French No. 20 HEAR THE WORLD

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FRANCE 6 EURO ISSN 2190-0639 74099

SUISSE 9 CHF

HEAR THE WORLD LE MAGAZINE DE LA CULTURE DE L’AUDITION

FREIDA PINTO A ÉTÉ PHOTOGRAPHIÉE PAR BRYAN ADAMS

NUMÉRO VINGT

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Pourquoi l’apprentissage des langues est un jeu d’enfant Clink and Drink! Un toast au bruit des verres qui s’entrechoquent James Turrell signe le hall d’assemblée quaker à Houston l’histoire du «Human Beatboxing» La voix de Sam Prekop


Indécelable. Pour tout entendre.

Ce n’est pas seulement une aide auditive pratiquement invisible. Phonak nano est la combinaison idéale de performances auditives maximales et d’une taille minimale. Si petite et confortable – portez-la et oubliez-la. Contactez dès maintenant votre audioprothésiste pour découvrir Phonak nano. www.phonak.com


On me demande souvent si je n’ai pas envie de mettre mon nom au service d’une bonne cause. Dorénavant, je le fais essentiellement pour des projets parrainés par ma propre fondation ; mais en tant que musicien, une initiative comme Hear the World me tient particulièrement à cœur parce qu’elle fait prendre conscience aux gens combien leur audition est précieuse et combien il est important de la préserver. A travers mes photos, j’ai souhaité apporter ma contribution à Hear the World. Les premiers clichés remontent à l’automne 2006 avec Plácido Domingo. Ces photos ont une expressivité particulière parce que les artistes photographiés ont la volonté d’améliorer le quotidien des malentendants. J’apprécie à sa juste valeur la générosité de tous ces artistes bourrés de talent qui ont mis leur nom au service de cette bonne cause. Hear the World s’est par ailleurs occupé avec beaucoup d’attention de plusieurs de mes collèges et amis malentendants. Ces cinq années de collaboration avec la fondation ont pour moi été marquées par de nombreux temps forts et je me réjouis des années à venir pour pouvoir continuer à aider Hear the World à diffuser son message. Félicitations à Hear the World pour ces cinq années d’existence !

Bryan Adams

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MERCI. Votre contribution permet à ces enfants de retrouver leur audition. Soutenez le projet Regain Hearing – Join Life que nous avons lancÊ à Nairobi. Nous avons mis en place un rÊseau de soins pour les enfants atteints de perte auditive en proposant, outre le diagnostic et l’ajustement d’appareils auditifs, des sÊances de rÊÊducation de la parole et un groupe d’auto-assistance pour les parents. Ensemble, donnons aux enfants la chance de connaÎtre un meilleur avenir. Comptes pour dons: 5"3 !' :à RICH s #OMPTE Hear the World &OUNDATION s .UM�RO DE COMPTE 5 2�F�RENCE .AIROBI s )"!. #( 5 s 37)&4 5"37#(:( ! s WWW HEAR THE WORLD COM


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HEAR THE WORLD NUMÉRO VINGT

Editorial

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L’initiative Hear the World La Hear the World initiative a 5 ans, le magazine HEAR THE WORLD célèbre son 20ème numéro

8

COME AGAIN News Plein pot sur les oreilles !

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Frequently Asked Questions

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What’s that sound ? Santé !

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Produits

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HEAR THE WORLD Pourquoi l’apprentissage des langues est un jeu d’enfant

SAFE AND SOUND Programme culturel alla turca

42

De la maternelle au Madison Square Garden

48

L’écho ou comment avoir le dernier mot – les grands mythes de l’audition

52

EASY LISTENING L’Améropéen

58

Pas du tout célèbre en Inde – Un portrait de la jeune actrice Freida Pinto

60

L’histoire du «Human Beatboxing»

62

DJ Spooky : Work-play balance

66

De la musique de filles ? Quo vadis, Jamie Woon ?

70

Philipp Rathmer – L’œil en alerte

72

24

Nos oreilles : une petite merveille de la nature et bien plus que l’organe de l’audition

28

Clink and Drink! Un toast au poison et au champagne, au diable et au bruit des verres qui s’entrechoquent

32

Bien loin des sentiers battus – La bibliothèque «ouverte» de Magdebourg

34

La voix de Sam Prekop

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Le trou dans le toit – James Turrell signe le hall d’assemblée quaker à Houston

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MENTIONS LÉGALES

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EDITORIAL

Chère lectrice, Cher lecteur, Voici le 20ème numéro de HEAR THE WORLD qui marque à la fois l’anniversaire de la création du magazine et les cinq ans d’existence de l’initiative et la fondation du même nom. A une époque où tout semble filer à vitesse grand V, cette célébration est un signe encourageant de fiabilité et de pérennité. Mais nous avons encore plein de projets dans nos tiroirs ! Le très bon accueil que vous réservez au magazine, chères lectrices et lecteurs, mais également les nombreuses récompenses qui lui ont été décernées par des jurys d’experts renommés nous motivent à maintenir le cap pour que nous ayons encore de nombreux anniversaires et jubilés à célébrer ! Le magazine, l’initiative et la fondation n’ont qu’une seule vocation : mettre tout en œuvre pour que l’audition dans tous les sens du terme soit reconnue comme indispensable à une bonne qualité de la vie. Car beaucoup de choses qui donnent du piment à la vie et nous permettent de mener une existence bien remplie ont un rapport avec le bon fonctionnement des sens : bien entendre nous permet d’avoir de bonnes relations sociales avec les autres, de comprendre et d’être compris, de savourer la musique et les bruits de la nature, bref d’éprouver bien-être et sécurité. Une femme sublime, l’actrice indo-portugaise Freida Pinto, fait la couverture de notre magazine. Peut-être l’avez-vous vue dans le film «Slumdog Millionaire», cette histoire à la fois rocambolesque, romantique, comique et triste des bidonvilles de Bombay. Nous sommes fiers que Freida Pinto vienne rejoindre le cercle des célébrités qui défendent notre cause et ont accepté de devenir ambassadeurs de Hear the World. Christian Arndt dresse le portrait de cette artiste. L’histoire que nous raconte Klaus Jahnke dans ce numéro arrive à point nommé pour notre 5ème anniversaire : l’une des premières mélodies qu’un être humain entend dans sa vie est très probablement «Happy Birthday To You», une chanson traduite dans presque toutes les langues du monde. Pourtant cette ritournelle ne relève pas du patrimoine collectif. Elle appartient bel et bien à quelqu’un qui perçoit des tantièmes lors de sa diffusion. L’étrange histoire d’un tube universel…

Les plus grands mythes en rapport avec l’audition, leurs tenants et leurs aboutissants, ont inspiré Max Ackermann. De la nymphe Echo à Orphée en passant par le chant des sirènes, il a composé une ronde «d’histoires de l’audition» auxquelles on ne cesse de faire référence dans le monde moderne et qui donnent matière à d’innombrables variations dans les arts. Une étonnante immersion dans l’histoire de notre culture. Bossa nova, cela vous fait penser à quoi ? Peut-être qu’au lieu qu’une idée vous vienne à l’esprit, vous entendez un son : celui à la fois rythmé et mélancolique d’une musique symbolisant avec la samba toute la joie de vivre du Brésil. Uli Rüdenauer retrace comment «l’inventeur» de ce style musical, Joao Gilbert, a créé la bossa nova dans les années 1950 et comment le chanteur américain Sam Prekop s’est réapproprié son héritage à sa façon. Natif de Chicago, Prekop enrichit le son de la bossa nova avec des influences soul. Un exemple de l’incroyable capacité de la musique du monde à donner naissance à des synthèses nouvelles et originales. Entendre, est-ce que cela s’apprend ? A priori, non – et lorsqu’on observe comment les jeunes enfants apprennent à parler, on n’en finit pas de s’étonner : leur dextérité et leur facilité à identifier les sons, les mots et les voix, mais aussi à comprendre les structures grammaticales est proprement déconcertante. Anno Bachem explique dans son article consacré à l’acquisition du langage que l’audition est le véhicule par lequel nous apprenons à parler et à comprendre. Et je souhaite ajouter : protégeons et préservons ce «canal sur le monde», originel et primordial, chez les enfants dès leur plus jeune âge ! Veillons à ce qu’ils restent «tout ouïe» (et nous tous également). Je vous souhaite beaucoup de plaisir et plein de découvertes enrichissantes à la lecture de ce nouveau numéro ! Cordialement vôtre,

Alexander Zschokke

PHOTO DE COUVERTURE Freida Pinto a été photographiée par Bryan Adams. Les deux artistes apportent leur soutien à l’initiative Hear the World.

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L’INITIATIVE HEAR THE WORLD

La Hear the World initiative a 5 ans, le magazine HEAR THE WORLD célèbre son 20ème numéro Dans le cadre de l’initiative Hear the World, le fabricant d’aides auditives Phonak a créé en décembre 2006 l’œuvre de bienfaisance Hear the World Foundation, il y a maintenant cinq ans. Au même moment, l’initiative a publié le premier numéro de HEAR THE WORLD, le magazine de la culture de l’audition, dont vous tenez le vingtième numéro entre vos mains aujourd’hui. Forts d’une motivation et d’un engagement de tous les instants, l’initiative, la fondation et l’équipe de rédaction sont à pied d’œuvre pour voir se concrétiser leur objectif commun : informer le public partout dans le monde de l’importance de «l’audition» dans notre vie et du handicap dont souffrent ceux qui se retrouvent souvent en marge de la vie sociale en raison de leur perte auditive. Pour bon nombre de ces personnes, chaque jour réserve son lot de difficultés. Une situation parfaitement inimaginable pour les normo-entendants. Et le nombre de personnes concernées par une perte auditive avoisine les 800 millions dans le monde entier ! Deux tiers d’entre elles vivent dans des pays en voie de développement. Dans ces derniers, les déficients auditifs se battent non seulement contre l’isolement sociale, la discrimination et les problèmes quotidiens, mais luttent tout simplement pour survivre. Les pays où règne une grande pauvreté et où la population meurt de faim n’ont ni le temps ni les moyens de s’occuper des problèmes rencontrés par les personnes touchées par une perte auditive. La Hear the World Foundation a 5 ans – Informer durablement, aider concrètement Tout ceci n’est pas une fatalité. Les collaborateurs et partenaires de la Hear the World Foundation font tout leur possible pour permettre à ces personnes de mener une vie aussi normale que possible et de s’intégrer dans leur société. Rares sont les disciplines médicales à obtenir des résultats aussi probants grâce aux avancées technologiques et à l’exactitude des diagnostics. Plus une perte auditive est décelée et traitée médicalement à un âge précoce chez l’enfant, plus les chances sont grandes pour lui grâce à une aide auditive adéquate de bénéficier d’un développement normal du langage, de fréquenter l’école comme tous les autres, de s’instruire et de mener une vie en toute autonomie. C’est la raison pour laquelle les enfants déficients auditifs sont placés au cœur de l’action de la fondation – à ce stade, il est encore possible d’exercer une influence positive sur toute une vie !

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Dans les pays en voie de développement, la moitié de toutes les déficiences auditives pourrait être évitées ; il suffirait par exemple de traiter convenablement les otites purulentes, de prescrire et d’utiliser des médicaments – comme ceux contre la malaria – de telle façon que l’audition ne pâtisse pas des effets secondaires. De nombreux audiologistes et ORL luttent – avec le soutien de Hear the World – partout dans le monde pour une meilleure audition grâce à l’aide médicale et technique et au travail d’information préventive. Un nouveau projet est mis en avant cette année : La Hear the World Foundation apporte pour la première fois son soutien aux Special Olympics, dont les jeux d’été se sont déroulés en juin à Athènes. Special Olympics est le plus grand mouvement sportif mondial pour handicapés mentaux et moteurs, officiellement reconnu par le CIO. Près de 3,5 millions d’athlètes issus de plus de 150 pays sont membres de cette confédération. Un quart d’entre eux environ est touché par une perte auditive, mais souvent ces malentendants sont mal ou pas du tout équipés d’aides auditives adéquates. Special Olympics et la Hear the World Foundation ont fait bénéficier 2.658 sportifs pendant les épreuves à Athènes d’un bilan auditif approfondi pour diagnostiquer une perte auditive. Des candidats se sont vus remettre gratuitement des bons d’échange pour 344 appareils auditifs remédiant à leur perte auditive. Dans leur pays d’origine, ils pourront recevoir auprès de leur partenaire Phonak local des appareils Phonak haut de gamme ajustés de façon optimale à leur cas et bénéficieront d’un suivi à long terme et de contrôles réguliers.


Ambassadeurs de l’audition L’engagement infatigable et le professionnalisme de nombreux partenaires du projet tout autour du globe ne sont pas les seules raisons pour lesquelles la fondation a pu engranger autant de succès depuis sa création il y a cinq ans. La Hear the World Foundation doit également sa notoriété et sa réussite à l’engagement des quelque cinquante ambassadeurs de Hear the World – des célébrités du monde de la musique, du cinéma et du sport. Ce qui commencé en 2006 avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne et Placido Domingo a grandi peu à peu pour devenir aujourd’hui une vaste communauté de parrains. Des musiciens de renommée mondiale comme Sting, Bobby McFerrin, Bryan Ferry ou Annie Lennox en font partie au même titre que des acteurs de premier plan : Ben Kingsley, Jude Law, Tilda Swinton ou Julianne Moore. Des sportifs aussi, comme le pilote de formule 1 Jenson Button, se sont mis au service de la fondation. L’homme qui, appareil au poing, a réalisé des portraits expressifs en noir et blanc de tous ces ambassadeurs pour donner son véritable visage à la Hear the World Foundation, était lui aussi davantage connu comme musicien par le grand public : Bryan Adams. Il sillonne le monde avec beaucoup d’engagement en qualité de photographe et s’est désormais fait un nom dans ce métier également. Ces célébrités qui soutiennent Hear the World sont secondées dans leur tâche par des ambassadeurs communautaires, eux-mêmes touchés par une perte auditive. Ils encouragent d’autres malentendants, leur prodiguent des conseils précieux et leurs racontent leurs expériences – personne n’est aussi bien placé pour le faire ! 20 numéros du magazine HEAR THE WORLD – le monde fascinant de l’audition Le magazine HEAR THE WORLD célèbre lui aussi un anniversaire avec la sortie de ce 20ème numéro. Pour comprendre, estimer et protéger véritablement quelque chose, il faut en faire soi-même l’expérience et le vivre directement. C’est cette prise de conscience pour le thème de l’audition et de la perte auditive que le magazine HEAR THE WORLD veut favoriser et aiguiser. Le magazine invite ainsi quatre fois par an à un voyage de découverte sensorielle à travers le monde de l’audition. Chaque numéro décline une large palette de thèmes touchant à la musique, l’art, la nature, le sport et propose une incursion dans le monde des sens. Tous les articles ont pour point commun leur rapport avec l’audition.

La fondation n’a rien à débourser pour la réalisation du magazine. Tous les frais sont intégralement pris en charge par le fabricant d’aides auditives Phonak. Les recettes nettes totales sont reversées à la Hear the World Foundation et peuvent être immédiatement réinvesties dans des projets. Hear the World est le fruit de la responsabilité sociale de la société Phonak. Sans la contribution de Phonak, ni le travail de la fondation ni le magazine ne seraient possibles. Chaque jour un nouveau challenge L’initiative Hear the World a réalisé beaucoup de choses au cours des cinq dernières années. Fruit de ce travail, elle s’est vu récompenser plus de 20 fois par des distinctions et des prix. Mais tous les jours, nous sommes confrontés à des destins qui nous touchent et, surtout, nous constatons combien on peut faire changer les choses dans la vie des personnes concernées. Qui a déjà vu s’illuminer le visage d’un enfant qui perçoit tout à coup les bruits de son environnement grâce à une aide auditive et se met immédiatement à imiter des sons avec enthousiasme, puis à prononcer les premiers mots, celui là ne l’oubliera jamais de toute sa vie. Aidez-nous à poursuivre notre action partout dans le monde en ramenant le sourire sur toujours plus de visages et en assurant la scolarisation de ces petits bouts de chou pour leur offrir des chances d’avenir. Nous vous garantissons que chaque don sera utilisé avec efficacité pour des actions ciblées afin de mettre en œuvre de nouveaux projets avec nos partenaires professionnels, soit pour la prévention de la perte auditive, pour l’information et le diagnostic médical, soit pour le traitement de déficiences auditives existantes. 16% de la population mondiale est touchée par la perte auditive – il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine !

Voici les coordonnées bancaires pour vos dons : UBS AG, Zürich Compte : Hear the World Foundation IBAN : CH12 0023 0230 4773 8401 U SWIFT: UBSWCHZH80A

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COM AGA 10 HEAR THE WORLD


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NEWS

Plein pot sur les oreilles ! Une toute nouvelle façon d’écouter de la musique suscite l’engouement du public depuis peu: les concerts par casque. Comme son nom l’indique, la musique créée lors de ce type d’événement musical est directement diffusée à distance dans les oreilles des auditeurs par casque radio. Inédit, surprenant et sans commune mesure avec un concert au sens traditionnel du terme ! En effet, il manque l’élément essentiel qui caractérise un concert live – le contact direct entre les musiciens et le public, ainsi que la sensation unique ressentie par le fan au beau milieu d’une foule de gens partageant la même passion.

On verra bien si ce concept finit par s’établir définitivement. Pour le moment, ce n’est encore qu’une tendance. Et de toute façon, il y a des genres musicaux pour lesquels le concert par casque n’est pas particulièrement indiqué… Lorsqu’on est fan de heavy-métal, mieux vaut ainsi ne rien changer à ses habitudes de concert live ! Sandra Spannaus

Illustration: Hennie Haworth

Ce type de spectacle innovant laisse amplement matière à l’expérience aux deux protagonistes – les artistes dont la musique est désormais perçue tout autrement et l’auditeur qui peut apprécier sa musique en toute exclusivité malgré la masse de spectateurs et a peut-être enfin l’opportunité de comprendre correctement les textes et les paroles de son groupe préféré.

Live et pourtant chacun pour soi. Toutefois la communication a plutôt tendance à pâtir de cette forme de concert – il reste à espérer que les spectateurs retirent au moins leur casque à l’entracte ou lors des pauses techniques et conversent sans se renfermer dans leur propre monde intérieur.

