Structure et fonction des anticorps

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1 • Structure et fonctions des anticorps

COLLECTION MABIMPROVE

« L’essentiel sur les anticorps thérapeutiques »


Préface Auteurs : Thierry Chardès, Dr en Pharmacie, Directeur de Recherche CNRS, IRCM Marie-Alix Poul, Pr d’Immunologie, Université de Montpellier, IRCM Audrey Munos, Dr ès Sciences, Groupe IMT Comité de lecture : André Pellegrin, Directeur de recherche INSERM, IRCM, co-directeur du LabEx MAbImprove Hervé Watier, Pr d’immunologie, Université de Tours, directeur du LabEx MAbImprove, Pr David Azria, Coordonnateur du pôle de Radiothérapie Oncologique, Président de la CME, ICM Montpellier Pr Guillaume Cartron, Coordonnateur Département Hématologie clinique, CHU Montpellier Pr Jacques Morel, Responsable équipe médicale Immuno-rhumatologie, Département de Rhumatologie, CHU et Université de Montpellier Dr Frédéric Pinguet, Coordonnateur Pôle Pharmaco-Biopathologie, ICM Montpellier

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Depuis maintenant près de 20 ans, les anticorps monoclonaux se sont imposés au sein de l’arsenal thérapeutique de différentes maladies. Si l’oncologie, l’immunologie et la rhumatologie ont été les domaines précurseurs, ces biomédicaments sont maintenant utilisés dans presque tous les domaines de la médecine. En 2014, ce sont les deuxième voire troisième générations d’anticorps thérapeutiques qui sont prescrites quotidiennement. Les anticorps chimériques ou humanisés sont remplacés par des versions optimisées pour leurs fonctions effectrices toujours plus efficaces. Les conjugués anticorps-médicaments se développent au côté d’anticorps bispécifiques toujours plus variés. Cependant, les promesses de ces biomédicaments s’accompagnent d’une complexité qu’il est nécessaire de bien appréhender pour en tirer tout le potentiel. Force est de constater que leurs spécificités sont mal connues car elles relèvent de domaines divers (immunologie, ingénierie des protéines, pharmacologie, …). Il y a donc une demande importante d’information et de formation par de nombreux acteurs du domaine. C’est le défi que le laboratoire Roche, leader mondial dans le domaine des biothérapies, en collaboration avec le LabEx MAbImprove a décidé de relever avec le Groupe IMT en proposant des livrets didactiques mais précis présentant les anticorps thérapeutiques depuis des rappels sur leur historique et leur structure jusqu’aux dernières applications cliniques. Nous vous souhaitons une agréable lecture en espérant que ces livrets contribueront à une meilleure compréhension, et donc à une meilleure utilisation des anticorps thérapeutiques pour le bénéfice des malades. Hervé Watier - André Pellegrin


1 I Introduction Les immunoglobulines, qui portent des activités « anticorps », sont des molécules naturelles présentes dans le sang et les liquides interstitiels, apparues au cours de l’évolution chez les vertébrés supérieurs. Ce sont des glycoprotéines secrétées par un type particulier de leucocytes. Les anticorps sont spécialisés dans la reconnaissance de structures moléculaires dénommées antigènes, associées le plus souvent à des microorganismes pathogènes ou à des cellules distinctes du « soi ». A la suite d’une agression mettant en danger l’intégrité de l’organisme, par exemple une infection bactérienne ou virale, et parfois des lésions pré-cancéreuses, se développe une réponse immunitaire de l’organisme qui peut s’accompagner d’une production massive d’anticorps se fixant spécifiquement aux antigènes avec une très forte affinité. La diffusion des anticorps dans les compartiments liquidiens de l’organisme conduit à la neutralisation ou à la destruction des antigènes reconnus comme étrangers (agents pathogènes, toxines, cellules cancéreuses). Les anticorps participent ainsi à la réponse

