Quand l’art s’en mêle
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G R E E N P E AC E M E M BE R 2 0 1 8, N O 2
ARTICLE DE FOND: L’artivisme: mouvance artistique à visée politique? p. 2 REPORTAGE PHOTO: «La fiction est essentielle à notre compréhension du monde» p. 5 POINT DE VUE: «l’art pour l’aar», démarche artistique en faveur du paysage alpin p. 15 PORTRAITS: L’artivisme, l’élan créatif change le monde p. 19
Couverture: L’hégémonie culturelle. Les schémas culturels occidentaux restent le cadre de référence pour une grande partie du monde. Ils ne laissent que peu d’espace aux particularités régionales et menacent la diversité culturelle. © C R I S T I NA DE M I DDE L
DOSSIER: ART ET ENGAGEMENT L’artivisme: mouvance artistique à visée politique?
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«Déconstruire les stéréotypes et les clichés»: le duo sorti gagnant du Photo Award applique le changement de perspective
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«l’art pour l’aar», protestation artistique en montagne
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Clim’art, eco art, land art, artivisme: l’élan créatif change le monde
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Ai Weiwei et Olafur Eliasson s’attaquent à la politique
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Article de fond
Reportage photo
Point de vue
SOMMAIRE
Portraits d’artistes
Art et politique
© C R I S T I NA DE M I DDE L
© BRU N O M O R A I S
Éditorial 1 Actions artistiques de Greenpeace en images 29 Énigme et mentions légales 32 Photographes
Cristina de Middel est née en 1975 à Alicante, en Espagne. Aujourd’hui, elle vit et travaille à Uruapan, au Mexique. Après dix ans de photo journalisme, elle se concentre désormais sur ses travaux conceptuels. Sa série The Afronauts a été exposée dans le monde entier. www.lademiddel.com Bruno Morais (1975) a grandi et travaille à Rio de Janeiro. Fondateur du Colectivo Pandilla, il inscrit son travail photographique dans une dé marche éducative et militante. www.nobruno.com
Textes en ligne LA NATURE EST ART — découvrez les secrets de la nature sur www.greenpeace.ch: • Des palmes et de l’endurance: œuvre d’art sur fonds marins • Spectacle de lumières dans la nuit • Les yeux dans les yeux des insectes • La nature comme œuvre d’art totale
Magazine Greenpeace en ligne: www.greenpeace.ch/fr/greenpeace-magazine/
du conjoint qui se démène pour essayer de re conquérir une compagne qui s’éloigne de lui. Foncer tête baissée est un schéma bien connu. Pour Greenpeace, faire toujours plus de la même chose, soit multiplier les actions spec taculaires, pourrait ne pas être la bonne voie. Même si les exploits de Greenpeace sont tou jours impressionnants, l’organisation devra peut-être évoluer, s’ouvrir à de nouvelles pers pectives, oser les solutions inattendues. À la recherche d’une nouvelle manière Ah, si seulement on connaissait l’avenir! En éco d’aborder les problèmes environnementaux dans logie, c’est possible dans une certaine mesure, leur contexte sociétal en Suisse, nous voulons en observant les écosystèmes particulièrement aussi nous ouvrir à l’interaction avec vous. Créer un espace qui permette l’implication, la confron sensibles. Les petits changements annoncent les tendances lourdes à venir. C’est en particulier tation d’idées, l’engagement partagé. Tout en le cas dans les Alpes, où les effets de la crise préservant notre vision globale et notre réseau du climat sont évidents: réduction, voire dispa de continent à continent. Pour sauver l’envi rition des espaces de vie de certaines plantes, ronnement et notre peau, il faut agir ensemble. instabilité des formations rocheuses qui de viennent une menace pour les êtres humains. Je vous invite donc à un nouveau regard au Malgré toutes les techniques qu’elle maîtrise, quotidien, ouvert à l’inconnu et à l’insolite, et à l’espèce humaine reste fragile et vulnérable. redécouvrir Greenpeace. Chances offertes par la civilisation Observer le changement peut aussi s’inscrire dans une démarche artistique. Là encore, c’est une fenêtre ouverte sur l’avenir. C’est la voie que choisissent les artistes que nous présentons dans cette édition du magazine. Que ce soit au massif du Grimsel, dans le paysage aride des Alpes ou lors de photoreportages en Afrique, il s’agit chaque fois de porter un regard nouveau sur l’environnement. Toutefois, les techniques de la civilisation et de la culture ne sont pas toujours les plus per formantes. Il n’y a qu’à voir les méduses, qui sont en passe de s’adapter au réchauffement cli matique. Commentaire d’une spécialiste aus tralienne en biologie marine: «C’est incroyable et inattendu. L’humain entre en concurrence avec la méduse. Et dans la course à l’adaptation climatique, c’est la méduse qui gagne.» Greenpeace Suisse se voit aujourd’hui confrontée à une situation similaire. Dans le contexte des organisations non gouvernemen tales, la concurrence pour attirer les dons et l’attention du public n’est pas simple à gérer. Comment réagir face à un avenir incertain? Faire toujours plus de la même chose? C’est la straté gie habituelle de l’être humain, selon le psycho logue Paul Watzlawick. L’exemple type est celui Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
Un grand merci Kaspar Schuler, directeur par intérim P.-S. Après mon retour à Greenpeace en au tomne 2017 comme directeur par intérim, mon engagement touche maintenant à sa fin. Avec les collaboratrices et collaborateurs et le Conseil de fondation, nous avons mené une réorgani sation impliquant une réduction du personnel. Une ère nouvelle s’annonce pour Greenpeace, avec une nouvelle direction qui entrera bientôt en fonction. Je profite de l’occasion pour re mercier toutes les personnes impliquées et pour vous remercier, vous qui soutenez fidèlement Greenpeace. Merci de votre confiance et de votre soutien, qui nous touchent et nous sont pré cieux. Particulièrement en ces temps difficiles. Au revoir!
© NIC OL A S FOJT U
ÉDITORIAL
UN AUTRE REGARD, UNE NOUVELLE PERSPECTIVE
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L’ARTIVISME: MODE PASSAGÈRE OU MOUVANCE ARTISTIQUE À VISÉE POLITIQUE?
