Utilisation des anticorps en cancérologie

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3a • Utilisation des anticorps en cancérologie

COLLECTION MABIMPROVE

« L’essentiel sur les anticorps thérapeutiques »


Préface Auteurs : Thierry Chardès, Dr en Pharmacie, Directeur de Recherche CNRS, IRCM Marie-Alix Poul, Pr d’Immunologie, Université de Montpellier, IRCM Audrey Munos, Dr ès Sciences, Groupe IMT Comité de lecture : André Pèlegrin, Directeur de recherche INSERM, IRCM, co-directeur du LabEx MAbImprove Hervé Watier, Pr d’immunologie, Université de Tours, directeur du LabEx MAbImprove, Pr David Azria, Coordonnateur du pôle de Radiothérapie Oncologique, Président de la CME, ICM Montpellier Pr Guillaume Cartron, Coordonnateur Département Hématologie clinique, CHU Montpellier Pr Jacques Morel, Responsable équipe médicale Immuno-rhumatologie, Département de Rhumatologie, CHU et Université de Montpellier Dr Frédéric Pinguet, Coordonnateur Pôle Pharmaco-Biopathologie, ICM Montpellier

Depuis maintenant près de 20 ans, les anticorps monoclonaux se sont imposés au sein de l’arsenal thérapeutique de différentes maladies. Si l’oncologie, l’immunologie et la rhumatologie ont été les domaines précurseurs, ces biomédicaments sont maintenant utilisés dans presque tous les domaines de la médecine. En 2014, ce sont les deuxième voire troisième générations d’anticorps thérapeutiques qui sont prescrites quotidiennement. Les anticorps chimériques ou humanisés sont remplacés par des versions optimisées pour leurs fonctions effectrices toujours plus efficaces. Les conjugués anticorps-médicaments se développent au côté d’anticorps bispécifiques toujours plus variés. Cependant, les promesses de ces biomédicaments s’accompagnent d’une complexité qu’il est nécessaire de bien appréhender pour en tirer tout le potentiel. Force est de constater que leurs spécificités sont mal connues car elles relèvent de domaines divers (immunologie, ingénierie des protéines, pharmacologie, …). Il y a donc une demande importante d’information et de formation par de nombreux acteurs du domaine. C’est le défi que le laboratoire Roche, leader mondial dans le domaine des biothérapies, en collaboration avec le LabEx MAbImprove a décidé de relever avec le Groupe IMT en proposant des livrets didactiques et précis présentant les anticorps thérapeutiques depuis des rappels sur leur historique et leur structure jusqu’aux dernières applications cliniques. Nous vous souhaitons une agréable lecture en espérant que ces livrets contribueront à une meilleure compréhension, et donc à une meilleure utilisation des anticorps thérapeutiques pour le bénéfice des malades. Hervé Watier - André Pèlegrin

1 I Introduction Les anticorps monoclonaux et leurs solubles (anticorps neutralisants) du dérivés constituent aujourd’hui une classe microenvironnement tumoral impliqués thérapeutique de biomédicaments* utilisés dans la prolifération et la survie des cellules dans de nombreuses maladies (cancer, cancéreuses, maladies inflammatoires et auto-immunes, • pour induire le recrutement des cellules transplantation, infections…). Leur efficacité effectrices du système immunitaire grâce à est fondée essentiellement sur la spécificité leur fragment Fc et donc la destruction des et l’affinité du paratope de l’anticorps pour sa cellules cancéreuses ciblées, cible antigénique, ainsi que l’abondance et • ou pour (ré-)activer l’immuno-surveillance de l’accessibilité de celle-ci. la tumeur* par la mobilisation de la réponse Trente-trois années ont passé depuis le immunitaire adaptative (voir livret 1). premier essai de traitement par Ronald Levy Ces anticorps sont généralement utilisés en combinaison avec la radiothérapie ou d’un patient atteint de lymphome B avec un la chimiothérapie, pour cibler des tumeurs anticorps monoclonal de souris anti-idiotype, solides ou hématologiques. ciblant le récepteur BCR de ces cellules. Au début de l’année 2015, vingt-cinq molécules avaient obtenu une autorisation de mise sur le marché ou Anticorps étaient en cours d’instruction anti-EGFR en Europe, Japon et/ou aux EGFR Anticorps Etats-Unis pour une utilisation CD20 anti-HER2 en cancérologie. Selon les Anticorps Prolifération Apoptose anti-CD20 stratégies thérapeutiques, ces Signalisation anticorps monoclonaux sont HER2 Irradiation Inhibition conçus (fig. 1a et fig. 1b) : A mitose RIC anti CD20• pour bloquer des récepteurs yttrium 90 cellulaires (anticorps Cellule antagonistes) ou des ADC anti CD30- A CD30 cancéreuse auristatine facteurs de croissance

