Sanaaty - Djerba insolite - final light version

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DJERBA INSOLITE

djerba l’authentique témoigner de l’authenticité de l’artisanat

novembre 2017



DJERBA INSOLITE

novembre 2017



Ce livret a été réalisé par l’association Djerba Insolite au terme de son projet « Sanaaty » FINANCÉ PAR Institut Français de Tunis pour la période 2016/2017

REDACTION Mohamed Bayouli Brigitte Sida VÉRIFICATION ET RELECTURE Yves Chemla CRÉDIT PHOTOGRAPHIQUE STUDIO PRODART (DJERBA) ET RAMI JABALLAH DESIGNER GRAPHIQUE LOTUS ADVERTISING, TUNIS FINANCEMENT DE L’IMPRESSION Commissariat Régional des Affaires Culturelles de Medenine



L’association « Djerba Insolite », créée par de jeunes autochtones de l’île soucieux de la préservation de leur patrimoine architectural et culturel si propres à Djerba, a croisé à travers des bâtiments dégradés, la disparition apparemment programmée d’un pan du patrimoine immatériel de l’île aussi important pour la transmission des acquis culturels que le patrimoine bâti. Ces ateliers de tissage, ces ateliers de poterie en ruine ne sont-ils pas le signe de l’abandon de pratiques séculaires de métiers traditionnels et d’artisanat spécifique? Pourtant, dans les souks, dans les marchés, on peut encore acheter des produits semble-t-il « typiques », témoins du savoir-faire de l’artisan djerbien. La volonté d’approfondir le devenir de l’artisanat djerbien, dans son authenticité et son originalité a conduit au projet « Sanaaty » (mon métier) qui après une enquête précise sur la réalité actuelle des métiers d’artisanat dans l’île, a débouché sur une initiative proposant d’assurer la pérennisation des activités traditionnelles encore pratiquées.



Djerba Insolite a été fondée en 2014 par un groupe

de jeunes diplômés qui rêvent de sauvegarder le

patrimoine si riche de l’île de Djerba et de le faire découvrir autrement.

Vision

Nous sommes décidés à révéler et réhabiliter l’authenticité

de

Djerba.

Nous sommes une quarantaine de jeunes de l’Île Djerba. Nous prospectons pour dévoiler les richesses

Mission

et secrets de notre région et les faire connaître aux habitants et visiteurs. Nous travaillons sur le patrimoine matériel et immatériel de notre région en le documentant et le promouvant. Contribuer à sauvegarder le patrimoine djerbien. Aider à ancrer les traditions, arts et métiers artisanaux dans la mémoire collective des générations à venir

Objectifs

et encourager à la pratique de ces métiers devenus rares. Faire connaître l’architecture djerbienne typique et aider à la sauvegarder Mettre l’accent sur les particularismes culturels et naturels de Djerba.



1. Le patrimoine culturel immatériel ? Le patrimoine culturel immatériel dépend de ceux dont la connaissance des traditions, des savoir-faire et des coutumes est transmise au reste de la communauté, de génération en génération ou a d’autres communautés... 2. Savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel ? L’artisanat traditionnel est peut-être la manifestation la plus matérielle du patrimoine culturel immatériel. Cependant, la Convention de 2003 se préoccupe davantage des savoir-faire et des savoirs que suppose l’artisanat que des produits artisanaux eux mêmes. Au lieu de se concentrer sur la préservation des objets artisanaux, les efforts de sauvegarde devraient plutôt s’attacher à encourager les artisans à en poursuivre la production et à transmettre à d’autres leurs savoirs et leurs savoir-faire, en particulier au sein de leur communauté. Il existe de nombreuses expressions de l’artisanat traditionnel : les outils, les vêtements et les bijoux, les costumes et les accessoires des fêtes et des arts du spectacle, les récipients, les objets utilisés pour le stockage, le transport et la protection, les arts décoratifs et les objets rituels, les instruments de musique et les ustensiles de ménage, ainsi que les jouets destinés aussi bien au divertissement qu’à l’éducation.


de la nécessité de concevoir et mettre en œuvre un projet


N

os recherches et explorations du monde de l’artisanat ont débouché sur l’élaboration d’un projet que nous avons nommé sanaaty (mon métier), validé et financé par l’Institut Français de Tunis pour la période 2016/2017. Nous avons pu constater, au fur et à mesure de nos investigations : La difficulté de rencontrer les artisans, La fermeture d’ateliers, La rareté des pratiquants de métiers d’artisanat Voire même la disparition pure et simple de métiers comme par exemple celui de la teinture naturelle de la laine. Nous avons donc cherché à comprendre quels étaient les facteurs de déclin d’un artisanat dont la réputation de qualité a défié les siècles. Ce livre présente un document de synthèse y compris les résultats des recherches et études de terrain sur l’état des lieux de l’artisanat à Djerba et plus spécifiquement des métiers de fibre végétale et de poterie d’après la collecte des données, la prospection, le diagnostic et l’analyse réalisés dans le cadre de notre projet.


projet de formation

des mĂŠtiers artisanaux en voie de disparition Ă djerba

sanaaty


L

a diminution du nombre des pratiquants des métiers artisanaux est patente. Elle est importante, voire quasi définitive dans les métiers de la laine, où le nombre d’ateliers traditionnels en ruine est très important. La moyenne d’âge des artisans rencontrés est d’environ 60 ans. La plupart travaillent seuls et même dans leur famille, les jeunes ne veulent pas apprendre le métier. Il existe cependant une tradition de tissage de lainages dont la finesse était déjà réputée dans tout le bassin de la Méditerranée du temps des Phéniciens : le biskri. dont nous avons constaté qu’elle n’était pas en risque de disparition. En effet ces tissus de laine et soie richement colorés ont encore les faveurs des femmes pour les costumes de cérémonie et mariage.


Une meilleure connaissance du secteur de l’artisanat, va nous permettre de former 12 apprentis aux techniques et outils des métiers retenus. Des créations artistiques, produits revisités, verront le jour pour permettre une meilleure visibilité des possibilités d’évolution. Une image de qualité et d’authenticité sera donnée aux produits créés grâce à la communication en ligne des produits réalisés. Les artisans âgés transmettront leur savoir et auront la satisfaction de voir la relève assurée.


VISION


Obtenir une meilleure connaissance du secteur de la production de l’artisanat à Djerba par la réalisation de l’état des lieux du secteur et une étude de terrain.

Former des jeunes grâce à l’apprentissage des techniques des métiers auprès de maîtres reconnus et hautement qualifiés en vannerie, natte, poterie, et nasse de pêche (drina).


