celsa master mag

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C E L S A

– M A S T E R

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P R O F E S S I O N N E L

Master Quel point commun entre le musée Grévin, le musée des Arts forains, celui de l’Érotisme, le Père Lachaise

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et enfin la Petite Ceinture ? Tout simplement une douzaine d’étudiants du CELSA partis en quête du Paris insolite. Trouver un sujet, aller en reportage, rédiger son article… Tous ont relevé le défi pour livrer ce magazine atypique. Journalistes d’un jour, ils lèvent le voile sur les coulisses de monuments célèbres, offrent un autre point de vue sur des sites dont on ne connaît parfois que les sentiers (re) battus ou font redécouvrir des lieux injustement oubliés. En suivant les pas de ces apprentis reporters, c’est un Paris inédit qui s’offre à vous. Salima NEKAA

Relever

Paris

le

de

l’insolite


musée grévin En bref En chiffres 2 000 personnages ont été immortalisés au musée Grévin, dont 250 exposés actuellement sur 2 500 m2. Cinquante personnes travaillent dans ce temple de la cire, dont une dizaine au sein des ateliers artistiques : modelage, maquillage, costumes… Tout est fait « maison », seuls les sculpteurs œuvrent chez eux, dans leur propre atelier. En stock Les personnages qui ne sont plus d’actualité, et donc plus exposés, sont stockés démembrés, enveloppés… Pour durer, dans un lieu tenu secret.

Un arbre étrange de mains célèbres.

Entrées Le musée accueille près de 800 000 curieux par an. Parmi eux, beaucoup de Français, dont la moitié vient de province. Aux vacances de la Toussaint et de Noël, périodes riches en visiteurs, les statues de cire attirent jusqu’à 6 000 personnes par jour. Depuis quelques années, ces chiffres progressent. Le musée a gagné près de 200 000 visiteurs depuis dix ans. « Nous avons fermé en 2005 pendant cinq mois, explique Véronique Berecz, chargée des relations extérieures. Nous avons enlevé les barrières entre les statues et le public, rendu les lieux plus interactifs, plus proche des visiteurs. » Une recette qui a visiblement séduit. Ce journal a été réalisé dans le cadre du Master 2 professionnel “Information et communication” par les étudiants : Frédéric Scheurer ; Florence Roger ; Linda Pétronne ; Johan De Smet ; Christèle Dubois ; Salima Nekaa ; Caroline Grand ; Marie-Victoire Canquery ; Guillaume Fontaine ; Stéphanie Thomas ; Didier Richard. Formateurs : Paul Daudin-Clavaud et Luc Dubos.

2 – 3 décembre 2009 – master Mag’

Dans les coulisses du musée

Des statues qui ne qu’un avec leur L

e lieu est bien connu. Ses coulisses, beaucoup moins. Une fois passée l’entrée du musée Grévin, avec ses miroirs et sa moquette épaisse, près du grand escalier, « Monica Belluci » veille sur une entrée dérobée. Après un dédale d’escaliers et de couloirs, les ateliers du Grévin surplombent les toits du Paris des Grands Boulevards. Ici œuvrent de vrais artistes. Vingt sculpteurs, maquilleurs et costumiers donnent vie chaque année, à une demi-douzaine de nouvelles personnalités. Il faut environ six mois pour réaliser un double de cire. Une première rencontre avec le modèle permet de définir la posture et le mouvement : Bernard Pivot assis à une bonne table, Jennifer en plein concert… Puis le travail se met en place mois après mois : sculpture des visages, moulage des mains et enfin le moment délicat du coulage de la cire. Sur une des étagères de l’atelier, l’alignement des bustes diaphanes, sans cils ni cheveux mais déjà reconnaissables donne une étrange impression, qui va parfois jusqu’au malaise : ils ont l’air tellement vrais ! Mais peut-être aussi tellement sans vie ou irréels… ! Les maquilleurs, perruquiers et oculistes se sont mis au travail pour corriger cette impression : une veine apparente, un grain de beauté et une implantation de cheveux caractéristique et la magie opère. Les personnalités sont sélectionnées en fonction de l’actualité par une commission de journalistes : « Le plus souvent, les artistes accueillent très favorablement leur sélection, preuve de leur popularité. Ils nous offrent même parfois leur tenue

Ci-dessus : Julien Clerc pour les derniers réglages. Ci-contre : Arielle Dombasle en compagnie… d’Arielle Dombasle.


