AU REVOIR JEAN FERRAT

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ILS QUITTENT UN A UN LEUR PAYS POUR ALLER GAGNER « LEUR PARADIS »

AU REVOIR JEAN FERRAT

par Hervé Meillon (photos RVM)

Ferrat est un révolté de la cause du peuple. Il fait partie des communistes à l’idéologie ouvrière. Pas besoin de carte pour avoir des idées. Comme pour beaucoup d’autres, le pouvoir a souvent empêché la diffusion à la radio de ses chansons trop engagées. J’avais 17 ans, quand je l’ai rencontré la première fois. Avec la folle envie d’échanger trois mots avec celui qui représentait l’espoir du monde ouvrier à moitié communiste d’où étaient issus mes parents. En compagnie d’ un pote, tous les deux en mobylette, on a gravi les vallons ardéchois pour nous rendre jusqu’à Antraigues, pour pouvoir croiser le regard de celui qui ne quittera jamais cette montagne. Arrivés sur la place du village, nos yeux éberlués d’adolescents idéalistes le surprirent en train de jouer aux boules sur la place du village. On lui a serré la main, fixé ses yeux et sommes repartis comme nous étions venus, en étant heureux. Pour nous la montagne était belle, nous étions comme deux enfants au soleil. On avait aperçu un homme de combat qui vivait à l’envers du show-biz dans un idéal qui nous faisait imaginer un monde meilleur. En repartant on a chanté à tue tête que « c’est beau la vie ». Je suis sûr que les cigales s’en souviennent encore! Plus tard, par chance, mon métier m’a permis de lui parler plus longuement et de le voir plus souvent. Il a 62 ans lorsque les lignes que vous allez lire ont été enregistrées. H M.

« JE RESPECTE LES GENS QUI PREFERENT MES CHANSONS A MES COUPS DE GUEULE » Vous supportez bien de vieillir ? « Ben oui, tant que je suis en bonne santé, ça va. Mais j’espère ne pas avoir trop de problèmes dans les années qui vont venir. »

Votre nom c’est Tennebaum . Vous avez choisi le nom de Ferrat un peu au pif ? « Je ne savais pas comment trouver un nom. A la société des auteurs, on me disait que plus tu as un nom court et plus tu es gros sur les affiches. Tennebaum était un nom compliqué. J’ai cherché dans l’annuaire des communes, sur les cartes et un beau jour j’ai trouvé Saint Jean Cap Ferrat. Il y avait Jean et j’ai enlevé Cap et c’est devenu Jean Ferrat. »


Si vous étiez tombé sur beaujolais, cela allait moins le faire ? « Quoi que j’aime bien le beaujolais. Et mon pêché mignon est de bien manger. C’est plutôt ma femme qui fait à manger mais j’ai quelques spécialités qui font le délice de ceux qui passent à la maison. »

Vous mettez toujours beaucoup de temps à écrire, du mal à vous régénérer ? « Je ne suis pas un acharné du travail et donc je mets du temps à écrire. Si je voulais avoir une production plus régulière il faudrait que je me fixe des limites et ce n’est pas trop ma façon de voir les choses. J’ai plutôt tendance à me laisser aller. »

Pourtant en général soit vous faites la musique soit les paroles ? « Je crois que j’ai écrit deux albums où j’ai tout fait. J’ai chanté des paroles d’un belge, Guy Thomas, qui est mon ami. Il m’a écrit « La leçon buissonnière », « C’est le bruit des bottes », « Je ne suis qu’un cri ».

Vous êtes dans la jungle ou dans le zoo ? « Je suis dans la jungle. Le zoo a tendance à disparaître, dieu merci, mais la jungle moins. »

Etes-vous émerveillé par la fidélité des gens qui vous aime ? « Tout à fait émerveillé. C’est un grand sujet d’étonnement pour moi. Mon public a une faculté de compréhension en ce qui me concerne qui me touche profondément parce que c’est un cas unique. Je vis la vie que je veux et que j’ai envie de mener. On dirait que bien que mon public aimerait que je me manifeste plus souvent, et il ne m’en tient pas rigueur de mes absences. C’est un cadeau merveilleux pour moi. »

Qu’attendez-vous de quelqu’un qui vous aime ? « C’est une belle question ! Outre l’amour, de la compréhension, envers ce que je suis, ce que je fais, ce que je pense. »

Cette retraite en Ardèche, c’est joli ! Mais comment occupez-vous vos journées ? « Si j’avais été dans un appartement à Paris sans boulot, certainement que je m’ennuierais, j’aurais envie d’activités diverses. Mais ici, je vis dans une maison isolée au milieu de la nature, j’ai des terrains, j’ai des animaux. Tout cela m’occupe terriblement, j’ai le torrent pour pêcher des truites, j’ai de la place pour jouer aux boules avec les copains, on fait des bouffes. On rigole. Je reçois des centaines, des milliers de lettres par an et je prends le temps d’y répondre ».