Approcher la création artistique par des cours théoriques assurés par 2 jeunes artistes locaux peintre et céramiste et concrétisation par des objets plus esthétiques qu’utiles.

OBJECTIFS

Initier les apprentis au marketing pour la mise en valeur, la promotion et la commercialisation de leur production.


Action

1

Action

2

Formation de l’équipe d’enca-

Recherche et étude de terrain :

drants aux outils et techniques de

prospection, collecte des données,

travail pour une meilleure gouver-

diagnostic et analyse.

nance du projet pendant 2 jours

Rédaction d’un document de

assurée par 2 formateurs expéri-

synthèse et plan d’action.

mentés du cabinet de communica-

Préparation d’un questionnaire

tion COMMITT

distribué aux artisans rencontrés avec un retour significatif, permettant de cerner les évolutions des métiers et les attentes des professionnels.

Action

3

« Arti’sans secours » Programmation d’une série de rencontres artisan-jeunes 1 fois par mois dans un cadre authentique et adapté au thème de la rencontre ouverte au public. Les activités programmées sont de cet ordre : • Reportage vidéo (video-telling) relatant l’histoire du métier et son apport + zoom sur le portrait de l’artisan • Paroles d’artisans qui font part de leur expérience, racontent leurs parcours, dévoilent les secrets de leur passion. • Organisation d’un débat entre deux générations (questions/ réponses..)


Action

4

Action

5

Action

6

signatures

de

Lancement

des

Organisation de journées d’ex-

d’accord

et

techniques des métiers d’artisanat

position et de démonstration ou-

d’engagement avec les formateurs

avec deux volets :

vertes au public.

y compris les artisans.

Théorique : conception,

Lancement d’un appel à candida-

sin, calligraphie , photographie,

ture pour les apprentis, entretiens

NTIC, m arketing

et sélection des candidats.

Pratique : organisation

Entretiens conventions

et

de

formation

des-

des

travaux dirigés dans les ateliers d’artisans.


l’artisanat et Les métiers artisanaux en Tunisie et spécifiquement à Djerba


L

e projet Sanaaty, dans un 1er temps, a recensé des artisans traditionnels de Djerba. Il leur a donné, très vite, l’occasion de parler de leur métier lors d’études de terrain ou de rencontres mensuelles avec un public intéressé. Leurs explications ont été données dans un vocabulaire simple, riche en termes techniques traditionnels propres à leur spécialité qui sont audibles dans les vidéos visibles sur le site du projet « sanaaty.org ». Ces témoignages d’un patrimoine immatériel de Djerba sont retranscrits ci-après car ils sont la mémoire verbale de traditions qui risquent de disparaître et sont d’un intérêt ethnographique.


Métiers de Fibre Végétal

Le métier de la vannerie


Spécificités à Djerba :

L

La vannerie n’est pas une activité artisanale princi’activité vannière est la pratique d’utilisa- pale à Djerba, mais, après la taille des palmiers la tion de fibre végétale pour créer des objets fabrication de cordes avec les résidus de coupe ap-

utilitaires voire décoratifs. Cette activité est porte des revenus complémentaires. Particulièrement partagée entre hommes et femmes selon la fonction à ELGROA il existe une tradition de confection de des objets à tresser. En règle générale, les couffins

chapeaux et de couffins, et à Mellita et ADJIM de

souvent de grandes dimensions, solides et sans “ su-

couvre-plats et de couffins.

perflu ” décoratif, ainsi que les chapeaux sortent des

Les hommes âgés se réservent le tressage des objets

mains de l’homme. Les femmes se réservent les objets de petite taille, tels que les chapeaux et les éventails. domestiques (couvre-plat, vans, corbeilles). Dans l’un et l’autre cas les techniques sont diffé-

Tout commence par le palmier, planté dans la cour du

rentes : les récipients de transport et de stockage sont

houch, il permet à l’artisan de trouver immédiatement

habituellement faits avec une tresse confectionnée se-

la matière première du produit à réaliser. Des feuilles

lon la technique du tissé de type natte et les ustensiles du cœur sont coupées avec netteté, puis fendues en 2 de cuisine, selon le spiralé cousu, les hommes sont dans la longueur. Chaque section est d’un geste preste de fait les spécialistes de la première technique et les

enroulée sur elle-même, chaque extrémité étant nouée

femmes, de la seconde.

à l’autre puis déposée sur le sol pour sécher jusqu’au

On peut noter que la technique des nattes selon le tis-

matin suivant. Déjà on constate que nul instrument

sé clayonné, sur un métier horizontal rudimentaire, n’est utilisé hormis la scie traditionnelle. est effectuée traditionnellement par les hommes, mais Utilisant des feuilles séchées depuis l’été, l’artisan sur l’île de Djerba, réalisée indifféremment par les

délaisse la tige centrale qui ne servira à rien, et ne

hommes ou par les femmes.

garde que les petites feuilles qu’il partage en lanières dans la longueur (il l’appelle dhfira pour le chapeau). Il commence à tresser les feuilles ajoutées au fur et à


mesure du travail, en lanières de 4/5cm de largeur. Tous les bouts qui dépassent seront éliminés au couteau. (technique dite du spiralé cousu) Les déchets du palmier serviront, après décantation dans du ciment blanc, à créer une ficelle qui devient rouge et servira à coudre les lanières. Ce travail est effectué de façon invisible avec une alène (achfa) longue et recourbée. A cela s’ajoute l’alfa, fibre verte à la cueillette qui en séchant devient jaune et qu’un bain de 40 jours dans l’eau de mer rend souple et facile à travailler. Généralement, durant les mois d’hiver, on ne tresse pratiquement pas car les journées raccourcissent et l’eau, indispensable au traitement des végétaux lors du tressage, devient trop froide et risque de provoquer des engelures aux mains. Durant les autres saisons, la fabrication domestique des vanneries s’intercale entre les travaux agricoles et diverses autres activités et se pratique surtout pendant les mois de juin, d’août et de septembre. L’apprentissage de l’activité vannière, comme des travaux agricoles, se fait par transmission familiale et informelle. Dès l’âge de 5-6 ans, les enfants commencent à tresser les objets utilitaires pour leur propre usage : petits paniers, ou jouets. Puis vient

Saied el Benna est un artisan de vannerie traditionnelle du village de Oursiugin près de Guellala. Il a commencé son apprentissage à l’âge de 11ans avec son frère et son père. Il a maintenant 75ans et continue de fabriquer chaque jour du matin au soir un « couffin » typique de Djerba, en préservant ainsi le patrimoine de l’île.


