Geo Hors Serie. Catalonia.

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LES VOIX DE LA Te x t e d e V i n c e n t B o r e l , p h o t o s d e H é c t o r M e d i a v i l l a p o u r G E O D é c o u v e r t e .

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MONTAGNE SACRÉE

Tous les jours, à 13 heures, le chœur d’enfants de l’Escolania entonne le «Salve Regina» dans la basilique du monastère. Un rituel immuable depuis le XIVe siècle.

Pandora / PictureTank

Deux populations au monastère de Montserrat : les moines qui prient en silence et les écoliers de la chorale qui chantent pour le plaisir de millions de visiteurs.


Fondé en 1025, le sanctuaire a été reconstruit au XIXe siècle à flanc de falaise. Perché à 725 mètres d’altitude, il domine la plaine du Llobregat qui s’étend jusqu’à Barcelone. Au-dessus pointent les rochers ruiniformes qui ont donné son nom à Montserrat («Mont scié»).

Le plissement capricieux des pyrénées 96 HORS - SERIE GEO

a donné naissance au massif

de montserrat


L Ci-dessous : la statue de Pau Casals, musicien emblématique de la Catalogne et grand ami de l’Escolania, pour laquelle il a composé l’intégralité de sa musique sacrée. A droite : paisible réunion dans le jardin privé des moines.

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e monastère de Montserrat a des allures de mont Athos. La route et le train crémaillère, seuls moyens d’accès aux bâtiments perchés à 800 mètres au-dessus du fleuve Llobregat, ont été arrachés par un éboulement. Seule une cabine téléphérique achemine les visiteurs sur ce site clos dans un étroit vallon de rochers extravagants. En ce début de carême, la solitude y est presque totale. «La seule différence avec le mont Athos, c’est qu’ici vous trouverez quelques femmes», s’amuse le père Ignasi Fossas, l’économe de cette abbaye bénédictine qui est le cœur spirituel de la Catalogne. Des femmes, et surtout les cinquante garçons de l’Escolania, le plus ancien chœur d’enfants d’Europe. Chaque année, deux millions cinq cent mille visiteurs viennent l’entendre chanter, à 13 heures puis à

18 h 45, le «Salve Regina» et les vêpres. Le niveau musical de l’Escolania n’a d’équivalent que chez les chœurs des collèges anglais et le Tölzer Knabenchor allemand. Je l’ai connu par un disque aujourd’hui rarissime : le premier enregistrement des «Vêpres» de Monteverdi, à l’époque où Harmonia Mundi publiait sur disque noir. Ces voix asexuées donnaient aux drapés baroques du Vénitien des couleurs inouïes. Une puissante volée de cloches appelle à rejoindre la basilique néo-byzantine. Dans leurs aubes blanches, les cinquante enfants se rangent autour de l’autel. Le cristal des sopranos, le timbre charnu des altos s’élève dans une atmosphère d’encens et d’encaustique. Le «Salve», d’un compositeur différent tous les jours, est suivi du «Virolai» que chaque Catalan connaît par cœur. Il fut écrit par le poète Jacint Verdaguer. «Rose d’avril, des Cata-

plus QU’un

monastère,

un emblème national

lans tu seras toujours la princesse.» Je lève les yeux vers la niche en mosaïques abritant la Moreneta, la Vierge noire. Des silhouettes prient et frottent la main de cette divinité romane pour laquelle Montserrat a été bâti. Archaïque statue en bois sombre qui porte Jésus sur ses genoux. La légende veut qu’elle ait été découverte en 881, dans une grotte proche, par trois enfants que guidait une lumière surnaturelle. Les enfants, les moines, la mère, le lieu : ce sont les quatre points cardinaux de Montserrat. Plus qu’un monastère, l’emblème d’une nation. Je détaille les dizaines de lampes votives offertes par les villes, les régions, les entreprises, les associations catalanes. Et le Barça dont les joueurs viennent remercier la Vierge pour leurs victoires, suivis par des supporters extatiques. Après la pénombre byzantine, le parvis. La Méditerranée, qui scintille au loin par temps clair, n’est plus qu’un souvenir. Une langue de nuages dévale entre les bérets rocheux dont les profils évoquent les moaïs de l’île de Pâques. Le temps s’est fait wagnérien, adjectif particulièrement bienvenu. Fervent adorateur du sorcier 

Un massif voué aux mystiques Outre le monastère, la Serra de Montserrat compte une douzaine d’anciens ermitages installés à l’abri des montagnes tels L’Elefant, La Momia… Aujourd’hui abandonnés, ces sites n’en constituent pas moins de belles randonnées.


Logés en internat, les choristes de l’Escolania alternent cours, répétitions et moments de détente. A droite : les rochers escarpés de Montserrat attirent de nombreux amateurs d’escalade.

