France and Monaco
FRANCIS BACON France and Monaco 23rd June 2016 — £35.00 The first in-depth publication to uncover the long relationship Francis Bacon enjoyed with France, Monaco and French culture. Martin Harrison, the foremost expert on Bacon, brings a new light to a somewhat unexpected side of the artist’s life and work. It was in Paris in 1927, at an exhibition dedicated to Picasso, that Francis Bacon grasped his vocation as a painter. In 1946, he moved to Monaco on the French Riviera where he lived for four years, his time in the Principality marking a turning point in his art; with his “popes” series, he became a painter of the human figure. In Paris he befriended artists and intellectuals, such as Giacometti and Leiris, whilst the city would become the setting for the crystalisation of his reputation in 1971 with the retrospective at the Grand Palais. In 1975, Bacon would take a studio in the Marais district. This bilingual publication—co-published by Albin Michel and The Francis Bacon MB Art Foundation—tells of Bacon’s deep ties with France and Monaco, and has been overseen by Martin Harrison, author of Francis Bacon: Catalogue Raisonné.
—— Coincides with the major exhibition Francis Bacon, Monaco et la culture française at Grimaldi Forum, Monaco —— The first book to focus on Bacon’s love of and debt to French art and culture. —— Sumptuously illustrated with works by Bacon and artists including Courbet, Bonnard, Rodin, Picasso, Laurencin and Giacometti alongside candid photographs of Bacon and his peers. —— Includes a foreword by Majid Boustany, Founder Director of Francis Bacon MB Art Foundation, Monaco and further contributions by Dr Carol Jacobi (Tate curator of British Art 1850-1915), Eddy Batache, Catherine Howe, Dr Darren Ambrose, Dr Rebecca Daniels, Dr James Wishart and Dr Hugh Davies (UC San Diego Department of Visual Arts)
978-0-9568738-8-0 — 260 x 215 mm — Hardback w/ jacket — 240pp — 100 colour & b/w
8
Alberto Giacometti et Francis Bacon Ă la Tate Gallery, Londres, Juillet 1965. Photo Graham Keen
9
4. Self-Portrait, 1973
16
5. Self-Portrait, 1976
17
7. Gustave Courbet, Baigneuses, 1853. 227 x 193 cm. Musée Fabre, Montpellier © Musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole / photographie Frédéric Jaulmes
8. Study from the Human Body, 1949. 147.5 x 131 cm. National Gallery of Victoria, Melbourne
une certaine attitude, une intelligence radicale qu’il associe principalement aux Français et dont Marcel Duchamp est l’exemple même. Il considère cet artiste comme un « homme-antidote à tout ce qui est fatigué, mercenaire ou prétentieux dans l’École de Paris8 ». Degas, Monet, Van Gogh, Soutine, Seurat ou Picasso sont les artistes dont Bacon parle le plus ; certains autres peintres, que Bacon mentionne moins fréquemment, lui apprennent également beaucoup. Ainsi, Courbet, que Bacon considère comme « le premier maître [...] du nu intégral9 », est un exemple type de peintre qui, comme Bacon, ne perd jamais de vue la tradition, mais qui la filtre à travers sa sensibilité. Peu de nus de Courbet sont aussi « intégralement dénudés » que le personnage principal de Baigneuses, 1853 (7). Vue de derrière, cette femme monumentale s’avance lourdement vers le paysage et l’obscurité, le bras levé devant elle, comme si elle écartait un danger invisible. Le premier nu de Bacon qui nous soit parvenu, Study from the Human Body, 1949 (8), représente un personnage masculin, également vu de derrière et s’enfonçant dans le noir, la tête légèrement inclinée. Le nu de Courbet est tout en chair et en muscle, alors que
of a painter who, like Bacon, kept tradition firmly in his sights but filtered it through his own sensibility. Few of Courbet’s nudes are as ‘stark naked’ as the principle figure in Baigneuses, 1853 (7). Seen from behind, this monumental figure advances heavily towards the landscape and the darkness beyond, her arm held out in front of her as though warding off some unseen danger. Study from the Human Body, 1949, (8) Bacon’s first surviving painting of a nude, shows a male figure, also seen from behind, receding into the dark, his head slightly bent. Courbet’s nude is as meaty and muscular as Bacon’s is smoothly feminine, and at first glance they don’t appear to have much in common other than being viewed from behind. But this is precisely the point. Seen from the back, unaware of being observed, they appear more than naked, they appear defenceless. If Bacon had been thinking of an example of a ‘stark naked’ nude, Courbet’s Baigneuses, with its layers of opaque meanings and mood of uncertainty and unease, would be an obvious choice. Courbet is a painter not immediately associated with Bacon - and Bonnard even less so. He is nowhere mentioned in the interviews with David Sylvester, yet in the
