Sur les traces du climat G R E E N P E AC E M E M BE R 2 0 1 8, N O 3
Reportage: La peur, la prière et l’espoir de sauver le glacier Science citoyenne: Agir pour le climat Photoreportage: Le projet Drowning World de Gideon Mendel
Reportage: La peur, la prière et l’espoir
de sauver le glacier p. 2 Science citoyenne: Engagement citoyen pour le climat 11 Point de vue: La politique climatique suisse, ou le gouffre entre les intentions et les actes 15 Entretien sur l’état des océans avec la nouvelle directrice de Greenpeace Suisse 17 Reportage photographique: Gideon Mendel et son projet Drowning World 18 Paysages sonores: The sound of silence 26 Éditorial d’Iris Menn ��������������������������������������������������������������������������������������������� 1 Campagnes ������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 30 Mots fléchés écolos, mentions légales ��������������������������������������������������������� 32
Articles en ligne du dossier sur le climat
• Infographie inter active sur les glaciers: 38 grands • Exemples: mani glaciers suisses festations du chan et leur évolution de gement climatique puis 1850 autour de nous • Mondialisation et • Entretien: pourquoi matières premières: la fonte des glaciers l’impact du pétrole nous laisse indiffé sur la vie de deux rents, explications du femmes psychologue • Tribune de Markus Adrian Brügger Waldvogel: Apprendre des • Soundscapes: rivières la dimension acous tique du changement climatique Magazine Greenpeace en ligne: www.greenpeace.ch/fr/greenpeace-magazine
Avant-propos L’impact du changement climatique ne saurait être négligé. Des réalités scientifiquement prouvées valident des scénarios que nous avons longtemps considérés comme impossibles. Pourtant, malgré l’urgence de la situation, la réponse politique tarde. En 2014, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, affirmait lors d’un sommet spécial sur le climat: «Nous devons transformer le plus grand défi collectif auquel l’humanité est confrontée aujourd’hui – le changement climatique – en la plus grande opportunité de progrès commun vers un avenir durable. L’année prochaine sera l’année de l’action pour le climat. Nous ne pouvons plus attendre. […] Les générations futures nous jugeront sur notre action.» Cet appel a été largement répercuté. Pourtant, depuis le premier sommet sur l’environnement en 1982, aucune réduction significative des émissions mondiales n’est en vue, sans parler d’une protection globale et durable du climat. Que faire? Rester figés dans notre impuissance ou agir pour le climat? Greenpeace s’engage depuis toujours pour la deuxième option. Mais pour faire bouger les choses, les efforts de chacune et chacun sont nécessaires. Comment s’y prendre? Découvrez l’action de trois femmes qui, parmi beaucoup d’autres, s’engagent pour le climat (page 11). Vous serez étonnés d’apprendre combien le changement climatique est déjà perceptible en Suisse. Rejoignez le mouvement climatique, en participant activement à l’une de nos campagnes sur www.greenpeace.ch/ glacier.
C OUVE RT URE: © AN NE GA BRI EL- JÜRGE NS
Dossier: sur les traces du climat
ÉDITORIAL
climatique. Pour les adhérents de Greenpeace en Suisse, les effets les plus menaçants et le plus visibles sont certainement le recul des glaciers. Je suis convaincue qu’une évolution de la société est possible pour transmettre aux générations futures une planète qui conservera ses récifs coralliens et ses glaciers. Enrayer le changement climatique doit être notre priorité absolue. Nous avons besoin de personnes qui élèvent la voix et entament un changement de cap, si nécessaire au moyen de la désobéissance civile. Nous pouvons toutes et tous être un outil du changement. Ici et maintenant. D’où me viennent cet engagement et cette confiance? J’ai grandi dans une petite localité de la Hesse, dans une famille qui prenait soin de la nature et des gens. J’ai appris à apprécier les choses simples de la vie, les fleurs dans un pré et la fourmilière dans la forêt. J’ai aussi appris qu’il existe des gens qui vivent dans des conditions moins favorables. Toutes ces expériences m’ont donné la force de me battre pour les choses importantes de la vie. Et chaque dauphin que j’ai vu sauter devant notre bateau lors d’une expédition de Greenpeace a ravivé cette énergie en moi. Mon idée est de renforcer la coque du navire Greenpeace Suisse afin de mieux résister aux tempêtes que nous aurons à affronter lors de notre lutte en faveur du climat. Nous avons un objectif clair, et il nous faut un équipage efficace, diversifié et engagé pour ce voyage. Mais nous avons aussi besoin de vous! Rejoignez le mouvement pour le climat! Je me réjouis des défis à relever avec Greenpeace Suisse et j’ai hâte de faire votre connaissance. Merci de votre soutien!
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NOUVELLE CAPITAINE SUR LE PONT
Bonjour à toutes et tous! Le 1er juillet, j’ai repris la barre du navire Greenpeace Suisse. Le rôle du capitaine qui scrute le lointain avec des jumelles tout en dirigeant un bateau Greenpeace m’est familier. J’ai travaillé pour Greenpeace Allemagne pendant douze ans, après une étape dans la recherche scientifique comme spécialiste en biologie marine. Mon dernier poste était celui de directrice de programmes dans une organisation de coopération au développement. La participation à des expéditions en mer m’a profondément marquée. La lutte pour protéger les océans reste une dimension essentielle de ma vie. J’ai étudié les effets du changement climatique sur les plages de la mer du Nord et j’ai observé son impact en Arctique au plus près lors de mes expéditions avec Greenpeace, lorsqu’un ours polaire a appuyé son museau contre le hublot de ma couchette. Les changements ne sont pas une simple hypothèse, mais bien une réalité. Nous pouvons toutes et tous percevoir l’une ou l’autre conséquence du changement Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
Cordiales salutations, Iris Menn
P.-S. À l’adresse www.greenpeace.ch/glacier, vous trouverez différentes possibilités d’agir.
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Texte: Samuel Schlaefli Photos: Anne Gabriel-Jürgens
«COMME UN AMI QUI DISPARAÎT PROGRESSIVEMENT DE MA VIE»
Des rangers et des stagiaires aident le responsable du Centre Pro Natura d’Aletsch à transporter des pieux en métal et en bois. Ils vont changer la balise d’ablation qui permet de relever la perte d’épaisseur de la glace.
REPORTAGE
À la fin de ce siècle, il ne restera que quelques vestiges du glacier d’Aletsch. C’est ce que prévoient les modèles climatiques des glaciologues. Qu’est-ce que cela représente pour les populations locales qui assistent dès maintenant à l’impact du changement climatique et à la fonte des glaciers? Une exploration de l’état du géant parmi les glaciers des Alpes.
glacier comme sa poche. En été, il accompagne des classes d’école et d’autres intéressés sur le glacier. Pour montrer la beauté, mais aussi la souffrance du glacier. «Nous avons conduit des centaines de groupes jusqu’au glacier.» Un jour qu’il est seul, il franchit les barrières pour mieux voir. Et là, c’est le choc, dit-il. «Nous savons depuis longtemps que le glacier fond. Mais maintenant, tout va beaucoup plus vite.»
