Memoire entre la haute Roya et l'alta Vermenagna

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Quel dialogue entre la haute vallée de la Roya et l’alta valle Vermenagna ? Transformation des grands espaces de montagne, entre France et Italie.

COPIN Hélène Mémoire de fin d’études 2017-2018


DIRECTEUR D’ÉTUDES Lolita Voisin

maître de conférences en aménagement de l’espace et urbanisme ; enseignante à l’École de la Nature et du Paysage, Blois.

SECOND ENCADRANT Arnaud Bernard de Lajartre

maître de conférence en droit public ; enseignant en droit de l’environnement à l’École de la Nature et du Paysage, Blois ; président du Conseil scientifique du Conservatoire des espaces naturels des Pays de la Loire.

PRÉSIDENT DE JURY Christophe Degruelle

président de la Communauté d’Agglomération de Blois ; enseignant de politiques territoriales à l’École de la Nature et du Paysage.



Pour cette année de diplôme, j’ai décidé de poser mon regard de part et d’autre du col de Tende. Depuis les alpages de la frontière, je regarde au Nord le Piémont italien et au Sud les Alpes-Maritimes françaises. Là où la carte nous montre deux confins nationaux, j’ai voulu voir les deux versants d’une même montagne. Deux hauts de vallées partageant le même horizon : un col par où l’on passe, duquel on bascule entre deux réalités. Mis à l’écart par la métropolisation de nos pays, ces paysages d’altitude semblent désertés la plus grande part de l’année, laissés aux arbres. Pourtant, il suffit de s’y arrêter quelques instants


pour y percevoir la vie qui pulse, nouvelle peut-être, changée sûrement. Quels furent les paysages de cette inflexion des Alpes ? Comment vit-on là-haut aujourd’hui ? Que deviennent les grands espaces de montagne ? Peut-on envisager une société locale à l’échelle de ce morceau de massif, pour modeler ses paysages par un système agricole, sylvicole et pastoral cohérent ? En regardant les particularités de chaque versant, je cherche une complémentarité fine et fertile pour modeler imaginer un micro-territoire à l’équilibre.

I n t ro d u c t i o n .

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Je suis la route du regard. Elle côtoie la Roya et se couche au pied de la roche, c’est un bel ouvrage. Les pointillés blancs rythment la progression dessinent la ligne de la vallée ouvre une voie. Longtemps elle aura pris le temps d’enchaîner les lacets jusqu’au creux du col. Au prix d’une ascension longue et fastidieuse, le voyageur aura joui alors du regard par-dessus le col. « Le lieu borné n’a plus tout d’un coup d’autres bornes que la feinte prolongée de l’horizon (...) et le regard, précurseur aux bonds de dix lieues, plane et se pose à volonté sur cet espace.5 » Mais aujourd’hui je file droit. Je passe par-dessous. En 3000 mètres de tunnel, je passe sans heurts de la France à l’Italie, du Sud au Nord, du soleil à la neige. En descendant les pentes du Piémont, la route s’extrait rapidement du sol, elle se détache de la réalité de la vallée pour aller plus vite. Les paysans, les anciens, l’appellent la statale : l’étatique. Route nationale devenue européenne.

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1. 2. 3. 4.

L’ascension de l’E74 vers le tunnel de Tende, France. Au passage de la frontière, col de Tende. Tensions autour du doublement du tunnel, France. L’E74 et un potager, politique et vernaculaire, Italie.

5. Victor Segalen, L’Equipée, 1983.

0. Déambulation. / Le passage d’une frontière.

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Le long de la ligne de crête, je promène mon regard de chaque côté de la montagne. Au Nord / la vallée de la Vermenagna s’ouvre rapidement sur l’horizon plat de la plaine du Piémont. Au Sud / les crêtes bornant la vallée de la Roya s’enchaînent à perte de vue : la Méditerranée est bien plus loin. Au Nord / je vois une mosaïque d’ocres, de verts, de bruns, de blancs et de gris, découpée par des lignes beiges ou noires. Je devine autant d’usages, dessinant autant de milieux : prés ; bois de feuillus ; hêtraies ; barres d’immeuble ; vieux hameaux ; routes ; pistes ; chemins ; remontées mécaniques. Au Sud / les contrastes sont plus forts. Le vert sombre des pins s’étalant uniformément sur les versants tranche avec l’ocre des alpages. Deux mois plus tard. Au Nord / les branches sont nues et tout a été gommé par la neige. Je peine à reconnaître les lignes du paysage sous ce grand manteau blanc. Au Sud / le sol est toujours sec, sous les aiguilles toujours vertes. Je progresse à cheval entre ces deux mondes, sur la croupe herbeuse ponctuée de forts, étendues claires grignotées ça et là par les landes et leurs vagues pointillistes de rouges, bruns, verts vifs et jaunes.

*** 1. La ligne de crête : épaisseur d’une frontière, col de Tende. 2. À gauche, France. 3. À droite, Italie.

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0. Déambulation. / Épaisseur de la ligne de crête.

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Je pose mon regard sur les forêts. Contreforme de tout ce qui est soigneusement jardiné, maintenu ouvert. C’est une énigme pour moi. Moi qui ai appris à voir la main de l’homme ou le ventre de ses bêtes sous chaque composant du paysage, culturel, construit. Ici non. Personne n’a planté tous ces pins sylvestres. Personne ne coupe plus tous ces hêtres. Et c’est parce que personne ne fauche plus ces pentes que tous ces frênes, érables et tilleuls repoussent. Tout seuls. Pour personne. Ils sont là, par eux-même, parmi nous.

*** 1. Pinède, France. 2. Frassineto d’invasione - frênaie d’invasion, Italie. 3. Litière de feuillus et aiguilles de mélèzes, Italie.

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0. Déambulation. / Les forêts, une présence.

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Ici la ligne des Alpes occidentales fait une boucle, décrit un dernier détour avant de redescendre plein Sud vers la Méditerranée. Une crête Est-Ouest donc, départageant deux vallées entre le Nord et le Sud. Pour chacune, deux vallons principaux séparés par une croupe et convergeant vers un verrou : deux villes. Et des noms pour donner du sens à ces reliefs, pour domestiquer ces montagnes.

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Col des seigneurs

Punta Marguareis

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TENDE

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0. Déambulation. / Se situer dans les reliefs.

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GÉOGRAPHIE POLITIQUE TRAJECTOIRES

LE PASSAGE CONSTITUTIF TRAVERSÉES

Depuis le Parco naturale del Marguareis où je faisais un stage l’an passé, mon entrée sur le site d’étude fut d’abord institutionnelle et orientée par l’envie de voir une coopération réelle autour de cette frontière alpine. J’ai retrouvé mon intuition dans l’histoire de la frontière tandis que le temps passé sur place me ramenait à la réalité, ou plutôt à deux réalités bien distinctes de chaque côté du col.

L’histoire du col, tout comme les tensions contemporaines autour de la route, du tunnel et du train, dévoilent le caractère fondamental du passage sur ces deux hauts de vallées : la Vermenagna et la Roya. Entre le système vernaculaire de routes et chemins, et le réseau politique, centrifuge, l’équilibre est difficile à trouver. Aujourd’hui l’avantage est à la vitesse, à la traversée rapide, fluide, lissée.

PAGES 16 À 35.

PAGES 36 À 57.


GRANDS ESPACES TRANSFORMATIONS

ET DEMAIN ? LE TERRITOIRE DU COL

À force de tracer droit, on en oublie de regarder autour. Un coup d’œil vers le haut pour voir l’héritage que sont les alpages de la crête. Lieu de la domestication, du nomadisme, du tourisme, de l’herbe et de la neige, de la viande et du ski. Un regard sur le côté pour voir les forêts neuves qui nous entourent, qui descendent toujours plus bas vers les anciennes cultures et montent toujours plus haut lécher la limite des alpages.

La frontière de deux nations et ceux qui l’habitent ; le passage d’un côté à l’autre, qui les lient entre eux et les relient au-delà ; les grands espaces de cette montagne partagée. Voilà les trois éléments à regarder ensemble et à rassembler pour imaginer le territoire de demain.

PAGES 58 À 103.

PAGES 104 À 127.



des hommes», dér. de politês «de la cité, de l’État».

Relatif à la société organisée. civil (opposé à naturel).

Le paysage est politique. Les strates qui le composent sont comme autant d’empreintes d’organisations sociales et de gouvernements successifs qui ont, chacun à leur manière, cherché à organiser leur territoire. Avec la géographie d’un lieu et une connaissance des sociétés qui y ont vécu, nous pouvons imaginer l’évolution des paysages produits, jusqu’au palimpseste actuel. Des premiers transhumants à s’aventurer vers les hauteurs alpines à l’organisation actuelle de notre société métropolitaine, les liens tissés entre les hommes et les terres du col de Tende se sont métamorphosés à plusieurs reprises, et avec eux, les paysages.

TRAJECTOIRES.

POLITIQUE adj. et n. empr. au latin politicus «relatif au gouvernement

GEOGRAPHIE POLITIQUE,

GÉOPOLITIQUE n.f. et adj. de géo- et politique Étude des rapports entre les données naturelles de la géographie et la politique des États.

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MOUVEMENTS DE FRONTIÈRES Limone et Tende sont de part et d’autre de la frontière franco-italienne. Elle suit la ligne des plus hautes crêtes, comme une vraie frontière, quoi de plus naturel ? Pourtant un coup d’œil à l’histoire géo-politique ouvre notre regard sur les relations transversales entre ces deux versants, fonctionnant ensemble, pour et par le col aujourd’hui dit « de Tende ». Parce qu’accessible, stratégique et symbolique, bergers et agriculteurs l’investirent dès le Néolithique, la plupart en conservant le nomadisme du transhumant. Au temps de l’Empire romain, les peuples ligures alpins s’agrègent autour du col en une première entité politique de ce verrou des Alpes : la province Alpes Maritimae (1). Le premier millénaire de notre ère reste ensuite dans la brume des invasions, soumissions, alliances qui se font et se défont (2). Au XIIIe siècle, le comté de Tende s’affirme comme entité charnière au sein de ces jeux géopolitiques (3). La lignée des seigneurs Lascaris assoie son pouvoir et fait sa fortune sur le contrôle du col, lieu de transit obligé des biens circulant entre la fertile plaine

du Pô et la Méditerranée. Limone et Tende en sont les portes. Parallèlement, les forces politiques alentours se renforcent et le comté de Tende est finalement rattaché à la Maison de Savoie au XVIe siècle (4). Le col est là encore un passage stratégique, pour relier Turin à Nice, toutes deux au sein du duché. Les puissances politiques s’étendent, la carte de l’Europe actuelle se compose. Avec l’unification italienne, la Savoie et le comté de Nice sont cédés à la France : la vallée de la Roya devient ainsi française, exceptée les 560 km² de Tende et La Brigue, alors réserve de chasse royale. Nous sommes en 1861, les Alpes sont inventées comme frontière entre deux Etats-nations (5). Pour autant les échanges locaux ne s’arrêtent pas et Tende et La Brigue tirent profit de leur position d’enclave italienne en territoire français. Ce n’est qu’en 1947 que la frontière telle que nous la connaissons aujourd’hui est établie, après référendum local, rattachant Tende et La Brigue à la République française (6).

La recherche de « frontières naturelles » a conduit à associer étroitement la montagne à la séparation et à privilégier l’image de l’obstacle dans les relations sociales. (...) L’existence de communautés culturelles et d’Etats alpins transverses, dont les limites s’établissaient dans les piémonts, est elle-même oubliée, voire niée par cette lecture naturaliste des organisations nationales. Fourny MC. et Crivelli R. Cette montagne que l’on partage, 2003.

Manifestez votre joie de redevenir français, pavoisez aux couleurs françaises. Vive la France. Vive la République. Vive le Général de Gaulle. Vive le préfet des Alpes-Maritimes. affiche du Comité de Libération, 1944.

1. Géographie politique, trajectoires. / Mouvements de frontières.

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CUNEO

1400 ap. J.-C.

TENDE : 2 000 hab.

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communautés rurales organisé es LA SOCIÉTÉ FÉODALE DU COMTÉ DE TENDE. FEUDALE, adj. italien pour féodal. Relatif au régime économique, politique et social, fondé sur l’institution du fief. FIEF, n.m. dér. de l’ancien allemand fehu signifiant bétail, mais également avoir, biens.

Le bétail, la terre, la matière, l’unité du fief, voilà ce sur quoi est fondé le Comté de Tende. Pendant trois siècles les seigneurs Lascaris administrent un territoire cohérent avec des droits d’usage, de contrainte, de justice, de passage. Les comtes gouvernent certes de manière indépendante, autoritaire et héréditaire, mais, loin d’être seuls et isolés, ils sont reliés aux autres seigneurs territoriaux. Le château aujourd’hui en ruine est le siège de ce pouvoir, localisé, rural et foncier. Ils rationalisent et organisent dans les moindres détails des pratiques et des courants d’échanges bien plus anciens, s’érigent comme gestionnaires de l’existant. Autour, les communautés rurales affirment leur présence et s’associent

en confréries d’entraide et en consorterie de gestion. Des syndics les représentent face au pouvoir du comte. Ces solidarités permettent de gérer les terres communales qui couvrent alors la majeure partie du territoire. Bien que régies par des statuts, leur exploitation reste très libre. Sur l’adret, les légumes sont cultivés dans les jardins autour des villages, les pentes sont aménagées en restanques pour la culture des céréales et les hauteurs sont pâturées, tandis que l’envers est dédié aux prés de fauche et aux forêts. Au XVe siècle l’élevage prend définitivement une place centrale avec les techniques nouvelles d’irrigation pour les prairies de fauche. Au-delà de cette extrême diversité de valorisations des ressources de la terre, Tende est aussi un péage. Il tire sa richesse de l’impôt prélevé sur les tonnes de sel qui montent des ports de Nice et de Villefranche vers le Piémont, la Lombardie et au-delà. L’existence d’une monnaie propre au comté révèle bien son importance économique et son autonomie.

Les terres communales sont divisées en bandites (pâturage composé de forêts, de prés, de champs et parfois même de vignes et de vergers) et en morghe (endroits délimités mis en cultures). C’est la communauté qui décide du mode d’exploitation. Il y a là aussi interpénétration des terres privées et des terres communales et permanence de la forêt. Tende est aussi un péage. Le comte prélève une taxe sur tous les mulets et les ânes qui passent dans la commune (...) une plaque tournante du commerce régional, en tout cas un relais nécessaire.

Stuyf Philippe, La vie économique à Tende au XVe siècle, 2008.

1. Géographie politique, trajectoires. / Mouvements de frontières.

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1850 ap. J.-C.

TENDE : 2 600 hab. LIMONE : 3 500 hab.

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LE PASSAGE AU SEIN DE LA MAISON DE SAVOIE PASSAGE, PASSAGGIO, n.m. Défilé dans la montagne (Roland, éd. J. Bédier, 657). Endroit par où l’on passe. PASSER, du latin passare – traverser – dérivé de passus – pas, empreinte, écartement des jambes – p.p. de pandere – étendre, déployer.

Au XVIe siècle, le Comté de Tende est lui aussi rattaché à une entité politique plus large : le Duché de Savoie, qui deviendra lui-même partie du Royaume de Piémont-Sardeigne en 1720. Si à la fin du Moyen-Âge les États de Savoie sont loin d’être une terre de villes, les campagnes perdent rapidement leur autonomie au profit de l’essor du modèle italien de la commune. Les seigneurs locaux deviennent alors de fidèles vassaux de pouvoirs qui se centralisent et administrent la justice, la finance, la fiscalité : Chambéry, Turin. En 1850, à 15 heures de Nice, le col est plus que jamais un territoire de passage. La route royale qui relie Turin à Nice et dont la vallée de la Roya tirerait son nom est alors entièrement carrossable. Elle

est ainsi décrite par un géographe du Royaume : la route royale, après avoir franchi la cime du col, descend au Sud par de rudes et tortueux lacets, parfois très dangereux1. Tende et Limone gèrent ensemble un défilé constant de marchandises, voyageurs, cortèges princiers et troupes armées. Pour franchir le col, charrettes et carrosses ont remplacé les milliers de mulets qui trouvent toutefois encore du travail dans le débardage des forêts, les travaux agricoles et, surtout, le transport des minérais de la mine de Vallauria. L’ensemble des hauteurs est utilisé en prés ou pâturages, comme en témoigne l’omniprésence des toponymes gias sur les cartes de cette période. Certaines cultures monteraient jusqu’au col même, blondi par l’avoine1 (Casalis, 1842). Les récoltes semblent faibles sur le versant sud mais le bétail y est nombreux, tandis que le versant de Limone apparaît verdoyant de fécondes prairies, de bons pâturages, de champs biens cultivés et de charmants bosquets.1

gias, jas, jasse, djyas. Toponymes évoquant des lieux de repos du bétail sur les pâturages d’altitude, espace de repos, lieu où l’on gîte. Bessat H. et Germi C. Les noms du patrimoine alpin, 2004.

mostrasi verso il Piemonte tutta verdeggiante di feconde praterie, di buoni pascoli, di campi ben coltivati, e di ameni boschetti ; ed i suoi dintorni offrono romantiche bellezze, avvegnachè le soldatesche nelle ultime guerre, ne abbiano distrutto molti alberi che ne rendevano più pittoresche le vedute. 1. Casalis G. Dizionario Geografico storicostatistico-commerciale des Etats de Sa Majesté le roi de Sardeigne, 1842.

1. Géographie politique, trajectoires. / Mouvements de frontières.

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TURIN CUNEO

1930 ap. J.-C.

TENDE : 2 200 hab. LIMONE : 2 200 hab.

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L’ENCLAVE ITALIENNE EN RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ENCLAVE, n.f. Territoire, pays placé à l’intérieur d’un autre territoire ou pays. Utilisation en 1312 du terme encleve « terrain ou territoire dépendant d’un autre propriétaire ou État ».

En 1861, en échange de l’aide de Napoléon III contre l’empire d’Autriche, le duc de Savoie devenu roi de PiémontSardeigne, cède la Savoie et le comté de Nice à la France. Cet acte politique, le traité de Turin, signe l’invention des Alpes comme frontière. Tende et La Brigue se retrouvent alors en position d’enclave italienne en France. Libre de toute taxe douanière pour la commercialisation de leurs produits, les deux communes se construisent encore une fois autour de leur position d’interface, désormais entre deux Étatnations. Bien que relégué sur la carte au statut de confins d’espaces nationaux centralisés (Paris, Turin), le territoire du col n’a jamais été traversé aussi rapidement. Les 3 km du tunnel routier achevé en 1882 permettent de s’affranchir

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des difficultés météorologiques de l’hiver pour le passage du col, tandis que l’incroyable ligne de chemin de fer qui relie Turin à Nice et Vintimille, succession d’ouvrages d’art ouverte en 1928, permet une mobilité facilitée des marchandises aussi bien que des personnes et du bétail. Au début du siècle le travail se concentre autour de la construction des barrages et des usines hydro-électriques de Paganin, de SaintDalmas et, à l’entrée de la vallée des Merveilles, du lac des Mesce. La facilité des transports amorce le déclin de la production locale de foin et de céréales, tandis que de grandes quantités de bois sont exportées. Les privilèges douaniers dureront jusqu’en 1936, date à laquelle la Société des Nations décide d’un blocus sur l’Italie fasciste. De l’époque de Mussolini témoignent encore les batteries et fortifications qu’il fit creuser à même la roche. Elles complètent la ligne de forts construite sur la crête par la jeune Italie suite à l’apparition de la frontière, c’est-à-dire dès que la crête devint un enjeu militaire.