l’apprentissage proprement dit. Oncle Saied, vannier traditionnel à Djerba a personnellement commencé son apprentissage à l’âge de 11 ans avec son frère et son père. Au travail entre 2h et 4h durant chaque jour, il estime avoir maitrisé sa pratique en 1 année environ. A la question lui demandant s’il pratique ce métier par choix ou tradition, il dit ne pas se souvenir. Par contre personne dans sa propre famille ne reprendra la suite. On lui demande ce que lui a appris son métier, il répond : « la patience » A-t-il cherché à être créatif ? il répond par la négative : la demande était traditionnelle et il aurait eu des problèmes de commercialisation car les objets recherchés étaient destinés à la vie quotidienne pour un usage purement utilitaire (on peut comparer avec la production de poterie de Guellala) Paroles de vannier : « Je prends un peu de palmier utilisé à la fabrication du couffin comme vous l’avez vu sur la vidéo, je coupe en deux et vous voyez que ce n’est la même manière de fabriquer la spirale (dfira) sur 18 feuilles pour réaliser le couffin et l’autre sur 26 feuilles pour le chapeau. Pour le chapeau de femmes, la spirale est encore plus fine et ce travail n’est plus réalisé à Djerba ».


Oncle Saied se dit prêt à transmettre son savoir-faire. Lui-même fabrique des chapeaux djerbiens (ne pas confondre avec les chapeaux de Gabès), des couffins et des éventails, mais la production peut être plus variée (« couvre-plat »/panier pour olives). Il a 75 ans et fabrique en moyenne un couffin chaque jour qu’il vend dans le voisinage et regrette que son métier disparaisse. Aujourd’hui, il n’est pas rare de constater que même dans les familles où la vannerie se pratique encore, les enfants ne savent pas tresser. La déconsidération du travail et sa faible rémunération découragent les jeunes de perpétuer la pratique familiale. A partir des années 60, a commencé à se manifester l’idée que l’artisanat ne « nourrit pas son homme » et qu’il est plus gratifiant de vendre des produits manufacturés que de pratiquer une activité jugée peu attractive. A Djerba il ne reste plus actuellement qu’environ 30 familles qui pratiquent encore la vannerie et beaucoup jugent leur activité en voie de disparition à cause des difficultés d’écoulement des produits (intermédiaires) la concurrence de la matière plastique et le manque de relève.

Souad Ben Ghali Originaire de village El Groo, elle a commencé à l’âge de 12 ans avec son grand père et travaille depuis environ 40 ans. Elle réalise tous les articles que l’on peut faire en vannerie traditionnelle.



statistique de vannerie Nombre des artisans interrogés

13

59

Moyen d’âge

ans Demande d’achat des produits de vannerie

Durée de pratique du métier « Vannerie »

8 %

22 %

38 % 31 %

23 %

0-10 ans

10-20 ans

78 %

20-30 ans

>30

On constate que le nombre d’années de pratique du métier de vannerie est diversifié et compris entre moins de 10 ans et plus de 30 ans. Là il y a moins de risque de disparition des techniques ancestrales sauf découragement des artisans et manque de relève dans la famille.

Ce graphique montre que les produits de vannerie sont à 75% utilisés localement pour un usage domestique traditionnel. Ce qui est un atout pour la profession.


Avenir du métier de Vannerie

Meilleure saison pour la commercialisation des produits de « Vannerie »

60 13 %

40

87 %

En voie de disparition

Un métier qui n’a pas d’avenir

Ce graphique montre clairement que les artisans vanniers ne voient pas d’avenir pour ce métier malgré le graphique précédent qui met en avant l’intérêt local de ce marché, la tendance des produits naturels ainsi que la mode des couffins décorés.

Stable

Été

A Djerba l’écoulement des produits de la vannerie se fait essentiellement à la saison estivale. Ce qui pose un problème de stabilité des revenus pour le reste de l’année


Métiers de Fibre Végétal

Le métier de nattier


Spécificités de Djerba Le métier de nattier est aussi réputé que les autres métiers traditionnels de l’île de Djerba. Il a été intro-

L

duit sur l’île il y a environ cinq siècles par le groupe es nattes sont des tapis fabriqués à base de ethnique des Chahbanes, originaire de Tataouine à jonc par des artisans de Nabeul et de Djer- « Tlat ». Par exemple « oncle Mohamed Khacha » ba qui sont originaire de Tataouine. Ces

sait que sa famille est arrivée de Tataouine il y a 550

nattes fabriquées par des mains expertes qui gardent

ans. Les nattiers de l’île achètent le jonc vert en quan-

les stigmates du métier traditionnel, racontent l’his- tité d’au moins un camion et puis l’étale en éventail toire et la patience que les pères transmettent aux fils. près de leur atelier, l’assèche et le font dorer au soleil C’est grâce à cette transmission de techniques de tis- de quinze jours à un mois avant de l’utiliser. Ces dersage de jonc que le savoir-faire existe encore mais nières années, il est difficile de s’approvisionner et les avec le risque de disparition à terme puisque les fils

prix ont doublé de 3 à 6 dinars tunisiens. Ces difficul-

ne veulent plus prendre la succession.

tés expliquent que maintenant seulement 6 familles à

Pour ce qui concerne la matière première, la cueil-

Djerba perpétuent cette production.

lette du jonc « smàr », par des moissonneurs au bord

Le jonc nécessite une préparation avant utilisation :

des oueds et des lacs salés s’effectue chaque année au

trempage d’une nuit, couvert pour maintien de l’hu-

mois de juin. On le trouvait avant à Djerba et à Ta-

midité puis ré-humidification pendant le travail pour

taouine pour une qualité moyenne, mais maintenant

lui apporter de la souplesse. Avant le trempage les

seulement à Guebili.

fleurs sont coupées pour être utilisé sur l’atelier ou comme fourrage. La tradition à Djerba est la production de nattes utilitaires sans décoration ni coloration. Le rythme de travail de l’artisan est tel que chaque jour il fabrique environ quatre mètres de natte et doit


procéder à la préparation d’un nouveau métier à tisser en tendant les cordes qui serviront de trame et puis il débute le tissage de la fibre végétale de jonc Avec habileté, le nattier travaille accroupi, le métier tendu horizontalement devant lui; c’est avec les doigts qu’il faut passer les fibres de la trame entre les fils de la chaîne, « les doigts jouant ici le même rôle que la navette dans un métier ordinaire ». Les tapis de natte présentent un intérêt évident en matière d’isolation thermique et de régulation de l’humidité. Ils isolent également de la poussière par leur double épaisseur de fibres. Traditionnellement les nattiers se regroupaient dans un atelier qu’on appelle « Masgef »


C’est une structure triangulaire en bois de palmier recouverte avec les fleurs récupérées sur les joncs séchés et les feuilles de palmier pour l’isolation, les feuilles de palmier étant posées à l’envers pour faciliter l’écoulement de l’eau de pluie. D’une longueur d’environ 10m pour une hauteur de 2,50m, il accueillait 6 artisans qui travaillaient ensemble. Mais ce type d’atelier a malheureusement totalement disparu puisqu’il n’était utilisé à Djerba que dans le quartier Fatou de Houmt Souk utilisé par la famille de Chehben.

