Greenpeace Magazine 2018 n°4

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Best of Stories 2016-2018 G REEN PEACE MEMBER 20 18, N O 4

— Rainbow Warrior III: première expédition en vue  p. 48

— Expédition en ­Arctique 2011: la grande fonte  p. 43

— Conférence Rio+20: des paroles, peu d’actes  p. 11

— La production d’acier détruit la forêt vierge  p. 40

— Miel des villes: quand les abeilles s’urbanisent  p. 49

— David contre Goliath — épreuve de force en Arctique  p. 12

— La vie sauvage, redoutée et vénérée  p. 3

— Résistance, pour sauver la liberté  p. 14

— Reportages: sortir de l’impasse climatique  p. 7

— Pesticides: notre pomme quotidienne  p. 34

La commercia­lisation de l’environnement  p. 4

En finir avec le nucléaire

La foi en l’environnement

Quand l’art s’en mêle  p. 2

Sur les traces du climat


DOSSIER: BEST OF

Chers adhérents,

ARTICLE DE FOND

Deux femmes et le pétrole

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REFUGES

Des noms, pas des numéros

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PLASTIQUE

La croisière méditerranéenne 18 la plus durable de tous les temps KRILL/ANTARCTIQUE Les plus gros ont besoin 22 des plus petits ÉDITORIAL, PAR IRIS MENN ����������������������������������������������������������������������������������������������������������� 1 RELANCE DU MAGAZINE ��������������������������������������������������������������������������������������������������������������30 MOTS FLÉCHÉS ÉCOLOS, MENTIONS LÉGALES ����������������������������������������������������������� 32

Articles en ligne La rédaction a compilé ses articles préférés à partir des textes les plus appréciés de ces dernières années. Nous les mettrons progressivement en ligne dans les mois à venir. Nous les avons actualisés et complétés par des informations, des astuces et des possibilités d’agir. Essai Dans son essai, Philippe Schenkel, notre expert pour les questions agricoles, décrit la vision d’une agriculture écologique et respectueuse des animaux en Suisse. Entretien intergénérationnel Nos chroniqueuses Danielle Müller et Inga Lass, toutes deux de la «génération Y», rencontrent nos deux chroniqueurs plus expérimentés Kuno Roth et Markus Waldvogel.

Magazine Greenpeace en ligne: www.greenpeace.ch/fr/greenpeace-magazine

Le magazine que vous tenez dans vos mains est le dernier à paraître sous cette forme. L’an prochain, nous présenterons un nouveau magazine proche des adhérents de Greenpeace. Nous continuerons de produire des textes attractifs et indépendants, placés sous le signe d’un journalisme constructif. Pour boucler la boucle, cette édition reprend quelques-uns des articles les plus appréciés de ces deux dernières années. Vous trouverez la suite de notre sélection sur notre site Internet. Les déchets plastiques, l’écologie marine et le bien-être animal sont des sujets qui nous intéressent au quotidien. Par contre, on a souvent tendance à oublier que les principales causes du réchauffement climatique – les énergies fossiles comme le pétrole, le charbon et le gaz – font justement partie intégrante de notre vie quotidienne. Le journaliste suisse Romano Paganini, qui vit en Équateur, décrit les diverses façons dont le pétrole affecte le quotidien en suivant le parcours de vie de deux femmes très différentes. Réalisé à la fois en Suisse et dans la forêt ama­ zonienne, son reportage nous fait réfléchir et nous invite à passer de la parole aux actes en choisissant un mode de vie écologique. Ce texte donne par ailleurs une première idée du nouveau magazine, qui sera aussi une invitation à agir (p. 30). C’est ensemble que nous pourrons faire bouger les choses.


ÉDITORIAL

Un autre levier important pour la protection du climat est notre consommation de produits d’origine animale. Notre agriculture doit revenir aux valeurs locales et produire des aliments pour les êtres humains au lieu de fourrages destinés à la production de viande et de lait. Les villes suisses sont appelées à adapter les repas servis dans le parascolaire, les écoles et l’administration. Et une nouvelle vision de Greenpeace montre qu’une agriculture suisse moins axée sur la production animale serait un grand avantage pour la nature et les êtres humains. Outre celles des phénomènes météorologiques extrêmes, les images qui m’ont accompagnée en 2018 étaient celles de plages couvertes de déchets, de tortues prises au piège dans des déchets plastiques et de microplastiques retrouvés dans le corps humain. Je suis d’autant plus surprise par le manque de transparence des détaillants suisses tels que Migros et Coop qui, malgré les études scientifiques et les faits choquants sur les effets du plastique, ont choisi de refuser la transparence à propos de leur utilisation des emballages. Une recherche menée par Greenpeace avec des bénévoles a permis de mettre en évidence que les détaillants utilisent environ mille tonnes de plastique par an, uniquement pour les tomates! Au niveau mondial, la société suisse Nestlé est, avec Coca-Cola et Pepsi, la principale source de pollution plastique. Nestlé pourrait donner une impulsion mondiale en s’engageant publiquement à réduire son utilisation de plastique. Mais la politique suisse doit, elle aussi, se saisir du problème et se fixer une stratégie pour éviter les déchets plastiques. Il reste encore beaucoup à faire pour que la Suisse avance vraiment vers la protection du climat et réduise sa consommation de plastique. Greenpeace poursuivra son engagement sur ces questions en 2019 et demandera des comptes aux responsables. Je vous souhaite une très belle année 2019 et me réjouis d’aborder avec vous les défis à venir, dans l’esprit d’un article que j’ai lu aujourd’hui dans les news de Greenpeace: «Tout est interconnecté». Agissons ensemble!

© I R IS M ENN

TOUT EST INTERCONNECTÉ

J’espère que vous avez passé une belle fête de Noël en famille et que vous profitez des journées calmes entre Noël et Nouvel An. Pour moi, c’est toujours une période enchantée, pendant laquelle je prends le temps de revenir sur l’année écoulée, avant de me tourner vers l’année à venir. Après une traversée houleuse en 2017, le navire Greenpeace et son équipage ont retrouvé des eaux plus calmes durant l’année qui se termine. Mais l’évolution du monde reste inquiétante, comme en témoignent les phénomènes météorologiques extrêmes que chacun a pu observer ces derniers temps. En 2018, nous avons concentré nos efforts sur la protection du climat et la lutte contre les déchets plastiques. Dans ces deux domaines, l’empreinte écologique des activités de la Suisse, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, est inacceptable. Pourquoi la Suisse n’applique-telle pas l’accord de Paris sur le climat? L’attitude du Conseil fédéral est contraire à la protection du climat, des océans et des forêts, mais elle menace aussi les droits humains. D’où l’importance du travail des Aînées pour la protection du climat, qui ont porté plainte contre l’inaction du Conseil fédéral. La création de l’Association suisse pour la protection du climat est un autre exemple de cet engagement citoyen en faveur des générations futures. Les banques et les assurances suisses portent une responsabilité particulière en matière de protection du climat mondial. Elles peuvent cesser de financer le secteur des énergies fossiles comme le charbon ou les sables bitumineux. Alors que la compagnie de réassurance Swiss Re a fait un premier pas en ce sens en 2018, Credit Suisse et UBS n’ont pas encore pris de mesures concrètes et ambitieuses. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

Cordiales salutations, Iris Menn, directrice de Greenpeace Suisse

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ARTICLE DE FOND

prologue Mariana doit mourir pour que Beatrice puisse voyager. TEXTE: ROMANO PAGANINI PHOTOS: ALEJANDRO RAMÍREZ ANDERSON, PIERO GOOD

De retour du rendez-vous avec Mariana, je rumine sur la première phrase de mes notes: «Mariana doit mourir pour que Beatrice puisse voyager.» Puis-je réellement commencer mon article par une telle phrase? Je m’assois sous la véranda de notre hôtel, entouré de palmiers, de lianes et d’oiseaux. Mon collègue Alejandro s’est allongé. Il a mal à la tête. Mariana vit près de Nueva Loja, au bord de la région amazonienne, dans le nord-est de l’Équateur. Sa maison est située en retrait de la route principale, sur un terrain en pente. À une centaine de mètres à vol d’oiseau, une tour de forage pétrolier est surmontée d’une flamme de torchage de gaz, en activité 24 heures sur 24 depuis quarante-six ans. Juste derrière se trouve une usine de traitement des eaux de formation, c’est-à-dire des eaux extraites avec le pétrole et le gaz, qui sont très toxiques*. Alejandro et moi avons inhalé les gaz et avons tous deux des nausées. La céphalée du photographe dure depuis des heures. Quelques jours plus tard, sur Skype, j’en parle à Beatrice. Elle est choquée. Cette Bâloise de 68 ans appartient à la génération qui a grandi avec l’essor du pétrole. L’or noir est l’énergie qui a le plus marqué la génération des baby-boomers. Quand elle était plus jeune, elle n’y pensait pas beaucoup. Pendant une bonne partie de sa carrière, elle a travaillé dans une agence de voyages et a visité les cinq continents. Aujourd’hui, à l’heure du changement climatique, elle a parfois des insomnies. C’est d’ailleurs ce qui m’inquiète. Beatrice est ma mère.