La montagne fragilisée À l’automne 2016 près de Moosfluh, 150 millions de mètres cubes de roche, sur une surface équivalant à 250 terrains de football, sont devenu instables. Une partie du flanc de la montagne glisse vers le glacier. À sa base, la pente se déplace de 70 à 80 centimètres par jour. Plus haut, sur la Moosfluh, ce sont environ 20 centimètres par jour. Par moments, on craint même que toute la pente ne se détache pour s’écraser en bas. Depuis Riederalp, sur les hauteurs de la vallée du Rhône, il faut encore dix minutes en téléphé- Comme le glacier d’Aletsch se retire à une vitesse rique jusqu’à Moosfluh, à 2333 mètres d’altitude. sans précédent, les pentes adjacentes ne sont Nous sortons de la télécabine, faisons quelques plus soutenues par la glace, elles deviennent pas vers la crête et le voilà qui apparaît soudaiinstables et glissent. Aujourd’hui encore, on observe des chutes de pierres isolées à cet endroit. nement: le glacier d’Aletsch. Avec ses 82 km2 de superficie et ses 22 km de long, c’est le plus grand Ce samedi matin, nous partons de la Moosglacier des Alpes, inscrit au patrimoine monfluh avec Laudo Albrecht pour l’accompagner dial de l’UNESCO depuis 2001. De la Jungfrau à sur le glacier. Avec lui, trois rangers et deux stagiaires l’aident à transporter les pieux en métal et plus de 4000 mètres, le glacier s’étend jusqu’à la forêt d’Aletsch à 1650 mètres d’altitude, où la en bois. Ils vont changer la balise d’ablation qui glace se transforme en un torrent. Depuis cet permet de relever la perte d’épaisseur de la glace. endroit, on ne voit qu’un tiers du glacier, le reste Ils devront d’abord percer un trou dans la glace est caché derrière l’Olmenhorn et le Dreieckavec le pieu en métal, puis y enfoncer la balise de horn. Quelle masse de glace incroyable! bois. Pro Natura effectue ce genre de mesures Nous marchons vers le flanc du glacier et depuis 1995. En chemin, Laudo Albrecht s’arrête constatons alors que ce qui semble infini et imdevant un mur couvert de roses alpines. «C’est muable est en réalité instable et en mouvement. le niveau maximum du glacier, relevé pour la dernière fois en 1860, explique-t-il. Depuis, le Des rubans de balisage jaunes barrent l’accès glacier d’Aletsch s’est continuellement retiré.» aux anciens sentiers de randonnée. Les débris Nous sommes à 2130 mètres d’altitude. Trente d’un mur de pierres jonchent le sol. Dans la végétation estivale luxuriante, on distingue des minutes plus tard, nous avons atteint l’arête du glacier. Nouvelle mesure: 1911 mètres. En un crevasses sombres qui font jusqu’à 20 mètres de large. Comme si un géant avait fendu la mon- peu plus de 150 ans, le glacier d’Aletsch a donc perdu 219 mètres d’épaisseur à cet endroit. tagne avec une hache. «Je ne pourrai probablement plus jamais Pour la seule période allant de 2001 à 2011, accéder à cette zone. Et même si je pouvais y le glacier a reculé de 500 mètres. Et l’année retourner, tout serait changé», déplore Laudo dernière a été une des plus préoccupantes deAlbrecht, qui a grandi dans la région. Sa première puis le début des mesures. «Au cours des trente traversée du glacier, il l’a faite tout petit, lors dernières années, le glacier est devenu une d’une sortie en famille. Après des études de bio- sorte d’ami, raconte Laudo Albrecht. Mais cet logie, il reprend en 1989 la direction du Centre ami disparaît progressivement de ma vie.» Au Pro Natura d’Aletsch à Riederalp. Il connaît le pied du glacier, parmi les petits ruisseaux qui Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
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REPORTAGE
Laudo Albrecht, responsable du centre Pro Natura d’Aletsch, perce un trou pour la balise d’ablation: «Nous savons depuis longtemps que le glacier fond. Mais maintenant, tout va beaucoup plus vite.»
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L’écolo aux idées bizarres Nous allons à Ausserberg, village de 600 habitants situé sur la rampe sud du Lötschberg, à 350 mètres au-dessus de Viège. Ausserberg fait partie de la région Jungfrau-Aletsch. Les altitudes plus basses sont uniques du point de vue climatique: Viège détient le record suisse des jours de canicule (à plus de 30° C) et est une des zones les plus sèches de Suisse. Aucune région ne Prier pour le glacier connaît moins de jours de pluie. C’est ici que vit La rapide disparition du glacier inquiète même l’Église. En 2009, le préfet du district de Conches, Orlando Schmid, qui élève dix vaches sur 38 hectares de terre: «Un peu comme en Afrique», Herbert Volken, s’est adressé au pape Benoît XVI pour lui demander d’annuler le vœu d’un plaisante-t-il. Aujourd’hui, il est le dernier agrirecul du glacier formulé il y a longtemps par culteur à plein temps d’Ausserberg. Depuis toules habitants de la région qui voyaient dans le jours, il pratique l’agriculture biologique et ne glacier un réel danger. Le pape a donné suite à cherche pas à produire plus que ce que fournit la cette demande. En 2012 a eu lieu la première terre. Dans le village, il a toujours passé pour procession en faveur de la croissance du glacier. l’écolo aux idées bizarres. Nous voulons en savoir plus sur l’eau des Sans succès pour l’instant, comme le montrent les mesures du réseau de relevés glaciologiques glaciers dans la vallée du Rhône. Pendant des siècles, les gens ont vécu dans une coexistence GLAMOS. «Même si nous pouvions stabiliser le réchauffement climatique au niveau actuel, le fructueuse avec les nombreux glaciers de la région. Les bisses en sont peut-être le meilleur glacier d’Aletsch reculerait encore de six kiloexemple. Construits sur plusieurs siècles, par le mètres», explique Matthias Huss, glaciologue travail laborieux des jeunes hommes des vilà l’EPFZ et responsable de GLAMOS. Il a participé à l’élaboration de la simulation qui indique lages, ces canaux étaient taillés dans la roche, construits à l’aide de planches ou creusés à même qu’en 2100, il ne restera probablement que le sol, pour capter l’eau des ruisseaux glaciaires. quelques vestiges du glacier d’Aletsch. Pour le glaciologue, le seul moyen de préserver au moins C’était le seul moyen de cultiver les champs en quelques restes des glaciers dans le monde, période sèche. c’est de respecter des exigences de l’accord de Orlando Schmid nous conduit en voiture à Paris sur le climat. «Cela pourrait sauver 20 Niwärch, le plus haut des quatre bisses qui irriguent les champs autour d’Ausserberg. Le canal à 30% des glaciers. Au contraire, si nous continuons à émettre le même volume de carbone, de 30 centimètres de profondeur charrie un nous n’aurons plus que 5% du volume actuel de maigre ruisseau autour duquel se déploie un véritable refuge de biodiversité: menthe sauvage, glace, et ces restes se trouveront à des altiabsinthe sauvage, thym sauvage, demi-deuil et tudes supérieures à 4000 mètres.» autres espèces de papillons. Le bisse relie les Les glaciers sont fascinants, mais jouent champs d’Orlando Schmid au ruisseau de la valaussi un rôle crucial pour le régime des eaux en lée de Baltschieder, qui reçoit les eaux des deux Suisse. Ils fonctionnent comme d’énormes réservoirs en hauteur, retenant l’eau et la libérant parties du glacier de Baltschieder. Le Niwärch joue un rôle vital pour l’exploitation d’Orlando quand les habitants des vallées en ont besoin, surtout pendant les périodes sèches en été. Une Schmid; le bisse longe le bord supérieur de ses fonction importante non seulement pour l’agri- champs. À des moments clairement définis, culture, mais aussi pour remplir les bassins Orlando Schmid a le droit de retenir l’eau à plud’accumulation pour la production d’électricité. sieurs endroits du canal en fermant les vannes. Or cet équilibre est menacé: la limite des chutes L’eau inonde alors les champs en contrebas et de neige s’élève et la quantité de neige diminue. est distribuée sur toute la surface par des sillons Le glacier n’est donc plus suffisamment alimenté qu’il a creusés dans la terre. «Comme un nopour se régénérer. De plus, la neige à haute altimade à la recherche de l’eau, je vais de vanne en tude fond souvent dès le printemps, et ne peut vanne pour irriguer un endroit après l’autre», plus servir de couche protectrice pour la glace. explique-t-il. C’est donc une économie agricole s’en écoulent, nous cherchons un endroit pour escalader le géant. Un rocher de trois mètres de haut se dresse dans l’eau. Il y a deux ans, ce rocher était encore complètement recouvert de glace, dit Laudo Albrecht. En dessous, il y avait une grotte de glace qu’il aimait montrer aux visiteurs. Aujourd’hui, elle a disparu.
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archaïque. Jusqu’à présent, le bisse n’a jamais fait défaut, l’eau jaillit en permanence, alimentée par la fonte rapide du glacier et les précipitations. Néanmoins, Orlando Schmid souffre d’un manque d’eau. Il se rappelle la canicule record de l’été 2003: «C’était catastrophique. Il faisait 39° C à Sion. Dans les hautes altitudes, que nous n’irriguons pas et où le bétail broute en été, tout était brun. Nous avons travaillé 24 heures sur 24 pour que les vaches aient de l’eau et un peu de fourrage tous les jours. Finalement, j’ai dû les ramener dans la vallée en urgence, ce n’était plus possible.» Le pire n’était pas le travail, mais un terrible sentiment d’impuissance. «On ne peut ni produire de l’eau ni déterminer le climat, résume Orlando Schmid. Nous étions habi- tués à des périodes de sécheresse, mais là, nous avions atteint nos limites.» Et les sécheresses deviennent de plus en plus longues, dit-il. 2017 était également un mauvais été. «Ici au village, tout le monde remarque les changements, mais ils prétendent que ce sont des variations naturelles.» Le changement climatique n’est pas un sujet de débat à Ausserberg. «Il est vrai que ce sont des processus lents… Mais les évolutions lentes sont généralement mortelles.» Et si les jeunes quittent la région pour vivre en ville, si personne ne coupe l’herbe et que les prés dépérissent, la canicule provoque un problème supplémentaire qui est celui du feu. Depuis, Orlando Schmid a vendu son exploitation et ses bêtes: une jeune agricultrice, qui partage ses idées, veut tenter sa chance à Ausserberg. Il se réjouit que ses enfants n’envisagent pas le même métier que lui: «Ici l’agriculture devient de plus en plus difficile à cause de la sécheresse.» Dans ses scénarios climatiques pour la deuxième moitié du siècle, l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) prévoit une réduction des précipitations estivales située entre 18 et 28% (sans mesures de protection du climat mondial) ou entre 8 et 10% (en cas de mesures de protection). La vallée du Rhône, dont le climat est déjà sec aujourd’hui, risque d’être particulièrement touchée. À plus long terme, les eaux de fonte des glaciers diminueront également; les bisses pourraient se tarir en période sèche. Attractions touristiques menacées Dans la commune de Riederalp, 82% des maisons sont des résidences secondaires et les remontées mécaniques sont de loin le principal Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
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Sepp Bürcher gère deux magasins de sport à Riederalp. «Pour compenser une combinaison de ski, il faut vendre beaucoup de shorts en été!»
