Production des anticorps monoclonaux

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2 • Production des anticorps monoclonaux

COLLECTION MABIMPROVE

« L’essentiel sur les anticorps thérapeutiques »


Préface Auteurs : Thierry Chardès, Dr en Pharmacie, Directeur de Recherche CNRS, IRCM Marie-Alix Poul, Pr d’Immunologie, Université de Montpellier, IRCM Audrey Munos, Dr ès Sciences, Groupe IMT Comité de lecture : André Pellegrin, Directeur de recherche INSERM, IRCM, co-directeur du LabEx MAbImprove Hervé Watier, Pr d’immunologie, Université de Tours, directeur du LabEx MAbImprove, Pr David Azria, Coordonnateur du pôle de Radiothérapie Oncologique, Président de la CME, ICM Montpellier Pr Guillaume Cartron, Coordonnateur Département Hématologie clinique, CHU Montpellier Pr Jacques Morel, Responsable équipe médicale Immuno-rhumatologie, Département de Rhumatologie, CHU et Université de Montpellier Dr Frédéric Pinguet, Coordonnateur Pôle Pharmaco-Biopathologie, ICM Montpellier

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Depuis maintenant près de 20 ans, les anticorps monoclonaux se sont imposés au sein de l’arsenal thérapeutique de différentes maladies. Si l’oncologie, l’immunologie et la rhumatologie ont été les domaines précurseurs, ces biomédicaments sont maintenant utilisés dans presque tous les domaines de la médecine. En 2014, ce sont les deuxième voire troisième générations d’anticorps thérapeutiques qui sont prescrites quotidiennement. Les anticorps chimériques ou humanisés sont remplacés par des versions optimisées pour leurs fonctions effectrices toujours plus efficaces. Les conjugués anticorps-médicaments se développent au côté d’anticorps bispécifiques toujours plus variés. Cependant, les promesses de ces biomédicaments s’accompagnent d’une complexité qu’il est nécessaire de bien appréhender pour en tirer tout le potentiel. Force est de constater que leurs spécificités sont mal connues car elles relèvent de domaines divers (immunologie, ingénierie des protéines, pharmacologie, …). Il y a donc une demande importante d’information et de formation par de nombreux acteurs du domaine. C’est le défi que le laboratoire Roche, leader mondial dans le domaine des biothérapies, en collaboration avec le LabEx MAbImprove a décidé de relever avec le Groupe IMT en proposant des livrets didactiques mais précis présentant les anticorps thérapeutiques depuis des rappels sur leur historique et leur structure jusqu’aux dernières applications cliniques. Nous vous souhaitons une agréable lecture en espérant que ces livrets contribueront à une meilleure compréhension, et donc à une meilleure utilisation des anticorps thérapeutiques pour le bénéfice des malades. Hervé Watier - André Pellegrin


1 I Introduction : Biotechnologies et protéines recombinantes thérapeutiques Les biotechnologies réunissent des applications techniques utilisant ou modifiant le vivant (bio) dans le but de la production de connaissances, de savoirs et de biens*. Ces technologies sont représentées dans 5 domaines d’activité auxquels ont été attribuées des couleurs : blanc pour le domaine industriel, en remplacement des techniques chimiques (carburants, dissolvants, textiles) ; jaune pour la protection de l’environnement (traitement, élimination des pollutions) ; bleu pour ce qui touche au développement de produits liés la biodiversité marine ; vert pour le domaine de l’agro-alimentaire (utilisation de plantes et de cellules végétales pour produire et transformer des produits alimentaires) ; et rouge, pour les biotechnologies pour la santé présentes principalement dans l’industrie pharmaceutique pour la production de biomédicaments.

ont permis de manipuler d’abord les gènes de micro-organismes (bactéries, levures) et plus tard de cellules végétales et mammifères, dans le but de produire des protéines recombinantes à visée thérapeutique. La première protéine recombinante thérapeutique a été l’insuline humaine (commercialisée en 1984 en France), produite dans des bactéries, « cellules usines », organismes génétiquement modifiés (OGM) par la technique de transgénèse. Les vaccins recombinants ont également pris une place importante parmi cette classe de biomédicaments en 1987 en France (1er antigène de surface du virus de l’hépatite B recombinant). Les anticorps monoclonaux thérapeutiques sont apparus dès 1986 (anti-CD3), le premier anticorps recombinant thérapeutique datant de 1998 (anti-CD20, en France).

