récréatif).

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

ainsi, si le développement économique proposé par ce scénario a été jugé favorable par les participants, hautement crédible au regard des tendances actuelles (pression urbaine, développement du port autonome de Marseille) et déjà engagé, ce futur possible est jugé défavorable pour ses impacts sur l’environnement et le paysage.

ii. un territoire de transit

carte 37 : scénario 2 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du PnRc. réalisation edater. source pnrc

1. Accroissement des flux de circulation Le deuxième scénario (carte 37) est établi sur la croissance des flux1 de circulation (voyageurs et marchands, routiers et fluviaux) localement caractérisés par le projet autoroutier est-ouest, par la création d’un axe pénétrant à partir du contournement sud d’arles, par le développement industrialo portuaire de port autonome de Marseille et des liaisons avec lyon ou encore par le projet de pont du barcarin. toutes ces connexions engendrent d’importantes emprises foncières, un cloisonnement de l’espace et de multiples dégradations et pollutions (biologiques, écologiques, sonores, paysagères2…) liées à l’intensification du trafic routier.

1 locaux, régionaux, interrégionaux et transnationaux. 2 perte de sens des grandes unités et sous-unités paysagères par l’introduction de motifs paysagers exogènes en accompagnement des axes routiers (plantations d’alignement, massifs arbustifs horticoles…).

337


CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

2. un scénario défavorable mais fort plausible En raison de fortes contingences extérieures, ce scénario est difficilement maîtrisable par les acteurs camarguais. leurs seuls outils sont l’anticipation des projets, l’incitation à une régulation des flux de transit (maîtrise des entrées et sorties) et le maintien d’un statut de protection suffisant. Par ailleurs, si le projet du Pont de Barcarin ne fait pas l’unanimité, ce scénario en fait un enjeu d’entrée qualitative dans une « Camargue, territoire de projets de développement durable ». compte tenu des mutations externes en cours (réalité du projet de contournement autoroutier, Fos 2Xl…), ce scénario est, pour certains acteurs, en l’absence de ferroutage ou de transport fluvial possibles, hautement plausible à moyen terme mais jugé défavorable (sauf pour les équipements et les infrastructures bénéficiant spécifiquement aux camarguais).

iii. l’augmentation de la pression agricole

carte 38 : scénario 3 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du PnRc. réalisation edater. source pnrc

1. entre progrès et concurrence mondiale le troisième scénario (carte 38) s’inscrit dans un contexte de forte demande internationale en céréales associé à une hausse des prix mondiaux et localement accentué par des aides publiques favorables à l’extension agricole, par des aménagements hydrauliques, par des progrès génétiques et techniques et par des implantations d’unités industrielles de traitement des produits agricoles. ces facteurs engendrent directement une perte de mixité économique, l’extension des surfaces agricoles cultivées (blé, riz…) par la reconquête d’anciennes terres agricoles (friches, zones humides), un apport dominant

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

d’eau douce favorisant la colonisation d’espèces végétales continentales et indirectement une concurrence et des conflits d’usage entre espaces de culture et d’élevage, des conflits de gestion de l’eau (problème de qualité hydrique et risque de contamination des cheptels) ou encore une possible remise en cause de l’aoc taureau de camargue1.

2. un scénario globalement défavorable si ce scénario de spécialisation territoriale vers l’activité agricole semble aujourd’hui amorcé2, il reste pour les acteurs locaux peu crédible à long terme, pour des raisons structurelles et conjoncturelles (différentiel de productivité, rendement inférieur à d’autres régions). aussi, en raison de la perte de fonctionnalités écologiques et de la remise en question de l’écosystème camarguais traditionnel, ce scénario a été jugé globalement défavorable même s’il favorise la densification des espaces urbains.

iV. un territoire d’éco production industrialisée

carte 39 : scénario 4 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du PnRc. réalisation edater. source pnrc

1. la recherche de solutions alternatives en réponse à la hausse du coût de l’énergie alternatif ou complémentaire au scénario précédent, le quatrième scénario (carte 39) s’inscrit dans un contexte de flambée des coûts de l’énergie et de demande croissante en solutions énergétiques alternatives. En Camargue, cette tendance est amplifiée par la 1 par la caractère devenu intensif des exploitations, par le surpâturage, par le développement de prairies productives temporaires ou permanentes… 2 et vraisemblable au regard de l’histoire camarguaise où l’agriculture a beaucoup évolué.

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CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

demande des proches métropoles1 et par la volonté d’en faire un territoire expérimental de production énergétique : agro carburants, fermes photovoltaïques et parcs éoliens. Si ce scénario d’éco-industrie est susceptible d’engendrer des conflits d’usages avec les espaces urbanisés et les zones touristiques, il peut créer des complémentarités possibles entre l’agriculture et le type de production envisagé (maintien d’un compromis éventuel entre production de biomasse et biodiversité). Mais il peut aussi banaliser le paysage par la monospécificité des productions agraires ou le dégrader par l’extension des infrastructures.

2. un scénario très crédible assez défavorable bien qu’il soit très crédible au regard des nombreux projets existants (cf. chapitre 6) et en dépit de l’autosuffisance énergétique du territoire qu’il admet potentiellement, ce scénario a été jugé assez défavorable pour sa dimension industrielle, ses répercussions paysagères et le manque de réversibilité (notamment des équipements industriels). les participants ont privilégié les filières courtes pour parvenir à l’autonomie énergétique.

V. un espace qui retourne à la nature sous l’effet, entre autres, du réchauffement climatique

carte 40 : scénario 5 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du PnRc. réalisation edater. source pnrc

1

Marseille, Montpellier, avignon et nîmes.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

1. le changement climatique conjugué à une demande sociale d’espaces sauvages si les visions précédentes s’affranchissent d’une prise en compte des effets du changement climatique, le cinquième scénario (carte 40) les intègre et s’inscrit dans une impossibilité financière de maîtrise des processus naturels ainsi que dans une demande sociale d’espaces sauvages. ces tendances sont localement accentuées par l’incapacité à assumer les coûts d’entretien ou de réfection des ouvrages de protection littorale et fluviale et par l’incapacité à maintenir sur le long terme les activités et l’équilibre dynamique du territoire. ces facteurs aboutissent à une décision collective de laisser faire (gestion non active des digues par exemple) amplifiant le caractère “sauvage“ et naturel de certains secteurs du delta. si le développement d’un tourisme de grande nature semble dès lors envisageable, ce scénario engendre un ralentissement du développement économique du territoire. Par ailleurs, dans l’hypothèse d’un recul significatif du trait de côte, ce scénario prévoit le repli des activités humaines vers le nord, voire un exode rural vers les proches métropoles. Dans cette prospective, la camargue devient un « laboratoire d’espaces naturels et sauvages, emblème national à l’échelle européenne » faisant l’objet d’une protection environnementale renforcée1.

2. un scénario « choquant »… Même s’il leur était difficile de prendre position, les participants ont jugé ce scénario réaliste à 50 ans et ont convenu de le considérer dès aujourd’hui. en revanche, il se révèle non crédible aux yeux des acteurs par le choix du non entretien des digues du rhône. perçue comme un scénario “catastrophe“ caractérisé par l’abandon (voire la défaite), cette vision jugée choquante2 s’oppose à la volonté actuelle de protection de la camargue et du littoral. Enfin, les acteurs réfutent l’idée d’une « Camargue à deux vitesses », l’une exclusivement naturelle au sud, l’autre exclusivement agricole au nord.

3. … mais envisageable : le projet atlantis ce scénario 5 se rapproche du « projet atlantis », autre exercice prospectif construit sur l’hypothèse d’un événement de faible probabilité d’occurrence mais plausible et aux lourdes conséquences, l’élévation de 5 à 6 mètres du niveau marin consécutif à l’effondrement d’une large plate-forme de glace en antarctique (l’iceshelf ouest3). l’objectif de ce travail, coordonné par l’université de Hambourg et mené plus spécifiquement sur la camargue par l’institut symlog de France, était de comprendre les réponses sociétales à un tel changement, d’amener les participants4 à se projeter dans cet « avenir imaginaire » et de déterminer, « en temps réel », les choix stratégiques de gestion et d’adaptation (ou 1 alors qu’il est dit dans le même temps que le territoire est abandonné des hommes et des activités, on peut s’interroger sur les motivations de cette protection. le changement climatique serait donc source de valeur ajoutée. 2 Et ne reflète en aucun cas l’histoire de la Camargue. 3 qui comprend 10% du volume de la calotte glaciaire antarctique. 4 composés d’experts (sociologues, géographes, hydrologues…), de professionnels (assureurs, gestionnaires…) et d’acteurs locaux (élus, agriculteurs, industriels…).

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CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

d’ajustement) à cette situation extrême (Richard & al., 2006). en 2030, alors que le processus d’effondrement est enclenché et irréversible, une incertitude subsiste quant à ses conséquences finales, rendant le scénario de 5 mètres en 100 ans probable à 20 %. ce scénario n’étonne pas les participants camarguais qui l’acceptent rapidement : ils décident de protéger l’existant en justifiant qu’il ne s’agit pas de maintenir la Camargue dans son état actuel mais de donner le temps aux scientifiques de réduire l’incertitude inhérente au scénario (Poumadère & al., 2006). lorsque le scénario atteint une probabilité de 80 % (en 2050), l’option retenue d’un commun accord par les acteurs (impliqués mais non alarmés) est celle du repli stratégique, avec une relocalisation de la population hors zone submersible : pour eux, cet abandon de leur espace vital ne semble pas menacer leur identité, « la Camargue restera toujours la Camargue, peu importe où » (Poumadère & al., op. cit).

s

i l’absence de croisement entre les scénarios1 est regrettable, le développement

(territorial, économique, écologique…) est transversal à chacune des

visions. chaque futur possible exprime ainsi le développement d’une camargue poussée à l’extrême et finalement caricaturale. Toutefois, ces scénarios permettent d’identifier et de formuler l’inacceptable puis de déterminer les seuils à ne pas franchir. le développement n’étant au final perçu que sous l’angle de la dégradation, voire comme une menace, on comprend aisément comment cette méthode « au fil de l’eau » a conduit au sixième scénario (la charte du pnrc), celui de la conservation et de la préservation. Néanmoins, cet exercice a permis de définir des engagements par thématique ; par exemple : la définition et le développement par le PNRC de la typologie touristique souhaitée, la mise en place d’outils de planification spécifiques aux projets routiers, l’organisation d’une régulation de l’agriculture, la reconnaissance de la vocation du pnrc à être novateur sur les plans énergétique, paysager et environnemental ou encore la construction d’une nouvelle gouvernance relative à la planification de l’adaptation aux risques d’inondation et de submersion. cette expérience prospective a permis d’aborder des sujets encore peu concevables aujourd’hui, à l’instar du recul des activités et des enjeux humains. elle montre également que le changement climatique n’est pas encore perçu comme une source potentielle de valeur ajoutée au territoire (et à son économie) bien que le « renforcement de la protection environnementale » lui soit associé (cf. cinquième scénario). A-t-il été perçu comme tel dans l’étude prospective du Grand sud-est français, conjuguant cette fois-ci enjeux de développement et impacts des effets du changement climatique ?

1

croisement des scénarios qui formulerait des visions intermédiaires et peut-être plus réalistes.

342


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

B. le littoral camarguais face au changement climatique dans le Grand sud-est

u

ne réflexion prospective menée dans les régions du sud-est1 a porté autant sur le changement climatique que sur les mutations socio-économiques des territoires.

la variable “changement climatique“ a été placée au cœur des préoccupations tout en n’étant pas la seule envisagée : ainsi, les indicateurs de vieillissement de la population, de mutation économique ou d’évolution de l’occupation de l’espace sous l’effet de contraintes énergétiques croissantes ont été pris en compte. après avoir rappelé les composantes dynamiques territoriales, l’exposition actuelle aux effets du changement climatique et les risques de rupture systémique du littoral languedocien et catalan2 identifiés préalablement dans le rapport d’étude, nous décrirons les scénarios qui ont émergé puis évaluerons leur pertinence au regard des tendances observées sur le littoral camarguais3. Enfin, en rapprochant certains scénarios et les dynamiques actuelles pouvons-nous construire une matrice (ou carte de référence) qui servirait de base à l’écriture d’autres scénarios ?

i. Cadre et finalités d’une étude prospective territorialisation du changement climatique

de

1. Rappel des objectifs Financée par la Datar, pilotée par le secrétariat pour les affaires régionales de la région paca et conduite dans le cadre de la Mission d’etude et de Développement des Coopérations Interrégionales et Européennes (MEDCIE), cette étude a abouti à la définition de scénarios prospectifs décrivant l’impact systémique du changement climatique dans le Grand sud-est français. elle a pris appui sur des variables lourdes dans trois domaines: la croissance démographique, la périurbanisation et l’étalement urbain, la raréfaction probable du pétrole et le renchérissement des énergies. a partir de ces thématiques, cette étude prospective visait différents objectifs : -

territorialiser la question du changement climatique, c’est-à-dire articuler concrètement les phénomènes climatiques planétaires4 aves les dynamiques territoriales locales ;

1 rassemblant la métropole lyonnaise, le sud Vallée du rhône, le littoral provençal, l’espace alpin, l’espace Massif central, la corse et le littoral languedocien et catalan. 2 l’étude articule plusieurs échelles : planétaire, européenne, nationale, Grand sud-est et infra Grand sud-est (ultime échelle de la réflexion, celle des territoires « pertinents », divers dans leurs caractéristiques physiques et géographiques, ainsi que par leurs dynamiques et trajectoires de développement, à l’instar du littoral languedocien et catalan). cette échelle permet une lecture plus précise et spécifique des dynamiques territoriales et de leurs possibles évolutions futures. 3 Dans cette étude, la camargue est rattachée au littoral languedocien et catalan plutôt qu’au littoral provençal, considérant que le Grand Rhône fixe la limite entre les deux littoraux. En outre, le littoral languedocien et catalan présente « une trame urbaine moins dense, un relief moins marqué et un littoral sableux ». 4 les éléments de prospective sur les effets prévisibles du changement climatique s’appuient sur les scénarios du GIEC et les simulations de Météo-France (qui portent jusqu’à la fin du 21e siècle). les différents scénarios s’appuient sur la même hypothèse d’évolution du changement climatique. il s’agit du scénario a1b, prenant pour hypothèse une forte croissance économique et l’accentuation de la mondialisation ainsi qu’un équilibre entre l’utilisation des combustibles fossiles et celle des sources d’énergies non fossiles.

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CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

-

Déterminer plusieurs profils d’évolution des territoires, afin de comparer leur vulnérabilité potentielle face aux effets futurs du changement climatique ;

-

conduire une prospective à une échelle temporelle (50 ans) qui dépasse le cadre habituel des démarches de prospective territoriale ;

-

associer réflexion prospective et démarche stratégique pour identifier les impacts prévisibles des politiques d’adaptation au changement climatique ;

-

s’appuyer sur la connaissance des contextes locaux des partenaires associés à l’étude (en groupes de travail). Cette démarche prospective, qui entendait ainsi nourrir la réflexion stratégique des

acteurs locaux en charge de l’aménagement et du développement des territoires du Grand sud-est, soulevait deux interrogations : -

quels choix faut-il opérer pour réduire la vulnérabilité des milieux, des populations et des activités à des effets du changement climatique qui, pour certains, sont prévisibles avec plus ou moins d’exactitude (hausse de la variabilité saisonnière des températures, modification du régime des précipitations, etc.), et pour d’autres, le sont beaucoup moins du fait de leur caractère imprévisible (événements climatiques violents) ?

-

comment tirer parti des opportunités permises par les effets du changement climatique ?

2. Rappel des composantes dynamiques territoriales, de l’exposition actuelle aux effets du changement climatique et des risques de rupture systémique du littoral languedocien et catalan le littoral languedocien et catalan est caractérisé par une large plaine urbanisée, située entre territoires de piémont et mer Méditerranée, par un ensemble urbain en cours de métropolisation (Montpellier, sète, nîmes, alès) et par un réseau de villes moyennes (Agde, Béziers, Narbonne, Perpignan). Ce territoire bénéficie de nombreux atouts liés à son cadre naturel : la mer, une bande littorale sableuse, des conditions climatiques particulières et une grande richesse écologique. Depuis quelques années, grâce à son excellente image et au volontarisme économique et culturel de l’agglomération montpelliéraine, ce territoire s’est engagé dans une politique dynamique d’accueil de populations et de création d’activités1. cette attractivité sociale a engendré une croissance démographique2 rapide. l’attractivité touristique engendre, elle, une variation saisonnière très importante de la population. toutefois, cette vitalité économique n’empêche pas la précarisation d’une part importante de la population, pénalisée par une offre d’emplois souvent précaires et dont une partie est également affectée par une offre de logements sociaux insuffisante. Par ailleurs, ce rapide développement

1 2

plus particulièrement dans le secteur des services à la population. avec une population rajeunie et un maintien d’un solde migratoire positif.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

induit une forte consommation d’espace en périphérie des agglomérations et des villes moyennes et entraîne d’importantes pressions sur le littoral, victime de politiques urbaines et d’aménagement encore peu sensibles à sa fragilité. Malgré un fonctionnement de plus en plus tourné vers un espace de cohabitation «urbain/lagune/lido», la gestion de l’ensemble de ce territoire s’effectue essentiellement à l’échelle des bassins de vie et la coopération métropolitaine demeure limitée. c’est dans ce cadre que de nombreux outils de protection de l’environnement sont d’ores et déjà mobilisés et que plusieurs réflexions globales sont engagées sur la question du littoral et de sa fragilisation1. très fragiles, les milieux naturels du littoral languedocien et catalan présentent une vulnérabilité particulière aux effets du changement climatique dont les conséquences (en plus de la hausse eustatique, de l’érosion littorale et de la remontée du coin salé) sont la fragilisation de la forêt, le développement de nouvelles maladies végétales ou animales et l’augmentation du risque d’apparition d’espèces invasives, menaçant la biodiversité actuelle. ces conséquences du changement climatique peuvent engendrer un risque de rupture systémique2 que l’étude prospective a mis en évidence : « la fragilisation du littoral sableux risque d’entraîner à terme une nécessaire transformation de l’urbanisation du littoral, sans remettre en cause sur le fond ses activités touristiques, et plus globalement ses activités humaines ». toutefois, indépendamment du changement climatique, d’autres facteurs engendrent un risque de rupture systémique. ainsi, le littoral languedocien et catalan est susceptible de voir sa logique de fonctionnement actuelle transformée par des facteurs extérieurs, à l’instar d’une modification des systèmes de solidarité régis nationalement. cette mutation remettrait profondément en question les équilibres économiques du fonctionnement de ce territoire littoral potentiellement concurrencé par d’autres littoraux (moins impactés par le changement climatique). Enfin, des facteurs internes au territoire peuvent également engendrer un risque très fort de rupture systémique, comme l’offre d’emplois, de logements et de services, l’évolution de la pyramide des âges, la disponibilité du foncier, la saturation des axes de communication ou la qualité des paysages.

1 a l’instar de la communauté d’agglomération de thau qui, entre 2007 et 2011, a entrepris de sauvegarder le lido, notamment en reculant la route de 100 mètres sur 12 km entre sète et Marseillan, en reconstituant une plage et un système dunaire et en rétablissant le fonctionnement naturel du littoral. Coût de l’opération : 55 millions d’euros (financement : communauté d’agglomération de thau, europe, conseil général, conseil régional et état). 2 Ce terme recouvre l’éventualité pour un territoire de voir ses logiques de fonctionnement se modifier radicalement sous l’effet d’un changement important, interne ou externe. cette dimension est décisive lorsque l’on envisage des évolutions territoriales de long terme, et leur interaction avec des phénomènes climatiques.

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CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

Figure 42 : Schéma simplifié de fonctionnement du littoral languedocien et catalan et son exposition actuelle aux effets du changement climatique (MeDcie, 2010)

ii. scénarios et hypothèses d’évolution du littoral languedocien et catalan le croisement des facteurs internes a permis d’établir 3 scénarios distincts. nous proposons de présenter brièvement les scénarios de l’étude prospective et leurs effets spécifiques sur le littoral languedocien et catalan puis de nous interroger sur leur pertinence dans le contexte du territoire camarguais.

1. la préservation de la “civilisation périurbaine“ par la technologie ou le modèle de la ville américaine Dans un contexte de flambée régulière des coûts énergétiques et de dynamisme de l’activité économique, les politiques publiques nationales et européennes s’organisent afin de pérenniser le modèle de développement sociétal et spatial existant. De lourds investissements dans la technique et les technologies sont réalisés pour réduire l’impact environnemental des activités (tout en les pérennisant) ainsi que celui des modes de vie: industries « vertes », isolation des logements, énergies renouvelables, covoiturage et développement de moteurs moins polluants, etc. c’est le modèle de la ville américaine. Dans ce scénario, par une croissance modérée, accentuée par son vieillissement, la population française atteint 67 millions d’habitants1 à l’horizon 2050 et la population du 1

soit 2 millions de plus qu’en 2011.

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Grand sud-est 17,5 millions d’habitants1. en terme d’urbanisation, ce scénario se caractérise par la poursuite du développement périphérique des agglomérations ; la forte croissance économique permet d’atténuer la hausse des coûts énergétiques et les collectivités locales se mobilisent peu pour endiguer cette dynamique. sur le littoral languedocien et catalan, ce scénario se traduit par la poursuite d’une stratégie de valorisation économique relative au tourisme et à l’implantation de nouvelles populations engendrant une précarité croissante des emplois et une dépendance accrue des collectivités aux revenus de transfert. les centres urbains sont peu à peu désertés et appauvris au profit d’un développement périphérique consommateur d’espace… très souvent littoral et au dépend des espaces agricoles. Vitrine du territoire languedocien et catalan, la frange littorale connaît une politique de protection “coûte que coûte“ face aux phénomènes d’érosion et de submersion, entraînant de très lourds engagements financiers, la construction de très nombreux ouvrages (inefficaces à long terme) et, au final, la hausse de la fragilité économique, écologique et paysagère du territoire. cette vision du territoire languedocien et catalan ne correspond pas aux tendances actuelles observées en camargue : circonscription de la périurbanisation, développement urbain au sein des périmètres existants, expérimentation du recul stratégique, etc. Même s’il s’agit d’un scénario de rupture, cette dynamique traduit plutôt pour le delta camarguais un scénario du passé, et entre en contradiction avec la vision donnée par charte de la camargue 2022. en revanche, on peut imaginer (ce scénario ne le précise pas) que la camargue devienne un territoire d’éco-production énergétique (à l’instar d’un scénario du pnrc évoqué dans le sous-chapitre précédent).

2. L’absence de coopération et le déficit de moyens ce scénario s’inscrit dans un contexte de stagnation économique prolongée et d’échec des politiques concertées internationales et européennes. l’échec de la réforme des collectivités territoriales pénalise l’efficacité des outils de régulation et de coopération. Face à ce défaut de gouvernance, beaucoup de territoires recherchent l’autonomie et la concurrence et appliquent leurs propres stratégies de développement afin d’attirer de nouvelles populations et d’accroître leurs activités. Mais la faiblesse des moyens financiers (résultant de l’inertie économique et d’une carence en stratégies collectives) engendre un sous-investissement dans les biens et équipements collectifs2. Dans ce contexte de crise où la population française atteint 59 millions d’habitants en 2050 et celle du Grand sud-est 15,4 millions3, seuls les territoires les plus dynamiques et les plus accessibles parviennent à conserver leur attractivité. sur le littoral languedocien et catalan, seuls les territoires les plus dynamiques, à l’instar de Montpellier, réussissent à conserver une attractivité soutenue ; les autres subissent 1 en 2010, la population du Grand sud-est atteignait 15 millions d’habitants. 2 notamment les axes viaires et ferroviaires, les équipements métropolitains ou ceux liés à la production énergétique… 3 ce repli démographique, notamment lié à une forte baisse de la fécondité, a entrainé une baisse des migrations interrégionales et des flux touristiques.