«Paroles d’artisan» Je commence par tremper les joncs « smàr » dans l’eau. Je prépare des tasseaux de bois « daff » et les cordes pour faciliter le tissage. Pour tisser une natte de sol « matràd » qui mesure 3.5 m de longueur et 1.5 m de largeur, il faut ajouter à peu près 10 cm à ces dimensions car les joncs ont tendance à se contracter lorsqu’ils sèchent. Premièrement, j’enfile les cordes à travers le tasseau de bois troué.

Mohamed Khacha Il a appris son métier dès l’âge de 12 ans avec son père ; il travaille depuis 52 ans. Il est le seul nattier de Djerba à tisser le jonc coloré


On travaille à 3, une prépare le métier à tisser, moi je mets en place les cordes et l’autre tire pour tendre. On a déjà tendu celui-là, maintenant le métier à tisser est prêt. Il s’appelle « Tsamrize » On entrecroise plusieurs tiges de joncs, une à droite et une à gauche sur « laadawa » (trois s’ils sont fins, et deux s’ils sont plus épais) Je tisse la partie en haut et j’aligne les joncs. Je glisse le tasseau de bois (« daff ») et je plie les deux extrémités du jonc et je tisse la partie inférieure. Après avoir terminé on coupe ce qui dépasse des bords. Après on doit le finaliser en nouant les brins. Ce nœud est une « fleur », ils doivent tous être de mêmes dimensions. On l’appelle « takhtim » ou finalisation Je prends une corde que j’ai déjà utilisée, et je l’attache, pour avoir un nœud mort. Je fais un autre nœud sous forme d’une « fleur », qui doit être plus petite que celle déjà faite, et je la tourne. Je tire la corde et je la coupe comme d’habitude. A la fin je plie la natte, et je la mets dehors au soleil, où elle reste une ou deux journées selon le climat.


Les Femmes de Fatou (Houmt Souk) sont des femmes artisanes qui pratiquent encore le tissage de natte.

Hinda Ben Abdelkader, 41 ans du Fatou

Mabrouka Rouijel, 63 ans du Fatou

Chrifa Attia,

62 ans du Fatou. Elles disent exercer ce métier depuis leur âge de 12 ans mais l’avoir appris depuis l’âge de 6 ans dans leur famille. A l’unanimité, elles expliquent que c’est un métier exigeant qui nécessite beaucoup de patience.


statistique de nattier Nombre des artisans interrogés

7

57

Moyen d’âge

Demande d’achat des produit de natte

On constate que la plupart des artisans du métier de natte ont une expérience de plus de 30 ans. Cela explique le risque de disparition de ces techniques ancestrales par non renouvellement des pratiquants.

ans

67

29 %

33 71 %

Oui

Non

Ce graphique montre qu’il y a encore une demande importante (72%) d’achat de tapis de natte surtout pour les mariages, les mosquées, la synagogue et même les particuliers pour la décoration. Ceci est un atout important pour la survie de cet artisanat.

En voie de disparition Possibilité d’amélioration

On voit ici que la plupart des artisans de natte estiment que leur métier est menacé de disparition et nécessite une intervention et les encouragements de l’État. Le métier souffre de manque de main d’oeuvre et les artisans pensent que ce secteur est abandonné à lui-même à Djerba.


Coût de la matière première Propositions pour améliorer les conditions de travail 70

14 %

86 %

20 10

Cher

Abordable

Les estimations des artisans témoignent d’un coût élevé de la matière première qu’ils attribuent aux difficultés d’approvisionnement du produit acheté dans la région de Gebili à des moissonneurs de jonc devenus rares.

Exportation

Encouragement de l’état

Commercialisation

Parmi les facteurs qui pourraient améliorer les conditions de travail d’artisanat on constate que plus de 70 % des artisans interrogés pensent que l’absence d’encouragements de l’État est un frein à l’amélioration de leur métier.


le métier de fabrication des nasses « drina »

Taher mesdari Un artisan de nasse

traditionnelle de

Ajim ; il a appris ce métier depuis l’âge de treize ans avec son grand père qui était pêcheur. Il fabrique la nasse « drina » avec des constituants qui sont tous naturels, les régimes du palmier et alfa.


L

a pêche à la nasse(Drina) est une technique ancestrale qui consiste à capturer les poissons dans un panier. Cette pratique de pêche

est bien adaptée aux caractéristiques physiques et biologiques de l’environnement marin de hauts fonds où le pêcheur n’abîme pas le poisson et ne prend que ce dont il a besoin. D’où le maintien, depuis plusieurs siècles, d’un équilibre écologique très stable qui assure en même temps des revenus appréciables pour la communauté. C’est une technique très populaire dans les îles de Kerkennah et Djerba.

Spécificités de Djerba L’utilisation de la drina est spécifique à Djerba dans la région d’Adjim et Mellita. La nasse est fabriquée à base de branchettes de régime de dattes (que l’artisan appelle « cordon») après récupération des fruits et séchage. Elle est toujours utilisée dans des pêcheries traditionnelles (cherfia) qui, en utilisant le courant de la marée, tracent un cheminement par une haie de palmes dans la mer en forme de flèche où le poisson entré aisément, est amené vers la drina qui est sans issue pour lui. Le pêcheur n’a plus qu’à relever la nasse pour récupérer sa pêche.


«Paroles d’artisan» Je prends les régimes de palmier secs « Arjun », je commence par couper les cordons « charmoukh », puis la tige « sefta ». Je regroupe les cordons, je les attache avec un bon fil, et je les serre bien pour qu’ils ne se cassent pas. Après, je commence par la première ligne, la deuxième, jusqu’à la cinquième et la sixième selon les dimensions de la « drina » Je prends le fil avec lequel on travaille et je commence à préparer le cercle en haut de la « drina » (« Khelkhal »). Je commence un par un, puis deux par deux, jusqu’à ce que je termine tout le cercle. J’élargis la « drina » et je la pose autour de ma jambe droite. Lorsque le fil devient trop court, je raccorde avec un autre fil à l’aide d’un nœud., Si la tige « sefta » s’affaiblit, j’en rajoute une autre Si j’arrive au bout du cordon, je le rallonge avec un autre jusqu’à ce que j’arrive à finir la « drina » Le nœud « lazrou » doit être d’une largeur fixe de deux doigts, Pour le commencement de la fermeture, « ghlag », je prépare le « sefta » et je l’enroule sur environ 20 ou 30 cm.