© 20 18 KEY ST ON E
ARTICLE DE FOND
Texte: Markus Allemann, Greenpeace Suisse
Amsterdam, 1969: John Lennon et Yoko Ono lors de leur performance artistique Peace. Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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Passer deux semaines au lit pour manifester en faveur de la paix? John Lennon et Yoko Ono l’ont fait. C’était en 1969, pendant la guerre du Vietnam. Sur www.imaginepeace.com, Yoko Ono écrit: «John et moi étions naïfs, nous pen sions que notre action allait changer le monde. Peut-être l’avons-nous changé un peu malgré tout. Mais à l’époque nous ne le savions pas. Heureusement que l’action a été filmée. Aujourd’hui, le film n’a rien perdu de sa force.» Deux artistes célèbres, filmés, photogra phiés, interviewés en pyjama (ou même sans), est-ce de l’artivisme? D’ailleurs, qu’est-ce que l’artivisme? Quels sont ses risques et ses effets secondaires? Le terme n’est pas clairement défini. Contraction de «art» et «activisme», l’artivisme déploie de multiples dimensions. Tout comme l’art et l’activisme en tant que tels. Pour Peter Weigel, du Centre d’art et de technologie des médias, à Karlsruhe, l’artivisme est «la fusion de l’activisme politique avec les moyens de l’art». Il y voit «le premier courant artistique réellement nouveau du XXIe siècle». Du point de l’histoire de l’art, la culture occiden tale en est encore au postmodernisme, estime ce spécialiste. L’artivisme est-il cette «culture de la répa ration» qui donne un souffle nouveau à la démo cratie et remet momentanément en question le système? Peut-être. Mais réduire l’artivisme à la question de la démocratie, c’est ignorer des dimensions essentielles du phénomène. En effet, quel est le rôle de l’artivisme dans les ré gimes autoritaires? Ai Weiwei, le célèbre artiste chinois désor mais établi à Berlin, ne peut pas faire autrement que de produire de l’art politique: «Ma vie a toujours été politique», dit-il dans un entretien à la Neue Zürcher Zeitung (20 décembre 2017). Même incarcéré et inculpé, il n’a jamais arrêté ses activités artistiques. En tant qu’être humain, il ne peut pas s’abstenir d’avoir une opinion, et son art est justement son opinion, dit-il. Ai Weiwei ne fait pas de différence entre l’artiste et le militant. Il ne distingue pas non plus l’être humain du journaliste: «L’artiste qui n’est pas militant est un mauvais artiste. L’art doit véhiculer des valeurs, produire du sens. L’art a toujours été un acte militant, dès lors qu’il vise à questionner les certitudes et les jugements de valeur.» Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
«L’artiste qui n’est pas militant est un mauvais artiste.» Ai Weiwei
Né à Pékin en 1975, Ai Weiwei est politisé dès son enfance, lorsque son père est arrêté. En 2011, il sera lui-même mis en détention pour avoir critiqué le régime. En tant qu’artiste, il est protégé par l’opinion publique et parviendra à récupérer son passeport en 2015, ce qui lui per mettra de quitter le pays pour s’établir à Berlin. Mais combien d’autres personnes sans notoriété publique finissent leur vie en détention à cause de leur engagement? L’artivisme dans le débat occidental Dans un État autoritaire, toute action qui déplaît au régime déploie un effet politique, attire l’attention et est finalement sanctionnée. Même s’il est plus difficile de punir un artiste célèbre, la question de savoir s’il s’agit d’arti visme ou d’autre chose ne se pose pas. En Occident, et notamment dans l’espace germanophone, l’artivisme fait au contraire dé bat. Wolfgang Ullrich, spécialiste en sciences culturelles, et Tom Bieling, chercheur en design, épinglent les prétentions des groupes protesta taires actuels, qui se veulent tous artistes: «Il n’est ni nouveau ni exceptionnel que les pro testations possèdent une dimension esthétique. Et puis, l’effet d’une action est miné si on la déclare d’emblée comme étant un produit artis tique.» Les artistes évoluent souvent dans un cercle restreint, où ils ont le droit de tout faire, sans pour autant avoir un réel impact sur la so ciété. «Les groupes qui interviennent dans la vie réelle tout en se qualifiant d’artistes courent le risque que leurs activités soient perçues comme symboliques, illusoires ou insignifiantes.» Cette critique ne vise pas les actions qui transcendent les limites de l’art et du politique. Elle cible plus spécifiquement les artistes et les militants qui utilisent, ouvertement ou de manière détournée, le label de l’artivisme pour attirer l’attention. L’artivisme ne devrait pas
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ARTICLE DE FOND
La tentation populiste est dangereuse, car les vérités absolues étouffent le doute et écrasent la pluralité de la réalité.
être une étiquette, mais simplement une caté gorie historique applicable, a posteriori, à telle ou telle action produite dans le cadre de la contre-culture. Rétrospectivement, un exemple d’arti visme dans le contexte suisse est certainement l’action menée en 2013 devant la Tonhalle à Zurich. Une danseuse classique interprète la mort d’un cygne étouffé par une marée de pé trole (voir p. 29). Pas de banderole Greenpeace, pas de slogans scandés au mégaphone, pas de distribution de tracts aux passants. Le spectacle artistique se suffit à lui-même. Il impressionne d’autant plus en l’absence d’un message toni truant. Son caractère créatif et pluriel lance un signal militant dans un monde balayé par le populisme. C’est ce qui rend cette action signi ficative et unique. Pluralité contre populisme Le populisme est cette lecture du monde qui ne connaît que le noir et le blanc, le bien et le mal, le salut et la perte. Le populisme est une réponse simpliste à la complexité du monde. Il est le mirage qui cache la perte de repères. La tentation populiste est dangereuse, car les véri tés absolues étouffent le doute et écrasent la pluralité de la réalité. Il est donc salutaire que les slogans de campagne se déclinent en actions artistiques, créant un espace de pluralité du sens capable de faire reculer le manichéisme populiste. Cela vaut en démocratie comme dans un régime autocratique, mais tout particulière ment dans les sociétés fondées sur la liberté de parole et la pluralité. Le 18 août 2007, alors que nous posons entièrement nus sur le glacier d’Aletsch, le pho tographe Spencer Tunick prend ses clichés. Le silence s’installe. Une légère brise passe sur la glace, comme une prière dans une église. Être habillé ou non n’avait plus de signification. Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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L’essentiel était le lien créé avec cet endroit sa cré, et donc avec la beauté de la Création. Cette installation avec six cents participants était-elle de l’art, a-t-elle été perçue comme tel? Question futile. La force de l’action est la pluralité de sens qu’elle véhicule. Dix ans plus tard, la photo ressurgit ici ou là. Elle commu nique le changement climatique et la fonte des glaciers, mais aussi l’émotion des militants et la vulnérabilité de l’être humain. L’action a été suivie par des millions de fans de Spencer Tunick, d’adhérents de Greenpeace et d’autres personnes intéressées, dans les médias clas siques et sur YouTube. Les photos restent puis santes. Est-ce de l’artivisme? Peu importe. L’action de Yoko Ono et John Lennon, leur bed-in protestataire, était conçue sur le modèle du sit-in pratiqué à l’époque par le mouvement antiguerre. Elle n’apportera pas la paix, mais sera une source d’inspiration pour des millions de personnes. Yoko Ono a ce commentaire: «Le film rapporte nos propos, qui pourraient encourager et soutenir les militants d’aujourd’hui. Bonne chance à nous tous! Et n’oublions pas: la guerre appartient au passé, si nous le voulons. Cela dépend de nous, et de personne d’autre. S’il était encore en vie, John aurait aimé le dire à la gé nération actuelle.» Dans le documentaire, John Lennon lance ce message: «Arrêtez de vous demander si une action aura un effet, et passez à l’action!»
