SILENCE ISSUE #1

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SILENCE

SS 2015

9 EUROS

ISSUE 1


















ENJOY THE SILENCE


WORDS LIKE VIOLENCE BREAK THE S I L E N C E COME CRASHING IN INTO MY LITTLE WORLD PAINFUL TO ME PIERCE RIGHT THROUGH ME CAN’T YOU UNDERSTAND OH MY LITTLE GIRL ALL I EVER WANTED ALL I EVER NEEDED IS HERE IN MY ARMS WORDS ARE VERY UNNECESSARY THEY CAN ONLY DO HARM VOWS ARE SPOKEN TO BE BROKEN FEELINGS ARE INTENSE WORDS ARE TRIVIAL PLEASURES REMAIN SO DOES THE PAIN WORDS ARE MEANINGLESS AND FORGETTABLE ALL I EVER WANTED ALL I EVER NEEDED IS HERE IN MY ARMS WORDS ARE VERY UNNECESSARY THEY CAN ONLY DO HARM ENJOY THE S I L E N C E



SILENCE S I L E N C E est un magazine bi-annuel de mode, d’arts et de jeunesse basé à Paris. Il explore l’univers de la culture jeune et tente de déconstruire les enjeux sociaux d’aujourd’hui marqués par un constant climat de crise. Le thème majeur de cette publication est le genre, il est au centre de nos questionnements. Notre dessein est de proposer une vision contemporaine et approfondie de ses aspects. Il est essentiel pour nous de représenter la jeunesse telle qu’elle est réellement. Il ne s’agit pas de la glorifier ou de l’érotiser, mais d’essayer de la comprendre et de lui rendre justice. Le chemin que nous voulons emprunter est celui de l’individualité et des libertés personnelles en tant que moyens de créer de nouvelles formes d’expression, d’idées et de stratégies pour que notre génération conçoive la vie différemment. Nous pensons que l’unisex est l’avenir de la mode et qu’il est la réponse à beaucoup de troubles identitaires que la jeunesse connaît actuellement. Il est important pour nous d’essayer d’aller à l’encontre du schéma social imposé par la société depuis des siècles qui tend à nous faire croire que notre sexe définit notre genre, et par conséquent qui nous sommes. Nous prônons une liberté du genre totale et notre but est de défendre ceux et celles qui ne se reconnaissent pas dans l’hétéronormativité de la société. S I L E N C E n’est pas un magazine gay et il est essentiel de le rappeler. Nous ne nous plaçons pas dans une presse spécialisée restrictive qui dissuaderait peut-être des gens de s’identifier à nous. Nous souhaitons faire de ce magazine un objet de pensées et de créativité pour tous, un manifeste de beauté et de changements. La jeunesse est dans l’urgence de trouver une nouvelle vision, propre à elle et à son temps, dans l’urgence d’un changement qui doit s’opérer rapidement. Comme beaucoup, nous sentons qu’une révolution basée sur la sensibilité se prépare. Nous considérons ce magazine comme un laboratoire de concepts et d’idées, dans lequel il sera possible de partager et de débattre sur ce qui nous entoure et nous préoccupe. S I L E N C E est d’abord un magazine de mode, il ne se limite donc pas seulement aux questions de genre et d’identité sexuelle. Son identité visuelle est directement influencée par les mouvements moderniste et minimaliste. En architecture, le modernisme se caractérise par son extrême simplicité et par l’usage strictement nécessaire de chaque détail. Ludwig Mies van der Rohe exprime parfaitement cette approche de l’architecture dans «Less is more». Dans Ornement and Crime d’Adolf Loos, il explique sa philosophie à l’égard de l’ornement en soulignant combien ce dernier rendait les objets ou les bâtiments obsolètes en les poussant à devenir démodés. C’est pour cette raison que Loos considérait l’ornement comme un crime. A partir de 1920, la relation entre la mode, l’art et l’architecture est très forte. Les lignes droites des robes étaient en accord avec le traitement géométrique des lignes et des surfaces propres au style cubiste comme le montrent les peintures de Leger et Braque. La mode suit la recherche de la pureté de la forme et se libère de tout ornement superflu selon l’exemple de l’ethos moderniste. Succédant au modernisme, le minimalisme apparaît aux Etats-Unis dans les années 60. C’est un style dépouillé, extrêmement simple, sans fioriture. La simplicité volontaire est la base du minimalisme. Dans la mode, le vêtement est une toile blanche dépouillée d’ornement, basique et intemporelle. Représenté par Jil Sander, Calvin Klein et Helmut Lang, le minimalisme nait à la fin des années 80 en même temps que le mouvement «anti-fashion» lancé par les créateurs japonais Yohji Yamamoto, Rei Kawakubo ou encore Issey Miyake et les Six d’Anvers. Les philosophies de ces deux mouvements sont pour nous essentielles et sont la base de la recherche visuelle de S I L E N C E. La mise en page est volontairement simple, elle laisse place à beaucoup de blanc, qui représente le S I L E N C E, un temps personnel qui laisse place à la réflexion. S I L E N C E a également pour but de faire connaître de nouveaux talents, artistes et jeunes créateurs. La mode française a tendance à être très élitiste et à laisser peu de place à la nouveauté. Beaucoup disent que la culture jeune à Paris est morte. Nous voulons essayer de la faire renaître, de faire de Paris, capitale du luxe à la beauté indéniable, une ville jeune ouverte sur le contemporain. Etre un jeune affamé de soirées underground à la berlinoise où la différence est toujours plus célébrée et où les gens n’ont que de la tolérance et de l’amour à vous donner et habiter à Paris est bien souvent difficile, et c’est le cas pour beaucoup. Nous voulons tenter de sortir de cette boite et combiner un luxe parisien et une pensée plus jeune. Pour finir, il est aussi question dans cette publication de proposer une nouvelle idée de la beauté qui veut s’éloigner des standards habituels pour prôner que la différence et les imperfections sont ce qui rendent beau. Pour ce faire nous tâcherons de faire le plus possible des castings sauvages, essayer de trouver des gueules fortes plutôt que des beautés traditionnelles, ne pas déguiser les gens, simplement en faire les portraits, sans les dénaturer, pour toujours rester juste et cohérent. ENJOY THE S I L E N C E.

GUILLAUME BARRAU.


SOMMAIRE


UNE MODE SANS GENRE EST-ELLE POSSIBLE ?

24 - 27

LA REVOLUTION #TRANS

28 - 29

LA MODE DU PRINTEMPS-ETE 2015

30 - 33

QU’EST-CE QUE LE LUXE EN 2015 ?

34 - 37

BEAUTES

38 - 45

SEPT CHOSES A SAVOIR SUR VETEMENTS

46 - 51

ANN D’ANVERS

52 - 55

JONATHAN ANDERSON

56 - 59

ROME, RUPTURE URBAINE

60 - 71

VULNICURA

72 - 73

VIVIANE SASSEN

74 - 77

MOMMY

78 - 79

MOTHER RUSSIA

80 - 87

TILDA

88 - 89

ETE 2015

90 - 107

SCULPTURAL

108 - 121

NOIR KEI NINOMIYA

122 - 123

KIDS

124 - 137

LA MODE DES MOUVEMENTS CONTESTATAIRES

138 - 143

YY

144 - 155

LE GENIE DE CLAUDE CAHUN

156 - 161

HOMMAGE A RAY

162 - 171

THE WALL

172 - 181

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UNE MODE SANS GENRE EST-ELLE POSSIBLE? l’idée de l’unisex dans la mode n’est pas nouvelle, non plus n’est celle d’hommes et de

femmes se réappropriant les codes classiques du sexe opposé. pensons d’abord à david bowie qui, au début des années 70, emprunte aux femmes parures et accessoires divers jusqu’à se faire photographier en robe sur la pochette d’un de ses disques. il marque là le début de l’androgynie dans le mainstream.

photographie HARLEY WEIR

Aujourd’hui la question est devenue toute autre, puisque l’androgynie est entrée dans les moeurs des sociétés occidentales et est une véritable mode qui ne s’essouffle jamais, elle est une constante des collections. Son idée première de poser un questionnement sur l’état de soi et sur l’idée que notre sexe définit qui nous sommes est aujourd’hui moins radicale peut-être. La question serait de savoir alors que vient ensuite ? Et bien il est temps de lancer un autre débat, celui d’effacer les termes réducteurs qui veulent donner un genre aux vêtements et d’aller vers de réelles propositions de vêtements unisex, genderless, dont les coupes seraient adaptées aux besoins et aux morphologies des hommes comme des femmes. L’unisex est en passe de devenir une réalité commerciale durable. Cela commence déjà par le fait que les créateurs aujourd’hui aiment faire défiler des mannequins des deux sexes dans les mêmes vêtements. Alors c’est vrai cela ne concerne qu’une élite, mais il faut bien que ça parte de quelque part. L’idée est de proposer des vêtements aux coupes moins masculines ou moins féminines, de laisser place à plus de neutralité et de moins de connotation mais en gardant en tête que le vêtement n’a pas de genre. Alors des robes pour homme ? Et bien oui, il faut simplement les créer en connaissance de la morphologie et des attentes du consommateur. Parce que c’est le mot plus que le vêtement lui-même qui dérange. Il suffit de voir les t-shirt ultra-longs qui sont un symbole de virilité pour beaucoup, alors qu’à y regarder, ils ressemblent tout de même de près à une robe courte. Rad Hourani a été pionnier dans cette utopie de créer des vêtements unisex. Il lance en 2007 sa maison de haute-couture avec l’idée de faire les mêmes pièces pour les hommes et pour les femmes. «Nous vivons dans un monde rempli de technologie dans lequel nous pouvons être à n’importe quel endroit n’importe quand, et cela nous a fait comprendre que les barrières entre les pays, les races et les genres sont dans nos têtes. Aujourd’hui, et plus que jamais, nous réalisons à quel point ces barrières peuvent être violentes» dit-il. C’est donc pour faire tomber ces barrières qu’il a étudié l’anatomie pour comprendre et réussir au mieux à couper les vêtements pour qu’ils aillent à tous. Il est arrivé à faire des vêtements aux coupes droites, aux formes longues et ajustées qui tombent sur chacun parfaitement.