46
celui de Bacon est doucement féminin ; à première vue, les deux œuvres ont peu de choses en commun, hormis cette vue de derrière. Cet élément est justement essentiel : vus par un spectateur invisible, plus que nus, les personnages semblent sans défense. Si Bacon cherchait un exemple de nu « intégral », les Baigneuses de Courbet, avec ses multiples niveaux de sens opaques et son atmosphère d’incertitude et de malaise, constituait un choix évident. Si Courbet est un peintre que l’on n’associe pas immédiatement à Bacon, c’est encore moins le cas de Bonnard. Il n’est mentionné à aucun moment des entretiens avec David Sylvester, et pourtant, dans des fragments d’autres conversations avec Bacon, publiés en 2000, Sylvester révèle que, « même si Bacon avouait une énorme admiration pour Soutine, il louait tant Bonnard que j’ai eu l’impression qu’il n’y avait aucun peintre du xxe siècle qu’il préférait ». Il poursuit : « Pourtant, son propre travail ne semble jamais visiblement influencé par Bonnard10. » Sylvester fait remonter ces conversations aux années 1950, et l’on peut entrevoir des fragments de la technique de Bonnard dans la manière dont Bacon utilise la peinture à cette époque : par exemple, la transparence des rideaux dans Study from the Human Body, ou encore les blancs maculés et flous de ses chairs. Il est évident que l’utilisation de la couleur par Bonnard et sa manière de manipuler la peinture enthousiasmaient Bacon : le tissu aux rayures vives de Painting, 1950 [16] rappelle l’incontournable robe à rayures rouges que Marthe Bonnard porte sur de nombreux tableaux qui la représentent. Cet engouement de Bacon n’avait rien d’une passade : le critique d’art Giles Auty se souvient d’une discussion avec Bacon en 1959, « au cours d’une longue après-midi ensoleillée à Saint Ives […] principalement à propos de Bonnard11 » et, en février 1960, Cecil Beaton, qui posait pour Bacon, le voit sortir « d’un tas de détritus à même le sol », une reproduction couleur d’un Bonnard qu’il avait découpé dans Paris Match et collé à un morceau de carton12. D’autres tableaux, restés à l’état d’essais, comme Walking Figure, 1959-196013 (9), suggèrent que Bacon a brièvement emprunté à Bonnard le motif d’un personnage de profil, qui entre par un côté de la toile, procédé à l’origine emprunté à Degas. Pour Bacon, les plus grandes œuvres de Degas sont celles dans lesquelles il utilise une baignoire en zinc ou une chaise de bois comme armature pour faire exister ses
9. Walking Figure, 1960. 198 x 142 cm. Dallas Museum of Art, Texas
fragments of other conversations with Bacon published in 2000, Sylvester reveals the following Even though Bacon ‘constantly expressed enormous admiration for Soutine’, Sylvester writes, ‘he praised Bonnard in such a way that I had the impression there was no other twentieth-century painter he preferred’. And he goes on to say: ‘Nevertheless his own work never seems visibly influenced by Bonnard.’ 10 Those conversations, we are told, took place in the 1950s and echoes of Bonnard’s technique can be glimpsed in Bacon’s use of paint around that period: the transparency of the curtains in Study from the Human Body, for instance, or the smudged, blurred whites of the flesh. Bonnard’s use of colour and the way he manipulated paint obviously excited Bacon: the brightly striped material in the background of Painting, 1950, [16] recalls the familiar red-striped dress worn in the many paintings of Marthe Bonnard. It was no passing enthusiasm. The critic Giles Auty remembered talking with Bacon in St Ives in 1959, ‘during a
47