SOMMAIRE Biotechnologies et protéines recombinantes thérapeutiques p3 Production des anticorps monoclonaux p6 Les bioprocédés de fabrication des anticorps monoclonaux p8 Les contrôles en cours de production p11 Conclusion

p11

Les biotechnologies modernes, en particulier dans le domaine de la santé, ont explosé avec les différentes avancées de la génétique et de la biologie moléculaire dans la seconde moitié du XXe siècle ; l’avènement du génie génétique ainsi que le séquençage du génome humain 3 *

adapté de la définition de l’OCDE.


Cellule pancréatique humaine

Gène de l’insuline humaine

vecteur de transfert

Intégration du gène

Cellule usine OGM

Fig. 1 : Principe de la transgénèse Exemple du clonage du gène de l’insuline humaine, premier biomédicament sur le marché en 1984, produit dans la bactérie E.coli (OGM).

1.1 I La transgénèse - Fig. 1 La technique de transgénèse et ses applications pour la production de protéines thérapeutiques recombinantes de substitution, ont permis de traiter des patients en éliminant les risques sanitaires. En effet, des hormones comme l’insuline et la somatropine (hormone de croissance) étaient extraites d’organes : pancréas porcins et bovins pour l’insuline, depuis les années 1930, et hypophyse de cadavres de donneurs pour la somatropine, depuis 1974. La contamination par le prion et le décès de jeunes patients traités par de l’hormone de croissance extraite dans les années 1980-1990 en est une conséquence. L’hormone recombinante a remplacé à présent l’hormone extraite. La technique consiste à isoler le gène de la protéine d’intérêt, à partir du génome des cellules humaines qui la produisent dans l’organisme et de l’intégrer, via un vecteur d’expression choisi, dans le génome d’une cellule hôte qui sera cultivée en bioréacteur. Cet OGM est alors une cellule usine cultivée dans un environnement confiné, à partir de laquelle le gène d’intérêt thérapeutique sera traduit en protéine par la machinerie cellulaire, puis cette protéine sera purifiée à partir du milieu de culture.

1.2 I Exemples de systèmes d’expression ou cellules usines Fig. 2 ; Tab. 1

Le développement d’une protéine thérapeutique nécessite de bien connaître sa structure (secondaire et tertiaire, résultats des repliements de domaines au cours de la traduction) ainsi que les modifications post-traductionnelles nécessaires à son bon fonctionnement et à sa biodistribution dans l’organisme. Il est également important d’évaluer son potentiel immunogène : la protéine thérapeutique ne doit pas induire de réponse immunitaire spécifique après injection chez le patient. Toute production d’anticorps dirigé contre le médicament pourrait réduire l’effet thérapeutique ou produire des effets secondaires indésirables. En particulier, la glycosylation (ou ajout d’un sucre) des protéines humaines (glycoprotéines) peut jouer un rôle dans la localisation cellulaire, les interactions dans des complexes protéiques, la fixation sur des récepteurs cellulaires, l’activité des enzymes, la durée de vie dans

4 Paracétamol

Insuline

Erythropïétine

Anticorps monoclonal

Fig. 2 : Les médicaments chimiques et les biomédicaments

Les biomédicaments protéiques sont des molécules de poids moléculaire élevé et de grande complexité structurale (repliements et glycosylation).


l’organisme. Seules les cellules de mammifères possèdent une machinerie enzymatique de glycosylation similaire à celle de l’homme, ce qui en fait les systèmes de choix pour produire des glycoprotéines à but thérapeutique, fonctionnelles et non immunogènes. Le tableau 1 montre des exemples de biomédicaments et leur système d’expression/ production. L’insuline (fig. 2), petite protéine de structure assez simple et non glycosylée, est produite par la bactérie Escherichia coli ; la levure Saccharomyces cerevisiae et les cellules de Spodoptera frugiperda (un papillon de l’ordre des lépidoptères) sont utilisées principalement pour produire des antigènes vaccinaux, telles que des protéines de surface virales ; ces deux systèmes permettent de produire des protéines plus complexes que le système d’expression en bactéries, préférentiellement non glycosylées (ces cellules étant eucaryotes, elles possèdent une machinerie de glycosylation cependant assez éloignée de la glycosylation des mammifères). Les organismes entiers, végétaux et animaux