/ À la faveur des dispositions de 1861, des milliers de kilos de produits pastoraux et du sol, originaires de Briga et de Tende passent en franchise chaque année à la douane française - des abus inqualifiables. / En 1911, Briga, dont toutes les petites fermes tiendraient dans le creux de la main, passe 162 000 kilos de pommes; en 1933, on ne sait par quels coups de baguette magique, car le pays est resté le même... on en passe 625 000 kilos. C’est ainsi que sans acquitter de droits de douane, les peu scrupuleux marchands italiens nous vendent des châtaignes du Tyrol ou de la Yougoslavie (...) et sans doute aussi des noix de coco venues tout droit d’Addis Abeba. article du Petit Niçois, 1934.

1. Géographie politique, trajectoires. / Mouvements de frontières.

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2017 ap. J.-C.

TENDE : 2 180 hab. LIMONE : 1 470 hab.

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5 km

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AUJOURD’HUI, DEUX SOCIÉTÉS LA FRACTURE DE 1947

UNE COOPÉRATION ACTIVE

Le rattachement de Tende et La Brigue à la France en 1947 est une véritable rupture pour le territoire du col. En plus de la séparation politique entre deux nations, l’épisode fasciste a laissé une rancœur chez les français qui complique les relations au quotidien. De nombreux italiens travaillant depuis toujours en France, à la scierie de SaintDalmas de Tende, à tailler la pierre verte, comme bûcherons ou encore artisans du bâtiment, partent en Italie. Cette fracture entre les deux versants, ajoutée à l’exode rural généralisé de l’après-guerre, bouleverse l’économie des deux hauts de vallée. Limone et Tende, jusque là toutes deux villes-portes tournées vers le col à passer, font volte-face. Chacune à la marge de sa carte nationale, il semble qu’elles se tournent désormais le dos, l’une tournée vers la Côte d’Azur dont l’attraction explose et l’autre vers la plaine du Piémont qui s’industrialise à vitesse grand V. Les poids économiques et politiques sont descendus vers le littoral et les plaines.

Pourtant, dès 1950 Robert Schuman lance la construction européenne : « L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord une solidarité de fait.1 » Un demi-siècle plus tard, on peut lire dans les documents visant à faciliter la coopération transfrontalière au sein de l’Union Européenne qu’elle vise à « rétablir des continuités là où l’histoire des États a construit des barrières politiques et institutionnelles » et à « définir les contours et les objectifs d’un territoire de projet traduisant une volonté politique partagée de part et d’autre des frontières et permettant la mise en place de nouvelles solidarités et la création de nouveaux liens économiques, culturels et sociaux entre acteurs locaux 2 ». Ainsi, les Alpes sont aujourd’hui charnière dans l’espace européen, la constitution de l’unité de la région alpine devenant dès lors un enjeu de la structuration de l’Europe et l’objectif de la politique transfrontalière. 3

1. Schuman R. Déclaration du 9 mai, 1950. 2. Mission Opérationnelle Transfrontalière, Guide pratique de la coopération transfrontalière, 2006. 3. Fourny MC. et Crivelli R. Cette montagne que l’on partage, 2003. Fig 1. Sur mon site d’étude, la coopération transfrontalière est une réalité, tangible, comme nous le disent ces voix que j’ai pu recueillir là-bas. 1. « Le tunnel est indispensable pour la station : beaucoup de skieurs arrivent de la France. » 2. « La région Piemonte a monté un projet ALCOTRA pour la formation professionnelle forestière dans l’espace alpin franco-italien et pour la certification du bois. » 3. « On fait le trajet pour aller travailler sur la côte. » 4. « Moi l’alpage je le loue que ce soit la France ou l’Italie hein ! » 5. « On aurait jamais trouvé en Italie un travail d’infirmière comme on a à Tende. » 6. « C’est très sauvage cet endroit-là hein ? La vallée de la Roya est superbe ! »

1. Géographie politique, trajectoires. / Aujourd’hui, deux sociétés.

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Fig. 1 / Un découpage administratif suivant deux nations. Fig. 2 / Coopération précoce entre les deux parcs, cohérente avec le réseau Natura 2000, européen. Fig. 3 / Bien candidat au Patrimoine Mondial de l’UNESCO, Les Alpes de la Méditerranée.

Fig. 1

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Fig. 2

ENTRE FRANCE ET ITALIE, DÉCOUPAGE ADMINISTRATIF En 2018, la frontière administrative est bien là. Les cinq communes de la vallée de la Roya française sont rattachées à la Communauté d’Agglomération de la Riviera française (CARF) depuis 2014.1 Tende est par ailleurs dans l’aire d’adhésion du Parc national du Mercantour et pour partie également dans la zone centrale (vallées des Merveilles et de Fontanalba). La commune de Limone-Piemonte est, elle, soigneusement en dehors des parcs régionaux qui l’entourent. Seule une fine bande qui court sous la crête relève de l’Organisme de gestion des aires protégées des Alpi Marittime, parce que zone Natura 2000. LimonePiemonte s’est associée en 2016 avec quatre autres communes au sein de l’Unione Montana Alpi Marittime, mais la coopération intercommunale piémontaise a été vidée de toute substance par la loi régionale du 28 septembre 2012, n.11, qui a mis fin aux comunità montana. Elle se fait

Fig. 3

désormais sous une forme associative, libre, qui change de fait au gré des accords politiques entre communes et relève peu d’une cohérence territoriale. Le poids de la région Piemonte n’en est que plus renforcé. Les régions italiennes ont bien plus de pouvoir et d’autonomie que dans la France centralisée, ainsi une force symbolique et d’appartenance plus forte. Elles ont entre les mains un outil essentiel dans la gouvernance du territoire : le Piano di Sviluppo Rurale, document de programmation sur six ans pour mettre en oeuvre le deuxième pilier de la PAC. 2 L’exemple le plus abouti cherchant à dépasser la frontière administrative est celui des parcs Mercantour et Alpi Marittime qui s’affichent comme « premier parc européen » (Fig 2). Tout récemment, la candidature au Patrimoine mondial de l’UNESCO (Fig 3) déposée à trois États (France, Italie, Monaco) sous le nom Alpes de la Méditerranée est un projet qui montre la volonté politique de ce territoire d’être reconnu comme un ensemble.

Quand on était italiens, il y avait toujours une bonne entente avec Limone parce que c’était notre patrie, après quand on est devenu français, bon, ça a changé. Fallait le passeport pour passer en Italie, l’Europe c’était pas encore ça. Tu pouvais pas passer n’importe quoi parce qu’il y avait la douane, eh. On était passé français, mais on allait toujours beaucoup beaucoup dans le Piémont, à Cuneo, parce qu’on avait nos habitudes. (...) C’était comme ça, mais bon, il y en a tellement des choses à dire. Bruna Rainaudo, quincaillère à Tende depuis 1988, propos recueillis le 19/09/2017. 1. Malgré un référendum lors duquel les habitants de la vallée s’étaient prononcées contre le rattachement à l’agglomération de Menton, plutôt pour une communauté de communes de la vallée de la Roya. 2. Le PSR concerne aussi bien les secteurs agricole et sylvicole que l’environnement, la qualité de vie, la diversification de l’économie rurale et le programme LEADER.

1. Géographie politique, trajectoires. / Aujourd’hui, deux sociétés.

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acteurs liés aux forêts et à l’économie du bois acteurs liés à la route et au chemin de fer

LES ACTEURS DU TERRITOIRE AUTOUR DE LA FRONTIÈRE Les vides, les déséqulibres et les coopérations autour de la frontière apparaissent sur ce schéma où les acteurs sont disposés autour de l’axe central. Ils glissent vers le haut ou vers le bas selon leur place dans les administrations nationales. Ils glissent, horizontalement, vers les périphéries ou la frontière-centre selon leur proximité à la frontière (d’usage, de regard). Le typographie permet de représenter leur poids sur le territoire d’étude, qu’il soit lié à leur proximité géographique ou à leur force dans l’imaginaire collectif. On voit que la société civile est riche de pratiques tournées vers l’autre côté de la frontière ou sur la frontière. Un vide apparaît de l’échelon départemental à l’échelon régional : ici la frontière administrative sépare. À l’échelle communale, la coopération est héritée de l’histoire partagée des deux communes mais elle se concentre surtout autour du tourisme. La coopération active, même si conflictuelle, autour de la route ou

acteurs liés aux alpages et à l’agriculture de montagne

acteurs liés au tourisme acteurs constituant la

A société locale

A

acteurs plus détachés du réseau local et à l’imaginaire moins présent

du train montre bien la possibilité de travailler ensemble lorsque les motivations économiques sont là. En revanche, les gestions forestières et agricoles sont strictement divisées dans des logiques étatiques, où chacun a la maîtrise de l’aménagement ou de la non-gestion de son bout de terre. La rupture de 1947 est ici évidente. Pourtant, l’élevage partage physiquement un espace commun, les alpages de la frontière, et des complémentarités se dessinent entre les structures italiennes ou françaises dans les filières bois et pastorales. On retrouve une forme de coopération, bien que timide, entre les instances supérieures. Elle est incitée par leur appartenance commune à l’Union Européenne, source de financements importante à tous les échelons. Toutefois il apparaît que, à force de logiques étatiques, de nombreux acteurs (institutionnels, de conseil et soutien) pourtant essentiels au développement d’un territoire sont loin. Eloignés dans l’espace, éloignés des enjeux d’une montagne, éloignés dans l’imaginaire, éloignés dans l’action.

ANAS Azienda Nazionale Autonoma delle Strade APA Associazione provinciale allevatori ATL Azienda turistica locale CERPAM Centre d’Etudes et de Réalisations Pastorales Alpes-Méditerranée COFOR 06 Association des communes forestières et pastorales des Alpes-Maritimes Federforest Federazione italiana delle comunità forestali Force 06 Force Opérationnelle Risques Catastrophes Environnement des Alpes-Maritimes GECT Groupement européen de coopération territoriale IPLA Istituto per le piante da legno e l’ambiente OFME Observatoire de la forêt méditerranéenne ONF Office national des forêts PACA région ProvenceAlpes-Côte d’Azur Parco Marittime Parco naturale regionale Alpi Marittime

1. Géographie politique, trajectoires. / Aujourd’hui, deux sociétés.

31


les anciens des Tetti

Tetti : littéralement toits - hameaux.

les éleveurs locaux encore là

les nouveaux résidents, secondaires les néoruraux


il n’y a personne, bien que il n’y a personne, depuis longtemps

+ les gens des villes + les saisonniers + les touristes +

TYPOLOGIE DE GENS Pour autant, les deux hauts de vallées ont bien emprunté deux trajectoires distinctes après-guerre, deux trajectoires nationales. Ainsi, il n’y a pas que la géographie des vallées qui diffèrent, mais aussi leur sociologie. Si l’on peut encore trouver des anciens en Italie qui mènent une vie paysanne dans leur vallée suivant une tradition et des habitudes héritées, en France l’on croise déjà des néoruraux, expérimentant de nouveaux modes de vie dans cette vallée dont ils sont étrangers. L’exode rural en Italie a été différent : les enfants des vallées du Piémont ne sont pas à proprement parler partis, mais ils sont descendus dans la plaine toute proche et maintiennent un attachement certain à ces paysages, affectif et récréatif. Ajouté à l’attractivité de la station de ski, cela peut expliquer les rénovations de hameaux en maisons secondaires et les débuts de contructions qui poussent ça et là. Tende est en revanche bien plus loin de la Côte d’Azur et donc moins périurbain. Ce sont deux cas d’études d’évolutions des modes de vie en montagne.

1. Géographie politique, trajectoires. / Aujourd’hui, deux sociétés.

33


L

es coopérations transfrontalières transforment les représentations des liens et des différences entre des territoires contigus mais séparés par une frontière politique.

Elles participent de la recomposition des espaces frontaliers par la nouvelle orientation des échanges. Les solidarités qu’elles instaurent tissent des continuités, restaurent des proximités géographiques entre des aires de périphérie, jusque là orientées par des logiques d’organisation nationales internes. RELATIONS TERRITORIALES ET RECOMPOSITIONS IDENTITAIRES

L

a dynamique instaurée est celle d’une association entre territoires singuliers qui modifie les relations entre espaces plutôt que de définir de nouveaux périmètres. Cette hypothèse de réagencement des identifications territoriales conduit à considérer les coopérations comme des instruments de « construction » territoriale. L’on postule qu’elles n’exercent pas seulement des « effets » sur un espace dont elles seraient extérieures, mais qu’elles sont également porteuses de significations,

d’images et de représentations qui modifient l’appréhension même des espaces sur lesquelles elles agissent.

L’identification doit obtenir reconnaissance pour remplir sa fonction, et de ce fait reposer sur des referents partagés. Deux éléments nous semblent particulièrement notables dans ce processus de resignification :

la frontière et la montagne.

L’un et l’autre s’étant mutuellement définis pour produire l’image d’une rupture entre régions frontalières alpines, l’hypothèse d’une recomposition identitaire suppose qu’en soient transformés la valeur et le positionnement respectif.

L’histoire du rapport entre Alpes et frontières montre en effet que la recherche de « frontières naturelles » a conduit à associer étroitement la montagne à la séparation, occultant les relations transversales pour privilégier les relations au sein d’un même bassin-versant. L’existence de communautés culturelles et d’Etats alpins transverses est elle-même oubliée, voire niée par cette lecture naturaliste des organisations nationales. Inversement le réfèrent de la montagne a permis de donner à la frontière une assise « scientifique » et ainsi de conférer à l’ordre du politique la dimension universalisante et incontestable de l’ordre naturel. Les coopérations transfrontalières alpines viennent bouleverser ce schéma. Une nouvelle figure de la montagne et de la frontière s’élabore. Il s’agit de voir comment ces référents sont convoqués et redéfinis, en prenant appui sur l’étude d’une partie des Alpes occidentales (les deux Savoie, le Valais et le Val d’Aoste). LES FIGURES DE LA MONTAGNE DANS LES PROJETS

L

a montagne, ou les Alpes, sont d’abord évoquées comme une totalité, non dans leur diversité. La montagne est ainsi une valeur générique, commode pour qualifier a priori tout objet et justifier tout projet : la forêt de montagne, l’agriculture de montagne, etc. La montagne commune est avant tout considérée en tant qu’espace naturel, zone de production agricole ou lieu de mémoire rurale et ce, que les porteurs de projets soient localisés dans les régions montagneuses ou dans les zones urbaines de piémont. L’unité du milieu naturel est présentée comme déterminant une unité culturelle : plus qu’un territoire, c’est une

territorialité qui est semblable

de part et d’autre des frontières ( l’adaptation à la pente, la rudesse du climat, etc ).


L’identité est ainsi référée à la nature. Cette naturalisation confère au transfrontalier une forte légitimité, comme s’il n’était pas nécessaire de justifier d’un bien-fondé des intentions ou l’argumenter sur la valeur des relations, dès lors que celles-ci relèvent de données structurelles.

Une nature sans histoire

L’importance de la nature se renforce de la faiblesse d’une argumentation d’ordre historique ou politique, curieuse au vu d’un rattachement de la Savoie à la France somme toute récent. Les rapports sociaux transfrontaliers référés à l’histoire sont situés dans une dimension culturelle et identitaire : ils font apparaître une communauté qualifiée de montagnarde ou d’alpine, d’où toute structuration politique est absente. Les représentations d’une civilisation agro-pastorale alpine sont fortement affirmées, mais

les facteurs politiques et historiques qui pourraient fonder la région transfrontalière sur d’autres légitimités sont inexistants.

C’est donc d’abord en tant que lieu de nature et de culture dans la nature, que la montagne permet de construire du lien. La frontière fédératrice Lorsque le discours sur le transfrontalier fait explicitement référence à la frontière, cette dernière se trouve pour une part réduite à des fondements physiques. Lorsqu’elle prend une signification plus politique de démarcation entre deux Etats, elle parvient à être intégrée grâce à sa patrimonialisation (notamment celle des ouvrages fortifiés). Situant les conflits dans l’histoire passée, elle présente la collaboration comme un dépassement de la séparation, dans une vision progressiste d’une évolution conduisant inexorablement à l’unification. Sous une forme dévoyée toutefois, la patrimonialisation

L’idée théorique de coopération transfrontalière fut une des entrées de mon travail. Dans une actualité où l’on parle de plus en plus d’aller au-delà d’une Europe simplement économique, il me semblait intéressant d’imaginer l’application concrète de ces idées sur mon site d’étude, la territorialisation de ces grandes idées européennes. J’ai trouvé dans la littérature scientifique, et en particulier dans cet article, une conceptualisation de la réalité de mon site. En voici des extraits choisis. Fourny Marie-Christine, Crivelli Ruggero.

« Cette montagne que l’on partage. Frontière et montagne dans les coopérations transfrontalières de régions alpines » Revue de géographie alpine, tome 91, n°3, 2003. Traverser et utiliser la frontière (Andes/Alpes) pp. 57-70

conduit à la folklorisation. La frontière y est affichée, conservée comme image de marque tout en disparaissant physiquement. La traversée qui n’offre plus qu’une transgression virtuelle, prend ainsi un caractère exotique, qui lui donne valeur touristique. LE SPATIALISME ET LE LOCALISME DE LA COOPÉRATION.

C’est bien à travers l’espace support de la frontière que l’on pense le transfrontalier. Celui-ci est ainsi profondément incarné dans l’espace, ne se pose pas dans la virtualité de l’échange mais bien dans une inscription physique,

dans la concrétude de la contiguïté. La restriction spatiale s’accompagne d’une restriction dans les objets d’échanges : ces derniers se sont faits, jusqu’ici, principalement sur les objets ressortissant des traits stéréotypiques d’une montagne de la nature et de la tradition. L’identité montagnarde, aussi simplifiée soit-elle, institue un lien d’ordre symbolique, à partir duquel développer des objets de collaboration.