2

SOMMAIRE Anticorps mono-spécifiques nus ciblant les cellules cancéreuses p4 Anticorps mono-spécifiques conjugués à un agent toxique ciblant les cellules concéreuses p8

Anticorps mono-spécifiques ciblant le microenvironnement tumoral p10 Renforcer l’imm

adaptative

Anticorps bispécifiques p12 Lymphocyte T

Conclusion : l’histoire des anticorps CD3 en cancérologieAnticorps-bispécifique n’en est anti-CD3/EpCam qu’à ses balbutiements p13

MHC et peptide

3

Fig. 1a : modes d’action des différents anticorps thérapeutiques. Destruction directe des cellules tumorales

CTLA-4 Lymphocyte T *

Voir lexique en page 15

Activation


2 I Anticorps mono-spécifiques nus ciblant les cellules cancéreuses Les anticorps mono-spécifiques nus antitumeur se classent en deux catégories en fonction de l’indication thérapeutique majeure, (2.1) molécules ciblant des tumeurs hématologiques et (2.2) molécules utilisées contre des tumeurs solides (tab.1). 2.1 I Anticorps ciblant les tumeurs hématologiques Six anticorps ont été approuvés depuis l’autorisation de mise sur le marché du 1er anticorps thérapeutique en 1997. Ces anticorps ciblent les récepteurs* CD20 et Anticorps thérapeutique

Format

Anticorps anti-CD20

IgG1 chimère

Mécanismes d’action

Lignée cellulaire de production

Tumeurs ADCC, CDC, Apoptose hématologiques

CHO

Approbation (année) EU

USA

1998

1997

Anticorps anti-CD20

IgG1 humaine

Tumeur hématologique

ADCC, CDC

NS0

2010

2009

Anticorps anti-CD20

IgG1 humanisée glycoaméliorée

Tumeur hématologique

ADCC, CDC

GNTIII-CHO

2014

2013

Anticorps anti-CD52

IgG1 humanisée

Tumeur hématologique

CDC, Apoptose

CHO

2001 (retiré en 2012) 2001 (retiré en 2012)

Anticorps anti-CCR4

IgG1 humanisée glycoaméliorée

Tumeur hématologique

ADCC

Fut8-KO-CHO

Approuvé en 2014 au Japon

IgG1 humanisée

Tumeur solide mammaire

Anticorps anti-HER2

IgG1 humanisée

Tumeur solide mammaire

ADCC, Inhibition de la signalisation ADCC, Inhibition de la signalisation

Anticorps anti-EGFR

IgG1 chimère

Tumeur solide digestive

Anticorps anti-EGFR

IgG2 humaine

Anticorps anti-HER2

4

Indication principale

Anticorps anti-EGFR Anticorps anti-GD2

CHO

complètement humain (voir livret 2 et fig. 3), et sont produits essentiellement en culture de cellules d’ovaire de hamster chinois (CHO ; voir livret 2). Ils agissent essentiellement : • en favorisant la mort des cellules cancéreuses par le mécanisme universel d’apoptose*, ou autodestruction, selon une cascade d’évènements intracellulaires préprogrammés (fig.1a), • en induisant en parallèle, grâce à leur portion Fc, les fonctions effectrices de cytotoxicité cellulaire dépendante des anticorps (ADCC) et de cytolyse dépendante du complément Anticorps (CDC) (voir livret 1anti-EGFR et fig.1b). EGFR Une variabilité de la réponse thérapeutique Anticorps Dénomination CD20 anti-HER2 (et aux ADCC aux anticorps anti-CD20 internationale INN Anticorps Prolifération Apoptose anti-CD20 anticorps thérapeutiques en général) a Signalisation Rituximab été observée chez certains patients. CelleHER2 Irradiation Inhibition A mitose ci est notamment due au polymorphisme* Ofatumumab RIC anti CD20yttrium 90 du récepteur Fc�RIIIA-158 Valine (V)/ Obinutuzumab Phénylalanine (F)Cellule exprimé sur les cellules ADC anti CD30- A CD30 cancéreuse Alemtuzumab effectrices (NK et macrophages) impliquées auristatine dans l’ADCC [2]. Ce polymorphisme influence Mogamulizumab l’affinité de ce récepteur pour l’anticorps Trastuzumab thérapeutique. Ainsi les patients homozygotes pour l’allotype V, de meilleure affinité, Pertuzumab produisent une réponse plus efficace aux anticorps anti-CD20 que les patients porteurs Cetuximab de l’allotype F de plus faible affinité.