«LA FICTION EST ESSENTIELLE À NOTRE COMPRÉHENSION DU MONDE»
REPORTAGE PHOTO
Photos: Cristina de Middel et Bruno Morais Texte: Samuel Schlaefli
Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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P. 5: L’être humain et le feu. Les incendies forestiers comptent parmi les principales causes du recul de la végétation et du réchauffement global. En 2000, le feu a détruit 3,5 millions de kilo mètres carrés de surfaces végétales, qui étaient à 80% des zones de forêt et de brousse.
REPORTAGE PHOTO
Lassée des limites de la photographie documentaire, Cristina de Middel a quitté son poste de photojournaliste. Un choix que la lauréate du Greenpeace Photo Award 2016 ne regrette pas. Depuis qu’elle imagine des campagnes fictives autour de mises en scène photographiques, elle se sent plus proche du public.
Ce n’est pas une exposition photographique, mais une cacophonie d’images que le public dé couvre en ce début d’année au Coalmine, le forum de photographie documentaire à Winter thour. Des centaines de photos réparties sur les salles, grandes comme des affiches ou petites comme des cartes de visite, tapissant les murs. Ici, pas la peine de chercher des reproductions luxueuses. Mais on trouve des autocollants multicolores, des aimants, des tapisseries, des calendriers bon marché, des tapis de souris informatique, des guirlandes et des bouteilles de bière. Conçue par la photographe espagnole Cristina de Middel et son collègue brésilien Bruno Morais, cette série d’images éclectiques est intitulée Excessocenus. Nous sommes bien à l’époque de l’«excessocène», marquée par les excès en tout genre. Un flot insolite de produits de marchandisage illustre bien le propos de ce projet artistique.
Le jury du Greenpeace Photo Award 2016 a choisi de soutenir la réalisation d’Excessocenus par un montant de 10 000 euros. L’idée était de produire quarante images symbolisant les problèmes dont souffre actuellement la planète. Cristina de Middel et Bruno Morais se sont rendus au Mozambique, sur la côte sud-est du continent africain. Un pays dont le gouver nement et la population aspirent au modèle de croissance occidental, malgré ses effets écolo giques catastrophiques. Les deux photographes créent des mises en scène incarnant les consé quences des excès macro-économiques sur le quotidien des populations africaines. En faisant le tour des salles, Cristina de Middel s’arrête devant une tapisserie montrant un homme de haute taille habillé d’un costume de superhéros rouge et jaune. Il pose devant un terrain brûlé, dont la fumée se dégage encore. La photo a pour titre L’être humain et le feu et peut être comprise comme une allusion au défrichage par le feu pour les plantations d’huile de palme ou de soja. S’exposer au monde Cristina de Middel a quitté son domicile «C’est un costume que nous avions amené à Uruapan, dans le sud-ouest du Mexique, pour du Mexique. À Maputo, en longeant la côte en voiture, nous avons aperçu cet homme, debout être présente à Winterthour le jour du vernis sage. Elle se plaint du froid glacial de cette jour devant un champ qui brûlait. C’était exacte née de janvier, tout en se réjouissant de la réus ment l’image que nous avions en tête. Nous lui site de sa mise en scène. La photographe captive avons expliqué le projet, en lui demandant s’il par sa manière d’être et son activité. À 40 ans était disposé à enfiler le costume et à poser pour la photo. Et nous lui avons donné une rémuné passés, son sourire n’est pas innocent ou séduc teur, il est teinté d’ironie et de sarcasme. Ce ration. Tu vois, notre travail est assez ‹punk›, sourire que l’on ne trouve que chez les gens qui se un mélange de photojournalisme sauvage et de sont exposés au monde. Une espèce d’humour photographie de mode finement réglée.» éclairé qui se reflète également dans ses images. Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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Extraction minière. L’industrie des matières premières est le principal obstacle à la mise en œuvre de l’Agenda 2030 des Nations unies. Les objectifs de l’ONU sont notamment la lutte contre la pauvreté, l’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires pour tous, et la promotion d’une agriculture durable.
Trois quarts des sujets d’Excessocenus ont été imaginés à l’avance sous la forme d’es quisses, et les accessoires ont été amenés au Mozambique. À partir de ce travail préparatoire, Cristina de Middel et Bruno Morais ont passé des mois à chercher les personnes, les lieux et les scènes imaginées, pour réaliser leurs photogra phies dans le contexte africain.
Cristina de Middel suit une formation complé mentaire pour correspondants de guerre. Pen dant ses vacances, elle réalise plusieurs repor tages sur des catastrophes humanitaires, afin de témoigner de la misère et de la détresse. «La première fois que je me suis rendue en Haïti avec Médecins sans frontières, j’ai rendu visite à une femme à l’hôpital. Elle m’a dit qu’elle avait besoin d’argent pour payer les médicaments et nourrir sa famille. Je lui ai répondu: ‹Mais je vous aide, en prenant des photos!› J’ai soudain compris la bêtise et la cruauté d’une telle atti tude. Je n’étais pas sur place pour aider. J’étais là pour faire des photos que je pourrais ensuite vendre. Ce conflit m’a fait perdre confiance dans les médias. J’ai compris que je devais changer.»