musée grévin

“fondent” modèle

de scène, souligne Véronique Berecz, responsable des relations extérieures du musée. Julien Clerc, par exemple, est passé la semaine dernière pour les derniers réglages ». Son double de cire viendra rejoindre ceux des chanteurs célèbres du musée. Sera-t-il placé près du bar aux côtés de Serge Gainsbourg ou assis dans la salle du théâtre à l’italienne avec Charles Aznavour… ? Le secret est pour le moment bien gardé. Dans un autre coin de l’atelier, trônent d’autres personnages dissimulés par des voiles de tissus. Peutêtre s’agit-il de Philippe Starck ou de Franck Dubosc, dont l’arrivée est également prévue dans quelques mois. Ils viendront rejoindre les deux cent cinquante statues de cire déjà présentes dans le musée. Tout au fond, un arbre étrange attire l’attention. Des mains de toute taille et de toute position semblent vous faire signe. Peut-être une invitation à les suivre tout en bas, dans les salles ouvertes au public. Christèle DUBOIS

Plein “fards” sur une maquilleuse du Grévin Un dernier coup de peigne, une ultime retouche de maquillage… « C’est le rituel du matin » de Valérie Merceron. Cette jeune femme n’est pourtant plus dans sa salle de bains. Elle a enfilé sa blouse blanche et c’est aux statues de cire du Musée Grévin qu’elle prodigue ses soins. Cela fait dix ans que Valérie fait partie de l’équipe des techniciens du musée Grévin. Elle est « maquilleuse – coiffeuse – implanteuse ». Avec les sculpteurs, le responsable artistique, les prothésistes, les habilleurs, elle donne vie en six mois aux célèbres répliques de cire. Elle maquille les visages, implante les cheveux presque un à un, les teint, les coiffe… Elle s’occupe aussi de l’entretien des statues : « La cire jaunit, devient sèche, les cheveux tombent. » Les restaurations sont régulièrement nécessaires. « J’ai commencé par la coiffure en salon », raconte-t-elle. Maquillage, perruques… son tempérament artistique se

faisant pressant, Valérie s’est dirigée plus spécifiquement vers le monde des effets spéciaux. Intermittente du spectacle, c’est par le bouche-à-oreille qu’elle est arrivée au Musée Grévin. Elle y a reçu une formation spécifique. « On est tous un peu artistes ici. Pendant leur temps libre, certains s’adonnent à la peinture, d’autres à la restauration de tableaux… ». Il faut dire que le maquillage des bustes de cire diffère du maquillage en salon : Valérie et ses collègues travaillent uniquement avec la peinture à huile. De « Vénus Beauté » à « Six Feet Under », Valérie bénéficie d’un quotidien hors du commun. Elle exerce un métier d’une haute technicité. Femme de l’ombre, elle disparaît avant l’arrivée des premiers visiteurs, une fois que ses personnages ont retrouvé la lumière. C’est aussi cela le rituel de ses matins. Caroline GRAND

Valérie Merceron donne vie au visage de Gérard Jugnot. master mag’ – 3 décembre 2009 – 3


arts forains

Un coin de magie au cœur Le Musée des Arts Forains est un lieu chargé d’histoire et de mystère. Peu de gens le connaissent vraiment, mais ceux qui y sont venus en parlent souvent. Petit tour de piste dans le monde des chevaux de bois.

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ès la sortie du métro Météor, le décor des pavillons de Bercy donne déjà le tournis. En cette matinée de la fin novembre, c’est l’ambiance feutrée d’un village endormi qui domine. Les bâtiments qui accueillent le Musée des Arts forains ne dérogent pas à la règle. Construits par un élève d’Eiffel, l’architecte l’Heureux, ils méritent un coup d’œil. Le va-et-vient des commis et marchands de vin a, aujourd’hui, laissé place à celui des techniciens du son, de l’image. Ces anciens entrepôts à vin, restaurés dans les années quatre-vingt, sont devenus : le théâtre du merveilleux, les salons vénitiens, le Musée des Arts forains sans oublier le « théâtre de verdure ». Après avoir franchi la grille d’accueil, le visiteur est vite plongé dans une ambiance surréaliste. La croupe d’un cheval coincé en haut d’un mur et les nombreux objets qui trônent dans les ruelles confirment cette impression. « Jean-Paul Favand, ancien antiquaire, est le propriétaire de la plus grande collection d’objets forains d’Europe. Il a fourni de nombreux objets au musée Dali. » : Diane, conférencière pour le musée, accompagne la visite. Le musée présente la seule exposition d’éléments forains privée ouverte au public en France. Des rues pavées permettent de passer d’un pavillon à l’autre. La visite débute par les salons vénitiens. Première rencontre avec un manège du xixe siècle. Premier émerveillement, aussi, devant cette salle richement décorée. En haut d’un balcon, des automates observent les visiteurs. Immobiles pour l’instant, ce sont eux qui vont donner, nuit après nuit, un spectacle inoubliable à ceux qui ont la chance d’accéder au lieu. Les autres salles réservent aussi leur lot de 4 – 3 décembre 2009 – master Mag’

