Master Thesis

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Ministère de la Culture et de la Communication Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris La Villette

Grace Pelletier n°étudiant 08091

La victoire du prototype L’utopie de la maison préfabriquée chez les architectes du Mouvement moderne : Le Corbusier, Walter Gropius, Jean Prouvé (1923 – 1952)

Directeurs : M. BEDARIDA, J. HARARI, C. MOLEY, J.-L VIOLEAU Pôle : Ville Architecture Habitat Soutenu en septembre 2012


Sommaire Sommaire ........................................................................................................................... 2 Introduction ........................................................................................................................ 3 I. L’utopie de la maison préfabriquée chez les architectes du Mouvement moderne . 6 I.1. Mise en place d'une doctrine de la maison préfabriquée par les architectes du Mouvement moderne .................................................................................................................. 6 I.1.a. L’histoire de la maison préfabriquée : un débat à travers les publications spécialisées. . 6 I.1.b. Influences des architectes du Mouvement moderne : des premières maisons préfabriquées aux méthodes de production en masse (1833 - 1923) ..................................... 13 I.1.c. La préfabrication : définitions et terminologie ................................................................. 26 I.1.d. Les différentes doctrines sur la maison préfabriquée du Mouvement moderne : Le Corbusier, Walter Gropius, Jean Prouvé (1923 – 1953) ......................................................... 32 I.2. Victoire du prototype sur la série : la crise de la doctrine .............................................. 45 I.2.a. La question du retard de l’industrialisation ..................................................................... 48 I.2.b. L’absence de prise en main de la part de l’état et de la « grande industrie » ................ 54 I.2.c. Le logement individuel, royaume de la construction traditionnelle ? .............................. 55

II. Les maisons préfabriquées des architectes du Mouvement moderne : étude de cas d’une architecture de prototype .............................................................................. 58 II.1. Le Corbusier et les maisons Loucheur (1929) ................................................................. 58 II.1.a. La loi Loucheur et le débat sur l’habitat individuel ......................................................... 58 II.1.b. Maisons Loucheur ......................................................................................................... 59 II.1.c. Non-réalisations mais influences ................................................................................... 60 II.2. Walter Gropius, Konrad Wachsmann et la Packaged House (1941-1952) .................... 64 II.2.a. Genèse du projet (1941-1942) ...................................................................................... 64 II.2.b. Evolution du projet : modifications de la guerre à la libération (1942 – 1951) ............... 68 II.2.c. Bilan : la Packaged House dans un contexte d’industrialisation du bâtiment ................ 76 II.3. Jean Prouvé et les maisons de Meudon (1950 - 1953) .................................................... 78 II.3.a. Genèse du projet : la commande de l’état (1949 – 1950) ............................................. 78 II.3.b. Evolution du projet : modification de la commande et choix du site (1950 – 1953) ...... 82 II.3.c. Description des maisons de Meudon ............................................................................. 83 II.3.d. Bilan : les maisons de Meudon dans un contexte d’industrialisation du bâtiment ......... 93

Conclusion ....................................................................................................................... 97 Bibliographie .................................................................................................................. 100 Annexes .......................................................................................................................... 103

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Figure 1. En couverture : Image tirée du film One Week de Buster Keaton (1920)

Introduction « Si l'on arrache de son cœur et de son esprit les concepts immobiles de la maison et qu'on envisage la question d'un point de vue critique et objectif, on arrivera à la maison-outil, maison en série, saine (et moralement aussi), et belle de l'esthétique des outils de travail qui accompagnent notre existence. » Le Corbusier, Vers une architecture, 1923.1 L'idée de la maison préfabriquée a longtemps passionné les architectes. A différentes époques, ils ont pensé qu'elle serait la solution à la crise du logement, à l'inertie du secteur du bâtiment, à la pénurie des matériaux. De manière cyclique, le principe de la maison préfabriquée se présente à nouveau, en des termes différents, et connait un certain succès auprès des architectes et du grand public, faisant l'objet de nouvelles publications, de nouvelles tentatives architecturales. Mais qu'est-ce que la maison préfabriquée ? D'où vient-elle ? Comment retrace-t-on son histoire ? Tout d’abord la maison préfabriquée nous renvoie à l’image de l’industrialisation, de la production à la chaîne. Elle a été le symbole d’une génération d’architectes pour qui la machine, moteur de l’industrialisation, a profondément modifié la façon de vivre et de concevoir, en quelques dizaines d’années. Ces architectes ont vu les objets de leur quotidien passer de la production artisanale à la production dans une usine. Plus qu’un changement radical de technologie, ce qu’a apporté l’industrialisation, c’est finalement une plus grande accessibilité des biens de consommation pour tous. L’industrie, en produisant en masse les objets de notre quotidien, nos vêtements, nos meubles, nos moyens de transports, les a rendus moins chers. La valeur de ces objets normés, rationalisés, produits dans des quantités jamais imaginées auparavant, a baissé. Il a soudain été possible pour des personnes au revenu modeste de s’acheter une voiture, un bien d’abord réservé aux élites. Dans le domaine de la construction, on a progressivement commencé à produire des éléments de construction dans les usines. Des briques, de la ferronnerie, des poteaux et des poutres en métaux, sortaient des chaînes de production. Soudain, une réalité constructive permettait à ces architectes de rêver à une maison qui serait comme nos voitures : produite en série donc peu coûteuse, standardisée, solide et performante. Une « machine à habiter », produite par des machines. Après la première guerre mondiale, le temps que les idées nouvelles sur l’industrialisation venues de l’Amérique traversent les frontières et se propagent dans toute la vieille Europe, les architectes s’étaient fait à l’idée que la machine allait transformer tous les aspects de leur vie quotidienne. Et il était temps, puisqu’une Europe dévastée attendait sa reconstruction. Les architectes du Mouvement moderne voient tout d’abord dans la préfabrication que permet l’industrialisation progressive du 1

Le Corbusier, Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005.

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bâtiment, la solution pour reconstruire leur pays. La guerre est souvent source des meilleures innovations technologiques qui ont pu servir la société civile. Les évènements historiques de manière générale poussent à l’innovation. On verra que les architectes du Mouvement moderne ont écrit la préfabrication, mais ne l’ont pas inventé. Déjà, un siècle avant eux, les pionniers de la colonisation, les voyageurs, les militaires, avaient développé des systèmes de préfabrication. Entre les deux guerres mondiales, des entrepreneurs américains faisaient fortune en vendant des maisons en kit, poussés par le manque de main d’œuvre qualifiée et de matériaux adaptés. Donc ces architectes, dans un double mouvement, oublient une certaine histoire constructive, et parallèlement en glorifient une autre : une histoire industrielle, celle de la taylorisation. Mais quelles maisons ont construit ces architectes à partir de leurs doctrines ? Sont-ils parvenus à la production à la chaîne de leurs maisons ? C’est cette dichotomie entre la reconnaissance historique que nous avons pour les architectes du Mouvement moderne que l’on représente comme les inventeurs de la préfabrication, et l’ambiguïté de leurs réalisations dans ce domaine qui est le moteur de notre réflexion et le plan de notre mémoire. Il s’agira en première partie de retracer ces deux histoires complémentaires, l’histoire de la construction de maisons préfabriquées avant l’apparition des théories du Mouvement moderne sur l’industrialisation de l’architecture, et l’histoire des théories tayloristes et de leur influence sur les architectes modernes. Puis nous définirons ce qu’est une maison préfabriquée, ce que l’on doit entendre par préfabrication. Enfin nous exposerons, par l’analyse de leurs textes, les théories portant sur la maison préfabriquée de trois architectes. En tant que chef de file du Mouvement moderne, Le Corbusier (1887 – 1965) en France et Walter Gropius (1883 – 1969) en Allemagne puis aux Etats-Unis nous semblaient intéressants à étudier. Ils ont tous deux vécus à des périodes similaires, et ils se sont inspirés l’un l’autre dans leurs théories et leurs réalisations. Le Corbusier parle déjà de « Maisons en série » dans un article en 1914, publié dans Vers une architecture en 19232, et sa réflexion sur l’industrialisation de l’architecture aura une influence très importante sur tout son travail et sur l’histoire de l’architecture. C’est avec le projet des maisons Loucheur (1929), peu après les Quartiers Modernes de Pessac, qu’il tenta de pousser le plus loin sa réflexion sur la maison préfabriquée, lors d’une commande du gouvernement dans le cadre du financement de la reconstruction après la première guerre mondiale. Walter Gropius théorisa son idée d’industrialisation du bâtiment par la préfabrication dans différents textes, « L’industrie du logement » en 19243, et « La nouvelle architecture » en 19354. Il 2

Le Corbusier, Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005. Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius, Walter. Architecture et Société. Paris: Editions du Linteau, 1995. 4 Gropius, Walter. « La nouvelle architecture ». In Gropius Walter. Apollon dans la Démocratie, La nouvelle 3

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mit en application certaines de ses idées, en Allemagne puis aux Etats-Unis, notamment avec la Packaged House (1941 – 1952) conçue avec Konrad Wachsmann, maison préfabriquée restée prototype. Jean Prouvé (1901 – 1984), est leur cadet de presque vingt ans. Il écrit peu mais il est possible d’analyser ses discours à travers des retranscriptions de conférences, des interviews, les cours au CNAM qu’il donna pendant plusieurs années, etc. Il participera lui à la réflexion sur la reconstruction après la seconde guerre mondiale, avec ses maisons de Meudon (1950-1953), presque entièrement préfabriquées, au nombre de quatorze. Notons que les trois exemples trouvent leur origine à presque dix ans d’intervalle, 1929, 1941, 1950, dans des contextes similaires : la reconstruction d’après-guerre. Ces trois projets ont été lancés conjointement par un désir d’expérimentation de la part des architectes et également par le soutien de l’état ou d’une société pouvant financer le projet. Ces trois projets on demandé plusieurs années d’élaboration, et de nombreuses négociations entre les membres associés au projet. Enfin, ces trois projets se sont soldés par des résultats différents : aucune réalisation pour la maison Loucheur, bien qu’elle influença de nombreux autres projets ; pour la Packaged House trois prototypes de maisons construites pour une exposition et quelques dizaines de maisons dérivées pour servir dans l’armée ; et une quinzaine de maisons à Meudon. Ce sont ces projets qui nous serviront d’études de cas dans la deuxième partie de ce mémoire. Le cadre historique du mémoire allant de 1923 à 1953, il s’agit de couvrir ces trente années en commençant par l’étude des doctrines en 1923, avec la publication de Vers une architecture et de L’industrie du logement, et de terminer avec la fin du projet de Meudon, en 1953. L’année 1953 n’est pas seulement la fin de la construction des maisons de Meudon pour Jean Prouvé, c’est également le moment où il va se retirer de la direction de ses ateliers de Maxéville. C’est donc une date qui marque la fin d’une période dans la carrière de Prouvé, la fin d’une certaine vision de la maison préfabriquée. Si cette période de recherche prend fin vers 1953, c’est également à cette époque le début d’une autre manière de penser la préfabrication, avec en France la reconstruction sous forme de préfabrication lourde de logements collectifs. Tout au long de ce travail, à travers différentes questions complémentaires, il s’agira de répondre à cette question principale : les architectes du Mouvement moderne constituent une certaine doctrine de la maison préfabriquée. En quoi la façon de penser la maison préfabriquée chez les architectes du Mouvement moderne est-elle une forme d’utopie ? Jusqu’où pourront aller leurs réalisations dans ce sens ? Quels seront les obstacles à la réalisation de cette forme de maison préfabriquée ?

architecture et le Bauhaus. Bruxelles: Editions de la Connaissance, 1969.

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I. L’utopie de la maison préfabriquée chez les architectes du Mouvement moderne I.1. Mise en place d'une doctrine de la maison préfabriquée par les architectes du Mouvement moderne

Les notions de maison préfabriquée, maison usinée, maison en série, semblent être nées au début du XXe siècle, ou plus précisément avec le Mouvement moderne. C'est ce dont témoignent les nombreuses et récentes publications sur le sujet. Comme beaucoup d’autres thèmes en architecture, celui de la maison préfabriquée revient de manière cyclique comme source d'inspiration pour les architectes, réminiscence d’une histoire constructive, utopie d'une certaine époque. Comment les ouvrages récents décrivent-ils la maison préfabriquée, quelle histoire de la préfabrication constituent-ils ? I.1.a. L’histoire de la maison préfabriquée : un débat à travers les publications spécialisées.

Dans les plus récents ouvrages consacrés à ce sujet, on trouve toujours un historique cherchant à faire la genèse de ce qu'a été la maison préfabriquée à travers les siècles. Ces ouvrages sont de diverses natures : catalogues d'expositions consacrées à la maison préfabriquée, ouvrages généraux et théoriques sur la question, livres montrant les exemples les plus récents de maisons préfabriquées. Chacun d’entre eux montre un choix différent : certains privilégient strictement la maison préfabriquée, d'autres y incluent les mobiles-homes, les cabanes, les maisons nomades. Certains se consacrent uniquement aux réalisations achevées, et d'autres intègrent également dans leurs études les maisons jamais réalisées, les prototypes, ou même les jeux de construction pour enfant.

Cependant, un invariant existe : quand il s'agit de dater l'apparition de la maison

préfabriquée dans l'histoire architecturale, on commence toujours par le Mouvement moderne, et notamment les textes de Le Corbusier sur la maison Dom-Ino ou la maison en série. Le flou sur les influences précédent le Mouvement moderne est général. Dans Home Delivery, le catalogue de l'exposition de 2008 au MoMA de New York5, la classification commence par la « maison portable » : the Manning Portable Cottage for Emigrants, produite entre 1833 et 1840 environ, suivi de la découverte de la « balloon frame », attribué à Augustine Taylor vers 1833, qui est donc un 5

Bergdoll, Barry, Christensen, Peter, Home Delivery, Fabricating the modern dwelling, The Museum of Modern Art, Birkhaüser, NY, 2008

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système constructif. Ensuite viennent les maisons de Sears & Roebuck, produites en série de 1908 à 1940. Enfin, le premier exemple donné d’une maison préfabriquée conçue par un architecte est la Maison Dom-Ino de Le Corbusier. Or la Maison Dom-Ino n’est pas à proprement parler une maison préfabriquée, mais un système constructif constitué d’éléments préfabriqués. Plus loin, on trouve parmi les exemples la Jacobs House de F.L. Wright, réalisée en partie avec des matériaux préfabriqués mais jamais conçu pour être reproduite en série ; ou encore la Packaged House de Gropius et Wachsmann, conçue pour être produite en série mais qui ne sera jamais construite. Dans son ouvrage publié en 2008 intitulé The Prefabricated Home, Colin Davies6 prend le parti de séparer l'histoire architecturale de l'histoire « non-architecturale ». Son titre ne rend pas compte clairement de ce choix fort qu'il emploie dans son livre comme un argument : il s'offusque à propos des architectes qui ont laissé de côté l'histoire « non-architecturale », pour ne retenir que l'histoire architecturale de la maison préfabriquée. En les séparant ainsi il prend position : il veut rétablir la mémoire d'un passé « non-architectural » oublié, mais également clarifier une différence qui parfois ne semble pas si prononcée. Au fil de la lecture, l'ambiguïté reste présente. Les maisons qui ont eu le plus de succès commercial seraient classées dans l'histoire « non-architecturale ». Mais est-t-on certain qu'aucun architecte n'a participé, à un moment donné, à l'élaboration de ces plans ? Il y a également une ambiguïté dans le choix du titre. L'histoire non-architecturale serait donc en manque de qualificatif : si elle est « non-architecturale », est-elle une histoire industrielle, une histoire commerciale ? Et lorsque l'auteur parle des architectes qui se sont penchés sur la conception de maisons préfabriquées, leur titre d'architecte n'est pas toujours clairement affirmé : il est difficile de décrire des personnalités du monde de l'architecture comme Jean Prouvé ou Richard Buckminster Fuller, qui « n'étaient pas, à proprement parler, des architectes7 », mais plutôt des « concepteurs autodidactes8». Or, lorsqu’il s’agit de fournir des exemples de maisons préfabriquées conçues par des architectes, réalisées ou non, on retrouve de manière systématique dans les différents ouvrages les mêmes maisons. La Maison Dom-Ino de Le Corbusier, les maisons de Meudon ou les maisons tropicales de Jean Prouvé, la « Packaged House » de Walter Gropius et Buckminster Fuller, la Maison Wichita et la Maison Dymaxion de Buckminster Fuller. D'autres, qui possèdent un statut de maison préfabriquée plus clairement discutable, apparaissent également, mais moins fréquemment, comme la Case Study House de Charles Eames, la Jacobs House de Frank Lloyd Wright, etc. … Ainsi la confusion sur ce que serait l’histoire de la maison préfabriquée, sur ce que devrait être une maison préfabriquée, est générale. Il y aurait selon la plupart des auteurs une séparation dichotomique : d’une part les maisons préfabriquées conçues par des entrepreneurs et des constructeurs, ayant eu un succès commercial leur permettant d’être fabriquées en production de 6

Davies, Colin. The Prefabricated Home. London: Reaktion Books Ltd, 2005, p.11-p.68 Ibid., p.25 8 Ibid., p.33 7

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masse ; d’autre part les maisons conçues par des architectes, qui n’auraient pas réussi à gagner un succès commercial et seraient restées à l’état de prototype. Entre ces deux extrêmes, d’autres maisons trouvent leurs places dans des catégories qui varient selon les auteurs. Cette difficulté pour les différents auteurs, et pour le lecteur, à classifier les maisons dans des catégories, nous fait entrevoir deux ambiguïtés liées à l’histoire de la maison préfabriquée : Quel rôle donner aux architectes dans l’histoire de la maison préfabriquée ? Dans de nombreux exemples de maisons préfabriquées ayant eu historiquement un succès commercial important, on ne retient que le nom de l’entrepreneur, ou du constructeur. Parfois on peut retrouver le nom d’un architecte à l’origine du projet9, parfois il disparait au profit du nom de l’entreprise elle-même. Dans une autre catégorie, des maisons considérées comme des exemples phares du préfabriqué chez les architectes du Mouvement moderne sont souvent l’œuvre de concepteurs qui n’était pas à proprement parler des architectes, Jean Prouvé et Buckminster Fuller par exemple, et qui n’ont pas toujours été reconnu par leurs pairs. La maison préfabriquée est-elle nécessairement une maison produite en masse ? Certaines maisons d’architectes contenant des éléments préfabriqués n’étaient pas destinées à la production en masse, alors que d’autres maisons d’architectes conçues pour la production en masse n’ont jamais été construites, pas même en quelques exemplaires. Ces deux questions introduisent les trois sous-parties qui vont suivre : Dans la partie intitulée « Influences des architectes du Mouvement moderne » nous partons de l’idée que les premiers architectes à avoir théorisée la maison préfabriquée sont les architectes du Mouvement moderne. Cependant, ils se sont inspirés d’une longue histoire de la construction, et de réalisations datant de l’époque de la colonisation. Ils ont été largement influencés par l’avancée de l’industrie et les théories du taylorisme. Sur ces bases, ils ont constitués une doctrine de la maison préfabriquée. Quelles ont été leurs influences, et de quelles manières les ont-il utilisées ? Dans la partie « La préfabrication : définitions et terminologie » nous nous attacherons à définir ce qu’est une maison préfabriquée, comment pouvons-nous la décrire et la catégoriser. Différents architectes ont travaillé sur différentes théories que nous allons ensuite comparer dans la partie « Les différentes doctrines sur la maison préfabriqué du Mouvement moderne » : la maison en série de Le Corbusier, la maison préfabriquée de Walter Gropius, la maison usinée de Jean Prouvé. Chacune de ces théories montre un positionnement différent par rapport à l’idée de la production en série, à la place de l’industrie dans le domaine de l’architecture, etc. Quelles sont 9

Dans le cas des maisons préfabriquées conçues pour la ville de Levittown, le projet fût financé et porté par l’entrepreneur William Levitt, mais on trouve parfois la mention de son frère, Alfred Levitt, qui aurait conçu les premiers dessins des maisons. Cependant il est clair que l’évolution des maisons a été fortement influencée par William Levitt, sans qui le passage à la production de masse n’aurait pas été possible.

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leurs spécificités, leurs divergences ? Quel idéal de la maison préfabriquée vont-elles former ? A la période où les architectes modernes constituent une doctrine de la maison préfabriquée, des entreprises indépendantes vendent déjà des maisons préfabriquées par centaines. Or les maisons conçues par les architectes modernes ne se vendent que très peu, où n’arrivent pas à dépasser le stade du projet. Pourquoi un tel échec commercial ? Une maison préfabriquée est-elle nécessairement une maison produite en grande série ? Aujourd’hui nous possédons un certain recul historique sur la question, ainsi que des écrits nourrissant ce sujet depuis bientôt soixante-dix ans. Nous répondrons à ces questions dans la deuxième partie de ces réflexions sur les doctrines, intitulé « Victoire du prototype sur la série : la crise de la doctrine », en reprenant les éléments constitutifs des théories de Le Corbusier, Walter Gropius et Jean Prouvé analysées auparavant, nous tenterons de leur donner un nouvel éclairage à travers les remises en question qui les ont suivis, pour mieux comprendre les raisons possibles de cet échec. C’est donc ce débat sur la façon dont l’on se doit de catégoriser les maisons préfabriquées qui est la source de nos questionnements : la question de l’auteur, architecte ou non, des maisons ; et la question de la production des maisons : jamais réalisées, réalisées en un prototype, réalisées plusieurs fois, ou produites en masse. C’est pourquoi il est nécessaire d’y apporter notre propre classification, à travers un tableau chronologique. Il catégorise les maisons ou les systèmes constructifs considérés comme faisant partie de l’histoire des maisons préfabriquées, mentionnées dans diverses publications10 consacrées au sujet. Les quatre catégories sont les suivantes : 1 - les systèmes constructifs ; 2 - les maisons préfabriquées commercialisées, produites et vendues en masse par des entrepreneurs et des constructeurs ; 3 - les maisons préfabriquées conçues par des architectures pour être produites en masse mais qui n’ont été réalisées qu’en quelques exemplaires ; 4 - les maisons préfabriquées conçues par les architectes, destinées à la production en masse mais qui sont restées des projets ; 5 - celles qui sont en partie préfabriquées mais n’avaient pas pour vocation d’être reproduites et n’ont été réalisé qu’en un seul exemplaire. Une sixième colonne mentionne des événements historiques en lien avec l’histoire de la préfabrication, telles que les expositions, les parutions d’articles importants, etc.

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Les références des publications qui ont servies à compléter ce tableau sont détaillées en annexe.

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I.1.b. Influences des architectes du Mouvement moderne : des premières maisons préfabriquées aux méthodes de production en masse (1833 - 1923)

« Question d’esprit nouveau : J’ai 40 ans, pourquoi ne m’achèterais-je pas une maison ; car j’ai besoin de cet outil ; une maison comme la Ford que je me suis acheté (ou ma Citroën, puisque je suis coquet). » Le Corbusier, Vers une architecture, 192311. « L’habitat humain est une affaire de besoin de masse. Tout comme 90% de la population ne pense plus aujourd’hui à se faire faire des chaussures sur mesure, mais achète en magasin des produits qui, grâce à des méthodes de fabrication perfectionnées, satisfont la plupart des besoins individuels ; à l’avenir l’individu pourra aussi commander en stock le logement qui lui convient. La technique d’aujourd’hui serait peut-être déjà assez avancée pour permettre cela, mais presque toute l’industrie actuelle du bâtiment reste attachée aux anciennes méthodes artisanales. » Walter Gropius, « L’industrie du logement »,192312. Dans l’article « Home Delivery : Viscidities of a modernist dream from taylorized production to digital customization »13, Barry Bergdoll s’appuie sur les deux citations ci-dessus. Il y voit apparaître la confrontation de deux approches : celle de l’histoire économique de l’industrialisation du bâtiment ; et celle des discours et expérimentations des architectes modernes, nés de l’union de l’architecture et de l’industrie. Comme on le voit à travers les citations ci-dessus, les architectes modernes, dès 1923, se posent sans cesse la même question : si la production à la chaîne a réussi à provoquer une si grande révolution dans la production d’objets auparavant fabriqués de manière artisanale, pourquoi la culture du bâtiment est-elle si résistante à cette transformation ? La maison préfabriquée : une histoire industrielle et commerciale Tout se passe comme si les architectes du Mouvement moderne apportaient à l’histoire de l’architecture une idée nouvelle: celle de l’industrialisation du bâtiment. Or dans l’histoire de la construction, cette idée évolue depuis plusieurs siècles déjà, sans avoir été décrite ou mentionnée par les historiens. Le tableau chronologique ci-dessus montre quelques exemples de maisons 11

Le Corbusier. « Maisons en série ». In Le Corbusier. Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005. p.223. Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius, Walter. Architecture et Société. Paris: Editions du Linteau, 1995. p.43. 13 Traduction : « Livraison à domicile : les difficultés du rêve moderniste, de la production tayloriste à la customisation numérique. ». Bergdoll, Barry, « Home Delivery : Viscidities of a modernist dream from taylorized production to digital customization ». In Home Delivery, Fabricating the modern dwelling, The Museum of Modern Art, Birkhaüser, NY, 2008. 12

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préfabriquées nées avant les théories du Mouvement moderne sur la préfabrication, dont le succès commercial fut sans précédent. C’est Siegfried Giedion qui en 1941 est le premier historien à mentionner l’apparition de la charpente-ballon, une invention constructive souvent citée comme marquant le début de l’histoire de la préfabrication (figure 2). Il décrit l’invention dans Espace, temps, architecture14, et la considère non comme faisant partie de l’histoire architecturale, mais comme un exemple d’innovation économique et industrielle qui donnera naissance à l’architecture moderne du XXe siècle. Chicago dans les années 1830 connaît une croissance démographique sans précédent : de 1833 à 1838 la population passe de 350 habitants à 4000 habitants, puis en 1850 à 30 000 habitants. L’immigration est forte, mais la ville manque cruellement de main d’œuvre qualifiée pour construire des maisons traditionnelles. A la fin du XVIIIe siècle apparaissent aux États-Unis des scies actionnées mécaniquement, et l’on commence également à fabriquer des clous de manière industrielle. La charpente-ballon est le fruit de l’apparition de ces deux produits : elle est réalisée avec des montants en bois longs, sciés mécaniquement, qui forment un cadre. L’ossature est recouverte par des planches pour protéger l’ensemble et augmenter le contreventement. L’habillage peut également être fait de briques, de pierre de parements, d’enduits, etc. C’est la méthode de joindre les planches par des clous qui permettra de ne pas recourir à une main d’œuvre qualifiée pour réaliser des joints complexes, des tenons et des mortaises. Le premier bâtiment à bénéficier de ce procédé fut l’église St Mary de Lake Street à Chicago. Elle fut construite par un charpentier du nom d’Augustine Taylor, l’origine de la charpente-ballon lui étant donc attribué, sans que l’on soit certain qu’il en fut l’inventeur. L’église se révéla solide et durable, elle fut même déplacée plusieurs fois pour être reconstruite. Bientôt tous les charpentiers de Chicago clouaient leurs charpentes, et en un an plus de 150 maisons furent construites. Le potentiel de la charpente-ballon pour la préfabrication amena le système à se diffuser très rapidement dans tout le pays (figure 3 et 4), comme le montre le témoignage de Horace Greely en 1872, cité dans The Prefabricated Home : « Avec l’utilisation de la machine, le travail demandé pour la construction d’une maison a largement diminué, et les prairies de l’ouest sont remplies de maisons qui ont été amené là déjà fabriquées, leurs différentes parties numérotées, afin d’y être assemblées par n’importe qui.15» Pendant qu’aux Etats-Unis le pays se construisait grâce à la charpente-ballon, de véritables maisons préfabriquées étaient conçues en Grande Bretagne. Les guerres et la colonisation amenèrent un besoin grandissant en habitations pour les anglais éloignés de leur pays d’origine, manquant de mains d’œuvres spécialisées et de matières premières tel que le métal. En 1830, John Manning conçut pour son fils émigrant en Australie une maison en kit capable d’être transportée en bateau et montée en quelques heures par un homme sans qualification (figure 5). 14

Giedion, Sigfried. Espace, temps, architecture. Denoël, coll. « Médiations », 1941. Horace Greely. Great Industry of the United States. Hartford, CT, 1872. In Davies, Colin. The Prefabricated Home. London: Reaktion Books Ltd, 2005.

