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Dossier
FAIRE FACE AUX CRISES
Le plastique, l’eau, la viande, la biodiversité, le climat: le dossier de ce numéro survole cinq crises environnementales majeures de notre époque. Une nouvelle tentative de réveiller les consciences et d’inciter enfin à l’action!
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Textes: Danielle Müller, Greenpeace Suisse Illustrations: Katrin von Niederhäusern (C), Tobi Frank (R), Jill Senft (I), Beni Bischof (S), Luca Schenardi (E), Matthias Seifarth (S)
La menace du plastique
Peter Wick, nous avons du microplastique dans les poumons, les intestins, les selles, et maintenant aussi dans le sang. Comment est-ce possible? Des recherches sont en cours à ce sujet. Je pense que nous absorbons les particules de plastique par les voies classiques. Quant à savoir quels sont les types, les sources et les quantités de plastique absorbés par l’être humain, ce sont des interrogations que la recherche doit explorer au plus vite, tout comme la question des effets de ces plastiques sur notre organisme.
Faut-il s’inquiéter du plastique qui coule déjà dans nos veines? Nous vivons à l’ère du plastique, je ne suis donc pas surpris par ces résultats. Mais il faut se rappeler la formule de Paracelse: c’est la dose qui fait le poison...
Quand aurons-nous des résultats sur l’impact précis des microplastiques sur le corps humain? Dans cinq, dix, voire vingt ans? Je pense que dans cinq ans, les premières informations solides seront établies. Mais pour pouvoir faire une évaluation complète et définitive des microplastiques – et d’ailleurs aussi des nanoplastiques – dans le corps, il faudra certainement plus de temps.
Il semble donc que les êtres humains mangent consciemment du plastique. Comment expliquez-vous que nous ne soyons pas plus préoccupés par ce constat? Difficile à dire. Il est clair que nous devons étudier la question, établir les faits et en tirer les conclusions nécessaires.
Pouvons-nous encore échapper aux microplastiques et mettre fin à la crise du plastique? En principe, oui. Mais la société doit apprendre à boucler les cycles: ne pas jeter de déchets dans l’environnement, réutiliser le plastique existant et éliminer les plastiques présents dans la nature autant que possible. C’est la seule solution pour continuer à utiliser du plastique sans polluer davantage l’environnement et affecter notre santé.
Biologiste moléculaire et cellulaire au Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche (Empa), Peter Wick mène des recherches sur les interactions entre le plastique et la matière biologique.
La pénurie d’eau
Une tasse de café au réveil: 132 litres d’eau. Un œuf au plat au petit-déjeuner: 160 litres d’eau. Accompagné d’un verre de lait: 255 litres d’eau. Deux tranches de pain de froment: 160 litres d’eau. Une tranche de jambon: 299 litres d’eau. Une tranche de fromage: 19 litres d’eau. Une pizza margherita pour le repas de midi: 1259 litres d’eau. Une mangue pour le goûter: 900 litres d’eau. 500 grammes de pâtes le soir: 925 litres d’eau. Deux tomates pour la sauce: 100 litres d’eau. 200 grammes de viande de bœuf en accompagnement: 3083 litres d’eau. 300 grammes de salade en entrée: 71 litres d’eau. 100 grammes de chocolat avant le coucher: 1700 litres d’eau. Et un verre de vin pour s’endormir: 109 litres d’eau. Voilà le quotidien alimentaire normal, avec son énorme consommation d’eau. En plus de l’eau que nous utilisons pour cuisiner, nous doucher ou faire la vaisselle, nous laissons une empreinte hydrique nettement plus importante par le biais des produits que nous utilisons et consommons. Leur fabrication nécessite des quantités d’eau considérables. C’est ce qu’on appelle la consommation d’eau virtuelle. Or, selon un rapport de l’ONU, l’accès à l’eau sera menacé dès le milieu du siècle pour plus de cinq milliards de personnes, soit plus de la moitié de l’humanité. La crise de l’eau nous concerne donc également en Suisse. Il est grand temps de se réveiller. Et de renoncer à la tasse de café du matin! S’asperger la figure d’eau froide fera l’affaire et ne consommera que deux décilitres d’eau au lieu de 132 litres. Un premier pas pour assurer l’accès à l’eau pour toutes et tous.
Le scandale de la viande
En 2021, 83 millions d’animaux «de rente» ont été abattus en Suisse pour notre consommation de viande. Cela correspond à 2,7 animaux par seconde. Le temps d’un clin d’œil, près de trois porcs (ou bovins, veaux, poulets) passent de vie à trépas. Et ce n’est pas beau à voir: les bêtes reçoivent un coup de pistolet à tige perforante entre les deux yeux, sous les cris de leurs congénères. Pour que le soir, nous puissions poser notre steak sur le gril. Tch tch… Cette surconsommation de viande n’est pas nouvelle en Suisse. Tout le monde sait d’où viennent les saucisses à rôtir, les filets de bœuf et autres morceaux de choix. Les modes de production sont connus. Il ne nous reste donc plus rien à dire sur la crise de la viande. Sauf peut-être que, si l’être humain lit en moyenne deux cent cinquante mots par minute, c’est-à-dire environ quatre mots par seconde, cent vingt animaux ont été abattus en Suisse pendant que vous avez lu ce petit texte. Quand dirons-nous stop?