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A New York actuellement se concentre une base de jeunes créateurs prêts à changer les choses et à imposer leur idée de la mode. On peut citer Vejas, Eckhaus Latta ou Telfar entre autres, et tous proposent des vêtements taillés pour les deux sexes. Et en plus de cela, ils font tous un travail merveilleux sur la diversité des castings. On peut également penser à la toute jeune marque parisienne Vêtements qui elle aussi partage cette vision de la mode. Cependant il reste encore beaucoup à faire, car on note facilement que ce principe de partager la garde-robe va toujours plus dans un sens que dans l’autre. La femme va emprunter des pièces du vestiaire masculin alors que l’inverse se produit bien moins. Et la raison est simple : il n’est pas socialement acceptable pour l’homme d’être féminin. La société patriarcale a fait qu’il doit être viril, ne doit pas être sensible, on lui a appris à «être un garçon, un vrai» et il faut que ça change, et au plus vite. L’homme doit apprendre à se libérer, à s’assumer pleinement. Les féministes ont déjà commencé le travail, mais il y a encore du boulot, beaucoup même. Alors ne perdons pas espoir et continuons de croire que cet avenir d’une mode unisex n’est peut-être pas qu’une utopie !

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LA

REVOLUTION #T R A N S

cette saison à new york une communauté de designers et de mannequins ont lancé la révolution trans, et comprenez que ce n’est pas qu’une tendance.

photographie ETHAN GREEN

«Les trans vont se lever et demander leurs dus, leurs moments et leur argent !» disait la mannequin et actrice trans Hari Nef fin 2014. Et à en juger par la dernière fashion week de New York elle avait vu juste et ses prédictions sont devenues réalité. Avec plusieurs trans qui ont marché à nombre de défilés et présentations, il y a eu comme un sentiment de révolution, celle d’un groupe de personnes qui a enfin demandé à être visible dans une industrie qui l’a ignoré depuis trop longtemps. Parce qu’à part Lea T, on a vu peu de mannequins trans fouler les podiums. Et Nef le dit, «Nous sommes bien trop forts, beaux et intelligents pour rester cachés.» Vejas, Eckhaus Latta, Telfar, 69 Worldwide, telles sont quelques uns des noms qui font partie de cette nouvelle génération de créateurs qui sont le futur de la mode à New York, ils se démarquent dans un agenda bien souvent guidé par le commercial. Pour le collectif AW15, cette saison le genre était au centre de la présentation avec les muses transgenres Isis King, Gisele Xtravaganza, Hari Nef, Julia Huxtable et Mz DeSe Bae Escobar au casting du défilé. Une fois de plus il fallait représenter cette communauté. Après presque chaque défilé justement on pouvait entendre les termes «famille», «communauté», «soeurs» dans la bouche des modèles et des créateurs. «Je me sens immensément supporté par la communauté» confiait Julia Haxtable au magazine Dazed, «Les trans ont été au centre de la scène New Yorkaise, en art comme en mode, depuis aussi longtemps que celles-ci existent. Il faut maintenant que cette réalité soit représentée sur les podiums de la ville.» Ce qui s’est passé durant la fashion week est la logique continuité de 2014, avec Barney’s et sa campagne de pub au casting transgenre, la célébration de Laverne Cox et de sa couverture du TIME, et enfin le top Andreja Pejic qui a annoncé publiquement être transgenre, après avoir été connue comme «le plus beau garçon du monde». De plus, et ce depuis plusieurs années, il semble y a voir chez les créateurs un réel besoin de questionner sur le genre et la sexualité qui sont deux des enjeux les plus importants de ce siècle. Car si la mode a expérimenté maintes fois l’idée de créer une personne sans genre et de remettre en cause le dimorphisme sexuel sur lequel est basé le vêtement occidental, on peut néanmoins affirmer que jamais les vestiaires masculins et féminins n’ont réellement fusionné. Cependant la mode a grandement participé à modifier les mouvements sociaux et les moeurs. Elle a joué un rôle majeur dans la redéfinition des genres et des identités sexuelles. Malgré cela il faut bien comprendre que caster une fille trans pour caster une fille trans n’a pas de sens, mais la prendre pour que la mode soit enfin une représentation plus réelle de la société contemporaine, voilà le message.

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LA MODE DU PRINTEMPS-ETE 2015 ou comment répondre à des enjeux sociaux et environnementaux à travers les tendances.

photographie ROBI RODRIGUEZ

La mode telle que nous la connaissons aujourd’hui est un reflet constant de la société et de ses grands questionnements dont elle s’inspire. Elle n’est plus, et ce depuis longtemps, qu’un artisanat qui habit les élites, la mode est dans la rue, dans la conscience générale, elle nous entoure sans cesse. Les créateurs présentent leurs collections au minimum deux fois par an, en févriermars pour les collections hiver, et en septembre-octobre pour celles d’été, à quoi s’ajoutent deux collections haute-couture pour certains en janvier et juin, et enfin des collections inter-saisons présentées logiquement avant la saison principale. Et c’est sans compter l’homme. Bref, beaucoup de collections, en peu de temps, ça laisse peu de temps à l’innovation. Dans ce qui devrait être un renouvellement constant tant la demande est toujours plus importante, les créateurs, en plus de leur intuition, font appel à des bureaux de tendances, qui vont leur donner leurs prévisions, et ce grâce à des études extrêmement poussées et sérieuses, sur ce dont le public va avoir envie pour la saison à venir. Et pour le printemps-été 2015, parmi toutes les tendances, les plus marquantes ont d’abord été le retour triomphant des années 70 qu’on a pu voir chez environ tout le monde, et la continuité du «zen chic», japonisant, naturel et sobre qu’on retrouve depuis quelques saisons déjà. Alors comment se fait-il que deux tendances si opposées soient si majeures ? Et bien c’est parce qu’elles sont les reflets d’aujourd’hui et de ce qu’il se passe dans le monde contemporain. On peut dire que chaque saison ou presque marque le «grand retour» d’une décennie passée. Depuis environ deux-trois ans ce sont les années 90 qui sont au centre de toutes les réinterprétations et fantasmes et particulièrement chez les jeunes. On a revu la grande renaissance des soirées techno, des raves, et Berlin et ses clubs n’a jamais été aussi idolâtrée et fréquentée, les jeunes cherchent à revivre toute la culture club de ces années. Par conséquent la mode a suivi ce mouvement et c’est le retour de la grosse compensée, du bomber, des tresses, des lèvres foncées, du ras-du-cou et du crop top. Les années 90 marquent également un profond sentiment de vide chez la jeunesse, et ce vide la jeunesse d’aujourd’hui le connait mais il est en train de se transformer en sentiment de révolte et de vouloir changer les choses. Alors même si les années 90 ne sont pas prêtes de s’essouffler, c’est là que les années 70 arrivent. On répond en cherchant des réponses dans le passé. Ces années, dans l’esprit commun, sont celles de grandes révolutions sociales, d’enjeux féministes et sexuels dans une société patriarcale qui voulait les étouffer. Et aujourd’hui c’est exactement ce qui est entrain de se passer. Les bouleversements sociaux que nous traversons actuellement ne sont presque qu’un renouvellement de ceux connus dans le passé, ceux pourtant contre lesquels on s’est déjà battus et qu’on pensait dernière nous. Le monde est entrain de vivre un retour en arrière très inquiétant avec la montée partout de mouvements fondamentalistes et extrémistes qui veulent revenir sur les libertés et les évolutions