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Figure 1. Montage d'une large charpente - ballon Figure 3. Église préfabriquée en acier en 1886 en Oxfordshire Figure 4. Magasin construit en charpente – ballon à St Augustine en Floride Figure 5. Axonométrie de la Maison Manning Portable, vers 1833.

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Il publia une brochure, espérant vendre son invention à d’autres émigrants pour l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. En quelques années le nom de Manning Portable Cottage était entré dans le vocabulaire courant des coloniaux, et d’autres constructeurs copièrent le modèle. La maison était une simple boîte coiffée d’un toit à deux pentes et constituée d’une structure poteaux-poutres en bois prédécoupé. Bientôt le bois fut remplacé par le métal, et ce sont des maisons en kit faites en tôle ondulée qui furent construites à New York pour être vendues en Californie lors de la ruée vers l’or, parfois dix fois plus cher que leurs coûts d’origine. Jusqu’en 1860, des constructeurs développèrent de nombreux systèmes de maisons préfabriquées pouvant être envoyés en Amérique de l’ouest mais également en Australie, en Afrique du sud et en Amérique du sud. Peu après, le marché déclina car les colonies commencèrent à développer leurs propres entreprises, mieux adaptées à la construction locale, avec des contraintes de climats différents, grâce des matières premières exploitables sur place, etc. Le concept de commander une maison par catalogue était né, et deviendra une pratique commune dans l’Amérique du début du XXe siècle. Sears, Roebuck & Company fut l’une des entreprises qui connu le plus grand succès commercial à cette période et jusqu’à la deuxième guerre mondiale. De 1908 à 1940, la compagnie vendit environ 100 000 maisons à travers leur catalogue Modern Homes. Une équipe de concepteurs créa 447 modèles de maisons pendant cette période et l’entreprise garantissait une livraison à domicile et l’assemblage de tous les éléments de la maison (figure 6). Les modèles allaient de la maison de plain-pied la plus simple à des maisons familiales à plusieurs étages. L’entreprise ne se réclamait pas d’innover dans sa conception de la maison : elle promouvait au contraire le modèle de la maison traditionnelle américaine comme un argument de vente, tout en permettant certaines variations, grâce à l’ajout de pièces et même de meubles, selon un choix assez large. La variation possible était donc un outil de marketing, tout comme le label qu’ils attribuaient eux-mêmes à leurs différentes maisons en fonction de leurs qualités constructives : « Honor-Built », « Standard Built », « Simplex Sectional », etc. Toutes les maisons étaient construites grâce à la charpente-ballon, et mettaient un point d’honneur à camoufler leurs systèmes constructifs réels derrière une apparence de maisons vernaculaires, avec des décorations donnant l’effet d’avoir été faites à la main. Sur l’une de leurs nombreuses publicités on pouvait lire : « Nos plans plus complets et plus simples que ceux que vous obtiendrez d’un architecte16». Pendant la seconde guerre mondiale pour loger les ouvriers, puis après la guerre lors du retour des soldats, on continua à produire des maisons préfabriquées aux Etats-Unis. Progressivement, ce sont

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Davies, Colin. The Prefabricated Home. Op.cit. p.51.

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Figure 6. Deux pages du catalogue Modern Homes de maisons Sears, Roebuck & Company

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des entreprises régionales qui commencèrent à gagner le marché. Par exemple, l’entreprise National Homes Corporation basée à Lafayette, en Indiana, fondée en 1940, étendit son champ d’action dans un rayon de 300 miles (500 km environ) autour de son usine. Une seule maison se détache de ces entreprises, finalement semblables, et de plus en plus concurrentes au fil des années : la maison AIROH, sponsorisée par la Aircraft Industries Research Organization. Elle fut conçue pour être construite depuis les usines d’aviation n’ayant plus de marché à pourvoir après la guerre. La maison était fabriquée dans cinq usines dispersées aux EtatsUnis et connut une production en série assez importante. Elle n’était pas conçue en kit, mais livrée en plusieurs grandes parties déjà assemblées, et comprenait également une cuisine et une salle de bain déjà fournies. Ainsi, tout au long du XIXe et jusqu’à la première moitié du XXe siècle, des évolutions constructives mènent le domaine de la construction vers une industrialisation progressive. Gilbert Herbert, historien de l’architecture, écrit à ce propos dans Pioneers of Prefabrication17 : « Tout au long du XIXe siècle, pour la première fois dans la longue histoire de la construction, des tentatives furent faites pour diviser les systèmes existants, permettant de faire fabriquer des composants de bâtiments à l’atelier plutôt que sur le site de construction. En d’autres mots, les hommes cherchaient à diviser les processus de construction pour faire effectuer les travaux les plus complexes dans une usine de plus en plus sophistiquée et mécanisée. Ce transfert du bâtiment de la construction artisanale vers la production divisée en atelier et une des plus fascinantes révolutions dans l’histoire de l’architecture ». C’est donc ce déplacement progressif de la construction des éléments du bâtiment en chantier vers l’atelier qui amorce le processus de l’industrialisation du bâtiment, à l’aube de la révolution industrielle. On verra que la maison préfabriquée se définit justement en ce qu’elle n’est pas fabriquée sur le chantier mais en amont à l’atelier ou à l’usine. Les systèmes constructifs découverts au XIXe siècle comme la charpente-ballon sont finalement les conditions essentielles à la naissance de la maison préfabriquée, les précurseurs à son apparition. La fascination des architectes du Mouvement moderne pour le taylorisme et pour le symbole de l’automobile après la révolution industrielle Au moment de la révolution industrielle, les théories de Taylor et de son disciple Gilbreth, mises en application par Ford vont révolutionner la façon de penser la production en usine et à l’atelier. Les architectes du Mouvement moderne, comme les ingénieurs et les entrepreneurs de l’époque, étaient fascinés par les méthodes de Scientific Management de Taylor. Le Corbusier découvre en 1917 les écrits de Taylor et tout au long des années vingt il cherchera à appliquer ces méthodes au domaine 17

Herbert, Gilbert. Pioneers of Prefabrication : The British Contribution in the Nineteeth Century. Baltimore and London: The John Hopkins Press, 1978.

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de la construction. C’est en 1913 que pour la première fois la méthode de taylorisation est présentée en France par Pierre Couturaud18 dans le magazine La Construction Moderne. La méthode de Taylor propose de dépister lors d’observations minutieuses la dispersion des efforts des ouvriers dans les usines, en étudiant les gestes qu’ils effectuent pendant leur journée de travail. Grâce à cette analyse, on établit une nouvelle façon de travailler, décrivant les mouvements à effectuer les moins coûteux en énergie et en temps, leur amplitude, le rythme nécessaire entre travail et repos, etc., dans le but d’une meilleure efficacité. Ainsi on épargne de la fatigue à l’ouvrier et on gagne du temps sur la production, le but étant évidemment un rendement maximum de la production. L’article, purement informatif, montre ensuite trois exemples illustrés d’expériences effectuées par Franck B. Gilbreth, susceptibles d’intéresser les constructeurs et entrepreneurs : la pose d’un mur en brique (figure 7), le terrassement à la pelle, et le chargement de gueuses de fonte. Ces idées, qui se diffusent progressivement pendant la première guerre mondiale, vont inspirer les architectes lorsqu’il s’agira de penser à la reconstruction, et ce bien avant 1918. Il est vrai qu’à l’époque, malgré une certaine avancée dans le domaine de l’industrie de la métallurgie chargée de l’armement pendant la guerre, l’industrie du bâtiment ne semble pas encore vouloir se tourner vers des méthodes industrielles. Le Corbusier est très vite fasciné par la production standardisée de l’Amérique du début du siècle. La traduction française de Principles of Scientific Management de F.W. Taylor est publiée en 1912, mais il semble que Le Corbusier ne l’étudie qu’en 191719, puisqu’il le mentionne alors dans ses courriers. A cette époque, l’engouement pour ces méthodes est déjà général, pas seulement chez les industriels. L’admiration pour le taylorisme et le fordisme (Henry Ford fut l’un des premiers à pratiquer la rationalisation et la production de masse) était partagée car la méthode semblait expliquer la réussite économique sans précédent du Nouveau Monde. On y voyait également la promesse d’une paix sociale, la résolution possible de problèmes politiques : les ouvriers travaillaient mieux, produisaient plus, ce qui devait augmenter leur salaire. Comme ses contemporains, Le Corbusier voit dans la standardisation des méthodes de production non seulement une réponse à ses propres principes formels de régularité, de répétition ; mais également un outil social, grâce auquel l’architecture pourrait être produite de manière économique, et donc accessible à tous. Le Corbusier fait abondement mention du taylorisme entre 1920 et 1925 dans sa revue L’Esprit Nouveau20. Cette idée que l’homme qui travaille doit fonctionner avec la

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Couturaud, Pierre, « Le Système de Taylor ». In Cinqualbre, Olivier, « France 1913-1925 – Taylor dans le bâtiment ». In Ascher, François. Architecture et Industrie, passé et avenir d'un mariage de raison. Paris: Centre de Création Industrielle, Centre Pompidou, 1983 19 Moos, Stanislaus von. L'Esprit nouveau: Le Corbusier et l'industrie 1920-1925. Berlin: Museum für Gestaltung, 1987. 20 McLeod, Mary. «Architecture or revolution : taylorism, technocracy, and social change.» Art Journal, n° 43 (été 1983): p.133.

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même efficacité que celle de la machine l’inspire, lui qui rêve d’une maison que l’on pourrait construire à l’usine, tout comme les voitures de Ford. L’enthousiasme pour ces méthodes vient nourrir des idées déjà chères à Le Corbusier, développées par exemple avec le brevet de la Maison Dom-Ino en 1914, et la création de la S.E.I.E. (Société d’Entreprises Industrielles et d’Etudes) en 1917. Il admire les ingénieurs, veut travailler au rapprochement de l’architecture et de l’industrie, seule solution possible pour résoudre la crise du logement. Il s’attribue lui-même la profession d’« industriel », dans les premiers statuts de la revue L’Esprit Nouveau, définis en 191921. Finalement, en 1923, c’est à travers la publication de Vers une Architecture que le rêve de la production en série pour le bâtiment prendra tout son sens, à travers les chapitres « Des yeux qui ne voient pas » et « Maisons en série ». Ainsi, Le Corbusier voit en la production à la chaîne dans le domaine du bâtiment une possibilité formelle et une promesse sociale. Alors que les architectes de son époque se tournent vers le régionalisme, il est en quête d’une plus grande unité formelle, que pourrait inciter l’industrie, et voit dans cette uniformisation la possibilité d’une collaboration universelle22. La réduction des coûts grâce à cette nouvelle production doit permettre la redistribution des bénéfices, la solution technique peut donc apporter une amélioration sociale. Son discours à propos de la production en série s’appuie très fortement sur le symbole social de la voiture. « Si le problème de l’habitation, de l’appartement, était étudié comme un châssis, on verrait se transformer, s’améliorer rapidement nos maisons23», dit-il dans le chapitre « Des yeux qui ne voient pas… III. Les Autos » de son ouvrage Vers une Architecture. Il se sert alors de l’exemple de l’automobile pour promouvoir la nécessité de constituer des standards en architecture, comme nous le verrons dans la partie portant sur l’explication de sa théorie de la maison en série. A travers la revue l’Esprit Nouveau, il utilise l’image de la voiture de manière moins doctrinale et plus indirecte. Stanislas Von Moos dans son livre L’esprit nouveau : Le Corbusier et l’industrie décrit la position de Le Corbusier : la société fonctionne comme une pyramide sociale, et le peuple se sert de l’aristocratie comme modèle. Il faut donc cibler les aristocrates et leur faire aimer ce qui est moderne et beau, avant de prétendre pouvoir faire évoluer le goût populaire24. En 1925 déjà, Le Corbusier pose devant sa voiture Voisin pour une photographie de Jean Petit. Pour Von Moos, il s’agit de se représenter en « intellectuel moderne occupant une position de leader ». Plus tard, sur les photographies de la Villa Stein-De Monzie, Le Corbusier fait figurer sa Voisin d’une telle manière que l’on se demande si elle est là en complément de l’architecture, si elle en est 21

Moos, Stanislaus. Op.cit. p.30. McLeod, Mary. «Architecture or revolution : taylorism, technocracy, and social change.» Art Journal, n° 43 (été 1983). p.137. 23 Le Corbusier, Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005, p.105. 24 Le Corbusier, Précisions sur un état présent de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, 1929, pp.95-96. In Moos, Stanislaus. Op.cit. pp.20-21. 22

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Figure 7. Brochure Michelin datant de 1925. Un exemple de l’application de l a mÊthode Taylor

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indissociable (figure 8). « L’architecte est conscient de la connotation sociale, du snobisme inhérent à la marque Voisin. Lorsqu’il lancera des pavillons familiaux pour petits budgets, il les appellera Maison Citrohan (« pour ne pas dire Citroën », précise-t-il). Et il pense pouvoir toucher les gens du peuple en mettant à contribution le Bibendum de Michelin… », explique Stanislas Von Moos. En effet, Le Corbusier fait apparaître une pub Michelin dans l’Esprit Nouveau en 1924, s’offusquant que les bus parisiens ne soient toujours pas équipés de pneus. Walter Gropius fut également largement influencé par les théories de Taylor et la fascination de l’époque pour la voiture. C’est deux ans seulement après que Ford construisit sa propre chaîne de production que Walter Gropius propose à Emil Rathenau, directeur de l’entreprise allemande AEG, de créer l’entreprise « General House Building Corporation on Artistically Unified Principles ». Cette idée répond à deux tentatives de Behrens à l’époque : la quête d’une géométrie pure dans toute recherche formelle, mais aussi l’alliance de l’art et de l’industrie. Par ce titre, Gropius veut garder comme priorité, dans un nouveau système de rationalisation constructive, la possibilité pour l’architecte non seulement de préserver son rôle d’artiste, mais aussi de préserver son lien avec le client. Il voit dans la production en série la possibilité d’interchanger les éléments constructifs, et croit en une certaine liberté dans le module. Il explique que « la possibilité d’assembler des parties interchangeables va satisfaire le désir du public d’une maison ayant son apparence individuelle. »25. Gropius avait pris connaissance des écrits de Le Corbusier, et malgré son attrait déjà fort pour la question, ses réflexions vont l’influencer. En 1923, au plus fort de l’inflation en Allemagne, la technique devant révolutionner l’industrie semble être la seule solution possible pour sauver le secteur du bâtiment. C’est également la date de la publication de l’autobiographie d’Henry Ford en allemand26, et Gropius voit dans les méthodes de Taylor et de Ford, comme Le Corbusier, la solution à tous les problèmes économiques de son pays. Gropius va alors associer la voiture fabriquée à la chaîne à ses discours architecturaux. Après 1923, on trouve dans presque tous ses écrits la mention de Ford, et à partir de 1928 il se réfère à un graphique (figure 11) montrant l’évolution dans le temps des coûts des deux produits : augmentation du coût du bâtiment, diminution du coût des voitures, entre 1913 et 192627. En 1923, il publie un article sur les industries de l’habitat dans lequel il explique de futurs processus de rationalisation28. Il parle « d’usines spécialisées qui fabriqueront des éléments combinables qui seront montés à pied d’œuvre comme des machines. ». Le montage à sec des éléments préfabriqués devrait permettre d’éviter une perte de temps dû aux séchages et aux intempéries. Tout comme Ford avait réalisé des prototypes pour ses 25

Bergdoll, Barry. Op.cit. p.17. Ford, Henry. Mein Lieben und werk. Leipzig: List, 1923 27 Nerdinger, Winfried, « Walter Gropius, De l’Américanisme au Nouveau Monde ». In : Cohen, Jean-Louis, Damisch, Hubert. Américanisme et modernité : l'idéal américain dans l'architecture et l'urbanisme. Paris: Flammarion, 1993. 28 Gropius, Walter, « Wohnaus-Industrie », Ein Versuchshaus des Bauhauses in Weimar, Munich, Albert Lange, 1925. 26

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Figure 8. Un automobiliste admire la cathÊdrale de Chartres (L’Illustration octobre 1925) Figure 9. Le Corbusier devant sa Voisin (vers 1925)

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Figure 10. Voiture Delage dans Vers une architecture Figure 11. Voiture Citroën en couverture du chapitre Maisons en série de Vers une architecture Figure 12. Graphique de Gropius comparant l’évolution dans le temps du coût des automobiles et des maisons

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Figure 13. Plan de la Cité construite en 1926-1928 à Törten – Dessau par Gropius (système de chemin de grue) Figure 14. Premières habitations achevées, murs de refends pare-feu, poteaux-poutres béton Figure 15. Fabrication et stockage des pièces creuses en béton sur le chantier : huit machines produisent 2000 unités de parpaings par jour

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voitures, il envisage la création de maisons-test sur des chantiers spéciaux. Cependant, si l’article montre des exemples de maisons et leurs possibilités de combinaisons différentes, il ne fournit aucune description technique pour la réalisation. Ce n’est qu’en 1926 avec le projet de logements de Törten qu’il commença à expérimenter réellement ses méthodes de construction rationnelle, son but étant de réduire les coûts de la mise en œuvre. Les logements de Törten sont eux conçus selon un système de chemin de grues, permettant un chantier plus efficace et une main d’œuvre moins importante. Jean Prouvé, on le verra plus loin, comme Le Corbusier et Gropius auparavant comparera lui aussi la production à la chaîne de maisons avec la construction de voitures. Buckminster ira encore plus loin puisque sa maison Dymaxion est elle directement issue de l’image de la voiture et de sa conception. I.1.c. La préfabrication : définitions et terminologie

Nous avons vu comment les architectes du Mouvement moderne ont été influencés par une longue histoire de la construction de la maison, à travers les maisons préfabriquées construites selon les premiers systèmes de rationalisation constructive, et également par l’avènement des méthodes de production à la chaîne diffusées par Taylor et Ford au moment de la révolution industrielle. L’utilisation de l’objet sacré et social qu’est la voiture comme comparaison avec la maison traditionnelle, dont la construction apparaît encore archaïque, n’est que l’un des principes qui fondent les doctrines du Mouvement moderne lié à la maison préfabriquée. C’est à travers les textes de Le Corbusier, de Walter Gropius, mais aussi de Jean Prouvé, les pionniers de la préfabrication au sein de l’histoire architecturale, que nous tenterons de dicerner quelles sont les différentes idées de l’époque concernant la maison préfabriquée. Malgré le vocabulaire différent que ces architectes utilisent (maisons en série, maisons usinées, etc.), ils réfèrent tous à des idées proches. Cependant c’est par la recherche des subtilités qui les séparent dans leurs définitions que nous allons constater que leurs visions diffèrent légèrement. Des préfabrications Le mot de préfabrication connaît tout au long de son histoire différents changements de sens et dérivés. Selon le Petit Robert 2011, le terme de « préfabrication » daterait de 1945. « Préfabrication : n.f – 1945. D’après préfabriqué. Fabrication d’éléments de construction (maisons, navires) assemblés ultérieurement sur place. » « Préfabriqué, ée : adj. – 1932. De pré- et fabriqué. Se dit d’une maison montée avec des éléments faits industriellement au préalable. » 26


Si l’on en croit Louis Léonard, ingénieur des Travaux Publics de l’Etat de 1967 à 1976, le terme de préfabrication « ne s’est vraiment imposé qu’immédiatement après la seconde guerre ».29 En 1946, L’Association nationale de la préfabrication (ANPB), qui regroupe l’essentiel des Sociétés françaises de préfabrication, définie la préfabrication comme ceci : « Dans la définition qu’en donnent les Statuts de l’A.N.P.B., on considère comme conception préfabriquée celle dont les parties constitutives sont en majorité exécutées, mécaniquement, dans des ateliers de chantiers ou dans des usines, avec la précision des méthodes industrielles modernes, en vue de former un système cohérent répondant, suivant sa destination, à des conditions satisfaisantes de résistance, d’aspect, d’habitabilité et de durée avec le minimum d’entretien ; cette construction devant pouvoir, en raison d’une gamme de montage, précise et détaillée, être édifiée rapidement, sans à-coups, retouches, ni modifications, par le moyen d’opérations simples de montage, réglage et de raccordement, les travaux de parachèvement étant réduits au minimum »30 Dans sa thèse intitulé «L'industrialisation du bâtiment. Le cas de la préfabrication dans la construction scolaire en France (1951-1973)», Aleyda Resendiz-Vasquez tire de cette définition une classification du préfabriqué en trois grandes caractéristiques : le lieu de fabrication (hors chantier) et donc par extension le degré de la préfabrication (simple ou industrielle, en usine ou en atelier forain) ; les échelles d’application de la préfabrication (de l’élément, au bâtiment, à un ensemble de bâtiments) ; et enfin le type de préfabrication, correspondant à ses caractéristiques physiques. Nous nous appuyerons sur cette classification, qui a le mérite de rassembler de manière presque exhaustive les différents types de préfabrication que nous avons rencontré au cours de nos recherches, afin de la compléter en d’en tirer le tableau suivant : Préfabrication 1. Degré de préfabrication :

- simple ou industrielle - usine ou atelier forain

2. Echelles de préfabrication :

- élément (possible préfabrication partielle) - bâtiment (préfabrication totale) - ensemble de bâtiments

3. Type de préfabrication :

- compatibilité (préfabrication ouverte) ou non-compatibilité (préfabrication fermée) - matériaux lourds (préfabrication lourde) ou matériaux légers (préfabrication légère)

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Léonard, Louis. « Préfabrication d'hier, industrialisation d'aujourd'hui », Construction (numéro spécial industrialisation du bâtiment, tome I), Tome XX, n°3, mars 1965, p.72. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. «L'industrialisation du bâtiment. Le cas de la préfabrication dans la construction scolaire en France (1951-1973).» Thèse de doctorat en Histoire des Techniques et de l'Environnement, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, 2010. p.22. 30 Association Nationale de la Préfabrication du Bâtiment. « L'Association nationale de la préfabrication du bâtiment (Ses buts) », Le Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment, n° hors série, nov. 1946, p. XXIV. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.cit. p.24.

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Les débats à propos de la préfabrication portent souvent sur la question du type de préfabrication idéal à adopter. Quelle méthode utiliser ? « Quand aux méthodes, c’est la cacophonie : industrialisation lourde ou légère, préfabrication foraine ou en usine, systèmes fermés ou systèmes ouverts, coordination modulaires ou meccano national (…) ? » questionnait Jean-Louis Vénard en 198331. Préciser ces différentes notions nous aidera à placer les doctrines des architectes du Mouvement moderne à propos du préfabriqué au sein des définitions existantes et des débats qui les animent. Degrés de préfabrication Le type de préfabrication dépend de son lieu de fabrication. Par définition, le préfabriqué se construit en partie hors chantier. Selon Pol Abraham32 : « Le néologisme ‘préfabrication’ connaît un succès qui ne se justifie guère que par l’accent que l’on veut mettre sur un changement de méthode, car enfin tout objet utilisé a nécessairement été fabriqué à l’avance. On désigne, en réalité comme ’préfabriqués’ des ouvrages qui, dans la pratique traditionnelle du bâtiment, étaient façonnés sur le chantier, alors que, désormais, ils seraient fabriqués en usine et simplement montés au chantier ». Ici il serait bon de préciser que nous considérerons le mot préfabriqué dans son sens moderne datant de l’entre-deux guerres33, c’est à dire en laissant de côté les matériaux préfabriqués, comme la brique. « Le mur en brique le plus classique serait lui-même préfabriqué, puisqu’il est composé de briques qui sont fabriquées ‘avant’ et d’un mortier fait avec du ciment et de la chaux, eux aussi fabriqués ‘avant’ », déclare Marcel Lods34. Pol Abraham dans sa définition, décrit la préfabrication comme étant définie par son mode de production : il compare la technique de construction traditionelle à la préfabrication. Sa définition se rapporterait donc davantage à la préfabrication dite « préfabrication industrielle », qu’à une définition générale. La définition générale de la préfabrication étant, selon le Petit Robert, la fabrication des éléments de construction avant l’assemblage sur le chantier, elle ne précise pas la technique employée. C’est pour cela que l’on distinguera préfabrication simple et préfabrication industrielle. La préfabrication simple se rapporte à la fabrication hors du site d’éléments construits sur mesure ; alors que la préfabrication industrielle se rapporte à la fabrication d’éléments hors du site selon des méthodes industrielles (à l’usine). Cela nous permet donc d’avancer que le terme de

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Vénard, Jean-Louis, « L’industrialisation comme transformation permanente de l’acte de bâtir ». In Ascher, François. Architecture et Industrie, passé et avenir d'un mariage de raison. Paris: Centre de Création Industrielle, Centre Pompidou, 1983. p.18. 32 Abraham, Pol, Architecture préfabriquée. Dunod, 1946, p. 2. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. p.26. 33 cf. définition du Petit Robert datant de 1932. 34 Lods, Marcel, « De la préfabrication », Le Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment, no hors série, nov. 1946, p. 52. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. p.26.