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FREQUENTLY ASKED QUESTIONS

Je souffre d’un traumatisme acoustique à l’oreille droite depuis un récent concert. Tous les tests réalisés indiquent que mon audition est normale. Mais depuis deux mois, un acouphène a fait son apparition. J’ai lu que lorsqu’il était provoqué par un son, un acouphène pouvait disparaître après un mois ou deux. Est-ce vrai ? La plupart d’entre nous ont déjà eu les oreilles qui sifflent ou qui bourdonnent après un concert «généreux en décibels». Lorsque cela se produit, c’est un signe que nous avons exposé les cellules ciliées microscopiques qui tapissent notre oreille interne à une stimulation excessive. Dans la plupart des cas, cet état est de nature passagère ; après un jour ou deux, nos cellules ciliées recommencent à fonctionner et l’acouphène s’estompe. Parfois, si la musique était forte pendant une période suffisamment longue, les cellules ciliées subissent un dommage permanent. Je suis curieux de savoir si la batterie de tests que vous avez réalisés comprenait un test de la fonction des cellules ciliées appelé otoémissions acoustiques. Il s’agit d’une méthode très sensible qui permet au professionnel de l’audition de comprendre si des changements minimes sont intervenus dans votre oreille, avant même qu’ils puissent être diagnostiqués par un bilan audiométrique standard. Dans le cas de l’acouphène consécutif à un traumatisme auditif potentiel, il est possible que celui-ci s’estompe avec le temps. Cette disparition est davantage liée à votre réponse émotionnelle au bruit dans vos oreilles qu’au catalyseur auquel vous avez été exposé initialement. Comme toujours, la meilleure façon de ne pas abîmer votre audition pendant un concert est de porter des protections auditives. Dr. Craig Kasper, Chief Audiology Officer of Audio Help Hearing Center

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Est-ce vrai qu’un plongeur (dont le tympan a éclaté) s’aperçoit qu’il nage en direction du fond mais ne parvient pas à coordonner ses mouvements pour remonter en direction de la surface ? A mon avis, c’est l’eau qui pénètre à l’intérieur de son oreille qui perturbe tous ses mouvements. A travers le trou dans son tympan, de l’eau froide pénètre dans l’oreille moyenne du plongeur. L’eau froide excite l’organe de l’équilibre situé dans l’oreille en provoquant de violents étourdissements, une perte d’orientation, des troubles de la vue pouvant même aller jusqu’à entraîner une perte de conscience. C’est la raison pour laquelle le plongeur ne parvient plus à s’orienter correctement. Par conséquent, il est absolument interdit de plonger lorsqu’on est atteint d’une déficience au niveau du tympan. Dr. Michaela Fuchs, ORL, praticienne diplômée en médecine de voyage et du tourisme

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WHAT’S THAT SOUND ?

Photo: Markus Bassler

Santé !

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PRODUITS

Furia pour les yeux et les oreilles – Rachel Kolly d’Alba Depuis que le look d’un artiste intervient également dans sa notoriété, la musique classique a vu grimper la popularité des David Garrett ou Vanessa Mae, des musiciens qui redonnent un coup de jeune à l’image de la scène et enthousiasment de plus en plus les jeunes générations pour le classique. La jeune virtuose du violon suisse Rachel Kolly d’Alba s’inscrit dans cette lignée. Son talent, au même titre que son apparence, ne laissent personne indifférent. Reconnaissable à sa crinière rousse et à son maquillage exubérant, cette musicienne corps et âme décline tous les registres de son art dans son CD «Passion Ysaÿe», un hommage au compositeur et violoniste belge Eugène Ysaÿe, décédé en 1931. Les deux musiciens ont pour point commun d’avoir commencé leur carrière dans leur prime jeunesse à l’âge de cinq ans et d’avoir le même instrument de prédilection, un stradivarius. Grande habituée des festivals internationaux

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et invitée d’honneur appréciée des orchestres de renom dans le monde entier, Rachel Kolly d’Alba s’est non seulement fait un nom dans la musique classique, mais également dans l’univers contemporain pour lequel elle manifeste un grand intérêt. De nombreux enregistrements en témoignent et viennent souligner la polyvalence de la jeune artiste. A la limite de la stridence pour les oreilles non initiées, Rachel Kolly d’Alba fait preuve de virtuosité et de constance, tous genres confondus. La passion au sens propre du terme, la «Passion Ysaÿe», laissera un souvenir impérissable dans l’oreille des auditeurs. Et les journalistes spécialisés du monde entier qui chantent ses louanges ne sont pas les seuls à attendre avec impatience ses projets à venir. On a hâte de voir sur quels registres elle jouera la prochaine fois. Label : Warner Cla (Warner Music Switzerland) ASIN : B003C1SPQ0


PRODUITS

Petersen /Radiohus Il est plutôt rare qu’une maison de meubles de tradition ne se cantonne pas seulement à réaliser des articles sur commande, mais se voue également au design contemporain. Et pourtant, c’est le cas de l’entreprise familiale des frères Egon et Erling Petersen dans la cité danoise d’Arhus. Ces «vrais» jumeaux qui travaillent main dans la main depuis 40 ans confectionnent des meubles dans le cadre idyllique d’une ferme transformée. En faisant preuve d’une minutie hors pair et en sélectionnant les matériaux les plus nobles, ils réalisent notamment la collection de Finn Juhl. Ce dernier a collaboré pendant des années avec l’architecte danois Vilhelm Lauritzen qui a aménagé au début des années trente la Maison de la Radio de Copenhague avec une série de meubles spécialement créée pour les lieux. A l’occasion de la rénovation de ce même bâtiment, les frères Petersen ont été récemment chargés de reconstruire le sofa «Radiohus» imaginé par Lauritzen. Le résultat s’est apparemment avéré si probant qu’ils ont même pu acquérir les droits des modèles créés par Lauritzen. Et ils ne se sont pas

arrêtés en si bon chemin – les droits de plusieurs autres créations comme l’Oda Chair de Nanna Ditzel et la Seal Chair d’Ib Kofod Larsen leur sont désormais dévolus grâce aux bonnes relations qu’ils entretiennent avec les familles de ces designers. Ceci leur permet désormais de lancer leur propre collection de meubles sur le marché. Pour le marketing, le duo de designers accorde sa confiance en exclusivité à l’agence allemande de Hambourg Wohnkultur66, spécialisée dans les classiques du design scandinave, et qui avait déjà commercialisé avec succès les gammes de meubles de Finn Juhl. Des prototypes de la collection Petersen sont déjà visibles à Hambourg, mais celle-ci sera officiellement présentée en même temps que la collection Finn Juhl à la foire-exposition de meubles de Cologne dans le cadre du programme off «Passagen» à l’hôtel Chelsea. www.wohnkultur66.de

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PRODUITS

Max Frisch : L’homme apparaît au quaternaire Privé de la possibilité de quitter le lieu où il se trouve, le retraité M. Geiser analyse le tonnerre, ce grondement qui accompagne l’orage au fin fond de la montagne tessinoise. Il le classe en plusieurs catégories : détonation, fracas, tintamarre, bégaiement… Il énumère 16 caractéristiques différentes du tonnerre. Lui, le vieil énergumène, qui ne peut pas travailler au jardin à cause du mauvais temps, et tue le temps en fabriquant des pagodes en biscottes lutte aussi éperdument pour ne pas perdre la mémoire à grands renforts de bouts de papier «pense-bête» qu’il dissémine dans la maison. La violence des forces de la nature qui apparaissent extrêmement menaçantes aux yeux de M. Geiser et prennent une dimension presque apocalyptique ainsi que ces 16 catégories de tonnerre symbolisent le déclin personnel et la peur de la mort inéluctable.

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L’œuvre tardive de Max Frisch «L’homme apparaît au quaternaire» n’a pas rencontré un grand succès lors de sa parution en 1979. En Allemagne, les critiques la jugèrent trop autobiographique, même si Frisch démentit formellement que ce fut le cas. L’importance de ce roman ne fut reconnue que beaucoup plus tard lorsque s’ouvrit le débat sur la vieillesse et la mort. Max Frisch aurait eu cent ans cette année. Nous célébrons également le vingtième anniversaire de sa mort. Autant d’occasions de se replonger dans la lecture d’un de ses livres… ISBN-13 : 978-3906763545 (français) ISBN-13 : 978-3518372340 (allemand)


PRODUITS

A la plage ou au bureau – entendre parfaitement quel que soit l’environnement Porter une aide auditive et mener une vie active ? Ce n’est plus incompatible aujourd’hui. Autrefois, les utilisateurs d’aides auditives étaient souvent gênés dans l’exercice de leurs activités en plein air parce que l’eau, la poussière et la transpiration pouvaient facilement affecter les performances de leurs appareils, voire même les abîmer. Aujourd’hui, ces utilisateurs peuvent faire appel à une toute nouvelle technologie afin de profiter pleinement des activités de la vie quotidienne sans même avoir à se soucier de leur aide auditive : travailler au bureau, discuter dans un restaurant, sortir se balader alors qu’il pleut dehors ou embarquer à bord d’un voilier – une nouvelle génération d’aides auditives à l’épreuve de l’eau et de la poussière offre non seulement une meilleure compréhension de la parole dans la vie de tous les jours, mais garantit également une utilisation en toutes conditions, même les plus extrêmes et même au contact de l’eau.

les modèles M H2O de Phonak sont le compagnon idéal de toutes les activités en extérieur, jogging, vélo ou nautisme. Le porteur peut compter sur son aide auditive tout au long de la journée et pendant ses activités préférées sans jamais avoir à craindre de l’abîmer.

Discret et pourtant ultra performant, M H2O de Phonak garantit la meilleure intelligibilité possible dans n’importe quel environnement. Grâce à leur boîtier spécialement résistant à l’eau et à la protection par nanocoating qui empêche l'humidité et la poussière de pénétrer à l’intérieur,

Cette solution à la fois élégante, confortable et compacte s’adapte en toute sécurité derrière l’oreille en restant pratiquement invisible. L’utilisateur peut s’en remettre pleinement à son aide auditive, qu’il pleuve ou que le soleil brille.

Intégrant la nouvelle technologie Spice+, le M H2O de Phonak a été conçu pour les utilisateurs qui souhaitent profiter de la meilleure qualité de son et de la plus haute fiabilité en toute situation. L’aide auditive est équipée de plusieurs technologies intelligentes qui s’adaptent automatiquement à différents environnements d’écoute pour une parfaite intelligibilité même dans les situations délicates, comme au restaurant, au bar ou lors de réunions. La résistance élevée à l’eau assure que le M H2O de Phonak fonctionne sans problème même à proximité de l’eau ou dans un environnement humide.

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SAVOIR

Pourquoi l’apprentissage des langues est un jeu d’enfant L’acquisition du langage chez les jeunes enfants constitue une exception à la règle qui veut que, de la naissance à l’âge adulte, l’être humain se développe selon un processus de maturation linéaire et progressif, une particularité qui reste largement méconnue. Au cours de l’évolution, l’hémisphère gauche du cerveau semble avoir mis au point un programme qui permet aux bébés et aux enfants en bas âge de réaliser sans effort de véritables exploits dans la réception du langage, à commencer par la reconnaissance des sons et des mots, jusqu’au déchiffrage de structures grammaticales. Cette étonnante compétence des jeunes enfants pour les langues, qui surpasse largement le sens de la langue des adultes, leur procure une facilité incroyable non seulement dans l’apprentissage de leur langue maternelle, mais également d’une ou de deux autres langues étrangères. Il s’agit là d’un phénomène universel qui touche tous les enfants jusqu’à leur cinquième anniversaire, dès lors qu’ils ne sont pas handicapés par une forme quelconque de déficience auditive. L’acquisition du langage – un jeu d’enfant La faculté d’écouter attentivement tous les sons est la clé qui va permettre à l’enfant de mettre pleinement à profit la compétence linguistique qui lui est donnée par à la naissance. Et chez les bébés, cette prédisposition commence bien avant la naissance, avec les bruits auxquels ils sont confrontés et qu’ils entendront plus tard au quotidien. On sait aujourd’hui que, dans le ventre de sa mère, le fœtus est déjà capable non seulement de percevoir les phonèmes du langage, mais également de les dissocier des autres bruits extérieurs. Vers le début du 7ème mois de grossesse, le fœtus est à l’écoute de la voix de sa mère qui lui parvient assourdie. Comme il ne peut cependant pas encore percevoir les hautes fréquences, il n’entend que la mélodie vocale, ce qu’on appelle la «prosodie». Les bases de l’acquisition du langage sont ainsi jetées à un stade très précoce. En effet, les neurolinguistes ont découvert qu’après la naissance, le nouveau-né privilégie parmi tous les sons la prosodie de la mère, ancrée dans sa mémoire. Par ailleurs, lorsqu’il est confronté à différents types de stimulations acoustiques, le jeune enfant manifeste une préférence marquée pour la parole. Sa réaction est également beaucoup plus prononcée lorsqu’il entend la langue parlée par sa mère – en d’autres termes, sa langue maternelle – dès lors que la mélodie de cette langue diffère disctinctement de celle d’une autre langue, comme par exemple l’allemand ou l’anglais par opposition au chinois. Les bébés, comme des batteries de tests complexes l’ont démontré, sont déjà capables peu de jours après leur naissance de dissocier ces langues.

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Les expériences faites par le fœtus à la phase prénatale joueraient un rôle dans cette prédisposition. Pour preuve : après la naissance, les nourrissons sont en mesure de reconnaître un texte que la mère à lu à voix haute dans la dernière phase de la grossesse rien qu’en écoutant ses caractéristiques prosodiques. L’acquisition du langage dans la petite enfance commence ainsi par un développement prénatal du sens de la langue, avant même que l’enfant soit en mesure de prononcer le moindre son. Cette faculté serait congénitale et ancrée dans la structure neuronale du cerveau puisque, hormis la perception altérée du langage de sa mère, le fœtus n’est soumis à aucune influence du milieu extérieur capable de stimuler le langage. Un don partagé par tous les enfants – l’oreille absolue des langues Il en va de même pour la faculté partagée par tous les bébés d’identifier chaque phonème parmi la centaine recensée dans les 7000 langues existantes aujourd’hui, soit tous les phonèmes vocaliques et consonantiques jusqu’aux plus occultes, comme le son th des anglophones ou les sons des Indiens shawnee d’Amérique du Nord, voire même les cliquètements et claquements de langue des langues khoisan d’Afrique du Sud et hadza de Tanzanie. En bref : les enfants sont en mesure d'apprendre le plus facilement du monde tous les phonèmes connus en linguistique. Quelques mois déjà après leur naissance, les nourrissons ont la faculté de filtrer et de structurer autant d'informations linguistiques que possibles parmi tous les bruits qui les entourent. Selon des études de l’institut Max Planck, ils sont capables d’identifier et de comprendre les raccourcis de mots employés dans le langage de tous les jours, des expressions du genre «vavoiràlacaves’ilyadel’eau». En d’autres termes : ils possèdent par nature l’oreille absolue pour les langues. Mais ils perdent petit à petit ce don naturel qu’il est impossible d’acquérir plus tard, à l’âge adulte. Ainsi un Russe aura toutes les difficultés du monde, même s’il parle correctement l’anglais ou l’allemand, à se débarrasser de son roulement de R lorsqu’il prononce les mots étrangers. De la même façon, un Chinois ne parviendra quasiment jamais à prononcer ce R. Ce répertoire illimité de vocalisation que possèdent les enfants en bas âge, et qui permet aux bébés d’éclipser les adultes, les prédestine à apprendre phonétiquement n’importe quelle langue sans erreur, notamment lorsqu’ils grandissent dans des familles bilingues ou trilingues.


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Illustration: Hennie Haworth


Cette capacité est toutefois supplantée aux alentours du premier anniversaire par une phase de rationalisation au cours de laquelle le cerveau infantile se concentre inconsciemment sur le système phonémique de sa langue maternelle. Durant cette phase, les enfants fixent leur attention sur l’intonation et la prononciation pour apprendre à dissocier les mots plus rapidement. En allemand par exemple, la première syllabe des mots est généralement accentuée, et c’est sur ce modèle que s’opère la différenciation chez les petits Allemands. Si, par hasard, ils entendent du français, une langue qui met l’accent sur la seconde ou la dernière syllabe des mots, ils n’y prêtent pas attention car l’intonation est étrangère à ce qu’ils entendent habituellement. Il semble qu'un système de réception neuronale localisé dans le cerveau soit responsable de cette différentiation des mots selon leur intonation. Ainsi peut-on déterminer en fonction de la mélodie des cris poussés par un nouveau-né, s’il s’agit d’un francophone ou d’un germanophone. Le premier émettra un cri ascendant, anticipant en quelque sorte l’intonation sur la deuxième syllabe, le second poussera un cri descendant en corrélation avec l’accentuation sur la première syllabe des mots.

Le «big-bang» de l’extension du vocabulaire intervient simultanément avec la construction de phrases grammaticalement correctes. Aux alentours de leur 5ème anniversaire, les enfants possèdent un vocabulaire pouvant aller jusqu’à 10 000 mots. A cet âge, ils savent déjà très bien raconter des histoires puisqu’ils maîtrisent suffisamment bien la grammaire de leur langue maternelle. Ils surclassent même les adultes étrangers qui certes parlent leur langue, mais au prix d’un laborieux apprentissage. Comme les adultes ont perdu le sens de la langue qu’ils possédaient dans leur prime jeunesse, ils ont tendance à transférer les particularités syntactiques de leur propre langue sur la nouvelle langue qu’ils apprennent. Ainsi un Allemand qui souhaite exprimer son envie de conduire une voiture aura tendance à dire en français «je voudrais la voiture conduire». «Un enfant de trois ans qui apprend le français comme langue maternelle ne commet pas une telle erreur», signale Jürgen Weissenborn, linguiste à l’université Humboldt de Berlin. Les enfants semblent posséder une barrière naturelle contre les erreurs de grammaire que les adultes sont incapables de réactiver lorsqu’ils apprennent une langue étrangère, même en se donnant toutes les peines du monde.

Le big-bang du développement du langage Inné ou acquis – telle est la question Avant d’être lui-même capable de formuler son premier mot, l’enfant exerce ses organes articulatoires. Vers l’âge de 6 mois environ, ils sont suffisamment développés pour lui permettre de s’exprimer à l’aide du larynx, des cordes vocales et de la langue. Dès lors, le bébé abandonnera peu à peu ses, vocalisations, lallation et autres gazouillis pour adopter un babillage rudimentaire. Ainsi, les enfants en bas âge prononcent des polysyllabes incompréhensibles du genre dadohpahdu, mais qui permettent déjà de reconnaître leur langue maternelle à partir du rythme et de la mélodie de la phrase. Vers un an, un an et demi, les syllabes sont combinées pour former des phonèmes sensés et beaucoup d’enfants prononcent alors leurs premiers mots. Cette phase est suivie à partir de 18 mois par une brusque accélération de l’acquisition du langage, que les psychologues du développement ont baptisé «explosion lexicale» car les enfants apprennent six à neuf nouveaux mots par jour. Cette brusque accélération provient probablement du fait que les enfants constatent à ce moment que la vie est d’autant plus facile qu’ils peuvent nommer des choses et exprimer des souhaits. Les mots étant des véhicules relationnels, l’enfant reçoit davantage d’attention et de sollicitude et accède également à plus de gratifications matérielles. Le langage est automatiquement utilisé comme instrument pour assurer la réponse aux besoins. Ce processus d'apprentissage des mots dans un but bien précis s’expliquerait également par le fait que, partout dans le monde, les relations entre les hommes sont à l’origine de deux tiers de toutes les conversations.