immunitaire dite adaptative, terme soulignant le fait que des anticorps adaptés et différents sont produits à la carte pour chaque type d’agression, assurant ainsi une protection optimale de l’organisme. Avant même que n’existe le terme d’anticorps et qu’on en connaisse leur structure, ils étaient déjà utilisés sous forme de sérothérapie dans le traitement de nombreuses maladies. La caractérisation de la structure et des mécanismes conduisant à la synthèse d’anticorps spécifiques d’un antigène donné, et les développements de l’ingénierie moléculaire et du génie génétique permettent actuellement de construire et de produire à façon des anticorps thérapeutiques pour traiter des cancers, des maladies inflammatoires et de nombreuses autres affections.

SOMMAIRE Historique

p4

Structure moléculaire des anticorps

p5

Réponse immunitaire B permettant la production des anticorps p8 Dualité fonctionnelle des anticorps

p9

Distribution des anticorps dans l’organisme

p11

Conclusion

p11

3


2 I Historique Au début du XXe siècle, Paul Ehrlich forgea le terme « Antikörpen » (anticorps) pour désigner les éléments contenus dans le sérum et qui étaient tantôt capables de neutraliser telle toxine, tel venin ou de reconnaître certains microbes. Il chercha aussi à en conceptualiser l’origine en développant le concept de « chaînes latérales » présentes en grande diversité sur des cellules et dont certaines étaient secrétées par celles-ci à la demande, en étant dirigées spécifiquement vers les antigènes à neutraliser (Fig.1). Quelques années auparavant, en 1890, Emil von Behring et Shibasaburo Kitasato avaient découvert que la fraction liquidienne du sang (le sérum) d’un animal ayant reçu des doses non létales de toxine diphtérique permettait de protéger d’autres animaux de la mort induite par une dose létale. Un premier enfant fût guéri du croup (ou angine

von Behring & Kitasato Roux Sérothérapie antidiphtérique

Ehrlich Première notion « d’Antikörper »

Porter & Edelman Structure d’un anticorps

Finn Pollack Sérothérapie anti-rhésus D Antigen D

Rh+

Rh-

Köhler & Milstein Hybridomes producteurs de mAbs

diphtérique) par le sérum anti-diphtérique dès la fin 1891. En 1894, Emile Roux, chercheur de l’Institut Pasteur de Paris, publia une étude sur 300 enfants traités avec succès par du sérum antidiphtérique à l’hôpital des Enfants Malades. La sérothérapie était née, et fut appliquée à de nombreuses maladies. Soixante années passèrent cependant avant que la structure des anticorps ne soit élucidée par Porter et Edelman (1958-1961). Les années 1960-1970 virent se généraliser l’utilisation d’immunoglobulines issues de plasmas de donneurs de sang, antitétanique, mais aussi anti-Rhésus D pour la prévention de l’allo-immunisation fœtomaternelle, risque majeur pour le fœtus rhésus positif si sa mère est rhésus négatif et qu’elle a déjà eu d’autres enfants rhésus positif. Enfin, en 1975, George Köhler et Cesar Milstein mettent au point la technique des hybridomes

Morrison Winter Fabrication in vitro d’AcM recombinant

Anti-CD20 chimérique recombinant Cosimi Anti-CD3 murin

33 AcM thérapeuthiques commercialisés

4

1890-94

1900

1958-61

1960-70

1975

Fig 1. : Historique

1984-86

1986

1998

2014


permettant de cultiver indéfiniment un clone de cellules productrices d’un unique anticorps, appelé dès lors monoclonal, ouvrant la voie à la biotechnologie des anticorps. Dès 1986, le premier anticorps monoclonal thérapeutique, un anti-CD3, est commercialisé pour la prévention du rejet d’allogreffe.

Ce qu’il faut retenir : Un siècle de découvertes, 18901986, a permis l’arrivée des anticorps monoclonaux en thérapie et des évolutions techniques permettent encore aujourd’hui d’améliorer leur utilisation.