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sociales durement acquises. Partout on voit des poussées violentes d’intolérance, de racisme, de sexisme, d’anti-féminisme, d’homophobie et de transphobie, les minorités sont plus que jamais à nouveau persécutées et la réponse logique de la jeunesse, d’une jeunesse dirons-nous plutôt, va être de s’inspirer des actes de révolutions de leurs ainés des années 70. Et puisque la mode elle aussi est un perpétuel recommencement et renouvellement qui répond aux enjeux sociaux, les créateurs y répondent à leur manière et à leur niveau, en proposant des réinterprétations de pièces emblématiques des années 70, allant même parfois jusqu’à, comme Karl Lagerfeld chez Chanel, proposer pour clôture de son défilé une manifestation (quelque peu mise en scène et pleine d’erreurs (le sigle Mercedes au lieu du fameux Peace and Love)), avec panneaux et slogans féministes. C’est donc sur la liberté, le kitsch pop et la légèreté que les créateurs se sont principalement concentrés et on retrouve par conséquent chez Louis Vuitton, Saint Laurent, Chloé, Roberto Cavalli, Gucci, Emilio Pucci, pour ne citer que, de longues robes fluides à franges, de longs cheveux ondulés, du daim, des robes courtes liberty, beaucoup de cuir, des boots à talons, du latex, des fleurs, des costumes, des pantalons pattes d’eph, du denim et toute l’esthétique des 70s. Parallèlement, l’autre tendance majeure du printemps-été 2015 a été ce qu’on peut appeler le «zen chic», avec ses pièces phares qui vont du kimono, du pantalon ultra large, de l’oversized, à la sandale plate, le tout dans des tons très neutres et naturels. Cette macro-tendance n’est pas nouvelle, on la retrouve maintenant depuis quelque temps avec comme chef de file Phoebe Philo chez Céline et Stella McCartney qui depuis ses débuts n’utilise que des matières respectueuses et bannit le cuir et la fourrure de ses collections. Un petit peu comme l’énorme tendance (qui commence à s’essouffler) du «sporty chic» qui elle propose une mode plus confortable et nettement plus inspirée de la rue, le zen répond quant à lui à un tout autre questionnement, celui de la planète et de notre environnement. Il se veut sobre, sans superflu et durable. Ses adeptes prônent un mode de vie sain, toujours dans le but de protéger ce qui nous entoure. On peut également noter un relativement profond sentiment de nostalgie, dire que c’était mieux avant, quand la technologie et le besoin de toujours produire plus n’étaient pas aussi forts. Il y a aussi nostalgie de revenir à la terre, au «vrai», au brut, l’envie de cultiver sa terre, d’acheter bio, de faire du sport et de prendre soin de soi et de son corps. Il y a dans cette tendance aussi quelque chose de presque religieux, monastique. Les coupes sont droites, épurées, anguleuses parfois, sans aucun superflu. Outre chez Céline et Stella McCartney, on peut retrouver cette tendance chez Marni, The Row, Haider Ackermann ou encore Calvin Klein.

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QU’EST-CE QUE LE LUXE E N 2015? comment définir le luxe au 21ème siècle ? est-ce toujours une robe gucci et des diamants à

la main ? la mode aujourd’hui n’est plus simplement qu’un fantasme fait de rêves et d’excès. avec ce changement viennent de nouvelles définitions du luxe qui répondent à d’autres demandes, d’autres enjeux. alors sommes-nous toujours aussi attirés par le matériel ?

photographie ETHAN ASSOULINE pour WALTER VAN BEIRENDONCK

L’industrie de la mode est synonyme de luxe, et elle l’a toujours été. Elle représente à elle seule des milliards d’euros et des milliers d’emplois. La mode c’est aussi un savoir-faire qui se perpétue depuis des générations et qui continue de briller dans le monde. Mais il semble qu’aujourd’hui les créateurs essayent, à leur niveau, de politiser leur mode, et c’est peut-être là le vrai luxe. Politique et mode ne semblent pourtant au premier abord ne pas aller de paire. En effet, la mode est le contraire de la politique, elle est vaine, son rôle premier reste, en plus d’habiller les gens bien sûr, de les faire rêver, d’être un miroir de ce qui se fait de mieux. Mais comment continuer à rêver de robes haute-couture aux prix «sur demande» quand le monde traverse une telle crise ? Il est temps pour les créateurs de se réveiller et de faire face aux problèmes de ce monde, ou du moins de commencer par ceux de l’industrie qui emploie à des salaires de misère partout sur la planète. Avoir sa place dans l’industrie du luxe veut aussi dire avoir des responsabilités tant la visibilité est importante. Pour un créateur, le podium est une plateforme grâce à laquelle il transporte l’audience vers l’histoire qui se cache derrière les vêtements. Mais aussi magique et belle soit la mode, c’est véritablement le concept le plus captivant. Pour le meilleur, ou le pire, l’ère de l’Internet a tué l’exclusivité des défilés de mode. Tout le monde a accès, en direct, aux shows. Il n’a jamais été plus facile de faire entendre sa voix à travers sa mode. Pionnière du genre révolutionnaire de la mode, Vivienne Westwood a, et ce depuis les années 70 quand elle définit le style punk, utilisé ses créations comme engagements politiques. Pour son défilé Red Label automne-hiver 2015, nommé Vote Green, Westwood appelle à voter Green en faisant porter aux mannequins des badges du parti anglais. Elle n’est pas la seule dans cette mouvance, avec elle Rick Owens, Meadham Kirchhoff et Welter Van Beirendonck ont tous passé un message politique et social durant leurs dernières présentations. S’engager en politique est à ce jour crucial, il est temps de faire arriver ce changement dont on ne cesse de parler. Ceux qui n’y croient plus diront que leurs votes ne feront aucune différence, mais c’est faux. Il y a tant à changer et se battre pour; la culture jeune, l’éducation gratuite, l’égalité entre les classes, les races et les genres, la protection de la vie nocturne, et la liste s’allonge. Aujourd’hui ces enjeux sont le réel luxe de 2015 et

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du future. Il faut se rappeler que le droit de vote lui-même est un luxe. Qu’il nous a été donné la chance de pouvoir définir notre future en politique et que le temps est venu de faire entendre notre voix. S’affirmer politiquement dans une collection est une chose, mais l’industrie de la mode et du luxe se repose beaucoup trop sur l’exploitation. N’est-il pas possible de faire travailler ceux qui fabriquent nos vêtements dans de meilleures conditions ? Les sommes générées sont immenses, ce n’est pas utopique de demander ce changement. Il y a tellement plus au luxe qu’une robe de designer à 5000 euros. Il y a faire entendre sa voix, se lever pour pour ce en quoi l’on croit et avoir le droit de faire des choix. Alors faîtes le bon.

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BEAUTES

photographie NOLWENN LE FLANCHEC


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A N N D ’AN V E R S c’est par une lettre manuscrite envoyée par mail à la presseque la créatrice belge ann

deulemeester avait annoncé, en novembre dernier, qu’elle quittait sa maison éponyme et se retirait du monde de la mode. elle publie aujourd’hui chez la prestigieuse maison d’édition rizzoli un magnifique livre qui retrace sa carrière. portrait d’une femme poète, romantique et rebelle.

photographie PATRICK ROBYN

«Je me sens heureuse et comblée, prête à créer de nouveaux challenges» écrivait Demeulemeester en Novembre dernier. Son premier challenge a donc été la publication d’un livre qui retrace tout son parcours, de ses débuts tout juste diplômée en 1982 à 2013, année où elle se retire. Elle l’a réalisé avec l’aide de son mari, le photographe Patrick Robyn et de leur fils Victor. Patti Smith, son amie de longue date, en signe la préface, sincère et émouvante. Ce livre est le premier qui retrace tout le travail et le processus de la créatrice et elle le voulait personnel. Il est à l’image de son travail, sombre, élégant, poétique et mystérieux. Quand elle a annoncé son départ il y a de cela un an, la nouvelle avait ému mais n’avait causé aucun remous. Comme tout dans la vie et dans la carrière d’Ann, ce départ n’avait rien à voir avec le business, mais avec des sentiments, et tout le monde le savait. Ann avait beaucoup d’admirateurs, des amoureux de son travail et de sa ligne de conduite. Alors si son départ avait pu surprendre, il a plus été senti comme un retirement, comme celui d’une reine qui s’en va. L’univers qu’elle a crée était fait de poésie, de rêves et de romance sombre et elle laisse derrière elle des années de beauté. Ann Demeulemeester est née en Belgique, au coeur de la campagne flamande, en 1959. C’est en étudiant l’art pendant trois ans qu’elle comprend qu’elle veut faire de la mode son métier. En peignant des portraits, elle se posait toujours les mêmes questions : «Pourquoi ces gens portent-ils ce qu’ils portent ? Qu’est-ce qu’ils portent ?». Cependant elle n’a jamais été intéressée par la mode, ne la connaissait pas. Mais cette idée des vêtements l’obsédait. En 1978 elle se retrouve à étudier à la désormais prestigieuse Académie royale d’Anvers avec comme camarades de classe Dries Van Noten, Walter van Beirendonck, Dirk Bikkembergs, Dirk van Saene et Marine Yee. Durant ses années d’études le punk était à son apogée et Demeleumeester le dit aujourd’hui, c’est ce mouvement qui leur a donné la force de se rebeller contre le système scolaire de l’Académie qui à l’époque était très traditionnel. On leur apprenait plus le travail de Coco Chanel et Christian Dior que l’anarchie et la rébellion. Elle sort diplômée de l’Académie en 1981, la même année de la première collection de Rei Kawakubo présentée à Paris. En 1986, avec ses camarades, elle loue un bus pour se rendre à Londres présenter leurs collections d’automne à la fashion week. La capitale britannique a été un véritable choc. Tout était à l’opposé de sa Belgique natale. C’est la culture underground et punk qui y était omniprésente, les gens étaient qui ils étaient, une nouvelle liberté à ses yeux.