Amor Mezrani Un artisan de nasse traditionnelle de Ajim ; il a appris ce métier depuis l’âge de neuf ans avec son grand père qui était pêcheur. Mais il n’a pratiqué qu’à partir de l’âge de 55 ans après sa retraite.


Je le mets sur ma jambe pour l’enrouler et bien l’assouplir. Quand la « drina » est terminée, je prends les mesures du cercle entier. Puis je prépare les dimensions de la fermeture de « drina » La petite « drina » pour le calamar demande deux jours de travail, pour trouver les grappes, préparer les tiges, les cordons et le fil… Quant à une « drina » de 2.5m de largeur et 7m de hauteur, sa préparation demande beaucoup de temps et peut durer jusqu’à un mois, en effet, il faut déjà presque 10 jours pour préparer les grappes. Après avoir terminé, je mets la fermeture dans la partie avant de la « drina » et je tresse dessus « lazrou » pour bien serrer. La fermeture ou « ghlag » est montée, et alors je ferme la partie arrière avec du fil, tout comme un filet. Drina : quand le poisson entre dedans, il ne peut plus ressortir. Elle résiste aux crabes parce que les grappes de palmier sont dures contrairement aux filets.


statistique de DRINA Nombre des artisans interrogés

4

(2 retraités)

Moyen d’âge

64

La fabrication des nasses est largement pratiquée en hiver où les artisans ont une clientèle de pêcheurs de seiches. Par contre, les nasses sont utilisées toute l’année pour les pêcheries fixes mais de plus en plus rarement, remplacées par des nasses en métal.

ans Nbr d’années de pratique 67

33

0

0

0-10

10-20

20-30

> 30

Sur ce graphique qui synthétise les réponses des artisans de « drina », on constate qu’ils ont plus de 20 ans de travail et d’expérience.


Avenir du métier selon les artisans de « Drina »

Propositions pour améliorer les conditions de travail des artisans de «Drina »

25 %

50 %

100 %

25 %

Possibilité d’amélioration En voie de disparition Nécessité d’intervention

Ce graphique exprime clairement que les artisans ont beaucoup de doutes pour l’avenir de ce métier à la fois en l’absence de relève mais aussi d’encouragements de la part des autorités.

Encouragement de l’état

100% d’artisans déplorent une absence totale d’encouragements de l’État pour ce métier très menacé d’une disparition totale.


le métier de potier « terre cuite de Djerba »


Spécificités de Djerba La poterie à Djerba est une tradition millénaire et les œuvres des potiers de Guellala s’exportaient dans tout le monde méditerranéen pour le transport et la conservation de la nourriture. Il s’agit de poterie tournée de type poreux « jeffay »

L

ou vernissé « motli » de tradition berbère. Jusqu’à a Tunisie a été de tous temps réputée pour le travail de ses potiers répartis sur tout le territoire (Nabeul, Tabarka, Barrama Sejnene,

Moknine et Guellala) chaque région a développé un style artisanal artistique spécifique.

la moitié du 20éme siècle la production vernissée était florissante et réputée avec ses couleurs verte et jaune d’une grande qualité esthétique. Puis l’ONAT a privilégié pour chaque région un type de technique laissant la poterie vernissée à Nabeul et la poterie poreuse à Djerba. Maintenant les techniques se sont perdues et les potiers qui restent travaillent dans la routine de la poterie utilitaire qui trouve de moins en moins de débouchés. La plupart ont quitté le métier et l’île pour trouver une autre activité en partant à Tunis ou à l’étranger. Il ne reste actuellement que treize potiers dont certains travaillent encore suivant la tradition.


«Paroles d’artisan» Voici comment un d’entre eux explique son métier : Je descends le matin à la « mine » pour ramasser l’argile (ajina), la remplir dans des « couffins » et la remonter. Je mets l’argile dans des bassins maçonnés remplis d’eau. Après, je pétris la « ajna » des pieds en l’écrasant des talons trois fois. Je prends un morceau d’argile, et le pétris avec mes mains pour la préparation d’une « tevya (colombin)» Et puis, je replie le pain d’argile, j’enroule des colombins et je prépare la « girelle » du tour à l’aide d’une serpette sans dents. Je fais tourner le tour en maintenant le plateau « gàleb el khedma » fixé avec de l’argile sur la girelle du tour. Je mets mes mains dans la « barbotine ».(mélange d’eau et argile) J’étends un morceau d’argile « el kesra » et je l’adhère au « khelkhal » pour maintenir le colombin. J’ajoute un nouveau colombin, puis un autre jusqu’à atteindre la hauteur souhaitée. J’actionne mon tour dans le sens normal, et je travaille mon ébauche jusqu’à disparition de toute trace de colombins et égalisation de l’épaisseur à l’aide d’un maillet fait d’une racine d’olivier



Younes SAGAL Un artisan potier traditionnel de Guellela passionné par son métier, le manque de successeur, ou et la crise qu’a connu l’artisanat en Tunisie ne l’ont pas empêché de continuer à sa manière d’écrire un morceau de notre patrimoine insulaire dans la tradition de ses pères




Mohamed BEN ABDALAH Un jeune céramiste créatif et talentueux, titulaire d’un master de recherche en Sciences et Techniques des Arts, il a suivi plusieurs formations accentuées en céramique à l’étranger (Italie et Chine). Fondateur de l’atelier « EL HOUCH », une entreprise sociale et solidaire destinée à la promotion de la céramique artistique, il assure la continuité dans la modernité de l’artisanat ancestral djerbien.


statistique de POTERIE Nombre des artisans interrogés

13

49

Moyen d’âge

L’été est la meilleure saison de commercialisation des produits de la poterie. Car il est lié à la période estivale ce qui pose la question de la répartition de l’activité sur l’année entière

ans

Durée de pratique du métier « Poterie » 38,50

30,80

0-10 ans

23,10

23,10

10-20 ans

20-30 ans

>30 ans

On constate que le nombre d’années de pratique du métier de poterie est diversifié et compris entre moins de10 ans et plus de 30 ans. Le risque de disparition des techniques ancestrales est moindre, mais beaucoup d’artisans et surtout les jeunes ont quitté le métier à la recherche d’autres créneaux d’activités plus rentables.