3 I Structure moléculaire et classes d’anticorps Les anticorps sont des molécules formées de quatre chaînes protéiques homologues 2 à 2, maintenues entre elles par des liaisons non covalentes et des ponts disulfures : deux chaînes lourdes (H pour heavy) et deux chaînes légères (L pour light). Il existe cinq grands types de chaîne lourde H, désignés par les lettres grecques γ (gamma), α (alpha), μ (mu), δ (delta), ε (epsilon) qui définissent les cinq classes d’anticorps IgG, IgA, IgM, IgD et IgE. Au sein de certaines classes (IgG et IgA), on distingue des sous-classes déterminées par le sous-type de chaîne lourde H. Ainsi, la classe des IgG humaines comprend 4 sous-classes (IgG1, IgG2, IgG3 et IgG4) possédant des chaines lourdes H appelées respectivement γ1,

γ2, γ3 et γ4 (Tab.1). Une chaine lourde H peut

s’apparier avec soit une chaine légère L de type

κ (kappa) ou de type λ (lambda). La nature de la chaîne lourde (son isotype) définit donc la classe ou la sous-classe d’immunoglobuline. Plus précisément, une chaîne lourde H est constituée 1. d’une région commune à une classe ou sousclasse d’anticorps donnée, appelée région constante (CH) et comprenant 3 ou 4 domaines structuraux globulaires (CH1, CH2, CH3 et CH4), et 2. d’une région présentant de la variabilité au sein d’une classe ou sous-classe d’anticorps, appelée région variable (VH) et composée d’un seul domaine structural (Fig.2). Les 5


chaines légères κ ou λ possèdent une région constante (CL) et une région variable (VL), chacune ne comprenant qu’un seul domaine structural. Le clivage des anticorps par des enzymes a permis de préciser l’organisation fonctionnelle des anticorps. Ainsi le clivage d’une IgG par la papaïne donne deux fragments Fab (Fragment antigen binding, c’est-à-dire capable de se lier à l’antigène ; voir paragraphe 5.1) composés des régions variables (VH et VL) et des domaines Anticorps

6

IgG1

CH1 et CL reliés par un pont disulfure. Le clivage par la papaïne donne également un fragment Fc (Fragment cristallisable) contenant une partie des régions constantes (domaines CH2 et CH3) des deux chaines lourdes reliées par deux ponts disulfure (Fig.2). L’étude des gènes qui codent les anticorps et de l’évolution de leur organisation dans le lymphocyte B a montré que la diversité du répertoire anticorps chez l’homme, est due IgG2

IgG3

IgG4

IgM

IgA

IgD

IgE

Taux sérique (g/L)

9

3

1

0,5

1,5

3

0,03

0,0003

Demi-vie sérique (jours)

23

23

8

23

5

6

3

2,5

Liaison du C1q

Activation de la voie classique du complément

++

+

+++

-

+++

+

-

-

Liaison au FcγRI

Stimulation Activation ADCC

++

+

++

+

-

-

-

-

Liaison aux macrophages

Opsonisation, phagocytose

+++

+

++

-

+

+

-

-

Liaison au FcγRIII

Dégranulation ADCC (NK)

++

-

++

-

-

-

-

-

Liaison au FcεRI ou RII

Dégranulation

-

-

-

-

-

-

-

+++

Liaison au FcRn (néonatal FcR)