CD52, le récepteur aux chimiokines* CCR4 [1]. L’anticorps anti-CD52 autorisé en 2001 dans un type de leucémie, n’est plus commercialisé depuis 2012 (tab. 1). Les 3 anticorps ciblant le récepteur CD20 se différencient par leur reconnaissance d’épitopes* différents répartis sur les deux boucles extracellulaires du récepteur, ceci conduisant à des différences dans les modalités de recrutement des effecteurs de l’immunité. Ces anticorps anti-tumeur hématologique sont de sous-classe IgG1 dans un format chimérique homme-souris, humanisé ou

2000

1998

CHO

2013

2012

ADCC, Inhibition de la signalisation

Sp2/0

2004

2004

Tumeur solide digestive

ADCC, Inhibition de la signalisation

CHO

2007

2006

IgG1 humaine

Tumeur solide respiratoire

Inhibition de la signalisation

CHO

Non approuvé

En revue

Necitumumab

IgG1 chimère

Tumeur solide cérébrale

ADCC, CDC

CHO

En revue

Non approuvé

Dinutuximab

Tableau 1 : anticorps mono-spécifiques ciblant les cellules cancéreuses

Deux de ces anticorps, ciblant respectivement le récepteur CD20 et le récepteur CCR4, sont « glyco-améliorés ». Ils induisent une meilleure ADCC, par diminution du taux de fucose sur les N-glycanes de la portion Fc des anticorps [1]. Ces derniers sont produits en cellules CHO modifiées pour l’expression de gènes codant des enzymes participant à la fucosylation* ou interférant avec elle. Ces différents anticorps sont prescrits dans différents types de tumeurs hématologiques.

Renforcer l’immunité adaptative

Cellule effectrice (NK, monocyte) C1q

CDC - Complément ADCC

Lymphocyte T CD3 Anticorps-bispécifique anti-CD3/EpCam

Anticorps thérapeutiques (CD20, HER2, EGFR)

CAM*

EpCam Cellule cancéreuse

MHC et peptide

CTLA-4

Perforines Granzymes *CAM : complexe d’attaque membranaire

Anticorps anti-checkpoint immunitaire (CTLA-4, PD1)

Lymphocyte T Peptide Activation

Réactivation de la surveillance immunitaire

Panitumumab Anticorps anti-RANKL

Anticorps anti-VEGFR2

Cellule stromale

Anticorps anti-VEGF-A

Cellule dendritique

Fig. 1b : modes d’action des différents anticorps thérapeutiques. Destruction indirecte des cellules tumorales via la réponse immunitaire

Cellule cancéreuse Lymphocyte T Vaisseau sanguin

5


2.2 I Anticorps ciblant les tumeurs solides Depuis 2000, six anticorps ciblant les récepteurs à tyrosine kinase* EGFR (epidermal growth factor receptor) ou HER2 (human epithelial receptor 2), et le ganglioside membranaire GD2 (tab. 1) ont été autorisés [1]. Les récepteurs EGFR et HER2 jouent un rôle majeur dans la prolifération et la survie des cellules cancéreuses (fig. 2). Les 3 anticorps anti-EGFR sont dirigés contre des épitopes du domaine III du récepteur. Les anticorps anti-HER2 se différencient également par l’épitope reconnu, situé sur le domaine III du

ECD* inactifs

récepteur HER2 pour l’un des anticorps et sur le domaine II pour l’autre. Ces biomédicaments agissent essentiellement [3]: • en induisant la fonction effectrice d’ADCC permettant la destruction des cellules cancéreuses (fig. 1b), • mais aussi en bloquant la signalisation MAP kinase et PI3 kinase/Akt, transmise après activation du récepteur - ou du ligand - cible (fig.1a et fig. 2), cela conduisant à l’arrêt du cycle cellulaire et à l’inhibition de prolifération des cellules cancéreuses. Certaines mutations au niveau de gènes codant des kinases impliquées dans

* ECD : domaine extracellulaire

Ligand

PIP2

HER4

Fig. 2 : mécanismes d’activation de la cellule cancéreuse – exemple de la famille EGFR.