Propositions pour améliorer les conditions de travail des artisans de poterie

Avenir du métier poterie

15 % 31 %

54 %

Possibilité d’amélioration En voie de disparition Nécessité d’intervention

Ce graphique met en avant le pessimisme de la plupart des artisans interrogés qui pensent que leur métier est en voie de disparition à cause des problèmes liés à la main d’oeuvre et aussi de la commercialisation.

10 %

20 % 50 %

20 %

Encouragement de l’état Acheter des machine

Exportation Commercialisation

La moitié des potiers constate un désengagement des structures d’État par rapport à leur métier et ce qui rejoint la constatation pour tous les autres métiers, mais ils mettent aussi en avant une demande d’investissement de modernisation indispensable pour l’amélioration des conditions de travail.


Constatations gĂŠnĂŠrales communes


L

ors de l’état des lieux des métiers d’artisanat traditionnel à Djerba que nous avons réalisé au début du projet « Sanaaty » nous avons constaté qu’il n’y avait eu aucun recensement de fait par le commissariat à l’artisanat régional. Nous avons donc dû répertorier les artisans encore en activité dans les différents métiers qui nous intéressaient. C’est un travail de fourmi que nous avons réalisé avec l’aide d’associations actives sur l’ensemble de l’île. Nous avons alors constaté : • La difficulté de les localiser car ils sont dispersés dans toute l’île et souvent dans des endroits reculés. • Et la difficulté de les revoir une fois connue leur adresse, car ils ont souvent une autre activité • L’isolement dans lequel ils travaillent, ignorant les collègues qui font le même métier qu’eux • Cependant nous avons pu noter après leur avoir fait remplir une enquête qu’ils

avaient le même regard sur leurs métiers respectifs avec comme appréciation commune : difficulté d’approvisionnement, concurrence de produits exportés, faible rentabilité, absence d’intérêt des jeunes pour continuer la tradition, d’où inquiétude quant à la pérennisation de leur activité. Après ce travail de prospection nous avons malheureusement découvert que le nombre d’artisans en activité était inférieur à ce que nous avions prévu et qu’effectivement il faut bien prendre en compte la disparition très prochaine de métiers traditionnels comme la fabrication de la « drina » et dans une moindre mesure celui de nattier.


Constatations particulières


POTERIE

1. Activité saisonnière car liée pour partie au tourisme 2. Changement de métier à cause de problèmes de commercialisation pendant l’hiver d’où diminution du nombre de potiers 3. Rentabilité 4. Difficultés d’approvisionnement, il ne reste que 2 mines d’extraction d’argile. Absence d’autorisation pour creuser de nouvelles mines autour du musée du patrimoine de Guellala 5. Un seul vendeur reçoit les touristes des agences de voyage après avoir signé un contrat de partenariat 6. Absence de main d’œuvre spécialisée, les jeunes ne veulent plus apprendre 7. Standardisation de la production.


Constatations particulières


NATTE

1. Problème d’approvisionnement de matière première car le jonc vient de Guebeli d’où obligation d’acheter en grande quantité avec en plus des frais de transport 2. Présence d’intermédiaires à l’achat des matières premières et à la vente des produits d’où faible rentabilité 3. Standardisation des produits finis « Tapis » 4. Concurrence des produits industrialisés, produit made in china (matière première à base de plastique) 5. Diminution du nombre des familles qui pratiquent le métier de 60 à 6.


Constatations particulières


NASSE

1. Changement de techniques utilisées pour la pêche ainsi que l’utilisation de matériaux « modernes »(les cages en fer et plastique) 2. Le faible revenu des artisans (Journée de travail rémunération : 10 dtn) 3. Une activité saisonnière pour la pêche en hiver ou pour la décoration pendant la saison estivale. 4. Ce métier est en grand risque de disparition totale à Djerba


Constatations particulières


VANNERIE

1. Standardisation des produits (manque de créativité) 2. Concurrence vannerie de Gabes (absence d’image de marque Djerba). 3. Intermédiaires (l’achat et vente).


recommandations

APPRENTIS

ARTISANS

• Demande de créativité • Demande de mixité de techniques (par ex. poterie/vannerie) • Commercialisation en ligne et marketing


• Sortir de leur isolement • Etre reconnus par l’Etat à travers des actions de promotion, des formations et une stratégie de commercialisation même au-delà de l’île • Se regrouper pour mutualiser les achats et la distribution des produits • Le marché de diffusion de l’artisanat est, à Djerba, essentiellement local et écoulé auprès de la population pour 96% et gagnerait à pouvoir s’écouler à un prix plus compétitif par diminution des charges d’intermédiaires. • Analysant lucidement leurs habitudes professionnelles, ils voudraient apporter de l’innovation et moderniser leur outil de travail.


D

De cette expérience du projet « Sanaaty » nous avons retenu que les artisans de Djerba sont abandonnés par l’Office de l’artisanat. Livrés à

eux-mêmes, ils perpétuent des savoirs faires parfois millénaires, et sont de moins en moins nombreux. Il est grand temps que l’État procède à une enquête approfondie sur les ateliers encore en activité pour développer une stratégie de préservation et mise à niveau de ce secteur dans le souci de maintien de l’activité, de conservation du patrimoine immobilier (ateliers de tissage et de poterie) des outils et techniques de travail traditionnels ainsi que les compétences ancestrales des artisans qui pour la plupart maintenant sont âgés, sans successeurs.



Préconisations Il est nécessaire de mettre en place un modèle stratégique de développement de l’artisanat en général à Djerba, mais aussi spécifique à chaque métier pour plus d’efficacité et durabilité. Le secteur d’artisanat ou de la production « fait main » est un secteur dynamique et de grande valeur ajoutée si on arrive à bien le valoriser et le structurer. C’est l’ image de l’identité d’un pays et des régions à l’échelle mondiale. Les propositions ci-dessous sont fondées sur le diagnostic basé sur les réponses des artisans et leurs recommandations ainsi que celle de l’équipe de travail de l’association porteuse de projet « sanaaty ».