Immunité maternelle PKC/PKD

+++

+

++

+/-

-

-

-

-

Tableau 1 : Caractéristiques des classes et sous-classes d’anticorps


au fait que chaque lymphocyte B met en place un ensemble de mécanismes générant de la diversité pour construire un anticorps (potentiellement 1010 à 1011 molécules différentes, capables de reconnaitre n’importe quel antigène) : 1. Nombreux gènes disponibles au sein de chaque famille de gènes V, D ou J pour former les régions variables VH et VL 2. Assemblage aléatoire des gènes VDJ (région variable VH) et VJ (région variable VL), combiné à une grande latitude dans les modalités de jonction entre ces gènes, aboutissant non seulement à des variations de séquence, mais aussi à des variations de longueur 3. Appariement de 2 chaînes différentes H et L 4. Mutations ponctuelles d’acides aminés dans les régions variables VH et VL. Diverses classes ou sous-classes d’anticorps possèdent des caractéristiques différentes en termes de concentration dans le sérum, de demi-vie dans l’organisme et d’activités biologiques (Tab.1). Secrétés par les cellules de la lignée lymphocytaire B (lymphocytes B et plasmocytes), les immunoglobulines ont pu être caractérisées dans le sérum par des anticorps produits chez l’animal et qui les reconnaissent spécifiquement. On peut ainsi distinguer cinq

classes d’immunoglobulines, IgG, IgA, IgM, IgD et IgE (par ordre décroissant de concentration) qui se répartissent entre les fractions � et � des globulines du sérum humain. Leurs activités biologiques (voir paragraphe 5.2) spécialisent chaque classe et sous-classe dans une stratégie spécifique de protection de l’organisme. Ainsi les IgM sont produites très rapidement suite à une infection et sont capables d’activer fortement le complément alors que les IgG, produites plus tardivement, agissent en lien avec le complément et les effecteurs cellulaires de l’immunité ; elles persistent dans la circulation sanguine. Les IgA dimériques sont exportées au niveau des muqueuses (intestin, lait maternel, salive) et participent à la protection des « portes d’entrée » de l’organisme. Les IgE et les IgD sont présentes en très faible quantité dans le sérum ; les IgE étant actives contre les parasites et dans les allergies alors que le rôle des IgD reste mal connu.

Fragment Fab

VL

VH

CDRs CH1

CL Région charnière

L CH2

Ponts disulfure

CH3 H Fragment Fc

Fig 2 : Structure d’un anticorps de classe IgG

Les anticorps sont des molécules symétriques formées de quatre chaînes protéiques homologues 2 à 2 et reliées par des ponts disulfures : deux chaînes lourdes (H - heavy) et deux chaînes légères (L - light) organisées en domaines (VH, VL, CL, CH1, CH2, CH3).

Ce qu’il faut retenir : les anticorps sont des glycoprotéines de structure complexe (immunoglobulines) réparties en plusieurs classes et sousclasses avec des activités biologiques spécialisées. 7


4 I Réponse immunitaire B permettant la production des anticorps

Anticorps 1 Activation Sécrétion de cytokines IL-2/4/5

CD40L

B

CD40 B

Plasmocyte 1

B7 MHC II

CD28 T CD4

BCR

TCR

Ag Lymphocyte T CD4+ activé après présentation de l’antigène par une cellule dendrique

Anticorps 2

B

Réponse B Polyclonale

Contact cellulaire

Plasmocyte 2 T CD4

Anticorps 3

B Plasmocyte 3

T CD4

Fig 3 : Schéma de la réponse immunitaire B conduisant à la production d’anticorps

Chaque anticorps est unique et n’est sécrété que par un seul clone de plasmocytes (l’anticorps est dit monoclonal), mais plusieurs lymphocytes B se multiplient lors de la réponse immunitaire, donnant naissance à de nombreux clones de plasmocytes sécrétant chacun un anticorps différent. La réponse immunitaire B naturelle est dite polyclonale.