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CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

les effets d’un solde migratoire plus faible et d’une activité économique stagnante. D’une manière générale, ce scénario se traduit par une dégradation de l’attractivité du territoire : vulnérabilité importante des activités économiques et poursuite de la dégradation du patrimoine naturel, vieillissement du patrimoine touristique, affaiblissement de l’offre de transports collectifs et saturation des réseaux routiers1. par ailleurs, en voulant valoriser à court terme le potentiel touristique et économique du littoral, les collectivités locales et l’etat ne parviennent pas à organiser le recul stratégique des enjeux face à la hausse eustatique, s’exposant ainsi à des travaux coûteux de protection et à des risques aggravés notamment dans les zones bâties qui ont connu de multiples extensions urbaines2. aussi, les espaces agricoles et forestiers arrière-littoraux sont soumis au développement périurbain tandis qu’en zones littorales ils sont exposés au risque de submersion et à la salinisation3 ; phénomènes qui engendrent une raréfaction des activités touristiques4 et leur repli vers la plaine urbanisée. a long terme, l’absence de stratégie collective et d’anticipation dégrade l’image et l’attractivité du littoral (notamment par défaut d’exploitation optimale de production d’énergie renouvelable), au bénéfice d’autres littoraux…, dont la Camargue ? En effet, appliqué au delta du rhône, cet autre scénario ne semble pas plus réaliste au regard des orientations d’ores et déjà prises par les collectivités locales. toutefois, le risque de voir se réaliser ce scénario existe si les engagements consignés dans la nouvelle charte du pnrc ne sont pas respectés par chacun des acteurs concernés.

3. la sobriété énergétique et spatiale et la coopération des territoires Dans un contexte de flambée des coûts énergétiques et de vieillissement de la population5, l’Europe et la France se sont engagées dans des politiques volontaristes afin de concevoir un modèle de développement plus sobre en énergie et en espace. Disposant de compétences renforcées, les collectivités locales parviennent à encadrer le développement spatial. par ailleurs, les modes de production et de consommation deviennent plus économes notamment sous l’effet d’une taxe carbone suffisamment élevée qui permet également de dégager d’importantes rentes pour les collectivités locales. en terme de paysage et d’urbanisme, ce scénario se traduit par la reconquête des centres urbains (sous l’effet de politiques de maîtrise foncière et de construction de logement ambitieuses) et par l’ “endiguement“ de la périurbanisation. la densité des nouveaux développements urbains est privilégiée dans l’ensemble du territoire du Grand sud-est, tout comme la densité des formes d’habitat (petit collectif ou individuel groupé) 1 la croissance de périurbanisation entraine un allongement des distances de déplacement et une demande accrue de transport. Mais l’étalement urbain réduit l’efficacité des systèmes de transport en commun et renforce la dépendance au véhicule individuel. 2 entraînant, en l’absence de stratégie de préservation, la perte voire la disparition d’espaces naturels remarquables et de leurs écosystèmes associés. 3 Salinisation qui rend inexploitables les nappes d’eau souterraines et insuffisantes les ressources en eau pour l’alimentation des habitants et des touristes. 4 et la fragilisation du système économique languedocien qui repose en partie sur un tourisme balnéaire. 5 Dans ce scénario, la population française atteint 70 millions d’habitants en 2050 et la population du Grand sudest 19,8 millions.

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

et les mobilités s’organisent autour du transport collectif. sur le littoral languedocien et catalan, où la vulnérabilité de la côte s’est accélérée, les collectivités locales se sont engagées dans une ambitieuse stratégie de réorganisation du littoral afin d’encourager un développement plus économe en espace et en énergie. les acteurs territoriaux ont perçu le caractère mobile de la frange littorale et l’intérêt de sa transformation progressive vers un espace de diversité fonctionnelle (et non de seule vocation touristique). ce scénario semble faire référence à une gouvernance collective semblable à l’actuelle GiZc. Face au risque croissant de submersion, les collectivités ont choisi de renoncer à la protection du littoral à l’aide ouvrages, exceptés quelques sites urbanisés à enjeux qui font l’objet d’une protection spécifique. Le reste du littoral est laissé sous l’influence de l’érosion marine et des submersions. cette nouvelle relation au littoral s’accompagne d’un bouleversement des paysages et des écosystèmes côtiers. par ailleurs certaines nappes d’eau souterraines devenues inexploitables par leur salinisation engendrent des conflits d’usages entre activités agricoles et industrielles et les besoins des habitants. Dès lors, le développement urbain et économique se concentre dans les villes de la plaine qui devient le moteur du développement territorial. La densification des agglomérations existantes permet de préserver les espaces agricoles, de développer les énergies renouvelables (solaire et éolienne notamment), les transports à la demande et l’auto-partage. ainsi, ce scénario s’avère coûteux à court-moyen terme (maîtrise foncière, investissements en équipements collectifs, etc.) et donc difficile à mettre en œuvre. toutefois il représente un futur en partie souhaitable, induisant à moyen-long terme des retombées économiques, sociétales et environnementales et une réduction de la fragilité et de la vulnérabilité du territoire. pérenne et sensé à long terme, il semble caractériser la voie actuellement empruntée par les acteurs camarguais même si d’autres dynamiques, présentes dans les deux autres scénarios, resteront toujours plausibles dans le delta (périurbanisation d’Arles en Camargue fluvio-lacustre, saturation des axes de communication…). en revanche, l’évolution récente du dogme national (notamment consécutif de Xynthia) rend particulièrement réaliste cette vision du littoral languedocien, préfigurant une transformation profonde du territoire camarguais. Toutefois, le laisserfaire, voire l’abandon évoqué dans le scénario « sobriété énergétique et spatiale et la coopération des territoires », illustre une mitigation paysagère1 peu ambitieuse.

1 réduction de la vulnérabilité par la construction de paysages. cette construction repose sur l’accompagnement des mutations de paysages. la stratégie de mitigation paysagère est donc l’élaboration de projets d’accompagnement des mutations de paysages visant la réduction de la vulnérabilité d’un territoire et de sa société afin d’atténuer le risque d’inondation ou de submersion, et dans certains cas mêmes d’en tirer parti.

349


CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

iii. matrice de scénarios de mitigation paysagère en camargue renvoyant aux tendances actuelles observées en camargue, les grandes lignes de ce troisième scénario rejoignent certains principes du scénario 5 de la démarche prospective du pnrc ainsi que la doctrine de la charte du parc, confortant l’intérêt et la pertinence de cette vision ; vision qui implique d’importantes mutations spatiales créatrices de nouveaux paysages. ainsi, la superposition du plan de charte du pnrc (camargue 2022) et de la carte des espaces submersibles (d’après les travaux de l’EUCC) permet de définir une matrice (planche cartographique 3), carte de référence, utile à l’écriture de scénarios iconoclastes, conduisant à une mitigation paysagère ambitieuse.

+ Risque de submersion par rupture de cordons dunaires en camargue.

Plan de Parc (2009). réalisation pnrc. source pnrc.

Plaine

Frange arrière-littorale Ligne « active » entre Camargue laguno-marine et Camargue fluvio-lacustre.

e

sé urbani

ARLES

Espace de projets Espace de fabrique d’une autre Camargue entre mer et Camargue fluvio-lacustre Frange littorale Ligne stratégique de gestion du cordon sableux

SainteS-MarieSde-la-Mer

Salin-de-Giraud

matrice paysagère de la camargue. réalisation Morisseau, 2012

Planche cartographique 3 : constitution de la matrice paysagère de la camargue. réalisation Morisseau

350


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

cette matrice paysagère confronte les enjeux de gestion, de développement et de préservation du territoire au périmètre submersible lié aux effets du changement climatique et fait apparaître : -

un espace de projets, potentiellement attractif, entre mer et Camargue fluviolacustre ou l’espace de fabrique d’une autre camargue laguno-marine ;

-

une nouvelle ligne « active » entre camargue laguno-marine et camargue fluvio-lacustre, frange dynamique et stratégique entre deux unités paysagères : une “frange arrière-littorale“ ;

-

une frange littorale, ligne stratégique de gestion du cordon sableux. si, à l’échelle de cette carte, le trait de côte est appelé à sensiblement varié (cf.

travaux de sabatier, chapitre 7), la submersibilité du delta laisse entrevoir de nombreuses opportunités de paysages… et d’usages. la matrice est ainsi une base à décliner pour inventer d’autres futurs possibles et souhaitables, ouvrant la réflexion à une géoprospective normative.

c

et exercice de construction et de déclinaison de scénarios contrastés a permis d’analyser, pour les territoires du Grand sud-est, différentes trajectoires socio-économiques

envisageables et de les croiser avec les effets du changement climatique. ce champ des possibles s’inscrit entre incertitudes, risques et opportunités (bien souvent oubliées par ailleurs, et relativement peu détaillées dans l’étude prospective de la MeDcie) permises par les effets du changement climatique ; les opportunités résident avant tout dans les avantages comparatifs que peuvent trouver certains territoires dans leur ajustement aux conditions climatiques. Enfin, le rapprochement de différents scénarios confronté aux tendances actuelles nous a permis de définir une matrice paysagère utile à l’écriture de scénarios plus iconoclastes.

351


CHAPITRE 9 - dEs ExPéRIEnCEs dE géoPRosPECTIvE

l

es expériences prospectives récemment menées proposent des visions contrastées de la camargue mais restent fondées sur des variables souvent communes : le

renchérissement énergétique, la périurbanisation, la croissance des flux circulatoires, les mutations agricoles, l’essor touristique ou encore les effets du changement climatique et la gestion littorale et deltaïque… Les futurs imaginés identifient globalement les effets du changement climatique, lorsqu’ils les prennent en compte, néfastes et incompatibles avec le développement territorial… à l’exception d’un scénario de la MeDcie (« sobriété énergétique et spatiale et la coopération des territoires ») qui implique d’importantes transformations ; scénario qui conduit à la délocalisation d’enjeux économiques et à une remise en cause profonde du territoire camarguais. par ailleurs, l’étude prospective du changement climatique dans le Grand sud-est a montré que l’attractivité future du littoral languedocien et catalan (dont fait partie la camargue) dépendait de sa capacité à articuler les dynamiques de développement avec la préservation d’espaces fragiles, particulièrement son littoral sableux. elle a également exposé certaines opportunités (et pas uniquement les risques et contraintes comme nombre d’études) des effets du changement climatique (nouvel urbanisme, renouvellement énergétique…) et permis de concevoir une matrice paysagère à partir du croisement d’autres scénarios et des axes de gouvernance actuellement préconisés en camargue. toutefois, le scénario faisant le plus sens face aux dynamiques actuelles privilégie l’arrière-plaine comme espace moteur du développement territorial, relayant le littoral à un espace de second rang, voire abandonné à la mer et à ses excès. comment la camargue peut-elle, en tirant parti des opportunités du changement climatique, (re)devenir un moteur du développement territorial et ne pas être considérée comme un futur espace abandonné ? 352




Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

10 le renouvellement littoral : cHapitre

ajustement des dynamiques sociétales au changement climatique

«

»

etre invulnérable voudrait dire impossible à blesser. La seule protection consiste à éviter les chocs qui détruisent autant qu’à éviter de trop s’en protéger.

Boris cyrulnik1, 2006, De chair et d’ame

1

Boris Cyrulnik a développé en France, après John Bowlby aux Etats-Unis, le concept de « résilience ».

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

a

l’instar de la lutte contre l’érosion littorale, les stratégies dites d’adaptation s’accompagnent de projets de développement ou de valorisation qui tiennent

peu compte de la problématique du changement climatique (c’est le cas notamment de l’aménagement des fronts de mer). a l’inverse, l’expérience des plans de prévention des risques d’inondation et de submersion démontre l’inefficacité d’options d’adaptation externes à tout processus de développement et de planification. c’est ainsi que le risque de « mal-adaptation » (Thomas, 2009) existe si on n’associe pas en amont de la réflexion l’adaptation aux changements climatiques au développement territorial dans les plans de prévention et programmes d’actions. c’est le mainstreaming1. ne pas se soucier des effets des changements climatiques peut

compromettre les objectifs de développement (et les investissements), et, inversement, faire de l’adaptation en dehors du développement ne serait pas durable (thomas, op. Cit.). ainsi, comment la problématique du changement climatique, sous-tendue par une prise en compte du paysage, peut-elle apporter les clés d’un autre développement territorial, proposer des stratégies d’ajustement durable au service d’une camargue interrégionale et amorcer, ce que l’on nommera, un « renouvellement du littoral » ? après avoir présenté et analysé un scénario dit « de rupture »2, nous explorerons, à partir des récents travaux de la Datar, d’autres futurs possibles susceptibles de produire des formes de mitigation paysagère ambitieuse en Camargue. Enfin, nous caractériserons le renouvellement littoral, nouveau champ intellectuel et méthodologique de construction de l’espace littoral qui mettrait en œuvre des projets d’ajustement expérimental. 1 le « mainstreaming » n’a pas de traduction en français. Il s’agit d’un concept anglo-saxon mis en œuvre quotidiennement par l’union européenne et par les instances politiques dans tous les etats-membres pour les grandes questions sociétales, pour lesquelles une autre approche, différente du développement durable, trop transversal, doit être trouvée. la technique du mainstreaming (stream = le courant, main = principal, ing = action de faire) qui est l’action de placer une thématique (ici le changement climatique) dans le courant principal de réflexion, au cœur du dispositif que tout acteur doit prendre en compte. 2 ou scénario exploratoire. le terme « rupture » ne comporte pas de connotation catastrophiste ni négative. Il met l’accent sur les phénomènes de décrochage significatifs plutôt que sur des tendances passées.

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CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

a. Camargue 2030 ou « une écologie future » du delta du Rhône

u

ne approche prospective, antérieure aux démarches précédemment analysées, s’est ouverte sur l’exploration d’une camargue jusque là impensée mais non reprise dans les

travaux plus récents. pourtant, la vision proposée, en rupture avec les schémas prospectifs plus classiques, décrit une camargue ambitieuse mais toujours incertaine en 2030… quelles nouvelles modalités de fonctionnement permettent d’entrevoir une autre écologie deltaïque, « une écologie future » pour reprendre l’expression de L. Mermet, directeur des recherches prospectives environnementales à l’initiative de cette démarche ?

i. le PnRZH et le projet « prospective » Inscrite dans le cadre du projet « prospective »1 du programme national de recherche sur les Zones Humides2 (pnrZH), la démarche suivante s’est distinguée des précédentes (chapitre 9) par ses enjeux méthodologiques car elle s’articulait avec d’autres projets de recherche et notamment avec le projet de recherche interdisciplinaire sur la camargue, piloté par b. picon (DesMiD), dont l’objet était de rendre compte du fonctionnement complexe du delta du rhône, sous l’angle des relations homme-nature analysées au travers des enjeux de la gestion hydraulique. Dans cette « prospective environnementale du territoire » (Mermet, 2005), la mise en perspective historique des agents de fonctionnement de la Camargue a permis d’organiser la réflexion autour de la dimension dynamique du delta (poux, 2005). Des scénarios contrastés d’évolution de la camargue ont été conçus à partir de tendances observées à l’échelle régionale. a l’instar des études de la MeDcie et du pnrc (précédemment évoquées), ils ont mis en lumière les trajectoires d’une camargue périurbaine (par la métropolisation arlésienne), de transit (à l’échelle de l’arc méditerranéen), de tourisme ou de déprise touristique, ou encore de déprise agricole. Cette autre approche a conforté l’idée d’une Camargue composante essentielle d’une zone méditerranéenne à la dynamique économique et démographique importante. elle a aussi conduit à relativiser la place de l’agriculture dans le système au même titre que sa gestion hydraulique ouvrant la porte à une autre vision…

1 conduit sous la direction de Xavier poux et de laurent Mermet. 2 le programme national de recherche sur les Zones Humides (pnrZH) constitue un des éléments du plan d’action pour les Zones Humides, lancé par le gouvernement en 1995. ce programme de recherche entendait offrir une meilleure compréhension du fonctionnement des zones humides afin de donner les clés de leur gestion ou de leur restauration. Quatre axes de recherche ont été retenus : structure et fonctionnement des zones humides, rôle écologique et importance économique, interactions nature-société, modes d’actions pour la conservation et la restauration des milieux (ecosphère, 2006).

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

ii. une camargue de rupture : vers un parc spécialisé « Quelle Camargue complètement inattendue pouvons-nous concevoir ? ». c’est ainsi que le scénario de type backcasting a été introduit par les chercheurs1, tant pour remettre en question la perception reçue des variables de fonctionnement du delta que pour « révéler le présent caché et le temps long »2 du territoire. l’image produite entendait sortir du champ des possibles spontanément conçus par les acteurs et les experts de la camargue impliquant de remettre en cause la gestion hydraulique (via les flux d’irrigation notamment), fédératrice, jusque là pertinente dans l’appréhension du fonctionnement moderne du delta. c’est ainsi que les chercheurs ont été amené à poser la question différemment : si l’étude actuelle de la Camargue place les flux hydrologiques en amont de la régulation du système (notamment pour la riziculture), comment peut-on imaginer que les fonctions environnementales et paysagères remplies par chaque espace deviennent déterminantes ? autrement dit, la gestion de l’eau ne serait plus le processus déterminant qui organise la gestion environnementale deltaïque mais un processus déterminé et structuré par d’autres dynamiques régissant le système (Mermet, 2005). c’est l’occasion de donner aux paysages une autre légitimité, non plus accordée par la seule composante hydraulique mais par d’autres déterminismes (spatiaux, sociologiques, agro-économiques, historiques…), notamment des effets du changement climatique. cette nouvelle vision a été fondée sur l’hypothèse d’une rupture de la digue à la mer et des digues du rhône entraînant un déclin progressif de l’agriculture (rendue instable et incertaine) puis une série de crises dans le système d’acteurs. un parc thématique, « Marecagia » émerge alors pour garantir l’avenir économique du delta (Poux, op. Cit.). avant de présenter plus en détails l’image de cette camargue de 2030 projetée à partir de scénarios datant de 1998 (niel, 1999), on se propose de parcourir le cheminement imaginé à partir des années 2000. Nota : Si la vision de la Camargue de 2000-2015 ne correspond pas à la réalité observée actuellement en 2012, son contexte reste particulièrement pertinent et on peut toutefois concevoir l’occurrence prochaine des événements décrits.

1. 2000-2015, une succession de crises Dans un contexte d’inquiétudes sanitaires et alimentaires, l’image de la riziculture camarguaise, alors contaminée par le bassin industriel rhodanien3 et internationalement concurrencée, évolue rapidement affaiblissant la filière déjà mise à mal par la Politique agricole commune (pac) qui réinterroge le principe du soutien à l’agriculture intensive. 1 pouX X., MerMet l., bouni c., Dubien i., narcY J-b., 2001, Méthodologie de prospective des zones humides à l’échelle micro-régionale – problématique de mise en œuvre et d’agrégation des résultats, asca/pnrZH, 111p. 2 pour reprendre le concept de F. braudel. 3 Cette crise n’aura peut-être pas lieu si le principe de culture SRI (Système de Riziculture Intensive) – Riziculture sans eau - se généralise.

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CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

par ailleurs, les manades, autre emblème de l’identité agricole camarguaise, sont remises en question par l’union européenne, par un règlement abrogeant les corridas, « spectacles portant atteinte à la dignité animale ». L’élevage de taureaux combatifs est désinvesti au profit d’un élevage de taureaux destinés aux courses landaises. Cette crise identitaire amène les manadiers à céder leurs domaines à des éleveurs bovins et ovins qui négocient des aides à bruxelles au titre de la valorisation de prairies saumâtres non irriguées. En plus d’inondations fluviales, la Camargue connaît une série d’intrusions marines1 anéantissant l’industrie saline locale (déjà affaiblie par la concurrence atlantique et nord méditerranéenne) devenue incapable d’entretenir les digues. une politique de décentralisation fait naître le « district du grand arles » qui constate la difficulté de maintenir les digues pour une activité rizicole en déclin et soumise à des crues de plus en plus dévastatrices. Devenu inefficace, le Symadrem2 disparaît, ce qui entraîne un changement d’approche. celle-ci s’appuie sur la mise en place d’un système d’alerte renforcée et d’un système de protection limitée à certaines zones. C’est le principe d’une Camargue davantage ouverte aux variabilités du fleuve et de la mer qui prédomine, renvoyant aux orientations de la charte du pnrc évoquée dans le chapitre 8 (pour la camargue 2022). Cette situation profite au tourisme de nature (notamment au droit de la Réserve nationale), satisfait des nouvelles aménités écologiques et paysagères, qui se maintient à la différence du tourisme résidentiel qui, lui, s’implante en périphérie de la Grande camargue (hôtels, gîtes, campings…).

2. 2015, une nouvelle camargue à conquérir c’est donc une crise profonde qui secoue le système camarguais dont l’équilibre dynamique, établi sur le tryptique gestion hydraulique, riziculture et valorisation environnementale et paysagère, n’est en fait qu’un accélérateur du processus de mutation du territoire, chacune de ces composantes étant défaillante. toutefois, l’état écologique et biologique du delta s’avère être bien meilleur que l’image environnementale véhiculée au niveau national et européen. en effet, si avec le recul de l’irrigation la salinité moyenne de la camargue a crû, le décorsetage du rhône évite au delta de se transformer en un grand désert de sel. cette situation encourage le développement des sansouires (pâturées extensivement par des bovins et des ovins) et des ressources halieutiques et bénéficie aux oiseaux marins dont les peuplements augmentent significativement (alors que leurs habitats sont ailleurs menacés dans le bassin méditerranéen). le delta camarguais apparaît donc comme un territoire déserté où seules subsistent les activités qui ont su s’ajuster à l’instabilité des milieux. D’un point de vue économique, il s’agit d’un nouveau territoire à conquérir, rappelant ce que put être la camargue gallo-romaine au moment de la colonisation agricole, ou plus tard avec les grands projets 1 résultant de l’action combinée de la hausse eustatique et d’une récurrence de tempêtes imputée au changement climatique. 2 syndicat Mixte interrégional d’aménagement des Digues du delta du rhône et de la Mer.

360


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

de conquête du 19e siècle. une nouvelle camargue apparaît.

3. 2015-2030, émergence d’un projet global et structurant C’est dans ce contexte qu’un ancien domaine rizicole et manadier à l’abandon, situé au nord du Vaccarès et anciennement constitué en GiF1, fait l’objet d’un projet de la part de son propriétaire héritier. celui-ci souhaite pérenniser et valoriser le caractère naturel de son patrimoine privé et l’image qu’il véhicule en créant un projet éco-touristique de grande ampleur : « Marecagia ». offrant une perspective de développement économique, ce projet dépend néanmoins de la réduction de la vulnérabilité relative à l’inondabilité. le « sygeC », Syndicat de gestion de la camargue, est alors créé. ce syndicat mixte, chargé du développement territorial, regroupe le « district du grand arles », les régions PACA et Languedocroussillon, l’etat, des associations locales, les propriétaires fonciers… lui permettant de définir une stratégie d’ensemble ; laquelle entend rendre compatibles les orientations de développement économique et la gestion environnementale du delta, impliquant une nouvelle gestion des crues et des digues. c’est ainsi que ce scénario propose d’endiguer la Camargue fluvio-lacustre ainsi que les Saintes-Maries-de-la-Mer, toujours attractives. En revanche, la camargue laguno-marine continue d’être régulièrement submergée et ouverte aux flux d’eaux salée et douce. Un canal entre le Rhône et le Vaccarès garantit des apports d’eau douce les années de faibles crues et d’étés très secs. cette organisation renvoie globalement à la matrice que nous avons construite précédemment dans le chapitre 9 et qui peut ainsi servir de base à la cartographie de ce scénario (carte 41, page suivante).

1

Groupement d’intérêt Foncier.

361


e

é urbanis Plaine

SAINTES�MARIES� DE�LA�MER

ARLES

SALIN�DE� GIRAUD

Pont de Barcarin

Complexe d’algothérapie

Algoculture

Elevage bovin et ovin

Marais de chasse et rizicoles

Bâti sur pilotis (hôtellerie)

urbanisation

« Marécagia »

Digues

Incursions fluviales

Incursions marines

Trait de côte en 2030 (d’après Sabatier, 2001)

CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

carte 41 : interprétation cartographique du scénario de rupture «marécagia». réalisation Morisseau, 2012 d’après poux, 2005

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

selon ce scénario de rupture, plusieurs activités caractérisent la camargue lagunomarine : au sud-ouest, l’élevage bovin et ovin (adapté à la submersion par des dispositifs ponctuels d’aires surélevées) se développe sur les sansouires. au sud-est, s’implante un complexe industriel d’algoculture et d’algothérapie. au centre, une hôtellerie de luxe (en lodge), adaptée à la submersibilité et à l’inondabilité (construction sur pilotis, contact permanent avec le centre d’alerte des crues…) propose des safaris photo camarguais. Grâce à cette nouvelle image, Marecagia, parc éco-touristique de haute qualité, émerge en s’appuyant sur un concept unique en Europe : 4 000 ha de zones humides du monde entier, tempérées (en plein air) comme tropicales (sous serre). tirant partie des caractéristiques profondes de l’écosystème camarguais, cette déclinaison n’est pas un pastiche de la nature camarguaise mais bien la nature camarguaise elle-même par, et avec tout, ce qu’elle permet de (re)composition. ce parc thématique tient sa renommée tant par sa diversité paysagère que par son attractivité spectaculaire à laquelle participe l’introduction d’hippopotames et de crocodiles dont le succès rappelle celui des flamants roses dans la camargue du 20e siècle ! cette diversité paysagère qualitative, produite par les fondamentaux biologiques et écologiques de la camargue, à laquelle s’ajoute une qualité pédagogique et didactique, permet au parc de s’affranchir de toute forme de “dysneylandisation“. en partie endigué pour permettre une très large fréquentation1, le parc conserve 1 000 ha de zones humides inondables servant d’espace tampon avec la Réserve. Devenu un pôle structurant, « Marecagia » s’urbanise dans sa périphérie (sur les berges du rhône et jusqu’au nord de salin de Giraud) privilégiant les complexes hôteliers et nécessitant un renforcement des digues fluviales. Certains secteurs maintenus inondables développent une complémentarité élevage-tourisme. Dans la pointe nord, sous l’effet d’une urbanisation rendue possible par la démoustication et nécessaire au développement économique, la riziculture et les marais de chasse, devenus incompatibles avec le développement territorial, disparaissent. par ailleurs, le pont de barcarin est utilisé non plus pour le fret mais pour l’accès touristique.