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DEUX FEMMES ET LE PÉTROLE Comment la principale source d’énergie du XXe siècle affecte-t-elle la vie de Mariana, agricultrice en Amazonie équatorienne, et celle de Beatrice, agente de voyage à Bâle? Récit en plusieurs temps.

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chapitre 1 Un sol imprégné du sang de la Terre 1978: Mariana tremble. Normalement cela ne lui arrive jamais. La peur ne fait pas partie du répertoire de cette mère de quatre enfants. C’est même elle qui a convaincu son mari, six ans auparavant, de partir vers le Nord. Au Sud, une interminable période de sécheresse avait dégradé la fertilité des sols, détruisant leur existence de paysans. Or le gouvernement de Quito voulait justement affirmer une présence équatorienne dans la région peu peuplée d’Amazonie pour contrer les ambitions du Pérou et prendre possession des ressources disponibles. Il encourageait donc l’établissement de familles paysannes en leur proposant des terres à cultiver. Mariana a fait ses bagages et demandé à son mari: «Tu viens avec moi?» C’était en 1972. Mariana était pleine d’espoir. Mais ce matin, d’épais nuages de fumée noire s’élèvent dans le ciel, voilant la lumière du soleil. Le ciel s’assombrit au-dessus de la maison de Mariana. Ses enfants, dont aucun n’a plus de 12 ans à l’époque, se mettent à pleurer. La famille se barricade à l’intérieur de la bâtisse de ciment et s’accroupit sur le sol. Blottis les uns contre les autres, ils écoutent, tremblent, attendent. «C’est fini?» se demande Mariana en levant les yeux vers le toit de chaume. Une seule étincelle suffirait à mettre le feu à tous leurs biens. La maison ne brûlera pas. Après les nuages de fumée, la pluie vient nettoyer le ciel. Le sol se couvre de suie. Les arbres et les plantes deviennent noirs, comme les marécages et les rivières. L’or noir qui jaillit du ventre de la terre imprègne la forêt tropicale. Et allume un autre feu: celui qui animera désormais Mariana.

Texaco, la multinationale pétrolière basée à New York, rebaptisée Chevron en 2001, devra plus tard répondre de ses actes devant un tribunal. Depuis son arrivée en 1964, la firme pré­ tendait que ses activités ne présentaient aucun danger. Sans aucune retenue, elle déverse ses scories noires sur les routes fraîchement tracées dans la forêt, y compris sur celle qui relie le hameau de la famille de Mariana à la ville et que les enfants empruntent tous les jours pour aller à l’école. Or les enfants rentrent régulièrement

Pieds nus dans le pétrole Que s’est-il passé? Mariana découvre que ce sont les employés de la compagnie pétrolière américaine Texaco qui ont provoqué les nuages de fumée au-dessus de sa maison. Au lieu d’éliminer correctement les déchets de la production pétrolière, ils les ont stockés dans des bassins de collecte en plein air et y ont mis le feu. Une pratique facile, bon marché, devenue courante dans la région amazonienne. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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ARTICLE DE FOND

Depuis près de cinquante ans, Mariana lutte pour défendre le poumon vert de la planète contre l’industrie pétrolière. Mais la tour de forage près de sa maison en forêt tropicale équatorienne (voir photo des pages 2 et 3) continue de brûler 24 heures sur 24.

avec la plante des pieds noircie. À cause de la chaleur, le goudron provisoire de la route colle à leurs sandales au point que les enfants ne parviennent plus à avancer et finissent par continuer leur chemin pieds nus. Ils ne tarderont pas à tomber malades: douleurs aux jambes, à la tête, au cou et aux oreilles. La région voit l’apparition de maladies auparavant inconnues, que les habitants ne savent pas comment guérir. Au début des années 1970, quand les familles venues du Sud s’établissent dans la région, et MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

avec elles les premières tours de forage, les déchets industriels commencent à polluer le sol et l’eau de la forêt amazonienne, mais personne ne sait d’où viennent les nouvelles maladies. Pas d’information, pas de transparence ni de protection de l’État équatorien. Jusqu’ici, la région était habitée par six nations autochtones qui vivaient isolées du reste de la société. Dorénavant, ce sont les intérêts du capital qui règnent. L’industrie minimise les risques du pétrole et le présente même comme un remède, par exemple contre

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les rhumatismes. Certains habitants vont jusqu’à se frotter les articulations avec les déchets qui flottent dans les bassins de collecte. Il n’existe pas de système de santé et la seule infirmerie de la région est gérée par Texaco.

L’estomac comme une passoire Ce produit inconnu, prélevé dans les profondeurs de la terre à l’aide de produits chimiques, se propage comme une épidémie et empoisonne rapidement la ressource la plus importante: l’eau. Pour Mariana et sa famille, l’eau provient principalement de la rivière Teteye, où s’abreuvent aussi les jaguars et les pumas. C’est là que Mariana et ses voisins se lavent et font la lessive, qu’ils remplissent leurs casseroles et bouteilles pour rapporter l’eau à la maison. À mesure que la production pétrolière s’accélère et que les camions-citernes se multiplient, les animaux se retirent dans la forêt. Les êtres humains restent. Ils font bouillir leur eau avant de la boire, espérant ainsi éliminer les substances chimiques. Mais chez Mariana, il y a toujours une odeur de diesel à table. Même la viande devient immangeable. Lorsque Mariana s’est plainte auprès du conseil municipal de Nueva Loja et de Texaco, elle a été éconduite. On lui a rétorqué qu’elle n’avait pas de preuves. Pourtant la preuve est là: les soixante porcs élevés par sa famille ont péri en l’espace de trois jours après avoir bu dans un bassin de collecte de l’industrie. Quand elle a ouvert les animaux, Marianna a vu la chair pourrie. L’estomac des porcs ressemblait à une passoire.

Quand l’envie de voyager la prend, Beatrice lève les yeux au ciel. Les avions survolent régulièrement son domicile près du Greifensee. Sans le pétrole du Nigeria, du Kazakhstan ou d’Algérie, ses voyages en Afrique du Sud ne seraient pas possibles. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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chapitre 2  Découvrir le monde en avion Beatrice est rayonnante. Assise dans un bar en Alsace, un verre de vin rouge à la main, elle vient de décider de voyager, avec Hans et leurs meilleurs amis Doris et André. Ils veulent découvrir le monde avant de s’installer pour fonder une famille. Mais quelle sera leur destination? Le Canada? Trop froid. L’Australie? Trop loin. Leur choix se porte finalement sur l’Afrique du Sud. C’est ainsi qu’en quinze heures de vol, le jumbo jet de Swissair emmène les quatre Bâlois à Johannesburg, à 12 650 kilomètres de la Suisse. Grâce au pétrole. C’était en 1972 et Beatrice était pleine d’espoir. Ses parents sont moyennement contents. Ils espéraient que leur fille aînée reviendrait chez eux, après une année passée dans une école monastique en Belgique, pour aider à payer les traites de la maison. Le père travaille dur comme sommelier au Grand Hôtel Les Trois Rois; pour arrondir les fins de mois, la mère travaille quelques heures le soir au restaurant populaire Brauner Mutz. Beatrice en est consciente, mais elle voit aussi que c’est le bon moment pour faire ses valises. En effet, pourquoi attendre?

L’écologie n’est pas un sujet Beatrice épouse Hans, emménage avec lui dans un appartement meublé et commence à éco­ nomiser. Après un apprentissage d’agente de voyages, elle organise des voyages d’affaires pour le groupe chimique Ciba-Geigy (aujourd’hui Novartis). À cette époque, il est facile de trouver un emploi et la vie en Suisse est relativement bon marché. Cela lui permettra de s’acheter une voiture, pratiquement en même temps que son père, un peu avant de décider de voyager. C’est une 2 CV verte d’occasion. Avec sa puissance de 9 chevaux-vapeur, elle ne dépasse pas les soixante kilomètres à l’heure et consomme au maximum 8 litres par cent kilomètres. Beatrice ne pense pas à la consommation d’essence et à l’environnement. L’écologie n’est pas une préoccupation dans l’Europe de l’aprèsguerre. On célèbre les «Trente Glorieuses», l’agriculture industrielle, le plastique et les vêtements en polyester. On profite de la nouvelle mobilité en voiture, grâce au pétrole. D’où vient-

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il, ce pétrole? Peu importe. La 2 CV avale les kilomètres, c’est l’essentiel. 1972, l’année de son départ, verra aussi la publication du rapport sur Les limites à la croissance du Club de Rome, qui mentionne pour la première fois le «pic pétrolier». Le rapport fait réfléchir. Mais personne ou presque n’ose imaginer que la principale source d’énergie industrielle des dernières décennies pourrait se tarir un jour.