Du photojournalisme à la «documentation élargie» La manière de travailler des deux photo graphes est leur réponse aux limites et aux dés illusions de la photographie documentaire. En 2006, après des années de photojournalisme pour des journaux locaux à Alicante et Ibiza, Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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En 2010, la photographe démissionne de son poste, quitte son compagnon et s’échappe de son ancienne vie. Elle se retrouve en Chine et se met à expérimenter. Le travail de cette phase d’exploration donnera lieu à la publica tion, en 2012, de la série photographique The Afronauts, qu’elle édite à son propre compte. Il s’agit d’une reconstitution de la mission spatiale zambienne des années 1960, qui s’est soldée par un échec. La série photographique rencon trera un grand succès et gagnera même le Infinity Award du Center of Photography de New York. C’est en 2015 que Cristina de Middel ren contre Bruno Morais, qui est aujourd’hui son conjoint. À Rio de Janeiro, elle veut photogra phier les bidonvilles selon une esthétique sous- marine rappelant Cousteau: son projet s’appelle Sharkification. Bruno Morais a grandi dans les favelas et travaille alors comme photographe de presse. Son Colectivo Pandilla vise à former les jeunes des bidonvilles à la photographie et à leur donner une perspective d’avenir. Comme Cristina de Middel, il se pose des questions sur son métier, sur les clichés toujours pareils que ses clients lui demandent, par exemple les pho tos spectaculaires des descentes de police visant à «nettoyer» et «pacifier» les quartiers pauvres avant la coupe du monde de football. Outre une certaine frustration par rapport au travail strictement documentaire, les deux photographes partagent une passion: leur fas cination pour l’Afrique. «Ce serait génial de pouvoir montrer Ex cessocenus en Afrique. La photographie et l’Afrique, c’est un immense malentendu, porteur d’une multitude de stéréotypes. Nous voulons au contraire démonter les clichés. D’où notre pseudo-campagne publicitaire, visant à sensibi liser les Africaines et les Africains aux pro blèmes environnementaux.» Lorsqu’ils reçoivent l’invitation à participer au concours Greenpeace Photo Award, Cristina de Middel et Bruno Morais sont en séjour au Bénin, où ils travaillent sur les religions tradi tionnelles. Intéressés, les deux photographes ne veulent cependant pas produire un simple té moignage sur les destructions et les catas trophes environnementales. Ils veulent dépas ser cet horizon. «Toutes ces images apocalyptiques sur l’état du monde dénoncent, mais ne contribuent pas à résoudre les problèmes. Depuis quarante ans, Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
les photographes et les ONG ont le même lan gage visuel pour illustrer le désastre environne mental. Ce sont des reportages dramatiques visant à inciter l’homme blanc des pays occiden taux à venir en aide aux pauvres dans les pays en développement. Mais les gens se sont lassés; ils ne réagissent plus.» Pour renouveler leur travail photogra phique, Cristina de Middel et Bruno Morais s’ins crivent aujourd’hui dans une démarche de expanded documentary, une approche plus vaste, qui n’est plus subordonnée au cadre factuel, mais se donne le droit d’enrichir les histoires par la fiction. En parcourant les salles du forum de Winterthour, il est vrai qu’on se pose des questions. Réalité ou mise en scène? Vérité ou imposture? Les ananas poussent-ils vraiment aux arbres, comme le suggère Cultures trans géniques (voir p. 13)? Ou bien s’agit-il d’un brico lage humoristique? «La fiction est essentielle à notre compré hension du monde. En littérature et au cinéma, la fiction est une dimension acceptée depuis toujours. En photographie, par contre, il est mal vu de se détourner du dogme de la documen tation. Notre travail est aussi une invitation à une réflexion critique sur la photographie et les médias, qui ne sont ni innocents ni objectifs. La vérité est multiple. Nous avons intérêt à nous ouvrir à la pluralité.»
Plus d’informations sur www.coalmine.ch. Toutes les photos sont visibles sur le site du projet: www.excessocenus.com. Samuel Schlaefli a fait des études de journalisme, de sociologie et de sciences culturelles. Aujourd’hui, il travaille comme journaliste indépendant et rédacteur pour divers magazines. Il écrit sur la durabilité, le changement climatique et les conséquences de la mon dialisation, de préférence en voyage et sous forme de reportages. www.samuelschlaefli.ch Créé en 2012, le Greenpeace Photo Award vise à sou tenir la réalisation de projets photographiques nova teurs sur l’environnement. Chaque édition décerne un prix du jury et un prix du public. Le Greenpeace Photo Award 2018 a lieu au mois d’octobre. www.photo-award.org
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Spéculation. Dans les pays en dévelop pement, la spécula tion financière a des conséquences éco logiques et sociales encore plus graves que le changement climatique.
Distribution des richesses. Les plus riches, qui re présentent 1% de la population mon diale, possèdent près de la moitié de la fortune mondiale. En Afrique, 93% de la population pos sèdent moins de 10 000 dollars, et plus de 30% de la richesse totale du continent est dissi mulée dans des para dis fiscaux.
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Déforestation. Plus de la moitié de la destruction forestière dans les régions tropicales est due aux activités agricoles illicites.
Mutations génétiques. La pollution industrielle des rivières et des océans induit des mutations génétiques chez certains animaux et dégrade les éco systèmes sur le long terme.
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Couche d’ozone. Les études les plus récentes de l’EPFZ montrent que la couche d’ozone continue de s’amin cir à certains endroits. Avec notamment pour conséquence une augmentation des cas de cancers de la peau. Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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Rejets de carbone. Diverses études établissent que d’ici 2020, la part des véhicules individuels s’élèvera à 42% dans le trafic motorisé en Afrique.
REPORTAGE PHOTO
Sacs en plastique. Ces dix dernières années, les initiatives visant à réduire le nombre de sacs en plastique se mul tiplient à travers le monde. Mais la consommation est toujours de 1,5 mil liard de sacs en plastique par jour.
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Cultures transgéniques. La dissémination d’organismes transgéniques dans la nature menace le patri moine génétique de l’écosystème, stimule l’usage de pesticides et porte atteinte à la santé des travailleurs agricoles et des consommateurs. Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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Élevage. Les pra tiques de l’élevage industriel s’avèrent désastreuses pour l’environnement et le climat.