présentent également un intérêt dans le but d’augmenter les rendements de production ; un seul biomédicament produit dans le lait de chèvre est actuellement sur le marché (l’antithrombine-α, équivalent recombinant de l’antithrombine humaine) ; d’autres sont en développement dans des plants de maïs ou de tabac (Zmapp, cocktail d’anticorps thérapeutiques contre le virus Ebola). L’intérêt de développer des systèmes de production mammifères est de permettre une glycosylation similaire à celle des protéines humaines ; parmi les systèmes de culture de cellules mis au point, la lignée CHO (cellules d’ovaires de hamster chinois, Chinese Hamster Ovary en anglais) est la plus utilisée. Elle a permis la production de l’érythropoïétine humaine recombinante (EPO). Elle reste le système préférentiel de production des anticorps monoclonaux recombinants. Ces cellules permettent d’obtenir une conformation et donc une activité optimale pour ces protéines naturellement glycosylées.

Système d’expression

Cellule/organisme

Biomédicament

Microorganisme-bactérie

E. coli

Insuline-Himulin® 1982

Microorganisme-levure

S. cerevisiae

Vaccin-Recombivax HB® 1986

Insecte

Cellules Sf9 (S. frugiperda)

Vaccin-Cervarix® 2007

Mammifère

CHO (cellules d’ovaires de hamster chinois)

Anticorps monoclonal-MabThera® 1998

Lait de chèvre

Antithrombine-Atryn® 2006

Cellules de carotte

Glucocerebrosidase α ElelysoMC 2012

Végétal

Tableau 1: exemples de systèmes de production et de biomédicaments sur le marché

Ce qu’il faut retenir : les protéines recombinantes thérapeutiques ont remplacé les protéines thérapeutiques extraites d’organes animaux apportant une sécurité sanitaire pour les patients. Les systèmes de production de ces protéines sont variés et adaptés ; ce sont des OGM assurant la synthèse de protéines efficaces et sûres, sans risque pour l’environnement. 5


2 I Production des anticorps monoclonaux Fragment Fab

VL

Liaison à l’antigène

VH

CDRs CH1

CL L

CH2

Fonction effectrice (ADCC, CDC)

Glycosylation CH3 H Fragment Fc

Fig. 3 : Structure et domaines d’une IgG

Les fragments Fab et Fc exercent des fonctions différentes avec les CDRs des domaines VL et VH, séquences de liaison à l’antigène d’une part, et les domaines CH2 (glycosylé) et CH3 contenant les sites de fixation aux récepteurs cellulaires responsables des fonctions effectrices d’autre part.

Déterminants antigéniques 2

3

1

6

4

1

2

3

Ac1

Ac2

Ac3

4

Lymphocytes

Ac4 anticorps

Mélange d’anticorps : antisérum Ac1, Ac2, Ac3, Ac4

Ac polyclonaux

Fig. 4a : La réponse polyclonale La réponse immunitaire spécifique dirigée contre un agent infectieux met en action la synthèse d’un mélange d’anticorps reconnaissant plusieurs antigènes à sa surface.

Les anticorps monoclonaux thérapeutiques sont des immunoglobulines de classe G (IgG, fig. 3), acteurs moléculaires majeurs de la réponse immunitaire (la structure et les fonctions des IgG sont détaillées dans le livret 1); leur structure a été élucidée à la fin des années 1950, la première méthode de production d’anticorps monoclonaux en culture d’hybridomes a été mise au point en 1975 et la découverte du support génétique de la diversité des anticorps a valu le prix Nobel de médecine à Susumu Tonegawa en 1987. * 2.1 I La technique des hybridomes Un organisme en bonne santé infecté par un microorganisme (bactérie ou virus) réagit en mettant en place une réponse immunitaire dans le but d’éliminer cet élément étranger (reconnu comme du «non soi»). La composante moléculaire de cette réponse est la synthèse d’anticorps par des clones de plasmocytes dérivés de lymphocytes B au contact de 1« morceaux de microorganisme » dénommés 2 3 antigènes. Au sein d’un clone, tous les plasmocytes 4 Lymphocytes Cellules de myélome secrètent un type d’immunoglobuline à fonction Fusion d’anticorps identique (l’anticorps est dit monoclonal), qui reconnait spécifiquement une partie d’antigène 1 2 Hybridomes 3 4 (ou épitope). Plusieurs lymphocytes B se multiplient lors de la réponse immunitaire, donnant naissance Clonage à de nombreux clones de plasmocytes sécrétant chacun un anticorps différent contre divers épitopes