Namibie, Brésil, Hong Kong Beatrice et ses amis ont autre chose en tête. Avant de partir, tous les quatre passent leur permis de conduire. Ils savent que sans voiture, on ne va pas loin en Afrique du Sud. La classe dirigeante blanche de ce pays africain se réjouit de l’arrivée des Européens. Elle attire avec succès les entreprises internationales et leur personnel, notamment Oerlikon-Bührle. À la fin des années 1960, la société suisse d’armement livre ses produits non seulement au régime de l’Apartheid, mais aussi au Nigeria, en proie à une guerre civile. C’est de ce pays que provient, aujourd’hui encore, une grande partie du pétrole destiné au marché suisse. Beatrice part avec trois mois de salaire en poche. Elle se fait engager par le voyagiste Kuoni, où elle restera pendant trente-cinq ans. Elle vend des voyages dans le monde entier et se met, elle aussi, à découvrir le monde, visitant la Tchécoslovaquie, le Portugal, la Grèce, l’Irlande, la Hongrie, la Roumanie, l’Écosse, Chypre, la Turquie, les pays scandinaves, l’Angleterre, Israël, les États-Unis, le Canada, de nombreux pays d’Amérique centrale et du Sud, l’Australie, l’Asie et le sud de l’Afrique. Quand elle est invitée en Europe par des chaînes hôtelières, elle fait le détour par Bâle. Ce qui semble une évidence aujourd’hui était alors un privilège. L’avion était principalement réservé aux hommes d’affaires et aux familles aisées.

Elle sait que le pétrole vient du sol, mais ni elle ni sa génération ne savent comment il en est extrait. Et elle ignore qu’à l’autre bout du monde, Mariana et sa famille mangent de la viande contaminée par le pétrole. Comment aurait-elle pu le savoir? On n’était pas encouragé à y réfléchir à deux fois. Au contraire, les séries télévisées comme Dallas ou Denver Clan mettent en scène des protagonistes qui s’aspergent en riant avec de l’eau de formation de l’industrie pétrolière.

chapitre 3 Externalisation de la pollution En 1859, lorsque la terre se met à trembler à Titusville (Pennsylvanie), les employés d’Edwin Drake s’enfuient. Craignant que la tour de forage explose, ils se cachent derrière un talus. Ils ne savent pas encore que la masse noire qui jaillit du sol sera le nouvel or. Et ils ne soupçonnent pas non plus que leur employeur, un ancien conducteur de locomotive de New York, entrera dans l’histoire comme celui qui a découvert le pétrole, du moins aux États-Unis. Au Venezuela, le pétrole aurait été découvert avant l’arrivée des Européens. À Bagdad, les routes étaient déjà pavées d’al-quitrán (goudron) dès le VIIIe siècle. Mais ce sont les émigrés européens, de l’autre côté de l’Atlantique, qui exploiteront systématiquement les gisements souterrains.

Le monde est inondé de pétrole Pourtant, au milieu du XIXe siècle, le pétrole brut n’était qu’une solution provisoire pour protéger les forêts et pallier le manque de bois. C’est donc une situation de pénurie qui a donné Denver Clan et Dallas naissance à une nouvelle ère, celle des énergies Du jour au lendemain, la crise du pétrole du mi- fossiles. Pour la première fois de l’histoire de lieu des années 1970 a pour effet qu’on ne la planète, un être vivant exploite une source peut faire le plein que du lundi au vendredi. Le d’énergie qui ne se renouvelle pas. Cette énergie week-end, les pompes à essence sud-africaines n’est ni un arbre, ni une plante, ni un animal, restent fermées. C’est à ce moment-là que la ni un champignon. C’est un minéral qui a mis jeune femme réalise pour la première fois qu’elle des millions d’années à se constituer. utilise tous les jours une matière première dont Les forages pétroliers se multiplient, perelle ignore l’origine. sonne ne pense aux conséquences. Des giseMAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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Beatrice présente des souvenirs de six ans et demi passés en Afrique du Sud. C’est lors de la crise du pétrole des années 1970 qu’elle réalise pour la première fois qu’elle utilise tous les jours une matière première dont elle ignore l’origine. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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L’Afrique est restée très présente dans la maison de cette professionnelle du tourisme à la retraite. Tout autant que le pétrole, ici sous la forme de récipients en plastique et du téléphone portable.

ments sont découverts au Venezuela, au Canada, en Suède, en Ukraine, en Arabie saoudite, au Koweït, à Bahreïn, en Iran et en Irak. Avant même le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés s’étaient assuré l’accès à d’importants gisements au Moyen-Orient. À ce moment-là, Mariana est encore dans le ventre de sa mère, tandis que le père de Beatrice est posté à Riehen, son fusil à la main, et voit des bombes frapper et des avions s’écraser de l’autre côté de la frontière. Tout ceci grâce au pétrole. Six ans plus tard, à la fin de la guerre, l’Europe est en ruines et l’industrie pétrolière prépare son essor. C’est cette énergie qui va façonner le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.

Stockage final sous terre Afin de mieux comprendre le processus d’extraction du pétrole et la menace qui en découle pour la nature, il vaut la peine d’écouter un ingénieur pétrolier qui enseigne dans une université privée de Quito: «Pour extraire le pétrole du sol, on pratique un forage dans lequel on injecte des produits chimiques, dont le benzène, qui est MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

cancérigène. Les produits chimiques ont pour fonction de protéger les machines contre l’effet corrosif de l’eau de formation, qui gît avec le pétrole à des centaines, voire des milliers de mètres de profondeur. C’est cette eau qui, avec le gaz, génère la pression nécessaire. Une fois en surface, l’eau est séparée du pétrole à l’aide de la chaleur, avant d’être stockée dans un réservoir scellé au gaz. Le pétrole est acheminé à la raffinerie par pipeline. Le gaz est utilisé, torché ou réinjecté dans le sous-sol. C’est un peu la même chose pour l’eau: soit elle est réinjectée dans le sol, pour augmenter la pression et permettre l’extraction du reste du gisement, soit elle est pompée dans des couches sableuses à 1000 ou 1500 mètres de profondeur pour stockage final.»

Un parfait cercle vicieux Voilà pour la théorie, qui ne correspond pas forcément à ce qui était pratiqué au XXe siècle, selon les moyens disponibles, les régions concernées et les intérêts en présence. En Équateur, cette eau extrêmement toxique a été déversée pendant des décennies dans les marais et les

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Pluies acides, gousses desséchées: la plantation de cacao de Mariana et de sa famille se situe à quelques mètres seulement d’un forage pétrolier en service depuis 1972.

eaux de l’Amazonie, notamment dans la rivière Teteye, qui coule à proximité de la maison de Mariana et de sa famille. Dans les années 1970 et 1980, personne ne s’en préoccupe. Mariana va pourtant s’organiser avec ses voisines pour interpeller les ministères compétents à Quito et se plaindre auprès des sociétés pétrolières. Mais les habitants des environs de Nueva Loja dépendent de plus en plus de l’industrie. Les familles paysannes arrivées du Sud à la recherche d’une vie meilleure fournissent de la maind’œuvre bon marché, tout en étant frappées par des maladies. Elles aident à défricher la forêt tropicale, à construire de nouveaux forages, à entretenir les machines, tout cela pour payer leurs visites médicales à l’infirmerie de Texaco. Le parfait cercle vicieux. En Europe occidentale, on ne sait rien, ou presque, de la situation dans les pays producteurs. On se contente de raffiner le pétrole et de le vendre au consommateur final, à Beatrice par exemple. La pollution liée à l’extraction se produit ailleurs: en Algérie, en Libye, au Nigeria, en Azerbaïdjan et au Kazakhstan, en ce qui concerne le pétrole utilisé en Suisse. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

La société industrielle du XIXe siècle s’est transformée en une économie axée sur les services. Au XXe siècle, l’Europe finance et contrôle l’extraction, la production et le transport des matières premières, mais n’endosse pas la responsabilité de ces activités. Les édulcorants mélangés à l’essence font que les automobilistes ne se rendent même pas compte de l’odeur à peine supportable du pétrole à l’état naturel. Tout se passe sans heurts. Et tandis que l’or noir inonde la planète bleue, les gens ne sont pas conscients que l’industrialisation entraîne toujours une pollution. L’Europe se transforme en un îlot de propreté, une communauté fermée au nord de l’Afrique.