employeur. Après une véritable mutation socio- économique dans les années 1960, les villages agricoles isolés et autosuffisants sont devenus une destination touristique mondiale. Le nom du Great Aletsch Glacier résonne désormais de Boston à Pékin. Mais la dépendance à l’égard du tourisme rend la région vulnérable face à la progression du changement climatique. Aletsch sans ses glaciers serait un peu comme Zermatt sans le Cervin. Des milliers de Chinois ne verraient probablement plus l’intérêt de visiter la région. Dans les années 1970, Sepp Bürcher était champion de ski. Aujourd’hui, il gère deux magasins de sport à Riederalp et fait partie du comité d’Aletsch Arena, la structure qui commercialise le glacier pour le tourisme. «Par le passé, les sommets de la région restaient enneigés beaucoup plus longtemps, dit-il. Et la limite des arbres s’est déplacée vers le haut: là où nous avions l’habitude de faire du ski, il y a maintenant des arbres.» L’essentiel des affaires de Sepp Bürcher se fait en hiver, et la situation n’est
Orlando Schmid, agriculteur biologique, devant son bisse: «Comme un nomade à la recherche de l’eau, je vais de vanne en vanne pour irriguer un endroit après l’autre.»
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pas rose: «À Pâques, c’est souvent difficile, car il n’y a plus beaucoup de neige. Alors les gens choisissent plutôt le Tessin comme destination. Pour compenser une combinaison de ski, il faut vendre beaucoup de shorts en été!» Les chan gements en cours lui font peur et il n’y a pas de solution en vue. «Dans l’immédiat, nous essayons simplement de gérer la situation critique du tourisme. Difficile de penser au-delà.» Un nouveau cap grâce au théâtre? Devant le musée alpin de Nagulschbalmu (nom qui signifie «pas tout neuf» en dialecte valaisan), au-dessus des hôtels de style chalet de Rieder alp, un grand théâtre en plein air est en construction. Les poteaux en aluminium pour les tribunes et les rubans colorés pour suspendre les haut-parleurs contrastent vivement avec la cabane alpine vieille de quatre cents ans, marquée par les intempéries, qui abrite le musée. C’est là, à côté d’une antique fontaine en bois, que nous rencontrons Roberta Brigger, en costume paysan historique, prête pour les répétitions qui ont lieu tous les soirs. Cette ancienne monitrice de ski a repris la direction du musée alpin il y a un an. Elle est aussi fromagère passionnée. Quand elle parle de ses activités, on a l’impression qu’elle n’a jamais rien fait d’autre. Interrogée au sujet du glacier, Roberta Brigger évoque les randonnées à ski avec son compagnon Raymond. En hiver, quand les conditions sont bonnes, il est possible de partir du Jungfraujoch, à 3454 mètres d’altitude, et de descendre à ski jusqu’à Chatzulecher, au bout de la langue glaciaire, à 2010 mètres: «On glisse, on regarde en arrière et c’est chaque fois comme si n’avait même pas avancé», raconte-t-elle avec enthousiasme. En été, elle pratique la chasse au chamois près de l’Olmenhorn. Mais ces dernières années, c’est devenu de plus en plus dangereux. «Là où le glacier s’est retiré, la végétation n’a pas encore repoussé, les pierres ne tiennent pas et glissent sur la pente. Il faut faire très attention à ne pas tomber.» La pièce de théâtre historique en plein air a pour titre Le dernier sableur d’Oberried. Roberta Brigger y joue le rôle d’Agatha, la mère de la protagoniste Anna, amoureuse du sableur. Elle craint pour sa vie, car c’est lui qui parcourt les bisses aux endroits les plus dangereux, pour les débarrasser du sable déposé par l’eau du glacier. C’est donc grâce au courageux sableur que les Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
Avec ses 82 km2 de superficie et ses 22 km de long,
agriculteurs disposent en tout temps de l’eau nécessaire au bétail et aux terres. Toute l’intrigue s’articule autour de l’importance vitale de l’eau à Riederalp. «J’espère vraiment que notre pièce fera réfléchir les gens», dit Roberta Brigger. Puis elle évoque une amie âgée de 90 ans, qui ne jette pas l’eau de cuisson des pâtes ou des pommes de terre. Elle a encore connu l’époque où l’eau était rare. Que dirait-elle du terrain de golf de neuf trous au centre de Riederalp, arrosé à
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le glacier d’Aletsch est le plus grand des Alpes. Il est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2001.
grande eau pour rester vert même en plein été? Bientôt les spectateurs des tribunes auront vue sur ce gazon impeccable, tout en suivant les efforts du sableur qui lutte pour que les paysans aient accès à l’eau nécessaire pour vivre. 37 centimètres en quatre jours Laudo Albrecht a trouvé un endroit approprié pour escalader le glacier. Nous attachons les Gräppeni, les crampons à glace, à nos chaussures. Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
Le ciel est sans nuages et il fait 33° C à Viège, mais ici un vent glacial nous souffle au visage. D’abord, nous traversons des éboulis noirs, comme si un volcan avait incinéré la glace. De temps en temps, des crevasses bleues brillent comme des hublots révélant l’intérieur du glacier. Après la moraine, nous marchons sur la glace. Ce qui, vu de loin, ressemblait à une surface uniforme s’avère être une poésie de formes et de mouvements: creux, blocs de glace isolés, amas
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REPORTAGE
Roberta Brigger dans son musée alpin: «Les pierres ne tiennent pas et glissent sur la pente. Il faut faire très attention à ne pas tomber.»
de neige, courbes douces… À côté de nous, un torrent se fraie un chemin dans une crevasse. Le glacier, que Laudo Albrecht considère comme son vieil ami, siffle, gargouille, grince et pleure. Rien n’est vraiment statique et stable, tout est temporaire et en mouvement. Notre équipe se dirige vers une perche de bois plantée dans la glace. Une marque indique le niveau du glacier quatre jours auparavant: le glacier a perdu 37 centimètres depuis lors. «Quand je montre la diminution sur la balise d’ablation pendant une excursion, les gens sont choqués, dit Muriel Ehrbar, ranger pour Pro Natura. «Les adultes prennent souvent une posture défensive. Certains disent même qu’ils ne seront plus là en 2100. Les enfants sont un peu plus créatifs», précise-t-elle. Après avoir entendu les explications sur les causes an thropiques du changement climatique, une petite fille a ainsi déclaré qu’elle n’aurait jamais de voiture et qu’elle se déplacerait toujours à cheval. «Elle appartient à la génération qui assistera à la disparition de ce glacier.» Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
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Samuel Schlaefli a fait des études de journalisme, de sociologie et de sciences culturelles. Au jourd’hui, il travaille comme journaliste indé pendant et rédacteur pour divers magazines. Il écrit sur la durabilité, le changement clima tique et les conséquences de la mondialisa tion, de préférence lors de voyages et sous forme de reportages. www.samuelschlaefli.ch Anne Gabriel-Jürgens est née et a grandi à Ham bourg. Elle a obtenu un diplôme à Hambourg et un master en photographie à Berlin. Depuis 2004, elle travaille comme photographe in dépendante et collabore depuis 2010 à l’agence photographique 13 Photo (www.13photo.ch) à Zurich. En dehors des travaux de commande, elle réalise des projets indépendants, comme son nouveau livre Greina, publié aux éditions Transhelvetica, qui traite des frontières et de la protection de la nature. www.gabriel-juergens.net/greina_buch
SCIENCE CITOYENNE
OBSERVATION COLLECTIVE Le changement climatique affecte les températures et les précipitations. Sécheresse, inondations et glissements de terrain se multiplient et perturbent la végétation. Pour comprendre le changement et s’adapter aux nouvelles conditions, il faut observer les choses de près. Trois exemples de participation citoyenne à la science et à l’adaptation au changement climatique. Texte: Esther Banz, Photos: Isabel Truniger
Malgré les travaux d’aménagement, le Steinibach, qui traverse Dallenwil (NW), reste imprévisible. Michèle Odermatt le surveille de près pendant les orages.