35


Ce dont nous parle la géographie politique du territoire du col, c’est d’un lien constant entre les hommes et les terres du col et entre les hommes du col et ceux des plaines. Mais elle nous parle aussi d’une rupture du lien au sein des hommes du col, d’une séparation en deux côtés. L’enjeu est de s’approprier les possibilités juridiques et administratives de l’Union Européenne pour trouver une nouvelle complémentarité.

CONCLUSION AUTOUR D’UN ENJEU COMMUN


Ce chapitre s’ouvre sur trois traversées que j’ai effectuées, dans un sens et dans l’autre. Du rythme de la marche à celui du moteur.

TRAVERSÉES.

Il y a dans le terme de passage l’empreinte du pas, la trace de l’homme qui passe. Au même titre que la frontière, bien qu’étant initialement un tracé immatériel, s’imprime dans l’espace (Nordman, 1998), le passage y laisse sa marque. En revanche, traverser est bien différent. Lorsque je traverse, je ne cherche plus que le but : arriver à l’autre extrémité. Je franchis par le moyen le plus bref un espace dont je ne perçois donc pas l’ampleur. Le col de Tende a longtemps résonné au rythme du pas. Le passage du col est antérieure à l’existence du territoire du col, c’est grâce au passage et par le passage qu’il existe. C’est en cela qu’il le constitue, essentiellement.

LE PASSAGE CONSTITUTIF,

PASSAGE, PASSAGGIO, n.m. Défilé dans la montagne (Roland, éd. J. Bédier, 657). Endroit par où l’on passe. PASSER, du latin passare – traverser – dérivé de passus – pas, empreinte, écartement des jambes – p.p. de pandere – étendre, déployer. TRAVERSER, v. tr. du latin transversare – remuer en travers. Franchir, parcourir (un espace) d’une extrémité, d’un bord à l’autre. (XIIIe s.) Franchir dans le sens transversal quelque chose qui s’étend en longueur (Gaufrey, 117 ds T.-L.).

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tracĂŠ du train


Mai 2017 Cuneo – Tende en train avec Trenitalia

Le quai. On s’élance. Sauts de puce dans la plaine avec la neige des Alpes en toile de fond. Le piémont est boisé, tout habillé, couvert. Tunnel. Vert. Tunnel. Route. Tunnel. Vert. Tunnel. La route fait ses premiers lacets plus bas. Tunnel. L Tunnel. La forêt arrêtée par les alpages encore bruns. Tunnel. Barres d’immeubles. Un clocher à venir. Une femme dans un cimetière. Surplomb. Prossima fermata / Next stop : Limone. Toits gris, tôle, bâti serré, tout en hauteur : les Alpes, ça y est. Les écoliers descendent, le contrôleur finit sa clope. Pause. Sifflet. 8H31. Tunnel. On n’en sort plus. Quelle profondeur ? Quelle direction ? Quels paysages ? Sous terre et pourtant hors-sol. 8H39. Bon… L’écran n’annonce plus le prochain arrêt, rien que les minutes qui passent. 8H43. Ah ! Lumière ! « Gare de Viévola ». Alors ça y est, on est en France ? Tunnel. Soleil. Roches cassées, aiguisées, éclatantes. Tunnel. Jeunes pins qui s’aggripent. Tunnel. Pins encore. Tunnel. Méditerranée ? Tunnel. La vallée s’ouvre sur la droite. Un village s’y niche. Tunnel. Soleil éblouissant. Tunnel. Flashs. Tunnel. Le soleil est retourné à ma gauche. Tunnel. Une ville, des travaux, une ruine, Tende et ses maisons accrochées. Viaduc sur la Roya. Tunnel. Tout est plus raide, plus ciselé. Les tunnels sont longs, j’ai même le temps de poser mon stylo pour préparer mon sandwich. On ressort. Pavillons et toits de tuiles, routes et voitures, figuier : déjà la côte. Ca y est, on est sorti des vallées encaissées. Tunnel quand même. Nice, la mer.

*** 2. Le passage constitutif. / Des traversées et leurs vitesses.

39


tracé de l’E74


Juillet 2017. Borgo san Dalmazzo – Tende. en stop en camping-car

Echangeur, glissières de sécurité, pas une piste cyclable, ne parlons même pas de trottoir. On est hauts, à distance de la vallée, détachés. Mon stylo tremble avec le moteur, les mots sont presque illisibles. Les bords de route sont denses, nous sommes engagés dans un couloir vert. Aperçu de la vieille ville qu’on laisse sur notre gauche. Alignement de platanes, bancals. Mur de forêt. « Voilà, j’attaque le col ». Des murs de soutènement neufs de trois mètres de haut. Il s’enchaînent en lacets. Hôtel Edelweiss, les premières remontées. Limonetto sur la droite, Francia indiquée sur la gauche. Arrêt. Vingt minutes d’attente avant de pouvoir s’engager dans le tunnel en travaux. Croquis. Feu vert. Le Tunnel. Deux lignes de lumière orange sur le haut de la voûte nous montrent le chemin. Les vieilles pierres apparentes sont par endroit renforcées par des arches en béton. Quelques ventilateurs tournent mollement. Au sol, le marquage nous dit que le tunnel fut un jour à double-sens, vraiment ?! Les pins. Les pylones. Attention. Là, la vallée. Des murs de soutènement parés de pavés en préfabriqué. Quelle queue pour passer le tunnel dans l’autre sens ! En se retournant, quelques étendues d’alpages dans le fond. Devant, enchaînements de parois, moutonnements d’arbres. Les troncs rouges. La roche blanche. Du pin, du pin, du pin. Attention pente à 14 %. Je manque de tomber de mon bout de banquette à chaque virage. Tunnel. Sous le train ? « Assez de trafic » tagué sur un mur. Vente fromage de pays. Alignement de platanes, bien droits. Pont. « Commune du Parc national du Mercantour », « Tende ». Musée des Merveilles. Grand’Rue. Couleurs, lumineux, vivant, on descend.

*** 2. Le passage constitutif. / Des traversées et leurs vitesses.

41


sentiers empruntĂŠs


Septembre 2017 Tende – Limone Piemonte à pied par le col de la Boaria

« Douce lenteur des sentiers » ? Ce n’est pas très doux de monter mille mètres en un après-midi. La lenteur oui, c’est sûr. Le passage au ralenti des milieux, de l’intérieur. Ou bien est-ce le reste qui a accéléré ? Mettre un pas devant l’autre. La cuisse qui se tend pour ne se détendre que mille mètres plus haut. Le corps qui se courbe, se plie, tout entier tendu vers l’avant pour se projeter un peu plus haut à chaque pas. Ou au contraire, lors des rares descentes dans les vallons secs, le dos droit, les fesses en arrière, essayant d’amortir les chocs et de préserver ses genoux pour la descente du lendemain. Le souffle qui parfois s’intensifie pour couvrir les battements du coeur qui s’emballe avec la pente. Pousser, poser, pousser, poser, souffler. Soupirer. S’énerver. Se dire allez, après ça, ça change. Après ça il y aura des herbes, après ça il y aura la fraîcheur de la forêt, après ça il y aura le moelleux des épines, l’ouverture des alpages, le jeu des rochers. Après ça il y aura du ciel, après ça il y aura peut-être un berger, après ça il y aura peut-être une source, ma gourde est vide, j’ai soif.

*** 2. Le passage constitutif. / Des traversées et leurs vitesses.

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LYON Chambéry Grenoble Gap

CO

TURIN L

al

t.

DE

19

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LA m

MILAN

RC

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Cuneo

Menton

Ventimiglia

NICE

=

2000 véhicules par jour en moyenne à l’année dont 1000 poids lourds.


GENOVA Savona

UN COL À PASSER Le col de Tende et, désormais, son tunnel, sont un point de passage stratégique à l’échelle des Alpes. C’est le seul point permettant d’aller vers le Sud sans contourner tout le massif par Savona. Les prochains axes de passage, plus au Nord, amènent déjà vers Gap (col de Larche) voire Lyon (tunnels de Fréjus et du Mont-Blanc). Source : Observatoire des trafics à travers les Alpes, DRE PACA et Rhône-Alpes, 2006.

TUNNEL ROUTIER DE TENDE

3600

TUNNEL DU MONT-BLANC

AXE MENTON-VINTIMILLE

70 alt. 1280 m alt. 1274 m 4,9 m

00

32

m

(1881) (le plus vieux tunnel alpin)

7m

11

600

m

(1965)

A8/RN3

27

alt. 180 m 2.

Le

passage

constitutif.

/

Un

col

à

passer.

45


TURIN

1H40 Cuneo 0H30

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LIMONE

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Avant c’était

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mmerce, route de co une est plus ’ n e c t na n inte ransit 2 t ma ! ute de o r e n ns qu’u r les italie u o p

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TENDE

La Brigue Saint-Dalmas 2. Giordano, moutonnier tendasque au pont de Caramagne, novembre 2017.

NICE

Monaco 1H30

0

1

2

5 km

N


DIVERSITÉ DE LIGNES Ce trait fort et décidé sur la carte, rouge ici, qui disparaît dans le tunnel puis poursuit sa route droit vers les métropoles des plaines, est bien une route politique au sens où l’entend J.B. Jackson1. Déjà Route Royale au XVIIe siècle, elle s’est affranchie de la topographie à mesure des avancées techniques des ingénieurs, jetant des ponts, terrassant à renfort de grands murs et creusant la roche là où le relief gênait. À la différence du train qui cache son extraordinaire tracé dans d’innombrables tunnels et tend à se faire oublier, jusqu’à risquer d’être abandonné, l’E74 s’affiche, s’impose. Elle est visible et audible depuis n’importe quel point des deux vallons qu’elle traverse, deux vallons dont le paysage est décidément politique. En miroir, il y a la vallée de la Pia et il vallone San Giovanni, deux vallons aux paysages vernaculaires.

Le chevelu du système de routes vernaculaires est lui étroitement accordé à la topographie. Système changeant au gré des saisons, des pratiques, chemins du passé qui s’effacent ou se remodèlent, dont certains ne sont plus que des pointillés sur l’IGN, ou qui ne sont empruntés plus que par des quadripèdes Avant, un territoire irrigué par le passage.

Aujourd’hui, un territoire seulement traversé, trop vite.

POLITIQUE Par politique, j’entends ces espaces et structures conçus pour imposer ou préserver une unité et un ordre sur la Terre, ou en rapport avec un plan de longue haleine, à grande échelle. VERNACULAIRE La mobilité, le changement sont les clés du paysage vernaculaire, mais comme malgré soi, sans le vouloir ; non pas expression de l’agitation et de la recherche du progrès, mais adaptation patiente, sans fin, aux circonstances. Un paysage vernaculaire est un impressionnant étalage d’attachement aux habitudes communes et d’inépuisable habileté à trouver des solutions à court terme. 1. Jackson J.B. À la découverte du paysage vernaculaire, 1984.

col de Tende 1871 m u ed

t

rou

l

co

1320 m

1280 m

E END

T

LIMON E 1050 m

E 74 TRAIN 0

1

2

3

4

5 2.

6 Le

passage

constitutif.

7 km /

Un

col

à

passer.

47


A. Tende adossée à la Tête de Bracou, novembre 2017. B. Limone à la confluence des deux vallons, novembre 2017. C. Fantino, étalement de Limone le long des routes, novembre 2017.

A

B

C


Limone

Tende

DEUX VILLES-PORTES Tende et Limone étaient deux villesportes. On s’y arrêtait pour changer de mulets, passait à la maison de la Gabelle à Tende pour payer la taxe sur le sel transporté, chez les ferronniers pour démonter son carrosse pour le passage du col dont certains muletiers assuraient la viabilité en hiver : i collanti, les hommes du col. Fin XVIIIe, le transport des voyageurs était même réglementé par deux directeurs (l’un à Tende et l’autre à Limone) avec, à leur service, muletiers, porteurs, conducteurs de luges, accompagnateurs et peu de temps après des charretiers et cochers1. Grâce à ce passage, le territoire écoulait ses produits agricoles, ceux de ses forêts et de ses mines. Bref, le passage faisait vivre le territoire, l’irriguait et l’animait. AUJOURD’HUI DÉPASSÉES ? Aujourd’hui, charnière dans le réseau de l’Europe libérale, le col est de plus en plus traversé : de plus en plus vite, de plus en plus chargé, on traverse les Alpes comme on franchirait un fleuve. L’axe n’est plus armature, la colonne vertébrale ne soutient plus ni les côtes ni le crâne, les ressources du territoire

sont déconnectées du passage qui le constitue. Limone est contournée et Tende traversée en son coeur par un flux d’automobiles et, jusqu’à peu, de camions. Qui parmi eux s’arrête pour prendre un café ? Qui parmi eux s’arrête pour se demander quelle vie se déroule ici ? Il est certes essentiel qu’un développement local soit lié aux réseaux longs de la société globale2, loin d’un localisme triste, mais il est aussi essentiel de penser à la qualité de ces espaces de branchement sur les réseaux. Un détour par l’écologie pour rappeler qu’en terme d’évolution écologique, ce n’est pas le plus fort qui survit, mais bien le mieux relaté. Le plus fort risque de détruire les communautés dont il dépend et donc de disparaître à son tour, contrairement à celui qui est le mieux relié au sein de son écosystème, dans un équilibre dynamique et fertile. Le développement de Tende et Limone dépend de la valeur du lien qui les relie aux métropoles. 1. fetesainteloi.fr site de la Confrérie de la Saint-Eloi de Tende, corporation de muletiers, 2018. 2. Magnaghi A. Le projet local, 2000. 3. Morizot B. Les diplomates, 2016.

D

D. En bas, Tende traversée. En haut, Limone contournée. 1/25 000e

2. Le passage constitutif. / Deux villes-portes dépassées ?

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LE FEUILLETON DU TUNNEL NICE-MATIN, 06/12/2017

L

e Département a signé ce mercredi un arrêté interdisant les plus de 19 tonnes dans la Roya.

Arrêté immédiatement attaqué en justice par le préfet des AlpesMaritimes, qui y voyait une entrave à la libre circulation. Les maires l’avaient au final emporté le 7 novembre dernier devant le tribunal administratif, la préfecture n’ayant pas interjeté appel.

IL CORRIERE DELLA SERA, 31/05/2017

« Le gallerie sono fatte con lo sputo »

Sigilli al mega tunnel con la Francia. * * « Le tunnel est construit avec du crachat » Mises sous scellés au méga tunnel avec la France.

LA CROIX, 16/08/2017

Tunnel de Tende, l’histoire d’un scandale « XXL »

P

lusieurs centaines de tonnes de matériaux dérobés puis revendus en Italie, des certificats de contrôle d’avancée des travaux falsifiés, des galeries qui menacent de s’écrouler et des grandes entreprises du BTP transalpines mises en examen… Côté français, les experts découvrent que le mur de soutènement de la route qui permet d’accéder au nouveau tunnel menace de s’écrouler. Pour

le

collectif

Sauvons

la

LA REPUBBLICA, 24/06/2017

S

chiaffo della Francia all’Italia sul nuovo tunnel del Colle di Tenda. Muro pericolante: i transalpini chiudono la strada tre giorni e rimediano. Anas sotto accusa.* * Gifle de la France à l’Italie pour

le nouveau tunnel du Col de Tende. Mur de soutènement qui s’écroule : les transalpins ferment la route trois jours et réparent. L’Anas accusée.

Roya !, opposé à la création d’un nouveau tunnel, cette reprise anticipée des travaux est « complètement hallucinante » : « Ce sont les mêmes opérateurs, sous le coup d’une accusation de vol aggravé, qui vont reprendre le contrôle du chantier. Notre vallée ne doit pas être un jouet aux mains d’entreprises mafieuses.» Les ouvriers devraient recommencer à creuser dans quelques jours, le temps de régler quelques modalités administratives.

LA MARMOTTE DÉROUTÉE, juillet-août 2017

R

etubage à moindre coût du vieux tunnel, le rendezvous manqué du 27 février 1999 Le double tunnel, c’est l’augmentation du trafic. Et l’augmentation du trafic, c’est l’augmentation des pollutions. Tout est dit.

L’ANTENNE 18/01/2013

E

n refusant de verser sa part au financement des travaux attendus depuis bientôt quarante ans, la Région Paca remet en cause l’accord signé en 2007 par les deux gouvernements.

FRANCE 3 PACA 30/05/2015

2

00 personnes et un troupeau de chèvres manifestent contre le doublement du tunnel de Tende.

LE CANARD ENCHAÎNÉ 02/08/2017

B

éton fictif et vraies fissures dans la vallée des Merveilles.

NICE MATIN 01/01/2018

T

unnel de Tende: l’inquiétude encore.

NICE-MATIN 18/10/2017

L

e maire de Tende et le garde-champêtre imposent un demitour aux poids-lourd dans la Roya... la gendarmerie menace de les verbaliser.


Le tunnel, achevé en 1881 pour les calèches, incarne l’acte du passage. On y rentre avec un soleil sec et ressort accueilli par deux murs de neige. Aujourd’hui il cristallise toutes les tensions. Le projet de percement d’un second tunnel a suscité de vifs débats, qui continuent avec le feuilleton des travaux en cours. Débutés en 2014, ils ne s’achèveront pas avant 2021. En attendant, un feu rythme le passage d’un côté à l’autre, en circulation alternée. Je le vois comme un évènement dans la traversée effrénée, prétexte à s’arrêter. Couper le moteur, sortir de voiture et regarder. Autour de soi et au-dessus de soi. Prêter attention aux surfaces, à la limite mouvante entre alpages et forêts.

Traversée sous le col, de l’attente au feu rouge de Limone à l’embouteillage au feu de Tende.

2. Le passage constitutif. / Le feuilleton du tunnel.

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2. Le passage constitutif. / Les lignes du paysage.

53



2. Le passage constitutif. / Les lignes du paysage.

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2. Le passage constitutif. / Les lignes du paysage.

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Ce dont nous parle le passage constitutif du territoire du col, c’est du caractère fondamental du passage sur ces deux hauts de vallées et dès lors sujet à débat. Il nous parle de l’équilibre complexe entre le politique et le vernaculaire. L’enjeu est de réussir à capter les flux qui tracent dans les alpages sans baisser le regard vers les vallées, ceux qui traversent par l’E74 sans regarder autour et au-dessus d’eux et attendent au tunnel.

CONCLUSION AUTOUR D’UN ENJEU COMMUN


Le dernier des trois calques qui m’ont servi à présenter le territoire du col est le plus étendu : ce sont les surfaces. Les grands espaces de montagne que l’on découvre si l’on prend le temps de ralentir la cadence, d’adopter la curiosité du passant. Sur l’épaisseur de la crête, nous déambulons dans les alpages. Ils sont l’héritage d’une société de l’élevage qui se perpétue depuis le Néolithique. Ils sont le lieu confortable du domestique. Ailleurs, nous progressons dans la diversité des forêts qui reviennent. Elles sont là, simplement là, peu foulées et à peine regardées. Sont-elles aujourd’hui le lieu du sauvage ?