Nous portons une responsabilité Depuis 1945, la courbe de la consommation de pétrole a fortement augmenté. L’industrie a réussi à multiplier les usages du pétrole, à tel point qu’il est omniprésent dans notre quotidien: shampooing, produit de lessive, savon, laque pour cheveux, brosse à dents, sièges auto, planchers, seaux, films plastiques, matelas, cartes de crédit, boîtiers informatiques, peintures,

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emballages, châssis de fenêtre, vaseline ou pesticides ne sont qu’un extrait de la longue liste des produits qui contiennent du pétrole. On pourrait compter le pétrole au nombre des drogues, avec l’alcool, la cocaïne ou l’héroïne. Notre dépendance à son égard est extrême, même si nous n’en avons pas toujours conscience. Un sevrage brutal ferait s’effondrer notre mode de vie. Vu sous cet angle, la rhétorique du président Trump et de ses acolytes, qui continuent de miser sur les combustibles fossiles, ressemble à celle d’un commando suicide: «Pas la peine de vous réveiller, laissez-nous finir de bousiller la Terre.» L’enjeu du changement climatique devrait en fait nous réunir pour résoudre les problèmes. Sauf que certains préfèrent la guerre de tranchées idéologique. Il est facile de connaître le volume de pétrole extrait, produit et redistribué dans l’atmosphère par le biais des émissions au cours du siècle écoulé. Et toute personne sensée sait que nous, les êtres humains, portons une respon­ sabilité envers le déséquilibre écologique de la planète. Qu’on l’appelle «changement climatique» ou autrement, il s’agit toujours d’une appellation pour tenter de donner un nom à l’inconcevable.

chapitre 4 L’impuissance de l’espoir Mariana met ses bottes en caoutchouc, sort une machette du placard et emmène son chiot. Nous allons à la plantation de cacao, bordée par une clôture en fil de fer de deux mètres de haut, derrière laquelle la tour de forage crache sa flamme. Lorsque le vent tourne, l’odeur du gaz torché pénètre dans les cuisines du voisinage. L’installation a longtemps appartenu à Texaco avant d’être reprise par la société publique Petro­ecuador au début des années 1990. L’assainissement du sol promis par l’industrie n’a jamais eu lieu. Et personne ne sait si les 9,5 milliards de dollars de dommages et intérêts auxquels Texaco/Chevron a récemment été condamnée MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

par la Cour suprême équatorienne pour l’assainissement de plus de deux millions d’hectares de terres profiteront vraiment aux quelque 30 000 personnes affectées. Mariana est l’une des principales militantes de la région. L’histoire des nuages de fumée au-dessus de sa maison, elle l’a racontée cent fois aux journalistes nationaux et internationaux, aux tribunaux et aux avocats, lors de tables rondes et de séminaires, en Amérique latine, aux États-Unis et en Europe. Sur sa plantation de cacao, elle tranche une gousse de cacao pourrie pour montrer ce que personne ne veut voir: «Un tiers des gousses est invendable», dit-elle.

«On ne savait pas où aller» Mariana a aujourd’hui 78 ans. Elle a perdu des douzaines de voisins, d’amis et de membres de sa famille à cause du cancer: cancer de l’estomac, des poumons, de l’utérus, de l’intestin, de la peau, du foie, tumeur cérébrale, cancer des os, du sein, des ovaires, de la prostate ou encore leucémie. Le taux de cancer de la région est cent trente fois plus élevé que la moyenne du pays. Tandis que Texaco acheminait chaque jour des milliers de litres de pétrole vers le nord, permettant aux États-Unis de jouer le premier rôle sur la scène mondiale, des familles entières mourraient en Amazonie. «Nous avons pensé à partir, mais on ne savait pas où aller. Nous avions mis tout notre argent dans la construction de la maison», explique Mariana. Aujourd’hui veuve, Mariana se sent parfois fatiguée et faible. Elle a mal à la tête, aux yeux et à l’estomac. Mais elle veut continuer à porter témoignage, en particulier parce qu’elle fait partie des dernières survivantes de sa génération. «Ce n’est pas facile», dit-elle. Ses larmes reflètent cinquante années de souffrance. «J’espère que la terre que j’ai travaillée finira par porter ses fruits pour mes descendants.» La petite-fille et le neveu reprennent le flambeau Une des petites-filles de Mariana est maintenant bénévole dans la même ONG que sa grand-mère. Un de ses neveux organise le tóxictour, une visite guidée des forages vétustes, des marais pollués et des bassins de collecte de déchets. Des stars de cinéma et des musiciens comme Brad Pitt et le duo Calle 13 sont venus ici pour informer le grand public et donner des dizaines de réser-

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«Les contradictions de la pensée, sans lesquelles on ne saurait vivre.» Nietzsche (1844-1900)

voirs d’eau équipés de filtre à charbon actif. Installés sur le toit des maisons, ces réservoirs filtrent l’eau de pluie. Plus personne ne veut boire une eau qui a touché le sol. «Ce n’est pas le moment de se croiser les bras», déclare Mariana. La lutte doit continuer: «Le seul héritage que nous pouvons léguer à nos arrière-petits-enfants, c’est un environnement un peu plus équilibré.»

16 litres d’essence. «Je trouve tout cela terrible, mais je ne sais pas quoi faire. Tout est devenu tellement complexe», dit Beatrice.

Désarroi et impuissance J’évoque ses dernières vacances en Afrique du Sud, les deux voitures qu’elle possédait jusqu’à récemment avec son mari, les produits d’outremer, la lécithine de soja, l’huile de palme, les bananes, les amandes, le chocolat, le café, les «Je ne sais pas quoi faire» vêtements fabriqués en Asie et les chaussures Trois jours plus tard, je parle avec ma mère via produites en Europe de l’Est. Mais je constate que Skype. Elle a descendu les stores et boit une ma mère est tout à fait au courant de ces problèmes. Elle achète biologique et régional depuis tasse de thé froid au cynorhodon. Elle n’aime pas la chaleur de juillet. «On ne peut plus quitter longtemps, ne mange plus de fraises en hiver et la maison, surtout quand on n’est plus très ne s’offre que rarement une mangue. Devant les jeune.» Elle sort donc tôt le matin pour faire un rayons des supermarchés, elle est dépassée par la multitude de produits. La société de consommapeu de marche avec son mari. Après son retour d’Afrique du Sud à la fin des tion, que la génération de mes parents a contriannées 1970, Beatrice s’installe près du Greifen­ bué à construire, crée un sentiment de désarroi see. Elle fonde une famille, participe au chœur et d’impuissance, tout en produisant une desparoissial, travaille à temps partiel pour Kuoni au truction environnementale gigantesque. centre commercial Glattzentrum. Grâce à son Beatrice hausse la voix, elle parle vite, avec travail, la famille a la possibilité de passer ses colère: «Après Fukushima, l’environnement vacances en Crète, en Turquie ou aux îles Canan’est plus un sujet politique. Tout le monde parle ries. En 1991, quand la guerre du Golfe éclate de Trump, d’Erdogan et des réfugiés. À quoi en Irak autour de la question du pétrole, Beatrice bon, si le climat est détruit?» est en voyage d’études en Afrique du Sud. Je lui parle de Mariana, des maladies, des Écolos égoïstes fausses-couches, des animaux morts et du forage Ce n’est la première fois que nous avons cette pétrolier. Mais aussi des menaces, des tentadiscussion, ma mère et moi. Nos arguments tives de l’industrie d’acheter le silence de la fase répètent. Cette fois, elle ajoute quelque chose qui va me rester: «Je connais des gens dans mille, de la convaincre de quitter Nueva Loja. mon entourage qui ne prennent quasi jamais Lors de ma dernière visite en Suisse, il y a deux ans, nous avons discuté de l’impuissance, l’avion, qui n’ont pas de voiture, qui ne mangent de l’incapacité d’agir et de descendre dans la rue pas de viande et qui sont pourtant de parfaits pour protester contre les multiples crises, malégoïstes. Ils ruminent dans leur petit monde, se gré nos propres contradictions. Descendre dans plaignent de tout et de tout le monde, et sont la rue, qui est construite et entretenue par une malheureux dans leur vie.» main-d’œuvre bon marché venue d’Espagne, du Quelques semaines plus tard, je relis la Portugal ou d’Albanie et sur laquelle circulent transcription de notre entretien et me demande: des 4 × 4 de 200 ou 300 CV qui consomment 12 à «Parlait-elle de moi?» MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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ARTICLE DE FOND

épilogue Mariana doit mourir pour que Beatrice puisse voyager.