Le père Ignaci Fossas dans la salle de lecture de la bibliothèque. Avec quelque 250 000 volumes, celle-ci est l’une des plus riches du pays et l’une des toutes premières en matière de théologie.

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 de Bayreuth, Le Liceu,

loir après couloir, par ses frères. Les silhouettes élancées flottent sur le dallage immaculé. J’ai le privilège d’être convié à partager leur déjeuner. La parole est close, les sourires pétillent. Bénédicité. Le menu suit le temps liturgique. Carême : soupe de lentilles, blanc de poulet, aubergines frites, banane, vin rouge, eau, pain. Lecture à voix haute et en catalan de la «Genèse, 25». «Comment Esaü vendit à Jacob son droit d’aînesse contre un plat de lentilles.» Les couverts et les chariots de métal tintent. A la table de l’abbé, circulaire comme celle des chevaliers de la table ronde, ainsi qu’à celles des moines, chacun ôte ses miettes avec une balayette et une pelle rangées sous la table. Le repas, servi par les novices, est pris en trente minutes. Les portes des cuisines se ferment dans un mouvement synchrone. Les moines se retirent, les plus âgés en premier. Emotion d’un rituel inchangé depuis la règle de Saint-Benoît édictée en 529, quand manger était un moyen, pas une fin. Le monastère est récent. Détruit par les guerres napoléoniennes de 1808, désossé dans les années 1840, il renaît lorsque le pape place la Catalogne sous la protection de sa Vierge noire 

«qui entre

l’opéra de Barcelone, fut le premier au monde a donner son «Parsifal». Le compositeur le situe dans un Montsalvat qui lui fut fortement inspiré par un voyage dans ces mêmes montagnes. Montserrat, fond de mer née il y a cinquante millions d’années des alluvions d’un fleuve, puis exhaussé par le plissement des Pyrénées proches, est un caprice de l’érosion. Son conglomérat de galets blancs et d’alluvions rouges dresse des formes propices à l’imaginaire, un massif de 20 kilomètres de long sur 2 mètres de large et culminant à 1 236 mètres d’altitude, au pic de San Jeroni (Saint-Jérôme). Col du Bruc, des dizaines d’allumés passent leur week-end à guetter les extra-terrestres pour qui Montserrat serait un point de repère. Il y a trente ans, avant le GPS, les avions évitaient de survoler le massif : aiguilles et compas s’affolaient. Autant d’histoires entretenues par des siècles de mysticisme dont témoignent les nombreux ermitages cachés dans ce qui est un parc naturel depuis 1989. «A présent, je vous prierai de ne plus parler. Suivez-moi…» Armé d’un gros trousseau de clés qui ferme des portes massives, le bénédictin en habit noir me précède. Il est rejoint, cou-

ici touriste

peut sortir

en pèlerin»


 en 1881. Les artistes catalans édifient alors le

nouveau Montserrat. Le chemin qui mène à la Santa Cova (Sainte-Grotte) où fut trouvée la statue est un musée à ciel ouvert. Accrochées à flanc de paroi, les stations de croix sont signées Martorell, Lluis Domenech i Muntaner, l’architecte du Palau de la Musica Catalana, et Antoni Gaudí, qui fit ses premières armes dans une chapelle rotonde située derrière la basilique. Ou encore Subirachs, sculpteur dont les œuvres achèvent aujourd’hui la Sagrada Familia. Les grandes familles industrielles ont payé ces monuments de leur richesse accumulée en bas, dans la vallée du Llobregat, avec ses cités textiles et ses bourgs sidérurgiques. Les moines qui m’entourent ont en moyenne 62 ans. Venus au monachisme sur le tard, ils sont les héritiers des hommes qui ont construit la Barcelone industrieuse, si visuellement opulente dans les beaux quartiers de l’Eixample barcelonais. Anciens avocats, hommes de presse, historiens, ils composent une élite recluse entre ces murs. Tel ce père Ignasi, ancien médecin, désigné par la communauté comme porte-parole pour répondre à mes questions. Sur les soixante-quatre moines de Montserrat, une vingtaine sont en déplacement. «Les universités nous réclament très souvent, explique le père. Nous préparons aux études de théologie.» Avec ses 250 000 volumes, la bibliothèque, en voie de numérisation, est l’une des plus im-

Dans la basilique, la «Moraneta», la Vierge noire patronne de la Catalogne, réunit dans une même ferveur touristes et pèlerins extatiques. Selon la légende, cette statue du XIIe siècle aurait été découverte par des bergers dans une grotte de la montagne.