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préfabrication n’induit pas forcément une fabrication à la chaîne, industrielle, en série. Un élément peut-être préfabriqué en usine en un seul exemplaire. Même s’il est vrai que la « préfabrication industrielle » par extension est devenue le sens courant du terme général de « préfabrication », notament avec les architectes du Mouvement moderne, comme on le verra plus loin, qui entendaient par préfabrication une production en série. « Si l’élément a été étudié pour satisfaire un besoin particulier, […], la préfabrication est dans ce cas simplement synonyme de fabrication en usine sur mesure », nous dit P. Mesland35 à propos de la préfabrication simple. Dans le cas de la préfabrication dite « industrielle » : « La mise en place se réduit à un simple montage au sens industriel du mot », définit Louis Léonard36. La préfabrication in situ ou en atelier forain est la fabrication des éléments du chantier au pied de la construction ou dans son voisinage immédiat. La durée de vie de l’atelier est celle du chantier. Cette méthode évite les frais de transport et les risques de détérioration des matériaux. L’atelier forain est cependant moins bien équipé que l’usine, puisqu’il est mobile. La préfabrication en usine permet de disposer de tous les moyens de production de l’industrie. L’usine est un lieu fixe à partir duquel les parties du bâtiment seront livrées sur le chantier. Le choix entre atelier forain et production à l’usine se fera donc en fonction du type de matériaux utilisés, et de la distance entre l’usine et le lieu du chantier. Ainsi on définira le type de préfabrication en fonction de ses méthodes de production (simple ou industrielle), et de ses techniques de construction (atelier forain ou en usine). Echelles de la préfabrication L’échelle de la préfabrication se définit différemment en fonction des époques. On peut parler de deux périodes principales en terme de pensée du préfabriqué, l’une depuis l’entre-deux guerres jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, l’autre autour des années 1960. Pour les architectes de la première période, la préfabrication agit sur trois échelles possibles : l’élément, puis l’ensemble, et enfin la maison. L’élément est le composant le plus simple remplissant une fonction dans le bâtiment, l’ensemble étant un ensemble d’éléments37. Pour les architectes de la deuxième période, les trois échelles sont les suivantes : le composant, le sous-ensemble, et le module38. Les deux premiers sont équivalents aux « éléments » et « ensembles » de la période précédente, mais le module « représente un ‘morceau’ de bâtiment ». C’est à travers cette troisième catégorie que l’on voit se complexifier la notion du préfabriqué à

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Mesland, P., « La préfabrication », L'architecture d'aujourd'hui, no 4, Janvier 1946, p. 3. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. pp.27-28. 36 Bonnome, C., Léonard, L., « L'industrialisation du bâtiment », L'industrialisation du bâtiment, Librairie Aristide Quillet : Paris, 1959. p. 1398. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. pp.27-28. 37 Mesland, P., Op.cit. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. p.34. 38 Chemillier, P., Les techniques du bâtiment et leur avenir - Nouvelles données du marché, évolution de l'industrialisation. Paris, Editons du Moniteur, 1977, p.43-44. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. p.35.

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l’échelle du bâtiment. Si, pour les architectes du Mouvement moderne, la dernière échelle possible de l’assemblage préfabriqué était la maison, c’est qu’ils considéraient la maison préfabriquée comme totale, entièrement préfabriquée. Les architectes de la deuxième période modèrent ce propos : en parlant de « module », ils amènent une idée jusque là difficilement acceptée : la préfabrication peut être partielle, elle peut ne s’appliquer qu’à une partie de la maison. C’est le début du débat sur la préfabrication ouverte. « En France, nous considérons donc, d’une part, la préfabrication de maisons de série ou préfabrication totale, d’autre part, la construction par éléments et ensembles préfabriqués, quelquefois appelée préfabrication partielle39». On assiste donc à une ouverture de la préfabrication : elle ne s’accomplit pas que dans le cas d’une préfabrication de la totalité des éléments de la maison, mais existe également lorsqu’une partie de la construction est faite de manière traditionnelle. Nous pouvons figurer ces idées à travers le tableau suivant : Echelle des types de préfabriqué 1ERE PERIODE

2EME PERIODE

1- élément préfabriqué

=

1- composant préfabriqué

2- ensemble préfabriqué

=

2- sous-ensemble préfabriqué

3- maison préfabriquée (préfa. totale)

3- module préfabriqué (préfa. partielle)

Types de préfabrication Cette dernière façon de caractériser la préfabrication se rapporte aux différences de forme, de poids, de dimensions des éléments préfabriqués, ainsi qu’à la compatibilité des éléments entre eux. Souvent leurs définitions se fait par opposition des termes. On parlera de préfabrication ouverte contre une préfabrication fermée, d’une préfabrication lourde contre une préfabrication légère, etc. Les définitions de ce qui caractériserait la préfabrication lourde ou légère varient selon les architectes et les époques. On peut généralement dire que la préfabrication lourde serait celle qui utilise « (…) en grande quantité, de matériaux lourds (sable, caillou, ciment) […] et l’utilisation, tant pour la confection des éléments que pour leur assemblage, du phénomène chimique de la prise »40. La préfabrication légère emploierait elle des matériaux coûteux en petite quantité (acier, bronze, métaux inoxydables, bois, matières plastiques, métaux légers). La préfabrication lourde ou légère se caractérise par son poids mais aussi ses dimensions. La préfabrication lourde, représentée par le béton, sera la plus répandue dans les premières années d’après-guerre, alors que la 39

Simon, E.-H.-L., « La préfabrication dans la Construction (emploi actuel et possibilités d'avenir)», Le Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment, n° hors série, mars 1950, p. 52. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. p.39. 40 Lods, Marcel, « Le problème, produire industriellement les bâtiments, dessiner le pays », Techniques et architecture, 17e série, no 5, nov. 1957, p. 78. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. p.44 .

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préfabrication légère, utilisant principalement l’acier puis plus tard l’aluminium, sera plus tardivement acceptée. Le fait qu’un système de préfabrication soit ouvert ou fermé dépend de la capacité de ses éléments préfabriqués à se combiner entre eux à une échelle plus ou moins grande. Lorsque les systèmes d’un même procédé constructif (du même producteur) ne sont compatibles qu’entre eux-mêmes, on parlera de préfabrication fermée. Lorsque les éléments préfabriqués d’un constructeur sont compatibles avec des procédés constructifs de diverses provenances, on parlera de préfabrication ouverte. C’est la constitution et le respect de normes conventionnelles de construction qui produit une préfabrication ouverte. Industrialisation, standardisation, préfabrication À cette clarification du sens du mot préfabrication, il nous semble utile d’ajouter les définitions d’autres termes qui s’y rapportent. Que signifie le préfabriqué par rapport à une idée plus globale d’industrialisation du bâtiment ? Qu’est-ce que l’idée du standard dans un contexte d’industrialisation, qu’est-ce qu’une série ? L’industrialisation c’est, selon le Petit Robert 2011 : « Industrialisation : n.f. – 1847. De industrialiser. Application des procédés et des techniques industrielles ; exploitation industrielle. » « Industrie : n.f. – 1771. Ensemble des activités économiques ayant pour objet l’exploitation des matières premières, de sources d’énergie, et leurs transformations, ainsi que celle des produits semi-finis en biens de production ou de consommation. » Selon Blachère dans Technologies de la construction industrialisée41, « L'essence de l'industrialisation c'est de produire un objet sans main d'œuvre artisanale, avec des machines servies par des ouvriers simplement spécialisés, non qualifiés, ou mieux par des machines automatiques. C'est cela le fond de l'industrialisation. ». On peut dire que le degré d’industrialisation dépend du degré d’utilisation de la machine par rapport au travail de l’homme. L’industrialisation serait donc l’ensemble des activités qui par la transformation de matières premières parvient à la production de biens de consommation, grâce au travail de la machine ou à celui de la machine et de l’homme. La rationalisation est directement liée à l’idée d’industrialisation. Si l’on se rapporte à la description des méthodes tayloriste et fordiste de notre sous-partie précédente, on peut affirmer ceci : l’industrialisation dépend d’une rationalisation des moyens de production, pour aboutir à une meilleure productivité et à une meilleure rentabilité. C’est par l’étude des méthodes de production, 41

Blachère, G., Technologies de la construction industrialisée. Paris, Eyrolles, 1975. 310 p. In Resendiz-Vasquez, Aleyda. Op.Cit. pp.57-58.

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du temps de travail, du rythme des machines et de l’ouvrier, que l’on peut rationaliser. Le taylorisme et le fordisme sont des méthodes de rationalisation. Produire moins cher et plus vite, c’est ce que permet la rationalisation, tout comme la préfabrication. Rationalisation et préfabrication sont complémentaires. On a vu que la préfabrication se définit par sa nature à séparer la production à l’usine et la production sur le chantier. Il existe des produits préfabriqués en usine, dont l’assemblage sur le chantier peut ne pas être mécanisé, et se fait de manière traditionnelle. Il existe également des chantiers très mécanisés, industrialisés, mais qui n’utilisent pas d’éléments préfabriqués. Les conditions qui font qu’un élément est préfabriqué et produit industriellement, c’est sa capacité à être produit en série. C’est cette production en série, cette répétition, qui permet une rapidité de fabrication, une diminution des coûts, etc. La série est possible seulement par la standardisation. Le standard et le module, grand thème des architectes du Mouvement moderne, permettent une production en série. Il s’agit d’analyser les besoins d’un objet, ses usages, et de scientifiquement, comme pour la rationalisation, trouver une forme type à l’objet. En somme, l’élément standardisé peut-être produit en série, dans une production industrielle rationalisée pour obtenir le rendement le meilleur. L’élément préfabriqué est un élément qui subira sur le chantier un assemblage minimal, qu’il soit produit de manière industrielle ou non. On retiendra deux idées de ces définitions qui serons utiles par la suite pour nous détacher de la définition de la maison préfabriquée propre aux architectes du Mouvement moderne : - La préfabrication est une technique d’industrialisation du bâtiment, tandis que la rationalisation est une méthode permettant cette industrialisation ; - Un élément préfabriqué à l’origine n’est pas nécessairement produit en série. I.1.d. Les différentes doctrines sur la maison préfabriquée du Mouvement moderne : Le Corbusier, Walter Gropius, Jean Prouvé (1923 – 1953)

Nous avons vu auparavant que les architectes du Mouvement moderne, Le Corbusier, Walter Gropius, Jean Prouvé, sont considérés comme les premiers à avoir théorisé le concept de la maison préfabriquée. Si Walter Gropius parle d’éléments préfabriqués et de maisons préfabriquées, Le Corbusier n’utilise pas encore ce terme, qui apparaît plutôt après 1945, et Jean Prouvé parlera de maisons usinées. Comment construisent-ils leurs théories sur le préfabriqué ? Quels termes vont-ils utiliser, quelles images et quelles idées ? C’est en étudiant les écrits, les publications et les conférences de ces différents architectes que nous chercherons à clarifier les définitions de chacun, pour comprendre comment ils ont réussi à construire une doctrine de la préfabrication, à partir d’une histoire constructive complexe, de la révolution industrielle et de la nécessaire reconstruction 32


de l’après-guerre. Pour hiérarchiser notre analyse, nous chercherons à savoir dans quelles catégories peuvent être classés les concepts de chacun, selon le tableau de la partie précédente : degré de préfabrication, échelle de préfabrication, et type de préfabrication. Le Corbusier et les maisons en série Nous avons vu que Le Corbusier s’est très tôt intéressé à la question de l’industrialisation dans le domaine de l’architecture. D’abord artisan lui-même, il créa une entreprise industrielle alors qu’il commençait sa carrière d’architecte. Il fut comme bien d’autres fasciné par la révolution industrielle et les méthodes de Taylor et Ford. C’est dans Vers une architecture, publié en 1923, qu’il développe sa pensée sur la maison en série, bien qu’il ait déjà écrit l’article en 1919. En effet, Le Corbusier ne parle pas de « maisons préfabriquées », mais de « maisons en série ». Nous allons nous référer aux trois chapitres suivants : « Des yeux qui ne voient pas… III. Les Autos »42, « Maisons en série »43 et « Architecture et Révolution44 ». Dans « Des yeux qui ne voient pas… III. Les autos », on assiste à l’utilisation du symbole de la voiture comme démonstration de l’idée que l’architecture, pour aller vers la perfection, a besoin de standards. Avec « Maisons en séries », on découvre que la construction en série à l’usine de la maison comme la voiture (et comme l’outil), permettrait à l’homme d’habiter un lieu adapté à l’état d’esprit de son époque. « Architecture ou révolution » questionne la capacité de cette société en perdition, qui habite des lieux en décalage profond avec son époque, à se ressaisir : si ce n’est pas grâce à l’architecture, ce sera la révolution. Degré de préfabrication : la préfabrication industrielle grâce au standard « Établir un standart, c’est épuiser toutes les possibilités pratiques et raisonnables, déduire un type reconnu conforme aux fonctions, à rendement maximum, à emploi minimum de moyens, main d’œuvre, et matière, mots, formes, couleurs, sons. »45 Pour le Corbusier, l’architecture doit obéir à des standards, tout comme le monde des objets industriels (automobiles, avions, etc.). Le standard est l’objet dans son état le plus fini : il aboutit grâce à des années de réflexion, d’expérimentation et d’évolution qui le mène de l’objet artisanal à l’objet manufacturé. L’objet standardisé travaille à sa perfection. Il bénéficie de la concurrence, qui pousse à la recherche de la plus grande perfection. L’exemple le plus récurrent utilisé par Le Corbusier est celui de la voiture. Stanislas von Moos dans L’Esprit Nouveau : Le Corbusier et l’industrie 1920-192546, parle même de manipulation : « Parmi les symboles sociaux manipulés avec le plus d’agressivité par L’Esprit nouveau, l’automobile vient sans doute en tête. ». Outre les nombreuses références à la voiture dans L’Esprit nouveau, puis dans Vers une Architecture, il 42

Le Corbusier, Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005, pp.101-117. Le Corbusier. Op.cit. pp.185-224. 44 Le Corbusier. Op.cit. pp.225-243. 45 Le Corbusier. Op.cit. note p.108. 46 Moos, Stanislaus. Op.cit. pp.20-21. 43

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analyse le discours de Le Corbusier dans le numéro 10 de l’Esprit nouveau qui se présente « comme le catalogue du salon de l’automobile ». Selon lui, Le Corbusier utilisait les images de pièces de machine un peu comme les dadaïstes, notamment Francis Picabia. Mais alors que dans le mouvement Dada les éléments de la machine sont comparés aux organes du corps humain, pour Le Corbusier la pureté des formes de la machine est semblable au valeurs éternelles de l’architecture. Cette réinterprétation esthétique de la forme mécanique représente sa fascination pour les voitures et les autres moyens de transports et objets industrialisés. Il y voit l’expression de la modernité, pas encore accomplie dans l’esthétique architecturale. « Nul ne nie aujourd’hui l’esthétique qui se dégage de l’industrie moderne. (…) C’est dans la production générale que se trouve le style d’une époque , et non pas, comme on le croit trop, dans quelques productions à des fins ornementales (…). »47 Le Corbusier adhérait à cette idée souvent énoncée à l’époque du retard de l’industrie du bâtiment par rapport à une industrialisation de tous les autres objets de consommation. « En effet, dans toutes les branches du bâtiment, l’industrie, puissante comme une force naturelle, envahissante comme un fleuve qui roule à sa destinée, tend de plus en plus à transformer les matériaux bruts naturels, et à produire ce qu’on appelle des « matériaux nouveaux » (…). Tout cela arrive pour l’instant en vrac dans les construction, s’y ajuste à l’improviste, coûte une main d’œuvre énorme, fournit des solutions bâtardes. C’est que les différents objets de la construction n’ont pas été sériés. C’est que l’état d’esprit n’existant pas, on ne s’est pas livré à l’étude rationnelle des objets. »48 Echelle de préfabrication : une préfabrication totale des « maisons en série » « Et de fil en aiguille, après avoir fabriqué en usine tant de canons, d’avions, de camions, de wagons, on se dit : ne pourrait-on pas fabriquer des maisons ? »49 Comme nous l’avons vu précédemment, l’industrialisation de la construction a pour Le Corbusier non seulement une vocation esthétique (le standard pour atteindre la perfection : « Quand le type est créé, on est aux portes de la beauté (l’auto, le paquebot, le wagon, l’avion). »), mais également une vocation sociale. « C’est ici que le principe de la maison en série nous montre sa valeur morale »50 nous dit-il. L’industrialisation de la construction est pour Le Corbusier le moyen de résoudre le « problème de la maison » qui est le « problème de l’époque ». Pour lui, « La grande industrie doit s’occuper du bâtiment et établir en série les éléments de la maison ». Les maisons en série sont des maisons qui correspondent à l’idée de la maison préfabriquée « totale ». Elle ne sont pas le fruit d’un assemblage de composants, dont certains sont préfabriqués, 47

Le Corbusier, Tract de l’Esprit Nouveau. In Moos, Stanislaus. Op.cit. p.252. Le Corbusier, Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005, p.189. 49 Le Corbusier. Op.cit. p.193. 50 Le Corbusier. Op.cit. p.195. 48

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mais elles sont conçues de manière globale et unifiée. « Il faudra que les maisons surgissent d’un bloc, faites en usine avec des machines-outils, montées comme Ford assemble sur des tapis roulants les pièces de ses automobiles », dira-t-il dans l’Esprit Nouveau en 192151. Type de préfabrication: une préfabrication fermée et lourde Il semble que Le Corbusier milite pour une standardisation des éléments du bâtiment, afin de permettre aux architectes de créer des maisons « en série » en variant l’association d’éléments préfabriqués. En cela, il se rapproche du discours pour une « préfabrication ouverte ». Pourtant, sa vision de la maison en série comme une maison totalement préfabriquée, qui surgirait en bloc, contredit quelque peu cette position. On peut s’interroger sur les moyens constructifs que Le Corbusier entend mettre en œuvre pour réaliser cette production de maisons en série. Or ce que nous dit Le Corbusier c’est que « l’état d’esprit n’existe pas ». Non seulement les idées relatives à ce style d’habitat ne sont pas encore assez développées, mais les moyens de production eux-mêmes n’existent pas encore. « Il faut créer l’état d’esprit de la série, L’état d’esprit de construire des maisons en série, L’état d’esprit d’habiter des maisons en série, L’état d’esprit de concevoir des maisons en série. »52 Dans le chapitre « Maisons en série », il prend comme exemple trois de ses projets, aux systèmes constructifs différents. La Maison Dom-Ino qui repose sur une ossature de béton avec des dalles sans poutres porteuses, la Maison Monol sur une mince dalle de toit bombée, posée sur des murs porteurs, et la Maison Citrohan sur deux murs massifs avec entre les deux des dalles de béton. La relation entre le programme et cette structure est pensée différemment dans chacune des maisons, selon Stanislas von Moos53. Pour la Maison Dom-Ino, la structure est indépendante du plan de la maison. Les éléments standards qui la constituent sont combinables les uns avec les autres. Ce n’est donc pas le programme de l’habitation qui est standardisé, mais ses éléments constructifs. La maison Citrohan est constituée de deux seuls murs portants, la disposition des pièces étant établies par rapport à la lumière, apportées par les deux murs non-porteurs. L’indépendance à la structure est remise en cause. « Dans ce projet, c’est une manière de vivre donnée qui est standardisée. », déclare Stanislas von Moos. Comme une automobile, la Maison Citrohan ne peut pas être adaptée à une situation topographique donnée ou se combiner avec d’autres maisons du même type. Elle est unique en soi, même si elle pourrait être reproduite plusieurs fois. La maison Citrohan est un projet non réalisé. Elle procède du prototype, voir du schéma : elle est destinée à être une structure 51

Le Corbusier In Von Vegesack, Alexander. Jean Prouvé, La poétique de l'objet technique. Weil: Vitre Design Museum, 2006. 52 Le Corbusier. Op.cit. p.187. 53 Moos, Stanislaus. Op.cit. p.171-173.

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produite en masse, la base de toutes les autres maisons, qui seraient déclinées sur le même modèle. La Maison Dom-Ino, elle, ne fut pas réalisée mais elle a inspiré des systèmes constructifs pour d’autres projets de Le Corbusier, comme les maisons de Pessac ou l’unité d’habitation de Marseille. Si l’on trouve dans Vers une architecture la mention de « la grande industrie » qui doit « s’occuper du bâtiment », et également celle de « l’usine », où l'on produit des voitures, des avions, mais pas encore des maisons, on ne trouve pas le terme de maisons préfabriquées. Dans le terme de « maisons en série », apparaît l’idée sérielle de la production, mais pas encore clairement celle de la production de masse. C’est à travers la référence à la voiture, produite à l’usine, que Le Corbusier clarifie sa position. On peut donc dire qu’il n’y a pas chez Le Corbusier de véritable stratégie à propos de la maison en série, mais davantage le besoin de transmettre un discours aux architectes de son époque. La prégnance de l’image de la voiture et de l’image de la machine agit davantage comme une influence esthétique, qui devrait inspirer le besoin de standard. La standardisation est comme la promesse d’une modernité formelle, mais la production en masse n’est pas détaillée. Il lui manque « l’état d’esprit ». Le Corbusier part du principe que la production industrielle fabrique de beaux objets. Il y a un mélange entre la possible beauté esthétique de la machine, et la beauté du produit industriel fini. Il part du principe que l’objet standard est l’objet fini, abouti, l’objet parfait parce qu’il a subit les transformations successives d’une longue histoire artisanale et de la précision de la machine qui l’a construit. Or on peut affirmer que, même en 1923, tous les produits industrialisés ne sont pas forcément purs et dénués de tout ornement ou de tout effet. L’invention de l’objet ne s’arrête pas lorsque la forme type est trouvée, l’industrie elle aussi sait produire de l’inutile, sinon la concurrence s’arrêterait et l’objet n’évoluerait plus. L’objet standardisé ou produit en masse n’est pas forcément le plus beau et le plus pur, ou le plus moderne, c’est ce que démontrent les maisons préfabriquées de la même époque aux Etats-Unis. Ainsi, Le Corbusier voit en la standardisation l’élément essentiel permettant la production de maisons en séries, et par extension l’industrialisation du bâtiment. Pour arriver à convaincre, il élève l’objet industriel au rang d’objet idéal. S’il ne donne pas de précision sur les moyens précis à développer pour atteindre ce but, c’est qu’il se place davantage en porte-parole de la doctrine d’une nouvelle forme d’habiter, basée sur l’industrialisation, qu’en acteur principal du processus. Walter Gropius et les maisons préfabriquées Les écrits de Walter Gropius témoignent d’une doctrine qui ressemble à celle de Le Corbusier en de

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nombreux points. A travers l’article « L’industrie du logement 54» écrit en 1924, puis plus de dix ans plus tard à travers « La nouvelle architecture 55», en 1935, on retrouve les idées chères à Le Corbusier de standardisation, de rationalisation, et de la nécessité pour la société de voir ses constructions s’industrialiser. Pour Gropius, la maison préfabriquée est la solution au problème du logement, et des aléas du chantier. « Les avantages de ce mode de fabrication augmenteraient au fur et à mesure qu’on pourrait monter à sec sur le chantier, comme des machines, les différents éléments des maisons préfabriquées en usine », dit-il. Degré de préfabrication : la préfabrication industrielle grâce au standard Pour Walter Gropius comme pour Le Corbusier, c’est le standard qui permet l’industrialisation du logement à l’usine et donc la construction en série. « Rien ne justifie le fait que chaque maison d’une zone résidentielle ait un plan, une forme extérieure, un style et des matériaux différents ; c’est au contraire un gaspillage inutile, une inculture de parvenus56 », déclare-t-il avec véhémence dans « L’industrialisation du logement». Il condamne la trop grande diversité et cependant parfois condamne la trop grande uniformité. Sa comparaison, son contre-exemple ultime, c’est la « banlieue anglaise », symbole de répétition rébarbative et destructive. (« Certes, il faut lutter contre le danger d’une uniformisation totale, comme celle de la banlieue anglaise (…). » ; et plus loin « Il n’y a pas à redouter la monotonie des banlieues anglaises (…) »57). L’unité et l’uniformité sont symboles pour lui de beauté et de modernité. Cette industrialisation est la seule solution possible pour résoudre le problème du logement : « Ainsi faut-il qu’intervienne ici une organisation capable de répondre correctement aux justes besoins de l’individu, qui sont eux-mêmes fonction du nombre d’occupants ou de leur catégorie professionnelle ». Plus tard il dira même : « La crainte que l’individualité soit rejetée par la « tyrannie » croissante de la standardisation est le genre de mythe qui ne résiste pas au moindre examen. Durant toutes les grandes époques de l’histoire, l’existence de normes – c’est à dire l’adoption consciente de formes types – a été le critère d’une société policée et bien organisée (…) ». L’adoption de standards « exerce une influence stabilisante et civilisatrice sur l’esprit des hommes 58». Echelle de préfabrication : une préfabrication d’« éléments types » permettant la diversité architecturale

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Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius, Walter. Architecture et Société. Paris: Editions du Linteau, 1995. 55 Gropius, Walter. « La nouvelle architecture ». In Gropius Walter. Apollon dans la Démocratie, La nouvelle architecture et le Bauhaus. Bruxelles: Editions de la Connaissance, 1969. 56 Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius Walter. Op.cit. p.46. 57 Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius Walter. Op.cit. p.46 et p.49. 58 Gropius, Walter. « La nouvelle architecture ». In Gropius Walter. Op.cit. p.109.