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Déchets. Dans les pays en dévelop pement, les déchets évacués par le ra massage des ordures ne représentent même pas la moitié du volume total des déchets.
STANDPUNKT
«L’ART POUR L’AAR»: UN ENGAGEMENT POUR NOS PAYSAGES DE MONTAGNE Texte: Adolf Urweider
POINT DE VUE
Dans les années 1990, confrontés à un projet d’extension pharaonique de la centrale électrique du Grimsel, des artistes de la région adoptent une nouvelle forme de protestation: ils créent leurs œuvres directement sur le site menacé.
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P. 15, le col du Susten en 2010. Le réchauffement climatique global fait non seulement fondre les glaciers, mais provoque aussi des changements profonds dans la flore alpine. L’installation Glashaus (serre) symbolise la vulnérabilité de la nature. Sur un banc de gravier où poussent des plantes pionnières, la fragile construction en verre a été placée devant le Steingletscher, un glacier qui ne cesse de reculer.
«L’art n’est pas un miroir destiné à refléter la société, mais un marteau avec lequel on la façonne.»
POINT DE VUE
Karl Marx À la fin des années 1980, les Forces motrices d’Oberhasli (KWO) prévoient d’agrandir leur empire hydraulique sur le Grimsel en construi sant une gigantesque centrale de pompage-turbi nage. Le projet aurait défiguré ce remarquable paysage alpin. La nécessité de le protéger est attestée par de nombreux postulats cantonaux, nationaux (Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels) et internationaux (inscription sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO). Les principales organisations de protection de la nature et les communes du site essaient alors, en déposant des recours, d’empê cher la construction de la centrale. Convaincus que l’art a plus de poids que de simples arguments, des artistes se ras semblent pour former un groupe, «l’art pour l’aar». Chaque été, durant une semaine, ils sont plus d’une vingtaine à travailler ensemble à la source de l’Aar, menacée, pour lutter contre ce projet chiffré à 4 milliards de francs. L’objectif est de rappeler, avec les moyens de l’art, la nécessité de protéger ce paysage, et s’adresser ainsi à d’autres cercles plus réticents. L’art contre les mégacentrales, le réchauffement climatique et le négoce de l’eau Les œuvres de «l’art pour l’aar» ne célèbrent pas la beauté des glaciers et des montagnes; elles sont éminemment politiques. Utilisées comme une forme de résistance, elles doivent interpeller, pointer du doigt, irriter et provoquer. En 1995, lorsque KWO retire son grand projet, Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
«l’art pour l’aar», devenu entre-temps un groupe bien soudé de dix personnes, étend son enga gement à d’autres paysages et problèmes impor tants dans l’espace alpin. Ses membres trans posent dans leur art des thèmes tels que le réchauffement climatique, la fonte des glaciers, la surexploitation due à la circulation et à des pratiques sportives toujours plus absurdes, ou le négoce international de l’eau. Ils recourent pour cela à des installations visant à sensibiliser le public ainsi qu’à des actions sur le site menacé.
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Protestation. Petit clin d’œil: au-dessus du col du Grimsel, un véritable terrain de football a été tracé et des matchs y sont organisés. Qu’est-ce qui motive ce groupe d’artistes hétéroclite à assumer ce travail fastidieux et à faire de l’art contestataire dans le rude climat des montagnes? Si, pour certains, ce sont des convictions politiques et l’amélioration du monde, d’autres veulent relever le défi artistique de s’affirmer face à un environnement écrasant; pour les derniers, c’est surtout l’envie de travail ler à une œuvre collective stimulante qui domine. Même s’il y a parfois des dissensions au sein du groupe, nul ne doute du bien-fondé de Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
cet engagement. Les confrontations tournent souvent autour du choix d’un thème d’actualité dans cette région de montagne et de sa trans position artistique plutôt que sur la légitimité morale ou éthique de la contestation. Face aux manifestations d’hostilité que suscite notam ment leur opposition à l’énergie hydraulique «propre», ils poursuivent leur objectif: dénoncer les conflits entre les exigences d’utilisation et les questions écologiques.
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POINT DE VUE
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Dans des vitrines, KWO visualise son projet d’agrandis sement du lac. À l’aide de présentoirs semblables, mais rouges, «l’art pour l’aar» complète les informations la cunaires: les princi paux articles de loi sur la protection de la nature impri més sur des plaques de verre et un appel à la protection du site sont placés di rectement devant le paysage concerné. L’art n’est pas du journalisme, mais un avertissement subversif Depuis le début des années 1980, des ar tistes s’engagent avec leurs œuvres pour la pré servation de l’environnement. Ils le font en in tervenant sur place ou en attirant l’attention sur un lieu de manière indirecte. Ce militantisme culturel conquiert surtout les villes sous le nom d’artivisme. Le paysage alpin devient lui aussi un véritable terrain de jeu pour les projets artis tiques. Les travaux de «l’art pour l’aar» se dis tinguent par le fait que, pour la première fois, ils dénoncent directement sur le site concerné des abus concrets à l’égard d’une nature fragile. Quel est le sens de ces actions complexes à côté des formes de protestation habituelles et quels en sont les effets, dans le meilleur des cas? L’art n’offre pas de solutions et ne peut sauver ni le paysage alpin ni le monde. Les manifestations, les affiches et les pamphlets font davantage la une de l’actualité. L’art dans un paysage de mon tagne a un caractère symbolique: il peut être subversif, alarmant, il veut nous ouvrir les yeux, poser des questions et exiger des réponses sur la manière de traiter le paysage et les ressources des régions de montagne. Il peut même susciter
«Et surtout, maintenant, ne pas perdre la rage.» Max Frisch Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
des réactions d’incompréhension et, au mieux, inciter à la résistance et à l’engagement poli tique. S’il encourage les observateurs critiques à se préoccuper de l’utilisation souhaitable et de la nécessaire protection du monde alpin, l’art contestataire réalisé sur site aura rempli son objectif. La signification et l’effet de surprise jouent un rôle essentiel: le randonneur qui, par exemple, est confronté à un terrain de football sur le col du Grimsel s’en souviendra plus longtemps que de la lecture d’un long article de presse sur l’urgence de protéger les Alpes. Manifestations artistiques et participants: www.lartpourlaar.ch.