4. 2030, la remise en cause En quelques décennies, sous l’influence d’un grand propriétaire foncier2, la Camargue laguno-marine et le sud de la Camargue fluvio-lacustre se sont caractérisés par une plus grande richesse biologique et originalité écologique, avec des complémentarités entre la Réserve et les espaces inondables. Cependant, en se simplifiant, la Camargue 2030 s’est (re)complexifiée (à l’instar de la Camargue des années 2000, sinon plus). En effet, en s’artificialisant dans une trame finalement plus maîtrisée qu’au début du siècle lui permettant une plus large urbanisation, cette camargue (en cours de banalisation) s’interroge à nouveau sur son équilibre et sa durabilité.

1 2

le parc passe de 1 million de visiteurs en 2020 à 4 millions en 2030. Qualifiable de “nouveau Baroncelli du 21e siècle“.

363


CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

e

n augurant une « écologie future » du delta, ce scénario de rupture démontre une camargue capable de conserver un de ses fondements, celui de s’ajuster aux

changements et de se construire d’autres identités aussi bien en rupture qu’en continuité avec le passé. il montre également que si la gestion hydraulique n’est pas nécessairement le facteur déterminant du système deltaïque, la démoustication associée au “savoirbâtir“ en zone inondable peut déterminer la colonisation urbaine et touristique. De la même manière, les effets du changement climatique apparaissent dans ce scénario comme une clé, déterminant d’une part l’avènement d’un delta régi par la gestion hydraulique, d’autre part l’écriture d’une nouvelle camargue. D’où, au final, l’importance de déterminer, en amont de tout projet de développement territorial, une stratégie paysagère dont le postulat intègre les effets du changement climatique. aussi, par son contenu, ce scénario tient sa promesse d’une camargue 2030 inattendue sinon surprenante. cette camargue résulte d’une mitigation paysagère ambitieuse, dont on ne peine pas à croire qu’elle puisse être un moteur interrégional de réputation nationale et européenne. néanmoins, faisant des saintes-Maries-de-la-Mer une île touristique contenue dans ses remparts (et donc toujours incertaine…), ce scénario de rupture d’une « Camargue inattendue » aurait certainement pu se dédouaner d’une telle conservation1 pour sortir davantage encore du champ des possibles. toutefois, n’ayant pas été reprise dans les exercices prospectifs ultérieurs (eDater, 2008 ; MeDcie, 2010), cette camargue 2030 n’est peut-être pas aussi désirable aux yeux de ses acteurs. Mais, d’autres futurs possibles restent imaginables…

1 Dans laquelle les saintes-Maries-de-la-Mer deviennent une aménité paysagère et historique de la camargue justifiée par un coût de protection potentiellement absorbé par les bénéfices du parc spécialisé.

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B. Camargue 2040 et au-delà..., proposition de scénarios et futuribles paysagers la camargue, espace de faible densité, de développement résidentiel et touristique, et de dynamique industrielle, est un terrain pertinent d’application à quelques scénarios imaginés par la Datar dans le cadre de la prospective « territoires 2040 » (DATAR, 2011) à l’échelle du territoire français. c’est à partir de ces travaux - mais aussi de toutes nos recherches préalables, d’imagination et de ce que nous pensons pouvoir faire sens dans la camargue de demain - que nous proposons d’imaginer des scénarios d’une camargue à l’horizon 2040. Pour ce faire, nous avons extrait puis traduit deux concepts de la DATAR (« sphère » et « dôme ») en les spatialisant et en les confrontant aux enjeux du territoire camarguais et méditerranéen. Enfin, un troisième scénario (nous appartenant entièrement) propose une vision à très long terme (2080). l’enjeu est de construire des récits plausibles (c’est à dire basés sur les innovations et signaux faibles actuels) et audacieux et de démontrer la variété des trajectoires possibles pouvant conduire à un territoire résolument durable en explorant des stratégies de mitigation paysagère ambitieuses, chacune intégrant la problématique du changement climatique. Des scénarios géoprospectifs imaginés, nous déduirons des futuribles paysagers1 (cartes 42, 43 & 44) qui permettront de les distinguer et de les associer (les scénarios n’étant pas exclusifs les uns des autres).

i. la camargue, dôme rural méditerranéen Le scénario de dôme rural à l’horizon 2040 s’inscrit dans un contexte de remise en cause des logiques de croissance et de consommation selon une réorientation des activités productives dans un cadre plus local (encouragée par les aspirations des consommateurs/ citoyens revendiquant une conduite économe relative aux prélèvements sur la planète). l’hypothèse de ce scénario repose également sur la rareté de la disponibilité en énergie et convie donc à une durabilité impérative. il résulte du croisement et d’une interprétation déclinée des scénarios d’« alter-industrialisation » (Blanc, 2011) et de métropoles « oasis » (Pecqueur & Talandier, 2011). par reconnexion fonctionnelle, le processus de développement résidentiel et touristique a disparu au profit d’ « oasis », polarités urbaines fixant l’activité des populations. ces oasis sont composées de satellites urbains et ruraux dans lesquelles s’exercent toutes les fonctions de la ville (habitats, loisirs, assainissement…) ; on parle de villes « dômes », urbaines et/ou rurales (Pecqueur & Talandier, op. cit.). ce scénario recherche la cohérence territoriale par la (re)constitution d’un même lieu de vie, de production, de consommation, animé par une communauté d’habitantsproducteurs-citoyens. ces villes dômes, concurrentes, ne recherchent pas l’autarcie malgré 1

composition et organisation spatiales et paysagères possibles.

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CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

leurs spécificités multiples, mais entretiennent des flux commerciaux entre elles tout en recherchant une plus grande autonomie alimentaire. par ailleurs, avec le changement climatique et l’intensification de ses effets (hausse eustatique, érosion littorale…), ces oasis sont d’autant plus plébiscitées qu’elles sont des lieux riches et sûrs1, ajustés à leurs vulnérabilités, à l’inverse d’autres secteurs extérieurs soumis à des effets non maîtrisés et donc plus instables, considérés comme des déserts hostiles. Dans ce scénario, la ville, protectrice, gouverne un espace périurbain (qui peut être un dôme rural), mis au service du dôme urbain. C’est dans ce contexte que nous imaginons une Camargue affirmée en tant que dôme rural, au service de la plaine languedocienne et provençale, urbanisée et métropolisée, qui intègre des fonctions de productions alimentaires, énergétiques et sociales que les dômes urbains peinent à assurer. a partir de ses ressources et des fondamentaux de son fonctionnement deltaïque, le dôme rural camarguais a réussi à diversifier la production de ses ressources tout en développant une hyperspécialisation de ses productions. celle-ci lui permet d’échapper à la concurrence agressive des dômes adjacents tout en organisant une solidarité territoriale, structurant une nouvelle identité camarguaise (caractérisée par l’arrivée d’une population urbaine et notamment par les exclus des dômes urbains de la plaine). le dôme rural camarguais a réussi à assurer la durabilité de l’oasis en inventant l’autonomie de sa production énergétique et alimentaire et à conforter une nouvelle identité paysagère. l’autonomie alimentaire repose sur des productions maraîchères, fruitières et rizicoles (riziculture désormais sèche) en Camargue fluvio-lacustre. Le réchauffement climatique a permis à la camargue de se positionner comme leader face à l’espagne qui a dû réduire puis stopper ses activités maraîchères faute de ressources en eau. la pisciculture et l’élevage ovin-bovin se sont développés en camargue laguno-marine laissée ouverte aux intrusions marines et fluviales. l’autonomie énergétique s’appuie sur la reconversion des anciennes salines en plateforme de production de biodiesel. celle-ci résulte de la production d’une micro-algue2, la dunaliella salina, en raceway3 (langlais et al., 2009). cette nouvelle industrie permet de maintenir une population de flamants roses et de goélands railleurs4 se nourrissant d’artemia sp., crustacés prédateurs de dunaliella, et de conserver localement la spécificité paysagère de l’ancienne camargue saline. par ailleurs, des parcs photovoltaïques sont développés et sont désormais associés à des cultures de pleine terre. une pharmacopée, 1 D’où le « dôme », avec son image protectrice. 2 les micro-algues sont cultivées en israël, en australie, au Mexique, à taïwan et aux etats-unis pour des compléments alimentaires : la spiruline était cultivée dans les pays en voie de développement pour sa forte valeur protéique et on extrayait le béta-carotène de dunaliella salina. certaines industries utilisent les oméga-3 des acides gras de micro-algues comme complément diététique pour éviter les maladies cardiaques. les micro-algues sont aussi utilisées comme fertilisant pour le sol ou comme nourriture pour l’élevage de crustacés (langlois et al., 2009). 3 Bassin ouvert à l’intérieur duquel l’eau circule à une vitesse modérée mais suffisante pour maintenir les cellules de micro-algues en suspensions. ce type de bassin est fondé sur un compromis entre productivité et coût d’aménagement ; réduit en camargue grâce aux salines existantes. 4 espèces d’oiseaux vulnérables listées à l’annexe 1 de la directive sur la conservation des oiseaux sauvages de l’union européenne (72/409/eec).

366


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

notamment composée de ginseng (panax ginseng) est ainsi produite à l’ombre des panneaux et rappelle les premières expérimentations réalisées en 2012 dans les landes. une reprise de la culture du sel permet aussi de produire des principes actifs pharmaceutiques et des substances organiques de synthèse destinés aux marchés de la cosmétique et de l’électronique. La Camargue a également réussi à s’affirmer sur le marché de l’éco-construction en développant des filières spécifiques, à l’instar de la sagne. En effet, dans des rizières peu productives reconverties (Zyngier & Clopeau, 2009) et des marais périphériques du Vaccarès (qui assuraient déjà des fonctions d’assainissement et d’épuration), s’est développée l’exploitation des roseaux1 comme matériau isolant2, de plus en plus supplanté par le Miscanthus3. le marché de l’éco-construction donne à l’activité saline un nouvel essor grâce au développement des toitures de sel. la généralisation de ces nouveaux toits blancs dans les dômes urbains participe à la lutte contre le réchauffement climatique en augmentant l’albédo du bâti4. les notions et pratiques de tourisme ont quasiment disparu, remplacées par les notions et pratiques de loisirs et d’excursions dans l’oasis5. le dôme rural est d’ailleurs constitué de multiples parcs agricoles et naturels superposant des loisirs très variés. une forme de tourisme vert local a réussi à se maintenir grâce à l’attractivité des Marais du Vigueirat, devenus reliques des paysages de la camargue du 20e siècle. par ailleurs, le pont de Barcarin, et surtout le transport fluvial de personnes, a permis de décongestionner le village de Salin-de-Giraud, devenu cité lacustre (localement flottante) et complexe de « ressourcement »6, qui accueille chaque week-end des milliers de résidants des dômes urbains. en revanche, maintes fois submergées, les saintes-Maries-de-la-Mer ont connu un fort exode. les ouvrages de protection (re)construits au coup par coup depuis les années 2015 avaient considérablement entamé la qualité paysagère de la ville et fini par lui faire perdre tout intérêt touristique. il y subsiste toutefois un “néonomadisme“ semblable à celui des cabanes de beauduc, toujours présentes dans le golf éponyme. la progradation de ce secteur sableux a d’ailleurs permis d’accroître considérablement la capacité d’accueil de cet éco-site devenu une référence en matière de lodges littoraux (démontables, flottants, amphibies…). Enfin, les hameaux camarguais7, anciens pôles de repli des enjeux humains et économiques des saintes-Maries-de-la-Mer, en retrait du littoral et non impactés par les 1 Activité marginalisée à la fin du 20e siècle. 2 la teneur en silice du roseau lui donne une durabilité exceptionnelle et une résistance aux agents climatiques, et sa conductivité thermique est aussi intéressante que la laine de roche. 3 Roseau géant asiatique introduit en Bretagne par une filiale du britannique Biomass Industrial Crops Ltd. il offre de nombreux débouchés : biomasse combustible, litière, panneaux de particules, éthanol, éco-construction… 4 l’albédo est la capacité d’une surface à renvoyer l’énergie solaire incidente (qui arrive à la surface de la terre). 5 la notion de voyage dans le dôme n’existe pas. le déplacement vers un parc précis du dôme et la durée limitée du séjour (le temps d’une journée ou deux) caractérise davantage une forme de loisir que de tourisme. 6 autrefois appelé « thalassothérapie ». 7 cabanes de cambon, pioch-badet et astouin (commune des saintes-Maries-de-la-Mer), albaron, Gageron, saliers, le sambuc (commune d’arles – rive droite du Grand rhône) et Mas thibert (commune d’arles – rive gauche du Grand rhône).

367


Pla

anisée ine urb

PIOCH�BADET

CABANES DE CAMBON

ASTOUIN

Eco-site de Beauduc

ALBARON

SALIER

GAGERON

ARLES

SALIN�DE� GIRAUD

LE SAMBUC

Marais du Vigueirat

Pont de Barcarin

MAS THIBERT

Montpellier

Carpentras

Orange

Marseille

Dômes urbains

Dôme rural

ARLES

Avignon

OASIS

Toulon

Saliculture

Algoculture en raceway

Pisciculture

Elevage bovin et ovin

Fermes photovoltaïques

Marais salicoles

Marais maraichers, rizicoles Pharmaculture

Marais - Roselières

Extension des Cabanes de Beauduc

Nouveaux hameaux

Digues entrecoupées de déversoirs Hameaux, pôles stratégiques de repli des Stes-Maries

Incursions fluviales

Incursions marines

Trait de côte en 2030 (d’après Sabatier, 2001)

Limite dômes urbains/ dôme rural

Camargue

Nîmes

CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

carte 42 : Futurible paysager du scénario « la camargue, dôme méditerranéen ». réalisation Morisseau, 2012

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

submersions récurrentes, sont devenus des points d’ancrage et des nœuds stratégiques régissant la mobilité et l’urbanisation (adaptée au risque d’inondation par anticipation et prévention) à l’intérieur du dôme. D’autres se sont même créés et implantés dans des espaces stratégiques, entre terre et mer. Multifonctionnalité et diversité paysagère font désormais de la camargue un “archipel néo-rural“1 : un dôme rural multiservice des dômes urbains, une « avantscène » (Barthe & Milian, 2011) de la plaine urbaine (rappelant d’une certaine manière le modèle de la cité-jardin ou encore les hortillonnages et autres marais maraîchers projetant une vision utopique de la cité idéale). Mais la camargue pourrait aussi jouer un rôle beaucoup plus large dépassant l’échelle régionale et interrégionale…

ii. la camargue, spot mondial du changement climatique Dans un contexte de recherche de durabilité des modes de vie, l’économie productive et industrielle se transforme profondément en se réorientant autour d’offres de biens et de services innovants à valeur sociale et environnementale ajoutée (à l’instar du scénario précédent). Dans cette vision, l’espace national reflète un découpage en grandes zones au sein desquelles des pôles d’expérimentation développent des solutions spécifiques avant de les diffuser plus largement. ce scénario résulte du croisement et de l’interprétation déclinée des scénarios de « reconstruction industrielle verte » (Blanc, 2011) et de « spots », hauts-lieux spécifiques de réputation mondiale (Pecqueur & Talandier, 2011). l’essor de la mobilité mondiale a fait émerger des spots2, territoires qui n’en sont plus vraiment faute d’ancrage de populations partageant géographiquement (et durablement) le même sentiment d’appartenance (Pecqueur & Talandier, op. cit.). Hyperspécialisés, certains sont devenus de véritables lieux d’expérimentation. c’est dans ce contexte et à partir des scénarios précédents (« Camargue 2030 » et « dôme rural camarguais ») que nous imaginons une camargue devenue spot mondial d’expérimentation et d’ajustement aux effets du changement climatique. après avoir été contrôlée par les agriculteurs et les saliniers au cours du 20e siècle puis par des gestionnaires dont le pnrc au début du 21e siècle, la camargue fait désormais l’objet d’une gouvernance locale faible, reportée sur l’etat et notamment sur l’onerc, observatoire national sur les effets du réchauffement climatique, devenu pôle fédérateur international de recherche, de développement et d’ajustement des territoires, sous l’égide de la convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques (ccnucc). c’est ainsi que la camargue est devenue un laboratoire mondial d’ajustement

1 Pour reprendre de manière adaptée à la Camargue l’expression de Pecqueur & Talandier, « l’archipel néo-urbain », qui désigne un dôme urbain et ses dômes ruraux. 2 certains territoires sont devenus des hauts-lieux du tourisme (spots du ski, de la plongée…), de la haute technologie, etc.

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CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

au changement climatique. La forte spécificité de ce territoire a permis de recréer de très nombreuses zones humides, notamment subtropicales (à partir des potentialités physiques deltaïques, de la hausse des températures et des progrès techniques), et de concevoir un parc international des zones humides (l’idée d’un parc national des zones humides existait déjà en France vers 2012). ce spot rassemble une palette d’acteurs territoriaux (chercheurs, politiques, industriels, paysagistes, architectes…) du monde entier1 qui viennent expérimenter, partager ou apprendre, le temps de séjours plus ou moins longs, des stratégies de valorisation et d’ajustement des milieux aux effets du changement climatique. la diversité humaine, paysagère, biologique et écologique ainsi créée fait écho au discours de peter bridgewater, secrétaire Général de la convention de ramsar, prononcé le 22 mai 2007 lors de la Journée internationale de la diversité biologique : « Il nous faut devenir des gestionnaires plus efficaces de la biodiversité, c’est-à-dire utiliser des techniques de gestion évolutives et une approche écosystémique pour faire en sorte que la biodiversité résiste au changement climatique. Nous ne voulons certes pas encourager les espèces invasives, mais il va nous falloir être réactifs et introduire des espèces sur nos territoires terrestres et marins pour améliorer notre réaction potentielle au changement. Quant à nos aires protégées, elles pourraient bien avoir d’autres fonctions que la préservation de notre patrimoine, en devenant par exemple des sites d’évolution de nouvelles espèces et de nouveaux écosystèmes capables de réagir plus efficacement aux excès du changement climatique. » Déjà leader dans l’ajustement aux effets du changement climatique et dans les stratégies de mitigation paysagère, le spot camarguais a réussi à conserver ses spécificités de productions (aquaculture, riziculture, saliculture, aquaculture, sagne…) qu’il valorise comme références tout en les confrontant aux savoir-faire issus d’autres zones humides afin d’être toujours plus innovants et plus adaptés. De la même manière et par exemple, un groupe de chercheurs américains observe actuellement le comportement d’une zone humide arrière-littorale (semblable à celles du comté de Marshall dans le Mississippi) après une submersion prolongée dont la stagnation des eaux a entraîné la production de cyanobactéries et d’algues, lesquelles pourraient notamment servir à la bioremédiation des eaux d’une ferme aquacole adjacente développée par des chercheurs hollandais. par ailleurs, le littoral camarguais présente l’opportunité de développer des prototypes d’ouvrages de protection innovants à l’instar de la « cape anti-submersion »2

1 et notamment du Delta du Mississippi, du Gange, du pô, du Guadalquivir… 2 concept développé par l’institut Fresnel (Marseille) sous la direction de stephan enoch (FarHat M., enocH s., Guenneau s., anD MoVcHan a. b., 2008, Broadband cylindrical acoustic cloak for linear surface waves in a fluid, physical review letters101.

370


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

(cf. annexe 2) expérimentée au droit des saintes-Maries-de-la-Mer et sans laquelle la ville (qui a pu s’étendre) n’existerait plus. elle a pu maintenir une dynamique touristique notamment par l’invention d’une nouvelle typologie de plages et de fronts de mer proposant des parcs et des jardins littoraux (illustrant une superposition d’usages sur l’ouvrage de protection)…, nouvelle forme de poldérisation qui doit désormais être encadrée. D’autres prototypes d’architecture adaptée à la submersion sont expérimentés sur le pourtour de l’étang de Vaccarès qui a pris localement des allures de lagon parsemé d’îles. Organisé en docks sur quais flottants, ce bâti colonise la périphérie de l’étang ainsi que les étangs de Fournelet et d’ulmet (à nouveau en communication permanente avec la mer), faisant référence à la camargue antique amplement investie par les Grecs et les romains (cf. Chapitre 5). Au cœur du delta (dont la réorganisation globale et évolutive est confiée à des paysagistes), cette urbanisation permet de loger les résidents internationaux et de leur offrir des infrastructures de travail (laboratoires, salle de congrès…). avec l’accroissement des effets du changement climatique, de nouveaux territoires impactés (positivement comme négativement) envoient des émissaires pluridisciplinaires au spot camarguais, où ils restituent leurs observations et conçoivent avec leurs homologues des stratégies d’ajustement testées préalablement sur le modèle physique d’échelle 1/1. la camargue, en tant que territoire, continue d’assurer des fonctions de productions alimentaires, énergétiques, sociales, touristiques (extrêmement variées) à l’échelle régionale et interrégionale, renforçant plus que jamais l’attractivité du Grand sud-est pourtant soumis par ailleurs à des effets néfastes du changement climatique1. par sa capacité à produire des paysages et à se réinventer en permanence, la camargue, qui en langue d’oc, n’a cap marca signifie « n’a pas de frontière », est désormais mondialement reconnue en tant que spot d’une néo-culture, celle de l’ajustement au changement climatique. Désormais, être Camarguais ne signifie plus seulement habiter l’ile de la Grande camargue, mais être ambassadeur d’une nouvelle culture.

1

comme notamment la faillite de nombreuses stations de skis, dont d’anciens spots mondiaux.