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Gropius s’oppose à l’idée que la standardisation des éléments mène à une monotonie inévitable. Dans « L’industrie du logement » il déclare : « Le but de l’organisation doit-être en première ligne la standardisation non de maisons entières, mais d’éléments types, et leur production industrielle en série pour pouvoir réaliser par montage différents modèles de maisons (…). 59». Et dans « La nouvelle architecture » il dira plus tard : « La diversité des dimensions (des cellules) procure la petite quantité de variations qui, à son tour, encourage la compétition naturelle entre des types dissemblables, développés côte à côte 60». Type de préfabrication: une préfabrication à la fois lourde et légère, mais également ouverte ? Gropius ne pose pas la question directe de la préfabrication ouverte ou fermée, mais il parle de « résolution à grande échelle ». Cela voudrait-il dire qu’il veut partager des procédés avec différents autres corps de métiers ? Il déclare : « on a saisi encore nulle part le problème de la construction immobilière dans toute sa structure sociologique, économique, technique, et formelle pour la résoudre radicalement, à grande échelle, et méthodiquement 61». Dans l’article suivant de l’ouvrage, intitulé « Systématisation des travaux préparatoires à une construction immobilière rationnelle 62», publié en 1927, il devient plus précis, faisant figurer une liste du programme de travail pour rationnaliser l’industrie. La proposition n°7 du programme de travail concerne l’étude de nouvelles techniques de construction. A ce propos il cite une série de procédés fermés, nominatifs (« méthode de construction avec porte-panneaux Shäfer à Ludwigshafen, méthode de construction Occident à Rummelsburg », etc.) On peut donc supposer que, s’il préconise une entente de tous les acteurs du bâtiment pour la mise en marche de la standardisation des éléments du bâtiments, qui doivent être les standards « les plus avantageux du point de vue social et économique, en tant que purs produits de leur fonction d’habitation » ; il envisage davantage l’exploration de plusieurs procédés différents, chacun étant fermé. Quand au type de préfabrication lourde ou légère, il ne se prononce pas en faveur de l’un ou l’autre, mais déclare : « il faut aussi que la structure des maisons connaisse un changement fondamental (…). On peut fabriquer cette structure portante avec des poutres et des colonnes en fer, ou des poutrelles et des poteaux en béton armé, reliés entre eux dans un système en console ou en portique, comme les bois porteurs dans la construction en treillis 63». Ainsi, comme Le Corbusier à la même époque, Gropius se place en défenseur d’une architecture qui doit s’industrialiser grâce au standard, stage ultime que chaque objet doit atteindre. Cependant 59

Gropius, Walter « L’industrie du logement ». In Gropius Walter. Op.cit. p.46. Gropius, Walter. « La nouvelle architecture ». In Gropius Walter. Op.cit. p.109. 61 Gropius, Walter « L’industrie du logement ». In Gropius Walter. Op.cit. p.42. 62 Gropius, Walter. « Systématisation des travaux préparatoires à une construction immobilière rationnelle ». In Gropius, Walter. Architecture et Société. Paris: Editions du Linteau, 1995. p.58-61. 63 Gropius, Walter « L’industrie du logement ». In Gropius Walter. Op.cit. p.48-49. 60

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Gropius a peut-être davantage que Le Corbusier poussé l’idée de la standardisation du chantier, à travers des réalisations comme les habitations à Tortën-Dessau, dont la construction sera systématisée, par une préfabrication partielle en atelier forain. Jean Prouvé et les maisons usinées A la fois constructeur, acteur important dans les débats sur l'industrialisation de l'architecture après la seconde guerre mondiale, et doctrinaire n'hésitant pas à prendre position dans les débats progressistes de l'époque, Prouvé possède une position à part dans le milieu des architectes. Il existe peu d'écrits de Jean Prouvé, c'est pourquoi l'on se basera sur quelques interviews et sur la retranscription de la conférence prononcée à Nancy en 1946. Dès le début de cette conférence, Jean Prouvé pose les jalons d'un débat dont la portée influencera jusqu'à nos jours les théories des architectes sur le préfabriqué. Il est intéressant de voir que l'idée de la maison usinée dans son discours soulève une ambiguïté inhérente à la façon dont Jean Prouvé construit sa théorie. Il oscille entre une position doctrinale des architectes modernes prenant position sur l'industrialisation du bâtiment, et des réalisations aux résultats inégaux, soutenues par une politique de la reconstruction incertaine quand aux choix à faire dans l'immédiat d'après-guerre. Dès 1945, lors de la séance extraordinaire de l'Assemblée Consultative du 2 mars 1945, présidée par le Général De Gaulle, il s'insurge, au titre d'expert de la construction, contre le programme mis en place pour la reconstruction. Il s'oppose à une décision politique, défendue à l'époque par Raoul Dautry, alors ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme du Gouvernement Provisoire de la République Française, qui pense que les expérimentations dans le domaine de la construction industrielle, telles que les maisons préfabriquées, risqueraient de freiner la « reconstruction définitive ». C'est ce débat qui animera toute la période d'après-guerre, la plus prolifique pour Prouvé, alors à la tête de nombreux projets dans son usine de Maxéville. Aujourd'hui, on ne peut s'empêcher de déceler, à travers ce différent entre les deux idéaux, les contradictions inhérentes à l'utopie qui animait Jean Prouvé à l'époque. Ces divergences symptomatiques, entre utopie et réalisations, qui sont celles de toute une époque, montrent bien la difficulté de passer d'un « système idéologique » à un « système productif64 ». C'est ce qui apparaît lorsque l'on met en parallèle les discours de Jean Prouvé sur la production de masse avec ses réalisations, « qui s'apparentent davantage à de l'artisanat éclairé65 ». Dans sa volonté de réunir technique et architecture, homme et machine, il diverge légèrement de la position des architectes modernes de l'époque. Le Corbusier était fasciné par les objets industriels et par l'idée que la forme d'un bâtiment doit être exclusivement l'expression de son usage, et usait 64

Selon les termes de Catherine Coley, dans la préface de l'ouvrage : Prouvé, Jean. "Il faut des maisons usinées", Conférence inédite du 6 février 1946. Paris: Ed. Messene, 1999. 65 Ibid. p.9.

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beaucoup de la comparaison entre la maison et la voiture. Prouvé fait cette analogie également, en cela on pourrait le rallier à Le Corbusier, mais sa position est un peu différente. Dans son ouvrage sur Jean Prouvé, Dominique Clayssen analyse sa position: « L'idée constructive chez Prouvé est presque à l'opposé du déterminisme forme-fonction. La seule contrainte qu'il reconnaisse – quel que soit l'objet construit (élément de façade, mobilier scolaire, immeuble...) c'est l'ensemble technique de départ, le milieu de fabrication.66 » Prouvé va au-delà du fonctionnalisme. Le bâtiment n'est pas que l'expression de son usage. Son usage, sa construction et sa forme sont intrinsèquement liés. A propos de Le Corbusier, Jean Prouvé dira : « Tout au long de sa vie, il n’a cessé de faire appel à l’industriel : « Que les industriels viennent à moi et l’on fera de l’architecture industrialisée. » Moi, j’étais un industriel qui pratiquait. »67 . C’est à travers cette expérimentation constante, ce désir de chercher à travers le détail constructif la solution aux problèmes architecturaux, que Prouvé se différencie de ses pairs. Degré de préfabrication : la préfabrication industrielle à travers « l’idée constructive » La force du travail de Prouvé, c'est qu'à chaque problème architectural correspond une solution constructive. Le bâtiment est pensé de manière architecturale et constructive, sans que l'un des critères supplante l'autre. Cette façon de créer transparaît évidemment à travers sa théorie sur l'industrialisation du bâtiment. Jean Prouvé promeut une standardisation du bâtiment qui remet en question la place de l'architecte dans le processus de la construction de manière fondamentale, qu'il s'agisse d'une industrialisation fermée, ou d'une industrialisation ouverte. Les systèmes de construction du bâtiment doivent évoluer, le processus de création aussi. L' « idée constructive » de Prouvé se traduit dans sa vision de l'industrialisation du bâtiment : la construction et la création doivent ne faire qu'une seule et même invention. « L'idée constructive, c'est d'abord la compréhension d'une totalité, d'un ensemble68 », écrit Dominique Clayssen. Echelle de préfabrication : la préfabrication totale des maisons usinées « Disons le mot, il faut des maisons usinées. »69 Comme le Corbusier, Jean Prouvé voit l’industrialisation du bâtiment comme la solution à la crise du logement de l’après-guerre. Le problème de la maison est donc un problème technique et économique. Et comme lui également, il considère que le bâtiment est le domaine de l’industrie en retard par rapport aux autres. « Le bâtiment est resté en retard : à part quelques chantiers, tout y est construit comme il y a un siècle (…). »70 Dans le même registre, et toujours sur la question de la 66

Clayssen, Dominique. Jean Prouvé, l'idée constructive. Paris: Ed. Bordas, 1983. Lavalou, Armelle. Jean Prouvé par lui-même. Paris: Éditions du Linteau, 2001. p.75. 68 Clayssen, Dominique. Jean Prouvé, l'idée constructive. Op.Cit. 69 Prouvé, Jean, « Il faut des maisons usinées », Conférence à Nancy, 1946. In Enjolras, Christian. Jean Prouvé, Les maisons de Meudon, 1949-1999. Paris: Éditions de la Villette, 2003. p.190 70 Ibid. p.189 67

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comparaison avec l’automobile et l’aviation, Prouvé dira : « Constatons que les objets les plus industrialisés, qu’ils roulent, qu’ils volent ou qu’ils soient statiques, sont les plus renouvelés et en progrès constant de toutes qualités, même de prix. La seule industrie qui ne marche pas est celle du bâtiment71». La technique qui doit permettre l’industrialisation du bâtiment, c’est la préfabrication. La « maison usinée », pour Jean Prouvé, constitue la solution la plus économique. Il distingue la maison usinée de la maison préfabriquée. Pour, lui, la maison usinée va plus loin que la maison préfabriquée. Il ne s'agit plus d'intégrer à la maison un ou plusieurs éléments préfabriqués, mais de la concevoir entièrement afin que l'on ne fabrique plus rien sur le chantier. « Pourquoi usinées ? Parce qu’il ne s’agit plus de fabriquer un ou plusieurs éléments d’une maison destinée à être assemblée, mais que tous les éléments correspondent à ceux d’une machine que l’on monte entièrement mécaniquement, sans qu’il soit nécessaire de fabriquer quoi que ce soit sur le chantier72». En cela, Prouvé se rapproche d’une volonté de préfabrication totale, telle qu’on l’a définie dans la partie précédente portant sur les définitions. A propos des maisons de Meudon, construites entre 1950 et 1952, il dira : « Je condamne la partie maçonnée des maisons de Meudon. Je les avais conçues comme des maisons très simples à poser sur le sol73». « Pour moi, il faut toujours proposer un ensemble et non pas un morceau (…). Mon idée était qu’il fallait proposer des choses complètes, de la même façon qu’un fabricant de réfrigérateur ou d’automobile propose un objet complet. Tous les éléments qui le constituent sont en principe cohérents entre eux, ils s’harmonisent, ils s’assemblent. »74 Prouvé, fidèle à sa façon de résoudre les problèmes architecturaux par une solution constructive globale, était profondément convaincu qu’il fallait concevoir la maison préfabriquée comme un tout. Walter Gropius considérait que la préfabrication ne serait pas facteur de répétition dans l’architecture, mais pousserait plutôt à une certaine variation. Selon lui, le fait de préfabriquer les éléments permettrait une association entre eux des éléments suivant des variations infinies. Prouvé, lui, voit l’industrialisation comme vecteur d’évolution. A ses détracteurs qui craignent une uniformisation de la production architecturale dans toute la France, il démontre que l’industrie, par sa nature, pousse à la variation et au changement. « J’ai donc toujours réfuté l’objection de l’uniformité. (…) La robe que vous avez acheté l’année dernière est différente de celle que vous achetez cette année : c’est une production industrielle. (…) L’industrie devrait permettre le renouvellement, et, par là, l’évolution architecturale75 ». 71

Prouvé, Jean. Conférence tenue à Varsovie en octobre 1964 à l’occasion d’une exposition française de production industrielle. In Prouvé, Jean. Architecture / Industrie. Paris: Klient, 1968. 72 Prouvé, Jean, « Il faut des maisons usinées ». Op.cit. p.189. 73 Lavalou, Armelle. Op.cit. p.68. 74 Ibid. p.59. 75 Ibid. pp.60-61.

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A propos de l’unité et du standard, Prouvé est proche des idées de Le Corbusier. Le Corbusier voyait dans le standard la possibilité d’une certaine perfection et de la progression vers la production en série. Pour Prouvé, « Il est normal que le bâtiment bénéficie de l’esprit industriel. »76 Il ira plus loin que Le Corbusier dans l’expérimentation de prototypes de maisons préfabriquées, poussé par son expérience d’artisan et de constructeur. Mais son sentiment par rapport à l’idée de standard et de norme sera la même que pour son confrère. Pour lui, ce sont les architectes qui tentent de faire de l’architecture locale qui se fourvoient. La variation est l’œuvre de l’architecte qui veut signer son projet, alors que l’unité constitue la régularité et la beauté des villes vernaculaires. « Autant d’architectes, autant d’œuvres signées. Les cités anciennes que nous admirons tous, qui nous attirent, ne sont pas variées, c’est avant tout de l’unité. (…) Rien n’est plus reposant qu’une composition d’ensemble ayant de l’unité77». Après la guerre, le ministère de la Reconstruction hésite à confier les travaux au domaine de la construction préfabriquée, car il les considère comme des habitats par définition temporaires. Étonnamment, Prouvé remet en question davantage la volonté de construire « en dur », que le fait que la maison puisse être très durable. « En France on a dit « pas de maisons provisoires », on s’est gargarisé de ces mots (…) ; on s’est menti à soi-même et, bien entendu, on n’a rien fait du tout.78» , dira-t-il. On peut dire que, sans s’appesantir sur la question, il ne voit pas ses maisons comme des habitations faites pour durer indéfiniment. A propos des maisons de Meudon, il dira : « L’idée était de faire des maisons éphémères, pour une génération. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que quarante ans après elles seraient encore habitées. 79». Ce débat sur la manière de reconstruire la France, qui apparaît dans la conférence de Nancy de 1946, est en fait assez représentatif de la position du gouvernement par rapport à la construction préfabriquée pendant les années de la reconstruction. Les architectes soutiennent que le préfabriqué est la solution à la crise du logement, mais le gouvernement n’y investit pas. C’est un reproche que formulera également Le Corbusier, et nous verrons dans la partie suivante en quoi ce manque d’investissement a pu handicaper l’avancée de l’expérimentation dans ce domaine. Type de préfabrication : préfabrication fermée et légère Sur le choix entre préfabrication ouverte ou fermée, la position de Prouvé est ambiguë. Il admet que l'on doit tendre vers une industrialisation ouverte, vers la création d'un catalogue général recensant tous les éléments préfabriqués dont le bâtiment pourrait avoir besoin. Cependant il défend sa position d'architecte-ingénieur, d'architecte-inventeur, qui lui permet de créer ses propres moyens constructifs en rapport avec chaque architecture. Cette indécision constitue une des contradictions 76

Ibid. p.64. Lavalou, Armelle. Op.cit. p.66. 78 Prouvé, Jean, « Il faut des maisons usinées », Conférence à Nancy, 1946. In Enjolras, Christian. Jean Prouvé, Les maisons de Meudon, 1949-1999. Paris: Éditions de la Villette, 2003. p.193. 79 Lavalou, Armelle. Op.cit. p.69. 77

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de Jean Prouvé. Il y a dans ce doute l'impossibilité de sacrifier la création individuelle au profit de l'utilisation d'une série d'éléments préfabriqués déjà définis. Il s'agit de prôner une industrialisation individuelle, adaptée à chaque architecture, à chaque architecte. Il dira : « L’industrialisation ouverte ? C’est quoi ? (…) Personne n’a jamais pu vraiment s’en servir. Parce que chaque architecte veut dessiner son « truc », il veut son panneau à lui. Et puis, comme il dessine également « sa » structure, sa modulation qui n’est pas la même que les autres, les panneaux ne vont pas. Donc la préfabrication ouverte ne doit pas apparaître au début.80» Jean Prouvé, sans surprise, condamne la préfabrication lourde, toutes ses recherches étant basées sur l’utilisation de l’acier et de l’aluminium. Il pense que la préfabrication ne se prête pas à un matériau aussi lourd que le béton. Dans le cadre de la préfabrication lourde, les dalles de béton étaient coulées à l’avance et assemblés sur place. Or les dalles étaient tellement lourdes que parfois un camion ne pouvait en transporter qu’une seule à la fois. Pour lui, il aurait fallu fabriquer le béton sur place dans ce genre de cas. Ainsi, Jean Prouvé voit en la préfabrication des maisons, comme ses confrères Le Corbusier et Walter Gropius avant lui, une préfabrication totale et fermée. Il considère également que la standardisation est la condition indispensable pour la production en série. A la différence des autres cependant, il ira plus loin dans la réalisation de ses maisons préfabriquées, puisqu’il possédait son propre atelier, et qu’il réussit à construire plusieurs de ses prototypes de manière entièrement préfabriquée. De même qu’il ne fait pas de projet en dessin qu’il ne puisse pas construire par la suite, il poussa ses expérimentations sur la préfabrication le plus loin possible afin de poursuivre son rêve de maison préfabriquée. La maison préfabriquée chez les architectes du Mouvement moderne : une préfabrication totale et fermée. Ainsi on voit se former, à travers les définitions des trois architectes du Mouvement moderne, une définition de la maison préfabriquée qui, mis à part quelques exceptions s’accorde sur certains points. Le Corbusier considère le standard et l’acquisition de normes en architecture comme un prérequis indispensable à l’industrialisation, et donc à la préfabrication. Walter Gropius voit en la standardisation non pas une uniformité destructrice, mais le symbole d’une société réalisée. Jean Prouvé, malgré son attirance pour une industrialisation ouverte, prône l’industrialisation fermée comme porteuse de progrès dans ce domaine, permettant à chaque architecte de réaliser son système propre. Tous prônent une préfabrication industrielle, totale, et fermée. Comme on l’a dit précédemment, ces 80

Prouvé, Jean. In Clayssen, Dominique. «Un entretien avec Jean Prouvé.» Technique & Architecture, n° 327 (novembre 1979): pp.143-146.

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caractéristiques ne sont pas nécessairement ceux de la préfabrication dans un sens plus global. Cependant les théories de ces architectes ont eu une telle influence que par extension le mot de préfabrication englobera ces caractéristiques comme s’ils étaient intrinsèquement liés à sa définition. Si ces architectes ont théorisé le préfabriqué, ont construit du préfabriqué, ils n’ont jamais construit des maisons qui puissent répondre à leur définition de la préfabrication entendue comme industrielle, donc produite en série. Le Corbusier se fit le chef de file du Mouvement moderne, et révolutionna le monde de l’architecture à travers sa doctrine sur la standardisation, la machine à habiter. Il utilisa dans ses bâtiments des éléments de construction préfabriqués, parmi d’autres éléments fabriqués traditionnellement. Cependant il ne conçut jamais de maisons qui pourrait « surgir d’un bloc » depuis une chaîne de production standardisée. Walter Gropius poussa l’idée de la standardisation très loin dans ses écrits, et comme Le Corbusier, changea l’histoire de l’architecture grâce à ses écrits et à ses projets. Son projet à Törten-Dessau expérimenta dans la préfabrication en atelier forain, mais son projet de Packaged House, comme on le verra par la suite, échouera en terme de production de masse. Or c’est son projet qui ressemblait le plus à sa vision de ce que devait être une maison préfabriquée. Enfin, Jean Prouvé, qui consacra sa vie à la recherche sur la préfabrication, possédant un atelier qui lui était dédié, ne parvint jamais à la production de masse, mais resta à une fabrication artisanale, bien que techniquement très avancée, de la maison. C’est cette première dichotomie entre la reconnaissance historique d’une position doctrinale, et des réalisations qui ne lui correspondent pas, qui nous interpelle. Nous allons dans la partie suivante nous attacher aux critiques que l’on peut former, par rapport aux doctrines que nous venons d’exposer, sur la façon de considérer la préfabrication. Puis dans notre étude de cas de la deuxième grande partie de ce mémoire, nous verrons précisément quelles ont pu être les difficultés de ces réalisations.

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I.2. Victoire du prototype sur la série : la crise de la doctrine

A travers les discours des architectes du Mouvement moderne concernant la maison préfabriquée, on voit apparaître un idéal de maison. Cette maison totalement préfabriquée, qui sortirait de l’usine en une seule pièce, ne serait plus victime des aléas du chantier mais serait une mécanique de précision. Le Corbusier, Walter Gropius, Jean Prouvé, tous ont rêvé d’une telle maison et ont adopté les mêmes idéaux : ceux d’une préfabrication industrielle en usine, totale, et la plupart du temps fermée et légère. Cependant, chez aucun d’eux on ne trouve de réalisations qui satisfassent leurs idéaux. Chez Le Corbusier on ne trouve pas d’exemples qui soit strictement des maisons préfabriquées en série sortant d’une usine. Les maisons de Jean Prouvé furent construites mais, il le déplora lui-même, ne furent jamais produites en grande série et restèrent des maisons relativement chères. Walter Gropius connut avec l’aventure de la Packaged House, dont nous parlerons plus loin, des difficultés telles que cette dernière restera à l’état de prototype. Pourquoi ces architectes ne parvinrent-il pas à mettre en application leurs doctrines ? Leurs doctrines reposaient on l’a vu sur certaines conditions qu’ils précisaient tous de manière plus ou moins évidente : ces conditions étaient entre autres la nécessaire industrialisation du bâtiment, la prise en main du secteur du bâtiment par « la grande industrie », la volonté de l’état pour soutenir cette industrialisation, et enfin l’acceptation par les usagers d’un certain « état d’esprit ». Nous allons donc analyser en quoi ces différents acteurs, les industriels, l’état (les ingénieurs de l’état et l’administration), les usagers, ont pu influer sur les difficultés de ces réalisations. Pour replacer notre propos, nous commencerons toujours par citer des paroles des architectes modernes qui se rapportent à ces différentes conditions. On a vu à travers la première partie que, bien avant les écrits des architectes modernes et la parution de leurs ouvrages, l’évolution de la tradition constructive avait amenée le bâtiment à un début d’industrialisation, et la maison à une préfabrication dont la commercialisation fut une réussite économique. A travers un discours portant sur le retard de l’industrialisation, les architectes modernes parviennent à ne pas mentionner cette histoire constructive, et pire, à l’effacer. Il y a dans cet oubli volontaire un choix fort, justifié peut-être par la nécessité de construire une certaine doctrine. Car les maisons préfabriquées coloniales, les églises et les écoles américaines construites sur le modèle de la charpente-ballon, les maisons de Sears & Roebuck commercialisées à travers toute l’Amérique ne sont pas de simples pratiques locales, elles sont les prémisses de la préfabrication. On peut supposer que, malgré l’innovation technologique de ces maisons, les architectes n’étaient pas encore enclins à les faire entrer dans l’histoire architecturale car elles 45


gardaient en elles une apparence traditionnelle et vernaculaire. Malgré tout, en effaçant l’existence de ces précédents, le Mouvement moderne ne transforme pas les principes mêmes de ces maisons, mais leurs « extensions ». Dans l'article « Brouillages et dérapages sur la filière » du catalogue de l'exposition intitulé Architecture et Industrie du Centre Pompidou81, Alain Guilheux décrit cette extension du concept de la part des architectes en deux points : « l'extension doctrinale », et « l'extension territoriale ». L'extension doctrinale est le fait que la maison préfabriquée, qui auparavant ne constituait qu'une des facettes de l'architecture du XIXème siècle, est érigée par les modernes au statut de doctrine. Le concept acquiert un autre statut. L'extension territoriale, c'est le fait que l'architecture qui prend en compte la nouvelle doctrine de l'industrialisation du bâtiment doit l'adopter de manière générale, sans exception, et partout. « L'origine de ''l'industrialisation'' ne serait pas dans sa découverte en soi, mais dans le procédé qui consiste à élire, à donner un statut à quelque chose qui n'en avait pas, et le plus élevé qui soit82 », analyse Alain Guilheux. Ainsi les architectes modernes auraient mis en scène cet oubli pour construire un discours sur l’industrialisation du bâtiment. C’est parce que l’industrialisation du bâtiment n’existe pas, parce qu’elle est en retard, que le concept gagne encore de sa force. Que font les architectes, que fait « la grande industrie » ? Ce retard inacceptable montre pour Le Corbusier à quel point il faut changer les « états d’esprit ». Au-delà d’une extension des doctrines, on peut supposer que l’effacement d’une histoire constructive plus ancienne, et le retard proclamé du bâtiment, rend encore plus cruciale son évolution. Il y a comme un besoin d’exagération pour faire passer l’idée principale, celle de la nécessaire évolution de l’architecture. On assiste à un étrange tour de passe-passe, et au lieu de la modeste contribution, lente et impersonnelle, de l’histoire constructive, c’est l’esthétique de la machine qui gagne. Cette esthétique portée par la standardisation, brandie comme le symbole d’une « nouvelle architecture », modifie complètement l’histoire de la préfabrication qui l’a précédée. Il y a dans la naissance de l’esthétique industrielle dans l’architecture du Mouvement moderne un besoin de « tuer le père ». C’est seulement par l’occultation de cette histoire vernaculaire, passée, vieillie, qu’une nouvelle esthétique, fondée sur des principes bien ancien, peut naître. On a vu à quel point les architectes modernes étaient fascinés par les voitures, les avions, et les machines en général. « Les discours de l’industrialisation en architecture forment donc les figures d’une rhétorique de l’industrialisation, une sorte de constellation de sens qui n’attendra jamais son objet, cet objet supposé être l’industrialisation de l’architecture, que des objets architecturaux figurent, comme figures de discours83», explique Philippe Boudon dans son article, tiré encore une 81

Guilheux, Alain. « Brouillages et dérapages sur la filière ». In Ascher, François. Op.cit. pp.170-175. Guilheux, Alain. Op.cit. p.171. 83 Boudon, Philippe. « Figures architecturales de l’industrialisation, figures industrialisées de l’architecture ». In Ascher, François. Op.cit. p.192. 82

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fois du catalogue de l’exposition Architecture et Industrie, intitulé « Figures architecturales de l’industrialisation, figures industrialisées de l’architecture »84. Il y oppose les écrits théoriques des architectes, uniquement constitués de discours sur le processus de production industrialisés, finalement détachés de l’objet architectural ; et leurs réalisations auxquelles se rapportent des considérations formelles qui se détachent en fait du processus de production lui-même. Il pense que l’industrialisation est uniquement considérée par les architectes comme une forme ou une esthétique. On reconnaît aussi cette idée chez Henri Raymond, à travers l’article « L’industrialisation du logement en France : utopie architecturale et mythe technocratique »85 : « Le fabricant le plus constant, le plus génial, le plus clairvoyant de ce mythe [de l’industrialisation] aura été Le Corbusier (…). Il semble bien que Le Corbusier ne s’intéresse pas à l’industrialisation en tant que réalité ; il n’en voit pas la complexité (notamment en ce qui concerne les prix) ; il n’en voit pas les articulations ; son image idéale reste, à travers les années, la production de l’automobile et le montage à la chaîne (…). »86 Les discours des architectes modernes prônent davantage une industrie esthétisée pour l’architecture qu’une architecture industrialisée. « Rarement il nous a été permis de vérifier avec tant de netteté à quel point notre univers technique tissait inextricablement le fil de ses préoccupations productives et celui de son imaginaire. Là où nous cherchions raisons économiques, nous trouvions esthétiques de la rationalité. Et lorsque l'apparence nous laissait à penser un monde fait de chaînes comparables à celles où s'assemblaient nos automobiles, l'analyse mettait en évidence la fabrication artisanale de quelques prototypes ! 87» Qu’une doctrine ne se prouve pas confirmée dans ses réalisations est significative, mais cela ne peut pas nous permettre de dire : la préfabrication tel que l’entendait les architectes modernes a été un échec. Leur doctrine reste celle des pionniers de la théorisation du préfabriqué, et ce n’est qu’en partant de ces doctrines que l’on peut les remettre en question. C’est justement avec notre recul historique et grâce à la comparaison aux théories des architectes et des historiens qui les ont suivi dans l’histoire du préfabriqué que nous pouvons regarder ces premières théories avec un œil critique. Nous voulons comprendre quelles idées se cachent derrière ces doctrines, quelles présupposés avaient ces architectes, qui aujourd’hui nous semble dépassés ? Quelle est l’histoire de l’évolution de ces idées qui leurs semblait les plus justes à leur époque, et comment peut-on les voir aujourd’hui ?