Chaque salle réserve son lot de surprises et de manages dont chacun a son histoire. À droite : Diane, la guide conférencière de ce lieu magique.

nouvelles surprises, avec leurs nombreuses attractions foraines. Le manège vélocipédique ou encore la course des garçons de café vous emporteront vers l’ « Alpha », un état d’hypnose auquel on se prête avec plaisir. Malheureusement, Diane rappelle que « Les pavillons de Bercy n’ont pas vocation à être un musée. Ce sont avant tout des salles de réceptions. » Destinées aux réceptions et manifestations de 100 à 5 000 personnes, elles ne sont que très rarement ouvertes aux visites individuelles sans rendez-vous. Pour ces quelques privilégiés, c’est « un petit tour et puis s’en vont ». Johan DE SMET Linda PETRONNE HENAFF


arts forains

de Paris

Échos Tournez manège ! Exceptionnel. Du 21 décembre au 3 janvier, le public aura accès à ces lieux mystérieux. A cette occasion, une fontaine magique, un éléphantmontgolfière, un centaure, 167 sapins, de nombreux artistes et bien d’autres surprises seront installés. Le Musée des Arts forains vous invite à passer un moment unique et magique pour se plonger dans l’univers des forains de la Belle Epoque. Renseignements : 01 43 40 16 22. En chiffres. Le Musée des Arts forains compte : – 14 manèges et autres, – 16 boutiques foraines et attractions restaurées, – 18 ensembles d’œuvres historiques, – 1 522 œuvres indépendantes qui constituent le musée des écoles européennes – 1 800 m2 de salles sur 1,7 ha

Jean-Paul Favand réhabilite le charme des forains La soixantaine élégante, cheveux blancs ramassés sur la nuque, barbe soigneusement taillée en collier, la seule présence de Jean-Paul Favand suscite respect et admiration. Propriétaire, conservateur, directeur, concepteur et réalisateur des mises en scènes du musée, Jean-Paul Favand est le véritable maitre de ces lieux mystérieux. L’homme est pressé, peu disponible, mais résiste rarement à une occasion de transmettre sa passion. Il prend donc le temps de lever un coin du mystère. Depuis trente ans, ce comédien et antiquaire passionné accumule des objets du spectacle forain. Il détient aujourd’hui la plus grande collection d’Europe : « J’ai préféré collectionner ces objets d’art hors normes par facilité ! Ils illustrent l’univers

ludique et sociologique de la fin du xixe. ». Jean-Paul Favand évoque cet univers magique à la manière d’un professeur. Il enseigne que « Les forains sont des précurseurs de l’information, des artisans de la communication populaire de leur époque ! ». Lieu de rassemblement et de commerce à la fin du XIXe, la fête foraine est « un média » à part entière : « Les forains ? Des journalistes de la première heure !». Il conte le rôle déterminant d’expositions itinérantes dans la vulgarisation de la science de l’époque... Devenu businessman, Jean-Paul Favand a choisi d’offrir les trésors de sa collection aux regards d’un public restreint pour mieux les charmer ! On en redemande ! master mag’ – 3 décembre 2009 – 5