utilisent très peu, voire pas du tout, de pétrole. Une lueur d’espoir pour les descendants de Mariana et de Beatrice. On dit qu’il y a des générations qui maintiennent une civilisation et d’autres qui en construisent une nouvelle. * Malgré plusieurs demandes, la société puL’histoire de cet article ne se termine pas de blique Petroamazonas, responsable du site manière aussi dramatique. Après mes entretiens de production qui se trouve à côté de la maison avec les deux interlocutrices, mes recherches de Mariana, n’a pas souhaité répondre à nos sur place et mes rencontres avec des médecins, questions. des avocats et des ingénieurs de l’industrie péROMANO PAGANINI est journaliste indépendant. Éditrolière, je ne suis pas en mesure de dire si la teur de la revue en ligne mutantia.ch, il vit quelque part entre l’Atlantique et le Pacifique. Son projet est de difphrase est vraiment justifiée. Au lieu de cela, je fuser des problématiques ignorées et de faire entendre fais une recherche sur Google. J’entre le terme la voix des personnes qui n’ont pas droit à la parole «contradictions» et tombe sur cette citation dans les médias classiques. du philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900): ALEJANDRO RAMÍREZ ANDERSON est né au «Les contradictions de la pensée, sans lesMexique et a grandi au Guatemala et à Cuba. Il travaille quelles on ne saurait vivre.» comme photographe et documentariste en Amérique Faudrait-il donc se contenter d’être témoin? latine. Il accompagne des mouvements sociaux, en particulier dans le domaine de l’agro-écologie. Il a reçu pluD’observer comment le climat se dérègle et sieurs prix pour ses œuvres, dont le prix Don Quichotte le nombre de voitures explose, comment les océans sont étouffés par le plastique et les super- du Festival international du film de Calabre, en Italie. PIERO GOOD est artiste et photographe indépenmarchés multiplient les emballages, comment dant. La nature et l’environnement jouent un rôle le changement climatique contraint des peressentiel dans ses projets artistiques. Sa démarche est sonnes à quitter les campagnes pour mener une d’observer et de comprendre les circonstances donexistence misérable en ville, comment les puis- nées, et d’engager une interaction. Il est co-fondateur du magazine photo Pirlo. www.pierogood.com sants font la guerre pour s’approprier le pétrole et les autres matières premières, comment les réfugiés meurent noyés, comment les popu- Depuis 2016, Greenpeace et le mouvement monlations des pays émergents aspirent à vivre dial Break Free from Fossil Fuels sont alliés pour comme en Europe, comment les Européens ont lutter en faveur d’un avenir durable basé sur les peur de ne plus pouvoir maintenir leur niveau énergies renouvelables. Plus de 400 000 personnes ont signé une pétition mondiale demande vie, comment je prends l’avion tout en dant aux douze banques les plus polluantes d’arconsommant des légumes biologiques? Ce n’est pas le moment de perdre la tête, comme rêter de financer les oléoducs qui menacent les Nietzsche. Il y a tout de même les villes en trandroits humains, l’eau potable et le droit à la prosition, qui ont leur propre monnaie et leurs testation pacifique. Greenpeace Italie et Greenpeace Canada ont voulu déposer la pétition Stoprepair cafés pour réparer les objets cassés. Il y a Pipelines auprès du Credit Suisse en novembre l’agriculture contractuelle, qui rapproche les dernier. Mais la banque a refusé de réceptionner agriculteurs des consommateurs. Il y a les projets de jardinage urbain, où le vert chasse le gris les signatures, tant en Suisse qu’aux États-Unis. et apporte une bouffée d’air frais aux villes. Il y a les communautés de vie qui réunissent des jeunes et des vieux, jetant des ponts entre les générations. Il y a des gens qui construisent des maisons en terre ou des toilettes sèches. Il y a les groupes de partage des aliments, le mouvement de décroissance, les anarchistes discrets. Et il y a les silencieux, quelque part à la campagne, qui ne prêchent pas la protection de l’environnement, mais qui la vivent. Tous ces gens MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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DES NOMS, PAS DES NUMÉROS Les animaux doivent avoir des droits fondamentaux, tels que le droit à l’intégrité, à la liberté et à la vie. Les refuges pour animaux nous donnent une idée de ce que pourrait être une société équitable, partagée entre les humains et les animaux. TEXTE ET PHOTOS: KLAUS PETRUS

«Lucy est née en 2010. Elle a toujours été très éveillée, impertinente, sauvage.» Samar Grandjean raconte volontiers des anecdotes savoureuses, parfois consternantes, mais aussi merveilleuses, sur les animaux de son Arche de Samar près de Berne. Ici, on ne leur demande pas de servir à quelque chose; il n’y a pas d’abattoir. Ils ont le droit de vivre, tout simplement. Et ils ne portent pas de numéro, mais ont un nom: Ami, Mimi, Boubou et, justement, Lucy. En Suisse, il existe une douzaine de refuges de ce genre. Bon nombre de ces animaux proviennent des élevages en batterie. Les rescapés sont représentatifs des nombreux bovins de notre pays qui restent à l’étable 275 jours par an, attachés MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

à la mangeoire, et qui n’ont rien d’autre à faire que de manger, s’allonger, se lever... Ou de tous les porcs qui végètent, jour après jour, sur les «caillebotis» en béton, sans litière et sans jamais sortir à l’air libre. Toutes ces pratiques sont tolérées par la loi fédérale sur la protection des animaux, pourtant censée être l’une des plus contraignantes au monde.

Une idée née du mouvement de défense des droits de l’animal Il n’en va pas seulement des animaux, déclare Sarah Heiligtag, du refuge Hof Narr à Hinteregg, dans le canton de Zurich, mais d’une approche durable de la nature et du respect inconditionnel de l’être humain et de l’animal. Sarah Heiligtag se considère comme membre d’un mouvement

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Plus les animaux nous sont proches, plus nous voyons en eux des individus, des personnalités, des compagnons.

social qui prône les droits de l’animal: «Nous devons amener les gens à remettre en question le système d’exploitation actuel.» Comment le faire dans une société qui, comme la nôtre, protège la dignité de l’animal, mais permet en même temps d’abattre deux animaux par seconde? Pour les universitaires canadiens Sue Donaldson et Will Kymlicka, on n’y arrivera qu’en étendant aux animaux les principes fondamentaux de la justice sociale. Dans leur livre au titre révélateur, Zoopolis, ils ont proposé de conférer une sorte de citoyenneté aux animaux dome­ stiqués. Cela impliquerait surtout de les reconnaître dans leur individualité et de les laisser participer à notre vie. Pour Donaldson et Kymlicka, les refuges sont actuellement les lieux les plus appropriés pour mettre en œuvre leur idée d’une zoopolis. Le refuge Tante Martha est très proche de cet idéal. Quelque deux cents animaux vivent aujourd’hui dans cette ferme de Romont, où l’on élevait jadis des cerfs. Seuls le vaste domaine et la forêt sont entourés d’une clôture. Sinon, les animaux entrent et sortent à leur gré. De nombreux animaux se partagent l’étable – moutons, poules, bovins et alpagas – et il n’est pas rare que, là où des gens séjournent, on trouve aussi des animaux, et vice versa.

L’élevage industriel, source de tous les maux Pour le mouvement de défense des droits de l’animal comme pour les responsables de nombreux refuges, les programmes d’élevage industriel sont à l’origine de l’exploitation éhontée des animaux de rente et c’est à cette forme d’élevage qu’il faut mettre un terme. «S’il n’y avait MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

pas d’élevage intensif, ni d’abattoirs, on n’aurait plus besoin de ces refuges», explique Samar Grandjean. Sarah Heiligtag est du même avis: «Nous devons cesser de produire des animaux de rente surperformants.» Et de fait, la société actuelle commence tout juste à réfléchir aux moyens de réintégrer les animaux en son sein. Non pas comme des objets que l’on utilise pour ses propres besoins, mais comme des membres à part entière d’une société mixte. KLAUS PETRUS a enseigné la philosophie à l’Université de Berne jusqu’en 2012. Depuis, il travaille comme photographe et journaliste indépendant. Ses photos et ses articles traitent de la protection des animaux, des mouvements de contestation et des troubles sociaux. Co-auteur du livre Darf Mensch Tiere nutzen?

Greenpeace Suisse soutient l’initiative contre l’élevage intensif en Suisse par Philippe Schenkel, responsable de la campagne Agriculture de Greenpeace Suisse «Globalement, l’élevage d’animaux de rente est responsable de plus de 14% des émissions de gaz à effet de serre. Il est la principale cause de la déforestation tropicale et des zones mortes dans les mers du globe. En Suisse, l’élevage intensif, avec ses fourrages importés, conduit à une acidification des sols. Notre avenir réside dans un élevage adapté au site, dans lequel on n’élèvera pas plus d’animaux que les ressources locales ne le permettent. Cela doit aller de pair avec une réduction de la consommation de viande. Il y aura davantage d’espace naturel, ce qui permettra aux animaux de vivre mieux et sera bénéfique pour notre santé.» Pour des informations détaillées, voir la campagne Moins mais mieux de Greenpeace.