SCIENCE CITOYENNE
Michèle Odermatt, femme au foyer, ingénieure en environnement et consultante en risques naturels «Je traversais le pont en courant et n’entendais plus qu’un grondement assourdissant. C’était les pierres que le Steinibach arrachait avec une force irrésistible et qui cognaient contre les bords du ruisseau.» Michèle Odermatt dit que ces cailloux parfois énormes dégageaient aussi une odeur: «Ils sentaient le soufre, à cause du frottement.» La consultante en risques naturels de la commune de Dallenwil (NW) était pressée de se rendre au centre d’opérations des pompiers. C’était une nuit de juin 2015 et personne ne s’attendait à ce que le ruisseau gonfle encore une fois. Dans ce village situé dans une vallée du canton de Nidwald, la pluie s’était arrêtée. Mais la veille au soir, deux orages s’étaient rencontrés plus haut, au Stanserhorn, et étaient restés bloqués sur place, produisant une pluie ininterrompue. D’où les masses d’eau dévalant le lit du ruisseau. Depuis cette nuit-là, plus personne dans le village ne lui demande pourquoi elle fait le travail bénévole de consultante en risques naturels. Malgré les travaux d’aménagement, le petit ruisseau peut devenir un torrent dangereux en cas d’orage, et certaines zones à flanc de colline pourraient subir un glissement de terrain. Michèle Odermatt observe spécifiquement les cours d’eau et les pentes. Ingénieure en environnement, elle connaît bien le génie hydraulique. Seule femme parmi les consultants en risques naturels formés par le canton, elle n’est pas originaire de la région, puisqu’elle vient de Zurich et s’est établie ici pour rejoindre son mari. Elle se sent bien acceptée dans le village. La jeune femme de 35 ans n’est pas rémunérée pour son travail. Elle perçoit simplement une indemnité pour sa participation aux séances et aux opérations en cas d’intempéries. Bien qu’elle n’ait pas de responsabilité officielle, elle ne va jamais se coucher sans avoir son téléphone portable près d’elle pour pouvoir être prévenue en cas d’alerte météorologique dans sa région et il lui arrive de scruter les cartes météorologiques au milieu de la nuit. Michèle Odermatt vit avec sa famille dans la partie supérieure du village. La tempête de 2015 n’a pas épargné sa maison: en quelques minutes, le filet d’eau qui s’était formé dans l’herbe est devenu un véritable ruisseau qui a Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
pénétré dans la cave de la maison de 150 ans. La belle-mère de Michèle Odermatt n’avait jamais rien vu de tel. Et son mari reste pensif: «Il dit souvent: on ne voit plus d’orages normaux, ce sont chaque fois des phénomènes extrêmes.» Comment les choses vont-elles évoluer? Personne ne le sait. Après les graves intempéries de 2005, avec des dommages chiffrés à plus de 2 milliards de francs en Suisse, la Confédération a pris diverses mesures de prévention et d’alerte précoce. Le changement climatique provoque de plus en plus de précipitations extrêmes, et le risque d’inondation et de glissement de terrain augmente. Les communes font désormais appel à des consultants en risques naturels. Ce sont souvent des personnes comme Michèle Odermatt, qui disposent des capacités nécessaires et qui connaissent bien les lieux. C’est un travail pragmatique, dit-elle: «Nous suivons l’évolution des tempêtes et nous réagissons en cas d’urgence, aux côtés des pompiers.» Pourquoi cet engagement? «Simplement parce que je m’intéresse à la nature et à ses pouvoirs.» Après l’éboulement de l’année dernière à Bondo, elle estime son travail encore plus nécessaire. Le recul des glaciers, le dégel du pergélisol et les nombreuses précipitations extrêmes peuvent créer des situations précaires en montagne. L’observation des risques naturels par des bénévoles comme Michèle Odermatt leur permet d’acquérir de l’expérience et de développer une capacité d’évaluation des événements. L’observation et l’échange créent ainsi une sorte de science citoyenne, qui peut sauver des vies. Brigitte Heiz, biologiste, employée à l’université et observatrice des arbres Parmi les centaines d’arbres et d’arbustes que Brigitte Heiz voit passer en allant travailler à vélo, elle en a choisi quatre: un noisetier, un marronnier d’Inde et deux bouleaux. Le grand noisetier se trouve sur un terrain privé, ses branches surplombent le trottoir. Le marronnier d’Inde fait partie d’une rangée d’arbres qui ombrage une allée. Et les deux bouleaux se situent dans un quartier résidentiel, près du zoo de Bâle. Trois fois par semaine, Brigitte Heiz se rend à l’Université de Bâle, où elle travaille à l’Institut d’archéologie. Depuis peu, elle s’arrête plusieurs fois en chemin pour faire ses observations. Oui,
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L’observation régulière d’une plante entraîne l’œil et la perception, mais parfois Brigitte Heiz fait face à un mystère.
même en hiver: «C’est la période de repos végétatif. Mais le noisetier peut se mettre à fleurir au milieu de la saison froide si les températures sont douces. Cet hiver, j’ai regardé dès décembre s’il y avait des ‹chatons›, qui sont les fleurs mâles du noisetier.» Brigitte Heiz a 51 ans et vit à Bâle-Campagne. Elle saisit ses observations dans la base de données PhaenoNet. Ce projet de science citoyenne est notamment soutenu par GLOBE Suisse, MétéoSuisse, l’Office fédéral de l’environnement et l’EPFZ. Il vise à enregistrer la croissance et le développement de certaines plantes indigènes au cours de l’année. Il s’agit en particulier de mieux comprendre l’impact du changement climatique sur les plantes. Pas besoin de connaissances spécialisées pour participer: l’application web PhaenoNet donne toutes les informations nécessaires, et prévoit des mécanismes pour éviter les erreurs: «Par exemple, je ne peux pas noter ‹début du jaunissement des feuilles› pour le noisetier au mois de mai; il y aurait tout Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
de suite un message d’erreur indiquant que ce serait en dehors de la moyenne à long terme.» Mais passons de la théorie à la pratique. Nous sommes devant Birkir 2, un des bouleaux suivis par Brigitte Heiz. Elle fait remarquer des petits fruits oblongs: «En y regardant de plus près, on voit que les fruits sont déjà assez épais et que certains commencent même à brunir.» Quand elle veut noter «début de la maturation», qui est la prochaine phase prévue, un message d’erreur apparaît: la date actuelle ne correspond pas à la moyenne à long terme, puisque cette phase dure en principe du 19 juillet au 27 septembre. La biologiste fait face à un mystère, puisqu’à la date du 20 juin, la plante aurait exactement un mois d’avance. Elle signale son observation dans le système, qui devrait répondre sans tarder. Brigitte Heiz est préoccupée par le changement climatique. C’est une partie de sa mo tivation à participer: «Je contribue à la recherche scientifique. Ça ne me coûte rien. Je suis plus consciente des saisons et j’apprends à mieux connaître les plantes à tous les stades de leur développement.» C’est gagnant-gagnant pour les bénévoles et pour la recherche, estime-t-elle. D’ailleurs elle donne elle-même des cours en biologie de terrain: «L’observation régulière entraîne l’œil. C’est une grande chance qu’un grand nombre de personnes s’impliquent dans ce projet sur la durée.» Son regard passionné témoigne du lien qu’elle a construit avec les arbres qu’elle observe. www.phaenonet.ch Auria Buchs, comptable et chercheuse dans le domaine de l’eau «Quand il pleut autant que ces derniers jours, je vais observer l’eau tous les jours», raconte Auria Buchs, 55 ans, qui travaille comme comptable dans une PME. Elle participe en tant que chercheuse bénévole à un projet de science citoyenne lancé par des doctorants de l’Université de Zurich. À l’automne 2017, elle télécharge l’application mobile CrowdWater et choisit un premier emplacement, puis un second. Depuis lors, elle visite régulièrement ces deux sites. Le premier est au bord de l’Aar, qui traverse son lieu de domicile, à Zollikofen, dans la région de Berne; plus précisément à la hauteur du restaurant Schloss Reichenbach, où un petit bac permet de traverser la rivière de mars à octobre.
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SCIENCE CITOYENNE
Le deuxième endroit est un ruisseau dont elle n’a pas encore réussi à découvrir le nom. Situé à proximité d’un chemin de fer, il charrie plus ou moins d’eau selon les jours, et s’assèche de temps en temps. Pas facile de le distinguer dans l’herbe, puisqu’il ne fait que 20 centimètres de large pour environ 10 centimètres de profondeur. «Là! Tu vois ces escargots de rivière?» Auria Buchs désigne quelque chose de brun et de rond. «Je viens seulement de les découvrir! Il y a aussi un triton. Ce ruisseau est plein de vie!» Auria Buchs s’est toujours intéressée à la nature et à l’eau. Mais elle n’avait pas l’habitude de s’arrêter régulièrement aux mêmes endroits et d’observer les choses de plus près. Elle dit que cet exercice l’a rendue beaucoup plus attentive: «Je reconnais les détails et je remarque les changements de manière plus consciente, y compris concernant la végétation autour de l’eau.» Elle est ravie de cet effet secondaire inattendu.