ECD* actif

PTEN

HER3

HER4 EGFR ATP

PI3K

ATP

HER2

PIP3

PDK1

P P SHC

P

P P

P

P

AKT

P

GRB7 SOS

TORC1

KRAS

mTOR

BRAF MEK

6

MDM2

MAPK

F0X01

BAD

Lorsque le ligand se fixe sur le domaine extracellulaire du récepteur (ECD), il induit la formation de dimères stimulant une cascade d’activation de kinases agissant sur le cycle cellulaire, la réponse proliférative ou la mort par apoptose.

la signalisation cellulaire (ex : KRAS, BRAF, PTEN….fig. 2) affectent l’efficacité thérapeutique des anticorps. Ainsi le traitement avec des anticorps anti-EGFR n’est pas efficace chez les patients atteints d’un type de tumeur solide digestive présentant une mutation du gène KRAS. Ces anticorps sont de sous-classe IgG1 ou IgG2, sous un format chimère, humanisé ou complètement humain (voir livret 2 et fig. 3), et sont produits essentiellement en cellules CHO (voir livret 2). Les anticorps anti-EGFR sont utilisés dans le traitement de tumeurs solides digestive, ORL et respiratoire. Les anticorps anti-HER2 sont proposés, seuls ou en association, principalement dans le traitement de tumeurs mammaires. Enfin, l’anticorps thérapeutique ciblant le ganglioside

Souris

Chimère

Humanisé

GD2, autorisé en 2015 dans un type de tumeur solide cérébrale (tab.1), agit en détruisant les cellules cancéreuses par ADCC ou CDC (fig.1b). Ce qu’il faut retenir : une douzaine d’anticorps mono-spécifiques nus dirigés contre des tumeurs hématologiques ou solides sont sur le marché depuis 1997. Ce sont essentiellement des IgG1 ou IgG2 exerçant une activité cytolytique (apoptose, ADCC ou CDC) sur les cellules tumorales cibles via leur portion Fc. Certains de ces anticorps sont « glyco-améliorés » afin d’augmenter cette activité cytolytique.

Humain

GSK3β S6K

7

4EBP1

Noyau

Cycle cellulaire - Prolifération - Apoptose

Omab

Ximab

Zumab

Fig. 3 : nomenclature des anticorps thérapeutiques

Umab


3 I Anticorps mono-spécifiques conjugués à un agent toxique ciblant les cellules cancéreuses Pour augmenter le potentiel thérapeutique des anticorps mono-spécifiques « nus » ciblant les cellules cancéreuses, il est possible de les conjuguer chimiquement (3.1) à des agents radioactifs (radio-immunoconjugués ou RIC) ou (3.2) à des molécules cytotoxiques (antibody-drug conjugates ou ADC). Ces immuno-conjugués combinent la spécificité de liaison de l’anticorps à la puissance d’un composé cytotoxique, afin de libérer ce dernier spécifiquement au sein de la tumeur, tout en limitant son impact sur les cellules saines.

Anticorps thérapeutique

Indication principale

Mécanismes d’action

Anticorps anti-CD33 IgG4 humanisée

Tumeur hématologique

Anticorps anti-CD30

Tumeurs hématologiques

Induction de cassures double-brin de l’ADN Inhibition de la polymérisation de la tubuline

IgG1 chimère

Agent Lignée cellulaire cytotoxique de production

Approbation (année) EU

USA

Dénomination internationale INN

Calicheamycine

NS0

Non approuvé

2000 (retiré en 2010)

Gemtuzumab ozogamicine

Auristatine

CHO

2012

2011

Brentuximab vedotin

Anticorps anti-HER2 IgG1 humanisée

Inhibition de la polymérisation de la Tumeur solide mammaire tubuline, ADCC, inhibition de la signalisation

Maytansine

CHO

2013

2013

Ado-trastuzumab emtansine

Anticorps anti-CD20

Tumeur hématologique

Irradiation

Yttrium 90

CHO

2004

2002

Ibritumomab tiuxetan

Tumeur hématologique

Irradiation, ADCC, CDC, apoptose

Iode 131

Hybridome

Non approuvé

2003 (retiré en 2014)