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Article publié (en allemand) le 10 mars 2017 sur greenpeace-magazin.ch (ici sous forme abrégée)  https://www.greenpeace-magazin.ch/2017/03/10/namen-statt-nummern

REFUGES POUR LES ANIMAUX

La dignité du porc est un point sensible: tous ne bénéficient pas de conditions aussi optimales que celui-ci. 40% des porcs à l’engrais ne quittent l’étable que le jour de leur abattage.

Chaque animal a sa propre vie, sa propre histoire. Comme Bertrand le Beau, un des habitants du refuge Hof Narr, qui garde les poules. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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© S I D ER I S N AN O UD I S/ G R EEN PEAC E

Au Liban, des bénévoles ont formé une bannière humaine à Raouché, à Beyrouth, une corniche polluée MAGAZINE GREENPEACE par d’énormes N0 4 — 2018quantités de plastique.

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© SA MIR KAYAL /G RE ENPEACE

LA CROISIÈRE MÉDITERRANÉENNE LA PLUS DURABLE DE TOUS LES TEMPS


PLASTIQUE

Article publié le 1er septembre 2017  https://www.greenpeace.ch/fr/magazine/la-croisiere-mediterraneenne-la-plus-durable-de-tous-les-temps/

Cet été, le Rainbow Warrior, navire amiral de Greenpeace, a sillonné la Méditerranée pour s’arrêter sur des destinations touristiques appréciées, comme Majorque, Dubrovnik ou l’île de Zante. Pas pour faire des excursions, des fêtes sur le sable ou de la baignade. Le but était de sensibiliser le public, de nettoyer les plages et de communiquer des constats scientifiques pour dire: «Stop au plastique dans les océans».

TEXTE: THOMAS MÄDER

En principe les croisières ne sont pas recommandées, écologiquement parlant, et aussi en raison des masses de touristes déversées dans les plus beaux coins du monde, parfois au détriment des habitants des lieux. Mais un voyage en Méditerranée peut avoir du bon: le Rainbow Warrior, le deux-mâts de Greenpeace, laisse derrière lui des plages propres et des êtres humains bien informés. La croisière méditerranéenne probablement la plus durable du monde a commencé début juin à Valence, en Espagne. Elle s’est terminée mi-août au-delà du Bosphore, à Varna, en mer Noire. La durabilité du voyage découle du mode de propulsion du Rainbow Warrior, principalement basé sur le vent et l’électricité, mais aussi et surtout de la mission accomplie: attirer l’attention sur le grave problème du plastique dans la mer et proposer des solutions.

Durant son expédition en Méditerranée, le Rainbow Warrior a multiplié les actions pour dénoncer le problème du plastique et proposer des solutions: avec des photos de bouteilles en plastique géantes, lors de journées portes ouvertes sur le bateau, par des entretiens avec des responsables politiques ou des représentants de la grande distribution. En outre, les résultats d’analyse des poissons et des échantillons d’eau prélevés au cours du voyage donneront certainement lieu à des conclusions révélatrices.

Stop au plastique dans les océans! L’équipe du Rainbow Warrior a fourni un sérieux travail d’information, de communication et d’entretiens. Environ 20 000 personnes issues des populations locales ont saisi l’occasion de visiter le bateau de Greenpeace. Et certaines ont commencé à réduire leur consommation de plastique en fabriquant leur propre cabas dans le cadre d’un atelier proposé à bord ou en se procurant des gobelets à café réutilisables. La diffusion de 13 millions de tonnes de plastique Le plastique, c’est pratique: il est malléable, facile notre message à travers les médias a également touché un grand nombre de personnes. En téà fabriquer, résistant à l’usure. Mais ses avantages en font aussi un gigantesque problème. Les moigne le bureau de Greenpeace Espagne, qui a recensé plus de 600 articles et émissions dans sachets, emballages et bouteilles en plastique qui se retrouvent dans l’environnement ne dispa- les journaux, à la radio ou à la télévision. Les pourparlers avec des décideurs ont, eux raissent pas. La dégradation du plastique peut prendre des milliers d’années. Les débris de plas- aussi, donné lieu à de premiers succès: le débat sur la réduction du plastique jetable est maintetique jetés dans la mer nuisent surtout aux organismes marins, qui les confondent avec leur nant bien présent dans les milieux politiques nourriture et meurent étouffés par les détritus. européens. La lutte contre la marée de plastique Les poissons, en particulier, sont également prend de l’ampleur et s’étend bien au-delà de la Méditerranée. Les bureaux Greenpeace ont affectés par les substances toxiques présentes ainsi lancé des campagnes contre le plastique en sur les microplastiques qu’ils absorbent. En République tchèque, en Nouvelle-Zélande, mangeant du poisson, nous retrouvons sur nos assiettes les déchets abandonnés sur les plages. en Asie de l’Est et dans beaucoup d’autres pays et régions. Les scientifiques estiment que les océans reçoivent ainsi près de 13 millions de tonnes de plastique par année. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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Avec plus de 700 kilos par personne, année après année, la Suisse produit bien trop de déchets. Dans le monde, seuls le Danemark et les États-Unis nous dépassent. Les emballages à usage unique constituent environ un tiers de ces déchets. C’est la raison pour laquelle notre vision zéro déchet prime sur le recyclage. SUS AUX PLASTIQUES! Partout dans le monde, des particuliers et des organisations, dont Greenpeace, se sont attaqués à ce problème. Lors d’opérations de nettoyage sur les plages et en mer, ils attirent notamment l’attention sur nos habitudes de consommation. De nouvelles start-up zéro déchet épaulent les populations et les sensibilisent en les amenant à questionner leur propre comportement. Une évaluation des déchets récoltés a montré que des multinationales comme Unilever, Coca-Cola, Pepsi et Nestlé sont les principaux responsables de cette pollution plastique.

Philippines, 11 mai 2017, baleine en plastique échouée: cette réplique de baleine sur la plage de Naic à Cavite, au sud de Manille, vise à illustrer la cause de la mort de nombreuses baleines: les déchets plastiques.


PLASTIQUE

CAMPAGNE CONTRE LE PLASTIQUE EN SUISSE Au cours de l’été 2018, dans un souci de transparence, Greenpeace a interrogé les plus gros détaillants de Suisse sur leur utilisation de plastiques et d’emballages. Le résultat est décourageant: aucun d’entre eux n’a voulu dévoiler sa consommation. C’est pourquoi nous avons décidé de mener nous-mêmes l’enquête en prenant comme exemple un des produits alimentaires les plus populaires de Suisse: la tomate. L’index tomate montre combien de grammes de plastique les grands distributeurs gaspillent pour emballer un kilo de leur fruit préféré (voir éditorial).

CE QUE VOUS POUVEZ FAIRE Rethink Notre vision zéro déchets nécessite un changement de manière de voir et une consommation attentive de la part de tous. Reduce Nous devons éviter tout ce qui est inutile. Reuse Pour les autres emballages, nous misons sur leur réutilisation. Recycle Nous recyclons ces emballages à la fin de leur vie. Replace Naturellement, nous privilégions aussi les matériaux les plus écologiques.

© GRE ENPE AC E

Soutenez, vous aussi, ce mouvement mondial et engagez-vous sur www.breakfreefromplastic.org.


LES PLUS GROS ONT BESOIN DES PLUS PETITS

La pêche industrielle dans l’Antarctique cible surtout le krill. Le problème est qu’à la longue, elle risque de priver la plupart des animaux vivant dans ses eaux de leur nourriture de base. Greenpeace s’engage pour enrayer ce phénomène. Avec succès: les plus grandes entreprises internationales de pêche au krill nous ont promis d’épargner de vastes zones au large de l’Antarctique.

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KRILL / ANTARCTIQUE

© A ND R EA IZZO T T I/ THI N K S T O CK

Arrêt des captures et soutien à la création d’une réserve marine L’association faîtière des industriels de la pêche au krill a déclaré que ses membres renonceraient désormais à opérer dans de vastes zones autour de la péninsule de l’Antarctique. Outre cette déclaration volontaire, l’association soutient expressément l’idée de créer une zone protégée dans la mer de Weddell. Un tel revirement pèse lourd dans la balance: les entreprises associées à ce projet représentent 85% de toutes les captures de krill dans l’Antarctique.

Le krill est considéré comme l’aliment de base de la plupart des animaux marins de l’Antarctique.