La Structuration du secteur de l’artisanat et l’encouragement à l’entreprenariat La faible présence des acteurs étatiques, ainsi que l’absence des initiatives de mise en valeur des spécificités locales nuisent au développement et au maintien de savoir-faire ancestraux dans l’île. La domination des activités informelles, la faible valeur ajoutée et la forte présence des intermédiaires provoquent une distribution inéquitable des revenus. Tout cela induit une fragilité de secteur, une marginalisation des artisans et menace la faible attractivité auprès des jeunes. Là le rôle de l’État est primordial avec l’appui de la société civile à l’encouragement de l’entreprenariat et la création de petites entreprises d’artisans. Il faut mettre en avant un plan stratégique de création de nouvelles formes de regroupement tel que des mutualisations permettant une stabilité sociale des artisans et des coopératives pour assurer la continuité de la production en amont (approvisionnement) et en aval (promotion). L’état doit aussi renforcer les capacités des structures d’appui de proximité. D’une manière plus générale, l’État devrait s’impliquer plus avant par des encouragements financiers sous forme d’octroi de prêts à faible taux d’intérêt, des encouragements fiscaux et des subventions. Mais cela nécessite la révision du diapositif législatif et réglementaire. Cette demande d’intervention de l’État, loin de n’être qu’une demande d’intervention financière, est surtout un plaidoyer pour un projet global d’aménagement du territoire par désenclavement et maintien d’une activité économique traditionnelle et de qualité dans sa région d’origine.


Formation La formation dans le domaine de métiers de fibre végétale devra constituer non seulement un vecteur de développement des compétences, de renforcement du capital humain disponible mais aussi de la valorisation du secteur et de l’amélioration de son image auprès des jeunes. En raison de l’image connue que ces métiers sont très fatigants pour un revenu dérisoire, la formation devrait s’articuler sur plus d’un volet : formation des techniques aux métiers (vannerie, natte et nasse) et surtout pour le métier de nasse où l’intervention est urgente à cause du grand risque de disparition dans les deux prochaines années (rappel : il ne reste que 2 pratiquants). La création d’un coworking artisanal qui servirait comme espace de travail collaboratif et aussi de formation professionnelle spécialisé dans les métiers artisanaux de l’île s’impose, afin d’accueillir des apprenants sans distinction de sexe comme cela se fait dans le centre de formation et d’apprentissage en métiers artisanaux à Djerba qui ne concerne que le métier de bijouterie comme spécialité. Là les apprentis seraient formés dans les techniques de métiers à base de fibre végétale aussi bien que dans le contrôle de la qualité, le design, le marketing et le packaging. Là pourraient se concrétiser les effets positifs du travail de groupe, l’échange d’expérience et la solidarité (effet de synergie). Il faudrait également organiser des sessions de recyclage pour les artisans qui veulent se perfectionner ou apprendre de nouvelles techniques pour s’adapter aux besoins du marché local, national et international.


Labellisation des produits de métiers de fibre végétale et de poterie Les produits à base de fibre végétale et de poterie de Djerba sont méconnus. Les clients pensent souvent que ce sont des produits de Gabes ou d’autre endroit de Tunisie. Cela nécessite une valorisation de la production locale par intervention d’une équipe locale de représentants de l’état, motivée et volontaire qui devrait se fixer d’obtenir un label pour les produits spécifiquement djerbiens et la création de filières pour l’écoulement des productions locales vers le marché national, voire international, les artisans locaux n’ayant pas les contacts pour créer ce genre de filière eux-mêmes. Le label affirmerait l’identité de produits de Djerba et leur donnerait une visibilité et un argument supplémentaire de vente sur tous les types de marché.


Promotion Après avoir labélisé les produits de fibre végétale et de poterie adaptés aux normes de qualité, il faut aussi s’assurer que les produits répondent aux goûts d’une clientèle sensible à la mode et aux nouvelles tendances. Là il y a nécessité pour les acteurs dans le domaine (surtout l’office national de l’artisanat) d’inciter à la participation aux évènements promotionnels (foires, salons, expositions) relatifs à l’artisanat. La mise en avant des produits pourra s’appuyer également sur les TIC et exploiter les possibilités du e-commerce qui connaît une croissance vertigineuse. Afin de tirer profit de cette opportunité technologique, un espace dédié à la promotion des produits de l’artisanat, pourra être inséré dans le site « sanaaty. org ». Ce site proposerait des reportages sur l’état des lieux des métiers, des portraits d’artisans et aussi une vitrine pour l’exposition des différents produits artisanaux de chacun des métiers.



CONCLUSION


T

oute conclusion serait ici présomptueuse, au de retrouver un état précédent pas si idéal que cela, moins à deux titres. D’une part, en ce que nul on le sait, mais bien de faire perdurer des gestes et

ne saurait prédire l’avenir de ces métiers. Certes, les

des pratiques sans lesquelles notre monde perd de sa

chiffres sont inquiétants, qui traduisent la violence magie et de son imaginaire. avec laquelle la modernité s’est emparée de Djerba La beauté d’un lieu est faite des hommes et des et quelques décennies modifiant considérablement femmes qui le dessinent chaque jour, par leur action ses écosystèmes ont suffi. Mais ils disent aussi que sur les paysages, et par leurs gestes quotidiens, les des membres de la société civile, en l’occurrence plus simples, comme celui de verser de l’eau. Certes, l’association « Djerba insolite », s’en inquiètent. les conditions de vie changent à vive allure, et le Que des jeunes gens réagissent à la dégradation de numérique étend sa présence et sa force au sein même la forme de leur quotidien dit cette exaspération, et de ce quotidien, facilitant même les relations, comme le refus d’une conclusion qui serait vécue comme un Djerba Insolite l’a bien montré dans ses pratiques. échec.

Mais nattes, drina, poteries tournées, tissus des tenues

La deuxième raison tient à des perspectives qui sont traditionnelles dessinent aussi cet environnement et tracées dans cet ouvrage, en particulier avec le participent de cette beauté sans laquelle le quotidien projet « sanaaty » de formation d’artisans stagiaires. devient vite pesant et presque insupportable, Le caractère réaliste de ces propositions permet de clinquant, plastifié et uniformisé. C’est pour balayer dépasser la déploration sur la disparition des métiers cette médiocrité que de tels projets sont mis en œuvre, traditionnels, et d’insister sur les plus-values qui dont l’ouvrage ici porte témoignage. seraient, seront on l’espère, générées. Il ne s’agit pas


ANNEXE


A propos de l’enquête Dans la première étape du travail l’équipe de l’association a étudié tous les rapports d’évaluation et le compte rendu des événements qui ont été organisés avec les artisans. Ces constatations préliminaires ont servi par la suite à la rédaction d’un questionnaire composé de douze questions avec une organisation en entonnoir. Ensuite un appel à repérage a été lancé à travers la structure professionnelle liée au secteur de l’artisanat (commissariat régional de l’artisanat de Mednine), l’union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) et l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (UTICA), ainsi que la plupart des associations actives à Djerba. Les informations présentées ont été communiquées à l’équipe de terrain du projet « Sanaaty », soit 3 personnes lors d’une enquête de plusieurs semaines (Octobre 2016-Mars 2017) .