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Les créations qu’ils ont présenté ont surpris la presse anglaise spécialisée tant elles étaient nouvelles et avant-gardistes. On les nomme «les six d’Anvers». Bien que leurs esthétiques personnelles soient très différentes, ils partageaient tous, et ce grâce à leur éducation, la rigueur et le soin du détail. Le groupe était né. Les six d’Anvers deviennent alors les nouveaux avant-gardistes, une décennie après celle des créateurs japonais comme Rei Kawakubo ou Yohji Yamamoto. Au premier abord d’une extrême simplicité, les créations de Demeulemeester cachent en réalité une infinie complexité. Connue pour tailler les pantalons comme personne, faire des vestes de costume d’une élégance rare dans des matières non conventionnelles, des pulls trop larges qui laissent découvrir les épaules quand on bouge, ses pièces tombent sur la femme comme un liquide. Il y a dans ses créations une recherche et un processus de travail uniques, tout est dans le détail et dans les tombés. Le tissu bouge avec le corps et cela crée une poésie sublime. La force de Demeulemeester a été de créer des vêtements certes avant-gardistes dans leur construction, mais surtout portables. Elle s’est faite connaitre pour ses jupes et ses manteaux longs inspirés du gothique, ses robes drapées et leurs détails toujours plus délicats. Demeulemeester c’était la rencontre entre la force du punk et l’élégance d’un romantisme sombre, et quelle rencontre magique et intelligente ! «Le noir n’est pas triste. Ce sont les couleurs vives qui me dépriment. Elles sont si... vides. Comment imaginez-vous un poète ? Dans une veste jaune pétant ? Probablement pas...» a-t-elle dit à propos du noir. Il a une place centrale dans son travail, mais elle a toujours su le détourner et le renouveler grâce à l’utilisation de matières surprenantes comme la toile de peintre, du nylon pour parachutes, du cuir poli, du denim blanchi ou encore du daim souple. Si certains critiques ont pu considérer son travail comme parfois redondant, c’est bien là sa force. Elle n’a jamais suivi les tendances et a sans cesse gardé la même ligne de conduite, les mêmes inspirations et c’est peut-être dans ces choix que l’on reconnait l’artiste plus que la créatrice de mode. Ses vêtements étaient les siens, elle les faisait par ce qu’elle les aimait et non pour les vendre. Sa première boutique ouvre en 1999 à Anvers, chez elle, et non dans une «fashion city» pour l’avoir proche de sa maison, qu’elle puisse s’y rendre autant que possible. Cette boutique est une continuation de ses collections, elle est intime et reflète les matières et les drapés de ses créations. Tout du long de sa carrière Ann Demeulemeester a su rester fidèle à qui elle était, gardant le contrôle total de sa compagnie et en restant indépendante aux tendances. En créant des vêtements intelligents elle a contribué à la réputation de la mode belge et a influencé le travail de nombreux créateurs comme Rick Owens ou Gareth Pugh, pour ne citer que. Une grande dame !

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JONATHAN ANDERSON déjà à la tête de sa propre marque, le créateur irlandais de 30 ans, petit prince de la mode, vient de présenter sa première collection pour la célèbre maison espagnole loewe. retour sur le parcours du nouveau poulain du luxe.

photographie DAVID SIMS

Jonathan Anderson c’est le nouveau chouchou de la mode, la nouvelle star des rédactrices et des acheteurs. Il a 30 ans, une jolie gueule et de l’ambition. Tout le monde parle de lui en bien, on le décrit comme drôle, sympathique mais surtout brillant. Sa mode il la veut sans genre, sans étiquettes. Celui qui se destinait à devenir acteur est aujourd’hui le nouveau visage du genderless, et non pas de l’androgyne, ça ne veut rien dire pour lui. Une personne est une personne après tout, alors pourquoi ne pas se considérer comme telle et mettre ce dont on a envie ? Et puis ça intrigue, ça fait parler et il l’a bien compris. Anderson est un businessman, et, peut-être sans le savoir, ses créations sont le reflet d’un des enjeux majeurs de ce siècle, celui du genre et de l’identité. La mode a changé, elle n’est plus seulement une simple affaire d’habits, elle doit susciter de l’émotion, de l’envie, du questionnement. On veut entendre une histoire quand on entre dans une boutique de luxe, que l’identité d’une marque soit forte et lisible. Dans le jargon on appelle ça du branding et Anderson y excelle. D’ailleurs il ne se considère pas designer mais «directeur de la création». Et c’est grâce à cela que Pierre- Yves Roussel, le président-directeur général du LVMH Fashion Group a décidé de le recruter chez Loewe (avec Delphine Arnault). Les deux louent «sa capacité à faire fonctionner un environnement créatif pour une marque». Le groupe, premier groupe de luxe mondial, a également racheté 46% de J.W. Anderson (le «W» est pour William, son deuxième prénom). Né en 1984 dans une petite ville d’Irlande du Nord, Jonathan Anderson se retrouve dans une école d’art dramatique à Washington aux Etats-Unis pour devenir acteur. Une idée qu’il abandonne après deux ans et rentre à la maison. Pour pouvoir rembourser ses parents il commence à travailler dans un grand magasin de Dublin dans la concession Prada du département homme. Il dit que c’est de là qu’est venue son obsession pour la mode. Il a ensuite tenté se s’inscrire dans différentes écoles de mode à Londres mais son dossier a été rejeté partout sauf au Royal College of Fashion, pour un cours de mode masculine. Au bout de six mois il retravaille chez Prada où il fait sans doute la rencontre décisive de sa carrière, celle avec Manuela Pavesi, une des stylistes de la marque. Elle lui offre un emploi et, passant beaucoup de temps avec elle il comprend que les études ne sont pas faites pour lui. A la fin de son cursus il commence à faire quelques accessoires, des bijoux et c’est de là que tout est parti. Mais il ne faut pas se fier aux airs quelque peu accidentels de son histoire. Anderson est un jeune homme qui sait où il va, il est déterminé. Pour preuve, il fonde sa marque, J.W. Anderson, à 24 ans seulement, en 2008. Il commence par la mode masculine, ce qu’il a appris et connait. La femme suivra

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en 2011. Il est alors l’un de ces nouveaux créateurs qui font exploser la discipline en proposant une mode nouvelle aux coupes innovantes. Mais malgré cette étiquette avant- gardiste, Anderson a su sortir son épingle du jeu grâce à un concept sans faille. Si les looks présentés lors de ses défilés peuvent être considérés comme importables hormis pour quelques bloggers en mal d’être photographiés lors de la fashion week et les rédacteurs de mode, les pièces, elles, sont portables. Et c’est là qu’est toute l’intelligence du jeune homme, il a su très rapidement créer l’ADN de sa marque et fidéliser des clients qui ne sont pas que des férus de mode. Pour résumer, Anderson représente une nouvelle ère de designer, aussi bien chef d’entreprise que créateur. Il ne faut pourtant pas croire qu’il s’est fait tout seul. En partie oui, mais pas tout seul. Il a dès ses débuts su attirer l’oeil du British Fashion Council (BFC), la chambre syndicale anglaise, qui fait énormément pour aider les jeunes designers, de Kate Phelan qui fut un temps directrice de la création chez Topshop et lui commande une collection capsule qui a eu un tel succès qu’il a fallu en reprendre la production 2 jours seulement après son lancement ; et de Donatella Versace, qui lui demande de collaborer avec elle sur Versus, la ligne bis de Versace.

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Pour sa première campagne Loewe, l’Irlandais a repris des images de Steven Meisel publiées dans les années 80 dans Vogue Italia, ou des chaises conçues dans les années 50 par l’architecte espagnol Javier Carvajal pour la marque. Anderson est un as de l’appropriation. Cette campagne, ce teaser plutôt, on l’a vu partout dans Paris, à tous les arrêts de bus et dans le métro. Un coup de maitre. Son premier défilé pour la marque espagnole qui a lieu en septembre à Paris était le plus attendu de la dernière fashion week, et il n’a pas déçu. On a reconnu l’esthétique déconstruite, minimale et genderless du jeune créateur mais comme atténuée, moins littérale peut-être. En tout cas pour un premier défilé pour la marque ce fut un succès, et quelle hâte on a d’en voir la suite !

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SEPT CHOSES A SAVOIR SUR VETEMENTS

crée en 2012 par huit designers, le collectif vetements est l’une des

marques les plus prometteuses du moment. s i l e n c e vous dit sept choses essentielles à savoir sur eux.