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Linguistes, neurolinguistes et psychologues du développement ne sont pas prêts de tomber d’accord sur les raisons pour lesquelles les enfants sont d’emblée capables d’acquérir un système aussi complexe comme le langage, un peu comme s’il s’agissait d’un jeu d’enfant. L’aspect ludique intervient surtout dans le déroulement inconscient de ce processus. C’est la grosse différence avec l’apprentissage conscient d’une langue pendant la scolarité ou à l’âge adulte qui implique des efforts cognitifs considérables. Un chercheur a un jour exprimé son admiration pour les performances linguistiques des bambins en affirmant avec un peu d’audace : si les enfants connaissaient la complexité de la tâche à laquelle ils sont confrontés, ils renonceraient avant même de s’y atteler. Le célèbre anthropologue structuraliste Claude LéviStrauss, qui s’est également intéressé à la linguistique, a été l’un des premiers à pointer le fait que tous les modèles de comportement linguistiques sont localisés au niveau de l’inconscient. «Lorsque nous parlons», a écrit Lévi-Strauss, «nous ne sommes pas conscients des lois de syntaxes et de morphologie qui gouvernent le langage, ni des phonèmes que nous utilisons pour différencier le sens de nos mots». Si l’on conçoit la caractérisation de la langue comme un système d’opérations inconscientes de l’information, qui nous sont inspirées par un «esprit supérieur», comme le linguiste américain Benjamin L. Whorf a défini l’inconscient en 1956, on peut alors affirmer avec les structuralistes : nous ne parlons pas, nous sommes parlés par la langue. En d’autres termes, l’automatisme de réception et de production du langage, qui suscite chez les jeunes enfants


une grande réceptivité pour une acquisition universelle des langues et une compétence phonétique illimitée, trouve son prolongement chez les adultes sous une forme limitée, concentrée sur la langue maternelle. Si l’on part du principe qu’il s’agit d’un automatisme, on se range en quelque sorte derrière la théorie défendue par le linguiste Noam Chomsky d’une acquisition réflexe de la langue opérée par un module spécifique du cerveau qu’il a baptisé «Language Acquisition Device», c’est-à-dire dispositif d’acquisition du langage. Cet «organe linguistique» serait le siège de la grammaire universelle ou sousjacente, une série de règles communes à toutes les langues. La naissance de langues véhiculaires ou pidgin à l’époque coloniale parlerait ainsi en faveur de cette théorie de la grammaire universelle. Pendant la colonisation, la promiscuité à laquelle ont été contraints des peuples d’origines et de langues différentes dans les plantations européennes et américaines à la Jamaïque, Haïti, Guyane, Hawaï etc. a entraîné l’émergence de langues simplifiées servant de moyen de communication, mais dénuées de règles de grammaire. Les idiomes primitifs de ces langues véhiculaires ont rapidement donné naissance dans différentes régions du monde à de nouvelles langues à part entière, différentes du pidgin et appelées créole. A Hawaï, le créole a émergé en l’espace d’une génération. En d’autres termes, les enfants des migrants ont institué un certain nombre de règles de grammaire que leurs parents ne pouvaient pas leur avoir apprises. Ils ont bien dû les inventer quelque part. Le plus étonnant est que la grammaire du créole hawaïen est pratiquement identique à celle des autres langues créoles, quelle que soit la combinaison de langues maternelles pidgin dont elles provenaient à l’origine. Pour étayer sa théorie nativiste du langage inné et de la disposition héréditaire à utiliser ce potentiel de façon optimale pendant un laps de temps très court de 5 années, Chomsky a mis en avant l’observation que les jeunes enfants apprennent leur langue maternelle à vitesse grand V alors que les adolescents et les adultes éprouvent en général les plus grandes difficultés pour apprendre les langues étrangères. Le premier obstacle de taille est la phonétique et la prononciation inhabituelle. Lorsque dans les années soixante du siècle dernier, les premiers travailleurs émigrés turcs sont arrivés en République fédérale d’Allemagne, la langue allemande leur a donné du fil à retordre. Leur prononciation a fait naître de nouvelles dénominations encore utilisées aujourd’hui par les anciennes générations.

La quête de réponses se poursuit La théorie de Chomsky présente toutefois plusieurs points faibles. Dans sa forme pure, elle est insoutenable, comme ses partisans l’ont désormais eux-mêmes reconnu. On invoquera par exemple le fait qu’un enfant a besoin en moyenne de 5 années pour apprendre la grammaire et que son taux d’erreurs est élevé au début. Par ailleurs, les enfants auxquels la mère s’adresse avec une intonation mélodique appropriée à leur âge font des progrès en langue plus rapidement que ceux qui ne bénéficient pas d’une attention régulière. Le «langage infantile» dont se servent instinctivement les mères dans le monde entier se caractérise par des phrases courtes, une intonation exagérément aigüe et une prononciation particulièrement distincte. Elle présente par conséquent une mélodie caractéristique que les enfants écoutent plus volontiers que toutes les autres façons de parler des adultes. Comme cette sollicitude maternelle stimule l’acquisition du langage, on peut partir du principe que le comportement adopté par les enfants lorsqu’ils apprennent la langue est influencé par des impulsions extérieures. Ce postulat est étayé par la constatation que, plus les mères s’occupent de leurs bambins et s’adressent à eux dans une langue appropriée à leur âge, plus les enfants imitent les sons, et plus leur vocabulaire productif sera étendu à l’âge de 21 mois environ. Ce résultat a été prouvé par une série d’études européennes. Au début des années cinquante du vingtième siècle, l’approche behavioriste était encore largement répandue. Selon cette doctrine, le développement du langage était uniquement influencé par des facteurs extérieurs dans l’environnement immédiat de l’enfant. Les behavioristes avaient appelé ce processus le «conditionnement opérant». Noam Chomsky réfutait leur dogme par son hypothèse nativiste d’enfants «préprogrammés» au niveau neuronal. Aujourd’hui, la linguistique a pris congé de ces approches monocausales. Comme aucune théorie prédominante n’a pu être formulée pour le processus complexe d’acquisition du langage et de développement de la langue, on est passé à une prise en compte intégrative des deux positions. Aussi bien des interactions entre des facultés innées intrinsèques que des incitations extrinsèques provenant de l’environnement de l’enfant jouent un rôle dans l’acquisition du langage. Quelle part revient aux deux facteurs dans ce processus est une question qui fournira pendant longtemps encore matière à discussion entre les chercheurs. De nombreuses interrogations sont encore sans réponse. Mais si Noam Chomsky en personne, comme il l’a déclaré récemment lors de la cérémonie de remise du titre de professeur d’honneur de l’université de Cologne, n’est même pas sûr de l’existence même de la langue, alors c’est qu’il n’a qu’un seul objectif : pousser la recherche à intensifier ses travaux pour déchiffrer enfin le mystère de notre langue. Anno Bachem HEAR THE WORLD 27


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SAVOIR

Nos oreilles : une petite merveille de la nature et bien plus que l’organe de l’audition Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez mis un coquillage à votre oreille ? Et où vous avez bien cru entendre le bruit de la mer ? Notre organe de l’audition participe plus que nous l’imaginons à la découverte du monde qui nous entoure. La vue, l’odorat, le toucher, le goût et l’audition sont chez l’homme les cinq principaux sens. Entendre ne nous permet pas seulement de découvrir le monde autour de nous, mais constitue également la condition sine qua non du développement du langage et de la communication. Ainsi considère-t-on parfois que l’ouïe est le sens le plus important. L’audition s’opère à deux niveaux : • mécanique • neurologique L’expérience de l’audition implique un aspect mécanique qui intervient dans l’oreille et un aspect neurologique localisé dans le cerveau. Si l’on est parfaitement capable de décrire et d’expliquer le fonctionnement mécanique, il n’en va pas de même de l’aspect neurologique qui continue à faire débat parmi les chercheurs. Ainsi, on ne sait pas vraiment si tout le monde interprète les sons de la même manière. Nombreux en effet sont ceux qui pensent que l'expérience de l’audition est unique, qu’elle ne peut donc être reproduite et que deux individus la percevront de manière différente. Mais alors comment expliquer que le son que produisent des ongles grattant un tableau noir est insupportable pour la plupart des gens ? La raison relève du domaine de la psychoacoustique. Il s’agit de l’étude scientifique de la perception auditive, et plus particulièrement des réponses psychologiques et physiologiques associées aux sons intervenant par exemple dans le langage ou la musique. La psychoacoustique analyse l’impact du son sur le système nerveux humain.

Illustration : Stefan Kugel

Nos oreilles ne dorment jamais Nos oreilles comptent parmi les organes les plus actifs de notre organisme – en fait, elles sont à l’affût 24 heures sur 24. Même lorsque nous dormons, nous percevons passivement les sons qui nous parviennent. Pendant notre sommeil, cette partie du cerveau continue d’analyser les sons autour de nous et décide s’il est nécessaire de réveiller la personne pour qu’elle puisse réagir. On pense que le lobe frontal du cerveau joue un rôle déterminant dans les fonctions de vigilance, dans la mesure où il filtre les nouveaux sons et prépare éventuellement le corps à y réagir. C’est ce mécanisme qui fait qu’une mère endormie ne sera pas dérangée par le bruit de la circulation, mais sera sur pied dès que son bébé commencera à gémir. Cette écoute passive pendant le sommeil permettrait dans une certaine mesure d’améliorer nos capacités de mémorisation. Une étude publiée dans le journal Science a notamment montré qu’il était possible de consolider une forme de mémoire pendant son sommeil. Les chercheurs ont découvert que le fait d’entendre certains sons pendant un somme aidait par exemple les gens à se souvenir d’informations associées à ceux-ci

une fois réveillés. Plus surprenant encore, ils ont prouvé que les mêmes sons entendus à l’état de veille n’avaient pas le même effet positif sur la mémoire que lorsqu’ils étaient perçus pendant le sommeil. Ces résultats confirment le fait que le cerveau continue de travailler la nuit pour consolider les acquis de la journée. La musique adoucit les mœurs… Le don pour la musique est-il inné ou acquis ? Un thème récurrent qu’ont abordé nombre de chercheurs… Les résultats les plus récents suggèrent cependant que nous naissons avec un sens naturel du rythme et de l’harmonie. Des chercheurs ont fait entendre de la musique à des nouveau-nés endormis et enregistré l’activité de leur cerveau. Ils ont découvert que les bébés naissent avec un sens étonnant de la musique ; il semblerait donc que ce que l’on appelle «l’oreille musicale» ne soit pas forcément affaire d’expérience comme on tendait à le croire auparavant. Une chose cependant n’est plus remise en doute aujourd’hui : les bienfaits de la musique sur la santé, tant sur le plan anecdotique que d’un point de vue scientifique. Ecouter de la musique peut influencer la manière de fonctionner de notre cerveau. Il a par exemple été prouvé que la musique très rythmée pouvait stimuler le cerveau en modifiant les ondes cérébrales. Les rythmes rapides ont la faculté d’affûter la concentration et d’augmenter la vigilance. Et logiquement, la musique lente, faiblement rythmée, produit un effet calmant. C’est ainsi qu’en 1991, un chercheur français a qualifié la réponse physiologique à l’écoute de la musique d’«effet Mozart». Le Dr Alfred Tomatis a affirmé qu’il était capable de «rééduquer» l’oreille par le simple recours aux hautes fréquences dont foisonne la musique de Mozart. En stimulant les voies auditives, la musique serait capable de favoriser également la guérison et le développement du cerveau. Depuis, l’idée que la musique de Mozart augmente l’intelligence n’a cessé de faire des émules dans le monde. Mais s’il a effectivement été prouvé que l’effet Mozart pouvait améliorer le QI, ce n’est pas là le seul bienfait de la musique : nombre de très sérieux documents attestent des effets positifs de cette dernière pour recouvrer ses facultés intellectuelles après un accident vasculaire cérébral, dans la lutte contre le stress, l’accroissement de la productivité au travail et, tout simplement, pour retrouver un moral d’acier. Entendre dans le monde moderne Il est faux de croire que la perte auditive est avant tout due au poids des années. Les spécialistes s’accordent entre temps à dire que c’est l’exposition excessive au bruit qui est la première cause de surdité. Dès 1965, une étude a montré que les sons les plus aigus étaient non seulement responsables d’une perte auditive, mais aussi d’hypertension. L’étude avait été menée au Ghana, auprès des membres de la tribu de Maaban, un endroit à l’écart de la civilisation. La tribu vit dans la tranquillité la plus totale si bien que ses membres sont capables d’entendre un HEAR THE WORLD 29


chuchotement venant de l’autre côté d’un terrain de sport. Il s’est avéré que les habitants de Maaban avaient tous une bien meilleure audition que le groupe témoin du même âge vivant dans des régions développées des Etats-Unis. Cette étude a été l’une des premières à démontrer que la perte d’audition était directement en rapport avec le taux d’exposition à des niveaux sonores élevés, et non une conséquence du vieillissement. Pourtant, nos oreilles sont pourvues d’une protection intégrée contre les bruits extrêmement forts. Certes, une soudaine explosion toute proche ou une exposition continuelle à des sons intenses peuvent être à l’origine de lésions irréparables des cellules nerveuses sensorielles de l’oreille. En revanche, lorsqu’un son s’intensifie progressivement, les muscles stapédiens se contractent pour «baisser le volume», limitant ainsi la transmission des vibrations sonores dans l’oreille interne. Depuis la révolution industrielle, le monde autour de nous est devenu de plus en plus bruyant. Aujourd’hui, on n’hésite pas à parler de «pollution sonore» pour décrire les nuisances sonores excessives dans des domaines tels que la construction et le transport, et qui englobent véhicules automobiles, avions et trains. Si le cerveau excelle à filtrer les bruits de fond sans intérêt ou même à s’y adapter, il reste cependant qu’en présence de bruit excessif et prolongé, il devient difficile de mener à bien des tâches complexes, le comportement social tend à se modifier et les désagréments de tout ordre se multiplient. Personne ne contestera le fait que le bruit est considéré comme «désagréable» dès lors qu’il dérange les activités et la communication. Si la musique calme est connue pour ses vertus relaxantes sur l’organisme, le bruit omniprésent peut en revanche provoquer des effets physiologiques indésirables tels que la tachycardie ou l’hypertension. Les études réalisées sur le lieu de travail suggèrent que les personnes exposées à un bruit continuel d’un niveau d’au moins 85dB ont une tension artérielle plus élevée que ceux qui travaillent dans un silence relatif. Cependant, les interactions entre la perception du bruit et son degré de désagrément sont complexes et d’autres études seront sans doute nécessaires pour comprendre la manière dont nous nous adaptons au bruit à long terme. Entendre en temps de guerre Pendant la Première Guerre mondiale, des perroquets avaient été installés en haut de la tour Eiffel en raison de leur ouïe extrêmement fine. Ces oiseaux prévenaient en effet de l’approche imminente de l’aviation ennemie bien avant qu’une oreille humaine puisse déceler la moindre menace. Mais même si notre audition n’est pas aussi sensible que celle d’autres animaux, elle n’en joue pas moins un rôle essentiel dans notre sens de l’orientation et notre défense. Pendant la guerre froide, les Américains firent des recherches sur un phénomène appelé l’effet auditif des micro-ondes ou l’effet Frey. La première publication sur ce sujet apparut en 1961 ; elle était signée d’Allan Frey, un neuroscientifique américain, qui rendait compte de ses expériences sur l’utilisation des fréquences micro-ondes 30 HEAR THE WORLD

pulsées. On découvrit ainsi que ce stimulus pouvait générer un son qui était entendu directement dans la tête sans devoir être transmis par un dispositif électronique. Les personnes pouvaient entendre le stimulus à une distance de cent mètres. Mais ces sons artificiels n’étaient pas perçus par les autres gens se tenant à proximité. La NASA poursuivit ses recherches sur ce sujet dans l’espoir d’une éventuelle utilisation dans les circuits de transmission de la voix sans fil. Il semble aujourd’hui que les deux superpuissances expérimentèrent l’usage de cet effet dans l’armement non létal dès qu’il fut prouvé que les micro-ondes auditives provoquaient d’importants effets secondaires, tels qu’étourdissements et céphalées. Les multiples facettes de l’audition Alors, pourquoi nos poils se hérissent-ils lorsque nous percevons le son des ongles grattant un tableau noir ? L’une des explications serait que le son s’apparente à l’avertissement d’un singe. En 1986, Randol Blake manipula divers enregistrements de bandes magnétiques, éliminant ici et là certaines fréquences. Il apparut que les fréquences moyennes, et non les plus hautes comme on le croyait jusqu’alors (Halpern et al, 1986), étaient désagréables pour la plupart des gens. Le chercheur émit alors l’hypothèse que les fréquences moyennes rappelaient la détresse d’un singe ou l’avertissement à ses congénères. Malgré l’évolution, nous aurions conservé nos instincts de survie les plus primitifs, ce qui expliquerait cette réaction réflexe à un son qui, par le passé, nous signalait un danger imminent. La psychoacoustique trouve des applications dans de nombreux domaines : conception de logiciels, design de systèmes audio, création de nouvelles expériences auditives dans l’industrie musicale ; même l’industrie de la défense y a parfois recours. Il reste encore beaucoup à découvrir sur la manière dont le cerveau humain traite les sons et sur celle dont nous écoutons activement les sons qui nous entourent. Shin-Shin Hobi


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LE SON DES CHOSES

Clink and Drink ! Un toast au poison et au champagne, au diable et au bruit des verres qui s’entrechoquent Levons nos verres et trinquons ! Faisons tinter le cristal – même si nous ignorons en fin de compte d’où vient cette tradition du toast. Naturellement, toutes les publicités sur le vin pétillant reprennent l’image de ces verres qui s’entrechoquent, tout spot télévisé vantant les mousseux intègre dans sa bande-son, outre le bruit du bouchon qui saute, celui des coupes qui résonnent comme pour mieux évoquer ces «moments qui pétillent» et cette «joie effervescente de la vie». Dans notre esprit, les crémants, champagnes et autres alcools pétillants sont instantanément associés à une sonorité aiguë, symbole d’élégance. Le son des verres qui s’entrechoquent a donné naissance à des onomatopées : «tchin-tchin» en France, «Cin Cin» en Italie ou «tim-tim» au Brésil. Et même la couleur ambre ou des noms comme «Don Pérignon» ou «Veuve Clicquot» se marient à merveille avec le son caractéristique des verres qui trinquent, tout du moins si l’on en croit les synesthésistes. La qualité des verres – pourvu qu’ils soient en cristal soufflé artisanalement – se mesure toujours en fonction du son qu’ils produisent : il doit être aussi «cristallin» que possible. Pourtant, il n’est pas toujours de bon ton de faire tinter les verres. De la même façon, trinquer en entrechoquant les verres est une question très épineuse sur le plan culturel. L’étiquette requiert une connaissance précise des us et coutumes, du pays et de l’occasion qui est célébrée : lorsqu’on porte un toast à la reine d’Angleterre, il serait totalement malvenu d’entrechoquer les verres ; un peu comme dans la haute société, on se dit bonjour en effleurant à peine la joue de l’autre d’un baiser, mais dès lors qu’on trinque, il faut absolument se regarder dans les yeux pour éviter sept ans de malheur dans sa vie sexuelle. L’origine de la coutume qui consiste à trinquer avant de boire en société fait l’objet de multiples tentatives d’explication. La plupart d’entre elles remontent si loin dans l’histoire qu’elles sont invérifiables aujourd’hui, mais toutes ont un rapport avec le poison, la mort et le diable. On entrechoque les verres parce qu’autrefois la mort par empoisonnement était monnaie courante. Pour éviter les surprises fatales, on prenait soin avant de boire de heurter violemment sa coupe avec celle des autres de sorte qu’une petite quantité de breuvage passe d’un verre à l’autre. De cette façon, tout le monde recevait une dose de poison si d’aventure l’un des convives avait une mauvaise idée derrière la tête. Selon une explication contraire, c’est justement la disparition de cette pratique d’échange de poison qui a fait naître cette tradition : trinquer était une marque de confiance mutuelle, une façon de montrer à l’autre qu’on était sûr qu’il ne voulait pas nous empoisonner.