De manière bénévole, Auria Buchs transmet régulièrement des données sur l’Aar. Le but du projet de recherche est de mieux prédire les inondations.
Lorsqu’elle se tient à «son» endroit au bord l’Aar, elle fait toujours exactement la même photo avec son téléphone portable. La première fois, elle a placé un repère virtuel à l’autre bord du fleuve, qui lui permet maintenant d’enregistrer les changements dans le niveau de l’eau, sans avoir à noter quoi que ce soit. Elle photographie et transmet la photo, et c’est tout: la science et la technologie font le reste. Pour le petit ruisseau, l’application propose une sélection de conditions à décrire: «lit de ruisseau à sec», «lit de ruisseau humide», «flaques isolées», «flaques reliées entre elles», «eau stagnante», «cours d’eau». Il suffit de choisir la bonne catégorie et de transmettre le résultat. Une autre possibilité aurait été d’observer et de documenter une portion du sol pour le projet CrowdWater, mais Auria Buchs a préféré choisir un deuxième cours d’eau, un affluent de l’Aar dans le voisinage immédiat de son premier site d’observation. «Je voulais savoir comment l’eau du ruisseau se comporte par rapport à l’Aar.» Grâce à une observation régulière, elle s’intéresse maintenant au contexte plus général du problème de l’eau. Elle ne s’y attendait pas, c’est arrivé tout simplement. «Si mes observations sont utiles à la science pour la prévision et la gestion des inondations et des sécheresses, j’en serais très heureuse. Ce n’est pas vraiment un effort que je fais. Et l’exercice physique me fait du bien.» Le projet suisse CrowdWater collecte des données hydrologiques à travers le monde. Il vise à mieux comprendre les inondations et la sécheresse, mais aussi le mode de fonctionnement d’une recherche basée sur la participation citoyenne. www.crowdwater.ch
Esther Banz est journaliste indépendante et rédactrice à Zurich. Elle aime parcourir le pays à ras du sol pour rédiger ses textes. Isabel Truniger est née à Berne en 1970. Depuis son diplôme obtenu en 1996 à l’école des arts appliqués de Zurich, dans la section de photo graphie, elle travaille comme photographe indépendante pour divers magazines et clients. En même temps, elle pratique son autre passion – cultiver les plantes – en travaillant comme jardinière à temps partiel. Elle vit avec sa famille à Zurich.
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POINT DE VUE
LA POLITIQUE CLIMATIQUE SUISSE: LE GOUFFRE ENTRE LES INTENTIONS ET LES ACTES
Texte: Marcel Hänggi Illustration: Andy Fischli En décembre 2017, lorsque la conseillère fédérale Doris Leuthard a présenté le message relatif à la révision de la loi sur le CO2, un document destiné aux médias contenait un exemple typique d’infographie euphémisante: cinq petites Suisses dont la couleur était censée représenter, à cinq échéances différentes, les objectifs de réduction de CO2 à atteindre, et donc l’effort restant à accomplir. La Suisse de 2012, avec une réduction du niveau des émissions de 8%, était colorée à 92% en gris foncé. Celle de 2050 correspondait à l’objectif de réduction de 70 à 85%. Logiquement, entre 15 et 30% de la surface auraient dû être en gris foncé. Or seuls le Sottoceneri et l’extrême sud du Valais étaient colorés en gris, soit à peu près 5% de la surface. J’ai retrouvé ce graphique en avril dans une brochure* dans laquelle l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) explique comment la Suisse compte mettre en œuvre l’Accord de Paris sur Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
le climat adopté en 2015. Mais, cette fois, environ 15% de la superficie de la Suisse en 2050 étaient colorés en gris foncé. Cette anecdote en dit long: l’OFEV doit expliquer la politique du Conseil fédéral et reprend donc un graphique du Conseil fédéral. Mais, ne pouvant en assumer complètement le contenu, il le corrige comme si de rien n’était. Après tout, des experts travaillent dans cet office; ils connaissent le sujet et savent de quoi il retourne. Le potentiel de réduction n’est pas épuisé «L’Accord de Paris marque le début d’une nouvelle ère: le 12 décembre 2015, la communauté internationale a dit oui à un monde sans énergies fossiles», écrit Christine Hofmann, directrice suppléante de l’OFEV, dans l’avant-propos de la brochure. Le message d’une vidéo** de l’OFEV datant de fin 2017 est tout aussi clair: «Nous devons remettre en question notre approche et notre manière d’agir.»
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POINT DE VUE
Or, et c’est là le dilemme, l’OFEV se doit, en tant qu’office fédéral, de défendre loyalement une politique et ne peut pas «remettre en question» l’approche suivie. C’est ainsi que la brochure contient également des phrases réconfortantes du style: «Toutefois, la large palette des véhicules compacts et efficaces sur le plan énergétique actuellement disponibles [autrement dit les automobiles] offre un potentiel de réduction des émissions colossal à un coût avantageux.» L’OFEV est conscient que ce potentiel de réduction ne sera pas suffisant et que le secteur des transports dépendra par conséquent de projets de compensation à l’étranger. Mais, et l’OFEV le sait également, de tels projets n’existeront plus à un moment donné si l’Accord de Paris est réellement pris au sérieux, car aucun pays ne sera prêt à ce que ses réductions soient créditées à un autre pays pour de l’argent. Il y a incompatibilité entre ce que propose le Conseil fédéral et ce que devrait faire la Suisse en raison de l’Accord de Paris. Avant même la conférence de Paris sur le climat, le Conseil fédéral s’était fixé comme objectif de réduire les émissions de CO2 de moitié d’ici 2030 et de 70 à 85% d’ici 2050 – compensations à l’étranger incluses – dans l’espoir que le nouvel accord vise un réchauffement maximal de 2° C. Or l’accord préconise désormais un seuil «nettement en dessous» de 2 °C, si possible 1,5. Lors des négociations, la Suisse a soutenu cet objectif plus ambitieux, mais le Conseil fédéral ne s’est pas senti obligé d’ajuster ses propres objectifs en conséquence. La brochure de l’OFEV cite à plusieurs reprises l’objectif de Paris – «nettement en dessous de 2° C» – pour évoquer dans la foulée «la limite des 2° C». Un chapitre est du reste intitulé «Au-delà de 2° C, nous allons droit dans le mur.» Lequel de ces deux objectifs poursuit-on en définitive? Un manque de volonté d’agir La brochure accorde beaucoup de place aux investissements dans des projets nuisibles au climat. À juste titre: les investissements effectués par les caisses de pension et les compagnies d’assurance suisses, peut-on y lire, «favorisent un scénario induisant un réchauffement climatique mondial compris de 4 à 6° C». Et que pro-
pose-t-on? «Le Conseil fédéral s’attend à ce que les acteurs du marché financier en Suisse participent davantage, et spontanément, à la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris.» La brochure de l’OFEV est un parfait exemple pour illustrer ce qui caractérise la politique de la Suisse sur le climat, à savoir le gouffre existant entre, d’une part, son ambition d’être à la pointe à l’échelle internationale, notamment en ce qui concerne le savoir requis et, d’autre part, le manque de volonté d’agir. La ministre de l’Environnement Doris Leuthard m’avait déjà parlé de ce problème avec une franchise qu’il convient de souligner lors du sommet de Paris, lorsque je lui avais demandé si la Suisse était désormais prête à orienter sa politique climatique vers l’objectif de 1,5° C. «Oh, vous savez, m’avait-elle répondu, nous serions déjà heureux d’être sur la voie des 2° C.» J’ai demandé à Christine Hofmann si mon impression d’être en présence d’une contradiction était fondée. Dans son courriel, la vice-directrice a reconnu que des termes comme «la limite des 2° C» étaient «une forte simplification de situations complexes». Pour une brochure destinée au grand public, une telle formulation serait toutefois «justifiable à l’heure actuelle». Et en ce qui concerne la place financière, il n’y a «pas de contradiction», car la réglementation n’est «pas la seule réponse possible à un problème». La réponse de Christine Hofmann est très loin du langage clair de son avant-propos. Elle n’a pas répondu à ma question. Mais ne pas répondre est aussi une manière de répondre... Marcel Hänggi est journaliste environnemental indépendant, auteur et co-responsable de l’initiative populaire www.protection-climat.ch www.mhaenggi.ch Andy Fischli est illustrateur indépendant, dessinateur et directeur d’ateliers de bandes dessinées. * Office fédéral de l’environnement (OFEV): La politique climatique suisse: mise en œuvre de l’Accord de Paris, Berne, 30 avril 2018. La brochure peut être téléchargée en format PDF sur le site Internet de l’OFEV: www.ofev.admin.ch. ** La vidéo se trouve sur YouTube, sous les mots clés «OFEV» et «limites planétaires».