TRANSFORMATIONS.

SAUVAGE, adj. et n. du latin silvaticus – de la forêt – à l’état de nature – dérivé de silva – forêt. (Animaux). Qui vit en liberté dans la nature, n’appartient pas à l’expérience familière des humains. (v. 1150) Lieux, sites. Que la présence ou l’action humaine n’a pas marqué ; qui est inculte, peu accessible, d’un aspect peu hospitalier et parfois effrayant.

GRANDS ESPACES,

DOMESTIQUE, adj. et n. du latin domesticus – de la maison, de la famille – dérivé de domus – maison. Familier.

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0

1

2

5 km

N


ALPAGES ET FORÊTS La vue du ciel est éloquente : deux grands espaces. Les verts des arbres qui remontent les ramifications des vallées jusqu’à se fondre dans le brun des alpages. Un peu de neige révèle déjà, en ce 11 septembre 2017 de la prise de vue, les surfaces les plus rocheuses, les plus hautes, l’inculte. Lorsque je vois cette complémentarité entre le vert et le brun, dans des proportions qui n’ont cessé et ne cesseront de bouger, les mots de J. B. Jackson s’impriment sur l’image : Il se pourrait que je sois ici sur la piste de ce fuyant concept de paysage : le paysage idéal défini, non pas telle une utopie arrêtée, consacrée à des principes écologiques, sociaux ou religieux, mais comme un environnement où la permanence et le changement ont trouvé un juste équilibre.

Les alpages, comme élément permanent du paysage, représentent ici la continuité, l’identité de la communauté, les liens avec le passé et avec l’avenir, tandis que les terres laissées au dynamisme du sauvage témoigneraient de notre mobilité, notre éparpillement et notre oubli de l’histoire. Ce n’est pas à entendre comme l’histoire d’une tragédie humaine, mais comme l’histoire d’une occupation qui alternativement vient puis se retire, habite les lieux puis les laisse. La maison déserte, neuf fois sur dix, est une chrysalide dont les occupants ont été heureux de s’échapper pour un avenir plus radieux ou plus séduisant.

Jackson J.B. À la découverte du paysage vernaculaire, 1984.

3.

Grands

espaces,

transformations.

/

Alpages

et

forêts.

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LIMONE-PIEMONTE 1 km

TENDE

5 km

1 km

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1 km


LES ALPAGES, UN HÉRITAGE L’HÉRITAGE MILITAIRE Le patrimoine militaire est le plus évident des héritages. Lorsqu’après 1860 la ligne de partage des eaux devient un enjeu militaire, l’Italie y fait construire un camp retranché 1. Batteries de défenses, retranchements, barrages, casernes, autant d’ouvrages qui ponctuent encore la crête aujourd’hui, sans avoir finalement jamais servis à la guerre. Le tracé de la frontière actuelle contourne soigneusement les forts pour les rapatrier en France, ce qui leur a évité d’être détruits comme les autres fortifications italiennes suite au traité de Paris de 1947. Ils sont aujourd’hui propriété publique de la région PACA. Les ouvrages construits par Mussolini pour l’ensemble de fortifications du Mur Alpin Occidental sont eux plus discrets, cachés dans la roche. En revanche, c’est aussi dans ce contexte que l’Italie fasciste aménagea et élargit en 1938 et 1939 la route Limone-Monesi, aujourd’hui très empruntée pour le tourisme et la mobilité locale. Elle relie Limone à Monesi (Liguria) en parcourant 39 km entre les deux versants, entre 1800 et 2000 m d’altitude. La LimoneMonesi fut l’objet d’un projet ALCOTRA (2007-2013) pour sa remise en état, motivée notamment par le maintien de la liaison entre les villages italiens, aux

alpages et aux refuges, ainsi que par son attrait touristique et son utilisation pour des interventions de protection civile. L’HÉRITAGE DU PASSAGE La Limone-Monesi est certes une route militaire, mais elle reprend une section de la Route du Sel, cette ancienne voie d’échange qui reliait autrefois la Ligurie avec le Comté de Nice et le Piémont. La toponymie des cols aujourd’hui franchis par les randonneurs et les cyclistes nous rappelle que les crêtes étaient et sont encore un lieu de passage fréquenté. En cela, la trame de lignes qui parcourent les alpages sont aussi un héritage. L’HÉRITAGE DE L’ÉLEVAGE Ce n’est peut-être pas ce qui vient en premier à l’esprit lorsque l’on marche dans ces étendues aux allures de steppes mongoles, mais l’herbe est bien, elle aussi, un héritage. Celui d’un temps où chaque pente de la montagne était pâturée, par nécessité. Celui d’un monde plein (Chaunu, 1975), où la recherche de ressources était omniprésente. Ce sont bien la rumination des vaches et des brebis et la présence des bergers qui maintiennent ces paysages ouverts.

1. Le centre du dispositif de 7 km est à proximité immédiate du col de Tende. Il s’agit du Fort Central et d’un casernement fortifié, qui était relié par un téléphérique aux magasins de la Panice (entrée nord du tunnel). Corvisier C. et Marciano F. Inventaire général du Patrimoine culturel de la Région PACA, 2001.

[XVe] L’élevage est la source de richesse la plus importante pour les particuliers mais aussi pour la commune qui loue ses pâturages (bandites). Le bétail étranger est surtout des bovins. L’élevage local est basé sur les ovins principalement, qui fournissent viande, laine, lait, fromage et peaux. On recense 20 000 moutons, brebis et chèvres sur le territoire de Tende. Stuyf Philippe, La vie économique à Tende au XVe siècle, 2008.

3. Grands espaces, transformations. / Les alpages, un héritage.

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LES TRANSHUMANTS DU PIÉMONT Ces éleveurs italiens montent chaque année leur bétail de la plaine de Cuneo aux alpages du col de Tende. Ils ne s’arrêtent pas à la frontière et louent souvent des alpages côté français. Ils élèvent principalement des vaches piémontaises, race taillée pour la viande bien que certains éleveurs produisent encore du fromage, notamment la tomme d’alpage Nostrale d’Alpe.

LE SYSTÈME PRÉALPIN

LE SYSTÈME MÉDITERRANÉEN-MONTAGNARD À cause de l’escarpement du relief des vallées comme celle de la Roya et du morcellement du foncier, il y a très peu de surfaces fourragères disponibles pour la production de foin. Mais grâce au climat d’influence méditerranéene, des parcours d’inter-saison sont valorisés pour le pâturage d’hiver, d’automne et de printemps. L’estive se fait sur des alpages de proximité (col de Tende, Merveilles), souvent sur la même commune. La brebis brigasque, originaire de la Roya et du Piémont italien (sous le nom de roaschina ou fabrosana) est une race rustique adaptée à ce système. Après avoir failli disparaître, une nouvelle filière cherche à valoriser sa laine en tapis et son lait avec la Tomme de La Brigue.

Siège de l’exploitation en plaine ou Préalpes. Production de fourrage. Grand troupeau qui passe l’hiver en bergerie (4 à 5 mois) et utilise au printemps et à l’automne des prairies et des parcours de proximité dit de « demi saison ». Transhumance en alpage l’été. Ils peuvent valoriser leur viande avec l’appellation de qualité Agneau des estives (provenance montagne des Alpes-Maritimes).

LA BRIGASQUE

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LA MÉRINO

1000 m

PRÉALPES Plaine des Maures

altitude 0 - mer de la Méditerranée

300 m Vallée du Var


LE SYSTÈME MONTAGNARD

SYSTÈMES D’ÉLEVAGE

Le troupeau passe l’hiver en étable (5 à 6 mois), ce qui nécessite des stocks de fourrage important, puis monte sur l’alpage local. Michelino Giordano est emblématique de ces éleveurs locaux qui tentent de se diversifier grâce au tourisme. Il a choisi de s’installer à l’année au hameau de Palanfré (1379 m) et transforme le lait en fromages et yaourts. Il vend tout par circuit court et retire quatre salaires avec seulement 120 vaches.

Les systèmes d’élevage sont multiples, leur influence sur les paysages tout autant. Les troupeaux transhumants depuis les plaines comptent souvent de très nombreuses têtes qui assurent une pression de pâturage forte et ponctuelle sur les alpages en été et disparaissent en hiver. En revanche les troupeaux locaux influent aussi sur les fonds de vallée et les espaces intermédiaires puisqu’ils recherchent du foin pour l’hiver et des parcours d’inter-saison. Ces éleveurs sédentaires restent aujourd’hui marginaux et la déprise des espaces précédants les alpages est généralisée.

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Coupe de principe du relief de la Méditerranée au Piémont, Sud-Ouest / Nord-Est. En pointillés : une succession de vallées encaissées fait barrage au passage des Alpes. 0

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Plaine du Piémont 3. Grands espaces, transformations. / Les alpages, un héritage.

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site Natura 2000 Alpi Marittime

LIMONE

site Natura 2000 MarguareisLa Brigue- Fontan - Saorge site Natura 2000 Mont Chajol propriétés communales de Limone-Piemonte unités pastorales de la commune de Tende

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1

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5 km

N Cartographie des parcelles cadastrales, des alpages communaux et des sites Natura 2000 à Tende et à Limone.


LES COMMUNS DE L’ESPACE-FRONTIÈRE Le découpage parcellaire est éloquent : les grands espaces de part et d’autre de la frontière, sur une épaisseur d’au moins 4 km, sont des biens communaux. Hérités des communs des sociétés médiévales, espaces administrés par la communauté et pour elle, ils ont échappé au morcellement parcellaire des dernières générations. GESTIONS DES BIENS COMMUNAUX Aujourd’hui ces espaces sont propriétés communales et c’est, à ce titre, la commune qui décide de leur gestion et non plus une communauté participante. À Tende, les alpages relèvent du régime forestier tout comme les forêts.1 Dès lors, ils doivent faire l’objet d’une gestion par l’Office National des Forêts. Ainsi, c’est le garde-forestier attaché à la commune de Tende qui rédige les baux de location des alpages et leur partie technique (recommandations d’exploitation, charge animale, etc). Les unités pastorales, portion de territoire exploitée par un troupeau à une saison donnée, sont loués à des éleveurs ou à des groupements pastoraux pour une durée de 9 ans. À Limone, les alpages communaux sont également loués pour le pâturage, sous les conditions définies par un réglement approuvé par le Conseil communal. Bien qu’une tentative de planification intégrée ait été tentée à l’échelle du

Parc Alpi Marittime dans le cadre d’un Plan Intégré Transfrontalier (PIT 2012), les planifications des forêts et des alpages sont encore séparées. 3 SITES NATURA 2000 CONTIGUS Les documents qui administrent les alpages sont donc distincts de part et d’autre de la frontière, bien qu’elle ne soit à cette échelle très locale qu’une légère inversion de pente sur la crête. Pourtant, une grande superficie des biens communaux est classé sous le même réseau européen : Natura 2000. Là encore, il y a trois périmètres distincts magré la continuité des espaces : les deux sites français sont nouvellement gérés par la Communauté d’agglomération de la Riviera française tandis que c’est le Parc Alpi Marittime qui est l’opérateur du site débordant jusque sur les crêtes de Limone. Parce que ces espaces ont une haute valeur écologique, des contrats de type MAE 2 sont fréquemment passés avec les éleveurs. Les contraintes liées sont certainement à l’origine de l’expression de Lionel Laslaz : les parcs sont des empêcheurs de brouter en rond.3 Cati Caballo, agroforestière au Parc Alpi Marittime, m’explique que théoriquement le pâturage devrait être conduit par le berger et non uniquement délimité par un enclos, afin que l’ensemble de l’alpage soit pâturé convenablement. Ma non ci siamo! (« Mais on y est pas ! »).

1. Il y a une volonté de gestion d’ensemble, pour pallier aux déprises. CROÛTE Benjamin, agent ONF sur la commune de Tende, propos recueillis le 18/09/2017.

2. Les mesures agroenvironnementales (MAE) permettent la mise en place de plans de gestion globaux d’un alpage, avec l’objectif d’assurer à la fois la bonne alimentation du troupeau et la préservation de la diversité des écosystèmes pâturés. De façon plus localisée, elles peuvent permettre des reports de pâturage pendant la période de reproduction du tétras-lyre ou de mettre certaines zones en défens. Une MAE peut également intégrer des objectifs de maintien des milieux ouverts favorables à certaines espèces, auquel cas l’éleveur est sollicité pour débroussailler ou encore couper les arbres sur certaines zones définies au préalable. Parc national du Mercantour, Les pratiques pastorales, 2015. 3. LASLAZ Lionel, La collaboration environnementale transfrontalière, L’Espace Politique, 2009.

3. Grands espaces, transformations. / Les alpages, un héritage.

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1

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3

4

Ça fait 10 ans que je suis sur l’alpage au-dessus du tunnel. Avant c’était tout propre, maintenant il y a les arbres. Ah ça il y a bien une chose sur laquelle les chasseurs et les écolo tombent d’accord : ne pas couper, ne pas brûler dans les alpages ! Pour le faire c’est toujours toute une histoire : une fois c’est trop humide, une fois c’est trop sec, une fois c’est la couvée du tétras-lyre, etc. Du coup la nature prend sa place.

A

1. Dans le vallone Gherra, sur la croupe centrale de la vallée de la Vermenagna, Italie. 2. Sur la Route du Sel en allant vers le Fort Tabourde, vallon de Begin, France. 3. Sur la Route du Sel, au-dessus du Gias della perla, Italie. 4. Depuis la Cima Gherra, sur la croupe centrale de la vallée de la Vermenagna, Italie. A. Giordano, moutonnier tendasque au pont de Caramagne, novembre 2017. B. Cati Caballo, service gestion agroforestière au Parc Alpi Marittime.


PROGRESSION DES LANDES, CATALYSEUR DE TENSIONS Les alpages sont eux aussi sujets à une reconquête par le sauvage marquée par l’étendue des landes à éricacées, une mosaïque de bruyères, myrtilliers, rhododendrons et genévriers. Cette progression suscite des tensions entre les chasseurs et les naturalistes d’un côté, qui souhaitent préserver ces milieux, et les éleveurs de l’autre, qui y voient une diminution de la surface en herbe. Les randonneurs eux, à pied ou à ski, dérangent plus ou moins consciemment la faune associée.

C’est justement ces zones de transition, entre pelouses alpines et forêts d’altitude, qu’apprécie particulièrement le tétras-lyre. La présence de cette faune sauvage sensible sur les espaces pastoraux témoigne de l’impact positif du passage des troupeaux, mais implique une prise en compte de ses besoins en fonction de son cycle de vie. Lors des périodes de ponte et de couvaison au sol, il faut éviter de pâturer sur une zone favorable à la reproduction du tétras-lyre. Cachées dans les hautes herbes, les femelles dérangées risquent d’abandonner leur nichée, laissant leurs œufs se faire piétiner par les troupeaux. Service Sensibilisation et Valorisation du Territoire du Parc national du Mercantour, Les pratiques pastorales, Coll. Le Parc national à la portée de tous, 2015.

(5)

/ Mes chers amis, Au plan départemental la saison aura été bonne. Nous pouvons nous féliciter de la présence importante du Tétras-Lyre, espèce pour laquelle la fédération s’est beaucoup investie notamment sur le programme ALCOTRA visant à mener des actions en faveur de la restauration des milieux favorables à l’espèce. / / Dans le cadre du programme ALCOTRA, la Fédération des Chasseurs des Alpes-Maritimes a supervisé la réalisation de travaux d’ouverture sur l’alpage de Peïrefique (Tende). Dans une dynamique partenariale, étaient impliqués aussi bien l’Association de Chasse de Tende que l’ONF, l’opérateur du site Natura 2000 Mont Chajol et une entreprise de travaux agricoles. L’objectif de tels travaux était de recréer une mosaïque de milieux, sur des secteurs historiquement favorables à l’espèce, mais dégradés par un embroussaillement récent : réouverture de clairières, éclaircissement du mélézin et débroussaillement en mosaïque du rhododendron (5). Il semble opportun d’étudier avec les éleveurs concernés les possibilités de mise en œuvre de mesures de gestions pastorales. Chasse en Pays d’Azur n°55, Bulletin d’information interne de la Fédération des Chasseurs des Alpes-Maritimes, 2015.

Le brûlage dirigé est un outil d’aménagement de l’espace qui consiste à conduire le feu, de façon planifiée et contrôlée, avec un objectif défini. (...) Il représente actuellement la technique la plus acceptable économiquement comme moyen d’ouverture, surtout sur des milieux accidentés. (...) C’est un outil qui répond aux sollicitations des éleveurs, des agriculteurs, des sociétés de chasse et des collectivités territoriales mais (...) l’objectif pastoral est devenu prédominant. Le département des Alpes-Maritimes - dont le SDIS 06 et Force 06 sont liés par convention en la matière-, a été un des pionniers dans la création dès 1990 du réseau des praticiens du brûlage dirigé. Des rencontres européennes autour de cette pratique organisées à Nice en 2012 ont réuni 120 personnes venues de 18 départements mais aussi de Suisse et d’Italie.

Site du Service Départemental d’Incendies et de Secours des Alpes-Maritimes, www.sdis06.fr, 2012.

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B 3. Grands espaces, transformations. / Les alpages, un héritage.

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Loin des stations ad hoc du Plan Neige français, à Limone le ski est historiquement lié au village.

LIMONE STATION DE SKI, L’HISTOIRE D’UN PARI Limone fut l’un des premiers lieux du ski dans les Alpes. Apporté en 1896 par Adolfo Kind, un ingénieur suisse qui donna les premières leçons théoriques dans un petit salon de Turin, le ski de descente devint rapidement un moyen de transport pour les militaires. Dès 1907, c’est à Limone que les Alpini donnent des cours aux civils et que les premières courses sont organisées. Moins de dix ans plus tard, alors que la première guerre mondiale prend des bras à l’agriculture montagnarde, on prend conscience que le ski pourrait être une source de revenu : le premier ski-club est créé avec, déjà, le maire de Limone siègeant dans la direction. Le tourisme se développe sur la Montagna delle due Riviere, qui attire les anglais et les américains aussi bien de la Côte d’Azur que de la Riviera. En 1929, l’aventure prend de l’altitude avec le pari de trois amis de Cuneo qui réalisent la première remontée à câbles (dite la grosse luge) et le refuge Tre Amis. Jusqu’à maintenant les sports de neige

se cantonnaient aux zones relativement planes autour du centre historique, où l’on se retrouvait et s’entraînait, tandis que les hauteurs étaient réservées aux experts du ski alpin. Avec ce projet, la montagne s’ouvre à tous. C’est la première tentative d’exploitation des grands espaces pour le ski 1. À partir de ce pari-là, les società sciistica (clubs ou sociétés, faites de passionnés, d’entrepreneurs et d’élus) se multiplient, plus ou moins proches du village. De 1960 à 1980 le tourisme du ski explose, mais aussi, plus et plus rapidement, tout ce qui lui est lié, créant un système parallèle au village qui aujourd’hui encore n’est pas tout à fait intégré dans le Limone historique 1. Bars, restaurants, boutiques de luxe se développent et, alors que le ciment est roi, les immeubles se multiplient. En 1974 les cinq sociétés mettent en commun leurs domaines skiables pour en créer un unique : la Riserva Bianca, la Réserve Blanche, quelques années avant la création des réserves et parcs naturels autour. À la veille de l’an 2000, les sociétés finissent par fusionner pour créer l’actuelle LIFT S.p.A.