Tositumomab-I131

Renforce la réponse immunitaire T, ADCC

-

Hybridome

2009

Non approuvé

Catumaxomab

Renforce la réponse immunitaire T

-

CHO

Non approuvé

En revue

Blinatumomab

Anticorps anti-CD20 Anticorps anti-EpCam/CD3

8

Format

3.1 I Anticorps mono-spécifiques conjugués à un agent radioactif (RIC) Deux anticorps [1], conjugués à l’yttrium 90 ou à l’iode 131 et ciblant le récepteur CD20 (sur deux épitopes différents), ont été autorisés dès 2002-2003 dans le traitement de tumeurs hématologiques (tab. 2). Ces anticorps murins, de sous-classe IgG1 ou IgG2a agissent essentiellement par irradiation des cellules cancéreuses conduisant à des lésions dans le matériel génétique (ADN) et à l’apoptose (fig.1a). L’anticorps anti-CD20

Anticorps anti-CD19/CD3

IgG1 de souris IgG2a de souris

IgG2 hybride rat/ Tumeurs hématologiques souris ScFv murin en Tumeur tandem (type hématologique BiTE)

Tableau 2 : anticorps mono-spécifiques conjugués à un agent toxique et ciblant les cellules cancéreuses - Anticorps bi-spécifiques.

couplé à l’iode 131, n’est plus commercialisé depuis 2014 car il était trop peu prescrit. L’autre anticorps anti-CD20, conjugué à l’yttrium 90, est toujours utilisé dans un type de tumeur hématologique. 3.2 I Anticorps mono-spécifiques conjugués à une molécule chimique cytotoxique (ADC) Bénéficiant des premiers essais réalisés avec des anticorps de souris couplés à des toxines ou à des chimiothérapies, les ADCs connaissent ces dernières années un essor sans précédent [6]. Ils sont armés avec des molécules chimiques fortement cytotoxiques à des concentrations de l’ordre du picomolaire, telles que la calicheamycine, qui induit des cassures dans le double-brin de l’ADN, la maytansine ou l’auristatine, qui inhibent la polymérisation de la tubuline indispensable à l’étape de mitose* du cycle cellulaire.Ces ADCs bénéficient de la spécificité de liaison des anticorps à leur récepteur (CD30, CD33 ou HER2) et de la capacité des anticorps à s’internaliser dans la cellule cancéreuse pour délivrer l’agent cytotoxique (fig.1a). Les deux ADCs anti-CD30 et anti-CD33 ont été ou sont prescrits dans certaines tumeurs hématologiques. L’ADC anti-HER2 est

proposé dans le traitement de tumeurs solides mammaires (tab. 2) et un ADC anti CD22 sera proposé dans un type de leucémie très prochainement.

Ce qu’il faut retenir : la conjugaison de molécules cytotoxiques chimiques ou radioactives avec des anticorps ciblant les tumeurs permet d’augmenter l’efficacité thérapeutique des molécules utilisées séparément. Les ADCs, en plein essor, feront l’objet d’un prochain livret de la collection

9


auristatine

4 I Anticorps mono-spécifiques ciblant le microenvironnement tumoral Ces anticorps se différencient en deux catégories en fonction des cibles du microenvironnement tumoral, (4.1) molécules affectant la vascularisation tumorale ou le remodelage osseux au niveau des métastases, et (4.2) molécules ciblant les cellules du système immunitaire. 4.1 I Anticorps ciblant le stroma cellulaire non immunitaire Deux de ces anticorps thérapeutiques agissent notamment dans le traitement de tumeurs solides digestive et respiratoire [1], en inhibant la formation de vaisseaux (angiogenèse*) dans la tumeur, la privant ainsi de nutriments nécessaires à son développement (tab. 3). Le premier est une IgG1 humanisée produite en cellules CHO, qui capte le ligand VEGF-A (vascular endothelial growth factor A). Cette captation empêche l’activation des mécanismes de vascularisation tumorale suite à la fixation du

10

ligand sur les récepteurs VEGFR1 et VEGFR2 (vascular endothelial growth factor receptor). Le second anticorps est une IgG1 humaine produite en cellules de myélome murin NS0, qui se fixe sur le récepteur VEGFR2. Cet anticorps bloque ainsi la liaison du ligand stimulateur VEGF sur le récepteur-cible, ceci conduisant à l’inhibition de l’angiogenèse tumorale (fig .1c). Un troisième anticorps thérapeutique, IgG2 humaine produite en cellules CHO (tab. 3), bloque le ligand de RANK (receptor activator of nuclear factor kappa-B), récepteur présent à la surface des ostéoclastes (fig. 1c). Ainsi il inhibe l’activation de ce récepteur en empêchant la liaison du ligand, bloquant ainsi la différenciation des ostéoclastes et la résorption osseuse. Cet anticorps réduit ainsi la perte osseuse observée lors de métastases osseuses [4].