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#1 La plupart des membres de VETEMENTS viennent de Maison Margiela. La créatrice principale de la marque, ainsi que six autres membres ont d’abord officié chez Margiela, du temps où Martin était là. Et c’est sans doute de là que vient leur goût pour la déconstruction, le jeu sur les proportions, la coupe et le détail. #2 VETEMENTS et ses membres ont décidé de rester anonymes. Cependant ils n’ont pas la même approche de l’anonymat que Martin Margiela a eu. La leur est beaucoup plus décontractée, «Nous restons anonymes car nous sommes un collectif, nous ne voulons absolument pas cacher nos personnalités, mais plutôt ne mettre que notre travail en avant.». #3 VETEMENTS est une attitude, un univers et pas une esthétique. Le collectif propose bien plus qu’une représentation visuelle d’idées, c’est l’attitude de la femme VETEMENTS qui unit la marque; «donner à la personne qui porte nos pièces une attitude, qu’elles la construise.». #4 La femme VETEMENTS est cool. Elle a «un esprit jeune, une curiosité, elle est assez nonchalante mais toujours ouverte... En général, toutes les filles que nous utilisons dans nos shows ont un style fort, marqué qui leur est propre et surtout une attitude. Elles représentent toutes l’idée que nous avons de VETEMENTS.» #5 VETEMENTS fait ses castings sur Facebook et au sein des amis de ses membres. Le casting des défilés du collectif est toujours composé d’amis proches et de collaborateurs de la marque comme la styliste Lotta Volkova Adam ou encore la photographe Harley Weir; «la plupart de nos mannequins sont nos amis, des gens avec qui nous passons du temps en dehors de nos heures de travail. Mais avant chaque présentation nous allons dans différentes soirées à Paris pour y trouver des filles. Facebook est aussi une bonne source pour trouver ce que nous cherchons.». #6 VETEMENTS est inspiré par la vie et la jeunesse. Plutôt que de choisir des références culturelles très spécifiques pour leurs inspirations, VETEMENTS affirme que «le plus important pour nous est la réalité de la vie et de la jeunesse autour de nous», célébrant ainsi la jeune culture club parisienne. #7 VETEMENTS concourt pour le prix LVMH. La marque est l’une des 26 sélectionnées pour le prix LVMH 2015 aux côtés de Jacquemus, Marques’Almeida ou encore Ryan Lo.

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ROME

RUPTURE URBAINE

photographie LAURA BARRAU


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VULNICURA

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pour son neuvième album studio, la chanteuse islandaise björk nous parle de

ruptures, de coeurs brisés et d’amour avec une poésie et une intensité qu’elle n’a peut-être elle-même jamais atteintes. vulnicura est un chef-d’oeuvre intimiste et bouleversant.

A l’annonce de la sortie de Vulnicura, Björk le présentait comme un disque de rupture, assez simple. Disque de rupture, il l’est. En effet, elle l’écrit et le compose après sa douloureuse séparation avec l’artiste contemporain Matthew Barney, son compagnon de longue date. Simple, il ne l’est pas. Ca ne l’est jamais avec Björk. Ou peut-être il l’est si on le compare à son précédent opus Biophilia (2011) qui lui explorait une instrumentation parfois hypertrophiée et lourde, laissant l’auditeur dans l’incompréhension. Mais non, simple il ne l’est pas. Dès les premières notes l’album s’ouvre vers l’inconnu, vers une émotion et une tempête de fragilité. Cet album c’est celui du nouveau chef-d’oeuvre de Björk qu’on attendait depuis longtemps. Il se déroule sur le même registre, des orchestrations inédites de cordes, de musique électronique et d’harmonies vocales étranges. La voix de Björk est unique, belle et profonde, elle erre dans des sortes d’incantations qui nous laisse nous, auditeurs mortels, sans voix. Cet album, contrairement au précédent, est beaucoup moins abstrait. A force de s’essayer à sans cesse de nouveaux concepts, Björk s’était (et c’est avec beaucoup d’humilité que je dis ça) peut-être un peu perdue dans l’abstraction, laissant parfois la musicalité de côté au profit de l’art. Au sein d’une même chanson les arrangements bougent, se transforment et se réinventent. Tout se bouscule et laisse place à de nouvelles émotions. Les émotions justement sont livrées à l’état le plus brut, comme dans Black Lake, probablement le titre le plus bouleversant de l’album. La chanteuse nous y offre l’un de ses plus beaux titres jamais composés. Il prend aux tripes, littéralement.

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VIVIANE SASSEN

la photographe hollandaise retourne aux origines et aux basiques de la photographie dans sa nouvelle exposition au ica (institute of contemporary arts) sur les descendants des esclaves échappés de la forêt surinamienne.

La nouvelle exposition de Viviane Sassen au ICA, dont le sujet est le village de Pikin Slee au Surinam, diffère drastiquement de son travail habituel. Vivianne Sassen, qui a grandi au Kenya, est connue pour son utilisation de la couleur et son incroyable habilité à transformer les corps en quelque chose venu d’ailleurs, comme figée dans le mouvement. Mais cette dernière série, qui forme une thématique avec ses précédents ouvrages de photographie Flamboya et Parasomnia, est un retour à une photographie plus classique, plus brute peut-être, principalement en noir et blanc. Pour ce nouveau projet elle s’est intéressée à la vie de la tribu du village de Pikin Slee. Un sujet particulièrement intéressant puisque il est peuplé uniquement de descendants d’anciens esclaves qui ont réussi à s’échapper, qui ont élu domicile dans la forêt, formant des colonie complètement isolées et séparées des indigènes et des populations colonisées. Cette isolation a été pour elle une des épreuves les plus dures à traverser. Là-bas il n’y pas de route, pas d’infrastructure, pas d’électricité ni de voiture. Il faut trois jours en canoë pour s’y rendre. Le travail de Viviane Sassen est tout à fait unique, que ce soit en mode ou en photographie d’art. Sa photographie est souvent décrite comme abstraite et s’inscrit parfois presque dans la sculpture. Ce nouveau projet est le premier qu’elle réalise presque entièrement en noir et blanc, et pourtant son art ne perd en rien de sa saveur et de son originalité. Il est même plus poétique dans un sens. Il y a tout un travail sur la beauté du détail et des choses de tous les jours. Les objets banals qu’elle photographie, elle arrive toujours à leur donner ce côté très sculptural, presque chaotique. Elle le dit, c’est un travail très intuitif, sans recherche préalable ni référence, le but étant simplement de regarder le monde autour d’elle avec une vision très ouverte, presque comme un enfant. Et c’est aussi cette particularité dans la vision qui enlève à ce projet tout engagement ou connotation politique. Cependant, Sassen a une approche très formelle des choses qu’elle photographie, elle essaye de leur donner une sorte d’âme, de créer un lien entre le physique et le spirituel. Selon ses mots, son travail est souvent incompris. Les gens ont beaucoup d’aprioris sur les autres cultures qu’elle photographie. Mais elle espère qu’en regardant ses images ils y verront un peu d’eux-mêmes, que l’image soit comme un miroir.

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MOMMY

pour son cinquième film, l’enfant terrible du cinéma, le réalisateur québécois de 25 ans à

peine xavier dolan livre une fois encore une oeuvre monumentale, époustouflante, sa plus aboutie sans doute. prix du jury au festival de cannes 2014, mommy est un véritable chefd’oeuvre, un film qui marque. rien de moins.

photographie BENJAMIN ALEXANDER HUSEBY 78


Cinq ans et cinq films, c’est à se demander si Xavier Dolan n’est pas une machine. Mais la différence entre une machine et le réalisateur est qu’il ne cesse de surprendre et de fasciner. Déjà pour son premier film, J’ai tué ma mère, il avait encensé la critique par sa maturité et la justesse avec laquelle il peignait ses personnages. Cinq ans et cinq films, et déjà un style qui évolue, qui s’affirme et s’affine. Cinq films et une proximité dans leurs thèmes, celle de personnages en quête de liberté, de révolte et forts en gueule dans une société qui les marginalise. Cinq films et déjà une actrice fétiche, la géniale Anne Dorval, avec qui il a collaboré sur tous ses longs métrages à l’exception de Tom à la ferme. Mais avec Mommy on a le sentiment qu’un chapitre se clôt, que Dolan laisse l’autobiographie derrière lui pour nous offrir de la fiction. Et quelle fiction ! Dans J’ai tué ma mère, son premier long métrage réalisé à 19 ans, Dolan incarnait le rôle d’un fils en guerre contre sa mère (Anne Dorval), un film violent dans lequel il racontait son histoire, sa relation avec sa propre mère, sa quête d’identité sexuelle et artistique. La relation mère-fils est également le thème de sa dernière oeuvre mais elle est traitée tout à fait différemment. Il venge sa mère boulet haïe qui fait place à la mère héroïque. Dolan aime parler de la femme, mais de la mère surtout, elle est pour lui un puits sans fond de possibilités : «je n’aurai jamais fini de parler d’elle» ditil. Il défend les femmes grâce à des rôles forts, audacieux et courageux. En quête de positionnement dans la société par rapport à leur place, elles sont portées avec une certaine dignité, une compassion. Mommy se déroule dans un futur proche, dans un Québec fictif dans lequel Diane «Die» Despres (Anne Dorval), une veuve mono-parentale, sorte de femme-adolescente un peu attardée à l’injure facile se voit être rendue la garde de son fils. Son fils s’appelle Steve (Antoine-Olivier Pilon), il est un ado hyperactif de 15 ans sorti d’un centre psychiatrique, un gosse ultraviolent impossible à maitriser mais qui quand calmé devient ce gentil garçon au charme fou. S’ajoute à ce couple électrique une énigmatique voisine, Kyla (Suzanne Clément), qui a un profond désir de réparer cette famille mais un profond besoin d’être réparée. Le façon dont Dolan peint le milieu social dans lequel les protagonistes évoluent est prodigieux et d’une justesse sans nom. Il ne les porte jamais sur un piédestal ni ne les méprise. On les regarde dans les yeux, on les respecte, les aime, on s’attache à eux. Mommy n’est pas un film misérabiliste est c’est là une de ces grandes forces. Des personnages forts donc, toute en texture et en aspérité qui ne perdent jamais leur complexité, incarnés par un casting parfait. La performance des acteurs est hallucinante. Le jeu d’Anne Dorval est génial, elle incarne cette mère perdue avec brio. A couper le souffle ! Le choix inattendu de filmer tout cela en format 1.1, soit une image d’un carré parfait est plus que judicieux. C’est le format du portrait, et comment mieux mettre en valeur les comédiens que dans ce format qui élimine le superflu autour de leurs visages ? Visuellement l’ensemble est sublime, travaillé, rien n’ai laissé de côté. On sait Dolan perfectionniste et ambitieux, il a ici dépassé son art. Drôle, envoûtant, fort, violent, Mommy prend aux tripes. Il carbure à l’amour et refuse le cynisme. Il fait peur parfois, il nous angoisse, on se sent comme dans une impasse de laquelle on veut que les protagonistes sortent. C’est un grand huit d’émotions, un film optimiste qui abat les murs, mais pessimiste par rapport à la société. Il est d’une noirceur incroyable parfois même et d’une lucidité amère sur la réalité des maladies mentales. Mais malgré ça l’ensemble déborde d’une euphorie contagieuse. Mommy est un film rare, un portrait de femme(s) sublime avec quelque chose de fantastique qui nous emporte. Oui, Mommy est un chef d’oeuvre.