Au cours de la réponse immunitaire contre une infection bactérienne, virale ou une inflammation, le système immunitaire est stimulé et certains lymphocytes B, rencontrant leur antigène par leur BCR (B cell receptor), se multiplient. Au terme de la réponse immunitaire (voir paragraphe suivant), les lymphocytes B pourront se différencier en plasmocytes sécréteurs d’anticorps. Au sein d’un clone, tous les plasmocytes secrètent le même anticorps (qui est dit monoclonal), mais plusieurs lymphocytes B se multiplient lors de la réponse immunitaire, donnant naissance à de nombreux clones de plasmocytes sécrétant chacun un anticorps différent. La réponse immunitaire B naturelle est dite polyclonale (Fig.3). Les signaux commandant la mise en place de la réponse immunitaire B impliquent habituellement une coopération des lymphocytes B avec une autre catégorie de lymphocytes, les lymphocytes T CD4 auxiliaires. Ces derniers sont activés par des cellules spécialisées dans la présentation de l’antigène, les cellules dendritiques. Dans un contexte de danger, les antigènes captés et amenés par des cellules dendritiques au sein d’organes spécialisés comme la rate ou les ganglions lymphatiques sont présentés aux lymphocytes T CD4. Les lymphocytes T CD4 spécifiques des antigènes s’activent, se multiplient, se différencient en lymphocytes T auxiliaires et

expriment alors le CD40L tout en sécrétant des cytokines (IL-4, IL-5 et IL-6 essentiellement) (Fig.3). Puis ces lymphocytes T vont à la rencontre des lymphocytes B, qui ont été capables de capturer l’antigène via leur BCR, et qui deviennent ainsi capable de leur présenter l’antigène de la même manière que les cellules dendritiques. Ce contact direct avec un lymphocyte B initie une importante amplification clonale (centre germinatif des organes lymphoïdes secondaires) et enfin la différenciation du lymphocyte B en plasmocytes qui vont gagner la moelle osseuse pour produire leurs anticorps. G. Köhler et C. Milstein ont développé en 1975 une technique permettant d’immortaliser des lymphocytes sécréteurs d’anticorps. Le clonage de lymphocytes immortalisés, sécrétant d’une manière indéfinie un anticorps monoclonal d’intérêt thérapeutique, a permis de considérer les anticorps monoclonaux comme des biomédicaments potentiels. Plus tard, les progrès de la génétique des anticorps (S. Tonegawa, 1987), des capacités d’amplification de gènes par Polymerase Chain Reaction (K. Mullis, 1993) et les nouvelles possibilités de fabrication in vitro d’anticorps (S. Morrison 1984 ; G. Winter, 1986) ont ouvert la voie à la production d’anticorps recombinants dans des « usines cellulaires » productrices de biomédicaments (ce thème sera abordé dans le livret 2).

8

Ce qu’il faut retenir : la réponse immunitaire B polyclonale conduisant à la production d’anticorps monoclonaux est le résultat de la reconnaissance d’antigènes et d’interactions cellulaires activant la sécrétion de cytokines spécialisées. La fabrication des anticorps monoclonaux à visée thérapeutique est le résultat de la compréhension de ces mécanismes et des avancées du génie génétique.


5 I Dualité fonctionnelle des anticorps

5.1 I Fonction de liaison à l’antigène Les anticorps reconnaissent des antigènes solubles (ex : dans la circulation sanguine) ou particulaires (ex : à la surface de cellules). La liaison de l’antigène à l’anticorps est une association bi-moléculaire réversible spécifique, avec une forte complémentarité de forme entre paratope (zone de contact se trouvant sur l’anticorps) et épitope (zone de contact se trouvant sur l’antigène) (Fig.4). Le paratope est localisé dans les régions VH et VL, au niveau des boucles hypervariables appelées CDR (Régions Déterminant la Complémentarité) au nombre de 3 par région variable. Les 6 boucles CDRs forment le paratope, une IgG portant donc 2 paratopes strictement identiques. L’affinité de l’anticorps pour l’antigène correspond à la force des interactions entre un paratope et un épitope. Plus l’anticorps est affin, plus son efficacité de liaison et de neutralisation de