Anticorps thérapeutique

Format

Indication principale

Mécanismes d’action

Lignée cellulaire de production

Anticorps anti-VEGF-A

IgG1 humanisée

Tumeur solide digestive

Inhibition de l’angiogenèse tumorale

Anticorps anti-VEGFR2

IgG1 humaine

Tumeur solide digestive

Anticorps anti-RANKL

IgG2 humaine

Métastases osseuses

Inhibition de l’angiogenèse tumorale Inhibition de l’ostéogenèse

Anticorps anti-CTLA-4

IgG1 humaine

Tumeur solide dermatologique

Anticorps anti-PD1

IgG4 humanisée

Tumeur solide dermatologique

Inhibition du checkpoint CTLA-4 Inhibition du checkpoint PD1

Anticorps anti-PD1

IgG4 humaine

Tumeur solide respiratoire ou dermatologique

Anticorps anti-IL6

IgG1 chimère

Tumeur hématologique

Approbation (année) EU

USA

Dénomination internationale INN

CHO

2005

2004

Bevacizumab

NS0

En revue

2014

Ramucirumab

CHO

2010

2010

Denosumab

CHO

2011

2011

Ipilimumab

CHO

2015

2014

Pembrolizumab

Inhibition du checkpoint PD1

CHO

2015

2015

Nivolumab

Inhibition de la signalisation

CHO

2014

2014

Siltuximab

Tableau 3 : anticorps mono-spécifiques ciblant le microenvironnement tumoral

4.2 I Anticorps ciblant le stroma cellulaire immunitaire Les anticorps ciblant le stroma immunitaire sont en constante expansion ces dernières années avec les avancées scientifiques montrant que le système immunitaire est bridé par les tumeurs en progression [5]. Trois anticorps, bloquant les récepteurs de rétrocontrôle négatif CTLA4 (cytotoxic T lymphocyte-associated antigen 4) et PD1 (programmed cell death protein 1), induits sur les lymphocytes T après une activation physiologique, ont été autorisés depuis 2011 (tab. 3). L’anticorps antagoniste anti-CTLA4 bloque l’accès du récepteur CTLA4 à ses ligands CD80CD86 présents sur les cellules dendritiques. Cet anticorps réactive ainsi la surveillance immunitaire de la tumeur en mobilisant la réponse immunitaire adaptative contre les cellules tumorales (voir livret 1 et fig. 1b). Les anticorps anti-PD1 bloquent l’interaction entre le récepteur PD1 présent sur les lymphocytes T et son ligand PD-L1 présent sur les cellules dendritiques ou sur les cellules tumorales dans certains cancers. Deux de ces anticorps ciblent le récepteur PD1 sur deux épitopes distincts au niveau du domaine de liaison des ligands PD-L1. De sous-classe IgG4 (voir livret 1), ils ne permettent pas

le recrutement des effecteurs du système immunitaire et leur action Cellule stromale Anticorps Anticorps Anticorps anti-RANKL anti-VEGFR2 est donc exclusivement antagoniste. anti-VEGF-A Ces anticorps anti-PD1, comme l’anticorps anti-CTLA4, sont évalués essentiellement dans le traitement Cellule de tumeurs solides respiratoire, cancéreuse digestive et dermatologique ainsi Lymphocyte T que pour traiter un type de tumeur Vaisseau sanguin hématologique. Par ailleurs, l’anticorps thérapeutique antiFig. 1c : modes d’action des différents anticorps IL6, prescrit dans une tumeur bégnine thérapeutiques. Destruction hématologique, caractérisée par une indirecte des cellules tumorales prolifération de lymphocytes activés par l’IL6, via le stroma tumoral non présente un profil pharmacologique particulier immunitaire. (tab. 3). Il capte l’IL6 soluble, empêchant ainsi la prolifération lymphocytaire. Ce qu’il faut retenir : l’environnement tumoral est également une cible importante pour les anticorps thérapeutiques qui peuvent atteindre les cellules cancéreuses en les privant de nutriments (inhibition de l’angiogenèse) ou en (ré-)activant la surveillance immunitaire vis-à-vis de la tumeur. Ces anticorps sont en expansion et feront l’objet d’un prochain livret de la collection. 11