MUSÉE DE L’ÉROTISME

se met à nu à Pigalle D

epuis le 12 novembre 2009, le journal satirique expose ses illustrations les plus coquines au 5e étage du musée de l’érotisme. Les chroniques salaces de Fischetti côtoient les gravures de Charb, illustrateur et nouveau directeur de la publication. Dans une première partie de cette exposition, les deux compères présentent les dessins iconoclastes sur Tarzan, publiés dans le Charlie Hebdo du 26 août dernier. Ces gravures ont été réalisées en réponse aux diktats de la société détentrice des droits sur le personnage ­ Edgar Rice Burrough Inc. Cette dernière ­ pour l’exposition « Tarzan ! Ou Rousseau chez les Waziri » au Quai Branly ­– avait interdit toute représentation remettant en cause l’image à la fois sauvage et bon chic bon genre de Tarzan. La « société protectrice » de l’homme de la jungle veille à ce que son image soit conforme aux bonnes mœurs sociales. Les règles d’usage, dictées par la société, prévoient qu’il ne soit pas représenté comme un criminel, ou manquant de respect à des animaux. Il doit aussi toujours apparaître « fort, énergique, bien rasé », respecter « la loi, ou l’ordre, ou les institutions », et ne pas avoir des « activités sexuelles illicites ». Il n’en fallait évidemment pas plus pour faire réagir nos deux chroniqueurs. Du Quai Branly au boulevard de Clichy, ce n’est plus le même héros qui est présenté. Au musée de l’érotisme, il y a plus d’éros dans l’air : notre héros est surpris dans les positions des plus provocantes et inattendues. Tour à tour pris la tête dans le « panier » de Jane, ou enlacé par les bras d’un gorille mal léché, Tarzan s’abandonne allègrement à des « galipettes » lubriques au cœur de la savane. 6 – 3 décembre 2009 – master Mag’

Trois affiches pour trois expos en une, du 12 novembre au 5 mai 2010.

Le sexe en toute langue L’autre partie de cette exposition temporaire est inspirée du livre Éternuer dans le chou-fleur. L’équipe de Charlie y présente un tour du monde des expressions les plus coquines… Au-delà des termes courants ou populaires, un voyage aux allures friponnes nous emmène de Montréal, où « l’on perd sa cerise », à Shanghai, où « l’on est porté par un nuage alors qu’on conduit dans le brouillard » en passant par Moscou où « l’on fait tomber délicatement les poires ». Jusqu’au 10 mai 2010 au Musée de l’Érotisme. Didier RICHARD


MUSÉE DE L’ÉROTISME

Âmes pudiques s’abstenir ! Situé en plein cœur de Pigalle, le musée de l’Érotisme emmène le visiteur dans un voyage inattendu aux frontières de l’interdit.

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eux bouddhas voluptueux ouvrent les portes du musée le plus coquin de Paris. À quelques pas du Sacré-Cœur et du musée de la Vie Romantique, sur le bruyant boulevard de Clichy, le Musée de l’Érotisme passe presque inaperçu. Au milieu des sex-shops et des théâtres, quelques passants jettent un coup d’œil amusé sur la vitrine où trône une chaise… sexuelle. Un objet insolite offert à la vue de tout à chacun et qui invite à découvrir sept étages entièrement dédiés à l’érotisme (de) sous… toutes ses formes. Dans une ambiance feutrée, les visiteurs déambulent entre invitation aux plaisirs de la chair et pornographie. D’incroyables machines à vocation sexuelle, de nombreuses statues d’art traditionnel d’Amérique, d’Afrique, et d’Asie côtoient des amulettes votives, des estampes japonaises, des peintures, des objets kitschissimes, des sex-toys et autres dérivés en tout genre, pas toujours de bon goût. Ce joyeux bric-à-brac de 2 000 pièces attire chaque année près de 100 000 visiteurs dont 60 % d’étrangers. Dans ce décor digne d’un film d’Almodovar, c’est cependant dans un calme « quasi religieux » et en toute discrétion, que les visiteurs montent et descendent les sept étages.

Ci-dessus : Le livret souvenir d’une chanson du temps des maisons closes. En bas : Des objets et des mécanismes qui ne manquent pas d’imagination.

Au sous-sol, un jeune couple s’esclaffe devant les spermatozoïdes anthropophages de l’artiste argentin Reinaldo. Un ensemble de sculptures en bois. Un peu plus loin, d’autres couples, main dans la main, examinent avec une curiosité presque avide les mécaniques sexuelles de quelques pièces nées de l’imagination débridée de plasticiens contemporains. Le deuxième étage transporte les visiteurs dans l’univers des maisons closes. Du xixe aux années folles, une série de lithographies dévoile les coulisses de cet univers comme L’arrivée de l’habitué et La fête de la patronne d’Edgar Degas. Deux œuvres consacrées à la vie des bordels où s’exposent les rondeurs des « gigolettes ». Dans ses dessins, Marcel Vertès croque les habitués des ateliers du plaisir. Entre hôtel garni, bobinard ou taule d’abattage, le lupanar décline sa linguistique et nous dépeint un monde de rondeurs et de plaisirs cachés. Le tout est répertorié dans le Guide Rose qui contenait plus 750 maisons de passe en 1925. Les prostituées sont croquées sous tous les angles… ou toutes les formes : l’échassière semble passer sa vie sur le tabouret d’un bar américain ; la chandelle ou la roulante ne travaille pas dehors mais reste attachée à un établissement ; la marcheuse arpente les rues d’un air lascif ; l’entôleuse vole l’argent des clients… Un musée insolite, envoûtant… qui n’entôle pas ses visiteurs ! Stéphanie THOMAS