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Boudon, Philippe. Op.cit. pp.191-195. Raymond, Henri. « L’industrialisation du logement en France : utopie architecturale et mythe technocratique ». In Ascher, François. Op.cit. pp.178-180. 86 Raymond, Henri. Op.cit. p.178. 87 Blanquart, Paul. « Avant-Propos ». In Ascher, François. Op.cit. pp.178-180. 85

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I.2.a. La question du retard de l’industrialisation

Le retard de l’industrialisation du bâtiment « L'état d'esprit n'existe pas (…).Tout est à faire ; rien n'est prêt. La spécialisation a à peine abordé le domaine de la bâtisse. Il n'y a ni usine, ni techniciens de spécialisation88 ». Le Corbusier « Il y a longtemps que l’ingénieur cherche sciemment pour l’usine et pour son produit la solution la plus juste (…). L’industrie du bâtiment, elle, n’a commencé que récemment à s’orienter vers le même but pour construire des logements89». Walter Gropius. « Constatons que les objets les plus industrialisés, qu’ils roulent, qu’ils volent ou qu’ils soient statiques, sont les plus renouvelés et en progrès constant de toutes qualités, même de prix. La seule industrie qui ne marche pas est celle du bâtiment 90». Jean Prouvé L’un des arguments favoris des architectes pour expliquer la difficulté à mettre au point des maisons préfabriquées telles qu’ils l’entendaient, c’est le retard de l’industrialisation du bâtiment sur les autres formes d’industrialisation. On l’a dit auparavant, l’industrialisation est déjà en marche quand les architectes modernes tiennent ce discours. Au XIXème siècle, l'industrialisation du bâtiment n'est pas encore constituée en notion architecturale, l'architecture ne ressemble pas à l'industrie même si elle commence à utiliser certaines de ses découvertes, notamment dans la construction d’usines et de bâtiments purement utilitaires et techniques. La brique, produit manufacturé par excellence, se diffuse largement au XIXème siècle. Bien que Jean Prouvé mentionne la brique dans ses écrits, (« Autrefois, on industrialisait beaucoup plus. Vous savez, la brique, c'est un slogan cette histoire là...91 »), les modernes semblent occulter la possibilité d'une industrialisation plus libre, plus lente. Il y a déjà dans la production de la brique l'idée d'une industrialisation qui passerait par un choix possible de la part des architectes de matériaux tous différents, standardisés et modulables par essence. En quelque sorte, on trouve déjà sous une certaine forme au XIXème siècle l'idée d'une industrialisation ouverte. Avec la politique de la reconstruction, cette idée du retard se poursuit, paradoxalement non plus par le biais des architectes, mais à travers les discours des ingénieurs du bâtiment. C’est ce qu’explique Jean-Louis Vénard, dans son article « L’industrialisation comme transformation permanente de 88 89

Le Corbusier, Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005, p.189 Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius, Walter. Architecture et Société. Op.cit. p.54.

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Prouvé, Jean. Conférence tenue à Varsovie en octobre 1964 à l’occasion d’une exposition française de production industrielle. In Prouvé, Jean. Architecture / Industrie. Paris: Klient, 1968. 91 Clayssen, Dominique. «Un entretien avec Jean Prouvé.» Technique & Architecture, n° 327 (novembre 1979): pp.143146.

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l’acte de bâtir »92. Les ingénieurs des Ponts et Chaussées, à la fin de la seconde guerre mondiale, tiennent un discours qui se rapproche de l’idéologie des modernes. Jean-Louis Vénard se base sur les écrits et les interviews des ingénieurs qui se sont succédés à la direction de la Construction : Spinetta, Blachère, Aubert, Lion… Il y retrouve chez eux l’idéologie qui consiste à vouloir résoudre la pénurie de logements avec des solutions techniques, conjointes à l’aide de l’Etat. Cette demande de l’aide de l’Etat est propre à la France. En Allemagne, aux Etats-Unis, en Angleterre, la reconstruction s’effectue grâce à d’autres moyens : accession à la propriété, crédits, incitation fiscales, etc. Les français restent profondément désireux d’une aide à la pierre, et l’acquisition d’un terrain ou d’une maison constitue toujours le premier moyen pour placer son argent. On voit donc apparaître la politique d’un corps de métier, qui fonctionne grâce à des procédés constructifs (Procédés Camus, Coignet, Barret, Foulquier, etc.). Cette politique, selon Jean-Louis Vénard semble descendre directement d’une politique de service public soutenu par le corps des Ponts et Chaussées, et d’une politique axée sur la planification et les grandes politiques industrielles nationales, soutenu par le corps des Mines. Ces ingénieurs veulent donc « moderniser » le secteur du bâtiment, considéré comme encore trop artisanal, grâce aux pouvoirs publics qui pourront contrôler le marché de la construction. Cette politique soutenu par l’Etat entretient une idée de notre subconscient français : la politique du logement doit échapper aux aléas du marché. En France, on trouve illégitime que l’économie du marché s’empare des prix du logement, on crie au « droit au logement », et on résonne toujours en pénurie pour justifier un nécessaire développement. Mais repensons à la comparaison toujours reprise de la maison avec la voiture. Les entrepreneurs du milieu de l’automobile n’ont nul besoin de justifier leur choix de développement par l’argument de la pénurie. On veut faire de la France un grand pays industriel pour se détacher de la fluctuation des prix. De plus, dans le prix total du logement, le prix de sa construction est souvent bien minime. Il y a aussi dans cette volonté d’industrialiser à tout prix, et dans cette notion de retard, l’idée qu’il faut agir vite. Or l’industrialisation est un processus lent, qui, dans tous les domaines des biens de consommation, a mis des dizaines d’années à s’installer. On peut donc dire que l’idée que l’industrialisation du bâtiment connait un retard sur l’industrialisation des autres domaines de production, qu’elle soit utilisée à l’époque de l’entre-deux guerre, après la deuxième guerre mondiale, ou aujourd’hui, est à relativiser. Il y a dans ce retard l’idée qu’il faudrait justifier un développement de l’industrialisation dans le bâtiment, au non d’une pénurie. Mais l’industrialisation pourrait soit se faire naturellement, comme c’est le cas sous une certaine forme, soit se faire de manière voulue, mais sans avoir forcément à être rapide. C’est finalement déjà le cas aujourd’hui, et on peut dire que cette industrialisation se fait finalement de 92

Vénard, Jean-Louis. « L’industrialisation comme transformation permanente de l’acte de bâtir ». In Ascher, François. Op.cit. pp.14-23.

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manière naturelle, sous une certaine forme : celle de certains éléments du bâtiment. Et surtout qu’elle est un phénomène lent, complexe, qui ne relève pas forcément d’une décision d’urgence, mais surtout de phénomènes économiques qui en se faisant concurrence, permettent des évolutions technologiques. Le dérapage de l’analyse comparative entre la maison et l’automobile « J’ai 40 ans, pourquoi ne m’achèterais-je pas une maison ; car j’ai besoin de cet outil ; une maison comme la Ford que je me suis acheté (ou ma Citroën, puisque je suis coquet)93». Le Corbusier « L’ingénieur spécialisé dans la construction de wagons, de bateaux, de voitures et d’avions est en avance sur le technicien du bâtiment, car il a déjà eu l’occasion d’utiliser des matériaux homogènes travaillés industriellement (fer, aluminium, verre), ainsi que les procédés de fabrication mécanisée de leurs composants94». Walter Gropius. « Mon idée était qu’il fallait proposer des choses complètes, de la même façon qu’un fabricant de réfrigérateur ou d’automobile propose un objet complet95». Jean Prouvé Comme on l’a vu auparavant, l’industrialisation du bâtiment ne devrait pas être considéré comme celle des autres secteurs, mais comme un concept autonome. Puisqu’il y a un décalage entre le réel de l’industrie, et la constitution de sa représentation, sortons de cette comparaison éternelle avec les autres domaines de l’industrie. Libérons-nous des mots de standards, de série, de production à l’usine, qui ne sont que l’image d’un processus qui ne parvient pas à se mettre en place du côté des architectes. Et déplaçons la question : « Avec la révolution industrielle, l’architecture, on le sait, va se penser à la remorque de l’industrie (…). C’est peut-être l’architecture qui traîne derrière le bâtiment », avance Alain Guilleux96. Se détacher de la comparaison avec la voiture pourrait être une solution pour considérer l’industrialisation du bâtiment comme un processus en soi. Il suffit d’énoncer les différences évidentes entre les deux entités pour se rendre compte à quel point la comparaison peut mener à de fausses interprétations. La maison se distingue tout d’abord de la voiture par son lien au sol inévitable. Ce sol suppose l’achat d’un terrain, son aménagement. Tout cela constitue un investissement pour un ménage qui, le plus souvent, représente des années d’investissement. Le

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Le Corbusier, Vers une Architecture, Ed. Flammarion, Paris, 2005, p.223. Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius, Walter. Architecture et Société. Op.cit. p.49. 95 Lavalou, Armelle. Jean Prouvé par lui-même. Paris: Éditions du Linteau, 2001. p.59. 96 Guilheux, Alain. Op.cit. p.174. 94

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Figure 16. Vue axonométrique de l’ensemble de la 2CV Citroën modèle 1953 – Photographie du châssis plancher de la 2CV Citroën et des éléments collaborants.

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Figure 17. Coupe sur la voiture maximum, projet de Le Corbusier Figure 18. Voiture Adler Standard 6, 1927 Figure 19. Voiture Adler Standard 8, 1931. Walter Gropius participa à la conception du design de cette voiture. Certains critiques disait que c’était alors une stratégie marketing de la part de l’entrepreneur pour faire vendre des modèles dépassés. Figure 20. Dessin de Jean Prouvé de la 2CV Citroën pour ses cours au CNAM

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patrimoine foncier constitue toujours un symbole de pérennité, de sécurité physique, de « tradition ». Ensuite, la maison appartient au marché du bâtiment, qui, contrairement à celui de la voiture, est fortement morcelé. Le secteur du bâtiment connaît une dispersion géographique de ses promoteurs, une grande diversité de produits, une différence d’importance de ses opérations, une budgétisation des aides variables, etc. Ainsi le marché de l’entreprise est difficile à prévoir à long terme, et donc la visibilité est trop faible pour permettre des investissements industriels de grande envergure. La comparaison avec la voiture est difficile car le système qui entoure la production de la voiture est un système plus clos et simple que celui de l’habitation. Sa production, sa vente, les stratégies commerciales des entreprises automobiles, tous ces éléments ne sont pas mentionnés par Le Corbusier, Gropius et Prouvé. Ils citent tous sa manière d’être produite, mais pas la conception commerciale qui en est indissociable. Les limites de la préfabrication totale et fermée « Il faudra que les maisons surgissent d’un bloc (…) 97». Le Corbusier « Pour moi, il faut toujours proposer un ensemble et non pas un morceau (…) 98». Jean Prouvé Une autre source probable de difficulté dans la mise en place des idées des architectes modernes, c’est la volonté forte d’une préfabrication totale et fermée. Il est d’ailleurs intéressant de noter que Le Corbusier évoluera avec le temps vers une idée de la préfabrication plus ouverte. J. Pilpoul en 1946 dans un article du Moniteur met en lumière le changement de pensée de Le Corbusier : « Ces dernières années, M. Le Corbusier paraît avoir adopté la conception de la construction employant des procédés de préfabrication, et non celle de la préfabrication intégrale . L’architecte suisse déclare au Vème Congrès des CIAM (Paris 1937) : « L’Industrialisation du Bâtiment ne doit pas s’orienter vers la répétition standardisée du type maison. C’est la standardisation d’éléments du logis qu’il faut entendre » ; dans ses « Propos d’urbanisme » (1946), il précise : « Admettons la grande série, celle des éléments préfabriqués de maisons et non pas celle de maisons préfabriquées »99 ». En cela Gropius avait eu une longueur d’avance, puisqu’il parle dès 1923 d’éléments préfabriqués. Cependant, il réalisera avec la Packaged House un système complétement fermé qui, faute de pouvoir s’adapter à la concurrence, ne parvint pas à dépasser le prototype. 97

Le Corbusier In Von Vegesack, Alexander. Jean Prouvé, La poétique de l'objet technique. Weil: Vitre Design Museum, 2006. 98 Lavalou, Armelle. Jean Prouvé par lui-même. Paris: Éditions du Linteau, 2001. p.59. 99 Pilpoul, J., « Nécessité de l'Industrialisation du Bâtiment », Le Moniteur des Travaux publics et du Bâtiment, n° hors série, nov. 1946, p.9.

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Mais comme le dit Prouvé : « Chaque architecte veut dessiner son « truc », il veut son panneau à lui. Et puis, comme il dessine également « sa » structure, sa modulation qui n’est pas la même que les autres, les panneaux ne vont pas. Donc la préfabrication ouverte ne doit pas apparaître au début100». Et ce dernier est effectivement l’un des leurs. Toutes ses maisons font partie d’un système fermé, le système Prouvé. Peut-être que les architectes modernes n’ont pas réussi à créer des systèmes ouverts car ils voyaient en une préfabrication fermée la dernière marque possible de la propriété de leurs œuvres, la dernière possibilité d’être l’auteur d’un bâtiment « complet ». I.2.b. L’absence de prise en main de la part de l’état et de la « grande industrie »

« La grande industrie doit s’occuper du bâtiment et établir en série les éléments de la maison101». Le Corbusier « On ne peut venir à bout du problème global de l’industrialisation qu’en faisant appel à des aides publiques exceptionnelles102». Walter Gropius « Il faut reconstruire extrêmement vite, des villes et des villages sont détruits (…). Qui donc va reconstruire ses maisons ? Je suis persuadé qu’il s’agit de la grosse industrie103». Jean Prouvé Conjointement à cette idée du retard de l’industrialisation dans le domaine du bâtiment, il y a chez les architectes modernes cette certitude que l’industrialisation ne viendra pas sans une action volontaire de l’état. Or on peut dire que l’Etat, poussé par ses ingénieurs des Mines et des Ponts et Chaussées, entame une forme d’industrialisation assez tôt. Directement issu des réflexions des modernes, le Rapport Carrière en 1946 alerte sur le manque de main d’œuvre à l’heure de la reconstruction après guerre, et promeut une nécessaire industrialisation du bâtiment. On retrouve là la « solution technique au problème du logement » chère à Le Corbusier. Après la libération, l’Etat et les techniciens reprennent ces idées et mettent en place une politique économique (réorganisation du bâtiment), une politique technique (industrialiser) et une politique sociale (logement social). En fait, le véritable tournant ne se fait qu’en 1952, avec la commande de 4000 logements à construire selon le procédé Camus (on a vu plus haut comment l’utilisation des procédés constructifs va devenir la forme d’industrialisation 100

Prouvé, Jean. In Clayssen, Dominique. «Un entretien avec Jean Prouvé.» Technique & Architecture, n° 327 (novembre 1979): pp.143-146. 101 Le Corbusier, Vers une Architecture, Op.cit. p.193. 102 Gropius, Walter. « L’industrie du logement ». In Gropius, Walter. Architecture et Société. Op.cit. p.50 103 Prouvé, Jean, « Il faut des maisons usinées », Conférence à Nancy, 1946. In Enjolras, Christian. Jean Prouvé, Les maisons de Meudon, 1949-1999. Paris: Éditions de la Villette, 2003. p.193.

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prépondérante en France). La priorité est donnée au logement et au financement public. C’est à ce moment là que se constitue le choix d’une voie politique particulière : celle de l’industrialisation lourde soutenue par la commande étatique. Suivrons à cela des années de politique de logement de masse, construit à l’aide de la préfabrication lourde. Or il se trouve que les procédés constructifs industrialisés ne sont pas apparus seulement après la guerre. Dans son article « Brouillage et dérapages sur la filière 104», Alain Guilheux cite quelques exemples de procédés apparus en Angleterre avant la seconde guerre mondiale : « En 1919, le comité londonien pour la standardisation et les nouvelles méthodes de construction fait agréer des systèmes : Waller System (une centaine de maisons connues), Duo Slab System (4250 maisons construites), Boot system (8260 maisons de 1926 à 1930) », etc. Puis en 1927, d’autres systèmes sont brevetés : Atholl, Telford, Thorncliffe, etc. Il est donc évident que l’Etat, en France et dans les autres pays d’Europe, soutient l’industrialisation en soutenant ses procédés et leurs recherches. Mais celui-ci soutient une certaine forme d’industrialisation : l’industrialisation lourde par procédés. Or les architectes du Mouvement moderne se battent pour une industrialisation par la préfabrication totale, fermée, et légère (en tout cas pour Prouvé). On peut dire que la préfabrication fermée et totale désirée par les architectes moderne se heurte à la politique de la reconstruction. Au moment où elle aurait pu être défendu par l’état, celui-ci fait un choix tout autre : celui de l’industrialisation lourde par procédés constructifs. Un deuxième tournant pris dans les années 1970 va en fait promouvoir une industrialisation plus ouverte. Dans cette forme d’industrialisation, les produits industriels ne sont plus le découpage d’un modèle de bâtiment en ses éléments. On assouplit les règles de l’industrialisation lourde par la prise en compte d’une nécessaire différence de morphologie entre les bâtiments, de la variété de dimensions entre les logements par rapport au marché, etc. Par là, on s’aperçoit que l’industrialisation du bâtiment n’est pas forcément sa préfabrication. L’industrialisation de la construction se définit davantage par les progrès réalisés dans l’industrie des produits intermédiaires du bâtiment, permettant l’apparition d’une volonté de diversité à l’époque. I.2.c. Le logement individuel, royaume de la construction traditionnelle ?

« ‘Nous faisons ça parce que les gens aiment ça’, voilà le raisonnement des promoteurs, des responsables de la construction. ‘Nous construisons ce que nous savons que nous vendrons. Les gens l’achèteront parce que c’est ce dont ils ont besoin’. C’est vraiment prendre les gens pour des imbéciles ! ». Jean Prouvé

104

Guilheux, Alain. « Brouillages et dérapages sur la filière ». In Ascher, François. Op.cit. p172.

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« Il faut créer l’état d’esprit de la série (…), L’état d’esprit d’habiter des maisons en série, (…).105» Le Corbusier Le logement individuel serait le royaume de la construction traditionnelle, le type architectural le moins enclin à aller vers la modernité. Selon Buckminster Fuller, c’est parce que l’on vit dans nos logements que l’on ne peut pas avoir de recul sur la question de son évolution. « Les individus ont beaucoup plus de difficultés à se critiquer eux-mêmes qu’à critiquer les autres, et c’est seulement lorsqu’ils y sont contraints qu’il perçoivent une vrai image d’eux-mêmes. De la même façon, les gens ont évité, jusqu’à la fin, une approche réelle des lieux où ils vivent, des progrès possible dans leur conception et dans leur méthode de création, lors de l’âge merveilleux du progrès industriel. Ce sont les objets les plus éloignés d’un rapport personnel, dont la nécessité est la moins immédiate, qui ont reçu la plus honnête et directe attention dans leur conception : les aéroplanes, l’automobile, la radio, etc. 106» Voici donc une première possibilité, mais qui n’explique pas la difficulté pour les architectes à faire accepter au grand public leurs maisons préfabriquées. La question du rapport entre l’architecte et le client désirant une maison individuelle est un sujet en soi qu’il ne s’agit en aucun cas de développer ici. Mais afin d’ouvrir le débat citons Pierre Bourdieu lorsqu’il parle du préfabriqué. « On sait en outre que la propension à attacher plus d’importance à l’aspect technique et moins à l’aspect symbolique de la maison croît à mesure que l’on descend dans la hiérarchie sociale. L’analyse des données provenant de l’enquête effectuée en 1984 par l’Institut français de démoscopie auprès d’un échantillon représentatif de 998 personnes fait apparaître une opposition particulièrement forte en ce qui concerne les représentations de la maison préfabriquée entre, d’un côté, les individus situés au sommet de la hiérarchie économique (les détenteurs des revenus les plus élevés), sociale (les cadres supérieurs et les membres des professions libérales) et culturelle (les individus ayant les diplômes les plus élevés et ayant fait des études supérieures) et de l’autre, ceux qui ont les revenus les plus faibles, qui sont ouvriers et inactifs et qui n’ont fait que des études primaires. Les premiers ont la vision la plus négative de la maison préfabriquée : ils sont le plus nombreux à penser que les gens font construire une telle maison faute de pouvoir se payer une maison traditionnelle, ou pour être déchargés de toutes les formalités administratives. Les seconds estiment plus souvent que l’on peut avoir une bonne maison de choisir une maison préfabriquée, et que ceux qui font ce choix ont le goût des choses modernes ; ils pensent que ce type de maison est

105

Le Corbusier, Vers une Architecture. Op.cit. p.187.

106

Fuller, Buckminster, « 4D Time Lock ». In Neder, Frederico. Les maisons de Fuller, La Dymaxion House de R. Buckminster Fuller et autres machines à habiter. Gollion: Infolio, 2008. p.15.

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plus solide, plus facile à personnaliser. »107 Il est intéressant de voir que les architectes ont tendance à penser que les classes sociales les plus élevées culturellement et financièrement aurait le plus de goût pour l’architecture moderne, détachée de la tradition. Or les classes sociales les plus démunies culturellement ont une vision plus « techniciste » de la maison, et sont plus disposés à accepter son côté pratique, qu’à y chercher la réponse à des attentes d’esthétique « traditionnelle ». Elles y voient un potentiel de transformation plus large et sont séduites par la praticité des lieux. On verra dans notre étude de cas que dans l’analyse que fait Gilbert Herbert de l’échec commercial que connut la Packaged House de Walter Gropius108, il déclare que la question de la réception du public ne fut en aucun cas un élément déterminant. Dans une Amérique ou la plupart de la population vivait alors dans des maisons préfabriquées, c’est davantage la mauvaise gestion de l’aspect commercial et de l’investissement de départ qui poussera l’entreprise à la faillite, que l’adhésion du grand public à l’esthétique de la nouvelle maison. Ainsi, les architectes modernes, afin d’appuyer une doctrine volontaire et forte, basée sur la table-rase d’un passé constructif vernaculaire gênant pour la création d’une nouvelle architecture, utilise plusieurs arguments. Ces arguments sont le retard de l’industrialisation du bâtiment sur son temps, la nécessité de la prise en main de l’état pour industrialiser le pays. Leurs discours reposent également sur l’idée que l’on peut créer des maisons comme des voitures, et que si le progrès ne s’installe pas c’est que le grand public n’est pas près au changement. Nous venons de voir que ces arguments ne sont que le fruit d’un certain courant de pensée, correspondant à une époque précise. Le Corbusier, Gropius, Prouvé, ces hommes étaient fascinés par l’âge nouveau de la machine, la récente industrialisation, les possibilités infinies que cela leur offrait. C’est emporté par l’utopie de la maison préfabriquée que l’on construirait comme une voiture, qu’ils ont constitué leurs discours à propos d’une préfabrication fermée et totale. Mais on voit aujourd’hui, avec un certain recul historique, que cette industrialisation du bâtiment était déjà en marche. Elle s’est faite progressivement, de manière ouverte et partielle.