personnages dans l’espace. Bonnard, qui s’est fait l’héritier des personnages nus de Degas en train de se laver ou de se sécher, va plus loin, au point que la salle de bain carrelée moderne et la grande baignoire d’émail ne sont plus des cadres, mais deviennent l’espace qui contient et encadre le personnage. Bacon connaît sans doute Baignoire, 1925, un tableau présenté à la Tate Gallery en 1930. C’est le premier tableau dans lequel Bonnard a peint un nu complètement allongé dans sa baignoire, rigide et immobile, comme un corps prêt pour un enterrement. Le fait que l’on puisse considérer l’image comme une sorte de In Memoriam n’a sans doute pas échappé à Bacon, particulièrement parce que les membres du personnage ont la raideur hiératique d’une silhouette égyptienne. Bacon partage l’amour de Bonnard pour la sculpture égyptienne14, et il aurait reconnu en la dépiction du nu dans la baignoire une « sculpture égyptienne à l’horizontale15 ». Expliquant qu’il ne souhaite pas faire le portrait du poète beat américain Allen Ginsberg à cause de ses cheveux et de sa barbe hirsutes, Bacon ajoute : « tout ce qui a trait à l’art égyptien m’intéresse non seulement pour l’extraordinaire qualité de réalisation, mais aussi parce que j’aime les cheveux courts16». Lorsqu’il peint une tête, il aime voir « les détails du crâne ». Bonnard, lui aussi, préfère que la rotondité solide de la tête soit dégagée de toute chevelure. Comme si les magnifiques ornements de la peinture devaient être contenus par la sévérité du marbre et du bronze. Il y a par exemple tout lieu de penser que Bonnard a peint son Nu gris de profil, 1936 (10) à partir de L’Âge d’airain, 1875-77 de Rodin (11) 17, dont Bacon reprend la pose dans son Painting, 1950 [16]. Il est moins certain que Bacon ait également pensé à la sculpture de Rodin, mais il la connaît sûrement (une photographie de face illustre la première de couverture du livre de Jean Charbonneaux, Les Sculptures de Rodin, Paris, Fernand Hazan, 1949, couverture retrouvée parmi les ouvrages laissés par Bacon dans son atelier). En outre, son oncle, Sir Cecil Harcourt-Smith est le directeur du Victoria and Albert Museum de Londres au moment où Rodin fait don de dix-huit de ses sculptures (y compris un moulage de L’Âge d’airain) à l’institution en 1914 ; comme l’a fait remarquer Martin Harrison, « Rodin est particulièrement important pour Bacon, dans les années 195018 ». Cependant, l’influence de Bonnard sur Bacon est plus grande encore. C’est un peintre qui observe autant qu’il regarde. On reconnaît cela
48
10. Pierre Bonnard, Nu gris de profil, 1936. 114 x 61 cm Albertina, Vienna © Albertina, Vienna / Collection Batliner / ADAGP, Paris, 2016
long, sunlit afternoon, largely on the subject of Bonnard’,11 and in February 1960 Cecil Beaton, while sitting for Bacon, watched him extract ‘from a pile of rubbish on the floor’ a colour reproduction of a Bonnard he had cut out of Paris Match and stuck on to a piece of cardboard.12 Other, rather tentative paintings, such as Walking Figure, 1959-60,13 (9), suggest that Bacon briefly borrowed Bonnard’s device of a figure in profile entering from one side of the canvas, itself a device borrowed from Degas. The greatest works
11. Rodin, L’Âge d’airain, 1875-77 (couverture du livre Les Sculptures de Rodin de Jean Charbonneaux, 1951). Une copie de ce livre a été retrouvée dans l’atelier de Bacon
également chez Bacon, principalement dans ses triptyques des années 1960, dans lesquels des personnages secondaires témoignent de part et d’autre de l’événement central. L’observation fait naître le malaise. C’est précisément cette observation prolongée de Bonnard qui donne à ses thèmes domestiques leur côté légèrement perturbant. On en est réduit à faire des suppositions sur ce que Bacon connaît de la vie privée de Bonnard, mais, tout comme Bonnard s’occupe de sa compagne Marthe (qui devient ensuite sa femme) en « la craignant, en la supportant et en l’aimant », comme l’écrit l’un de ses amis, la vie de Bacon est parfois troublée par des inquiétudes similaires. Il confie ainsi à John Russell : « l’une des choses les plus terribles avec le soidisant amour – certainement pour l’artiste, en tout cas –, c’est la destruction19 ». À plusieurs reprises, les deux peintres