1919 « Limone

peut être considérée comme le siège de l’école nationale des skieurs. »

traduit de l’ancien journal La Sentinella delle Alpi.

« Limone 2018

Piemonte est certainement une des stations de ski les plus complètes des Alpes Méridionales. La “Riserva Bianca” est un unique domaine skiable avec 80 km de pistes et 18 remontées mécaniques, dans la zone du Colle di Tenda, qui s’étend de Limone (1010 m), à Limone 1400 et à Limonetto (1300 m). Un nouveau système d’enneigement vise à couvrir l’ensemble du domaine de neige artificielle. La Valle Vermenagna est une vallée de passage vers la France voisine, d’où l’on peut même rejoindre la Côte d’Azur en un peu moins de 2h de voiture. » traduction de dovesciare.it, site internet de référence en Italie pour les stations de ski 1. Clerico Domenico, Lo sci a Limone, 2007.

3. Grands espaces, transformations. / Les alpages, un héritage.

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Mon père était paysan ici.

En plus de m’occuper des terres, j’ai été moniteur de ski pendant 20 ans : je gagnais plus en 3 mois que tout le reste de l’année.

Quand la station s’est lancée, il travaillait aux remontées.

C’est des bonnes terres ici, il y a de la bonne herbe. Gamins, on venait faucher après l’école.

Aujourd’hui ils sont subventionnés mais c’est un gouffre financier. C’était une boule de billard avant, maintenant c’è tutta questa porcheria no...*

J’emmène encore mes vaches pâturer, par habitude.

Il n’y a plus personne dans la montagne, on est seuls. * il y a toutes ces cochonneries nan...

C’est fou,

Après moi il n’y a personne pour reprendre, c’est comme ça.

J’arrive pas à imaginer que ça ait pu changer aussi vite.

ça fait même pas un siècle. Fig. Avec les mots (traduits) du monsieur du Mont Buffe, au-dessus de Limone, propriétaire privé d’un bout de vallon dont la station fait aussi usage, et d’une cinquantaine de vaches.


C’est avec cette nouvelle allure, à même d’impressionner quiconque ait décidé de ne plus venir skier à Limone Piemonte depuis quelques années, que le nouveau domaine skiable regarde avec espérance vers un futur encore entièrement à écrire et certainement capable d’amener cette station à être à nouveau, comme dans le passé, une des plus préstigieuses stations hivernales de l’arc alpin. traduit de riservabianca.it, site officiel de la LIFT, 2016.

La LIFT S.p.A 1 est aujourd’hui une société dans laquelle sont impliqués 800 actionnaires dont des collectivités publiques, notamment la région et les communes de Limone Piemonte et Vernante (dont le maire est directeur administratif de la LIFT). Au nom de la retombée économique sur l’ensemble de la vallée voire de la province de Cuneo 2, cette société est devenue un acteur public-privé essentiel dans l’aménagement du territoire.

l’immobilier suit 4. Le phénomène des volets fermés n’est donc pas près de se résolver. La LIFT a toutefois conscience des problèmes d’enneigement à venir. Elle y remédie en équipant l’ensemble du domaine de canons à neige d’une part et en cherchant à se diversifier d’autre part. Ainsi, les lacs artificiels creusés pour les canons pourraient être promus comme de lieux de détente en été, deux remontées mécaniques fonctionnent pour le VTT et des parcours de raquette en altitude sont à l’étude.

Alors que les années 1990 avaient amorcé un déclin de la station, un gros investissement a été réalisé en 2006 par la LIFT, l’administration communale et grâce aux fonds publics alloués à l’occasion des Jeux olympiques hivernaux de Turin. Six nouveaux télésièges sont ainsi réalisés et un télécabine de 8 places partant directement du centre du village. Malgré les discours actuels sur l’avenir des stations de moyenne montagne dans le contexte de changement climatique 3, Limone a donc relancé la mise sur le ski de descente et

Marco Dalmasso ne me parlera pas de l’enjeu que représente selon moi l’entretien des milieux ouverts. Des machines préparent les pistes à l’ouverture de la saison et cela semble suffire. Pourtant, c’est bien parce que les pentes du XXe siècle étaient toutes des prés, soigneusement irrigués et fauchés, que le ski de descente pu s’y développer. L’enfrichement actuel de la montagne n’est-il pas l’occasion de mettre en place des contrats entre éleveurs et entrepreneurs du ski pour pâturer ces terrains privés peu à peu oubliés ?

2018, LES ENJEUX DE LA STATION

1. Limone Impianti Funiviari e Turistici, società per azioni. 2. « Une étude de la Chambre du commerce de Cuneo a établi que pour 1€ de bénéfice de la LIFT, il y a 9€ de retombée économique sur la province. C’est dans l’intérêt de tous que la station continue. » Marco Dalmasso, chargé de la promotion du tourisme de montagne à la LIFT, propos recueillis le 21/09/2017. 3. Imaginer une montagne sans neige (Du Grain à Moudre) et Sur la route des exploitants de ski, diffusé le 20/02/2016, France Culture. 4. « Les appartements dans les immeubles n’attirent plus, mais les chalets individuels qui se contruisent se vendent très bien. Le problème est que la majorité des lits de la commune est dans des logements privés (environ 25 000 contre 5 000 en hébergement touristique). » Marco Dalmasso, 2017.

3. Grands espaces, transformations. / Les alpages, un héritage.

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3. Grands espaces, transformations. / Les alpages, un hĂŠritage.

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LES FORÊTS, UNE PRÉSENCE « C’est peut-être d’abord cela une forêt et ce que l’on a envie d’y défendre : un évènement vertical. Quelque chose qui, contre l’étrangeté du monde administré, est enfin là. Pleinement là. » 1 UNE GESTION ANECDOTIQUE « C’était de la campagne ». Une étendue découverte, domestiquée. Aujourd’hui ce sont des forêts dans lesquelles la main de l’homme se fait rare. Dans la vallée de la Vermenagna, la plupart des parcelles boisées sont privées. D’anciennes prairies reconquises par des feuillus pionniers, quelques îlots reboisés de conifères il y a 50 ans ou, surtout, d’anciennes cépées de hêtres aujourd’hui délaissées. La culture du bois est toutefois encore bien présente et plusieurs petites entreprises d’exploitation forestière ou de sciage existent encore au pied du Piémont et dans les vallées voisines. La coopérative Alpiforest, elle, voit plus grand en pariant sur le bois-énergie, le pétrole vert.2 Elle est représentative de ces entrepreneurs locaux qui veulent valoriser avec les moyens d’aujourd’hui

des ressources de montagne exploitées à une autre échelle au siècle dernier. Il existe tout de même une planification publique, rédigée au niveau de la région. Une série de piani forestali, plans forestiers, qui descend de l’échelle régionale (descriptions et grandes intentions) à l’échelle intercommunale (document opérationnel de gestion, le PFA). Toutefois, les interventions planifiées par le PFA se concentrent pour l’instant uniquement sur les bois productifs de propriété publique. C’est ainsi que sur le PFA dont relève Limone, il n’est prévu de gestion active sur aucun des peuplements mis à part certaines hêtraies.4 Dans la haute vallée de la Roya, la plupart des parcelles boisées sont communales et c’est donc à cette échelle-là que se fait l’aménagement forestier. Mais sur le papier et plus encore dans les faits, l’immense majorité de la superficie n’est pas effectivement gérée (si l’on exclut les alpages). L’un des objectifs affichés par le document est d’ailleurs de gérer de manière beaucoup plus extensive les zones difficilement valorisables.5

1. Vidalou J-B. Être forêts, habiter des territoires en lutte, 2017.

2. Mario Rosso, président de la coopérative Alpiforest, propos recueillis le 23/11/2017.

En partenariat avec la commune de Vernante, voisine de Limone, et des propriétaires privés qui louent ou confèrent leurs parcelles pour au moins 15 ans, Alpiforest a mis en place un réseau de chauffage urbain alimenté en copeaux issus de forêts situées dans un périmètre de moins de 20 km et tout le long de la Vermenagna. 3. Piano Forestale Aziendale 4. Piano forestale aziendale intercomunale dei comuni di Limone-Piemonte, Roaschia, Robilante, Roccavione e Vernante (2013-2022), 2013.

5. Office National des Forêts, Révision d’aménagement forestier (2005-2024) de la forêt communale de Tende, 2005.

3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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1950 LIMONE

forêts en 1950

forêt fermée de pin sylvestre pur hêtraie forêt fermée à mélange de feuillus forêt fermée de sapin forêt fermée de mélèze forêt fermée à mélange de conifères forêt ouverte de conifères

TENDE

landes et fourrés

Cartographie de l’évolution de la superficie boisée entre 1950 et 2014/2016 (Tende/Limone).

LES FORÊTS


2016 LIMONE

TENDE

La seule question que j’ai à poser à la forêt ce n’est pas : quelle est ta figure et quels en sont les contours ? La seule question que j’ai à poser à la forêt c’est : quelle est ta puissance ? C’est-àdire : jusqu’où iras-tu ? Gilles Deleuze, Cours à Vincennes, cité dans Être forêts, habiter des territoires en lutte, chap. La forêt déborde, p.189, Vidalou J-B, 2017.

DÉBORDENT 3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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avant le Néolithique

« Il y a mille ans, un écureuil pouvait descendre de la Norvège au détroit de Gibraltar en sautant de branche en branche ».2 La forêt est encore partout, habitée par les mythes et les divinités. Pourtant, l’homme s’est installé et de ce fait une frontière est nécessairement créée entre le domestique et le sauvage. Déjà, une mince lisière se distingue de la forêt héroïque : the march, la marche.3 Terme qui signifie à la fois la bordure de la forêt, pratiquée au quotidien, et la frontière. Marge où domestique et sauvage se mêlent.

au Moyen-Âge

La rupture la plus profonde dans notre façon de voir le paysage a certainement eu lieu au Néolithique. Parce que l’homme se sédentarise, parce que naissent l’agriculture et l’élevage, une distinction s’opère entre culture et nature. L’homme s’extrait peu à peu de la communauté biotique, invente une distance et donc un sauvage. Notre regard actuel est totalement basé sur cette révolution. Or la période de l’agriculture néolithique n’est que 3% du temps humain. Avant cela, l’homme cherche sa nourriture dans la nature, il est dedans. La pensée humaine prend forme grâce au pistage qui lui apprend à voir l’invisible, à lire les signes animaux, interpréter les symboles.1

aux temps mythiques

L’ÉVOLUTION DES REGARDS SUR LA FORÊT

À mesure que l’installation humaine s’affirme et s’étend, l’épaisseur de la lisière prend corps : the march devient peu à peu le saltus. Défini comme un terrain boisé avec pâtis 4, c’est le lieu du pâturage et du glanage. Cet espace naturel devient alors une partie du territoire du village, propriété commune. Il est donc soumis à des lois communales, écrites.5 Dans la conception médiévale du paysage, le saltus est une des trois parties de l’organisation de la terre 6. L’ager, au plus proche du village, est la seule qui soit vraiment délimitée : c’est le lieu de la terre cultivée, où l’homme détermine et créé ses propres espaces, où il aménage. Loin après l’ager et au-delà du saltus, reste la silva, forêt vierge - résolument en dehors du paysage humain 7, d’où nous vient le terme sauvage.

1. Morizot B. Les diplomates, 2016. 2. Bernard Fort, conférence Percevoir le sauvage à l’École de la Nature et du Paysage, Blois, 17/01/2018. 3. Jackson J.B. À la découverte du paysage vernaculaire, 1984.

Aux temps mythiques, en Europe du Nord, la majeure partie de la nature sauvage (ou forêt), étendues apparemment infinies d’arbres et de végétation, de flancs de montagne et de vallées inaccessibles, demeurait vierge. Elle était vue (...) comme une région vaste, confuse, inhospitalière, assez proche de la haute mer pour les terreurs qu’elle inspirait.

4. Ibid. 5. Stuyf P. La vie économique à Tende au XVe siècle, 2008. D’après les archives historiques de Tende. Catégorie III. Statuts et ordonnances, 2e dossier 1482-1498.

Tout le monde peut prendre une terre dans les terres communes pour y planter du grain. Celui qui a défriché la possède pendant cinq ans, puis elle retombe aux mains de la communauté. Cette terre guaste est alors employée comme pâturage, réserve de bois de chauffage et de construction, pour les cultures par essartage ou pour extraire la résine des pins.

6. Duby G. L’Economie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval, 1962.

Trois zones où la présence humaine, l’effort humain s’atténuent peu à peu à mesure que l’on s’éloigne du centre habité, mais trois zones également utiles, également nourricières.

7. Jackson J-B, op. cit.

3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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XIXe siècle

Le terme de forêt apparaît avec la chasse royale, lorsque la silva devient un lieu de divertissement pour les puissants.1 La forêt est ainsi inventée comme espace politique, un espace doté d’une loi à lui 2. Tende et Limone ne faisaient pas à proprement parler partie de la Réserve royale de chasse du royaume de Piémont-Sardeigne (vallée Gesso, 1855-1943), mais les princes y avaient tout de même l’exclusivité de la chasse.3 Il fut d’ailleurs justifié lors de l’annexion du Comté de Nice par la France (1860) que Tende et La Brigue restent au sein du Royaume pour conserver l’intégrité du domaine de chasse. Parallèlement, l’exploitation du bois est de plus en plus intense 4. Avec l’augmentation de la population, les cultures en terrasses montent sur les versants tandis que le pastoralisme sur les hauteurs provoque un abaissement des limites de la forêt 5.

XXe siècle

Au siècle dernier, si ce n’est avant, les forêts ont probablement disparu sur le territoire du col pour n’être plus que des bois, exploités et spécialisés. Les coupes en cépée pour le bois de chauffage se rapprochent de plus en plus de coupes rases, et la transformation en charbon s’intensifie pour alimenter les usines. Suite à cette exploitation intensive, le sapin blanc et les forêts de feuillus divers disparaissent du Piémont au profit du hêtre.6 Mais le XXe siècle est aussi celui de l’exode rural et de la régression démographique. En 1950, le peuplement humain est à son minimum, l’abandon rural se stabilise. La population se redresse même très lentement.7 Toutefois, l’exode a eu lieu, les pratiques et les modes de vie ont changé : les forêts sont revenues.

XXIe siècle

« Mais alors, ce pin sylvestre qui est partout dans la haute Roya, c’est juste... un mauvais élève ? » « Non pas tant que ça. Ici c’est toute la forêt qui est vue comme mauvaise. Avant c’était de la campagne. La forêt c’est le recul, c’est l’abandon. » 8 Voilà ce que disent les quelques regards qui se posent sur ces nouvelles forêts. Vues comme témoins de l’abandon, improductives ou inexploitables, gênantes.

1. Darby H.C. A New Historical Geography of England, 1973, cité dans Jackson J-B, op. cit.

Forêt désignait le pays à l’extérieur (foris) de la loi commune, soumis à une loi spéciale qui garantissait la chasse royale. Ainsi forêt et bois n’étaient pas des synonymes, mais une zone forestière contenait généralement une part et souvent de grandes étendues de bois.

2. Jackson J-B, op. cit. 3. it.marittimemercantour.eu, site internet du GECT Marittime-Mercantour, page I Savoia nelle Alpi del Sud. 4. Casalis G. Dizionario Geografico storico-statisticocommerciale des Etats de Sa Majesté le roi de Sardeigne, 1842.

Le long des cours d’eau de Limone, les français exportèrent beaucoup de frênes vers Toulon pour la marine.

5. Ozenda P. Végétation des Alpes Sud-Occidentales, 1981. 6. ForTeA studio associato. Relazione di piano 2012-2026, per il Parco naturale Alpi Marittime, 2013. 7. Ozenda, ibid. 8. Benjamin Croûte, agent ONF sur la commune de Tende, propos recueillis le 18/09/2017.

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PLUSIEURS MOTS DONC CONCEPTIONS Nous l’avons vu, les regards sur les étendues arborées ont évolué au cours des siècles et avec eux les mots pour les désigner. L’italien distingue il bosco, la foresta et la selva. BOSCO (n.m.) foresta domestiquée pour en tirer du bois, de la litière et d’autres ressources. Le bosco est objet à sylviculture. FORESTA (n.f.) bosco naturel, vierge. SELVA (n.f.) ensemble d’arbres et de végétation spontanée qui pousse sur une grande étendue de territoire, dense et confus.1 C’est donc sous le terme de bosco que l’on parle d’une étendue d’arbres comme de la matière première à utiliser : le bois, il legno. Pour désigner cette ressource-là, l’italien est là aussi riche en nuances puisqu’il distingue il legno (la matière première bois au sens large) de la legna (le bois de chauffage, les bûches) et même de il legname (ensemble de legno employé pour la construction ou travaillé d’une autre façon, bois d’œuvre).2 En terme d’activités, il y a donc une distinction entre le boscaiolo (dont l’objectif est de faire du bois, appelé aussi fa legname c’est-à-dire faiseur de bois d’œuvre) et le forestale, qui s’occupe a priori de la forêt dans son ensemble. Ce qui pousse à Tende et à Limone est assez peu du bois, puisque son exploitation n’est pas rentable, puisque ce n’est plus une ressource. Ce sont plutôt des forêts, voire de la silva. UN RETOUR DU SAUVAGE, QUEL SAUVAGE ? Je ne propose pas de parler de wilderness. Où peut-on encore parler de wilderness aujourd’hui ?