posantes du pays. Les éditions de l’abbaye, fameuses pour leur qualité, ont pignon sur rue à Barcelone. Sans oublier le label discographique Abadia de Montserrat et la marque éponyme apposée sur les paquets de biscuits, les liqueurs, les confiseries. Le mécréant que je suis s’étonne de voir les moines chanter en public sous les flashs des touristes. «Nous ne sommes pas en représentation, poursuit le père Ignasi. C’est la caractéristique de Montserrat depuis le XIe siècle. Les gens participent à la prière. Qui rentre ici en touriste sortira peut-être pèlerin.» La clé de l’attachement des Catalans à Montserrat est aussi politique. «Dès 1947, nous avons commencé des fêtes de réconciliation pour notre société mutilée par la guerre civile. Sous Franco, selon la loi du Concordat, le bras séculier s’arrêtait à la porte du monastère. On s’abritait ici pour conspirer. Voyez au musée du monastère le dessin que Picasso a dédié à l’abbé Esccarré qui fut le phare de ces temps clandestins.» Si la vie monastique est intemporelle, celle de l’Escolania est bruissante. On peut traduire ce mot par celui – fort ancien – de manécanterie. On désignait ainsi les écoles musicales des cathédrales de Séville, de Tolède, de Burgos, de Palencia, mais aussi de Bruxelles ou de Paris qui ont donné au répertoire européen Cristobal de Morales, Josquin Desprez ou André Campra. Ici, on respire l’ambiance d’une école religieuse, rigoureuse, ordonnée. L’Escolania, dont une première mention est faite en 1307, prend en charge l’éducation d’enfants de 8 à 14 ans choisis pour leur voix et leur goût musical. Le temps s’y partage entre matières scolaires le matin, et musique l’après-midi. Très intensivement : piano obligatoire, chant, évidemment, plus un deuxième,

voire un troisième instrument. Jadis le monastère accueillait les enfants abandonnés à sa porte, aujourd’hui les frais scolaires y sont de 400 euros par mois. Les revenus de Montserrat, les retraites des moines, leurs droits d’auteur et une aide du gouvernement de Catalogne complètent le budget nécessaire aux quatre-vingts professeurs et à la nombreuse intendance. De cette école d’excellence, reconstruite en l’an 2000, est sorti par exemple le chef d’orchestre Josep Pons. Pau Casals écrivit toute sa musique sacrée pour Montserrat. «Nombre de musiciens des orchestres espagnols proviennent de l’Escolania», déclare fièrement le père Manel Gasch, son recteur. En ce moment, la grande affaire c’est la construction du nouvel orgue de la basilique. Chaque catalan est convié à parrainer l’un des tuyaux. Quand on sait qu’un instrument de cette taille pèse un million d’euros, l’idée semble parfaitement indispensable. Avec les tubes, noms de ses aiguilles de pierre, les espèces d’oiseaux qu’abrite son parc naturel et l’extravagance des courants d’air qu’elle génère, cette montagne suinte la musique. Son versant sud semble un troupeau de monstres assoupis. Il abrite le village de Collbato où je retrouve Albert Blancafort, l’héritier d’une lignée musicale de premier plan. Son père était facteur d’orgue, son grand-

père Manuel, un compositeur célèbre, ami de Mompou, le Falla catalan. Le village est aussi celui d’Amadeu Vives, à qui l’on doit de nombreuses zarzuelas, les opérettes espagnoles. Pour Albert, qui est également ancien escolan, construire l’orgue de Montserrat constitue la consécration d’une carrière. «Un tel instrument nécessite vingt-cinq mille heures de travail.» Un artisanat poétique, comme l’élaboration de ce rarissime jeu de flûtes inspiré par celui d’un instrument du XVIIIe siècle, découvert au sud de Valence. Face à l’atelier : les grottes du Salnitre où Gaudí vint dessiner la Sagrada Familia en contemplant ses concrétions… En Catalogne, il suffit de décaler son regard pour faire jaillir l’art. Le dessin de Dali a ainsi son origine dans les roches capricieuses de Cadaqués. Et cela perdure. Dans les cavernes du Saltnitre se tient chaque été le festival Gong, pérégrination au milieu de sons nouveaux. Vous y croiserez la harpe d’Ariana Savall, la fille de Jordi, des didgeridoos, un orgue de cristal ou des percussions rares. Un des développements de la tradition musicale de Montserrat – alliée à l’esprit d’avant-garde catalan. K

le chœur

d’enfants le

plus ancien

d’Europe

Vincent Borel

Depuis le monastère, un téléphérique conduit, sur 250 mètres de dénivelé, à l’ermitage de Sant Juan. En cours de route, il offre des vues spectaculaires. Sujets au vertige s’abstenir !

Chaque année, deux millions et demi de visiteurs viennent entendre le chœur de l’Escolania chanter le «Salve» et les vêpres. Avant d’entrer dans la basilique, les enfants n’ont que dix minutes pour revêtir leur aube et échauffer leur voix.

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