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ENTRETIEN
«NOUS AVONS BESOIN DE LA MER POUR RESPIRER»
D’où vous vient cette fascination pour la mer? Enfant, je passais souvent mes vacances sur la côte ouest du Danemark. J’adorais chercher des coquillages et autres crustacés rejetés par les flots sur la plage. La rudesse et l’impétuosité de la mer du Nord m’ont appris la puissance des océans. En même temps, j’éprouvais un incroyable sentiment de sérénité en regardant l’horizon qui semblait infini. Cela m’a fortement marqué. Quand avez-vous réalisé que le changement climatique avait des effets sur les océans? Alors que je travaillais sur mon doctorat à la station de Sylt, dans la mer des Wadden, une étude a montré que la température de la mer du Nord était plus élevée qu’au cours des décennies précédentes et incitait les petits crabes à nager plus tôt dans l’année. Or la morue se nourrit de ces crustacés et, d’un seul coup, prédateurs et proies vivaient plus longtemps dans le même biotope, ce qui faisait baisser le nombre des crustacés. J’ai alors réalisé que les effets du changement climatique étaient visibles à notre porte. J’étais bouleversée. J’ai ressenti la même chose lorsque, à l’occasion d’une expé dition avec Greenpeace dans l’Arctique, nous avons pu prouver que de l’eau chaude subtro picale, qui fait fondre les glaciers par le bas, arrivait dans l’Arctique en raison de l’évolution des courants marins. Quelles sont les répercussions les plus frap pantes sur les écosystèmes marins? Les mers se réchauffent et deviennent plus acides, car, à cause de la teneur accrue en CO2 dans l’atmosphère, ils absorbent toujours plus de dioxyde de carbone. Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
© PI ER R E G LEI Z ES / G R EEN PEAC E
Experte en biologie marine, la nouvelle directrice de Greenpeace Suisse, Iris Menn, parle des graves répercussions des changements climatiques sur nos océans.
Qui souffre le plus de ces changements? Les animaux et les plantes qui ne peuvent pas s’adapter disparaissent, certains définiti vement. De nombreuses personnes sont en outre directement dépendantes de la mer, plus concrètement de la pêche: en Afrique et en Asie, le poisson constitue une ressource protéique importante, souvent la seule. Dans certains pays de l’UE, comme l’Espagne et la Grèce, l’industrie de la pêche procure des emplois précieux. Quelle importance les océans ont-ils pour les Suisses? Nous avons besoin de la mer pour respirer. 70% de l’oxygène que nous inhalons provient des océans. Ceux-ci fournissent en outre des matières premières. En Suisse, nous consommons chaque année environ 8,6 kilos de poisson par personne, et seule une toute petite partie provient de la pêche locale. Même si la Suisse est un pays enclavé, elle ne peut se soustraire à sa responsabilité en matière de protection des océans. Entretien réalisé par Yvonne Angliker, porte-parole de Greenpeace.
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Iris Menn est directrice de Greenpeace Suisse depuis le mois de juillet. Cela fait douze ans que cette spécialiste en biologie marine occupe des fonctions de direction et de gestion dans des ONG internationales. Elle a notamment travaillé en tant que responsable de campagne, d’équipe et d’expédition auprès de Green peace Allemagne.
PHOTOREPORTAGE
QUAND LA VIE BASCULE Dans son projet à long terme Drowning World, le photographe Gideon Mendel capture une expérience humaine qui fait disparaître les frontières géographiques et culturelles. En remportant le Prix du jury du Greenpeace Photo Award 2016, il a pu ajouter de nouveaux chapitres de cette histoire aux États-Unis et en France. Texte: Ursula Eichenberger
João Pereira de Araújo, Taquari District, Rio Branco, Brésil, mars 2015.
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L’eau lui arrive jusqu’au cou, au sens propre du terme. Sa tête semble posée dessus, le menton appuyé sur le miroir de l’eau. Le reste du corps disparaît dans le liquide brunâtre. À l’arrière- plan, on peut voir la partie supérieure d’une porte ouverte: l’entrée de son ancienne demeure, dans un village du Brésil. Nous ne saurons jamais ce qui se cache derrière, sauf que c’est certainement sous l’eau. C’est un des portraits les plus impressionnants du projet photographique que Gideon Mendel réalise depuis plusieurs années sur le thème du «monde qui se noie» (Drowning World). Depuis 2007, il se rend partout où le niveau de l’eau s’élève soudainement. Dès qu’il entend parler d’inondations, il se demande automatiquement s’il va partir. En Haïti, en Inde, au Bangladesh, en Thaïlande ou au Nigeria, mais aussi dans des pays occidentaux comme l’Angleterre ou l’Allemagne. Un tel projet n’est pas toujours facile à réaliser. Il lui faut obtenir les autorisations nécessaires, trouver les moyens de se déplacer dans les zones inondées, organiser un traducteur, réfléchir aux problèmes techniques. Une fois sur place, il cherche à contacter des gens dont la vie a basculé et qui se sont retrouvés la tête sous l’eau. Souvent, il les accompagne la première fois qu’ils retournent dans leur ancien logis. Nous regardons dans les yeux des gens qui n’ont plus rien d’autre que leur corps. Leur maison a peut-être été emportée par les eaux ou complètement détruite. Peut-être leur magasin est-il dévasté ou leurs objets privés ont-ils été emportés par la force inexorable des flots. À travers ces yeux, on a l’impression de pénétrer jusqu’au plus profond de leur âme. On y reconnaît la colère, le chagrin, mais aussi la combativité. Mendel réussit à saisir dans ces moments de désespoir profond une grande dignité humaine. «Le désastre narratif ne m’intéresse pas», ex-
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Loïc Horatius, rue du Château, Villeneuve-Saint-Georges, France, février 2018.
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plique-t-il. Il essaie plutôt de montrer la vulnérabilité de ces femmes et de ces hommes. «Et j’aimerais la partager avec tout le monde.» Une esthétique déroutante Mendel s’investit corps et âme dans ses reportages, s’attarde sur certains thèmes, s’implique totalement. Il présente lui-même son travail, qui prend souvent la forme de projets à long terme, comme une «mission». «J’ai de la peine à terminer un projet», concède-t-il. Le destin de ces êtres humains l’intéresse, que ce soit sous le régime de l’apartheid de son pays natal, l’Afrique du Sud, à la suite des ravages du sida ou des conséquences du changement climatique. Il pense à quoi ressemblera le monde quand ses enfants auront son âge et s’intéresse à l’arrière-plan historique et culturel des thèmes qu’il aborde. «L’inondation a pour tout le monde quelque chose de symbolique », dit-il, faisant notamment référence à la violence des flots dans la Bible. Les portraits de Mendel auraient presque un caractère classique s’ils ne se s’inscrivaient pas dans un contexte alarmant. «Cela a quelque chose d’inattendu», constate-t-il. Certains clichés rayonnent même d’une beauté déroutante. Les personnes et les objets apparaissent comme dans un miroir, leur image se reflète dans une symétrie parfaite, les couleurs brillent dans l’eau, les formes dessinent des lignes esthétiques. «Quand l’eau est haute, tout est calme. Le temps s’arrête», explique Mendel. Ce calme est toutefois trompeur: lorsque le niveau de l’eau baisse, l’ampleur de la catastrophe devient visible, la puanteur se répand, la boue se tasse. Il ne reste que des traces de dévastation. Au cours des onze dernières années, Gideon Mendel a développé différentes trames narratives. Il décrit la série Submerged Portraits comme le cœur de son projet. Parallèlement, il a regroupé sous le titre de Watermarks des archives de photographies d’objets définitivement marqués par les eaux. Après des inondations catastrophiques en Australie, le photographe ayant trouvé des photos dans la rue les avait rapportées à sa chambre d’hôtel. «Ce que j’y ait découvert m’a touché. Ces photos abîmées étaient une métaphore de l’influence que le changement climatique peut avoir sur notre mémoire.» Avec la série Floodline, Mendel a finalement créé un autre genre d’«investigation visuelle». Ce sont Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
les lignes d’anciens niveaux de crues qui traversent ces espaces, marquent les murs. «Dans un espace qui a un caractère chaotique, ils ont quelque chose de très précis», ajoute-t-il, et à nouveau d’incroyablement esthétique. Certaines de ces images font penser aux toiles de Mark Rothko. Des archives de rencontres émouvantes Qu’on y voie ou non des personnes, toutes les photos de Mendel mettent l’accent sur la dimension humaine. C’est ainsi que, outre des archives de photos impressionnantes, il a cumulé les rencontres touchantes. Après l’inondation du siècle au Nigeria en 2011, par exemple, qui avait coûté la vie à plus de 500 personnes, Mendel s’était rendu dans un petit village au sud du pays. Les simples huttes en pisé avaient été emportées par les eaux, tandis que les bâtiments en ciment habités par la classe moyenne étaient encore debout, mais inondés. Il a rencontré une femme, une boulangère, qui avait tout perdu: sa maison, sa boulangerie qui employait vingt personnes, ses fours. Rien n’était assuré. «J’ai fait une photo d’elle, raconte Mendel, et je voulais aussi lui proposer de l’aide. Mais la seule chose qu’elle souhaitait, c’est que je montre au monde ce qui s’était passé. Et c’est exactement cela que j’essaie de faire.»