Aucune surface n’est totalement isolée du contact humain, intacte, et certainement pas celles du col de Tende. Ces espaces sont pétris du bruit de la route, des pollutions de la côte, ils sont liés à nos espaces de vie et un bipède s’y aventure même de temps à autre. Pourtant, si la wilderness a bel et bien disparu 3, je ne considère pas que ce soit le cas du sauvage. Et je voudrais même affirmer que, ici, le sauvage revient. Quel sauvage ? NI PUR Je n’y entends pas la soi-disant pureté propre à la wilderness. Le sauvage n’est pas dans un sanctuaire. Il ne s’arrête ni à la frontière administrative d’un parc naturel, ni à la limite du dernier arbre : il est dans nos interstices, il est parmi nous. Mais il n’en est pas pour autant hybride. Si le loup dort parfois dans des maisons abandonnées, si le chevreuil vient manger dans nos champs et si le sanglier s’approche de nos jardins, ils n’en sont pas pour autant dépendants de nous comme peuvent l’être les animaux domestiques ou le bétail. Ils sont autonomes, indépendants ou plutôt dans une interdépendance équilibrée, adéquatement reliés au sein de la communauté biotique.4 Le sauvage est l’être par soi-même, parmi nous. NI EFFRAYANT Nous ne sommes pas dans des coexistences séparées, mais dans une cohabitation que Baptiste Morizot voudrait diplomatique. En effet, je n’entends pas non plus dans le terme sauvage la sauvagerie dont nous parlait Gilles Clément 5, la peur d’un déchaînement incontrôlable. Nous avons relâché la pression d’empêchement active, et la colonisation infatigable a pu s’installer. Mais il ne faut pas interpréter cette colonisation écologique suivant les connotations politiques malheureuses du concept : avec une peur d’être submergés par un sauvage incontrôlable. C’est précisément la mentalité


héritée de la révolution néolithique qui pense en ces termes : cette colonisation ne remet rien en cause de notre présence, il suffit de la penser comme cohabitation, dans les termes de l’écologie de la réconciliation. Le cœur du problème n’est pas le contrôle : il revient à ce que le contrôle, comme norme infrangible du rapport au vivant, secrète une paranoïa de l’absence de contrôle. Et cette paranoïa s’applique dès lors à ce qu’on ne peut pas, à ce qu’on ne pourra pas contrôler ; (...) Pour eux, nous avons l’influence - l’art de la diplomatie : comment une connaissance fine, un sens de soi élargi, un art de la composition des rapports, permet de vivre en bonne intelligence avec ce qui, en nous et hors de nous, ne veut pas être domestiqué.

Morizot B. op. cit.

COMPRENDRE LE SAUVAGE, ET LE SIGNE DE SON RETOUR Nous devrions savoir être cohabitants. Si le sauvage nous effraie tant, c’est certainement parce qu’on ne sait plus en lire les signes, parce que le reste du vivant est devenu silencieux pour nous et dès lors incompréhensible. Le seul signe que nous arrivons à y voir aujourd’hui est celui d’un abandon des terres, des parcours, de pratiques. Un témoin dérangeant. À chaque instant cette silva qui pousse nous met devant les yeux le basculement de notre société. Je l’ai dit en ouverture, les paysages évoluent avec les sociétés, les paysages sont politiques. Ces espaces, plus personne ne les habite. Ils ne sont pas là pour l’homme, ils ne sont pas modelés par lui ou ses animaux, ils ne sont ni artificialisés ni domestiqués. Tout comme le retour du loup 6, ces arbres incarnent la déprise rurale et sa dimension écologique : la diminution de l’appropriation humaine de la production primaire nette, c’està-dire de la production de biomasse par la photosynthèse terrestre (AHPPN). 7 Au 20 siècle, pour la première fois peut-être depuis e

dix mille ans [le Néolithique], l’AHPPN en Europe occidentale, a décru. (...) Nous sommes au pivot de cette inversion légère, discrète, fondationnelle. C’est elle qu’il faut interpréter. C’est le plus discret des évènements majeurs de notre histoire écologique - c’est-à-dire de la vraie histoire, celle qui refuse de ne raconter que nos huis-clos anthroponarcissiques, et nous tisse avec l’ensemble d’un vivant dont nous ne sommes jamais sortis. Le retour du loup nous renvoie le reflet de ce que nous avons été, de ce que nous ne sommes plus, de cette discrète récession assez involontaire il faut le dire. Ce que nous croyions être nos forêts et nos montagnes sont habitées par de grands prédateurs qui remettent en cause notre sentiment inquestionné d’être les propriétaires de ces espaces.

Morizot B. op. cit.

Plongés dans ce retour, nous devons changer de regard. Apprendre à nouveau à lire les signes, saisir les liens qui nous tissent à lui. Pour un premier pas, je vous invite à jeter un œil sous les frondaisons. Il faut tout lire

?

1. Définitions traduites du dictionnaire en ligne de l’Institut Treccani, treccani.it/vocabolario. 2. Ibid. 3. « Nous n’avons pas de wilderness. Nous sommes tissés de wilderness - et celle-ci est toujours historicisée, anthropisée. » Morizot B. Les Diplomates, 2016. 4. « (...) être bien relié, c’est-à-dire de manière plurielle, résiliente, viable, de manière à ne pas dépendre absolument d’un exploitant qui sélectionne et protège, ou d’une ressource volatile, ou d’une niche irrégulière. » Morizot, op. cit. 5. Gilles Clément, conférence Naturel ou sauvage ? à l’École de la Nature et du Paysage, Blois, 20/12/2017.

6. « La possibilité pour les prédateurs de recoloniser provient d’un désengagement des humains à l’égard de ces territoires. On a laissé la place. Très exactement, on a laissé la place aux forêts : par désertion des pâtures et des champs extensifs qui limitaient l’avancée des fronts pionniers forestiers. » Morizot, op. cit. 7. Vitousek P.M. et al. Human Appropriation of the Products of Photosynthesis, 1986. Cité dans Morizot, op. cit.

3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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Car cette époque ne fait plus que ça : gérer. (...) Cette vision stratosphérique procède de l’idée selon laquelle nous résiderions sur ce globe comme s’il s’agissait d’une carte 1/1, un plan sur lequel on pourrait mettre à plat les êtres et les choses en temps réel. (...) Rendu lisible et gouvernable. Il n’est pas surprenant alors que (...) ces espaces, ces forêts n’aient plus de sens qu’une fois mesurés, mesurés à l’aune de leur destruction même. Vidalou J-B. Être forêts, habiter des territoires en lutte, 2017.

Dans tous les cas, nous y sommes comme des étrangers. Littéralement coupés du monde sensible. D’ailleurs, depuis si haut, que voit-on ? Sûrement pas les formes de vie d’une forêt, ni la profusion des plantes ni la fourmillante vie du sol.

3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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ubiquiste

se dit d’espèces pouvant se rencontrer dans la plupart des habitats du fait de leur très forte plasticité écologique.

25%

de la surface boisée des Alpes-Maritimes, « où il est souvent médiocre. » 1

Pinus sylvestris L. Pin sylvestre / Pino silvestre postpionnière nomade dispersée par le vent sempervirente arbre de pleine lumière vit plus de 200 ans en montagne

ÉVOLUTION DES PÂTURAGES DE LA HAUTE ROYA.

pinède 20 ans

landes à genêts ou éricacées si pentes fortes et ravinées sols nus et éboulis exposés sud

parcours pâturés

Illustration de LEONARDI Cesare dans L’architettura degli alberi, 1998.


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VALLÉE DE LA ROYA, PINÈDES

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« une pinède sylvestre dense constituant d’immenses peuplements qui paraissent physiologiquement homogènes, jusqu’à masquer totalement les limites d’étage »

1. OZENDA Paul, Végétation des Alpes Sud-Occidentales, 1981.

Les propriétés du bois sont très variables. Si les accroissements sont fins et réguliers, alors il peut être utilisé en menuiserie fine. Du temps des navires, il servait pour les mâts.

Abritée du vent par l’épaisseur de la chaîne alpine, la haute vallée de la Roya est une zone de sécheresse. Les contrastes de température sont extrêmes, entre le froid de l’hiver et la sécheresse hivernale. Le pin s’y est installé. L’espèce la plus ubiquiste, la moins exigeante écologiquement, à la croissance rapide, à la regénération naturelle très facile et à l’esprit de conquête appuyé par les innombrables graines ailées que libèrent ses cônes. En grattant sous les graminées qui habillent le sous-bois clair, on tombe sur un sol très mince, acide et riche en matière organique. Le calcaire de la roche mère est tellement dur qu’il ne s’altère pas et ne se retrouve pas dans le sol. La matière organique se décompose mal et son caractère hydrophobe accentue l’érosion lors des fortes pluies. Bref, la pédogénèse ne peut pas se faire. Essence frugale tolérant la pauvreté minérale, le pin sylvestre reste là.

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nomade

se dit d’une essence pouvant s’installer directement dans un milieu ouvert dans certaines conditions stationnelles et jouer un rôle pionnier.

Larix decidua Mill. Mélèze d’Europe / Larice postpionnière nomade dispersée par le vent deciduus pour à feuilles caduques : perd ses aiguilles en hiver entre 1200 et 2400 mètres d’altitude vit jusqu’à 500 ans

Illustrations de LEONARDI Cesare, op. cit.


PARFOIS DANS LES HAUTEURS, MÉLÉZINS Le bois est d’excellente qualité : dense, esthétique, aux propriétés mécaniques élevées et très durable (en extérieur notamment). Il est utilisé pour les charpentes et les bardeaux.

« Le mélèze est partout abondant et envahissant. » OZENDA, op. cit.

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Balayées par les vents, les hauteurs avant la crête sont le règne du froid et de la pleine lumière. Le mélèze s’y est installé. À la lisière des alpages, il a longtemps été entretenu en forme de pré-bois. Les aiguilles molles des mélèzes laissent passer la lumière nécessaire à un sous-bois riche adapté au pâturage. Aujourd’hui ce sont les mélèzes qui entrent dans les anciens parcours plutôt que le bétail dans les mélèzes. Il devance la hêtraie-sapinière à l’étage montagnard et parfois s’y substitue, et s’étale à l’étage subalpin, à la conquête du col.

Il y a de très beaux mélèzes sur certaines stations. Les coupes sont marquées depuis des années, mais à cause de l’accessibilité personne ne vient les chercher.

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3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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Fagus sylvatica L.

Hêtre / Faggio dryade caducifoliée écorce mince, lisse et grise vit plus de 150 à 300 ans

dryade

se dit d’une espèce à longue durée de vie, croissant dans l’ombre à l’état juvénile. PLUVIOMÉTRIE

Haute vallée de la Vermenagna et alpages de la frontière : 1500 mm par an minimum, souvent plus de 2000 mm. Haute vallée de la Roya : 1100 à 1500 mm.


VALLÉE DE LA VERMENAGNA, HÊTRAIES

exploité sous forme de taillis à rotation régulière

Arrosé par les vents humides remontant du Golfe de Gênes, la haute vallée de la Vermenagna a une humidité atmosphérique élevée et des précipitations annuelles conséquentes. Le hêtre s’y est installé. À l’origine accompagné de sapins, l’exploitation forestière tournée vers le bois de feu a favorisé le hêtre. Il couvre une bande continue tout le long du Piémont, entre 900 et 1500 mètres d’altitude. En grattant sous l’épaisse litière des feuilles du hêtre, on tombe sur une fine épaisseur de limons, assez riche en matière organique. C’est sur ces sol limoneux que le hêtre atteint son optimum de production, pas gêné par les calcschistes affleurants grâce à son enracinement superficiel.

vieillissement du taillis ( plus de 40 ans ) les brins sont trop larges, la fetilité de la station devenue trop faible et les cépées trop âgées pour être à nouveau coupées en taillis. 1

PF A

coupe de conversion vers une futaie irrégulière avec éventuellement apparition du sapin 1

Les hêtraies sont la catégorie forestière la plus importante, aussi bien du point de vue de la superficie concernée (circa 1500 ha), que du point de vue de la gestion sylvicole.

Le bois produit un charbon très estimé et est un excellent bois de chauffage. Homogène, il se travaille facilement.

1. Piano forestale aziendale intercomunale dei comuni di Limone-Piemonte, Roaschia, Robilante, Roccavione e Vernante (2013-2022).

3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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accrus

peuplements souvent clairs et irréguliers, ayant colonisés des terrains abandonnés. Intermédiaires entre les friches et la forêt proprement dite.

Acer pseudoplatanus L.

Érable sycomore / Acero di monte

Fraxinus excelsior L.

Frêne commun / Frassino comune

Tilia cordata Mill. Tilleul / Tiglio selvatico

postponnières nomades dispersées par le vent rejettent de souche caducifoliées héliophiles ou de demi-ombre participant puissamment aux accrus jusqu’à 1400 m voire 1800 m (érable).


PARTOUT EN FONDS DE VALLÉES, ACERO-TIGLIO-FRASSINETO D’INVASIONE Après des siècles de culture ou de fauche, les terres fertiles des fonds de vallée et des permières pentes offrent à qui veut leur mull eutrophe, dans le climat frais et humide de la Vermenagna. Les érables, frênes et tilleuls ont pris la place. Formation très jeune et très dynamique, elle est qualifiée d’ «invasion» par les forestiers.

5 ans

Acero-tiglio-frassineti : peuplements qui ne seront pas soumis à une gestion active. Mélézins et pinèdes de pins à croc hets : ces superficies seront laissés en libre évolution.

Aulnaies : ne sont pas concernés par la gestion active.

Fourrés pionniers et d’invasion : boisements sans ge stion par contraintes stationelles.

Chênaies : seront laissés en évolution sans gestion active.

PF A

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: Châtaigneraies laissés en t en m né ta seront momen active. n io st ns ge évolution sa

TILLEUL Les fleurs sont calmantes et très mellifères. Le bois est apprécié pour son homogénéité et son travail facile (sabots, ustensiles) mais n’a pas une forte résistance mécanique.

ÉRABLE Bois blanc nacré ou rosé, dur et homogène, aux utilisations nombreuses.

Piano forestale aziendale, op. cit.

FRÊNE Son feuillage est un très bon fourrage pour les animaux. Le bois très souple et élastique était autrefois le mieux adapté pour le charronage et la carrosserie. Très bon bois de feu et charbon de bonne qualité. 3. Grands espaces, transformations. / Les forêts, une présence.

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Ce dont nous parle les grands espaces du territoire du col, c’est des transformations qui les agitent. C’est d’une tension entre les lieux du domestique qui cherchent à se perpétuer et le sauvage qui prend sa place. L’enjeu est de s’appuyer sur l’existence de la frontière pour que la vie des alpages s’épanouisse. L’enjeu est de changer de regard sur les forêts neuves, à explorer autrement. L’enjeu est de cohabiter.

CONCLUSION AUTOUR D’UN ENJEU COMMUN


PROJETER v. tr. de l’ancien français porjeter (v. 1120), composé de por – en avant, au loin – et de jeter – concevoir. PROJET n. m. déverbal de projeter. Image d’une situation, d’un état que l’on pense atteindre.

PROSPECTIVE n. f. (1957) de l’anglais prospective, lui-même empr. au latin prospectivus – qui permet de voir loin, offre une perspective.

Et à présent ? Et demain ? Dans un premier temps, une démarche prospective nous éclaire sur ce qu’il pourrait advenir si l’histoire suivait son cours. En exagérant tel ou tel paramètre des tendances actuelles, on devine tel ou tel avenir. Dans un second temps, des envies plus nuancées émergent de ces caricatures. Le projet commence à se dessiner. Par affinements progressifs, la focale s’ajuste. L’image apparaît alors, pour nous parler d’un souhait et d’un possible.

ET DEM AIN ?

Nous avons exploré les strates essentielles qui composent le territoire du col aujourd’hui. Autant d’histoires, d’envies, de projets passés qui ont modelé les paysages.

LE TERRITOIRE DU COL

Ensemble de recherches concernant l’évolution future d’un groupe humain et de son environnement, et permettant de dégager des éléments de prévision.

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SI COMPÉTITIVITÉ DE LA RESSOURCE BOIS

SI COMPÉTITIVITÉ DE LA RESSOURCE HERBE

progrès techniques pour l’exploitation des pentes

viabilité économique des élevages viandes

sylviculture industrielle

retrait du loup à cause de la pression de gardiennage

généralisation du bois-énergie

résolution de la complexité foncière

résolution de la complexité foncière

ski en hiver sur l’ensemble du territoire, ouvert

ACTEURS CLEFS

ACTEURS CLEFS

GEIE Bois *

éleveurs transhumants

centres urbains (demande)

LIFT

* Groupement Européen d’Intérêt Économique

on sortait 20 000 à 30 000 T/an de copeaux, avec une équipe de 20 bûcherons.

1

on s’était équipé complètement pour le bois-énergie, sur les conseils de Paris, mais il n’y avait pas de débouché.

aujourd’hui, les alpages d’altitude sont pleinement utilisés, mais les zones intermédiaires et les fonds de vallées, où la dynamique de la forêt est forte, subissent dans la durée une forte déprise, notamment due au recul de l’agriculture dans un contexte de faible productivité sur les espaces intermédiaires...

bisogna brucciare la legna, il petrolio verde la legna è l’unica risorsa delle nostre montagne

tous pourris

2

3


RECHERCHES PROSPECTIVES Nous allons explorer neuf scenarii prospectifs. Ce sont tous des exagérations, auxquelles j’ai abouti en caricaturant des changements possibles comme le prix des ressources, les modes de vie ou encore le système de valeurs. 1. BOULEVERSEMENT DU SYSTÈME

SI RETRAIT HUMAIN absence totale de présence humaine mis à part sur l’axe de passage recolonisation totale par les forêts dynamiques naturelles liées (incendies, pestes, etc.) monitorage scientifique de la trame verte ACTEUR CLEF Parc européen

... adesso non c’è più nessuno, i giovani non hanno voglia di lavorare

lo faccio per abitudine, le mucche le tengo come hobby

4

Le territoire du col n’est pas en autarcie. Son économie et donc son paysage s’inscrivent dans le grand jeu de la production européenne, voire de la mondialisation des biens. Ce sont des paramètres sur lesquels on peut difficilement faire levier et pourtant ils ont une grande influence sur les paysages. Qu’advientrait-il des forêts neuves si le cours du bois montait ? S’il devenait économiquement intéressant d’exploiter les forêts des AlpesMaritimes plutôt que les champs d’arbres d’Europe de l’Est ? La centrale à biomasse de Gardanne, gourmande de 85 500 tonnes de copeaux par an, est à 255 km. Ce n’est rien, trois heures de camion. Qu’advientrait-il des alpages si le prix de la viande augmentait ? Si les agneaux néozélandais ne traversaient plus les océans ? Retrouverait-on le paysage ouvert d’il y a un siècle ? Qu’adviendrait-il au contraire si aucune des ressources du territoire n’avait plus de valeur ? Si, comme le prédisent les anciens, il n’y avait plus personne sur les montagnes ? 1. François Ribéri, entrepreneur et gérant d’une ferme-accueil, exexploitant forestier. 2. Mario Rosso, président de la coopérative Alpiforest. « Le bois il faut le brûler. C’est du pétrole vert. Le bois est l’unique ressource de nos montagnes. » 3. Parc national du Mercantour, dossier Pratiques pastorales, 2015. 4. Un vieil habitant des Tetti Sant’Anna. « Je le fais par habitude, les vaches je les garde comme hobby. Maintenant il n’y a plus personne, les jeunes ne veulent pas travailler. »

4. Et demain ? / Itinéraires prospectifs.

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SI CHOIX SOCIÉTAL DE PRODUCTION D’UN PAYSAGE

SI AFFIRMATION DE L’URBAIN EN MONTAGNE

paysage comme décor, fabriqué

connexion aux réseaux (haut-débit, arrivée de la fibre)

maintien d’un paysage traditionnel, de campagne

vie urbaine dans un décor rural

subventions pour maintenir à tout prix les activités qui le façonnent

réseaux de transports en commun rétablis

folklorisation de ces professions U.E.

triomphe de la propriété privée ? néoruraux

touristes

périurbains

artisans folklorisés

Les éleveurs MAIS entretetiennent les ils veulent espaces, produisent des également être paysages et sont fiers que la société les soutiennent reconnus pour leur rôle de production et contribuer à dans ce travail. une économie locale plus humaine.