Pas du tout ermite alors ? « Mais pas du tout. Il y a des tas de gens qui viennent. Souvent l’été, je suis sur la place du village, sur l’agora, c’est là que la vie se passe. Ca m’amuse et ça m’intéresse. Et oui, je joue à la pétanque. Je ne suis pas du tout terré dans mon coin en ne voulant voir personne. Et puis j’ai aussi été maire-adjoint durant 12 ans. Douze ans et c’est tout, car ça suffit et qu’il faut laisser la place aux nouveaux. »

Etes-vous encore capable de descendre dans la rue pour manifester ? « Ah oui, contre le péril de l’extrême droite, contre le racisme, contre tout ce qui va à l’encontre de l’homme et de sa dignité. »

Est-ce qu’un artiste doit prendre position politiquement ? « Pourquoi on n’ouvrirait pas notre gueule ? On n’oblige personne à être d’accord avec nous. Je respecte les gens qui préfèrent mes chansons à mes coups de gueule. Je reconnais que le public a tous les droits. Nous sommes des hommes donc des citoyens, et on peut exprimer quelque chose. Chaque artiste agit en fonction de sa nature, de ses besoins. Ce sont mes chansons qui dénoncent le plus et automatiquement dans les interviews je dois m’expliquer, donc m’engager. Je ne suis pas qu’un mangeur de tomme de chèvre. »

Faut-il être mort pour être reconnu ? « Pour être célèbre, oui. Pour être connu pas toujours. Mais moi, je m’attache aux inconnus. Dans le domaine de la chanson ou dans d’autres arts j’ai connu des gens qui ont été laissés pour compte et qui n’ont jamais pu se réaliser comme ils le souhaitaient. Lorsque je chante Van Gogh, c’est à eux que je pense. »

Peut-être que vous aussi, avez étouffé la carrière de jeunes qui avaient la même plume, le même talent que vous et qui ne se sont pas réalisés parce que vous existiez avant eux. « Je ne crois pas. Je n’ai pas l’impression. Dans ce domaine, à part si on a exactement la même voix, dans le domaine de l’écriture, dans le domaine de la création, je pense que tout est possible et que chacun a sa chance. Une des tares de ce monde moderne c’est qu’on veut que tout de suite les gens soient au top pour rapporter un maximum d’argent en un minimum de temps. On ne joue plus des carrières, on joue des coups et c’est au détriment des artistes. L’argent avant tout. »


Si vous aviez trente ans maintenant est-ce que vous auriez pu vous faire connaître de la même façon ? « J’aurais eu beaucoup de mal en tous cas. Si mes textes ont du succès c’est parce qu’on sait qui je suis, parce que j’ai une certaine popularité et on n’agit pas envers moi comme on agirait avec quelqu’un de moins connu. Hélas je connais beaucoup de gens qui écrivent des chansons d’expression et qui ne pourront jamais passer dans un prime à la télé. »

Vous avez un regard très critique sur la télé ! « J’étais contre la privatisation des chaînes de télévision. La télévision est devenue un outil à faire de l’argent. Quand mon disque « De la jungle au zoo » est sorti, c’est la chaîne commerciale TF1 qui m’a accueilli, aucune chaîne du service public ne voulant de moi. »

« ON EST TOUJOURS LE VIEUX CON DE QUELQU’UN » On porte son enfance toute sa vie ? « Nul ne guérit de son enfance. C’était le titre d’une de mes chansons aussi. Quand mon père a été arrêté j’avais 10 ans. C’est ce jour là que je me suis aperçu que mon père était juif. Je ne savais pas ce que cela voulait dire. Ma mère était auvergnate, catholique. Mon père ne pratiquait pas de religion. Le monde m’est tombé sur la tête dans mon enfance. Je suis devenu adulte peut-être trop rapidement. »

Vous pensez souvent à votre père ? « Pas très souvent, mais sa disparition inhumaine est une chose qui m’a marquée et que je porte. La lutte contre le fascisme, le pétainisme, la milice qui régnaient en France à cette époque là ! Quand on a vécu ce genre de chose, bien sûr cela vous poursuit toute la vie »