de l’antigène. La réponse immunitaire B naturelle est dite polyclonale (fig. 4a) ; la sérothérapie est un traitement anti-infectieux par l’injection d’un mélange d’anticorps présents dans le sérum, représentant une population polyclonale d’anticorps dirigés contre l’agent infectieux. Les anticorps monoclonaux thérapeutiques ont pour but de cibler un antigène particulier, soluble (dans la circulation sanguine) ou à la surface de cellules (cancéreuses par exemple), ceci de manière reproductible et sûre. La mise au point en 1975 de la technique des hybridomes, consistant en l’immortalisation d’un plasmocyte de souris sécrétant un anticorps monoclonal d’intérêt, a permis de générer une source illimitée d‘IgG murines (fig. 4b). L’étape industrielle d’adaptation des hybridomes à une culture dans de grands volumes, dans des bioréacteurs, a été franchie dans les années suivantes. Elle a permis la commercialisation dès 1986 du premier anticorps monoclonal thérapeutique, un anti-CD3, pour prévenir le rejet de greffe. Cependant, l’expérience clinique a montré que les patients traités produisaient une réponse immunitaire contre cet anticorps de souris, reconnu comme étranger. Cette réponse réduit les effets thérapeutiques de l’anticorps monoclonal par une élimination plus rapide. Des stratégies ont donc été rapidement envisagées pour réduire l’immunogénicité des anticorps en fabriquant des IgG recombinantes humanisées.

Acm1 Acm2 Acm3 Acm4

Ac monoclonaux

* Un anticorps monoclonal est une immunoglobuline à propriété d’anticorps, les deux termes anticorps et immunoglobuline seront utilisés indistinctement dans le texte.


2.2 I Humanisation des anticorps thérapeutiques - Fig. 5 L’humanisation des anticorps de souris a pu être réalisée en remplaçant des séquences génétiques murines -non nécessaires à la reconnaissance de l’antigène- par des séquences humaines, par ingénierie protéique. Le premier pas vers l’humanisation a permis la production d’anticorps chimériques dès1995, où les régions constantes de souris sont substituées par des régions constantes humaines. Puis des anticorps totalement humanisés ont été créées dès 1999, où seuls les régions correspondant au paratope de l’anticorps sont conservées (ou zone de liaison à l’antigène). Enfin des anticorps entièrement humains (à partir d’immunisation de souris humanisées ou par des techniques in vitro) ont vu le jour dès 2003, leur nombre augmentant continuellement. La diminution de l’immunogénicité obtenue a permis une augmentation de leur durée d’action et une meilleure efficacité thérapeutique. 2.3 I Des cellules-usines adaptées Les anticorps sont des molécules bi-fonctionnelles, c’est-à-dire qu’ils possèdent une double capacité : l’une de fixation directe à l’antigène et l’autre de mise en place de fonctions effectrices secondaires telles que, entre autres, la cytoxicité dépendante des anticorps (ADCC ou Antibody-Dependent Cell Cytotoxicity) ou la cytolyse dépendante du