Quelques mots insolites Marcheuse • Echassière • Gagneuse • Chandelle Roulante • Gigolette • Maison de plaisir • Maison de société • Maison de tolérance • Maison de passe • Hôtel garni • Salon de luxe • Salon de rendez-vous • Salon d’amour • Bobinard • Atelier du plaisir • Taule d’abatage • Entôlage Musée de l’érotisme 72 Bld de Clichy 75018 Paris Tél : 01 42 58 28 73 www.musee-erotisme.com. Ouvert 7j/7 de 10h00 à 02h00. Entrée : 7 e master mag’ – 3 décembre 2009 – 7


petite ceinture

Sur les rails de l’insertion Une équipe encadrée par l’association d’insertion “Espaces” entretient et réhabilite une portion de la petite ceinture ferroviaire de Paris. Rencontre.

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uelques marches et le bruit de la rue est vite remplacé par le crissement des chaussures sur les courts et le rythme lent des balles de tennis. Incongrus à deux pas du palais des expositions de Versailles, une gare, une voie ferrée au milieu des arbres et… des courts de tennis. Les cheminots de la SNCF ont installé là un de leurs clubs, le long des anciennes voies désaffectées de la Petite Ceinture de Paris, la PC : « La petite ceinture a été construite au milieu du xixe, précise Stéphane, l’encadrant du chantier d’insertion qui entretient le site. Le dernier train est passé là en 1983. Quelques années après, la SNCF a amené les deux wagons qui nous servent de salles de classe et d’abri de chantier. » Depuis 2006, une équipe de huit agents s’emploie quotidiennement à réhabiliter cette emprise de la SNCF en plein cœur des 14e et 15e arrondissements. Leur domaine : 6,5 km, du Parc Montsouris à la Tour de France Télévisions, de 5 mètres au-dessus des rues à 20 mètres de profondeur dans la tranchée du Parc. Lorsque la première équipe envoyée par l’association d’insertion est arrivée, c’était la jungle. Une jungle pas très propre : plus de 15 tonnes de déchets ! Pour les habitants des immeubles qui surplombent la voie, c’est un dépotoir. « On a même retrouvé des scooters. Et puis il y a tous les habitants permanents ou non des lieux. La PC est un paradis pour tagueurs… qui laissent leurs bombes vides. Mais elle sert aussi d’entrée dans les catacombes et c’est un camping inespéré pour pas mal de personnes de passage. » Dans un bosquet, bien cachée, une tente quatre places, du linge qui sèche. « Le monsieur habite là depuis 6 mois, nous avons été le voir pour lui expliquer notre travail et lui dire de ne pas laisser ses déchets », indique Christophe, l’un des agents de la nouvelle équipe en charge 8 – 3 décembre 2009 – master Mag’

de l’entretien cette portion de la petite ceinture. Il y a aussi Daniel, un ermite qui habite depuis des années dans une « niche », quelques mètres carrés aménagés à coup de récup’ : « un type très sympa ».


petite ceinture Christophe l’agent vert L’association a permis la mise en valeur de ce site et œuvre pour la réinsertion.

Elle bénéficie d’un wagon mis à disposition par la SNCF.

Des chantiers propres

Ci-dessus : La voie date du milieu du xixe siècle. Un lieu insolite qui se révèle plein de découvertes.