La coutume qui veut qu’on acclame le souverain lorsqu’il boit sa première gorgée serait à l’origine de cette tradition, selon une autre version : comme le goûteur du monarque mettait un bon moment à déterminer si le breuvage était empoisonné ou non, les convives devaient patienter et trouver une occupation avant de lever collectivement leur verre. Une fois tous les soupçons d’empoisonnement dissipés et le souverain rassuré, on pouvait enfin commencer à boire et ce coup d’envoi donnait lieu à une célébration «en fanfare». De cet accompagnement musical hérité des temps féodaux, il ne subsiste à notre époque que le son des verres qui s’entrechoquent. Par ce tintement, boire devient une expérience qui intègre tous les sens. Mais trinquer pourrait tout aussi bien provenir de la peur ancestrale que les hommes associent avec les boissons alcoolisées : les consommer reviendrait à ingérer le diable en personne. Comment expliquer sinon qu’on se sente si mal le lendemain ? Et de la même façon qu’au carnaval, à la nouvelle année ou les jours de fête, on essaie de chasser le diable en faisant du tintamarre et en sonnant les cloches, le bruit des verres qui s’entrechoquent serait une tentative pour repousser le malin en faisant suffisamment de tapage. Ceci expliquerait en tout cas la généralisation de cette tradition qui veut qu’on trinque uniquement lorsqu’on boit de l’alcool. Une dernière thèse veut que longtemps avant notre ère, lorsqu’on se rassemblait en groupe pour porter un toast, la coupe passait d’un membre à l’autre. Tous buvaient à tour de rôle dans le même récipient pour démontrer leur appartenance et signaler leur accord. Plus tard, lorsque les hommes ont préféré utiliser chacun leur propre gobelet, le fait de trinquer symbolisait cette pratique de boire à tour de rôle dans une gourde commune. Entrechoquer les verres, c’est donc signaler son attachement au groupe tout en reconstituant symboliquement le vin qui a été partagé. Le son harmonieux produit par le contact des verres établit instantanément une relation avec les autres qui exprime notre volonté de convergence, qui fait de l’individu un être social, un membre d’une communauté. Un constat qui mérite bien qu’on lève son verre ! Alors trinquons parce que… – peu importe la raison, après tout. – Tchin-tchin ! Markus Frenzl

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ARCHITECTURE

Bien loin des sentiers battus – La bibliothèque «ouverte» de Magdebourg Les bibliothèques sont des lieux de culture. Et des lieux de silence. Des édifices contemporains qui comptent peutêtre – à l’instar des musées – parmi les ouvrages les plus significatifs du 20ème siècle. A Magdebourg, la capitale du Land de Saxe-Anhalt, une bibliothèque au format de poche offre aux habitants un petit quelque chose en plus : gérée par une association citoyenne et subventionnée par l’Etat, elle se veut un «lieu de rencontre pour tous les âges». Et elle semble être à la hauteur de cette promesse. Sauf au chapitre du silence, peut-être. HEAR THE WORLD a jeté un œil à cet édifice récompensé par plusieurs prix. Comme de nombreuses villes de l’est de l’Allemagne, l’ancien site industriel de Magdebourg souffre de l’exode des jeunes générations qualifiées qui partent ailleurs, en quête d’un travail et d’une vie meilleure. La pénurie d’emploi est à l’origine de nombreux départs, entraînant eux-mêmes l’abandon et le délabrement de l’habitat. Au fur et à mesure qu’elles rapetissent, les communes perdent leur tissu urbain. Face à la dégradation progressive du patrimoine architectural et à un taux de chômage élevé dans le quartier de Salbke, une expérience d’urbanisme baptisée «City on Trial» a été lancée dès 2005. Dans une boutique abandonnée, les gens ont commencé à récupérer des livres donnés par les habitants et à imaginer une bibliothèque ouverte en remplacement de celle détruite par un incendie dans les années quatre-vingt. Près de 20 000 ouvrages ont ainsi été rassemblés et, sur le terrain prévu au cœur de l’ancien village de pêcheurs, une simulation temporaire à l’échelle réelle de la future bibliothèque a été mise en place à partir de packs de bière. Le fonds de la bibliothèque citoyenne regroupe désormais plus de 30 000 livres. Il est hébergé dans le bâtiment ouvert conçu par le cabinet d’architectes Karo et inauguré en 2009. Pour emprunter un livre, c’est très facile : sans aucune paperasserie, il suffit de prendre ce que l’on a envie de lire et, une fois la lecture finie, de remettre l’ouvrage dans le rayonnage ouvert, accessible 24 heures sur 24. Grâce au concours de la population, ce système fonctionne même très bien.

Dans le centre-ville de Salbke déserté à près de 80 %, la «bibliothèque de la confiance» endosse une fonction culturelle importante en créant un nouveau centre à vocation communautaire. Elle se présente comme une surface de verdure agrémentée par des éléments architecturaux et comportant des rayonnages et une cafétéria. Les architectes ont créé à la fois un lieu d’accueil intégrant un banc de 30 mètres de long et des îlots de lecture, des vitrines en aluminium pour les spécimens exposés et une scène, mais ont aussi opté pour une forme architecturale résolument contemporaine. Ce n’est pas un hasard si les façades des différentes ailes du bâtiment rappellent celles des grands magasins de l’ouest de l’Allemagne dans les années soixante ; en effet, les éléments en aluminium qui pourraient tout aussi bien évoquer le style des édifices de RDA proviennent effectivement d’un ancien magasin Horten de la ville de Hamm en Westphalie. Ils avaient été conçus à l’origine par le célèbre architecte Egon Eiermann, mais n’ornaient qu’un nombre restreint de grands magasins. Les architectes du cabinet Karo ont ainsi déniché un élément formel et l’ont resitué dans un contexte historicoarchitectural dans le sillage du courant rétro-moderniste. Mais ils se sont également inscrits dans un débat actuel sur la durabilité, au sein duquel le recyclage de bâtiments revêt un nouveau rôle par réappropriation de techniques de citation postmodernes. Et ils ont même réussi à obtenir exceptionnellement un permis de construire spécial pour ce projet. Ce qui est apparu dans un premier temps comme un joli petit projet de construction quelque part dans l’est de l’Allemagne a fini par faire des curieux dans le monde entier. En compétition pour le très prisé «Brit Insurance Design Award», les architectes de Leipzig ont gagné haut la main contre des grandes pointures de la scène internationale comme Herzog & de Meuron ou Skidmore Owings et Merrill. Depuis 2006 déjà, le projet signé Antje Heuer, Stefan Rettich et Bert Hafermalz bénéficie d’un soutien financier dans le cadre d’un projet de recherche de l’Etat allemand.

Photos: © Anja Schlamann/ARTUR IMAGES

«La bibliothèque emblématique Salbke» est un lieu urbain vivant qui dote le quartier d’une oasis de calme où les habitants aiment se retirer – à l’instar de beaucoup d’autres bibliothèques aujourd’hui. Pourtant, il ne s’agit pas vraiment d’un bâtiment, mais d’un élément du mobilier urbain. Un socle de béton forme une enceinte autour de l’îlot à ciel ouvert tandis que les éléments de façade isolent l’installation du bruit de la rue en conférant une forme caractéristique à l’ensemble. Des pans vitrés de couleur verte et des habillages en bois relient habilement le neuf et l’ancien. La participation des habitants se manifeste sous deux formes : l’extérieur est décoré par des graffitis commandés à des artistes et les nombreux lecteurs de tout âge redonnent vie au centre du petit quartier. Marcel Krenz 34 HEAR THE WORLD


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ART

Le trou dans le toit – James Turrell signe le hall d’assemblée quaker à Houston L’artiste américain et quaker de confession James Turrell doit sa célébrité à ses œuvres Land Art inachevées dans le cratère Roden en Arizona et à ses espaces de lumière à la fois sobres et mystérieux. En 2001, il a imaginé la Live Oak Meeting House à Houston, capitale texane. Avec son ouverture percée dans le toit, conférant à la lumière une connotation proprement religieuse et transformant le ciel lui-même en réalité artistique, le bâtiment s’apparente à une œuvre d’art intégrale. A l’issue de vastes travaux de transformation et d’un réaménagement des composants mobiles du toit de la construction, le hall d’assemblée a rouvert ses portes au public. L’accès est possible tous les jours pendant l’heure précédant le coucher du soleil. HEAR THE WORLD a saisi l’occasion pour revisiter cette interprétation spirituelle du ciel au-dessus de Houston. Les éléments mécaniques du toit s’ouvrent tout doucement pour libérer la vue sur le ciel bleu azur du crépuscule qui surplombe Houston. «Skyspace» est le nom donné par James Turrell à sa création dans le hall d’assemblée Live Oak d’une congrégation quaker de Houston. En ce jour sans nuage, elle célèbre un phénomène naturel tout en offrant une expérience artistique unique aux visiteurs, pas forcément à la recherche de spiritualité. Dans le journal local, le Houston Chronicle, on peut en lire la description suivante: «Tandis que le soleil se couche, une lumière aux reflets changeants prend possession des lieux, des tons pastels rappelant la transparence de la porcelaine, puis des chatoiements bleu cobalt et enfin des ombres évoquant le velours noir. Le regard se dirige vers l’intérieur et le silence s’instaure. Skyspace transforme la salle de réunion d’une blancheur sobre en un espace baigné de lumière, représentation métaphorique du corps et de l’âme».

Turrell a utilisé des projections, canaux lumineux et installations intégrant des effets d’optique raffinés pour remettre en question notre perception de la profondeur ou créer l’illusion d’objets tridimensionnels qui n’existent pas en réalité. Ce plafond à ciel ouvert a cependant ceci d’exceptionnel qu’il procède d’une simplicité inouïe car la lumière est le seul matériau employé. Nulle part ailleurs on ne peut admirer un ciel aussi grandiose que cette ouverture encadrée par la fenêtre de toit, éclairée uniquement par des néons bleu savamment dissimulés – une illusion que l’on ne peut pas qualifier de telle en fin de compte. «Une lumière qui envahit la pièce à tel point que la présence physique devient proprement palpable». Turrell conçoit ces éclairages par le haut comme un espace assimilable à une chambre noire, dans la pure tradition de la peinture occidentale : «La lumière tombant sur une cathédrale comme la peinture impressionniste de Monet. On prend un objet qui n’a pas de signification profonde à vrai dire, par exemple un tas de paille» explique-t-il «ou Rothko, ici la lumière semble provenir de la surface, de la couleur ; on croirait une source de lumière.» Et tandis que les œuvres de Turrell sont représentées partout dans le monde dans des collections privées et des musées sous forme d’installations permanentes, à Houston c’est peut-être la sobriété de cette construction, cette expérience de la transcendance qui fait de cette fenêtre un tableau vivant se transformant au gré de son ordre naturel. A voir absolument ! Marcel Krenz

Photos: Florian Holzherr

Célèbre pour ses travaux sur la lumière, l’artiste établit dans ses «Skyspaces» une passerelle entre l’art et la science lorsque, comme à Houston, une ouverture clairement délimitée dans le toit ouvre la vue sur le ciel en perpétuel mouvement. On peine à détacher son regard de ces jeux incessants de lumière avant que l’obscurité s’instaure complètement. Cette œuvre d’art laisse une profonde impression sans que le visiteur ait besoin d’une quelconque explication car elle est facile à comprendre et directement accessible à tous. Mais le travail de Turrell constitue également un exercice de recueillement méditatif dans une salle remplie de gens qui regardent à travers une ouverture dans le toit.

Dans une interview, l’artiste a déclaré : «J’ai commencé la série Skyspace (…) pour créer une situation où le ciel descend sur la terre en établissant un contact direct. L’art dans toutes ses formes se consacre depuis longtemps au thème de la lumière ; ce que je veux faire, c’est utiliser la lumière en tant que matériau proprement dit. Mon objectif est de créer une proximité avec ces éléments de sorte qu’ils fassent partie intégrante de ta sphère ici sur terre, c’est un aspect très important pour moi.» Cette installation traite, comme de nombreux travaux de Turrell, de la perception de la lumière dont tout un chacun peut faire l’expérience sur un pied d’égalité, qu’il soit un connaisseur d’art recueilli ou un homme plongé dans ses prières, assis sur un simple banc.

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Photos: Antonia Henschel


VOYAGE

Programme culturel alla turca Juché tout en haut sur les toits, dans la flèche du Perili Köşk, on découvre un petit pavillon de quelques mètres carrés. L’intérieur, entièrement peint de minces bandes transversales dans les tons rouges et ocre, renferme une cafetière électrique, un cendrier et quelques fauteuils. Un havre de paix pour mettre de l’ordre dans ses pensées tout en admirant la vue sur le Bosphore. Juste ce qu’il faut pour mûrir l’idée d’ouvrir au public cette maison chargée d’histoire – qui sert de bureau – et d’en faire un musée pendant le week-end – puisque s’y entassent les oeuvres d’art. L’idée d’ouvrir un musée d’art contemporain dans une maison remaniée au cœur de la rue commerçante la plus animée d’Istanbul. Ou bien celle d’offrir à la Turquie un véritable orchestre symphonique.

Si la culture semble tenir au cœur du holding, elle se révèle également être un véritable fil rouge de sa philosophie puisqu’elle cherche en permanence à en faire également profiter ses collaborateurs. En revanche, ceux pour qui le mécénat suppose des objectifs clairement définis et compatibles avec l’entreprise, verront dans cette diversité de domaines subventionnés et cette débauche d’activités une dispersion plus désavantageuse que profitable. Peut-être un peu trop animée par le désir de Borusan de prescrire à son pays une cure de culture et de s’offrir tout ce qui semble promettre un certain niveau. Mais avec 10 millions de dollars par an au service de la culture, on pardonne facilement à Borusan ce léger manque de rigueur et cette propension à l’exagération.

Ce sont là les idées d’Ahmet Kocabıyık, directeur de la Borusan Holding, l’un des groupes industriels les plus importants de la Turquie qui, avec sa propre fondation culturelle «Borusan Kültür Sanat», est sans doute aussi le plus grand mécène de la Turquie. Parmi les projets déjà concrétisés, on trouve notamment le «Art Center/Istanbul» qui, dans le quartier de Beyoğlu, offre des ateliers aux artistes contemporains les plus prometteurs. Ajoutons le «Borusan Music House», ouvert en 2010 dans un bâtiment historique de Istiklal, une rue commerçante en effervescence 24 heures sur 24, et proposant à la fois une plateforme pour les concerts et spectacles de jeunes artistes et plusieurs étages d’expositions d’art. La fondation octroie également des bourses aux musiciens et artistes, finance la «Borusan Music Library», subventionne les fouilles près d’Ephèse, soutient les projets de livres, sponsorise encore une chorale d’enfants, un quatuor et un orchestre de musique de chambre et puis donc, tout un orchestre symphonique.

«Mon père voulait rendre hommage à son pays», ainsi Zeynep Hamedi, la fille du fondateur du groupe, aujourd’hui présidente-directrice générale de la fondation culturelle. «Il est originaire d’un petit village turc auquel il a aussi voulu rendre hommage et où il s’est efforcé dans un premier temps de développer l’éducation. La deuxième génération de notre entreprise a ensuite mis l’accent sur la culture.» Le résultat le plus connu et le plus médiatique de cette veine culturelle est sans nul doute le «Borusan Istanbul Philharmonic Orchestra», en bref le BIPO. L’ensemble précédent, un orchestre de musique de chambre, avait été fondé en 1993 déjà dans le but de faire redécouvrir la musique classique qui, en Turquie, ne bénéficie pratiquement d’aucune subvention de l’Etat. Lorsque Gürer Aykal prit la direction de ce premier orchestre en 1997, il imposa comme condition la formation d’un orchestre philharmonique ; le BIPO donna son premier concert en mai 1999. Et en 2006, les sponsors de Borusan décidèrent d’aller plus loin encore en se faisant d’abord connaître de l’étranger puis, à long terme, de faire de ce nouvel orchestre un ensemble qui n’aurait rien à envier aux autres philharmonies du monde. A la baguette et au poste de directeur artistique fut nommé le Viennois Sascha Goetzel qui, depuis 2008, se rend régulièrement à Istanbul pour former l’orchestre, travailler sur sa personnalité musicale et diriger 5 à 6 concerts dans le mois.

L’idée d’ouvrir l’enceinte même de l’entreprise aux passionnés d’art en dit déjà long sur le rôle de la culture pour le holding Borusan : après une histoire mouvementée, le Perili Köşk, un édifice en brique datant de 1911, est racheté par le groupe en 2007 qui en fait alors son siège principal. De nombreuses œuvres provenant de la collection de l’entreprise, et d’autres réalisées exclusivement pour cet endroit, décorent les bureaux et les salles de réunion. Une excellente raison d’ouvrir le premier «OfficeMuseum» du monde ! Avis aux employés qui se devront de ranger très soigneusement leurs affaires avant de partir en week-end…

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Goetzel qui, malgré son jeune âge (40 ans), est la parfaite égérie du «chef d’orchestre star» ne tarit pas d’éloges sur le dynamisme et la capacité d’enthousiasme des membres de son orchestre. Il est encore trop tôt, selon lui, pour parler d’une sonorité musicale caractéristique de l’orchestre qui se compose essentiellement de musiciens turcs entre 35 et 40 ans ayant participé à des master classes à l’étranger. Mais dans quelques années, le BIPO aura certainement développé un style musical avec sa propre langue, un dialecte qui deviendra en quelque sorte son cachet musical. Ce dialecte aura alors pour principale mission d’assimiler la culture musicale et les traditions de la Turquie qui, certes, n’a connu qu’une brève expérience en matière d’orchestre classique, mais qui par ailleurs possède un extraordinaire sens du rythme et le goût du pianissimo. «Cet orchestre vit une passion particulière couplée à une extrême sensibilité», explique Goetzel, «le son de cet orchestre est un son de l’extrême, il ne se complaît jamais dans la modération». Dans un pays dans lequel certaines chaînes de télévision passent de la musique traditionnelle 24 heures sur 24 et ont toujours un vaste auditoire, la découverte de la musique classique européenne reste une gageure, commente Goetzel. Ainsi le programme des concerts mensuels donnés par le BIPO dans la partie européenne d’Istanbul se distingue considérablement de celui proposé dans la partie asiatique de la ville. Dans cette dernière, la salle est plus petite, le public plus âgé et plus attaché aux traditions. Goetzel s’est donné pour tâche de jeter une passerelle entre deux mondes en mettant en place un orchestre sur le modèle occidental et en y imprimant une marque de fabrique typiquement turque. Une tournée est maintenant prévue en Turquie et Goetzel a lancé un appel aux compositeurs contemporains turcs dont il souhaite intégrer les arrangements au répertoire de l’orchestre.