La perte de biodiversité
Il pleut des cordes à Sempach. Trois dames qui ont l’âge d’être à la retraite descendent du bus et se dirigent vers la station ornithologique avec leurs parapluies multicolores. Le bâtiment en argile brun clair se détache nettement de la grisaille ambiante. Il est près de 10 heures et, dans quelques minutes, le centre de la Fondation pour l’étude et la protection des oiseaux ouvrira ses portes électriques. En entrant dans le bâtiment, on ne comprend pas tout de suite que de nombreuses espèces d’oiseaux ne se portent pas bien en Suisse. On entend de joyeux gazouillis qui proviennent de haut-parleurs cachés. Les portes vitrées s’ouvrent sur une grande terrasse où trois employés boivent leur café en regardant le lac. La brume qui flotte sur l’eau crée une atmosphère paisible, presque féérique. Une ambiance idyllique se dégage également de l’exposition de la station ornithologique. Cette exposition présente le monde des oiseaux, de l’éclosion à la couvée puis à l’envol. L’accent est mis sur l’importance de la conservation des espèces: deux tiers des espèces d’oiseaux de Suisse sont en danger ou potentiellement menacés, selon la liste rouge des oiseaux nicheurs actualisée en 2021. «Par rapport à la dernière révision de la liste par la Station ornithologique suisse en 2010, il est choquant de voir que les avancées sont pratiquement nulles, constate Livio Rey, porte-parole de la Station ornithologique de Sempach. Au contraire, la situation générale s’est dégradée. La Suisse fait partie des pays européens les plus passifs en matière de protection des oiseaux.» Les espèces sont particulièrement menacées dans les zones humides et sur les terres cultivées. Trop peu nombreuses en Suisse, les régions humides ont tendance à s’assécher et sont perturbées par la crise du climat. Dans les zones cultivées, ce sont l’agriculture intensive et l’utilisation abusive des pesticides et des engrais qui détruisent les habitats des oiseaux. Alors que le déclin des espèces est un fait connu et avéré, les mesures de protection font largement défaut. «Il faut vraiment que la biodiversité devienne une priorité politique», commente Livio Rey.
L’indifférence climatique
Flavia Gosteli, pourquoi n’agissons-nous pas suffisamment face à l’urgence climatique? De nombreuses études montrent que les informations ne suffisent pas à modifier les comportements. La prise de conscience des dangers du changement climatique est importante pour se donner les moyens d’agir. Mais il y a des obstacles, par exemple les habitudes. Il s’agit d’automatismes qui nous permettent de nous orienter dans un environnement complexe, mais qui sont aussi une entrave au changement. Prendre conscience des corrélations entre nos actes et la crise du climat requiert un effort intellectuel. Il en va de même pour choisir des solutions durables. Et même si nous y parvenons, nous retombons souvent dans nos mécanismes habituels en cas de stress ou de pression, ce qui arrive fréquemment dans notre société méritocratique. De plus, le bouleversement climatique est un processus abstrait et complexe, dont il est difficile d’apprécier l’ensemble des conséquences. Beaucoup se distancient intérieurement du changement climatique et perçoivent ses effets comme quelque chose qui se passe ailleurs ou dans un futur indéterminé. La plupart des gens ne dégradent pas intentionnellement l’environnement. Mais ils ont tendance à considérer les dommages écologiques comme inévitables. L’ampleur du réchauffement du climat fait qu’il est difficile de se sentir efficace dans ses efforts personnels. D’où l’importance d’agir collectivement, de faire bouger les choses ensemble. Toutefois, les informations inquiétantes peuvent aussi déclencher des processus de déni et de refoulement. La réflexion sur la crise du climat peut être perçue comme pesante ou angoissante. Pour nous protéger, nous renonçons à nous informer, refoulant ou minimisant les enjeux. Ou alors nous nous rabattons sur des problèmes qui paraissent subjectivement plus urgents à court terme. Cette autoprotection psychologique nous évite d’être bouleversés dans l’immédiat, mais à long terme, elle nous empêche d’évaluer adéquatement les dangers et les mesures possibles pour y faire face. Pour surmonter les réactions de rejet, éviter d’être paralysé par l’impuissance et passer à l’action, il faut comprendre les menaces mais aussi disposer d’une panoplie de solutions concrètes. Il nous faut des options réalisables et motivantes ainsi que des visions stimulantes et réalistes pour un avenir durable.
Présidente de l’association de psychologie environnementale IPU, Flavia Gosteli travaille sur les comportements environnementaux.