ça c’est un travail qui peut être fait par un particulier qui veut nettoyer sa campagne, mais pour une entreprise c’est pas viable.

on s’est installé en herboristerie.

1

2

on est à 40 minutes de marche de la piste. Pour l’instant c’est le tout début, on construit l’alambic.

3


2. CHANGEMENTS SOCIÉTAUX

SI RETOUR DU SAUVAGE REGARDÉ fin d’un raisonnement en terme de ressource éducation au sauvage coexistence ou cohabitation ? parc pour urbains stressés ? retour du sauvage dans l’imaginaire

qual’è la scala di valori oggì ?

la pianificazione del bosco e degli alpeggi è una cosa del passato.

4 è molto selvaggio quel vallone lì eh ?

5

La patrimonialisation du paysage a été amorcée en posant un mot sur ce concept fuyant, le paysage. Si les activités qui le façonnent ne sont plus économiquement rentables, qu’on les subventionne ! Pour continuer à entendre le son des cloches sur les hauteurs, serions-nous prêts à faire de l’élevage une profession totalement assistée ? À la folkloriser et à la figer par simple mélancolie ? L’arrivée d’urbains dans les deux hautes vallées est certainement le signe de l’attachement à ces paysages culturels. Si le télé-travail se généralise, les volets fermés dans les villages pourraient se rouvrir. Mais la majorité des néoruraux ne travaillent pas la terre, ou bien à l’échelle de leur potager, de leur propriété individuelle. Si cette présence est donc essentielle pour soutenir, socialement et économiquement, les activités extensives, elle ne permet pas en soi d’enrayer les changements des paysages. Mais l’arrivée des néoruraux témoignent peutêtre aussi d’un attrait pour la nature. Qu’importe que l’arrière de ma maison soit pâturé tant que j’ai accès à un bout de nature, une respiration dans le sauvage.

1. APPAM, Association pour la Promotion du Pastoralisme dans les Alpes-Maritimes. www.appam06.fr/qui-sommes-nous/ 2. Ségolène, jeune herboriste à Castel Tourno, vallon de la Pia. 3. Yann Bonneville, fils de Pascal, frère de Marie, associé au GIE Autour de l’Arbre (Groupement d’Intérêt Economique). 4. Dino Genovese, forestier doctorant en paysage. « Quelle est l’échelle de valeurs aujourd’hui ? La planification des bois et des alpages, c’est du passé. » 5. Alessandro Barabino, service animation et pédagogie de l’Organisme de gestion des aires protégées Alpi Marittime. « Il est très sauvage ce vallon là hein ? »

4. Et demain ? / Itinéraires prospectifs.

109


SI COMMERCIALISATION INDIVIDUELLE D’UNE VALEUR AJOUTÉE TERRITORIALE

nt eme opp l e v

s possibles

MAIS BLOCAGE SUR LE FONCIER développement uniquement des grandes parcelles

vente directe et circuits courts

survie de réalités individuelles mais marginales

initiatives individuelles

reste du petit foncier abandonné

production de produits à haute valeur ajoutée

sentiment d’étouffement

tourisme développé

absence de prise en main par les institutions touristes individus entreprenants

abbiamo deciso di fermarci qua tutto l’anno. tra il rifugio della mia cognata e il mercato di Vernante, riusciamo a vendere tutto qua.

funzionna fin troppo bene !

1

quand Sam il fait un banc, il y passe sa santé, c’est un art.

2

moi je veux travailler avec du bois local, pour les gens d’ici

ils m’emmerdent avec leurs certifications, leurs normes, leurs contraintes.

bisogna accorporare i lottini dove gli anziani non possono più andare

la proprietà privata è estremamente frammentata... bisogna snellire il tutto.

3

4


3. DES VALEURS RETROUVÉES Si les produits du territoire ne peuvent pas être compétitifs dans un supermarché, ils peuvent être vendus à un prix juste à condition de mettre en avant la valeur ajoutée liée au territoire.

SI COMMERCIALISATION COLLECTIVE D’UNE VALEUR AJOUTÉE TERRITORIALE vente aux centres urbains organisation des filières et équipements en commun production de produits à haute valeur ajoutée valorisation des pentes par le pâturage extensif futaies jardinées sur les zones les plus plates associations

communes

UE

pour l’instant ça marche bien. Il y a plein de petites réalités réunies ici.

5

on aimerait bien travailler aussi avec les italiens, on pourrait se compléter.

Cette valeur ajoutée peut être transmise grâce à la vente directe et aux circuits courts. Des réalités individuelles pourraient ainsi se développer. Mais ces expériences resteront nécessairement marginales car il y a, que ce soit à Tende ou à Limone, un réel blocage autour de la propriété privée. La majorité de la multitude de minuscules parcelles est à quelqu’un sans être habitée par personne. Que le propriétaire soit parti vivre en ville ou bien émigré aux États-Unis, qu’il ne sache même pas que ce terrain lui appartient ou qu’ils soient seize propriétaires du même timbreposte, qu’il soit trop vieux pour s’en occuper ou trop pressé pour s’en préoccuper, le résultat est le même : le foncier est figé et les terres abandonnées. Une organisation des filières pour pouvoir dépasser ce blocage semble donc nécessaire. Une certaine institutionnalisation et mise en commun, voire la recherche de certifications et d’aides européennes débloquées. 1. Michelino Giordano, éleveur et fromager au hameau de Palanfré. « Nous avons décidé de rester ici toute l’année. Entre le refuge de ma belle-sœur et le marché de Vernante, on arrive à tout vendre sur place. Ça marche bien trop bien ! » 2. Salarié de la scierie de La Brigue. 3. Cati Caballo, service gestion agroforestière au Parc Alpi Marittime. « Il faut regrouper les petites parcelles dont les anciens ne peuvent plus s’occuper. » 4. Fabrizio Maglioni, technicien forêt de la Région Piemonte. « La propriété privée est extrêmement fragmentée. Il faut délier tout ça, assouplir. » 5. Etienne, brasseur à l’association tendasque La Castagna.

4. Et demain ? / Itinéraires prospectifs.

111


VALORISER LES RESSOURCES UNIFIER LA CRÊTE EN UN ESPACE PASTORAL espace charnière européen ; au coeur du tourisme, du passage ; mise en commun d’équipements de transformation ; parcellaire publique. VALORISER LES BOISEMENTS ACCESSIBLES bois-énergie local ; menuiserie de qualité ; dépassement de la propriété privée pour une gestion et collective. ACCUEILLIR UNE POPULATION NÉORURALE aventures individuelles choisies et diverses ; production familiale ou à haute valeur ajoutée ; attrait d’une qualité de vie, en montagne ; petit parcellaire privé, regroupements éventuels. APPRENDRE DE LA COMPLEXITÉ DES FRANGES rencontre des mondes de l’élevage et de la sylviculture ; gestion collective et concertée ; rencontre des mondes de l’élevage et du sauvage ; lieu didactique autour d’une ligne dynamique.

ET DONNER DE LA VALEUR À CE QUI N’EN EST PAS. CHANGER DE REGARD SUR LE SAUVAGE étendues non valorisables aujourd’hui comme ressource accroches à la présence humaine comme espaces d’approches attrait pour un tourisme libre.

N

S

LIMONE

vallone San Giovanni

Serra Conche

Limonetto


ENTRE VERNACULAIRE ET POLITIQUE, VALORISER LES RESSOURCES ET DONNER DE LA VALEUR À CE QUI N’EN EST PAS.

ENTRE VERNACULAIRE ET POLITIQUE RENVERSER LES FLUX DU PASSAGE territoire projeté à même de les interpeller ; lié sainement aux circuits longs ;

CRÉER L’ÉVÈNEMENT AU FEU ROUGE évènement dans la fluidité et la vitesse du passage ; noeuds avec le monde des hauteurs ; quel espace public au sortir de sa voiture. AFFIRMER TENDE ET LIMONE COMME DES VILLE-PORTES articulation entre le paysage politique et la société locale ; importance retrouvé de l’espace public comme espace politique de partage. COOPÉRER AUTOUR DE LA FRONTIÈRE, ESPACE INTERFACE terrtitoire à l’avant-garde de la construction européenne ; image séduisante ; subventions débloquées. ANCRER LES FLUX TOURISTIQUES SUR LA CRÊTE tourisme alpin capté pour une valorisation des activités pastorales ; point de départ pour une approche des forêts.

Col de Tende

vallon de Lamantargue

vallon de la Pia

TENDE 4. Et demain ? / Schéma directeur.

113


GECT Parco Alpi Marittime Parc du Mercantour GECT Tende-Limone La Brigue-Briga Alta

rsa

GEIE bois

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GEIE herbe

tra

société locale et passants

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centrales thermiques à biomasse

infrastructures touristiques

s ng ) lo ôtes x u c ea es és t d r e x au es n lain o i ex s p nn de o c les l (vi

transformation laitière abattoir ambulant atelier de découpe

scieries menuiseries matériel pour l’exploitation forestière équipe de bûcherons

Schéma présentant la nouvelle société locale : les acteurs, les secteurs sur lesquels ils influent et leurs relations, nécessairement multiples.

LES OUTILS JURIDIQUES DE LA COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE Le cadre juridique de la coopération transfrontalière au sein de l’Union Européenne s’est construit en 1980 avec la Convention cadre de Madrid comme base. Depuis, un panel d’outils a été développé. Ils s’inscrivent toujours dans le respect du droit interne, celui du lieu du siège de l’organisme.

Le GECT : la commande. Groupement Européen de Coopération Transfrontalière. Structure de droit public et autonome, dotée d’une personnalité juridique : il a la capacité d’agir au nom et pour le compte de ses membres. Ses missions relèvent nécessairement des domaines communs de compétences que détiennent ses membres, ce qui pourrait être une limite sur la gestion des grands espaces du territoire du col. Ne peut être membre d’un GECT qu’une personne morale qui a été créée pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial.

Le GEIE : les opérateurs. Groupement Européen d’Intérêt Économique. Structure de droit privé, les collectivités publiques peuvent la subventionner pour remplir des missions comme maîtrise d’oeuvre (via des accords pluriannuels) et, éventuellement, y adhérer. Cependant, elle reste un organe tiers et ne peut pas se substituer aux collectivités membres dans l’exercice de leur compétence.


Conçu comme un instrument d’action pour le présent (puisqu’il se réfère à des acteurs sociaux, à des comportements et à des pratiques existants concrètement sur le territoire), ce scénario ne peut être efficace que s’il participe à une transformation des rapports sociaux. D’où la réalisation incertaine du scénario, qui oscille entre le présent et le temps indéterminé de l’utopie. Magnaghi A. Le projet local, 2003.

QUELLE SOCIÉTÉ LOCALE POUR LE TERRITOIRE DU COL ? Pour pouvoir concevoir ce micro-territoire, il est essentiel de se projeter aussi dans une évolution du schéma d’acteurs. Je propose de fédérer des acteurs de part et d’autre de la frontière au sein de nouvelles solidarités pour relever les enjeux communs à ces deux hauts de vallée, s’appuyant sur les similitudes comme sur l’altérité voisine.1 Pour aller au-delà de simples rapports de voisinage. Il s’agit de créer deux communautés sectorielles d’une part – les GEIE autour du pastoralisme et de la sylviculture – ainsi qu’une structure plus large permettant une coopération multisectorielle – le GECT Tende-LimoneLa Brigue-Briga Alta, épaulé par le GECT Alpi Marittime - Mercantour. Le GEIE Herbe et le GEIE Bois mèneraient une coopération au niveau infra 2. Pouvant être constitués facilement, ils permettraient de doter

chaque filière d’une personnalité juridique unique, fédératrice et ayant l’autonomie financière pour engager des actions pour le compte de ses membres. Ils auraient aussi un rôle symbolique, offrant une lisibilité à des acteurs plus éloignés, extérieurs.

1. La maîtrise spatiale n’appartient plus à ceux qui savent conquérir ou se défendre, mais à ceux qui savent s’associer, se constituer en réseau, co-signer des contrats.

Les GECT assument la tranversalité. Ils permettraient de faciliter l’accès des projets locaux à des financements publics, mettre en réseau les projets existants, créer des synergies entre des projets sectoriels (Magnaghi, 2003).

2. La coopération territoriale implique une coordination du niveau infra (les espaces de la proximité et de l’hétérogénéité), ainsi qu’une transversalité plutôt qu’une gestion sectorielle.

Le GECT des quatre communes est déjà en construction, mais il se concentre uniquement sur la gestion de la Route du Sel Limone-Monesi. Je propose que cette structure prenne de l’ampleur pour devenir un forum. Une enceinte de débat où dialoguent les filières sylvicole, agropastorale, du tourisme et les collectivités publiques, pour un développement local cohérent. Son rôle serait de seconder les initiatives de la société civile et des GEIE grâce à une sagesse environnementale, technique et gouvernementale.3

Bussi M. Un monde en recomposition, 2007.

Boulineau E. Pour une géographie politique de la coopération territoriale, 2017.

3. La possibilité de réhabiliter et de réhabiter les lieux ne se réalisera que lorsque les individus qui vivent dans ces lieux pourront à nouveau en prendre soin quotidiennement, secondés par une nouvelle sagesse environnementale, technique et gouvernementale. Magnaghi A. Le projet local, 2003.

4. Et demain ? / Schéma directeur.

115


SE RENCONTRER DANS LES PRÉ-BOIS

CONVERTIR LES FORTS MILITAIRES POUR L’AGRICOLE

S’ADAPTER AUX BOIS


ENTRE VERNACULAIRE ET POLITIQUE,

ON F

Il y a peu d’exploitants-scieurs L’avantage dans les Alpes-Maritimes. appréciable est que Cependant, une partie des les usines italiennes bois de la vallée de la Roya est utilisent tous les diamètres et historiquement exportée longueurs ainsi que des perches vers l’Italie. et brins et récupèrent les dosses, les délignures et la sciure pour des transformations secondaires diverses.

FORESPIR

GEIE franco-espagnol-andorran. Outil de collaboration au service des décideurs et des acteurs des forêts Pyrénéennes. Accompagnement pour la mise en œuvre de projets : identification des besoins, étude de faisabilité, coordination, recherche de partenariats, suivi et réalisation de projets, etc.

ASBUC di Andonno

Administration Séparée des Biens Communaux (Beni di Uso Civico) de Andonno. Dans la vallée voisine de la Vermenagna, Andonno est un hameau aujourd’hui rattaché à la commune siège du Parco Alpi Marittime. Malgré l’absorption administrative, les biens communaux d’Andonno, héritage de son passé de commune italienne autonome (XIIe), sont restés sous l’administration des habitants du hameau. L’ensemble des habitants participe à l’ASBUC et élit son comité. L’ASBUC administre 350 ha de communs (pâturages, forêts, châtaigneraies, carrière) et a notamment planifié une gestion forestière innovante des hêtraies en partenariat avec le Parc. Chaque habitant est usufruitier de ces biens collectifs, en fonction de ses besoins. Les bénéfices issus de la vente du bois non utilisé et de l’exploitation de la carrière sont dépensés exclusivement pour l’intérêt général (entretien des chemins, ouverture de nouvelles pistes, etc). Ce beau modèle démocratique permet une agrégation sociale autour des communs, un dialogue ouvert avec les institutions et des échanges d’expérience et techniques.

VALORISER LES RESSOURCES ET DONNER DE LA VALEUR À CE QUI N’EN EST PAS.

Ce premier détail de la légende du schéma directeur aborde quelques possibilités de valoriser des espaces qui ont toujours été des ressources pour les gens de montagne : les alpages et leur herbe, les bois et leur bois, les restanques et leur agriculture de qualité. Ces valorisations s’appuient sur un lien renforcé de part et d’autre de la frontière, grâce aux associations transfrontalières et au forum, permettant une vision d’ensemble de chaque filière : quels équipements sont à l’autre bout du tunnel ? quelle stratégie commune, complémentaire ? comment instaurer une solidarité au sein de chaque filière, à l’image des corporations du Moyen-Âge ? Cela pourrait donner naissance à des expériences collectives comme la mise en place de coopératives, de lieux de transformation et de vente communs, soutenue par les subventions structurelles européennes.

MESALPES Projet dans le cadre d’un programme européen ALCOTRA, associant plusieurs communes, deux Sociétés d’Economie Alpestre (Savoie et HauteSavoie) et l’Association régionale des Eleveurs Valdôtains (Val d’Aosta). OBJECTIF : rendre le système agro-pastoral transfrontalier compétitif et attractif. METHODE : restructuration de deux maisons d’alpage; exposition itinérante en Savoie; mise en réseau des acteurs du monde agro-pastoral avec le grand public et d’autres domaines pour développer des activités complémentaires relatives à l’économie rurale.

4. Et demain ? / Schéma directeur.

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ESPACE EUROPÉEN

CAPTER LES FLUX DES HAUTEURS

LE FOOD TRUCK DES ALPAGES


ENTRE VERNACULAIRE ET POLITIQUE, VALORISER LES RESSOURCES ET DONNER DE LA VALEUR À CE QUI N’EN EST PAS.

PRODUITS D’HAUTEUR Projet ALCOTRA associant des communes italiennes et françaises de l’Espace Mont-Blanc. OBECTIF : encourager la production et la commercialisation locale et transfrontalière de produits agroalimentaires d’altitude et de haute qualité. MÉTHODE : soutien à la création d’accords commerciaux pour la vente réciproque des produits des deux côtés; création, relance et expérimentation de filières pilotes et de cultures de niches; etc.

Ce second détail de la légende montre comment le fait de valoriser les ressources pourrait mobiliser une grande part de la société locale et interpeller l’extérieur. La recherche d’équilibre entre le développement vernaculaire et son ancrage dans le politique serait constante. Le rayonnement d’un territoire en projet permettrait de capter les flux touristiques, autour notamment d’un espace partagé qui s’affiche comme espace à l’avant-garde de l’Union Européenne dans sa construction politique et sa gestion. Grâce aux produits issus de la valorisation des terres et à leur animation, il serait aussi envisageable d’éveiller l’attention des passants, de ceux qui ne faisaient que traverser. Cet enjeu prendrait forme aux feux du tunnel. RESP’IR Projet dans le cadre d’un programme européen INTERREG sur l’Ariège et Gerona (Catalogne) associant un réseau d’acteurs publics et privés. Conception et mise en œuvre d’un référentiel Qualité pour un tourisme durable concernant les activités de pleine nature dans l’espace pyrénéen transfrontalier.