107

Bourdieu, Pierre. Les structures sociales de l'économie. Paris: Editions du Seuil, 2000. p.47-49.

108

Herbert, Gilbert. The dream of the factory-made house : Walter Gropius and Konrad Wachsmann. Cambridge, Mass.: MIT Press, 1984.

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II. Les

maisons

préfabriquées

des

architectes

du

Mouvement

moderne : étude de cas d’une architecture de prototype II.1.Le Corbusier et les maisons Loucheur (1929) Pour l’analyse des maisons Loucheur nous nous baserons sur l’étude des Œuvres Complètes de Le Corbusier109, et sur l’article de Tim Benton intitulé « La réponse de Le Corbusier à la loi Loucheur »110. L’histoire de la maison Loucheur est étroitement liée à la politique de la reconstruction après la première guerre mondiale. En 1928, Louis Loucheur, ministre du Travail, de l’Hygiène, de l’Assistance et des Prévoyances Sociales dans le cabinet de Poincaré, fait voter une loi prévoyant la construction de 200 000 habitations à bon marché. Loucheur, polytechnicien et fondateur d’une entreprise de grands travaux publics qui lui avait assuré fortune et notoriété, a toujours travaillé en étroite collaboration avec les industriels. Pendant la guerre il est nommé sous-secrétaire d’Etat au ministre de l’Armement et des Fabrications de guerre, et plus tard il sera nommé ministre par Georges Clémenceau qui engage alors une politique industrielle d’amélioration de la production, contraignant les industriels à une meilleure gestion de leurs entreprises. Après l’armistice, Loucheur devient ministre de la Reconstruction industrielle. Il commence à s’intéresser aux questions d’urbanisme et d’aménagement. Il se fait le défenseur d’une politique du logement fondée sur les garanties sociales et patrimoniales de la propriété privée. En 1927, déjà, il suivait avec intérêt les travaux de Le Corbusier, qui construisait les Quartiers modernes Frugès de Pessac. Il aida Le Corbusier à obtenir des subventions du gouvernement prévues par la loi, ce qui permit de mener à bien la construction de l’ensemble. Après le vote de sa loi, qui lança la construction de plusieurs quartiers pavillonnaires dans le cadre de la reconstruction d’après-guerre, il demande à Le Corbusier en automne 1928 d’étudier un modèle-type de maison individuelle standardisée dans le cadre de son programme public. II.1.a. La loi Loucheur et le débat sur l’habitat individuel

Le Corbusier voyait en l’industrialisation du bâtiment et en la modernité en architecture la promesse d’un changement social. Le projet de répondre à la Loi Loucheur répond à cette attente, et lui permet de proposer des maisons qui utilisent des techniques industrielles. Il est intéressant de voir, en comparaison avec les politiques de reconstruction d’après la seconde guerre mondiale, que l’accent est ici mis sur l’aide au logement individuel et non sur le logement collectif. La loi 109

Le Corbusier, Jeanneret, Pierre. Oeuvre Complète, 1910-1929. Zurich: Les Editions d'Architectures, 1964. Benton, Tim. La Réponde de Le Corbusier à la loi Loucheur. In Lucan, Jacques. Le Corbusier, une encyclopédie. Paris: Centre Pompidou, 1987.

110

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Loucheur permet en fait de débloquer des fonds permettant de rendre effective une législation codifiant le logement depuis 1922. Cette législation prévoyait une formule de location-vente pour les acquéreurs de logement individuel, faisant de tout bénéficiaire le propriétaire de sa maison en fin de remboursement de son emprunt. Certains députés dénoncèrent la tentative de la part du gouvernement de penser vaincre les protestations des ouvriers communistes en en faisant des propriétaires. Mais à l’époque la loi est largement soutenue, la plupart des députés étant des socialistes qui considéraient que la France devait se reconstruire sur l’idéal des cités-jardins. La plupart des projets d’habitations répondant à la Loi Loucheur seront finalement réalisés sans réelle planification. C’est ce que veut contrer Le Corbusier dans son étude de 1929, en proposant un projet qui pourrait être construit dans un milieu dense ou en zone péri-urbaine, de manière planifiée. II.1.b. Maisons Loucheur

Le projet est fondé sur la construction à sec d’une structure en acier de deux cellules de logements, séparées par un mur en pierre. Le mur devait être une réponse au règlement de construction des murs mitoyens coupe-feu, et il a également été pour Le Corbusier un moyen de garantir la collaboration avec des entreprises de construction locale. « Toutefois l’expérience de Pessac a conduit à un petit stratagème de diplomatie opportune : il est prévu la construction d’un mur d’appui de la maison ou d’un mur mitoyen entre deux maisons, en maçonnerie de moellons, de briques ou d’agglomérés, matériaux du pays, réalisé par le maçon du pays. Et ainsi le noir complot de l’entrepreneur local sera déjoué et l’alliance utile sera scellée. 111» En cela, le projet de Le Corbusier répond à l’une des demandes de la Notice technique publiée en 1929 par la Commission technique de l’habitation. Cette notice insiste sur la nécessité d’une collaboration entre les entreprises françaises. Elle incite aussi les entreprises du bâtiment à se joindre à l’industrialisation du pays, en permettant le stockage des matériaux, et en commandant de grandes quantités d’éléments standards. On reconnaît ici l’intervention de Loucheur, avant tout ingénieur, et grand partisan de la taylorisation du bâtiment. Le projet de la maison Loucheur se caractérise par une économie de l’espace basée sur la séparation jour/nuit. Le Corbusier annonce même dans les Œuvres Complètes une économie de mètres carrés (« 46 m2 : surface que vous payez. Grâce à des combinaisons mobiles et compound, vous avez l’usage des pièces suivantes. (…) Total : 71 m2 »). Il parvient à ce calcul grâce à une flexibilité des espaces : chambre en prolongement du salon, meubles amovibles, etc. (figure 21) « Dans tout les cas cette maison Loucheur est conçue pour coller au plus près aux clauses de la loi, 111

Le Corbusier, Jeanneret, Pierre. Op.cit. p.199.

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et pour en tirer le meilleur parti. Il s’agit d’une solution universelle, adaptée à la ville commme à la campagne, fabriquée sur une grande échelle, mais susceptible d’être installée par petits groupes, là où s’exprime la demande », explique Tim Benton112. A l’annonce de l’application de la loi Loucheur, les prix des matériaux augmentent. Le Corbusier espère un prix de la part des entreprises fournissant les éléments de construction en métal. Il tente de convaincre des entreprises de produire ses maisons en grande quantité, à grande échelle, en vue d’une réduction du coût des matériaux. Le Corbusier tente de chiffrer le projet et aboutit au chiffre de 38 500 francs pour une maison standard si la construction de 100 maisons est prévue. Le coût maximum chiffré par la loi Loucheur étant de 39 000 francs, il rentre dans le budget. Loucheur prévoit l’organisation d’une exposition sur le logement par l’Union nationale des fédérations d’HBM. Le Corbusier y voit la possibilité de construire un prototype de maison Loucheur, mais le projet tombe à l’eau. Il expose cependant ses plans à l’exposition des CIAM de Francfort avec la loge de la Villa Savoye. II.1.c.Non-réalisations mais influences

Peu après, les subventions allouées à la loi Loucheur s’arrêtent, un an avant la date prévue. On s’accorde à tirer les conclusions de l’expérience, et à reconnaître ses défauts. Les maisons individuelles coûtent trop cher, et les besoins sont plus importants en location qu’en vente. Les plus démunis ne peuvent, malgré le programme, accéder à la propriété. La loi n’a pas permis de régler les problèmes liés aux défauts de structure des organisations HBM, et elle n’est pas parvenue à inciter à une urbanisation plus rigoureuse. Cependant le projet de Le Corbusier aura une grande influence sur les réflexions à propos de la maison préfabriquée, et sur l’architecture moderne en général.

112

Benton, Tim. La Réponde de Le Corbusier à la loi Loucheur. In Lucan, Jacques. Le Corbusier, une encyclopédie. Paris: Centre Pompidou, 1987. p.239.

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e

Figure 21. Plan de la maison Loucheur à l’échelle 1:200 , aménagement de jour et de nuit.

61


Figure 22. Croquis perspectifs de la maison Loucheur

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Figure 23. AxonomÊtrie et plans de deux modèles de maisons Loucheur.

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II.2. Walter Gropius, Konrad Wachsmann et la Packaged House (1941-1952) II.2.a. Genèse du projet (1941-1942)

C’est en 1941 que Konrad Wachsmann, architecte moderne allemand, rejoint Walter Gropius, exilé aux Etats-Unis depuis plusieurs années, dans le Massachusetts. Wachsmann avait déjà travaillé sur la préfabrication à travers l’invention d’un système de structure en acier tubulaire, et d’un système de panneaux autoportants modulaires pour le bâtiment, isolés thermiquement. Ce dernier système l’avait amené à s’intéresser à un projet plus large, permettant la combinaison de ces panneaux sandwichs autoportants entre eux dans les trois dimensions à l’aide d’un connecteur en forme de Y (figure 24). Il s’agissait d’une proposition pour un habitat universel. Gropius propose à Wachsmann de collaborer avec lui sur divers projets, et l’héberge avec sa femme Ilse dans leur maison. Wachsmann partage ses nouvelles idées avec Gropius, qui s’enthousiasme assez vite car le projet correspond à ses théories sur la standardisation des éléments de la maison. Ils décident tous les deux de se lancer dans un nouveau projet, un projet d’« éléments standardisés qui seraient interchangeables pour l’usage dans différents type de maisons», selon Walter Gropius113. Pour l’analyse de la Packaged House, on s’appuiera sur l’ouvrage The dream of the factory-made house : Walter Gropius and Konrad Wachsmann de Gilbert Herbert. Cet ouvrage est le seul qui se consacre entièrement au recherches de toute une vie qu’ont constitués la préfabrication pour Konrad Wachsmann et Walter Gropius. Il a également la qualité d’analyser de manière approfondie les projets précédents et postérieurs à la Packaged House, permettant au lecteur de prendre un certain recul avec les recherches des deux architectes, et également de chercher les raisons de l’échec de la réalisation de cette maison au-delà des analyses qui en ont été faites auparavant. Le projet sera surtout porté au début par Wachsmann qui, n’ayant pas d’autres commandes, s’y consacre à plein temps et le développe en trois semaines. Le premier rendu de la maison sera constitué des détails de 10 panneaux standardisés formant un ensemble d’éléments pour l’enveloppe, et d’une perspective montrant les différentes combinaisons possibles pour créer une entité architecturale. L’élément en Y de l’ancien projet de Wachsmann évolue, devenant un connecteur tout à fait innovant. Ce dossier de la première version de la Packaged House constitue la base définitive pour chercher de futures coopérations auprès des entreprises (figure 25). La collaboration entre Wachsmann et Gropius s’équilibre de la manière suivante. Wachsmann se charge de la conception et du développement des éléments techniques du projet, il apporte la plupart des innovations. Gropius apporte un support théorique qui donne une signification architecturale, un but à la maison. Il développe l’idée de l’unité, de la variété et de la flexibilité du 113

Herbert, Gilbert. The dream of the factory-made house : Walter Gropius and Konrad Wachsmann. Cambridge, Mass.: MIT Press, 1984. P.248.

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Figure 24. Système de préfabrication de Wachsmann, projet précédent la Packaged House - plans montrant la combinaison de panneaux préfabriqués et plans, élévations et axonométries des connecteurs du système, 1939.

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système. Il gardera tout au long du développement du projet un rôle de diffuseur, voir de promoteur du projet, usant de ses relations pour le faire connaître (figure 27). Il donna à la Packaged House sa première forme architecturale grâce à de nouvelles perspectives d’associations entre les éléments. L’invention a pour but de transférer la plupart du labeur, requis dans la construction d’un bâtiment sur un site, depuis le site lui-même vers l’usine. Pour ce faire, « des unités de standards toutes dérivées des mêmes éléments » sont utilisées de manière à ce que « n’importe quelle partie peutêtre échangée avec une autre »114. Pour comprendre l’innovation du projet, il faut dissocier la Packaged House en tant que système architectural et en tant que système de construction. Le système de construction de la Packaged House est un système fermé. C’est un système rationnel dont le nombre de composants est limité. Il n’a pas l’ambition d’exploiter d’autres éléments de construction standardisés à l’extérieur de son système : fenêtres, portes, éléments de toiture, etc. Par conséquent, il ne s’ajuste pas aux normes industrielles. C’est donc un système fermé, rigide, homogène, l’œuvre d’un seul concepteur, devant à terme être construit dans une seule usine qui s’y consacre entièrement. Le système architectural de la Packaged House en revanche est plus flexible. Il est conçu pour créer des options différentes d’aménagements. Le système technique rigide permet en fait une grande variété de combinaisons et donc d’aménagements de la maison (figure 26). A l’époque, les éléments standardisés que conçoit Wachsmann ne sont pas uniques et nouveaux, ils existent déjà sur le marché (les panneaux autoportants par exemple). La véritable innovation est son système de connexion tri-directionnel. L’originalité du projet se situe également dans le fait que tous les éléments sont conçus dans une seule logique architecturale et sont donc interchangeables à volonté. Cependant Gilbert Herbert analyse déjà, avant même de détailler les aléas de la construction du premier prototype, l’un des défauts du projet : la maison préfabriquée en usine constitue le sous-système d’un système plus large : celui de l’industrialisation. La maison préfabriquée est le produit d’un procédé qui est l’industrialisation. Or l’industrialisation induit une relation nécessaire avec d’autres sous-systèmes : la distribution, le financement, la législation, le transport, le terrain, etc. La Packaged House n’est en fait pas encore conçue dans un système plus large que le sien propre. Gropius voit dans l’industrialisation une force inévitable, un moyen pour changer l’homme, le moyen pour la machine de servir des buts humains. Il reste une figure du XIXe siècle, qui admire la machine mais continue à craindre son potentiel déshumanisant : son attitude est ambivalente. « Les hommes se rebelleront toujours aux tentatives de sur-mécanisation qui sont le contraire de la vie. Mais l’industrialisation ne s’arrêtera pas au seuil du bâtiment. Nous n’avons pas d’autres 114

Herbert, Gilbert. Op.cit. p.258.

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Figure 25. Détails des connecteurs modifiés pour le projet de la Packaged House, 1941. Détails des panneaux modifiés pour le projet de la Packaged House, 1941. Coupe perspective du nouveau projet de la Packaged House, 1941.

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choix que d’accepter le défi de la machine dans tous les domaines de production (…) ». Walter Gropius115 Pour Wachsmann, l’impératif de la technologie est l’indispensable moyen pour l’homme de diriger l’univers. Homme du XXe siècle, il glorifie la technologie et la science comme source de lumière et de progrès. « La planification de l’environnement physique doit être basée sur le meilleur usage de la technique disponible, qui à son tour est basé sur nos connaissances et notre habilité à contrôler l’énergie ; en d’autre mots, dans notre économie et dans notre science, c’est finalement lorsqu’il utilisera des moyens semblables qu’un bâtiment pourra être appelé moderne. Quiconque sera capable d’améliorer ces méthodes, même dans des termes abstraits, est un artiste116». Konrad Wachsmann. Malgré ces visions différentes, Gropius et Wachsmann se rejoignent sur certains points. Ils croient en l’inévitable industrialisation du bâtiment : ils y voient un grand potentiel pour améliorer la qualité de l’habitat. II.2.b. Evolution du projet : modifications de la guerre à la libération (1942 – 1951)

La guerre fut une période difficile pour Gropius et Wachsmann, réfugiés d’un pays ennemi, mais elle fut également source de programmes qui pourront potentiellement aider la Packaged House. En 1942, le président Roosevelt crée la National Housing Agency, qui prévoit 153 000 000 $ d’investissements pour le développement de « maisons démontables », sensée reloger les travailleurs délocalisés par les demandes de guerre, les soldats revenants du front, etc. Le programme a pour but la création de 42 000 logements. Cette nouvelle organisation est une grande opportunité pour la préfabrication, et témoigne d’un intérêt général pour le développement de ce type d’habitation. En septembre 1942, alors que Wachsmann continue à perfectionner son système, le directeur de Charles Allen & Co., une banque de Wall Street. Il parvient à l’intéresser aux potentialités du projet, et ce dernier s’associe bientôt à d’autres banques et crée la General Panel Corportation. Wachsmann, alors dans des difficultés financières, se voit recevoir un salaire, accompagné d’un chèque de 10 000 $ destiné à financer une maison de démonstration, qu’il pense achever en trois mois. Cinq mois plus tard, en février 1943, la maison est montée puis démontée en une seule journée à Somerville, dans le Massachusetts, lors d’une exposition organisée par Gropius. Des représentants 115 116

Herbert, Gilbert. Op.cit. p.262. Herbert, Gilbert. Op.cit. p.261.

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Figure 26. Plans et axonomĂŠtrie de Wachsmann et Gropius reprĂŠsentant la Packaged House, type A, 1942.

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Figure 27. Brochure de prĂŠsentation de la Packaged House, Walter Gropius, 1942.

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du gouvernement se sont déplacés depuis Washington D.C., mais il a aussi invité des ingénieurs, des architectes, des militaires, etc. susceptibles d’être intéressés par le projet. Le public est impressionné par la rapidité de l’assemblage (figure 26), et certains autres investisseurs sont près à rejoindre l’entreprise General Panel Corporation. Sur la lancée de l’exposition, Gropius devient un véritable publicitaire et écrit une série d’articles pour faire connaître le projet dans les journaux, réalise des interviews, des conférences, etc. Cependant, mois après mois, l’entreprise ne se lance toujours pas dans la manufacture à l’usine, elle cherche de nouveaux moyens de financement, et les deux architectes s’éloignent du projet. Ils se consacrent tous les deux à d’autres expériences, Gropius sur d’autres commandes et sur l’enseignement, Wachsmann sur d’autres projets techniques à destination de General Panel Corporation (figure 27). A la fin de la guerre, General Panel Corporation n’a toujours pas permis la fabrication de maisons autres que le prototype d’exposition. Malgré l’ingénuité de la conception de la maison, l’enthousiasme et la motivation des architectes, l’énergie de Wachsmann et la réputation de Gropius, le soutien de la profession et l’approbation du gouvernement, la présence de Wall Street, etc., le projet ne progresse pas vers sa réalisation. Il est à noter qu’à la même période, d’autres entreprises de maisons préfabriquées connaissent un succès commercial important. Les réfugiés de guerre sont nombreux, l’immigration s’accélère, il y a donc une forte demande de logements. Environ soixante-dix entreprises de maisons préfabriquées produisent alors jusqu’à 1000 maisons par mois pour certaines. Gilbert Herbert nous indique que pendant la guerre, environ 200 000 maisons préfabriquées seront vendues. A la fin de la guerre, une politique nouvelle en faveur du préfabriqué se développe. Le nouveau président des Etats-Unis, Harry Truman, fait promulguer un ordre pour la création d’un bureau nommé « Housing Expeditor », chargé de promouvoir des plans de logements pour les vétérans de retour de la guerre. Il nomme comme directeur du bureau Wilson W. Wyatt, qui s’empare du problème rapidement en créant le « Veteran’s Emergency Housing Program », qui renforce les législations encadrant les prix des logements, aide le développement de nouveau plans de logements, et recule la construction de tout autre projet n’étant pas prioritaire. Une partie du programme est dédié à l’expansion des programmes de maisons produites industriellement, et à leurs mise sur le marché. Différents partenariats vont alors se succéder dans la recherche de financements. En 1945, l’entreprise Celotex Corporation, depuis longtemps intéressée par le projet de la Packaged House, propose un accord à General Corporation. General Corporation dirigera depuis New York une filiale en Californie, dont s’occupera Celotex Corporation. General Panel en Californie sera chargé de faire produire les maisons et de développer les ventes dans les états de l’ouest. General Panel décide alors d’acheter une usine à Burbank en Californie, avec l’aide financière d’un 71


Figure 28. Maison de démonstration pour l'exposition à Sommerville dans le Massachusets, 1943. Figure 29. Coupe et élévation de la maison préfabriquée type TDU-1, 1943. Plans, coupes, et axonométries d'une baraque fabriquée avec des composants General Panel, 1943.

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programme du Veteran’s Emergency Housing Program. Malgré ce soutien financier, l’achat de l’usine demande un très grand investissement pour General Corporation, qui recherche alors de nouveau un partenaire supplémentaire. C’est alors que se joint au groupe l’entreprise Iron Corporation, ayant déjà produit des maisons préfabriquées en bois et souhaitant se lancer dans l’aventure de la Packaged House. Deux maisons modèles sont produites pour être exposées dans le Queens près de l’aéroport de La Guardia (figure 30), et l’entreprise s’apprête à lancer la production à l’usine de Burbank, mais attend une aide de la part du gouvernement. Cette aide ne devait être allouée qu’à trois entreprises fabriquant des maisons préfabriquées, dont General Panel Corporation. Elle devait permettre la construction de 8500 maisons, commençant la production à la vitesse de 1000 maisons pendant le premier quart de l’année, 2500 maisons pendant le deuxième quart. Ces péripéties conduisent General Corporation jusqu’en 1947, alors qu’un changement général de direction vers une politique plus libérale pousse Truman a arrêter les aides du gouvernement en faveur du logement, et à dissoudre le récent Veteran’s Emergency Housing Program. C’est à ce moment critique que l’usine de Burbank commence à aménager la chaîne de production, mais les délais s’étirent entre la réception des fonds et la livraison des machines. L’entreprise a réussi a obtenir un crédit du gouvernement, mais ne parvient pas à la production, et donc au remboursement. En févier, puis en avril, General Panel tente d’établir des programmes de production plus modestes, prévoyant la production de 5 maisons par jours pendant les premiers 30 jours, puis de 10 par jours pendant le reste de l’année, etc. Or certaines pièces indispensables au bon fonctionnement des machines n’ont toujours pas été livrées. Pendant ce temps, Wachsmann ne cesse de modifier la chaîne de production et de perfectionner le système, allongeant encore les délais (figure 31). Début 1948, seulement une quinzaine de maisons sont produites et vendues, et beaucoup de composants orphelins sortent de l’usine. Les difficultés de la mise en production sont dues à la trop grande précision requise dans la fabrication des pièces, et à leur faible tolérance aux erreurs. L’entreprise est remaniée, un nouveau directeur est nommé et Wachsmann part travailler pour General Panel en Californie. Pendant les années 1948 et 1949, l’usine produit quelques modèles de maisons pour les vendre en Californie et dans les états environnants, et quelques baraques militaires. On estime à 150 voire 200 le nombre de maisons qui sortiront de l’usine en 3 ans. On est loin des quelques 8500 maisons en un an prévues dans les débuts du projet. L’entreprise peine à rembourser ses dettes, et donc ne veut pas se lancer dans de nouveaux projets qui demanderait de nouveaux investissements, et c’est le début d’un cercle vicieux. En 1950, Wachsmann se contente de rembourser les dettes, d’arrêter les crédits, et revend les machines de l’usine. Gropius et lui gardent jusqu’en 1951 leurs parts de marché, qui n’ont plus aucune valeur, puis l’entreprise est liquidée. 73


Figure 30. Dessin provenant des études des étudiants de la Harvard School of Design, représentant une maison préfabriquée utilisant des composants de General Panel, 1943 Figure 31. Dessin de Walter Gropius représentant une maison extensible utilisant des composants General Panel, 1944. Figure 32. Maison préfabriquée de General Panel construite pour l'exposition dans le Queens, à New York, 1946.

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Figure 33. Plan de l'organisation de l'usine General Panel, Ă Burbank en Californie, 1947. Vue intĂŠrieure de l'usine de Burbank en Californie, 1947.