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РОССИЯ-МАТУШКА

la photographe sonya kydeeva travaille sur la jeunesse russe, sur ces jeunes garçons

enfermés dans leurs villes natales pleines de conventions et de restrictions.

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Au début des années 90, alors que le reste du monde connaît des révolutions modes et culturelles chez les jeunes, la Russie, elle, se limitait encore aux portraits de héros socialistes. Les jeunes de ces années ont commencé à être la première génération à essayer de faire les choses complètement différemment de leurs parents. Ils ont commencé à être influencés par la culture pop et rave de l’Ouest. Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, la presse au milieu des années 90 était beaucoup plus libre qu’elle ne l’est actuellement. Elle n’avait que très peu de pressions de la part des autorités et pouvait publier presque ce qu’elle voulait. Les choses changent peu de temps après et au début des années 2000. On fait taire cette toute récente culture jeune, laissant les jeunes russes sans repère et sans identité. Aujourd’hui la Russie voit renaître une nouvelle culture, grandement influencée par la précédente et ses codes. Née à Moscou en 1988, Sonya Kydeeva fait partie de cette nouvelle génération d’artistes qui documentent la Russie d’aujourd’hui. Sa jeunesse à elle s’est passée durant la naissance de la culture jeune russe et de la chute du système soviétique. Cette période est marquée par des changements massifs de l’environnement visuel et culturel. L’accès aux films, aux images et à la musique de l’Ouest y était enfin possible. Nourrie de cela, Kydeeva capture l’essence même de ce qu’est être jeune dans la Russie de Poutine, une Russie en recherche d’une nouvelle identité nationale dans un pays où les libertés personnelles se font de plus en plus rares. Le sujet principal de Kydeeva est les garçons et les jeunes hommes. Elle est leur amie et l’une d’entre eux. Elle les comprend et ainsi réussit à capturer plus que des visages et des corps, mais bien des moments. Dans un pays où l’hypermasculinité et les échos des héros soviétiques restent la norme, elle choisit de montrer une face beaucoup plus fragile de la jeunesse, presque juvénile et innocente. Les garçons qu’elle photographie viennent de la rue, des ghettos, ils sont ceux qui peuplent les villes de Russie. Son travail a donc quelque chose de terriblement vrai, d’authentique, doublé d’une beauté libre et sensuelle.

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TILDA depuis plusieurs décennies, ou siècles sans doute, l’actrice-

performeuse écossaise tilda swinton n’a cessé d’inspirer et de

fasciner, de bousculer les codes de la beauté et du genre pour

devenir aujourd’hui une icône sublime et mystérieuse au dessus de ce monde. portrait d’une femme magnifique.

photographie TIM WALKER

«J’étais une art kid, à deux doigts de m’inscrire dans une école d’art... ce que je regrette toujours aujourd’hui de n’avoir pas fait». Vous lui dîtes actrice, elle vous répondra performeuse. Tilda Swinton est un alien. Son physique androgyne, sa pâleur d’albinos, ses cheveux blonds- blancs, sa jeunesse éternelle, sa maigreur spectrale, son aura, ses gestes de chat siamois, elle est un objet de fascination. Tilda a commencé sa carrière d’actrice à Londres alors que le cinéma anglais était mort, elle traînait avec des marginaux, des étudiants en art et se battait contre le capitalisme. C’est sa rencontre avec Derek Jarman dans les années 1980 qui a tout changé, il l’a fait jouer dans Caravaggio et le succès est immédiat. Tilda devient la nouvelle icône du film d’auteur et n’a jamais cessé de l’être. Tilda Swinton fait partie de ces oiseaux rares qui fascinent et intriguent. Sa beauté n’est pas plus à prouver, elle est aujourd’hui l’une de ce qu’on peut appeler les muses modernes. Elle a une aura, un pouvoir magnétique hors du commun, hors du temps. Tout ce qu’elle touche elle le transforme en or. Pourtant son physique est loin des canons de beauté habituels, elle est maigre, a un visage anguleux, glacial, les cheveux courts et de fines lèvres. Elle n’est presque pas humaine, elle est alien. On ne sait pas trop en fait, et c’est là tout son charme. Elle semble venir d’ailleurs. Elle est magnifique, à sa façon. Artiste engagée, elle milite pour le droit des homosexuels et n’a pas hésité à se rendre à Moscou, et brandir un drapeau LGBT au milieu de la Place Rouge. Ce geste fort elle l’a fait au risque de sa liberté, car comme on le sait tous, règne en ce moment en Russie un climat homophobe dégoutant. Tout ce qu’elle fait, c’est avec son coeur qu’elle le réalise. Ses choix de rôles sont toujours un risque, elle n’hésite pas à se transformer, à s’enlaidir pour offrir toujours des prestations magistrales et d’une incroyable justesse. Mais elle n’est pas qu’actrice, elle est aussi performeuse. Récemment à Paris au Musée Galliera on a pu la voir raconter des histoires en choisissant des vêtements du public laissés au vestiaire, et avant cela elle a dormi à la vue de tous dans une cage de vers au MoMa de New York. Tilda Swinton est une artiste unique qui est aujourd’hui au sommet de sa gloire et qui ne cesse d’être célébrée. Après avoir été l’égérie de Chanel, elle vient d’être choisie pour être le visage de la nouvelle campagne M.A.C. Un choix audacieux pour une marque de cosmétiques grand public. Mais une fois de plus ça marche. Tout lui réussit.

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photographie THIBAULT KUHN styling GUILLAUME BARRAU

S C U L P T U R A L



Body AMERICAN APPAREL et pantalon & OTHER STORIES 110





Robe ASOS et chaussures ADIDAS 114




Body AMERICAN APPAREL, pantalon COS et chaussures ADIDAS




Manteau MONKI, pull SANDRO, pantalon LANVIN et chaussures ADIDAS 120



NOIR KEI NINOMIYA

kei ninomiya, le nouveau protégé de rei kawakubo rend hommage aux débuts all-black de la marque.

photographie LEA COLOMBO


En 1982, quand Rei Kawakubo présente «Destroy», sa collection all-black pour Comme des Garçons à Paris, le monde de la mode tremble. Condamnée par la presse française qui la surnomme «Hiroshima Chic», la collection est aujourd’hui iconique et reste pour les admirateurs de la marque l’une des plus importantes de l’histoire de la mode. Trente-trois plus tard et voilà que le all-black fait son retour dans les rangs de la marque japonaise, mais cette fois avec l’aide d’un nouveau protégé. Kei Ninomiya est le dernier créateur à rejoindre le culte de Comme des Garçons, suivant ainsi les pas de Tao Kurihara et Junya Watanabe. Avec comme approche «ce n’est pas toujours la technique qui transporte les gens, c’est l’ambition de créer quelque chose d’excitant», le diplômé de l’Académie Royale d’Anvers a travaillé pour Kawakubo en tant que maquettiste pendant quatre ans avant de se voir offrir la possibilité de lancer son propre label, noir kei ninomiya. Ninomiya rend hommage aux débuts révolutionnaires de Comme des Garçons en proposant à son tour une mode entièrement basée sur la couleur noire. Il exprime son amour du noir avec une méthode de travail tout à fait particulière, en assemblant des pièces ensemble sans aucune attache physique et pousse les barrières de la mode conventionnelle en utilisant des matériaux nouveaux ainsi que des minéraux. Le noir est un des piliers majeurs du culte Comme des Garçons, et avec Ninomiya dans ses membres, il semble être toujours un puits sans fond de nouveauté et d’inspirations.