Les indivis de la vallée des GAV La vallée des Gaves est une vallée pyrénéenne montant jusqu’au Cirque de Gavarnie. Elle a hérité du Moyen-Âge un fonctionnement communautaire pour gérer les pelouses d’altitude, sur lesquelles les éleveurs peuvent emmener paître leurs troupeaux gratuitement. Les terres indivis sont gérées par des commissions syndicales, à l’échelle de communautés de communes. Les superficies en indivision regroupent non seulement des estives mais aussi des refuges, des immeubles à vocation commerciale ou même des habitations. Les commissions syndicales délèguent la gestion des activités touristiques qui en découlent à des Sociétés d’Economie Mixte ou à des régies (régie de station de ski par exemple), en échange d’un loyer proportionnel au chiffre d’affaire généré.

À Tende, une réalité ressemblant à ces communs se perpétue encore, sous le nom de terres guastes. Elles sont bien délimitées, dans les zones basses des unités pastorales, et réglementées : les bergers résidants dans la commune ont le droit d’y faire pâturer leur troupeau gratuitement en intersaison, mais pas en juillet et en août.

4. Et demain ? / Schéma directeur.

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ÊTRE EN CONNIVENCE

Dans le mot connivence, il y a conivere : il y a fermer les yeux. Il y a la complicité. Il y a aussi le terme botanique pour raconter les arbres qui se touchent par le sommet sans se souder pour autant, les feuilles qui se frôlent dans une entente secrète. Dans le mot connivence, il y a le programme pour une nouvelle relation entre l’homme et le sauvage. Entre connaître et être de connivence, il y a tout l’écart entre un savoir universel sur le monde, réparti d’avance, foncièrement homogène, et des liens qui s’agencent, à même la rencontre, à même les usages, révélant une pluralité toujours hétéorgène. Le propre de la connivence est de ne pas s’extraire du monde. Au lieu d’objectiver le rapport, elle le replie sur lui-même et le rend intime, complice, immanent. Des forêts qui ne seraient pas tant ce bout de « nature sauvage » qu’un certain alliage, une certaine composition tout à fait singulière de liens, d’êtres vivants, de magie. Vidalou J-B. Être forêts, 2017.

Photographies du projet pédagogique SES Milanes à Majorque. Crédits : Rozenn Quéré. Léraud I. L’école des bois, diffusé le 22/03/2017 sur France Culture.

APPRENDRE À LIRE LES SIGNES Nous ne comprenons pas, nous ne pouvons pas savoir, nous avons oublié, comment se comporte le monde vivant là-dehors. Nous ne savons plus déchiffrer les signes. Pour la plupart d’entre nous, les bruissantes forêts sont muettes. 2. Morizot B. Les Diplomates, 2016.

Pour retrouver un rapport relationnel et non dualiste au vivant, pour cohabiter, il faut réinventer une intelligence sensible, nourrie des savoirs des sciences et des puissances évocatrices des arts. 2

EXPÉRIENCE HORS NORMES À l’heure de l’omniprésence des normes, des règlements et des alinéas, le sauvage, absolument non aménagé, pourrait être le lieu d’un tourisme libre. Le touriste est alors pleinement responsable et conscient, comme il devrait toujours l’être en montagne. Cet engagement, dans, par et avec la nature, permet une attention sereine et une concentration3 propre à vivre une expérience hors normes. 3. Fleury C. et al. Le souci de la nature, 2017.


ENTRE VERNACULAIRE ET POLITIQUE, VALORISER LES RESSOURCES

ET DONNER DE LA VALEUR À CE QUI N’EN EST PAS.

AU-DELÀ DE LA RESSOURCE À Tende, les forêts ne sont pas économiquement intéressantes aujourd’hui. À Limone, le gain qu’elles pourraient apporter est ridicule face aux recettes liées au ski. AU-DELÀ DE LA PROTECTION À Tende, les pinèdes sont écologiquement pauvres. À Limone, les taillis de hêtres sont des écosystèmes fortement dégradés. Partout, les stades pionniers intéressent peu les naturalistes. Préservation et exploitation forment aujourd’hui les deux faces d’une même colonisation qui veut que ces montagnes et ces plateaux soient désenclavés et entrent dans l’ordre de marche de l’économie. (...) Tantôt mythe récréatif, tantôt gisement de bois. Dans les deux cas, une simple « ressource » à gérer.

Vidalou J-B. Être forêts, habiter des territoires en lutte, 2017.

EN PLEIN DANS LE POLITIQUE À Tende, les forêts coûtent à la commune tout ce qu’elle gagne avec la location des alpages.1 À Limone, l’enjeu n’est pas tant économique car la présence de la station de ski donne une autre échelle aux recettes de la ville. En revanche l’enjeu sociétal est bel et bien là : des deux côtés les forêts sont vues comme le témoin dérangeant de l’abandon. La dynamique des forêts est donc selon moi l’enjeu majeur du territoire du col. Un enjeu politique au sens de ceux qui gouvernent comme de la société habitante. 1. Tende a donné en gestion à l’ONF l’ensemble des parcelles publiques sous le régime forestier. Hors une taxe de 2€/ha a été ajoutée en 2012 à la recette des 12% des revenus de la forêt, pour contribuer aux frais de garderie de l’ONF. Pour la commune la plus vaste du département et au foncier très largement public, cela pèse dans le budget communal.

4. Et demain ? / Mais le sauvage...

121


QUELLE POSTURE POUR APPROCHER LE SAUVAGE ? euh... je suis tout seul...

eh, vous avez vu ce qui nous arrive dessus ?

1

LE CHOIX D’UN SITE DE PROJET. Après ce schéma directeur, s’est posée la question du choix d’un site plus restreint pour développer le projet dans les mois qui viennent. Surtout, comment aborder cette question du sauvage ? 1. Se placer au cœur du sauvage. Mais impossibilité d’y interpeller un quelconque public et absurdité d’aménager le sauvage. 2. Se placer près des villes et regarder les nouvelles attaches de l’urbain au sauvage qui descend vers les fonds de vallée. Mais implique de choisir entre Tende et Limone, entre France et Italie ou bien de faire face à une discontinuité spatiale.

2 es, s autr eh, le z ce qu’il de regar e en bas. ss se pa

3. Se placer sur les hauteurs de la frontière et regarder le sauvage qui monte vers elle. Profiter du passage touristique, lent, et de la proximité du passage routier, arrêté aux tunnels. D’une double visibilité : du tunnel vers les alpages et vers le sauvage qui monte; des alpages vers les deux vallées.

3


QUEL PAYSAGISTE POUR ACCOMPAGNER UN CHANGEMENT DE REGARD ? PAYSAGISTE

émergence assistée

GECT Tende-LimoneLa Brigue- Briga Alta

conçoit réalise anime

accompagner

maîtrise d’œuvre

vers lesauvag e

maîtrise d’ouvrage

demande

Mais je ne souhaite pas me borner à l’aménagement d’un site et de ses frontières. Le développement du projet implique certes le choix d’un lieu, mais également d’une démarche.

SUR LE TERRITOIRE DU COL

société civile et pouvoirs publics

EN THÉORIE

intérêt

LE CHOIX D’UNE DÉMARCHE.

projet d’espace

demande

maîtrises d’œuvre

Dans le cadre de ce travail de fin d’études, je souhaite explorer l’ensemble de la chaîne qui, sur un territoire donné, emmène de l’éveil d’un intérêt pour une question de paysage jusqu’au projet d’espace. Je souhaite toucher du doigt chaque moment auquel le paysagiste pourrait être amené à intervenir. incite, suggère

éleveurs et autres gestionnaires

créé les conditions favorables pour restructuration du bâti unité touristique de la route du sel aménagement des espaces publics du feu

transformation des pratiques sylvospastoralisme aux franges sensibiliser aux dynamiques du sauvage

4. Et demain ? / Le choix d’un site et d’une démarche de projet.

123




LE PROGRAMME D’UN TRAVAIL DE FIN D’ÉTUDES EN FORME DE SIMULATION.

1

SUSCITER L’INTÉRÊT PUBLIC VISÉ pouvoirs publics et société civile OBJET LIVRÉ le kit du réveil

quelle forme et quelle méthode de médiation ? dépliant ? boîte ? fausses cartes postales ? disséminées dans la ville ou bien s’adresser d’abord aux élus avant d’interpeller la société civile ?

une déambulation sur ses terres

après avoir interpellé, accompagner pour faire émerger des enjeux et des possibles sur la frontière. déambulation simulée (la raconter par la vidéo ? la BD ?)

2

PROPOSER POUR L’ÉMERGENCE DE LA MAÎTRISE D’OUVRAGE PUBLIC VISÉ pouvoirs publics et autres acteurs concernés OBJET LIVRÉ schéma d’acteurs pour se projeter

format papier ? un poster accompagné d’un livret avec un zoom pour chaque nouvelle unité et son fonctionnement embryonnaire ?

3

4a

DÉFINIR LES COMMANDES DE LA MAÎTRISE D’OUVRAGE PUBLIC VISÉ futures maîtrises d’œuvre.

4c

OBJET LIVRÉ quatre dossiers d’esquisses

programmes et esquisses pour quatre commandes liées entre elles.

0

250

500

1000 m

4. Et demain ? / Le site de projet choisi.

lle

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nt non co e g a im

N 127

4b 4d


4 4a

DESSINER LE PROJET D’ESPACE ET DE PRATIQUES EXPLORER LA VALORISATION PASTORALE ET SYLVOPASTORALE DE L’ESPACE FRONTIÈRE PUBLIC gestionnaires des grands espaces nouveaux acteurs de l’herbe et du bois région PACA propriétaire des forts OBJET plan de restructuration

de la restructuration des forts à visée agricole. de nouveaux lieux de transformation laitière et de vente.

livret des nouvelles pratiques

pour sensibiliser sur les valorisations possibles des ressources herbe et bois mariant les intérêts de la nouvelle société locale. pour ouvrir à la rencontre des deux : au sylvopastoralisme.

4b

AMÉNAGER LE PARCOURS DE CRÊTE PUBLIC réalisation destinée à l’ensemble des personnes fréquentant les alpages, de manière nomade ou sédentaire. OBJET plan d’aménagement jalonner le parcours, marquer les entrées vers le sauvage. inviter à la rencontre entre les différents usagers.

4c

APPRENDRE DU SAUVAGE PUBLIC professionnels du tourisme de plein air, écoles, colonies et simples citoyens. OBJET dessin d’ateliers spatialisées expérience dans le sauvage laissée totalement libre. accompagnement proposé à la lisière pour apprendre à lire les signes, à écouter, à se déplacer, à reconnaître, etc. « l’école de la lisière », qui s’appuie sur tel ou tel lieu singulier.

(maquette d’un) journal participatif

« Transmet ton regard » : pour compiler des regards et des expériences singulières au sein du sauvage, raconter le lien qui se retisse entre le territoire et ces forêts neuves. un regard donné (le mien pour cette maquette) et un vide à remplir pour transmettre sa propre expérience. plan des sites de l’école de la lisière et des entrées dans le sauvage.

4d

AMÉNAGER LES FEUX ROUGES DU TUNNEL PUBLIC réalisation destinée aux usagers de l’E74 OBJET plan d’aménagement temporaire

quel lieu pour l’attente ? quels points de départ pour sortir de sa voiture et s’engager dans le territoire du col ? amener les produits et les expériences des hauteurs jusqu’au tunnel : vente des produits transformés ? distribution du journal ? visibilité de ce qu’il se passe au-dessus.

4. Et demain ? / La forme du travail à venir.

127


Italie ou France, à l’ombre ou au soleil, relief doux ou fracturé, terres privées ou communales, les deux côtés du col de Tende sont face aux mêmes réalités : des habitants qui sont partis, quelques nouveaux qui arrivent ; des ressources qui, telles quelles, ne valent plus rien ; des terres (dé)laissées comme une invitation involontaire au retour du sauvage ; des conflits et des incompréhensions ; des absurdités dues à des fonctionnements nationaux lointains, trop éloignés des réalités d’un territoire changé ; des possibilités juridiques et administratives pour dépasser la fracture de 1947, pour se rêver au sein d’une Union Européenne.


Tout cela est visible depuis la ligne de crête. C’est là-haut, sur l’épaisseur de ce trait d’union, que je me placerai pour imaginer la vie d’un alpage à la frontière. C’est cet horizon que je voudrais modeler avec les vaches et le pas des touristes. C’est de là-haut que je pointerai du doigt les forêts qui montent et les landes qui s’étendent et inviterai habitants et passants, curieux, à franchir la lisière, à aller jouer sous les frondaisons. C’est pour cet espace que j’inviterai les administrations, les politiques, et les simples gens, à faire durer les poignées de main. C’est pour cohabiter.

Conclusion.

129


AUTOUR DES MOTS

n.m.

BESSAT Hubert et GERMI Claudette, Les noms du patrimoine alpin : atlas toponymique II, Savoie,Vallée d’Aoste,Dauphiné, ELLUG, 2004 RAMEAU Jean-Claude, MANSION Dominique et DUME Gérard, Flore forestière française : Montagnes, Tome 2, Institut pour le Développement Forestier, 1999. REY Alain dir. Dictionnaire culturel de la langue française, éd. Le Robert, 2015 Portail lexical du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, www.cnrtl.fr/definition/. Dictionnaire en ligne de l’Institut Treccani, treccani.it/vocabolario/.

AUTOUR DU PASSAGE BESSE Jean-Marc et al. John Brinckerhoff Jackson - Carnets du paysage N°30, coédition Actes Sud / École nationale supérieure du paysage, 2016. DRE PACA et Rhône-Alpes, Observatoire des trafics à travers les Alpes, 2006. [en ligne] JACKSON John Brinckerhoff, À la découverte du paysage vernaculaire, (1984), Actes Sud en coédition avec l’École nationale supérieure de paysage de Versailles, 2003. MAGNAGHI Alberto, Le projet local, éd. Mardaga, Liège, 2003 MARCARINI Albano, La ferrovia delle meraviglie Cuneo-Nizza-Ventimiglia, éd. Alzani, 2016.


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RESSOURCES FRÉQUEMMENT MOBILISÉES sites internets de : la Mission Opérationnelle Transfrontalière, www.espaces-transfrontaliers.org le GECT Marittime-Mercantour, marittimemercantour.eu le Parco Alpi Marittime, www.parcoalpimarittime.it le Parc national du Mercantour, www.mercantour.eu la région Piemonte, www.regione.piemonte.it la Communauté d’Agglomération de la Riviera Française, www.riviera-francaise.fr l’Office du Tourisme de Tende, www.tendemerveilles.com la Corporation de Muletiers de Tende, www.fetesainteloi.fr la LIFT S.p.A, www.riservabianca.it l’Association pour la Promotion du Pastoralisme dans les Alpes-Maritimes, www.appam06.fr l’Association des communes forestières et pastorales du 06, www.boisvivant.com l’Observatoire régional de la forêt méditerranéenne, www.ofme.org le Groupe d’Action Locale Gesso Vermenagna Pesio, www.galgvp.eu émissions en ligne de France Culture, www.franceculture.fr Google Maps, www.google.fr/maps/ Géoportail IGN, www.geoportail.gouv.fr Geoportale Piemonte, www.geoportale.piemonte.it/cms/

ICONOGRAPHIE Toutes les images sont de l’auteur, exceptées : Google Maps pour les fonds de cartes pages 12, 20, 22, 24, 26, 28, 29, 44-45, 46. Google Earth pour les photographies aériennes pages 63 et 126-127. Les données SRTM 38_04 pour le relief des blocs diagrammes et les courbes de niveaux pages 64, 72, 82, 114-115 et 126-127. Le Parc national du Mercantour pour les limites du bien UNESCO Alpes de la Méditerranée (éditée le octobre 2015) et le périmètre du PN du Mercantour. IGN pour la carte en niveaux de gris au 1/25000e de Tende page 49. Issue de www.geoportail.fr Base Cartografica di Riferimento Annuale 2017 raster b/n 1:10.000 pour la carte de Limone pages 49 et 72. Issue de www.geoportale. piemonte.it/cms/ L’ONF pour le périmètre des unités pastorales page 68. Issu de Office National des Forêts, Plan de gestion pastorale de la commune de Tende, 2002. La Carta Catastale tavB pour le périmètre des propriétés communales page 68. Issu de ForTeA studio associato, Piano forestale aziendale intercomunale dei comuni di Limone-Piemonte, Roaschia, Robilante, Roccavione e Vernante (2013-2022), 2013. La FDC 06 pour la photographie de la rhodoraie page 71. Issue de Chasse en Pays d’Azur n°55, 2015. LEONARDI Cesare pour les dessins d’arbres pages 98, 100, 102, 104. Issus de LEONARDI Cesare et STAGI Franca, L’architettura degli alberi, Ed. Gabriele Mazzotta, 1998. QUÉRÉ Rozenn pour les photographies du projet pédagogique SES Milanes, page 122. Bibliographie.

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tous ceux qui ont pris le temps de m’apporter leur regard Cati Caballo

Luca

Benjamin Croûte

Chicca Irene

aux copains et aux Copin

Giulia Ricky

Arnaud Lolita

lecteur

Clément



Ces pages portent un regard, qui émerge de dizaines d’autres. Je regarde de part et d’autre du col de Tende. Au Nord le Piémont italien, au Sud les Alpes-Maritimes françaises, en haut les alpages de la frontière pour basculer entre ces deux réalités. Là où la carte nous montre deux confins nationaux, j’ai voulu voir les deux versants d’une même montagne. Deux versants tellement différents dans leur géographie, dans leur économie, dans leur politique et même leur sociologie. Et pourtant deux versants faces aux mêmes réalités : l’enjeu d’une route politique traversant les Alpes, l’exode rural passé, les ressources des grands espaces de montagne qui n’ont plus de valeur et le retour du sauvage. C’est une approche transversale qui guide ce travail de fin d’études, cheminant dans le temps, dans l’espace et par les sociétés. Le tracé de cet itinéraire esquisse l’image d’une société locale potentielle, à l’échelle de ce morceau de massif. Là où cela a un sens, elle modelerait ses paysages domestiqués par un système sylvicole et pastoral cohérent. Ailleurs, elle tournerait les yeux vers le sauvage et s’engagerait vers une cohabitation.

COPIN Hélène helene.copin@outlook.fr École de la nature et du paysage 3 rue de la Chocolaterie CS 23410 41034 Blois cedex Tél. : +33 (0)2 54 78 37 00 www.ensnp.fr


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