L’association d’insertion Espaces, à qui a été confié le chantier, est née de la volonté d’allier social à écologie. Tous ses chantiers sont « propres » : aucun produit phytosanitaire (« notre grand patron est radicalement contre »), fauches tardives, sélection des espèces (« le robinier qui vient des États-Unis est très invasif et on est obligé de limiter le nombre de buddleias, les arbres à papillons) ». Chaque hiver, le bois coupé est laissé à la disposition des espèces xylophiles. La faune abonde sur la PC : papillons, pipistrelles, fouines, hérissons… « Pendant quelques mois, on avait une mascotte, un lapin abandonné par ses maîtres, mais il y a aussi beaucoup de chats alors le lapin… ! ». Au fil des ans, elle est devenue un refuge de la biodiversité. La petite ceinture est vouée à devenir coulée verte, une dernière évolution que le travail de Stéphane, Fabrice, Christophe et Serge prépare. Marie-Victoire CANQUERY

Depuis près d’un an et demi, Christophe arpente le chantier d’insertion de la petite ceinture. Il y a trouvé un peu plus qu’un morceau de nature en pleine capitale. Ici, il est l’ancien. Christophe travaille sur le chantier depuis « un an et cinq mois ». Pour lui, c’est un peu plus qu’un chantier, presque une passion. Il se l’est approprié jusqu’à connaître toute l’histoire de la petite ceinture (PC) et chaque mètre carré du chantier. « Six kilomètres cinq » : l’homme a le goût de l’exactitude. Il a répertorié toutes les plantes et la faune qui y habite, hérissons et cataphiles compris. D’ailleurs, c’est lui qui guide le visiteur occasionnel : « Je commence à avoir l’habitude de raconter. L’association fait visiter le chantier deux fois par an et plus de 300 personnes sont venues le découvrir pour Paris Nuit blanche. » C’est à cette occasion que les élus du 14e ont découvert le chantier. Ravis, ils ont invité les ouvriers du chantier au parlement de Strasbourg. Christophe sera du voyage : « Pour moi, ce sera une première. Vous savez, c’est un chantier d’insertion ici. Si on y travaille, c’est généralement parce que la vie n’a pas été facile pour nous. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas grâce à l’ANPE que je suis là ! » C’est grâce à une association d’aide aux Rmistes que Christophe a connu l’existence d’Espaces. « J’avais déjà un diplôme en aménagement d’espaces verts. Je connaissais le métier. C’était fait pour moi. » Dans deux mois, il passera le concours des espaces verts de la Ville de Paris : cinquante places pour des centaines de candidats et des sujets théoriques très éloignés de sa coulée verte. En attendant, Christophe se consacre à un autre projet : au pied des immeubles bourgeois du 15e, un antique bac à sable attend sa prochaine transformation en mare à grenouilles. Christophe y tient, ce sera sa dernière touche personnelle sur le chantier. Il ne dissimule pas sa joie de récupérer encore un petit morceau de nature sur la ville. Guillaume Fontaine master mag’ – 3 décembre 2009 – 9


père-lachaise Le cimetière du Père-Lachaise

Une petite entreprise qui ne connait A l’image de la chanson de son dernier « enterré » célèbre, Alain Bashung, ce haut lieu parisien du souvenir est aussi un véritable business. Visite guidée… avec Jackie.

10 h 30

, un matin de novembre, les cérémonies funèbres se succèdent à un rythme… d’enfer. Un balai de voitures noires, des visiteurs (ou clients !) de tous âges… L’entrée du Père Lachaise offre le spectacle d’une véritable entreprise en pleine ébullition. Un peu plus loin, au-delà de l’allée centrale, les chemins de traverse offrent une tout autre ambiance. Des statues rongées par les siècles. Quelques caveaux défoncés, où les chats prennent le soleil. Des arbres centenaires dépouillés de leurs attraits. Des allées pentues aux pavés disjoints, donnant sur des milliers de tombes : célèbres et anonymes logés à la même enseigne. C’est près de l’une d’entre elles que Jackie racole en général ses « clients », des touristes en mal d’anecdotes et de découvertes sur le célèbre « musée cimetière ». « Vous cherchez quelque chose messieurs dames ? Vous êtes français ? » Six recrues et c’est parti pour cinq kilomètres de marche et trois heures d’Histoire, d’histoires et de révélations inattendues. La guide plante d’abord le décor : « 44 ha, 100 000 sépultures, trois millions de visiteurs par an, 40 837 cases de crémation, deux cents employés… et le seul ossuaire des vingt-neuf cimetières de Paris. » Très vite les questions fusent : « Qui peut être enterré au Père Lachaise ? Il faut être connu ? » Dans un large sourire, Jackie retourne la question : « À votre avis ? » Pour plus de détails : il faut déjà avoir une adresse à Paris ou y être décédé. Une simple concession de 2 m2 coûte 11 000 euros. La même somme pour le m2 supplémentaire. Le tout pour trentetrois ans renouvelables. « Ajoutez à cela le prix du caveau et du monument, vous obtenez le prix d’un petit appartement à Paris ! » 10 – 3 décembre 2009 – master Mag’

Des allées riches en souvenirs mais aussi en monnaie sonnante et trébuchante.