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II.2.c. Bilan : la Packaged House dans un contexte d’industrialisation du bâtiment

La Packaged House fut donc un échec commercial, avec un investissement d’environ 6 millions de dollars, pour approximativement 200 maisons construites en trois années de production à l’usine. Il est difficile de voir la cause de cet échec dans le projet architectural et technique tel qu’il est présenté au début de l’aventure. Le seul élément qui aurait pu être porteur d’échec a priori, c’est la rigidité du système et son caractère fermé. Mais en terme de conception, le projet était très dessiné, la chaîne de production conçue avec beaucoup d’exactitude et de détails, et la maison était, en terme de matériaux et de construction, de première qualité. Les raisons de l’échec sont évidemment multiples, à la fois générales (technique de la préfabrication, contexte politique) et particulières, propres à la Packaged House et à General Panel Corporation. Difficultés financières L’investissement privé de départ ainsi que l’investissement du gouvernement et le crédit de l’administration n’ont pas été suffisants pour financer le projet, ou lui donner un apport premier suffisant pour commencer une production de masse. Or la réduction des coûts n’était réalisable que si la production se faisait en masse. La difficulté qu’a connu General Panel est due au caractère vigoureusement compétitif de l’économie aux Etats-Unis. Le soutien du gouvernement dans leur cas a été une exception. La plupart des entreprises de maisons préfabriquées à l’époque sont des entreprises qui ont produit auparavant autre chose que des maisons, comme du mobilier, et qui, en bâtissant un empire commercial, on démarré leur production avec un capital de départ très important. Ce capital permettait d’amortir les investissements de départ. Dans le cas de General Panel, les crédits qui leurs sont alloués, de la part du gouvernement et de la part des banques, demandaient un remboursement dans un délai court, qui correspondait à un investissement traditionnel, mais pas à la temporalité nécessaire au logement. Sans investissement majeur de la part du gouvernement, le marché de la maison préfabriquée se dirigeait traditionnellement vers la classe ouvrière et la classe moyenne, ayant la capacité d’acheter une maison, mais pouvant être intéressée par une maison d’un moindre coût par rapport à la maison traditionnelle. Il est probable que même si la Packaged House était parvenue à une production de masse, elle n’ait pas été compétitive avec les maisons traditionnelles de l’époque. En effet, la plupart des maisons aux Etats-Unis étaient déjà largement composée d’éléments manufacturés, associés à de la maçonnerie donc à un chantier classique. Le coût du bâtiment était donc en constante compétitivité, en constant renouvellement, et le caractère fermé de la Packaged House ne lui aurait pas permis de 76


rivaliser avec la fluctuation des prix, la variable des marchés. En effet, dans le cas du système fermé de la Packaged House, il aurait été impossible d’échanger un élément de menuiserie ou de toiture trop coûteux pour un élément manufacturé par une autre industrie, ceux-ci n’étant pas combinables entre eux. On voit bien que dans le cadre de la comparaison avec la voiture, encore une fois la stratégie productive et commerciale est incomparable. L’idée que la production de masse peut réduire les coûts de l’objet est prouvée dans le domaine de l’automobile. Mais les premières voitures produites sur le marché étaient très chères, destiner une élite. Ce n’est qu’après avoir rentabilisé leur investissement, en créant une demande forte, puisque la production était faible, que les constructeurs automobile se sont lancés dans une production plus intense. La Packaged House a été dès le début un produit de grande qualité, destiné à une population de classe moyenne Difficultés techniques Les détails des panneaux autoportants, principaux éléments de la Packaged House, étaient souvent redondants, à cause de leur caractère universel. Le fait qu’ils puissent être interchangeables et modulables, grande priorité pour Wachsmann, les obligeaient à pouvoir être assemblés dans toutes les positions possibles, et donc les poussaient à une richesse technique parfois trop importante. General Panel demanda à plusieurs reprises à Wachsmann de simplifier le système, ce que Wachsmann se refusait à faire, pensant que la maison perdrait sa vocation universelle, son essence. L’utilisation du métal permettait des prouesses techniques, mais demandait un investissement important en terme de matières premières. Wachsmann était dans une optique de perfectionnement permanent, et continua de changer les détails de ses éléments, alors que les délais dans la production s’étiraient. Son trop grand perfectionnisme l’a poussé à prendre du retard sur la production. Difficultés politiques Les tensions entre Wachsmann et General Panel à propos de la nécessité de changer les objectifs du projet pour des raisons économiques ont profondément compliqué la production. Cependant, la Packaged House apparaît à un moment où tout dans la politique du logement pourrait jouer en sa faveur. Si l’investissement fut difficile à rassembler, la demande de logement à l’époque est telle, et les réussites d’autres entreprises de préfabriquées si importante, que le marché n’est pas à mettre en cause. Le projet avait toutes les conditions politiques pour être un succès commercial. En terme d’engouement de la part des habitants, Gilbert Herbert déclare que le critère n’était pas décisif. Comme on l’a dit, la demande était forte à l’époque, de plus les Etats-Unis ont une forte tradition de logements préfabriqués, et leur refus d’y habiter est moins systématique qu’en Europe.

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II.3. Jean Prouvé et les maisons de Meudon (1950 - 1953)

L’histoire de la construction des maisons de Meudon dans la carrière de Jean Prouvé est intéressante pour plusieurs raisons. Les maisons de Meudon sont conçues en 1949 et 1950, alors que Jean Prouvé a déjà conçu et réalisé de nombreux bâtiments préfabriqués depuis 1937, dans son atelier de Nancy qu’il dirige depuis 1924, et qu’il agrandira à Maxéville en 1946. Elles sont pour ainsi dire l’aboutissement de recherches qu’il mène depuis plusieurs années, et l’occasion de les mettre en œuvre. Ces réalisations ont lieu dans le cadre d’une véritable commande de la part du gouvernement au moment de la reconstruction. Elles permettent donc d’analyser quel rôle va jouer l’action du ministère de la Reconstruction dans le développement de la maison préfabriquée dans la période d’après-guerre. Enfin, le chantier a lieu jusqu’en 1952 alors qu’en 1953 Jean Prouvé se fait évincer des ses ateliers par l’entreprise l’Aluminium Français, qui en prendra la direction. Les maisons de Meudon constituent donc les dernières réalisations de Prouvé en tant que chef de son propre atelier, puisque ensuite ses réalisations seront essentiellement des collaborations avec d’autres architectes pour des commandes différentes. Pour étudier dans les maisons de Meudon nous nous appuierons essentiellement sur l’ouvrage de Christian Enjolras intitulé Jean Prouvé, Les maisons de Meudon 1949 – 1999117, puisque celui-ci décrit l’histoire de leurs constructions de manière complète, depuis la commande jusqu’à leurs évolutions après la construction. II.3.a. Genèse du projet : la commande de l’état (1949 – 1950)

La commande des maisons de Meudon connut des difficultés révélatrices du débat sur la méthode à choisir quant à la reconstruction en France après la guerre. Après la seconde guerre mondiale, le chantier est énorme, avec 1 888 000 logements endommagés dont 452 000 logements détruits118. Plusieurs facteurs rendent la reconstruction compliquée à envisager : les entreprises du bâtiment ont été affaiblies par la mise sous tutelle ayant eu lieu pendant l’occupation, et le pays connaît un déficit en matériaux de construction, en matières premières et en main-d’œuvre. A partir de 1945 et jusqu’en 1953, la reconstruction initiée par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (M.R.U.) connaît une phase d’expérimentation, jalonnée d’expériences diverses mais s’appuyant sur une volonté claire d’industrialiser le domaine de la construction. Le M.R.U. oscille entre le choix des grands-ensembles, celui des cités jardins, et les lotissements pavillonnaires. Finalement il va conjuguer ses efforts en faveur à la fois des grands ensembles et des 117

Enjolras, Christian. Jean Prouvé, Les maisons de Meudon, 1949-1999. Paris: Éditions de la Villette, 2003. Bulletin Mensuel d’Information Economiques, Paris, Ministère de l’Economie Nationale et des Finances, n°8, p.16, octobre 1945. In Enjolras, Christian. Op.cit. p.15. 118

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lotissements. En matière d’habitation individuelle, la volonté sera de proposer une alternative au logement traditionnel, en proposant des logements minimums, conçus pour être plus denses et regroupés que les lotissements classiques. Cependant la solution ne sera pas trouvée, et les hésitations des experts du gouvernement dans le domaine de la reconstruction feront échouer bien des projets119. Ces hésitations sont en fait dû à plusieurs facteurs importants : il y a un conflit d’intérêt par rapport au choix à faire en faveur de l’artisanat ou l’industrie, entre le secteur de la sidérurgie ou celui du béton ; ces choix influant directement sur les emplois. Le M.R.U. hésitera donc longuement entre une politique en faveur de la construction traditionnelle, et une politique en faveur de l’industrialisation lourde ou légère. Cependant, comme on l’a vu plus haut à propos de la question du retard de l’industrialisation dans le bâtiment, les ingénieurs à la direction de la Construction du ministère sont généralement en faveur de l’industrialisation du bâtiment, considérant comme les architectes de l’époque qu’il y a un retard à rattraper dans ce domaine. Lorsque Claudius Petit, ministre du la Reconstruction et de l’Urbanisme, visite ses ateliers à Maxéville en 1949, Jean Prouvé à déjà réalisé un nombre important de bâtiments dans le domaine de la préfabrication. Sa collaboration avec Marcel Lods en 1937 et 1938 pour le concours du ministère de l’Air l’avait mené à la conception d’une baraque démontable, qui fût réalisée dans un camp de vacances à Onville (figure 34 et 35). Pour ce projet il conçoit un principe de portique dont il dépose le brevet en 1939. Il poursuit ses études sur le préfabriqué à travers la conception d’une maison de vacances avec Charlotte Perriand dans les Alpes, des « écoles volantes » conçues avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret, et ses premières « Maisons Tropicales ». Pendant la guerre il conçoit des baraques pour le génie militaire, et ses maisons F8×8 et F8×12 avec Pierre Jeanneret. En 1945, Jean Prouvé réalise des baraques pour sinistrés et commence à s’impliquer dans la reconstruction. Lors de la conception des baraques préfabriquées pour reloger les sinistrés, Prouvé engage des relations avec le M.R.U., mais se heurte pour la première fois à un débat qui connaitra des rebondissements : faut-il financer des projets de relogement rapide mais provisoires, ou s’engager dans une reconstruction « en dur » ? Ce questionnement des débuts de la reconstruction est développé dans la conférence de Nancy en 1946120 (« En France on a dit : ‘pas de maisons provisoires’ »). Prouvé se fera le défenseur d’une reconstruction rapide dans des logements provisoires, argumentant en faveur de l’extrême urgence du relogement de la population. Il s’attaque alors au perfectionnement de ses maisons standards 8×8 et 8×12, et de son système à

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A Noisy-le-Sec on construisit un village expérimental de maisons légères, auquel l’Ordre des architectes s’opposera en commençant des pourparlers avec le M.R.U. In Enjolras, Christian. Op.cit. p.15. 120 Prouvé, Jean. "Il faut des maisons usinées", Conférence inédite du 6 février 1946. Paris: Ed. Messene, 1999.

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Figure 34. Baraque démontable, projet de concours pour le ministère de l'air, 1938 Figure 35. Maison démontable de weekend BPLS en acier, Marcel Lods et Eugène Beaudoin architectes, Jean Prouvé et les Forges de Strasbourg constructeurs, 1938.

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portique central. Lorsqu’il reprend contact avec le M.R.U., c’est avec André Marini, ingénieur compétent en matière de préfabrication, qui s’engage à commander une maison pour l’exposition au chantier expérimental de Noisy-le-Sec. Cependant l’ingénieur lui expose les réticences du ministère quand aux industriels qui prônent la préfabrication : le coût de la préfabrication est encore trop élevé par rapport au prix de la construction traditionnelle, et les recherches concernant le métal connaissent encore des problèmes en terme de corrosion. Finalement le gouvernement se tournera davantage vers la préfabrication en béton, sous l’influence de l’ingénieur G.H. Pingusson, qui n’est pas convaincu par les performances du métal. Cet abandon aura de lourdes conséquences pour la filière de l’acier et de l’aluminium. Prouvé va continuer ses recherches et s’atteler au projet des maisons tropicales. Ce n’est qu’en 1949 qu’il reprend contact avec le M.R.U. et change de stratégie. Il veut se diriger davantage vers des lotissements permanents que dans la construction de logements d’urgences. En juillet, les Ateliers obtiennent la confirmation qu’une commande de douze maisons va leur être proposée. L’attitude du ministère reste instable et va influer sur l’impossibilité des Ateliers à établir un budget : ils ne connaissent alors ni le nombre de maisons à construire, ni leurs types, ni leur lieu de destination. Sans avoir signé le contrat, les Ateliers commencent la production en prenant un risque évident. Selon Christian Enjolras, la lecture de courriers de l’époque montrent deux conséquences à cette instabilité : le constructeur prend un grand risque en s’engageant dans un projet aussi peu défini, et il reste dans un degré d’approximation très vaste quant à son investissement économique futur, n’ayant pas la certitude de la commande. Ce n’est finalement qu’en mars 1950 que le contrat de commande des douze maisons est finalement signé. Pendant les neuf mois précédents cette décision, de nombreuses discussions ont lieu avec le ministère, portant notamment sur : -

le coût des maisons : environ deux fois plus chers que des maisons traditionnelles ;

-

le choix des matériaux : Prouvé défend une maison totalement préfabriquée en métal, le M.R.U. penche pour un programme mixte aluminium et maçonnerie, et demande des garages sous les maisons. Proposition est faite d’utiliser les composants des douze maisons pour en construire une quinzaine, en mélangeant le métal avec de la maçonnerie.

Tout d’abord les maisons sont destinées à être installées à Chelles, puis à Sèvres, mais les municipalités refusent une à une. La municipalité de Sèvres aurait stipulé dans une réunion avec le ministère : « Nous n’avons pas demandé qu’on nous fasse cadeau de boîtes à sardines ». Finalement la ville de Meudon accueillera le projet. En mars 1950, le directeur de la Construction du M.R.U, M. Kérisel, qui s’était rendu dans les ateliers de Prouvé, émet un avis favorable à l’approbation des marchés, sous réserve. « L’avenir de la maison métallurgique Prouvé est subordonné aux conditions suivantes : M. Prouvé devra s’efforcer de rechercher une meilleure utilisation de la matière, en utilisant l’acier pour les 81


éléments structurels internes, l’aluminium pour les extérieurs, ce qui apportera une économie notable (…). M. Prouvé est bien d’accord sur cette évolution, et s’il n’a pas pu l’amorcer jusqu’ici, c’est en raison d’une certaine désaffection des aciéristes pour la maison en acier et des contingentements de ce métal. Il est disposé à rentrer dans ces vues avec l’appui des pouvoirs publics et l’encouragement du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme 121». Le 11 avril 1950, le marché est signé entre le M.R.U. et les Ateliers, (sans l’intermédiaire de la compagnie Studal, qui devait à un moment faire partie du marché). Des douze maisons de Meudon sera prélevée une maison de type 8×12 pour l’exposer à l’exposition de la Porte Maillot à Paris. Ainsi, le marché est signé, cependant le site de destination est encore inconnu, et Prouvé doit accepter l’idée de passer d’un système totalement en aluminium à un système hybride aluminiumacier ou aluminium-béton. On peut donc voir dans les péripéties entre le ministère de la Reconstruction et les Ateliers plusieurs éléments qui enrichissent notre analyse en ce qui concerne les rapports entre commande de l’Etat et avancées dans le domaine de la préfabrication. Tout d’abord le ministère n’est pas indifférent aux recherches des Ateliers de Jean Prouvé, et son désengagement n’est pas total, puisqu’il oscille pendant plusieurs années dans son choix entre le secteur du béton et celui du métal. Il est clair que Jean Prouvé bénéficie du soutien de certaines personnes au ministère, qui s’intéresse à son travail et à la qualité de ses productions. Cependant, les marchés les plus importants dans ces années là se dirigeront davantage vers la construction lourde en béton. Cette orientation rendra les commandes dans le domaine de l’acier et de l’aluminium moins importante, et donc plus expérimentale. II.3.b. Evolution du projet : modification de la commande et choix du site (1950 – 1953)

Au début de l’année 1951, le projet connaitra des rebondissements dus aux hésitations quant aux décisions à prendre de la part du M.R.U. Le ministère demande à Prouvé d’ériger une maison Porte des Ternes à Paris pour une exposition et de lui en communiquer les prix. Puis il modifie la commande de Meudon, alors que les travaux de terrassement ont commencé sur le site. Plus tard un courrier indique que la commande aux Ateliers fait état de deux maisons destinées à la ville de Roubaix, une maison devant être exposée Porte Maillot, treize maisons pour Meudon (quatre 8×8, six 8×12 et trois nouveaux modèles), ainsi qu’un petit collectif de douze logements. Finalement la commande se fixe en même temps que les travaux commencent sur le terrain. A la signature du projet la ville de Meudon a donné son accord pour accueillir les maisons, mais le 121

Enjolras, Christian. Op.cit. p.28.

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terrain n’est pas encore défini. Plus tard on trouvera un site de 14 050 m2, en limite avec Suresnes. Le terrain est un domaine public non cadastré, en longueur (223 m par 60 m), au relief accidenté (dénivelé de 26 m environ). Sa limite nord, sur la grande longueur, se situe à la lisière de la forêt de Meudon, propriété de l’Etat. Lorsque le terrain est réquisitionné par le M.R.U., huit des douze maisons sont déjà construites aux Ateliers. L’implantation définie par le plan masse, réalisé par André Sive du M.R.U. et Henri Prouvé

(architecte et frère de Jean Prouvé), connaitra des

difficultés et des modifications en raison des contraintes du terrain. Bientôt, dix des quatorze soubassements des maisons sont réalisés et construits sur le terrain. Le plan-masse suit l’organisation suivante. La partie connaissant la plus forte déclivité reste non-construite, et on conservera ses arbres existants. Les deux zones les plus plates du terrain reçoivent sept maisons (n°1, 2, 8, 9, 10, 11, 13, 14). Elles sont regroupées par quatre, leurs séjours orientés au sud. La partie inférieure reçoit le reste des maisons (n°3, 4, 5, 6, 7), située de manière à avoir leurs séjours au sud et à permettre le passage de la voirie au tracé organique suivant le modèle d’un parc à l’anglaise (figure 36). Le plan général favorise une diversité spatiale, du à la complexité du terrain, et une diversité formelle, avec les différents niveaux et les différents socles des maisons dans la pente. II.3.c. Description des maisons de Meudon

Les maisons de Meudon sont de deux types, connaissant chacun deux variantes (figure 38 et 39). Ces deux types représentent deux expériences innovantes pour Prouvé, chacun à des stades différents d’investigations. Les maisons à portiques, conçues avant le début du projet et sans la connaissance du terrain d’implantation, ont connu une évolution lente de plusieurs années. A Meudon, c’est la première fois que le système de portiques est utilisé pour de l’habitation permanente, mais il avait déjà été expérimenté pour des habitats d’urgence. Les maisons à coques sont une idée nouvelle. Des prototypes de bâtiments à coques avait déjà été conçus, mais c’est la première fois que Prouvé veut utiliser ce système constructif pour de l’habitation. Certaines maisons à portiques ayant été réquisitionnées par le M.R.U. pour être exposés à Royan et Roubaix, des maisons à coques les remplacèrent. Les maisons à portiques Les maisons à portiques sont construites en deux standards différents : 8×8 et 8×12. Le premier modèle fait environ 64 m2, ce sont les maisons n°1, 11, 12, 13. Il connaît comme on l’a dit une évolution pendant le déroulement même de la commande. Des recherches sur les maisons à portiques ont été faites dans les ateliers depuis 1938. Le système de portique consiste à encastrer dans le sol des portiques transversaux,

complétés de portiques longitudinaux constitués de 83


Figure 36. Plan de Situation du terrain réquisitionné par le M.R.U. Reconstitution du terrain d'accueil de l'opération d'après les documents initiaux. Reconstitution du plan masse de l'opération d'après les documents initiaux.

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Figure 37. Reconstitution des coupes de principe d'implantation des maisons d'après les documents initiaux.

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l’assemblage de poutre faîtières sur les murs pignons. La structure générale est en tôle pliée. La toiture est constituée de grands bacs autoportants associés entre eux, et dont le périmètre est encastré dans les panneaux de façades. La façade est constituée de panneaux variés, interchangeables et légers. Le programme comprend un séjour de 28 m2, une cuisine de 6 m2, une salle d’eau de 6 m2, deux chambres de 12 m2 chacune. Le plan est organisé à partir d’une trame de 1m par 1m. La rigueur du plan n’empêche pas une certaine flexibilité et adaptabilité des espaces, avec la possibilité de changer certaines cloisons de place. Le plan est organisé autour du séjour qui est distributif. La cuisine devient un véritable laboratoire, et s’ouvre à l’américaine sur le salon, une idée novatrice pour l’époque. La coupe montre une certaine volonté de maîtriser les éléments de chauffage afin de créer un microclimat à l’intérieur de la maison, avec du chauffage par le sol, une idée nouvelle à l’époque. La maison montre une grande rationalité des éléments entre eux : les fenêtre et les portes coulissent, les chemins de câbles sont cachés dans les montants de la structure. On remarquera la place du portique au centre du séjour, isolé et exposé à la vue, comme un élément constitutif de la maison elle-même. La réception de la maison par le public fût positive, quoique l’exposition fût de petite envergure. L’exposition montrée dans le nord de la France à Roubaix et à Royan proposait un référendum. Posant la question « est-ce que la disposition intérieure vous plaît ? », 96 % des personnes interrogées répondaient positivement. La maison à portique 8×8 est donc une maison de taille modeste, permettant de varier les sources lumineuses et présentant une série d’innovation technique qui la rende confortable. En terme constructif, on y voit la disparition progressive de la séparation traditionnelle entre éléments porteurs et éléments de remplissage. La plupart des éléments de la maison à portiques sont à la fois structure et enveloppe. Le second modèle, dérivé du premier est la maison à portique 8×12. Elle est plus généreuse et fait environ 96m2. Sa longueur de 12m est possible grâce à l’ajout d’un portique interne, les portant au nombre de deux, créant une trame de 3×4 m dans la grande longueur de la maison. Le séjour est de 28 m2, la cuisine de 12 m2, la salle d’eau de 6m2 avec des WC à part de 2 m2, et la maison possède trois chambres de 12 m2 chacune. Comme la maison 8×8, sa façade est constituée de panneaux interchangeables, apportant une certaine modularité à la maison. En fonction de sa position sur le site, la maison peut se voir complétée par des auvents extérieurs, rattachés à la toiture principale.

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Figure 38. Portique, élément porteur, générateur des constructions à portiques. Figure 39. Coque, élément autoportant, générateur des maisons à coque et double coques.

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Figure 40. Plan et coupe de la maison 8Ă—8

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Figure 41. Plan et coupe de la maison 8Ă—12.

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Les maisons à coques Les maisons à coques existent en deux modèles : type A et type B. Elles témoignent d’un désir d’expérimentation de la part de Prouvé à Meudon, qui n’avait jamais construit d’habitations de ce type auparavant. Le système de coque est constitué de douze éléments de coques assemblés entre deux pignons épais construits en maçonnerie (moellons de pierre). La structure des coques est faite de longerons et d’entretoises en profil d’acier, et d’une double enveloppe. La face supérieure est en tôle d’aluminium lisse cannelée, la face intérieure en Isorel de 20 mm, monté sur profil Oméga. Ce sandwich est complété à l’intérieur par deux couches de laine de verre, entre lesquels un espace permet la circulation de l’air. Les façades sont encore une fois en panneaux modulaires. L’ensemble doit être ancré dans une dalle de béton coulée de 7 m par 12 m. La maison n°6 de Meudon est du type A et son programme est le suivant. Au sous-sol : un garage, un chaufferie, une soute à charbon, 38 m2. A l’étage principal : une entrée avec une penderie de 4,5 m2, un séjour de 24,5 m2, une cuisine de 8,6 m2, deux chambres de 12 m2, une chambre de 6,4 m2, une salle de bain de 4,4 m2, un WC de 1,6 m2, une galerie extérieure de 10 m2. Le séjour commande les deux grandes chambres par des portes coulissantes, la cuisine est reliée au salon par un passe-plat. Le type B est constitué d’une toiture à double coque inversée. Leurs portées sont de 4 et 6 m. Le chéneau central est tenu par deux murs de maçonnerie. La maison n°4 est du type B, elle est constituée d’un sous-sol de 40m2 comprenant un garage, une chaufferie, une soute à charbon, une cave. A l’étage on trouve un grand volume comprenant entrée, séjour, coin repas et chambre, faisant 31 m2 ; une cuisine ouverte de 10 m2, une chambre de 12 m2, une salle de bain avec WC de 4 m2, et une galerie extérieure de 9 m2. L’innovation du plan réside dans la disparition des surfaces de distribution, et leur annexion par les pièces à vivre. La grande chambre et le séjour sont séparés par une paroi coulissante. Les deux chambres sont séparées par un meuble épais. Le concept innovant du système de coque pour la structure disparaît en fait dans la masse des murs de maçonnerie, ce qui est un des défauts de ces maisons, qui auraient pu être extrêmement légères et construites en un seul matériau.

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Figure 42. Plan et coupe des maisons Ă simple coque.

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Figure 43. Plan et coupe des maisons Ă double coques.

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II.3.d. Bilan : les maisons de Meudon dans un contexte d’industrialisation du bâtiment

Les maisons de Meudon sont ce que Jean Prouvé attendait pour faire passer ses ateliers d’une économie de guerre à une production de qualité d’une maison comme nouveau bien de consommation. Le projet est l’occasion d’innover dans deux domaines, selon Christian Enjolras122 : -

une « production mécanisée » de tous les éléments de la maison, avec les maisons standards 8×8 et 8×12.

-

une « production en série » d’éléments composants un tout mais pouvant être montés dans des constructions diverses. Cette production permet une certaine modularité dans la conception des maisons.

Cependant les moyens en place l’époque à l’atelier ne permettent pas une production en grande série (figure 44). La commande reste petite, on assiste donc à une préfabrication industrielle, dans le sens où la préfabrication est effectuée avec les moyens d’une usine ; mais pas à une préfabrication en série. La réalisation se résume à 3 maisons à portiques 8×8, sept maisons à portiques 8×12, deux maisons à coques de type A, et deux maisons à coques de type B. Le projet de Meudon ne permettra pas de réaliser à Maxéville une usine-pilote, comme l’aurait souhaité Jean Prouvé. L’évolution du marché de l’aluminium et de l’acier, à l’époque encore incertain, va finalement se préciser vers 1950 alors que le projet a déjà commencé. Les maisons d’acier et d’aluminium, à l’avenir encore prometteur, apparaissent au moment où l’économie de la construction française va finalement se diriger vers le béton et l’asphalte, et seront donc bientôt synonymes d’une époque révolue. De la préfabrication en usine, à la réalisation au chantier Préfabrication à Maxéville La fabrication à Maxéville suit une méthodologie semblable à d’autres ateliers dans le secteur de la mécanique. Il s’agit, au regard des plans de construction de l’époque, d’ « une logique de construction mécanique appliquée avec pragmatisme au bâtiment », analyse Christian Enjolras123. La fabrication à l’usine va être confrontée à trois difficultés : le prix de la matière première, le coût de la fabrication (que Prouvé sous-estime car il l’évalue part rapport la capacité d’une usine pouvant produire de manière industrielle), et la définition des objets finis (les ateliers sont-ils responsable de l’assemblage des pièces, de la connexion aux réseaux ? où s’arrête la préfabrication ?). Pour pallier au coût des matières premières, l’intérieur des maisons sera réalisée en acier plutôt qu’en aluminium, cependant les prix resteront très élevés. 122

Enjolras, Christian. Op.cit. p.69.

123

Enjolras, Christian. Op.cit. p.90.