by Degas, so Bacon thought, were those in which he used the zinc tub or wooden chair as an armature to fix his figures in space. Bonnard, who had made himself heir to Degas’s images of the nude washing or drying herself, had taken this further, even to the point where the modern tiled bathroom and large enamel bath no longer act as armatures but become the space that both contains and frames the figure. Bacon would have known Baignoire, 1925, a painting presented to the Tate Gallery in 1930. This was the work in which Bonnard first realised the image of the nude lying full length in the bath, her body rigid and motionless as though laid out for burial. That the image could be seen as a sort of In Memoriam would not have been lost on Bacon, especially as the nude has the rigidly straight limbs of an Egyptian figure. Not only did Bacon share Bonnard’s love of Egyptian sculpture,14 but he saw in those ancient figures the ‘attempt to defeat death’.15 Speaking about his reluctance to do a portrait of the American Beat poet Allen Ginsberg because of his hair and heavy beard, Bacon went on to say, ‘I’m interested in Egyptian things not only for their extraordinary quality but I like their short hair’.16 When painting a head he liked to see ‘the actual skull’. Bonnard, too, prefers the solid roundness of the head to be visible. It is as though the gorgeous trappings of painting needed to be reined in by the severity of marble and bronze. There is, for example, a strong case for supposing Bonnard modelled his Nu gris de profile, 1936 (10) on Rodin’s L’Âge d’airain, 1875-77, (11),17 a pose that is echoed in Bacon’s Painting, 1950 [16]. Whether Bacon was also thinking of Rodin’s sculpture is less certain but he certainly knew it (a front view of it is illustrated on the front cover of Jean Charbonneaux’s book, Les Sculptures de Rodin, Paris: Fernand Hazan, 1949. The cover was found amongst the material left in Bacon’s studio). Furthermore, his uncle, Sir Cecil Harcourt-Smith, was Director of the Victoria and Albert Museum, London, at the time of Rodin’s gift of eighteen of his sculptures (including a cast of L’Âged’airain) to the Museum in 1914, and as Martin Harrison has pointed out, ‘Rodin was particularly important for Bacon in the 1950s.’18 Bonnard, however, mattered to Bacon in a broader sense. He is a painter who watches as much as he looks. And so it is with Bacon, particularly in his triptychs of the 1960s in which attendant figures bear witness either side of the central event. With watchfulness comes unease. Bonnard’s
49
13. Carte postale du Casino de Monte-Carlo, datant des années 1970. Francis Bacon MB Art Foundation. MB Art Collection
Adulte, il joue régulièrement, et il est sans doute prêt à tout risquer. En 1945, Bacon est révélé au grand public grâce à l’exposition de son tableau révolutionnaire, Three Studies for Figures at the Base of a Crucifixion, 1944 (Tate). L’année suivante, il vend l’une de ses œuvres préférées, Painting 1946 (MoMA, New York) (3) à la Hanover Gallery, pour 200 livres sterling. Au lieu d’utiliser cet argent pour consolider son succès naissant en Angleterre, il emménage à Monte-Carlo pour jouer et peindre4. Cette décision téméraire est peut-être motivée par le besoin de s’offrir une période de travail et de jeu intense pour découvrir dans quelle direction orienter ensuite son art. C’est effectivement pendant cette période qu’il peint son premier pape, ‘Landscape with Pope/Dictator’, vers 1946 (4)5. Quelques lettres entre Bacon et deux de ses mécènes, Colin Anderson et Robert Sainsbury, nous sont parvenues ; on y découvre la place que prend le jeu dans la vie de Bacon. Il demande à chacun une avance, après avoir sans doute perdu beaucoup d’argent au jeu6. Dans une lettre envoyée à Anderson le 5 février 1951, Bacon se dit « dans un état désespéré » et demande s’il peut lui prêter 400 livres, car « on m’intente un procès et on me met en faillite, ce qui provoque de terribles complications7 ». Même si Anderson accepte de régler les dettes de Bacon, il n’est pas dupe lorsque celui-ci insiste pour expliquer sa situation par le coût
80