Sur son premier album publié en janvier 2010 sous le label Onyx, une sélection d’œuvres de la première moitié du 20ème siècle d’Ottorino Respighi, Florent Schmitt et Paul Hindemith reflète les nombreuses interactions musicales entre l’Orient et l’Occident. Et laisse déjà entrevoir l’esthétique d’un orchestre qui se caractérise par une formidable énergie et déploie toute sa virtuosité dans les rythmes complexes et les arcs mélodiques inspirés de l’Orient. L’orchestre a récemment sorti son deuxième album avec des œuvres de Ravel, Holst, Prokofiev et Bartok, mais aussi du Tchèque Erwin Schulhoff et du Turc Ulvi Cemal Erkin. Comme pour le premier CD, les enregistrements ont eu lieu dans un local situé au-dessus de la succursale BMW de Borusan. Car malgré tout le soutien du groupe industriel, le jeune orchestre symphonique ne dispose pas encore de sa propre salle de concert, ni même de locaux de répétition. Rappelons en effet au passage que cet orchestre, malgré ses ambitions de culture avec un grand C, improvise de la plus charmante façon et est d’autant plus méritoire qu’il survit sans le confort et la présomption des formations ayant fait leurs preuves. Et que, malgré des débuts prometteurs, il cherche toujours une orientation personnelle. La question de savoir si l’orchestre ira son propre chemin artistique ou se contentera d’imiter les modèles occidentaux est aussi l’une des plus délicates que l’on puisse poser aux mécènes de Borusan : non, bien sûr, il n’est pas question d’imiter, fuse la réponse ; mais dès la phrase suivante, on apprend que l’on espère bien, dans quelques années, rejoindre les rangs des orchestres symphoniques occidentaux. Comme si l’on craignait toujours un peu qu’un orchestre turc ne puisse être pris au sérieux par l’Occident, la faute en étant sans doute à l’eurocentrisme qui veut que le visiteur étranger considère d’abord avec scepticisme cet ambitieux projet de philharmonie. Il reste qu’aucune autre formation ne possède actuellement ce formidable potentiel de pouvoir faire le trait d’union entre les mondes et les cultures. Et que nulle part ailleurs, les jeunes artistes ne font preuve d’autant d’engagement, convaincus qu’ils sont d’être au bon moment au bon endroit. C’est une énergie admirable que l’on sent non seulement dans le «Borusan Istanbul Philharmonic Orchestra», mais aussi dans nombre d’autres projets culturels du consortium. Elle nous brosse le portrait d’un pays en plein renouvellement, loin de ce que les informations télévisées laissent parfois filtrer. Ainsi le sanctuaire du petit pavillon sur le toit du Perili Köşk, avec la vue sur le pont Fatih Sultan Mehmet qui relie l’Asie et l’Europe, est-il hautement symbolique : quelque part entre ciel et terre, passé et présent, tradition et moderne, commerce et culture, à la croisée de l’Orient et de l’Occident. Markus Frenzl

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LE MONDE DES SENS

De la maternelle au Madison Square Garden Quiconque entonne aujourd’hui le célèbre «Happy Birthday To You» à l’occasion d’une fête officielle, est en général loin de se douter qu’il navigue dans une zone de flou juridique. D’un point de vue légal en effet, il serait normal de s’acquitter de tantièmes car «Happy Birthday To You» n’entre pas dans la catégorie chanson populaire, autrement dit n’appartient pas au domaine public. Il s’agit en effet d’une composition déclarée et à ce titre, soumise aux droits d’auteur. Ceux-ci expireront en Allemagne en 2016, mais pas avant 2030 aux Etats-Unis. Les sommes perçues reviennent à la société américaine Warner Chappell qui, en 1998, a racheté Birch Tree, le label qui détenait précédemment les droits, pour 25 millions de dollars. Un investissement qui s’est avéré des plus lucratifs car la chanson rapporte environ deux millions de dollars par an. En Allemagne, c’est la société de gestion collective GEMA qui fait office de partenaire de recouvrement pour Warner. Mais le règlement juridique pour les interprétations à des fêtes est si complexe que les inconditionnels de la chansonnette n’ont nulle raison de s’inquiéter. De nos jours, les seuls tantièmes versés sont essentiellement ceux qui découlent de l’utilisation de la chanson dans des films.

Personne ne conteste aujourd’hui que «Happy Birthday To You» est la chanson la plus connue dans le monde entier. Traduite dans de très nombreuses langues, elle fait partie des produits d’exportation culturelle américaine dont on ne saurait plus se passer. Au même titre que le coca-cola, Elvis ou McDonald, elle a détrôné certaines traditions ou leur a fait sérieusement concurrence.

«Happy Birthday To You» a été écrit pour des enfants vers la fin du 19ème siècle. Leurs auteurs, les sœurs Mildred J. Hill et Patty J. Hill, travaillaient dans une maternelle de Louisville, une bourgade dans l’Etat américain du Kentucky. Mildred, musicienne et pianiste chevronnée, composa un jour un air simple et facile à retenir pour marquer le début de la journée de classe. Patty écrivit le texte : «Good morning to you / Good morning to you / Good morning, dear children / Good morning to all». Les sœurs ne publièrent cependant la partition et le texte dans un recueil de chansons qu’en 1893. Le morceau ne devait être chanté que par les enfants, et non par les professeurs, aussi le texte «dear children» fut bientôt remplacé par «dear teacher».

Cependant, il existe dans tous les pays des chansons qui, en termes de popularité, n’ont rien à envier à «Happy Birthday To You». «Sto Lat» («Cent ans») par exemple est une chanson polonaise entonnée pour célébrer aussi bien une fête, un anniversaire, qu’un jubilé ou une victoire sportive. Dans les paroles, on souhaite une longue vie à ces héros du jour, mais aussi une multitude de bonnes choses, lesquelles sont généralement ajoutées spontanément dans d’autres strophes. Il arrive même que le langage devienne assez cru, ce qui ne choque personne. L’expression «Sto Lat» s’emploie aussi au quotidien dans le sens de «Bonne continuation !» ou «Bonne chance !»

Mildred ne sut jamais que sa composition allait conquérir le monde entier – elle décéda en 1916. A la mort de cette dernière, Patty accepta une offre de la Columbia University de New York, où elle devint directrice du département de pédagogie enfantine du corps enseignant. Il fallut ensuite attendre 1924 pour que la chanson des sœurs soit redécouverte par l’auteur Robert C. Coleman. Celui-ci modifia quelques notes, réécrivit le texte et ajouta une deuxième strophe – «Happy Birthday To You» était né. La famille Hill, qui n’avait pas approuvé la mainmise de Coleman, déposa plainte contre l’utilisation de la mélodie. Après un long procès, la justice donna raison aux sœurs qui, à partir de 1935, furent reconnues auteures officielles de la chanson. Dès lors, leurs droits furent officiellement défendus par la société de gestion collective américaine ASCAP. A cette époque, leur chanson avait déjà entamé son tour du monde. Mais ce fut surtout son utilisation dans les films et les comédies musicales qui la fit rapidement connaître du grand public. Lorsque Patty mourut en 1946, elle était à la tête d’une véritable fortune. 48 HEAR THE WORLD

Cela dit, les rivaux ne sont pas en reste. A en croire le «Guinness Book Of World Records», le numéro deux au hit-parade des chansons les plus connues serait «For He’s A Jolly Good Fellow». On retrouve ce morceau dans de nombreux films et téléfilms pour une raison très simple : il a été composé en France en 1709 et n’est donc plus soumis à redevance. Il devint particulièrement populaire au 19ème siècle d’abord en Angleterre, puis aux Etats-Unis. Les spécialistes connaissent les tenants et les aboutissants de cette ritournelle qui n’est pas seulement chantée aux anniversaires, mais en toute circonstance un tant soit peu solennelle : les paroles qui concluent le refrain existent en deux versions, l’une britannique «And so say all of us», l’autre américaine «which nobody can deny».

En Amérique latine, «Las Manananitas» («Les petits matins»), chanson populaire mexicaine, compte parmi les airs les plus connus. Les paroles «Réveille-toi, ma chère, réveille-toi, regarde, le jour est déjà levé» conviennent aussi bien à un anniversaire que comme sérénade pour une jolie femme. Comme pour «Sto Lat», son compositeur est anonyme. Les origines de cette chanson, que l’on retrouve dans plusieurs films, remontent jusqu’au 19ème siècle. Les Allemands, eux, sont plus prosaïques. Entre temps se sont établis outre le traditionnel «Hoch soll er/sie leben» («Longue vie à lui / Longue vie à elle») surtout «Viel Glück und viel Segen» («Bonne chance et beaucoup de bonheur») qui, dans certains milieux, font sérieusement concurrence à «Happy Birthday To You». Le canon d’anniversaire a été composé en 1930 par l’auteur allemand Werner Gneist, connu notamment pour avoir mis en musique des poèmes de Christian Morgenstern et Joseph von Eichendorff. A y écouter de plus près, l’officiel «Gesundheit und Frohsinn sei auch mit dabei» («Que la santé et la gaieté t’accompagnent») est de plus en plus souvent remplacé par la variante


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Illustration: Malin Rosenqvist


«Gesundheit und Wohlstand» – (Santé et prospérité»). Cette dernière serait une version apocryphe que l’Eglise chrétienne, pour des raisons d’éthique et de renoncement, avait interdite. Il existe également une autre chanson qui, en très peu de temps, a conquis les cœurs des petits et grands : «Wie schön, dass du geboren bist» («Quelle chance que tu sois né») a été écrit en 1981 par l’auteur Rolf Zuckowski et est rapidement devenu un grand classique du répertoire musical de toutes les maternelles et écoles primaires. «Wir hätten Dich sonst sehr vermisst» («Tu nous aurais tellement manqué sinon») continue la chanson censée initier les enfants au doute philosophique et logique dès leur plus jeune âge. («Vraiment ? Tu nous aurais manqué ?»). Au grand dam des célibataires et des couples sans enfant, la chanson a même fait mouche auprès des adultes et retentit régulièrement à telle ou telle surprise-party. Mais pourquoi chanter à un anniversaire ? C’est là une coutume qui découle sans doute de très anciennes traditions. Il semble qu’on fêtait déjà les anniversaires dans la Grèce du 8ème siècle avant J.-C., et plus tard, dans l’Empire romain. Dans de nombreuses cultures avec des divinités païennes, les gens croyaient que des esprits malveillants attendaient que quelque chose d’important – comme un anniversaire – intervienne pour sévir. On fêtait donc bruyamment, chantait et dansait pour tenir les esprits à distance. Dans la culture chrétienne, la célébration des anniversaires n’est aucunement mentionnée dans la Bible. C’est ainsi que jusqu’au 19ème siècle, cette pratique festive est restée ignorée dans de nombreuses régions – et aujourd’hui encore, on trouve des provinces traditionnellement catholiques qui accordent plus d’importance à la fête des saints qu’à l’anniversaire. Mais dans les endroits où le jour de la naissance donnait lieu à une fête, il fut dès le début accompagné de tout un rituel festif – depuis la couronne jusqu’au gâteau et aux chansons. Les racines païennes, les superstitions sont aujourd’hui toujours reconnaissables : il faut souffler d’un seul coup toutes les bougies sur le gâteau si l’on ne veut pas risquer malheur ou accident. Le nombre de fois où la personne est soulevée en même temps que l’on chante «Hoch soll er/sie leben» («Longue vie à lui / Longue vie à elle») a également son importance : Une seule fois, c’est trop peu – mais un nombre de fois correspondant au nombre d’années fêtées porte malheur, une fois de plus, en revanche, et la chance sera au rendez-vous. Quant au produit d’importation américain «Happy Birthday To You», les traditionnalistes jurent qu’il ne faut le chanter que lorsque le gâteau d’anniversaire est posé sur la table.

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Comme de nombreux autres rituels, ceux-ci ont la vie dure. L’homme d’aujourd’hui, sécularisé dans la majeure partie des cas, se préserve ainsi un peu d’irrationalisme, un semblant de croyance que la vie humaine n’est peut-être pas entièrement le fruit du hasard, et suit des lois qui, parfois, échappent à notre entendement. Que l’on ne conçoive pas d’anniversaire sans musique trouve cependant une explication toute pragmatique : la chanson d’anniversaire est un moyen très simple de concentrer son attention sur la personne célébrée. Les invités, dont certains se connaissent peut-être à peine, se rapprochent pour former une communauté de chant. En même temps, la chansonnette, quelle que soit la manière dont elle est poussée, est l’occasion de se relâcher, même pour le plus sérieux des hôtes qui, l’espace de quelques minutes, aura l’occasion de verser dans le déraisonnable. Chez certains, on verra passer l’ombre d’un sourire mal assuré avant qu’ils ne se décident à se joindre au chœur. Mais il faut sauter le pas – Honte et déshonneur à tous ceux qui poussent les enfants en avant pour chanter à leur place ou mettent le CD «Happy Birthday» de Stevie Wonder. Et pour ceux qui ne savent pas comment produire leur effet en interprétant «Happy Birthday To You», rendezvous sur YouTube ! On y trouve une interprétation ô combien légendaire : Marilyn Monroe pour John F. Kennedy au Madison Square Garden de New York. Vêtue d’une étroite robe pailletée mettant ses formes en valeur, adulée par 15.000 spectateurs, Marylin caresse le micro et chante, ou plutôt souffle, ce qui passera à la postérité : «Happy Birthday, Mr. President» – une interprétation qui, à coup sûr, mériterait une licence. C’était le 19 mai 1962. L’anniversaire de Kennedy n’était en réalité que dix jours plus tard. Ces souhaits avant l’heure lui auraient-ils porté malheur ? Klaus Janke


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Illustration: Daniel Lachenmeier


LE MONDE DES SENS

L’écho ou comment avoir le dernier mot – les grands mythes de l’audition Des rideaux lourds s’ouvrent sur une scène. Sous les feux de la rampe, les dames ont le look femmes d’affaire, les hommes sont en costume-cravate… ils jouent une pièce. L’une des femmes répète ce que l’on vient d’entendre. Deux autres, peut-être des sœurs, attirent l’attention par des sons, pour le moins étranges, mais agréables à l’oreille. Et puis, il y a encore un homme qui entonne une chanson et fait pleurer tout le théâtre, pas seulement le public, mais aussi les murs. C’est l’une de ces mises en scène qui reprennent une histoire ancestrale et veulent l’adapter aux temps modernes ; s’imaginent qu’il suffit d’habiller les personnages au goût du jour pour les ressusciter. Mais la nymphe Echo, les sirènes, à la fois charmantes et monstrueuses, et le chanteur Orphée sont loin d’être aussi obsolètes que l’on pense. Ils ne sont jamais vraiment tombés dans l’oubli. Leurs histoires ne remontent pas à des temps immémoriaux, aucune ne date d’une époque révolue, tout au plus d’hier. Car les mythes ont toujours été un creuset d’art, une mine de remix permanent et la source d’un courant de remaniements divers et variés. Dans l’hémisphère Nord de notre planète, et plus particulièrement en Europe occidentale et aux Etats-Unis, les mythes de l’Antiquité grecque et romaine, du moins certains, continuent de faire référence. Le tonnerre gronde lorsque Zeus, ou Jupiter, lance ses éclairs. En revanche, on a plus de peine à trouver un bruit que l’on puisse rattacher à Marsyas. La version authentique des histoires est difficile à retrouver. Les histoires d’origine sont difficiles à retrouver ; elles ont été si souvent remaniées qu’elles ressemblent à un palimpseste, un morceau de parchemin où l’on effaçait la première écriture pour réécrire de nouveaux textes et qui, parce qu’il était si cher, finissait avec le temps par être recouvert d’innombrables signes se superposant. Mais commençons par le commencement, sur l’Olympe des dieux grecs, dans les montagnes et les gorges de Grèce. C’est là que la nymphe Echo fit la connaissance de Narkissos, notre Narcisse. Une vilaine histoire, comme souvent dans les mythes. En grandissant, Narcisse se révèle d’une beauté exceptionnelle. Nombreux sont ceux qui en tombent amoureux, mais le jeune garçon repousse tous les prétendants. D’un caractère très fier, personne n’est assez beau pour lui. Echo à son tour tombe sous le charme. Parce qu’elle cherchait à détourner l’attention de la mère des dieux de son époux trop volage par son bavardage incessant, la déesse exaspérée – Hera pour les Grecs, Junon pour les Romains – avait confisqué la parole à Echo et l’avait condamnée à ne pouvoir répéter que le dernier son perçu, en règle générale une seule syllabe. Une autre variante raconte qu’elle aurait écouté aux portes et, pour cette raison, aurait été punie.

Mais le jeune et beau garçon Narcisse ignore superbement la nymphe pratiquement muette qui finit par languir de passion inassouvie. Seule sa voix demeure. Et Narcisse ? Lui non plus ne connaît pas une fin très heureuse. A force de répudier tous ceux qui l’aiment, il ne lui reste bientôt plus que son propre reflet dans un miroir. Dans l’eau d’une source, il ne voit que lui et lui seul. Jour après jour, il reste là à se contempler, les yeux rivés sur son propre reflet, jusqu’à ce qu’il dépérisse peu à peu et meure ; face à face avec le seul être qu’il ait jamais aimé : lui-même. Peut-être met-il aussi fin à ses jours, condamné par ses amours impossibles. Certaines histoires mentionnent qu’il se métamorphosa ou fut métamorphosé en fleur, laquelle fut appelée narcisse de Narkosis /«narcose», d’où l’origine du mot narcotique. Ce mythe connut des centaines et des centaines d’interprétations. On y vit confirmé l’insignifiance de la beauté physique, on y analysa les rapports traîtres du miroir et du regard. Pour les psychologues enfin, Narcisse devint le prototype de la personne fière et égoïste, incapable de se lier. Et Echo qui, au plus tard depuis le poète romain Ovide et ses «Métamorphoses», est toujours citée avec Narcisse ? Echo a un autre problème, celui de n’avoir presque pas de contours. Elle est d’abord un bavardage ou une oreille indiscrète, puis une répétition et, pour finir, une voix incorporelle, dispersée par le vent entre forêts et montagnes. Ramené à sa plus simple expression, cela signifie : dans le pire des cas, on ne voit que soi-même et on entend que pour mieux répéter les autres… Entre nature et mythe, mythe et art, les frontières ne sont pas toujours bien définies. Souvent, les mythes transparaissent au détour d’une métaphore, d’une tournure de phrase ou d’une image. Aristote, Lucrèce et Pline étudièrent l’écho scientifiquement. Les résultats furent pour le moins curieux. Ainsi Varron prétendit-il dans son «res rusticae» et Virgile dans ses «Géorgiques» que les échos nuisaient à l’apiculture – peut-être parce qu’Echo n’avait pas de bonnes relations avec Pan, le dieu de la fertilité, qui n’était pas seulement le protecteur des pâtres, mais régnait également sur les ruches. Déjà, les dramaturges Euripide et Aristophane se délectaient des effets de l’écho dans la langue. Des siècles plus tard, au Moyen Age, mais surtout au 18ème siècle, on assista à un véritable engouement pour les galeries à échos, une surprise devenue espace. Et depuis le 19ème siècle et les débuts du tourisme alpin, l’écho en montagne, mystérieux et envoûtant théâtre, est devenu presque synonyme de miracle de la nature. Dans la philosophie de ce même siècle, l’écho est invariablement associé à la solitude. Ainsi découvre-t-on chez Friedrich Nietzsche des phrases telles que «Quand on vit seul, on ne parle pas trop haut, pas plus qu’on n’écrit trop haut car on craint la creuse résonance – la critique de la nymphe Echo.» Et chez un autre philosophe, dans l’ouvrage «Ou bien… ou bien» de Kierkegaard, on trouve : «Je n’ai qu’un seul ami ; c’est l’écho. Et pourquoi est-ce mon ami ? Parce que j’aime mon chagrin et qu’il ne me le prend pas.» HEAR THE WORLD 53