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KIDS styling CAPUCINE BONSART

styling GUILLAUME BARRAU

photographie FABIO PIEMONTE

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Quentin porte un col roulĂŠ ZARA Andrei porte un bomber et une ceinture vintage, et un pantalon COS 125


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Quentin porte une robe COS Laurène porte un body H&M 127


Adrien porte une robe en grosse rĂŠsille H&M


Jordan porte un jean LEVI’S 129


Quentin porte un col roulĂŠ en ZARA 130


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Andrei porte un col roulé DIOR HOMME, une ceinture vintage et un jean LEVI’S 132


Quentin porte un col roulĂŠ en ZARA 133


Andrei porte un manteau LANVIN Laurène porte un body H&M 134




Quentin porte une robe COS et des bottines BUFFALO 137


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LA

MODE AFFADIT-ELLE LES MOUVEMENTS CONTESTATAIRES DONT ELLE S‘INSPIRE?

Un mouvement contestataire, ou contre-culture, est par définition un ensemble de personnes unies par des idées similaires, protestant contre l’ordre établi et la culture dominante, appelée aussi le «mainstream». On peut considérer que la naissance et l’essor de ces mouvements se font réellement aux EtatsUnis dans les années 60 avec les hippies. Ces mouvements de contestation se prolongent très rapidement en Europe occidentale. Les personnes membres de ces contre-cultures adoptent des codes vestimentaires différents de ceux de la culture dominante pour se démarquer, en plus de par leurs idées, visuellement. Le signe de l’appartenance à un groupe se fait depuis toujours via le biais de l’apparence, il s’agit donc d’essayer de se démarquer de la masse. La question est de savoir si, en s’inspirant de ces mouvements contestataires, les créateurs de mode participent à leur déclin ou si au contraire ils ne font que les amplifier et leur donner plus de visibilité. Pour tenter d’y répondre nous traiterons deux des mouvements contestataires les plus marquants du XXème siècles : le mouvement hippie et le mouvement punk. Si la naissance des mouvements contestataires se fait vraiment dans les années 60, on peut cependant voir dans la génération des poètes maudits du XIXème siècle, tels que Rimbaud, Verlaine ou Baudelaire, leur véritable source. En effet, ils représentent une génération d’artistes qui, face à la réalité de leur société, ressentent un sentiment d’étouffement et de profond dégoût. Ils luttent contre la corruption de la société, le mensonge, le faux-semblant et mettent en lumière le caractère cruel et solitaire d’une société pervertie qui préfère les apparences à la vérité. Cependant, pour la problématique traitée ici, les poètes maudits représentent un moindre intérêt puisque d’une part leur idéologie est propre à une période donnée, et ne se démarquant pas véritablement de leurs contemporains par leur habits, il n’entrent pas dans la catégorie des mouvements contestataires ayant inspiré la mode. Le mouvement hippie voit le jour aux Etats-Unis durant les années 60 et est vraisemblablement la vague de contre-culture qui a le plus marqué notre culture actuelle et plus particulièrement celle de la jeunesse. Il est fondé sur le refus de la société de consommation et des valeurs sociales et morales traditionnelles. Ces années marquent également le début des grandes révolutions sexuelles et féministes, il est question d’aller vers beaucoup plus de liberté individuelle et de célébrer le corps. Ils prônent la liberté de se droguer, le droit de vivre en communauté autosuffisante, le droit d’afficher librement sa sexualité, de voyager partout, de s’opposer à la violence et à la guerre, de se débarrasser des valeurs et des comportements de leurs parents. L’un des moments forts du mouvement est le festival de Woodstock, où, 400000 jeunes hippies, gauchistes ou simples sympathisants se sont rassemblés pour écouter Janis Joplin, The Jefferson Airplane, Joni Mitchell ou Jimi Hendrix. La couverture médiatique de Woodstock a transformé ce qui était jusqu’alors une contre-culture en culture populaire et lui a fait perdre beaucoup de sa singularité.

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En plus de refuser de se plier aux réglementations imposées par la société capitaliste dans laquelle ils vivent, les hippies adoptent un style vestimentaire qui va à l’encontre de la mode proposée par les créateurs de l’époque. Si les années 60 sont la décennie de la mini-jupe et du «space age» en mode, avec comme chefs de file Paco Rabanne, Pierre Cardin et André Courrèges, qui proposent une mode futuriste aux coupes innovantes et aux matières nouvelles directement inspirée de la conquête de l’espace et de la combinaison d’astronaute, les hippies eux privilégient une mode beaucoup plus libre et fleurie. Ils adoptent le port de vêtements plus amples, du pantalon pat d’eph, se lâchent les cheveux et aiment mixer les différentes influences ethniques. En mode ce mouvement change également la donne, en effet, avant les hippies c’était la mode qui donnait le ton et qui était source d’innovation, elle était précurseur et les créateurs lançaient presque chaque saison de nouvelles tendances. Hors là, se passe l’inverse, la mode ne descend plus dans les rues, mais ce sont les rues qui montent sur les podiums. Et le premier à faire ça est Yves Saint Laurent qui, même en haute-couture, s’inspire directement de sous et contre-cultures pour créer ses collections, ce qui d’ailleurs fait beaucoup scandale dans le monde de la mode encore très conservateur et à cheval sur les traditions de l’époque. Ce ne sont désormais plus les parents qui décident de ce que les jeunes vont porter et se crée par conséquent une réelle barrière entre les générations. La première ne tolérant pas ce nouveau mode de vie ni les revendications qui s’en suivent, les jugeant utopiques et hors de toute réalité. Il s’agit donc de s’inspirer assez littéralement d’un mouvement contestataire et de le transformer pour qu’il devienne peut-être plus chic et moins excentrique. Aussi, en faisant cela, les créateurs permettent aux masses d’avoir un accès direct à la mode des contre-cultures et donc de contribuer à les éteindre progressivement puisque le propre des mouvements contestataires est de ne pas faire comme la culture dominante, hors si cette dernière adopte ses codes et bien il va de soi que naturellement le mouvement contestataire va évoluer pour encore se démarquer. Les mouvements protestataires et hippie étaient étonnants par leur pouvoir à séduire, même «convertir» une génération entière. Certes, la jeunesse de chaque pays a vécu les événements et croyances de leurs propres manières, mais la musique, la drogue, le sexe et l’anti-consumérisme étaient un peu près universels. Ceci dit, c’est en parti à cause de la force d’inspiration et donc commerciale de la musique de l’époque que ces mouvements ont perdu un peu leur âme. Cependant il faut comprendre que ce n’est pas la mode qui tue ces groupes, si on peut parler de mort d’ailleurs puisque il reste toujours des personnes qui continuent à croire aux idéologies de départ, mais c’est le propre d’un mouvement d’être en constante évolution, car il bouge avec son temps et doit se modifier face aux nouvelles réalités sociales et économiques pour toujours être en phase avec ce qui se passe parallèlement dans la culture dominante. Cette époque marque bien la naissance de la mode telle que nous la connaissons aujourd’hui, une mode qui s’inspire constamment de ce qui l’entoure et des enjeux sociaux de son temps. Après le mouvement hippie, l’autre grand mouvement contestataire du XXème est le mouvement punk qui naquit en 1977 en Angleterre dans un contexte de profond malaise social qui est la conséquence directe de la fin des Trente Glorieuses et du début de la montée du chômage. L’idéologie punk est basée sur des concepts existentialistes, anarchistes, individualistes, antiautoritaires et égalitaires, avec une très forte revendication de liberté personnelle et sociale, de contestation de la loi et des autorités, souvent antiraciste et antinazi, luttant ouvertement contre le racisme et l’intolérance via l’expression artistique ou musicale. Ainsi, le punk met en avant l’urgence, le désordre et la singularité. Il se caractérise aussi par l’esprit de subversion, le «do it yourself» (DIY), en français «faîtes le vous-même», le détournement des codes, l’anticapitalisme et la liberté maximale de l’individu ainsi que la mise en place d’un cadre de vie comportant le moins de restrictions possibles. Même si eux aussi refusent l’ordre établi, les moeurs de la culture dominante et partagent la même revendication sur la notion de liberté individuelle, il se démarquent nettement des hippies de par leur message beaucoup plus dans la provocation. La provocation est d’ailleurs même une des essences du mouvement et est une réponse directe au «Peace and Love» qu’ils considèrent niais et naïf. Les leaders du mouvement, comme les Sex Pistols, se placent en totale opposition face à l’idéologie et le style vestimentaire des hippies. La symbolique visuelle des punks comporte souvent des images associées à la mort, à la violence, au nihilisme et à la