À 77 ans, l’artiste Adolf Urweider préside l’association Grimsel im Widerstand, fondée en 1988 alors que les plans de construction d’une monstrueuse centrale de pompage-turbinage sur le site venaient d’être pu bliés. Pendant ses études d’ingénieur, il avait participé aux mesures annuelles du glacier d’Unteraar, organi sées par KWO, propriétaire des lieux. Après avoir tra vaillé plusieurs années comme arpenteur lors de fouilles archéologiques dans le désert du Néguev, puis étudié la sculpture à la Kunstakademie de Vienne, il revient dans sa région natale, l’Oberhasli. Sensible aux paysages solitaires, il prendra part, pendant presque trente ans, à toutes les actions de «l’art pour l’aar» et espère, rétrospectivement, avoir contribué à une ap proche plus consciente du monde alpin si vulnérable.
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L’ARTIVISME, L’ÉLAN CRÉATIF CHANGE LE MONDE
PORTRAITS D’ARTISTES
Texte: Inga Laas
Clim’art, eco art, land art ou artivisme: le nom est en soi un programme. L’art s’est toujours intéressé aux thèmes les plus brûlants de son époque. Un phénomène que l’on observe au travers des siècles dans l’histoire de l’art. Sauf qu’aujourd’hui, les thèmes sont bien plus complexes: courbes climatiques, colonnes de chiffres, moyenne des températures, diagrammes de pollution sont présents partout. Qu’en fait l’art? Nous savons qu’il peut bouleverser et provoquer une remise en question ou une réaction. L’art conduit-il à l’artivisme? Le peut-il? Doit-il se libérer de son objectivité?
«L’art touche les êtres sur un plan émotionnel, et peut aider à transformer la perception de l’environnement.»
«L’art n’est pas l’illustration d’un thème. L’art est indépendant des exigences de ses spectateurs.»
Michael Pinsky
Hina Strüver
«L’art explore le monde avec d’autres moyens, et la science ferait bien d’être créative. Si l’art et la science se rencontrent, les problèmes pourront être mieux appréhendés.» Rimini Protokoll Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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© MI CHA EL A PI NSK Y
PORTRAITS D’ARTISTES
Smog: cours d’initiation spécial dans cinq métropoles
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Michael Pinsky, artiste visuel anglais Ozone, particules fines, azote, dioxyde de soufre, monoxyde de carbone: tous ces polluants sont méticuleusement mesurés dans les villes. Mais leurs effets restent invisibles et les corrélations sont difficiles à établir. Avec son installation Pollution Pods, l’artiste britannique Michael Pinsky propose un stage d’initiation spécial dans cinq métropoles du monde. Partant de l’air relativement propre de Londres, les visiteurs traversent des coupoles reliées en anneau et remplies d’air pollué produit de manière synthétique pour arriver à l’air fortement vicié de la ville de Pékin. «L’art touche les êtres sur un plan émotionnel, et peut aider à transformer la perception de l’environnement, déclare Pinsky. L’art peut assumer un rôle en ce sens qu’il aide à combler le fossé entre le constat du changement climatique et le fait d’y être préparé. L’art peut être tout cela à la fois: propagandiste, promotion nel, contemplatif, attractif, repoussant, attirant… et aussi engagé.» Se considèret-il lui-même comme un artiviste? «Je ne suis pas sûr que je me désignerais ainsi. J’ai simplement le désir d’améliorer le monde.» www.michaelpinsky.com/project/ pollution-pods
Né en 1967 en Écosse, Michael Pinsky vit et travaille aujourd’hui à Londres. Depuis sa formation à Brighton et à Londres, il a lancé une série de projets artistiques internationaux, dont beaucoup se déploient dans l’es pace public. Il considère que ses projets doivent se réaliser avec les personnes sur le terrain, sans déroule ment préconçu. Il se voit à la fois comme artiste et comme urbaniste, militant, chercheur et riverain. Inga Laas est rédactrice en ligne. À mi-chemin entre digital native et digital immigrant, elle se passionne pour la protection de l’environnement. Quand elle n’écrit pas pour Greenpeace, elle préfère approcher la nature et l’environnement hors ligne. Elle se détend en pratiquant le jardinage, la lecture et le bricolage.
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PORTRAITS D’ARTISTES
Les méduses, une menace directe
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Rimini Protokoll, un collectif de metteurs en scène allemands Dans l’installation «win > < win» (20172018), le public observe des méduses dans un aquarium, tandis que d’autres specta teurs sont assis dans une deuxième pièce située à l’arrière-plan. Ce dispositif donne à chacun l’impression que l’autre partie du public est entourée de méduses. «Les méduses profitent apparemment de toutes nos bêtises, explique Helgard Kim Haug, de Rimini Protokoll. Le réchauffement et la pollution des mers font que leur nombre augmente; elles vont devenir un problème global et une réelle menace.» Avec Stefan Kaegi et Daniel Wetzel, l’artiste part de la question «Qu’est-ce qui arriverait si...?» pour dévoiler la réalité au moyen de pièces de théâtre, de pièces radiophoniques, de films et d’installa tions. L’objectif est de rendre les découvertes scientifiques plus accessibles, en les libérant de leur corset rigide: «L’art explore le monde avec d’autres moyens,
et la science ferait bien d’être créative. Si l’art et la science se rencontrent, les problèmes pourront être mieux appréhen dés.» L’aptitude à établir des relations est essentielle pour les travaux artistiques de Rimini Protokoll: «Nous voulons mettre à l’épreuve des idées sur la question de savoir à quoi ressemblera le monde dans cinquante ans. Nous espérons pouvoir faire bouger les choses, même si nous n’apportons pas de solutions claires. C’est peut-être la différence avec les actions qui ciblent uniquement un certain comportement ou une certaine attitude politique.» www.rimini-protokoll.de/ website/de/project/win-win
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Helgard Kim Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel se sont rencontrés dans les années 1990 à l’université de Giessen, en Allemagne. Après des études en sciences appliquées du théâtre, ils fondent en 2000 le Rimini Protokoll, un collectif d’auteurs et de metteurs en scène qui multiplie les interventions remarquées. Leur acti vité tourne autour de ce qu’ils appellent le théâtre appliqué, et vise à ouvrir de nouvelles perspectives sur la réalité.