Avec des contraintes supplémentaires : dans la partie classée du cimetière, la restauration des tombes doit être réalisée obligatoirement par les Monuments de France. Un repos éternel hors de prix et sans garantie de tranquillité. En effet, atouts marketing décisifs de ce cimetière, plusieurs morts illustres, perturbent la quiétude du cimetière, en raison de la ferveur qu’ils suscitent ou les superstitions qu’ils engendrent. Si la tombe de Colette est essentiellement fleurie la nuit par les chats, celles d’Allan Kardec et de Bonne-maman, célèbres spirits, remportent la palme d’or du fleurissement. Sans compter que leurs nombreux adeptes s’y retrouvent régulièrement. Tandis que ceux ou celles qui veulent trouver la stérilité ou le mariage, se frottent à la « partie proéminente » du gisant de Victor Noir. Attention aussi aux « picktombettes », qui pourraient aussi perturber votre tranquillité et votre intégralité : « Des visiteurs repartent parfois avec


père-lachaise

pas la crise !

En haut à droite : Jackie, intarissable sur son cimetière. La tombe de Jim Morrisson est une des plus visitées, et pour d’autres raison…, celle de Victor Noir (ci-contre) aussi.

des souvenirs de leur idole : un doigt de la muse de Chopin, une poignée de terre de la tombe de Morrison ou un morceau de la tombe de Piaf… De préférence, un objet de petite taille, que l’on peut garder avec soi et surtout dissimuler à la sortie du cimetière. Peu leur importe la sacralité du lieu, les familles des morts et leurs croyances. » Le cimetière est aussi un vaste magasin de souvenirs. De petits grigris qui, en revanche, ne rapportent rien aux « petits entrepreneurs » du Père Lachaise. Florence ROGER Frédéric SCHEURER

Les mémoires d’outretombe de Jackie Avec ses 23 ans de visites guidées du cimetière du Père Lachaise, la guide Jackie peut bien s’autoriser un avis sur tout. Morceaux choisis : – Le cimetière du Père Lachaise… ou la poudre aux yeux des morts : dans la sépulture de Rossini, vous n’y « rencontrerez » que sa femme, Olympe. Lui, est reparti à Florence ! N’attendez pas non plus des vocalises de la Calas : ses cendres chantent avec les sirènes de la mer Égée. –J im Morrison, bel homme ! Mais non : ce mythe déchu a terminé ses jours, gras, épuisé et décati. Quant au mystère qui flotte autour de sa disparition, parlez-en à Agnès Varda. Elle seule sait, mais elle aussi emportera ce secret dans la tombe. –S imone Signoret et Yves Montand enterrés ensemble dans une petite tombe sans prétention et non entretenue… Pas de visite de la famille. Conflits ou manque de moyens, ou les deux à la fois. – Marie Trintignant enterrée ici par la volonté de sa mère, alors que les autres membres de la famille reposent sur le domaine familial. Entretien du mythe de l’actrice. Triste fin ? Selon Jackie, « dans cette affaire c’est 50/50 ». – Sophie Daumier, une fin de vie dans le dénuement et la tristesse. Heureusement que Guy Bedos a veillé à la dignité de son ex-femme ! – Édith Piaf, enterrée auprès de sa fille Marcelle et son dernier mari Théophanis Lamboukas, dit Théo Sarapo. Sa tombe est entretenue par la famille Sarapo. Édith de son vivant entretenait, quant à elle, la famille de Marcel Cerdan même après son décès. Commentaire de Jackie : « Heureusement pour la petite Marcelle qu’elle soit partie avant sa mère. Elle aurait eu une vie bien mouvementée ! » – La valse des corbillards à l’entrée du crématorium du Père-Lachaise : sans fleurs ni couronnes… ou presque ! Seul le cercueil est incinéré. Et les fleurs alors ? « Elles repartent avec le corbillard et honoreront sûrement d’autres défunts. » –M ême pas seul dans la mort ! Certains corbillards chargent jusqu’à deux cercueils en même temps pour le dernier voyage. Les familles des défunts réciproques régleront chacune la facture d’un transport ! De quoi faire mentir l’épitaphe du sculpteur Arman au Père Lachaise : « Enfin seul ! » master mag’ – 3 décembre 2009 – 11