371


ée urbanis Plaine

SAINTES�MARIES� DE�LA�MER

Etang de Vaccarès

ARLES

SALIN�DE� GIRAUD Pont de Barcarin

Milieux d’interface

Milieux humides doux à saumâtres

Milieux humides salicoles

Bâti expérimental adapté

Protection et usages expérimentaux de la ville

Digues entrecoupées de déversoirs

Incursions fluviales

Incursions marines

Trait de côte en 2030 (d’après Sabatier, 2001)

CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

carte 43 : Futurible paysager du scénario « la camargue, spot mondial du changement climatique ». réalisation Morisseau, 2012

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

iii. la mangrove camarguaise, le delta de tous les possibles si l’on considère encore plus globalement (dans le temps et l’espace) le changement climatique, nous devons tenir compte autant de la hausse eustatique que de la hausse des températures. les projections actuelles modélisent, pour les régions du Grand sud-est, une hausse moyenne significative des températures à l’horizon 20501 et davantage encore à l’horizon 20802 (MeDcie, 2008), notamment au droit du delta du rhône, pouvant localement augurer une mutation du climat méditerranéen en climat subtropical, et favoriser l’installation spontanée de palétuviers (rhizophora sp.) et la formation d’une mangrove sur le pourtour camarguais. Cependant, la moyenne assez basse des températures hivernales actuelles, à laquelle ne résisteraient pas ces végétaux3, confère à ce scénario une faible probabilité. toutefois, l’incertitude des projections actuelles et les écarts de températures localement contrastés sur le littoral nous autorisent à ne pas écarter cette hypothèse. ainsi, si les températures sont un facteur potentiellement limitant, le delta camarguais dispose d’eau douce, de sel et de sédiments favorables au développement d’une mangrove. par un transit des propagules de palétuviers les plus proches (situés en Mer rouge au sud d’israël et de l’egypte) via le canal de Suez et par une implantation d’abord dans le sud méditerranéen puis par diffusion de proche en proche sur le pourtour du bassin4, on peut imaginer qu’une mangrove se substitue aux sansouires camarguaises et au bois des rièges (jusque là composé de grands bosquets de genévriers de phénicie et de pins parasol dépérissant sous l’effet de la salinisation) au cours de la deuxième moitié du 21e siècle. cette hypothèse ouvre un vaste champ de potentialités et introduit d’autres voies de mitigation paysagère, dont la première repose sur la dynamique même du littoral. en effet, favorisant la sédimentation (0,5-20mm/an) et l’exhaussement des sols, la mangrove se déplace vers le large et fait avancer avec elle le rivage tout en constituant un des écotones les plus productifs (en terme de biomasse) de la planète (chauveau, 2007), compensant les effets de la hausse eustatique relative au changement climatique. en tirant partie des potentialités offertes par la mangrove, cette barrière littorale naturelle permet à différentes camargue (notamment celles décrites précédemment) de se réinventer ou de se conforter. c’est ainsi que le dôme rural de la camargue 2040 aura diversifié encore ses fonctions : production sylvicole, épuration et dépollution des eaux usées et même production d’eau potable à partir d’eau salée5 (par récupération de la rosée

1 la synthèse des scénarios du Giec (a2, a1b et b1) modélisent une hausse moyenne comprise entre 1°c et 1,9°c l’hiver et entre 1,4°c et 3°c l’été. 2 la synthèse des scénarios du Giec (a2, a1b et b1) modélisent une hausse moyenne comprise entre 1,5°c et 3,1°c l’hiver et entre 2,4°c et 5,2°c l’été. 3 L’extension des mangroves est actuellement et essentiellement bloquée par les amplitudes ≥ 10°C, par une température du mois le plus froid <10°c et par un degré d’aridité trop élevé (saison sèche >6-7 mois), ce dernier paramètre n’étant cependant pas toujours vérifié (à l’instar des mangroves en sud Mauritanie et aux USA). Elle se développe actuellement entre les latitudes 30° sud et 30° nord, avec quelques exceptions associées à des particularités physiques, climatiques ou océaniques localisées ; les latitudes les plus hautes étant celles du sud du Japon (31° n) ou du sud de l’australie (38°45 s). 4 Jusqu’à la latitude 43° nord du littoral sableux camarguais. 5 en 2007, le principe a été expérimenté au Japon par un collège d’étudiants ingénieurs de l’ecole centrale de paris. un hectare planté permettait de récupérer 30 000 litres d’eau par jour, correspondant à la consommation de 10 000 personnes (le Monde, Kahn a., 16 juin 2007).

373


ée urbanis Plaine

PIOCH�BADET

SAINTES�MARIES� DE�LA�MER

CABANES DE CAMBON

ASTOUIN

ALBARON GAGERON

ARLES

SALIN�DE� GIRAUD

LE SAMBUC

MAS THIBERT

Développement des hameaux

Urbanisation et croissance des enjeux

Extension de la mangrove & progradation du littoral

Mangrove

Digues entrecoupées de déversoirs

Incursions fluviales

Trait de côte en 2030 (d’après Sabatier, 2001)

CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

carte 44 : Futurible paysager du scénario de « mangrove camarguaise ». réalisation Morisseau, 2012

374


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

des palétuviers - abondamment transpirants - élevés sous serres sur d’anciennes salines). Mais c’est peut-être également ainsi que le spot mondial de l’ajustement au changement climatique sera devenu obsolète, en se rendant beaucoup plus stable face aux submersions et hypothéquant les potentialités de diversité écologique et paysagère. cependant, désormais au cœur d’une mangrove et protégée des assauts marins, la ville des saintes-Maries-dela-Mer aura retrouvé une légitimité et une nouvelle attractivité justifiant les nombreuses politiques de protection ouvragée menées depuis presque deux siècles… La mangrove instaurera une nouvelle fixité littorale et de nombreuses activités à enjeux forts, mais sera aussi susceptible de renvoyer aux dérives fixistes de la fin du 20e siècle, celles qui ont conduit à la vulnérabilité du territoire.

e

n croisant différents champs théoriques (récemment explorés par la Datar) avec la problématique du changement climatique en camargue et en usant d’imagination,

nous avons fait émerger trois scénarios exploratoires et formuler trois futuribles

paysagers et territoriaux (figure 43 page suivante). Le dôme rural camarguais, de rayonnement régional et interrégional, articulé sur de profondes reconversions économiques et urbaines, illustre une conservation des paysages du début du 21e siècle. une camargue de rayonnement mondial, spot d’une néo-culture relative à l’ajustement au changement climatique, construite sur une nouvelle diversité paysagère. Enfin, le développement d’une mangrove (à l’horizon 2080) a conduit à imaginer une Camargue aux mutations paysagères profondes rendant possibles toutes activités sous l’effet d’une nouvelle fixité littorale. par ces trois visions, la conservation des saintes-Maries-de-la-Mer n’apparaît pas comme un facteur déterminant (à l’instar de la gestion hydraulique) l’avenir de la camargue. cependant, ces différentes trajectoires systémiques démontrent une attractivité de la ville variable selon les paysages au sein desquels elle s’insère. toutefois, le dernier scénario confirme que ce qui a peu de valeur aujourd’hui pourrait en avoir bien plus demain… Mais à quel prix1 ? aussi, chaque scénario s’est attaché à tirer parti au mieux des effets du changement climatique (et des compensations paysagères) et illustre donc une mitigation du paysage2 ambitieuse. en outre, en dépit du changement climatique et en tant qu’espace de faible densité, la camargue semble avoir la capacité et l’opportunité de devenir une composante essentielle du programme d’aménagement d’un territoire durable à l’échelle du Grand sudest. Mais ce programme nécessite de s’appuyer sur des modèles d’ajustement encadrés par une politique de renouvellement littoral…

1 nous avions démontré dans le chapitre 7 que le coût de protection de la ville pourrait atteindre la valeur de la ville en 2050… 2 Mitigation paysagère (ou mitigation des paysages) : réduction de la vulnérabilité par la construction de paysages. cette construction repose sur l’accompagnement des mutations de paysages. la stratégie de mitigation paysagère est donc l’élaboration de projets d’accompagnement des mutations de paysages visant la réduction de la vulnérabilité d’un territoire et de sa société afin d’atténuer le risque d’inondation ou de submersion, et dans certains cas mêmes d’en tirer parti.

375


ée

PIOCH�BADET

Eco-site de Beauduc

SALIN�DE� GIRAUD

LE SAMBUC

2040

GAGERON

ARLES

Marais du Vigueirat

Pont de Barcarin

MAS THIBERT

Montpellier Marseille

Dômes urbains

Dôme rural

Avignon

OASIS

Développement du bâti

Saintes-Mariesde-la-Mer

Concentré sur polarités urbaines existantes et création de pôles géostratégiques

Ville repliée vers les hameaux arrière-littoraux

Forte (renforcée par un néo-nomadisme)

Saliculture

Algoculture en raceway

Pisciculture

Elevage bovin et ovin

Fermes photovoltaïques

Marais salicoles

Marais maraichers, rizicoles Pharmaculture

Marais - Roselières

Extension des Cabanes de Beauduc

Nouveaux hameaux

Digues entrecoupées de déversoirs Hameaux, pôles stratégiques de repli des Stes-Maries

Incursions fluviales

Incursions marines

Trait de côte en 2030 (d’après Sabatier, 2001)

Limite dômes urbains/ dôme rural

Camargue

Nîmes

Mobilité anthropique interne

Régional / Interregional

CABANES DE CAMBON

ASTOUIN

ALBARON

SALIER

Conservation des paysages du début du 21e siècle & exploitation des compensations paysagères

urbanis

Dynamique paysagère

Echelle Rayonnement

Horizon

Plaine

Scénario 1 : Dôme méditerranéen ée

urbanis

SAINTES�MARIES� DE�LA�MER

2040

SALIN�DE� GIRAUD Pont de Barcarin

National / Mondial

Etang de Vaccarès

ARLES

Milieux d’interface

Milieux humides doux à saumâtres

Milieux humides salicoles

Bâti expérimental adapté

Protection et usages expérimentaux de la ville

Digues entrecoupées de déversoirs

Incursions fluviales

Incursions marines

Trait de côte en 2030 (d’après Sabatier, 2001)

Saintes-Maries et pourtour du Vaccarès

Ville conservée et développée au sein d’un ouvrage expérimental

Moyenne

Création d’une nouvelle diversité paysagère

Plaine

Scénario 2 : Spot mondial

PIOCH�BADET

ARLES

MAS THIBERT

SALIN�DE� GIRAUD

LE SAMBUC

2080

GAGERON

Mutation paysagère spontanée

Régional / Interregional

SAINTES�MARIES� DE�LA�MER

CABANES DE CAMBON

ASTOUIN

ALBARON

Développement des hameaux

Urbanisation et croissance des enjeux

Extension de la mangrove & progradation du littoral

Mangrove

Digues entrecoupées de déversoirs

Incursions fluviales

Trait de côte en 2030 (d’après Sabatier, 2001)

Saintes-Maries, Salin-de-Giraud et Camargue fluvio-lacustre

Ville conservée et développée au sein d’une dynamique de progradation du littoral

Faible (instauration d’une nouvelle fixité)

ée urbanis Plaine

Scénario 3 : Mangrove camarguaise

CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

Figure 43 : tableau de synthèse et de comparaison des scénarios d’évolution possible de la camargue 2040 et 2080. réalisation Morisseau, 2012

376


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

c. le renouvellement littoral : principes et acteurs

a

l’instar de l’approche précédente, la construction de récits ancrés dans le présent (mais appuyés sur une mémoire de l’action) permet d’inventer une culture du futur.

Les récits du territoire camarguais sont fondés sur une mémoire (Cf. fin du chapitre 7) qui guide ou influence les choix d’orientation et les légitime au nom de l’ajustement au changement climatique. il ne s’agit pas d’une mémoire du territoire selon le spectre patrimonial, ni de la mémoire collective, mais d’une mémoire de l’action politique et des hommes qui l’ont fabriquée : l’enjeu est de transformer cette mémoire en compétence partagée et de contrecarrer toute forme d’inertie (Sgard, 2008) qui sacrifierait le potentiel de la nature et du territoire. si la diversité des trajectoires possibles implique de ne plus penser l’aménagement de l’espace rural et littoral comme on a construit la ville, notamment par le zonage, elle suppose un renouvellement de posture et l’invention d’autres outils pour conduire à une nouvelle littoralité ; à une nouvelle organisation des enjeux et des paysages littoraux par l’intégration d’une nouvelle conception du changement climatique, le renouvellement littoral. après une rétrospection sur les choix actuels de gestion du littoral camarguais, nous définirons la notion de renouvellement littoral, son rôle et ses atouts puis nous lui

associerons un nouvel outil issu de nos précédentes démonstrations. Enfin, nous nous interrogerons sur l’application et les acteurs de ce renouvellement littoral en camargue.

i. Regard rétrospectif sur les choix de gestion actuels du littoral camarguais en usant localement du principe de laisser-faire maîtrisé et en programmant un décorsetage partiel du rhône, la camargue s’engage progressivement vers d’autres trajectoires… qu’elle ne connaît et soupçonne guère. c’est aussi par incertitude, prudence et précaution, et pour ne pas hypothéquer l’avenir, qu’elle veille à protéger certains enjeux, à l’instar des saintes-Maries-de-la-Mer qui, en fonction de la trajectoire retenue, jouera (ou pas) un rôle significatif à l’échelle globale du delta, voire au-delà. Toutefois, c’est par une vision encore trop locale du littoral, conjuguée à une forte volonté conservative et quasi paralysante, qu’elle s’empêche de se réinventer et de se placer dans les voies de son futur. celui-ci impose une vision et une action globales (que les gestionnaires ont par ailleurs – pour la gestion de l’eau notamment) qui ne se limiteraient pas à des choix de gestion du littoral mais qui structureraient des stratégies bien plus rayonnantes. c’est pourquoi nous préconisons l’instauration et la mise en œuvre d’un renouvellement littoral qui offrirait un cadre renouvelé à la GiZc (Gestion intégrée des Zones côtières).

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CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

ii. les principes du renouvellement littoral 1. Définition : vers une nouvelle littoralité territoire aux multiples enjeux (notamment démographique) et confronté au changement climatique, le littoral concentre des problèmes paysagers, écologiques, économiques, sociaux, urbains… qu’il convient d’appréhender par une politique d’envergure, une politique de projets menant à une autre littoralité. a l’instar du renouvellement urbain1, notion large qui désigne la reconstruction de la ville sur la ville à l’échelle d’une commune ou d’une agglomération, le « renouvellement littoral » viserait à reconcevoir le littoral sur lui-même à l’échelle de ses dynamiques géomorphologiques, sociétales et paysagères (de l’amont du bassin hydrographique à la haute-mer). Il se caractériserait par la définition d’une vision stratégique globale intégrant la requalification d’espaces littoraux et arrière-littoraux ainsi que la rénovation urbaine littorale, menant notamment au repli des enjeux bâtis (démolition et reconstruction) et au développement d’entités urbaines nouvelles ou existantes. cette notion de renouvellement littoral existe en Grande-bretagne sous le vocable de « coastal regeneration »2, système de planification spatiale opérant au niveau national, régional et local. il privilégie l’échelon régional par déconcentration de compétences ou de crédits (affectés à la régénération littorale) vers le niveau régional via les bureaux du Gouvernement ou les agences régionales, fédérés par la coastal communities alliance, réseau des autorités locales et des organisations côtières. en France, à l’instar de l’anru (agence nationale pour la rénovation urbaine), la Régénération des territoires littoraux pourrait être menée et encadrée par une « ANRL », agence nationale (ou régionale) pour le renouvellement littoral, valorisant une démarche de projet et réunissant, l’etat, la région, les collectivités locales concernées, l’onerc (Observatoire National sur les Effets du Réchauffement Climatique), l’EUCC (Coastal & Marine union), le celrl (conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres)… cette agence aurait pour mission la mise en œuvre d’un programme de renouvellement d’espaces et de territoires littoraux notamment classés tri (territoires à risques importants d’inondations – ou de submersions), en aléas forts dans les ppri (plan de prévention des risques d’inondations) et ppsMcr (plan de prévention des submersions Marines et des crues rapides) ou visés par des papi (programme d’actions de prévention des inondations). par ailleurs, appréhendée selon une vision globale de stratégie spatiale et paysagère, qui comme on l’a démontré dans cette thèse, constitue un angle d’attaque pertinent de la réorganisation territoriale, la notion de renouvellement littoral permet d’associer, à l’instar de certains auteurs (billé et al., 2010), la GiZc et la stratégie d’adaptation 1 Forme d’évolution de la ville qui vise à traiter les problèmes sociaux, économiques, paysagers, urbanistiques, architecturaux, environnementaux, etc. de quartiers anciens ou dégradés et à susciter de nouvelles évolutions de développement à l’échelle de l’agglomération. 2 De la même manière que l’ « urban regeneration » et la « rural regeneration ».

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

au changement climatique (acc) dont les interactions sont susceptibles de créer de nouvelles synergies au travers de projets d’aménagement et d’ajustement expérimental.

2. Des projets d’ajustement expérimental et la réversibilité des paysages Hors l’atteinte d’un état stable utopique (mais un équilibre dynamique), la gestion d’une zone côtière ne sera jamais totalement intégrée, de même que le système littoral ne pourra être définitivement adapté. Or la notion d’aménagement est souvent pensée comme un processus de transformation définitif sur lequel il est pratiquement impossible de revenir ; alors que la complexité des processus d’évolution des paysages impose une mise en œuvre de dispositifs d’ajustement souples et susceptibles de réversibilité ou de rétroaction (luginbühl, 2009). le détachement ou la rupture avec le cadre réglementaire habituel et parfois arbitraire (bande des 100 mètres relatifs à la loi littoral par exemple) - ou face à un vide juridique (légitimité du recul stratégique relatif à une dépoldérisation ou légitimité d’une construction adaptée au risque) - sous-tendus par l’innovation (technique et intellectuelle), font émerger de nouvelles formes d’aménagement expérimental, qui évoluent et s’enrichissent mutuellement à mesure que les projets s’élaborent (cf. précédemment scénario n°2, la camargue spot mondial de l’ajustement au changement climatique, dont l’expérimentation partagée est un des enjeux). cela implique de mettre en place un processus continu et dynamique d’ajustement et préfigure un « aménagement d’ajustement »1, qui évalue le sens et la réversibilité2 des projets. cet aménagement d’ajustement inclura une part d’espace non aménagé, le « tiers paysage » (Clément, 2004), non pas pour constituer des reliques paysagères “muséifiantes“, mais pour permettre et assurer la réversibilité des paysages.

3. Des Plans d’ajustement au changement climatique nous concluions la première partie de cette thèse sur l’hypothèse d’établir des plans d’actions de prévention des inondations (par fusion des plans-guide d’aménagement – réalisés par les paysagistes – et des programmes d’actions) ouvrant la perspective à des projets d’ajustement permanent. notre application à la problématique littorale soumise au changement climatique et au risque de submersion nous invite à décliner cet outil en “ Plan d’Ajustement au Changement Climatique (PACC) “. ce pacc, auquel les cartes de futuribles paysagers serviraient de base, deviendrait le document phare du renouvellement littoral3 coordonnant notamment les projets d’ajustement expérimental (recul stratégique, relocalisation des enjeux, protection limitée, adaptation du bâti, reconversion agricole 1 luGinbüHl Y., 2009, biodiversité, changement climatique et paysage, Humanité et biodiversité, Manifeste pour une nouvelle alliance, Ligue Roc, Descartes & Cie, 232p. 2 réversibilité de plus en plus recherchée dans le domaine de la conception et de la construction, notamment rapportée sous le concept de « cradle to cradle » (« du berceau au berceau ») qui consiste à créer et à recycler à l’infini. Cette approche, proche du développement durable, développée par l’architecte William McDonough, envisage « le déchet comme un nutriment pour l’avenir ». 3 a l’instar du « plan/schéma directeur » du renouvellement urbain.

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CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

et salicole…). Il coordonnerait également les outils de planification, d’aménagement et de prévention des risques actuels tels que le schéma régional d’aménagement et de développement du territoire (sraDt), le schéma de Mise en Valeur de la Mer (sMVM), la Directive territoriale d’aménagement (Dta), le schéma de cohérence territoriale (scot), le plan local d’urbanisme (plu), le plan de prévention du risque d’inondation (ppri)… parfois divergents ou en ruptures d’échelle. il traduirait des visions paysagistes d’harmonisation (de sens et d’échelle du territoire) et une recherche constante de mitigation paysagère. ses supports graphiques (sous le nom de futuribles paysagers) permettraient de faire continuellement évoluer la démarche prospective partagée et ajustée avec l’ensemble des acteurs.

iii. acteurs et application en camargue Dans le contexte présent et à venir, le renouvellement littoral s’impose à la camargue comme une solution d’anticipation et d’actions (d’ajustement, de requalification et de rénovation spatiale et paysagère), encadrant notamment la stratégie de repli. en tant que structure capable d’agréger les visions parfois contradictoires des acteurs territoriaux, le pnrc apparaît actuellement comme le seul acteur crédible pour mener ce renouvellement littoral en mariant des objectifs de conservation et des axes de développement expérimental. ne s’apparentant pas à une structure régalienne détentrice de moyens directement contraignants, il dispose aujourd’hui d’atouts pour centraliser les politiques qui contribueront à maintenir une biodiversité en camargue (MeDDtl, 2011) et à assurer la certitude d’un avenir porteur. toutefois, par son rôle de médiation et d’arbitrage, l’etat doit poursuivre son action d’interface entre les différentes formes d’organisation locale afin de respecter ses engagements (prévus dans la charte du pnrc de 2010). Mais il devrait aussi être davantage force de proposition notamment sur l’aspect prospectif, en ajustant ses réglementations en fonction d’une intelligence de projet. en parallèle de sa charte, le pnrc devrait s’engager (du moins expérimentalement) dans la réalisation d’un pacc (plan d’ajustement au changement climatique) en s’entourant de paysagistes1 prospectivistes ; une approche atypique pour faire de la Camargue le territoire pilote d’une réflexion méthodologique nouvelle, en marge des projets d’adaptation au changement climatique récemment lancés par l’etat2.

1 Dont le rôle est de dépasser le « traitement des points noirs paysagers »… 2 MeeDDM, 2010, programme Gestion et impacts du changement climatique (Gicc), appel à propositions de recherche, commissariat Général au Développement Durable Direction de la recherche et de l’innovation, service de la recherche, 11p.

380


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

p

ar son approche globale et sa dynamique de projets, le renouvellement littoral proposé

introduit et caractérise une nouvelle GiZc. il s’appuie sur des modèles prospectifs

d’ajustement entre dynamiques sociétales et changement climatique dans lesquels le paysage est déterminant. il s’exprime par des plans d’ajustement au changement climatique (pacc), documents phares coordinateurs de projets d’ajustement expérimental et réversibles. Il implique de poursuivre sans discontinuité la réflexion prospective afin qu’elle s’ajuste au fur et à mesure à l’état présent, aux idéologies et aux innovations. Dans ce contexte, la camargue apparaît comme un territoire potentiellement pilote du renouvellement littoral conduit par le pnrc et accompagné par l’etat.

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CHAPITRE 10 - lE renouvellement littoral : AjusTEmEnT dEs dynAmIquEs soCIéTAlEs Au CHAngEmEnT ClImATIquE

l

a camargue n’est pas invulnérable aux changements en cours et à venir, notamment le changement climatique. toutefois, en plaçant les effets de celui-ci, notamment la

hausse eustatique, en amont des réflexions (mainstreaming) conduisant invariablement à une rupture des digues marines et fluviales, les scénarios étudiés et explorés dans ce chapitre démontrent les opportunités et la capacité de l’anthroposystème camarguais à s’ajuster aux mutations et à se réinventer en continu. c’est ainsi que le scénario de rupture (Poux, 2005), « Camargue 2030 », illustre un territoire nouvellement attractif bien qu’inattendu et montre que la gestion hydraulique n’est pas nécessairement le facteur déterminant du système deltaïque. en revanche, en plaçant le paysage et l’organisation spatiale du territoire comme déterminant, nous avons construit d’autres scénarios à partir des hypothèses de la DATAR (Territoires 2040) et exploré deux Camargues à l’horizon 2040 : le dôme rural méditerranéen, de rayonnement régional et interrégional, bâti sur d’importantes mutations économiques et urbaines, mais conservateur des paysages du début du 21e siècle ; et le spot mondial d’une néo-culture relative à l’ajustement au changement climatique, construit sur une nouvelle diversité paysagère admise par l’audace et l’expérimentation. Une projection à l’horizon 2080 nous a aussi conduit à imaginer une camargue protégée par une mangrove susceptible d’instaurer une nouvelle fixité deltaïque. Chacune des visions a notamment permis de mesurer le sens et la légitimité de la protection des saintes-Maries-de-la-Mer dont la pérennité n’est pas toujours assurée et dont la disparition ne serait pas nécessairement synonyme de faillite camarguaise. en s’inscrivant dans la recherche d’une mitigation paysagère ambitieuse, nous avons montré que la camargue présentait la capacité et l’opportunité de devenir une composante essentielle du programme d’aménagement d’un territoire durable à l’échelle interrégionale, voire au-delà. Mais cela impliquait de concevoir une nouvelle littoralité par une profonde réorganisation des enjeux territoriaux et des paysages deltaïques, le renouvellement littoral. cette reconception du littoral sur lui-même peut se schématiser à partir de plans d’ajustement au Changement Climatique, documents phares évolutifs qui expriment des visions paysagistes directives et qui intègrent des projets d’ajustement expérimental. en camargue, ce renouvellement littoral pourrait être assuré par le pnrc, accompagné par l’etat, à l’instar de l’étude de faisabilité d’une dépoldérisation partielle des bas-champs du Vimeu engagée en 2011 par le syndicat Mixte baie de somme Grand littoral picard (sMbsGlp1).

1

anciennement sMacopi, syndicat Mixte pour l’aménagement de la côte picarde.