5 I Anticorps bispécifiques L’architecture moléculaire bivalente des anticorps est exploitée pour construire des biomédicaments possédant une double spécificité antigénique, c’est-à-dire se liant à deux antigènes-cibles distincts. Ces anticorps bispécifiques ouvrent la voie à une nouvelle famille thérapeutique de biomédicaments multispécifiques à mécanisme d’action multiple [7] selon les applications envisagées. Dès 2009, un premier anticorps bi-spécifique, anti-CD3/EpCam, a été autorisé dans l’ascite maligne exprimant le récepteur EpCam (Epithelial cell adhesion molecule) (tab. 2). Cet anticorps est une IgG2 hybride rat/souris. Il renforce la réponse immunitaire adaptative, en pontant les lymphocytes T CD3+ avec les cellules tumorales EpCam+, et en rapprochant via la portion Fc les cellules présentatrices de l’antigène exprimant le FcgammaR (fig. 1b). Cet anticorps bispécifique CD3/EpCam est également capable de détruire les cellules tumorales par ADCC (fig. 1b). Un second anticorps bi-spécifique, anti-CD3/ CD19, est en revue pour autorisation aux EtatsUnis dans un type de leucémie. Il appartient à la famille des « Bi-specific T cell Engagers » (BiTEs), et ponte les lymphocytes T CD3+ avec les cellules tumorales. Cet anticorps bispécifique favorise ainsi la mise en place 12

d’une réponse immunitaire adaptative (tab. 2). Ces BiTEs, dépourvus de portion Fc, sont construits par couplage de 2 scFv (single-chain Fv) ne possédant que les parties variables (VH et VL) des anticorps (voir livret 1). Leur demi-vie est très faible nécessitant leur administration par perfusion continue (à l’aide d’une pompe).

Ce qu’il faut retenir : une autre amélioration de l’efficacité thérapeutique des anticorps thérapeutiques anti-cancéreux utilise l’architecture bivalente de ces molécules. Ces anticorps bi-spécifiques permettent ainsi de détruire la cellule tumorale par plusieurs mécanismes. Un prochain livret de la collection leur sera consacré.

6 I Conclusions : l’histoire des anticorps en cancérologie n’en est qu’à ses balbutiements L’utilisation d’anticorps dans le traitement des cancers est un succès considérable de ces vingt dernières années. Cela a ouvert la voie à une nouvelle classe de biomédicaments possédant de nombreux avantages par rapport à la chimiothérapie ou aux inhibiteurs de tyrosine kinase : multiples mécanismes d’action, demi-vie prolongée, effets secondaires relativement faibles. Cette réussite est le fruit de découvertes scientifiques autour de l’ingénierie des anticorps, de la sélection de cibles antigéniques pertinentes et de la réponse immunitaire anti-tumorale. L’enjeu aujourd’hui est d’optimiser ces biomédicaments et leur utilisation pour les rendre encore plus efficaces. Cela passe par l’amélioration de leur potentiel de destruction des cellules cancéreuses, en renforçant leurs activités biologiques (afucosylation de la portion Fc, ADC, anticorps multispécifiques, …), en les combinant, en améliorant leur voie d’administration (sous-cutanée, percutanée…), en prolongeant leur pharmacocinétique (amélioration de la liaison au FcRn via

pegylation…). Il s’agira également de définir de nouveaux critères d’évaluation de ces traitements, en prévenant les effets indésirables, notamment pour les anticorps ciblant le microenvironnement tumoral et pour les ADCs portant plusieurs molécules chimiques. Ceci nécessitera le développement des biomarqueurs* permettant de suivre et optimiser les schémas thérapeutiques et de sélectionner les patients répondeurs ou ceux risquant de développer des effets secondaires graves. L’engouement pour cette nouvelle classe de biomédicaments ne devrait pas faiblir car le concept scientifique des anticorps thérapeutiques en cancérologie s’étend maintenant vers la notion d’immunothérapie active. En effet les anticorps à usage thérapeutique sont capables d’induire une protection à long terme du fait de leur capacité à mobiliser une réponse immunitaire adaptative spécifique de type mémoire, véritable « vaccination » curative modifiant à long terme les réseaux cellulaires et moléculaires chargés de l’immuno-surveillance des tumeurs. 13