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PORTRAITS D’ARTISTES
Génie génétique au jardin d’Éden
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Hina Strüver, militante suisse, blogueuse «Je suis à la fois militante et artiste.» Pour Hina Strüver, l’ouverture et l’ambiguïté sont des éléments impératifs dans l’art. Il existe souvent un malentendu dans la collaboration entre l’art et la science ou les organisations écologiques: «L’art n’est pas l’illustration d’un thème, précise la danseuse-performeuse suisse. L’art est indépendant des exigences de ses specta teurs.» Il n’en demeure pas moins que des «points de contact» existent parfois dans le développement de l’art et de la société. L’art n’a alors pas uniquement un sens en tant que tel, mais aussi pour la société, «parce que, grâce à lui, nous nous reconnaissons soudain dans le miroir». Grâce à sa bourse Artists in Lab, Hina Strüver a trouvé une telle interface entre l’art et la société dans le projet artistique collectif Regrowing Eden, une installation née de plusieurs performances et qui met en évidence les dangers du génie géné tique. Dans ce cas, elle était prête à mettre son travail au service d’une urgence poli
tique. Le fait que le gouverneur de l’État du Paraná au Brésil lui ait demandé, avec ce projet, d’attirer l’attention sur les risques des plantes OGM répondait à ses aspirations: «Comme je ne suis pas seu lement artiste, mais aussi militante, je trouve que c’est enrichissant de provo quer quelque chose avec mon travail.» Hina Strüver ne se considère pas pour au tant comme une artiviste, car ce serait se fixer et limiter ses possibilités en tant qu’artiste. Professionnellement, elle a sciemment décidé de se consacrer à une seule ONG de façon à rester libre dans son art. Hina Strüver fait partie de l’équipe fixe de Greenpeace Suisse depuis dix ans. https://hina.de/portfolio_page/ regrowing-eden
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Hina Strüver est née en Allemagne en 1974. Diplômée de la Haute école d’art de Braunschweig, elle a par ticipé à de nombreux projets artistiques dans l’espace public, primés à plusieurs reprises. Après une formation complémentaire de photojournaliste, elle vit et tra vaille aujourd’hui à Zurich. Fidèle à la réalité dans ses reportages visuels, elle libère sa créativité dans le cadre de son travail d’artiste.
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P. 24: Installations spatiales performatives en collaboration avec Mätti Wüthrich sur le génie génétique et le discours sociétal sur cette technologie dans des pays comme la Suisse, le Brésil, le Vietnam et Singapour (de mars 2007 à août 2008). Performance artistique en 2012: Zeit Steht Still est une confrontation avec le temps et le paysage.
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AI WEIWEI ET OLAFUR ELIASSON: DEUX ARTISTES DE RENOMMÉE INTERNATIONALE DÉFIENT LE MONDE POLITIQUE Texte: Tanja Keller, Greenpeace
ART ET POLITIQUE
«En tant qu’artiste, j’espère que mes travaux touchent les êtres humains. L’art a cette faculté de transformer nos perceptions et notre manière de voir le monde. Avec mes projets, j’aimerais inciter à un engagement collectif.» Olafur Eliasson
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caractères chinois: «Ils ont vécu joyeusement pendant sept ans sur cette terre.» C’est ce qu’a déclaré une mère qui a perdu sa fille lors du séisme. L’inscription en couleurs vives et gaies – bleu, rouge, jaune et vert – reflète, selon Ai Ai Weiwei, le plus célèbre artiste chinois, a fait sensation dans le monde entier en 2009, avec Weiwei, la psyché des enfants, et illustre leur son installation Remembering, placée sur la fa joie de vivre et leur innocence. Avec son art, Ai Weiwei remet régulièrement çade de la Haus der Kunst à Munich à l’occasion de l’exposition rétrospective consacrée à son en cause les manigances politiques. Dans une œuvre. Le titre de cette exposition, So Sorry, société qui n’attache guère d’importance aux faisait allusion au grave séisme qui a frappé la droits de l’individu, il est considéré comme un région du Sichuan en 2008. Environ 80 000 per «militant des droits de l’homme» et un dissi dent. Pendant qu’il effectuait ses recherches sur sonnes avaient péri, dont des milliers d’enfants le séisme du Sichuan, il a été blessé à la tête lors ensevelis sous les décombres de leurs écoles. d’une intervention policière. En août 2009, il est Ai Weiwei accuse le gouvernement et se plaint victime d’une hémorragie cérébrale due à cette des constructions bâclées. Il exige que le gou vernement reconnaisse avoir négligé les normes blessure et sera opéré ultérieurement en Alle magne. En raison de ses déclarations critiques à de construction antisismiques. «So sorry» est aussi une de ces phrases l’égard du gouvernement chinois dans le cadre creuses que l’on utilise parfois avec cynisme dans de manifestations en Chine en 2011, il est in carcéré durant plusieurs mois et aura l’interdic le monde entier pour commenter des événe ments graves qui restent sans conséquences. tion de quitter le territoire jusqu’en 2015. Il est périodiquement exposé à des mesures de rétor L’installation Remembering fait cent mètres de long, dix mètres de haut, et est composée de sion de la part des autorités et de la police. Lors d’un entretien publié le 10 mai 2009 9000 sacs à dos pour enfants alignés les uns à côté des autres et formant la phrase suivante en dans le Frankfurter Rundschau, le journaliste
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«On ne peut pas séparer l’art et la vie.» Ai Weiwei
Remembering (2009) évoque le souvenir des victimes du séisme du 12 mai 2008 en Chine. Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
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ART ET POLITIQUE
Conférence sur le climat à Paris (COP21) en 2016: comme symbole du changement climatique, l’artiste danois Olafur Eliasson avait installé douze blocs de glace sur la place du Panthéon. Bernhard Bartsch lui demanda: «Vous vous considérez plutôt comme un artiste ou comme un activiste politique?» Ai Weiwei répondit: «En tant qu’artiste, les questions politiques et sociales font partie de mon travail. Pour que mes œuvres aient une certaine pertinence, elles doivent porter sur des thèmes importants pour notre société. Car, en définitive, on ne peut pas séparer l’art et la vie.» Olafur Eliasson: avertissement glacial aux politiciens Pour la Conférence de Paris de 2015 sur le climat (COP21), l’artiste danois Olafur Eliasson a installé douze blocs de glace sur la place du Panthéon. Quatre-vingts tonnes de glace ont été transportées d’un fjord du Groenland à Paris. Avec cette installation, Eliasson voulait attirer l’attention sur le changement climatique et la fonte des glaciers. Il a disposé les blocs de glace en cercle afin que, vus d’en haut, ils rappellent le cadran d’une horloge. Le titre de l’installa tion, Ice Watch, est par conséquent ambigu: on peut le traduire par «horloge de glace», mais aussi par «surveillance de la glace». Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
La glace a été prélevée au large du Groen land par des plongeurs et des dockers de la Royal Arctic Line, transportés par cargo dans six conteneurs frigorifiques de Nuuk au Groen land à Aalborg au Danemark, puis acheminée jusqu’à Paris dans d’énormes porte-conteneurs. L’empreinte carbone du transport représente 30 tonnes de CO2.