382




Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

a

partir de documents stratégiques d’orientations et d’études prospectives, cette dernière partie a été consacrée à explorer les trajectoires du territoire camarguais et à

proposer une méthodologie d’approche conduisant à une nouvelle littoralité. Le contrat de delta et la charte du PNRC expriment, à l’horizon 2015-2022, les visions d’une camargue moins animée par l’ajustement aux mutations présentes et futures que par un désir d’exemplarité de gestion et de préservation. ces trajectoires à court-moyen terme décrivent une camargue d’expérimentation de la conservation, une camargue consensuelle fuyant l’audace qui jusque là lui a permis de réinventer ses paysages. toutefois, les expériences de prospective menées par différentes instances mettent en relief des visions tendancielles plus radicales à partir de problématiques externes, à l’instar du contexte agricole européen, du renchérissement énergétique, de la périurbanisation, de la croissance des flux démographiques ou encore des effets du changement climatique. cependant les futurs imaginés à l’aide de ces variables décrivent une incompatibilité avec un développement territorial équilibré et durable ; à l’exception du scénario « sobriété énergétique et spatiale et coopération des territoires », construit par la MeDcie. impliquant d’importantes transformations spatiales et la délocalisation d’enjeux économiques et bien qu’abandonnant l’espace littoral à la mer et à ses excès, il ouvre une perspective à une mitigation paysagère ambitieuse, comme l’illustre le scénario de rupture imaginé à l’horizon 2030 dans le cadre du PNRZH. Ce scénario démontre également que la gestion de l’eau n’est pas le facteur déterminant du système deltaïque. a partir de ce postulat, de nombreux scénarios sont imaginables. ainsi, dans une dimension exploratoire et applicative, en rendant déterminant le paysage et le changement climatique, nous avons construit des scénarios géoprospectifs de rupture et proposé une illustration argumentée de nouveaux modèles de développement et d’ajustement du système camarguais. Les visions (à l’horizon 2040) de dôme rural interrégional et de spot mondial spécialisé démontrent les opportunités et les capacités de l’anthroposystème camarguais à s’ajuster aux mutations et à se réinventer en en tirant partie. la prise en compte globale des effets du changement climatique nous a aussi conduit 385


à explorer le scénario de mangrove camarguaise qui, malgré sa faible probabilité (horizon 2080…), pourrait encourager à relativiser la situation actuelle (quoique !). le territoire est ainsi susceptible de changer de nature, les processus de développement évoluent, mutent pour faire germer de nouvelles dynamiques. la “plasticité“ plus ou moins grande du delta à travers sa capacité à se transformer, à créer des réversibilités, à s’ajuster… paraît être un enjeu primordial et transversal des scénarios de rupture imaginés. a partir de ces futuribles paysagers, nous avons argumenté en faveur d’une politique de renouvellement littoral comme processus de projets susceptibles de répondre aux enjeux des territoires côtiers d’aujourd’hui et de demain. conçu autour de visions paysagistes partagées avec l’ensemble des acteurs territoriaux et formalisé sous forme de plans d’ajustement au Changement Climatique, le renouvellement littoral permettrait d’associer la GiZc et la stratégie d’adaptation au changement climatique (acc), dont les interactions sont susceptibles de créer de nouvelles synergies au travers de projets d’aménagement et d’ajustement expérimental. ainsi, dans le contexte présent et à venir, le renouvellement littoral s’impose à la camargue comme une solution d’anticipation et d’actions (d’ajustement, de requalification et de rénovation spatiale et paysagère), encadrant notamment la stratégie de repli. notons que ce renouvellement littoral transparait dans des réflexions globales récemment menées (et en cours) même si toutes n’intègrent pas le changement climatique et la hausse eustatique (figure 44). en 2011, le syndicat Mixte baie de somme Grand littoral picard (sMbsGlp, anciennement sMacopi, syndicat Mixte pour l’aménagement de la côte picarde) a engagé une réflexion prospective (toujours en cours en 2012) dans le cadre de l’étude de faisabilité d’une dépoldérisation partielle des bas-champs du Vimeu. cette étude, conduite en parallèle de la thèse dans le cadre du parcours professionnel, conforte l’idée du renouvellement littoral…

386


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

ETUDE/OPERATION

DATE

OBJECTIFS/PRECONISATIONS

PRISE EN COMPTE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

EQUIPE

engager une action collective sur les méthodes de représentation des dynamiques territoriales. ATELIER LITTORAL NATIONAL 1 : la ria dÕ Etel ; les Sables dÕ Olonne, Saint Gilles2006/2007 Croix-de-Vie et La Roche-sur-Yon ; Montreuil-sur-mer, Berck et Le Touquet

ATELIER LITTORAL NATIONAL 2 : le Coutan• ais, la baie de Morlaix, la presquÕ ” le GuŽ randaise et la Bri• re, la c™ te Vermeille et les Alb• res, Antibes.

2009

- donner une limite à l’urbanisation - densifier /préférer une démarche de qualité architecturale et urbanistique - organiser les espaces inconstructibles - protéger/classer les espaces naturels sensibles - soutenir la continuité des espaces agricoles - soutenir l’identité locale par rapport à l’échelle de territoire - repenser les mobilités - prendre en compte l’ensemble du territoire/croisement des échelles

Préconisations similaires à l'Atelier 1

2010-2011

le projet, partagé par l'ensemble des élus concernés, propose une nouvelle organisation des extensions urbaines à long terme, plus qualitatives et denses, concentrées plutôt dans les communes de l’arrière-pays (les communes littorales étant déjà saturées ou soumises à des risques importants) (recherche d'une cohésion "métropolitaine" à l’ensemble urbain littoral). ces extensions seraient matérialisées à court terme par une limite pérenne plantée, sous forme des haies épaisses marquant les marais et les espaces agricoles à valoriser, avec des fonctions et usages collectifs (biodiversité, défense contre les inondations, promenades, espaces de jeux…). le projet met l’eau au centre des enjeux, dans une approche globale, intégrant les marais et la frange côtière (eaux marines et eaux douces, défenses côtières et évacuations…). pour les communes limitrophes des marais, des projets plus précis ont été discutés (ex la Jarne, aytré, angoulins) pour la gestion des marais autour d’un projet collectif de « nature », promenades, loisirs, camping, incluant le maintien de l’agriculture (développer les activités maricoles).

PROGRAMME D'ACTIONS ET DE PRƒ VENTION DES INONDATIONS : projet 2013-2015 de l'estuaire de la Bresle ˆ l'estuaire de l'Authie

La labellisation PAPI « nouvelle génération » mise en place en 2011 applique la directive européenne 2007/60/ ce relative à l’évaluation et à la gestion des risques inondation du littoral. cette nouvelle approche doit permettre de : - Faire émerger des stratégies locales explicites et partagées de gestion des inondations, - réduire les conséquences dommageables des inondations pour tous les types d’inondation, - renforcer les capacités des maîtres d’ouvrages notamment en ce qui concerne leur adaptation aux enjeux, - optimiser et rationaliser les moyens publics mis à disposition pour la réalisation de ces programmes, - présenter un projet d’aménagement du territoire sur le moyen (actuel > 50 ans) et le long terme (50>100 années à venir).

ATELIER LITTORAL NATIONAL 3 : Atelier Ç dÕ urgence È menŽ en CharenteMaritime apr• s le passage de la temp• te Xynthia pour aider les Ž lus ˆ se projeter dans une vision dÕ avenir et de sortie de crise.

Faible

Faible

Forte

Forte

• Christian Devillers, architecte-urbaniste • Jean-Michel Roux, économiste • Antoine Haumont et Valérie Morel, géographes

• Michel Corajoud, paysagiste, • Alvaro Siza, Eduardo Souto de Moura, Luiggi Snozzi, Edith Girard, architectes, • Arnaud Tresvaux du Fraval, environnementaliste, • Laurent Davezies, économiste

• François Grether, architecte urbaniste • Paul Grether et Hervé Beaubouin, architectes • Jean-Michel Roux, économiste • Valérie Morel, géographe

Appel d'offres en cours (résultats connus en décembre 2012) Présence d'un paysagiste

Figure 44 : synthèse des principales études littorales globales, urbaines et paysagères réalisées ou en cours. réalisation Morisseau, 2012 387



Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

11 De la recherche à l’action cHapitre

«

demain ne sera pas comme hier et il dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer.

»

Gaston Berger, Phénoménologie du temps et prospective

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

c

e dernier chapitre, interface entre recherche et action, clôture notre réflexion, comme nous l’avons ouverte, sur l’avenir des bas-champs du Vimeu. en parallèle de la

recherche doctorale, nous participons activement depuis 2011 à l’étude de faisabilité du recul stratégique du rivage picard. nos recherches antérieures (notamment sur les retours d’expériences Xynthia, sur le déversoir de la bouillie, etc.) nous ont conduit à proposer à nos partenaires une méthodologie nouvelle d’appréhension du littoral et de ses dynamiques. la vision transversale de cette approche renouvelée permet d’explorer un mode de reconception du littoral sur lui-même et illustre un exemple de renouvellement littoral. elle est en phase avec les changements radicaux des politiques d’aménagement littoral. ainsi, compte tenu de la récurrence d’événements marquants et récents à l’échelle nationale (notamment Xynthia), du coût global des dépenses1 pour la protection des baschamps (d’onival à cayeux) et du changement climatique, il est apparu nécessaire aux yeux des pouvoirs publics2 de réexaminer3 le fonctionnement et le devenir du cordon de galets. aussi, dans un climat d’évolution de la doctrine nationale sur l’adaptation au changement climatique4, il est devenu impératif de s’interroger sur l’opportunité et la faisabilité d’une dépoldérisation partielle des bas-champs. nous présentons ici l’approche pluridisciplinaire mise en œuvre et les premiers résultats de l’étude. 1 estimation du coût des travaux de protection du cordon (ouvrages et apports en galets) sur la période 1981-2014: 54,5 M€ Ht (sMbsGlp, décembre 2011). 2 le conseil général de la somme par l’intermédiaire du syndicat Mixte baie de somme Grand littoral picard (sMbsGlp) – maître d’ouvrage de l’étude. 3 le sujet de la « dépoldérisation » dans le secteur des Bas-Champs est perçu et vécu par les acteurs locaux comme « récurrent depuis longtemps ». 4 suite à la remise, en novembre 2011, du rapport établi par Monsieur alain cousin, député de la Manche, nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, a annoncé une stratégie nationale de gestion du trait de côte, du recul stratégique et de la défense contre la mer. conformément aux engagements du Grenelle de la mer, le rapport propose une feuille de route nationale en matière de lutte contre l’érosion côtière et le recul du trait de côte. ce travail a permis l’adoption de propositions concrètes et très opérationnelles, partagées par tous les acteurs. elles s’articulent autour de quatre axes : 1- Doter la France d’un outil d’observation de l’évolution du trait de côte, et identifier, pour chaque façade maritime, des « zones à érosion forte » où l’action publique sera priorisée ; 2- Dans ces territoires à érosion forte, élaborer des « stratégies locales » partagées entre les acteurs (État, collectivités territoriales, propriétaires privés ou réunis en associations…) qui s’appuient sur les responsabilités et les compétences de chacun ; 3- sur l’ensemble du littoral français, renforcer la prise en compte de l’érosion côtière dans les documents de planification et d’urbanisme, dans les plans de prévention des risques et dans les autorisations d’occupation du domaine public maritime ; 4- Lancer un appel à projets, au bénéfice des collectivités locales pour expérimenter les solutions de « repli stratégique » et de « relocalisation des biens et des activités ».

391


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

a. une approche pluridisciplinaire

c

ette réflexion intitulée « etude de faisabilité - dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas-Champs du Vimeu : la recherche d’un avenir sur un territoire pérenne »

s’inscrit dans la continuité logique et comme réponse localisée à l’opération Grand site (OGS). La stratégie définie dans le cadre des études préalables à l’OGS (Atelier de l’île, 2006) est d’affirmer le caractère durable du développement d’un site côtier appuyé sur une gestion intégrée. entre autres ambitions du projet de territoire, celles de créer de la valeur ajoutée, de prendre en compte le changement climatique, de maintenir des activités traditionnelles et d’assurer la mixité sociale. après un bref rappel du contexte de l’étude, nous détaillerons l’axe à partir duquel le groupement de bureaux d’étude a organisé sa réflexion.

i. Rappels et contexte de l’étude l’étude d’un recul maîtrisé cherche à observer une nouvelle stratégie de protection de cayeux et de ses enjeux bâtis (objectif principal), d’aménagement et de développement du territoire des bas-champs (sMbsGlp, 2010). ces objectifs illustrent la triple dimension de la dépoldérisation. a l’échelle du littoral picard, la dépoldérisation, projet dans le projet global de l’oGs, s’attachera à produire de la richesse (écologique, économique, paysagère…) tout en maintenant de la diversité et en préservant des éléments identitaires et historiques des bas-champs. la dépoldérisation “partielle“ entend d’une part limiter l’échelle et les impacts d’un recul anticipé sur un territoire habité, d’autre part conserver des paysages existants. La réflexion s’appuie sur un cahier des charges ambitieux - par le périmètre de réflexion et par le caractère pluridisciplinaire – dont les objectifs servent la définition d’un véritable « projet de territoire » tout en s’inscrivant dans une démarche prospective : « Le projet de territoire résulte de la combinaison de deux termes : celui de «projet» qui signifie « la projection, l’idée de ce que l’on veut construire dans le futur », et celui de «territoire», qui correspond à un espace vécu et approprié par ses habitants [...]. Il évoque une vision à long terme et se construit en fonction de la mobilisation des acteurs locaux du territoire. » 1 en ce sens, si la dépoldérisation n’est envisagée que sur une surface limitée à un secteur non habité des Bas-Champs, le Hâble d’Ault (photo 32), l’échelle de réflexion et de planification (l’ensemble des Bas-Champs, la Baie de Somme, le plateau) dépasse l’échelle d’action (le triangle Ault-Cayeux-Brutelles) afin de réinterroger l’ensemble du territoire 1 Minot D., 2001, Le projet de territoire : elaboration et conduite partagée d’un projet de territoire, bergerie nationale, 177p.

392


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

poldérisé picard : on parle d’un périmètre élargi à géométrie variable (sMbsGlp, 2010). ce périmètre permet de gérer la complémentarité des entités naturelles et la valorisation des zones méconnues du littoral. Il facilite la cohérence des projets en cours autour de trois axes opérationnels : gérer les milieux naturels et leur dynamique paysagère, gérer les pratiques touristiques et les pratiques du territoire, gérer les paysages urbains et périurbains.

II. Le paysage comme stratégie : axe premier de la réflexion l’éventualité de la dépoldérisation repose sur une évaluation complète de l’état actuel des bas-champs comparée à des scénarios d’évolution à 40 ans, dont il s’agit d’analyser l’impact socioéconomique (analyse coût-bénéfice). L’évaluation du site, la définition du projet de territoire et les hypothèses techniques de dépoldérisation exigent une réflexion pluridisciplinaire telle que la soumet le cahier des charges. Ainsi aménagement, cartographie siG, développement durable, droit, écologie, économie, environnement, géographie (géographie physique, humaine et géographie sensible), géochimie, géologie, géomorphologie, hydrologie, ingénierie spécialisée dans la gestion du littoral et génie côtier, ingénierie touristique, modélisation océanographie, paysage, sédimentologie, sociologie et enfin, urbanisme nourrissent le fond et la communication de l’étude. au-delà du processus analytique, l’enjeu de ce travail est la formulation de scénarios prospectifs qui conduisent à réécrire le territoire. quelle(s) discipline(s) alors privilégier et sous quel regard ? alors que l’aménagement littoral s’est vu le plus souvent refléter un choix ou une intention technique nourris de l’ensemble des disciplines énoncées supra, l’équipe retenue1 a proposé de renouveler cette approche. la sélection des prestataires montre que l’enjeu majeur consiste d’abord à accepter la définition d’une vision paysagère à long terme, élaborée à partir d’hypothèses d’évolution et de scénarios exploratoires, puis de déduire de celle-ci les choix techniques pour y parvenir. ainsi, la problématique d’une dépoldérisation à l’échelle des bas-champs du Vimeu se résumerait ainsi : quels paysages souhaite-t-on ? sur et pour quel territoire ? Cette inversion de tendance méthodologique au profit du paysage littoral tient notamment à la présence d’un cabinet de paysagistes dont la mission dans le groupement d’étude est de rassembler, avec ses partenaires, les connaissances et les productions au profit du projet de territoire et de paysage. Cette approche confirme que le paysage n’est plus la résultante de choix techniques mais bien un objectif partagé par tous ; une vision commune, constructive, d’une résilience efficace, synonyme d’une acceptation psychologique du changement. le cahier des charges de l’étude laisse par ailleurs entrevoir des ambitions inédites dans le cadre d’autres projets de dépoldérisation. en effet, si la conservation de certains éléments du paysage est souhaitée (digues, renclôtures, parcellaire, courses…) on désire 1 composée du bureau d’études sogreah (mandataire), du cabinet de paysagistes atelier de l’Île, du cabinet de conseil en stratégie et développement de territoires Blezat Consulting, du bureau d’études de Conseil en Environnement EELIT, du cabinet de géomatique Alisé, du juriste O. Lozachmeur et de la géographe L. Goeldner-Gianella.

393


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

maintenir l’activité qui les génère tout en considérant les mutations engendrées par le retour de la mer. ainsi, l’exemple de l’agriculture est ouvertement abordé : comment envisager la création d’un espace de nouvelles productions ? De la même manière, la question de l’activité cynégétique est étudiée : quelles formes de maintien de la chasse dans le secteur dépoldérisé ?

c

ette perspective montre les portes que la dépoldérisation ouvre à la définition d’un projet global qui vise à (re)construire un espace nouvellement productif, à valoriser

les potentialités (multiples, cachées ou parfois contradictoires) du territoire et à élargir le champ des possibles ; d’où le caractère prospectif de cette étude organisée dans la concertation.

Photo 32 : le Hâble d’ault protégé par le cordon de galets (2006). source sMbsGlp

394


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

B. les Bas-champs du Vimeu, territoire d’expérimentation du renouvellement littoral

l

’analyse et le diagnostic complets du territoire (phase 1) ont offert au groupement d’étude et aux acteurs locaux une vision précise des contraintes et des enjeux (hiérarchisés)

du périmètre d’étude. initiée par l’approche paysagère guidée par les enjeux (conservation et valorisation des paysages existants, création de paysages nouveaux – organisation, liaisons, usages) et les orientations mis en relief dans le diagnostic, la deuxième phase (en cours au moment de la rédaction) s’est attachée à proposer, étudier et comparer différents scénarios d’aménagement à un stade de faisabilité opérationnelle, et à évaluer l’impact socio-économique de chaque solution.

i. Géoprospective et futuribles paysagers préalablement à la construction des scénarios, une matrice paysagère (ou carte des invariants) détermine les orientations de (re)composition spatiale et paysagère. elle intègre les lignes de forces du site (renclôtures, continuités hydrauliques…) et définit un gradient typologique de paysages, allant du plus anthropisé ou structuré (la falaise morte agricole ou bâtie) au plus naturel (la mer) ; autrement dit, d’un littoral terrestre à un littoral marin. La matrice identifie également le rôle des franges du site qui doivent intégrer la protection et la valorisation urbaine et paysagère du sud de cayeux, des interactions visuelles via la route départementale 102, la création de transitions paysagères entre paysages nouveaux et existants ou encore à une perception renouvelée de la falaise morte. a partir de cette matrice, l’exercice géoprospectif a conduit les paysagistes à écrire trois scénarios. traduits en schémas de futuribles paysagers, ils se distinguent principalement par le périmètre rendu à la mer.

395


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

1. le Hâble “réactivé“ ou les Bas-champs avant le Grand Barrement le premier scénario illustre la réouverture du Grand barrement (antérieur à 1752) et conduit à réactiver le Hâble d’ault, c’est-à-dire à réinstaurer la communication historique entre la mer et l’ancien port médiéval (figures 45 & 46). Contenu dans un périmètre restreint et délimité par des lignes existantes (renclôtures), le retour de la mer dans le Hâble permet de conserver d’importantes surfaces et paysages agricoles et de maintenir la biodiversité et les paysages des marais doux en pied de falaise morte. Par (re)salinisation du Hâble, cette dépoldérisation produit des zones humides naturelles au taux de salinité variable (selon les secteurs et le marnage) et alimente une nouvelle biodiversité : dans le périmètre ré-ouvert à la mer se constituent de nouveaux paysages intertitaux (mollières ou marais maritimes ou marais salés) ; plus au sud, par communication hydraulique avec le Hâble réactivé (via la colonne vertébrale du site – avec le Haulle et le Fossé Bidalot), une zone humide naturelle douce à saumâtre peut se constituer. Enfin, au nord du Hâble et au sud de Cayeux, les paysages et milieux littoraux non marins sont valorisés (en relation avec la façade bâtie de la ville).

Figure 45 : scénario du Hâble d’ault réactivé - Vue à l’échelle de la Baie de somme. réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

396


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

Cayeux sud AMER SUD

Grand Barrement

Digues

Hâble réactivé Mollières

Brutelles

Communication hydraulique

Marais doux

Zone humide saumâtre

Ault

Emprise de la dépoldérisation

Figure 46 : schéma du Hâble d’ault réactivé (scénario 1). réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

Ce scénario de dépoldérisation diversifie les paysages déjà variés du site tout en les conservant et accroît du même coup la biodiversité. en revanche, compte tenu du périmètre dépoldérisé restreint au Hâble, ce retour de la mer présente peu d’intérêts paysagers par rapport aux opportunités proposées par le D102 et la falaise morte : le Hâble d’ault étant une surface déjà en eau, peu ou pas de changement de perception sont à attendre par rapport à l’existant. en termes d’usages, les paysages produits peuvent être des lieux propices à l’élevage, à la chasse (localement adaptée) ou la cueillette de végétaux marins. 397


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

2. l’ouverture d’une petite baie ce scénario illustre l’ouverture d’une baie contenue par des lignes existantes (renclôtures) et naturelle (la falaise morte). ainsi, si le Hâble est réactivé, à l’instar du scénario 1, la mer reconquiert aussi les secteurs sud du site et notamment les surfaces agricoles actuelles caractérisées par leur trame géométrique (structurée par les renclôtures et les fossés de drainage) (figures 47 & 48). Dans les secteurs rendus à la mer, de nouveaux paysages intertidaux d’échelle assez significative forment une petite baie et des chenaux maritimes où s’organisent des sousséquences paysagères. ces paysages sont déclinables selon le gradient d’intervention et d’anthropisation évoqué supra. ainsi, les secteurs reculés proches de la mer et du cordon de galets se caractérisent par des paysages de marais maritimes naturels (où, à l’instar du scénario 1, élevage, chasse et cueillette sont envisageables) tandis que les anciens espaces agricoles du pied de falaise morte laissent place à des paysages intertidaux organisés et structurés pour leur exploitation (bassins d’eau en gestion régulée, cultures végétales marines…). cette réactivation de la falaise morte redonne une proximité attractive à la mer.

Figure 47 : scénario d’ouverture d’une petite baie dans les Bas-champs sud picards - Vue à l’échelle de la Baie de somme. réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

398


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

Cayeux sud AMER SUD

Mollières Chenaux

Brutelles

Mollières

Marais doux

Bassins d’eau en gestion régulée

Ault

Emprise de la dépoldérisation

Figure 48 : schéma d’ouverture d’une petite baie dans les Bas-champs sud picards (scénario 2). réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

Ce deuxième scénario traduit ainsi une autre opportunité de diversification les paysages du site et plus globalement des bas-champs, tout en conservant de grandes entités agricoles et naturelles. toutefois, s’il est certain que la présence de la mer par la réactivation de la falaise morte modifiera la perception visuelle des Bas-Champs, aucune incidence visuelle (et donc aucune relation) ne sera constatée sur les bas-champs centraux.

399


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

3. une baie élargie et des îles façonnées, entre terre et mer ce scénario ouvre une baie plus large que dans le scénario 2. cette baie élargie à la D102 et aux marais du pied de falaise morte (protégés et conservés), permet de décliner une typologie de motifs paysagers relatifs aux marais maritimes (figures 49 & 50). c’est ainsi que, selon le gradient d’intervention organisant les paysages naturels et anthropisés, il est envisageable de façonner des îles, reliées et ancrées à la D102. ces îles deviennent l’interface entre la mer, introduite dans le Hâble, et les bas-champs centraux. Structurées par des canaux ou des chenaux, elles portent des usages diversifiés : chasse, élevage et cultures végétales marines. en pied de falaise réactivée, des paysages intertidaux structurés peuvent prendre place au sein de l’organisation des renclôtures existantes, à l’instar du scénario 2 (bassins aquacoles, cultures marines…). Par ailleurs, au sud de Cayeux, ce scénario propose de créer une zone tampon intertidale (via un retour contrôlé de la mer et des avant-digues) se substituant aux paysages littoraux non marins. cette variante répond à la question de la protection de la ville et du front de mer et de la valorisation de la façade urbaine (retournement du front de mer de cayeux vers les bas-champs). par cette proximité de la mer, elle offre une nouvelle attractivité mais pose aussi localement la question de la pérennité du bâti.

Figure 49 : scénario d’une baie élargie dans les Bas-champs sud picards - Vue à l’échelle de la Baie de somme. réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia 400


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

Cayeux sud

Création et mise en valeur d’un nouveau front de mer

Zone tampon

îles façonnées, entrecoupées de chenaux

Route panoramique

Brutelles

Bassins d’eau en gestion régulée, parcelles de cultures végétales marines...