complément (CDC ou Complement-Dependent Déterminants antigéniques Cytotoxicity). Cette dualité fonctionnelle des 2 3 anticorps permet d’éliminer efficacement 1 4 l’agresseur étranger de l’organisme. La fixation à l’antigène, apportant à l’anticorps ses propriétés neutralisante et antagoniste, est réalisée via le fragment Fab (au niveau des CDR). Les fonctions cytolytiques quant à elles, sont portées par le 2 3 4 Lymphocytes fragment Fc et sa capacité de 1reconnaissance Ac1 Ac2 Ac3 Ac4 anticorps de récepteurs à la surface de cellules effectrices du système immunitaire ou de Mélange molécules du d’anticorps : Ac1, Ac2, Ac3,Fc Ac4étant complément. La glycosylationantisérum du domaine Ac polyclonaux cruciale pour la mise en place de ces fonctions, la production d’anticorps thérapeutiques à effet cytolytiques (anti-cancéreux par exemple) est réalisée dans des cellules de mammifères. Ces cellules doivent posséder la machinerie enzymatique nécessaire à l’ajout d’une séquence spécifique de sucres, contrôlée au sucre près. La lignée de cellules CHO a été développée et est utilisée pour la production de la moitié des 33 anticorps monoclonaux commercialisés, les autres types cellulaires étant murins (NS0, Sp20, hybridomes). La raison pour laquelle des lignées de cellules non humaines (souris, hamster,…) sont préférées à des lignées humaines est sanitaire : le génome des cellules humaines contient des virus intégrés et le risque d’une émergence virale est réel …(m)omab et non maîtrisé à ce jour.

Ce qu’il faut retenir : les techniques de production d’anticorps monoclonaux sont récentes. Elles ont évolué grâce au génie génétique et le développement d’anticorps recombinant humanisés. Des lignées cellulaires productrices ont été développées, assurant la synthèse d’immunoglobulines fonctionnelles (glycosylées) et à potentiel immunogène moindre en comparaison avec les premiers anticorps monoclonaux à séquence murine, produits par des hybridomes.

1 3

2 4

Lymphocytes

Cellules de myélome

Fusion

1 3

2 4

Hybridomes

Clonage

Acm1 Acm2 Acm3 Acm4

Ac monoclonaux

Fig. 4b : Production d’anticorps monoclonaux

La technique de fusion cellulaire élaborée par Kölher et Milstein en 1975 a permis de générer des sources immortelles d’anticorps monoclonaux dirigés contre des antigènes d’intérêt.

…(m)omab

-ximab

-zumab

-ximab

-(m)umab

Ingénierie protéique Ac. monoclonaux recombinants

Fig. 5 : Humanisation des anticorps monoclonaux recombinants

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Le génie génétique a contribué à l’élaboration d’anticorps de séquence protéique 100% humaine (mumab) à partir de séquence 100% murine (momab), en passant par des séquences chimériques (20% murine en bleu) et humanisées (5% murine, les CDRs).


3 I Les bioprocédés de fabrication des anticorps monoclonaux Quelque-soit le type cellulaire utilisé, la mise en place d’une culture en grand volume est nécessaire. Le développement de la culture de cellules en suspension dans des milieux de culture synthétiques (de constitution très contrôlée) adaptés en bioréacteurs a permis d’assurer une reproductibilité des productions et une optimisation des rendements. Cette phase de culture constitue l’étape dite « Upstream », de montée en masse en produit. La purification de l’anticorps monoclonal produit a également fait l’objet de nombreux développements afin de diminuer les pertes dues à la succession d’étapes constituant la phase dite « Downstream » de concentration et de formulation. Toutes ces étapes doivent être réalisées dans des conditions permettant d’assurer la stérilité du produit final qui doit être administré au patient par voie parentérale dans la majorité des cas (nettoyage des cuves de culture et de stockage, utilisation de matières premières stériles, connections aseptiques). 3.1 I Les étapes Upstream Lorsqu’un clone cellulaire est sélectionné (stable, Bioréacteur

Récolte de stockage

Purification

Elimination virale

robuste, avec un rendement de production élevé) la conservation des cellules pour la production de lots à commercialiser est organisée. Des stocks d’ampoules de cellules vivantes congelées à -180°C sont constitués et sont appelés des banques : une banque mère (Master Cell Bank) est réalisée initialement, à partir de laquelle seront développées des banques de travail (Working Cell Bank). Chaque banque de travail permettra de mettre en place la culture cellulaire pour produire un lot d’anticorps. Au total, 400 à 500 ampoules contenant chacune 10 millions de cellules en moyenne seront stockées. La première étape du procédé de fabrication de l’anticorps est la décongélation d’une ampoule du clone cellulaire qui le produit dans un petit volume (50 mL) puis l’augmentation progressive du nombre de cellules et du volume de culture pour atteindre le volume du bioréacteur de production (de 500 à 20 000 L). Cette phase d’amplification cellulaire est suivie de la phase de production proprement dite, pendant laquelle l’anticorps est secrété et s’accumule dans le milieu de culture (fig. 7). L’arrêt de la culture pour la récolte du produit doit être réalisé avant la mort des cellules productrices, Purification