L’artiste et activiste chinois Ai Weiwei (*1957) peut se targuer d’avoir créé une œuvre d’une grande diversité. Il produit des installations sculpturales, travaille à des projets d’architecture, s’adonne, entre autres, à la photographie et produit des vidéos. Olafur Eliasson (né en 1967 à Copenhague) vit à Berlin et Copenhague. S’intéressant surtout aux phéno mènes physiques de la nature, il réalise photographies, films, sculptures, installations et projets architecturaux. Ses plus importantes expositions sont le Weather Project à la Tate Modern de Londres en 2003, les New York City Waterfalls, une commande du Public Art Fund à New York en 2008, et Inside the Horizon au musée de la Fondation Louis Vuitton à Paris en 2014. Aujourd’hui, quelque 90 ouvriers, architectes et historiens de l’art travaillent dans son atelier berlinois, fondé en 1995.
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L’Arctique, la région polaire la plus septentrionale et une des dernières contrées sauvages de la planète, est doté d’un écosystème exceptionnel. En raison du recul dramatique de la banquise, des gisements de pétrole et de gaz et les riches fonds halieutiques sont désormais exposés à l’exploitation. Greenpeace soutient la campagne de protection de l’Arctique depuis plusieurs années, organisant des actions artistiques dans le monde entier. Des millions de personnes se sont engagées pour la création d’une zone internationale de protection dans l’Arctique. Greenpeace a déjà remporté quelques succès d’étape: plusieurs compagnies pétrolières se sont retirées de l’Arctique et, en décembre 2016, les gouvernements des États-Unis et du Canada ont interdit les forages pour les énergies fossiles dans une grande partie de l’Arctique.
© GREE NPEACE/ YV ES ROT H
ACTIONS ARTISTIQUES DE GREENPEACE EN IMAGES
ACTIONS ARTISTIQUES DE GREENPEACE POUR LA PROTECTION DE L’ARCTIQUE
2012: Un ours blanc essaie d’attirer l’attention de Peter Voser, PDG de Shell, sur sa situation déses pérée. Son habitat, l’Arctique, est menacé par les projets de forage de la compagnie.
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2013: Devant la Tonhalle de Zurich, une danseuse de Greenpeace a interprété à sa manière la Mort du cygne, agonisant dans une nappe d’or noir. Le groupe énergétique russe Gazprom, qui menace les moyens de subsistance des humains et des animaux dans l’Arctique, sponsorisait le concert de la soirée.
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2015: Le duo d’artistes britanniques Kennard Phillipps a réalisé une nouvelle version de Christina’s World du peintre américain Andrew Wyeth. Il y montre la jeune fille dans un paysage souillé par le pétrole.
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ACTIONS ARTISTIQUES DE GREENPEACE EN IMAGES
2014: Près du lac d’Oeschinen, la Bernoise Christine Lauterburg chante une «bénédiction d’alpage» en soutien à l’appel de Greenpeace à protéger l’Arctique, une prestation aussi impressionnante sur le plan visuel que par son contenu.
2015: Kate Moss porte un tee-shirt spécialement créé par Vivienne Westwood pour la campagne de protection de l’Arctique.
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2016: Performance sous-marine en costume de méduse à crinière de lion.
2016: Dans le cadre d’une action de Greenpeace, le pianiste et compositeur italien Ludovico Einaudi joue sur la banquise pour dénoncer la destruction de l’Arctique.
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Une image en dit plus que mille mots: pas besoin de longs discours ni de notes de bas de page pour montrer que c’est la politique qui doit changer, et non le climat! Envoyez la solution jusqu’au 31 mai 2018 par courriel à redaction@greenpeace.ch ou par voie postale à Greenpeace Suisse, rédac tion magazine, mots fléchés écolos, case postale 9320, 8036 Zurich. La voie juridique est exclue. Il ne sera entretenu aucune correspondance.
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Voulez-vous devenir bénévole pour Greenpeace? Êtes-vous intéressé par l’un de nos groupes régionaux? Inscriptions à l’adresse: benevolat@greenpeace.ch Magazine Greenpeace N0 2 — 2018
Correction/relecture: Text Control, Marc Rüegger Auteurs: Éditeur/ Markus Allemann, adresse de la rédaction: Greenpeace, Greenpeace Suisse Inga Laas, Badenerstrasse 171 Samuel Schlaefli, Case postale 9320 Adolf Urweider 8036 Zurich Traduction en français: Téléphone 044 447 41 41 Nicole Viaud et redaction@greenpeace.ch Karin Vogt www.greenpeace.ch Photos: Cristina de Middel, Équipe de rédaction: Bruno Morais Tanja Keller (responsable), Maquette: Manù Hophan (rédaction Hubertus Design photographique), Impression: Barbara Lukesch (rédaction) Stämpfli SA, Berne Papier couverture et intérieur: 100% recyclé Tirage: 80 500 en allemand, 15 500 en français Parution: quatre fois par année MENTIONS LÉGALES GREENPEACE MEMBER 2 / 2 018
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«Je suis sculptrice. J’apprécie la ténacité et l’indé pendance de Greenpeace, que je soutiens depuis très longtemps. Dans mon testament, j’ai prévu un legs pour cette organisation, pour qu’elle puisse poursuivre son action dans le futur, tant qu’il y aura des êtres humains sur cette planète!» Kiya Nancarrow, île Waiheke, Nouvelle-Zélande S’engager tout au long de la vie pour un avenir écologique, et même au-delà, c’est possible en tenant compte de Greenpeace lorsque l’on rédige son testament. Pour commander le guide gratuit sur les testaments: 022 907 72 75, anouk.vanasperen@greenpeace.org, www.greenpeace.ch/legs.