Ault

Emprise de la dépoldérisation

Figure 50 : schéma d’une baie élargie dans les Bas-champs sud picards (scénario 3). réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

ce troisième scénario se caractérise par la diversité des motifs paysagers des marais maritimes, par les séquences paysagères que le gradient d’intervention permet (figure 51) et par la palette d’usages agricoles possibles (figure 52). Il ouvre des perspectives intéressantes et porteuses de potentialités et d’attractivités, notamment par ce qu’il donne à voir de la stratégie littorale mise en place. avec ce scénario, l’emprise dépoldérisée, visible depuis la D102, devient attractive en créant une nouvelle façade maritime des bas-champs.

401


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon ScEnARio 3 - Une baie élargie et des îles façonnées, entre terre et mer

1 - MAintiEn dE lA BiodivErsité & dEs pAysAgEs dE MArAis doux En piEd dE fAlAisE MortE ExistAnts

Cayeux sud AMER SUD

les paysages

3b - Constitution dE nouvEAux pAysAgEs intErtidAux - profil fAçonné (îlEs)

3c 2 - Constitution dE pAysAgEs intErtidAux struCturés

Grand Barrement

3c - Constitution dE nouvEAux pAysAgEs

3b 3a

Brèche 1990

intErtidAux - zonE tAMpon

Brutelles

1

3a- Constitution dE pAysAgEs intErtidAux - profil nAturEl

3c

2 885 Ha

3a

2

3b 1

2 Ault

Ault

Emprise de la dépoldérisation

SOGREAH - ATELIER DE L’ILE - SLX - Septembre 2012

SMBSGLP- Dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas-Champs du Vimeu - Etude de faisabilité

E

Phase 2 - Scénarios - Rapport R2

Figure 51 : Planche d’illustrations des paysages conservés ou créés dans le cadre du scénario de baie élargie dans les Bas-champs sud picards. réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/ artelia Scenario 3 - Une baie élargie et des îles façonnées, entre terre et mer

les usages des nouveaux paysages 2 - Constitution dE pAysAgEs intErtidAux struCturés

Cayeux sud

3a- Constitution dE pAysAgEs intErtidAux - profil nAturEl

3c > Elevage de prés salés

3b - Constitution dE nouvEAux pAysAgEs intErtidAux - profil fAçonné (îlEs)

3b 3a

> Bassins aquacoles (gestion régulée de l’eau)

Brutelles

> Chasse en hutte (adaptée) > Cultures végétales marines

2

3c - Constitution dE nouvEAux pAysAgEs intErtidAux - zonE tAmpon

Ault

Emprise de la dépoldérisation

SOGREAH - ATELIER DE L’ILE - SLX - Septembre 2012

> Cueillette de végétaux marins

> Cultures végétales marines SMBSGLP- Dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas-Champs du Vimeu - Etude de faisabilité

Phase 2 - Scénarios - Rapport R2

Figure 52 : Planche d’illustrations des usages proposés dans le cadre du scénario de baie élargie dans les Bas-champs sud picards. réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

402


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

Cayeux sud AMER SUD

Grand Barrement

Brèche 1990

Ault

Emprise de la dépoldérisation

Figure 53 : schéma d’une baie au contour assoupli dans les Bas-champs sud picards (scénario 3bis). réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

issu du scénario 3, un scénario alternatif pose la question de la forme de la baie créée par le retour de la mer dans les bas-champs. si dans le scénario précédent la baie est anguleuse, géométrique, cette variante « 3bis » propose une baie au contour assoupli, plus “naturel“ (figure 53). En outre, elle permet de conserver une surface agricole existante plus importante. Enfin, un quatrième scénario visant à “raviver“ la falaise morte (et à dépoldériser l’ensemble du triangle) était à l’étude lors de la rédaction de ces lignes... a partir de ces scénarios géoprospectifs, plusieurs approches évaluent puis comparent chacune des visions proposées. 403


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

ii. Prospective socio-économique et technique 1. approche technique chaque scénario a fait l’objet d’une modélisation numérique (à partir de l’outil liDar1) afin d’introduire la faisabilité technique dans la réflexion. Ces modélisations adoptent un modèle numérique de propagation des houles, un modèle hydrosédimentaire pour l’étude des courants, de l’évolution de la ou des brèche(s) et de l’envasement de la zone dépoldérisée, et un modèle d’évolution du cordon littoral précisant les impacts de la dépoldérisation entre ault et le Hourdel. par ailleurs, une analyse des retours d’expériences européennes a été réalisée à partir d’exemples anglo-saxons (plus de 90 sites). elle montre une double singularité : celle des bas-champs, protégés par un cordon de galets (proche du site de porlock, uK) et celle d’une recherche de conversions agricoles et aquacoles du site (dépassant les seules dimensions environnementales et touristiques généralement associées aux sites dépoldérisés).

2. conditions de maintien des activités existantes et de développement d’activités nouvelles chaque scénario a fait l’objet d’une analyse d’impact sur les activités existantes (surfaces et unités touchées) ainsi que d’une évaluation de leurs conditions de maintien et d’une recherche d’adaptations possibles. ainsi, la chasse demeure une activité pérennisable pouvant impliquer localement une adaptation (hutte flottante) et l’élevage bovin ne pourrait se maintenir que dans le cas d’une dépoldérisation de faible emprise. par ailleurs, le développement d’activités nouvelles a été exploré et évalué au regard des tendances actuels et des premières modélisations techniques. ainsi, la mytiliculture et l’ostréiculture, intéressantes, restent peu envisageables au regard des niveaux d’eau attendus (sauf si des terrassements sont réalisés) et l’exploitation de salicorne et de végétaux marins semble porteuse à l’instar de la production de biomasse algale et du ramassage de coques (en tant que loisir). L’analyse croisée des scénarios devra permettre de définir les conditions d’exercice de ce panel d’activités potentielles ainsi que les bénéfices potentiels (emplois, chiffres d’affaires, revenus pour les communes…). toutefois, si certaines activités ou axes de développement potentiels ne sont guère envisageables au regard des tendances et des variables actuelles, ils peuvent l’être plus tard et il convient pour cela de déterminer les leviers par lesquels ils peuvent émerger.

3. un tourisme pluriel il est bien sûr admis que le tourisme occupe une place centrale dans ces scénarios de dépoldérisation. cependant, la thématique touristique a volontairement été écartée des 1

télédétection par laser ou liDar, acronyme de l’expression anglaise « light detection and ranging ».

404


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

usages évoqués jusque là. en effet, le tourisme, notamment de “nature“, s’appuie sur les paysages, milieux et usages du territoire et n’est donc pas un élément primaire générateur de paysage ; le tourisme de nature n’existe que grâce aux aménités paysagères et territoriales et engendre, par celles-ci, son propre paysage (qu’il convient d’encadrer). a partir du gradient typologique des paysages (d’un littoral terrestre à un littoral marin) variable selon les scénarios, le tourisme de nature apparaît lui-même comme variable (figure 54). Ainsi, il est associé au scénario 1 (littoral plutôt terrestre) sous une forme d’agritourisme (ferme pédagogique ou équestre, gîtes ruraux…) tandis qu’il se décline en “aqua“ tourisme dans le scénario 3 (lodge flottant, spa algal…). Récapitulatif des scénarios - Un tourisme pluriel scenario 1

scenario 2

Le Hâble «réactivé» ou les Bas-champs avant le grand Barrement

u to ri

ag

OGREAH - ATELIER DE L’ILE - SLX - Septembre 2012

une baie élargie et des îles façonnées, entre terre et mer

1

2

3

1

2

3

Déclinaison d’un tourisme agritourisme 1 de nature

2

3

Déclinaison des paysages

paysages terrestres

Déclinaison des usages

usages terrestres

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scenario 3

L’ouverture d’une petite baie

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SMBSGLP- Dépoldérisation partielle et éventuelle des Bas-Champs du Vimeu - Etude de faisabilité

usages aquacoles «aqua»tourisme

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paysages marins

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Phase 2 - Scénarios - Rapport R2

Figure 54 : caractérisation du gradient typologique touristique et paysager dans le cadre d’une dépoldérisation au périmètre variable des Bas-champs sud picards. réalisation Morisseau (2012). source atelier de l’ile/artelia

l’analyse comparée des scénarios (en cours au moment de la rédaction) montre que les potentialités touristiques et les interactions spatiales et paysagères sont susceptibles d’augmenter corrélativement à l’extension du périmètre de la dépoldérisation.

4. analyse multicritère l’analyse, l’évaluation et la comparaison des scénarios s’effectuent à partir de chacune des disciplines mobilisées et à partir de critères hiérarchisés : l’invariable protection des bas-champs (dépendant de l’efficacité technique du projet) et l’intégration

405


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

à la stratégie nationale du recul du trait de côte (critères prioritaires) puis les critères plus généraux (paysage, économie, écologie, etc.) dont les résultats peuvent être nuancés. Aussi, le critère économique (évaluation financière des scénarios) pèsera dans l’analyse. Enfin, avant d’approfondir une vision plus spécifique, les scénarios exploratoires seront comparés au scénario « au fil de l’eau » et à celui d’une dépoldérisation accidentelle.

iii. elaboration d’un plan programme d’aménagement et des conditions de sa mise en œuvre la phase 3 consistera à approfondir un scénario illustrant les orientations validées par la maîtrise d’ouvrage (le sMbsGlp). il pourra s’agir d’un scénario de synthèse regroupant ou faisant coexister plusieurs thématiques de valorisation paysagère et socioéconomique. cette nouvelle vision dessinera les contours d’une vocation du site, ses usages, ses groupes sociaux (avec leurs moyens d’appropriation), son positionnement à l’échelle de la baie de somme et plus largement de la côte picarde. cette vision déterminera la nouvelle identité des bas-champs, construite autour et à partir de nouvelles ressources.

1. l’expression d’une vision globale la vision retenue sera exprimée par un plan directeur général intégrant la nouvelle ligne de rivage et illustrant la nouvelle organisation spatiale du site et ses interactions avec le reste du territoire (liens avec les projets et polarités connexes). ce plan situera les activités précédemment définies (nouvelles ou existantes) et déterminera les types d’occupation du sol (pôles d’animation, occupations temporaires, secteurs potentiellement urbanisables…). il traduira l’organisation fonctionnelle du secteur, son accessibilité, sa trame viaire, ses liaisons douces, ses parcours de découverte… et déterminera les modalités de gestion des espaces publics. Enfin, ce plan déterminera des zones non définies (tiers paysage) à partir desquelles la réflexion prospective serait susceptible d’être poursuivie.

2. un programme d’actions l’ensemble des ouvrages techniques (brèches, arrière-digues…) et les méthodes de réalisation des travaux feront l’objet d’une évaluation paysagère et de préconisations en cas d’incidence. la nouvelle économie du territoire sera décrite par une analyse des retombées économiques relatives aux travaux (emplois…) et aux activités (nouvelles, reconverties ou maintenues), par une analyse des compensations à mettre en œuvre (acteurs ou usagers lésés) et par une évaluation du coût des acquisitions et des indemnités. a partir des résultats de simulation (caractéristiques des sédiments meubles, altimétrie, pentes, exposition, fréquence de submersion, contraintes hydrauliques, tendances évolutives…), un modèle qualitatif déterminera les écosystèmes générés. Enfin, le territoire étant susceptible de connaître des mutations prononcées en 406


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

termes d’activités et de régime foncier (acquisition foncière à l’amiable, expropriation par Dup et conversion de parcelles privées en DpM…), une analyse juridique cernera les évolutions possibles1, les contraintes2 et les éventuels blocages3. l’avancement de l’expertise juridique a d’ors et déjà identifié la dépoldérisation (s’agissant de travaux lourds) en espace « remarquable » comme incompatible avec la loi « littoral ». Des adaptations juridiques seraient alors à envisager4.

3. un exemple de Plan d’ajustement au changement climatique appuyé sur une démarche relativement complète à l’initiation d’un processus de renouvellement littoral, ce plan-programme d’aménagement constituerait un plan d’ajustement au changement climatique (pacc) comme proposé dans le chapitre précédent. il intégrera une dynamique de projets d’ajustement expérimental localisés, comme par exemple la culture végétale marine ou encore un spot d’“aqua“ tourisme flottant… Aussi, son illustration graphique détaillée devrait lui permettre de jouer un rôle pédagogique essentiel sinon déterminant dans la compréhension de la problématique, des enjeux et des potentialités, utile à l’acceptation d’une nouvelle vision du littoral.

4. l’acceptation du projet une enquête sociologique a été conduite par la géographe lydie Goeldner-Gianella au cours de la première phase (donc avant la formulation des scénarios) auprès des habitants des bas-champs, fortement sensibilisés à la question de la gestion du trait de côte lors de la submersion marine de 1990. 80 % des répondants (217 sur 600), fréquentent au moins une fois par semaine le site du Hâble d’ault. selon les résultats de l’enquête, 69 % se disent aujourd’hui opposés à la dépoldérisation, revendiquant une protection maximale des biens et des personnes (69 %) garantie selon eux par le système actuel (83 %). la conservation des loisirs et de l’économie des bas-champs (18 %) ainsi que la conservation écologique (13 %) sont également des arguments mis en avant par les personnes défavorables à la dépoldérisation5. Parmi les personnes favorables (27 %), une dépoldérisation « limitée » est préférée6. 1 la majorité des protections existantes sont compatibles avec une éventuelle dépoldérisation partielle des baschamps. 2 Des communes non concernées par la loi littoral peuvent se voir appliquer les dispositions très contraignantes de cette loi (notamment codifiées aux articles L.146-1 à 9 du code de l’urbanisme) si elles deviennent riveraines de la mer à la suite d’une dépoldérisation ; ce pourrait être le cas de brutelles. 3 L’éventuelle dépoldérisation partielle des Bas-Champs sera plus complexe à justifier du point de vue de Natura 2000 et de la loi « littoral », ces protections n’ayant jamais été mises en œuvre dans une perspective de dépoldérisation. Serat-il possible de démontrer que la dépoldérisation n’est pas “négative“ mais plutôt “positive“ (création de milieux favorables à la biodiversité) au regard des objectifs de protection de la Zone Spéciale de Conservation «Estuaires et littoral picards» (site Natura 2000) ? Et dans le cadre de l’article L.146-6 de la loi « littoral », les travaux nécessaires à la dépoldérisation sont-ils des travaux de protection et de conservation ? 4 une circulaire ministérielle pourrait préciser quelle interprétation il convient de donner à la notion de travaux ayant pour objet la conservation et la protection des espaces « remarquables » ; le ministère de l’Ecologie pourrait saisir le Conseil d’Etat afin qu’il se prononce officiellement sur la question ; quelques mots pourraient être ajoutés à l’alinéa trois de l’article L. 146-6 afin d’autoriser explicitement les travaux nécessaires aux opérations de dépoldérisation dans les espaces « remarquables ». 5 l’intitulé de l’étude, intégrant le terme “dépoldérisation“ et laissant présager dès le départ de l’issue de l’exercice et de l’option retenue, n’a pas participé à rendre acceptable la démarche qui revendiquait la concertation. l’intitulé « avenir des Bas-Champs face au risque de submersion » par exemple aurait été une alternative plus adroite. 6 a noter que seul un tiers des 63 répondants acceptant de se prononcer sur les types de dépoldérisation poten-

407


CHAPITRE 11 - dE lA RECHERCHE à l’ACTIon

une démarche de concertation1 avec l’ensemble des acteurs et des associations de riverains et d’usagers a été confiée à un cabinet de conseil en communication2 afin notamment de conforter l’opportunité de l’étude, de légitimer le travail du groupement d’étude, de partager les informations, de favoriser l’expression du grand public, de faire s’exprimer les préoccupations et les questions (et y répondre), de permettre une mise à niveau des connaissances, d’impliquer les acteurs ou encore de faire reconnaître l’attitude ouverte et constructive du sMbsGlp. par ailleurs, demandeurs d’information et de pédagogie, acteurs et usagers souhaitent pouvoir visualiser des cartes et des schémas sur le secteur d’étude. cet aspect renforce le caractère géoprospectif de l’étude et démontre la nécessité de passer des programmes d’actions aux plans d’action afin de permettre une meilleure appréhension et visualisation par tous du risque d’inondation et de submersion3 ; signe d’une nouvelle culture du risque… ?

l

es conclusions de cette étude de faisabilité d’une dépoldérisation partielle des baschamps du Vimeu seront connues courant 2013. elles formaliseront les perspectives

d’évolution possible du littoral picard et étayeront les choix politiques de définition et de construction d’un avenir pérenne du territoire. pour l’heure, aucune issue n’est encore prévisible. toutefois, cette étude est innovante tant par sa problématique (liée à l’échelle du site et à ses objectifs) que par sa méthodologie. le projet de paysage s’est substitué à l’expertise technique comme instigateur des choix d’aménagement du littoral. Au cœur de la réflexion et conjugué à une démarche prospective pluridisciplinaire, il articule, fédère et donne un sens global aux intentions et aux possibles territoriaux. cette posture méthodologique et intellectuelle se rapporte au concept de renouvellement littoral que nous avons défendu au cours de cette thèse. aussi, par son caractère expérimental et mobilisant l’ensemble des acteurs du territoire autour d’une expertise pluridisciplinaire et prospective, cette étude est l’occasion d’illustrer la pertinence d’un renouvellement de l’espace littoral, qui devra, à un moment et d’une certaine manière, s’imposer et se concrétiser.

tiellement envisageables, sont favorables à une dépoldérisation programmée par la mise en place de brèches, soit, la véritable dépoldérisation. les arguments en faveur de la dépoldérisation sont : les raisons climatiques (25 %), la sensibilité à la submersion en raison du facteur climatique et des limites du système de protection actuel (15 %), enfin, les possibilités de développement de l’économie ou des loisirs (15 %). 1 a partir d’ateliers (scénarios, risque d’inondation, coût, usages, scénario retenu et ajustements éventuels) et d’une visite de site en angleterre. 2 C&S Conseils. 3 pour évaluer le caractère pédagogique de la démarche et plus globalement l’acceptation du recul stratégique intégré à un projet de mitigation paysagère, il serait pertinent de conduire, aux conclusions de l’étude, une nouvelle enquête auprès des acteurs et de la population et de confronter les résultats avec l’enquête menée en première phase.

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conclusion GénéRale

l

a soumission des territoires et paysages littoraux à des risques naturels de mieux en mieux identifiés et croissants nous impose de proposer des réponses pertinentes en

terme d’aménagement et d’adaptation aux mutations notamment liées au changement climatique. Dans le contexte actuel incertain et à partir d’un questionnement liminaire relatif à la situation des bas-champs de cayeux-sur-Mer (picardie), nous avons cherché à démontrer que le paysage était une composante essentielle à la résolution des problèmes de risques d’inondation et de submersion ; problèmes auxquels le paysagiste doit prendre part afin d’anticiper puis de conforter l’avenir des territoires et des paysages littoraux. survenue au cours de la maturation de cette thèse, la tempête Xynthia prouva la défaillance des stratégies de prévention et de protection jusque-là employées ; elle fut l’occasion d’évaluer la gestion réactive de la crise mobilisant notamment des stratégies préconisées quelques mois plus tôt lors du Grenelle de la mer, à l’instar du repli stratégique et de la délocalisation des enjeux. conjugué à une absence de prise en compte du paysage, l’usage de ces stratégies a généré d’autres vulnérabilités (urbaines, paysagères, sociales…) qui limitent la résilience du territoire. Une planification anticipée des enjeux et la reconversion spatiale de certains secteurs furent ultérieurement plébiscitées comme le montrent certaines expériences (notamment anglaises et néerlandaises) où la prise en compte du paysage apporte une valeur ajoutée aux sociétés et aux territoires littoraux. Dans ces opérations, souvent de dépoldérisation (Wallasea island, tiengemeten island…), la construction de (nouveaux) paysages participe à réduire la vulnérabilité des sites ou des territoires face au risque de submersion, voire même à en tirer parti ; c’est la mitigation (atténuation) paysagère. D’autres exemples, soumis à une politique de relocalisation des enjeux bâtis (blois et la déconstruction du quartier de la bouillie notamment), font l’objet de réflexions prospectives afin d’identifier des formes de productions paysagères, sociales et économiques, qui intègrent le risque d’inondation. l’expérience blésoise a montré comment passer d’une (simple) reconversion spatiale à la reconquête du territoire et comment la mitigation paysagère pouvait faire émerger une nouvelle culture sociétale du risque d’inondation. L’analyse de cet exercice prospectif a permis d’identifier dans le projet de paysage un outil de réduction de la vulnérabilité et d’affirmer l’importance de conduire une prospective qui ne cesse d’intégrer les mutations sociétales (et climatiques) et les interactions nature/société/paysage. Dès lors, plutôt que d’adaptation, nous avons jugé 411


conclusion générale

plus exact de parler d’ajustement. a ce titre, la camargue est un territoire éminemment représentatif, tant par ses problématiques d’inondabilité et de submersibilité que par ses trajectoires passées, présentes et futures. En effet, l’influence conjuguée des eaux douces et des eaux salées a façonné un milieu méditerranéen contrasté et mobile auquel les hommes se sont inlassablement ajustés par des stratégies mobilistes puis fixistes. Les transformations progressives (par poldérisation notamment) ont réduit les risques d’inondation et de submersion et ont contribué à produire des paysages multifonctionnels, marque d’une mitigation paysagère riche mais complexe à laquelle ont contribué l’industrie salinière et la culture rizicole. La valeur (écologique, paysagère…) produite par cette mitigation des paysages fit émerger une société militante d’un romantisme naturaliste qui décria l’agriculture productiviste qui en fut pourtant la matrice. bien que fondé sur ce paradoxe, cet ajustement identitaire permit d’inventer la culture camarguaise, la prise de conscience du paysage et, avec elle, la garantie de leur préservation. ce protectionnisme subsiste, relayé par les gestionnaires de la nature en camargue attachés à démontrer une exemplarité en matière de gestion de milieux écologiquement riches. Mais cette attitude fixiste conservative apparaît illusoire face aux nombreuses mutations endogènes et exogènes du delta du rhône, et ce, en dépit de l’arsenal juridique détenu par l’écocomplexe camarguais. l’enjeu camarguais majeur est la conservation de son potentiel d’ajustement stratégique continu face aux changements, notamment climatique, qui impose une remise en cause du combat engagé contre la mer. en outre, en mobilisant certaines références culturelles et géographiques, il est devenu urgent de définir les nouvelles trajectoires de la Camargue de demain, au risque de perdre ce qu’on a voulu protéger. certains outils et documents d’orientation stratégiques traduisent les visions à court-moyen terme d’une camargue désirée (ou refoulée) par les acteurs locaux. cependant, exprimées dans le contrat de Delta et la charte du pnrc, elles illustrent, à l’horizon 2015-2022, une Camargue moins animée par l’ajustement aux mutations présentes et futures que par une volonté d’exemplarité de gestion et de préservation des écosystèmes (maintenus artificiellement) ; une Camargue consensuelle refusant l’audace qui l’a amené à (ré)inventer ses paysages. D’autres visions tendancielles, construites à partir des variables actuelles (renchérissement énergétique, périurbanisation, croissance des flux démographiques, effets du changement climatique…), apparaissent incompatibles avec un développement territorial équilibré et durable ; à l’exception d’un scénario. scénario qui implique d’importantes transformations spatiales et la délocalisation d’enjeux économiques, mais qui, du même coup l’espace, abandonne littoral à la mer et à ses excès, amputant la mitigation paysagère qu’il était susceptible de porter. s’impose alors une autre prospective, celle d’une vision globale de l’anthroposystème camarguais par laquelle doit s’établir une nouvelle planification des enjeux spatiaux et territoriaux et se construire une nouvelle méthodologie. conviant à une autre littoralité, à l’instar de la prospective environnementale du pnrZH, elle montre une camargue nouvellement surprenante, 412


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détachée de ses contingences hydrologiques. Fort de ces constats, de recherches complémentaires et de nos intuitions de paysagiste, nous avons construit d’autres scénarios exploratoires (futuribles paysagers) d’une Camargue insolite. A l’horizon 2040, les visions de dôme rural méditerranéen et de spot mondial d’ajustement au changement climatique illustrent les opportunités et les capacités du système camarguais à s’ajuster aux mutations et à se réinventer. la vision plus lointaine (2080) d’une mangrove camarguaise intègre les effets du changement climatique. Cette nouvelle fixité littorale et « naturelle » invite à s’interroger sur la situation contemporaine et à relativiser certains choix. ces scénarios géoprospectifs présentent de nouveaux modèles de développement et d’ajustement du delta camarguais. ils peuvent initier ce que nous avons appelé le renouvellement (du) littoral : processus de projets construits sur des visions paysagistes, associant GiZc et stratégie d’adaptation au changement climatique ; à l’instar de l’expérience prospective sur une éventuelle dépoldérisation partielle des bas-champs du Vimeu, actuellement menée par le sMbsGlp. La hausse eustatique préfigure des changements de paysages qui doivent être anticipés et que la recherche doit intégrer. plusieurs voies à approfondir doivent mieux saisir les temporalités du projet de paysage en question en imaginant des dispositifs méthodologiques qui impliquent d’intervenir à tous les temps de ce dernier (avant, pendant et après), dans le cadre d’une prospective paysagère. il semble urgent que la recherche sur le paysage s’ouvre plus largement à la réflexion prospective pour proposer des modèles de fonctionnement et de développement nouveaux sur lesquels s’appuyer pour que les acteurs territoriaux puissent débattre des choix d’aménagement et initier un renouvellement littoral qui devra tôt ou tard s’imposer. Mais il faut souligner l’importance d’insuffler de la créativité dans ces scénarios de renouvellement littoral (à la différence de la démarche prédictive ou tendancielle trop à la mode aujourd’hui) ; ce que le projet de paysage et les visions paysagistes peuvent véhiculer. Enfin, pour répondre aux nombreux enjeux qu’imposent ce renouvellement littoral et, plus globalement, le changement climatique, le paysagiste devra lui-même se défaire d’une approche en terme de projet urbain pour penser en terme de “ projet de nature “ : un paysagiste non plus (seulement) urbaniste mais “littoraliste“. puisse cette thèse contribuer à nourrir les approches méthodologiques et appliquées qui aideront les sociétés à passer d’une mer combattue à une mer désirée…

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GlossaiRe Des concePts et outils utiles au PaYsaGiste Les termes marqués d’une astérisque (à leur première occurence dans le texte) sont définis dans ce glossaire. adaptation : processus unilatéral (écocentré) d’accompagnement des mutations écologiques. ajustement : interaction(s) et co-évolution(s) de dynamiques naturelles et anthropiques (politiques, économiques, sociales) en réponse à des problèmes perçus par les sociétés face à une question de gestion de la nature dont l’expression perceptible (et pas uniquement visible) est le paysage. anthroposystème : entité structurelle et fonctionnelle correspondant à un ensemble de système(s) naturel(s) et social(aux) en interaction sur un même territoire et co-évoluant dans la longue durée (lévêque et al., 2003). système(s) de projets en interaction sur un territoire. Futuribles : néologisme créé par Bertrand de Jouvenel qui signifie futurs possibles. Se rapporte à scénario prospectif. Futuribles paysagers : paysages futurs possibles. notion nouvelle proposée à l’issue de cette thèse pour caractériser les trajectoires paysagères d’un territoire. Géoprospective : science prospective appliquée à la géographie. elle a pour but d’imaginer le devenir des territoires et d’élaborer des choix politiques durables en matière d’aménagement du territoire. l’élaboration de documents d’aide à la prise de décision passe essentiellement par l’étude des dynamiques spatiales anthropiques et environnementales qui déterminent les formes urbaines. la spatialisation des options de développement retenues permet de modéliser le devenir des espaces projetés. la dimension spatiale est au cœur des processus géoprospectifs, que ce soit dans le diagnostic, dans la modélisation d’évolution, ou dans l’élaboration de cartes de zonages (d’après Wikipédia).