C’est le «pain quotidien» des manchots, des phoques et des baleines. Le krill, cette petite crevette qui mesure tout au plus six centimètres de long, est la nourriture principale de nombreuses espèces animales vivant dans l’AntarcMAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

Une campagne réussie malgré la décision négative lors de la Conférence La protection de l’Antarctique est une cause pour laquelle Greenpeace s’est toujours investie. Depuis le début de l’année, nous nous sommes engagés activement pour la création d’une zone protégée de toute ingérence extérieure dans la mer de Weddell. Ce serait la plus grande réserve marine du monde. Déjà 1,7 million de personnes ont signé la pétition de Greenpeace pour soutenir cette demande. Lors de la Conférence sur l’Antarctique qui s’est tenue en novembre 2018, la CCAMLR s’est malheureusement prononcée contre la création d’une réserve dans la mer de Weddell. Nous sommes extrêmement déçus. Cet engagement a toutefois porté des fruits: nos arguments ont été entendus par de nombreuses personnes et largement discutés. Cet été, l’association faîtière de la pêche au krill a promis à Greenpeace de renoncer à pêcher autour de la péninsule antarctique. Des zones tampons seront également créées à cet effet dans un rayon allant jusqu’à 40 kilomètres des sites où vivent des colonies de manchots. Si la création de la plus grande réserve marine du monde a échoué cette année, c’est uniquement à cause de la résistance de quelques pays.

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Article publié (en allemand) le 20 juillet 2018  https://www.greenpeace-magazin.ch/2018/07/20/die-groessten-brauchen-die-kleinsten

tique, et donc la base de l’écosystème des mers du pôle Sud. Toutefois, la présence de krill dans ces eaux a éveillé la convoitise des industriels de la pêche. Grâce à des tuyaux aspirants, ils capturent des bancs entiers de krill rose, qui sera ensuite transformé en farine pour poissons d’élevage ou en compléments alimentaires. Le krill est en effet riche en oméga-3, un nutriment excellent pour la santé, mais que l’on pourrait remplacer sans problème par d’autres produits végétaliens.


«Nous devons faire quelque chose!» En janvier 2018, John Hocevar, directeur de la campagne Océans, s’est rendu dans l’Antarctique pour une expédition de trois mois à bord du navire amiral de Greenpeace, afin de s’engager pour la création d’une réserve dans la mer de Weddell. Le célèbre acteur Javier Bardem était du voyage. Au cours d’un entretien, John Hocevar évoque cette expérience im­pressionnante.

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR DANIELLE MÜLLER, GREENPEACE

John, l’un des principaux objectifs de l’expédition était de faire cesser la pêche au krill. Pourquoi? Dans des pays comme la Chine et la Russie, situés à des milliers de kilomètres de l’Antarctique, les industriels de la pêche ont décidé de capturer du krill qui sera ensuite transformé en farine pour poissons d’élevage ou en compléments alimentaires. Il existe en effet un vaste marché, notamment celui des acides gras oméga-3. Mais voilà: le krill est le principal aliment des manchots, de nombreuses espèces de cétacés et d’oiseaux marins. Sans le krill, l’écosystème de l’Antarctique serait menacé. L’expédition a-t-elle été fructueuse? Tout à fait. Nous avons pu montrer à des gens du monde entier pourquoi cette zone mérite d’être protégée. Mais il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions définitives. La Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) – l’organe politique qui décidera ou non de la création d’un sanctuaire marin – se compose, entre autres, de pays qui s’intéressent surtout à l’Antarctique à cause de la pêche. Comment fait-on pour créer une réserve marine? MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

Chaque année, les scientifiques de la commission se réunissent pour fixer les taux plafonds de capture de krill et vérifier que tous les bateaux les respectent. Il lui est même arrivé de définir une nouvelle zone protégée. Si nous pouvions documenter la présence de coraux, d’éponges et autres organismes marins qui créent un milieu et des structures propices à d’autres espèces animales, ces scientifiques pourraient protéger la zone sans procédures politiques fastidieuses. Penses-tu qu’ils approuveraient l’idée d’une réserve dans la mer de Weddell?

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© C HR I ST I AN ÅS LUN D /G R EEN PEACE

KRILL / ANTARCTIQUE

John Hocevar et Javier Bardem plongent vers les fonds marins de l’Antarctique à bord d’un sous-marin de poche.

Je crois que nous devrons nous battre pendant encore une année. Ils ne prennent leurs décisions que par consensus. Chaque pays doit donner son accord. Même si nous savons qu’ils sont nombreux aujourd’hui à soutenir cette idée, il suffit qu’un seul pays dise «non» – ou «niet», comme c’est souvent le cas dans ces réunions – pour les en empêcher. Ne continueront-ils pas de pêcher – illégalement – dans cette zone? Ce qu’il y a de bien avec la pêche dans l’Antarctique, c’est qu’elle se pratique très loin des ports des pays pêcheurs. Par exemple, il est diffiMAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

cile pour des bateaux chinois d’aller y pêcher en toute illégalité et de revenir sans que personne ne s’en rende compte. Lors de l’expédition, avez-vous découvert des choses inattendues, surprenantes? Tout m’a étonné. Nulle part ailleurs on ne trouve une flore et une faune marines équivalentes. Presque tout est endémique. Au moins trois organismes vivants que nous avons pu photographier dans les eaux de l’Antarctique étaient jusqu’à présent inconnus des scientifiques. Notre plus grande surprise a été de constater quelle vie existe au fond de l’océan Austral. Le sol est

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PLANCTON

ORQUES

MANCHOTS

KRILL

PHOQUES

CALMARS

complètement couvert de coraux, d’éponges, de crustacés, d’anémones, d’étoiles de mer, etc. C’est tout simplement prodigieux. Ne t’es-tu pas senti comme un intrus? Là où nous avons plongé, il n’y avait pas beaucoup de poissons et notre présence est passée quasi inaperçue. Et aucun des êtres marins que nous avons croisés n’avait encore vu d’olibrius de notre espèce (rires). Presque partout où nous sommes allés, nous étions les premiers à explorer le site. Je ne me suis pas senti comme un intrus, mais plutôt comme quelqu’un de chanceux. Greenpeace coopère de plus en plus avec des célébrités. Qu’est-ce qui vous a amené à travailler avec Javier Bardem? Nous avions déjà travaillé avec son frère, Carlos. C’est lui qui a invité Javier. Comme ce dernier aime les manchots, il s’est réjoui qu’on lui offre la possibilité de participer à l’expédition. Durant la première semaine, il hésitait. Il était nerveux et n’était pas sûr que ce soit une bonne idée d’embarquer un acteur plutôt qu’un scientifique dans le sous-marin. Il est plutôt MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

POISSONS

modeste. Mais après nous avoir vu plonger plusieurs fois, il a finalement déclaré: «OK, je crois que je suis prêt.» Et qu’a-t-il dit lorsqu’il était sous l’eau? Pendant la descente, il est devenu de plus en plus silencieux. Une fois arrivé, il était stupéfait. Il répétait que tout cela était incroyable et unique. Et il insistait: «Nous devons absolument faire quelque chose!» Qu’attendais-tu de cette collaboration? Javier Bardem est un fantastique conteur et il a d’innombrables fans. S’il s’intéresse à quelque chose, il peut partager cet intérêt avec des gens que nous n’arriverions probablement jamais à atteindre d’une autre façon. Ainsi, il nous a aidés à sensibiliser des millions de personnes à ce thème, et même à en convaincre deux millions d’autres de s’engager activement en faveur de l’Antarctique. Ne penses-tu pas que de nombreuses stars utilisent la protection de l’environnement pour leur propre promotion? Quelqu’un comme Javier n’en a pas besoin (rires). Il a assez d’argent pour s’acheter lui-

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CÉTACÉS À FANONS


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KRILL / ANTARCTIQUE

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Javier Bardem est un fantastique conteur et il a d’innombrables fans. S’il s’intéresse à quelque chose, les manchots par exemple, il peut partager cet intérêt avec des gens que nous n’arriverions jamais à atteindre d’une autre manière.