SHAKESPEARE & Co

De l’autre côté du miroir C’est l’endroit dont on a rêvé pour se réfugier. Un endroit unique à deux pas de Notre Dame, où l’on peut s’allonger sur un lit de velours rouge, un livre à la main ou une tasse de thé fumante près de soi. On peut même y écrire quelques pages sur la machine à écrire de George. Ou encore jouer son air préféré sur ce piano buissonnier.

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eorge, le libraire de Shakespeare and Compagnie a décidément tout prévu : chez lui le visiteur peut même jeter une pièce au cœur de ce lieu pour réaliser un vœu. Cet univers magique peuplé de livres ouverts, à acquérir ou offerts à l’œil curieux accueille tous les jours les visiteurs de 10 heures du matin à 23 heures. Ils s’y laissent ensorceler dès le franchissement de la porte, telle Alice au pays des merveilles comme le suggèrent ces citations : « Live for humanity » et « Be not inhospitable to strangers lest they be angels in disguise ». Tout y est pensé pour la nonchalance et l’art libéré. Il n’est donc pas surprenant d’y rencontrer George Whitman, l’auteur de ce lieu, en pyjama. Son appartement contigu à la salle de lecture, ouvre parfois son antre aux lecteurs médusés. George, américain d’origine, a choisi d’ouvrir, en 1951, cette librairie dans son appartement du 37 de la rue de la Bucherie. Inspiré par l’accueil qu’il avait rencontré dans ses nombreux périples en Amérique du Sud, il décide donc d’ouvrir ce lieu dédié à la littérature anglophone, à l’hospitalité et à la liberté. Tous les auteurs de la beat generation, y sont venus partager une tasse de thé ou un pancake : d’Alan Guisburg à Henry Miller. George, a aujourd’hui 95 ans et c’est Sylvia, sa fille qui a repris la relève. La vie de cet endroit original est rythmée par la présence d’étudiants de passage qui monnaient leur travail en échange d’un lit ou du couvert. La boutique ne désemplit pas, peuplée de curieux, d’artistes en herbe ou tout simplement de lecteurs à la recherche d’un lieu tranquille. Les ouvrages du premier étage sont mis à disposition, le temps d’une visite. Libre à vous de vous allonger sur le canapé rouge et d’ôter vos chaussures pour reposer vos pieds fatigués.

Inviter un Anglais ou une Anglaise Des soirées d’échanges y sont aussi proposées régulièrement sur des thèmes aussi variés que la poésie tibétaine ou la littérature érotique. Chacun peut ainsi créer son propre événement. Ce soir-là, l’événement annoncé par le maître des lieux est plutôt prometteur : « Un principe : Une 12 – 3 décembre 2009 – master Mag’

Créée en 1951 dans le domicile d’un Américain un peu excentrique, la librairie n’a rien perdu de cette fantaisie. Taper quelques mots sur la machine de George est un privilège accessible à tous les visiteurs de sa librairie.

bande de doux dingues vous accueille dans un endroit insolite, canapé, fauteuils et même lit. Votre challenge : inviter un anglais ou une anglaise, ou apporter un objet, un livre… un symbole lié au monde britannique. Des intervenants d'importation free taxe, vous donneront envie de vous exporter ne serait-ce qu'une soirée. À vos marques ! » Parmi la petite vingtaine de personnes présentes, Barbara, tout droit arrivée de son Chicago natal, est accompagnée par son fils Joachim, 8 ans : « Joachim, qui est assez critique sur les trucs d'adulte, m’a dit qu'il passe une très bonne soirée. » Birgit, d’outre Rhin, est émerveillée par l'ambiance et le décor décalé de l'endroit. Elle n'en croit pas ses yeux : « Il n'existe aucun lieu de la sorte dans toute l'Allemagne ! » Grigoris, un bel éphèbe grec, compose pour une de nos hôtesses, un happy birthday impromptu sur le piano buissonnier. George a décidément tout prévu : chez lui le visiteur peut même jeter une pièce au cœur de ce lieu pour réaliser un vœu. Sans doute celui de revenir le plus vite possible. Elisabeth CHYRA


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