• Un réservoir de savoir-faire artisanal • Ile touristique (un marché de bon potentiel) • Accessibilité de la matière première sur l’île (vannerie et nasse)

forces

faiblesses

• La diminution des pratiquants des métiers artisanaux voire la disparition de plusieurs métiers comme par exemple la teinture naturelle de la laine. • Le désengagement des artisans dû à leurs âges (moyenne d’âges : 60 ans), le manque de succès de leur produits de (restant dans ‘l’ombre’) et manque de motivations des jeunes pour assurer la relève. • Matière première : prix en augmentation, rupture de stock disponibilité aléatoire de quelques matières (Jonc) • L’ignorance des techniques de valorisation, présentation et de vente de ces produits • L’orientation commerciale : manque de structuration de secteur (revendeurs qui ont pour but de vendre plus à prix bas) : vente de produits industriels « copies fabriqués en chine ». • Production : techniques de production méconnus, forte concurrence des produits industriels.


• Formation : formation de mise à niveau et de recyclage des artisans en design, communication et promotion avec l’appui et l’encouragement de structures d’Etat. • L’encouragement étatique et de la société civile des jeunes pour entreprendre et monter leurs propres projets surtout dans le domaine de l’artisanat. • Un plus grand savoir-faire chez les jeunes en matière de valorisation du produit et d’adaptation à la demande, une plus grande modernité, une créativité • Documentation : documenter à l’aide de maîtres-artisans les techniques ancestrales des métiers pour sauvegarder la mémoire culturelle de l’île de Djerba.

menaces

opportunités

• Disparition ou déclin de certains métiers • Absence d’image de marque ou label spécifique aux produits artisanaux de l’île. • Métiers à faible revenue : salaire bas, saisonnalité de secteur d’artisanat à Djerba.


L

e projet Sanaaty a débuté par le recensement d’artisans de métiers traditionnels djerbiens. Un questionnaire été distribué

et 37 artisans ont répondu (35 actifs et 2 retraités). Vannerie et poterie sont les métiers les plus représentés avec respectivement 38.2 % / 35.3% de retour, ensuite les artisans de natte ont répondu à 17.6%, le métier de nasse (drina) n’apportant que 8.8% de réponses. Dès le dépouillement des réponses, apparait une réalité de la représentation des métiers traditionnels à Djerba qui sera confirmée par les études de terrain : prépondérance de poterie/vannerie, présence moindre du métier de natte et quasi disparition du métier de « drina ». Pourtant la majorité

des artisans interrogés

(53.3%) confirme l’intérêt des acheteurs pour leurs produits. Il faudra donc chercher les raisons intrinsèques des difficultés qu’éprouvent ces artisans. L’enquête a mis en avant l’âge des pratiquants par le biais des années de pratique professionnelle : une écrasante majorité (47.20%) parle de + 30ans


de pratique et 19.4% de 20 à 30ans, soit un total

comme local et comme déjà dit, un intérêt pour

de 66.60%. Tandis que, 27.8% exercent depuis 10à

les produits artisanaux locaux qui se vendent très

20ans et seulement 5.60% moins de 10ans. Les ar-

majoritairement en été (86.2%) . Ce qui peut per-

tisans ne manquent pas de déplorer l’absence de

mettre de freiner le déclin des métiers traditionnels

relève par le désintérêt des jeunes envers leur mé-

djerbiens.

tier y compris dans leurs propres familles. Les artisans interrogés ne considèrent plus majoriAnalysant lucidement leurs habitudes profession-

tairement leur activité comme un métier à part en-

nelles, 17 praticiens disent qu’il faudrait apporter

tière puisque s’ils ont une couverture sociale pour

de l’innovation pour améliorer les produits et 3

53.3%, ils ne sont que 46.7 % à posséder une carte

voudraient moderniser le matériel, tandis que 7

professionnelle.

d’entre eux aimeraient pouvoir sortir leurs produits de l’ile. Les autres n’ont pas su définir ce qui

Possédant à 42.3% un capital inférieur à 1000 Dt

pourrait rendre plus attractive leur production.

(jusqu’à5000 Dt pour 34.6% et jusqu’à 10000Dnt

Pour améliorer leurs conditions de travail, l’im-

pour 23.1%) , ils mettent en avant par des ré-

mense majorité (80%) , réclame des encourage-

ponses multiples , les causes essentielles de leurs

ments, notamment de la part de l’état . Mais n’at-

difficultés et problèmes d’abord la commercialisa-

tend rien de l’organisation patronale UTICA qui

tion (77.8%) , ensuite le manque d’encouragement

n’a pas de plan particulier pour accompagner les

des pouvoirs publics pour la préservation de leur

micro-entreprises.

savoir–faire (55.6%) et enfin le manque de main

Ils sont conscients à une très large majorité du

d’œuvre, signe du désintérêt pour leurs métiers

coût de la matière première pour 84.6% des per-

dont ils voient la disparition prochaine pour 50%

sonnes interrogées et au fait qu’elles dépendent

d’entre eux , peut-être une évolution pour 26.9% et

pour 88.9% d’intermédiaires pour se la procurer.

pour 23.1% sans évolution notable.

Cependant il existe un marché considéré à 96.6%



REMERCIEMENTS

Nous remercions pour leur aimable collaboration Les artisans Saied El Benna Younes Sagel Mohamed khacha Amor Mezrani Taher Mezdari Mohamed Ben Abdellah Hinda Ben Abdelkader Mabrouka Rouijel Chrifa Attia Fethi Makhali Mohamed Ben Jemaa Souad Ben Ghali Ashref benabdeladhim NOUS REMERCIONS POUR LEUR PRÉCIEUSE CONTRIBUTION

L’équipe du projet Sanaaty Khadija Chamakhi Sabrine Ben Yaakoub Emna Ben Jeddi Oussema Ben Krima Nabil Daghari Anes Mchayaa Marwen Guechai NOUS REMERCIONS POUR LEUR SOUTIEN ET AIMABLE COLLABORATION

L’institut Français Tunisie Commissariat régional des affaires culturelles de Medenine






DJERBA INSOLITE ASSOCIATION

IMMEUBLE 5 RUE MOHAMED FERJANI HOUMT SOUK DJERBA - 4180 PHOTO CREDITS © #PRODART

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