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destruction. Avec pour ligne de conduite le DIY, le punk veut tout fabriquer lui-même, et donc sa tenue sera composée de diverses influences. Il s’agit pour eux de revisiter et de transformer le vêtement à l’aide d’accessoires tels que les têtes de mort, des badges, des chaînes ou encore des épingles. L’exemple le plus connu de cette méthode est peut-être le perfecto en cuir qui, «garni» de ces accessoires, devient alors l’uniforme du punk. S’ajoute à cela le tee-shirt qui devient un véritable outil de provocation tant ils abordent des messages et des images forts. Enfin, le sexe tient une place majeure dans l’esthétique punk et c’est la grande Vivienne Westwood qui en est à l’origine. Elle ouvre en 1974 un magasin de vêtements à Londres sur King’s Road appelé tout simplement «SEX». Elle y vend des vêtements en latex et des tenues de bondage, ainsi que ses créations. C’est justement Vivienne Westwood qui introduit réellement le mouvement punk dans la mode. Elle devient un véritable symbole de cette contre-culture et c’est elle qui définit le look punk et remet au goût du jour les creepers, ces chaussures à épaisses semelles compensées. A la différence du mouvement hippie qui n’avait véritablement pas de créateurs phares, le mouvement punk lui en avait. Vivienne Westwood n’est pas la seule que l’on peut citer puisque Zandra Rhodes est également une des figures phares de l’époque, et c’est elle qui présente la première collection de haute couture inspirée du look punk en 1977. La mode n’a vraiment pas affadi le mouvement punk puisque n’étaient habillés de la sorte que ceux qui croyaient en son idéologie. De plus, ses pièces emblématiques sont restées connotées très longtemps. Le mouvement punk, diront les spécialistes, est mort avant même que la culture dominante ne se l’approprie. Cependant, aujourd’hui, et ce depuis plusieurs années maintenant, il est une constante des collections présentées par les créateurs mais c’est bien plus pour son côté «cool» que pour revendiquer une idéologie. On continue de voir, sur les podiums comme dans la rue, des réinterprétations de toute l’esthétique punk, que ce soit du perfecto en cuir, du tartan ou de la Doc Martens, sans que les gens ne sachent réellement leur origine. En haute-couture aussi le look punk influence de nombreux créateurs, en particulier Jean Paul Gaultier, Martin Margiela ou John Galliano. Aujourd’hui, ces deux mouvements contestataires continuent d’inspirer la mode contemporaine, et pour preuve il suffit de regarder les défilés de la saison printempsété 2015 pour voir que la mode hippie des années 60-70 est la tendance majeure de la saison. La mode, en plus d’autres facteurs, affadirait donc d’une certaine façon les contre-cultures puisqu’à partir du moment où la culture dominante et les masses commencent à adopter et à s’approprier la mode des mouvements contestataires qu’elles rejetaient, cela veut dire qu’ils ont perdu en puissance et en symbolique. Ces mouvements jouent le rôle d’innovateurs et de pionniers dans beaucoup de domaines, et c’est pour ça qu’ils sont en perpétuel renouveau et transformation. Le temps que la société dominante commence à s’habiller comme les membres du mouvement punk ou hippie, ceux-ci sont déjà passés à autre chose, tant ils sont constamment en avance sur leurs contemporains.

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styling KATERINA SCHELIAKINA

styling + editing GUILLAUME BARRAU

YY

photographie FABIO PIEMONTE













LE GENIE DE CLAUDE CAHUN appelée cahun est

«l’un des esprits les plus curieux de notre époque» par andré breton, claude l’une des artistes les plus uniques et avant-gardistes de son temps et son travail aujourd’hui continue de résonner.

Peu connue du grand public, Claude Cahun est pourtant l’une des figures les plus notoires du surréalisme en France. Peu connue elle l’est sans doute déjà car elle est une femme, que ses contemporains ne l’ont pas célébrée à sa juste valeur, et à cause de son histoire aussi. Elle est cependant l’une des artistes, si ce n’est la plus, fascinantes de sa génération. De tous, elle était la plus originale, la plus avantgardiste. Mais les surréaslites préféraient rester entre hommes, son travail est donc resté assez longtemps méconnu. Cahun est l’auteur de sublimes photographies et collages, ainsi que des écrits qui poussent les barrières du genre à l’extrême, faisant d’elle une des pionnières dans le domaine. Sa campagne anti-nazi l’a emmené en prison, condamnée à mort avec sa compagne Suzanne Malherbe, aussi connue sous le nom de Marcel Moore. Née Lucie Schwob à Nantes en 1894, Claude Cahun choisit ce pseudonyme pour sa mixité, et ce dans la lignée de son oeuvre. Elle est une des premières à rejeter les conventions et le schéma binaire du genre, qui veut que notre sexe définisse notre genre. Elle utilise son corps comme sa toile, son laboratoire. Dans ses séries d’autoportraits, Cahun se transforme sans cesse, pour toujours devenir quelqu’un autre. Pour ce faire elle utilise vêtements, coiffes, maquillages et poses presque poussés à l’extrême. Homme ? Femme ? qu’importe, elle dit que «masculin, féminin, cela dépend de la situation. La neutralité est le seul genre qui m’aille». Cette approche du genre est pour l’époque d’une incroyable avant-garde, et elle lui vaudra bien des ennuis. Elle appelle ces transformations des masques, au sujet desquels elle dit «sous ce masque, une autre masque. Je n’aurai jamais fini d’enlever ces masques.». Et alors que les Nazis entrent au pouvoir en Allemagne, le travail de Cahun devient plus en plus engagé, plus profond et elle questionne en profondeur la laideur qu’elle voit dans le capitalisme, la société, la guerre, les autres, son corps et elle-même. Déjà au début de sa carrière Cahun travaille sur les horreurs de la guerre, sur ce qu’elle fait aux gens et sur la vision qu’ils ont d’eux mêmes. Elle avance que les soldats sont certains des plus coupables, qu’ils servent l’horreur sans se poser de questions, et ce au seul nom de leur pays. Ces peurs et cette vision deviennent réalité lorsque les allemands occupent l’île de Jersey, là où elle et sa compagne vivent. Si la moitié de la population de l’île décide de migrer vers l’Angleterre, Cahun, alors qu’elle est juive et lesbienne, avec Malherbe, décident de rester, au risque de se faire arrêter. Alors qu’elles auraient pu faire le choix de se taire et de se faire discrètes, les deux femmes commencent une redoutable campagne révolutionnaire

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anti-nazi. Quand les allemands ont découvert l’existence du couple, ils ont d’abord pensé que les deux femmes n’étaient que des pions dans la résistance et ont tenté de trouver «l’homme qu’elles servaient». Il leur semblait impossible que deux femmes soient les auteurs de telles oeuvres. Prévoyant leurs arrestation, Cahun et Malherbe tentent de se donner la mort en absorbant chacune une dose mortelle de barbiturique et sont découvertes inconscientes dans leur grenier le soir de leur arrestation. Cette tentative de suicide les sauvera de la mort dans les camps, les obligeant à rester à l’hôpital alors que le dernier bateau de prisonniers quitte l’île de Jersey. Cahun et Malherbe sont reconnues coupables d’incitation à la mutinerie et pour ce crime condamnées à mort, et d’écoute de radios interdites, pour quoi elles sont condamnées à un an de prison. Les deux femmes passent un an derrière les barreaux et sont libérées en Mai 1945, en même temps que l’île. Mais en prison la santé de Claude Cahun s’est beaucoup dégradée et elle ne s’en remettra pas. Elle meurt neuf ans plus, en 1954. Malherbe, elle, se suicidera en 1972. Claude Cahun a laissé derrière elle une série d’oeuvres intimes et profondes qui sont tant de traces de recherches sur le genre. Son travail aujourd’hui iconique a influencé des artistes comme Cindy Sherman et Nan Goldin. Cahun est une grande dame, une grande artiste et il est temps que le monde la reconnaisse comme telle.

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HOMMAGE A RAY

photographie FABIO PIEMONTE styling GUILLAUME BARRAU + FAY HASSAINE


Manteau en cuir vintage, top en jean STYLENANDA et chemise blanche SANDRO Manteau en laine HUGO BOSS, col roulé ZARA, robe portée en débardeur ASOS et pantalon en cuir vintage


Pantalon portĂŠ en top vintage


Veste longue en denim MONKI, chemise vintage, bandeau AMERICAN APPAREL, joggings vintage et foulard portĂŠ en ceinture HERMES



Manteau en cuir vintage, top en jean STYLENANDA et chemise blanche SANDRO


Bomber vintage, pantalon large noir LANVIN, pantalon gris porté en caleçon vintage, ceinture en cuir noire COS, ceinture en coton noire COS et boucle d’oreille vintage Pantalon porté en top vintage


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Chemise blanche à manches rajoutées SANDRO, harnais de cravates vintage apporté par le styliste, jupe en cuir vintage et porte-chaussettes EBAY


Chemise en cupro LANVIN, jeans LEVI’S, manches de chemise coupées apportées par les stylistes et sac matellassé en cuir CHANEL


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styling GUILLAUME BARRAU

THE WALL

photographie THIBAULT KUHN


Pull DIOR, pantalon TOUPY et chaussures ADIDAS 174


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Chemise et pantalon COS 176


Pull J.W. ANDERSON et pantalon AMERICAN APPAREL 177


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Chemise et pantalon COS et chaussures ADIDAS

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Pull J.W. ANDERSON et pantalon AMERICAN APPAREL 180


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SILENCE


rédacteur en chef et directeur artistique

GUILLAUME BARRAU

contributeurs photographie

THIBAULT KUHN + FABIO PIEMONTE + NOLWENN LE FLANCHEC + LAURA BARRAU contributeurs styling

CAPUCINE BONSART + FAY HASSAINE + KATERYNA SHELIAKINA contributeurs maquillage

ZIHUAN HE + YANA SHTEFAN mannequins

FAY HASSAINE @ FORD + QUENTIN LEJARRE @ ELITE + ANDREI GRANT + LAURENE BLOTTIERE + ERI OYA @ CITY + RAPHAEL BRISSON + DARINA OMURZAKOVA @ ASANTA MODELS




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