l’antigène est accrue. Dans le cas d’antigènes membranaires, présents à la surface d’une cellule ou d’un agent pathogène en plusieurs exemplaires, les deux paratopes de l’anticorps (IgG) peuvent se lier à deux antigènes ; il en résulte une avidité bien plus élevée que l’affinité de chaque paratope pour son épitope, rendant l’association très peu réversible. Certains anticorps thérapeutiques commercialisés, tel que les anti-VEGF et anti-IgE, agissent en neutralisant un facteur soluble. D’autres anticorps thérapeutiques, tels que les anti-HER2 et anti-EGFR, agissent en se liant à un récepteur présent à la surface des cellules cancéreuses et en bloquant l’activité de ce récepteur impliqué dans la transformation cancéreuse des cellules qui le portent ; ce sont des anticorps antagonistes. L’anticorps anti-CTLA-4, est également un antagoniste, mais il bloque un récepteur inhibiteur des lymphocytes T et restaure la réponse immunitaire adaptative contre les cellules tumorales. Cette fonction de liaison à l’antigène permet à d’autres anticorps de neutraliser des toxines bactériennes ou d’inhiber l’adhésion bactérienne à la surface des cellules, de bloquer la fixation d’un virus sur son récepteur ou de désorganiser la formation de la particule virale (ex : anticorps anti-virus respiratoire syncitial).

Boucles hypervariables

Antigène

VH

VL

Fragment Fab Paratope

Liaison à l’antigène Ep itop e

Les anticorps sont des molécules bifonctionnelles, c’est-à-dire qu’ils possèdent une double capacité 1. de fixation directe à l’antigène et 2. de mise en place de fonctions effectrices. Cette dualité fonctionnelle des anticorps permet d’éliminer efficacement l’agresseur étranger de l’organisme.

CDRs

Fragment Fc

Fig 4 : Liaison antigèneanticorps

La zone de contact de l’anticorps se situe dans les régions VH et VL, au niveau de zones hypervariables appelées CDR ou Complementarity Determining Region (3 CDRs sur la région VH et 3 CDRs sur la région VL). Par analogie, l’antigène est une pomme, les 6 doigts représentent les CDRs délimitant le site de liaison à l’antigène ou paratope.

9


5.a

5.2 I Fonctions effectrices

Cellule cible

ADCC

Anticorps

Fc

FcγRI ou III

Perforines Granzymes

Cellule effectrice (NK, monocytes…)

Anticorps Cellule cible

Fc

CDC

Clq

Clr

Cls

Protéines du complément

Complexe d’attaque membranaire

Cellule cible

Anticorps FcγR Fc

ADCP

Phagocytose

Macrophage Passage trans-placentaire

5.b

Recyclage des anticorps (PKC/PKD)

Anticorps

Transport Albumine sélectif des anticorps

Fc

FcRn

10

Figure 5 : Fonctions effectrices des anticorps

5.a. Fonctions effectrices des anticorps. 5.b. Rôle du FcRn dans le transport des anticorps.

Les anticorps peuvent également éliminer des agents pathogènes, des cellules infectées ou des cellules cancéreuses en activant le système du complément ou en agissant en coopération avec des cellules effectrices du système immunitaire (macrophages, cellules « tueuses naturelles » - NK ou natural killer - ou polynucléaires). Les cellules effectrices portent à leur surface des récepteurs pour la portion Fc des anticorps (FcR) par lesquels elles captent les anticorps fixés à leur cible. Ainsi, l’anticorps assure le pontage entre la cellule cible et la cellule effectrice (Fig.5.a). Parmi les IgG, ce sont les IgG1 et les IgG3 qui ont le plus de capacité à activer le complément et à recruter les cellules exprimant des Fc�R ; les IgG2 et IgG4 sont pratiquement dépourvues de ces propriétés (Tab.1). Le mécanisme de cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC ou AntibodyDependent Cell-mediated Cytotoxicity) conduit à la destruction de la cellule cible par un arsenal cytotoxique sécrété par la cellule effectrice (granzymes et perforine dans le cas de cellules NK) (Fig.5.a). L’anticorps thérapeutique anti-HER2 peut détruire, par exemple, les cellules tumorales de cancer du sein par ADCC. La fixation de l’anticorps (IgM, IgG1 et IgG3) à un