get times validated before a race started.3 By adulthood, Bacon was a habitual gambler who was certainly prepared to risk everything. In 1945 Bacon was thrust into the public eye with the exhibition of his groundbreaking Three Studies for Figures at the Base of a Crucifixion, 1944, (Tate), and in the following year he sold one his favourite works, Painting 1946, (MoMA, New York)(3) to the Hanover Gallery for £200. Rather than use this money to build on his burgeoning success in England, he took the proceeds and moved to Monte Carlo to gamble and paint.4 This risky decision may have been motivated by the need to indulge in an intense period of painting and gambling in order to explore which direction his art would take next. Significantly, the subject to emerge from this was his first pope, ‘Landscape with Pope/ Dictator’, c. 1946 (4).5 Letters that have survived between Bacon and two of his patrons, Colin Anderson and Robert Sainsbury, show the extent of Bacon’s gambling. Bacon pleads with them both for money after sustaining what must have been heavy gambling losses.6 In a letter to Anderson of 5 February 1951, Bacon was in ‘a desperate state’ and asks if Anderson could lend him £400 as ‘I am being sued and made bankrupt which starts the most awful complications’.7 While Anderson agreed to pay all Bacon’s debts, he was not fooled by Bacon’s insistence that the high cost of art
14. Roulette utilisée par Bacon et ses amis Denis Wirth Miller et Richard Chopping à Wivenhoe.
Francis Bacon MB Art Foundation. MB Art Collection
faramineux des fournitures d’art. En effet, Bacon répond à Anderson le 14 février 1951 en faisant référence à une lettre perdue : « Merci beaucoup pour votre lettre. Je comprends bien que vous ne souhaitiez pas encourager le jeu8. » Tandis que certaines de ces lettres sont écrites depuis Monte-Carlo, d’autres sont envoyées depuis Londres, où Bacon aurait organisé une maison de jeux « chic » mais illégale dans son atelier de Cromwell Place9. On a retrouvé une roulette dans son atelier de Wivenhoe ; elle est désormais exposée à la Francis Bacon MB Art Foundation à Monaco (14). Il est clair que le jeu occupe beaucoup l’esprit de Bacon, comme le montrent ses lettres à Sylvester. En 1954, il lui écrit : « J’espère que vous allez bien, et que la chance vous sourit au jeu10. » L’année suivante, il écrit de Cannes : « comme je n’ai pas eu beaucoup d’argent, j’ai fait des trente-et-quarante, et j’ai pu me remplumer un peu. Si je peux augmenter encore un peu mes gains, je me mettrai à la roulette. J’aimerais que vous soyez ici11. » En 1963, depuis Monaco, Bacon explique : « j’ai eu un peu de chance, je pars dimanche pour Paris12. » Entre 1948 et 1950, l’artiste gagne 1 600 livres – somme alors astronomique –, qu’il dépense entièrement pour louer une villa à Monte-Carlo et acheter de la nourriture et du champagne pour ses amis, qu’il encourage à venir le voir13. Dans ce passage de Memoirs of a Mug, Sylvester essaie d’analyser son attitude bohème face à la vie et à l’argent14 :
materials were to blame. Referring to the contents of a lost letter, Bacon replied to Anderson on 14 February 1951: ‘Thank you so much for your letter of course quite naturally you do not want to encourage the gambling’.8 While some of these letters are written from Monte Carlo, others were sent from London where Bacon was said to have run a ‘glamorous’, but illegal, gambling establishment at his studio in Cromwell Place.9 A roulette wheel that Bacon used survived in his Wivenhoe studio and is now in the Francis Bacon MB Art Foundation in Monaco (14). Gambling clearly preoccupied Bacon, as his letters to Sylvester testify; in 1954 Bacon asks, ‘I do hope you are well and that the gambling has been going well’.10 The following year he writes from Cannes saying ‘as I have not had too much money I have been playing trente-quarante and have so far made a bit. If I can make a bit more I will try roulette – I wish you were down here’.11 And in 1963, from Monaco, Bacon reveals ‘having a bit of luck leaving Sunday for Paris’.12 Some time between 1948 and 1950, Bacon won the then astronomical sum of £1600 and spent all the money renting a villa in Monte Carlo and splashing out on food and champagne for his friends, whom he encouraged to come and stay with him.13 In the following passage from Memoirs of a Mug, Sylvester tries to capture this Bohemian attitude to life and money14: 'Among the people I went around with at the time, it was a point of honour