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Gideon Mendel, né à Johannesburg en 1959, a étudié la psychologie et l’histoire de l’Afrique au Cap. Ses premières photos montrent les dernières années de l’apartheid. Il travaille régulièrement pour Weekend, le supplément dominical du Guardian, et ses photos sont publiées dans de nombreux magazines inter nationaux, dont National Geographic, Geo, Stern et Rolling Stone. Ursula Eichenberger, qui a étudié l’histoire et la gestion de projets à but non lucratif, a écrit pour divers médias comme la Neue Zürcher Zeitung. Jusqu’en 2006, elle était rédactrice au Tages-Anzeiger pour les questions sociales et sociétales. Depuis, elle travaille pour des fondations et des organisations à but non lu cratif (dont UNICEF Suisse) et écrit des livres. Le vote du public pour le Greenpeace Photo Award 2018 aura lieu du 1er au 31 octobre 2018. Visitez notre site, choisissez votre favori parmi les sept nominés et votez. Le projet qui obtiendra le plus grand nombre de voix remportera le Prix du public, d’une valeur de 10 000 euros. Un Prix du jury, d’un même montant, sera également décerné. www.photo-award.org
Vilian Sousa da Silva, Taquari District, Rio Branco, Brésil, mars 2015. Maison de Wista Jacques Gonaïves, Haïti, septembre 2008.
PHOTOREPORTAGE
Maison de Pira, rue de Belle Place, Villeneuve-Saint-Georges, France, février 2018. Roslan Bejean, chemin des Pêcheurs, Villeneuve-Saint-Georges, France, février 2018.
Francisca Chagas dos Santos, Taquari District, Rio Branco, Brésil, mars 2015. Trouvé lors de l’inondation, Jawahar Nagar Srinagar, Cachemire, Inde, octobre 2014.
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PHOTOREPORTAGE
Maison de Hocine Hachtoun, rue du Château, Villeneuve-Saint-Georges, France, février 2018. Rancho Bauer Drive, Memorial, Houston, États-Unis, septembre 2017.
Levi Thomas et Anna Fopolski, San Marco, dans la région de Jacksonville, Floride, États-Unis, septembre 2017. Maison de Debbie Bravo, Rancho Bauer Drive, Memorial, Houston, États-Unis, septembre 2017
THE SOUND OF SILENCE
PAYSAGES SONORES
Le changement climatique a une dimension jusqu’ici insoupçonnée: il agit sur les sons de la nature et modifie les paysages sonores de notre environnement. Texte: Christian Schmidt Illustration: Lina Müller Pour Ludwig Berger, le changement climatique s’est manifesté dès sa première randonnée au glacier de Morteratsch. Pas seulement parce qu’il est passé devant de nombreuses balises enregistrant le recul de la glace comme la chronique d’une mort annoncée. C’était en février 2016, une journée ensoleillée et chaude. Nettement trop ensoleillée et nettement trop chaude. Ludwig Berger a traversé cette vallée meulée par la glace avec une série de microphones dans ses bagages, du type de ceux qu’on en utilise pour la photographie sous-marine. Diplômé en musicologie et en composition électroacoustique, il était venu écouter la fonte des glaciers, comme un médecin pose le stéthoscope sur un patient gravement malade. Depuis 1880, la langue glaciaire a reculé de 2,5 kilomètres, soit un quart de sa longueur. Le taux de fonte a plus que doublé ces dernières années. Berger voulait percer des trous dans la glace, y insérer des micros et enregistrer les sons de cette désagrégation. Mais l’expérience s’est terminée de façon décevante: «Au début, je n’entendais que le son des micros, rien d’autre», déclare-t-il aujourd’hui de son poste de travail au MediaLab du département d’architecture du paysage de l’École polytechnique fédérale de Zurich. «Ce n’est que lorsque les trous ont été à nouveau gelés que j’ai entendu un grondement profond et constant: le bruit de base du glacier.» Berger sentait toutefois qu’il pouvait faire mieux.
Des grondements et des gémissements Un mois plus tard, après avoir assimilé quelques astuces techniques, il est retourné dans les Grisons avec un groupe d’étudiants. C’était la mimars, et alors que le printemps était sur le point d’arriver, une tempête de neige s’est déchaînée. Berger a de nouveau cru percevoir les signes du changement climatique: «Il n’y a plus de saisons.» Pendant que le groupe tâtonnait dans la neige, il a revu sa stratégie: «Je n’avais plus l’inMagazine Greenpeace Nr. 3 — 2018
tention de geler les micros, mais de les presser, enveloppés dans la neige, contre le glacier.» Et ça a marché. Lorsque Berger a mis ses écouteurs, il a entendu pour la première fois la vie du glacier de Morteratsch. Un bruit de bulles, des grondements, des craquements et des gémissements. Un bruissement, des égouttements et des gargouillis. Un bourdonnement intergalactique, des grincements et des sifflements. Le glacier murmurait, chantait, fulminait, gémissait, jubilait et pleurait. Ce n’est pas qu’il considère le glacier de Morteratsch comme un être vivant, explique Berger en écoutant les enregistrements au MediaLab. «C’est, comment dire, trop émotionnel et trop kitsch.» Mais quand il réfléchit à ce qui se cache derrière ces sons, pourquoi ils se produisent, cela le touche, «et même beaucoup». Berger et ses étudiants ont entre-temps monté une exposition pour rendre compte de leur rencontre avec le glacier, ils ont enregistré les sons sur vinyle et les ont, en partie, publiés sur Internet. Une signature acoustique Le changement climatique a une dimension que l’on ignorait jusqu’ici: non seulement, il réchauffe l’atmosphère, fait monter le niveau des mers et provoque des sécheresses, mais il a aussi un impact sur le monde du bruit. Raymond Murray Schafer a été le premier à reconnaître l’importance de ce qu’on appelle les soundscapes ou «paysages sonores». Dans les années 1960, le compositeur canadien a réalisé que la partition de la nature ne comprend pas uniquement des sons. Les paysages sonores reflètent l’environnement et fournissent des informations sur la diversité des espèces. Chacun a sa propre signature acoustique. Si les cris d’animaux manquent soudain parce que ces derniers ont été chassés, décimés ou exterminés, la signature change. Les conclusions de Schafer correspondaient à son époque. Peu auparavant, la zoologiste Rachel Carson avait fait des recherches sur la façon dont un pesticide, le DDT, avait tué des millions d’oiseaux chanteurs aux États-Unis et publié un livre intitulé Silent Spring, le «printemps silencieux». Le CO2, agent perturbateur Pendant que Ludwig Berger écoutait le Morteratsch dans les Alpes suisses, le biologiste marin
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PAYSAGES SONORES
Tullio Rossi s’occupait d’un paysage sonore complètement différent. Né en Italie et domicilié en Australie, Rossi enquête sur une question qui, «pour des raisons mystérieuses», n’a longtemps pas été prise en compte: le changement climatique affecte-t-il aussi la vie sous la surface de l’eau? Concrètement, le CO2 modifie-t-il la communication des habitants des mers? Pour trouver une réponse, Rossi a cherché dans le monde entier des eaux dont la teneur en CO2 est déjà aussi élevée que les taux prévus pour la fin du siècle. Il les a trouvées au large des îles d’Ischia et de Vulcano, en Méditerranée, et de White Island, dans l’océan Indien. Là, des cheminées sous-marines volcaniques libèrent du CO2 dans les quantités attendues. Rossi a installé des enregistreurs sous-marins sur des récifs à proximité. Ces récifs abritent des crevettes-pistolet qui ne mesurent que quelques centimètres, mais sont la deuxième source de bruit sous l’eau après les cachalots. En fermant brusquement leur plus grosse pince, elles créent une bulle qui implose peu de temps après, provoquant une violente détonation. Si une colonie de crevettes claque leurs pinces, elles génèrent un bruit semblable au crépitement d’une forte pluie d’orage ou aux roulements de tambours d’un groupe de jeunes cadets. Cela permet à ces animaux de communiquer entre eux, mais aussi d’étourdir leur proie. Rossi a enregistré le niveau sonore et la fréquence à laquelle les crevettes-pistolet utilisaient leurs pinces, puis a comparé les résultats avec des données provenant d’environnements marins moins chargés en CO2. Quand il a vu les résultats, il a été surpris. Il ne s’attendait pas à un constat aussi net: «Les crabes des îles volcaniques claquent en effet leurs pinces nettement moins souvent et moins fort. Ça veut dire... – Rossi cherche les mots justes – que dans quelques décennies, les océans seront beaucoup plus tranquilles». Cela a des conséquences. Les crevettes servent d’éclaireurs aux larves de poissons. Dans leurs gènes, les alevins ont stocké l’information selon laquelle ils trouvent une protection contre les prédateurs à la source du bruit, dans les récifs. Ils nagent donc vers le lieu du claquement des pinces. Rossi suit le fil de sa pensée: «Si le bruit des crabes est trop faible et que les larves ne peuvent plus se réfugier dans le récif, elles seront mangées et l’écologie des océans deviendra Magazine Greenpeace N0 3 — 2018