7 I Lexique Un biomédicament est tout médicament dont la substance est produite à partir d’une source biologique ou en est extraite et dont la caractérisation et la détermination de la qualité nécessitent une combinaison d’essais physiques, chimiques et biologiques ainsi que la connaissance de son procédé de fabrication et de son contrôle (CSP, article L.5 121-1 modifié). Un épitope, aussi appelé déterminant antigénique, est un fragment de molécule qui peut être reconnu par un paratope, pour déterminer si elle appartient au domaine du soi ou du non soi. Un paratope est une séquence variable de l’anticorps reconnaissant spécifiquement un déterminant antigènique au niveau de laquelle se réalise l’interaction antigène-anticorps. Une tumeur solide peut se développer dans n’importe quel tissu (peau, muqueuses, os, organe) en opposition à une tumeur hématologique ou liquide qui se développe dans le sang ou le système lymphatique. Un récepteur cellulaire est une protéine généralement située à la surface sur la membrane cytoplasmique. Cette protéine est 14

capable de fixer une molécule informative, appelée ligand, et de convertir le message extracellulaire en signal intracellulaire entraînant une réponse de la part de la cellule. Une chimiokine est une petite protéine soluble faisant partie d’une famille de cytokines chimiotactiques (attractives) qui contrôlent les motifs de migration et de positionnement des cellules immunitaires. L’apoptose correspond à un suicide cellulaire, ou mort cellulaire programmée (selon un programme génétique défini). Un polymorphisme génétique se définit par la présence de plusieurs allèles pour un gène. L’angiogenèse est la formation de nouveaux vaisseaux sanguins ou néovascularisation. La fucosylation est l’ajout d’un sucre de type fucose lors du processus de glycosylation des molécules (protéines, lipides). C’est le résultat de l’activité d’une enzyme cellulaire.

l’ajout d’un ion phosphate ou phosphorylation de molécules (protéines, lipides, sucre). La mitose désigne le processus de division d’une cellule mère en deux cellules filles.

Un biomarqueur (marqueur biologique) est un élément moléculaire, cellulaire ou tissulaire, permettant soit de diagnostiquer une pathologie, soit de suivre la réponse à un traitement thérapeutique.

8 I Notes 1. Pandey M, Mahadevan D. Monoclonal antibodies as therapeutics in human malignancies. Future Oncol. 2014, 10:609-636. 2. Cartron G, Dacheux L, Salles G, Solal-Celigny P, Bardos P, Colombat P, Watier H. Therapeutic activity of humanized anti-CD20 monoclonal antibody and polymorphism in IgG Fc receptor FcgammaRIIIa gene. Blood. 2002, 99:754-758. 3. Scott AM, Wolchok JD, Old LJ. Antibody therapy of cancer. Nat Rev Cancer. 2012, 12:278-287. 4. Glassman PM, Balthasar JP. Mechanistic considerations for

the use of monoclonal antibodies for cancer therapy. Cancer Biol Med. 2014, 11:20-33 5. Postow MA, Callahan MK, Wolchok JD. Immune Checkpoint Blockade in Cancer Therapy. J Clin Oncol. 2015, 33 : 1974-1982. 6. Vigne E, Sassoon I. The growing field of immunoconjugates in oncology. A successful link(er) between antibodies and small cytotoxic molecules. Med Sci (Paris). 2014, 30 : 855-863. 7. Spiess C, Zhai Q, Carter PJ. Alternative molecular formats and therapeutic applications for bispecific antibodies. Mol Immunol. 2015, sous presse

9 I Dans la même collection 1 • Structure et fonctions des anticorps

2 • Production des anticorps monoclonaux

L’afucosylation est l’absence ou la suppression de fucose sur une séquence glycosidique. Une kinase est une enzyme responsable de

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« L’essentiel sur les anticorps thérapeutiques »

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Roche 30, cours de l’Ile Seguin 92650 Boulogne-Billancourt cedex Tél. : 01 47 61 40 00 Fax : 01 47 61 77 00 Edité le 16/01/2016 03308/RSI/0216


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