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glossaire

mitigation paysagère (ou mitigation des paysages) : réduction de la vulnérabilité par la construction de paysages. cette construction repose sur l’accompagnement des mutations de paysages. la stratégie de mitigation paysagère est donc l’élaboration de projets d’accompagnement des mutations de paysages visant la réduction de la vulnérabilité d’un territoire et de sa société afin d’atténuer le risque d’inondation ou de submersion, et dans certains cas mêmes d’en tirer parti. notion nouvelle proposée à l’issue de cette thèse. Paysage : résultante visible (mais pas toujours) d’interactions territoriales (naturelles, sociales…). Projet de paysages : principal outil du praticien paysagiste. Démarche mise en œuvre par une pluralité d’acteurs pour enclencher un processus de transformation profonde d’une situation jugée problématique. intégrant notamment des actions de transformation spatiale, le projet de paysages participe à donner du sens à l’évolution d’un territoire. Projet de territoire : le projet de territoire résulte de la combinaison de deux termes: celui de “projet“ qui signifie “la projection, l’idée de ce que l’on veut construire dans le futur“, et celui de “territoire“, qui correspond à un espace vécu et approprié par ses habitants. il évoque une vision à long terme et se construit en fonction de la mobilisation des acteurs locaux du territoire (d’après Minot D., 2001). Prospective paysagère : science prospective appliquée au paysage. elle a pour but d’imaginer le devenir des paysages, ou l’émergence de nouveaux, par l’exploration des trajectoires territoriales (notion proche de la géoprospective). Renouvellement littoral : notion nouvelle proposée à l’issue de cette thèse. a l’instar du renouvellement urbain, notion large qui désigne la reconstruction de la ville sur la ville à l’échelle d’une commune ou d’une agglomération, le renouvellement littoral vise à reconcevoir le littoral sur lui-même à l’échelle de ses dynamiques géomorphologiques, sociétales et paysagères (de l’amont du bassin hydrographique à la haute-mer). il se caractérise par la définition d’une vision stratégique globale intégrant la requalification d’espaces littoraux et arrière-littoraux ainsi que la rénovation urbaine littorale, pouvant mener au repli des enjeux bâtis (démolition et reconstruction) et au développement d’entités urbaines nouvelles ou existantes. Résilience : capacité d’un système (ou d’un organisme) à retrouver un fonctionnement normal (ou stable) après un traumatisme ou un choc. Résilience autonome : résilience d’un espace enclenchée sans intervention humaine. 416


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Résilience proactive : capacité à anticiper, à apprendre, à s’ajuster, pour faire face ou retrouver (plus ou moins facilement) un fonctionnement normal après un évènement. Vulnérabilité positive : faiblesse d’une entité (espace, territoire, société…) qui, face à une menace ou un changement, apporte une transformation bénéfique au système (notion développée par Gallopin). exemple : la submersion, consécutive de la faiblesse du système de protection littorale, s’accompagne (dans le cadre d’une dépoldérisation) d’un exhaussement des terres participant à la construction d’une zone tampon (protectrice d’une zone à enjeux). Vulnérabilité résiliençaire : la résilience n’étant pas toujours un concept “positif“ et tout système étant soumis à une vulnérabilité, quelle qu’elle soit, la vulnérabilité résiliençaire est un modèle conceptuel d’analyse de la vulnérabilité et de la résilience des systèmes (socio-économiques, territoriaux...) exposés à des risques (notion développée par provitolo).

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Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

taBle Des FiGuRes Figure 1 : bloc-diagramme de la baie de somme et des bas-champs du Vimeu

31

Figure 2 : Formation de la plaine maritime picarde

35

Figure 3 : scénarios prospectifs d’évolution des bas-champs

42

Figure 4 : plan et coupe du réaménagement du front de mer de cayeux - projet « en somme, rendre la terre à la mer »

47

Figure 5 : Vue en perspective du front de mer de cayeux - projet « en somme, rendre la terre à la mer »

47

Figure 6 : coupe de principe de réaménagement du réseau hydrographique de Hurt - projet « en somme, rendre la terre à la mer »

48

Figure 7 : Vues en perspective du village flottant du Marais - Projet « en somme, rendre la terre à la mer »

48

Figure 8 : Plan et coupes du village flottant du Marais - Projet « en somme, rendre la terre à la mer »

49

Figure 9 : Frise illustrant l’alternance séculaire entre mobilisme et fixisme dans les bas-champs picards

52

Figure 10 : images spot de comparaison avant et après Xynthia dans la baie de l’aiguillon

91

Figure 11 : Zonage de la zone d’acquisition amiable de la Faute-sur-Mer

110

Figure 12 : Modélisation du projet de dépoldérisation de la Ferme de la caroline

133

Figure 13 : scénario à très long terme d’une dépoldérisation totale de la Ferme de la 134 caroline Figure 14 : plan du projet d’aménagement de Wallasea island

139

Figure 15 : premier schéma directeur du réaménagement des prairies st Martin

146

Figure 16 : Deuxième schéma directeur du réaménagement des prairies st Martin

148

Figure 17 : périmètre du val ligérien blésois entre coteau et ville endiguée

150

Figure 18 : périmètre de la Zone d’aménagement Différé de la bouillie

151

Figure 19 : Modèle du cycle adaptatif

156

Figure 20 : Modèle du cycle de panarchy

157

Figure 21 : schéma des séquences paysagères du val ligérien blésois

169

Figure 22 : Schéma des invariants paysagers (matrice) défini dans l’étude prospective 174 du quartier de la bouillie, blois 437


table des figures

Figure 23 : photomontages des différents futuribles du quartier de la bouillie

177

Figure 24 : schéma de renouvellement du val ligérien blésois et du quartier de la bouillie

180

Figure 25 : chemin de l’eau entre loire et cosson

180

Figure 26 : schéma d’implantation des usages du val ligérien blésois proposée dans 181 le cadre de l’étude prospective du quartier de la bouillie Figure 27 : Vue axonométrique du projet de parc agricole urbain de la bouillie

186

Figure 28 : tableau schématique de fusion du programme d’actions de prévention 191 des inondations (papi) et du plan-guide Figure 29 : Delta du rhône et littoral camarguais

209

Figure 30 : Graphique de l’évolution des apports solides du rhône (histogrammes en rouge pour les apports totaux, en vert pour les seuls apports de matières en 211 suspension) et du nombre de barrages sur le Rhône et ses principaux affluents Figure 31 : evaluation quantitative sommaire des équipements littoraux de Grande 227 et petite camargue Figure 32 : carte postale de la camargue

229

Figure 33 : plan du site de beauduc

233

Figure 34 : schéma du système Vaccarès

246

Figure 35 : projet immobilier à salin-de-Giraud

267

Figure 36 : evolution du niveau moyen de la mer au Grau de la Dent de 1905 à 2005

270

Figure 37 : projets en cours (décosetage, confortement de digues, quais...) sur les 272 rives du rhône Figure 38 : « Barques aux Saintes-Maries »

283

Figure 39 : evolution du trait de côte du delta du rhône depuis 1895 et estimation 289 jusqu’en 2100 Figure 40 : risque d’isolement par des lagunes et de submersion des saintes-Maries291 de-la-Mer Figure 41 : Façade nord (lagunaire) des saintes-Maries-de-la-Mer et trait de côte en 2030

291

Figure 42 : Schéma simplifié de fonctionnement du littoral languedocien et catalan 346 et son exposition actuelle aux effets du changement climatique Figure 43 : tableau de synthèse et de comparaison des scénarios d’évolution possible 376 de la camargue 2040 et 2080 Figure 44 : synthèse des principales études littorales globales, urbaines et paysagères 387 réalisées ou en cours Figure 45 : scénario du Hâble d’ault réactivé - Vue à l’échelle de la baie de somme 396 Figure 46 : schéma du Hâble d’ault réactivé

397

Figure 47 : scénario d’ouverture d’une petite baie dans les bas-champs sud picards 398 - Vue à l’échelle de la baie de somme Figure 48 : schéma d’ouverture d’une petite baie dans les bas-champs sud picards 399

438


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

Figure 49 : scénario d’une baie élargie dans les bas-champs sud picards - Vue à 400 l’échelle de la baie de somme Figure 50 : schéma d’une baie élargie dans les bas-champs sud picards

401

Figure 51 : planche d’illustrations des paysages conservés ou créés dans le cadre du 402 scénario de baie élargie dans les bas-champs sud picards Figure 52 : planche d’illustrations des usages proposés dans le cadre du scénario de baie élargie dans les bas-champs sud picards 402 Figure 53 : schéma d’une baie au contour assoupli dans les bas-champs sud picards

403

Figure 54 : caractérisation du gradient typologique touristique et paysager dans le 405 cadre d’une dépoldérisation au périmètre variable des bas-champs sud picards

439


table des cartes

taBle Des caRtes carte 1 : Zones à risques dans les bas-champs

39

carte 2 : schéma directeur des entités paysagères des bas-champs projetées dans le cadre du projet «en somme, rendre la terre à la mer» 45 carte 3 : le marais poitevin et ses marges maritimes

90

carte 4 : suivi des inondations consécutives au passage de Xynthia dans la baie de 90 l’aiguillon carte 5 : Zones inondables et bâties des communes de l’aiguillon-sur-Mer et de la 101 Faute-sur-Mer carte 6 : Zone d’acquisition amiable (ou zone noire) de la Commune de la Faute-sur109 Mer, quartier d’arçay carte 7 : séquences paysagères de l’Île de tiengemeten

137

carte 8 : les différents territoires du Delta du rhône

202

carte 9 : bassin versant du rhône

208

carte 10 : la Grande camargue

209

carte 11 : evolution du littoral camarguais de 2000 à 2004

211

carte 12 : la mer de la période miocène au niveau du bas rhône

214

carte 13 : anciennes embouchures du rhône et anciens rivages camarguais

215

carte 14 : evolution paléogéographique de la plaine deltaïque de camargue depuis le 218 néolithique ancien jusqu’à l’antiquité carte 15 : rivages camarguais superposés au rivage actuel

218

carte 16 : position du rhône et du rivage de la Méditerranée à l’époque antique

220

carte 17 : position du rhône et du rivage de la Méditerranée au Moyen-age

221

e

carte 18 : position du rhône et du rivage de la Méditerranée au 18 siècle

224

carte 19 : localisation des cabanes de beauduc

231

carte 20 : localisation de la plage de piémenson

237

carte 21 : sous-bassins versants de la camargue endiguée

246

carte 22 : Géomorphologie du delta du rhône

247

carte 23 : carte morphopaysagère du delta du rhône

248

carte 24 : salinité du delta du rhône

248 440


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

carte 25 : occupation du sol en camargue en 2006

249

carte 26 : les principaux usages en camargue

250

carte 27 : espaces naturels protégés, unités de gestion et statuts fonciers du delta du 259 rhône carte 28 : ouvrages de protection du littoral camarguais (2002)

282

carte 29 : estimation de l’évolution du trait de côte du delta du rhône en 2030 et 289 2100 carte 30 : evolution du trait de côte au droit des saintes-Maries-de-la-Mer depuis 289 1895 et estimation jusqu’en 2030 carte 31 : risque de submersion par rupture de cordons dunaires en camargue

290

carte 32 : localisation des sites du Vigueirat, de beauduc et de la palissade

301

carte 33 : contrat de delta camargue (2002)

318

carte 34 : schéma directeur du parc naturel régional de camargue (2009)

323

carte 35 : sites remarquables de camargue

326

carte 36 : scénario 1 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du 336 pnrc carte 37 : scénario 2 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du 337 pnrc carte 38 : scénario 3 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du 338 pnrc carte 39 : scénario 4 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du 339 pnrc carte 40 : scénario 5 de l’étude prospective préalable à la révision de la charte du 340 pnrc carte 41 : Interprétation cartographique du scénario de rupture «Marécagia»

362

carte 42 : Futurible paysager du scénario « La Camargue, dôme méditerranéen »

368

carte 43 : Futurible paysager du scénario « la camargue, spot mondial du changement 372 climatique » carte 44 : Futurible paysager du scénario de « mangrove camarguaise »

374

taBle Des PlancHes caRtoGRaPHiQues Planche cartographique 1 : prévision des vents sur la France, 4 jours avant la tempête Xynthia 96 Planche cartographique 2 : surfaces inondées lors des principales crues du rhône 271 depuis 1856 Planche cartographique 3 : constitution de la matrice paysagère de la camargue 350 441


table des photographies

taBle Des PHotoGRaPHies Photo 1 : Vue aérienne de la Faute-sur-Mer et l’aiguillon-sur-Mer, en Vendée, après le passage de la tempête Xynthia 89 Photo 2 : Digue de l’Île de ré restaurée... à la hâte après le passage de la tempête 113 Xynthia Photo 3 : polder de Graveyron accidentellement rendu à la mer

126

Photo 4 : lagune de Mortagne en Gironde

128

Photo 5 : Vue aérienne du polder de Freiston schore, percé de trois brèches

131

Photo 6 : ile de tiengemeten (Hollande)

136

Photo 7 : vue aérienne de la future Wallasea island et des premiers travaux

139

Photo 8 : Vue aérienne de la ville de rennes et périmètre des prairies st Martin

143

Photo 9 : le quartier raoul-anthony au coeur des prairies saint-Martin, rennes

144

Photo 10 : le canal st Martin au droit des prairies saint-Martin, rennes,

145

Photo 11 : quartier et déversoir de la bouillie aux franges du quartier endigué de 151 blois-Vienne, 2006 Photo 12 : Vue oblique du quartier et du déversoir de la bouillie

186

Photo 13 : Illustration du paléopaysage du nord du rivage flandrien

216

Photo 14 : Illustration du paléopaysage du sud du rivage flandrien

217

Photo 15 : Vue aérienne des cabanes de beauduc

231

Photo 16 : Vue panoramique de la plage de beauduc

232

Photo 17 : cabane de beauduc sur pilotis («Cabane de l’Indien»)

235

Photo 18 : Cabane flottante dans le Golfe de Beauduc

235

Photo 19 : Vue aérienne des salins et la de la plage de piémenson

237

Photo 20 : Paysage de rizière en haute-Camargue

251

Photo 21 : paysage de marais (traversé par une roubine), frange entre basse et haute251 camargue Photo 22 : paysage de lagune salée camarguaise

253

Photo 23 : paysage de marais salé et de sansouïre camarguais

253

Photo 24 : paysage de tables saunantes et de camelles

254

Photo 25 : paysage de cordon littoral sableux stabilisé par des ganivelles

255

442


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

Photo 26 : paysage des saintes-Maries-de-la-Mer vue depuis l’étang des launes

256

Photo 27 : photo aérienne des saintes-Maries-de-la-Mer

283

Photo 28 : Vue aérienne du littoral des saintes-Maries-de-la-Mer

283

Photo 29 : les saintes-Maries-de-la-Mer anciennement protégées par la digue à la 285 mer Photo 30 : Digue à la mer, à proximité du phare de la Gacholle

285

Photo 31 : epis en béton et en enrochements sur la plage des saintes-Maries-de-la286 Mer Photo 32 : le Hâble d’ault protégé par le cordon de galets

394

taBle Des PlancHes PHotoGRaPHiQues Planche photographique 1 : cordon de galets des bas-champs ; entre ouvrages et 34 rechargement en matériaux Planche photographique 2 : comparaison diachronique des bas-champs sud

38

Planche photographique 3 : lotissement des Voiliers de la Faute-sur-Mer après 111 déconstruction du bâti Planche photographique 4 : polder de tollesbury

130

Planche photographique 5 : Diversité des ambiances paysagères de l’Île de 138 tiengemeten Planche photographique 6 : Formation de délaissés périurbains dans le quartier 155 la bouillie, blois Planche photographique 7 : les jardins de Gally, bailly (78)

184

Planche photographique 8 : plage de piémenson

238

Planche photographique 9 : pompage et irrigation des eaux du rhône

246

Planche photographique 10 : paysage du front de mer des saintes-Maries-de-la255 Mer Planche photographique 11 : projets de lotissements à salin-de-Giraud

267

Planche photographique 12 : brise-lames en enrochements sur la plage des 287 saintes-Maries-de-la-Mer Planche photographique 13 : le Domaine de la palissade et la diversité des 301 ambiances paysagères

taBles Des PHotoGRaPHies HoRs texte sud de la baie de somme à marée haute plage de sainte-anne, la tranche-sur-Mer quartier de la bouillie et quartier blois-Vienne le delta du rhône, son embouchure et le Golfe de beauduc canal d’irrigation entre rhône et Vaccarès

28 60 165 201 244

443


table des matières

taBle Des matièRes

RemeRciements

7

note aux lecteuRs

8

siGles et acRonYmes

9

sommaiRe

11

intRoDuction GénéRale

17

cHaPitRe liminaiRe - Plaidoyer pour une thèse

21

a. la thèse et son contexte

23

i. le regard particulier de l’ingénieur paysagiste

23 23 24 24

ii. entre recherche et application professionnelle

25 25 25

iii. une thèse en géographie

26 26 26

1. Définition et brève genèse d’un métier nouveau 2. une formation plurielle… 3. … aux fins du projet de paysage

1. l’apport du parcours professionnel à la thèse 2. l’apport de la thèse au parcours professionnel

1. une thèse en plein débat sur la création d’un doctorat en paysage 2. la géographie, la science du paysage ?

B. la dépoldérisation des Bas-champs Picards : exploiter une expérience 29 théorique de projet de paysage à l’origine de la thèse i. « en somme, rendre la terre à la mer » : démarche, réflexions, questions, réponses

29

29 1. le cadre institutionnel, le travail de Fin d’etudes 30 2. problématique d’un polder en sursis 2.1 contexte général 30 30 2.2 les questionnements 32 3. une méthodologie au service du projet de paysage 3.1 analyse et diagnostic 32 32 3.1.1 lecture sensible : la géographie sentimentale 3.1.2 lecture des paysages littoraux et dynamique littorale : le recours à la géographie 32 physique 37 3.2 prospective et élaboration de scénarios 37 3.2.1 l’inondation de 1990, modèle de dépoldérisation pour le 21e siècle ? 3.2.2 les enjeux et les objectifs d’un retour de la mer 39 a) la question de l’eau aux pays-bas 40 b) l’eau, une alliée dans les bas-champs 41 41 c) les enjeux liés à l’existant dans les bas-champs 42 3.2.3 Des scénarios de retour de la mer et implications paysagères 44 3.3 elaboration du schéma directeur : le paysage dépoldérisé à l’échelle du territoire 44 3.3.1 les digues, lignes de force du paysage 44 3.3.2 une nouvelle géographie du risque au service des bas-champs 44 3.3.3 anticipation des nouveaux paysages et retour à la géographie physique

444


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

3.3.4 le schéma directeur : expression d’une nouvelle organisation spatiale et illustration 45 de nouveaux paysages 46 4. la traduction fonctionnelle du projet 46 4.1 nouveaux paysages, nouvelles activités, nouvelle gestion 46 4.1.1 paysages de l’élevage 46 4.1.2 paysages de la culture de salicorne 46 4.2 Habiter autrement 4.2.1 la mobilité sédimentaire, gage de protection autonome pour la presqu’île de 46 cayeux 48 4.2.2 Hurt, un village « filtré » par la mer 48 4.2.3 Le Marais, un village flottant 48 a) Des huttes et des maisons flottantes b) Un exemple de maisons flottantes aux Pays-Bas 49 4.2.4 Fédérer les paysages 50 4.2.5 calendrier sommaire du projet 50 5. « en somme, rendre la terre à la mer » : bilan d’une réflexion et d’un projet toujours 50 «d’actualité». 52 6. et d’autres questions… 6.1 …relatives au parti pris développé… 52 52 6.1.1 le déplacement des enjeux 6.1.2 Vers de nouveaux usages ? 53 53 6.2 … projetées sur un autre territoire 53 6.3 …et plus largement sur la démarche de projet de paysage

ii. expériences professionnelles et nouvelles questions soulevées

54

iii. les objectifs multidirectionnels de la thèse 1. Pour la communauté scientifique 2. pour la communauté paysagiste 3. pour les collectivités 4. pour la société

55 55 55 55 55

C. Plan et déroulé de la réflexion

56

PaRtie 1 – le PRoJet De PaYsaGe, un outil De 59 RéDuction De la VulnéRaBilité cHaPitRe 1 - méthodologie

63

a. etat des lieux de la recherche

65

i. la gestion du trait de côte : évolution des approches

65

ii. la camargue, un territoire de recherche

68 68 69 69

III. Les demandes sociales et scientifiques et la nécessité de réponses

70

1. en géographie physique 2. en sociologie 3. Mais pas ou peu de recherche en paysage

B. le prisme du paysage, objet de projet : l’approche du paysagiste i. tout est paysage

72 72

445


table des matières

ii. le paysagiste face à l’évolution des littoraux

73

iii. les outils d’appréhension, de compréhension et de projection : entre rétrospective 74 et prospective 74 1. etudes et retours d’expériences professionnelles 74 2. travail de terrain et recherches bibliographiques 74 3. analyse systémique et prospective

cHaPitRe 2 - inadaptation des stratégies et augmentation des 77 vulnérabilités a. les orientations récentes d’une stratégie nationale de gestion du littoral : 80 entre fixisme et mobilisme, la place du paysage i. la stratégie nationale de gestion du trait de côte, une stratégie en faveur du mobilisme : 80 un gage de durabilité ? ii. le Grenelle de la mer : une carence de prise en compte du paysage dans les nouvelles 82 visions du littoral 82 1. Etapes de définition du choix des stratégies 83 2. une nouvelle vision techniciste ? 84 3. quelle prise en compte du paysage dans le Grenelle de la mer ? B. la tempête xynthia et la préconisation réactive de certaines stratégies i. les effets d’une tempête sur des paysages vulnérables