Votre maman était passionnée de musique ? « Elle avait une très jolie voix et chantait les airs du répertoire comique. Dans les réunions de famille, elle poussait toujours la chansonnette et je l’admirais. Sa voix de soprano légère et cristalline m’enchantait. Mon père aimait l’opéra. »

Vos parents vous ont-ils donné le goût de la chanson ? « Le goût pour l’opéra c’est certain. Je me déplace beaucoup dans des festivals en Italie notamment. J’ai eu une base culturelle dans mon enfance qui m’a poursuivi toute ma vie. J’ai beaucoup admiré Yves Montand, qui en chantant Prévert m’a donné l’envie de mettre en musique des grands comme Louis Aragon. J’ai voulu suivre la même démarche. Faire la plus grande qualité possible et que cela devienne populaire. »

Quelle est la chanson que vous préférez de votre répertoire ? « Je ne sais pas répondre à cette question, il n’y en a pas une. »


« La femme est l’avenir de l’homme », il fallait oser ? « Je peux vous dire qu’il y a beaucoup de copains qui me reprochent cette chanson. Ils me disent : il n’y a que toi pour trouver des trucs comme ça. Mais je ne retire rien de ce que j’ai écrit. »

Vous avez commencé comme laborantin aide chimiste ? « A 16 ans, il a bien fallu que je bosse, j’ai pris n’importe quel emploi. Puis après, j’ai chanté dans les cabarets, cinq six ans de galère normale qui m’ont fait rencontrer des artistes formidables dans ces pépinières de talents. »

Etes-vous un homme de votre époque ? « On est toujours le vieux con de quelqu’un. Je suis un homme de réaction. Je trouve les gens un peu mous. Ils ne réagissent pas assez aux choses qui les entourent. La démocratie c’est de réagir et de prendre les choses en main. Il faut tracer avec les autres les perspectives que l’ont veut atteindre. »

Le verbe résister c’est le plus beau mot de la langue française pour vous ? « C’est un beau mot en tous cas. J’y fais souvent référence. Il faut résister. Résister à l’oppression, au lavage de cerveau, au bourrage de crâne, à ce qu’on veut vous faire considérer comme étant la règle inévitable et souhaitable pour notre société. Non, on ne m’aura pas de cette façon là. Jusqu’au bout je résisterai. »

Vous le dites avec un petit sourire, heureusement sinon ce serait horrible ? « Non, ce ne serait pas horrible car il n’y a qu’ainsi qu’on peut espérer quelque chose pour l’avenir, c’est en résistant. »

Pourquoi toujours cette moustache ? « Je l’ai laissée, ainsi que la barbe, pousser une année où je ne travaillais pas. Puis j’ai coupé une partie et j’ai gardé la moustache. Quand j’ai fait une tournée, plus personne ne me parlait de mon tour de chant, le seul sujet de conversation étant la moustache. Alors là j’ai dit on tient pas à grand-chose quand même. »

Est-ce que vous vous sentez un « ardéchois cœur fidèle » ? « Oui, je suis un fidèle, fidèle en amitié, en amour. Je n’y peux rien, c’est mon caractère. Il faut vraiment que les amis me fassent beaucoup de choses difficiles à supporter pour que je mette une distance entre eux et moi. C’est toujours quelque chose qui m’est extrêmement pénible. »

En 1981, vous avez perdu votre épouse après 20 ans de mariage, Christine Sèvres. Vous vivez aujourd’hui avec votre nouvelle femme, Colette. Pourquoi ne pas avoir choisi la solitude ? « Je ne suis pas un solitaire, j’ai besoin des autres, de l’autre, j’ai besoin d’Amour. On s’est découverts, on s’est aimés, elle m’aime, je l’aime, la vie continue. »

Quelle est la plus belle déclaration d’amour qu’on vous a faite ? « Côté privé, je ne peux pas répondre à cette question car je ne me sens pas le droit de dévoiler des déclarations. Côté public, c’est que le public continue à m’aimer et à me l’écrire, alors que je ne suis pas dans le star system. »

Est-ce que vous pourriez vivre sans écrire ? « J’ai l’âge de la retraite. Mais que les gens se rassurent, j’écrirai jusqu’au bout de ma vie. Ils ne l’entendront peut être pas. La suite de ma vie reste un point d’interrogation. »  RVM PRODUCTIONS HERVE MEILLON 2010


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