81
46. Study from Portrait of Pope Innocent X, 1965
92
47. Amédée Ternante-Lemaire, Portrait du pape Innocent X (après Vélasquez), 1846.
Ternante-Lemaire jouissait d’une telle réputation en tant que copiste que cela a éclipsé ses œuvres personnelles. Cette copie du remarquable Portrait du pape Innocent X de Vélasquez a été commandée par Louis-Philippe pour les Galeries du Château de Versailles. Il est intéressant de comparer cette image mimétique, impressionnante d’exactitude, aux variations sur le même théme, série que Bacon a initié à Monaco en 1946 – exactement cent ans après la copie d’Amédée Ternante-Lemaire. Malgré l’admiration qu’il vouait au portrait de Vélasquez, Bacon l’a utilisé comme point de départ uniquement : il l’a déconstruit et chargé d’une énergie nouvelle, de sorte qu’aujourd’hui, inversion de l’histoire, il est difficile de penser à cette toile de Vélasquez sans passer par Bacon.
Ternante-Lemaire’s original works have always been overshadowed by his recognition as a faithful copyist. This copy of Velázquez’s great portrait was commissioned by Louis-Philippe for the halls at Versailles. As an impressively accurate, mimetic image, it is interesting to compare it with Bacon’s variations on the same theme, which he began to paint in Monaco in 1946 – exactly one hundred years after Ternante-Lemaire’s copy. Despite his admiration for Velázquez’s portrait, Bacon used it as a departure point: he deconstructed and reinvigorated it, so that today, in an historical reversal, it is difficult to think of Velázquez except through Bacon.
93
24. Alberto Giacometti dans son atelier à Paris, en 1953. Photo by Ernst Scheidegger © 2016 Stiftung Ernst Scheidegger-Archiv, Zurich.
de Bacon à la Hanover Gallery, qui analysent les tableaux en termes existentialistes, ainsi que dans la philosophie que le peintre exprime par la suite : « Nous venons de rien pour aller à rien19. » Le concept du musicien, du poète ou de l’artiste « maudit » est repris du xixe siècle, comme icône de la lutte existentielle, et l’atelier miteux devient son emblème. Van Gogh est cité en exemple, et une grande rétrospective de son travail est organisée, en 1947, au musée de l’Orangerie20. L’acteur Antonin Artaud, détenu dans un hôpital psychiatrique pendant presque toute l’Occupation, organise une exposition de ses dessins, qu’il intitule Van Gogh, Le Suicidé de la société. Sa publication dans Horizon l’année suivante coïncide avec la mort d’Artaud21. Lors de sa première visite à Paris, Bacon voit Artaud dans le
120
In 1951 Bacon gave up Cromwell Gardens to paint in rented or borrowed rooms.25 When Sam Hunter interviewed him in 1950, he described his work space in unpretentious terms: ‘a modern laboratory’ stacked with canvases and littered with materials and the cuttings that had become part of his source material.26 Cecil Beaton took photographs of the studio in 1959, including smeared walls and curtains used as a palette and paint rags. Hunter’s article stressed Bacon’s rigorous discipline of trial and error and destruction of work. Like Giacometti, Bacon maintained this practice and persona after achieving artistic and financial success, living and working in a small maisonette, 7 Reece Mews, from 1961 until his death. Film and photographs of the modest, messy rooms rivalled images of Giacometti’s studio, and the space and contents
25. Planches extraites du catalogue « Isabel Lambert », Marlborough Fine Art, London, Mars 1968
rôle de Marat dans le film muet d’Abel Gance, Napoléon22. Cependant, c’est Giacometti qui incarne ce modèle, à travers le célèbre essai de Sartre paru dans le catalogue de son exposition new-yorkaise, « La Recherche de l’Absolu »23. Des photographies de l’atelier de l’artiste, prises par Patricia Matisse, illustrent le texte, et son exemple inspire de nombreux autres photographes, notamment Ernst Scheidegger, qui réalise des clichés pour l’essai de Jean Genet, « L’atelier d’Alberto Giacometti », 1958 (24).24 En 1951, Bacon abandonne son atelier de Cromwell Gardens pour peindre dans des pièces louées ou empruntées25. Lorsque Sam Hunter l’interviewe, en 1950, il décrit son espace de travail en termes modestes : « un laboratoire moderne », où s’entassent les toiles, les matériaux et les coupures de presse qui lui servent de sources26. Cecil