encore plus confuse qu’elle ne l’est déjà. Cela veut dire qu’à un moment donné, le poisson manquera aussi dans nos assiettes.» Avec près de neuf milliards d’habitants dans le monde, cela deviendra un problème. Tullio Rossi a intitulé son travail scientifique sur les crabes Silent Oceans. Des effets dramatiques Les «paysages sonores» sont entre-temps devenus un champ de recherche et une orientation artistique à part entière. Ils permettent d’expérimenter le changement climatique à un autre niveau. L’Américain Bernie Krause, expert mondialement reconnu sur ce sujet depuis quarante ans, a réalisé un long article dans lequel il présente les conséquences de l’effet de serre sur le plan acoustique. Pour résumer, disons qu’elles se manifestent partout. Dans le chant des oiseaux qui sont chassés de leur habitat; dans le chant des baleines, qui adaptent la fréquence, l’intensité et la durée des sons qu’elles émettent; dans la portée des ultrasons que les chauves-souris utilisent pour chasser; dans les vocalises des grenouilles lors de l’accouplement, qui sont moins intenses, voire inexistantes. «Le changement climatique provoque des transformations irréversibles des biotopes. Il porte dramatiquement atteinte aux communautés animales et provoque l’extinction rapide des espèces», résume Krause. Stress de la sécheresse en Valais Le changement climatique se manifeste également dans des domaines qui ne sont pas accessibles à l’oreille humaine, par exemple à l’intérieur des arbres. Au printemps 2018, le scientifique et artiste sonore zurichois Marcus Maeder s’est rendu dans le Valais et est monté à Salgesch en direction de Trubelstock, jusqu’à un promontoire offrant une vue sur toute la vallée. Là se dresse un pin isolé. Maeder le salue comme un vieil ami. En 2015, il l’a mis au centre de son installation intitulée Trees, réalisée en coopération avec l’écophysiologue Roman Zweifel, une création multimédia consacrée aux effets du changement climatique sur les arbres. L’installation a fait le tour du monde. François Hollande, alors président de la République française, avait invité Maeder et Zweifel à la pré senter lors de la Conférence de Paris sur le climat, à laquelle participaient deux cents États. Marcus Maeder jauge le pin: «Il va bien». Il a l’air soulagé. Petite pause. «Il est encore jeune.»
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me tromper, mais cette forêt aura sans doute un tout autre aspect dans cinquante ans.» Influence des sons sur l’empathie Qu’il s’agisse de Marcus Maeder, du biologiste marin Tullio Rossi ou du compositeur Ludwig Berger, tous s’intéressent aux paysages sonores pour la même raison: les sons ont un accès direct à notre cœur, ils nous touchent plus que d’autres impressions. Des sons comme le rire et les pleurs sont responsables d’une activité particulièrement élevée dans le cortex cérébral et nous amènent à éprouver de l’empathie et à nous impliquer. Les sons influencent également notre perception visuelle; nous vivons les impressions visuelles différemment lorsque nous écoutons de la musique triste ou joyeuse. En résumé: les sons influencent notre capacité d’empathie. Pour Bernie Krause, les paysages sonores sont le meilleur moyen d’accorder enfin l’attention nécessaire au changement climatique: «Une image dit plus que mille mots. Mais un paysage sonore dit plus que mille images.» Christian Schmidt est journaliste, rédacteur pour des ONG et écrivain. Indépendant par conviction, il a reçu diverses distinctions, notamment le Prix des journalistes zurichois. Lina Müller a grandi dans le Jura soleurois. Elle a étudié aux hautes écoles d’art et de design de Zurich et de Lucerne ainsi qu’à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie. Elle travaille aujourd’hui comme illustratrice et artiste indépendante.
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Ce n’est pas le cas des arbres qui l’entourent. Ils atteignent tout juste dix mètres de haut, puis leur croissance s’arrête, et de nombreuses branches de gui témoignent de leur fragilité face aux parasites. Il fait beaucoup trop sec en Valais et le phénomène devrait s’aggraver, estime Maeder. «Les arbres sont stressés, très stressés.» La principale raison? Le changement climatique. «C’est assez clairement prouvé sur le plan scientifique.» Marcus Maeder s’apprête à rendre audibles ces conséquences en s’appuyant sur l’exemple de son jeune pin. Il sort une épingle dorée d’une boîte capitonnée – elle lui sert de senseur acoustique –, la plante dans l’écorce du tronc et la connecte à un amplificateur. Puis, il met son casque. Un léger bruit de bulles, un bruissement et un écoulement se font entendre et, de temps à autre, un crépitement sourd, plus ou moins fort, retentit, comme si des allumettes se brisaient, comme des pas dans un chalet en bois, puis à nouveau un bruit de bulles et des craquements... «Des cavitations, dit Maeder. Elles se produisent lorsque la sève cesse de circuler à l’intérieur du tronc et que de l’air y pénètre.» Les conséquences? Maeder indique les pins avoisinants: certains troncs sont déjà tout brun, d’autres partiellement. L’apport de substances nutritives ne suffit plus; les arbres dépérissent. Le jeune pin présentera bientôt les mêmes symptômes. Puis il regarde en bas, dans la vallée, la forêt de Finges, vieille de dix mille ans, un parc naturel d’importance régionale qui protège en même temps la commune de Loèche. «J’espère
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CAMPAGNES
ACTIONS DE GREENPEACE EN FAVEUR DU CLIMAT
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Le problème du climat est mondial et complexe. Les causes du changement climatique sont notamment les gaz à effet de serre, surtout le dioxyde de carbone résultant de la combustion des énergies fossiles telles que le charbon, le pétrole et le gaz. Chaque trajet en voiture ou en avion, la consommation de fuel et d’électricité, mais aussi le méthane provenant de l’élevage des bovins et la destruction des forêts anciennes, tout cela amplifie le phénomène. Devant un problème aussi complexe, la solution ne peut être que pluridimensionnelle. C’est la raison pour laquelle, dans son engagement pour la protection du climat, Greenpeace agit aussi bien sur le plan politique qu’auprès des multinationales, et naturellement de chaque individu.
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Philippines, Tacloban, 1er mars 2018 Les habitants des Visayas orientales ont créé, en collaboration avec Greenpeace Asie du Sud-Est, la LIVErary, une bibliothèque humaine. Des conteurs, des danseurs et des experts y retransmettent leur savoir et leurs expériences en matière de justice climatique.
Luxembourg, 20 janvier 2018 À l’occasion de la Journée internationale des pingouins, l’attention de la population de différentes villes a été attirée sur la disparition de l’espace vital de ces animaux.
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Italie, Adriatique, 14 avril 2018 Action de Greenpeace contre les activités pétrolières et gazières sur les côtes italiennes.
Italie, Trieste, 19 avril 2018 Manifestation de Greenpeace lors de l’assemblée générale de la compagnie d’assurances Generali. Celle-ci est priée de mettre un terme à ses investissements dans le charbon.
Thaïlande, Phuket, 9 juin 2018 L’expédition 2018 du Rainbow Warrior est placée sous le principe «100% d’énergies renouvelables pour tous». Sur la plage, les habitants ont pu visiter une exposition sur les effets du changement climatique.
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Norvège, 22 mars 2018 Manifestation contre la prospection pétrolière offshore de Statoil au large de la Norvège.
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Victoire de Napoléon sur les Prussiens
Habitat d’oiseaux Entourée d’eau
Canaux d’irrigation historiques
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Figure sur les diplômes
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Groupe énergétique américain qui a déposé une plainte contre Greenpeace
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MENTIONS LÉGALES GREENPEACE MEMBER 3 / 2 018 Éditeur/ adresse de la rédaction: Greenpeace Suisse Badenerstrasse 171 Case postale 9320 8036 Zurich 044 447 41 41 redaction@greenpeace.ch www.greenpeace.ch Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Manù Hophan (rédaction photographique),
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Correction/relecture: Text Control, Marc Rüegger Auteurs: Yvonne Angliker, Esther Banz, Ursula Eichenberger, Marcel Hänggi, Samuel Schlaefli, Christian Schmidt Traduction en français: Nicole Viaud et Karin Vogt Fotos: Anne Gabriel-Jürgens, Gideon Mendel, Isabel Truniger
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Illustrations: Andy Fischli, Lina Müller Maquette: Hubertus Design Impression: Stämpfli AG, Bern Papier couverture et intérieur: 100% recyclé Tirage: d 84 500, f 16 000 Parution: quatre fois par année
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