Quant aux sirènes, elles sont tout, sauf passives. Avec Homère, nous entendons leur «limpide voix de miel», et en même temps, elles sont assises au beau milieu «d’un grand amas d’ossements d’hommes et de peaux en putréfaction». Ulysse, le grand navigateur, avait été mis en garde contre les attraits de l’enchanteresse Circé. C’est ainsi qu’il boucha les oreilles de ses compagnons avec de la cire d’abeille et donna l’ordre de l’attacher au mât afin de résister à la tentation d’entendre toujours plus et risquer de succomber. Au premier siècle du début de notre ère, Pline l’Ancien remit en doute l’existence des sirènes et les soupçonna de n’être que des créatures fabuleuses. Même lorsque Dinon, père de Cleitarchus, un historien alors réputé, affirma qu’elles étaient originaires d’Inde et se servaient de leur chant comme d’une berceuse pour envoûter et mieux piéger ceux qui dorment. Leur dualité morale – on les connaît aussi gracieuses que brutales – a un pendant physique. Ainsi, pour Appolonius de Rhodes par exemple, elles ont un torse de vierge et une queue d’oiseau. Dans «L’art d’aimer» d’Ovide, leur ambivalence devient un simple conseil : «C’est une chose charmante qu’un chant agréable. Femmes, apprenez-donc à chanter ; il en est plus d’une à qui la beauté de la voix a tenu lieu d’attraits.» Orphée était un excellent chanteur et chantait mieux qui quiconque. «Orphée est tous les opéras à la fois» résume le philosophe Theodor W. Adorno lorsqu’il écrit sa critique de «L’opéra bourgeois». Le fait est que le théâtre musical entre la Renaissance et le Baroque compte toutes sortes d’«Orphée», à commencer par celui d’Angelo Poliziano «Orfeo» en 1480, en passant par «Euridice» de Jacopo Peri et «Orphée» de Claudio Monteverdi en 1607 et jusqu’au «Divin Orphée» de Calderon au milieu du 17ème siècle. Le tragique échec d’Orphée et le thème du chant, prélude à une nouvelle forme d’art, passionnèrent autant les auteurs que les compositeurs. Mais durant les siècles antérieurs et postérieurs, Orphée ne fut pas seulement inspiration et pars pro toto des opéras, mais également, comme Pindare le suggère : «virtuose du chant de la lyre», et même le «père de la musique». Le personnage d’Orphée était déjà connu dans l’Antiquité car son art domptait la nature. Ses chansons émouvaient jusqu’aux arbres et aux pierres. Dans la légende des Argonautes, il réussit à couvrir le chant des sirènes. Et lorsque mourut sa chère épouse Eurydice, c’est grâce à son chant quasi divin qu’il put accéder aux Enfers. Orphée possédait la faculté de séduire par son chant tout et tout le monde, ainsi de Charon, Cerbère et même des ombres. Il obtint donc le droit de ramener Eurydice à la surface à une condition cependant, celle de réfréner son désir et de ne pas se retourner pour la regarder sur le chemin du retour dans le monde des vivants. Chez Ovide et Virgile, cette tentative de résurrection se solde par un tragique échec. Orphée ne peut plus se contenter de la voix de sa bien-aimée, se retourne pour la contempler, et son amour disparaît dans un funeste brouillard. Brisé par le chagrin, Orphée cessa de chanter pour qui que ce soit. Mais surtout, il évita les femmes jusqu’à ce que les ménades de Thrace le déchirent littéralement. 54 HEAR THE WORLD

Sans doute pour s’être trop longtemps langui de lui et de son chant. Sa tête resta cependant intacte, tomba dans le fleuve Hèbre et fut emportée vers la mer où il continua de pleurer son Eurydice. Le christianisme superposa les représentations d’Orphée, vainqueur de la nature et de la mort, à celles du Christ et plus tard, de Saint François d’Assise, dans son sermon aux oiseaux. Mais qu’en est-il d’autres mythes moins connus sur le thème de l’audition ? Tel que celui de Marsyas ? Ce Satyre de Phrygie trouva une flûte. L’instrument avait été confectionné par la déesse Athéna, mais celle-ci l’avait finalement jeté car il lui déformait le visage lorsqu’elle en jouait. Marsyas devint un véritable virtuose de cette flûte et eut l’audace – il aurait été en état d’ébriété – de défier le dieu Apollon dans une joute musicale. Il était même tellement assuré de gagner qu’il accepta une dangereuse condition : le vainqueur – ainsi en fut-il décidé – pourrait infliger au vaincu le châtiment de son choix. Les muses furent choisies comme arbitres. Et longtemps, tout se passa bien. A jeu égal. Jusqu’à ce qu’Apollon prie Marsyas de tourner son instrument pour y jouer à l’envers. Apollon jouait de la lyre et n’eut pas de problème. Mais Marsyas ne put souffler ainsi dans sa flûte. Cette ruse permit au dieu de remporter la victoire. Et Apollon se vengea, pendit son adversaire à un pin et l’écorcha vif. De son sang et des larmes de ses amis serait né un fleuve. Les plus connus de ces mythes font partie de notre culture depuis des siècles. Ils sont régulièrement évoqués, actualisés et partiellement réécrits. Ils nous renvoient à leur origine et ne nous racontent jamais exactement la même histoire. Rien de tel que ce vieux proverbe allemand pour traduire cette relation de réciprocité : «On peut crier longtemps», dit-on, «avant que l’écho ne se taise.» Max Ackermann


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Photo: Stefano Bottesi


CLASSIQUE

L’Améropéen Sa personnalité en fait actuellement l’un des chefs d’orchestre les plus fascinants : Né en 1966 à Houston/Texas, John Axelrod est purement et simplement inclassable. A des lieues des stars égotistes du pupitre et autres apôtres modernistes du mélange des genres, il a trouvé son style très personnel à la croisée des mondes musicaux. Cet homme a une vision : faire de la musique une vocation transgénérationnelle, capable de toucher aussi bien l’adolescent de 16 ans que l’octogénaire supposé avoir déjà tout vu, tout entendu et tout connu. Lorsque le maître John Axelrod, directeur musical de l’Orchestre National des Pays de la Loire, est à la baguette, une soirée peut tout à fait célébrer la rencontre d’une symphonie de Ludwig van Beethoven et d’une composition commandée pour l’occasion à Gabriel Prokofiev, un DJ de la scène Electro. «Si nous ne faisons pas l’effort d’aller à la rencontre du monde vécu et des réalités actuelles et n’essayons pas de les comprendre, alors la musique classique n’a aucun avenir», résume-t-il l’essentiel de sa démarche, «Leonhard Bernstein dont je suis le disciple m’a enseigné qu’on ne doit pas avoir peur d’aller à la rencontre de la musique dite légère, il n’existe que deux sortes de musique : la bonne et la mauvaise, just do it !» C'est Bernstein également qui a encouragé Axelrod à reprendre sa carrière de musicien qu’il avait un temps mise entre parenthèses pour devenir manager musical, puis directeur du Robert Mondawi Food & Wine Center – ce qui explique son amour de la bonne chère et du vin. Quiconque a assisté à un concert de John Axelrod ou l’a entendu parler musique, sent transparaître le charisme de Bernstein, sa curiosité, son ouverture d’esprit et la joie irrépressible de faire de la musique. Axelrod aime à raconter cette anecdote proprement spirituelle qui l’a définitivement ramené vers la musique. Alors qu’un soir il rentrait chez lui en voiture après un bon repas, traversant la vallée de Napa en se remémorant les conversations inspirantes qu’il venait d’avoir, il entendit soudain retentir dans sa tête avec une intensité inouïe l’ouverture de l’opéra «Tristan et Isolde» de Wagner – le morceau qu’il préfère par-dessus tout. Incapable de continuer sa route, il s’arrêta, sortit de son véhicule pour savourer le silence parfait qui régnait dans la vallée de Nappa. A ce moment, il prit irrémédiablement conscience de la nécessité absolue de retourner vers la musique. Lorsqu’il ralluma l’autoradio dans la voiture, quelle ne fut pas sa stupeur d’entendre s’échapper des haut-parleurs l’ouverture de Tristan et Isolde, cela ne pouvait pas être une coïncidence, sa décision était prise. Le lendemain, il donna sa démission pour se consacrer à nouveau pleinement à la musique.

Sa rencontre avec le chef d’orchestre Christoph Eschenbach, alors directeur musical à Houston, la ville natale d’Axelrod, a été déterminante pour sa percée artistique en Europe. Il accompagna et assista notamment celui-ci au Festival de Bayreuth et au Festival musical du SchleswigHolstein pour une représentation de la 8ème symphonie de Mahler. A Houston, John Axelrod avait créé avec des étudiants en musique «l’Orchestra X» – un ensemble pour la génération X – avec lequel il réalisait des expériences par-delà les frontières de la musique classique. Aujourd’hui, les résultats de ces expérimentations viennent alimenter son travail artistique avec des orchestres européens de renom. Tout d’abord chef d’orchestre à Cracovie et Lucerne, des métropoles riches en tradition, puis directeur musical de l’Orchestre des Pays de la Loire et de «l’Orchestra Giuseppe Verdi» de Milan, une troupe de jeunes et talentueux musiciens, John Axelrod concocte des programmes à l’intitulé évocateur : «Beethoven, Beer and Barbecue», où après avoir assisté à une symphonie de Beethoven, les spectateurs terminent la soirée autour d’une bière et d’une viande grillée, ou encore «Amadeus» – une pièce de théâtre musicale retraçant la vie de Wolfgang Amadeus Mozart. Chaque programme est placé sous un thème et répond à une dramaturgie précise. «L’essentiel», explique Axelrod, «c’est que nous jouions à chaque fois comme si c’était une question de vie ou de mort, pour que le public nous soit totalement acquis et que nous attirions de nouveaux fans.» Dans cette démarche, l’intégrité musicale de la composition reste intacte. «Pour moi, l’intégrité et la qualité de la composition sont primordiales», ajoute Axelrod, «mais nous devons adapter le cadre de présentation à l’époque actuelle. Les maîtres mots sont : écoute, interaction et compréhension. Le public veut être pris au sérieux et entraîné dans un voyage musical par des moyens contemporains». Axelrod ne veut pas simplement faire figure de directeur musical, il veut être un créateur musical. «Notre rôle est de concevoir et de transmettre, pas de gérer» conclut-il dans la plus pure tradition de Bernstein. Interrogé sur ses racines musicales, Axelrod se qualifie «d’Améropéen», un passeur entre les mondes, un homme qui cherche à créer des passerelles entre la légèreté et l’esprit pionnier américain d’un côté et la tradition et le sérieux européen de l’autre. Ses deux mentors Leonhard Bernstein et Christoph Eschenbach symbolisent parfaitement ces deux mondes dissemblables qui, en la personne de John Axelrod, fusionnent pourtant en une symbiose captivante. Daniel von Bernstorff Les prochains concerts de John Axelrod sont annoncés sur www.johnaxelrod.com

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MODERNITÉ

Pas du tout célèbre en Inde – Un portrait de la jeune actrice Freida Pinto Suite à son excellente interprétation dans Slumdog Millionaire, production britannico-indienne lauréate de nombreuses récompenses, Freida Pinto s’est vu propulsée au rang de star internationale en 2009. Elle est aujourd’hui ambassadrice de l’initiative Hear the World et, à ce titre, entend bien se servir de son tout nouveau statut pour sensibiliser l’opinion publique aux thèmes de l’audition et de la perte auditive. «La chance de pouvoir entendre est quelque chose dont je me réjouis tous les jours,» commente Pinto. «Cela me permet de mettre à profit mes dons d’actrice en même temps que mes expériences d’être humain.» Lorsque le réalisateur britannique Danny Boyle se mit en quête du rôle masculin pour Slumdog Millionaire, il passa en revue plus d’une centaine d’acteurs sans trouver la perle rare. Les stars de Bollywood inscrites sur sa liste étaient toutes trop lisses et musclées pour le rôle. Sa fille attira alors son attention sur Dev Patel, un grand échalas britannique d’origine Gujarati avec des oreilles décollées. Boyle fut immédiatement conquis. Si Patel avait à son actif quelques rôles sur le petit écran, plus particulièrement dans Skins, une série télévisée et comédie dramatique britannique racontant la vie d’adolescents, et s’il était ceinture noire de taekwondo, il n’avait cependant jamais joué dans un long métrage. Même chose pour Freida Pinto ; mais avant d’obtenir le rôle féminin principal aux côtés de Dev Patel, son parcours fut beaucoup plus long et semé d’embûches. Après l’avoir vue sur une vidéo, Boyle se rendit à Bombay pour ce qui allait devenir «six mois d’auditions et de bouts d’essai, en répétant les tournages maintes et maintes fois, à raison de deux séances de casting par mois.» Alors qu’elle savait depuis le premier jour qu’elle convenait parfaitement pour le rôle, Boyle ne fut convaincu qu’à l’avant-dernière audition, lorsqu’elle fit des essais directement aux côtés de Patel. Aux dires de Pinto, «l’alchimie fut immédiate». Freida possède tout ce qu’il faut pour conquérir le cœur de n’importe quel auditoire, n’importe où dans le monde : un éclatant et magnifique sourire, un formidable sens de l’humour, le timing et le talent – cultivé depuis sa plus tendre enfance – «de jouer les reines offensées». Si Kate Winslet avoue avoir répété son discours de remerciement pour un oscar dès l’âge de huit ans une bouteille de shampooing à la main, Pinto se souvient, elle, avoir «imité tous les gens à la télévision» lorsqu’elle était enfant, plantée devant le miroir et tenant sans doute une brosse à cheveux en guise de microphone pour interviewer son propre reflet. Contrairement à son collègue avec lequel elle partage la vedette dans Slumdog, Freida Pinto a grandi en Inde et a donc eu «vingt-deux ans pour se préparer» au rôle de la jeune orpheline Latika. Freida Pinto est issue d’une famille de la moyenne bourgeoisie et – comme la plupart des Indiens – a grandi bercée par les opulents et brillants films colorés de Bollywood. «Je ne danse pas vraiment bien. J’ai un semblant de rythme, mais mon sens de la coordination laisse à désirer, je crois,» raconte-t-elle au New York Times. Mais que ce soit grâce à un excellent travail de préparation ou au coaching de son collègue expert en arts martiaux, Freida est ravissante dans son numéro de danse de la scène finale sur le quai du terminus de Victoria Station . 60 HEAR THE WORLD

Avec un haussement d’épaules et un sourire contrit, Pinto concède qu’«en Inde, elle n’est pas du tout célèbre», mais ne semble pas trop le regretter. Premièrement, avec sa petite stature et sa «maladresse» (ses propres mots), elle «ne ferait pas le poids» dans la plupart des films bollywoodiens. Deuxièmement, en restant – au moins jusqu’à récemment – en dessous d’un certain seuil de célébrité en Inde, elle a l’avantage de pouvoir arpenter les rues de Colaba, le quartier commerçant de Bombay, sans être persécutée par les fans et les paparazzi. Ce qui n’est pas le cas à Londres, Paris et New York où Pinto est le point de mire des tabloids toujours à l’affût d’un faux pas. Le fait est «qu’en Occident», Freida Pinto est en passe de devenir la superstar qu’elle s’était imaginée dans son enfance et son talent est reconnu à sa juste valeur. Elle est ravie que le succès de Slumdog Millionaire «vous laisse le choix de dire «oui» aux projets qui vous intéressent et «non» à ceux que vous ne souhaitez pas concrétiser». Ainsi, peu après ses débuts sur le grand écran, elle a dit «oui» à deux films très différents, un choix qui en dit long sur son ambition et sa personnalité. En 2010, elle donne la réplique à Antonio Banderas, Naomi Watts, Anthony Hopkins et Josh Brolin dans la dernière comédie de Woody Allen Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu où, pour Brolin, elle est une muse timide et très affriolante. Ce n’est pas un grand rôle, mais pour elle, tourner avec Allen a constitué une véritable aventure. «L’une de mes plus grandes idoles» dit-elle et poursuit en racontant qu’elle regarde les films et lit les pièces de Woody Allen depuis son adolescence. Cerise sur le gâteau, elle a en plus partagé l’écran avec une pléiade d’acteurs. Jouer le rôle principal dans le film de Julian Schnabel Miral s’est avéré une tâche bien différente et autrement plus sérieuse pour la jeune actrice. Le film est basé sur un roman en partie autobiographique écrit par l’épouse de Schnabel, Rula Jebreal, journaliste et écrivain palestinienne. Dans ce film intense et souvent dérangeant, tous les yeux sont fixés sur Freida Pinto. Pas seulement parce que ce drame politicoreligieux se passe à Jérusalem au moment de la Première Intifada. Depuis qu’elle est entrée sur la scène internationale, Freida Pinto n’a cessé de surprendre ses fans – comme égérie de la marque L’Oréal, dans des poses sexy pour des magazines photos ou batifolant avec son bien-aimé à l’écran Dev Patel lequel, depuis Slumdog Millionaire, est aussi son petit ami dans la vie privée. Pourquoi, pour changer, ne pas jouer maintenant une prêtresse sensuelle sortie tout droit de la mythologie grecque dans un péplum en sandales ? C’est fait. Cela s’appelle Les Immortels et la sortie est prévue pour novembre 2011. Ou bien le rôle féminin principal aux côtés de James Franco dans la spectaculaire reprise de la saga La Planète des Singes ? C’est fait aussi. En salle au moment de mettre sous presse. En bref : à 27 ans, Freida Pinto a définitivement plus d’une corde à son arc… Christian Arndt Citations: www.youtube.com/user/TheNewYorkTimes The New York Times – «T Screen Test Films : Freida Pinto» 20 août 2010 ITV1 Daybreak 19 octobre 2010


HEAR THE WORLD 61 Photo: Bryan Adams


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Illustrration: CĂŠline Meyrat


MODERNITÉ

La bouche pleine de rythmes : l’histoire du «Human Beatboxing» Beatboxing (multivocalisme) = art de produire des rythmes, en particulier de percussion, et des sons musicaux en utilisant la bouche, les lèvres, la langue, la voix, les voies nasales et la gorge. (www.humanbeatbox.com) Comme le dit son nom, le human beatboxing – littéralement boîte à rythmes humaine – consiste principalement à imiter les rythmes, scratchs et autres percussions devenus légendaires – depuis le boss Dr. Rhythm jusqu’aux très populaires (Roland TR) 808 chers au hip hop et aux DJs de la techno. La raison en est on ne peut plus simple: apparus au début des années quatre-vingt, le hip hop et les électro beats connurent rapidement un grand succès de part et d’autre de l’Atlantique, mais les appareils permettant de produire cette musique n’étaient alors pas à la portée de toutes les bourses. C’est ainsi qu’à New York particulièrement, capitale du rap, des centaines, voire des milliers de jeunes commencèrent à reproduire les sons du beatbox avec leur bouche pour seul instrument. Darren Robinson, alias Buff Love, fut l’un des pionniers de cette forme d’art. C’était lui «The Human Beat Box» et l’échine rythmique du trio The Fat Boys. A l’entrée des années quatre-vingt, flanqué de ses deux complices, Prince Markie Dee et Kool Rock-Ski, d’une carrure aussi impressionnante que lui-même, Buff avait gagné un contrat avec une maison de disques lors d’un radio-crochet spécial rap au Radio City Music Hall de New York pour un label qui, en fait, n’existait même pas. L’organisateur, un Suisse du nom de Charles Stettler, était un dynamique manager musical et propriétaire d’une roller disco. Malgré cette petite imposture – l’absence de maison de disques –, il parvint néanmoins à décrocher un premier contrat pour le trio. Peu après, les Fat Boys publiaient «Reality», un numéro de rap pure souche rappelant le grandiose «The Message» de Grandmaster Flash, mais qui contrairement à la technique de scratch de ce dernier avec deux tourne-disques, se basait uniquement sur des effets sonores «buccaux». On rapporte que Buff Love crachait d’abord ses «percussions vocales» dans le microphone et que tous les autres instruments venaient ensuite se greffer sur lui. Son signe distinctif était une inspiration et une expiration retentissantes entre les beats qu’il introduisait comme élément mélodique supplémentaire, en plus de nombreux bruitages pour le moins déconcertants. Robinson raconta lui-même dans diverses interviews que son talent était en quelque sorte né d’une nécessité car, dans sa jeunesse, il n’avait jamais eu les moyens de s’offrir des instruments chers et du matériel de DJ. A la suite d’une défaillance cardiaque, Buff Love disparut malheureusement en 1995 à l’âge de 28 ans. Il pesait alors un peu plus de 200 kilos.