88 88

88 1. la conjonction exceptionnelle de phénomènes naturels 89 2. Des paysages vulnérables 89 2.1 une mobilité naturelle accrue par des actions anthropiques 2.2 la Faute-sur-Mer et l’aiguillon : un urbanisme aveugle et une instrumentalisation du paysage 90 94 3. De multiples ruptures de digues 94 3.1 retour à d’anciennes situations et émergence de nouveaux paysages 94 3.2 un important linéaire en question et des dégâts matériels considérables

ii. une fausse culture du risque de l’inondation : une résilience défaillante

95 95 97 97 97 98 99 100 100 102 103

iii. les mesures et les stratégies post-tempête

104 105 105 105 106

1. une prévision tardive et limitée 2. une vigilance très peu opérationnelle sinon paradoxale 3. une prévention pourtant élaborée 3.1 une carence en ppri 3.2 Des pprn au contenu hétérogène et peu rétroactif 3.3 une minoration de l’aléa : entre modèle numérique et lecture paysagère 3.4 Une cohérence insuffisante entre les documents d’urbanisme 4. une occupation des sols exposant aux risques d’inondation et de submersion 5. Gestion des ouvrages de protection : un problème de gouvernance 6. le bon sens individuel en réponse à l’oubli du risque

1. Un zonage en faveur d’une organisation du repli 1.1 Une cartographie des zones à risques 1.2 Les zones d’acquisition amiable 2. un plan de renforcement des digues et des systèmes de protection

c. D’une résilience défaillante à une résilience limitée : les pistes d’une 108 résilience proactive

446


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

i. la désorganisation du repli ou les résultantes paysagères d’un territoire décousu 1. unilatéralité du regard technique : une vulnérabilité contre une autre 1.1 une mise en délaissé initiée par le risque 1.2 un triple traumatisme 2. l’absence d’un projet de territoire et de paysages : la réduction des possibles 2.1 une évaluation inexistante du paysage 2.2 un défaut de projet global

108 108 108 111 112 112 113

ii. Xynthia : l’opportunité d’une nouvelle approche de l’aménagement littoral et d’une révision globale des paysages du risque d’inondation 115 1. Un schéma d’aménagement des zones littorales à risque : la stratégie du repli stratégique 115 2. un droit de délaissement 116 3. Une modification de la loi « Littoral » 116 4. Le pilotage efficace d’une gestion intégrée du littoral 117

cHaPitRe 3 - Dynamiques de paysage du repli stratégique : résilience proactive et adaptation 121 a. le laisser-faire, une stratégie de mitigation paysagère du risque de submersion 124 i. la dépoldérisation naturelle ou accidentelle : l’abandon

124

ii. la dépoldérisation volontaire : un projet stratégique de territoire et de paysage

129

1. résilience et compensations 124 1.1 l’exemple du polder de Graveyron 125 1.2 un processus de résilience autonome 125 2. l’expression d’une vulnérabilité positive ? 126 2.1 l’abandon : un facteur de vulnérabilité positive et l’émergence de nouveaux espaces 127 2.2 la défaillance de la digue : un facteur de vulnérabilité positive et la mutation du système défensif 127

1. Des expériences anglo-saxonnes de résilience proactive : la dépoldérisation désirée 129 1.1 le polder de tolesbury 129 1.2 Freiston shore 130 2. l’évolution sociale et le contexte du changement climatique : la mitigation paysagère et ses différentes échelles en réponse à une demande de nature et de paysage 132 2.1 Le paysage à l’échelle de site dépoldérisé, entre monospécificité et diversité végétale 132 2.2 enjeux de diversité des paysages restitués à la mer à l’échelle des territoires 135 2.2.1 Graveyron et la hausse du niveau de la mer : vers une uniformité des paysages ? 135 2.2.2 l’île de tiengemeten : la mise en valeur d’un palimpseste 136 2.2.3 l’île de Wallasea : les enjeux de conservation d’une future diversité paysagère 138 2.3 rôle et typologie du paysage dans l’acceptation de la dépoldérisation 139

B. le recul stratégique des enjeux et émergence d’un cycle adaptatif

142

i. les prairies st Martin à rennes, une intégration croissante du risque d’inondation dans le projet d’aménagement 143 1. la valorisation d’un corridor écologique en cœur de ville 143

2. la gestion du risque par la Déclaration d’utilité publique : entre déconstruction et valorisation 145 2.1 une prise en compte limitée et localisée du risque d’inondation 145 2.2 une mise en scène de l’inondabilité par une prise en compte plus globale du champ d’expansion des crues 147

ii. le déversoir de la bouillie à blois

149

447


table des matières

1. la bouillie, un quartier au cœur d’un ouvrage de régulation des crues ligériennes 2. la Zone d’aménagement Différé, outil de désurbanisation 2.1 Les spécificités de l’outil ZAD 2.2 la ZaD et son application sur le quartier de la bouillie 2.3 les écueils de la ZaD de la bouillie 3. evaluation d’une opération innovante

iii. nouvelle étape de l’adaptation : questions à l’échelle du grand paysage 1. la constitution de délaissés périurbains 2. cycle adaptatif et apparition d’une nouvelle vulnérabilité 3. la vulnérabilité résiliençaire et le cycle de panarchy

149 152 153 153 154 154 155 155 156 157

cHaPitRe 4 - Projet de paysage et développement local : les nouveaux paysages du risque 161 a. une expérience de prospective paysagère i. une étude prospective sur le devenir du site de la bouillie à blois

1. une orientation sur le paysage 1.1 une maîtrise d’ouvrage sensibilisée 1.2 cahier des charges de l’étude prospective sur le devenir du site de la bouillie 1.3 une équipe pluridisciplinaire 2. programme de la maîtrise d’ouvrage 2.1 les objectifs 2.2 une contrainte économique

165 165 165 165 166 166 167 167 168

ii. la démarche de prospective paysagère : un ajustement à l’intercommunalité et au territoire 168 1. Diagnostic commun et lecture partagée du territoire : un préalable à l’exercice de prospective 169 1.1 Des séquences paysagères variées 169 1.2 les principaux usages 169 1.3 les traces historiques 170 1.4 Une autre échelle de réflexion 170 2. les acteurs de l’étude prospective 171 3. les tendances 171 4. signaux faibles 172 5. les premières orientations et le dégagement de thématiques 173

iii. les scénarios de réaménagement d’un espace périurbain au service de la ville 1. Définitions 2. Définition d’invariants paysagers et spatiaux 3. les scenarios proposés 3.1 nourrir la ville 3.2 Valoriser la ville 3.3 chauffer la ville 3.4 Fédérer par l’eau 4. une véritable appropriation des scénarios

B. le renouvellement paysager : pour une nouvelle culture du risque

173 173 173 174 174 175 175 176 176 179

i. lecture et analyse du projet : coévolution d’une dynamique naturelle et d’une production de paysage 179 1. trames verte et bleue, une superposition de l’hydrosystème et du sociosystème 180 1.1 la trame bleue, l’expression de la vulnérabilité résiliençaire 180 1.2 la trame verte, des fonctions de production 181

448


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

2. un nouvel anthroposystème

182

II. Réappropriation du territoire et émergence d’un « parc spécialisé » : vers une nouvelle culture sociétale du risque 182 1. reconversion spatiale et reconquête territoriale 182 2. Vers un parc agricole urbain à blois 184 3. la pluralité des démarches du parc agricole urbain 185 iii. Vers une nouvelle culture réglementaire des territoires du risque d’inondation

187

1. un projet limité par les contraintes du plan de prévention du risque d’inondation (ppri) 187 2. programme d’actions de prévention des inondations (papi) et plan-guide : une mise en cohérence ? 188 2.1 Définition et objectifs du PAPI 188 2.2 les différentes échelles de papi 189 2.3 Le plan-guide ou « petit PAPI » : la description programmatique, spatiale et temporelle d’un projet local de gestion intégrée du risque d’inondation 190 3. le “plan d’actions de prévention des inondations“ ou la prospective conjuguée à tous les temps du projet 192

PaRtie 2 - la camaRGue : teRRitoiRe D’aJustement stRatéGiQue PeRmanent 199 cHaPitRe 5 - mobilité versus fixité : les fortes identités d’un espace artificialisé 205 a. Fixité perçue mais mobilité réelle du littoral i. une mobilité littorale sous le contrôle du transit sédimentaire II. Les causes et conséquences d’un bilan sédimentaire déficitaire B. Dimension paléogéographique du delta

207 207 210 214

I. Formation deltaïque du Tertiaire à la transgression flandrienne

214 215 215 215

ii. le stockage holocène et la libre divagation du rhône

216

1. Fin tertiaire début quaternaire 2. Début quaternaire 3. Transgression flandrienne

c. Genèse du contrôle sociétal

219

i. Du nomadisme de l’interface terre/eau …

219 219 221

ii. … au bilan séculaire d’un territoire poldérisé

222 222 223 224 225 225 226

1. la période préromaine et les premières constructions humaines 2. la période gallo-romaine, le temps de la colonisation agricole

1. le Moyen-Âge et les premières digues 2. le 17e siècle et l’émergence d’une agriculture de conquête 2.1 l’implantation et l’ajustement du foncier aux contraintes physiques 2.2 le maintien continu d’une mobilité anthropique 3. le 19e siècle et les grands projets de conquête 4. Le 20e siècle et la fixation littorale

449


table des matières

D. ajustements identitaires

229

i. l’invention d’une culture et la conscience du paysage camarguais : le romantisme militant, une volonté de figer la nature 229 ii. les Cabanes de Beauduc : une forme récente d’ethnicisation

231 232 233 235 235 236 236

iii. D’autres marqueurs de mobilité

237 237 239

1. a population variée, mode d’occupation atypique 2. la culture cabanière, un ajustement aux contraintes du milieu ? 3. un ajustement au contexte social et réglementaire 3.1 Entre conflit et incompatibilité réglementaire 3.2 une gestion informelle du site par ses résidents 3.3 une forme de développement touristique durable ?

1. piémenson et le tourisme nomade 2. les Gitans des saintes-Maries-de-la-Mer

cHaPitRe 6 vulnérabilités

-

une

multifonctionnalité

entre

mutations

a. la maîtrise permanente du territoire et ses résultantes paysagères

et 243 245

i. la gestion de l’eau, un corollaire au paysage et ses usages

245

II. L’artificialisation des paysages

256 257 257

iii. protections et mesures réglementaires

258

1. Fonctionnement du système Vaccarès 246 2. occupation du sol, typologies paysagères et usages répartis entre eau et topographie : une organisation fine de l’espace 247 2.1 Les paysages et usages de la Camargue fluvio-lacustre 250 2.1.1 les paysages agricoles des bourrelets alluviaux actuels et anciens 250 2.1.2 les paysages de marais 251 2.2 les paysages et usages de la camargue laguno-marine 252 2.2.1 les paysages des étangs centraux et des lagunes salées 252 2.2.2 les cordons sableux, le rivage et la ville des saintes-Maries-de-la-Mer 254 1. une stabilisation anthropique de la variabilité naturelle 2. Une mitigation paysagère interne conflictuelle

1. constitution progressive des mesures protectionnistes 258 2. un arsenal de statuts et d’outils réglementaires : la protection d’une composante naturelle 260 survalorisée ?

B. L’illusion du fixisme : entre ressources et production, relégitimer la nature et les paysages 261 i. Dynamique des mutations territoriales et paysagères en cours 1. Des mutations industrielles 1.1 La relance de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-mer 1.2 le déclin de l’industrie du sel 1.3 Des projets de parcs photovoltaïques 2. Des mutations agricoles 2.1 Une riziculture dépendante du marché mondial 2.2 les autres secteurs agricoles 2.3 une demande d’énergie alternative 3. Mutations touristiques et résidentielles 3.1 l’essor d’un tourisme varié 3.2 une urbanisation croissante

261 262 262 262 263 263 263 264 264 265 265 266

450


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

266 267 267

3.2.1 Dynamique actuelle perçue 3.2.2 Des projets de développement urbains et territoriaux 3.2.3 la revitalisation désirée mais incertaine de salin-de-Giraud

ii. les mutations liées aux impacts du changement climatique

268 269 269 270

iii. les inondations, inadéquations territoriales ou nouvelles opportunités ?

271

1. la hausse des températures et la redistribution des espèces d’interface 2. la hausse du niveau de la mer et le risque de submersion 3. un risque de crues accrues du rhône

iV. légitimité et pertinence des mesures de protection réglementaire dans un territoire soumis à mutations 273 1. statuts de protection et de conservation, handicap à l’ajustement ? 273 2. un discernement lacunaire dans les acquisitions foncières 274

cHaPitRe 7 - sens et légitimité d’un combat contre la mer A. Perspectives d’aménagement

d’évolution

d’un

littoral

rigidifié

par

279 des

choix 281

I. Entre érosion et déficit sédimentaire, les traits constitutifs de la fragilité littorale

282 282 284 284 284 286

ii. scénario d’évolution et artefacts de nouveaux paysages

288

1. Du sable au rocher, du rocher au béton : lecture des paysages du risque 2. les ouvrages côtiers de protection, une solution spatio-temporelle ponctuelle 2.1 les digues frontales 2.2 les épis 2.3 les brise-lames

1. l’hypothèse du scénario du Giec 288 2. les nouveaux contours de l’île camarguaise 290 3. les saintes-Maries-de-la-Mer, avenir et enjeux d’une ville guettée par l’insularité et la submersion 291

B. le littoral camarguais, une gestion intégrée entre durabilité et dynamique globale 293 I. Définition et acteurs ii. GiZc et hausse eustatique : reposer les bases d’une démarche

1. les techniques mises en œuvre 1.1 le rechargement de matériaux 1.2 La fixation dunaire 2. la prise en compte du paysage, entre carence et nécessité : les enjeux paysagers 3. Vers une prise en compte du fonctionnement global du delta… 4. … et une véritable GiZc en camargue ?

c. Blocage dans l’ajustement continu, indices d’ajustabilité

293 293 293 293 294 294 295 296 297

i. les racines du blocage

297 297 298 299

ii. la camargue peut-elle s’ajuster ? a partir de quelles références ?

300 300 300

1. une perception relative, sinon virtuelle, du changement climatique et de ses effets 2. une conscience variable de la vulnérabilité 3. l’adaptation, un handicap à l’ajustement

1. la culture du risque, la production de références 2. la vulnérabilité résiliençaire, le risque aménagé

451


table des matières

3. l’expérience et l’observation de sites références en camargue 3.1 le Domaine de la palissade 3.2 les marais du Vigueirat 3.3 les cabanes de beauduc

301 301 302 302

PaRtie 3 - le RENOUVELLEMENT LITTORAL, une solution PouR la camaRGue ? 309 cHaPitRe 8 - Insuffisance des perspectives d’ajustement

315

a. le contrat de delta, la Camargue 2015

317

i. rappel des objectifs ii. les mesures phares B. la charte du Parc naturel Régional, la Camargue 2022

317 319 320

i. les ambitions générales

320 320 321 321 322

ii. traductions spatiales, territoriales et paysagères

322

1. Gérer le complexe deltaïque en intégrant les impacts du changement climatique 2. Orienter les évolutions des activités au bénéfice de la biodiversité 3. renforcer la solidarité territoriale, la cohésion sociale et améliorer le cadre de vie 4. partager la connaissance et ouvrir sur les coopérations méditerranéennes

1. Gestion de l’eau et des risques associés : la reconnaissance des espaces d’interface et des interconnexions 324 1.1 Vers un nouveau profil côtier 324 1.2 un usage assoupli des digues 325 2. entre conservation et reconversion 325 2.1 préservation et valorisation de sites remarquables 325 2.2 Reconversion de zones agricoles et salicoles 326 3. Maitrise et développement d’un habitat de faible densité : un terrain d’expérimentations 327 3.1 Extension et densification des polarités urbaines 327 3.2 confortement des hameaux 328 4. camargue 2022 : un consensus pour une camargue devenue trop sage ? 328

cHaPitRe 9 - Des expériences de géoprospective

333

a. Des scénarios de développement thématiques et dynamiques

335

I. L’intensification de l’activité touristique et de la pression urbaine

336 336 336

ii. un territoire de transit

337 337 338

iii. l’augmentation de la pression agricole

338 338 339

1. entre pression démographique et dispersion résidentielle 2. un scénario crédible défavorable

1. entre pression démographique et dispersion résidentielle 2. un scénario crédible défavorable

1. entre progrès et concurrence mondiale 2. un scénario globalement défavorable

452


Mer coMbattue, Mer acceptée : un projet de paysages et ses probléMatiques

iV. un territoire d’éco production industrialisée

1. la recherche de solutions alternatives en réponse à la hausse du coût de l’énergie 2. Un scénario très crédible assez défavorable

339 339 340

V. un espace qui retourne à la nature sous l’effet, entre autres, du réchauffement climatique 340 1. le changement climatique conjugué à une demande sociale d’espaces sauvages 341 2. Un scénario « choquant »… 341 3. … mais envisageable : le projet atlantis 341 B. le littoral camarguais face au changement climatique dans le Grand sudest 343 I. Cadre et finalités d’une étude prospective de territorialisation du changement climatique 343 1. rappel des objectifs 343

2. rappel des composantes dynamiques territoriales, de l’exposition actuelle aux effets du changement climatique et des risques de rupture systémique du littoral languedocien et catalan 344

ii. scénarios et hypothèses d’évolution du littoral languedocien et catalan

346

iii. Matrice de scénarios de mitigation paysagère en camargue

350

1. La préservation de la « civilisation périurbaine » par la technologie ou le modèle de la ville américaine 346 2. L’absence de coopérations et le déficit de moyens 347 3. la sobriété énergétique et spatiale et la coopération des territoires 348

cHaPitRe 10 - Le renouvellement littoral : ajustement des dynamiques sociétales au changement climatique 355 a. Camargue 2030 ou « une écologie future » du delta du Rhône I. Le PNRZH et le projet « prospective » ii. une camargue de rupture : vers un parc spécialisé

1. 2000-2015, une succession de crises 2. 2015, une nouvelle camargue à conquérir 3. 2015-2030, émergence d’un projet global et structurant 4. 2030, la remise en cause

358 358 359 359 360 361 363

B. Camargue 2040 et au-delà..., proposition de scénarios et futuribles paysagers 365 i. la camargue, dôme rural méditerranéen

365

ii. la camargue, spot mondial du changement climatique

369

iii. la mangrove camarguaise, le delta de tous les possibles

373

c. le renouvellement littoral : principes et acteurs

377

i. regard rétrospectif sur les choix de gestion actuels du littoral camarguais

377

ii. les principes du renouvellement littoral

378 378 379

1. Définition : vers une nouvelle littoralité 2. Des projets d’ajustement expérimental et la réversibilité des paysages

453


table des matières

3. Des plans d’ajustement au changement climatique

iii. acteurs et application en camargue

379 380

cHaPitRe 11 - De la recherche à l’action

389

a. une approche pluridisciplinaire

392

i. rappels et contexte de l’étude II. Le paysage comme stratégie : axe premier de la réflexion

392 393

B. les Bas-champs du Vimeu, territoire d’expérimentation du renouvellement littoral 395 i. Géoprospective et futuribles paysagers

395 396 398 400

ii. prospective socio-économique et technique

404 404 404 404 405

1. Le Hâble « réactivé » ou les Bas-Champs avant le Grand Barrement 2. l’ouverture d’une petite baie 3. une baie élargie et des îles façonnées, entre terre et mer

1. approche technique 2. conditions de maintien des activités existantes et de développement d’activités nouvelles 3. un tourisme pluriel 4. analyse multicritère

iii. elaboration d’un plan programme d’aménagement et des conditions de sa mise en œuvre 406 1. l’expression d’une vision globale 406 2. un programme d’actions 406 3. un exemple de plan d’ajustement au changement climatique 407 4. l’acceptation du projet 407 conclusion GénéRale

411

GlossaiRe

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BiBlioGRaPHie alPHaBetiQue

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taBle Des FiGuRes

437

taBle Des caRtes

440

taBle Des PHotoGRaPHies

442

taBle Des matièRes

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annexes

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Mer coMbattue, Mer acceptĂŠe : un projet de paysages et ses problĂŠMatiques

anneXes

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ANNEXES

annexe 1

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Mer coMbattue, Mer acceptĂŠe : un projet de paysages et ses problĂŠMatiques

annexe 2

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Résumé Les territoires et les paysages littoraux sont soumis à des risques naturels de mieux en mieux identifiés et croissants (tempêtes, submersions…), notamment sous les effets du changement climatique, dont les manifestations, pas seulement eustatiques, auront d’autres conséquences sur les paysages. Comment, dans une logique proactive, tirer parti des modifications de paysages tout en limitant, contrôlant, voire corrigeant les dérives induites par la hausse du niveau marin sur les littoraux ? L’objectif est de montrer qu’il est possible de s’ajuster à ces risques par la prise en compte des paysages et par la pratique d’une gestion plus douce et raisonnée des aménagements côtiers. Après avoir établi un bilan argumenté sur la prise en compte du paysage dans les stratégies aujourd’hui mises en œuvre pour réduire les risques d’inondation et de submersion, la thèse évalue comment le projet de paysage, processus holistique de conception et de partage de visions à long terme, peut-il être un outil de réduction de la vulnérabilité du territoire et de sa société. Puis, la thèse se focalise sur la Camargue, territoire deltaïque emblématique dont les processus naturels et sociaux ont permis d’inventer une société et des paysages créateurs de richesses dans un équilibre dynamique face aux risques permanents d’inondation et de submersion. Cependant, avec, entre autres causes, celle du changement climatique, cet équilibre stratégique est remis en question et nécessite d’élaborer les hypothèses d’une autre Camargue. Ainsi, dans une dimension exploratoire, la thèse propose une illustration argumentée de nouveaux modèles de développement et d’ajustement du système camarguais. La double prise en compte du paysage et du changement climatique et les premiers résultats de l’étude de dépoldérisation des Bas-Champs Picards, nous amènent à revendiquer la mise en œuvre d’une politique de renouvellement littoral en tant que réponse aux problèmes des territoires côtiers d’aujourd’hui et plus encore de demain. Mots-clés : Bas-Champs picards, Camargue, Changement climatique, Dépoldérisation, GIZC, Paysagiste, Projet de paysages, Prospective paysagère, Renouvellement littoral, Résilience, Risques littoraux, Submersion marine

FIGHTING OFF THE SEA, ACCEPTING THE SEA : A LANDSCAPE PROJECT AND ITS PROBLEMATICS Bas-Champs (Picardie, France) and Camargue (PACA, France)

Summary Coastal territories and landscapes are submitted to increasing yet better identified natural risks (storms, flooding, etc.), especially under the effects of climate change. Its reflections, the eustatic ones among others, have various consequences on the landscape. How is it possible, in a proactive reasoning, to take advantage of the lanscape alterations at the same time as limitating, controling and why not correcting the excesses due to the sea level rise on the coasts ? The aim is to show that it is possible to adjust to these risks upon taking landscapes into account and managing the coastal structures a lighter and better thought-out way. An argued assessment on the way the landscape is taken into account in current strategies used to reduce the flooding risks, is followed with an evaluation of the way the landscape project, a holistic process of designing and sharing long term visions, can be used as a tool to reduce the vulnerability of both the territory and its society. Then, the thesis focuses on the emblematic Camargue delta, a territory which natural and social processes allowed to develop a society together with lanscapes creators of wealth in a dynamic balance considering the permanent flooding risks. However, keeping in mind, among other causes, that of climate change, this strategic balance is being questioned and needs the elaboration of hypotheses for another form of Camargue. Thus, in an exploratory dimension, the thesis suggests an argued illustration of new models of development and adjustment for the system of Camargue. Taking into account both the landscape and climate change, the first results of a study on managed realignment in Bas-Champs, Picardie, lead us to a demand for the implementation of a coastal regeneration policy as the answer to the issues of coastal terriories for today, and even more for tomorrow. Key words : Bas Champs (Picardie), Camargue, Climate change, Managed realignment, Integrated Coastal Zone Management (ICZM), Landscape architect, Landscape project, Landscape prospective, Coastal regeneration, Resilience, Coastal risks, Sea flood

Discipline : Géographie ECOLE DOCTORALE DE GEOGRAPHIE DE PARIS - ED434 Institut de Géographie - Ecole doctorale 191, rue Saint Jacques 75005 Paris


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