Concentration formulation

8

UPSTREAM

DOWNSTREAM

Fig. 6 : vue d’ensemble du procédé de fabrication d’un anticorps monoclonal

Conditionnement


3.2 I Les étapes Downstream L’objectif de cette phase est d’obtenir une solution d’anticorps monoclonal pure et concentrée dans un solvant assurant sa stabilité, son innocuité et son efficacité thérapeutique. La purification est réalisée par des étapes successives de chromatographie qui permettent de séparer les anticorps des contaminants (protéines cellulaires sécrétées pendant la culture, acides nucléiques, sels minéraux). Une étape importante d’élimination virale (inactivation par une diminution du pH et nanofiltration) est également mise en œuvre afin de s’assurer qu’aucun virus ne contamine le produit final. La contamination bactérienne est évitée par l’utilisation de matières premières stériles dans des conditions aseptiques. La filtration finale permet de concentrer l’anticorps et de le mettre en solution dans un tampon qui permettra sa mise sous forme pharmaceutique, c’est-à-dire sa formulation (ajout d’excipients assurant sa stabilité) et son conditionnement (lyophilisation en flacon, remplissage de seringue…). Les pharmaciens

3.3 I Evolution des bioprocédés Les contraintes sanitaires et les besoins d’augmentation des rendements ont conduit les sociétés pharmaceutiques productrices d’anticorps monoclonaux à améliorer les procédés de fabrication. L’usage unique

L’utilisation de bioréacteurs en inox de grands volumes (10 000 à 20 000 L) a des contraintes : un seul anticorps peut être fabriqué sur le site et le nettoyage des cuves est une étape critique dépensière en énergie. La construction de sites multi-produits, tout en évitant les risques de contamination, a vu le jour avec le développement de bioréacteurs à usage unique, en polymères de plastique. Les sacs de culture sont fournis avec une garantie de stérilité et sont traités avec les déchets biologiques. Cependant, ces sacs ont encore des volumes réduits ne dépassant pas une capacité de 2 000 L. Ils tendent à remplacer les bioréacteurs en inox de capacité intermédiaire utilisés pendant l’étape d’amplification cellulaire. Ces systèmes de sacs sont également très utilisés pour remplacer les cuves de stockage de produits intermédiaires.

récolte 2

Cellules vivantes (106/ml)

galénistes travaillent pour développer les formules les plus adaptées aux différentes voies d’administration des anticorps en conservant l’intégrité et la fonctionnalité du principe actif tout en réduisant les risques d’induction d’effets indésirables.

Anticorps sécrété (g/L)

alors qu’elles produisent encore de l’anticorps. Ce moment varie d’un procédé à l’autre et est défini pendant son développement. La récolte avant purification consiste à séparer les cellules et débris cellulaires (éliminés) du milieu de culture contenant l’anticorps. Des techniques de centrifugation et de filtration sont utilisées.

5

Durée de culture (jours)

Fig. 7 : Culture cellulaire

La quantification de l’anticorps sécrété dans le milieu de culture permet de tracer une courbe représentative de la production de la protéine (courbe verte) en fonction de la croissance cellulaire (courbe bleue) et de définir une période idéale de récolte avant la mort cellulaire.

9


La perfusion L’optimisation des rendements passe par une diminution de la durée du procédé de production. Elle passe par l’élimination des étapes de stockage des produits intermédiaires de purification par exemple entre deux chromatographies. La perfusion apporte une solution en permettant au produit d’être transféré d’une colonne de chromatographie à l’autre par un système de pompe et de connections stériles. Cela réduit également les risques de dégradation

de l’anticorps due par exemple à des variations de température pendant un stockage mal contrôlé. Ce qu’il faut retenir : les procédés de fabrication des anticorps monoclonaux thérapeutiques se divisent en 2 phases dites « Upstream » et « Downstream » permettant d’obtenir un médicament constitué d’une solution d’anticorps monoclonal fonctionnel, stable et sûr.