are now painstakingly preserved at Dublin City Gallery The Hugh Lane. 27 Art brut The mainstream art in Britain represented by artists such as Sutherland and Henry Moore, championed a ‘new-Romantic’ vision of nature that was celebrated as distinctively English.28 Bacon’s trip to Paris in 1946 prompted a letter to Sutherland rejecting the British art represented by the UNESCO show, including their own works, as a ‘terrible decoration we are all contaminated by.’29 By 1948, Pulham was telling Paolozzi that Bacon was the only important artist working in London and when Paolozzi returned to London himself in 1949 it appeared
121
question sans me douter que Francis ne nous perdait pas des yeux. Il revint aussitôt vers nous : « J’ai vu ce que tu indiquais, Eddy. Tu as raison. C’est bien là qu’il manque quelque chose. Je sais maintenant exactement ce qu’il faut faire. » Il enfila rapidement ses gants, et de toutes ses forces, il lança une boulette de peinture blanche, qui atterrit, par chance, à l’endroit voulu. Ensuite, ce fut l’affaire de quelques minutes au cours desquelles il étala la peinture sur la toile. L’œuvre était achevée. Il n’y avait plus rien à ajouter. Nous n’en étions pas moins ébranlés à l’idée du risque qu’il avait pris, et dont nous nous sentions vaguement responsables. Cela dit, il pouvait aussi se moquer des avis et des critiques, s’il était convaincu d’avoir raison. Devant une de ces toiles sur lesquelles il avait pris l’habitude d’ajouter des flèches rouges, dont la signification était loin d’être évidente et que je trouvais répétitives, je m’étais permis, un jour, de lui demander pourquoi il s’obstinait à le faire. « Parce que j’ai besoin d’une tache rouge à cet endroit. – Mais pourquoi des flèches ? – Que veux-tu que j’y mette ? Des coquelicots ? » Il disposait d’une connaissance vertigineuse de l’âme humaine, de par sa propre expérience, ses lectures et l’immense culture qui était la sienne. Curieux de tout, il n’en avait pas moins ses préférences. Avec la peinture et la sculpture, c’était la poésie qui l’attirait le plus et lui a inspiré nombre de ses toiles. Yeats, Eliot, Shakespeare, bien sûr, mais aussi Eschyle et Baudelaire. Bien mieux qu’un roman, la poésie satisfaisait sa soif de transmutations. S’il reconnaissait volontiers que nul n’a été plus loin dans l’étude des problèmes humains que Proust, il n’en affirmait pas moins que la vie de n’importe qui l’intéressait bien davantage que le roman le mieux construit. Ce mépris de la fiction procédait de son horreur de l’anecdotique, de la peinture qui raconte des histoires et de l’illusionnisme qui cherche à faire vrai. C’est pourquoi sa peinture rejette délibérément l’anecdote, et si l’on aperçoit une croix gammée sur un brassard, une cocarde tricolore ou une seringue plantée dans un bras, une caméra dans un coin du tableau ou un crucifié, la tête en bas, il faut bien se garder d’y voir une allusion ou un message politico-social quelconque ; car dans cet univers qui a ses lois, les objets n’ont pas l’identité que nous aurions tendance à leur
200
‘It’s finished; but I’m not happy with it. I have a feeling there’s something missing but I don’t know what.’ Having said that, Francis left us in front of the canvas and went to answer the telephone. I pointed out part of the picture to Reinhard where an empty space seemed to be calling for something; but what? When I indicated it, I did not realise that Francis had not taken his eyes off us while he was on the phone. He was back very soon: ‘I saw what you were pointing at Eddy. You’re right. That’s exactly where something needs to be done. I know just what to do.’ He quickly pulled on his gloves and with all his strength, hurled a pellet of white paint at the canvas, which stuck by chance in the desired area. After that, it only took him a few minutes to blend the paint into the canvas. The work was finished. There was nothing more to do. We were nevertheless shaken at the risk he had taken, for which we felt vaguely responsible. He could also be scornful of opinions and criticisms if he was convinced he was right. At one point he developed the habit of adding red arrows to his paintings. As their significance was far from evident and I found them repetitive, I one day allowed myself to ask why he persisted in doing it. ‘Because I need a patch of red there.’ ‘But why arrows?’ ‘What would you like me to put there? Poppies?’ He had a breathtaking knowledge of the human soul, through his own experience, his reading and the vast culture he possessed. He was inquisitive about everything, but definitely had his preferences. Together with painting and sculpture, it was poetry that attracted him most and inspired many of his canvases. Yeats, Eliot and Shakespeare certainly, but also Aeschylus and Baudelaire. Poetry satisfied his thirst for transmutation better than any novel could. While he willingly acknowledged that nobody had gone further in the study of human issues than Proust, he nevertheless asserted that anyone’s life interested him much more than the best constructed novel. This disdain for fiction arose from his horror of the anecdotic, of painting that tells stories and illusionism that strives to create truth. That is why his painting deliberately rejects trivial details, and if one catches sight of a swastika on an armband, a red, white and blue cockade or a syringe stuck in an arm, a camera in a corner of the picture or a crucified figure head down, it is important to refrain from seeing any allusion or socio-political message in them;
41. Francis Bacon, Monaco, 1981. Photo Eddy Batache
attribuer. La construction de l’image n’a que faire de la politique ou des problèmes sociaux ; elle ne se réfère à aucune autre vérité que la sienne, et la peinture n’a pas à se faire le porte-parole de ceci ou de cela : elle vit de ses propres lois et ne peut que mourir si elle est astreinte à des contraintes étrangères. La fonction de peindre revenait donc pour lui à créer des images vivantes. Que signifie cet adjectif dans un tel contexte ? Et sur quel critère se fonder pour savoir si l’œuvre est un échec ? Ça marche, ou ça ne marche pas, vous répondra-t-il. Mais encore ? Et comment échapper à la subjectivité d’un tel critère ? Il fut un temps où la qualité d’une toile était jugée d’après son degré de réalisme, son expressivité, son élégance, l’harmonie de ses couleurs ou la complexité de sa composition. Les surréalistes recherchaient dans l’art le moyen d’explorer les méandres du subconscient et de parvenir ainsi à des prémonitions,
because in the world that has its own laws, objects do not have the identity we would tend to attribute to them. The construction of the image has nothing to do with politics or social issues; it does not refer to any other truth than its own, and the painting is not conveying anyone else’s message: it lives by its own laws and can only die if it is compelled to comply with extraneous constraints. For him, the function of painting related to creating living images. What does the adjective “living” mean in this context? And what criterion should be used as a basis for assessing whether or not the work is a failure? It works or it doesn’t work, he would answer. Is that all? And how to escape the subjectivity of such a criterion? There was a time when the quality of a canvas was judged according to its degree of realism, its expressiveness, its elegance, the harmony of its colours or the complexity of its composition. The Surrealists sought in art the means to
201
Bacon Exhibitions 2016–17 Francis Bacon, Monaco et la culture française, curated by Martin Harrison, runs at Grimaldi Forum, Monaco from 2 July 2016 until 4 September 2016. Harrison will also curate a sister exhibition, Francis Bacon: From Picasso to Velázquez, which runs at Guggenheim Museum, Bilbao from 30 September 2016 until 8 January 2017. A further major exhibition on Bacon is scheduled for 2016–17. Francis Bacon: Invisible Rooms runs from 18 May until 18 September 2016 at Tate Liverpool, and from 7 October 2016 until 8 January 2017 at Staatsgalerie, Stuttgart.