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Finalement les délais de travaux sont à peu près respectés, parce que la fabrication de certaines maisons commence avant même la signature du marché. Cependant la diversité des types éloigne de la production en série. Il n’y aura finalement pas de séries mais on peut parler de quatre prototypes. L’équipement des ateliers et l’investissement garanti par l’Etat ne permettent pas la grande série, or techniquement la méthodologie est semblable à ce qu’elle pourrait être en cas de production à la chaîne. Il y a donc un certain décalage entre les moyens donnés au projet, et donc les possibilités matérielles qui en résultent, et la capacité technique des ateliers. Assemblage sur le chantier de Meudon Les travaux sur le chantier ne peuvent être évités vu le relief du site et sa complexité. Des entreprises extérieures vont donc intervenir en ce qui concerne la voirie, les réseaux, le drainage, le gros-œuvre et la maçonnerie, la fourniture et la pose des maisons, etc. Cela augmente encore les coûts du projet, les dépenses étant différentes du budget alloué aux ateliers. A travers les courriers échangés entre le M.R.U. et les ateliers, retranscrites dans l’ouvrage de Christian Enjolras, on découvre les difficultés qu’a connu le chantier pendant tout son déroulement. La difficile coordination entre les intervenants est entre autre un facteur qui découle de la séparation entre la fabrication à l’usine et la mise en place sur le chantier. Si la préfabrication simplifie cette mise en place, l’assemblage sur le site reste complexe, dotant plus que certaines maisons présentent des mélanges acier / aluminium / maçonnerie. Dans tous les travaux qui nécessitent un partage des compétences et des spécialités, on retrouve finalement les aléas du chantier traditionnels. Ce chantier fut donc difficile mais il faut garder à l’esprit qu’il était hautement expérimental, et qu’il a eu lieu dans un contexte d’après-guerre, de pénurie de matériaux et de main-d’œuvre, lorsque les retards sur les chantiers étaient assez fréquents. Bilan La méthode Prouvé consiste à toujours réaliser une idée constructive. « J’ai horreur de dessiner sans construire124», disait-il. A Meudon, il a eu la possibilité d’expérimenter ses méthodes constructives, même si les difficultés financières et les difficultés de mise en place du projet et du chantier avec le gouvernement semblent avoir pris une grande importance. Pour pouvoir se poser la question de l’industrialisation du projet et de sa réussite en ces termes, il faut se replacer dans le contexte de l’époque. La quantité limitée par la commande n’a permis la construction que de prototypes. Dans les années 1950, les ateliers se trouvent dans une période de transition entre méthodes artisanales et méthodes industrielles, ce qui est le cas dans tout le pays. Cependant, le choix fait par la France de privilégier l’industrialisation du bâtiment par la préfabrication lourde en béton va rendre cette transition 124

Clayssen, Dominique. «Un entretien avec Jean Prouvé» Technique & Architecture, n° 327 (novembre 1979): pp.143146.

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Figure 44. Plan pilote des ateliers de Maxéville. Photo de la presse-plieuse "Pels", souvent montrée pour montrer la capacité technique de l'atelier de tôlerie de Maxéville à produire industriellement.

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Figure 45. Dessins techniques montrant les éléments de la porte simple vitrée de panneau ouvrant extérieurement, de la maison standard 8×8. Figure 46. Porte d’entrée de la maison n°12.

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difficile, alors que dans d’autres pays d’Europe elle s’est faite de manière plus lente. Le fait que les maisons n’aient pas été produites à la chaîne influera sur le fait que le produit restera adapté à une construction semi-artisanale. Même si dans les dessins, dans les matériaux, en théorie, le produit aurait pu être industrialisé, la réalisation en seulement quelques exemplaires le renvoie à sa nature de prototype. Comme il n’y a pas eu de fabrication à la chaîne, en série, l’évaluation du coût de la petite série ou du prototype fut complexe. Les ateliers surestiment les coûts, et le budget des prototypes n’est pas fiable. Quoi qu’il en dise, Jean Prouvé ne possédait pas à l’époque les éléments nécessaires pour chiffrer de façon réaliste une production industrielle en grande série. Selon Christian Enjolras, les chiffres avancés « ont pour seul crédit l’espoir d’un constructeur qui croit en son projet125». Les problèmes liés à la réalisation furent un autre défaut du projet. Régler des erreurs d’assemblage devient très compliqué lorsque la maison est déjà livrée. Comme tout produit industrialisé, il aurait fallu aux maisons de Meudon un service après-vente, un stock de pièces de rechanges… Or l’absence de ces services représente encore aujourd’hui une difficulté pour les habitants de ce projet expérimental et unique.

Conclusion

L’analyse des discours des architectes du Mouvement moderne nous amène à la conclusion qu’ils voyaient en la maison préfabriquée la possibilité de résoudre les problèmes du logement par l’industrialisation du bâtiment. Cette industrialisation par la préfabrication était entendue comme un système fermé, totalement préfabriqué, et qui serait produit en masse. S’inscrivant dans la réflexion de leur époque, ils ont continués une histoire constructive de la préfabrication par leurs discours, en l’amenant au stade de la doctrine. Par leurs réalisations, ils ont constitués des exemples pour les générations futures. Les réalisations des trois architectes que nous avons choisi, représentatifs de ce courant et de cette époque, Le Corbusier, Gropius, et Prouvé, nous amènent à ces conclusions. A travers leurs réalisations ou leurs projets, la maison Loucheur, la Packaged House, les maisons de Meudon ; les architectes sont parvenus à une forme de réalisations de leurs théories. Ils ont conçu des systèmes qui montraient que la préfabrication en tant que fabrication d’éléments en amont du chantier était possible. Cependant ils ont échoué là où leur utopie devait trouver son application la plus forte : dans la production de masse. 125

Enjolras, Christian. Op.cit. p.172.

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Leur aboutissement est différent pour chacun : la maison Loucheur ne sera jamais fabriquée, pas même en prototype ; la Packaged House sera exposé et vendue en quelques exemplaires, puis modifiée pour l’armée ; les maisons de Meudon seront vendues en 14 exemplaires. Dans les trois cas, il y a le déclenchement d’une commande par le gouvernement, qui à des périodes différentes (première ou seconde guerre mondiale) et dans des pays différents (France ou EtatsUnis), a senti en la préfabrication la possibilité d’une résolution de la pénurie de logements. Cette commande est soit antérieure (le Corbusier et les maisons Loucheur), soit postérieure (la Packaged House et les maisons de Meudon) à l’élaboration du projet de la part des architectes. Dans les deux cas, elle s’adresse à des architectes dont l’intérêt pour l’industrialisation du bâtiment et la préfabrication du logement est déjà confirmé. Les projets de nos architectes se heurtent toujours à un renoncement progressif du gouvernement pour cette méthode de fabrication, et pour le type de logement individuel. Dans le cas des maisons Loucheur, le gouvernement arrête le financement de la loi Loucheur avant que le projet est pu être construit. Dans le cas de la Packaged House, le gouvernement va accorder une aide à l’entreprise General Corporation, juste avant l’arrêt de financement d’autres projets. Pour les maisons de Meudon, le financement sera mené à bien, mais l’hésitation de l’Etat à prendre position rallongera les délais de l’opération. Dans les deux projets qui iront jusqu’à la production, les maisons de Meudon et la Package House, il y aura le même problème d’investissement, de mauvais rapport entre l’offre et la demande. On ne commande pas assez de maisons, donc l’usine reste un atelier de petite production. Et quand la commande augmente, elle ne peut l’assurer, ayant déjà à rentabiliser les investissements par les petites commandes. Ces problèmes sont aussi dus au fait que l’investissement de base n’est pas assez conséquent pour lancer directement une grande production. Dans ces deux cas également, ce n’est pas faute de précision technique que le projet échoue à la grande production. Dans le cas de la Packaged House c’est peut-être la trop grande précision technique qui rendra la production difficile. Pour la Packaged House et les maisons de Meudon, on sent chez leurs architectes un désir ardent de les porter à la production, une croyance inébranlable en leurs systèmes, qui les poussera à se lancer dans l’aventure sans vraiment avoir de vision à long terme en matière de financement. Il y a donc, si l’on revient à notre partie portant sur la crise de la doctrine, un vrai problème au niveau de l’investissement de l’état. La grande industrie et l’Etat ne se sont pas « emparés du bâtiment », comme l’avait prédit Le Corbusier. L’Etat va tout de même s’investir dans la préfabrication, mais comme on l’a dit, la préfabrication lourde et portant sur le logement collectif. Si l’on voulait continuer notre étude, il faudrait donc voir quel a été le rôle de l’Etat dans la préfabrication lourde, et également pourquoi, malgré cette prise de position de l’Etat, les entreprises privées parviennent à la préfabrication de logement individuel avec un succès commercial, de 98


quelle manière finance-t-elle leur investissement de départ pour une production en masse. La production en masse des maisons préfabriquées des architectes serait donc rendue impossible par le manque d’investissement de la part de l’état ou d’un investisseur, et le manque d’adhésion de ces derniers à ce type d’habitation. Elle serait complexe à mettre en oeuvre parce que les architectes ont des difficultés à construire des systèmes techniques à produire industriellement qui seraient simples et économiques. La production de masse n’est pas rentable car, en système fermé, elle ne permet pas d’être concurrente en terme de coût. Enfin, il y a dans l’idée de la maison préfabriquée quelque chose qui remet fondamentalement en cause la place de l’architecte lui-même. Comme le dit Prouvé : « Chaque architecte veut dessiner son ‘truc’126». Si toutes nos maisons étaient produites en masse, en série, modulable selon un schéma similaire, toutes construites de la même manière, que deviendrait l’architecte ? Les architectes du Mouvement moderne pensaient la préfabrication comme la résolution de tous les problèmes économiques et techniques liés à l’habitation. Ils ne voulaient pas voir en la préfabrication la disparition de l’architecte, et de son œuvre unique : le prototype.

126

Prouvé, Jean. In Clayssen, Dominique. «Un entretien avec Jean Prouvé.» Technique & Architecture, n° 327 (novembre 1979): pp.143-146. (Bourdieu 2000)

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Bibliographie Ascher, François. Architecture et Industrie, passé et avenir d'un mariage de raison. Paris: Centre de Création Industrielle, Centre Pompidou, 1983. Bergdoll, Barry, Christensen, Peter. Home Delivery, Fabricating the modern dwelling. New York: The Museum of Modern Art, Birkhaüser, 2008. Bourdieu, Pierre. Les structures sociales de l'économie. Paris: Editions du Seuil, 2000. Clayssen, Dominique. Jean Prouvé, l'idée constructive. Paris: Ed. Bordas, 1983. Clayssen, Dominique. «Un entretien avec Jean Prouvé.» Technique & Architecture, n° 327 (novembre 1979): pp.143-146. Cohen, Jean-Louis, Damisch, Hubert. Américanisme et modernité : l'idéal américain dans l'architecture et l'urbanisme. Paris: Flammarion, 1993. Davies, Colin. The Prefabricated Home. London: Reaktion Books Ltd, 2005. Enjolras, Christian. Jean Prouvé, Les maisons de Meudon, 1949-1999. Paris: Éditions de la Villette, 2003. Ford, Henry. Mein Lieben und werk. Leipzig: List, 1923. Giedion, Sigfried. Espace, temps, architecture [« Space, Time and Architecture - Harvard, Cambridge Univ. Press »]. Denoël, coll. « Médiations », 1941 (réimpr. 1978, 2004). Gropius, Walter. Apollon dans la Démocratie, La nouvelle architecture et le Bauhaus. Bruxelles: Editions de la Connaissance, 1969. —. Architecture et Société. Paris: Editions du Linteau, 1995. Herbert, Gilbert. Pioneers of Prefabrication : The British Contribution in the Nineteeth Century. Baltimore and London: The John Hopkins Press, 1978. —. The dream of the factory-made house : Walter Gropius and Konrad Wachsmann. Cambridge, Mass.: MIT Press, 1984. Lavalou, Armelle. Jean Prouvé par lui-même. Paris: Éditions du Linteau, 2001. Le Corbusier. Vers une Architecture. Paris: Flammarion, 2005. Le

Corbusier,

Jeanneret,

Pierre.

Oeuvre

Complète,

1910-1929.

Zurich:

Les

Editions

d'Architectures, 1964. Lucan, Jacques. Le Corbusier, une encyclopédie. Paris: Centre Pompidou, 1987. McLeod, Mary. «Architecture or revolution : taylorism, technocracy, and social change.» Art Journal, n° 43 (été 1983): p.133. Moos, Stanislaus von. L'Esprit nouveau: Le Corbusier et l'industrie 1920-1925. Berlin: Museum für Gestaltung, 1987. Neder, Frederico. Buckminster Fuller. Gollion: Infolio, 2008. —. Les maisons de Fuller, La Dymaxion House de R. Buckminster Fuller et autres machines à habiter. Gollion: Infolio, 2008. Prouvé, Jean. "Il faut des maisons usinées", Conférence inédite du 6 février 1946. Paris: Ed. Messene, 1999.

100


—. Architecture / Industrie. Paris: Klient, 1968. Resendiz-Vasquez, Aleyda. «L'industrialisation du bâtiment. Le cas de la préfabrication dans la construction scolaire en France (1951-1973).» Thèse de doctorat en Histoire des Techniques et de l'Environnement, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, 2010. Séron-Pierre, Catherine. «Maisons sur catalogue.» AMC, n° 169 (mars 2006): p.106-118. Von Vegesack, Alexander. Jean Prouvé, La poétique de l'objet technique. Weil: Vitre Design Museum, 2006.

Table des illustrations FIGURE 1. EN COUVERTURE : IMAGE TIREE DU FILM ONE WEEK DE BUSTER KEATON (1920) ................................................ 3 FIGURE 1. MONTAGE D'UNE LARGE CHARPENTE - BALLON ........................................................................................................ 15 FIGURE 3. EGLISE PREFABRIQUEE EN ACIER EN 1886 EN OXFORDSHIRE ............................................................................... 15 FIGURE 4. MAGASIN CONSTRUIT EN CHARPENTE – BALLON A ST AUGUSTINE EN FLORIDE ................................................ 15 FIGURE 5. AXONOMETRIE DE LA MAISON MANNING PORTABLE, VERS 1833. .......................................................................... 15 FIGURE 6. DEUX PAGES DU CATALOGUE MODERN HOMES DE MAISONS SEARS, ROEBUCK & COMPANY......................... 17 FIGURE 7. BROCHURE MICHELIN DATANT DE 1925. UN EXEMPLE DE L’APPLICATION DE L A METHODE TAYLOR ............. 21 FIGURE 8. UN AUTOMOBILISTE ADMIRE LA CATHEDRALE DE CHARTRES (L’ILLUSTRATION OCTOBRE 1925) .................... 23 FIGURE 9. LE CORBUSIER DEVANT SA VOISIN (VERS 1925) ........................................................................................................ 23 FIGURE 10. VOITURE DELAGE DANS VERS UNE ARCHITECTURE .............................................................................................. 24 FIGURE 11. VOITURE CITROËN EN COUVERTURE DU CHAPITRE MAISONS EN SERIE DE VERS UNE ARCHITECTURE ..... 24 FIGURE 12. GRAPHIQUE DE GROPIUS ............................................................................................................................................ 24 FIGURE 13. PLAN DE LA CITE CONSTRUITE EN 1926-1928 A TÖRTEN – DESSAU PAR GROPIUS ........................................... 25 FIGURE 14. PREMIERES HABITATIONS ACHEVEES, MURS DE REFENDS PARE-FEU, POTEAUX-POUTRES BETON ............ 25 FIGURE 15. FABRICATION ET STOCKAGE DES PIECES CREUSES EN BETON SUR LE CHANTIER ........................................ 25 FIGURE 16. VUE AXONOMETRIQUE DE L’ENSEMBLE DE LA 2CV CITROËN MODELE 1953. ..................................................... 51 FIGURE 17. COUPE SUR LA VOITURE MAXIMUM, PROJET DE LE CORBUSIER ......................................................................... 52 FIGURE 18. VOITURE ADLER STANDARD 6, 1927 .......................................................................................................................... 52 FIGURE 19. VOITURE ADLER STANDARD 8, 1931.. ......................................................................................................................... 52 FIGURE 20. DESSIN DE JEAN PROUVE DE LA 2CV CITROËN POUR SES COURS AU CNAM .................................................... 52 FIGURE 21. PLAN DE LA MAISON LOUCHEUR A L’ECHELLE 1:200E, AMENAGEMENT DE JOUR ET DE NUIT. ........................ 61 FIGURE 22. CROQUIS PERSPECTIFS DE LA MAISON LOUCHEUR ............................................................................................... 62 FIGURE 23. AXONOMETRIE ET PLANS DE DEUX MODELES DE MAISONS LOUCHEUR. ........................................................... 63 FIGURE 24. SYSTEME DE PREFABRICATION DE WACHSMANN, PROJET PRECEDENT LA PACKAGED HOUSE - PLANS MONTRANT LA COMBINAISON DE PANNEAUX PREFABRIQUES ET PLANS, ELEVATIONS ET AXONOMETRIES DES CONNECTEURS DU SYSTEME, 1939. .................................................................................................................................... 65 FIGURE 25. DETAILS DES CONNECTEURS MODIFIES POUR LE PROJET DE LA PACKAGED HOUSE, 1941. DETAILS DES PANNEAUX MODIFIES POUR LE PROJET DE LA PACKAGED HOUSE, 1941. COUPE PERSPECTIVE DU NOUVEAU PROJET DE LA PACKAGED HOUSE, 1941. ............................................................................................................................ 67 FIGURE 26. PLANS ET AXONOMETRIE REPRESENTANT LA PACKAGED HOUSE, TYPE A, 1942. ............................................ 69 FIGURE 27. BROCHURE DE PRESENTATION DE LA PACKAGED HOUSE, WALTER GROPIUS, 1942. ...................................... 70

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FIGURE 28. MAISON DE DEMONSTRATION POUR L'EXPOSITION A SOMMERVILLE DANS LE MASSACHUSETS, 1943. ....... 72 FIGURE 29. COUPE ET ELEVATION DE LA MAISON PREFABRIQUEE TYPE TDU-1, 1943. PLANS, COUPES, ET AXONOMETRIES D'UNE BARAQUE FABRIQUEE AVEC DES COMPOSANTS GENERAL PANEL, 1943. ........................... 72 FIGURE 30. DESSIN PROVENANT DES ETUDES DES ETUDIANTS DE LA HARVARD SCHOOL OF DESIGN, REPRESENTANT UNE MAISON PREFABRIQUEE UTILISANT DES COMPOSANTS DE GENERAL PANEL, 1943 .......................................... 74 FIGURE 31. DESSIN DE WALTER GROPIUS REPRESENTANT UNE MAISON EXTENSIBLE UTILISANT DES COMPOSANTS GENERAL PANEL, 1944. ........................................................................................................................................................... 74 FIGURE 32. MAISON PREFABRIQUEE DE GENERAL PANEL POUR L'EXPOSITION DANS LE QUEENS, A NEW YORK, 1946. 74 FIGURE 33. PLAN DE L'ORGANISATION DE L'USINE GENERAL PANEL, A BURBANK EN CALIFORNIE, 1947. ......................... 75 VUE INTERIEURE DE L'USINE DE BURBANK EN CALIFORNIE, 1947. ........................................................................................... 75 FIGURE 34. BARAQUE DEMONTABLE, PROJET DE CONCOURS POUR LE MINISTERE DE L'AIR, 1938 ................................... 80 FIGURE 35. MAISON DEMONTABLE DE WEEKEND BPLS, 1938. ................................................................................................... 80 FIGURE 36. PLAN DE SITUATION DU TERRAIN REQUISITIONNE PAR LE M.R.U. ........................................................................ 84 RECONSTITUTION DU TERRAIN D'ACCUEIL ................................................................................................................................... 84 RECONSTITUTION DU PLAN MASSE DE L'OPERATION. ................................................................................................................ 84 FIGURE 37. RECONSTITUTION DES COUPES DE PRINCIPE D'IMPLANTATION DES MAISONS. ............................................... 85 FIGURE 38. PORTIQUE, ELEMENT PORTEUR, GENERATEUR DES CONSTRUCTIONS A PORTIQUES. ................................... 87 FIGURE 39. COQUE, ELEMENT AUTOPORTANT, GENERATEUR DES MAISONS A COQUE ET DOUBLE COQUES. ................ 87 FIGURE 40. PLAN ET COUPE DE LA MAISON 8×8 ........................................................................................................................... 88 FIGURE 41. PLAN ET COUPE DE LA MAISON 8×12. ........................................................................................................................ 89 FIGURE 42. PLAN ET COUPE DES MAISONS A SIMPLE COQUE. .................................................................................................. 91 FIGURE 43. PLAN ET COUPE DES MAISONS A DOUBLE COQUES. .............................................................................................. 92 FIGURE 44. PLAN PILOTE DES ATELIERS DE MAXEVILLE. PHOTO DE LA PRESSE-PLIEUSE "PELS" ...................................... 95 FIGURE 45. DESSINS TECHNIQUES MONTRANT LES ELEMENTS DE LA PORTE SIMPLE VITREE DE PANNEAU OUVRANT EXTERIEUREMENT, DE LA MAISON STANDARD 8×8. .......................................................................................................... 96 FIGURE 46. PORTE D’ENTREE DE LA MAISON N°12. ..................................................................................................................... 96

Sources documentaires Figure 1 - Keaton, Buster, Cline, Edward. One Week. Los Angeles : Metro Picture, 1920. Figure 2, 3, 4, 5, 6 - Bergdoll, Barry, Christensen, Peter. Home Delivery, Fabricating the modern dwelling. New York: The Museum of Modern Art, Birkhaüser, 2008.

Figure 7 - Ascher, François. Architecture et Industrie, passé et avenir d'un mariage de raison. Paris: Centre de Création Industrielle, Centre Pompidou, 1983.

Figure 8, 9 - Moos, Stanislaus von. L'Esprit nouveau: Le Corbusier et l'industrie 1920-1925. Berlin: Museum für Gestaltung, 1987.

Figure 10, 11 - Le Corbusier. Vers une Architecture. Paris: Flammarion, 2005. Figure 12, 13, 14, 15 - Gropius, Walter. Architecture et Société. Paris: Editions du Linteau, 1995.

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Figure 16, 20 et 34 à 46 - Enjolras, Christian. Jean Prouvé, Les maisons de Meudon, 19491999. Paris: Éditions de la Villette, 2003.

Figure 17, 18, 19 – Margolius, Ivan. Automobiles by architects. Chichester : Wiley-Academy , 2000.

Figure 21, 22, 23 - Le Corbusier, Jeanneret, Pierre. Oeuvre Complète, 1910-1929. Zurich: Les Editions d'Architectures, 1964.

Figure 24 à 33 - Herbert, Gilbert. The dream of the factory-made house : Walter Gropius and Konrad Wachsmann. Cambridge, Mass.: MIT Press, 1984.

Annexes Bibliographie du tableau chronologique Bibliographie des ouvrages ayant été utilisés pour compléter le tableau chronologique de la partie « I.1.a. L’histoire de la maison préfabriquée : un débat à travers les publications spécialisées » : - Bergdoll, Barry, Christensen, Peter. Home Delivery, Fabricating the modern dwelling. New York: The Museum of Modern Art, Birkhaüser, 2008. - Davies, Colin. The Prefabricated Home. London: Reaktion Books Ltd, 2005. - Moos, Stanislaus von. L'Esprit nouveau: Le Corbusier et l'industrie 1920-1925. Berlin: Museum für Gestaltung, 1987.

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RÉSUMÉ : L'idée de la maison préfabriquée a longtemps passionné les architectes. A différentes époques, ils ont pensé qu'elle serait la solution à la crise du logement, à l'inertie du secteur du bâtiment, à la pénurie des matériaux. Qu'est-ce que la maison préfabriquée ? D'où vient-elle ? Comment retracer son histoire ? Les architectes du Mouvement moderne sont les premiers à théoriser la maison préfabriquée. Ils s'inspirent d'une histoire constructive et industrielle en perpétuelle évolution, et fabriquent une doctrine de la préfabrication. Cette doctrine pense la préfabrication comme un système fermé, total, duquel sortirait une maison standard reproduite à la chaîne, en série. La maison préfabriquée estelle nécessairement une maison produite en masse ? Est-elle nécessairement conçue dans un système fermé ? Nous analyserons les principes de la maison en série de Le Corbusier, de la maison préfabriquée de Walter Gropius, et de la maison usinée de Jean Prouvé afin de répondre à ces questions. Les projets de maisons préfabriquées de ces architectes n'ont pas connu un grand succès commercial, et par conséquent ils n'ont jamais été produits en série. Nous questionnerons d'abord cet échec du point de vue de certains aspects de leur théorie commune : la perpétuelle comparaison avec la voiture, l'attente d'un investissement de l'état, la théorie du retard de l'industrialisation du bâtiment, etc. Puis nous chercherons du côté des réalisations ce qui a pu participer à l'échec de la production en série, pour tenter de répondre à ces question générale : en quoi la façon de penser la maison préfabriquée chez les architectes du Mouvement moderne est-elle une forme d’utopie ? Jusqu’où pourront aller leurs réalisations dans ce sens ? Quels seront les obstacles à la réalisation de cette forme de maison préfabriquée ?

Architects have always been interested by the idea of prefabricated home. For years they thought it would be the answer to solve housing crisis, difficulties of the building market, shortage of materials. What is a prefabricated home ? Where does it comes from ? How can we trace back its history ? Modern architects were the first to theorize the concept of prefabricated home. They used the precedent of the history of construction and industrialization, always evolving, and they fabricated a new doctrine. This concept is based on the idea that prefabrication is a closed system, must be total, and would lead to mass-production. Do prefabricated homes always need do be mass produced ? Does it have to be a closed system ? We will analyze the ideas of Le Corbusier, Walter Gropius and Jean Prouvé about prefabricated home. Their projects never reached mass-production. We will first question this failure through their common theory : comparison with the car, non-investment from the states, industrialization delayed in construction, etc. Then we will search the reason of this failure in the constructed projects, to answer this general question : is prefabricated home a form of utopia for modern architects ? What type of production can their prefabricated homes reach ? What are the obstacles that will make that production difficult ?

Mots-clés : INDUSTRALISATION - PRÉFABRICATION – PROTOTYPE 104


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