Dans l’Antarctique, la pêche industrielle s’intéresse surtout au krill. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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KRILL / ANTARCTIQUE

S’il n’y a pas assez de krill, la nourriture viendra à manquer aux baleines des eaux de l’Antarctique. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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ATLANTIQUE

MER DE WEDDELL

1000 km

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ARGENTINE

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ANTARCTIQUE

PACIFIQUE MER DE ROSS

même un bateau et naviguer vers l’Antarctique. Et s’il nous offre un peu de son temps et de son influence, ce n’est pas uniquement parce qu’il aime les manchots, mais aussi parce qu’il s’inquiète pour notre planète. Que dirais-tu à des personnes comme Donald Trump qui ne croient pas au changement climatique? Je crois que nous n’en sommes plus à l’époque où des gens pouvaient dire de façon sensée qu’ils ne croient pas au changement climatique. La vérité est plutôt qu’ils n’y comprennent rien. Je pense qu’aux États-Unis ou dans d’autres pays, de nombreux dirigeants qui ne veulent pas admettre le changement climatique n’ont tout simplement qu’une chose en tête: leur compte en banque. Ils savent depuis longtemps que c’est un fait avéré, mais font comme si cette réalité n’existait pas, afin de favoriser leurs propres intérêts. Cela ne t’agace-t-il pas d’être confronté à ce genre de personnes? Ce qui me pose problème, c’est lorsque des gouvernements et des entreprises ne disent pas la vérité. Nous en avons déjà fait l’expérience avec la Russie et la Chine à propos de la réserve de la mer de Ross. Les arguments qu’ils avaient avancés à l’époque pour s’y opposer ne correspondaient pas à leurs véritables raisons. Nous

n’avions donc aucune possibilité de contrer leur refus en utilisant des arguments logiques, car leur «réalité» était autre. Pourtant, identifier les vrais motifs derrière les arguments constitue l’une de nos principales tâches. N’as-tu pas parfois l’impression que ton engagement et celui de bien d’autres ne servent à rien en fin de compte? Nous ne pouvons pas nous payer le luxe de ne pas croire en l’avenir. Même s’il est déjà trop tard pour sauver la plupart des récifs coralliens et peut-être aussi les ours blancs, c’est maintenant que nous devons agir. Pour nous sauver nousmêmes, nos enfants et nos petits-enfants. Notre planète pourrait se régénérer si nous cessions de lui faire du mal. Tu ne dirais donc pas qu’il est trop tard pour sauver l’Antarctique? Non, absolument pas. En raison du changement climatique, l’Antarctique se transforme certes très vite, mais il n’est pas trop tard. En 2019, Greenpeace lancera la tournée maritime la plus ambitieuse de son histoire: une expédition de dix mois reliera un pôle à l’autre, soit l’Arctique à l’Antarctique en passant par l’Atlantique. L’objectif est d’obtenir que 30% au moins des océans soient placés sous protection d’ici 2030.

FAITES QUE VOTRE ENGAGEMENT EN FAVEUR DES OCÉANS SE POURSUIVE Grâce à un legs, vous pouvez contribuer à préserver l’espace vital des manchots et de nombreuses autres espèces animales. Vous nous permettez ainsi de poursuivre notre lutte mondiale pour la protection de l’Antarctique. Commandez notre Guide des legs et testaments: www.greenpeace.ch/legs, anouk.vanasperen@greenpeace.org, tél. 022 907 72 75. MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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LE MAGAZINE DES ADHÉRENTS GREENPEACE: VERS DE NOUVEAUX RIVAGES!

5.

6.

3.

1. Le nouveau magazine vous proposera des conseils et des idées faciles à réaliser soi-même pour vous permettre de participer activement à nos campagnes en faveur d’un environnement intact. 2. Le contenu du magazine change, tout comme son ap­ parence: il aura un nouveau look et un design inédit. 3. Notre objectif reste le journalisme de qualité: bien documenté, constructif, radical et proche des personnes; c’est ainsi que nous voulons aborder les sujets.

9.

4. Un magazine proche des personnes, c’est aussi un magazine qui présente Greenpeace en tant qu’organisation et les êtres humains qui l’animent.

5. Les points forts de l’ancien magazine ne seront pas complètement abandonnés: le nouveau concept reprend ce qui a fait ses preuves.


Chère lectrice, cher lecteur,

4. 7.

1.

8.

Au cours des dernières années, Greenpeace Suisse a publié des éditions passionnantes de son magazine destiné aux adhérents. Pour 2019, le magazine repart pour une nouvelle aventure, tant au niveau du design que du contenu. Nous n’en dirons pas plus pour l’instant, mais nous sommes prêts à partir et notre sac de voyage est plein de nouvelles idées pour un magazine renouvelé. Votre rédaction Greenpeace

6. Greenpeace sous la loupe: pour que vous sachiez comment votre argent est utilisé, et quels sont les projets et les actions qui ont encore besoin de soutien.

7. Nous voulons vous associer à nos actions et projets, et vous encourager à participer davantage au nouveau magazine, que ce soit en tant qu’adhérente, donateur ou personne intéressée.

9. Enfin, à la fin de chaque numéro, nous aimerions nous tourner vers l’avenir en indiquant les articles à venir, les projets futurs ou les événements prévus.

© PI ERO G O O D

8. Le contenu du magazine va changer, mais aussi l’aspect visuel et illustratif qui sera renforcé, pour refléter notre organisation en images.

2.


© G R EENPEACE M AGA ZIN WA R ENHAU S

MOTS FLÉCHÉS ÉCOLOS

Dix sets de cartes postales Magie des océans à gagner La photographe américaine Susan Middleton a réalisé pendant plus de sept ans des prises de vue époustouflantes des fonds marins. Envoyez la solution jusqu’au 31 janvier 2019 par courriel à redaction@greenpeace.ch ou par voie postale à Greenpeace Suisse, rédaction magazine, mots fléchés écolos, case postale 9320, 8036 Zurich. La voie juridique est exclue. Il ne sera entretenu aucune correspondance.

Symbole du magnésium Accueille des animaux victimes de maltraitance

1

Poisson consommé en brandade

Oiseau migrateur des prés

Fleuve du Maroc

8 Insecticide Police des USA Prix d’un transport de marchandises

Discipline de l’aérobic

Île d’Indonésie 16e lettre grecque

Localité du Vaucluse Pointe de la langue

9

Espace de temps Unité de mesure

Mèche

4 Côté de l’horizon où le soleil se lève

7

Recueil de lois Contrat de travail

Ville des Pays-Bas

Avant nous

Erbium

Espèce de crevette menacée d’extinction

Autre nom du requintaupe

Agence de promotion de l’informatique

1

2 Divinité

S’opposent à l’ouverture d’un couloir maritime en Arctique

10

Frère de Caïn

Service de dactylographie à distance

Dont l’intelligence est peu développée

Légumineuse voisine des vesces

Peuple aborigène en Amérique du Sud

Association européenne Ville de Champagne

Région dans laquelle une réserve marine doit être créée

Écrivain du XIXe s. (Eugène)

Ville d’Allemagne Grande école de France

Vitesse d’un bateau sans propulseur

Pâturage d’été en montagne Taxe

Arrêt du cheval Serrure à coulisse

Archipel danois, au nord de l’Écosse

Titre de paiement

Ambassadeur de l’Antarctique

À la mode

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Volatile Symbole du gallium Qui est de même condition

6

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Personne que le cœur choisit

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Convention pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique

2

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MENTIONS LÉGALES GREENPEACE MEMBER 4 / 2018 Éditeur/adresse de la rédaction: Greenpeace Suisse Badenerstrasse 171 Case postale 9320 8036 Zurich Téléphone 044 447 41 41 redaction@greenpeace.ch www.greenpeace.ch

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Équipe de rédaction: Tanja Keller (responsable), Piero Good (rédaction photographique) Correction/relecture: Text Control, Marco Morgenthaler, Marc Rüegger Auteurs: Thomas Mäder, Danielle Müller, Romano Paganini, Klaus Petrus Traduction en français: Nicole Viaud et Karin Vogt

MAGAZINE GREENPEACE N0 4 — 2018

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Photos: Alejandro Ramírez Anderson, Piero Good, Klaus Petrus Maquette: Hubertus Design Impression: Stämpfli AG, Berne Papier couverture et intérieur: 100% recyclé Tirage: d 81 000, f 15 500 Parution: quatre fois par année

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Le magazine Greenpeace est adressé à tous les adhérents (cotisation annuelle à partir de 72 francs). Il peut refléter des opinions qui divergent des positions officielles de Greenpeace.

Dons: Compte postal 80-6222-8 Dons en ligne: www.greenpeace.ch/dons

Dons par SMS: Envoyer GP et le montant Votre adresse est-elle encore en francs au numéro 488 correcte? Prévoyez-vous (par exemple, pour donner un déménagement? Prière 10 francs: «GP 10») d’annoncer les changements par courriel à suisse@greenpeace.org ou par téléphone au 044 447 41 71.


Ensemble, imaginons des solutions et agissons pour préserver l’Antarctique. Soutenez notre travail par un don! Merci beaucoup!

Die Annahmestelle L’office de dépôt L’ufficio d’accettazione

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«La nature est très importante pour moi. Je ne comprends pas pourquoi nous, les humains, exploitons notre planète pour générer des profits. Nous avons encore beaucoup à apprendre des cycles de la nature. C’est pourquoi je m’engage pour Greenpeace. En tant que militant, je peux agir de manière directe et non violente pour la protection de la nature.» Marco Vonmoos, militant Les legs jouent un rôle important dans le financement à long terme de notre travail dans le monde. En pensant à Greenpeace quand vous rédigez votre testament, vous contribuez à pérenniser notre planète. Si vous avez des questions concernant la rédaction d’un testament ou si vous souhaitez commander le guide gratuit, n’hésitez pas à nous contacter au 022 907 72 75, anouk.vanasperen@greenpeace.org, www.greenpeace.ch/legs.

© L UMI NA OBSCURA

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