Le concurrent le plus sérieux des Fat Boys était Douglas E. Davis alias Doug E. Fresh qui, après avoir sorti le single «The Original Human Beatbox» en 1984, s’arrogea le prix de l’innovation du beatbox le plus pur. Assisté de sa Get Fresh Crew et du rappeur Ricky D alias Slick Rick, il obtint en 1985 un immense succès avec «The Show». La griffe de Doug E. Fresh était à l’époque les cliquètements percussifs qui s’enchaînaient telles des balles de ping-pong et qu’il excellait à intégrer à ses titres. Son partenaire Slick Rick collabora à la bande sonore de la série animée «Inspecteur Gadget» en égrenant d’une voix nasillarde toute une série de citations de l’histoire de la pop, entre autre le «Michelle» des Beatles. Le jeu des questions-réponses entre les deux vocalistes atteignit sa perfection dans «La Di Da Di», un autre grand classique hip hop du répertoire Fresh. Citons encore un troisième co-fondateur du genre : le poids lourd Biz Markie, toujours actif aujourd’hui, à qui nous devons un autre élément du courant beatboxing. En plus des beats et des basses qu’il fabriquait avec la bouche, le nez et le larynx, Biz fut l’un des premiers à intégrer de petites «rognures» de rap comme le font les DJ au moyen du scratching, sauf que lui les produisait avec la bouche. Rahzel, «The Godfather of Noyze», est l’un des meilleurs parmi les beatboxers actuels ; si, au départ, il se réclame de Grandmaster Flash et des Fat Boys, il n’en a pas moins en deux décennies exploré et repoussé comme nul autre avant lui les limites du possible sur le plan sonore humain. Il enregistre ses premiers essais au moyen de deux simples platines cassettes, puis selon la technique du «multiplans», superpose toujours de nouvelles couches de beats, sons instrumentaux, voix et effets jusqu’à ce qu’il obtienne des titres rap et disco parmi les plus populaires entièrement reproduits avec la bouche. Il pousse la perfection de son art à un point tel qu’il n’a bientôt même plus besoin de cassette. Rahzel a été sacré champion de beatbox dans chacun des cinq arrondissements de New York, et n’a ensuite pas tardé pas à être invité dans d’autres villes des Etats-Unis juste avant que sa réputation ne dépasse les frontières du pays. Le reste est connu : il devient membre du groupe hip hop The Roots, un collectif très influent, puis se produit en tournée aux côtés de nombreux artistes réputés, tels que Erykah Badu, Björk, Sean Paul, le groupe culte de hip hop français Alliance Ethnik et le quatuor allemand Die Fantastischen Vier. Interrogé sur le secret de sa réussite fulgurante, il s’est contenté de me répondre : «Travailler, travailler et encore travailler – jour et nuit ! Lorsque je veux apprendre un nouveau morceau ou un nouveau motif, je mets le casque et je l’écoute en boucle, même pendant mon sommeil. Et quand je me réveille le matin, je suis capable de le beatboxer», ajoute-t-il avec un sourire narquois en haussant les épaules. Son album «Make The Music 2000» de 1999 passe aujourd’hui encore pour LA référence en matière de beatbox.

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41 millions de spectateurs pour un clip de YouTube : l’intéressé doit vraiment posséder un petit quelque chose que les autres n’ont pas. Le fait est que Kyle Jones, mieux connu sous son pseudo «Scratch», est l’un des rares à pouvoir se mesurer au «Godfather of Noyze», il a même été un temps membre du groupe The Roots. Cela dit, il y a bien longtemps que ses prestations ne sont plus de la simple «percussion de bouche». Jones échantillonne les hits et les classiques actuels dans ses mix et ne se contente pas de scratcher, mais réussit en plus à déclamer des passages entiers à l’envers sans pour autant perdre le rythme de son beatbox intérieur. Avis à tous ceux qui veulent jouer dans la cour des grands du beatbox : il faudra s’accrocher pour déloger Scratch et Rahzel des deux premières places ! Fondée dès 1996, la formation autrichienne Bauchklang, constitue une variante un peu particulière du human beatboxing. L’un de ses trois albums dans la plus pure tradition percussion vocale et chant s’appelle à juste titre «live in Mumbai», puisqu’il a réellement été produit dans le cadre d’un festival indien. Le quintette quitte les sentiers battus musicaux du hip hop et pilote son beatbox collectif vers les régions du dancefloor et du reggae. Bauchklang compose et joue ses propres titres ; son style oscille entre des sons et sirènes minimalistes façon «synthé» et des vibrations inspirées du reggae. Techniquement, le collectif n’est sans doute pas aussi affûté que les grands comme Scratch et Rahzel et n’a pas la qualité de leurs extraordinaires performances solo, mais le groupe, plutôt solide, n’en dégage pas moins une étonnante puissance et ne manque jamais d’impressionner, qu’il se produise dans de petits clubs ou sur de grandes scènes de festival. A les entendre, on oublierait facilement que là encore – abstraction faite des microphones – la musique se passe entièrement de moyens techniques.

Internet oblige, les jeunes talents du beatbox peuvent non seulement regarder et écouter les meilleures performances des maîtres en la matière, mais également se mesurer à d’autres artistes en herbe. A ne pas manquer : les éliminatoires des championnats américains de beatbox qui, bien entendu, ont lieu en ligne. La qualité et la diversité des clips envoyés est au sens propre du terme absolument «époustouflante». On y découvre par exemple le Californien (blanc) SySyGy qui souffle dans son micro un titre drum & bass hilarant avec un rythme de 160 battements par minute ; au numéro IX apparaît une très jeune Américaine d’origine chinoise qui, pour des raisons d’acoustique, nous fait assister dans sa salle de bains familiale à un véritable feu d’artifice de sifflements, scratchs, sons imitant le synthé et rythmes endiablés. Au Japon également, le beatboxing est particulièrement en vogue ; et comme si cela ne suffisait pas qu’ils aient coiffé les Américaines au poteau lors de la dernière Coupe du monde de football féminin, c’est aujourd’hui un jeune Japonais qui postule au titre de champion de beatboxing. Daichi sert un titre freestyle en mode accéléré non seulement avec un puissant bassline et une drôle de citation «Eye of the Tiger», mais en rajoute encore en superposant toute une série d’excellents scratchs. Le tout fait montre d’un talent extraordinaire, à tel point qu’abasourdi, un commentateur de YouTube s’interroge : «Il a bouffé combien de radios le mec ?» En bref : apparue il y a quelques 30 ans dans les grandes métropoles américaines, cette forme d’art n’est pas seulement d’un dynamisme incroyable, mais continue de se développer dans la troisième génération ; aujourd’hui, le beatboxing n’est plus seulement à New York, Londres et Tokyo, mais a également acquis ses lettres de noblesse à Paris, Vienne, Zurich et Berlin et, bien évidemment, dans le monde entier en ligne. Contrairement au jeu vidéo World Series Baseball, les championnats du monde de beatboxing se disputent vraiment entre des solistes et des groupes du monde entier. C’est sans nul doute un gros plus pour la perpétuation du genre. Christian Arndt www.humanbeatboxing.com www.beatboxbattle.tv www.youtube.com www.myspace.com/therealrahzelpage www.daichibeat.jp www.bauchklang.com

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«…JE METS LE CASQUE ET JE L’ÉCOUTE EN BOUCLE, MÊME PENDANT MON SOMMEIL. ET QUAND JE ME RÉVEILLE LE MATIN, JE SUIS CAPABLE DE LE BEATBOXER.» HEAR THE WORLD 65


MODERNITÉ

DJ Spooky : Work-play balance Incroyable. Il n’y a pas d’autre mot. L’homme est incroyable. Une productivité absolument incroyable et un nombre de registres à faire pâlir d’envie les collègues. DJ Spooky : son pseudo est déjà tout un programme. Surtout quand on sait que c’est la forme courte de : DJ Spooky That Subliminal Kid. Aux dires de Paul D. Miller – son nom de baptême – le complément est une allusion à un ouvrage de William S. Burroughs. «Subliminal» signifie «inférieur au seuil de la conscience» – un DJ qui travaille en dessous du seuil de la conscience ? En somme, une manne pour quelqu’un qui, aux yeux de la plupart des gens, n’est là que pour faire danser les autres. Et pourtant Miller, cuvée 1970, ne se considère même pas comme un DJ. Et de toute façon, ce n’était pas ce qu’il souhaitait devenir. C’est en tout cas ce qui ressort de son interview : «Je n’ai jamais eu l’intention de faire du deejaying. Au départ, c’était un projet plutôt annexe. Je voulais être artiste et auteur – ça n’a été qu’un genre de détachement musical. J’ai essayé de me sortir de là, mais ça n’est pas si simple, les gens disent : Il est DJ ! Non, je suis écrivain, j’écris des livres, je fais des applis iPhone et iPad, je suis concepteur de logiciels.» Son incursion dans le monde des logiciels pour smartphones et Tablettes PC a été extrêmement rentable. Les outils conçus ont été téléchargés jusqu’à 6,5 millions de fois et lui permettent aujourd’hui de se consacrer à ses autres passions. «Je n’ai plus besoin de faire autant de deejaying. Je veux me concentrer sur d’autres choses, comme mes bouquins, mon musée et mes installations de galeries. Pour le moment, je suis connu comme DJ qui, de temps en temps, joue les artistes alors que je suis artiste à temps plein. J’essaie de remixer et, en fait, je suis plutôt un artiste qui de temps en temps joue les DJ». Miller renvoie tout simplement la balle. Une interprétation intéressante des choses qui, finalement, n’a rien d’étonnant lorsqu’on se penche sur son cheminement jusqu’ici : Il a suivi des études de philosophie et de littérature française – encore quelque chose de surprenant pour un DJ «traditionnel». Miller est un professionnel du remix et s’efforce de faire du neuf avec du vieux – une technique qu’il utilise également dans d’autres domaines. Que ce soit comme artiste, auteur, concepteur de logiciels, professeur ou musicien, sa méthode de travail s’apparente à celle d’un disc jockey, mais dans les clubs en vogue de ce monde, on cherche en vain l’homme derrière les platines. Miller n’est pas un DJ au sens propre du terme, il joue avec les sons, il expérimente. Son fer de lance est le collage, le remix. Et à le voir jongler avec les sons, s’adonner à l’art du sampling, on n’a aucune peine à s’imaginer que sa curiosité lui permet d’intégrer aussi toutes les nouvelles impressions, qu’il ingurgite, mixe, travaille jusqu’à les régurgiter sous une toute nouvelle forme. Faire uniquement de la musique serait pour lui trop banal : «Je n’ai jamais eu l’intention de faire de la musique normale. La musique est très réductionniste.» 66 HEAR THE WORLD

Miller ne se laisse enfermer dans aucune catégorie. C’est un hyperactif, il parcourt inlassablement le monde et ne s’arrête jamais. Il est le prototype du nouvel artiste contemporain : un quêteur sans cesse en mouvement – LE «renaissance man» version moderne. Un échantillonnage de son immense productivité illustre tout cela sans grand discours. Artiste multimédia, Miller a eu le privilège d’exposer à la Biennale de Venise, au Art Basel de Miami Beach, au musée Ludwig de Cologne et dans la galerie d’art de Vienne. Et n’oublions pas de mentionner ses livres : «Rhythm Science», dans lequel il analyse le rôle du DJ comme utilisateur des sources les plus diverses et donne un aperçu de son propre travail comme DJ. «Sound Unbound» est une anthologie de 36 essais sur les «stratégies de composition contemporaines» avec des contributions de Brian Eno, Steve Reich, Jonathan Lethem, Chuck D, Moby, Saul Williams, Pierre Boulez et bien d’autres encore. Paru cet été, son livre le plus récent – «The Book Of Ice» – est né au cours d’un voyage en Antarctique, dans ce désert glacé autour du pôle Sud qui n’est rattaché à aucun Etat. L’ouvrage est un recueil de photographies, histoires et interviews et renferme aussi le «Manifesto for a People’s Republic of Antarctica» de Miller : l’Antarctique, une terre où nul homme ne s’installera, où aucun gouvernement ne doit être autorisé à intervenir – même si certains Etats revendiquent depuis longtemps ce territoire. Ses travaux graphiques réalisés pour ce manifeste sont regroupés dans le très joli ouvrage «Green Patriot Posters», un projet consacré au thème de la gestion durable et de la lutte contre le réchauffement climatique. Le prochain bébé de Miller est déjà en gestation. Sous le titre de travail «The Book Of Islands», il nous renvoie à un autre projet actuel – la «Vanuatu Pacifica Foundation». A Tanna, une île du Pacifique Sud appartenant au Vanuatu, état indépendant comptant 80 îles, Miller a entrepris de fonder un «Center for the Arts». Miller a découvert cette île en 2009 après y avoir été invité et a été immédiatement conquis par la vie sur cet archipel à l'écart de la civilisation. Le «Center for the Arts» est destiné à devenir un lieu de rencontre entre les artistes internationaux et les autochtones. Il favorisera le dialogue commun et offrira aux artistes et penseurs qui le visiteront une plateforme idéale pour leur travail. Le but est d’établir une passerelle entre notre technologie du 21ème siècle et le savoir écologique ancestral des populations locales. «J’ai passé quelques-uns des meilleurs moments de mes dix dernières années à me laisser vivre aux côtés de ces gens du Vanuatu et à découvrir les bienfaits de leur décélération. Nous vivons dans une culture très accélérée et fragmentée. La création d’un endroit paisible où se ressourcer est pour moi très importante. Il y a ici un calme et une tranquillité que je souhaite entretenir précieusement».


Photo: Becky Yee

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«LA CRÉATION D’UN ENDROIT PAISIBLE OÙ SE RESSOURCER EST POUR MOI TRÈS IMPORTANTE. IL Y A ICI UN CALME ET UNE TRANQUILLITÉ QUE JE SOUHAITE ENTRETENIR PRÉCIEUSEMENT». 68 HEAR THE WORLD


A la question de savoir si ce petit paradis pourrait rapidement devenir une destination touristique prisée, Miller répond sans hésitation : «C’est à 27 heures d’avion de New York, l’île ne sera pas envahie.»

Il trouve l’inspiration partout et les idées ne semblent jamais lui manquer. C’est certainement l’un de ses plus grands atouts. «Creuser des idées constitue une grande partie de mon travail»

Miller travaille actuellement à la reproduction d’instruments de percussion originaux du Vanuatu. Pour cela, il a emprunté au «Weltkulturen Museum» de Francfort-sur-leMain quelques-uns des tambours de sa vaste collection qui lui servent de modèle. Miller est artiste invité de ce musée et a le privilège de pouvoir sélectionner des objets exposés pour pouvoir les contempler sous un angle nouveau et les réinterpréter. «Le Weltkulturen Museum possède l’une des collections d’art océanique les plus importantes. Je travaille sur leur collection, leur bibliothèque, leurs photographies et réalise un projet visant à voir ce qui se passe si nous appliquons les techniques média numériques actuelles à un matériel historique. J’insuffle une énergie nouvelle à la collection et nous allons faire une exposition.»

Pour cela, Miller, qui vit à New York, a évidemment besoin de temps – qui, si l’on fait la somme de ses engagements, est calculé au plus juste : «Mon principal problème est que je ne peux pas faire abstraction du temps – et je n’ai jamais assez de temps. Si tu n’as pas le temps de réfléchir à de nouvelles idées, tu vas te borner à ressasser toujours les mêmes».

Miller a également dans ses tiroirs un projet de percussion avec les batteurs des groupes Police, Living Colour, Stewart Copeland et Will Calhoun – le tambour des mers du Sud y trouvera-t-il sa place ? Les îles du Pacifique seront également le thème d’un nouveau travail dans le cadre de la Biennale de Venise à la fin de l’année 2011. Miller est passé maître dans l’art de concrétiser de nouvelles idées. Il travaille volontiers en équipe et est bien loin d’être le lutteur solitaire que l’on s’imagine de prime abord. La liste des personnes avec lesquelles il a œuvré est longue et, surtout, très éclectique. Il enchaîne les collaborations : que ce soit avec le rappeur Chuck D de Public Enemy, Yoko Ono, Thurston Moore de Sonic Youth, Lee Scratch Perry, Dave Lombardo de Slayer ou Meredith Monk, dont il produit actuellement le nouvel album, Miller ne craint pas les contacts.

Pourtant, Miller semble bien trouver le temps de réfléchir ; en tout cas, personne ne lui a jamais reproché de se répéter. Mais l’artiste ne perd pas le nord et reste lucide : «Les gens devraient apprécier et respecter la manière dont les autres gèrent leur temps et leur espace social. C’est justement ce que les indigènes sont en mesure de nous enseigner, je pense, et c’est exactement ce que j’ai appris auprès d’eux.» En juillet dernier, Miller a de nouveau passé un mois au Vanuatu pour préparer son projet de «Center for the Arts». Ses messages par l’intermédiaire du réseau Twitter ont été rares – ce qui s’explique : «Il y a un seul endroit où l’on peut contrôler ses mails et je n’y vais pas très souvent…» Tout est dit : Il a besoin de ce refuge pour se ressourcer entre deux projets en même temps que d’un endroit où il ne soit pas joignable et disponible en permanence. Peut-être que la vie dans le Pacifique lui est si douce qu’il s’y établira durablement un jour… Mais je n’y crois pas trop, il aime trop travailler. Et comme il le dit lui-même à la fin de notre entretien : «Le travail est comme un jeu pour moi.» Bon ben… Play on, DJ Spooky, play on. Matthias Westerweller

A la sortie de son premier album solo en 1996, Miller a été étiqueté précurseur d’un nouveau genre que les critiques ont baptisé «Illbient» : un mélange d’ambient et de «ill», un terme emprunté au hip hop et signifiant quelque chose d’extrême, mais dans le sens positif. Au palmarès de Miller, on trouve des remix pour Metallica ou Nick Cave, mais aussi des musiques de films. Mais Miller ne se contente pas de composer simplement un titre pour un film. Il s’est par exemple servi du film de propagande controversé de D.W. Griffith «Naissance d’une Nation» pour créer un mix façon DJ dans lequel il a ajouté du matériel photographique historique et contemporain. Un traitement à l’issue duquel le film a été déconstruit et quasi reconstruit. La bande originale a été composée pour le Kronos Quartet – car Miller écrit aussi pour les instruments à cordes. Tout comme «Terra Nova : «Sinfonia Antarctica», qui est le portrait acoustique de son voyage en Antarctique où Miller a également conçu ses applis iPhone.

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MODERNITÉ

De la musique de filles? Quo vadis, Jamie Woon?