antigène membranaire favorise le recrutement des protéines sériques du complément (C1q) sur la région Fc de l’anticorps (Fig.5.a). Ce phénomène aboutit à la cytolyse dépendante du complément (CDC ou Complement-Dependent Cytotoxicity), après activation enzymatique de la voie classique du complément et formation finale d’un complexe d’attaque membranaire qui détruit la cellule cible. En recouvrant des bactéries ou des cellulescibles, les anticorps (IgG1 et IgG3) peuvent aussi faciliter la phagocytose par les macrophages ou les polynucléaires. On parle d’opsonisation des bactéries ou de sensibilisation des cellules, pouvant conduire à leur phagocytose via l’interaction Fc/Fc�R (Fig.5.a). Ce phénomène est dénommé ADCP ou Antibody-Dependent Cell Phagocytosis. S’il s’agit d’antigènes solubles, leur liaison avec des anticorps et le complément formera des complexes qui seront phagocytés de la même façon. Ce qu’il faut retenir : les anticorps peuvent exercer une double fonction de neutralisation d’un antigène (par le fragment Fab) et d’activation de mécanismes de destruction de cellules en se fixant à leur surface (par le fragment Fc), ce qui en fait des armes thérapeutiques spécialisées.


6 I Distribution des anticorps dans l’organisme Le transport sélectif des IgG maternelles de la mère à l’enfant à travers le placenta s’effectue grâce à la fixation du Fc des anticorps au récepteur néo-natal pour la portion Fc (FcRn) exprimé par les cellules syncytiotrophoblastiques. Ce phénomène permet de transférer la protection immunitaire de la mère au fœtus. Il est à noter que le FcRn, présent également sur les cellules des vaisseaux sanguins, assure un captage et un recyclage permettant aux anticorps d’échapper à une dégradation rapide, ainsi que la transcytose favorisant la distribution des anticorps dans tout l’organisme (Fig.5.b). Le récepteur FcRn est essentiel pour assurer

la persistance des anticorps naturels (ex : le temps de ½ vie d’une IgG1 est de 23 jours) et donc régule la pharmacocinétique des anticorps thérapeutiques, en maintenant un taux plasmatique suffisant de biomédicament pour induire l’effet thérapeutique désiré. Ce qu’il faut retenir : la durée de vie (pharmacocinétique) et la distribution (pharmacodynamie) des anticorps dans l’organisme, dont il faut tenir compte en thérapie, sont régulées par l’interaction du fragment Fc avec un récepteur cellulaire spécialisé (le FcRn).

7 I Conclusion Les anticorps sont un des piliers du système immunitaire protégeant l’organisme. La vaccination permet de développer ces armes naturelles pour lutter contre les infections. La connaissance scientifique croissante autour de ces glycoprotéines a ouvert la voie à une nouvelle classe de biomédicaments en constante expansion, les anticorps thérapeutiques, qui sont maintenant prescrits dans de nombreuses indications (maladies inflammatoires et auto-immunes, cancer, transplantation, etc.). L’étape suivante sera l’apparition d’anticorps de nouvelle génération, optimisés pour des fonctions biologiques

particulières (ADCC, pharmacocinétique), sous des formes moléculaires plus efficaces (anticorps pluri-spécifiques, anticorps conjugués) ou minimisées (nanobodies). Ces biomédicaments anticorps devraient aussi bénéficier des progrès de certaines disciplines à l’interface de la physique, de la chimie et des mathématiques, dans lesquels la technologie se rapproche du vivant (microfluidique, nanotechnologie, robotique). Ainsi la sérothérapie de von Behring, Ehrlich et Roux, revisitée par Köhler et Milstein, aura toute sa place dans l’arsenal thérapeutique du XXIe siècle.

11


Roche 30, cours de l’Ile Seguin 92650 Boulogne-Billancourt cedex Tél. : 01 47 61 40 00 Fax : 01 47 61 77 00 Edité le 16/01/2015 03306/RSI/0115


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