4 I Les contrôles en cours de production Le procédé de fabrication d’un anticorps monoclonal thérapeutique fait l’objet d’une qualification/validation selon la règlementation en vigueur sur les médicaments (FDA, Food and Drug Administration américaine, et EMA, European Medicines Agency en Europe). L’objectif des agences règlementaires est de s’assurer que le patient obtienne un médicament sûr et efficace. Cela implique pour le producteur de suivre le procédé afin de le valider en continu selon la méthode du Quality by Design (QbD), par la mise en place de contrôles en ligne du produit. Tous les paramètres critiques du procédé et du produit doivent être accessibles 10

et les critères de qualité déterminants ou CQA (Critical Quality Attributes en anglais) du produit définis et compris. Les CQA des anticorps monoclonaux concernent leur structure (glycosylation, oxydation, déamidation, formation d’agrégats…) et leurs fonctions biologiques (affinité pour l’antigène et fonctions effectrices liées au domaine Fc). Des contrôles sur la pureté (absence de contamination biologique ou chimique) sont également mis en place. Dans ce but, des analyses microbiologiques et chimiques sont introduites en cours de procédé. Des prélèvements sont réalisés à chaque étape des phases Upstream et Downstream pour des


analyses de contamination (microbiologie), de pureté (contaminants chimiques), de structure (électrophorèse, chromatographie analytique, spectrométrie de masse, microscopie en flux) et de fonction biologique (affinité, et/ou activation cellulaire). Cette démarche QbD intègre la qualité dans le procédé de fabrication et diminue les risques de rejet de lots non conformes avant la libération pour commercialisation. Les technologies d’analyse évoluent rapidement et permettent de valider le procédé ou tout

changement introduit dans le procédé de production tout au long de la vie du produit. Ce qu’il faut retenir : les procédés de fabrication des anticorps monoclonaux font l’objet de contrôles règlementaires organisés par les agences du médicament. Ceci assure un suivi du produit tout au long de sa vie diminuant les risques de rejet de lots non conformes.

5 I Conclusion Le procédé de fabrication d’un anticorps monoclonal recombinant est long si on le compare à celui d’une molécule thérapeutique chimique (2 à 10 mois par rapport à une dizaine de jours pour un procédé optimisé et validé). L’accroissement du nombre des biomédicaments anticorps, avec des modes d’actions adaptés aux pathologies ciblées (qui seront abordés dans les livrets 3a, 3b et 3c) montre l’attractivité et le dynamisme de ce secteur de la pharmacie (ces modes d’action seront abordés dans les prochains livrets). Cette nouvelle industrie de production pharmaceutique fait appel à des experts pharmaciens, médecins, ingénieurs en biotechnologie ou chercheurs physico-

chimistes possédant des connaissances pointues dans des domaines variés tels que la biologie cellulaire, la biologie moléculaire/biochimie des protéines, la chimie et la pharmacie. La fabrication étant réalisée dans des cellules vivantes, même si ce sont des clones, une validation du procédé est effectuée en contrôlant l’anticorps produit à chaque étape et pas seulement en fin de parcours. Les procédés de production des anticorps thérapeutiques évoluent maintenant vers l’objectif de diminuer les risques de contamination et de dénaturation et d’augmenter les rendements de production, de manière à obtenir un biomédicament toujours plus sûr au meilleur coût. Fig. 8 : Les grandes étapes de la fabrication d’un anticorps monoclonal et leur durée Produit commercialisé

Amplification cellulaire

Production

Purification / concentration

20-30 jours

10-20 jours

10 jours

Formulation / conditionnement 5-10 jours

La montée en masse ou phase d’amplification cellulaire et la phase de production qui suit représentent l’ « upstream » la plus longue avec le « downstream » plus courte, consistant en une concentration du produit purifié dans des volumes plus restreints et sa mise sous forme pharmaceutique avant distribution aux patients.

11


Roche 30, cours de l’Ile Seguin 92650 Boulogne-Billancourt cedex Tél. : 01 47 61 40 00 Fax : 01 47 61 77 00 Edité le 16/01/2015 03307/RSI/0115


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