Photo: Phil Sharp

Août 2007, garden-party à Francfort : un petit podium est installé au beau milieu de la piste de danse, sur une terrasse ouverte. A la tombée du jour apparaît un homme inconnu de la plupart des convives, une guitare à la main ; sur scène, un microphone, un certain nombre de pédales et une «loop station» que l’auteur-compositeur utilisera de temps à autre pour dupliquer sa voie et la superposer. Sur la piste de danse où l’ambiance commence à se réchauffer, les gens hésitent l’espace de quelques instants. Retentit alors un live set acoustique qui, plus tard, sera qualifié de magique et légendaire. De composition en composition jusqu’à une extraordinaire version couverture du classique de Björk «All Is Full Of Love», le jeune Londonien du nom de Jamie Woon ne tarde pas à rallier le public à sa cause. Pour finir, ce sont 300 personnes qui reprennent le refrain avec lui. Tout est plein d’amour et la fête continue ensuite de battre son plein puisque les danseurs, satisfaits et souriants, en redemandent… Jusqu’à l’aube, jusqu’à ce que le petit lac, dissimulé derrière le podium, scintille de mille feux aux couleurs du soleil levant. Une mise en scène tout à fait du goût de Woon, 28 ans, qui adore travailler la nuit, et dont la créativité bouillonnante raffole du silence ; il en extrait sans cesse de nouveaux titres qui viennent enrichir son répertoire. Egalement lors de promenades nocturnes. Cette prédilection pour le travail de nuit, on la trouve par exemple dans le fulminant «Night Air», le titre qui ouvre son premier album «Mirrorwriting» (Polydor/Universal) qu’il a peaufiné pendant presque quatre ans. Ajoutons des titres à l’origine composés à la guitare qu’il a transformés après les avoir interprétés à de multiples occasions, ainsi que des chansons assaisonnées d’électronique pour lesquelles la guitare n’est plus audible à la fin. C’est en principe la manière dont naissent les chansons pop et de fait, c’est exactement ce que Jamie Woon a toujours voulu faire. Même si les critiques musicaux éclairés veulent le ranger dans le même tiroir que James Blake, un artiste que nous avions présenté dans notre dernier numéro, et le rattacher à un genre qui n’existe pas vraiment, le postdubstep. Cela s’explique probablement par le fait que sa première publication officielle, une version de la chanson traditionnelle américaine «Wayfaring Stranger», est tombée dans l’oreille des protagonistes anglais d’une scène dubstep à ses débuts. C’est pourtant bien la voix de velours du Londonien qui prédomine, avec laquelle il joue volontiers. «J’adore les morceaux très résonants, même si évidemment, il ne faut pas exagérer. Mais ils permettent de créer une ambiance et une atmosphère fantastiques. Je suis friand d’infrabasses très graves avec plein d’espace libre autour. Dans ces espaces libres, on peut distiller quelques notes, mais en gros, tout ce blanc n’est réservé qu’à une chose : la voix». Inspiré par les sessions en studio de sa mère, la légende de folk écossais Mae McKenna, Woon a commencé à écrire des chansons. McKenna a chanté pour d’innombrables superstars telles que Björk ou Michael Jackson et a participé comme choriste à de nombreuses productions de la fabrique de tubes Stock, Aitken & Waterman. Woon a commencé par interpréter ses propres chansons lors des soirées

«One Taste» organisées par lui-même, une plateforme pour jeunes artistes inconnus, représentants d’une nouvelle vague de chanteurs /auteurs-compositeurs. Outre les chansons de sa mère, Jamie Woon se réclame de la veine de Joni Mitchell, Stevie Wonder, Neil Young, des plus grands de la scène R&B tels que D’Angelo et Boyz II Men, d’artistes plus actuels comme Mount Kimbie ou James Blake, déjà mentionné auparavant, ainsi que du légendaire J.J. Cale, initiateur du «son de Tulsa». «J’aime les musiciens qui osent des voies nouvelles pour faire passer leur feeling du blues. Il ne faut pas oublier que le blues est à la base de tous les genres de musique que l’on trouve aujourd’hui. Blues & basse – c’est ce que j’appelle un son hybride !» Et Jamie Woon enrichit celui-ci d’une bonne dose de pop. Dans «Mirrorwriting», on retrouve pas mal de «Woon-Evergreens» tels que «Spirits», dans lequel il invite à se montrer plus respectueux de la nature, ou la chanson d’amour «Gravity», «Waterfront», un titre inspiré par une balade nocturne, ainsi que plusieurs hits potentiels. «Lady Luck» constitue sans aucun doute la chanson la plus remarquable de l’album et ne tardera pas à passer sur toutes les radios. Le plus extraordinaire chez Jamie Woon reste qu’en à peine cinq ans, il est parvenu à fidéliser son public uniquement par des concerts live et sans le soutien de grands labels, se rapprochant en cela de ses modèles et inspirations. Malgré tout, on a tendance à qualifier tout cela de «musique de fille» et le charme dont il fait montre à chaque apparition, l’impression de timidité qu’il dégage y sont certainement pour quelque chose. Au départ acoustiques pour pouvoir les produire sur disque au moyen du logiciel Ableton, les chansons sont aujourd’hui reprises sur scène par un groupe de cinq membres. Et pourtant, la magie est bel et bien là lorsqu’après plusieurs rappels, Jamie Woon se retrouve seul sous les feux de la rampe et renoue avec ses racines. Finalement, il suffit d’un bon musicien de soul, d’une voix douce, d’une guitare et d’émotions crédibles qui seront amplifiées par la musique. Capitaine au long cours ou non, dans quelles eaux navigue t-il ? On en saura sans doute plus à la fin de cette année, lorsque l’Angleterre remettra le renommé Mercury Prize. Boosté par son excellent classement à la 4ème place du «Sound of 2011» organisé par la BBC en janvier 2011, Jamie Woon a en tout cas été nominé. Mais n’aurait-il pas alors besoin d’un répertoire plus consistant ? Ou de sonorités portant plus nettement sa signature, comme son collègue James Blake, conséquent en la matière, qui sait si bien faire frissonner son public sur scène ? Lui aussi est nominé… et ses auditeurs comptent sensiblement autant d’hommes que de femmes. Sans compter qu’il a l’envergure de pousser bien d’autres portes musicales. Les fans de bonne musique pop, de chansons dont la mélodie trotte vite dans la tête seront dans leur élément avec le premier album de Jamie Woon. Reste à espérer que ce sympathique début n’en restera pas là. A vrai dire, il est bien impossible de le lire dans les étoiles. Même pas dans le ciel étoilé de Francfort… Michael Rütten HEAR THE WORLD 71


MODERNITÉ

Philipp Rathmer L’œil en alerte Lorsqu’on lui demande ce qui le caractérise, il répond qu’il est certainement l’un des plus grands supporters du FC St. Pauli. Toujours au cœur de l’évènement, les yeux rivés sur l’action. Sur le plan professionnel, ces qualités font mouche. Le photographe hambourgeois Philipp Rathmer possède un don inné : l’œil pour les choses insolites. Il adore expérimenter et ce, dans toutes les disciplines. Il en a donné la preuve dans des productions diverses et variées, tout en se faisant un nom dans le milieu. Célébrités, mode, beauté, portraits, paysages – il suffit que quelque chose passe devant son objectif pour que Rathmer capture la magie du moment et surprenne le spectateur par ses trouvailles. En jouant avec les couleurs, la lumière et la matière, il obtient des résultats hors du commun. Cependant, on aurait tort de croire que le travail de Rathmer se cantonne aux feux de la rampe, au glamour et à l’esthétisme artificiel. Il a sillonné le monde et vu beaucoup de choses, des belles et des moins belles.

Avec le soutien de la Hear the World Foundation, tous les enfants concernés ont bénéficié d’un examen approfondi, puis ont été équipés d’une aide auditive adaptée à leur cas. Ceci accroît énormément leurs chances de scolarisation et de formation dans leur pays natal et permet d’empêcher leur exclusion sociale. Comme si les enfants devinaient pertinemment combien cette action allait améliorer leurs conditions de vie, ils explosent de joie devant l’objectif de Rathmer et nous font partager leur bonheur tout neuf. Grâce à son sens de l’observation, Rathmer a pleinement réussi à capturer ce petit bonheur et à le coucher sur papier. Sandra Spannaus www.philipprathmer.de www.hear-the-world.com/foundation

Photos: Philipp Rathmer

En compagnie du Suisse Patrick Nuo, musicien et ambassadeur de Hear the World, il a fait un voyage en Afrique pour se rendre dans les quartiers les plus pauvres de la capitale kényane Nairobi, loin du business et des impératifs «branchés». Il y a réalisé des instantanés non racoleurs, tirant toute leur expressivité de leur réalisme : des portraits authentiques très impressionnants d’enfants socialement défavorisés et souffrant tous d’une déficience auditive.

Rathmer a manifestement été très impressionné par l’engagement du Dr. Michaela Fuchs, une ORL allemande bénévole et son équipe qui font un «travail dingue» et se dévouent corps et âme pour aider là où les gens manquent de tout, lorsque les besoins les plus fondamentaux ne sont pas couverts même au plus jeune âge.

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EUNICE RAGIRA HEAR THE WORLD 73


CHERONO KIRUI 74 HEAR THE WORLD


GLADWELL NJOKI HEAR THE WORLD 75


JASRAJ GAHIR 76 HEAR THE WORLD


JAMES NJERU HEAR THE WORLD 77


PETER MWAURA 78 HEAR THE WORLD


KELVIN OTIENO HEAR THE WORLD 79


MODERNITÉ

La voix de Sam Prekop Nous sommes à la fin des années cinquante à une centaine de kilomètres au sud de Chicago. En panne d’inspiration, João Gilberto, à l’époque chanteur parfaitement inconnu, décide de tourner le dos à l’effervescence de Rio de Janeiro et se réfugie dans la famille, dans une petite localité du nom de Diamantina. Sam Prekop n’est pas encore né et pourtant, cette décision sera pour lui lourde de conséquences. João Gilberto traversait une profonde crise et espérait qu’un éloignement de la métropole lui donnerait de nouvelles impulsions. Au grand dam des membres de la maisonnée, l’artiste s’enferma dans la petite salle de bains où il passa d’innombrables heures et jours à jouer de la guitare et chanter pour les murs. Lorsqu’enfin, il se décida à quitter sa tanière, il nous offrit ce cadeau : la bossa nova. On ne sait si le séjour prolongé de João Gilberto fut à l’origine de cette transformation, toujours est-il que sa voix en sortit comme évaporée, toujours plus douce et vaporeuse, un rêve de velouté. Le carrelage d’une salle de bain ne pardonne pas, le moindre souffle est répercuté et revient plus ou moins douloureusement aux oreilles. Ainsi João Gilberto devint-il l’un des chanteurs les plus délicieux et les plus envoûtants de l’histoire. Sam Prekop est l’un de ses plus fervents admirateurs ; aujourd’hui encore, lorsqu’on interroge ce dernier sur les albums qui ont le plus compté pour lui, il nomme imparablement «l’album blanc» de Gilberto, sorti en 1973, véritable prodige de mélancolie, simplicité, douceur, sensibilité, virtuosité et rythme. Et à bien écouter le chant de Sam Prekop, on y retrouve très exactement ces éléments – on y reconnaît non seulement la voix de tête efféminée, typique des chanteurs de soul des années soixante et soixante-dix, on ne perçoit pas seulement l’influence de Curtis Mayfield ou Smokey Robinson, mais on entend aussi la voix en quête de sérénité de João Gilberto. Sam Prekop, musicien et artiste photographe de Chicago, fief du jazz et du postrock, fit pour la première fois parler de lui au début des années quatre-vingt-dix avec le groupe Shrimp Boat, sur les ruines duquel naquit en 1993 «The Sea and Cake». Le collectif en est aujourd’hui à son neuvième album. On trouve à la guitare Prekop et Archer Prewitt, à la basse Eric Claridge et à la batterie, John McEntire. Comme pour les huit albums précédents, «The Moonlight Butterfly» ne cherche pas l’innovation ou même à se démarquer à tout prix, mais reste fidèle à des formes musicales déjà mûries, les approfondit, tentant ainsi de nous faire partager l’essence de ses chansons. Le «drive» de ce groupe se développe si subtilement que l’auditeur remarque à peine combien les sonorités lui ravissent les oreilles. Sam Prekop travaille depuis des décennies au même morceau : un petit bijou de gracilité, doux comme le velours, susurré, comme apprivoisé, bondissant et rebondissant. L’anglais chanté par Prekop en a parfois d’étranges sonorités tel autrefois le portugais de João Gilberto. Un travail extraordinaire sur le son qui, à son tour, engendre une signification avant tout sentimentale. A ces images nées de sons immédiatement identifiables, on associe vite les riffs de guitare joués par Prekop et Prewitt sur les 80 HEAR THE WORLD

cordes aiguës, des phrases qui se courtisent et se flattent tandis qu’en arrière-fond, la basse de Claridge trace ses élégantes lignes sonores où transparaît davantage le caractère mélodieux que rythmique. Il faut toute la maîtrise d’un John McEntire, plus «rationnel», et son rythme le plus souvent rectiligne pour revenir sur terre toucher du doigt une structure stable pour ces sonorités éthérées. Tout cela gouverné par la voix de Prekop, même si le terme «gouverner» n’est peut-être pas le terme approprié pour décrire une voix qui n’a rien de tonitruant, de pompeux ou de faire-valoir : elle semble planer à la fois au-dessus des autres instruments, mais aussi au-dessus de toute la mêlée musicale, comme une sorte de bruit de fond surgie d’une coulisse imaginaire, d’abord comme imperceptible et pourtant partie intégrante de la partition, irremplaçable et inimitable. Tel un acteur peu assuré qui, avant d’entrer sur scène, soulève un coin du rideau pour découvrir la salle, et qui pourtant à force de petits gestes et par de subtiles mimiques trouve en lui d’étonnantes ressources et finit par triompher. Prekop est un chanteur minimaliste. Il joue de son instrument avec délicatesse, en filigrane. Cela n’a pas toujours été le cas, cette réserve est également le résultat d’un processus de maturation qui, peutêtre, n’est pas encore terminé : si, à l’époque de Shrimp Boat et sur les premiers albums de The Sea and Cake, il a parfois fait montre de débordements émotionnels, d’une volupté vocale que traduisaient clameurs et rugissements, ce n’est plus le cas aujourd’hui où il cultive une sorte de stoïque douceur. Peut-être, en vient-on à penser, qu’a force de flirter avec l’évanescence cette voix va finir par s’effacer jusqu’à ce qu’on ne l’entende plus qu’à peine ou plus du tout. Le dernier album solo de Sam Prekop paru sous le titre «Old Punch Card» nous donne – si l’on veutun avant-goût de ce nouvel habit musical. Des grésillements électroniques sur le synthétiseur, pour Prekop un tout nouveau son, assez inhabituel – et la voix a complètement disparu. Dieu merci, elle revient pour «The Moonlight Butterfly», aussi belle et aussi fascinante que sur les trois derniers albums du groupe. Mais il semblerait néanmois que les mailles du canevas musical de «The Sea and Cake» ne soient plus si serrées qu’autrefois. Il suffit pour s’en persuader d’écouter le morceau au synthétiseur «The Moonlight Butterfly» sur l’album le plus récent du groupe qui n’est pas sans rappeler le dernier album solo de Prekop. Le titre est différent au point de sembler dans un premier temps déplacé, mais non finalement, il donne au mini-album une certaine structure, souligne les contours des autres chansons plus qu’il ne les contrecarre. Le synthétiseur forme la trame de «Inn Keeping», un titre long, bâti autour d’un motif pulsant, qui évoque discrètement le krautrock et véhicule cette sérénité caractéristique de «The Sea and Cake», le plus spectaculaire des groupes non spectaculaires. Et fait de Sam Prekop l’un des chanteurs les plus éthérés de la scène actuelle. Ulrich Rüdenauer


HEAR THE WORLD 81 Photo: Erik Keldsen


HEAR THE WORLD MENTIONS LÉGALES

Edition

Trademark Publishing, Westendstr. 87, 60325 Frankfurt am Main, Allemagne Direction de la publication Armin J. Noll Editeur Alexander Zschokke Rédaction Maarten Barmentlo, Heiko Ernst, Markus Frenzl, Christian Gärtner, Antonia Henschel (V.i.S.d.P.G.), Karl W. Henschel, Christine Ringhoff, Elena Torresani Photo de couverture Bryan Adams Ont collaboré à ce numéro Bryan Adams, Max Ackermann, Christian Arndt, Anno Bachem, Markus Frenzl, Maud Garrel, Hennie Haworth, Shin-Shin Hobi, Sandra Hofmeister, Klaus Janke, Marcel Krenz, Stefan Kugel, Daniel Lachenmeier, Staffan Larsson, Céline Meyrat, Philipp Rathmer, Malin Rosenqvist, Ulrich Rüdenauer, Michael Rütten, Sandra Spannaus, Daniela Tewes, Matthias Westerweller Direction artistique Antonia Henschel Production Remo Weiss Traduction Valérie Dupré Florence Papillon Imprimerie pva, Druck und Medien-Dienstleistungen GmbH, Landau/Pfalz, Allemagne www.hear-the-world.com ISSN 2190-0639

Régie publicitaire Publicitas GmbH, Falkensteiner Str. 77, 60322 Frankfurt am Main, Allemagne, tél. : +49 (0)69 719 149 29, fax : +49 (0)69 719 149 30, courriel: sven.kietz@publicitas.com, www.publicitas.com/germany Von Wedel Media Solutions, Amselstraße 1b, 22081 Hamburg, Allemagne, tél. : +49 (0)40 677 85 29, mobile : +49 (0)173 208 52 51, fax : +49 (0)40 401 68 102, courriel : vonwedel@vwedel-mediasolutions.de Le magazine HEAR THE WORLD paraît quatre fois par an. Prix du numéro pour l’édition 6 EUR (Autriche 6,90 EUR), 9 CHF, 8 USD, 6 EUR Distributeur auprès des commerces de détail SI special-interest MD & M Pressevertrieb GmbH & Co. KG Nordendstr. 2, 64546 Mörfelden-Walldorf, Allemagne Tél. : +49 (0)6105 975 060 Abonnement Abonnez-vous à HEAR THE WORLD – le magazine de la culture de l’audition – sur le site www.hear-the-world.com. Le prix de l’abonnement annuel est de 29 EUR, 47 CHF ou 39 USD, port inclus. Le magazine HEAR THE WORLD paraît 4 fois par an. Chaque abonnement sert une bonne cause. Les bénéfices des ventes sont versés à la fondation Hear the World qui soutient des projets consacrés aux personnes souffrant de perte auditive. Pour en savoir plus sur les activités de la fondation Hear the World, rendezvous sur le site www.hear-the-world.com. Le magazine est disponible dans certains kiosques à journaux. Les articles publiés dans le magazine HEAR THE WORLD sont protégés par le droit d’auteur. Toute reproduction – même partielle – implique l’autorisation écrite de l’éditeur. L’éditeur, la rédaction et la maison d’édition déclinent toute responsabilité pour les textes et photos non sollicités. La rédaction se réserve le droit de publier – même partiellement – tout courrier qui lui a été adressé. L’éditeur n’est en aucun cas responsable des annonces et encarts publicitaires.

Dans notre prochain numéro:

Trouble Déficit de l’Attention / Hyperactivité (TDAH) KT Tunstall The Vegetable Orchestra

82 HEAR THE WORLD


AMY WINEHOUSE (* 14. SEPTEMBRE 1983; † 23. JUILLET 2011) Merci Amy – ta musique restera à jamais dans nos mémoires.


Ne pas entendre un son haute fréquence ne signifie pas qu’il n’existe pas. Testez votre audition dès maintenant: www.hear-the-world.com


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